Paysage politique Cent jours en suspens www.realites.com.tn

RÉALITÉSHebdomadaire indépendant fondé en 1979 N° 1798- Du 11 au 17 juin 2020

Partis politiques Le syndrome de l’implosion Enjeu de l’emploi L’urgent et le fondamental

Abir Moussi Jusqu’où Prix - Tunisie : 3,200 DT - Algérie : 120 DA - Maroc : 20 D H - Zone CFA : 1500 FCFA - France : 2,5 € Suisse 6 FS : 1500 FCFA - Maroc : 20 D H Zone CFA Algérie : 120 DA : 3,200 DT - Prix - Tunisie ira-t-elle ?

Un autre regard De la philosophie du sauvetage économique ! Par Hakim Ben Hammouda

RÉALITÉS HEBDOMADAIRE INDEPENDANT PARAISSANT LE JEUDI Sommaire 34, Rue Abdelaâziz Thaâlbi - 1013 El Menzeh 9 Tél: 70.860.733 -70.860.724 - Fax:70.860.666 Paysage politique Cent jours en suspens Adress E-mail:[email protected] www.realites.com.tn Abir Moussi Site Web : www.realites.com.tn RÉALITÉSHebdomadaire indépendant fondé en 1979 N° 1798- Du 11 au 17 juin 2020 Jusqu’où ira-t-elle ?

DIRECTEUR DE LA PUBLICATION Partis politiques Le syndrome Qu’est-ce qu’il dérange ce Taïeb Zahar de l’implosion Enjeu de l’emploi petit bout de femme! Cette [email protected] L’urgent et le fondamental avocate de 45 ans, qui traîne des casseroles et surtout des REDACTEUR EN CHEF animosités pour avoir été Faouzi Bouzaiene un des secrétaires généraux [email protected] adjoints du RCD dissous (9 Rédacteur en chef adjoint : mars 2011) par la révolution de Ridha Lahmar Abir Moussi la dignité qu’elle ne reconnaît [email protected] pas, a juré par tous les dieux de tout mettre sens dessus Rédacteur en chef adjoint Jusqu’où

Secrétaire général de la rédaction : - France : 2,5 € Suisse 6 FS : 1500 FCFA - Maroc : 20 D H Zone CFA Algérie : 120 DA : 3,200 DT - Prix - Tunisie dessous dans la vie politique Mohamed Ali Ben Sghaïer ira-t-elle ? et de «renvoyer les islamistes [email protected] (pas tous, ndlr) en prison, c’est Un autre regard là leur place», ne cesse-t-elle Conseillers : De la philosophie du sauvetage économique ! Hakim Ben Hammouda - Sami Mahbouli Par Hakim Ben Hammouda pas de répéter. 8 EN COUVERTURE REDACTION P12

* Politique Paysage politique Yasmine Arabi - Hatem Bourial - Fayçal Chérif Cent jours en suspens 12

* Société Khalil Zamiti - Yasser Maârouf - ACTUEL Dr. Samira Rekik (Santé) P18 * Economie et entreprises : Les partis politiques Mohamed Ben Naceur - Alaya Becheikh - et le syndrome de l’implosion 18 Samy Chambeh - Nizar Mouelhi Le gouvernement face à la crise sanitaire * Magazine : Nadia Ayadi - Dr. Ali Menjour - Alix Martin - Réalisme, excès de confiance ou laxisme ? 20 Hédi Alouini ECONOMIE Iconographie : Lamine Farhat Suppléments : Amel Ben Naceur Enjeu de l’emploi L’urgent et le fondamental 24 SERVICE TECHNIQUE : Responsable Technique : Issam Gharsalli La résorption du chômage, Infographistes : Houda Rezgui - Hajer Charchoufi- Fatma Soltani une question politique 26 P24 P30 Economie tunisienne “REALITES” La croissance aurait été négative est édité par MAGHREB MEDIA même sans la pandémie 30 au capital de 140.000 DT Reprise touristique Président du Conseil d’Administration : Taïeb Zahar Plus d’interrogations que de réponses… 32 Directeur Général : Imed Mouaffak Directeur Conseiller : Sofiène Mouaffak Magazine Responsable Communication et Marketing : P46 Amel Ben Naceur Arts - Alex Ayed en Tunisie Tél: 70.860.733 -70.860.724 - Fax:70.860.666 Des bulles dans le dédale ésotérique 44 Directeur administratif et financier : Mohamed Ali Trabelsi Iles Canaries Relations publiques : Khouloud Chebbi Premier vol avec passeport sanitaire Reportages régionaux : Mohamed Larbi Ben Othman numérique 46 Recouvrement : Hamdi Sebaï - Tél.: 70.860.707 Ebouriffant personnage Service Abonnements : Sarra Znegui aux surprenantes sautes d’humeur Service Commercial : Sami Ouni Tél.: 70.860.733 -70.860.724 Saïdani côté cour, côté jardin 48 Secrétariat : Mounira N’hidi L’album-souvenirs de... Diffusion: Nourreddine Madfaï Pré-presse : MAGHREB MEDIA-Tél.: 70.860.733 Ameur Hizem, monsieur Sélection «71» 50 Impression: Imprimerie Maghreb Editions 15, Bis Rue 8602 - Zone Industrielle - La Charguia I Du 11 au 17 Juin 2020 - N°1798 - RÉALITÉS - 3 Tél.: 71.772.216 - 71.773.371 - Fax.: 71.799.266 L'Edito

Encore une crise gouvernementale ! Par Faouzi Bouzaiene

unique bonne nouvelle cette semaine est la maîtrise du parti islamiste. D’où le mot d’ordre de mobilisation lancé de la situation épidémiologique et l’arrêt de la conta- à ses troupes, notamment facebookiennes, à ses garde-boues mination locale par la Covid-19, à l’état actuel du et autres pare-chocs. La grande bataille va commencer parce L’bilan sanitaire. Cela laisse entendre que la pandémie est, peut- qu’il est impératif de faire oublier cette image pathétique du être, derrière nous. Ce qui explique le retour à la normale quasi président de l’Assemblée des représentants du peuple, le chef général avec reprise de la double séance dans les administra- d’Ennahdha attaqué, dénoncé, mis à nu, diabolisé et ridiculisé tions et la rentrée universitaire. La vigilance reste toutefois de 20 heures durant. Un aperçu de cette mobilisation a été donné mise, sinon la fierté d’être sorti avec le minimum de dégâts de sous le toit de l’ex-siège de la Chambre des conseillers quand, la pandémie du Coronavirus sera de courte durée. Les craintes frisant le ridicule, les élus d’Ennhahdha et leurs partisans d’Al d’un relâchement rapide sont justifiées parce que les respon- Karama, s’étaient lancés, à travers une orchestration pitoyable, sables politiques sont déjà passés à autre chose. A une nouvelle dans des tirades inaudibles, ridiculement élogieuses, pour crise politique tendant à déstabiliser le gouvernement Fakh- venir en aide au cheikh. On le dit toujours, à tort ou à raison, fakh à moins de cent jours de son installation et à exacerber le le ridicule ne tue plus, il ne fait même plus rire. Dans le cas climat de tensions qui existe déjà entre le président de la Ré- d’espèce, il était annonciateur de sombres desseins. publique et celui de l’ARP sur fond de non-respect des préro- Les deux sorties médiatiques successives, en l’espace de 24 gatives assignées à chaque partie par la Constitution de 2014. heures, des chefs d’Ennahdha sur la chaîne de leur ennemi Le spectacle qui nous est offert par la classe politique n’augure d’hier (Nessma) et du chef de Qalb Tounes, le même Karoui, rien de bon et assombrit encore plus un horizon perturbé par sur une chaîne concurrente (Hannibal) en disent long sur le les graves séquelles socioéconomiques de la pandémie de la programme à venir concocté et orchestré par les deux premiers Covid-19. Un spectacle, le moins qu’on puisse dire, pathétique partis gagnants des Législatives de 2019. et la plénière du 3 juin courant en a été l’illustration parfaite. Pour Ghannouchi, il n’est plus question de gouverner avec des Son incidence sur le pays sera immanquablement des plus « traîtres… Il n’est pas dans l’ordre des choses que des partis lourdes. au pouvoir votent les uns contre les autres et s’attaquent les Le show qui a eu lieu le 3 juin courant au Parlement est, selon uns les autres ». Pour Nabil Karoui, il est temps de régler ses certains, le propre de la démocratie et démontre que la jeune comptes avec ceux qui l’ont jeté - « à tort », dit-il - en prison, expérience tunisienne est sur la bonne voie. Ennahdha et en de mettre le pied à l’étrier et de prendre la place qui lui revient, premier lieu son chef, Rached Ghannouchi, sont les premiers légitimement. à afficher leur fierté, prétendant être les garants de cet état de A l’ordre du jour de la période à venir, c’est donc une bagarre fait, faisant ainsi passer la pilule de leur déconvenue face à sans doute interminable entre Ennahdha et Achaâb qui a déjà leur plus grand adversaire, Abir Moussi et son Parti destou- déclaré refuser de quitter le gouvernement. Entre les deux, un rien libre. La réaction d’Ennahdha n’a d’ailleurs pas tardé à se Chef de gouvernement, Elyes Fakhfakh - désigné par le Pré- manifester : le parti islamiste a exigé l’éjection des deux partis sident Kaïs Saïed - qui sera pris au centre de tirs croisés qui de la coalition gouvernementale – Achaâb et Tahya Tounes - risquent de lui valoir son fauteuil à la Kasbah. qui ont voté en faveur de la motion d’Abir Moussi, condam- Pathétique, c’est le moins qu’on puisse dire face à la gestion nant l’intervention étrangère dont celle de la Turquie dans le de la vie politique par des partis qui mettent en avant leurs conflit libyen. En cherchant à se venger de ceux qu’il accuse propres intérêts, sans le moindre égard aux problèmes urgents de l’avoir trahi, Ennahdha ne se gêne pas du tout de provoquer des citoyens et sans se soucier des difficultés dans lesquelles une nouvelle crise politique et gouvernementale au moment se trouve le pays. où le pays est financièrement à genoux et où les chances de Ennahdha se démène donc actuellement pour dérouler le tapis remonter la pente de la croissance sont quasi nulles. rouge de la Kasbah devant Qalb Tounes, pour le plus grand Mais c’est justement dans ce genre de situation, celui de l’ins- bonheur de son président et de ses membres. Les risques de tabilité politique, que le parti islamiste tire son épingle du jeu blocage dès lors existent et pour parer à une telle éventualité, et, plus encore, tire profit du système politique qu’il a lui- le parti de Ghannouchi menace déjà de retirer ses ministres même imposé au pays. Un système qui jusque-là lui a permis de l’équipe gouvernementale dans un ultimatum clair lancé à de dominer l’échiquier politique, de manœuvrer à sa guise et Elyes Fakhfakh. de jouer au marionnettiste. Il s’agit pour Rached Ghannouchi Les amateurs de scénarios sont à l’œuvre, ils composent et et ses lieutenants de faire durer cette situation dans le but d’hy- décomposent des formations gouvernementales à n’en plus pothéquer la vie politique pour mieux voiler leurs fautes, leurs finir. Pour les uns, c’est l’occasion d’exclure les islamistes de échecs et leurs abus et d’assurer ainsi leurs arrières. la Kasbah, pour d’autres, ce sera l’autoroute vers l’incertitude. La plénière du 3 juin a, pour sa part, ravivé les craintes d’un Et tout cela dans un silence assourdissant du président de la parti aux abois et pris de panique. Abir Moussi a réussi son République. La seule certitude aujourd’hui est que l’été s’an- coup et a pu mobiliser une large frange de députés autour de nonce très perturbé et que la crise dans laquelle se débat le sa motion, même si elle n’est pas passée. Parmi eux, des alliés pays va s’approfondir davantage. n

4 - RÉALITÉS - N°1798 - Du 11 au 17 Juin 2020 Du 12 au 18/8/2016 - N° 1598 - RÉALITÉS - Du 12 au 18/8/2016 - N° 1598 - RÉALITÉS - Confidentiels

Le bloc national Abdennaceur Aouini en sit-in Abdennaceur Aouini, avo- s’élargit ? cat de Walid Zarrouk, est en colère et en veut à ce qu’il appelle la police politique et même au Bâtonnier et aux membres du Conseil de l’ordre des avocats. Et pour cause. Dans un post publié sur sa page facebook, l’avocat affirmeavoir été agressé par les forces de l’ordre lors de l’arrestation de Walid Zarrouk, au moment où ce dernier était chez Abden- Mongi Rahoui, dirigeant du parti des naceur. patriotes démocrates unifié (Watad) L’avocat dénonce l’attitude viendrait renforcer le bloc national passive de son Bâtonnier et composé des députés démissionnaires du Conseil de l’ordre qui n’ont pas fait preuve de solidarité envers lui suite à cette de Qalb Tounes et présidé par Hatem agression qui dépasse sa personne pour toucher sa profession. Mliki. Rahoui a annoncé sa démission Abdennaceur est en sit-in ouvert dans le bureau du Bâtonnier au palais de justice à du bloc démocrate dimanche dernier, . justifiant cette décision par le fait que sa présence ne s’accordait plus avec les positions des partis composant le groupe parlementaire. Montassar Yakoub, expulsé par l’Italie, «Nous sommes convenus, dès le début, qu’il s’agit d’un bloc tech- libéré par la Tunisie nique. Cela signifie que le vote est libre et que les interventions le sont Montassar Yakoub, classé par les autorités italiennes comme «complice» du aussi. Je ne suis pas en train de faire Tunisien Anis Amri dans l’attentat terroriste au camion-bélier sur le marché de une campagne pour la Présidentielle Noël à Berlin en 2016, a été expulsé «sur un vol spécial», selon le ministère de de 2024. Je travaille sur les axes qui l’Intérieur italien. m’ont permis de devenir député et Mohsen Dali, le porte-parole du Tribunal de première instance de Tunis, a je dois être fidèle à tout ce que j’ai confirmé son arrivée sans donner de détails sur le vol l’ayant ramené. Il a précisé adopté auparavant», avait-il affirmé également que Yakoub est désormais en état de liberté pour «manque de preuves lors de l’annonce de sa démission. sérieuses», suite à une décision de l’unité judiciaire du pôle antiterroriste. Le député n’a par ailleurs pas caché Il s’agit de la première expulsion depuis la propagation du Coronavirus dans le son intention de constituer un nou- monde. Au cours des cinq dernières années, l’Italie a expulsé 482 étrangers en veau bloc à l’ARP. invoquant des raisons de sécurité, dont 21 en 2020.

Cessions en attente Affaire à suivre Une vaste opération de mise à l’écart de tous les directeurs des services et des directions relevant de la Direc- tion générale des services techniques a été opérée au ministère de l’Inté- rieur. Des mutations ont eu lieu et seul le Directeur général a conservé Les opérations de cession des participations publiques directes et indirectes représen- son poste. tant 79,62% du capital de «Dar Essabah» et celles représentant 89,93% du capital de Cette opération a été décidée et ef- la société Tunisia Broadcasting «Shems FM» vont être, semble-t-il, réactivées par la fectuée suite à une enquête adminis- société Al Karama Holding. trative menée en même temps qu’une Cette dernière a annoncé ces deux réactivations dans un communiqué tout en préci- instruction judiciaire qui aurait sant que les candidats intéressés par l’opération et désirant obtenir plus d’informa- prouvé des dépassements au sein de tions sur le processus de cession ont jusqu’au 3 juillet 2020 pour le faire. cette direction. Il s’agit du deuxième appel à manifestation d’intérêt lancé après celui du 24 janvier L’affaire est à suivre en attendant de 2020, aucune offre n’étant parvenue à la société dans les délais fixés (11 février plus amples détails sur le genre de 2020). dépassements enregistrés.

6 - RÉALITÉS - N°1798 - Du 11 au 17 Juin 2020 Moussi persiste et signe ! Pont de Bizerte Ouverture des plis le 16 juin

L’appel d’offres international pour la sélection des entre- prises qui seront chargées de la réalisation du nouveau pont de Bizerte va livrer ses postulants. L’ouverture des plis y af- férents aura lieu mardi 16 juin 2020. C’est ce qu’a annon- cé le Directeur régional de l’équipement au gouvernorat de Bizerte, Zouhair Azouzi. 57 entreprises nationales et internationales auraient présen- té leur candidature à cet appel d’offres international et une dizaine de sociétés seront sélectionnées, dans une première étape. Un délai de 60 jours leur sera accordé pour présenter leurs offres financières et techniques au sujet de la réalisation du projet. La commission chargée du projet choisira l’entreprise qui La présidente du Parti destourien libre ne compte pas arrê- assurera la réalisation technique du projet, estimé à un coût ter de sitôt son combat contre ce qui est devenu ses ennemis total de 750 millions de dinars. L’ouverture des plis se fera jurés, Ennahdha et son chef. par visioconférence. Abir Moussi vient, en effet, de soumettre une nouvelle motion à l’Assemblée dans l’objectif de classer les Frères musulmans comme organisation terroriste. «Cette initiative est une continuité du projet du PDL visant à rompre avec les partis qui ont des plans contre l’intérêt des Tunisiens et à dire la vérité sur ce qui se passe en Tunisie», a-t-elle martelé en annonçant son projet. Considérant les Frères comme faisant partie de l’organisation terroriste internationale, Moussi appelle le gouvernement à reconnaître officiellement cette classification et à considérer tout Tunisien ayant des liens avec cette organisation comme terroriste. Le débat va être encore une fois chaud et houleux sous le toit du Parlement. Le projet serait, selon son initiatrice, discuté et voté début juillet. L’été 2020 sera à coup sûr, politiquement, très chaud. Pont de Bizerte 2 La réalisation du pont fixe de Bizerte verra la publication d’un autre appel d’offres au mois de novembre prochain. Il Recettes fiscales en baisse concernera la réalisation des routes qui relieront le pont de part et d’autre. Pour ce qui est de l’aménagement de cités Au premier trimestre de l’année en cours, les ressources environnantes pour un coût de 6 millions de dinars, l’appel propres de l’Etat se sont repliées de 4,1% à 7741, 8 MD d’offres sera annoncé, pour la seconde fois, au mois de juillet contre 8 076,9 MD une année auparavant. La situation est prochain, alors que celui qui concerne le projet de la route amenée à se détériorer davantage au terme du deuxième tri- périphérique sera annoncé au cours du mois de juin. Cette mestre sur fond de crise sanitaire et de confinement général. route a été proposée au niveau régional et approuvée par le Selon l’état provisoire de l’exécution du budget de l’Etat ministère de l’Equipement et les services de la Banque afri- arrêté au premier trimestre de 2020, les recettes fiscales ont caine de développement (BAD). accusé une baisse de 8,3% dont un repli de 12,9% des impôts Elle reliera le pont du côté de la délégation de Bizerte-Sud directs et 33,5% des impôts sur les sociétés. Des chiffres qui aux localités de Boukhris et à la route touristique de la Cor- devront être révisés à la hausse au cours du deuxième tri- niche (délégation de Bizerte-Sud), sur une longueur de 4,5 mestre de l’année placée sous le signe de la lutte contre les kilomètres. effets ravageurs du Coronavirus.

Du 11 au 17 Juin 2020 - RÉALITÉS - N°1798 7 En couverture

epuis la création du Parti destourien libre litique et médiatique contre les islamistes. Des (PDL) en 2013, dont elle est la présidente sympathisants, Abir Moussi en a de plus en plus. incontestée, Abir Moussi est une rebelle Le dernier sondage d’Emrhod Consulting la pro- indomptable,D infléchissable, déchaînée contre Ra- pulse en deuxième position juste derrière l’indé- ched Ghannouchi et son parti Ennahdha et impi- trônable et l’atypique président de la République toyable envers tous les partis politiques proches, Kaïs Saïed en termes de popularité. Mieux: le 3 alliés, affidés ou tremplin électoral des islamistes, juin, au cours de la séance plénière mémorable c’est-à-dire presque toute la classe politique. Le de 20 heures, elle a réussi à réunir 94 élus autour PDL est le seul parti à afficher une opposition de sa motion, condamnant l’ingérence étrangère franche et farouche; quant à Abir Moussi, telle en Libye, notamment turque soutenue par Rached une trombe, elle fonce droit devant, défiant tout et Ghannouchi, manquant d’un pouce son adoption tout le monde, refusant de rencontrer le président à cause d’une volte-face de dernière minute du de la République, de prendre partie aux négocia- Courant démocratique, que le chroniqueur Sofiène tions pour la formation des gouvernements Jomli Ben Hamida ne s’empêchera pas de qualifier, non et Fakhfakh, déballant en public leurs quatre vé- sans ironie, dans une chronique sur radio IFM, rités aux ex-RCdistes «vendus», recyclés dans les de «pare-choc» d’Ennahdha. D’autres analystes nouveaux partis nés après 2011 et même par En- et des activistes politiques assurent qu’il y aura nahdha, tenant des sit-in et une grève de la faim un après 3 juin 2020 dans la vie politique tuni- à l’intérieur du Parlement, bousculant tous les sienne: devant le monde entier, l’image mythique codes, toutes les bonnes manières, jusqu’à sus- du respectable Cheikh islamiste a été flagellée par citer la gêne et la colère, même chez ses sympa- les attaques acerbes de nombre de députés, sur- thisants, ceux qui partagent son rejet épidermique tout Moussi, Rahoui et Tebbini qui ont fait preuve de l’Islam politique et soutiennent sa guerre po- d’une virulence inouïe.

8 - RÉALITÉS - N°1798 - Du 11 au 17 Juin 2020 Abir Moussi Jusqu’où ira-t-elle ? Par Yasmine Arabi

Qu’est-ce qu’il dérange ce petit bout de femme! Cette avocate de 45 ans, qui traîne des casseroles et surtout des animosités pour avoir été un des secrétaires généraux adjoints du RCD dissous (9 mars 2011) par la révolution de la dignité qu’elle ne reconnaît pas, a juré par tous les dieux de tout mettre sens dessus dessous dans la vie politique et de «renvoyer les islamistes (pas tous, ndlr) en prison, c’est là leur place», ne cesse-t-elle pas de répéter.

