Seurat

Galeries nationales du Grand Palais Paris 9 avril-12 août 1991

Réunion des musées nationaux Cette exposition a bénéficié du soutien d'aerospatiale et d' ==

Elle a été organisée par la Réunion des musées nationaux / musée d'Orsay et le Metropolitan Museum of Art de New York, avec le concours, pour Paris, des équipes techniques du musée d'Orsay, du musée du Louvre et des Galeries nationales du Grand Palais

La présentation en a été conçue par Benoît Crepet et Vincen Cornu L'exposition sera présentée du 9 septembre 1991 au 12 janvier 1992 au Metropolitan Museum of Art de New York

Traduction : Geneviève de la Coste Messelière et Olivier Meyer Couverture : Parade de cirque (détail) New York, The Metropolitan Museum of Art ISBN 2.7118.2440 3 0 Éditions de la Réunion des musées nationaux Paris, 1991 49, rue Étienne Marcel, 75001 Paris cg The Metropolitan Museum of Art, New York, 1991 Commissariat général : Françoise Cachin Directeur du musée d'Orsay, Paris Robert L. Herbert Professeur au Mount Holyoke College

Commissaires : Anne Distel Conservateur en chef au musée d'Orsay Gary Tinterow Conservateur associé au département des peintures européennes du Metropolitan Muséum of Art de New York

Administrateur des Galeries nationales du Grand Palais : Gaïta Leboissetier Que toutes les personnalités qui ont permis par leur généreux concours la réalisation de cette exposition trouvent ici l'expression de notre gratitude, ainsi que toutes celles qui ont préféré garder l'anonymat.

Nos remerciements s'adressent également aux responsables des collections suivantes : Belgique Doornik-Tournai Musée des Beaux-Arts Brésil Rio de Janeiro Museu da Chàcara do Céu Etats-Unis Baltimore Baltimore Museum of Art Buffalo Albright-Knox Art Gallery Cambridge Harvard University Art Museums Chicago Art Institute of Chicago Cleveland The Cleveland Museum of Art Detroit Detroit Institute of Arts Glens Falls The Hyde Collection Indianapolis Indianapolis Museum of Art Kansas City Nelson Atkins Museum of Art Malibu The Paul Getty Museum of Art Minneapolis The Minneapolis Institute of Arts New H aven Yale University Art Gallery New York The Metropolitan Museum of Art New York Museum of Modern Art New York Solomon R. Guggenheim Museum Northampton Smith College Museum of Art Philadelphie Japon Philadelphia Museum of Art Nagoya Providence Fuji Country Rhode Island School of Design San Antonio Pays-Bas Marion Koogler Mc Nay Art Museum Amsterdam San Francisco Rijksmuseum Vincent Van Gogh The Fine Arts Museum Saint Louis Suède The Saint-Louis Art Museum Stockholm Washington National Museum Phillips Memorial Art Gallery Washington Suisse Dumbarton Oaks Collections Bâle Washington Kunstmuseum Basel National Gallery of Art France Bordeaux Musée des Beaux-Arts Nevers Musée municipal Frédéric Blandin Saint-Tropez Musée de l'Annonciade Troyes Musée d'Art moderne Paris Musée du Louvre Paris Musée d'Orsay Paris Musée Picasso

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Sommaire

Philippe de Montebello et Jacques Sallois 296 1886-1888 11 Préface Françoise Cachin Françoise Cachin 309 Poseuses, 1886-1887 13 Seurat en France Gary Tinterow Robert L. Herbert 336 Le Café-concert, 1886-1888 19 Introduction Gary Tinterow Anne Distel 347 Parade de cirque, 1887-1888 31 Chronologie 361 Port-en-Bessin, 1888 45 Catalogue rédigé par Robert L. Herbert 372 1889-1890 sauf indications contraires 386 Chahut, 1888-1890 47 Note à l'attention du lecteur 398 Gravelines, 1890 49 Origines et formation de Seurat Anne Distel 73 Dessins indépendants, 1881-1884 409 Cirque, 1890-1891 79 Personnages 116 Paysages Robert L. Herbert 423 Annexes 141 Peintures indépendantes, 1879-1884 449 Bibliographie 180 Une baignade, Asnières, 1883-1884 204 Un dimanche à la Grande Jatte, 1884 457 Expositions 257 1884-1886 461 Index des noms cités 271 Marines 274 Grandcamp et Honfleur, 1885-1886

Préface

A l'occasion du centenaire de la mort de , la Réunion des musées nationaux français et le musée d'Orsay se sont associés avec le Metropolitan Museum of Art pour organiser la vaste rétrospective qu'il est enfin possible de présenter des deux côtés de l'Atlantique. Cette première manifestation d'envergure organisée en France, à Paris, lieu de naissance et de mort de l'artiste, a réuni le professeur Robert L. Herbert, spécialiste de longue date de Seurat et principal rédacteur du catalogue, Françoise Cachin et Anne Distel pour le musée d'Orsay, et Gary Tinterow et Susan Alyson Stein, pour le Metropolitan Museum of Art. De grands chefs-d'œuvre comme Parade, Cirque, Jeune femme se poudrant, ou une exceptionnelle série de paysages maritimes témoignent des ambitions picturales de Seurat. De très belles séries de petites peintures sur bois, qu'il appelait ses « croquetons », et ses admirables feuilles au crayon Conté, qui en font sans doute avec Ingres, et dans un style bien opposé, l'un des plus grands dessinateurs du xixe siècle, permettront de découvrir un Seurat plus intime. Une grande partie des œuvres est présentée, pour la première fois, grâce à la générosité de collectionneurs privés, américains ou européens. Nous leur sommes particulièrement redevables, ainsi qu'à tous les musées qui se sont dessaisis pour de longs mois de leurs chefs-d'œuvre du maître néo- impressionniste. Certes, trois des œuvres principales de la courte carrière du peintre, il meurt à trente et un ans, ne pouvaient voyager pour des raisons diverses de fragilité ou de statut de donation. Ce ne fut pas la moindre des difficultés rencontrées par les organisateurs. Une baignade, Asnières (National Gallery, Londres), la Grande Jatte (Art Institute of Chicago) et Poseuses (Barnes Foundation de Merion, Pennsylva- nie) sont, on le sait, des œuvres essentielles que Seurat destinait aux salons annuels : dernière exposition des impressionnistes, Salon des Indépendants à Paris ou groupe des XX à Bruxelles. Toutefois l'extrême compréhension des collectionneurs a permis de réunir de très nombreuses études préparatoires de ces trois œuvres, qu'elles soient peintes ou dessinées, et pour certaines de très grandes dimensions. Gageons que leur présence à Paris, comme à New York, offrira au public la possibilité de resituer ces trois peintures dans l'oeuvre de l'artiste. L'exposition a bénéficié, en France, du soutien d'Aerospatiale et d'I.B.M. et, aux États-Unis, du concours de la Fondation ELF ; nous sommes heureux de leur exprimer ici notre reconnaissance. La Réunion des musées nationaux, le musée d'Orsay et le Metropolitan Museum of Art poursuivent heureusement une collaboration ancienne, exemplaire de la qualité des échanges culturels entre la France et les États-Unis, pour, cette fois, présenter, cette fois, l'un des artistes les plus secrets de l'histoire de l'art et encore sans doute insuffisamment connu jusque dans son pays d'origine. Son oeuvre, aussi féconde que sa carrière fulgurante — sept années —, sera déterminante sur le plan théorique ou esthétique, auprès de la plupart des grands créateurs du début du xxe siècle, des Fauves aux cubistes et aux inventeurs de l'abstraction. Mais l'univers que Seurat nous restitue aujourd'hui dépasse celui d'une aventure formelle : si son imagerie est très liée à l'époque — celle de la littérature naturaliste avec ses baignades, ses plaisirs du dimanche et des soirées montmartroises —, son œuvre, transcendé par un sens inné de la grandeur, s'inscrit dans la grande tradition, tout en exprimant la foi des hommes de la fin du xixe siècle dans la science, le progrès, la modernité.

Jacques Sallois Philippe de Montebello Directeur Directeur des musées de France du Metropolitan Museum of Art Seurat en France

Le véritable « maudit » du post-impressionnisme est peut-être Seurat, et non comme on le pense, van Gogh ou Gauguin. Du moins à titre posthume, et en France en particulier. Au moment où, cent ans après sa mort, son pays lui rend enfin un premier hommage, on est en droit de s'interroger sur une si tardive reconnaissance, sur cette place vide dans le Panthéon de la « tradition moderne » où le reste du monde l'inclut, cette absence d'un artiste pourtant si important pour l'histoire de l'art français, de surcroît, si profondément français lui-même, dans la lignée de Fouquet et de Poussin. Georges Seurat eut un bref moment de prestige dans le cercle de l'avant-garde littéraire et artistique parisienne de la fin du siècle : précisément entre 1886 et 1889. La mode intellectuelle s'en détourne déjà pendant les deux dernières années de sa vie. Il a vingt-six ans quand il montre la Grande Jatte à la dernière exposition impressionniste. C'est tout à coup l'homme du jour, le voilà bientôt sacré, comme dira Vincent van Gogh, « maître du Petit Boulevard » c'est-à-dire des jeunes artistes d'avant-garde, les Grands Boulevards étant ceux des galeries de peintres « arrivés ». Dès 1890, la direction plus radicale que prend sa peinture laisse un peu perplexe, même ses amis, et il meurt l'année suivante à trente et un ans, sans marchand, n'ayant vendu que très peu de tableaux — et déjà, hors de France, à Bruxelles. Au cours des trente années qui suivent, quelques rares amis — en particulier, et Félix Fénéon — vont essayer par la plume et par des expositions de le faire connaître, de le sortir d'un oubli où il est tombé, alors que la gloire des autres héros du post-impressionnisme ne cesse de grandir dès le tournant du siècle. Aucun marchand ne s'y intéresse, aucun grand collectionneur : ceux qui possèdent, ou achètent pour des bouchées de pain ses œuvres sont des écrivains ou des artistes qui l'ont connu. Fait significatif, un seul collectionneur français achète un Seurat — l'esquisse du Cirque — dans les années vingt, Jacques Doucet, mais c'est sur le conseil d'un écrivain, André Breton. Cette situation est particulière à la France, car marchands, collectionneurs et bientôt musées d'Allemagne, de Belgique, des Pays-Bas, d'Angleterre et bien vite des États-Unis, reconnaissent son génie singulier. L'entrée de Seurat dans les musées est à ce titre éloquente : Une baignade, Asnières appartient au critique Félix Fénéon jusqu'au début des années vingt où elle part pour Londres, et entre à la Tate Gallery en 1924 ; la Grande Jatte reste chez le peintre et écrivain Lucie Cousturier jusqu'en 1924, date où elle part pour Chicago, à l'Art Institute dès 1926 ; Poseuses sont dans la collection du poète et critique Gustave Kahn, jusqu'à ce que le comte Kessler les achète et qu'elles entrent dans la collection Barnes en 1926 ; ainsi que Chahut, vainement offert ensuite par un citoyen allemand au Louvre en 1914, acheté en 1922 par Mme Kroller-Müller, — aujourd'hui dans le musée du même nom.

Du côté des artistes, la situation est différente, et Seurat continue à compter. En dehors des néo-impressionnistes eux-mêmes, qui restent fidèles à la division de la couleur et de la touche, plusieurs générations de peintres vont s'y intéresser, pour des raisons différentes. Les Fauves d'abord, — Matisse et Derain — recherchent dans la méthode néo-impressionniste, et à travers l'infléchissement de Signac et de Cross vers des touches plus larges, plus montées de ton que celles de Seurat, une leçon de couleur pure. Avant 1914, les pionniers de l'abstraction, Mondrian, Kandinsky, les futuristes italiens : tous « pointillent ». Les cubistes, plus qu'au théoricien de la couleur, s'intéressent, eux, à un autre Seurat, au constructeur : « Il est, malgré son œuvre restreinte un des phares qui guident cette jeune génération partie à la recherche d'un art spirituellement et matériellement durable » (André Lhote). Dans les années vingt, toute une série de textes paraissent sur lui en France, certains qui le tirent vers la modernité : André Salmon ( 1921 ), André Lhote (1922), ou l'inscrivent dans la tradition, comme le livre de Robert Rey au titre révélateur : La Peinture Française à la fin du XIXe siècle, la Renaissance du sentiment classique (1931). Double appartenance que 1926, Ozenfant, lui-même dans la mouvance cubiste, avait reconnu : « Nous aimons dans Seurat le sec de la grande tradition française depuis toujours, et cette lucidité, cette politesse de choses vraiment grandes. » Cependant au moment de l'entrée du legs de John Quinn — un Américain — introduisant Seurat d'autorité dans les musées français, en 1924, Florent Fels pouvait écrire : « Seurat est inconnu du grand public. Mais une reproduction de son oeuvre Le Cirque qui entre au Louvre est épinglée aux murs des ateliers du monde entier. » Les murs d'artistes ou d'écrivains étaient en effet en France les seuls sur lesquels on avait pu voir pendant plus de trente ans un Seurat, réel ou reproduit. Les « historiques » des notices de ce catalogue sont à cet égard fort instructives : on voit l'œuvre du peintre sortir de France presque en totalité entre 1900 et 1930. Ce n'est pas que certains marchands — en particulier Bernheim-Jeune où Fénéon s'occupait de la section moderne — se fussent désintéressés de Seurat ; Parade, aujourd'hui au Metropolitan Museum of Arts de New York, resta par exemple à vendre dans cette galerie entre 1908 et 1928. L'État n'acheta les premières œuvres de Seurat, trois panneaux pour Poseuses qu'en 1948, à la vente Fénéon, suivi d'un paysage de Port-en-Bessin en 1952. Mais en 1959, le centenaire de sa naissance, célébré quelques mois plus tôt par l'Art Institute de Chicago et le Museum of Modern Art de New York, n'éveille en France aucun écho.

