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Séquences La revue de cinéma

Tommy Lee Jones, l’inflexible Maurice Elia

Number 174, September–October 1994

URI: https://id.erudit.org/iderudit/49826ac

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Publisher(s) La revue Séquences Inc.

ISSN 0037-2412 (print) 1923-5100 (digital)

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Cite this article Elia, M. (1994). , l’inflexible. Séquences, (174), 26–28.

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ommy Lee jones s'est bâti une carrière à Story, qui se déroulait en grande partie sur le important dans une production de «A Patriot for partir de rêves consciencieusement pesés. campus même de l'université. Détail: il y jouait Me» de John Osborne. Et puis c'est officiellement T Texan militant «jusqu'à la mort» (il est né un certain Hank, compagnon de turne de Ryan Broadway avec «Four in the Garden» (aux côtés à San Saba, le 15 septembre 1946), il a commencé O'Neal, et au générique, il se faisait appeler Tom de et ) et « in par travailler comme manœuvre sur les Lee Jones. Nightgown» (avec ). On le verra par la concessions pétrolières paternelles. La terre est au Cependant, ce n'est pas au cinéma que tout suite dans des productions off-Broadway, telles centre de la plupart de ses films, que ce soit une avait commencé, mais au théâtre. «Under «Blue Boys» et le très controversé revival de terre à défendre, à restituer à son propriétaire ou Milkwood» de Dylan Thomas symbolise son «Fortune and Men's Eyes» de , sur à conquérir avec, si nécessaire, une intransigeante premier passage sur les planches, production l'homosexualité carcérale. Sa carrière cinéma­ férocité. C'est l'homme des défis finaux, celui des universitaire où il se fait déjà remarquer. Il monte tographique commence à démarrer (toujours sous aventures qui doivent avoir une fin quelle qu'elle alors à New York où, dix jours à peine après son le nom de Tom Lee Jones) avec une curiosité, une soit. Intraitable, rigoriste, inflexible, inébranlable, arrivée, il décroche de ces perles dont on parle uniquement lorsqu'on obstiné jusqu'à la corde, c'est le genre de type qui est entouré d'un public d'intellos plus ou moins ne se laissera jamais marcher sur les pieds. Sauf, sur le retour. Il s'agit d'Eliza's Horoscope de bien entendu, si l'écraseur d'orteils en question lui Gordon Sheppard, cinéaste montréalais né en démontre par a+b, l'utilité fondamentale de son 1937, sorte d'immense hallucination aux allures geste. Alors là, il s'assoit avec lui, écoute toute vaguement démentielles, dont la première eut lieu son argumentation, réfléchit et décide. Les à Montréal le 13 mai 1976 dans une église personnages de Tommy Lee Jones sont des aujourd'hui détruite au coin des rues Redpath et êtres pensants qui exigent une finalité Sherbrooke. On y était accueilli par des cierges extrême dans leurs pensées. Peut-être est-ce allumés bien haut, et l'écran, placé tout juste au- aussi le portrait même de l'acteur. dessus de l'autel, surgissait comme une espèce Après tout, Tommy Lee Jones ne sourit de fantôme mi-art déco mi-hippie, (je ne pas souvent. Ni dans ses films, ni dans la plaisante pas: j'y étais!) Tommy Lee Jones a vie. Lorsqu'il le fait, c'est pour raconter bien dû se poser quelques questions sur ce qu'il une blague de son cru ou comme pour venait faire dans cette galère (filmée cependant répondre à un besoin nerveux que lui par trois chefs-opérateurs de talent: Jean Boffety, demandent ses maxillaires. Il ne rigole Michel Brault et Paul van der Linden, ce dernier surtout pas lorsqu'on lui pose les mêmes ayant fini de tourner les images du film après le questions au sujet de sa fierté de se départ successif des deux premiers!). proclamer redneck, ni si on lui demande les À partir de ce moment, le comédien accepte sempiternels détails sur son amitié avec Al des rôles pour la télévision, ne serait-ce que pour Gore, actuel vice-président des États-Unis, avec survivre dans ce monde infernal où il a choisi de qui il partageait une chambre à Harvard. vivre. Il sera sergent de police essayant d'établir Harvard. Pour lui, ce nom est synonyme de un constat d'accident monumental dans réussite. Réussite universitaire d'abord, puisqu'il Smash-up on Interstate 5 avant en sortit avec un diplôme d'anglais «avec de décrocher le rôle titre de The distinction» et qu'il y fit une éminente mais brève Amazing . Un carrière de footballeur (All-lvy et All-East), mais portrait de milliardaire tourné de aussi réussite professionnelle, puisque son façon léthargique par un vieux premier rôle au cinéma fut dans Love routier de la chose, mais pour