Clivante, rebelle, contre-révolutionnaire mistes, elle veut déchoir Rached Ghannouchi de Moussi est entrée au Parlement en 2019 avec un la présidence du Parlement, elle veut aller vite et bloc de 16 élus, d’illustres inconnus. Dès le dé- trop loin, s’attirant la foudre de ses adversaires “Seule, face à tous part, ils ont été isolés, ignorés, évités, diabolisés, politiques et mettant sa vie en péril. La plaidoirie et contre tous, insultés, agressés, conspués par leurs collègues magistrale qu’elle a tenue le 3 juin décortiquant point par point les preuves dont elle dispose de Abir Moussi n’ira des autres partis et par les pages facebook affidées l’appartenance (encore) de Rached Ghannouchi pas très loin et à Ennahdha. Abir Moussi, la femme la plus dé- testée du pays, le dernier relent de la dictature, la et du parti Ennahdha à l’organisation des frères on ne verra alors délatrice de l’ancien régime, le porte-voix de l’an- musulmans, en est une véritable démonstration. de la trombe que ti-révolution… telle est l’image que ses détrac- Toutefois, Moussi, qui reste en travers de la gorge les dégâts qu’elle teurs tentent d’ancrer dans l’imaginaire collectif. de nombre d’acteurs politiques, donne l’impres- aura occasionnés. Sous l’hémicycle parlementaire, les islamistes sion de ramer à contre-courant. Les Tunisiens takfiristes en sont venus jusqu’à légitimer son n’apprécient pas beaucoup la confrontation; leur L’opportunité marque de fabrique est connue, ce sont la diplo- de former assassinat. Pour sa fougue et sa verve, d’autres sont tentés de la comparer avec Samia Abbou, matie et le consensus. Abir Moussi, elle, est dans des alliances l’unique voix féminine à l’ARP à avoir dénoncé la la rébellion, dans le clivage, elle mène sa propre et d’œuvrer corruption depuis 2011, mais qui s’est tue depuis contre-révolution. Jusqu’où pourra-t-elle aller ? avec elles à la que son époux Mohamed Abbou a été nommé mi- Jusqu’à présent, force est de constater qu’en quelques mois, ce petit bout de femme a soulevé prospérité de nistre d’Etat chargé de la lutte contre la corruption

une tornade dans le Parlement et remué ses eaux la Tunisie est dans le gouvernement Fakhfakh, lequel n’est pas “ moins confronté aux scandales politico-financiers dormantes. Qui aurait cru que l’élu Mongi Rahoui aujourd’hui réelle. que ses prédécesseurs. Faire ce parallélisme, qui (ancien Front populaire) en viendrait à déclarer sur agace Abbou, c’est aller vite en besogne, car Abir Al Watanya 1, trois jours après la séance plénière Moussi ne veut pas moins que la peau des isla- du 3 juin: «C’est elle seule qui a réagi à l’entre-

Du 11 au 17 Juin 2020 - N°1798 - RÉALITÉS - 9 En couverture

lui permettant par un vote décisif d’accéder à la Avec la motion de censure présidence du Parlement et la seconde en votant contre Ghannouchi dont contre la motion du PDL. Dimanche soir, sur Han- Abir Moussi était l’instigatrice, une voie à une possible nibal, Nabil Karoui, invité de Samah Meftah, ne nouvelle configuration du se fit pas prier pour régler ses anciens comptes et paysage politique sera ouverte marquer de nouveaux points: il enfonce Youssef Chahed, l’accusant d’être derrière son emprison- nement abusif au cours de la campagne électorale 2019, et s’érige en disciple du défunt Béji Caïd Essebsi, en sauveur de la Tunisie qui serait prêt à faire comme son mentor, peut-être conclure un (autre) Consensus avec Rached Ghannouchi qu’il dit respecter et qu’il qualifie d’«homme sage». La motion de Moussi a donc engendré une nou- velle crise politique, alors qu’il était impératif et urgent de se consacrer exclusivement à réparer les dégâts économiques et sociaux de la crise du Co- rona. On peut d’ores et déjà imaginer la probable ampleur de cette crise politique: entre Fakhfakh, le Chef du gouvernement du président, et Enna- hdha, entre Kaïs Saïed et Ghannouchi, entre En- nahdha et les partis qu’elle cherche à éjecter de la Kasbah, entre Achaâb et le Courant démocratique dont l’alliance a été affaiblie par le vote séparé sur la motion de Moussi. Un contexte politique qui va encore retarder le travail du gouvernement et ses promesses de lancer les grandes réformes afin de tien téléphonique entre Ghannouchi et Sarraj, sauver de la faillite ce qui peut encore l’être. c’est elle qui a alerté tout le monde sur la gravité Bien qu’à plus de 70%, les Tunisiens sont insatis- de cet entretien inavoué du côté tunisien, aucun faits du rendement de la classe politique, et parti- autre parti n’a réagi avant elle». Rahoui, membre culièrement de l’actuel Parlement qu’ils accusent du bloc démocratique, a voté favorablement pour de populisme et d’être un nid de corrompus, il la motion de Moussi qu’il accusait, quelques jours faut avouer que la démocratie tunisienne est bien auparavant, de lui avoir «piqué» son idée, celle de réelle et qu’elle se renforce de jour en jour. La retirer la confiance au président de l’ARP, Rached séance du 3 juin a été, malgré tous les dérapages, Ghannouchi, alors que la présidente du PDL n’a un bel exercice démocratique. Abir Moussi, avec eu de cesse de réclamer cette destitution publique- d’autres députés, en a été l’instigatrice, ouvrant ment. Dimanche dernier, Rahoui a démissionné du ainsi la voie à une possible nouvelle configura- bloc parlementaire qui s’est effrité face à la mo- tion du paysage politique mieux structurée et plus tion d’Abir Moussi. équilibrée entre les islamistes et les modernistes. Abir Moussi ne “ Pour la présidente du PDL, il serait aujourd’hui veut pas moins Motion et nouvelle crise politique opportun, utile et pragmatique de construire sur ce que la peau Du côté de Montplaisir, Ennahdha est outrée. capital non négligeable de réussite, même contro- des islamistes, Après la rude séance plénière du 3 juin, qui restera versée, pour accéder à un nouveau palier dans la elle veut gravée dans les mémoires aussi bien des islamistes scène politique et le cercle du pouvoir. Pour cela, que des modernistes, c’est le temps des règlements déchoir Rached Moussi doit se faire des «amis», des alliés, des al- de comptes. Dès le vendredi 5 juin, Ennahdha re- liances. Elle doit tendre la perche et la main aux Ghannouchi de fuse de signer le Pacte de stabilité et de solidarité anti-Ennahdha qui ont soutenu sa motion, non la présidence du gouvernemental proposé par Elyes Fakhfakh qui pas pour sa personne mais parce qu’ils partagent Parlement, elle engage les quatre partis de la coalition gouverne- son idée et sa cause. L’icône de l’ancien régime veut aller vite et mentale à rester solidaires en toute circonstance a réussi à convaincre des anti-RCD, des militants trop loin s’attirant et à coopérer dans la gestion des affaires de l’Etat historiques contre les régimes de Bourguiba et et de la vie politique. Ennahdha ne pardonne pas de Ben Ali. C’est là la preuve que les partis po- la foudre de aux deux partis de la coalition gouvernementale, litiques sont capables de faire taire leurs démons ses adversaires Achaâb et Tahya Tounes, leur vote en faveur de la quand il s’agit de prendre position dans l’intérêt politiques et motion du PDL. Les dirigeants islamistes exigent de la Tunisie. C’est aussi là une belle leçon de pa- mettant sa vie “ à présent leur départ et demandent à Fakhfakh de triotisme qu’Abir Moussi gagnerait à retenir afin en péril. les remplacer par le parti de Nabil Karoui, Qalb de permettre l’émergence d’un front moderniste, Tounes qui, à deux reprises, a tendu la bouée de centriste, progressiste, solide, capable de s’im- sauvetage à Rached Ghannouchi, la première en poser aux prochaines élections. Bien sûr, tout ne

10 - RÉALITÉS - N°1798 - Du 11 au 17 Juin 2020 Le PDL, présidé par Moussi, s’est démarqué en étant le seul parti à avoir campé dans l’opposition dès son arrivée à l’ARP

dépend pas de la seule présidente du PDL, mais PDL a proposé, pour la campagne électorale, un celle-ci pourrait largement y contribuer en mettant programme économique et social, il propose un La motion de côté ses rancunes et en remplaçant le discours projet sociétal et Moussi a même proposé un pro- “ de Moussi clivant (toujours bien argumenté) par le dialogue jet d’amendement de la Constitution de 2014 au et le compromis. défunt Béji Caïd Essebsi pour notamment amé- a engendré liorer le système électoral. Un projet ignoré par une nouvelle Besoin vital d’alliances et de réconciliation Si El Béji. crise politique, Abir Moussi, elle aussi, a commis des erreurs. Le PDL compte parmi ses membres et sympa- alors qu’il était La première, déjà, en zappant l’ère Ben Ali pour thisants un comité des sages dans lequel siègent impératif et urgent vouloir s’ériger en icône de l’ère Bourguiba, dont parmi les plus grandes compétences nationales, elle brandit le portrait à l’ARP. Son objectif, bien des hommes et des femmes d’Etat rompus à de se consacrer sûr, est d’agacer les islamistes, mais c’est un l’exercice du pouvoir. Des compétences recon- exclusivement à gros ratage qui a exaspéré les bourguibistes. Par nues qui travaillent dans l’ombre à cause d’une réparer les dégâts contre, des bourguibistes de souche l’ont soute- réconciliation nationale avortée, à cause d’une économiques nue dans des posts facebook après la séance du justice transitionnelle bâclée et à cause de puis- et sociaux de la “ 3 juin. C’est dire qu’en politique, l’impossible sants lobbys politico-financiers qui profitent de la crise du Corona. n’existe pas. La deuxième est que Moussi aurait division des Tunisiens. plus et mieux gagné en se démarquant franche- Pour conquérir la confiance des Tunisiens, Moussi ment du legs «toxique» de Ben Ali, notamment est appelée à se battre aussi pour le quotidien éco- du dossier des islamistes («J’étais trop jeune nomique et social des Tunisiens. Elle doit, pour en ces temps-là», a-t-elle une fois déclaré à une cela, à un moment ou à un autre, arrêter ou au question sur Mosaique Fm) et celui des droits de moins tempérer sa guerre contre les islamistes, qui l’homme, en affrontant son bilan politique, éco- lui fait perdre beaucoup d’alliances et beaucoup nomique et social et en promouvant ses réalisa- de soutiens dans la famille moderniste centriste, tions. En tant que femme politique convaincue, notamment au Parlement, et peut-être empêcher elle a, seule, défendu le RCD devant la justice aussi l’indispensable réconciliation nationale. (elle y occupait le poste de secrétaire générale Sans cette réconciliation, la Tunisie ne connaîtra adjointe chargée des affaires de la femme, ndlr), pas de répit ni ne nouera avec la croissance; et les assumé totalement et à tort l’ère Ben Ali et payé, Tunisiens continueront de vivre des crises poli- jusqu’à aujourd’hui, la facture. Elle mérite au- tiques, les unes après les autres, et de s’appauvrir. jourd’hui d’exister sur la scène politique et de Seule, face à tous et contre tous, Abir Moussi n’ira défendre ses idées, mais elle doit aussi se battre pas très loin et on ne verra alors de la trombe que pour résoudre les problèmes socio-économiques les dégâts qu’elle aura occasionnés. L’opportunité des Tunisiens. Ses détracteurs lui reprochent de de former des alliances et d’œuvrer avec elles à ne rien proposer hormis la confrontation avec les la prospérité de la Tunisie est aujourd’hui réelle. islamistes, dont l’existence sur la scène politique La séance plénière du 3 juin en est la preuve. Il ne est indéniable. «Mensonge», rétorque-t-elle. Le faut pas la rater. n

Du 11 au 17 Juin 2020 - N°1798 - RÉALITÉS - 11 ActuelEn couverture

Paysage politique Cent jours en suspens Par Hatem Bourial

Après la séance plénière tenue au Bardo le 3 juin dernier, la vie politique connaît une nouvelle accélération et de nouvelles polarisations qui pourraient aller jusqu’à remettre en question la coalition gouvernementale, à peine une centaine de jours après sa naissance. Si la pression ne se relâche pas sur Rached Ghannouchi, le président de l’Assemblée des représentants du peuple, la motion présentée par le Parti destourien libre continue malgré son rejet par le Parlement, à propager ses ondes et impacte désormais la solidarité gouvernementale. Quel est l’état des lieux aujourd’hui? Comment se présente le paysage politique après une bataille parlementaire qui a agi comme un révélateur de la cohésion fissurée de la coalition au pouvoir? Enfin, qu’en est-il de l’équilibre précaire qui règne entre les présidents du triumvirat au sommet de l’Etat?

12 - RÉALITÉS - N°1798 - Du 11 au 17 Juin 2020 récent vote contre la motion rejetant l’ingérence étrangère en Libye a constitué le détonateur qui l’a poussé à démissionner. Ce geste de Mongi Rahoui pourrait, à l’image d’une hirondelle qui annoncerait la nouvelle sai- son, constituer le premier indice dans des chan- gements plus grands, voire des bouleversements politiques qui pourraient ébranler la majorité ac- tuelle. Les prises de position ainsi que les silences parfois assourdissants ou certains gestes loin d’être anodins, ont d’ailleurs commencé dès le lendemain “Ennahdha semble de la séance plénière du 3 juin et continuent à se résolu à prendre multiplier. La situation est telle, cent jours après la ses distances constitution de la coalition gouvernementale, que par rapport à plusieurs observateurs s’interrogent sur l’avenir des grands équilibres actuels. Une revue de ces faits certains partis -mineurs ou majeurs- est de nature à nous rensei- qui ne l’ont pas gner sur un monde politique en pleine ébullition. soutenu lors de la séance plénière 1. La pression sur Rached Ghannouchi de l’ARP qui avait ne se desserre pas valu au président Décidément, Rached Ghannouchi n’a pas fini de islamiste du manger son pain noir! Le président de l’ARP et Parlement, un

du parti Ennahdha est de plus en plus contesté, y

assaut jusqu’à compris dans les rangs de son parti. La dernière mésaventure du leader historique des islamistes tu- ses derniers “ nisiens concerne son chef de cabinet au Parlement. retranchements. Selon la députée Nesrine Laâmari, ce dernier, le nommé Habib Khedher, aurait dissimulé une im- portante correspondance émanant du Parlement de Tobrouk, en Libye. Dans ce courrier, la commission des relations extérieures de ce Parlement demandait la tenue d’une séance de travail avec la commission homologue au sein de l’ARP. Ce sont des articles de presse parus en Libye qui ont dévoilé cette af- faire qui a immédiatement pris en Tunisie, des di- mensions qui pourraient coûter sa place à Khedher. Malgré les excuses de ce dernier, le branle-bas de combat est enclenché. En effet, le bloc parlemen- taire de la Réforme nationale, auquel appartient la députée Laâmari, accuse Ghannouchi et son chef de cabinet de vouloir instaurer une administration parallèle au bureau du Parlement et ainsi gêner la bonne marche de son travail. Ce n’est pas tout “Le recours dans la mesure où ce bloc qui compte 16 dépu- aux salafistes La motion présentée par le Parti destourien libre tés, envisage une nouvelle motion de retrait de continue à susciter des remous dans le microcosme confiance qui vise le président de l’ARP. Celui-ci et ultras politique. Dernier épisode de ce feuilleton qui ne est accusé de dissimuler des informations impor- constituant fait que commencer, la démission de Mongi Rahoui tantes aux membres du bureau du Parlement et aux Al Karama du bloc démocrate est un événement dont la teneur présidents des commissions. De plus, pour la dé- serait un ne trompe pas. Le député de gauche a annoncé quit- putée, rien ne dit que d’autres informations n’ont aveu d’échec ter le bloc parlementaire dans lequel il était inscrit pas été cachées de la même manière ou pourraient de la part et invoqué des raisons clairement politiques pour l’être à l’avenir, selon les méthodes. Le tollé est en justifier sa décision. Ainsi, Rahoui affirme avoir re- passe de devenir général à l’ARP dont plusieurs d’Ennahdha

députés déplorent le parti pris de Ghannouchi et susciterait joint le bloc concerné au nom des points communs “ qu’il partageait avec les partis qui le composent. pour l’un des protagonistes du conflit en Libye. la même levée Pour le député, cette convergence n’existe plus. Au nez et à la barbe du président de l’Assemblée, de boucliers. Que ce soit au niveau des dossiers de corruption, la réunion entre les deux commissions devrait en des questions relatives à l’endettement ou de ce qui outre se tenir prochainement, comme l’a annon- concerne la souveraineté nationale, Rahoui se dé- cé Samah Dammak, présidente de la commission marque de ses désormais anciens amis. Jugeant la des Relations extérieures à l’ARP. Par ailleurs, en coopération avec les partis du bloc démocrate non arrière-fond de la motion présentée par le PDL, conforme à ses principes, Rahoui souligne que le les appels au refus de toute ingérence étrangère en

Du 11 au 17 Juin 2020 - N°1798 - RÉALITÉS - 13 Actuel

Le retrait de Mongi Rahoui du bloc rait, s’il confirmait cet élan, rassembler autour parlementaire démocratique pourrait de lui davantage d’électeurs et quelques partis constituer un premier indice d’un imminent bouleversement politique qui restent indécis tout en affichant leur hostilité au projet islamiste. On le constate aisément, la donne n’est pas des plus favorables pour Enna- hdha alors que les clivages anciens -ceux qu’on essaie de cacher avec la poussière sous le tapis- reviennent plus évidents que jamais. En tout état de cause, ce sondage nous démontre que le rap- port de force aujourd’hui, n’est plus celui qui a porté la majorité actuelle au pouvoir. 3. Nouvel échec pour le Pacte de stabilité et de solidarité Le sort du Pacte de stabilité et de solidarité gou- vernementales va-t-il connaître un destin similaire aux Accords de Carthage qui avaient fini par confi- ner Béji Caïd Essebsi dans une solitude politique inédite? Deux scénarios sont en fait dans l’ordre Libye se multiplient. C’est par exemple l’Ordre du possible. Soit Ennahdha parvient à reprendre la des avocats qui vient d’exhorter les autorités tu- main et consolider l’assise politique de la majorité nisiennes à rejeter tout alignement et adopter une actuelle, soit Elyes Fakhfakh s’engage dans une position unifiée et clairement exprimée. manoeuvre pour préserver sa position et s’affran- Selon plusieurs chir de la tutelle politique qui lui est imposée par “sources 2. Un baromètre politique et des fissures ses mentors islamistes. A l’heure qu’il est, la situa- concordantes, tion est des plus confuses. qui s’élargissent le parti islamiste En effet, Ennahdha semble résolu à prendre ses Publié à la date du 5 juin, le dernier baromètre voit désormais distances par rapport à certains partis qui ne l’ont politique réalisé par le cabinet privé «Emrhod pas soutenu lors de la séance plénière de l’ARP d’un oeil critique Consulting» révèle que la fragilité de la coalition qui avait valu au président islamiste du Parle- gouvernementale est plus que jamais à l’ordre du la continuité ment, un assaut jusqu’à ses derniers retranche- jour. En effet, le plus récent des sondages souligne de sa relation ments. Le révélateur de cette nouvelle situation plusieurs faits qui méritent qu’on s’y arrête. En avec les deux politique a été l’attitude du parti islamiste par premier lieu, le président de l’ARP n’a convain- partis que sont rapport à la séance de signature du Pacte de stabi- cu que 13,7% des Tunisiens et devient la lanterne

le Courant lité et de solidarité gouvernementales. Ennahdha rouge du triumvirat en place. Avec 64,6% d’opi- a ainsi boudé la rencontre prévue le 5 juin et fait nions favorables, Kaïs Saïed confirme sa popula- démocratique et “ échouer pour la deuxième fois, la signature de ce rité alors que le Chef du gouvernement tire son le Mouvement Pacte voulu par Elyes Fakhfakh afin de policer épingle du jeu avec 50,4% des personnes sondées du peuple. les relations entre les différents partenaires de la qui estiment son rendement satisfaisant. majorité. Le silence d’Ennahdha a été tacitement Sur un autre niveau, le sondage du 5 juin confirme confirmé par le Chef du gouvernement dont les que le Parti destourien libre a désormais le vent services compétents ont publié un communiqué en poupe et convainc de plus en plus d’électeurs. annonçant, sans donner d’explications, le report Alors que le parti Ennahdha affiche 24% des de la cérémonie de signature de ce document qui, intentions de vote pour les Législatives au cas cent jours après la prise de fonctions du gouver- où elles se tiendraient dans l’immédiat, le PDL nement Fakhfakh, pourrait être mis en veilleuse. pointe à la deuxième place avec 22% des inten- Cette situation annonce-t-elle des changements tions de vote. Dans cette optique, le PDL devient au sein du gouvernement et de nouvelles alliances la première force d’opposition et réinstaure le cli- au Parlement? C’est d’autant plus probable que le vage entre islamistes et destouriens, la matrice du document en tant que tel n’a qu’une importance paysage politique en Tunisie. relative. En effet, ce qui est pompeusement quali- L’effritement des partis qui se définissent comme fié de «pacte» -le terme est trompeur- n’est qu’un centristes n’en est que plus spectaculaire. Ces code de conduite pour régir les rapports au sein partis qui servent toujours d’appoint à Ennahdha de l’équipe gouvernementale et inciter les diffé- ont tous tendance à se tasser et perdre des élec- rents ministres et hauts responsables à éviter de se teurs. Si les élections législatives devaient se quereller publiquement, en faisant entendre leurs tenir demain, les partis qui viennent après le duo différences partisanes et idéologiques alors que la de tête sont Qalb Tounes avec 11% des intentions solidarité la plus élémentaire devrait les empêcher de vote, le Courant démocratique avec 8% et Al de mettre en exergue les fissures qui traversent le Karama avec 7%. Plus offensif face à Ennahdha, gouvernement. Dépassé par les échanges parfois engagé dans une dynamique de conquête, le PDL musclés, parfois scabreux, auxquels se livrent ses fait preuve d’une pugnacité grandissante et pour- ministres, Fakhfakh n’est pas près de reprendre

14 - RÉALITÉS - N°1798 - Du 11 au 17 Juin 2020 la main à ce niveau. Plutôt cousu de fil blanc, le symbole sous-jacent qui aurait dû donner à cette signature le prestige des ors de l’Académie tu- nisienne, est renvoyé aux calendes grecques. Ce n’est pas demain que nous verrons des politiciens dont le langage est à maints égards proche de celui des chiffonniers, se congratuler à Beït El Hikma, la Maison de la Sagesse, en y signant un Rached Ghannouchi , code de bonne conduite. de plus en plus sur la sellette 4. Ennahdha sous des feux croisés tion absolue au parti Qalb Tounes, qualifié de parti et face à une possible fuite en avant corrompu et lié à l’ancien régime. Ensuite, plu- Que reste-t-il de la coalition gouvernementale? sieurs partis actuellement au gouvernement sont Nous pourrions sans risque de nous tromper, avan- radicalement opposés à Qalb Tounes qui fait figure cer qu’elle ne tient plus qu’à un fil et que c’est de pestiféré dans certains milieux. Enfin, le recours Ennahdha qui pourrait saborder à tout moment le aux salafistes et ultras constituant Al Karama serait gouvernement. un aveu d’échec de la part d’Ennahdha et suscite- En effet, selon plusieurs sources concordantes, le rait la même levée de boucliers. Toutefois, dans ce parti islamiste voit désormais d’un oeil critique la cas, elle déborderait le cercle gouvernemental pour continuité de sa relation avec les deux partis que inclure tous les courants hostiles aux islamistes sont le Courant démocratique et le Mouvement du qui considèrent Al Karama comme un appoint na- peuple. Ces deux partenaires des islamistes au sein hdhaoui et une émanation des idéologies les plus du gouvernement, ne sont plus en odeur de sainte- rétrogrades. Cette mouvance vient par exemple de té. Le contentieux est né de l’attitude de ces deux se lancer dans une croisade bien suspecte visant la partis lors de la séance plénière au Parlement, le 3 France et tente ainsi de générer diversions et écrans juin dernier. Les députés du Courant démocratique de fumée en entretenant des campagnes malsaines n’ont pas participé au vote et choisi une abstention et hostiles aux intérêts bien compris de la Tuni- qui pourrait être lourde de conséquences. Ceux du sie. D’ailleurs, le camouflet aux intégristes revan- On le constate Mouvement du peuple ont voté pour la motion du chards d’El Karama et aux islamistes qui les mani- “ aisément, la PDL, se rangeant du côté des opposants à Enna- pulent en sous-main, n’a pas tardé. Il est venu du hdha. Considérant ces choix comme une trahison, président de la République qui, dans un entretien donne n’est les islamistes n’entendent pas en rester là. téléphonique avec le président français Emmanuel pas des plus C’est dans ce sillage qu’un débat houleux pourrait Macron, a non seulement confirmé les relations ex- favorables pour de nouveau être ouvert entre les partenaires de la ceptionnelles qui lient la Tunisie et la France mais Ennahdha alors coalition gouvernementale. Il s’agit des discus- aussi annoncé une coopération encore plus renfor- que les clivages sions qui concernent l’élargissement de la majori- cée grâce à de prochaines visites de travail. Prenant té, un euphémisme qui revient à ouvrir le gouver- la balle au vol, Kaïs Saïed a ainsi transformé la anciens -ceux nement à des membres des partis Qalb Tounes et dernière en date des gesticulations d’Al Karama en qu’on essaie Al Karama. Cette condition nahdhaouie qui pour- revers pour Ennahdha dont on connaît les rapports de cacher avec rait remonter à la surface, pend comme une épée avec ce groupe dont l’extrémisme l’emporte sur le la poussière

de Damoclès sur la formation présidée par Elyes rigorisme de façade. sous le tapis- Fakhfakh. En effet, trois points sont essentiels et Entre potentielle fuite en avant et feux croisés pro- reviennent “ méritent d’être rappelés. En premier lieu, Enna- venant aussi bien de ses alliés de circonstance que hdha a construit sa campagne électorale en opposi- de ses opposants les plus résolus, les islamistes plus évidents d’Ennahdha ont une marge qui se rétrécit alors que jamais. que le parti donne des signes d’essoufflement et, à quelques mois de son congrès, semble entré dans une courbe descendante. 5. La majorité sera-t-elle sauvée par Elyes Fakhfakh? Lui aussi est entre deux feux et subit des tirs croi- sés. Elyes Fakhfakh sent que la continuité de son gouvernement traverse une passe difficile. Ces difficultés proviennent de la volatilité de la coali- tion actuelle, mise à mal par l’animosité qui règne entre Ennahdha et plusieurs partis. Ce sont surtout les passes d’armes qui opposent Ennahdha et le Mouvement du peuple qui retiennent l’attention. Et pour cause, car Echaâb comme on le désigne Noureddine Bhiri considère que le Mouvement du en arabe, ne cesse de harceler son puissant allié peuple ne pouvait plus se considérer comme un allié depuis ce vote du 3 juin. Auparavant, le clivage