Sans vouloir ici battre notre couple, essayons de comprendre pourquoi en France le regard et l'intérêt ont glissé si vite sur Seurat, pourquoi il demeure lointain, et ne fait pas encore partie de la mémoire vivante de notre « modernité ». La première explication à laquelle on songe est bien évidemment sa disparition précoce, son absence même de la scène, quand il aurait peut-être pu disputer à Cézanne ou à Gauguin au début du siècle un rôle de parrain du modernisme ; mais les collectionneurs de Cézanne, comme Pellerin, ne s'intéressent pas à Seurat. Les grands collectionneurs français — à l'exception du baron Gourgaud — ont généralement « sauté » par-dessus la génération de Seurat, et sont passés directement de l'impressionnisme au fauvisme et au cubisme, plus immédiatement toniques, forts, ou « moder- nes ». Pour des générations qui s'intéresseront à ce que l'art de Seurat avait de spéculatif, de tendu vers les pures harmonies formelles et — à leurs yeux — l'abstraction, il restait encore trop naturaliste, marqué par son époque, même si c'est avec ironie qu'il décrivait un monde ressenti comme « démodé » : Gustave Khan déplorait en 1928 que Seurat eût le malheur d'avoir été contemporain de ces malencontreuses robes à « faux-cul » dont le profil est pourtant magnifié dans la Grande Jatte. Quant à ceux qui voyaient en lui l'apôtre de la couleur pure, le résultat, si peu flamboyant, ne pouvait que les décevoir. Et puis, quand on aurait pu l'admettre et l'aimer, les principales œuvres étaient déjà loin ; Une baignade de Londres et la Grande Jatte de Chicago font partie depuis plus d'un demi-siècle du patrimoine artistique de ces pays plus que du nôtre, au point que le risque de les faire voyager pour cette rétrospective leur a paru trop grand... Enfin, quelque chose de plus essentiel a peut-être toujours prévenu l'enthousiasme de l'« amateur » et du public français. Ne serait-ce pas précisément l'austérité de Seurat, sa rigueur, son moralisme sous-jacent alors que les pays nordiques et anglo-saxons, de sensibilité protestante, l'ont tout de suite admis ? Fénéon allait peut-être au-delà des apparences physiques lorsqu'il décrivait « son masque de Huguenot du xvie siècle » ! Car il y a en effet chez Seurat l'expression moderne et plastique d'un esprit réformé, ou janséniste, un regard sans complaisance sur le monde, exprimé grâce à une méthode destinée à brimer, ou en tout cas à contrôler de très près — sans y réussir, bien heureusement — une rare sensibilité. Or, celle-ci est par essence mélancolique, avec une nuance de sarcasme, deux humeurs qui ne rendent pas d'emblée une œuvre attrayante. Dans l'humour un peu féroce de Seurat, on a voulu voir récemment un témoignage social, l'expression d'une pensée anarchisante. Critique du bourgeois, il le fut à coup sûr. Mais plus à la manière de l'artiste, traditionnelle depuis le romantisme, que de l'insurgé social. En fait sa moquerie s'adresse aux apparences, aux faux-semblants, aux plaisirs artificiels : c'est une charge contre la vanité. Est-ce qu'un peu de la gêne ou de l'agacement ressentis par de nombreux « amateurs » devant ses grands tableaux ne venait pas obscurément de cette sévérité, de cette tristesse qui émanent même de ses plus calmes paysages ou de ses plus gracieuses figures au crayon Conté ? L'ensemble de l'œuvre de Seurat peut être interprété comme un vaste memento mori, modulant toutes les images possibles de l'incommunicabilité et de l'absence. C'est tout le dérisoire de l'existence qu'il semble décrire dans ses scènes de la vie contemporaine ; une poignante image de la solitude, dans ses dessins ; et dans ses paysages, une vision lumineuse du néant. A aucun moment pourtant, Seurat ne voulait moraliser : tous les témoins disent combien il était irrité par les interprétations que l'on pouvait faire de ses tableaux, et se voulait un réformateur dans le seul domaine des formes : « Ils voient de la poésie dans ce que je fais, non, j'applique ma méthode, et c'est tout. » Pourtant sa préoccupation d'« harmonie », sous l'apparent positivisme de sa technique, trahit un spiritualisme néo-platonicien. Seurat était sans doute plus proche qu'il le pensait de son bourgeois de père, d'une religiosité tatillonne, même si sa propre foi était bien de son temps, puisqu'il croyait au progrès et à la science. Et poursuivant son « rêve de l'art-science », pour reprendre l'heureuse formule d'André Chastel, il voulait à sa façon inscrire son art dans la transcendance, dans l'éternel. Décomposer le monde en parcelles discontinues pour mieux le remettre en ordre — Apollinaire appelait Seurat le « microbiologiste de la peinture » —, en éliminer toute sentimentalité, lui imposer une « harmonie » supérieure, voilà qui est caractéristique de tous les systèmes utopiques, et pouvait susciter bien des réserves. Ses ambitions scientistes, sa réprobation des simples plaisirs terrestres décrits par l'impressionnismé, sa volonté explicite d'élever l'art au-dessus du médiocre par sa technique comme par un puritanisme sous-jacent, la tristesse retenue mais implacable qui sourd de sa peinture et de ses dessins : tout cela peut expliquer que le public français ne soit pas facilement entré dans le monde de Seurat. C'était se priver longtemps d'un artiste dont la grandeur et la rigueur n'ont jamais étouffé une sensibilité exceptionnelle, et même, l'ont extraordinaire - ment servie ; d'une des œuvres les plus énigmatiques, les plus riches et paradoxalement les plus émouvantes du xixe siècle. Espérons que cette exposition, même incomplète, saura rompre le mauvais enchantement qui, jusqu'ici en France, a pesé sur Georges Seurat.

Françoise Cachin Que tous mes collaborateurs, à Paris et à New York, trouvent ici le témoignage de ma gratitude pour leur amabilité et leur compétence, et tout particulièrement Marina Ferretti Bocquillon et Susan Stein. Pour leurs conseils et leurs concours généreux, je tiens vivement à remercier Jean-Claude Bellier, Huguette Berès, Heinz Berggruen, Philippe Brame, André Bromberg, Cheryl A. Brutvan, Ruth C. Cross, Suzanne, Georges Annick et Christian Dufour, Judith Eurich, Marianne Feilchenfeldt, Erich Franz, Christian Geelhaar, Bernd Growe, Ay-Whang Hsia, Jennifer E. Jones, E.-W. Kornfeld, Duncan MacGuigan, Peter Nathan, Ursula Perucchi, Thierry Picard, Louis-Antoine Prat, Katharina Schmidt, Robert Schmit, Georges Shackelford, Alain Tarica, Serge Le Bailly de Tilleghem et Rolf et Margit Weinberg. Pour leur extrême obligeance, tant professionnelle que personnelle, j'exprime également toute ma reconnaissance à Arthur Altschul, Yves Astier, Helen Chillman, Patricia H. Cody, Anne et Bertrand Dorny, Douglas Druick, Jennifer Gough-Cooper et Jacques Caumont, Gloria Groom, Kathleen Howard, Yuzo Iida, Yoichiro Idée, Hans Luthy, Akiko Mabuchi, Thierry Picard et Shinichi Segi. Si je pouvais dédicacer ma contribution à ce catalogue, ce serait à trois personnes aujourd'hui disparues : Pierre Angrand, Ginette Signac et Jean Sutter, qui ont largement contribué, chacun à leur manière, à la redécouverte de Seurat et des néo-impressionnistes et en ont perpétué la mémoire. Robert L. Herbert

Les commissaires de l'exposition souhaitent en outre exprimer leur reconnaissance aux amis et collègues qui les ont aidés tant dans la préparation du catalogue que dans l'organisation de l'exposition, notamment à : Marianne Ainsworth, Arthur Altschul, mMadame Aubrun, Janine Bailly- Herzberg, Jacob Bean, Heinz Berggruen, Annick et Pierre Berès, Marc Blondeau, Barbara Bridgers, Calvin Brown, John Buchanan, Marie-Thérèse Caille, Patrick Coman, Deanna Crosse, Katria Czewoniak, A.-L. Combe, Henri Claude Cousseau, Jean-Pierre Cuzin, Monique van Dorp, Dr Guy Dulon, Anne-Gabrielle Durand, Lola Faillant-Dumas, Everett Fahy, Michael Findlay, Alain Fischer, Jacques Foucart, Denise Gazier, Carmen Gimenez, Martine Gosse, Philippe Grunchec, Charlotte Hale, Gisela Helmkampf, Ay-Whang Hsia, Roseline Hurel, Laurence Kanter, Diana Kaplan, Frédérique Kartouby, Caroline Larroche, Françoise Leboulenger, Ronald de Leeuw, Melssa de Medeiros, Herbert Moskowitz, Helen Mules, Monique Nonne, Anne M.-P. Norton, Robert Parker, Bruno Pfâffli, Rebecca Rabinow, Emily Rafferty, Rodolphe Rapetti, Arlette Sérullaz, Marjorie Shelley, Michel Sutter, Linda Sylling, Mahrukh Tarapor, Pierrette Turlais, Françoise Viatte, Gretchen Wold, Alastair Wright.

Introduction

Propos entendus lors d'une exposition néo-impressionniste, en 1894 : — « C'est de la mécanique. Non, Monsieur, c'est à la main \ »

La première chose qui vient à l'esprit lorsqu'on prononce le nom de Seurat, c'est le « pointillisme » de ses tapisseries peintes aux couleurs divisées. Lorsque sa grande peinture Un dimanche à la Grande Jatte apparut en mai 1886, il devint immédiatement célèbre. Cette parade de figures statiques et sa touche pointillée furent aussitôt considérées comme un défi à l'impression- nisme, d'où le terme « néo-impressionnisme », inventé dès le mois de septembre par le critique Félix Fénéon. Seurat n'était pas seul, puisque trois autres peintres exposant en mai utilisaient des techniques similaires : — le plus âgé de tous —, son fils Lucien, et Paul Signac. Dès \ 1887, ils étaient rejoints par Charles Angrand, Henri-Edmond Cross, Albert Dubois-Pillet, Léo Gausson, Louis Hayet et Maximilien Luce. Les plus jeunes, tous nés autour de 1860, se connaissaient depuis 1884, date à laquelle ils avaient contribué à la fondation de la Société des artistes indépendants, association démocratique d'artistes, sans jury destiné à organiser des expositions, et qui devint le pivot de leurs activités. Ce qui frappait dans leur nouvelle technique tenait essentiellement à sa volonté scientifique, à l'opposé de la touche irrégulière des impressionnistes. Pour eux, seule l'application systématique des lois naturelles était susceptible d'offrir l'illusion de la lumière colorée. En appliquant la peinture par petites touches régulières, ils donnaient à leurs toiles un aspect ordonné et rationnel qui défiait clairement la méthode instinctive et spontanée des impressionnis- tes. Le nouveau mouvement essaima à l'étranger en 1887, lorsque Seurat et Pissarro furent invités à Bruxelles pour exposer avec « les XX », un groupe d'avant-garde ; dès 1889, le néo-impressionnisme était devenu l'art moderne dominant en Belgique. A Paris, d'autres artistes cherchant à sortir de l'impressionnisme flirtèrent pendant un certain temps avec ce nouveau style, parmi lesquels Vincent van Gogh, Paul Gauguin, Émile Bernard et Toulouse-Lautrec.

1 L'exubérant Signac était un bien meilleur propagandiste du néo-impression- Noté par Thadée Natanson, « Expositions », nisme que Seurat, et Dubois-Pillet était le meilleur organisateur du groupe La Revue blanche 6 (1894). au sein des Indépendants. Seurat n'était donc pas l'initiateur du mouvement et, de surcroît, il avait certainement appris beaucoup de choses de Signac, du père Pissarro et d'autres camarades. Pourtant, tous ces peintres et tous les critiques virent en Seurat le fondateur et le chef de file du néo-impression- nisme. La présente exposition nous fournit l'occasion de réexaminer son œuvre et ses théories, ainsi que son rôle central dans ce mouvement éphémère. Sa présence se situa environ vingt ans après sa mort, puisqu'il fut adopté par les modernistes en sa qualité de premier grand utilisateur de la couleur « scientifique » et de la théorie de la couleur. Cet aspect de son travail nécessite une réévaluation toute particulière.

La célébrité de la peinture la plus connue de Seurat, Un dimanche à la Grande Jatte, dépasse largement le domaine de l'histoire de l'art. En effet, elle a servi d'illustrations à de savantes discussions scientifiques et techniques, mais aussi — le plus souvent avec altérations — à des publicités pour « les vêtements de loisirs », entre autres. Il n'est pas contradictoire que l'oeuvre de Seurat soit tiraillée entre ces extrêmes apparemment contraires que sont la culture technologique moderne et la publicité commerciale. Son travail est une synthèse d'éléments empruntés à des domaines très différents, et qui révèlent, semble-t-il, plusieurs personnages en un seul. Comment pouvons- nous réconcilier l'artiste fidèle à la science des couleurs et celui qui adorait la caricature et l'art de l'affiche ? Le dessinateur de scènes crépusculaires au crayon noir et l'auteur de paysages ensoleillés aux couleurs étincelantes ? L'homme qui représentait des ports déserts et le peintre du brouhaha des cafés-concerts ? Comme nous tous, Seurat avait plusieurs personnalités à la fois, et les contradictions apparentes ne sont que la trame d'un « tissu » artistique composite. L'actuelle exposition étudie en détail les différentes fibres composant ce tissu et, par ce biais, elle remet en question les généralisations qui dominent tout ce qu'on a pu écrire sur lui. La plupart de ces généralisations reposent sur six grandes peintures : Une. baignade, Asnières, Un dimanche à la Grande Jatte, Poseuses, Parade, Chahut et Cirque. Quatre de ces peintures sont absentes de l'exposition, ce qui oriente cette dernière vers les peintures plus petites et les dessins. Le catalogue en tient compte en insistant sur les sujets et techniques des œuvres individuelles, et sur l'évolution du métier de Seurat, dessinateur et peintre. Cependant, ce catalogue doit considérer les grandes œuvres s'il veut prétendre lui rendre justice, et cela d'autant plus que 30 % des peintures et dessins réunis sont des études préparatoires pour ces grands tableaux. Notre ambition n'est en rien différente de celle des autres organisateurs d'expositions : nous souhaitons donner une vision vivante de l'artiste, tout en montrant son œuvre. Nous savons que cette démarche n'est pas neutre, car nous déterminons à la fois la carte et les poteaux indicateurs. Il nous semble pourtant possible, un siècle après la mort de l'artiste, de séparer la réalité des mythes qui l'ont inévitablement parasitée. Ces mythes ont été utiles au mouvement moderniste, mais ils se contredisent les uns les autres et ils nous ont obligés à regarder l'artiste à travers des verres déformants. A cause de son décès précoce, à trente et un ans, on a longtemps cru que Seurat avait peu produit, et qu'il était mort de tuberculose ou d'une quelconque défaillance (l'idée romantique d'une mort précoce est si tenace !). En réalité, c'était un homme assez grand pour son temps (1,76 m) et ses amis le décrivent toujours comme un homme robuste, « un être solide, un grenadier », disait Signac. Il a été emporté par une épidémie de diphtérie maligne 2. Envisageons maintenant sa productivité : il nous reste, de dix années de maturité picturale, six très grandes toiles et 60 plus petites, environ 170 panneaux de bois, 230 dessins aboutis et 45 études ou dessins incomplets. Nous connaissons en outre deux toiles, plusieurs panneaux à l'huile, 250 dessins (dont un certain nombre provenant de carnets démembrés) et quatre carnets contenant des centaines de dessins, réalisés avant sa vingt-deuxième année 3. Si l'on peut facilement dissiper le mythe de l'artiste fragile et peu productif, il n'en va pas de même de l'idée préconçue d'un Seurat abstrait, pour qui le sujet avait peu d'importance, et qui plaquait sur des compositions géométriques des types simplifiés et non des individus porteurs d'humanité. Dans ce catalogue, nous espérons faire la preuve que les personnages de Seurat n'étaient pas « abstraits », produits d'un esprit purement formel, mais plutôt la brillante synthèse de réflexions psychologiques et sociolpgiques, transposée dans l'univers des formes visuelles. Nous montrerons, par exemple, dans ses dessins et peintures de jeunesse, l'influence du naturalisme du milieu du siècle, son choix de peindre d'humbles mortels et non des héros, le quotidien et non l'extraordinaire. Comme dans les cris de Paris, imagerie traditionnelle des types parisiens, les personnages urbains ou campagnards de Seurat fournissent une coupe de la société et méritent d'être interprétés. Dans les dessins et peintures — tardifs — consacrés au café-concert ou au cirque, nous découvrirons qu'il s'est plongé dans le monde des divertissements citadins, où il a à la fois adopté et raillé les formes du plaisir commercialisé, à travers ses personnages-pantins. Cette exposition sera également l'occasion de montrer la variété des sujets de Seurat : dessins ou peintures de paysans au travail, vendeurs des rues, infirmières, promeneurs et personnages assis à leurs fenêtres ; usines en banlieue, bords de rivière, péniches et voiliers ; prairies, bois, fermes ; ports de mer, quais, promontoires, navires et océan ; portraits du père, de la mère, de la maîtresse et des amis, baigneurs, promeneurs du dimanche, nus, artistes et spectateurs du café-concert, des fêtes foraines et des cirques. La- signification de ces sujets sera explorée, mais toujours en étudiant les moyens mis en œuvre par Seurat pour les illustrer. Nous analyserons la façon dont il se servait du crayon Conté pour créer l'illusion du clair-obscur, sans lignes et sans arêtes. Nous étudierons sa façon d'appliquer la peinture au pinceau sur le panneau ou la toile de telle manière que nous puissions voir à la fois les touches de couleurs séparées, et l'illusion d'une nature ruisselant de lumière. Le fait que ces effets soient obtenus par un travail très personnel 2 du crayon ou du pinceau ne doit pas nous faire oublier l'image elle-même. C'est le Dr. Jean Sutter qui a déterminé la cause Tout comme les traces visibles de la main de l'artiste, sa « touche » réconcilie exacte de sa mort : Sutter 1964 (cf. bibliographie le métier et l'individualité avec l'image qu'ils façonnent. pour tous les petits textes). La monographie du pionnier John Rewald (Rewald 1948) rétablissait la vérité sur la constitution physique de Seurat et sa mort, mais la vision romantique a néanmoins prévalu. 3 Ces chiffres excèdent ceux des oeuvres cataloguées par César de Hauke, car un certain nombre a réapparu depuis la publication de cette nomenclature, et que les quatre carnets de jeunesse n'étaient pas connus de lui. L'artiste « scientifique » L'un des plus grands mythes entourant l'image de Seurat est celui d'un quasi-savant, idée que répandirent ses premiers critiques. On a dit qu'en utilisant des recettes de traités savants, il reconstituait la lumière colorée point par point, et qu'il calculait ses compositions à l'aide de formules géométriques, comme la Section d'or. Cette vision de Seurat est si tenace que certains auteurs, qui remarquent que sa technique pointilliste ne reconstitue pas exactement la lumière colorée, lui reprochent de n'être pas un vrai scientifique ! Artistes et critiques ont fait de lui le parrain du grand mouvement moderniste, qui se réclamait de la science et de la technologie. Il est impossible d'étudier Robert Delaunay, Fernand Léger, ou Bridget Riley sans penser d'abord à Seurat. Les artistes ont en effet besoin de se trouver des ancêtres, mais ce genre d'opération ne laisse pas lesdits ancêtres indemnes.

