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le multiple Préface de Jean Tordeur Textes de Raymond Trousson, Georges-Henri Dwnont, Philippe jones, Jacques Detemmerman UNIVERSITE LIBRE DE BRUXELLES 00EB331G1 ACADÉMIE ROYALE DE LANGUE ET DE LITTÉRATURE FRANÇAISES □ U V R R G E 002833161 2 SM So \ b VjO^Tv Jules Destrée le multiple En ctxivcrturc: jvtrtr.nl de Julc* IVsrréc Encre de Chine par le peintre Pierre Pauli«, Rom«. 1915 (reproduction Nicole Hellyn • A M L.. Rruxello) O Saham, Bruxelles 1995 el Banni Pau lu» de Chârelei ISBN ¿-8032*0016-3 lVp»V légal: 1995/0755/4 Jules Destrée le multiple Préface de Jean Tordeur Textes de Raymond Trousson, GeorgeS'Henri Dumont, Philippe Jones, Jacques Detemmerman 5 - « 4 c > î v r . DESTRÉE LE MULTIPLE Préface par Jean Tordeur . DESTRÉE LE MULTIPLE Comment l’Académie, célébrant en cette année 1995 le soixante-quinzième anniversaire de sa fondation, n’en pren- drait-elle pas occasion pour donner à connaître, d’un peu plus près, à une nouvelle génération, la personnalité si diverse, si riche et si séduisante de son fondateur, Jules Destrée ? Ce dessein prend aujourd’hui la forme de deux livres qui peu- vent être considérés comme les panneaux d’un diptyque. Le premier est son Journal, dont les quatre cahiers qui subsistent sont enfin publiés grâce à l’énergie inlassable d’un de nos membres, M. Raymond Trousson. C ’est un document de toute première main sur les années de formation d’un très jeune homme qui, adhérant à La Jeune Belgique, hume avec ardeur les parfums capiteux d’une révolution littéraire, court les Salons, devient le familier des nouveaux grands hommes à Bruxelles et à Paris, tandis que le futur avocat n’est pas loin d’assumer un en- gagement moral et social, bientôt politique, qui décidera de son avenir. De la sorte, entre 1882 et 1886, entre sa dix-neuvième et sa vingt-quatrième année, son Journal est-il celui des pré- mices, contradictoires et conjuguées, d’une personnalité parti- culièrement attachante dès les débuts de sa vie. Le second livre -celui-ci- se voue à documenter le lecteur sur la multiplicité du personnage. Parmi ses différentes facettes, nous avons privilégié celle de l’écrivain, celle du ministre qui inscri- vit à son actif tant de décisions notoires en matière pédagogique et culturelle, celle de «l’homme d’Art» comme l’appelait le peintre Jean Delville -qui suscita des mesures décisives en fa- veur de l’héritage des artistes et qui sut faire reconnaître l’origi- nalité fondamentale d’une production picturale majeure en Wallonie-, enfin «l’Européen» qui incarna si naturellement cette vertu d’internationalisme familière au pays d’entre-deux qu’est la Belgique. Ce livre est l’œuvre de trois de nos confrères : M. Raymond Trousson, éminent praticien de nos Lettres, M. Georges-Henri Dumont, historien notoire, longtemps représentant de la Belgique au Conseil de l’Unesco, M. Philippe Jones, critique d’art réputé, membre de notre Académie au titre des Lettres, et, par ailleurs, Secrétaire perpétuel de l’Académie royale de Belgique. À la suite de leur contribution figurent, dans la m m DESTRÉE LE MULTIPLE deuxième partie du livre, des textes relatifs à chacun des aspects de Destrée, qui ont été évoqués. On les a intitulés «le ton Destrée», comme si, après l’écrit, on entendait sa voix. Enfin, grâce à la compétence et à la curiosité inlassable de M. Jacques Detemmerman, ce livre présente pour la première fois la biblio- graphie sans doute la plus complète d’un homme qui, selon l’ex- pression connue, «sema à tout vent». Nous adressons nos re- merciements à ce chercheur qui assure, depuis 1980, la mise au point et la rédaction de la «Bibliographie des écrivains français de Belgique», éditée par l’Académie. Certes la grande étude interdisciplinaire que devrait susciter la carrure de l’homme Destrée est encore à mettre en chantier. D’ici-là, il est permis de prendre déjà en compte l’apport du pré- sent livre, conjugué avec celui que nous donne la révélation fré- missante du Journal. À lui seul, au reste, le contraste entre les portraits qui ornent les jaquettes de ces deux livres incite au questionnement : entre ce très jeune homme qui attend tout de la vie, surtout l’accomplissement littéraire, et l’expression impérieuse de l’homme d’action, saisie par son ami, le peintre Pierre Paulus, à Rome, en 1915(l), quelle est la relation, quel est l’itinéraire et, surtout, qu’est-ce qui unifie ces deux êtres en ap- parence si différents ? Le premier indice du glissement d’un domaine à l’autre ou, au moins, de leur croisement en lui, est, à l’évidence, l’enthousias- me inattendu qu’il manifeste, en 1886, à 24 ans, dans son Journal, à