Du 11 au 17 Juin 2020 - N°1798 - RÉALITÉS - 15 Actuel

Tout en faisant “preuve d’un engagement concret dans un paysage compliqué par les répercussions de la pandémie, Après la fin de la lune Fakhfakh de miel entre Ennahdha cherche des et le Mouvement du peuple, Elyes Fakhfakh se retrouve

voies de sortie face à un dilemme

de crise et aussi un soutien “ politique idéologique qui oppose ces deux partis qui, au L’UGTT en embuscade: une stratégie alternatif. gré des circonstances, se sont retrouvés au sein du de revers? même attelage, était connu de tous et entretenait des querelles devenues habituelles. Toute cette agitation politique se poursuit de plus Toutefois, le ton s’est exacerbé depuis les déclara- belle, avec des épisodes de plus en plus contrastés. Si tions de Noureddine Bhiri, président du bloc En- le sit-in annoncé pour le 1er juin s’est avéré un flop nahdha au Parlement. Ce dernier avait estimé que sans saveur, qu’en sera-t-il de la mobilisation an- le Mouvement du peuple ne pouvait plus se consi- noncée pour le 14 juin prochain? Ces coups d’éclat dérer comme un allié au sein de la coalition s’il ne émanant d’individus -parfois même de bouffées dé- considérait pas Ennahdha comme son partenaire. lirantes- n’apportent en général pas grand-chose, en Lui reprochant d’avoir soutenu la motion du PDL, comparaison des mots d’ordre plus substantiel qui ce qui ferait de lui un allié des destouriens diri- traversent le champ civique. Faut-il placer à la même gés par Abir Moussi, Bhiri laisse entendre que la aune la récente réception d’influenceurs à la sauce page est quasiment tournée avec le Mouvement Instagram et consorts à la Kasbah? Le geste est en du peuple. Cette situation inattendue a finalement tous cas comparable à celui d’un naufragé qui irait impacté le Chef du gouvernement qui se retrouve chercher des solutions magiques à une détresse qui face à un dilemme. En effet, alors qu’Ennahdha devient alarmante. Alors que des incendies crimi- tente de lui forcer la main et pousse en faveur de nels se répandent aux quatre coins du pays et que l’intégration de Qalb Tounes dans le gouverne- les revendications sociales, comme à El Kamour, ne ment, Fakhfakh fait la sourde oreille et continue perdent pas en intensité, toutes les élucubrations po- liticiennes deviennent similaires au jeu de l’autruche Le bloc à invoquer la solidarité gouvernementale. Acculé, le Chef du gouvernement craint de voir l’équipage qui refuse de voir la réalité telle qu’elle est. “parlementaire actuel voler en éclats, ce qui ouvrirait la voie à Tout en faisant preuve d’un engagement concret de la Réforme une nouvelle formation gouvernementale dont il dans un paysage compliqué par les répercussions nationale, auquel pourrait être écarté. de la pandémie, Fakhfakh cherche des voies de appartient Jouant déjà sa survie politique, Fakhfakh saura-t-il sortie de crise et aussi un soutien politique alter- la députée se ménager des voies de sortie et des alliances de natif. N’est-ce pas en ce sens qu’il faudrait ana- lyser la dernière réunion de haut niveau entre le Laâmari, accuse revers? Ira-t-il jusqu’à s’accommoder de l’intégra- tion de Qalb Tounes dans la majorité? Cette inté- gouvernement et les influents syndicalistes de Ghannouchi gration qu’Ennahdha cherche à imposer, suscite- l’UGTT? Lâcher du lest aux travailleurs, gérer le et son chef ra-t-elle des remous et des démissions en cascade? dossier crucial du redressement des entreprises de cabinet La situation est des plus confuses pour Fakhfakh publiques, examiner les doléances des partenaires de vouloir qui flirte à la fois avec l’abîme et une couronne de sociaux, constituent pour Fakhfakh une stratégie instaurer une lauriers. Son habileté politique sera mise à rude de contournement de la crise politique qui s’an- épreuve car il risque de s’enferrer davantage dans la nonce. Au moins, le Chef du gouvernement dé- administration toile d’araignée des islamistes, ce qui, immanqua- signe-t-il les véritables priorités, s’inscrivant en parallèle au blement, le transformera en otage de ces derniers. porte-à-faux des querelles politiciennes. Reste à bureau du De même, Fakhfakh sait que le scénario du pire est savoir si le succès de Fakhfakh dans la gestion Parlement et celui d’une motion de censure contre le gouverne- de la crise du Coronavirus et les chantiers qu’il

ainsi gêner la ment qui pourrait entraîner l’arrivée d’un nouveau escompte ouvrir, seront suffisants pour sa survie bonne marche “ locataire à la Kasbah. Toutes ces options sont sur la politique. Cent jours après son arrivée à la Kas- table, y compris celle -hypothèse d’école- de nou- bah, tout semble en suspens, voire bloqué par les de son travail. velles élections législatives ou celle plus probable, sempiternelles joutes de partis disqualifiés, revan- d’un durcissement du ton par les islamistes d’En- chards, extrémistes, inconsistants et par-dessus nahdha qui pourraient être tentés de gouverner à la tout sans vergogne, connivents, retournant au gré hussarde, tout en étant sur le fil du rasoir. des enjeux, chemises, vestes et pantalons. n 16 - RÉALITÉS - N°1794 - Du 14 au 20 Mai 2020

Actuel

Les partis politiques et le syndrome de l’implosion

Qu’est-ce qui fait qu’un parti politique soit conduit au déclin ou qu’il fasse l’objet de graves divergences et de fragmentations qui mettent à mal sa pérennité? Un début de réponse est avancé dans ce qui suit.

Par Samy Chambeh

Pour qu’un parti politique puisse anifestement, l’histoire politique ré- s’imposer sur la scène politique, cente a montré que les concertations et il devrait proposer des solutions les prises de position même non défi- idoines aux problèmes et nitivesM au sein des partis politiques ne sont plus revendications et répondre aux marquées du sceau de la discrétion, ce qui a ravivé besoins vitaux de ses électeurs des polémiques et créé des incidents une fois rap- portées par les médias et véhiculées par l’opinion. compétition en la matière en vue d’enraciner Résultat: de profondes divergences de vue et des une vie partisane et politique riche et évolutive. fissures commencent alors à se faire sentir, occa- L’inexistence de promotions couvées de cadres sionnant des ruptures et des points de non-retour politiques imprégnées du b.a.- ba du travail po- qui pèseront inéluctablement sur la vie et l’avenir litique et administratif a vidé l’écosystème poli- du parti. tique d’acteurs compétents en la matière et ouvert En fait, ce phénomène d’implosion des partis a la voie à la violence gratuite verbale et physique plusieurs causes directes et indirectes. et à la haine qui a infesté l’espace public d’une Premièrement: l’absence d’un véritable débat manière générale et le paysage politique d’une Un parti qui se d’idées. Généralement, tout parti politique est un manière spécifique. Comment alors s’indigner du “ creuset qui attire une élite ou une intelligentsia qui peu de formation de l’opinion publique quant aux respecte ne doit s’investit dans un débat d’idées, de projets et de questions politiques majeures? pas faire une programmes. Cette gestation et cette animation Ceci pour ce qui est de l’art de penser, mais qu’ad- fixation sur la sont de nature à améliorer l’aura du parti et son vient-il de l’art d’agir en politique? conquête du positionnement, outre la renommée de ses diri- Pour s’imposer, tout parti politique doit commen- pouvoir, mais geants et membres. Malheureusement, le constat cer par rompre avec le discours du désarroi et se départir de la culture de la critique pour se foca- plutôt mettre actuel offre généralement la répétition de slogans vitreux et d’idées creuses largement consommées. liser sur la création et la conception de nouvelles en œuvre une D’ailleurs, le manque de passion des idées qui solutions inédites et idoines qui puissent répondre stratégie claire reste dans la plupart des cas fantomatique, est aux besoins vitaux des électeurs et améliorer la et étalée dans perceptible dans la plupart des congrès des partis situation sur tous les fronts, économique, politique le temps tout politiques et dans les débats de l’ARP et affecte et social. en assurant ainsi sérieusement l’évolution de la culture démo- En effet, un parti dont les membres et partisans cratique. sont dépourvus d’engagement politique et ne les préalables

On peut regretter, à ce propos, la disparition des savent même pas ce que le militantisme signifie, et les moyens “ académies politiques et autres pôles de référence ne peut aller bien loin et ses jours restent comp- nécessaires et de centres d’études politiques, véritables ber- tés. Il faudrait ainsi que les cadres partisans s’im- pour réussir ceaux de l’éducation politique et intellectuelle pliquent dans le travail politique, au service de cet objectif. dont certains partis avaient fait par le passé un l’intérêt général, qui se base notamment sur un creuset de recrues compétentes pour consolider effort permanent (et non uniquement lors des ren- leurs ressources humaines. La rareté des sympo- dez-vous électoraux) de terrain et une approche siums, colloques et rencontres avec les politiciens de proximité pour raffermir les liens avec les ci- de tous bords se fait lourdement sentir et entretient toyens, en favorisant l’écoute et surtout l’action aussi l’absence d’un vrai débat d’idées et d’une pour contribuer à la satisfaction de leurs doléances

18 - RÉALITÉS - N°1798 - Du 11 au 17 Juin 2020 gouvernementale. Souvent irréfléchie et préci- pitée, cette démarche qui ne tient pas compte des divergences idéologiques et des orientations stratégiques, voire du modèle sociétal ou projet économique envisagé avec les autres partis de la coalition, a conduit nombre de partis politiques à l’abîme. Ceci nous conduit à une cause qui coule de source: quand la création du parti politique répond à un unique objectif, à savoir parvenir, coûte que coûte, au pouvoir et atteindre dans les plus brefs délais les sphères de gouvernance, l’exécutif, le législatif ou la présidence de la République. Cette recherche du profit immédiat a nui énormément à nombre de partis qui, du jour au lendemain, se sont en- lisés dans des crises de leadership sans fin pour se retrouver à la fin voués au déclin, car étant de- venus coupés de leur base d’électeurs. Un parti qui se respecte ne doit pas faire une fixation sur la conquête du pouvoir, mais plutôt mettre en œuvre une stratégie claire et étalée dans le temps tout en assurant les préalables et les moyens nécessaires pour réussir cet objectif. Autre cause: lorsque l’organisation interne est brouillée, que la délimitation des tâches n’est pas claire, qu’il n’existe pas d’institutions et de structures (Comité exécutif, Conseil consultatif ou autres) qui puissent prendre les décisions ma- jeures, d’une manière démocratique et transpa- et préoccupations, tout en veillant à les convaincre rente, qui engagent le vécu et l’avenir du parti, et lorsque la réponse peut prendre un peu de temps. que l’activité et le rayonnement du parti sont cir- Sachant que l’activité virtuelle, par le biais des conscrits à des personnes influentes, voire au fon- réseaux sociaux, ne peut garantir l’efficacité tant dateur ou président dudit parti politique, on peut recherchée. craindre le pire pour ce parti politique. Il en est La troisième cause d’implosion des partis poli- de même pour un parti sans véritable leadership, tique a trait à l’absence de liens communs de ré- qui ne dispose pas de leader (ou dirigeants) cha- férence intellectuelle et politique qui unissent les rismatique, véritable meneur d’hommes et chef membres et partisans du parti. Cette solidarité est rassembleur. Il faudra que censée renforcer la cohésion du parti et accentuer En définitive, il faudra que les partis politiques les“ partis sa solidité. veillent à moderniser leur approche politique, politiques veillent Parallèlement, l’expérience a montré que les partis tout en ne perdant pas de vue que le domaine po- à moderniser qui réussissent sont ceux qui respectent des prin- litique reste, en fin de compte, une compétence leur approche cipes, qui ont une identité et une vision claires, gestionnaire, une habileté manœuvrière et un art de séduction. Ceux qui sauront s’en imprégner ga- politique, tout spécifiques et consacrées desquelles ils s’inspirent pour défendre leurs orientations, programmes et rantiront à leur parti ou mouvement politique la en ne perdant projets qui restent inamovibles, même lorsque leur pérennité escomptée. pas de vue que direction change. La vulnérabilité est également au rendez-vous le domaine D’ailleurs, la forme stéréotypée en forme et en lorsque le parti n’a pas de prolongement ou de ra- politique reste, contenu de nombre de partis les a condamnés à cines profondes sociétales, géographiques (il est navrant de constater que la plupart des comités en fin de compte, rentrer vite dans les ranges, vu que les électeurs et sympathisants ont été incapables de différen- de coordination régionaux ne fonctionnent que le une compétence cier tel parti de tel autre sur des programmes ou temps des élections), culturelles ou historiques qui gestionnaire, orientations particuliers. Dans la plupart des cas, lui servent de référence pour marquer son authen- une habileté c’est le candidat proposé par le parti qui influence ticité et ses spécificités pour consolider sa base, manœuvrière “ le choix des électeurs, ce qui n’est pas en défi- cette assise dense et forte étant garante de la survie et un art de nitive une garantie pour l’image et la durabilité de tout parti politique, et augmenter ainsi son at- tractivité en vue de polariser notamment les jeunes séduction. du parti politique. En définitive, la réponse aux questions suivantes doit être claire pour tous: di- qui restent l’avenir de tout projet ambitieux. rigeants, membres, partisans et sympathisants, qui Ainsi faisant, le parti politique sera immunisé sommes-nous, où allons-nous, quels sont les buts contre tout relent de fébrilité, précarité intellec- qu’on s’est assignés? tuelle, tendances conflictuelles et dissensions à Autre facteur pénalisant: l’intégration du parti n’en plus finir qui ne peuvent que le conduire au dans des coalitions pour faire partie d’une équipe déclin et à l’extinction. Irrémédiablement. n

Du 11 au 17 Juin 2020 - N°1798 - RÉALITÉS - 19 Actuel

Le gouvernement face à la crise sanitaire Réalisme, excès de confiance ou laxisme ? Par Mohamed Fakhri Khlissa

Sommes-nous en train d’aller un peu trop vite en séance dans les administrations publiques, activi- besogne pour la levée des restrictions dans ce tés économiques : la vie a repris son cours dans notre pays et dans nos quartiers, même si c’était contexte de crise sanitaire ? En examinant les récentes presque chose faite bien avant les récentes an- déclarations du gouvernement, il est parfois difficile nonces du gouvernement. Les frontières ne se- de penser le contraire. Il est clair que la situation s’est ront pas en reste : elles seront à nouveau ouvertes stabilisée en Tunisie, surtout par rapport à d’autres dès le 27 juin 2020. Cependant, sommes-nous en train d’aller vite en besogne ? pays. Cependant, ne faudra-t-il pas faire preuve d’une plus grande prudence pour éviter de perdre nos acquis? Un laisser-aller général C’est, pourtant, ce que les autorités n’avaient eu de La question a le mérite d’être posée. Il faut tout cesse de réitérer au fil des sorties médiatiques. Le point d’abord souligner qu’un simple tour dans les prin- sur la situation. cipaux quartiers de Tunis permet d’élaborer un constat incontestable : une bonne partie de nos concitoyens n’accorde pas vraiment d’importance ul doute que la Tunisie s’en sort bien, aux consignes sanitaires. À l’Ariana, au Kram- voire très bien, face à la Covid-19 Ouest, à Carthage Mohamed Ali, La Marsa - qui (SARS-CoV-2). Pendant une bonne quin- est pourtant un cluster - et dans d’autres zones à zaineN de jours, aucune nouvelle contamination Tunis, les consignes les plus élémentaires ne sont locale n’a été enregistrée sur le territoire natio- pas respectées, à l’instar du port des masques de nal. Les seuls cas positifs sont des cas entrants. protection et du respect de la distance de sécurité. Notre pays, dans ce contexte, est déjà passé à la On a l’impression, parfois, que les autorités pré- troisième phase du déconfinement, qui a débu- fèrent fermer les yeux sur ces infractions, comme té le jeudi 4 juin 2020. Cafés, mosquées, trans- en témoigne la levée des restrictions sur les dé- ports entre les gouvernorats, reprise de la double placements. La réouverture des frontières consti-

20- RÉALITÉS - N°1798 - Du 11 au 17 Juin 2020 tuera une nouvelle étape cruciale dans cette lutte est très ambitieux - pose les bonnes bases d’un contre la Covid-19, étant donné que les cas en- accueil sécurisé des clients et des touristes dans trants constituent, selon le ministère de la Santé, les établissements concernés et dans notre pays. les principaux facteurs de contamination. Mais étant trop ambitieux, ce protocole pourra-t- il être appliqué convenablement ? Il faut dire que Laxisme des autorités sanitaires ? certains professionnels du métier ont estimé qu’il Avons-nous développé une immunité à la Covid- serait peut-être difficile de le mettre en pratique à 19 en Tunisie qui aurait poussé au laxisme ap- bien des égards. Dans tous les cas, la Directrice parent affiché par les autorités ? Pas si sûr. Lors de l’ONMNE s’est voulue rassurante sur ce point d’une conférence de presse organisée vendredi lors de la même conférence de presse de vendredi dernier, la Directrice de l’Observatoire national dernier : “Aucun voyageur testé positif ne sera ac- des maladies nouvelles et émergentes (ONMNE), cepté en Tunisie”. Nissaf Ben Alaya : «Il ne Nissaf Ben Alaya, a indiqué qu’il ne sera possible sera possible de parler de parler d’une immunité que lorsque 60% de la Accueil des voyageurs : mode d’emploi d’immunité que lorsque population auront développé des anticorps protec- Au niveau de l’accueil des voyageurs, il s’agit, 60% de la population auront développé des teurs. effectivement, d’un grand défi et c’est ce qu’a anticorps protecteurs » En Tunisie, selon une étude préliminaire menée justement rappelé Mohamed Rabhi, Directeur de par les autorités sanitaires, nous sommes encore l’hygiène du milieu et de la protection de l’envi- loin du compte. Le taux d’immunité ne représente ronnement au sein du ministère de la Santé. Lors que 9% selon Ben Alaya. Toutefois, l’étude n’a de la dernière conférence de presse, il a rappelé porté que sur un échantillon de 1180 patients qui que les hôtels qui vont héberger les voyageurs étaient en contact direct avec des cas infectés par ont déjà été désignés et une liste a, d’ailleurs, été la Covid-19 et elle a été menée au Grand Tunis. publiée. “Chaque citoyen rapatrié pourra choi- Même si cette investigation ne pourrait être fi- sir son hôtel dont la liste est disponible dans les nalisée qu’aux alentours de septembre 2020, elle consulats et les ambassades de Tunisie à l’étran- donne une idée sur une éventuelle immunité au ger. D’un autre côté, chaque hôtel connaît le SARS-CoV-2. Elle est, autrement dit, rare. Ce qui nombre de personnes qu’il va accueillir. Il en- signifie qu’en l’absence de vaccin, les risques de verra donc les voitures requises pour assurer le contamination restent élevés. transport des passagers. Toutefois, cela pose un Pas seulement : le couvre-feu a été levé ce lundi 8 véritable problème de logistique car les passagers juin. Cela s’inscrivait dans la logique des mesures d’un seul avion seront répartis dans plusieurs hô- d’allègement entreprises par le gouvernement en tels. Le déploiement des sécuritaires et des pro- coordination avec le comité scientifique. fessionnels de santé sera donc plus conséquent”, D’ailleurs, le membre de cette commission natio- a-t-il expliqué. nale de lutte contre la Covid-19, Docteur Samir Mohamed Rabhi poursuit en rappelant que les Samir Abdelmoumen : Abdelmoumen, a assuré que le couvre-feu n’avait analyses médicales, effectuées pour les rapatriés, «Le couvre-feu n’a plus plus de raison d’être. Encore faut-il rappeler qu’il sont totalement gratuites. “Ces mesures seront de raison d’être.» n’était pas totalement respecté dans de nombreux valables jusqu’au 15 juin 2020. Au-delà de cette quartiers du pays. Il suffisait, pour s’en rendre période, nous fixerons de nouvelles orientations”, compte, de jeter un coup d’oeil dans les rues pen- a-t-il indiqué. Un voyageur, poursuit-il, doit dant la nuit. faire l’objet de deux tests négatifs successifs à la Covid-19. Il devra ensuite respecter la période de Réouverture des frontières : confinement de 7 jours à l’hôtel et de 7 joursà une étape cruciale domicile. Il faut rappeler, selon le responsable du ministère, que les voyageurs ont déjà fait l’objet En d’autres termes, les facteurs de risque existent. d’un confinement dans leurs pays de résidence, ce Il n’est nullement question de faire preuve de pes- qui explique, selon lui, la réduction de la période simisme ou de remettre en question le travail co- d’auto-isolement dans les hôtels de 14 à 7 jours. lossal accompli par les compétences tunisiennes D’un autre côté, concernant la situation des Tuni- dans cette guerre contre la Covid-19. Bien au siens en Libye et en Algérie, Mohamed Rabhi a contraire. Il faut, en fait, préserver les acquis et les indiqué que certains compatriotes seront rapatriés bons résultats qui ont été engrangés. Si l’on va un par la voie terrestre, ce qui requiert des mesures peu trop vite en besogne, en levant à tout-va les spécifiques sur le plan sanitaire. restrictions, on risque de perdre ces acquis et tout Il existe, pour résumer, un certain laisser-aller le travail qui a été accompli. aussi bien de la part des citoyens que du gouver- La réouverture des frontières maritimes, terrestres nement. On ne peut que saluer les grandes avan- et aériennes constitue l’autre défi à relever. Certes, cées accomplies par la Tunisie et tout le mérite Mohamed Rabhi : c’est le tourisme qui est en péril aujourd’hui et revient à nos médecins, aux cadres du ministère «Chaque citoyen rapatrié qui est menacé d’asphyxie comme tant d’autres de la Santé, aux sécuritaires, aux agents de la pourra choisir son hôtel secteurs d’activité. La réouverture des frontières dont la liste est disponible Protection civile, aux infirmiers… Bref, à toute est une nécessité indéniable, mais c’est aussi une dans les consulats et les personne ayant contribué à cette réussite. Mais nécessité risquée. Le défi est à la fois sanitaire et ambassades de Tunisie à tâchons de conserver ces acquis qui constituent logistique. Le protocole sanitaire du secteur - qui l’étranger. » notre fierté. n

Du 11 au 17 Juin 2020 - N°1798 - RÉALITÉS - 21 Économie CONVICTIONS

Comment financer le plan de relance ? Par Ridha Lahmar

ors de son discours du 20 mai, le Chef du gouvernement, du Lac Nord II ou encore le Port Financier de Raoued, conçus Elyes Fakhfakh, avait informé l’opinion publique de par des investisseurs venus des pays du Golfe n’ont pas encore l’élaboration d’un plan de relance économique post-Co- abouti, alors qu’ils ont connu un début de réalisation. Celui de vid-19L à présenter au Parlement avant fin juin, en harmonie Sama Dubaï n’a même pas été entamé, alors qu’ils sont suscep- avec les objectifs du document contractuel signé par les partis tibles de changer le visage de notre pays, de créer des dizaines politiques qui composent la coalition gouvernementale. de milliers d’emplois et de créer une dynamique d’investisse- Ce programme de réanimation économique comporte sept ment. principales priorités. Les dispositions nécessaires à leur déblocage doivent être étu- Le renforcement de la souveraineté nationale et de la sécurité. diées et levées. La lutte contre la corruption et l’impunité. Il y En effet, l’autorité de l’Etat engendre la confiance des inves- a là, beaucoup à faire dans les administrations publiques par la tisseurs et des acteurs économiques, tandis que la sécurité des Justice et la Police. personnes et des biens est à la base du processus de croissance. Notre économie était déjà fragilisée en 2019 et la crise sani- La préservation du tissu économique, notamment les petites et taire a engagé notre pays dans la récession avec un taux négatif moyennes entreprises. Déjà fragilisées depuis des années par probable de 7%, ce qui pourrait plonger les finances publiques des difficultés financières et des perturbations sociales les PME dans un embarras sans précédent. tunisiennes ont reçu de plein fouet la crise sanitaire avec plus Les experts estiment que notre budget a besoin de 12 milliards de deux mois de fermeture. de dinars d’injection de capitaux supplémentaires frais, pour Le risque de faillite guette un certain nombre de PME : l’Etat financer des dépenses imprévues selon l’hypothèse d’une ré- doit voler à leur secours de différentes manières. cession de 4% alors que celle-ci serait nettement plus élevée. Des prêts bancaires garantis par l’Etat, des reports de paiement La dette en devises s’élève à 71% de la dette publique alors que d’impôts et de cotisations sociales, des exonérations et des bo- celle-ci dépasse les 73% du PIB en 2019. nifications d’intérêts. Les taux alarmants atteints par l’endettement public poussent Il s’agit de préserver l’emploi stable, durablement. aussi bien l’opinion publique que le Parlement à inciter le gou- La relance sectorielle avec davantage d’appui aux secteurs vernement à choisir d’autres solutions que l’endettement exté- les plus touchés. Certains secteurs d’activité économique qui rieur auprès des principaux bailleurs de fonds internationaux. jouent un rôle stratégique ou structurant et qui recèlent des Des experts économiques proposent plusieurs autres pistes. potentialités de croissance élevées méritent des mesures par- Celle de l’augmentation de la pression fiscale est particuliè- ticulières de soutien, car ils ont été très impactés par la crise rement sensible, car il ne s’agit pas d’alourdir davantage les sanitaire. impôts et taxes qui pèsent déjà sur les entreprises économiques C’est le cas du tourisme (hôtels, agences de voyages) qui tire et les salariés, car ce sont déjà des contributeurs émérites, mais dans son sillage l’artisanat, le transport et le bâtiment. C’est le plutôt de veiller à faire payer les forfaitaires convaincus d’éva- cas du textile-chaussure, de la pêche et d’autres activités. sion fiscale et surtout les barons de la contrebande et du com- Pour la réduction de la bureaucratie et la numérisation de l’Ad- merce parallèle. ministration, il s’agit d’un processus de longue haleine, tribu- Des emprunts nationaux sont possibles et souhaitables pour taire de la bonne volonté de ses propres promoteurs. Il devrait faire participer les plus fortunés à la croissance économique et être mis sur les rails de suite. au processus de développement du pays. La préservation des emplois et la lutte contre l’emploi précaire. Il est évident que l’Administration doit faire de gros efforts Il faudrait reconnaître que la contrebande et le commerce pa- pour réduire ses frais de gestion et de fonctionnement. Le train rallèle créent des emplois précaires et éphémères. Ils sont éga- de vie des ministères et de nos ambassades doit connaître une lement l’empire de l’évasion fiscale. C’est pourquoi, le gouver- cure d’amaigrissement sévère. nement devrait les intégrer dans l’économie réelle par diverses Des procédés courants doivent être bannis, car il sont aberrants mesures comme le decashing, le contrôle fiscal, la taxation comme emprunter pour rembourser d’anciennes dettes ou en- d’office et les poursuites sans merci… core emprunter pour faire face aux augmentations salariales L’Etat doit aider les entreprises à garder leur personnel par des des fonctionnaires. soutiens appropriés comme le versement d’indemnités directe- Il est surprenant de constater que des experts proposent le re- ment aux salariés privés de salaires. cours à la planche à billets alors que nous voulons lutter contre Des solutions concrètes doivent être trouvées pour les 650.000 l’inflation galopante et préserver la cotation du dinar. chercheurs d’emploi, mais le gros problème à résoudre une Le rééchelonnement de la dette extérieure est parfois évoqué, fois pour toutes est celui du Bassin minier de Gafsa : 28.000 il pourrait être justifié, aussi bien par les piétinements de la emplois pour 4 milliards de dinars de revenus par an en plein transition démocratique que par la crise de la pandémie, une rendement. mesure qui pourrait « égratigner » la réputation de confiance C’est une hérésie que de ne pas mettre au point un plan de dé- et de solidité relative de notre pays sur les places financières veloppement de la région pour avoir la paix sociale. internationales. Les phosphates sont une mine d’or qui n’est pas exploitée. De toute façon, un pacte de paix sociale à négocier et à signer La résolution des problèmes et litiges en suspens qui entravent entre l’Etat, l’UGTT et l’UTICA pour une période minimale la mise en œuvre des grands projets. de trois ans renouvelable, sera nécessaire pour réussir cette Il faut reconnaître que plusieurs grands projets de développe- période de relance économique très difficile, car il s’agit de ment comme celui de Sama Dubaï, les portes de la mer, au cesser toute revendication sociale contre une stabilité des prix cœur de la capitale, sortie-sud. Tunis Sports City sur les Berges et la préservation des emplois. n 22 - RÉALITÉS - N°1798 - Du 11 au 17 Juin 2020