Dans le cas de Seurat, l'idée d'un artiste froidement scientifique ne cadre pas vraiment avec l'aspect caricatural de ses peintures, ni avec le caractère de la plupart de ses dessins, dont les tourbillons et les curieux gris évoquent une incertitude mystérieuse. Certains observateurs voient le véritable Seurat dans ses dessins, et non dans ses grandes peintures. Selon eux, ces dessins « dignes de Rembrandt ou de Goya » sont plus sublimes que les peintures pointillistes, parce qu'ils recèlent instinct et émotion. Cette habitude de distinguer en Seurat deux artistes différents repose sur la séparation entre rationalité et « art », qui demeure caractéristique de notre culture, malgré l'œuvre de Piero della Francesca, de Juan Gris, ou de Liubov Popova. Rationnel, Seurat l'était évidemment. Il mit au point une méthode logique pour appliquer la peinture (Ingres aussi) ; il théorisa volontiers et dévora les ouvrages d'esthétique (Delacroix également) ; il réagit à ce qu'il voyait de la nature, dont il sut faire la transposition picturale (comme Monet) ; ses peintures ne sont pas le résultat de l'application d'une recette, comme tant de poncifs, mais les fruits de la créativité et de l'expérimentation (comme chez Matisse) ; ses dessins, du simple crayon noir sur du papier, sont fondamentalement différents de ses peintures à l'huile aux multiples couches (de même chez Millet). Si l'on veut retrouver l'artiste complet, à la fois poète et technicien, nous devons redéfinir la « science » de Seurat. Des spécialistes récents ont contribué à cette mise au point en signalant que leurs devanciers avaient largement exagéré son tribut à la théorie et aux recettes mathématiques 4. Un examen approfondi de ses peintures révèle que les techniques ont mûri lentement, en même temps que le métier, et que ce soi-disant tribut à la théorie scientifique est fortement amplifié. Les écrits de Seurat étaient une béquille destinée à soutenir la progression de sa technique ; à la fin de sa vie l'essentiel de sa « science » reposait toujours sur la lecture de Charles Blanc, une lecture de jeunesse. Bien sûr, la régularité de sa touche, en sa période de maturité, semble appuyer la thèse de l'artiste « scientifique » ; mais le fameux « pointillé » n'est pas du tout un écran tendu devant ses images. Il ne s'agit même pas de points, mais plutôt de petites touches de tailles diverses, dont l'orientation suit les contours et les directions de l'image, en relation étroite avec les fonds. En outre, ce ne sont pas elles qui déterminent la couleur de la peinture, bien qu'elles y contribuent. Elles ne sont que les touches finales couronnant une superposition complexe de couches. Les nombreuses études réalisées pour les grandes toiles révèlent un parcours hésitant, et non une progression assurée vers une composition préconçue. Un petit nombre des esquisses représente un fragment de l'œuvre finale. De son propre aveu (annexe F) Seurat attendit quatre ans après sa lecture du traité d'Ogden Rood, avant de se débarrasser des couleurs terreuses. Meyer Shapiro nous a rappelé, il y a de nombreuses années, que Chevreul décrivait des réactions de couleurs éphémères se produisant dans la nature, afin d'aider les artistes à s'en prémunir, tandis que Seurat les exploitait. Lequel est le plus « scientifique » ? L'univers pictural est un monde plat, tributaire des pigments, tandis que celui des savants est un monde tridimensionnel, soumis à la lumière. La seule possibilité de réconcilier les deux est de faire appel aux conventions de l'art, que le spectateur consent à accepter. De nombreuses notices de ce catalogue approfondissent la technique de Seurat, en s'attardant sur la touche et les couleurs du peintre. Nous essayerons de nous libérer des présupposés et de n'envisager l'évolution de sa technique qu'à la lumière de sa pratique réelle. Nous ne renions pas son souci de la théorie, mais nous refusons que cela détermine a priori ce que nous allons trouver dans ses tableaux. Les lectures qui ont compté pour Seurat étaient surtout des manuels d'esthétique et non de véritables ouvrages « scientifiques », un certain nombre étant des œuvres d'artistes surtout soucieux du « métier ». Tous ces ouvrages sont publiés ici après le catalogue. Nous courons certes le risque de minimiser leur rôle, et donc de séparer la théorie de l'art. Mais il est régulièrement fait référence, tout au long de ce catalogue, aux lectures et théories de Seurat, et le lecteur désireux de mieux connaître ce que Seurat a pu y prendre, pourra les consulter en annexes. Il serait stupide, bien entendu, de nier l'importance des textes traitant de la science des couleurs pour Seurat. Il tenait à être considéré comme un technicien de l'art, raison pour laquelle il emprunta à la science quelques attributs de son autorité, dont la régularité et la clarté de construction. Rien, 4 Meyer Shapiro le premier (Schapiro 1935, Shapiro dans la théorie des couleurs, ne justifiait la systématisation de la petite 1958, et les importantes conférences qu'il donna touche caractéristique de la période de maturité du peintre. Ce n'était pas un à divers moments de sa vie), en montrant que acte scientifique, mais une expression de son inventivité. Ses bordures et ses l'art et la « science » ne sont pas incompatibles, et que la « science » de Seurat était une subtile cadres peints, l'un des aspects les plus personnels de son œuvre, ont été combinaison d'élans artistiques et sociaux. présentés comme des réponses à des lois naturelles ! Il est certain qu'il devait Webster 1944 est le premier article démystifiant l'idée selon laquelle Seurat aurait utilisé des en grande partie son ascendant sur les autres peintres à son apparente points des trois couleurs primaires pour assurance théorique, attitude des plus respectables à cette époque où la construire ses couleurs. Mes propres écrits (Herbert 1968 et Herbert 1970) tentaient d'étayer science et la technologie étaient considérées comme les principaux cette thèse mais sans aller assez loin. La instruments du progrès. En 1887, momentanément converti au néo- discussion la plus récente et la plus significative sur la couleur chez Seurat est l'œuvre de John impressionnisme par l'exemple de Seurat, Camille Pissarro se réclama de Gage (Gage 1987), qui réfute les curieux l'« impressionnisme scientifique », et reprocha au « romantique » Claude arguments de Lee 1987. Hertz-Fischer 1983 et Monet le « désordre » de sa touche « qui, malgré le talent de l'artiste, n'est Neveux 1990 sont au nombre de ceux qui démentent le prétendu usage par Seurat de la plus en accord avec notre époque 5 ». Section d'or et des tracés régulateurs, bien que cette croyance demeure vivace. Mariais 1989, par exemple, défend inconsidérément la thèse des De toute façon, lorsque le terme « scientifique » est employé, il faut le plus tracés régulateurs, puis essaye de justifier les différences constatées entre ces tracés et les souvent comprendre « rationnel » ou « discipliné ». Seurat lui-même nous mesures réelles. fournit plus d'un élément pour comprendre la relation entre son 5 tempérament personnel et son ambition « scientifique ». A la fin de ses notes Lettre à Lucien, 10 janvier 1887, in ,CP, vol. 2, sur Delacroix (annexe N), datant de 1881, il écrit: «C'est l'application la n° 375. plus stricte des princ. scientifiques vus à travers une personnalité. » Ses lectures de Blanc, David Sutter et d'autres auteurs sont complètement inséparables d'un esprit discipliné, d'une aspiration à l'ordre et aux règles, qui confirmera ce que nous connaissons de ses antécédents et de son tempérament. Le désir d'organisation est une pulsion morale, et donc sociale, à l'origine de l'ambition qu'avait Seurat de réformer l'impression- nisme. Il qualifiait ses grandes peintures de « toiles de lutte », mais aussi de « toiles de recherche et si possible de conquête 6 ». Il s'agissait d'une « lutte » contre l'incompréhension, mais aussi contre l'impressionnisme « désor- donné » qui dominait alors l'avant-garde. Quant au terme « conquête », il trahit, dans une formulation agressive, le désir de s'approprier la nature et a fortiori autrui. « Mais cette prise de possession, écrit Blanc, est l'apanage des grands cœurs, des grands artistes, de ceux que nous appellerons les maîtres, précisément parce qu'au lieu d'être les esclaves de la réalité ils la dominent, et qu'au lieu d'obéir à la nature, ou plutôt à force d'avoir su lui obéir, ils savent maintenant lui commander 7.» Le terme « scientifique » avait, à l'époque de Seurat comme de nos jours, une connotation masculine et autoritaire, « nature » étant féminin. La science n'était pas seulement un instrument du savoir désintéressé : elle conférait assurance et pouvoir. Blanc enseignait que la couleur était en soi instable, trop dépendante des circonstances, et qu'il lui fallait un carcan, le dessin, ce concept masculin fondé sur l'ombre et la lumière. La modernité de Seurat résidait en partie dans sa conviction que l'évaluation de la couleur n'était pas uniquement instinctive et spontanée, comme le soutenaient apparemment les impressionnistes. Grâce à Chevreul, Blanc, Rood, Charles Henry, qu'il admirait, la couleur avait fait son entrée dans l'univers scientifique. Pissarro exprime cette conception lorsqu'il reproche aux peintures de Guillaumin : « Les accords étant nuls, sans logique, pas de résultat de dessin, des fureurs de couleurs, mais pas de modelé [...] 8. » On peut dire que Seurat concevait la couleur très différemment des impressionnistes, pour qui le modelé se dissolvait dans l'ombre et la lumière, parce que chez lui le « dessin » et le « modelé » consolident les images. Dans ses peintures les formes sont précises, grâce au soutien du clair-obscur, mais aussi des contrastes de couleurs. C'est à cause de cette précision des formes, de ce « hiératisme », que les jeunes symbolistes préféraient Seurat aux impressionnistes. Si nous persistons à qualifier Seurat de « scientifique », il nous faudra examiner dans quelle mesure ce qualificatif s'applique à d'autres aspects de son œuvre. L'un des meilleurs exemples de cet esprit scientifique est la théorie de la ligne expressive, qui s'épanouit dans les dernières peintures, et qui est le pivot de son « esthétique », rédigée en 1890 (annexe E) : les lignes ascendantes donneraient un sentiment de gaîté, les lignes descendantes de tristesse, les horizontales de calme. Dès ses années d'études, en découvrant Humbert de Superville à travers la Grammaire de Charles Blanc, Seurat s'intéressa à la signification émotionnelle des directions linéaires. Cet intérêt se confirma à partir de 1886, après sa découverte d'Henry, qui apportait un fondement scientifique moderne. L'infrastructure linéaire de ses dernières peintures, dont la paternité pourrait être attribuée aux idées de Humbert et Henry, est toutefois conforme à sa vision plate, décorative ; de même il est difficile de dissocier cet esprit linéaire de la tendance de Seurat à la caricature, qui appelle également la linéarité. Pour Humbert, Henry et Seurat, ces lignes ne sont qu'une structure sous-jacente, et non l'extérieur des formes artistiques et vivantes. Il ne faut donc pas les assimiler à l'esprit d'abstraction du xxc siècle. Au contraire, leur fonction caricaturale servait une certaine vision des artistes de café-concert et de cirque, elles étaient la forme choisie par Seurat pour exprimer sa vision de la société. C'est là — dans ce subtil déploiement linéaire — que réside l'esprit « scientifique » de Seurat, son penchant pour le décoratif et pour les interprétations de la vie de Montmartre.

