QUI ÉTAIT JOSEPH-PIERRE FRENAIS ? Apparemment Frenais
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4_le_desordre 8/12/06 13:58 Page 257 QUI ÉTAIT JOSEPH-PIERRE FRENAIS ? Apparemment Frenais qui envoie des notes au Contrôleur général Turgot et Frenais homme de lettres, traducteur de Sterne, sont le même homme : mais le personnage demeure énigmatique, on a du mal à lier les deux carrières 1 ; pour- tant ce « conseiller technique » de Turgot ne manque pas d’une certaine allure. 1752-1776 Nous ignorons la date de naissance de Frenais, probablement entre 1725 et 1730 ; il est né à Fretteval, près de Vendôme, son père, Joseph Frenais, était receveur des terres du Plessis en Vendômois 2. On ne sait où il a fait son éducation ni où il a pris ses connaissances juridiques 3. C’est apparemment un homme de lettres 4 : il publie des traductions de l’an- glais, de l’allemand, en 1769 il traduit le Voyage sentimental de Sterne ; en 1776 La vie et les opinions de Tristram Shandy 5. Mais cette activité littéraire devait en cacher d’autres ; il a d’abord travaillé chez des notaires à Paris (il a été de 1752 à 1757 maître clerc chez deux notaires) et en 1757 on le trouve associé à un anglais protégé par les Trudaine, Michel Alcock, qui fonde la manufacture royale de quincaillerie à l’anglaise de 1. Le personnage a joué de malchance, ceux qui s’intéressent à Turgot l’ignorent (et Turgot n’a pas pris de décisions monétaires importantes), les amateurs d’autographes n’ont pas retrouvé ses manuscrits (sans doute dispersés à la mort de la veuve), et l’on ne considérait plus que l’homme de lettres, connu par les dictionnaires biographiques (ainsi la Biographie Michaud, t. XVI, 1816, p. 42). 2. D’après le contrat de mariage, Archives Nationales, Minutier central des notaires, Étude V, 21 sep- tembre 1778. Un de ses cousins s’appelle Bardet, cet avocat est dit « ancien contrôleur général des Ponts et Chaussées ». 3. Apparemment il n’était pas avocat à Paris, même si une note du 2 avril 1789 indique qu’il avait « suivi le barreau » (infra, p. 265). 4. A. Cioranescu donne l’essentiel de son œuvre (Bibliographie de la littérature française du dix-huitième siècle, t. II, 1969, p. 825). Mais il est difficile de savoir s’il n’a pas, comme bien d’autres, publié des ouvrages anonymes. 5. Nous donnerons infra, p. 266-267, la liste des ouvrages qu’on attribue à Frenais. 4_le_desordre 8/12/06 13:58 Page 258 258 Le conseiller de Turgot La Charité-sur-Loire, il assure la gestion d’Alcock, Frenais et compagnie 6 ; mais à la suite d’intrigues de nouveaux associés, il doit, en 1760, quitter la direction de la société (Alcock sera éliminé en 1762) ; il crée, avec un maître-doreur, Ricard, une manufacture de boutons à Paris en 1762 7. C’est en dirigeant la manufacture de La Charité qu’il a acquis une bonne habitude des affaires et cette science de la métallurgie que l’on retrouve dans ses Mémoires sur la monnaie 8. Nous ne savons ce qu’il fit entre 1762 et 1774. Une note des bureaux du Contrôle général en avril 1789 (infra, p. 265) indique que « il avoit été rapproché de Turgot par ses connoissances en administration » : phrase quelque peu mys- térieuse. Peut-être s’agit-il de sa traduction de Young, Le guide du fermier, 1770, ou de petits « traités » qu’il a publiés sur l’art de faire de la bière ou la fabrica- tion du pain de pommes de terre. Mais apparemment il n’envoie de notes à Turgot et n’est consulté sur les monnaies que de février à avril 1776, soit pendant trois mois : c’est un « officieux », sa liberté d’expression est grande, il n’hésite pas, nous l’avons vu, à mettre en cause des personnalités 9, il se moque de l’abbé Bossut (ami de Turgot) 10, il semble jouir d’une certaine confiance (qui le proté- geait ? une amie de Turgot ?) 11. Pour le moment nous ne savons pas les liens qui pouvaient exister entre le Contrôleur général et lui 12. Or de son expérience de « conseiller technique » et de son savoir technique sur les monnaies, il va tirer deux mémoires généraux, qui examinent l’ensemble de la politique monétaire : à qui étaient-ils destinés ? Le « premier mémoire », qui 6. Il possède 3 sols dans la société (sur 24), il assure l’administration et gère l’entrepôt de Paris. Il exer- çait une grande influence sur Michel Alcock (il « gouverne en entier (l’esprit) d’Alcock », note le subdé- légué de La Charité), un ingénieur qui connaissait mal la France. Nous avons retrouvé quelques dossiers (avec des lettres de Frenais) aux Archives de la Nièvre, C 11 et 12, cf. « A propos de Joseph-Pierre Frenais à la manufacture royale de La Charité (1758-1760) », Marteau-Pilon, t. XVI, 2004, p. 49-56 avec une lettre de Frenais à Trudaine. Il semble bien que Frenais, fort de son expérience notariale, ait amené des « capitalistes » parisiens à la société. 