26 Séquences leur peau, montre chaque palpitation de leur âme. Une enquête, une poursuite, le grand showdown, Il devient pour le spectateur habitué à le voir, pour rideau. le critique qui suit pas à pas sa carrière, d'une Cependant, les personnages de justicier en justesse confondante. Sa seule présence com­ proie à des problèmes sociaux, face aux autorités mence à susciter l'intérêt. C'est une présence en place restent du domaine des films qu'il tourne humaine indéniable qui paraît fournir à son public pour la télévision. Il reste inoubliable dans Barn l'aliment qu'il recherche. Est-ce inconscient chez Burning, adapté par Horton Foote d'une nouvelle lui? Ou le résultat d'un travail extraordinaire de de William Faulkner, reçoit une nomination aux finesse, de rigueur? On ne peut jamais le savoir. Emmys pour son rôle du capitaine Woodrow Call Tommy Lee Jones reste très secret sur sa manière dans . Il décide de s'emparer de de jouer. C'est un acteur. Et qu'on le juge comme Central Park en représailles contre l'attitude du tel, un point, c'est tout. gouvernement américain à l'égard des vétérans du Et ses films. Pas trop de chroniques douces- Vietnam dans The Park is Mine. Il décroche le rôle amères, de drames psychologiques; de l'action principal de Brick dans l'adaptation télé de Cat on Jones et Sissy Spacek dans Coal Miner's Daughter plutôt, beaucoup d'action où il campe des per­ a Hot Tin Roof de Tennessee Williams (ses alter­ sonnages violents, cruels, proches d'une schi­ cations avec Big Daddy/Rip Tom sont extraordi­ Tommy Lee Jones, c'est déjà une petite, très zophrénie avancée. Dès 1990, il parviendra à naires) et sa prestation dans The Executioner's petite consécration. C'est l'époque où on le voit nous faire partager son tempérament d'écorché. Il Song (qui lui rapporta un Emmy d'interprétation) (quatre ans durant) dans «», mélo aura sans doute du mal à l'exprimer dans la rete­ est proche du chef-d'œuvre. Il y joue le condamné à mort , soutenu par les visites en d'après-midi très couru à l'époque. Et aussi nue, mais ceci ne sera jamais intégré à la nature prison de sa très jeune copine, rôle interprété par dans l'émission-pilote de «Charlie's Angels» de son personnage. Son talent sera plus délectable Rosanna Arquette. avec Farrah Fawcett, Kate Jackson et Jaclyn dans une structure plus ouverte, plus classique. Smith. Le grand écran lui propose de petites choses, bien que son som paraisse au générique de façon très distincte: Jackson County Jail, Rolling Thunder, , et l'horrible The Betsy... Puis vint Coal Miner's Daughter qui permit à Sissy Spacek (jouant la chanteuse country ) de remporter l'Oscar d'interpétation. Le scénario de Tom Rickman y était sans doute pour quelque chose ainsi que la direction, directe et solide, de . Et avec ce film, Tommy Lee Jones est déjà devenu Tommy Lee Jones. Il est des individus qui ne se limitent pas uniquement à des paroles ou à des fonctions, si fortes que soient les répliques qu'on leur demande ]oe Pantoliano, Daniel Roebuck et Tommy Lee Jones dans The Fugitive de prononcer. Ils semblent exister au-delà de cette apparence qui nous occupe, cette apparence dure, âpre, farouche, rigoureuse, qui vient tout à coup se faire déchirer par une fêlure, un frisson. Tout à coup, il y a un autre devant nous, tout à coup, nous le voyons, nous voyons son corps, ses mou­ vements, nous entendons sa voix, nous le con­ naissons. Surprise: est-ce nous? Jones sait finalement projeter l'immobile esthétique de son visage ravagé par les plis, le frémissement de son visage sous des yeux résolument froncés. Nous le voyons, mais ce qui est plus, il nous regarde. Et nous le laissons nous regarder, agréablement, presque laborieusement, transis sous la fascination qui émane de son regard. Le comédien se met alors à affiner ses per­ sonnages dans chacun de ses films suivants. Il fait Jones dans corps avec chacun d'eux, habite chaque repli de

