Louis Xiv Et Sa Cour Avant Versailles
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LOUIS XIV ET SA COUR AVANT VERSAILLES Le 22 avril 1682, le marquis de Sourches notait dans ses Mémoi res : « Le Roi quitta Saint-Germain, dont les bâtiments qu'il y faisait (1) commençaient de rendre^ le séjour incommode et vint s'établir à Saint-Cloud, dans la belle maison de Monsieur, son frère unique, jusqu'à ce que ses appartements de Versailles fussent en état d'être habités ». Et le marquis ajoutait le 6 mai : « Le Roi quitta Saint-Cloud pour s'établir à Versailles, où il souhaitait d'être depuis longtemps ». Trente-neuf ans s'étaient écoulés, depuis que, le 21 avril 1643, quelque trois semaines avant la mort de Louis XIII, Louis XIV avait été solennellement baptisé dans la chapelle de ce château vieux de Saint-Germain élevé par François Ier. On avait « nommé » l'en fant, car seulement ondoyé lors de sa naissance le 5 septembre 1638, il ne portait pas encore de nom de baptême. Conduit, après la céré monie, au château de Saint-Germain, que Henri IV avait bâti et dont les terrasses étagées dominaient la Seine, il avait été accueilli par cette question de Louis XIII : « Comment vous appelez-vous à présent ? » Et il avait répondu : « Je m'appelle Louis XIV, mon papa. — Pas encore, avait repris Louis XIII, mais ce sera bientôt. » Louis XIV se souvenait parfaitement des années d'enfance passées au Palais-Cardinal, que Richelieu avait légué au feu Roi. Dès l'automne qui avait suivi la mort de Louis XIII, Anne d'Autri che, dégoûtée du Louvre encore à demi féodal, de ses ponts-levis, des tours qui le flanquaient à l'est, à l'ouest et au nord, s'y était installée. La belle maison à la mode, bâtie par le feu ministre, lui (t) « Cinq pavillons en saillie au château vieux de Saint-Germain » (Notes des Mémoires de Sourches). LOUIS XIV ET SA COUR 399 avait paru plus attrayante que le vieux château des rois de France. La Régente avait occupé le glorieux appartement dont les fenêtres et les balcons, munis de balustres de fer ciselé, donnaient sur le jar din, charmant en ce début d'octobre avec ses fleurs, ses eaux, et la parure automnale de son bosquet. Le Palais-Cardinal était devenu le Palais-Royal. Louis XIV n'avait pas oublié la salle de bain dorée, décorée de fleurs, de chiffres, d'allégories et de paysages, ni l'oratoire illustré de tableaux où Philippe de Champagne, Vouet, Bourdon, Stella, Lahire, Corneille, Dorigny et Paerson avaient peint la vie de la Sainte Vierge. C'était dans cet appartement qu'il avait vu la Reine, vêtue de sa robe de chambre, prendre son déjeuner, — un plantureux petit déjeuner qui convenait à sa santé admirable et qui se composait d'un bouillon, de côtelettes, de saucisses et de pain bouilli. C'est là qu'à l'âge de neuf ans, il présentait la chemise à sa mère, qui le baisait tendrement et s'habillait pour aller à la messe. Qui d'entre nous n'a entendu répéter dès son enfance ce pro verbe : La façon de donner vaut mieux que ce qu'on donne ? Cet alexandrin est en général séparé de celui qui doit le précéder : Tel donne à pleines mains qui n'oblige personne. L'un et l'autre sont de Corneille et ils ont été prononcés pour la première fois sur la scène au début de la comédie du Menteur, en 1642. Le fils aîné de Louis XIII n'était encore que dans sa cinquième année. Je ne pense pas qu'il ait connu alors ces deux vers. Il n'avait pas d'ailleurs besoin qu'on les lui commentât et il avait sans doute deviné lui-même la vérité proclamée par le valet de Dorante.: Rien ne le prouve mieux qu'une anecdote rapportée par Marie Dubois, seigneur de Lestourmière et du Poirier qui fut gentilhomme servant du Roi, valet de chambre de Louis XIV, comme il l'avait été de Louis XIII et qui a laissé un manuscrit intitulé Mes petites curiosités, sept cents pages in-8° publiées en 1936, par M. Louis de Grandmai- son. Ces petites curiosités, le temps leur a donné de la couleur, et leur intérêt est grand. Le 20 janvier 1647, au Palais-Royal, la Régente s'en est allée dîner, car il est midi : Louis XIV regarde, dans le jardin, par la 400 , LA REVUE fenêtre ouverte, « un soldat qui joue de l'épée à deux mains ». Il dit au maréchal de Vjlleroy, son gouverneur : « Voyez-vous ce soldat-là ? Il ne fait pas cela pour rien ? — Non, Sire, répond le maréchal, il faut lui donner quelque chose. » Et se tournant vers les valets de chambre : « Qui