Louis De Rohan. Le Cardinal "Collier"
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LOUIS DE ROHAN, le cardinal « collier » ÉRIC DE HAYNIN LOUIS DE ROHAN le cardinal « collier » PERRIN Librairie Académique Perrin, 1997. ISBN 2.262.01277.6 Introduction Le cardinal de Rohan est généralement présenté comme un prélat dégénéré et stupide, sinon malhonnête, qui, par sa faute, aurait contribué à l'effondrement de la monarchie et à la haine de l'opinion publique pour Marie-Antoinette. Il est de ces personnages historiques dont la vie et l'œuvre auront été résumés en un seul épisode de leur existence, en l'occurrence l'affaire du Collier de la reine. C'est pour corri- ger cette vue réductrice que nous avons écrit cette bio- graphie. Mais rappelons en quelques mots l'affaire. En 1785, le cardinal de Rohan est arrêté dans la galerie des Glaces de Versailles. Le roi vient d'apprendre que ce prélat a commandé auprès des bijoutiers de la Couronne un fabu- leux collier, en se présentant comme mandataire de la reine. Un procès retentissant s'ensuit, qui mettra au jour l'habile escroquerie d'une aventurière, Jeanne de La Motte, qui, au moyen de lettres apocryphes et de rendez- vous nocturnes, a fait croire au cardinal que, forte de la confiance de Marie-Antoinette, elle obtiendrait pour lui les plus beaux avancements. Le Parlement, saisi de l'affaire, décide finalement d'acquitter Louis de Rohan. Parce que cette incroyable escroquerie a touché la reine quatre ans seulement avant la Révolution, nombre de mémorialistes et d'historiens y décèlent une des causes de la tempête de 1789. Pour les auteurs, le cardinal s'efface bien vite au profit (ou au détriment) de Marie-Antoinette qui cristallise tant de passions et de clichés. Déjà, les contemporains de l'affaire ont noirci des mil- liers de pages sur le thème. Les tenants des idées nouvelles en profitent pour accabler la souveraine de tous les maux et faire du cardinal un martyr, lorsque les polémistes de tout poil ne tourneront pas l'événement en conte porno- graphique. Tout est bon à prendre dans cette histoire du Collier. Il y a du pouvoir, de l'argent, du sexe, des impos- tures et du scandale. Comble d'excitation, le fameux collier n'a jamais été retrouvé, ce qui pousse certaines imagina- tions à des exercices de haute voltige. Mme Campan, lectrice de la reine, s'est longuement étendue dans ses Mémoires sur l'affaire du Collier. Elle inaugure la liste de ceux qui, dans le souhait d'innocenter Marie-Antoinette, se sentiront obligés de détester le cardi- nal de Rohan. Autre témoin, le comte Beugnot, de manière certes plus nuancée, apporte sa pierre à l'édifice. Dans cette clameur générale, seuls les Mémoires de l'abbé Georgel, homme de confiance du cardinal, viennent appor- ter un contre poids. De par la personnalité de son auteur, ils seront toutefois longtemps considérés comme hautement suspects, sans doute à tort. Au XIX siècle, Michelet et les écrivains républicains se régaleront de cette histoire, par laquelle ils entendent prou- ver le pourrissement de l'Ancien Régime, et la nécessité absolue d'en finir avec une monarchie dévoyée. Dans cette thèse, Marie-Antoinette seule est visée; Rohan apparaît à peine, réduit au rôle ingrat d'un grand seigneur imbécile, involontaire dynamiteur de sa caste. Les frères Goncourt se situent dans le camp adverse. Dans leur Histoire de Marie-Antoinette, ils défendent bec et ongles la mémoire de la reine martyre, décrivant le cardinal comme manquant « absolument de ce sang-froid de la rai- son et de ce contrôle du bon sens qui est la conscience et la règle des actes de la vie ». Il faut attendre 1863 et l'ouvrage d'Émile Campardon pour trouver un exposé minutieux et plus impartial de l'affaire. Hélas, la trêve est de courte durée : alors que se joue le devenir de la France, entre les tenants de la III République et les royalistes, la dramatisation des événements de la Révolution et de tout ce qui touche à la reine reprend de plus belle. Toutefois, Frantz Funck-Brentano publie en 1901 son Affaire du Col- lier, qui fait date Sur un ton agréable, il entend raconter dans tous les détails les dessous de l'escroquerie. Charles Maurras applaudit, s'écriant que « la mémoire de la reine sort intacte du minutieux examen de M. Funck-Brentano ». L'historien Émile Kahn y voit « un monument à la gloire de Marie-Antoinette », où « les citations sont souvent inexactes », lorsque « d'autres, gênantes, sont omises à des- sein 4 ». En 1918, Munnier Jolain publie le Cardinal Collier et Marie-Antoinette, qui est une véritable anthologie de l'écrit haineux, partial et inexact. Rohan y est traîné dans la fange avec un acharnement qui n'aide