Progressiste et conservateur D'autres particularités de Seurat peuvent être simultanément interprétées selon différents points de vue. Le classicisme d'Une baignade et de la Grande Jatte, par exemple, est tellement lié au « primitivisme » du peintre que leur dissociation est forcément artificielle, et ne durera que le temps d'une analyse. Les poses monumentales et l'ordre tranquille des premières peintures de Seurat en font sans conteste l'héritier de la tradition des Beaux-Arts, tradition enracinée dans le classicisme. Ces peintures ne sont pas, cependant, des copies de l'art antique ou renaissant, mais présentent des analogies avec les bas-reliefs et la peinture de l'Égypte ancienne, l'art du début de la Renaissance, et les chromos populaires. Ses contemporains le reconnaissaient, raison pour laquelle ils comparaient favorablement Seurat au muraliste Puvis de Chavannes, dont le classicisme se teintait sérieusement de primitivisme. Le maintien par Seurat de l'idéalisme classique dénotait un conservatisme naturel, malgré son goût pour l'imagerie populaire et les affiches de Jules Chéret, véritables hérésies selon l'orthodoxie des Beaux-Arts, car ces arts « mineurs » subvertissaient les .idéaux de l'art noble. La plupart des amis de Seurat d'après 1886 notèrent sa manière de combiner conservatisme et progressisme. Ils l'accueillirent en tant que personnalité des cercles artistiques progressistes, mais son allure réservée leur rappelait sa naissance dans une famille bourgeoise convenable, et ses études tradition- nelles à l'École des Beaux-Arts. Ce bref portrait écrit par Gustave Kahn confirme les témoignages d'autres amis de Seurat : « Sous un aspect un peu froid, dans une tenue toujours très régulière de bleus très foncés ou de noirs, un aspect symétrique et correct qui l'avait fait surnommer par Degas, en un 6 moment d'humour, "le notaire", il tenait en lui un caractère empreint de « Toiles de lutte » figurent dans le brouillon bonté et d'enthousiasme. Silencieux dans les groupes un peu nombreux, d'une lettre à Maurice Beaubourg (archives de Hauke) ; l'autre phrase est rapportée par Émile entre peu et amis plus éprouvés il parlait fort de son art en tant que visées, en Verhaeren (Verhaeren, « Georges Seurat », 1891). tant que volitions techniques 9. » 7 Blanc 1867, éd. 1880, p. 532. Le conservatisme de Seurat ne faisait pas l'unanimité. « Seurat est de l'École des 8 Beaux-Arts, il en est imprégné [...] », écrivit un jour Pissarro, exaspéré par le Lettre du 6 décembre 1886, in CP, vol. 2, n° 362. comportement du jeune artiste 10. Le fait que Seurat était à la fois innovateur 9 et conservateur n'avait rien d'exceptionnel, dans cette bourgeoisie montante Kahn 1891. dont il était issu. D'abord employé, son père était devenu huissier de justice 10 puis spéculateur immobilier. Pour ses parents, financer les vocations A Signac, fin de l'été 1888, cité dans Rewald artistiques de leurs fils — la peinture pour Georges et le théâtre pour son 1948, p. 115. frère — était une manière d'afficher leur standing. Leur fille épousa Léon Appert, ingénieur et industriel arrivé, qui écrira plus tard des brochures techniques sur le verre coloré. L'ambition qui habitait Seurat, de moderniser l'art avec le secours de la science, n'est pas en contradiction avec son milieu familial. Il était porteur de cette idéologie de la bourgeoisie progressiste, selon laquelle l'invention et la technologie devaient remplacer les modèles et les normes. Il était, comme l'écrit le symboliste Émile Verhaeren, « technicien, oseur, inventeur " ». La détermination de Seurat à forger un art nouveau lui vint très tôt. Dès l'âge de seize ans il recherchait une « formule optique» (annexe F), et se consacrait à la couleur alors que ses maîtres insistaient sur le dessin. Traité de « communard » par ses camarades à cause de son esprit d'indépendance, et peut-être aussi à cause de ses opinions politiques (annexe B), il quitta l'École des Beaux-Arts à l'âge de vingt ans. Il n'emprunta pas la voie des succès officiels suivie par ses prédécesseurs, et ne s'attaqua à aucun sujet religieux ou classique. Il commença par s'initier à la tradition naturaliste, en peinture et en dessin, puis se mit vers 1883, à assimiler l'impressionnisme. Mais il ne s'agissait là encore que d'un apprentissage, car avec la Grande Jatte en 1886, il déclarait périmé l'impressionnisme dont il se posait en réformateur, fort de son approche scientifique de la couleur et de sa tentative de réhabilitation de valeurs classiques, la synthèse et la primauté de la forme. 1886 fut également l'année de la soudaine émergence du symbolisme en littérature. Un certain nombre de ces jeunes écrivains adoptèrent Seurat, qui offrit à plusieurs d'entre eux des dessins et des peintures (annexe D) et bénéficia de leur part de critiques aussi nombreuses que favorables. Ils s'insurgeaient comme lui contre la tradition de classicisme imprégnant la littérature, dont ils conservaient pourtant certaines particularités, comme l'idéalisme. Ils rejetaient également l'impressionnisme, parce qu'il soumet- tait l'art au présent immédiat, au détriment du permanent et de l'« essentiel », éléments qu'ils appréciaient chez Seurat. En outre, ces écrivains s'intéressaient beaucoup à la science moderne, intérêt particulière- ment visible dans le rôle joué par Henry (annexe L), qui collaborait à leurs journaux et dont ils publiaient ou commentaient les écrits. Son Esthétique scientifique de 1885 — dont Seurat recopia des fragments — contribua à leur définition du symbolisme, et son intérêt pour les liens entre les arts frères — y compris la musique — eut un écho notable dans un mouvement que l'on qualifiait également de « wagnérisme ». Pour parachever ce tableau des relations entre littérature, science et peinture, il convient de rappeler que Seurat comparait ses cadres peints foncés à l'obscurité exigée par Wagner dans la salle de son théâtre de Bayreuth, symptôme de son adhésion à l'idée alors en vogue de « correspondance des arts » 12. Dans la presse, la plupart des admirateurs de Seurat, qui rapprochaient symbolisme et naturalisme, n'étaient pas de simples novateurs littéraires mais aussi extrémistes en politique, bien qu'adhérant assez rarement à un parti. Il y avait parmi eux Paul Adam, dissident de la gauche qui soutenait le général Boulanger ; Jean Ajalbert, avocat de gauche et poète naturaliste ; Paul Alexis, ami de Zola et naturaliste ; Félix Fénéon, journaliste anarchiste ; Georges Lecomte, admirateur de la Commune ; et enfin Émile Verhaeren, poète belge socialiste. La plupart étaient déçus par la politique électoraliste, et sérieusement tentés par le mouvement anarcho-socialiste — même s'il est vrai que le mouvement anarchiste n'eut une grande influence sur l'avant-garde que plus tard, dans les années 1890. A cette époque, les amis néo-impressionnistes de Seurat, Camille et , Maximilien Luce et Paul Signac seront des anarchistes déclarés, ainsi que le critique Félix Fénéon. Charles Angrand et Henri-Edmond Cross, également néo- impressionnistes, étaient de simples sympathisants. A cause de ces amitiés, beaucoup de gens ont cru que Seurat était lui-même anarchiste. Il l'a peut-être été, mais les spéculations à ce sujet reposent essentiellement sur une transposition abusive aux années 1880 du climat des années agitées, postérieures à sa mort. Dès cette époque, Signac et Fénéon s'empressèrent de prêter leurs convictions à Seurat, et cela pour deux raisons très logiques. Tout d'abord l'anarchisme, comme l'affirmait Signac, ne demandait pas aux peintres de montrer la pauvreté ou toute autre injustice du capitalisme ; au contraire, il encourageait la liberté individuelle dans le domaine artistique. Signac écrivit qu'une peinture progressiste, quel qu'en soit le sujet, pouvait donner « un solide coup de pioche au vieil édifice social ». On peut donc dire que Seurat, en tant qu'innovateur, contribuait aux progrès de l'anarchisme. La seconde raison à l'adoption posthume de Seurat par les anarchistes est que ses dessins et peintures traitaient de sujet « démocratiques » et populaires, depuis les premiers représentant des paysans, des ouvriers et des usines en banlieue, jusqu'aux dernières œuvres consacrées aux divertissements urbains. Ces dernières, disait Signac, contenaient une vision critique de cette époque de transition entre le capitalisme décadent et la future société des travailleurs 13. Plusieurs éléments vont à l'encontre de cette volonté de présenter Seurat comme un anarchiste. Luce avait des liens avec les anarcho-socialistes dès 1888, Pissarro et Signac dès 1890. Pourtant, ils n'ont jamais évoqué une participation de Seurat à leurs activités politiques ni, autant que nous sachions, cherché à l'y inciter. Il ressort de leurs lettres qu'ils le considéraient à l'écart d'un tel engagement. Seurat aurait certainement eu des occasions de manifester sa conscience politique, mais les années 1888 à 1891 furent pour lui une période de retrait encore plus grand, en partie inspiré, semble-t-il, par le souci jaloux de préserver ses prérogatives de fondateur du néo-impression- nisme. Seurat était probablement de gauche, mais il y a peu de chances qu'il ait été anarchiste. Cela n'a rien de surprenant, car d'autres peintres d'avant-garde, comme Manet à la génération précédente, étaient également tiraillés entre une vie privée conservatrice et des opinions progressistes, qui étayaient leur refus de l'ordre établi. En réalité, il est plus facile d'apporter la preuve des opinions de gauche de Manet que de celles de Seurat, bien que des faits avérés plaident fortement, dans le cas du second, en faveur de la 11 thèse de son républicanisme de gauche. Verhaeren « Chronique artistique », 1891. 12 Ce qui ne peut être mis en doute, c'est que l'art de Seurat est issu de la classe Cf. le texte sur les cadres dans l'annexe A. bourgeoise éclairée et cultivée, dont il incarnait à merveille les tendances 13 progressistes. En se réclamant de méthodes scientifiques, il proclamait sa foi Déclaration de Signac dans Signac 1891 citée dans Herbert et Herbert 1960 ; en ce qui concerne dans les capacités du genre humain à édifier un ordre à partir de données les rapports entre l'anarchisme, le symbolisme et sensorielles, et de l'artiste à subordonner le caractère éphémère et changeant le néo-impressionnisme, cf. E. Herbert 1961. de la lumière colorée à l'observation attentive, puis au modèle artistique. En Parmi les discussions récentes, les plus convaincantes sont Hutton 1987 et Zimmermann peignant de grandes toiles murales, il exprimait, sous une forme modernisée, 1991. la foi républicaine de Charles Blanc en la fonction morale et collective de l'art ; enfin, en montrant des types plutôt que des individus, il adhérait également à l'idée républicaine d'une prééminence du social sur l'individuel. La confiance de Seurat dans la rationalité de sa méthode n'excluait pas le doute. Il n'était pas de cette race d'innocents pour qui les recettes scientifiques allaient provoquer l'avènement d'un monde nouveau. Il n'était pas exempt de doute et d'inquiétude, comme l'indiquent ses dessins crépusculaires, l'isolement psychologique de ses personnages, la poignante désolation de ses ports, et l'ordre quasi maniaque de ses derniers travaux, œuvres d'un marionnettiste refusant d'accorder la vie à ses pantins. D'une part il s'est mis à l'écart de la société par sa réserve quasi caractérielle, — ce qui exprime un scepticisme par rapport à la cohésion sociale — et d'autre part il s'est tourné vers elle en élaborant un art où il plaide en faveur d'un ordre social.

Nous retiendrons ce sens de l'ordre comme un trait majeur de Seurat, malgré ses doutes et malgré nos propres craintes, en cette époque troublée, qu'un art maîtrisé soit la vision métaphorique d'une société contrôlée. Nous devons à Seurat cette place dans l'histoire que le modernisme lui a accordée. Sa détermination à imposer à l'expérience l'ordre de la raison est après tout l'un des courants dominants de la peinture française, de Poussin à Léger en passant par David et Delaunay. Raffiné et naïf, classique et primitif, conservateur et progressiste, Seurat s'est placé exactement à la frontière entre le passé et le xxe siècle. « Nous aimons dans Seurat le sec de la grande tradition française depuis toujours, et cette lucidité, cette politesse des choses vraiment grandes, cette peau bien grenée qui recouvre les riches tissus profonds. On ne vous dit pas que nous n'aimons que cela ; nous aimons aussi le direct de Renoir [...] ; nous aimons aussi les fleurs, les arbres, les chairs ; mais ne reprochez pas à Seurat d'être de la lignée d'Athènes et non de celle des Flandres ; le train de Grèce est un bon train, allez-vous lui reprocher de ne pas conduire à Amsterdam ? On s'en sert quand on en a besoin, voilà tout, et il convient de ne pas se tromper de gare. On se sert d'un Seurat pour d'autres voyages que d'un Renoir 14. » R. L. H

14 Amédée Ozenfant (Ozenfalll 1926). Fig. 1 Georges Pierre Seurat, photographie anonyme, localisation inconnue. Fit], 2 Anonyme, L Atelier Lehmann à l'École des Beaux-Arts, ancienne collection Mlle Yolande Osbert. Semai est le sixième debout, à gauche. Chronologie

1859 2 décembre dernier, Justin Marie Lequien (1796-1881), sculpteur de Naissance de Georges Pierre Seurat, 60, rue de Bondy plus grand renom qui était également professeur à l'école (actuellement rue René Boulanger) dans le 10e arrondisse- Turgot que Seurat a peut-être fréquentée. L'école de la rue ment de Paris. des Petits-Hôtels est réputée faire des « ouvriers-artistes ». Chez Lequien, Seurat se lie avec Amand-Edmond Jean Il est le fils d'Antoine Chrysostome Seurat, né à Dosnon connu plus tard sous le nom d'Aman-Jean, né en 1858. (Aube) le 28 août 1815 qui a été huissier à La Villette entre Celui-ci habite alors 33, quai de Valmy (le quartier de 1840 et 1856, et d'Ernestine Faivre, parisienne, née le Seurat) et sera présenté par J. Lequien fils à l'École des 3 mars 1828. Ils ont déjà un fils, Émile Augustin Beaux-Arts en une lettre datée de février 1878. (1846-1906) qui fera plus tard quelques tentatives comme Un dessin de Seurat, Torse d'après l'antique (H 238) daté 1876 porte le tampon de l'école de Lequien fils ; voir aussi pour Lequien « Nécrologie », auteur dramatique et une fille, Marie Berthe (1847-1921) Chronique des arts et de la curiosité, 3 décembre 1881 et Archives nationales, qui, en 1865, deviendra la femme d'un ingénieur, maître AN/AJ52/263 dossier Jean. verrier de grande renommée, Léon Appert (1837-1925). 1878 2 février 4 décembre Seurat subit les épreuves d'admission à l'École des Georges Seurat est baptisé à Saint-Martin-des-Champs ; Beaux-Arts. ses parrain et marraine sont son frère et sa sœur. 19 mars La famille Seurat s'installe 136, boulevard Magenta (lOe) à Entre officiellement dans l'atelier d'Henri Lehmann l'angle de la rue de Valenciennes (au carrefour avec la rue (1814-1882). Alphonse Osbert, né en 1857, entré le 14 août La Fayette). Elle occupe le 2e étage, six pièces plus 1877 l'y a précédé comme Alexandre Séon, né en 1855 et dépendances, pour un loyer annuel conséquent de 2 200 F entré en 1877. Aman-Jean le rejoint le 13 août 1878. Ernest par an en 1875. L'immeuble devient le n° 110, qu'il porte Laurent, né en 1859, arrivera à son tour le 12 août 1879 actuellement, en 1866. Georges Seurat conservera cette (fig. 2). adresse officielle bien qu'il ait, entre-temps, plusieurs Archives nationales AN/AJ52/271, 263, 264, 268. ateliers. 19 mars Seurat est classé 67e sur 80 au concours de places, figures Antoine Seurat a également une villa au Raincy, 8, dessinées d'après le modèle vivant, cours de M. Yvon, boulevard du Midi. professeur de dessin à l'École des Beaux-Arts (Osbert est Sutter 1964 et archives de Paris, calepins cadastraux AP/DIP4 Bd Magenta, 1876. 4e, Séon ge). 1870 Pendant la Guerre franco-prussienne et la Commune, les 13 août Seurat sont réfugiés à Fontainebleau. Au même concours de places Seurat est 77e sur 80 (Séon Annexe B. 4e, Aman-Jean, 25e, Ernest Laurent, dernier). Archives nationales AN/AJ52/78. 1874-75 Seurat fréquente le collège jusqu'à seize ans, dessine et s'intéresse aux idées de Corot sur le ton. 23 novembre Christophe, Georges Seurat, 1890. Seurat assiste peut-être au banquet offert à Lehmann par Annexes F et M ; dates portées sur des dessins (H 217, 220, 221). ses élèves puisque le menu gravé par Schommer figurait dans ses papiers. 1876 Commence à « tenir le pinceau » et suit les cours de dessin Archives de Hauke. de l'École municipale de sculpture et de dessin du 10e arrondissement, 19, rue des Petits-Hôtels (tout près de son 1879 18 mars domicile), que dirige un sculpteur, Justin Lequien fils Au concours de places Seurat est classé 47e sur 70 (Séon (1826-1882). Cette école a été fondée par le père de ce 14e, Osbert 21e). Archives nationales AN/AJ52/78. avril-mai 26 janvier Avec Aman-Jean et Ernest Laurent, Seurat aurait visité la Dans sa « Revue bibliographique » du Figaro, Philippe Gille quatrième exposition impressionniste où figurent notam- mentionne la Théorie scientifique des couleurs d'O. Rood que ment Caillebotte, Cassatt, Degas, Forain, Lebourg, Monet Seurat se procure peu après. et Pissarro qui leur cause un « choc inattendu et profond ». Annexe F. Rosenthal 1911 23 février 12 août Seurat se rend à l'exposition publique de la vente de la Seurat n'est pas classé au concours de places de l'École. Il « Collection d'un amateur », Hôtel Drouot, 24 février 1881 ne figure pas au palmarès des récompenses de travaux de et prend des notes à propos de trois tableaux de Delacroix. fin d'année alors que son ami Aman-Jean reçoit une Dans la même vente L'Enfant à l'épée de Manet dont Seurat mention honorable. ne dit rien. Archives nationales AN/AJ52/78. Annexe N. 31 octobre avril Seurat est « engagé conditionnel » ce qui réduit son service Sixième exposition impressionniste (Cassatt, Degas, militaire à un an, au 19c régiment de ligne. Sa fiche note sa Forain, Gauguin, Guillaumin, Morisot, Pissarro, Raffaëlli, taille : 1,76. Rouart, Tillot, Eug. Vidal, Vignon, Zandomeneghi). Archives de Paris : recensement classe de 1879. 6 mai A noter qu'à l'École des Beaux-Arts, une « Association des Il voit dans l'hôtel particulier du collectionneur Frédéric élèves anciens et nouveaux pour faciliter à leurs jeunes Hartmann, 18, rue de Courcelles, les Delacroix avant la camarades l'engagement volontaire d'un an » alloue 500 F vente de la collection le 7 mai (Lion attaqué et Cortège de à Ernest Laurent en octobre 1879 ; il reprendra ses études l'empereur du Maroc). après son service pour finir second grand prix de Rome en Annexe N. 1889. Archives nationales AN/AJ52/264. 2 mai-20 juin Puvis de Chavannes expose au Salon Le Pauvre Pêcheur 8 novembre dont une copie libre a été faite par Seurat (cat. 76). Seurat part pour Brest rejoindre son régiment. Sutter 1964, p. 22. été-automne Seurat passe deux mois à Pontaubert (près d'Avallon dans 1880 février-mars l'Yonne) avec Aman-Jean, rentrant à Paris le 8 octobre. Seurat lit la revue L'Art et les préceptes de Sutter sur l'art Annexe B. Archives Sutter (lettres familiales). antique. Il dessine (cat. 14, 15). Annexes F et I. 11 novembre Seurat voit chez le marchand Goupil cinq Delacroix. avril Annexe N. Cinquième exposition impressionniste (F. et M. Bracque- mond, Caillebotte, Cassatt, Degas, Forain, Gauguin, 1882 Au cours de l'année et probablement jusqu'en 1886, Seurat Guillaumin, Lebourg, Levert, Morisot, Pissarro, Raffaëlli, loue, 16, rue de Chabrol (laC), bâtiment en aile à droite, Rouart, Tillot, Eug. Vidal, Vignon, Zandomeneghi). escalier B, 5e étage, un atelier de peintre avec cheminée et, par escalier intérieur, au 6c étage une petite pièce à feu. Le juillet-novembre loyer annuel est 560 F. Toutefois il continue de donner Exposition des Œuvres de Thomas Couture au palais de l'adresse de sa mère, 110, boulevard Magenta (très proche l'Industrie que Seurat a probablement visitée. Il lit les de la rue Chabrol) au catalogue du Salon de 1883 et à celui écrits de Couture. des Indépendants en 1884, 1886 ainsi qu'à l'exposition de Annexe F. Nantes en 1886. Pendant toute la seconde moitié du xixc la rue de Chabrol abrite une petite colonie d'artistes, septembre notamment au n° 18. Participe à des manœuvres tandis que sa mère, en AP/D¡P 4 rue de Chabrol 1876 : le locataire suivant, un certain Garcia Messa, villégiature à Étretat, est présentée « en costume de bain artiste, est signalé dès 1887. dans la mer » à Henri Lehmann. Sutter 1964, p. 22 (lettre familiale). mars Septième exposition impressionniste (Caillebotte, Gau- 8 novembre guin, Guillaumin, Monet, Morisot, Pissarro, Renoir, Sisley, Seurat termine son service militaire et revient à Paris. Vignon). Sutter 1964, p. 23. mai 1881 Aman-Jean qui, comme Osbert, semble ne plus fréquenter Rétrospective Courbet à l'École des Beaux-Arts. l'École des Beaux-Arts après juillet 1880 est locataire d'un atelier, 32, rue de l'Arbalète, où il accueille Seurat. APID1P4 rue de l'Arbalète 1876 ; AN/AJ52/263 et 268. Annexe B. 1883 1er mai-20 juin Pour la première fois, Seurat expose au Salon un dessin mentionné au catalogue n° 3189 sous le titre Broderie mais selon le témoignage de Roger Marx et, plus tardif, de Jules Christophe, c'est le portrait d'Aman-Jean (cat. 29) qui y figure. Contrairement à ses amis Aman-Jean, Osbert, Séon et Ernest Laurent qui exposent également, Seurat ne se réclame pas de son maître Henri Lehmann dont l'exposi- tion rétrospective posthume à l'École des Beaux-Arts la même année est, il est vrai, aux dires des contemporains un « échec absolu ». Marx 1883 ; Christophe 1890. printemps Seurat entreprend Une baignade (Asnières) (fig. 30). septembre Ernest Laurent travaille à son tableau du Salon de 1884, Scène au bord d'un ruisseau (Beethoven, op. 68) dit aussi Le Concert Colonne (présumé perdu) pour lequel posent Osbert et Seurat. Dessin d'E. Laurent, Étude pour Scène au bord du ruisseau datée 18 7bre 83, Alphonse Osbert et Georges Seurat datés 1883 (musée du Louvre, Département des Arts graphiques, RF 12930, RF 23928, RF 23518, fig. 3). 6-10 octobre Seurat et Aman-Jean séjournent à la célèbre auberge Ganne, à Barbizon. M. T. de Forges, Barbizon, lieu-dit ( 1962), p. 74 et original communiqué par M. T. Caille.