Économie

Enjeu de l’emploi

L’urgent et le fondamental Par Alaya Becheikh

es indicateurs de chômage semblent re- tion internationale du travail (OIT) en la matière prendre de plus belle en Tunisie. S’élevant sont pleines d’éclairages et d’enseignements. à 15,1 % pendant le premier trimestre de Elles sont d’appoint, surtout que le gouvernement 2020,L le taux de chômage, ce mal qui ronge notre est en train de concocter un plan pour la relance société, est reparti à la hausse pour la première fois économique et s’apprête à échafauder un nouveau depuis un an et demi. La situation ne peut inciter plan stratégique pour le développement du pays. à l’optimisme pour le moins sur un avenir proche, vu que l’activité économique a déjà connu un net Pour l’urgence et le ciblage des réponses recul de son rythme (la croissance en glissement au chômage annuel du produit intérieur brut trimestriel s’est Les effets de la pandémie sur la situation de l’em- inscrite dans un territoire négatif de 1.7% durant ploi au monde sont abasourdissants. Selon l’OIT, les trois premiers mois de l’année) avant même plus d’un jeune sur six se retrouve sans emploi l’irruption de la pandémie Corona. en raison de la crise Coronavirus. Les jeunes sont Avec une augmentation du nombre de chômeurs beaucoup plus frappés que tout autre groupe de la de près de 11 mille personnes sur trois mois pour population. Ces jeunes voient leurs perspectives atteindre 634.8 mille du total de la population ac- d’emploi ruinées et leur accès au marché du tra- tive, la situation devient très préoccupante, sans vail entravé sous l’effet de la Covid-19. compter les effets fort déstabilisants de l’arrêt « Faute de prise d’urgence de mesures énergiques quasi-total de l’appareil productif durant la pé- pour améliorer leur situation, nous allons peut- riode de confinement. Un chômage conjoncturel être devoir assumer l’héritage du virus pendant qui ajoute aux problèmes structurels du marché de des décennies… Et il sera beaucoup plus difficile travail. de reconstruire une économie meilleure dans la La crise Coronavirus est certes dévastatrice, elle période d’après-Covid-19», a affirmé le Directeur a même exacerbé les inégalités existantes, mais général de l’Organisation internationale du travail. l’enjeu essentiel est de savoir comment surmon- Dans sa mise en garde contre l’émergence d’une ter la crise du chômage, apaiser les tensions sur « génération perdue du confinement », l’OIT ex- le marché de l’emploi et assurer le retour au tra- horte les gouvernements dans le monde entier vail, à même de préserver la stabilité sociale en d’agir vite et convenablement pour endiguer le cette phase extrêmement délicate de transition po- chômage et soutenir l’emploi des jeunes. litique. Premièrement, engager de vastes programmes à A cet égard, les analyses récentes de l’Organisa- forte intensité d’emploi et de garanties d’emploi,

24 - RÉALITÉS - N°1798 - Du 11 au 17 Juin 2020 notamment dans les économies à revenu faible ou intermédiaire. Ceci revoie à l’importance de la di- Evolution du taux de chômage mension ou composante « investissement public» dans les plans de relance économique à mettre en œuvre. Deuxièmement, créer un environnement sûr et protéger les travailleurs sur leur lieu de travail à même de favoriser le retour rapide au travail, moyennant l’organisation de tests de dépistage rigoureux de l’infection au virus susceptible de créer moins de perturbations sur le marché du tra- vail et au plan social. En limitant les risques de contamination, les tests de dépistage contribuent, selon l’OIT, à la relance rapide de l’économie et favorisent directement et indirectement l’emploi en réduisant les mesures de confinement, réta- blissant la confiance du public et encourageant la Source : INS consommation, mais aussi en créant de nouveaux emplois, même temporaires. Dans ce sillon, si la rables, est partie intégrante des droits humains, situation est jusque-là sous contrôle en Tunisie, de la justice sociale et du travail décent. Pour ce la sécurisation des lieux de travail par l’applica- faire, des investissements massifs susceptibles tion et la supervision stricte des dispositions sani- de hisser le niveau et la qualité des services taires se doivent d’être hautement prioritaires et publics assurant, « l’accès universel aux soins, de mise. à l’eau, à l’hygiène, à la nourriture et au loge- Troisièmement, garantir une protection sociale ment», sont plus que jamais nécessaires selon ciblée et appropriée en mobilisant d’importants l’OIT. Un enjeu majeur qui intéresse bien et à financements, pour apporter une aide concrète maints égards la Tunisie! aux populations les plus pauvres, aux travailleurs Enfin, inculquer le dialogue social tripartite en précaires et exerçant dans l’économie informelle, tant que vecteur de résolution des conflits et aux femmes, ainsi qu’aux travaillants migrants, réponse politique aux problèmes socioécono- souvent oubliés de la crise, selon l’OIT. Ces ca- miques d’ordre conjoncturel mais surtout struc- tégories sociales ont fortement souffert des me- turel. On ne peut croire combien la Tunisie en a sures de confinement qui leur ont fait perdre leurs Il apparaît clai- besoin ! emplois et leurs moyens de subsistance sans pour “rement que si Il apparaît clairement que si la reprise de l’éco- autant bénéficier d’une protection sociale appro- nomie et le soutien de l’emploi nécessitent des priée. Ces questions sont aussi d’actualité en Tu- la reprise de l’économie et mesures urgentes et ciblées, seule une solide nisie et elles ne doivent pas être perdues de vue ! approche inclusive est capable de mettre l’éco- le soutien de nomie sur le chemin de l’émergence et du déve- Pour un modèle de développement plus l’emploi néces- loppement recherché. La stratégie de l’OIT ne inclusif et durable sitent des me- doit-elle pas nous inspirer ? Dans sa défense d’un modèle de développement sures urgentes Certes, le gouvernement tunisien est conscient plus inclusif et plus durable et l’amélioration de et ciblées, seule de la nécessité de faire face aux retombées de la résilience des sociétés, l’OIT plaide pour une une solide ap- la crise sanitaire, économique et sociale. Outre les mesures d’urgence décrétées pour limiter les stratégie axée sur la réglementation du marché de proche inclusive travail, la protection sociale universelle et le dia- effets socioéconomiques de la crise actuelle, les est capable de logue social. pouvoirs publics sont en train de concocter un

Tout d’abord, renforcer le cadre réglementaire ré- mettre l’écono- plan de relance économique. Ce plan va indubi- gissant le télétravail, ce mode de travail devant mie sur le chemin tablement prévoir nombre d’actions correctrices, être plus intensément pratiqué à l’avenir. Parce de l’émergence “ mais pour gagner en efficacité et crédibilité, il est que les opportunités économiques offertes par ce et du développe- question de prendre en considération le rôle es- mode de travail doivent être accompagnées par ment recherché. sentiel du dialogue social, le respect des droits des mesures protectrices pour contrer les nou- des travailleurs et la justice sociale dans la ges- veaux risques inhérents au travail numérique en tion en urgence de la crise actuelle et le traite- matière de santé, sécurité, durée et conditions de ment dans le fond des problèmes structurels du travail qui paraissent dans beaucoup de cas exces- chômage. sives et précaires. Le vide juridique apparu en Tu- Ces principes associant l’urgent et le fondamen- nisie au plan de la règlementation du télétravail a tal ne sont pas seulement nécessaires pour relan- besoin d’être résolu. cer la machine économique, mais aussi pour as- Ensuite, garantir une protection sociale univer- seoir un nouveau modèle de développement pour selle est plus que jamais nécessaire. La protection la Tunisie nouvelle, lequel modèle doit incarner de la santé et de la sécurité de tous les membres le slogan de la Révolution « Travail, liberté et de la société, notamment les populations vulné- dignité ». n

Du 11 au 17 Juin 2020 - N°1798 - RÉALITÉS - 25 Économie

La résorption du chômage, une question politique

Par Samy Chambeh

Il est communément admis que la lutte contre le chômage est une question éminemment économique, mais en fait, nombre de facteurs ayant trait au décompte des inactifs, à la méthode statistique arrêtée et aux politiques d’endiguement de cette forme de précarité, laissent à penser que cette question n’est pas uniquement d’ordre économique ou social.

remière question qui vient à l’esprit: est-ce D’après l’Institut précité, le secteur qui a été le que les statistiques du chômage reflètent, plus touché par la crise, est celui de l’industrie, d’une manière fidèle, la situation de -l’em avec un fléchissement de la production de l’ordre Pploi en Tunisie? de 53%, suivi du secteur des services (-49%) et de La publication récente par l’INS (Institut national celui de l’agriculture (-16%). Cela s’explique par de la statistique) du chiffre officiel des sans-em- le recul de la demande des consommateurs et par ploi au premier trimestre 2020 et qui s’établit à l’arrêt ou la perturbation des différents moyens de 15,1% contre 14,9% durant le dernier trimestre transport public. Ce qui a impacté, du coup, l’em- de 2019, est venue mettre un terme aux diffé- ploi et aggravé le chômage. rentes spéculations qui alertaient sur l’explosion Pour revenir aux chiffres publiés par l’INS, ils font du taux précité, particulièrement durant la période état de onze mille nouveaux chômeurs qui sont du confinement sanitaire généralisé qui a paralysé venus gonfler les rangs des sans-emploi durant le pratiquement l’appareil économique, pas unique- premier trimestre 2020 et du fait que la population ment en Tunisie, mais dans l’ensemble des pays active s’établit à 4.190.300 personnes. Cependant, du Globe. l’INS a tenu à préciser que ces données précitées Mais en fait, il faut faire la part des choses, car ne couvrent pas la période du confinement sani- il s’agit du taux de chômage qui résulte de l’ac- taire généralisé qui a vu une chute sévère de l’acti- tivité économique durant le quatrième trimestre vité économique dans la plupart des secteurs. de 2019, période où la stagnation était au-rendez- Cette précision a crédibilisé le taux de chômage vous sous l’effet d’absence du principal moteur publié mais laisse augurer une aggravation des de croissance, à savoir l’investissement. Alors prochains chiffres. que le taux durant le second trimestre de 2020 “Parce que le devrait être bien pire, compte tenu des difficultés chômage est financières (aggravation des charges et chute des Changer d’attitude envers ce fléau un vecteur ventes) auxquelles ont fait face la plupart des en- La prévisible montée irrépressible du chômage accélérateur sous nos cieux doit amener les pouvoirs publics treprises économiques dans nos contrées, suite à des inégalités la crise sanitaire de la Covid-19, ce qui devrait se à changer de perception envers cet accident de la sociales, il répercuter inéluctablement sur le niveau d’activité croissance qui ne peut plus être traité comme un qui devrait à son tour subir une sévère récession simple problème économique. représente une économique. Il est plus que temps de prendre conscience que le menace sérieuse Outre Ceed Tunisia, organisation non gouverne- chômage est avant tout un drame social au niveau pouvant affecter mentale qui accompagne les entrepreneurs, qui a aussi bien collectif qu’individuel. En effet, de par la vie sociétale et

ses effets dévastateurs tant sur l’état psychique que avancé la perte de 50% des emplois dans l’agroali- même la sécurité mentaire, 40% dans le secteur commercial et dans sur la santé physique et même sur les liens fami- “ l’agriculture et 10% dans l’industrie, l’Institut tu- liaux, il occasionne de profonds déficits sociaux. et la stabilité nisien de la compétitivité a alerté, fin mai dernier, Le chômage doit être donc plutôt considéré, dans de tout pays. dans une étude, que l’économie tunisienne devrait les faits et mesures, en tant que fléau qui conduit perdre quelque 430.000 postes d’emploi pendant inéluctablement à la précarité et à la pauvreté et les mois de confinement sanitaire généralisé (de non plus comme un facteur découlant de la crise mars à juin 2020). économique et financière.

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De plus, ce fléau peut porter atteinte même à la traves juridiques et réglementaires devant la flexi- vie en société en favorisant l’exclusion, la délin- bilité du marché du travail. Mais ceci ne doit pas quance, voire la radicalisation. Facteur de dislo- empêcher les décideurs de chercher de nouvelles cation du tissu social, le chômage a également pistes d’inclusion, notamment à travers l’écono- contribué à la démolition de nombre de ménages. mie sociale et solidaire, car il faudrait faire désor- Aussi, faut-il lutter énergiquement contre le chô- mais avec l’impact limité de la croissance écono- mage et notamment celui de longue durée, en mique sur la masse du chômage. commençant par appréhender cette frange et re- D’autres préoccupations peuvent être synthéti- cueillir ses spécificités pour faciliter son intégra- sées dans les trois interrogations suivantes: quelle tion économique et sociale. place ont les chômeurs dans la société ? Y sont-ils Certes, économiquement parlant pour résorber le bien représentés? Quelle est leur image? chômage, les décideurs essaient de stimuler l’acti- Faute d’action gouvernementale à ce niveau, il vité économique, car la croissance économique fa- faudrait que la Société civile, à travers certaines vorise la création d’emploi: généralement, pour le associations, se manifeste et travaille sur ce cré- cas de l’économie tunisienne d’après les experts, neau en aidant la frange des sans –emploi à s’inté- 1% de croissance peut générer 15.000 postes grer dans la société, même par le biais du bénévo- d’emploi. Corrélativement, l’amélioration des lat et du volontariat. comptes des entreprises économiques encourage Il faudrait également délimiter la frontière entre ces dernières à investir et à embaucher. chômage et suspension temporaire du travail Deuxième recette suivie par nombre de gouverne- (chômage technique), surtout compte tenu de la ments: la réduction du coût du travail -exonération spécificité de la conjoncture post-crise Covid-19 des changes de sécurité sociale ou «décrètement» qui a amené nombre d’employeurs à se séparer de privilèges fiscaux- de manière à lever les en- temporairement ou durablement d’une partie de

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Enrichir les informations recueillies sur l’emploi et sur le marché de l’emploi et sophistiquer les outils statistiques pour un décompte assez fin de la population inactive permettraient de bien identifier les besoins du marché de travail

leurs salariés sous le poids de graves déséquilibres et l’offre (personnes qui offrent leurs services) de financiers et de menaces de faillite. travail, même au prix d’une approche de terrain Pour revenir à la question centrale quant à la sincé- pour stimuler véritablement les créations d’em- rité et la fiabilité des chiffres du chômage, et pour plois salariés ou indépendants et essayer d’atté- contourner les polémiques qui s’y rapportent, il nuer le chômage «volontaire» (quand la personne faudrait répondre à une autre question non moins à la recherche de travail refuse de travailler aux importante: de quel chômage parle-t-on? conditions proposées, soit au prix du marché). Il y a lieu de préciser à ce propos que les formules, En tout état de cause, il faut essayer de bien dé- les définitions et les modes de comptabilisation limiter ou distinguer autant que faire se peut, les diffèrent d’un institut à un autre et d’un pays à un personnes qui sont dans une position assez floue autre. et qui flirtent avec l’inactivité, le chômage et La sensibilité donc des chiffres du chômage est l’emploi. Car il ne faut pas perdre de vue que «le évidente, étant donné qu’ils ont une portée poli- contrat de travail reste de part et d’autre un acte “La prévisible tique incontestable: la plupart des gouvernements libre et volontaire». montée sont jugés par les experts et l’opinion publique au Autre facteur à prendre en considération: l’emploi irrépressible vu de leur bilan sur le front de la lutte contre le était devenu depuis 2011 une véritable revendica- chômage. tion syndicale, qui a été en fait l’un des slogans du chômage Etant donc un enjeu des débats politiques et un ca- majeurs de la Révolution de la liberté et de la di- sous nos cieux talyseur de réussite des politiques gouvernemen- gnité. Aussi, faut-il faire en sorte d’atténuer les ri- doit amener les tales, les données relatives au chômage font parfois gidités du marché du travail en faisant la part des pouvoirs publics l’objet de soupçon de manipulation ou de camou- choses entre les requêtes des employeurs et les à changer de flage. Tout en admettant au passage l’indépendance exigences syndicales. et le professionnalisme de notre principale source perception envers de statistiques, il faut toutefois reconnaître la diffi- Prendre garde aux retombées sociales cet accident de culté de comptabilisation ou de mesure du nombre la croissance qui des sans-emploi. C’est que la diversité et l’impréci- du chômage ne peut plus être sion des définitions en rapport, outre les différentes Parce que le chômage est un vecteur accélérateur traité comme un formes de travail, travail dans l’économie infor- des inégalités sociales, il représente une menace “ sérieuse pouvant affecter la vie sociétale et même simple problème melle, travail clandestin, travail à temps partiel et autres formes de travail précaire (sans couverture la sécurité et la stabilité de tout pays. économique. sociale notamment), ne rendent pas la tâche des en- Aussi, y a-t-il lieu d’accorder l’importance né- quêteurs et des statisticiens facile. cessaire à la frange des sans-emploi et particuliè- Ceci pose des questions quant à la densité ou rement à la frange des 15-24 ans dont le taux de l’étendue de la frange des chômeurs occultes ou chômage reste l’indicateur le plus retenu pour le cachés, ce qui pèse du coup sur la crédibilité du décompte des jeunes sans emploi, d’un pays à un taux réel des sans-emploi. autre et qu’il faudra surveiller de près, car il tra- De plus, pour parer aux carences et augmenter la duit le mal-être des jeunes, célèbre par l’expres- sincérité et la crédibilité des chiffres, il y a lieu sion angliciste «no future» qui reste une véritable d’abord, d’enrichir les informations recueillies sur bombe à retardement pouvant conduire à nombre l’emploi et sur le marché de l’emploi. Ensuite, il, de travers, notamment l’aggravation de l’insécuri- faudrait sophistiquer les outils statistiques pour un té et le conflit de générations. décompte assez fin de la population inactive. Fait majeur de société, le chômage en s’aggravant Parallèlement, nos agences de l’emploi, en tant risque de mettre en péril les fondements et les que principal organe de placement, se doivent de structures des démocraties les plus enracinées de faciliter la rencontre entre la demande (besoins par le monde. Que dire alors de notre démocratie en main-d’œuvre des entreprises économiques) encore balbutiante? n

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Économie

Economie tunisienne La croissance aurait été négative même sans la pandémie Par Mohamed Ben Naceur

l y aura certainement un monde différent avec une nouvelle breuses réussites en Tunisie sont le fruit d’un effort individuel architecture après la pandémie de la Covid-19. Au niveau dans un contexte miné. international, il va y avoir une redistribution de la richesse Tournons-nous maintenant vers les consommateurs. La confiance mondialeI entre les nations avec l’émergence de nouvelles na- est encore basse et la tendance très hésitante. Les ménages ont tions et le déclin d’autres. Au niveau national, de nouveaux plutôt moins subi les effets du ralentissement économique que les secteurs apparaîtront et/ou verront leur poids augmenter alors entreprises. Mais il reste que les gains de pouvoirs d’achat des que d’autres seraient condamnés à disparaître. La conjoncture ménages ont nettement baissé et les ménages l’ont ressenti. Ce économique tunisienne, déjà fragile depuis quelques années, n’est pas la seule cause. Un aspect surprenant de la situation ac- s’est nettement détériorée durant les premiers mois de l’année tuelle est que les consommateurs témoignent d’une perception de en cours. La croissance économique est passée en zone négative la réalité plus sombre que la réalité elle-même. Et bien entendu, au premier trimestre de l’année : -1.7% en glissement annuel. Ce la tendance de hausse du chômage, trimestre après trimestre, et en chiffre est très inquiétant dans la mesure où au premier trimestre, explosion suite à la pandémie, ne fait qu’augmenter les craintes il n’y a eu que deux semaines de confinement. Autrement dit, la des consommateurs. croissance aurait été négative sans la pandémie. Cette dernière La perception de l’inflation est aussi bien plus mauvaise que la ré- pourrait finalement servir de bonne raison au gouvernement alité de l’inflation. L’augmentation de l’indice général des prix à la pour maquiller les mauvaises performances de l’économie tu- consommation de l’INS est de 6.3 %. C’est certes une inflation éle- nisienne. vée. Or, interrogés sur la hausse des prix, les ménages répondent Bref, maintenant que la pandémie semble en voie d’être maî- que l’inflation serait plutôt de 10 % ou 12% l’an. Depuis 2011, les trisée, le gouvernement devrait présenter un plan de relance Tunisiens se sont en effet mis à surestimer davantage l’inflation. ambitieux et surtout audacieux. L’ambition est de penser plus Comment expliquer toute cette évolution ? La première idée grand et surtout d’oublier les demi-mesures. Le replâtrage doit est évidemment l’instabilité politique et l’instabilité des textes être banni. L’audace est de proposer des alternatives au-delà des régissant les affaires économiques. Mais pourquoi persiste- cadres classiques. raient-elles depuis 2011 ? L’hypothèse la plus convaincante est Malheureusement, la raison souvent mise en avant pour expli- que les entrepreneurs et les investisseurs jugent que les affaires quer cette conjoncture est le manque de confiance en l’avenir. en Tunisie sont à haut risque mais à faible rendement. D’ailleurs, Que les ménages reprennent confiance et la consommation re- de nombreuses agences de conseil en investissement classent la partira ! Que les entreprises reprennent confiance et l’investisse- Tunisie dans le mauvais cadran « high risk, low return ». ment se renforcera ! Sans doute. Mais que faut-il donc pour que S’agissant des ménages, ils ne se forment une opinion sur l’in- les ménages et les entreprises reprennent confiance ? Expliquer flation globale qu’à partir de certains prix, sur environ la moitié la faible croissance par le manque de confiance, c’est un peu de leurs achats. Les prix des boîtes de conserve et des boissons, comme expliquer la sécheresse par le manque d’eau. C’est à la produits standardisés qui font l’objet d’achats réguliers, sont fois vrai et insuffisant. Ce qu’il faut, c’est comprendre comment facilement repérables mais les prix des légumes saisonniers, ramener l’eau et où trouver de nouvelles sources. très instables, ou les prix des ordinateurs, des machines à laver Tournons-nous d’abord vers les entreprises. Les chefs d’entre- ou des téléphones portables qui diminuent régulièrement, sont prises surveillent leur bilan et leur carnet de commandes. Au- moins repérables, probablement parce qu’on en achète rarement. jourd’hui, les bilans se détériorent lentement et l’endettement Une perception plus correcte de l’inflation devrait restituer un demeure élevé. La situation financière est passée de l’orange au potentiel de consommation un peu plus élevé. rouge et agit encore négativement, un peu comme un frein qui ne Reste l’effet espéré de la politique économique. S’il existe des se desserrerait que progressivement. Quant aux carnets de com- réserves de consommation, peut-on les libérer par une politique mandes, ils sont en baisse. Faut-il souligner que le creux de 2011 économique adaptée ? Ce n’est évidemment pas de relance qu’il a été suivi de plusieurs faux rebonds et hésitations, et cela donne peut s’agir quand la dette publique se gonfle déjà trop. Ce se- un sentiment de reprise sans cesse reportée. On peut certes dire rait plutôt d’une réduction des déficits et des dépenses publiques. que la confiance n’est toujours pas là, mais il faut aussi chercher Cela s’appelle « l’effet ricardien », du nom du grand économiste des causes plus profondes. Nous en voyons trois. La première Ricardo. Réduire les déficits publics, c’est réduire la perspec- est l’instabilité politique qui a brisé net le rebond d’activité de- tive de hausses d’impôt et par conséquent, libérer les dépenses puis 2012. La seconde est la diabolisation sans fin du capital et de consommation. Pour réussir, il faut annoncer à l’avance une de la richesse. La troisième est une législation d’un temps révolu ligne de marche crédible et s’y tenir durablement. Cela passe évi- bloquant toute initiative d’investissement. D’ailleurs, les nom- demment par des réformes pour limiter les dépenses publiques. n