l’égard de l’art japonais auquel ses curiosités d’esthète l’ont initié. Il y entrevoit le modèle d’une esthétique socialiste. Vision qui le conduit à écrire : toute cette chimérique nation se préoccupe du Beau. L’art n'y est pas la religion de quelques-uns, il est dans l’existence de chaque jour, dans l'habitation, dans le vête- ment, le paysage. Au Japon, l’art le plus accompli a su être l’art pour tous... L'art n'est pas seulement dans les musées. Il est partout, dans 111 En 1914, le gouvernement belge avait envoyé Jules Destrée à Venise afin d’y ré- cupérer les œuvres des artistes belges exposés à la Biennale de Venise. Le roi Albert, quant à lui, avait confié à des intellectuels le soin de combattre sur place le neutralis- me italien. Jules Destrée, et un député libéral, Georges Lorand, jouèrent un rôle considérable dans cette campagne. Un des premiers convertis fut un homme dont on parlait peu en Europe, Benito Mussolini, que Destrée rencontra alors que, directeur du journal Avanti, il n'était pas encore entré dans la voie qui allait le conduire à la dictature. DESTRÉE LE MULTIPLE la rue, dans les moindres objets de la vie ordiriaire. Il peut tout illu- miner, tout transfigurer. Transfiguration. Voilà le mot-clef d’un credo artistique qui va progressivement se confondre avec un credo social. Ses études terminées, il a quitté Bruxelles et les exaltations es- thétiques dont il s’enivrait, pour habiter à nouveau la chère mai- son qui, écrit-il, m’a donné tout ce qu’il y a de meilleur en moi, la pitié pour les faibles, l’amour du beau, la folie de la justice. C e n’est pas, cependant, que, revenu à ses sources, avouant, dans ses Chimères -la dernière, déjà, de ses œuvres vraiment littéraires- le désarroi de l’artiste impuissant à répondre à l’exigence de l’art, il se montre immédiatement sensible à la criante misère qui l’entoure, aux frémissements de révolte qu’elle commence à susciter, mais tout l’y prépare : la lecture de Tolstoï, qui le bou- leverse, la réflexion qu’il fait sur l’œuvre d’un artiste qu’il a le mérite de faire connaître : je crois que l’œuvre d’Odilon Redon est venue au monde pour, de son irrémédiable affliction, ouvrir notre âme compliquée à la simple, à la bonne pitié... Sans oublier que le jeune juriste, qui a adhéré depuis longtemps à des cercles poli- tiques novateurs, commence à mesurer, au Palais, à travers des actions judiciaires, le dénuement indicible et le malheur quoti- dien d’une population ouvrière dont personne ne se soucie. Certes, ce qui ne manque pas de surprendre aujourd’hui, et même de paraître naïf, c’est ce levier de l’Art sur lequel il en- tend prendre appui pour conjurer l’injustice sociale et rendre une dignité aux malheureux. On ne peut oublier cependant que l’Art tient quasiment lieu de religion à cet homme que le spiri- tuel hantera toute sa vie. 11 faut avoir connu de près des socia- listes de cette génération pour savoir à quel point ils ont partagé une conviction que Richard Dupierreux, secrétaire et confident de Destrée, traduisait ainsi : élever le peuple vers la Beauté, aller au peuple avec de la Beauté, c’est faire pénétrer en lui les nécessaires effluves de la bonté fraternelle. Cette vocation-là porte un nom très simple mais gros de développements insoupçonnés : l’al- truisme, disposition, précise le dictionnaire, à s’intéresser et à se dévouer aux autres. Cependant, aussi généreux que l’on soit, on ne partage pas avec des démunis ce qu’ils n’ont eu aucune chance de posséder en KfëS destrée le multiple naissant. 11 faudra donc le leur apprendre. Ce sera la tâche de la société, qui devra se doter des moyens de cet apprentissage. A cet effet il faudra pénétrer dans cette société et la convaincre. Nous n’avons donc à faire ni à un rêveur ni à un illuminé et l’on ne peut qu’être reconnaissant à Richard Dupierreux de sa formu- le frappante qui définit avec justesse l’équilibre des forces qui ins- pireront désormais Jules Destrée jusqu’à sa mort : il fut artiste à tout instant et, plus encore, peut-être, quand il devint homme d’action. Alors se révéleront progressivement ce don oratoire, cette dia- lectique percutante, cette ardente conviction qui le rendront re- doutable à ses adversaires et qui combleront les foules : telles celles d’Italie à qui il va s’adresser, en 1915, pour décider leur pays à se ranger aux côtés des Alliés et qui, aux dires de Maurice Maeterlinck, qui assistait à ces meetings, l’appelaient «l’orateur formidable». Aussi Maria Biermé, qui l’entendit aussi dans cet exercice et qui suivit toute sa carrière, est-elle fondée à dire que la géniale éloquence de Jules Destrée constitue l'essentiel de sa carriè- re.