1884 janvier Rétrospective Manet à l'École des Beaux-Arts. 15 mai-30 juin Refusé au Salon, Seurat expose Une baignade (Asnières), (catalogue n°251) avec les «artistes indépendants» Fig. 3 groupement libre d'artistes refusant le principe du jury Ernest Laurent, Georges Seurat, 1883, crayon Conté, 39 x 29. d'admission, dans un baraquement de la cour des Paris, musée du Louvre, département des Arts graphiques, fonds du musée d'Orsay Tuileries. Sa toile est « reléguée pudiquement au buffet » (don Louis Lacroix, 1933, RF 23518). mais lui attire tout de même quelques brèves mentions dans la presse, Fénéon, Sur Georges Seurat, 1926. 10 décembre 1884-17 janvier 1885 Paul Signac (1863-1935), Charles Angrand (1854-1926), Seurat expose avec la Société des artistes indépendants, Henri-Edmond Cross (1856-1910), Albert Dubois dit réorganisés, pavillon de la Ville de Paris sur les Champs- Dubois-Pillet (1846-1890), Odilon Redon (1840-1916), Élysées. Émile Schuffenecker (1851-1934) exposent aussi aux Indépendants et il est vraisemblable que Seurat se lie avec 241 L'Ile de la Grande Jatte, étude (cat. 137) eux à l'occasion des nombreuses assemblées et pétitions 242 9 croquetons qui accompagnent la naissance et l'élaboration des statuts 243 Portrait de M. A(man) J(ean) dessin (cat. 29) de la « Société des artistes indépendants » dont la Ces références correspondent à une note de F. Fénéon (Archives de Hauke) faisant allusion à une liste non retrouvée mais confirmée par une série de fondation est officiellement fixée le 11 juin 1884. mentions dans la presse. Signac, qui n'a pas fréquenté l'École des Beaux-Arts, mais « Pendant la dernière journée on a compté environ 350 peint depuis le début des années quatre-vingts est visiteurs. Pendant sa durée qui a été de 31 jours particulièrement attiré par l'impressionnisme. Il devient l'exposition des artistes indépendants a été visitée par un des rares amis de Seurat. environ 7 000 personnes. Sur ce nombre on a compté à peine 3 600 entrées payantes. » Chronique des arts et de la 22 mai curiosité, 17 janvier 1885. « Jour de l'Ascension: Grande Jatte, les études, le tableau », ainsi Seurat a-t-il fixé lui-même la genèse de sa 1885 mars seconde grande composition Un dimanche à la Grande Jatte Un dimanche à la Grande Jatte est prêt à être exposé aux (fig. 37). « Indépendants avortés ». Annexe F. Annexe F. mars-avril Adam, Félix Fénéon, Rodolphe Darzens, Ephraïm Mikhaël, Exposition de l'oeuvre d'Eugène Delacroix à l'École des Paul Alexis, Jean Moréas, Viélé-Griffin et Henri de Régnier Beaux-Arts. ainsi que J.-K. Huysmans que E. de Goncourt rencontre chez Caze peu de temps avant la mort de celui-ci. Caze été mourra le 28 mars 1886 des suites d'un duel (15 février) Seurat travaille à Grandcamp (cat. 158 à 162) avec Charles Vignier. E. de Goncourt, Journal, éd. Robert Ricatte, rééd. 1989, 11, p. 1232. août Publication de l'Introduction à une esthétique scientifique de 31 mars Charles Henry dans la Revue contemporaine, puis en Aux obsèques de Caze, à l'église Saint-Vincent-de-Paul, brochure, que Seurat annotera. ont assisté, outre Seurat et Signac, E. de Goncourt, A. Annexe L. Daudet, Henry Fouquier, Paul Bourget, Hennique, Céard, Paul Ginisty, Gramont, Bourgeat, Degas, Dumoulin, Paul 25 août-21 septembre Adam, Paul Alexis, Francis Enne, Geffroy, Tavernier, Effectue une période militaire de 28 jours au 45c de ligne à Mirbeau, Ajalbert, Maias, etc. Laon (Aisne). Le Cri du peuple, 1er avril 1886. Sutter 1964, p. 24. mars octobre La correspondance de Pissarro et de son fils montre les Reprend et termine Un dimanche à la Grande Jatte (fig. 37). difficultés à faire admettre Seurat et Signac par les « anciens impressionnistes » en vue d'une exposition du Il fait connaissance chez Durand-Ruel avec Camille groupe. Pissarro par l'intermédiaire de Paul Signac et de Guillau- C.P., vol. 2, na 319, 321, 331, 332, 333. min. La jeune génération qui semblait jusqu'alors peu se soucier des « vieux » impressionnistes entrevoit probable- 10 avril-mai ment dans ce rapprochement des possibilités d'exposi- Exposition Works in Oil and Pastel by the Impressionists of tions. Paris, New York, American Art Galleries puis National Annexe F. Academy of Design. De Seurat figurent: n° 112 Island Grande Jatte prix fixé 700 F (cat. 137), n° 133, 12 Studies 30 décembre (cat. 88), n° 170 Bathing prix fixé 2 500 F (cat. p. 180). Guillaumin écrit à Pissarro se faisant l'écho des préparatifs difficiles de l'exposition impressionniste : « Degas ne La décision prise par Durand-Ruel d'inviter Seurat et connaissant pas ou presque pas ce que font et Signac et Signac a probablement joué en faveur de leur admission à Seurat a dû être un peu inquiété par ce qu'il a entendu l'exposition parisienne. Durand-Ruel rendra les œuvres à dire. Mme Manet [Berthe Morisot] a vu l'année dernière Seurat fin novembre 1886 sans en acheter. les études de nos amis, elle me paraît bien disposée en leur Annexe D. faveur ; elle pourrait donc, le cas échéant, rassurer les craintes de Degas. » 2 mai Catalogue de vente Archives Camille Pissarro, Hôtel Drouot, 21 novembre 1975, n° 78. Trublot (Paul Alexis) détaille dans Le Cri du peuple sa collection où figurent : « deux mignonnes marines de 1886 janvier Seurat, un autre impressionniste violemment sincère avec Pour la première fois, le nom de Seurat apparaît sous la un coin de la rue Saint-Vincent, effet de neige. Sur la plume de Camille Pissarro : « Durand [Ruel] est allé hier butte » (H. 70 ; New York, coll. part.). chez Signac lui demander des tableaux pour l'exposition en Amérique ; il compte aller chez Seurat et Guillaumin. » mai (Sur cette exposition voir plus loin avril 1886). Dernières escarmouches à propos de l'exposition : « Hier j'ai eu un rude attrapage avec M. Manet à propos de Seurat L'intérêt du célèbre marchand des impressionnistes pour et de Signac ; ce dernier était du reste là, ainsi que Seurat n'a pas duré ; en revanche les liens avec Pissarro et Guillaumin. Je te prie de croire que je l'ai malmené, et Signac se confirment : Seurat en établira la chronologie : carrément. Cela n'a pas le don de plaire à Renoir. Du reste, « 1886, janvier ou février, Petite toile divisée en pureté de la pour couper court, j'ai expliqué à M. Manet, qui n'a dû rien teinte de Pissarro chez Clozet (sic) rue de Châteaudun, y comprendre, que Seurat apportait un élément nouveau ébranlant définitivement Signac qui exécute à Clichy ses que ces messieurs ne pouvaient apprécier malgré tout leur deux premiers tableaux divisés sans dessous achromati- talent, que moi, personnellement, je suis persuadé du ques et purs de touches qu'il a lui-même datés : Passage progrès qu'il y a dans cet art qui donnera, à un moment du puits Bertin, Clichy, mars-avril 1886 et les Gazomètres, donné, des résultats extraordinaires. [...] Degas est cent Clichy, mars-avril 1886. Voici la vérité. » fois plus loyal. J'ai dit à Degas que le tableau de Seurat C.P., vol. 2, n° 306 (janvier 1886). Annexe F. était fort intéressant : "Oh je m'en apercevrai bien, Pissarro, seulement que c'est grand !" A la bonne heure. Si A cette époque se resserrent les liens des jeunes peintres Degas n'y voit rien tant pis pour lui, c'est qu'il y a un côté avec les jeunes poètes autour de Robert Caze romancier et rare qui lui échappe. Tout cela s'aplanit. Nous allons poète qui a ses « Lundis » où viennent Jean Ajalbert, Paul exposer, toi, moi, Seurat et Signac dans la même salle, de cette façon nous pourrons ainsi nous entendre parfaite- eux. Seurat te garderait tes objets dans son atelier ; il est ment pour notre placement. » probable que je mettrai une partie de mes choses chez lui C.P., vol 2, n° 334, 335 (8 mai 1886). jusqu'à l'arrivée de Durand [Ruel] », écrit Camille Pissarro à son fils Lucien. Il faut aussi noter que c'est Berthe Morisot (Mme Manet) C.P., vol. 2, n" 339 (juin 1886). qui était venue début mai dans l'atelier de Seurat et de Signac pour les inviter. 19 juin Lettre de Schuffenecker à Camille Pissarro, 1er mai 1886, catalogue vente Gauguin « emprunte » pour travailler l'atelier de Signac où Archives Camille Pissarro, Hôtel Drouot, 21 novembre 1975, n° 163. sont entreposées les toiles de Pissarro ; Seurat averti par Pissarro de cette « indélicatesse de matelot » le dit à Signac Quelques jours avant l'exposition rue Laffitte, Louis Hayet qui tente d'apaiser toute cette affaire où perce l'animosité en compagnie de Camille et Lucien Pissarro, admire Un de Seurat à l'égard de Gauguin sur le point de partir pour dimanche à la Grande Jatte, dans l'atelier rue de Chabrol. Pont-Aven. Cet incident laisse pressentir que ni Gauguin, Autobiographie manuscrite de Louis Hayet, renseignement communiqué ni Guillaumin n'exposeront aux Indépendants à l'au- par Dr. Guy Dulon. tomne. Lettre de Seurat à Signac, 19 juin 1886, DR p. XLIX. 15 mai-15 juin Lettres de Gauguin à Signac et de Signac à Pissarro, Correspondance de Paul 8e exposition de peinture, 11, rue Laffitte (Maison dorée, Gauguin 1873-1888, Paris, éd. Victor Merlhès, 1984, n° 103. angle bd. des Italiens), dernière exposition impressionniste où Seurat figure avec Marie Bracquemond, Mary Cassatt, Pour la première fois est mentionnée dans le catalogue de Degas, Forain, Gauguin, Guillaumin, Berthe Morisot, C. l'exposition rue Laffitte l'adresse de son atelier 128 bis, Pissarro, L. Pissarro, O. Redon, H. Rouart, Schuffenecker, boulevard de Clichy. Sa présence y est confirmée en 1887 Signac, Tillot, Vignon, Zandomeneghi. par les calepins cadastraux comme locataire au 6e étage du bâtiment sur cour d'un atelier et d'une pièce à feu. 175 Un Dimanche à la Grande Jatte ( 1884) (cat. p. 204) «... petite pièce cénobitique contenant un lit étroit et bas, 176 Le bec du Hoc (Grand-Camp) (cat. 160) en face d'anciennes toiles retournées, la Baignade et des 177 Le fort Samson (Grand-Camp) (H 157) Marines. Dans l'atelier aux murs blancs s'appendaient ses 178 La rade de Grand-Camp (cat. 159) souvenirs d'école des Beaux-Arts, un petit tableau de 179 La Seine, à Courbevoie (cat. 151) Guillaumin, un Constantin Guys, des Forain, toiles et 180 Les pêcheurs. Appartient à M. Appert [beau-frère de dessins devenus habituels et pour lui des colorations Seurat] (cat. 96) connues et fondues dans son mur, un divan rouge, peu de 181 Une parade (dessin) (cat. 156) chaises, une petite table où voisinaient des revues amies, 182 Condoléances, idem. Appartiennent à M. J.-K. des livres de jeunes écrivains, des pinceaux et des couleurs Huysmans (cat. 157) et le cornet de tabac. Contre un panneau, le couvrant tout 183 La banquiste, idem. Appartient à Mme Robert Caze entier, La Grande Jatte [...]. » Le loyer est de 480 F. Signac (cat. 43) habite le même type d'atelier au n° 130. Kahn 1891. Parmi les critiques extrêmement nombreuses, soit peu favorables (Mirbeau, Paulet, Wyzewa), soit positives 21 juin (Adam, Ajalbert, Alexandre, Alexis, Auriol, Christophe, Seurat est déjà arrivé à Honfleur chez M. Hélouin, receveur Darzens, Fèvre, Fouquier, Geffroy, Henry, Kahn, Henne- central de l'Octroi, 15, rue de Grâce, avec l'idée de quin, Hermel, Maus, Regnier, Verhaeren, Vidal), il faut travailler. Le temps, beau, se gâte ensuite mais le peintre surtout retenir celle de Félix Fénéon qui dit avoir alors séjourne à Honfleur jusqu'à la mi-août. A Signac il rencontré Seurat et ses amis pour la première fois à cette annonce avoir fait « 6 toiles seulement » (cat. 163, 165, occasion bien qu'il se soit souvenu d'avoir vu Une baignade 166, 169 et p. 275) qu'il n'envisage pas d'exposer tout de en 1884. suite. « Je partirai probablement le 13 [août] à 9 heures du DR p. XI. soir, un vendredi. Moi qui suis superstitieux me voilà propre. » 16 juin Lettres de Seurat à Signac, Honfleur, 25 juin, après le 5 juillet et début août Seurat, désabusé, écrit à Signac : « Les exposants de la rue 1886, DR p. L-LII. Laffitte se sont quittés débandés plutôt comme de véritables pleutres », tout en se faisant l'écho des diverses 21 août-21 septembre cabales fomentées par Gauguin que suit Guillaumin. La Au milieu d'une polémique qui oppose la « Société » de veille, il a assisté au vernissage de la cinquième exposition Dubois-Pillet au groupe mené par un certain Sardey internationale chez Georges Petit, rue de Sèze où figurent, s'ouvre la 2e exposition de la Société des artistes entre autres, des œuvres de Renoir et Monet. On voit indépendants, 1886, dans un baraquement de la cour des d'ailleurs souvent Seurat en ville à cette époque, à La Tuileries, bâtiment B près du pavillon de Flore. Nouvelle Athènes rue Pigalle ou chez Vetzel, (Taverne de l'Opéra), 1, rue Auber. 353 Un Dimanche à la Grande Jatte ( 1884) Lettre de Seurat à Signac, DR p. XLVIII, XLIX. 354 Le Bec du Hoc Grandcamp (cat. 160) 355 La Rade de Grandcamp (cat. 159) Le succès l'encourage à exposer de nouveau : « Seurat, 356 La Seine à Courbevoie (ca t. 151) Signac, Gauguin et Guillaumin doivent exposer aux 357 Coin d'un bassin (Honfleur) (H 163 ; Otterlo, Indépendants et te conseillent de faire la campagne avec Rijksmuseum KroIler-MuIler) 358 Grandcamp (soir) Seurat, artiste de grande valeur, qui a été le premier à avoir 359 La Luzerne (Saint-Denis) (cat. 150) l'idée d'appliquer la théorie scientifique après l'avoir 360 Bateaux (H 155) étudiée à fond. Je n'ai fait que suivre comme mes autres 361 Croqueton (Courbevoie) (H 116) confrères, Signac, Dubois-Pillet, l'exemple donné par 362 Bords de la Seine (Croqueton) (H 132) Seurat. » Pissarro souligne aussi que le marchand n'a rien de lui « non plus de Seurat, Signac, non plus de Parmi les autres exposants Angrand, Cross, Dubois-Pillet, Dubois-Pillet ni en peinture, ni à la gouache qui ait Lucien Pissarro, Henri Rousseau, Signac, regroupés dans la quelque rapport avec ces doctrines ». salle du fond. Camille Pissarro visite l'exposition et juge C.P., vol. 2, n" 357, 358 (4 et 6 novembre 1886). que « le nouveau Seurat faisait très bien ; il a raison, le soleil doit être presque blanc ». début décembre C.P., vol. 2, n" 353 (17 septembre 1886). Charles Pillet, ancien commissaire-priseur devenu courtier, oncle de Dubois-Pillet, paraît se rallier aux néo- Félix Fénéon emploie pour la première fois le terme de impressionnistes et essayer de placer leurs oeuvres chez des « méthode néo-impressionniste » dans un article. amateurs. Fénéon L'Art moderne 1886. Nouvelles escarmouches au café de La Nouvelle Athènes 18 septembre entre Pissarro qui se joint à Seurat, Signac et Dubois-Pillet Jean Moréas publie « Un manifeste littéraire. Le symbo- et le clan Gauguin, Guillaumin, Zandomeneghi qui s'est lisme » dans Le Figaro, 18 septembre 1886. rallié à Degas. La nouvelle de ce que Seurat est invité par les XX fait sensation. 10 octobre 1886-15 janvier 1887 Fénéon, Seurat, Signac, Pissarro sont invités chez Dubois- Exposition des Beaux-Arts, Nantes, palais du Cours Saint- Pillet. André. C.P., vol. 2, n° 361 (3 décembre 1886). 968 L'hospice et le Phare de Honfleur (cat. 166) 1887 janvier 969 La grève du Bas-Butin (Honfleur) (cat. 163) « Seurat a envoyé deux toiles chez Martinet ; ce dernier, après avoir fait des éloges enthousiastes, chez Seurat, a Seurat y est finalement invité probablement grâce à l'appui bafouillé quand il a fallu exposer : la lumière du gaz, le de John Flornoy, un peintre nantais ami de Camille et cadre blanc, l'intérêt même du peintre, etc. J'ai été le voir Lucien Pissarro, fils du premier propriétaire de La Loge de et comme il m'a demandé quelque chose pour sa vente, il a Renoir (Londres, Courtauld Institute Galleries) qu'il fait les plus plates excuses. Dans la soirée, en passant avec remercie. Seurat sur les boulevards, les deux toiles étaient exposées, Lettre de J. Flornoy à Camille Pissarro, 23 novembre 1886 (copie dans les Archives de Hauke). mais rue du Helder. » C.P., vol. 2, n" 374 (8 janvier 1887). fin octobre Parution de la brochure de Félix Fénéon, Les Impressionnis- Un écho du Journal des arts, 11 février 1887, signale le tes en 1886 éditée par La Vogue, que Pissarro avait relue renouveau de la galerie, boulevard des Italiens, au coin de demandant à Fénéon de « préciser quand il s'agit de la rue du Helder, sous la direction de Louis Martinet, Seurat, qui le premier a eu le bon sens de mettre peintre, ancien imprésario, « le Martinet des Fantaisies consciencieusement en pratique les théories de Chevreul ». Parisiennes, du Théâtre lyrique, du Cercle Vivienne. Outre La Vogue, les néo-impressionnistes peuvent aussi M. Martinet accepte tous les genres, hors le genre compter sur La Revue indépendante qui renaît en novembre ennuyeux ». 