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Économie

Reprise touristique Plus d’interrogations que de réponses… Par Nizar Mouelhi près les chocs terroristes de 2015, la d’avenir de l’industrie touristique… ? Quelles Covid-19 est venue mettre, encore une sont les alternatives aux défaillances des grands fois, la résilience du secteur touristique marchés émetteurs d’Europe ? Comment booster àA rude épreuve. Les perspectives de sortie sont la mobilité collective en direction de la Tunisie ? fortement inquiétantes parce qu’imprégnées d’un C’est le lot essentiel de la réflexion qui interpelle manque flagrant de visibilité. les acteurs du tourisme tunisien, inquiets du fait Mais, au-delà du modèle de développement lui- de leur conviction que le secteur mettra certaine- même, c’est cette résilience qui commence à ment plus de temps à redémarrer que les autres s’essouffler. Après plus de trois mois d’arrêt total secteurs actuellement en activité réduite. d’activité, le temps est à la reprise. De par les dégâts occasionnés par la crise en Alors que chaque pays cherche à garder ses ci- termes de chômage et de chiffres d’affaires, force toyens, que les frontières ne sont pas ouvertes, que est de constater que c’est le court terme qui l’em- les compagnies aériennes comptent leurs faillites porte sur le stratégique. Erreur. et que les budgets vacances ont été fortement im- Car, c’est durant les périodes de crise qu’un sur- pactés par la crise, c’est la navigation à vue qui saut se doit d’être opéré en direction de la lucidité s’installe. et la réflexion approfondie. L’urgence sanitaire Face à cette situation peu enviable, il y a plus ainsi que la gestion des impacts ne doivent pas en d’interrogations que de réponses. Comment se effet occulter les véritables maux dont souffre de- profile la reprise ? Comment gérer les nouveaux puis bien des années le secteur. comportements des consommateurs ? Quel sera Si la crise a, à des degrés variables, impacté le le comportement du travel management face aux tourisme mondial, elle a néanmoins enfanté de turbulences de la crise ? Quels sont les choix nouveaux comportements à l’égard du monde des

32 - RÉALITÉS - N°1798 - Du 11 au 17 Juin 2020 300 millions de regards

vers Djerba Par Rayed Chaibi

Le 20 mai dernier, le président de la République tunisienne, Kaïs Saïed, et la Secrétaire générale de l’Organisation internationale de la Franco- phonie, Louise Mushikiwabo, ont convenu de reporter à 2021 le XVIIIe Sommet de la Francophonie que Tunis devait accueillir à l’occasion de son 50e anniversaire. De manière assez inattendue, le Chef de l’État tunisien a proposé d’ac- cueillir le sommet dans l’île de Djerba « La Douce », carrefour de civilisa- tions et joyau de la Tunisie. Certains diront que c’est une manière pour le Chef de l’État « d’éloigner » cet évènement pour en minorer l’importance. voyages et des loisirs. Et le diront, à fort juste Bien au contraire, cette décision est à saluer car, au-delà de l’impor- titre, plusieurs experts quand, le marché a tou- tance de décentraliser un évènement international de cette ampleur, c’est jours raison, il faudrait impérativement apporter surtout une opportunité exceptionnelle, diplomatique oserai-je dire, de les réponses nécessaires et adaptées aux réalités mettre en avant ce joyau de notre pays à un moment crucial puisque l’ile changeantes de ce même marché. C’est dire que de Djerba concourt à la prestigieuse entrée au patrimoine mondial de pour les professionnels tunisiens, bousculer les l’UNESCO. habitudes et réinventer leurs politiques revêtent Les Chefs d’État et de gouvernement qui se rendront à l’île de Djerba, sans nul doute une importance capitale. L’écoute se rendront certainement compte de la richesse de son artisanat, de ses permanente du marché, l’analyse approfondie des habits traditionnels, de ses chapeaux de Guellala et Sédouikech. Ils pour- tendances ainsi que la confrontation des idées et ront admirer la diversité de sa civilisation, cette terre de tolérance où se des expériences avec les partenaires de tout bord côtoient la mosquée Fadlhoun de Midoun, la synagogue de la Ghriba constituent certainement les facteurs essentiels à Erriadh ou l’église Saint-Joseph de Houmt Souk. Ils découvriront la qui doivent accompagner le rebond de l’activité forteresse de Borj El Kastil, la tour des Crânes, le site archéologique de touristique avec une toute autre configuration. Méninx, les vestiges de El Kantara et certainement goûter son riz, son En plus, quand les nouvelles attentes et les nou- mesfouf, sa kamounia, son couscous au poisson, ces plats traditionnels veaux comportements de la consommation sont qui se transmettent de génération en génération. bien identifiés les entreprises touristiques auront à En analysant plus en profondeur cette décision, je me remémore cette se redéployer d’une manière qui garantit la conti- phrase prononcée en 1985 par l’ancien président sénégalais Léopold nuité de l’entreprise et plus encore la pérennité Sedar Senghor, un des pères fondateurs de la Francophonie : « La Fran- de secteur dans son ensemble. Il est évident que cophonie, c’est cet instrument de symbiose pour le renforcement de notre l’avenir appartiendra inéluctablement à ceux qui coopération culturelle et technique malgré nos différentes civilisations » sont les mieux imprégnés de la nouvelle donne du À Djerba, cette terre de diversité civilisationnelle, le peuple francophone marché, à ceux qui savent mieux adapter leurs tournera son regard, 300 millions de regards, vers ce trésor qui, le temps offres et tirer les meilleurs enseignements des dif- d’un sommet, sera la capitale de la Francophonie ! ficultés.n (Editorial de l’auteur publié dans Agora Francophone)

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Le rôle politique et économique central du G7 en Tunisie après la Révolution Par Ahmed Ben Mustapha*

l’occasion du neuvième anniversaire du ter dorénavant ses engagements non tenus de lier sommet des grands pays industrialisés la coopération avec les pays arabes au respect des membres du G7 tenu fin mai 2011 à Deau- droits et des libertés fondamentales. villeA sous présidence française, il importe de s’in- terroger sur le rôle politique et économique ma- Les dessous du partenariat de Deauville jeur assumé par cet ensemble en Tunisie et au plan Officiellement, le G7 s’était engagé à instituer une régional au lendemain de la Révolution tunisienne nouvelle approche des rapports Nord-Sud adossée et des soulèvements arabes. à une échelle de valeurs démocratiques désormais Il convient également d’évaluer le bilan de cette partagées, non réduite à une dimension purement La Tunisie implication incarnée par le «nouveau partenariat commerciale et prenant en compte les aspirations se“ retrouve de Deauville» dont l’objectif principal annoncé à la liberté et à la dignité nationale exprimées par était de favoriser les conditions propices à la réus- aujourd’hui, la vague de soulèvements qui a ébranlé la région site de la transition politique et économique en comme au arabe et méditerranéenne. Tunisie et en Egypte, considérées comme étant les A priori, la déclaration finale du sommet semblait lendemain de pionnières de la démocratisation du Monde arabe. s’inscrire dans cette nouvelle doctrine liée au carac- l’indépendance, Dans une déclaration spécialement dédiée aux tère jugé historique des mutations en cours dans le confrontée à «Printemps arabes», le G7 avait proposé un nou- Monde arabe perçues comme étant comparables à veau «partenariat pour la démocratie» présenté des problèmes l’émancipation des pays de l’Europe de l’Est après comme étant porteur d’une nouvelle vision stra- existentiels la chute de l’Union soviétique. Et pour crédibiliser tégique des rapports Nord-Sud. Il était en effet qui imposent son initiative, le G7 avait promis à la Tunisie de lui censé se distinguer par la valorisation et la prise en restituer ses «avoirs volés» placés à l’étranger et de des révisions compte des aspirations à la démocratie, à la liberté lui octroyer un soutien financier massif à des condi- déchirantes et de et à la dignité qui sont à la base des soulèvements

tions préférentielles. En échange, la Tunisie s’était nouveaux choix ayant ébranlé le Monde arabe ainsi que la scène

engagée à parachever son intégration à l’UE par le régionale et méditerranéenne. stratégiques, “ biais de l’ALECA tout en continuant à assumer la Ce faisant, le G7 s’engageait implicitement à décisifs et dette de l’ancien régime. rompre avec sa politique antérieure de compro- A ce propos, un programme d’aide ambitieux de déterminants. mission avec des régimes despotiques et à respec- l’ordre de 80 milliards de dollars -dont 20 mil-

34- RÉALITÉS - N°1798 - Du 11 au 17 Juin 2020 économique européenne au lendemain de l’indé- pendance à l’égard de l’Afrique du Nord. Il importe de souligner que lors de sa création en 1975 à l’initiative de la France, le G7 qui inclut l’Union européenne en son sein, avait repris à son compte cette doctrine et a œuvré à la promotion du libre-échange intégral et à son extension à toute la planète, notamment après la chute du mur de Ber- lin. La Tunisie y a adhéré à travers l’Organisation mondiale du commerce ainsi que l’Accord de libre- échange des produits industriels de 1995 conclu avec l’UE qui est le précurseur de l’ALECA. Au lendemain de la Révolution, le G7, redoutant la remise en cause de cette politique, a œuvré en vue de sa reconduction et son extension afin de préser- ver ses intérêts en Tunisie et au plan régional sans tenir compte de ses retombées économiques et so- ciales dramatiques qui ont grandement contribué à la chute de l’ancien régime. D’où son implication ouvertement assumée dans la vie politique tunisienne en vue de favoriser l’accès ou le maintien au pouvoir des parties poli- tiques tunisiennes favorables à cette entreprise. A ce propos, il convient de souligner le rôle particu- lièrement actif de la France sur la scène politique tunisienne depuis 2011, notamment par sa partici- liards au profit de la Tunisie et l’Egypte- était pation à l’élaboration de la stratégie de développe- destiné à traduire dans les faits ce «changement ment de la Tunisie 2016-2020. stratégique dans l’approche et l’action de la com- munauté internationale dans la région». Elle s’en- Le bilan du partenariat de Deauville gageait aussi à adapter son aide aux besoins spé- Il importe de souligner que depuis les indépen- cifiques de chaque pays et «aux priorités définies dances, chaque événement régional majeur -à et approuvées par les gouvernements nationaux». l’instar de la Révolution tunisienne- susceptible En outre, le G8 s’était engagé à respecter ses de générer de nouveaux équilibres régionaux ou S’agissant des «engagements internationaux concernant la res- des retournements d’alliance pouvant remettre en “engagements pris titution des avoirs volés et à aider la Tunisie et cause l’ordre établi, suscite une nouvelle initiative l’Egypte à recouvrer leurs avoirs par des actions par le G7 à l’égard qui est généralement associée à un grand dessein bilatérales appropriées et par la promotion de tel que la démocratisation du Monde arabe véhicu- de la Tunisie, l’initiative pour la restitution des avoirs volés de lé par le partenariat de Deauville. aucun des la Banque mondiale et des Nations unies…» Ainsi, le processus de Barcelone et les accords gouvernements Toutefois, la crédibilité de ces engagements -qui d’Oslo prétendaient instaurer un espace méditer- post révolution en définitive n’ont pas été respectés- a été dès le dé- ranéen de paix et de prospérité partagé entre les n’a sérieusement part entachée du fait qu’ils étaient conditionnés par deux rives de la Méditerranée. Il en est de même la confirmation du «choix de l’économie de mar- assuré le suivi de de l’accord d’association Tunisie-CEE de 1969 et ché… et de l’intégration dans l’économie régionale l’accord de coopération de 1976 qui avaient pour ces dossiers. Plus et mondiale grâce au développement du commerce ambition de refonder les relations entre les deux grave, le montant et des investissements étrangers dans la région». rives sur des bases plus justes et plus équilibrées. des avoirs volés Sur cette base, «l’UE prend des initiatives dans Mais nul n’ignore que les pays occidentaux n’ont et des fuites le cadre du partenariat pour la démocratie et jamais été soucieux du respect de ces engagements d’une prospérité partagée pour développer les de capitaux a d’ordres politique et stratégique car leur préoccu- échanges commerciaux avec les pays du Sud de pation majeure demeure le maintien des rapports presque doublé, la méditerranée, notamment par des accords de Nord-Sud dans le cadre de l’économie de marché passant de libre-échange approfondis et complets et des in- et de l’échange inégal. 38,5 à plus de vestissements… » Sur le plan politique, ils assument une lourde res- 60 milliards de Ainsi, cette initiative n’apportait en fait rien de ponsabilité dans l’évolution dramatique du dossier

dollars selon nouveau, se situant dans le prolongement d’un palestinien, ainsi que dans l’instabilité qui prévaut processus historique d’intégration de la Tunisie et en Méditerranée en lien avec leur positionnement des sources “ de la rive sud dans l’espace économique européen, politique et leur implication militaire en Libye, universitaires ainsi que son maintien dans la zone d’influence Syrie et au Yémen qui ont gravement nourri l’ex- américaines. occidentale par le biais des accords de libre- pansion du terrorisme et ses effets dévastateurs en échange. En fait, il s’agit d’une extension sous des Tunisie et dans la région. formes rénovées de la même stratégie d’inspira- Sans compter la crise sans précédent générée par tion française mise en œuvre par la communauté le Coronavirus et la résurgence d’une nouvelle

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FMI et la nouvelle série d’emprunts conditionnés dont l’essentiel sera affecté, comme les années précédentes, au service de la dette selon les prévi- sions de la loi des finances. Mais au-delà des résultats chiffrés de la politique économique suivie depuis 2011 en lien étroit avec la mise en œuvre du partenariat de Deauville, il convient de s’interroger sur les risques politiques, sécuritaires et identitaires inhérents à l’intégration de la Tunisie à l’ensemble européen. Les faces cachées du partenariat Tunisie-UE A ce propos, il convient de prendre en considéra- tion les éléments d’appréciation suivants: - L’objectif ultime de l’ALECA ne se limite pas à forme de guerre froide en rapport avec la fin du parachever l’ouverture totale du marché tunisien monde unipolaire et le retour en puissance de la des biens et des services au bénéfice des inves- Russie et la Chine, ainsi que de nouveaux acteurs tissements étrangers. Sa finalité profonde est en sur l’échiquier mondial et méditerranéen. effet de lier le sort du peuple tunisien aux intérêts Pourtant, et en dépit des multiples réserves que occidentaux par son arrimage au projet d’édifica- suscite cette politique en Tunisie, tous les gou- tion de l’Etat supranational européen incarné par vernements post-révolution ont activement œuvré l’Union Européenne. à sa mise en œuvre tout en ignorant les mises en - Ce projet symbolise un modèle de société qui garde ainsi que les solutions alternatives avancées ignore les attaches civilisationnelles et culturelles du par les spécialistes tunisiens. peuple tunisien ainsi que les orientations stratégiques Ce faisant, leur bilan se confond avec celui du de la Constitution tunisienne de 2014, laquelle privi- partenariat de Deauville dans ses dimensions légie la réhabilitation du rôle économique et social L’objectif ultime politiques économiques et stratégiques. Quant à de l’Etat national tunisien démocratique et souve- de“ l’ALECA ne l’ALECA, il a été érigé en priorité absolue et ses rain. Et c’est sans doute l’une des causes majeures se limite pas principales dispositions ont ainsi été introduites qui expliquent les difficultés auxquelles se heurte sa à parachever dans la législation tunisienne (ouverture totale des mise en œuvre effective et notamment ses disposi- marchés tunisiens aux produits et investisseurs eu- tions souverainistes économiques et sociales qui sont l’ouverture ropéens, adoption des normes européennes, indé- incompatibles avec l’ALECA. totale du marché pendance de la Banque centrale…). Il en est de même de ses principes fondateurs qui tunisien des biens Parallèlement, rien n’a été entrepris pour contenir réaffirment l’attachement du peuple tunisien à ses et des services la dégradation continue des conditions de vie des racines arabo-islamiques et la priorité accordée à au bénéfice des Tunisiens et des indicateurs économiques qui ont son intégration à l’espace économique maghrébin. investissements atteint des seuils alarmants (surendettement, défi- - Le projet européen est confronté depuis la crise cit commercial record, chute du dinar…). En fait, de la mondialisation de 2007 à de nombreuses étrangers. Sa ces dérapages sont la conséquence inévitable de critiques internes pour son déficit démocratique finalité profonde cette politique et des PAS du FMI qui visent les et son incapacité à répondre aux attentes des pays est en effet de mêmes objectifs. membres. D’où le débat sans fin sur les risques de lier le sort du S’agissant des engagements pris par le G7 à dislocation de l’ensemble européen, notamment peuple tunisien l’égard de la Tunisie, aucun des gouvernements après le Brexit, ainsi que la crise du Coronavirus post-révolution n’a sérieusement assuré le suivi qui a dévoilé l’absence de solidarité au sein de aux intérêts de ces dossiers. Plus grave, le montant des avoirs l’UE et l’incapacité des institutions européennes à occidentaux par volés et des fuites de capitaux a presque doublé, secourir les pays européens les plus sinistrés. son arrimage passant de 38,5 à plus de 60 milliards de dollars - Le projet de réhabilitation de l’Etat national tu- au projet selon des sources universitaires américaines. nisien et la transition démocratique tunisienne ont d’édification Quant à l’endettement extérieur, il a été multiplié été gravement hypothéqués du fait que le peuple de l’Etat par quatre si l’on tient compte des dettes cumulées tunisien a été privé lors des échéances électorales,

des entreprises publiques. de son droit souverain de reconsidérer les choix du supranational Dans sa dernière allocution, le Chef du gouver- libre-échange et de l’économie de marché. européen incarné “ nement a affiché des projections encore plus En somme, la Tunisie se retrouve aujourd’hui, par l’Union alarmistes, compte tenu des répercussions dra- comme au lendemain de l’indépendance, confron- européenne. matiques de la crise du Coronavirus. Certes, il a tée à des problèmes existentiels qui imposent des annoncé la mise en chantier d’une nouvelle stra- révisions déchirantes et de nouveaux choix stra- tégie de développement, mais rien n’indique qu’il tégiques, décisifs et déterminants. Leurs enjeux envisage la remise en cause de ses choix initiaux touchent au présent et à l’avenir de la Tunisie, qui se situent en parfaite continuité avec ceux de ainsi qu’à ses relations avec ses principaux parte- ses prédécesseurs. naires politiques et économiques. A ce propos, il convient de rappeler les engage- *Ancien ambassadeur, ments pris dans la lettre d’intention adressée au chercheur en histoire diplomatique et économique

36- RÉALITÉS - N°1798 - Du 11 au 17 Juin 2020

Économie

Ramzi Sandi (Directeur Général des Laboratoires SAIPH): «L’Afrique n’a pas d’autre choix que de fabriquer ses médicaments»

La pandémie de Covid-19 fait prendre conscience aux dirigeants africains de la nécessité de se doter d’une industrie pharmaceutique puissante. Pour l’heure, l’ensemble des pays subsahariens importent les neuf-dixièmes des médicaments qu’ils consomment. L’Afrique du Nord et l’Afrique du Sud couvrent leurs besoins à plus de soixante-dix pour cent. Une première usine de Saiph, la Société arabe des industries pharmaceutiques, est en construction à Abidjan. Le savoir-faire de ces pays pourrait donc servir de relais pour le reste du continent. Entretien avec Ramzi Sandi, Directeur général des Laboratoires SAIPH et fabricant tunisien de médicaments génériques.

RFI: Est-ce que la pandémie de Covid-19 a d’avoir un minimum d’industrie pharmaceutique entraîné, selon vous, une prise de conscience relocalisée en Europe. des dirigeants africains de la nécessité de se doter d’industries pharmaceutiques? Est-ce que les autorités tunisiennes ont Ramzi Sandi: Oui, comme partout dans le monde, conscience de la nécessité de renforcer le sec- Je pense que les on a vu pendant la période de Covid se développer teur pharmaceutique local? “pays africains le «chacun pour soi». Le business-model écono- Oui. Nous avons eu plusieurs réunions avec le n’ont pas le mique global et les transferts de site à la recherche ministère de la Santé, et aujourd’hui, la priorité choix. Ils vont de plus de valeur ajoutée, vers l’Asie notamment, est d’assurer une plus grande fabrication de mé- devoir assurer devraient changer radicalement après cette pan- dicaments localement, que ce soit par des contrats une couverture démie. En ce qui nous concerne, à SAIPH, nous de licence ou par le développement de produits locale minimum avons essayé d’anticiper en observant ce qui se génériques. passait en Chine pour assurer la couverture de nos et ensuite créer besoins. des sites alter- Concrètement, quelles décisions ont été Nous avons créé une cellule de crise dès février natifs ou des prises? pour anticiper un pan d’approvisionnement. L’État a mis en place des procédures de fast-track plateformes La fermeture de l’Asie n’a pas impacté notre en- d’approvi- (dispositif accéléré d’enregistrement de médica- treprise en termes d’approvisionnement. Nous ments) pour encourager la fabrication locale. Vous sionnement. avons pu réagir rapidement lorsque l’hydroxy- savez, en Tunisie, on subventionne Mais se baser chloroquine a été intégrée dans les protocoles de les produits importés, ce qui a un coût estimé uniquement sur traitement de la maladie en Tunisie, pour dévelop- à 260 millions de dinars (90 millions d’euros). l’importation per rapidement ce produit. Donc, nous n’avons pas le choix, le développe- des médica- ment des médicaments fabriqués localement est

ments n’est pas Etes-vous dépendant de l’Asie concernant les considéré comme un choix stratégique.

une solution, principes actifs des médicaments? Je pense que les pays africains n’ont pas le choix. car il risque d’y “ Comme vous le savez, pratiquement toute l’indus- Ils vont devoir assurer une couverture locale mi- avoir d’autres trie chimique a été délocalisée vers l’Asie. nimum et ensuite créer des sites alternatifs ou des pandémies. Je pense, comme l’a dit votre président Emma- plateformes d’approvisionnement. nuel Macron, que le modèle doit être changé afin Mais se baser uniquement sur l’importation des

38 - RÉALITÉS - N°1798 - Du 11 au 17 Juin 2020 médicaments n’est pas une solution, car il risque deuxième après notre plateforme d’usines en Tu- L’exportation d’y avoir d’autres pandémies. nisie, avec SAIPH Ivoire. “est devenue une partie À quel niveau de couverture se situe la Tu- Pourquoi le choix de la Côte d’Ivoire? intégrante de nisie? La Côte d’Ivoire est considérée comme un vrai notre stratégie En termes de volume, on est entre 70 et 75%. Et en pays émergent. Par exemple, elle a mis en place globale. Dans termes de chiffre d’affaires, on est à 50%. l’assurance-maladie, chose qui va doubler ou les cinq à dix Les produits importés sont surtout des produits tripler le marché pharmaceutique. Et à partir de années à venir, d’oncologie qui sont à forte valeur ajoutée. notre plateforme, nous allons alimenter l’Afrique les marchés subsaharienne. La délocalisation est importante, car pour les produits spécifiques comme les anti- extérieurs SAIPH se tourne désormais vers l’Afrique paludéens ou les produits à fort volume et à faible seront l’un subsaharienne, un marché gigantesque et actuellement dominé par les Big Pharma valeur ajoutée, comme les antalgiques, le coût du

des leviers de transport est élevé.