No 174 — Septembre/octobre 1994 27 En dépit de ses récents succès (l'Oscar pour The Fugitive et le torrent de ses films sortis ou à F 1 L M 0 G R A P H 1 E sortir cette année), Tommy Lee Jones avoue que Shakespeare lui manque: «Rien ne vaut de gagner 1970 LOVE STORY () son salaire en jouant Shakespeare, mais ça ne paie 1972 ELIZA'S HOROSCOPE (Gordon malheureusement pas assez.» Il ajoute que le Sheppard) métier d'acteur est risqué et qu'il lui fait souvent 1976 JACKSON COUNTY JAIL (Michael peur. Que les gens qui vont voir ses films ne sont Miller) tout de même pas idiots. Et qu'il voudrait qu'on ne SMASH-UP ON INTERSTATE 5 lui pose pas de questions au sujet de sa famille et (tv)ijohn Llewellyn Moxey) de la vie quotidienne. Ce que l'on sait néanmoins, 1977 ROLLING THUNDER () c'est qu'il aime Tolstoï, T.S. Eliot, Brecht, THE AMAZING HOWARD HUGHES John Ruskin et, bien entendu, l'irremplaçable (tvKWilliam A. Graham) Shakespeare. 1978 EYES OF LAURA MARS (Irvin Tous les films de Tommy Lee Jones ne sont pas Kershner} extraordinaires. Il voudrait pouvoir lui-même THE BETSY (Daniel Pétrie) oublier The Big Town dans lequel il jouait un 1980 COAL MINER'S DAUGHTER (Michael propriétaire de club de jeux, marié à une strip- Apted) teaseuse () et faisant la vie dure à un BARN BURNING (tv)() jeune joueur (). Et deux ou trois autres 1981 BACK ROADS () à choisir au hasard dans sa filmographie.Terroriste irlandais dans Blown Away (oubliera-t-on jamais 1982 THE EXECUTIONER'S SONG son petit jeu cruel, devant la petite fille et sa mère, (tv)() avec les deux crabes sur une plage de Cape Cod?), 1983 NATE AND HAYES (Ferdinand Fairfax) gardien de prison dans Natural Born Killers 1984 THE RIVER RAT (Tom Rickman) (d', avec qui il tourne pour la troi­ 1985 {tv)(Jack sième fois après JFK et Heaven and Earth), Hofsiss) ingénieur nucléaire dans Blue Sky (dernier film de THE PARK IS MINE (tv)(Steven Hilliard , avec , qu'il Stern) retrouve après Cat on a Hot Tin Roof ), on le verra Jones dans The Cirent 1986 BLACK MOON RISING (Harley bientôt dans Cobb, biographie de , Cokliss) Il n'est pas toujours facile de s'adapter aux légende du baseball majeur et dans Batman YURI NOSENKO, KGB (MMick méthodes de travail de Tommy Lee Jones. Sissy Forever, où il jouera, sous la direction de Joel Jackson) Spacek l'a déjà signalé lors du tournage de Coal Schumacher (The Client), l'affreux Harvey Two- 1987 THE BIG TOWN (Ben Bolt) Miner's Daughter. Et avoue avoir été Face à l'ultime double personnalité. Voilà qui 1988 STORMY MONDAY () réduite à l'état de emotional wreck lors de Back promet. Roads de Martin Ritt. Cependant, ce dernier film GOTHAM (tvXLIoyd Fonvielle) devait s'avérer un des grands moments de sa vie Maurice Elia APRIL MORNING (MDelbert Mann) personnelle puisque c'est là qu'il rencontra STRANGER ON MY LAND (tv)(Larry Kimberlea Gayle Cloughley, une figurante qui Elikann) devait devenir sa femme et dont il a aujourd'hui 1989 THE PACKAGE () un fils, Austin (12 ans) et une fille, Victoria (3 ans). LONESOME DOVE (tv) Les Jones habitent au . 1990 (David Green) Tommy Lee Jones file en flèche depuis le début 1991 JFK (Oliver Stone) des années 1990, grosso modo depuis la chance 1992 (Andrew Davis) que lui donna Oliver Stone avec JFK (il y jouait l'homosexuel , impliqué d'une certaine HOUSE OF CARDS (Michael Lessac) façon dans l'assassinat du président Kennedy). 1993 THE FUGITIVE (Andrew Davis) Depuis, il a déjà collectionné les formules HEAVEN AND EARTH (Oliver Stone) célèbres tirées de ses films. Dans The Fugitive, 1994 THE CLIENT () face à qui lui avoue au bord d'un BLOWN AWAY {Stephen Hopkins) précipice qu'il n'a pas tué son épouse, il hurle: «/ NATURAL BORN KILLERS (Oliver don't careh. Dans The Client, exaspéré par les Stone) informations que lui donne au compte-gouttes BLUE SKY (Tony Richardson) , il lui demande sarcastiquement si COBB () un mot s'écrit avec un trait d'union («/s «walk-in» 1995 (Joel Schumacher) hyphenatedh) Jones dans Blown Away P^HMHHHHHHRMMBHBBMHH

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