a une demi-pistole la prête au Roi. Je la lui ferai rendre. — Oh ! ce n'est pas assez, Monsieur, observe l'enfant : il faut lui donner davantage. » Le maréchal n'est pas de cet avis : « Voulez-vous que je vous dise ? reprend Louis XIV. Pour ce soldat c'est véritablement assez et pour vous, si c'était vous qui la donnas siez : mais pour moi, ce n'est pas assez, il faut qu'il ait la pistole entière. — Le Roi est charmant, on ne peut rien lui refuser », remarque à part soi M. du Poirier. Le maréchal en effet ne refuse pas et le valet de chambre est « si aise que son maître raisonne de la sorte qu'il en pleure d'admiration ». Quarante-cinq années plus tard à Versailles, l'enfant, devenu depuis longtemps le Roi Soleil, n'aura pas changé sa façon de donner. Le 25 décembre 1692, il avait résolu de pourvoir du gouvernement de Péronne, le comte de Ligneris, premier lieutenant de ses gardes du corps et brigadier de ses armées. Ligneris étant alors en quartier, le Roi marchait à côté de lui pour se rendre de son appartement à celui de Mme de Maintenon : « A propos, Ligneris, commença-t-il, j'ai oublié de vous dire qu'il y a trois jours que je vous ai donné le gouvernement de Péronne ; j'en ai séparé le gouvernement de Montdidier, mais ce n'est pas une affaire pour vous, car cela ne vaut / que huit à neuf cents livres de rente. » Le marquis de Sôurches, qui nous conte cette scène dans son Journal, ajoute : « Ligneris lui fit ses actions de grâces avec tout le ressentiment que méritait un pré sent si considérable et si peu attendu de sa part, et le Roi, ayant marché quelques pas, se tourna une seconde fois vers lui et lui dit : « Vous avez cru pendant quelque temps que je vous avais oublié, mais je ne vous ai jamais oublié et je vous ferai connaître en toutes occasions Vestime que fai pour vous ». Ligneris ne put répondre à cela que par un profond abaissement, qui lui coûta plus qu'à un autre, parce qu'il était le plus grand homme de France. Ensuite le Roi fit encore trois ou quatre pas et se retournant une troisième .fois vers lui : « Ligneris, lui dit-il, ce n'est pas la peine de vous faire un présent à demi, je rejoins en votre faveur au gouvernement de Péronne le gouver nement de Montdidier. » Le marquis de Sôurches rapporte une autre scène du même genre qui eut pour théâtre la chambre de Louis XIV à Marly le 10 février LOUIS XIV ET SA COUR 401 1696, après le lever. Le marquis de Cavoye est tête à tête avec le Roi qui l'a fait appeler et qui lui parle ainsi : « Cavoye, il y a trop longtemps que nous nous connaissons pour nous séparer, je ne veux pas que vous me quittiez, et si vous souhaitez du bien pour votre femme, nouB trouverons aisément les moyens de vous mettre l'esprit en repos.-— Ah ! Sire, lui répond Cavoye en se jetant à ses pieds, je ne marchande point avec Votre Majesté et je me rengage à son service avec joie pour toute ma vie. » LeTftoi le releva avec bonté et lui tint encore « plusieurs discours pleins d'amitié et de marques d'estime ». De tels exemples ne sont point rares dans les Mémoires du duc de Saint-Simon, dans le Journal du marquis de Dangeau ou celui du marquis de Sourches : « Jamais, dit Saint-Simon, personne ne donna de meilleure grâce et n'augmenta tant par là le prix de ses bienfaits ; jamais personne ne vendit mieux ses paroles, son sourire même, jusqu'à ses regards. Il rendit tout précieux par le choix et la majesté, à quoi,la rareté et la breveté de ses paroles ajoutait beau coup ». — « Une manière de faire des grâces, notait à son tour La Bruyère, qui était comme un second bienfait. » Et ici, l'auteur des Caractères ne peut nous cacher qu'il avait lu le remerciement adressé en 1643 par Corneille au cardinal Mazarin en tête de la tragédie de Pompée : Sa façon de bien faire est un second bienfait. Savoir donner est plus aisé que savoir refuser. Louis XIV savait l'un et l'autre : « Notre Prince île fait rien qui ne soit orné de grâces, soit qu'il donne, soit qu'il refuse, déclare le bon La Fontaine dans son remerciement à l'Académie française ; car outre qu'il ne refuse que quand il le doit, c'est d'une manière qui adoucit le chagrin de n'avoir pas obtenu ce qu'on lui demande. » C'est dans le jardin du Palais-Royal que, le 11 avril 1647, Louis XIV avait fait une promenade en « automobile », « un certain carrosse à ressorts, dans lequel le Roi et Mgr d'Anjou, son frère (1), se promenèrent.