croissance mondiales. Est-ce que les entreprises afri- “ caines, notamment la vôtre, ont une carte à Donc, l’idée est d’aller plus près des consomma- importants pour teurs et de faire jouer la complémentarité entre jouer? notre entreprise. nos usines tunisiennes et notre usine ivoirienne L’exportation est devenue une partie intégrante de qui sera fonctionnelle en 2021. Nous possédons notre stratégie globale. Dans les cinq à dix années déjà des produits enregistrés et avons obtenu une à venir, les marchés extérieurs seront l’un des le- centaine d’AMM (autorisations de mise sur le viers de croissance importants pour notre entre- marché) entre le Sénégal, le Cameroun, la Côte prise. L’Afrique compte 1,2 milliard d’habitants et d’Ivoire, etc. Pour l’Afrique anglophone, nous ce chiffre va doubler rapidement, le marché étant avons démarré avec un partenaire pendant la pé- énorme. Pour partir à la conquête de ce marché, riode de Covid-19 pour fournir de la chloroquine. nous avons d’abord créé une holding SAIPH-Tu- Et nous avons un projet de plateforme de distribu- nisie pour qu’elle soit un acteur global de santé tion et packaging au Rwanda. couvrant la majorité des classes thérapeutiques. Texte écrit par Olivier Rogez Et nous avons créé une plateforme en Afrique, la (RFI)

Du 11 au 17 Juin 2020 - N°1798 - RÉALITÉS - 39 Tribune

Investissement Un frein nommé masse salariale

de la fonction publique Amine Ben Gamra*

ays de 11 millions d’habitants, la Tu- pléthore d’entreprises de l’État dont le per- nisie compte 630 000 fonctionnaires sonnel est gonflé hors de toute mesure. (une estimation prudente) auxquels Mieux ou pis, ceux parmi les salariés de s’ajoutentP les travailleurs des entreprises la fonction publique qui gagnent plus de publiques, ce qui porte le nombre de sala- 1500 dinars de revenu mensuel, bénéfi- riés de l’Etat à plus de 800 000, soit plus cient de nombreux avantages, notamment du double de la Grèce avec une population de voitures de services qui sont de plus en semblable, et qui n’est pas, lui non plus, un plus utilisées à des fins personnelles. Et ce, La dette ex- modèle de bonne gouvernance. Tout cela alors que la Tunisie affiche un double défi- “térieure nette finit forcément par peser énormément. cit et une dette élevés ainsi que des stocks de la Tunisie La dette extérieure nette de la Tunisie at- régulateurs limités, que la croissance est atteindra 90% teindra 90% du PIB en 2021 suite principa- anémique, l’emploi stagnant et l’inflation du PIB en 2021 lement au poids des salaires de la fonction relativement élevée, et que les perspectives suite principa- publique qui aggrave considérablement le sont soumises à des risques de dégradation lement au poids déficit budgétaire et augmente significative- majeurs liés principalement à la pandémie des salaires ment le besoin de financements extérieurs. de coronavirus (selon le dernier rapport de de la fonction Tant que les dirigeants tunisiens reste- la BM de suivi de la situation économique publique qui ag- ront convaincus qu’ils peuvent s’en tirer de la Tunisie-avril 2020). grave considé- en faisant la quête auprès des bailleurs Face à cette situation, l’investissement est le rablement le dé- internationaux et en échange de fausses levier qui peut aider à faire bouger l’écono- ficit budgétaire promesses pour obtenir de l’argent, il y a mie. Mais comment procéder lorsque les sa-

et augmente peu de chances que des réformes écono- laires de l’État absorbent plus que 50% du

significative- miques sérieuses soient réellement mises budget et que le budget d’investissement, ment le besoin “ en route. clé de la croissance, est dérisoire? de financements En effet, contrairement aux promesses Expert comptable extérieurs. faites au FMI et aux investisseurs étrangers, Commissaire aux comptes les dépenses de l’État sont le résultat des Membre de l’Ordre des experts comp- salaires dans la fonction publique et de la tables de Tunisie

40- RÉALITÉS - N°1798 - Du 11 au 17 Juin 2020

Vie des entreprises

Al Kimia Net redressement des ventes en 2019 En publiant récemment ses ENNAKL-Autos états finan- ciers relatifs à Résultats remarquables l’exercice 2019, Al Kimia vient en 2019 de révéler le net redressement Le Conseil d’administration de la société Ennakl, de ses revenus concessionnaire exclusif d’Audi, Volkswagen et par rapport à 2018, quand l’entreprise avait souffert des défaillances Skoda s’est réuni le 17 mars 2020 pour examiner du groupe CPG pour ce qui est des livraisons de matière premières et approuver les états financiers relatifs à l’exercice phosphatières. En effet, les revenus de 2019 ont atteint 135,816 MD 2019. En effet, la société Ennakl-autos a enregistré contre 116,035 MD en 2018. Cependant, les charges financières ont une progression remarquable de son chiffre d’af- grimpé allègrement, passant de 3,7 MD en 2018 à 10,2 MD en 2019, faires, soit 14,4%, bien que la conjoncture de cette tandis que les produits de participation avec 14,5 MD ont largement année électorale soit morose sur le plan de la crois- dépassé ces charges. sance économique. Ainsi, les ventes 2019 ont at- Les usines d’El Kimia ont continué à fonctionner durant le confine- teint le record de 408,750 millions de dinars contre ment anti-Covid-19 pour approvisionner les usines de détergents en 358,115 MD en 2018, malgré des quotas d’importa- matières premières. tion limités. Ainsi, le résultat avant impôts a atteint Il y a lieu de rappeler que le crise économique provoquée par le confi- 27,850 MD contre 29,548 MD en 2018, soit une ré- nement en Europe a ralenti la demande des clients étrangers en pro- gression de 5,7%. Les charges commencent à peser duits Al Kimia, outre la fermeture des frontières, ce qui ne manquera dans le compte exploitation. pas de se répercuter sur l’exercice 2020. Le conseil a décidé de servir aux actionnaires un di- Il y a lieu de constater qu’Al Kimia avait décidé de réduire sa dépen- vidende de 0,250 D par action et de convoquer l’As- dance vis-à-vis des livraisons de phosphates et avait investi dans la semblée générale ordinaire pour le 24 juin 2020, en construction d’une nouvelle usine utilisant un autre type de technolo- vue d’approuver les comptes de 2019. gie pour la production de MAPC destiné aux fabricants de détergents. L’Assemblée générale extraordinaire sera tenue le Ce projet a pris quelques semaines de retard au niveau des tests de même jour, tout de suite après, au même siège social démarrage des équipements acquis auprès d’un fournisseur espagnol à la zone industrielle Charguia II, en vue d’approu- et qui ont été montés sur place. Ce dernier n’a pas pu déléguer ses ver la modification des statuts de la société confor- techniciens en Tunisie à cause de la fermeture des frontières, suite à la mément à la législation en vigueur. propagation du Coronavirus. Les entreprises de BTP dans la tourmente

La Fédération des entreprises de bâtiment et de travaux pu- rie, électricité… sans compter les industries des matériaux de blics n’a pas cessé les derniers mois de 2019 de multiplier les construction. appels au secours. Appels destinés aux pouvoirs publics, no- En effet, ils ‘agit d’un secteur locomotive qui dispose d’un tamment les ministères de l’Equipement et des Finances, don- effet d’entraînement sur plusieurs activités satellites, au mo- neurs d’ordre en matière de marchés publics pour les grands ment où la crise sanitaire est en train de fragiliser plusieurs projets d’infrastructure : construction de routes, autoroutes, autres activités génératrices d’emplois, comme le tourisme et ponts, ports, bâtiments, mais aussi autorités de paiement. Avec le transport. la crise des finances publiques, le montant global des- arrié Il semble que le gouverneur de la BCT a entendu cet appel au rés de paiement de l’ensemble des entreprises du secteur était secours d’une profession au bord de la faillite faute de tréso- de l’ordre de 400 millions de dinars, insupportable à soutenir rerie et pourrait lui proposer en étroite coordination avec le par une profession qui vit grâce aux facilités accordées par les gouvernement et la contribution des banques, des solutions banques, ce qui coûte cher au niveau des charges financières. susceptibles de résoudre les problèmes en suspens. Jamal Ksibi Selon Jamal Ksibi, président de la Fédération UTICA des n’a pas manqué de signaler que l’Etat n’exploite qu’environ entreprises de bâtiment qui s’exprimait au micro d’une radio 10% seulement des concours financiers accordés à notre pays privée, le montant global de la facture avoisinerait actuelle- par les bailleurs de fonds internationaux pour réaliser des pro- ment le total de 800 millions de dinars. Les entreprises auraient jets de développement qui ont été présentés dans ce but. Cela reçu des promesses fermes pour le bon aboutissement des vi- serait tantôt dû à des compétences insuffisantes de la part des rements. cadres administratifs, tantôt à un manque de volonté ou bien à Or le secteur compte selon les statistiques les plus récentes des négligences de la part des responsables. 510.000 salariés entre emplois directs et indirects, ceux qui Alors que des bureaux d’études tunisiens auraient pu assumer relèvent du second œuvre du bâtiment : menuiserie, robinette- convenablement ces missions selon le responsable du syndicat

42 - RÉALITÉS - N°1798 - Du 11 au 17 Juin 2020 Elaboré par Ridha Lahmar

Récolte céréalière Le projet Sama Dubaï sera-t-il estimée à 15,7 millions enfin réalisé ? La convention signée en septembre 2008 entre l’Etat tunisien et les de quintaux responsables de Sama Dubaï pour l’édification d’une ville intégrée sur les Berges du Lac sud, au cœur de la capitale et autour du port de Tunis, a fait rêver tous les Tunisiens, car ils ‘agissait du plus important inves- tissement et projet de développement, soit 14 milliards de dollars US. Notre pays a accepté de céder pour un dinar symbolique 730 hectares de terrain marécageux, ancien port de commerce de Tunis, outre des avantages fiscaux et douaniers accordés aux investisseurs étrangers, contre la création d’une ville entière avec ses infrastructures : routes, hôtels, entreprises, cliniques, écoles, moyens de transports, banques, grandes surfaces, un port de plaisance pour 1000 voiliers. La création d’emploi (150.000), aussi bien durant la durée des travaux qui sera échelonnée sur plusieurs années, que par la suite avec l’implan- tation d’entreprises étrangères notamment dans le secteur financier, com- mercial et celui de NTIC. L’impact sur la croissance aurait pu atteindre 2% par an suite au déferlement supposé de 1200 millions de dinars d’in- Selon les estimations les plus récentes des services vestissements par an, pendant les 15 ans de la réalisation du projet. du ministère de l’Agriculture, notre pays devrait Le projet, après avoir fait l’objet de la pose de la première pierre par s’attendre à une récolte relativement moyenne sinon le responsable émirati avec construction d’un bâtiment sommaire a été médiocre cette année, soit 15,7 millions de quintaux gelé à cause de la crise financière mondiale 2008-2010. Mais, il n’a pas de céréales, alors que la récolte précédente était net- été relancé par les promoteurs après la révolution tunisienne de 2011. tement meilleure, évaluée à 24 millions de quintaux, Le promoteur n’a pas été non plus déchu et la convention dénoncée par bien que les volumes collectés n’ont pas dépassé 15 les pouvoirs publics tunisiens. millions de quintaux dans les silos et les hangars de Il semble qu’actuellement, le gouvernement Fakhfakh tente de relancer l’Office des céréales et des coopératives centrales. le projet en examinant les facteurs de blocage vis-à-vis de la réalisation Il faut dire que la campagne céréalière 2019-2020 a du projet et les solutions possibles. été marquée par une sécheresse très sensible, d’où la Les pouvoirs publics tunisiens accepteront-ils de revoir le contenu du baisse des rendements, même dans le Nord du pays. programme des réalisations de la ville nouvelle à la baisse, avec une Le ministre de l’Agriculture a inauguré récemment réduction par exemple de 50% ? le début des moissons et a recommandé aux respon- Y aura-t-il d’autres co-promoteurs à coopter à titre d’associés avec sables de l’Office des céréales d’achever les prépa- prise de participation au capital de la société de gestion du projet et en ratifs en cours, pour réussir l’opération de collecte qualité de co-signataire de la convention ? Y aura-t-il un accord en cas de la moisson dans les dizaines de centres habili- de forte progression de la partie immobilière prévue au projet initial, tés à cet effet, dans les principales zones de culture aux dépens des autres infrastructures, comme le port de plaisance par des céréales. La principale menace actuellement est exemple ou bien les entreprises « nouvelles technologies » ? Y a-t-il celle des incendies, criminels ou accidentels. recherche d’autres investisseurs pour remplacer Sama Dubaï, car 12 Il y a lieu de rappeler que, chaque année il faut doter années d’attente, c’est beaucoup ? les agriculteurs de moissonneuses-batteuses au bon Bien que la conjoncture mondiale actuellement morose ne soit pas si moment pour réaliser la moisson, outre le nombre favorable pour entreprendre de grandes projets pour deux raisons prin- de sacs en jute pour emballer le grain sans négliger cipales : l’effondrement des prix du pétrole brut sur le marché mondial l’étanchéité des sacs. qui a engendré des difficultés financières chez les royautés du Golfe, Ensuite, il faut trouver des moyens de transport ap- ainsi que la crise sanitaire engendrée par l’expansion de la pandémie propriés pour rejoindre les centres de collecte pour du Covid-19 qui détourne l’attention des responsables politiques et livrer le grain à l’Office, après la pesée. L’Office provoque des perturbations dans les transports et déplacements outre doit assurer la bonne conservation de la récolte à le spectre d’une crise économique qui menace le monde avec des per- l’abri des intempéries et surtout éviter comme l’an turbations sur tous les marchés financiers, rappelons à toutes fins utiles passé, la surprise des pluies d’automne qui a dilapi- que l’Etat avait au préalable il y a vingt ans assainir les eaux polluées dé certains volumes conservés sans abris. Il y a lieu du Lac-Sud pour un montant de 100 millions de dinars par une entre- de rappeler qu’il y a toujours une partie importante prise néerlandaise spécialisée. de la récolte non livrée à l’Office et écoulée sous Il faut dire que la valeur foncière des terrains en l’objet en raison de leur diverses formes dans les circuits parallèles. site exceptionnel a atteint un montant vertigineux.

Du 11 au 17 Juin 2020 - N°1798 - RÉALITÉS - 43 Magazine

Arts - Alex Ayed en Tunisie Des bulles dans le dédale ésotérique

Par Hatem Bourial

Parfois, la découverte d’une oeuvre d’art suscite des rebonds poétiques et critiques. C’est le cas avec l’exposition-installation «Soap Opéra» d’Alex Ayed, déployée de juin à septembre, il y a tout juste un an, à la station d’art de Bhar Lazreg. Vivant entre la Tunisie et la Belgique, Alex Ayed est un artiste iconoclaste dont l’oeuvre est tout en circonvolutions surprenantes.

aire quelques pas dans l’étendue et immédia- pour peut-être trouver un fil d’Ariane et, initié, traverser tement être pris par une musique lancinante. l’étendue fascinante. Comme un reflet de l’insondable, entre cosmos Quelques pas en arrière. La tête décharnée d’un cha- Fet outre-mort, cette musique s’incruste en vous, revient meau et une toge. Mais sont-ce bien la tête d’un chameau par vagues successives, vous enveloppe de ses cir- et une toge? Les yeux clignent et les pas se dérobent. convolutions. Faire encore quelques pas et entrer dans L’illusion est maîtresse du lieu. Comme l’indéfini d’une un univers crépusculaire, entre chien et loup, lorsque caverne ou un avertissement silencieux. Comme des s’estompent les couleurs et règnent toutes les nuances portes de la perception que seules pourraient ouvrir les de gris. mains du Grateful Dead. Comme l’ésotérique à portée de révélation mais dans la déroute du sens et des sens. Ombres autonomes et silhouettes décharnées Est-ce une nécropole dans l’immortalité du marbre? Et Soudain, une fulgurance que sont ces étranges signes, suite numérale interrom- Ne pas avancer. Regarder de plus près. Toucher aussi. pue par des lettres mystérieusement disposées? Au seuil Où sommes-nous? Au seuil d’un labyrinthe sémiotique du dédale, les pas hésitent et, hiératique, le cadavre ou bien entre les bras de Hadès? Dans le froissement figé d’un cafard gît sur l’immaculé du marbre. Devant les d’une toge étendue sur une corde à linge, je crois voir des rébus cabalistiques, la tentation de rebrousser chemin oiseaux voleter autour des fenêtres d’Astarté. Au loin,

44- RÉALITÉS - N°1798 - Du 11 au 17 Juin 2020 d’autres toges pétrifiées et ce qui ressemble à un sanctuaire. des lignes de fuite. Ensevelis dans le sanctuaire, les Une grande peur me saisit, la crainte d’êtres insatiables signes de l’orbe solaire. dont il faudrait apaiser la faim. M’incliner. Me prosterner. Tout à coup, des lapins surgissent. Ils prolifèrent si- Fuir ou avancer dans l’immensité imperceptible. lencieux comme le White Rabbit qui ouvrit les yeux Mon regard accroche ce qui ressemble aux yeux d’un d’Alice. Etaient-ils cachés dans d’invisibles roseaux ou crocodile. Je m’approche. C’est un caméléon crucifié bien ont-ils jailli du chapeau du démiurge qui a créé qui, tel un totem supplicié, semble veiller sur le désert les êtres et les choses par le verbe? Les dieux chtho- gris traversé d’ondes sonores. Soudain, un craquement. niens m’entourent et la terre se soulève comme une Comme des pigeons qui traversent les mondes. On les bulle qui pense les choses en son coeur et les énonce aurait dit échappés d’une arche. Je me souviens des de sa bouche. Les litanies du savon psalmodient toutes mythologies, de la mort qui, seule, permet de passer les gestations, avalent chaque soir des milliers de bulles du céleste au visible. Je ne vois pas le disque solaire pour les remettre au monde au matin. Palimpseste hé- et sens en moi s’affaiblir la voix du moulin. La mort liaque, encensement et libations. L’équinoxe d’automne serait-elle aujourd’hui devant moi? Suis-je taraudé par ne saurait plus tarder. le désir d’un homme au seuil de son ultime demeure, Quelques pas encore. L’occulte se love en moi. Les fatigué de la vie? La voix de l’oiseau ramène au cadavre signes sont en panique, abondants, comme dans une inerte chaleur, énergie et lumière. Pigeons célestes dans chapelle ointe d’onguents de sens. Je m’accroche à cette l’envers du ciel. Mon corps immobile dans l’obscurité. profusion inondée de musique. Les notes dessinent de Le vol des oiseaux qui se glissent hors de la tombe. Les fragiles tabernacles voilés par des bulles. Quelques pas ombres sont désormais autonomes et les silhouettes dé- de plus. Je descends vers les profondeurs d’où sourd un charnées. Seul un columbarium sous les astres disparus. son premier, lancinant, sans hymnes ni chant. Seul un columbarium et des ombres noires et furtives. L’ultime cryptogramme Une toge trapue, imprégnée des larmes Tant d’escales pour rejoindre cette terre ferme, divine de l’encens offrande, courbe oblique, affermie par son voyage Soudain, une fulgurance. Devins et démons voltige- dans le ciel. Ultime cryptogramme, un rébus magique, raient-ils sous forme d’oiseaux? Et la momie? Et la ré- oeuvre d’un scribe inconnu, complète ce naos. J’y re- incarnation? Et le karma? Et le ba? Suis-je en train de connais la partie la plus sacrée du sanctuaire, un mys- rejoindre mon propre corps dans la nécropole? Je me tère inviolable, la cosmogonie d’une bulle de savon dé- souviens subitement du Phénix, des plumes de ses ailes, sincarnée, absurde et libre. de sa taille, de sa capacité à se recréer lui-même. Ces pi- Une porte dérobée. Un rai lumineux. Promesse de ré- geons devant la porte sacrée fondent sur moi comme les demption. Sortie du gouffre. De nouveau, l’étendue. oiseaux de Hitchcock et m’arrachent ma tunique litur- Encore quelques pas pour conjurer le sort. Et aussi de gique. Car moi aussi, je porte la toge trapue, imprégnée la résine, de la myrrhe et tous les encens associés aux des larmes de l’encens. jours fastes et aux premiers pas, entre seuil et terme, J’avance à pas feutrés. Comme dans une bulle, dans hors du dédale, dans la tendresse des pousses et des l’air léger. Le nid est face à moi et sa cime oscillante. champs ensemencés. L’impression de flotter s’accentue et le regard cherche Photos: Yoann Cimier

Du 11 au 17 Juin 2020 - N°1798 - RÉALITÉS - 45 Magazine

Iles Canaries Premier vol avec passeport sanitaire numérique Par Sami Jendoubi

Les îles Canaries deviendront en juillet prochain, la première destination mondiale desservie par un vol avec un “passeport sanitaire numérique”. Ces îles ont été choisies par Zurab Pololikashvili, Secrétaire général de l’Organisation mondiale du tourisme (OMT), pour permettre aux voyageurs non atteints de la Covid-19 de se déplacer avec leur dossier médical et d’être suivis à l’aide d’une application sécurisée de la société canarienne hi+card.

