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REVUE MUSICALE

OPÉRA-COMIQUE : Ciboulette de Reynaldo Hahn. — EMPIRE : Porgy and Bess de George Gershwin. — Les Ballets de Roland Petit. — Grands Concerts.

Ciboulette a fait une entrée triomphale sur la scène de l'Opéra- Comique. Accueillie par ses illustres devancières, Manon, et Mélisande, la jeune maraîchère d' au prénom si parisien n'est certes pas déplacée Salle Favart. N'oublions pas que ce fut le théâtre de l'esprit français par excellence, du vieil opéra-comique cher à nos pères : Boieldieu et Herold, Auber et Adam y firent jouer leurs principaux ouvrages, et plus près de nous, Chabrier, Messager et Cl. Terrasse devaient y donner des partitions telles que Le Roi malgré lui, La Basoche, Le Mariage de Télémaque, dont la sève musicale était si fraîche et si féconde. Le livret de Robert de Fiers et nous promène du carreau des Halles à la plus proche banlieue parisienne, pour- nous amener adroitement à une fête brillante sous le Second Empire, dans les salons d'Olivier Métra, l'auteur des valses célèbres ; c'est là que nous voyons la petite Ciboulette transformée en diva espa• gnole sous le nom prestigieux de Conchita Ciboulero. Et c'est ainsi qu'elle pourra conquérir le cœur d'Antonin de Mourmelon, fêtard quelque peu fantoche. Tout cela se passe sous l'égide d'un person• nage mystérieux, le vieil artiste Duparquet, lequel fut jadis le bril• lant poète Rodolphe de La Vie de Bohème. Sur ce sujet plaisant où perce parfois une tendre émotion, les auteurs ont écrit un texte ravissant qui nous fait penser à celui de Jules Lemaitre et de Maurice Donnay pour Le Mariage de Télémaque : cela nous prouve qu'un bon livret peut être écrit en excellent français. On s'explique parfaitement que cette Ciboulette, à la fois parisienne et espagnole, ait tenté le charmant musicien qu'était REVUE MUSICALE 731

Reynaldo Hahn. Il avait montré déjà dans L'Ile du Rêve et dans La Carmélite son talent musical si personnel : la partition de Cibou• lette, qu'il intitule modestement opérette, apporte dans ce genre quelque peu décrié des éléments nouveaux : une technique souple, habile, séduisante dont le grand final du « Muguet » au premier acte nous offre l'exemple le plus lumineux. + Je ne connais pas dans le répertoire qui va d'Oiïenbach à Lecocq, de Messager à Audran ou Varney, une page aussi bien venue par sa construction, son développement et son enchantement sonore. Peut-être ce morceau si. remarquable a-t-il nui aux deux autres grands ensembles de l'ouvrage : le final du deuxième acte qui présente sur le mode ironique des thèmes espagnols et la péro• raison de la pièce où le commentaire amusant des valses de Métra est pourtant traité avec une rare maîtrise. Parlerai-je des couplets nombreux, tous d'une verve de bon aloi ou du monologue déclamé et chanté de Duparquet, pages des plus émouvantes, ou encore du célèbre duo « Nous avons fait un beau voyage » qui pétille d'esprit et que des acclamations unanimes obligèrent Geori Boué et à bisser... Albert Wolff, au pupitre, a su mettre en valeur l'instrumentation discrète et cependant chatoyante de cette œuvre ciselée avec art. C'est Louis Beydts qui devait présider à cette soirée qu'il avait préparée avec tant de soin. Les échos de son succès lui seront parvenus dans la retraite où il soigne sa santé ébranlée et cette réussite a dû le réconforter. Qu'il soit félicité du choix des inter• prètes : Mmes Geori Boué, Lili Grandval, Germaine Michel, Chris- tiane Castelli, MM. Bourdin, Michel Roux, René Bourbon ; citons particulièrement "le jeune ténor Amade qui s'est révélé aussi bon chanteur qu'élégant comédien. Dans sa mise en scène fort réussie, Max de Rieux a galvanisé toute la troupe chantante de l'Opéra- Comique : avec quel goût et quelle ingéniosité il a su faire évoluer tout son petit monde sur le plateau minuscule de la Salle Favart ! Cette belle soirée aurait réjoui mon cher ami Reynaldo : je le vois encore, il y a quelques années, alors que je dirigeais la musique au Grand Cercle d'Aix-les-Bains, prenant la baguette pour conduire sa Ciboulette qu'incarnait l'inoubliable Edmée Favart. Autour de lui, l'orchestre était devenu une ruche bourdonnante, un essaim d'abeilles animé par un aiguillon magique. 732 LA REVUE

Sur la scène de l'Empire, M. Hervé Dugardin a présenté une production américaine

Nous sommes décidément dans une heureuse période. Aux Ballets de Paris, dans cette même salle de l'Empire, Roland Petit, chorégraphe et danseur de haut rang, nous révèle trois jeunes compositeurs : Claude Pascal, Pierre Petit et Henri Dutilleux, grands , en nous présentant trois ballets des plus REVUE MUSICALE 733

réussis. Dans La Perle de Claude Pascal, nous avons apprécié une musique vive et distinguée, finement orchestrée dans un esprit ravellien, qui souligne un argument de Mme Louise de Vilmorin et une souple chorégraphie de M. Gsovsky. Ciné-Bijou de Pierre Petit est une réussite complète : musique directe, spontanée, suivant pas à pas l'action scénique de J. P. Gredy, un peu à la manière des Impressions de Music-Hall de Gabriel Pierné, mais avec un apport très personnel. Sur un livret de Jean Anouilh et Georges Neveux, Le Loup, M. Henri Dutilleux a composé une partition riche de substance, admirablement orchestrée, plus symphonique sans doute que choré• graphique, mais d'une haute valeur musicale. M. Roland Petit nous enchante par l'originalité de ses conceptions chorégraphiques. Il anime d'un esprit d'allégresse sa troupe bien stylée, à la tête de laquelle il faut placer la séduisante et bondissante Colette Marchand, triomphatrice de la soirée. Ajouterai-je que je n'ai guère aimé le sujet un peu outrancier de Deuil en 24 Heures, ballet d'allure macabre, sorte de Veuve Joyeuse, d'un comique beaucoup trop appuyé, qu'illustre une partition d'une truculence amusante due à la plume de Maurice Thiriet. Compliments à Richard Blareau, chef d'orchestre précis et entraînant.

L'Association des Concerts de Paris, dans un programme Mozart exécuté par l'orchestre Maurice Hewitt, nous a offert les débuts du jeune pianiste Jean Casadessus : il a joué dans un fort joli sentiment, avec une virtuosité toute naturelle, le concerto pour piano en ut majeur. Ce jeune artiste très doué fait honneur à l'enseignement de son père, l'éminent pianiste Robert Casadessus qui, de son côté, avec l'Orchestre de la Société des Concerts du Conservatoire, se faisait acclamer dans deux Concertos de Bee• thoven et de Saint-Saëns, puis encore dans le Concerto pour la main gauche de , page si curieuse qui donne à la partie de piano une éloquence singulière. M. Robert Casadessus, avec le concours de l'Orchestre que dirigeait si parfaitement André Cluytens, nous a montré que l'on peut être un grand virtuose sans oublier que l'on est aussi un bon musicien.

HENRI BUSSER.