guère à la crédi- bilité de l'ouvrage. Marcel Boutry, à la même époque, innove en abordant un cardinal de Rohan inédit, puisque étudié durant son ambassade à Vienne (1770-1774) Mais l'obsession reste la même : noircir jusqu'au non-sens le prélat, pour mieux exalter la mémoire de la reine. On aurait pu espérer qu'avec le XX siècle, un souci plus scientifique d'aborder l'Histoire et surtout un plus grand recul par rapport aux événements contribuent à restaurer une certaine sérénité. C'est du moins ce que respire l'ouvrage de Louis Hastier, La Vérité sur l'affaire du Collier. Mais ces derniers temps, un goût furieux pour l'ésotérisme et les complots occultes a de nouveau contribué à brouiller l'Histoire. En 1981, Nesta Webster publie une Marie-Antoinette intime qui ne craint pas d'affirmer que l'affaire du Collier n'est qu'un élément d'une gigantesque entreprise maçonnique de déstabilisa- tion de la monarchie, dont le cardinal aurait été la taupe. On y lit, au hasard, le dépit de voir que « les Juifs avaient toujours favorisé cet évêque [qui] allait dans leur syna- gogue 7 » et qu'il est regrettable, dans un souci d'éviter la Révolution, que le cardinal ne soit pas resté quelques années de plus enfermé à la Bastille ! En 1986, M. de Boistel prend le relais, avec Un faux mystère, l'affaire du Collier. Le complot maçonnique est plus que jamais à l'ordre du jour, et les invraisemblances s'accumulent. Le cardinal de Rohan par exemple savait, selon l'auteur, que le rendez-vous nocturne avec la reine était une super- cherie, mais s'y serait tout de même rendu, pour nuire ultérieurementscandale serait àéventé la réputation ! de la souveraine lorsque le Il faut raison garder. On peut imputer au cardinal sa vanité et sa naïveté qui en ont fait la dupe d'aventuriers, mais on ne saurait lui reprocher l'intention de nuire à Marie-Antoinette. Toute sa vie prouve justement le contraire. Et si nous avons choisi de la raconter c'est parce qu'il nous est apparu que Louis René Édouard de Rohan, prince évêque de Strasbourg, méritait mieux que de n'être évoqué qu'au travers de l'affaire du Collier. L'homme a vécu de 1734 à 1803, il a été très jeune pro- mis à une grande carrière ecclésiastique, il a fréquenté les plus grands esprits du siècle ; il a été, en tant qu'ambassa- deur extraordinaire à Vienne, témoin privilégié du premier partage de la Pologne. Cardinal et souverain d'une princi- pauté à cheval sur la France et le Saint Empire, il a été, à ce titre, un prince européen avant l'heure. Député à l'Assem- blée nationale, adversaire déclaré de la Constitution civile du clergé, batailleur opiniâtre de la Contre-Révolution, il fut victime dans ses dernières années de l'effondrement du millénaire Empire romain germanique sous les coups de Bonaparte. Tout cela, sur lequel aucun ouvrage à notre connaissance n'avait apporté d'étude complète, méritait que l'on s'inté- ressât à lui de plus près. D'autant que l'on ne s'ennuie jamais avec ce personnage. Son appartenance au puissant et orgueilleux clan des Rohan, son caractère exalté et curieux de tout, la magnificence de son style de vie nous plongent dans l'éclat, les engouements et les arcanes de l'Ancien Régime finissant. On croise Cagliostro, l'étrange mage au bagou légendaire, des hommes masqués et des courtisanes effrontées, mais on traverse aussi des heures graves au cours desquelles la force de sa conviction, sa fidé- lité au roi et à Rome font oublier sa légèreté et ses inconsé- quences passées. Ainsi, l'affaire du Collier, qui n'a occupé que cinq années d'une vie autrement bien remplie, est-elle replacée dans son juste contexte. Carte de la principauté de Strasbourg 1 « Roy ne puis, prince ne daigne, Rohan suis ! » Le XVIII siècle a ceci de fascinant que même les choses les plus cruelles peuvent y revêtir un aspect de légèreté, d'insouciance et de style. En 1734, l'Europe, comme à son habitude, est en guerre. Une guerre en dentelles, avec ses morts et ses dévastations, mais aussi ses rebondissements exquis. La raison? La Pologne. Déjà. Le beau-père de Louis XV, Stanislas Leszczynski, a été élu roi mais s'est vu aussitôt attaquer par les Russes et les Autrichiens qui n'en voulaient pas. Le roi de France, en bon gendre, est inter- venu, et l'on se bat sur le Rhin comme en Italie. Assiégé par les Russes dans Dantzig, Stanislas s'est enfui déguisé en matelot à travers les lignes ennemies. En Italie, le maréchal de Broglie s'est sauvé pieds nus dans la rivière après avoir été surpris par les troupes impériales. On rapporte qu' « il n'y avait rien de plus plaisant à voir que les hussards autri- chiens qui s'étaient parés des habits galonnés des officiers français 1 * ».