1886 avec Fénéon puis Jean Ajalbert comme rédacteur en chef. 13 janvier C.P., vol. 2, n" 356 (automne 1886). Seurat expédie sept toiles à Bruxelles pour les XX (sur cette exposition voir plus loin février 1887). Il dîne à Asnières 23 octobre avec Signac (c'est probablement chez la mère de celui-ci Le poète belge, Émile Verhaeren, peut-être accompagné du que la réunion a lieu), Pissarro et Fénéon, commensaux critique Octave Maus, rend visite à Seurat dans son atelier habituels. et acquiert Coin d'un bassin Honfleur (H 163). Seurat est Lettre de Seurat à Verhaeren, début 1887. Herbert, Gazette des Beaux-Arts, invité à exposer aux XX à Bruxelles. 1959. C.P., vol. 2, n° 379, 381 (13-14 janvier 1887). Lettre de Seurat à Verhaeren, début 1887, Herbert, Gazette des Beaux-Arts, 1959. Seurat a noté la date, le titre du tableau et l'adresse de Verhaeren sur 19 janvier un feuillet où est aussi consigné le retour des tableaux de New York, le nom Seurat écrit à Octave Maus, secrétaire des XX de de M. van Cutsem avec le titre du tableau qu'il acquiert après les XX La Grève du Bas-Butin (voir février 1887 et cat. 163) et le nom de Paul Adam lié Bruxelles : « Je crois utile de vous faire connaître l'horreur au titre La Jetée d'Honfleur (H 170 ; Otterlo, Rijksmuseum Krôller-Muller). que m'inspire le vernis. Il arrive souvent qu'un marchand Annexe D. de couleurs vernisse sans ordres, croyant bien faire, envoyant ensuite sa petite note [VETO] je m'oppose à tout début novembre vernissage de mes toiles gratuit ou payé. » Durand-Ruel demande à Camille Pissarro d'écrire une Bibliothèque royale de Belgique, Archives Octave Maus. notice sur ses « doctrines artistiques nouvelles ». Le peintre le renvoie à la brochure de Fénéon et insiste : « C'est M. janvier mars Pissarro recommande à son fils Lucien d'envoyer sa carte à Avec notamment Signac, Dubois-Pillet, Odilon Redon, Mme Seurat mère qui lui a commandé une « petite toile Pissarro, etc., Seurat assiste au banquet des Indépendants nouvelle manière » pour 100 F, toile de six Soleil couchant. dit Le Rouge et le Bleu. Un peu plus tard, Mme Seurat « qui connaît des amateurs Trublot [Paul Alexis], « A Minuit », Le Cri du peuple, 12 mars 1887. de Degas » s'occupe de trouver un acheteur pour Pissarro qui, à bout d'expédients, songe à vendre un dessin de 17 mars Degas qu'il possède. Le marchand Portier pense qu'une nouvelle exposition C.P., vol. 2, n° 374, 381, 382, 383, 384, 391 (8, 14, 15, 18, 20, 31 janvier impressionniste réunie sous l'autorité de Degas est 1887). impossible car, dit-il à Pissarro, Degas n'accepterait ni Seurat, ni Signac, ni Dubois-Pillet. 2 février-fin février : C.P., vol. 2, n° 406 (17 mars 1887). IVe exposition annuelle des XX, Bruxelles, Seurat y a envoyé : 26 mars-3 mai Aucun projet d'exposition particulière n'ayant abouti, 1 Un dimanche à la Grande Jatte Seurat envoie à la Société des artistes indépendants, 1887, 2 Le bec du Hoc, Grandcamp (cat. 160) 3e exposition, pavillon de la Ville de Paris, Champs- 3 La rade de Grandcamp (cat. 159) Élysées. 4 Coin d'un bassin à Honfleur appartient à Émile Verhaeren (H 163, Otterlo, Rijksmuseum Krôller- 439 Le phare d'Honfleur appartient à M. Émile Verhaeren Miiller) (cat. 166) 5 L'hospice et le Phare d'Honfleur (cat. 166) 440 La grève du Bas-Butin (Honfleur) appartient à M. van 6 La grève du Bas-Butin, Honfleur (cat. 163) Cutsem (cat. 163) 7 L'Embouchure de la Seine, soir (cat. 165) 441 Embouchure de la Seine (Honfleur) (cat. 165) 442 Le pont de Courbevoie appartient à M. Arsène Seurat, en compagnie de Signac, assiste au vernissage Alexandre (cat. 170) dans l'ancien musée royal de peinture : « Une foule 443 Entrée du port d'Honfleur appartient à M. Félix énorme, une cohue épouvantable, très bourgeoisement Fénéon (H 171) anti-artiste. En somme, un grand succès pour nous : la 444 La Maria (Honfleur) (cat. 169) toile de Seurat était invisible, impossible d'approcher 445 Bout de la jetée d'Honfleur tellement la foule était énorme. » 446 Poseuse (cat. 183) 447 Douze croquis Plus tard Signac ajoute : « La Grande Jatte de Seurat à mon 448 Éden-Concert (cat. 193) avis perd un peu dans cette grande salle ; il y a un certain travail inutile qui disparaît à cette distance. On sent que Parmi les autres exposants, Angrand, Cross, Dubois-Pillet, cette toile a été faite dans une petite pièce. » Gausson, Luce, Lucien Pissarro, Redon, Henri Rousseau, Lettres de Signac à Pissarro, catalogue vente Archives Camille Pissarro, Hôtel Drouot, 21 novembre 1975, n° 171 et 172. Signac. avril Les autres invités français sont : C. Pissarro, Berthe Morisot, Lebourg, Rodin, Raffaëlli, Marie Cazin et Ary Seurat, Signac et Luce assistent au procès d'un assassin, Renan. Szubert, défendu brillamment par Jean Ajalbert. Ajalbert 1938, p. 262. Henri van'Cutsem (1839-1904), de Bruxelles achète 300 F La Grève du Bas-Butin. Émile Verhaeren avait déjà acheté 13 mai L'Hospice et le Phare d'Honfleur. Herbert, Gazette des Beaux-Arts, 1959. Seurat assiste avec ses amis indépendants au dîner Le Rouge et le Bleu au cours duquel Ernest Hoschedé porte un février toast à Pissarro. On note les « jolis résultats de la récente Signac propose à Maus d'organiser une exposition des XX exposition des Indépendants, 6 500 entrées payantes, 3 000 F de bénéfices nets payés pour la Société tous frais à Paris : « L'Art français avancé serait représenté par Camille et Lucien Pissarro, Seurat, Dubois-Pillet, Redon et payés ». Trublot [Paul Alexis], « A Minuit », Le Cri du peuple, 13 mai 1887. le groupe vingtiste par van Rysselberghe, Finch, Schlo- bach, Dario de Regoyos et Charlet. » Ce projet paraît être mi-mai soutenu par G. Lèbre, directeur de La Vie moderne qui Selon Pissarro, Seurat juge sévèrement les « anciens prêterait les salons d'un hôtel particulier pour une petite impressionnistes », Monet, Renoir, Sisley rassemblés par la exposition « aristocratiquement discrète » du 15 avril au 15 6e exposition internationale chez Petit en mai-juin, épar- mai. Pourtant Seurat surprend ses amis en refusant de voir gnant seulement Pissarro et Berthe Morisot. Signac probablement par crainte de divulguer ses recher- C.P., vol. 2, n° 423 (15 mai 1887). ches artistiques. Lettre de Signac à Camille Pissarro, catalogue de vente Archives Camille Pissarro, Hôtel Drouot, 21 novembre 1975, n° 172 et C.P., vol. 2, n° 397, 398 mai-juin (25 février 1887). Rétrospective J.-F. Millet à l'École des Beaux-Arts. 31 mai Comprends plus rien. Tout fait tache. Travail pénible. » Pissarro dit à son fils Lucien de mettre en garde Seurat et Lettre de Seurat à Signac, août 1887. Signac contre le mélange de jaune de cadmium recom- DR, p. LXI. mandé par le fournisseur Contet avec d'autres pigments qui le font noircir. 1-21 septembre C.P., vol. 2, n" 431 (31 mai 1887). Seurat effectue une période militaire à Laon. Sutter 1964, p. 24 et lettre de Seurat à Signac, s.d. (Archives Signac). Cette lettre est à rapprocher de la mention de Seurat, « sur le conseil de Pissarro, je lâche le vert émeraude 1885 ». mi-septembre Annexe F. Au cours d'un déjeuner, Renoir et son amateur le pâtissier-écrivain-peintre Murer se livrent, raconte Pis- début juin sarro, à un « débinage des jeunes : Seurat n'a rien trouvé, « Peux-tu demander de ma part à Seurat le prix du vin cela se croit à un génie etc. Tu penses bien si je les ai d'Algérie et à qui on pourrait s'adresser pour en avoir ? » arrangés. Je croyais qu'ils étaient au courant un tant soit C.P., vol 2, n° 437 (5 ou 6 juin 1887). peu de notre mouvement, rien, ils n'y comprennent pas un mot ». 11 juin C.P., vol. 2, n° 452 (20 septembre 1887). Seurat fixe un rendez-vous à Fénéon pour le lendemain. Lettre de Seurat à Fénéon (Archives de Hauke). 5 novembre Seurat dessine sa tante Anaïs Haumonté Faivre sur son lit mi-juin de mort (cat. 177). « J'ai visité hier l'atelier de Seurat. Son grand tableau [Poseuses] avance. C'est déjà charmant d'harmonie. Ce sera 15 novembre évidemment une très belle chose. Mais, ce qui sera très Seurat assiste au dîner Le Rouge et le Bleu chez Philippe au surprenant, ce sera l'exécution de l'encadrement. J'en ai vu Palais-Royal, réunion des Indépendants. un commencement. [...] Nous serons forcés d'en faire de Trublot [Paul Alexis], « A Minuit », Le Cri du peuple, 15 novembre 1887. même. Le tableau n'est plus du tout le même dans le blanc ou toute autre matière. Positivement, on n'a idée du soleil novembre ou du temps gris que par ce complément indispensable. Je Vincent van Gogh, Émile Bernard, Anquetin, Toulouse- vais de mon côté essayer cela ; je n'exposerai, bien Lautrec, A. H. Koning et peut-être Guillaumin exposent au entendu, qu'après que notre ami Seurat aura fait connaître Grand Bouillon, restaurant du Chalet, 43, avenue de Clichy. la priorité de son idée, comme de juste. » Seurat visite l'exposition et y rencontre van Gogh pour la C.P., vol. 2, n" 441 (16 juin 1887). première fois. Ce dernier, qui connaît Signac est déjà pénétré de l'influence du néo-impressionnisme. fin juin Brouillon de lettre de Seurat à Maurice Beaubourg, 28 août 1890. Annexe E. Verhaeren rend visite à Seurat qui lui offre un croqueton mais s'inquiète ensuite de ses véritables intentions. Après fin nov.-décembre-janvier 1888 avoir vu Angrand et Theo van Rysselberghe, Dujardin, Seurat, Signac, van Gogh exposent dans la salle de Vidal et le fils Picard (fils d'Edmond Picard éditeur de L'Art répétition du Théâtre Libre d'Antoine, 96, rue Blanche. moderne), qui préparent les XX, Seurat demeure « seul 15 décembre Parisien impressionniste-luministe à Paris avec Dubois- Seurat informe Alphonse Osbert qu'il assistera au second Pillet qui s'amuse à passer des revues au lieu de travailler ». « dîner amical des anciens élèves de l'atelier Lehmann » Dubois-Pillet était officier des Gardes républicains. prévu le 20 décembre. Il assista probablement au premier Lettre de Seurat à Signac, 2 juillet 1887. DR, p. LX-LXI. Lettre de Seurat à Verhaeren, 2 juillet 1887, Herbert, Gazette des Beaux-Arts, 1959. en 1884 ou 1885 et au troisième, le 20 novembre 1888. Copie de lettre, Archives Sutter. juillet Dubois-Pillet et Seurat ne parviennent pas à imposer au 1888 Publication du Cercle chromatique de Charles Henry pour comité des Indépendants la proposition de Signac d'inter- lequel Signac prépare une affiche et une annonce dire aux sociétaires d'exposer dans un salon comprenant publicitaire ; Signac, dans les trois années qui suivent, un jury ; Dubois-Pillet demande à Signac de ne pas illustre les conférences et les écrits de Charles Henry. compromettre par sa pétulance la position jusqu'ici janvier 1888 dominante des néo-impressionnistes au sein de la Société Seurat expose La Rade de Grandcamp (cat. 159) et Embou- des artistes indépendants. chure de la Seine, soir, Honfleur (cat. 165) dans les salons de Lettres de Dubois-Pillet à Signac 30 septembre 1887 et 8 janvier 1888 (Archives Signac). La Revue indépendante, 11, rue de la Chaussée-d'Antin. Fénéon janvier 1888. août Un dessin de Seurat (H 477) illustre l'édition de luxe de La février Revue indépendante d'août 1887. Seurat expose deux dessins de café-concert et Le Bec du Hoc (cat. 160) dans les salons de La Revue indépendante. Seurat assiste à l'enterrement de Jules Laforgue mort le Fénéon mars 1888. 20 août avec Jules Christophe et Fénéon. Il travaille aux Poseuses : « Toile au plâtre désespérante. 19 février juin Quelques heures avant son départ pour Arles, Vincent van « Le chef du Petit Boulevard est sans aucun doute Seurat », Gogh va avec son frère Theo voir des tableaux de Seurat écrit Vincent à Theo van Gogh faisant ainsi de Seurat la dans son atelier, « une révélation de couleur ». figure dominante de la jeune génération par rapport aux Lettre de Vincent à Theo van Gogh, mai 1890, Correspondance complète de peintres du « grand boulevard » — les aînés impressionnis- Vincent van Gogh, 1960, t. III, 633 F, p. 454. tes — que vend Theo. Lettre de Vincent à Theo van Gogh, deuxième quinzaine de juin 1888, 24 février Correspondance complète de Vincent van Gogh, 1960, t. III, 500 F, p. 100. A l'occasion de l'exposition des XX où Signac expose, Pissarro lui écrit : « Tout le poids du néo vous pèse sur les Theo prête le dessin de Seurat qu'il possède à l'exposition épaules. On n'attaque pas Seurat parce qu'il est muet. On du Nederlandsche Etsklub à Amsterdam dont il est un des me dédaigne comme l'on fait pour les vieux gâteux ; mais organisateurs. vous, dame, on mord sachant que vous êtes rageur. » C.P., vol. 2, n° 472 ( 24 février 1888). juillet Seurat séjourne à Port-en-Bessin (cat. 203 à 207). 2-3 mars Une carte postale à Signac (Paris, Institut néerlandais, A la vente des œuvres offertes à Marguerite Pillet (fille de fondation Custodia) donne son adresse « chez Charles, décédé au début novembre 1887), Hôtel Drouot, M. Marion ». 2-3 mars 1888, Theo van Gogh acquiert un dessin de Seurat, Éden-Concert, 17, 85 F (cat. 193). août Pissarro invite Seurat et Signac à Éragny. 10 mars C.P., vol. 2, n° 500 (22 août 1888). Vincent félicite son frère pour l'achat du Seurat et lui recommande de tenter un échange avec une toile de lui, 26 août souhait répété un peu 'plus tard. Il imagine aussi la Seurat se défend auprès de Signac d'être l'instigateur de possibilité d'un consortium de marchands acquérant et l'article d'Arsène Alexandre, « Le mouvement artistique » montrant des œuvres des impressionnistes et des jeunes dans Paris du 13 août 1888 où le critique avait écrit « Seurat peintres dont Seurat. [...] le véritable apôtre de la lentille [...] qui pour un peu se Lettre de Vincent à Theo van Gogh, 10 mars 1888, Correspondance complète de verrait contester la paternité de la théorie par des critiques Vincent van Gogh, 1960, t. III, 468 F, p. 29. peu avertis ou des camarades peu scrupuleux » mais Seurat souligne tout de même que « plus nous serons, moins nous 22 mars-3 mai aurons d'originalité » et admet qu'il ne veut pas qu'on le Seurat expose à la Société des artistes indépendants, 1888, dise élève de Pissarro. Pissarro, avec humour, propose à 4e exposition, pavillon de la Ville de Paris, Champs- Signac de « donner à Seurat un brevet d'introduction si Élysées. cela flatte son orgueil » mais ajoute « pour l'avenir de notre art "l'impressionnisme" il faut absolument rester en dehors 613 Poseuses (fig. 51 bis) de l'influence d'école de Seurat, vous l'avez du reste 614 Parade de cirque (cat. 198) vous-même pressenti, Seurat est de l'école des Beaux-Arts, il en 615 Au Concert européen (cat. 192) est imprégné ». Mais Signac demeure blessé de la rancune 616 A la Gaîté Rochechouart (cat. 195) de Seurat et conclut : « Le mieux est de traiter son 617 Au Divan japonais (H 690) hypocrite et jalouse personnalité comme quantité négli- 618 Forte Chanteuse (H 684) geable et de ne faire attention qu'à ses œuvres [...]. Je ne 619 Dîneur (cat. 32) donnerai pas mon amitié à un huissier de cet acabit. Je 620 Lecture (cat. 176) réserverai mon admiration pour l'artiste. » 621 Balayeur (cat. 180) Lettre de Seurat à Signac, 26 août 1888, DR, p. LXV. C.P., vol. 2, n" 503 622 Jeune Fille (probablement cat. 179) (30 août 1888) collationnée ici sur l'original in Archives Signac. Lettre de Signac à Camille Pissarro, 7 septembre 1888 (qui recopie la lettre initiale de Seurat), catalogue de vente Archives Camille Pissarro, Hôtel Drouot, Parmi les autres exposants Angrand, Anquetin, Cross, 21 novembre 1975, n° 180. Dubois-Pillet, Gausson, Luce, Lucien Pissarro, Henri Rousseau, Séon, Signac et Vincent van Gogh qui 1889 début de l'année demandera à son frère que son nom ne figure au catalogue Seurat peint la tour Eiffel avant son achèvement que comme Vincent. (cat. 208).