OMT a sélectionné cet archipel de l’océan Atlantique des passagers devrait permettre aux compagnies aériennes situé au large des côtes du Sahara occidental et du de lever progressivement certaines restrictions en matière de Maroc, pour sa bonne gestion de la crise de la Covid- voyage (distanciation sociale, capacité d’accueil à bord des L’19 et ses résultats encourageants. Seulement 0,1% de sa popu- avions...), même s’il est impossible d’avoir 100% de sécurité. lation totale ont été touchés, avec un taux bas de mortalité (6,4 Le passeport sanitaire numérique pourrait être un atout non décès pour 100 000 habitants), contrairement à d’autres pays négligeable pour relancer progressivement une nouvelle dyna- européens tels que l’Allemagne (8,4), les Pays-Bas (33,7), la mique touristique, et permettre aux pays d’échanger des infor- Suède (39), la France (42,1), le Royaume-Uni (55,2). mations sur l’état de santé des visiteurs. Yaiza Castilla, le ministre du Tourisme, de l’industrie et du commerce de l’archipel avait déclaré précédemment: “Aux Rouvrir le tourisme de manière sûre Canaries, nous espérons accueillir à nouveau des milliers de Ce protocole d’hygiène et de sécurité innovant, a pour objectif touristes à bras ouverts. Dorénavant, les îles Canaries doivent de rétablir la confiance des vacanciers et des résidents grâce à être un laboratoire mondial de la sécurité touristique”. Et ce, un accompagnement sanitaire optimal durant le cycle des va- en repensant l’organisation générale des services, la gestion cances: aéroports, gares, transports, hébergements, restaurants, des flux et l’occupation des espaces, pour tester les meilleures plages... pratiques en matière de sécurité sanitaire touristique. La mise en place de couloirs aériens entre pays à faible risque de contagion (R0) tels que la Tunisie (0,179), deuxième pays Un laboratoire à ciel ouvert au monde où la situation est la mieux gérée après l’Équateur Les passagers qui embarqueront à bord de ce vol expéri- (0,096), serait un premier pas dans la bonne direction. mental, devront télécharger l’application “hi+card” sur leur smartphone et disposer d’un profil numérique. Seule une Liberté, égalité... traçabilité entité sanitaire, accréditée par le ministère de la Santé, aura Selon l’Organisation mondiale de la santé, le virus “pourrait ne accès aux informations médicales. jamais disparaître”. Il sera nécessaire d’améliorer la coordina- Chaque voyageur pourra se déplacer sereinement avec ses tion et la communication des acteurs mondiaux afin d’éviter que données personnelles de santé qui attesteront qu’il n’est pas chaque pays suive ses propres règles, comme cela a été le cas porteur de Covid-19. ces derniers mois durant la période de confinement. Les débats promettent d’être houleux, notamment lorsqu’il faudra aborder Un protocole sanitaire innovant certains points liés aux droits et aux libertés de chaque citoyen Pour relancer le secteur aérien, les compagnies doivent pouvoir (stockage et sécurité des données personnelles, géolocalisa- assurer la sécurité des passagers et du personnel et renforcer le tion…), mais ils seront nécessaires pour inventer un tourisme contrôle avant l’embarquement. L’accès au profil numérique encore plus fort et plus durable. n

46- RÉALITÉS - N°1798 - Du 11 au 17 Juin 2020

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Ebouriffant personnage aux surprenantes sautes d’humeur Saïdani côté cour, côté jardin

ans les milieux sportifs, il mérite la médaille du faiseur de buzz ! Depuis un ou deux ans, Abdessalem Saïda- niD défraie la chronique, et pas à Bizerte seulement. Après avoir essuyé le courroux du , bureau et supporters réunis, le président nordiste enflamme la Toile du côté de Bizerte, en faisant face avec une étonnante témérité, à une avalanche de critiques ou de quolibets. Il ne fait rien comme les autres, décidément. Fermant (définitivement ?) la parenthèse de sa croisade contre le président de socios-CAB, Samir Yaâkoub, il plonge de suite tête baissée dans un projet qui lui tient visiblement à coeur: un stade 15 octobre, viable, mis à la disposition du Club Athlétique Bizertin dont il est toujours président. Lors d’une réunion qu’il a tenue avec le président de la municipalité de Bizerte et avec les édiles mu- nicipaux, Saïdani a proposé de prendre en charge les frais d’installation d’un tapis en tartan au stade 15 octobre, et d’achever les travaux avant fin novembre 2020. Une véritable gageure quand on connaît les pé- ripéties de cette enceinte sportive décidément maudite. Saïdani, supporter ou président ? Exprimée le 1er juin, l’idée a fait l’objet d’une réunion du conseil municipal de la ville de l’Evacuation présidé «Pas une minute de plus au CAB !» par Kamel Ben Amara. Pourtant, le 24 mai dernier, le fantasque président ca- Flanqué du promoteur qu’il proposait pour réaliser biste ne paraissait pas aussi enthousiaste que cela. les travaux, le pétillant Saïdani a profité de l’occasion Il jurait en effet qu’il ne reviendrait plus au club, pour proposer la mise à disposition pour l’exploitation s’en prenant à ceux qu’il appelle des «mercenaires du stade durant cinq années afin que d’autres projets parmi mes adversaires et les adversaires du succès». puissent suivre, tels que la construction de magasins «Maintenant, sauvez le club par vous-mêmes, je ne res- commerciaux, d’une salle de sport, d’un parking... qui terai plus une minute de plus au CAB», s’est-il adres- seraient donc intégrés au stade. Avec un argument-mas- sé sans le nommer au clan du président des Socios du sue à l’appui: un tel complexe intégré peut assurer CAB, Samir Yaâkoub, auquel a été confiée la tâche de d’importantes recettes supplémentaires au CAB. présider le comité provisoire jusqu’au 15 juillet pro- En attendant la présentation du projet à l’ensemble chain, mais qui s’était vite retiré depuis le mois d’avril du conseil municipal de Bizerte lors d’une prochaine dernier, remettant la gestion du club au comité élu session, la tendance est positive. Mais on sait que ce de Saïdani. C’était comme s’il avait flairé un piège... genre de projet n’est pas aussi simple que cela, même Durant la longue phase de confinement obligatoire, si la municipalité reste le premier responsable de l’in- Saïdani a multiplié les posts sur son compte personnel frastructure sportive. facebook, en passant l’espace de quelques jours d’une L’initiative de Saïdani faisait suite à une réunion tenue posture à son contraire. le 30 mai et ayant regroupé le gouverneur, Mohamed Ainsi, après avoir annoncé un plan pour la préparation Gouider, le maire de la ville, Kamel Ben Amara, et en vue de la reprise du championnat de Ligue 1 dont il les autorités sportives de la région débouchant sur une serait le premier responsable, Saïdani fit machine - ar bonne nouvelle qui a réjoui tous les fans jaune et noir: rière, se déclarant prêt à se retirer et à céder la respon- le stade 15 octobre sera remis au Club Athlétique Bizer- sabilité du club à un nouveau président qui jouirait de la tin pour les besoins de son exploitation au mois de dé- confiance de la grande famille cabiste. cembre prochain. «Une réunion du comité des Sages cabiste doit per- La reprise des travaux a été fixée pour la fin du mois de mettre de se mettre d’accord sur le nom de l’homme septembre prochain, soit après la publication de l’appel idoine pour la prochaine étape. J’ai du reste mis en d’offres en vue de trouver un nouvel entrepreneur. oeuvre tout un programme pour l’aider à démarrer». Une nouvelle réunion pour faire le point de l’avance- ment des travaux était prévue le 29 juin. «Une enveloppe de départ de 2 millions Fermé depuis quatre saisons, le stade va bénéficier d’une subvention de l’ordre de 1,5 million de dinars de dinars pour construire un grand CAB» pour achever les travaux, de gazonnage de la pelouse Quelques jours plus tôt, il appelait, enthousiaste, à un notamment. projet de mise sur pied d’un «grand CAB» dès la pro-

48 - RÉALITÉS - N°1798 - Du 11 au 17 Juin 2020 Son président au Zamalek lui fait les yeux doux Ferjani Sassi, 2e joueur le plus cher d’Egypte Depuis son arrivée le 26 juillet 2018 dans l’Egyptian League, le milieu international tunisien Ferjani Sassi a Actuellement en position de relégable, le vent en poupe. le CAB joue gros cette saison En débarquant d’An- nasr saoudien, sa valeur chaine saison, à condition de disposer d’un budget de départ de marchande a grimpé deux millions de dinars. vertigineusement, no- Ferjani Sassi (ici contre son ancien club, l’EST), «Personnellement, j’apporterai un million de dinars, alors nobstant le recul de ce la coqueluche du public que les autorités doivent faire bénéficier le club d’une sub- début d’été dû à la crise zamalkaoui vention de 600 mille dinars, en plus de collectes des dons du nouveau coronavirus des supporters de l’ordre de 400 mille dinars», avait-il alors et qui intéresse tous les joueurs du reste. tablé dans des réflexions exprimées sur son compte facebook. Ce n’est pas son président, Mortadha Mansour, qui s’en plain- Détaillant le programme de préparation en vue de la reprise du dra. Lui qui le donne régulièrement en exemple (par antithèse championnat, le 2 août prochain, il a annoncé que «le 20 juillet avec Hamdi Nagguez, souvent qualifié par le bouillant patron prochain, le CAB ira en stage de préparation en Russie. J’ai de Zamalek de « déserteur et renégat »). Ainsi, avec 2 mil- lions d’euros, Sassi conserve sa deuxième place au tableau des arrêté la liste des 30 joueurs de champ et des quatre gardiens joueurs les plus chers du championnat d’Egypte. de but qui vont y participer. La délégation qui sera présidée par Agé de 28 ans, le sociétaire de Zamalek du Caire avait une le directeur administratif, Mohamed Nawar, sera composée de valeur marchande de 2,5 millions d’euros avant l’effondre- 43 personnes. Le reste du bureau directeur restera à Tunis pour ment des «cours» des joueurs à travers le monde suite à la préparer le second stage d’Aïn Draham et fixer des objectifs à pandémie de la Covid-19. toutes les sections. Le 13 juillet prochain, au stade Béjaoui de Ce n’est donc guère un hasard si Mansour fait tout pour Zarzouna, une réunion avec le gouverneur permettra de mettre satisfaire les doléances de l’ancien pensionnaire des CSS, les joueurs et les staffs technique et médical devant leurs res- EST, FC Metz (France) et Annasr, et loue l’attitude de son ponsabilités. Le 11 juillet, nous présenterons nos nouvelles «joueur préféré» dans la perspective de la prolongation de recrues aux médias», avait-il annoncé, tout en confirmant la son contrat qui expire le 30 juin 2021. totalité du staff technique conduit par Sofiène Hidoussi pour Ainsi, a-t-il démenti les rumeurs qui annoncent que l’inter- rester en place la prochaine saison. national tunisien a exigé un montant de 50 millions de livres égyptiennes par an dans son nouveau contrat. «Sassi n’a pas parlé argent en évoquant le dossier du renou- Changements à 180 degrés vellement», a-t-il assuré. Le 23 avril dernier, le bureau de Saïdani, qui se tenait en ce temps-là en arrière-plan après avoir remis le pouvoir le 6 mars Maâloul cinquième à un comité provisoire de sauvetage, a appelé ce dernier à as- Au classement égyptien de la valeur marchande des joueurs, sumer ses responsabilités. Sassi est précédé tout juste par l’ailier gauche d’ SC, Selon cet accord parrainé par l’ancien président, Mehdi Ben Ramadhane Sobhi (3,2 millions d’euros, contre 4 millions Gharbia, le comité de sauvetage doit rester en place jusqu’au avant la crise). 15 juillet prochain. Le latéral gauche international tunisien d’Al Ahly, Ali Saïdani et son équipe demandaient alors à Yaâkoub de proro- Maâloul, 30 ans, arrive en 5e position avec 1,4 million d’eu- ger ce mandat pour après le 15 juillet, en fonction de la fin ros (contre 1,8 million d’euros avant la crise sanitaire). reportée du championnat en cours, assurant qu’ils n’assument L’avant-centre d’Al Ismaily, Fakhreddine Ben Youssef, aucune responsabilité dans la gestion du club, qu’elle soit ad- arrive bien loin avec une valeur marchande de l’ordre de ministrative, financière ou sportive jusqu’à la date convenue. 650 mille euros, ex-aequo avec l’attaquant tuniso-suédois de Saïdani et ses assesseurs annonçaient la tenue d’une assemblée Pyramids FC, Amor Laâyouni, 27 ans. générale évaluative le 15 septembre prochain. L’ex-attaquant de l’US Monastir, Rafik Kabou (Wadi Dejla), Juste après cette AG évaluative, le bureau de Saïdani remettra 27 ans a une valeur de 400 mille euros. sa démission et confiera à une commission indépendante le soin L’avant-centre d’Al Mouqawiloun Al Arab, Seifeddine Jazi- d’organiser des élections, selon les «prévisions de l’heure», ri, 27 ans, a une valeur marchande de l’ordre de 325 mille, d’un président de club capable de changements à 180 degrés alors que le milieu de terrain défensif d’Al Intaj Al Harbi, et de désarçonner tout à la fois ses soutiens et ses adversaires. Aymen Trabelsi (ex-Etoile Sportive du Sahel), se vante Sacré personnage ! d’une valeur de 300 mille euros. H.A. H.A.

Du 11 au 17 Juin 2020 - N°1798 - RÉALITÉS - 49 Magazine

L’album- souvenirs de.... Ameur Hizem, monsieur Sélection «71»

l n’est pas donné à tout le monde de veiller aux desti- nées de l’équipe nationale de son pays à trois reprises, et d’assurer la charge de Directeur technique national Ipar deux fois. C’est pourtant le genre d’exploit réussi par Ameur Hizem, une légende du foot national qui préfigura ce qu’allait être la sélection qui honora notre pays au Mondial argen- tin de 1978. Beaucoup n’hésitent pas à dire que le fabuleux millésime 1978 a été couvé, patiemment préparé et nourri de sa pas- sion par Ameur Hizem dont le nom s’identifie à celui de la sélection «1971». Car c’est là où tout avait commencé.

Disciple de l’école ouest-allemande «Après une année de langue à l’Institut Goethe, j’ai intégré l’établissement prestigieux d’EPS de Cologne où j’ai obte- nu le diplôme de Professeur. L’ancien entraîneur du Club Ameur Hizem à ses débuts, dans les années 1960. Sfaxien, Eckhard Krautzen, était mon camarade de classe. sélection à seulement 31 ans, c’était quelque chose. Notre J’y ai laissé les meilleures impressions à tel point que lors chance, c’était d’aller jouer des tournois amicaux presti- de la visite de Mohamed Mzali à notre Institut, le doyen lui gieux dédiés aux jeunes catégories: à Toulon et Cannes, a demandé s’il pouvait envoyer à titre exceptionnel dans en France, à Cagliari, en Italie, à Rijeka, dans l’ex-You- son établissement cinq autres étudiants tunisiens «aussi goslavie ... Nous devions croiser le fer avec des équipes travailleurs et disciplinés que le jeune Ameur Hizem», comme l’Allemagne, le Brésil ou l’Italie, tenter de leur lui avait-il glissé. Ce qui d’ailleurs fut fait. De ce quin- tenir la dragée haute, nous libérer de nos vieux complexes. tette, seul Jamaleddine Bouabsa était allé jusqu’au bout de Oublier qu’en ce temps-là, l’équipe algérienne du FLN ses études. En fait, j’ai été le premier à bénéficier d’une écrasait notre sélection première par huit buts, la Hongrie bourse de l’ambassade d’Allemagne, et elle n’allait pas le par six... Des corrections, en somme. J’ai mis en place un regretter, loin s’en faut ! Déjà en République fédérale alle- programme copieux, m’appuyant sur des entraîneurs des mande, j’ai été entraîneur-joueur d’un club amateur de 2e sélections régionales à la passion et à la compétence in- division, Knapsack, près de Cologne. J’ai également joué discutables : Mouldi Belkhamsa pour la région de Tunis, à Solingen, dans la même région. De retour à Monastir, Mahmoud Denguezli à Sousse, d’autres à Sfax, à Bizerte... une blessure m’empêcha de terminer la saison 1966-67. Je leur donnais régulièrement une séance d’entraîne- L’année suivante, j’étais désigné entraîneur. Nous termi- ment-modèle. Ce rythme infernal, je l’ai tenu durant deux nons à la 3e place. J’apporte la méthode allemande et sa ri- années, je me déplaçais à bord de ma propre bagnole dans gueur tactique. Puis un jour, malgré la ferme opposition de les coins les plus reculés du pays. Croyez-moi, il fallait notre président de club, Allala Laâouiti, qui était le secré- le faire... L’argent passait au second plan. C’est la pas- taire particulier de Bourguiba, et son homme de confiance sion qui commandait. Je touchais moins de 200 dinars par durant toute sa vie, le ministre des Sports Mondher Ben mois. Affublé du titre d’entraîneur national, je percevais Ammar me désigne à la tête de la sélection Cadets. Le foot 160 dinars, mais je n’ai jamais demandé d’augmentation, national sortait de la déception des Jeux méditerranéens de jusqu’au moment où j’ai été engagé par le CA qui me 1967 à Tunis. Ben Ammar m’avait dit qu’il fallait préparer payait 250 dinars, puis le ST où je touchais 500 dinars. Je une sélection capable de tenir la route à l’horizon 1971, dois avouer que ce n’est qu’en allant travailler en Arabie et demandé de préparer un programme sur quatre ans. On saoudite que j’ai réussi à gagner de l’argent. Pourtant, avec sait que les choses iront plus loin. Le noyau de la sélection l’entraîneur de basket-ball Borhane Errais, je possédais le 1971 allait ébahir le monde en Argentine. Qui l’eut cru ?» plus haut diplôme sportif en Tunisie. J’assurais par consé- quent la formation des cadres, en plus de mes fonctions à L’équipe 1971 la tête des sélections des jeunes. Temime Lahzami, Tarek «Ils étaient encore cadets lorsque j’ai pris en main les Ab- Dhiab, Mokhtar Dhouib et Hamadi Agrebi étaient passés delmajid Ben Mrad, Néjib Limam, Khaled Gasmi... Moi par là. Nous travaillions dans des conditions pénibles, mais aussi j’étais jeune. Pour un entraîneur, prendre en main une on ne s’en était jamais plaint. C’est ainsi que la Coupe de

50- RÉALITÉS - N°1798 - Du 11 au 17 Juin 2020 dans notre foot. Le titre remporté en Libye devant onze nations arabes traduisait une suprématie totale: meilleure attaque, meilleure défense, prix du fair-play, Mohieddine Habita surnommé à l’occasion le «Pelé arabe» remportait le tableau des buteurs... Toutes les nations furent étonnées par la Tunisie. Certains prétendent que la Coupe de Pales- tine, c’est du toc. Si c’est le cas, dites-moi, pourquoi alors ne l’avions-nous plus remportée que ce soit à Kuneitra, en Syrie avec André Nagy, que ce soit à Tunis avec Chetali ? Il y eut également l’épopée d’Izmir, aux Jeux méditerra- néens de 1971. La Tunisie a laissé le public turc sous le charme. Après la finale pourtant perdue (1-0) face à la You- goslavie, devant 80 mille spectateurs tous acquis à notre Hizem et l’équipe de Tunisie honorés par le président Bourguiba cause, le public local a porté en triomphe nos joueurs. Nous avons même marqué un but régulier refusé par l’ar- Palestine 1973 en Libye que nous avions remportée haut bitre. C’était le point de départ, nous prenions confiance en la main, nous l’avions préparée en plein été, par des cha- nos moyens. Pour la première fois de son histoire, la Tu- leurs torrides au centre militaire du Bardo où il n’y avait nisie a battu la France (2-1). Dans les rangs des Bleus, il y ni climatisation, ni confort. A Tripoli, on n’a laissé même avait un certain René Exbrayat, le futur entraineur du Club pas des miettes à l’Egypte, notre principal adversaire. En Africain qui avait comme adversaire direct Ahmed Zitou- guise de récompense, le président Bourguiba nous octroya ni, l’enfant du... CA ! Avant la rencontre, Mohamed Mzali, une prime de 150 dinars. De son côté, l’homme d’affaires qui était ministre des Sports, s’était adressé aux joueurs tunisien, Si Bouchamaoui qui vivait en Libye, nous a offert en leur disant que la France nous a toujours quelque part une prime de 150 dinars». snobés. «Depuis au moins dix ans, alors que j’étais encore président de la Fédération, les Français refusent toujours D’Izmir à Tripoli de jouer contre la Tunisie. C’est votre chance, aujourd’hui. «De 1971 à 1974, je garde les meilleurs souvenirs de ce Il faut leur montrer ce que nous valons». Pour cette rai- premier passage par l’équipe nationale «A», car il y en aura son-là, ce 7 octobre 1971 reste une date historique pour le deux autres. Pourtant, le ministre des Sports, Tahar Belkho- sport tunisien». dja, déclara en m’engageant qu’on allait donner sa chance à Hizem pour six mois seulement. Mais j’ai refusé d’être Les facteurs de la réussite mis sous examen, dans ce mandat provisoire qui ne rimait «Ma conviction était inébranlable: les jeunes Tunisiens à rien. Je lui ai dit que si ça ne marche pas, je me retire. n’ont rien à envier à leurs homologues européens. Il faut Avec les Khaled Gasmi, Mohieddine Habita... je venais de juste se décomplexer en mettant sur pied le maximum de remporter les Championnats universitaires maghrébins à rencontres internationales contre des sélections de valeur. Alger. En janvier 1971, nous étions partis prendre part à Pour en arriver là, il a donc fallu une bonne dizaine d’an- la Semaine de l’amitié tuniso-saoudienne. En avril 1971, nées de labeur et de patiente maturation. Par exemple, l’entraîneur yougoslave du CA Bizertin, Ozren Nedoklan, nous avons joué la finale du tournoi de Dusseldorf, en Al- me déconseille fortement de jouer contre l’Allemagne lemagne avec la sélection Espoirs. Le fossé commençait à olympique qui comptait dans ses rangs Paul Breitner et se rétrécir. L’opération 1971 faisait son chemin. A la base, Uli Hoeness tout simplement parce qu’il craignait que se trouvent le travail en profondeur, scientifique et plani- notre sélection en sorte traumatisée par une lourde défaite. fié, et la patiente oeuvre visant à décomplexer le joueur «Nous allons apprendre contre plus fort que nous», lui tunisien. Quand tu gagnes contre l’Allemagne alors que tu ai-je répondu. On a gagné (2-0). Nedoklan a été le pre- n’as que 16-17 ans, cela va te libérer. Et pour toute la vie mier à me féliciter après le match. Imaginez la grosse sa- ! Mieux encore, donc: le jeune footballeur tunisien reste tisfaction que l’on éprouve, légitimement du reste, au bout intrinsèquement supérieur aux Européens. C’est après, à d’une aussi longue et patiente maturation. J’ai commencé l’âge des seniors que la tendance s’inverse. Sous certains avec des joueurs cadets, nous atteignons ensemble le plus aspects, nous ressemblons un peu aux Brésiliens, surtout haut niveau. En 1972, je lance dans le grand bain les Tarek point de vue technique, inspiration et capacité d’impro- Dhiab, Ali Kaâbi... Je garde en même temps le noyau dur: visation. Malheureusement, il n’ y a pas continuité. En les Attouga, Mohamed Zouaoui, Ahmed Mghirbi, Ezzed- 1970, au tournoi de Constance, en RFA, notre sélection dine Chakroun, Abdessalam Chammam, Abdessalam Ad- Espoirs a eu affaire à Clodoaldo et Edu, les deux ve- houma... L’Union maghrébine de football me désigne pour dettes brésiliennes qui allaient être sacrées champions du coacher la sélection maghrébine à un tournoi en Chine. monde quelques mois plus tard, au Mexique. Nous avons Faute d’équipe représentative prête, nous avons dû annu- tenu en échec ce Brésil-là qui n’assura sa qualification ler ce voyage et le remplacer par un autre, à Téhéran, en à nos dépens qu’au tirage au sort. La presse allemande Iran. Au tournoi d’Alger, nous avons remporté la finale en écrivit alors: «Nous attendions le Brésil, ce fut la Tunisie présence du président algérien Houari Boumediane contre qui nous a régalés d’un football de très haut niveau». les Brésiliens de Palmeiras grâce à un but de Chakroun. Nous avons été également au tournoi de Cagliari. Tiens, Plus généralement, les années 1970 représentent le Prin- en Sardaigne, la star locale, Gigi Riva était resté sidéré temps du football tunisien. Notre sport-roi resplendissait. par la prestation de nos jeunes joueurs. Non seulement, Les petits clubs pouvaient légitimement remporter des nos jeunes joueurs ont réussi à rivaliser avec les meilleurs titres, à l’image de la JSK ou du SRS... car la justice régnait mieux encore, ils les ont parfois dépassés.

Du 11 au 17 Juin 2020 - N°1798 - RÉALITÉS - 51 Magazine

Le sélectionneur national Ameur Hizem (le premier debout à gauche), en 1971 avec l’équipe de Tunisie «Des blessures nommées Lamptey et Bamako» «Le Major Lamptey de triste mémoire était passé par là ! Après un nul (1-1) à Tunis, pour le compte des élimina- Le 26 août 1973, à Tripoli. Hizem est porté en triomphe après toires de la Coupe du monde 1974 en République fédérale la victoire de la Tunisie en finale de la Coupe de Palestine, allemande, cet arbitre ghanéen fit des siennes à Abidjan, le championnat arabe des nations offrant la victoire aux Ivoiriens (2-1). Il a expulsé Ali par le Maroc (0-0 et 3-3). Malgré sa victoire (2-0), le Mali Rtima. Même avec du recul, je n’hésiterai pas à dire qu’il ne nous était guère supérieur, mais nous ignorions tout de était «vendu», ça c’est sûr ! Et puis, nos clubs ne partici- nos adversaires. Ce n’est pas comme aujourd’hui avec la paient pas encore aux coupes africaines. Il nous manquait télé, l’internet, la supervision directe des adversaires... Je l’habitude de ces longs safaris éprouvants où il nous ar- me rappelle aussi que le défunt Mohamed Ali Akid nous rivait de ne rien manger de leur pain noir, de leurs plats rejoignait pour la première fois à l’occasion de ce tournoi étranges à notre goût... Tout juste après, j’ai donné ma triangulaire». démission. Mais Mohamed Sayah ne l’a pas acceptée, me disant qu’il encourageait les entraîneurs tunisiens. J’étais fatigué par toutes ces années de sacrifices. Financièrement, Expérience unique je ne gagnais pas grand-chose : 140 dinars en prenant la sé- «Il ne faut pas trop rêver: à présent, chacun cherche fié- lection Cadets baptisée Sélection 1971 jusqu’à mon départ vreusement les résultats immédiats. La férocité de la com- de l’équipe «A» en 1974. En plus des 60 dinars, mon sa- pétition fait que pour survivre, il faut gagner coûte que laire en tant qu’enseignant à l’Institut supérieur des sports. coûte, et tout de suite. Il n’ y a plus de travail à long terme. Le salaire de DTN était de 100 dinars. Quant à la prime La patience n’a plus de place dans le lexique du foot de ce de la Coupe de Palestine, elle était de 300 dinars. A mon millénaire. Le travail de la Sélection 1971 s’était poursui- départ de la sélection, je ressentais une grosse frustration. vi durant une bonne décennie. En sélection, je travaillais Quant à la rencontre perdue le 7 mai 1972 à Bamako (2-0), comme si j’étais dans un club. Contre le Brésil, en ami- elle a été marquée par une forte polémique qui a vu le jour cal le 6 juin 1973, j’ai lancé dans le grand bain Mokhtar avant votre voyage pour jouer contre le Mali aux élimina- Dhouib et Ali Kaâbi que le public ne connaissait presque toires des JO 1972. Fallait-il, oui ou non aller préparer à pas. Tarek Dhiab et Khaled Gasmi, au moment où je les ai Vichy un tel safari dans l’enfer de Bamako ? On a injuste- lancés dans le grand bain n’avaient tout juste que 19 ans. ment évoqué un prétendu choc thermique au fond pas aussi Je savais pourtant que le public allait me critiquer, mais j’ai évident que cela. Au contraire, la station de Vichy nous as- pris tous les risques. Je sais encaisser. Un membre fédéral surait toutes les conditions d’une excellente préparation. s’est fendu de cette remarque lorsque j’ai convoqué pour Dans ce tournoi préolympique, nous n’avons pas été battus la première fois Gasmi: «Un défenseur fruste et violent, un «casseur» chasse l’autre: après Mrad Hamza, Hizem appelle Gasmi !». On connaît la suite. J’ai essuyé un tas de critiques à cause de mon choix des joueurs. Heureuse- ment, à long terme, ces choix furent payants. Le temps m’a donné raison. La critique ne m’a pas fragilisé. Autrement, je ne serais pas retourné en sélection par deux fois. Je suis satisfait de la carrière que j’ai faite au service de mon pays. Ma plus grande satisfaction, c’est lorsque mes joueurs disent vouloir gagner pour Si Ameur. Nous étions en par- faite symbiose. Dieu merci, je n’ai jamais eu de problèmes avec les responsables. Je suis le seul sportif tunisien à avoir bénéficié de l’ordre du Commandeur des mains du Hizem (à droite), l’éternelle Président Bourguiba. Je suis également le seul à avoir reçu passion du foot deux fois la médaille de la Fédération». Recueillis par H.A.