7. Au faubourg Saint-Antoine. La manufacture semble péricliter rapidement, il avait débauché de bons ouvriers de La Charité, ce qui provoqua de vives protestations de la nouvelle direction de la manufacture de La Charité. Sa connaissance des milieux de l’orfèvrerie tient sans doute à cette expérience. Il semble- rait qu’il ait été aussi associé à une manufacture à Essonne. 8. Dans les Mémoires (supra, p. 209, 232, 240) il fait longuement allusion à la manufacture de La Charité, à Vatrin et à ses laminoirs pour la fabrication des boutons : or, chose étrange, on ne trouve pas, dans les dossiers concernant cette manufacture aux Archives de la Nièvre, le nom de Vatrin. 9. Il attaque Fargès (ami de Turgot) et les bureaux du Contrôle général. 10. Supra,p.7. 11. Turgot avait des réseaux d’amitiés compliqués, les femmes y jouaient un grand rôle. Mais Frenais peut avoir été introduit par Trudaine de Montigny (il avait connu Trudaine père et Trudaine fils quand il dirigeait la manufacture de La Charité, infra, p. 277). 12. La note ci-dessous, p. 263, apparemment de Turgot, montre qu’il avait une certaine estime pour les travaux de Frenais. 4_le_desordre 8/12/06 13:58 Page 259 Qui était Joseph-Pierre Frenais ? 259 est daté de 1778, a-t-il été remis à Necker ? Nous ne pouvons le savoir, mais apparemment il a gardé des liens avec le Contrôle général en 1776-1778 13. 1776-1788 Que devint Frenais après la chute de Turgot ? Nous n’en avons qu’une idée floue (il continue à donner des contes et traductions : en 1780 il publie à Strasbourg et à Paris Edelzinde, fille d’Amalazonte, reine des Goths, en deux volumes…). Mais nous avons pu retrouver sa piste d’après les archives notariales, qui donnent des éclairages très différents. Première direction : Frenais était ami du comte de Milly (1728-1784), membre de l’Académie des Sciences 14, qu’il recommande, dans un mémoire à Turgot, pour le poste de professeur de métallurgie 15. Dès novembre 1776 il est mêlé à diverses opérations pour exploiter un privilège obtenu par le comte de Milly, en faveur de l’eau de salubrité préventive et curative pour toutes les mala- dies vénériennes 16 ; Milly l’avait fait expérimenter avec soin sous l’égide du comte de Saint-Germain. Le privilège est accordé en 1772, en 1776 Milly constitue une société 17, sur 40 sols il en prend 18 et Joseph-Pierre Frenais, « bourgeois de Paris », est le caissier de la société et reçoit 5 % du produit avant le partage entre les intéressés. Mais en septembre 1780 la société est dissoute 18 ; Frenais n’est plus le caissier depuis la fin 1777, mais il a encore 4 sols dans la nouvelle société. On peut supposer qu’il n’a été dans cette affaire que l’homme de confiance de Milly 19. 13. Une note pour Necker en 1789 (infra, p. 265) semble indiquer que Frenais était protégé de Bouvard de Fourqueux (1719-1789), qui était l’ami de Turgot et de Du Pont, mais Fourqueux était aussi bien vu par Necker, qui le nomma Président du Comité du contentieux des Finances en avril 1777. 14. On ne possède aucune étude sur De Thy, comte de Milly, mestre de camp de cavalerie jusqu’en 1762. Notons que Milly s’était intéressé au platine : Tillet raconte que Milly lui donna en 1777 un « mor- ceau de platine ductile qu’il avait obtenu de ses expériences sur ce métal et dont il s’était servi avec succès pour différents ouvrages de bijouterie » (Mémoire sur le moyen de faire le départ d’un grand nombre d’essais d’or…). 15. Supra,p.66. 16. Milly prétendait avoir découvert dès 1752 cette eau de salubrité, et voulait même en vendre le secret à Catherine de Russie… Le privilège du 1er mars 1772 fut enregistré au Parlement le 1er septembre 1773 et déposé chez le notaire le 23 novembre 1776 (Archives Nationales, Minutier central des notaires, Étude XCV, 349). 17. Ibidem, 19 novembre 1776. Frenais possédait 1 sol 1/2 (il habitait alors rue du Vieux Colombier). 18. Archives Nationales, Minutier Central des notaires, Étude XCV, 367, 7 septembre 1780. 19. Le comte de Milly avait, dit-on, trop confiance dans ses remèdes secrets : « Après les avoir ana- lysés, il voulut en faire l’essai. Sa constitution naturellement robuste fut altérée par ses expériences… ». 4_le_desordre 8/12/06 13:58 Page 260 260 Le conseiller de Turgot Deuxième direction : en 1778 Frenais se marie avec Ursule Perreau, fille majeure, née à Vermanton dans le diocèse d’Auxerre 20.