Des bruits ont sans doute couru que la Ville de Paris février pourrait acheter les Poseuses car Vincent van Gogh évoque Nouvel envoi à la VIe exposition des XX à Bruxelles. de nouveau la nécessité d'acheter un « grand Seurat ». Lettre de Vincent à Theo van Gogh, mars 1888, Correspondance complète de 1 Les poseuses (cat. p. 309) Vincent van Gogh, 1960, t. III, 471 F, p. 36. 2 Bords de la Seine Ile de la Grande Jatte (H. 176, Bruxelles, musée d'Art moderne) printemps 3 Temps gris (id.) (cat. 172) Seurat retourne travailler à la Grande Jatte avec Angrand. 4 Port-en-Bessin Lettre d'Angrand à Signac, 2 avril 1898 in Charles Angrand, Correspondance, éd. François Lespinasse, 1988, p. 93. — Un dimanche (H. 191, Otterlo, Rijksmuseum KrôlIer-MûIler) 5 ici. — Le pont et les quais (cat. 207) Un peu plus tard Dubois-Pillet écrit : « Quant à Seurat, il a 6 ici. — L'avant-port (marée haute) (cat. 204) disparu, il a demandé un congé au président du comité : je 7 ici. — L'avant-port (marée basse) (cat. 206) l'avais vu quelques jours avant il ne m'en avait pas parlé, 8 ici. Les jetées toujours mystérieux, il ne cause qu'avec Séon. » 9 Les Grues et la Percée (cat. 203) Lettre de Dubois-Pillet à Signac, s.d., (Archives Signac).