52- RÉALITÉS - N°1798 - Du 11 au 17 Juin 2020 Le méli-mélo CSS-Marzouki A qui profite le gâchis ?

ela ressemble à un de ces feuilletons sur fond de mé- li-mélo que le sport sait en prodiguer dans des pro- portions quelquefois aberrantes. LeC litige opposant le club phare de la capitale du Sud à son (ex ?) attaquant Alaâ Marzouki traîne en fait en longueur, au grand dam des deux parties. Depuis le début de la saison en cours, la commission des litiges relevant de la fédération tunisienne de football a re- poussé à maintes reprises (22 novembre 2019, 7 décembre 2019, 4 puis 9 janvier 2020, 29 février 2020...) son verdict dans la plainte déposée par l’ancien avant-centre clubiste, puis stadiste, lequel prétend à la résiliation du contrat le liant au Club Sportif Sfaxien après bien entendu versement des impayés de ses salaires et primes. Son nom figurait pourtant sur la liste convoquée par l’entraîneur Fethi Jebal pour effec- tuer le 4 juin la reprise des entraînements en vue de la suite de la saison. En effet, le 2 août prochain, le championnat de Ligue 1 retrouvera le fil de l’histoire (un peu perdu, tout de même, satané coronavirus oblige !) avec la 17e journée. Fidèle à sa ligne désormais immuable de boycottage, Alaâ Marzouki: du temps perdu, une carrière gâchée Marzouki ne répond pas à la convocation. Son avocat, Anis Ben Mime, argue de problèmes que rencontre actuellement ment, Marzouki n’a plus la même envie, ni le même esprit son client pour justifier son absence au moment de la reprise de corps et motivation. Son avocat dit que Alaâ n’a pas de des entraînements, le jeudi 4 juin. Une situation engendrée domicile à Sfax, alors que tout le monde sait parfaitement par les manquements du club noir et blanc à ses devoirs où il réside. L’argument nous fait rire parce qu’il ne tient contractuels, à en croire Me Ben Mime. pas debout. Quand il ne trouve pas d’argument valable, «Depuis le mois de décembre 2019, Marzouki n’a pas reçu il se rabat sur cette histoire. Au mois de janvier dernier, son salaire, déplore-t-il. Les primes de rendement des deux Marzouki a refusé d’effectuer le déplacement de Métlaoui dernières saisons ne lui ont pas été versées non plus. avec notre effectif pour une rencontre officielle. Le mois C’est un montant global de 600 mille dinars que lui doit suivant, il nous fait parvenir un certificat médical signé par en tout et pour tout le CSS. Conséquence: Marzouki ne un psychiatre. Par deux fois, on l’a convoqué devant notre possède plus de loyer à Sfax, notamment après avoir rendu conseil de discipline, mais il ne s’était pas présenté. Pour ce l’appartement à ses propriétaires. Malgré tout, son club faire, on lui a envoyé sa convocation par voie d’un huissier ne lui a pas proposé de venir s’installer dans un hôtel, par notaire qui lui avait fait parvenir la convocation jusqu’à sa exemple. Autre élément qui ne manque pas d’intriguer: la maison, à Sfax. Il n’a daigné ni effectuer une visite médicale date de la reprise des entraînements fixée au 4 juin. Mon de contrôle sous les auspices du club, ni venir s’expliquer le client ne serait pas protégé s’il reprenait à cette date-là car 3 mars dernier devant le conseil de discipline. L’argument tout un chacun sait parfaitement que le gouvernement a selon lequel, se trouvant à Tunis où il réside, il lui serait im- annoncé par le truchement du ministère des Sports que la possible de reprendre le travail le 4 juin est caduc. En effet, reprise des activités sportives en Tunisie est fixée pour le 8 tout le monde sait que, depuis le 4 juin, les déplacements juin. Autre incohérence: le Club Sfaxien paraît avoir opté entre gouvernorats sont autorisés en Tunisie». pour une nouvelle politique consistant à infliger de lourdes Un membre du bureau du CSS a remis à Marzouki un amendes aux joueurs qui peuvent parfois égaler ou dépasser chèque d’une valeur de 30 mille dinars. Malheureusement, l’impayé des salaires réclamé. Cela est contraire aux règle- notre attaquant a refusé de virer la somme dans son compte ments qui stipulent qu’une amende infligée à un joueur ne bancaire, ou rendre le chèque à notre administration, assure peut pas dépasser 50% du salaire perçu. Last but not least, de son côté le secrétaire général du club noir et blanc, Sami les chèques reçus par Marzouki sont sans provision». Bousarsar. D’ailleurs, nous avons ajouté cet argument au dossier que nous préparons devant la commission des litiges «Ni visite médicale, ni conseil de discipline» relevant de la FTF. Ayant refusé de reprendre le travail le Alaâ Marzouki se considère-t-il par hasard plus grand que 4 juin, nous allons convoquer une nouvelle fois Marzouki le CSS ? devant le conseil de discipline». C’est en tout cas ce que laisse entendre Moez Mestiri, pré- Marzouki a débarqué à Sfax le 15 janvier 2016. Personne sident de la section football au sein du bureau de Moncef n’osait alors imaginer pareille fin de relation en queue de Khemakhem quand il dit: «Aucun footballeur quel qu’il poisson... Tout simplement du gaspillage ! soit ne peut se considérer plus grand que le club. Manifeste- H.A.

Du 11 au 17 Juin 2020 - N°1798 - RÉALITÉS - 53 A l’encre vive

Le nouveau défi tunisien Mustapha Attia

a Tunisie est-elle toujours la Tunisie?! Dix munité parlementaire par l’Assemblée dont il fait longues années de braise où l’on n’en est partie, mais nos députés ne veulent pas savoir que plus si sûr. Tout ce qui est exagéré n’est pas l’immunité et l’inviolabilité parlementaires sont insignifiant.L Aussi pessimiste soit-elle, cette ques- une manifestation de la séparation des pouvoirs en tion mérite d’être posée tant est violent le vent qui même temps qu’une garantie de la démocratie. Mais souffle sur notre pays. La jeune et très vulnérable elles ne constituent en rien un régime d’impunité, a démocratie est gravement submergée par une dan- fortiori pour des actes sans lien avec le mandat par- gereuse vague populiste qui continue à mobiliser lementaire, et elles n’interdisent nullement qu’une les foules dans les rues ou dans les réseaux sociaux, poursuite soit ordonnée. Voilà ce qui arrive quand on même dans les bastions les plus solides de l’intel- nous fait croire que le Parlement est intouchable et ligentsia, attisée par la corruption, le népotisme et qu’on se laisse mener par la pleutrerie, l’ignorance et le cynisme éhonté des gouvernants. On se demande l’inculture. C’est ce qui a fait le lit des populistes qui par quel mécanisme intellectuel tant de personnes ne sont pas des démocrates mais, en voulant le faire instruites, cultivées et de bonne foi ont pu se laisser croire, c’est la démocratie même qu’ils assassinent. abuser par un mouvement démagogique qui faisait Par ignorance, bêtise ou aveuglément, probablement furieusement le Mal au nom du Bien. Soyons clairs: un peu les trois, nous continuons de vivre dans un on ne prend pas de plaisir voyeuriste à souligner ces complet déni de la réalité en confiant les clés du dérives. Mais il y va de la confiance des citoyens pouvoir aux ronchons, aux démagogues et aux te- envers leurs dirigeants. Une confiance qui est au- nants du «C’est mieux qu’avant». jourd’hui au plus bas. Il existe un lien fort entre la Où allons-nous? Nous ne le savons pas exactement montée du soupçon envers la classe politique -tous mais nous allons à pleins gaz, sans regarder derrière bords confondus- qui agirait pour d’autres intérêts ni devant. Donc désarroi et inquiétude: personne ne que celui des citoyens, et le développement de la sait plus à quel saint se vouer. Imaginons alors une frustration et de la haine. Nous ne sommes hélas, pas foule qui se lève! Notre pays en a connu d’autres, à l’abri de nouveaux délires de ce genre. «Le ventre avec le dénouement que l’on sait. Mais un peuple en- est encore fécond d’où a surgi la bête immonde», tier qui se libère d’un système politique factice, là se avertissait Bertolt Brecht, dans une réplique de sa situe le nouveau défi tunisien. C’est justement le refus célèbre pièce théâtrale «La résistible ascension d’obéissance au paradigme toxique de la démocratie d’Arturo Ui». Et Victor Hugo d’ajouter dans «Notre de confrontation et la quête d’une démocratie du dia- dame de Paris»: «Démence de s’arrêter à un milieu logue et de l’éthique qui pousseraient les Tunisiens à dans le monstrueux.» Nos députés ne sont donc pas sortir dans la rue en masse pour dénoncer pacifique- déments, malgré les apparences. Ils vont toujours ment la confiscation de leur Révolution! jusqu’au bout. À l’Assemblée, c’est un spectacle qui «Nul homme ne sait, tant qu’il n’a pas souffert de la nuit, vaut bien toute une commedia dell’arte. La carica- à quel point l’aube peut être chère et douce au cœur», ture est telle qu’on serait tenté de sourire, d’autant prophétisa Bram Stoker, dans son mythique «Dracu- que le grand nombre de nos «honorables députés» la». Ce n’était pas avant le célèbre poème de notre grand ayant fait l’objet de procédures judiciaires suffit à et prestigieux poète Abou el kacem Chebbi: «Lorsqu’un démontrer l’ampleur de la tragédie. Il est vrai que jour le peuple décide de vivre/ Force est pour le destin la Constitution interdit qu’un député ne puisse de répondre/ Force est pour les ténèbres de se dissiper/ être arrêté, détenu ou jugé qu’après la levée de l’im- Force est pour les chaînes de se briser/». n

54- RÉALITÉS - N°1798 - Du 11 au 17 Juin 2020 Forum

Incendies Khalil Zamiti

ne étrange accusation ne cesse de circuler au sujet vers la compétition liée à une société clivée. Comment d’incendies à répétition, géniteurs de soupçon. gérer une collectivité nationale régie par une Constitution La rumeur et son allégation comblent une vacui- où une prescription à ethos théocratique jouxte une codifi- téU aménagée par la disqualification de l’information. Ce- cation à doxa démocratique ? Ce thème chatouille les des- pendant, que le coupable désigné soit le responsable ou sous de tous les problèmes. pas revient au même car, au plan de l’investigation, la ru- Pareils signaux contradictoires handicapent les champs meur cligne toujours vers un référent. Toute rumeur cap- économique et politique. tive l’observateur. Elle renseigne sur les fondations de sa Conscient de ce fatras, Bourguiba, l’avocat, incarna par propagation. Ici, elle paraît avoir partie liée avec le conflit son combat l’exigence d’une loi. poursuivi entre démocrates et théocrates. Face aux enturbannés, elle aurait à statuer sur la non-assis- Pour cette raison, l’ombre de Bourguiba plane sur les dé- tance à société en danger. bats et nourrit les émois. Depuis plus d’un mois, la démul- Echaudé par les pesanteurs de l’ancienne société, vision- tiplication et la concomitance d’incendies suggèrent deux naire, ce leader hors pair scrutait le futur et adressait, à appréciations populaires, l’une à connotation politique maintes reprises, des injonctions aux prochaines généra- et l’autre à coloration économique. Celle-ci réfère par tions. Dans l’ouvrage titré « Le Désir d’Etre », Rollo May exemple à la calcination d’une locomotive, avec le soup- écrit : « Nous ne pouvons comprendre une personne que çon porté sur les routiers opposés à la concurrence du rail si nous la considérons comme en marche vers le futur ». où ils perçoivent le danger de perdre leur métier coutumier. Visionnaire, l’homme d’Etat récusait le MTI, branche tu- Lors d’une recherche appliquée, j’observai, avec mes nisienne de l’internationale islamiste. Visionnaire, le timo- coéquipiers de COMET, la même rengaine apparue entre nier percevait, déjà, la principale raison de l’actuel désar- la pose d’un gazoduc et les camionneurs de la région roi. sfaxienne. La pagaille parlementaire pointe vers l’outrecuidance des Quant à l’accusation au relent politique, elle outrepasse le Frères. Avec deux timoniers, aucun navire ne saurait avan- corporatisme et incrimine la coordination d’incendiaires cer. Masqués, les théocrates jouent aux démocrates. Mais déployés à l’échelle de la société tout entière. La rumeur nul n’est dupe de leur babil porté sur l’acceptation de l’Etat focalise l’attention sur Ghannouchi et son parti. civil, tant l’hypocrisie est l’hommage que le vice rend à La terre brûlée aurait à desserrer l’étau resserré. Pris en la vertu. Aujourd’hui, avalisée ou non, la motion débattue tenaille entre l’enclume parlementaire et le marteau levé au Parlement pour le retrait de la confiance à Ghannouchi contre lui par des figures nahdhaouies, tel Abdelkrim Ha- cligne vers le refus, bourguibien, d’accorder une légalité rouni, le président du Parlement recourt à la diversion. In- au MTI. Cette continuité atteste le malaise introduit au terviewé le 2 juin, Abdelmajid Sahnoun, vieux routier de cœur du pays par l’ainsi nommée, à tort, Ennahdha, pour la haute administration et, en autres fonctions, directeur usurper une reconnaissance nimbée d’ambiguïté. Car, n’en du programme de dégourbification me dit : « Les relations déplaise aux roublards, la démocratie n’est pas chrétienne internationales sont vitales, mais féliciter Sarraj piège la et la chrétienté n’est pas démocratique. L’une dévale du Tunisie au cas où Haftar aurait son mot à dire… Ghan- ciel étoilé quand l’autre émane de l’humanité. nouchi vient de commettre une erreur diplomatique. Pour La « démocratie » est du « kofr » pour Abou Iyadh, le plus désamorcer le tollé, il appelle au calme et à l’union sa- conséquent avec lui-même parmi les islamistes, bien sou- crée. Plusieurs l’accusent d’être derrière les incendiaires. vent takfiristes. Dans ces conditions, le soi-disant dialogue Laissez-moi tranquille ou alors… » des religions pullule de malfaçons. Pour Kilani Harrabi, Nabil Dabboussi et Dhaou Akermi, Il occupe les colloques nauséabonds au moment où, sur pratiquants réguliers, « ils veulent juger Ghannouchi et il le terrain de l’observation, le racisme blanc bloque la res- met le feu partout ». piration des noirs, du matin au soir. Fermer les yeux sur Il retrouve cet avis chez Awatef Ayadi, caissière au Mo- les agents sociaux et leur lutte pour divers enjeux pousse noprix d’El Manar 1, ou encore auprès de Samira Kéfi et l’investigation à jouer hors-jeu. Ainsi, la rumeur colportée Saïda Ayari affectées au magasin de chaussures Excel d’El en matière d’incendies impute aux nahdhaouis le recours Manar 2. au pouvoir de nuisance pour dissuader l’adversité. Peu enclins à caresser les barbes dans le sens du poil, Déjà brandi parfois, l’épouvantail laisse le choix peu sub- maints colporteurs de la rumeur orientent l’investigation til, entre le consensus et la guerre civile. n

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Un autre regard

De la philosophie du sauvetage économique ! Hakim Ben Hammouda

vec notre réussite dans la gestion et la maîtrise faut souligner que nous avons traversé d’importantes de la Covid-19, et la phase de déconfinement, crises dans l’histoire du capitalisme qui ont failli le les questions de santé publique ont commen- mettre à terre et annoncer sa fin. Ainsi, avons-nous céA à céder la place à la crise économique et sociale. connu les premières réelles difficultés du capitalisme Toutes les études ont souligné que cette crise aura des à la fin du XIXe siècle, qui a été au cœur du passage effets dévastateurs sur les économies qui ne disparaî- du régime concurrentiel au régime des grands mono- tront pas en une année, mais qu’ils vivront avec nous poles. Puis vint la crise de 1929 qui a failli emporter le durant plusieurs années. capitalisme s’il n’y avait eu le recours à une nouvelle Les pays et les organisations internationales ont mis génération de politiques de sauvetage et de gestion de au point des politiques et des réponses économiques crise qui a permis au monde de retrouver une nouvelle d’une ampleur jamais vue jusque-là, pour faire face dynamique de croissance forte et au capitalisme de aux effets destructeurs de cette crise et limiter son im- connaître son âge d’or après la Seconde Guerre mon- pact violent sur l’économie et la société. diale. La principale caractéristique de ces politiques est la Les crises du capitalisme vont s’accélérer à partir du volonté de rompre avec les politiques convention- début des années 1970. Cette nouvelle vague va com- nelles pour mettre en place de nouveaux modes de mencer avec la décision des Etats-Unis d’abandonner pensée non conventionnels afin de faire face aux effets la convertibilité du dollar en or qui aurait pu perturber de la crise. fortement la stabilité du système monétaire et financier Ces choix sont présents dans plusieurs domaines, dont international. Moins de deux ans après, on a assisté à le rôle de l’Etat qui est sorti de la neutralité dans la- la crise pétrolière suite à l’embargo opéré par les pays quelle le néo-libéralisme triomphant au début des an- de l’OPEP pour imposer une importante revalorisation nées 1980 l’avait cantonné. L’Etat s’est alors inscrit de des cours de l’or noir. manière forte dans les dynamiques économiques pour Les années 1990 et le tournant du siècle vont ouvrir la sauver les entreprises et défendre les couches sociales vague des crises financières suite à la libéralisation et les plus défavorisées. à la grande ouverture des marchés financiers. La crise Les politiques économiques ont connu une révolution des années 2008 et 2009 sera la plus importante et a sans précédent, et une rupture avec ce que les théories mis à mal de nouveau le système capitaliste. néolibérales ont considéré comme la normalité. Les Les crises se sont succédé depuis la naissance du ré- politiques budgétaires ont repris leur activisme pour gime capitaliste et ont constitué une constante qui a faire du budget de l’Etat un outil majeur dans la lutte marqué sa trajectoire historique. Elles ont des origines contre les effets de la pandémie. Par ailleurs, les poli- diverses couvrant un pan assez large allant des crises tiques se sont libérées des objectifs de la lutte contre de productivité, de l’essoufflement des systèmes tech- l’inflation pour s’ouvrir à ceux du retour de la crois- nologiques ou productifs à l’aventurisme des acteurs sance et du développement. financiers. Mais, en dépit de cette diversité, toutes ces Cette pandémie a eu des effets majeurs sur la pensée crises ont deux points communs. Le premier est relatif économique. Les programmes de sauvetage sont venus à la capacité des régimes capitalistes à y faire face et à opérer une rupture sans précédent dans les politiques mettre en place les mécanismes et les institutions pour héritées des contre-révolutions néolibérales du début en sortir avec les moindres dégâts. Ce vécu des crises des années 1980 dans la plupart des pays, mais éga- a permis à ces régimes politiques et économiques de lement dans les grandes institutions internationales, y se construire une expérience importante en matière de compris les plus conservatrices. gestion des crises pour réduire leur impact négatif sur Cette démarche est significative, de mon point de vue, les économies et la société. du fondement des philosophies du sauvetage écono- Le second point commun concerne la philosophie et les mique et des sorties de crise dans le monde moderne. Il fondements de gestion des crises et des programmes

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de sauvetage. L’ensemble de ces politiques était basé ment à ce qui se fait dans le monde entier, s’inscrit sur une idée essentielle qui concerne la rupture avec dans les politiques traditionnelles et conventionnelles. les politiques en cours et l’avènement d’une rupture Notre pays est en train de nager à contre-courant, et épistémologique avec l’ordre existant tant dans la pen- s’inscrit dans des politiques qui ont montré leurs li- sée, que dans les politiques mises en œuvre. mites dans la gestion des crises du monde d’hier. La plupart des analyses sont parvenues à la conclusion Ainsi, nos choix de politiques publiques sont-ils restés que les crises sont le résultat de l’incapacité des poli- loin des révolutions en cours et des grandes transfor- tiques en place à résorber les difficultés et les contra- mations annonciatrices du monde de demain. dictions héritées de l’ancien monde. Cette conclusion Mais, la seconde partie de notre question concerne les est à l’origine de la conviction, qui est au cœur des raisons de ce silence et de notre incapacité à innover politiques de gestion de la crise, quant à la nécessi- en dépit du fait que notre monde vit sous le poids des té de rompre avec l’ordre d’avant et de construire des révolutions et des grandes transformations. idées nouvelles pour composer avec les prémices du De notre point de vue, cinq raisons essentielles sont monde d’après qui commencent à se manifester dans derrière ce conservatisme et ce déficit d’innovations, les méandres de la crise. de quête de rêve et d’audace. La première raison est La gestion de la crise, les programmes de sauvetage et probablement liée à l’ampleur de la crise que nous la sortie du monde d’avant reposent sur l’idée et de la connaissons qui est la plus importante dans notre his- philosophie de la rupture et d’une révolution avec le toire politique postindépendance. Cette ampleur est monde d’avant afin de construire le monde de demain. derrière les peurs et les angoisses de nos décideurs, Ce choix épistémologique constitue le fondement des qui se trouvent tétanisés devant la gravité de la tâche. politiques de gestion dans toutes les crises et que nous Ils se réfugient alors dans les politiques et les choix trouvons aujourd’hui de manière évidente dans les po- hérités du passé pour fuir les turbulences du nouveau litiques mises en place par les pays ainsi que les insti- monde. tutions internationales dans la lutte contre les effets de Le second élément qui explique le conservatisme de la pandémie. nos choix est lié à la compétence et à la capacité à défi- La question qui se pose aujourd’hui est de savoir où nir des politiques non conventionnelles. Pour sortir de nous en sommes par rapport à ces choix et aux révo- cette impasse, beaucoup de pays ont trouvé des solu- lutions en cours, où nous nous trouvons par rapport tions, comme celle imaginée par le Président Macron, à ces démarches et aux réflexions en cours dans les qui a mis en place une commission composée des plus programmes de sauvetage de l’économie. importants économistes, afin de l’aider à réfléchir le Il n’est pas facile d’évoquer une conception claire et monde d’après et les politiques à mettre en place. une philosophie générale pour notre programme de La troisième raison de mon point de vue est liée à l’ab- sauvetage. Les déclarations officielles se sont -limi sence d’une mémoire collective des crises dans notre tées à quelques principes généraux qui ne peuvent pas pays. Cette crise est la plus grave dans notre histoire constituer une vision ou un projet aux contours précis. récente et l’absence d’une mémoire collective ne fa- Mais, nous pouvons rassembler quelques éléments de vorise pas la conception de nouvelles solutions et de ces déclarations qui nous informent sur les choix et nouveaux projets. les orientations des politiques post-Covid-19. Nous La quatrième raison concerne la domination des idées pouvons souligner la faiblesse des politiques et des et des conceptions économiques classiques qui li- interventions en faveur de l’économie pour soutenir mitent la capacité d’innovation et de quête de solutions les couches sociales défavorisées. Par ailleurs, on nouvelles. peut également évoquer l’interventionnisme limité de La cinquième raison est liée à l’influence grandissante l’Etat dans les politiques de sauvetage de l’économie. des institutions internationales dans la définition des Mais, la question la plus cruciale concerne le projet de grands choix de nos politiques économiques et qui dé- réduire fortement le programme d’investissement pu- fendent les choix les plus conventionnels et les plus blic afin de conserver les grands équilibres macroéco- classiques. nomiques. On peut également souligner les choix de la Notre pays traverse aujourd’hui la crise la plus pro- politique monétaire qui a continué à défendre le prin- fonde de son histoire politique et économique. Cette cipe du refus du financement direct au budget de l’Etat situation a renforcé la faillite du contrat social. Cette en dépit de la crise sans précédent de nos finances pu- crise exige des solutions nouvelles et audacieuses. Le bliques, et la disposition de nos partenaires, y compris plus important aujourd’hui, ce sont la philosophie et les plus conservateurs à nous appuyer dans la mise en les fondements des politiques de sauvetage et de ges- place de ces choix non conventionnels. tion de la crise qui doivent s’inscrire dans les révolu- Ces choix de politiques économiques montrent que la tions et les transformations en cours afin de construire philosophie du sauvetage dans notre pays, contraire- le monde post-Covid-19. n

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