Dessins printemps 10 M. Paul Alexis (H. 691) De par la date de naissance de leur enfant (16 février II Au Concert européen (cat. 192) 1890), on peut supposer la liaison de Seurat avec 12 A la Gaîté Rochechouart (cat. 195) Madeleine Knoblock, une jeune ouvrière née le 28 juin 1868. Toutefois, sur la foi d'une lettre inédite de Madeleine Les autres artistes invités sont Albert Besnard, Bracque- Knoblock à Paul Signac (Archives Signac) écrite après la mond, Henri-Edmond Cross, Marcellin Desboutin, Paul de mort de Seurat, au début juillet 1891, où la jeune femme Vigne, Emmanuel Fremiet, Gauguin, Max Klinger, Luce, affirme « il m'aimait et me gardait pour lui et cela depuis Constantin Meunier, Moreau-Nélaton, Monet, C. Pissarro, 6 ans sans que jamais vous n'en ayez rien su », cette liaison P. Wilson Steer, W. Scott, W. B. Tholen. remonterait à 1885.

17 février Gauguin visant Seurat et Signac peint sa Nature morte Seurat remercie Octave Maus de son article dans La ripipoint dédicacée à Marie (Henry) souvenir (du) Pouldu Cravache, fixe à 60 F le prix d'un dessin. « Quant à mes (18)89. Poseuses, je suis très embarrassé pour en fixer le prix. Je D. Wildenstein, Gauguin, 1964, n" 376. compte comme frais, une année à 7 francs par jour : ainsi vous voyez où cela me mène. Pour me résumer, je vous été dirai que la personnalité de l'amateur peut me payer la Séjour au Crotoy (cat. 209, 210). différence de son prix au mien. » Lettre de Seurat à Maus, 17 février 1889 DR p. LXVIII. 3 septembre-4 octobre Expose avec la Société des artistes indépendants, 1889, Le prix doit osciller entre 2 000 et 2 500 F. A titre de Se exposition, salle de la Société d'Horticulture, 84, rue de comparaison, Raffaëlli, à la même époque, demande Grenelle Saint-Germain. 15 000 F pour cent dessins et fixe son budget à 1 500 F par mois. 241 Le Crotoy (aval) (cat. 209) (E. de Goncourt, Journal, éd. Robert Ricatte, rééd. 1989, III, p. 123, 284, 242 Le Crotoy (amont) (cat. 210) 12 mai 1888 et 21 juin 1889). 243 Port-en-Bessin (cat. 207) Côté impressionnistes, Renoir vend ses petites toiles entre Parmi les autres exposants, Anquetin, Dubois-Pillet, 500 et 1 000 F, Monet, Degas le double et plus. L'Olympia Filiger, Gausson, Hayet, Lemmen, Luce, O'Conor, Osbert, de Manet est payée presque 20 000 F à sa veuve. Enfin, Lucien Pissarro, Henri Rousseau, Séon, Signac, Toulouse- l'État a payé 4 000 F en 1888 Le Pauvre Pêcheur de Puvis de Lautrec, van Gogh. Chavannes alors que son marchand en demandait 6 000 F. Seurat, très assidu aux différentes réunions, et Signac font 8 mars partie des membres du comité. Dubois-Pillet, malgré son activité effective, n'est pas nommé pour lui éviter des Theo van Gogh annonce à C. Pissarro le retour des ennuis avec l'autorité militaire dont il dépend. tableaux exposés aux XX. « Il paraît que Luce a vendu ses deux tableaux. [ ... 1 Seurat et Gauguin ont eu également la chance de vendre un tableau chacun. » « Je suis allé à l'exposition de la rue de Grenelle, j'y ai rencontré Fénéon et Regnier. Kahn fait ses vingt-huit jours Lettre de Théo van Gogh à Camille Pissarro citée dans C.P.. vol. 2, p. 267, note 1. n'a pu avoir un congé. J'ai vu Hayet le matin d'hier. Il était mécontent des places. La salle est belle ; je trouve, en Au dos d'une liste d'expositions destinée à Félix Fénéon, entrant, la lumière pas trop mauvaise. De chaque côté de la Seurat note les « vingtistes favorables à la peinture salle principale se trouvent deux petites salles en boyau optique, Anna Boch, Frantz Charlet, A. Willy Finch, Dario d'une lumière crue affreuse : les touches de couleurs de Regoyos, Jan Toorop, Henry van de Velde, Theo van paraissent effroyablement en relief. Mais dans la salle Rysselberghe, Guillaume Vogels, Georges Lemmen ». principale cela me paraît fort convenable. A première vue, H. p. XX (Archives de Hauke). certes les Néo me paraissent maigriots, chétifs, blancs surtout Seurat et Signac. Mais une fois la vue acclimatée, 14 avril cela paraît beaucoup moins tout en laissant une espèce de Dubois-Pillet annonce à Signac qu'« a été louée pour figé qui me paraît désagréable. Un nouveau Seurat dans la l'exposition la salle d'Horticulture de la rue de Grenelle grande salle me paraît fort beau, très blond, un Signac de 2 200 F ». « C'était l'avis de Seurat et aussi le mien, cette année, même salle est aussi fort beau, ferme, mais seulement on ne pourra exposer que 2 toiles [...]. Je ne vois trop près de l'art de Seurat... » plus personne que Seurat aux réunions du comité [des C.P., vol. 2, n" 540 (9 septembre 1889). Indépendants]. » Lettre de Dubois-Pillet à Signac, 14 avril 1889 (Archives Signac). 1890 janvier 22 juin : 5 h 25 Exposition Jules Chéret, rue Saint-Lazare ; à cette époque Fénéon se rend avec Lecomte chez Seurat et ne le trouve Seurat et sa mère possèdent des affiches de Chéret. pas, laissant sa carte. février 23 juin Publication du roman de Victor Joze, L'Homme à femmes Fénéon écrit à Seurat une lettre d'apaisement toutefois (cat. 213). ironique. H. vol. 1, p. XXII. 16 février Naissance de son fils, Pierre Georges, 30, passage de 24 juin l'Élysée-des-Beaux-Arts, derrière la place Pigalle (aujour- Seurat annonce à Fénéon qu'il va dans le « Nord, environs d'hui rue André-Antoine) nouvelle adresse de l'artiste qui de Calais » en répétant qu'il demeure blessé de la manière figurera aussi pour la première fois au catalogue cité dont Fénéon a présenté la chronologie de Signac. ci-dessous. H, vol I, p. XXIII. 20 mars-27 avril 29 juillet Expose à la Société des artistes indépendants, 1890, 6e Mort de Vincent van Gogh : « Signac m'a appris sa mort exposition, pavillon de la Ville de Paris, Champs-Élysées. ainsi : "Il se flanque une balle dans le côté, elle traverse le corps et va se loger dans l'aine. Il se promène deux 726 Chahut (fig. 87) kilomètres perdant tout son sang et va expirer à son 727 Jeune Femme se poudrant (cat. 211) auberge." » 728 Port-en-Bessin un dimanche (H 191, Otterlo, Rijksmu- Brouillon de lettre de Seurat à Maurice Beaubourg, 28 août 1890. Annexe E. seum Kroller-MûlIer) 729 Port-en-Bessin, l'avant-port (marée basse) appartient à 18 août M. de la Hault) (cat. 206) Mort de Dubois-Pillet au Puy. Il sera enterré au cimetière 730 Port-en-Bessin, l'avant-port (marée haute) (cat. 204) Montmartre à Paris le 25 août. 731 Port-en-Bessin, entrée de l'avant-port (cat. 205) 732 Les Grues et la Percée (cat. 203) 733 Temps gris-Grande Jatte (cat. 172) 734 Printemps-Grande Jatte (H. 176, Bruxelles, musée d'Art moderne) 735 Paul Alexis (H. 691) Paul Signac (cat. 214) Parmi les autres exposants Angrand, Anquetin, Anna Boch, Cross, Dario de Regoyos, Dubois-Pillet, Filiger, Finch, Gausson, Guillaumin, Lemmen, Luce, O'Conor, Osbert, Robert Picard, Lucien Pissarro, Henri Rousseau, Signac, Toulouse-Lautrec, van Rysselberghe, van de Velde, van Gogh. Seurat, Signac, Luce et Osbert font partie du comité. Le président Sadi Carnot visite l'exposition avec un catalogue spécialement relié en bleu et rouge avec un flot de rubans : « MM. Goubot, Serendat de Belzim, Seurat, Signac, Tessier, se sont longuement entretenus avec le président de la République qui, pendant toute la durée de sa longue visite, s'est montré on ne peut plus gracieux pour les jeunes indépendants. » « M. le président Carnot s'est fait présenter MM. Seurat et Signac, deux jeunes impressionnistes, qui se sont mis à sa disposition pour expliquer au président les procédés et les mérites de la nouvelle école. » New York Herald, 20 mars 1890 ; Petite Presse et un autre quotidien, 21 mars 1890 d'après des coupures de presse de l'Argus Seurat. avril Publication par Jules Christophe du « Seurat » des Hommes d'aujourd'hui (portrait par Luce) puis par Félix Fénéon de « Signac » qui provoque la lettre de mise au point de Seurat Fig. 3 bis à Fénéon du 20 juin 1890. Couverture de la monographie consacrée à Georges Seurat dans Les Hommes Annexe F. d'Aujourd'hui, 1890. Paris, bibliothèque du musée d'Orsay. Seurat apprend la nouvelle par les journaux et écrit (de Parmi les autres exposants Angrand, Anquetin, Émile manière très contrainte) à Signac que « cloué ici [à Bernard, Anna Boch, Bonnard, Cross, Maurice Denis, Gravelines] par les circonstances je ne sais que faire pour Toulouse-Lautrec, Dubois-Pillet (hommage), A. W. Finch, m'associer aux regrets que cause cette mort ». Paul Gachet, Gausson, Guillaumin, Ibels-, Lemmen, Luce, Lettre de Seurat à Signac, 19 août 1890. Archives Signac. Maufra, Osbert, Lucien Pissarro, Signac, van Gogh (à titre posthume), van Rysselberghe. 19 août Il écrit dans le même sens et donne son adresse au peintre Seurat, Signac, Luce, Osbert et Toulouse-Lautrec font Edmond Valton, président de la Société des indépendants partie du comité. « Rue de l'Esturgeon au petit Fort Philippe par Gravelines Nord ». lundi 23 mars Le président de la République Sadi Carnot, accompagné du Il accuse réception à Jules Christophe de la brochure des général Brugère, visite l'exposition des Indépendants. Hommes d'aujourd'hui qu'il adressera à Maurice Beaubourg. Journal des arts, 27 mars 1891. Archives de Hauke. jeudi 26 mars 28 août Seurat tombe malade. Rédige sa lettre manifeste à Maurice Beaubourg qui ne fut jamais envoyée. vendredi 27 mars Annexe E. Aidé par une amie, il se rend avec Madeleine Knoblock, enceinte, et son fils Pierre chez sa mère, boulevard 1891 2 février Magenta. Seurat assiste à un grand banquet littéraire en l'honneur du symbolisme, présidé par Mallarmé, organisé par Barrès dimanche 29 mars et Regnier, hommage à Jean Moréas qui vient de publier Meurt à 6 heures du matin de ce qu'on désigne alors avec succès Le Pèlerin passionné. comme une angine infectieuse (probablement de diphtérie Le Figaro, 2 et 3 février 1891. maligne). Il a trente et un ans.

février 30 mars Expose aux XX, VIIIe exposition annuelle, Bruxelles, Obsèques à l'église Saint-Vincent-de-Paul. musée d'Art moderne. 31 mars 1 Chahut (cat. p. 386) Enterrement au cimetière du Père-Lachaise dans le caveau Le Crotoy familial (66e division, lrc ligne, 65, n° 7). 2 Amont (cat. 210) 3 Aval (cat. 209) 13 avril Le Chenal de Gravelines Mort du fils de Seurat enterré au Père-Lachaise aux côtés 4 Grand Fort Philippe (cat. 218) de son père. 5 direction de la Mer (H. 206, Otterlo, Rijksmuseum Kroller-MùlIer) 21 avril 6 Petit Fort Philippe (cat. 217) Émile Seurat, frère de l'artiste, écrit à Félix Fénéon : « M. 7 un Soir (cat. 219) Signac, obligé de s'absenter pour quelque temps me prie d'avoir recours à votre obligeance pour procéder à un Les autres invités sont Charles Angrand, Jean Baffier, partage des ouvrages laissés par mon frère Georges Seurat Maurits Bauer, Jules Chéret, Walter Crane, Charles Filiger, entre Mme Knoblock et moi représentant la famille de Gauguin, Guillaumin, Carl Larsson, Adolf Oberlânder, mon frère. Mme Knoblock doit choisir quelqu'un, proba- Pissarro, Sisley, Eugène Smits, P. Wilson Steer, Charles blement M. Luce, pour la représenter dans cette opération van der Stappen, Floris Verster et van Gogh à titre que vous dirigerez si vous le voulez bien. » posthume. Archives de Hauke.

20 mars-27 avril 3 mai Expose à la Société des artistes indépendants, 1891, Rendez-vous pris à l'atelier pour le partage. 7c exposition, pavillon de la Ville de Paris, Champs- Lettre d'Émile Seurat à Fénéon, 30 avril 1890 (Archives de Hauke). Élysées. Un inventaire est dressé et les œuvres paraphées par 1102 Cirque (cat. 223) Fénéon, Signac et Luce. 1103 Le Chenal de Gravelines : Grand fort Philippe (cat. 218) 1104 Le Chenal de Gravelines : Direction de la mer (H. 206, La famille désire offrir aux amis de Seurat soit un Otterlo, Rijksmuseum Kroller-Muller) panneau, soit un dessin. 1105 Le Chenal de Gravelines : Petit fort Philippe (cat. 217) 1106 Le Chenal de Gravelines : Un soir (cat. 219) 24 mai Mort du père de Seurat dans sa propriété du Raincy. juillet-août décembre Une pénible polémique s'élève entre Fénéon, Signac, Luce Première exposition des Peintres néo-impressionnistes dans d'un côté et Gustave Kahn, Mme Kahn et Lemmen de les salons de l'hôtel Brébant, 32, Bd. Poissonnière avec des l'autre, chaque partie accusant l'autre de vouloir profiter œuvres de Seurat. de la mort de Seurat aux dépens notamment de Madeleine Knoblock, pauvre fille démunie et naïve. Theo van 1894 15 septembre Rysselberghe sert d'arbitre, pacifie les parties et dresse la Signac note dans son Journal : « Comme l'on est injuste liste des œuvres remises aux amis belges van Rysselber- avec Seurat. Dire que l'on ne veut pas reconnaître en lui un ghe, van de Velde, Finch, Dario de Regoyos, Mlle Boch, des génies du siècle ! Les jeunes sont pleins d'admiration Verhaeren, Edmond Picard et Robert Picard, Lemmen, pour Laforgue et van Gogh — morts eux aussi (du reste Maus, Dubois, Olin, Mme Kahn. sans cela...) — et pour Seurat... l'oubli, le silence. » Paris, Bibliothèque du Louvre, dossier composé de lettres de Signac, van Signac Journal, éd. J. Rewald, p. 104. Rysselberghe, Gustave Kahn, Luce, Mme Vve Seurat, Madeleine Knoblock, acquis en vente publique, Fontainebleau, Hôtel des ventes, 21 février 1988 et Archives de Hauke et Signac. 1895 février-mars Exposition chez Léonce Moline, 20, rue Laffitte de 24 Gustave Kahn a acquis Chahut de Madeleine Knoblock qui peintures et 13 dessins de Seurat avec des œuvres d'autres l'avait reçu en partage ; elle attend la fin du paiement, artistes. 500 F pour le 5 septembre. Lettre de M. Knoblock. Archives Signac et de Hauke. 1898 3 janvier Le comte Kessler, qui a acheté Poseuses (fig. 51 bis) à 1892 février Vollard 1 200 F, rend visite à Mme Vve Seurat avec Signac, Les XX organisent un hommage à Georges Seurat. Bd. Magenta. Signal Journal, éd. J. Rewald, p. 273. mars-avril Hommage à Seurat à l'exposition de la Société des artistes 12 mars indépendants. « La pauvre mère Seurat est inquiète de ce que deviendront ses grandes toiles après sa mort. Elle voudrait bien les

Fig. 4 Anonyme, Lucie Brû (plus tard Lucie Cousturier) devant Un dimanche à la Grande Jatte, acquise par son père, Casimir Brû, en 1900. léguer à un musée... Mais quel est le musée qui voudrait, aujourd'hui, les agréer. » Signac ,IL,lirticil, l'do J. Rewald, p. 279.

1899 Publication de l'ouvrage de Paul Signac, De Delacroix au néo-impressionnisme par La Revue blanche; des extraits étaient parus dans cette revue et dans Pan l'année précédente.

30 juillet Mort de la mère de l'artiste qui, par testament, lègue une rente viagère de 1 200 F à Madeleine Knoblock. Sittter 1964. p. 27.

1900 3 avril « Exposition Seurat [...] Entassées dans la salle de la Revue Blanche, pêle-mêle, les unes sur les autres, par terre, à contre-jour, les œuvres principales de Seurat sont réunies. Et malgré ce peu d'apparat leur beauté sereine et puissante s'impose. Tous ces gens qui autrefois s'étonnaient ou riaient sont forcés d'admirer. La famille pourtant million- naire vend tout cela... surtout je crois parce que ça les gêne. Fénéon achète la Baignade, moi le Cirque pour 500 F et Monsieur Brû (fig. 4) La Grande Jatte pour 800 F. Il demande et il obtient « par-dessus le marché » un des plus admirables dessins, le portrait de Mme Seurat. Ces gens-là n'ont pas de honte à vendre ainsi le portrait de leur mère par leur frère ! De ces beaux dessins ils demandent 10 F sans cadre et 100 F quand ils sont sous verre. Il y aura un Seurat à l'exposition centennale. Comme de juste ils ont choisi le plus banal, celui qui doit passer le plus inaperçu. » Signac Journal, DR p. LXXVIII et original, Archives Signac.

1903 18 août Mort de Madeleine Knoblock d'une cirrhose du foie. Copie du certificat, Archives Sutter. A.D. Catalogue Tournai Musée des Beaux-Arts de Tournai, cat. 163 Troyes Musée d'Art Moderne, cat. 81, 96 Varzy M. et Mme Georges Dufour, cat. 91, 101 Vienne Albertina, fig. 8 Washington D.C. The Corcoran Gallery of Art, fig. 89 Dunbarton Oaks, cat. 73 The National Gallery of Art, cat. 120, 166, 190, 203 ; fig. 35 The Phillips Collection, cat. 44, 88 Zurich Fondation E. G. Bürle, fig. 40, 77 Mme Walter Feilchenfeldt, cat. 132

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Cet ouvrage a été achevé d'imprimer sur les presses de l'imprimerie Marne à Tours, en mars 1991 Photogravure Bussière AG Composition SCCM Maquette Bruno Pfaffli

Dépôt légal : avril 1991 ISBN 2.7118.2440 3 EC 10 2440 Participant d’une démarche de transmission de fictions ou de savoirs rendus difficiles d’accès par le temps, cette édition numérique redonne vie à une œuvre existant jusqu’alors uniquement sur un support imprimé, conformément à la loi n° 2012-287 du 1er mars 2012 relative à l’exploitation des Livres Indisponibles du XXe siècle.

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