Chapitre I. TEXTES DE CADRAGE GÉNÉRAL

Croissance démographique et dynamiques migratoires récentes des grandes villes tunisiennes RIDHA LAMINE Professeur de géographie, Faculté des Lettres et Sciences humaines de [email protected]

INTRODUCTION Les données du recensement général de la population de 2004 ont confirmé la tendance à la baisse de la croissance de la population tunisienne (un taux d’accroissement moyen annuel de 1,21 % entre 1994 et 2004, pour un taux de 2,35 % entre 1984 et 1994) et ce en raison de la baisse de la fécondité. Dans ce contexte de baisse de la croissance démographique, la population communale a continué à s’accroître assez rapidement (un taux de 1,83 % entre 1994 et 2004), même si elle a connu un ralentissement certain, en partie dû à la baisse de la fécondité des citadins. Les grandes villes, définies comme étant les agglomérations urbaines regroupant plus de 100 000 habitants en 2004, ont connu une croissance soutenue dans ce contexte de baisse de la croissance urbaine et de chute de la natalité, aussi bien en milieu rural que dans les villes. La cause principale de cette croissance réside dans la capacité de ces agglomérations et à leur tête , d’attirer des migrants en provenance des régions intérieures où les campagnes et mêmes les petites et moyennes villes ne sont plus capables de retenir leur croît démographique. La géographie de la croissance des grandes villes est toutefois marquée par une dominante de l’organisation du territoire tunisien : la concentration sur le littoral oriental et plus précisément autour des golfes de Tunis et d’Hammamet. Dans cet espace qui concentre de plus en plus de population et de potentialités économiques, le dynamisme démographique et économique doit être mis en relation avec les dynamiques de métropolisation qui sont en rapport étroit avec l’intégration dans l’économie internationale. Si cette intégration a été engagée depuis plus de trois décennies avec le développement des industries textiles exportatrices et le tourisme international, elle connaît depuis moins d’une décennie des mutations qui tendent à renforcer les positions des villes les plus anciennement engagées dans les processus de métropolisation. Dans ce qui suit, l’analyse de la croissance récente des grandes villes tunisiennes sera focalisée sur l’appréciation de l’apport des migrants originaires des régions intérieures dans la croissance de ces villes. L’une des interrogations majeures de cette approche se rapporte au sens des mutations que connaissent ces villes : leurs pouvoirs d’attirer des migrants internes sont-ils en rapport avec leurs potentialités économiques ? Attirent-elles les mêmes migrants internes qu’elles attiraient durant les décennies précédentes ? Leurs potentialités économiques et leurs pouvoirs d’attraction varient-ils en fonction de leur position géographique ? Les mutations dans les champs migratoires et les profils des migrants vers les grandes villes sont- elles liées à leurs mutations métropolitaines ?

I. UNE CROISSANCE URBAINE SOUTENUE DANS UN CONTEXTE DE BAISSE DE LA FÉCONDITÉ L’analyse de la croissance récente des grandes villes nécessite la résolution du problème de définition de cette strate urbaine. Les statistiques tunisiennes ne livrant pas de données agrégées à l’échelle des agglomérations réelles, il est nécessaire de regrouper les effectifs de population des communes qui constituent ces agglomérations.

1. La croissance récente des grandes villes Dans ce qui suit, sont considérées grandes villes les agglomérations urbaines dont les effectifs de population dépassaient 100 000 habitants en 2004. Sur un total de 263 communes, les grandes villes en regroupent 64 qui se répartissent entre les huit agglomérations retenues. La première, et la plus grande, est celle du Grand Tunis qui réunit toutes les communes des gouvernorats de Tunis, Ariana, et Manouba1. La deuxième est celle du Grand composée des communes suivantes : Sfax, St Daier, St Ezzit, El Ain, , , et . Le Grand Sousse qui occupe la troisième position, comprend les communes de Sousse, Ksiba, Zaouia, Thrayet, Zouhour, Messâdine, Msaken, Hm Sousse, K. Séghira, K. Kébira et . Le Grand Gabès se compose des communes de Gabès, Chenini, Nahal, Ghannouche, Methouia et . Le Grand comprend Nabeul, El Fehri et Hammamet. Le Grand se compose de Bizerte, Ml Jemil et Ml Abderahman. Enfin les villes de et de Gafsa2 sont les seules grandes villes de l’intérieur du pays dont la population dépasse 100 000 habitants

a. Croissance démographique par milieu La population tunisienne a connu depuis quatre décennies une évolution démographique marquée par un ralentissement progressif de la croissance. En augmentant de 4,5 millions d’habitants en 1966 à 9,9 millions en 2004, son taux d’accroissement annuel est passé de 2,35 % pour la période 1966-1975 à 1,21 % durant la décennie 1994-2004. La population des communes, que l’on peut considérer comme la population urbaine, elle aussi, a connu un ralentissement durant les mêmes périodes : de 4,29 % entre 1966 et 1975 à 1,83 % entre 1994 et 2004 Tableau 1. Évolution de la population entre 1966 et 2004.

Populations 1966 1975 1984 1994 2004 Communale 1 819 700 2 655 800 3 680 800 5 361 800 6 429 500 Non communale 2 713 600 2 932 400 3 285 400 3 423 600 3 481 400 Totale 4 533 300 5 588 200 6 966 200 8 785 400 9 910 900 Source : INS.

1 Même si certaines communes du gouvernorat de ne font pas réellement partie intégrante de l’agglomération du Grand Tunis et sont encore des centres ruraux distincts du tissu de l’agglomération. Toutefois, leur intégration administrative et économique dans le Grand Tunis plaide en faveur de leur insertion dans cette grande aire urbaine. 2 On pourrait ici parler du Grand qui se compose des deux communes de Gafsa et d’El Gsar. Ce ralentissement global de la croissance est le résultat d’une baisse notable de la fécondité qui ne se limite plus aux seules régions et villes déjà engagées dans la transition démographique, mais touche aussi des zones rurales et des régions qui étaient, il y a moins d’une décennie, très fécondes (c’est surtout le cas du Sud et du Centre-Ouest). Si la fécondité a baissé dans l’ensemble du territoire national, la croissance démographique en milieu rural a été durant la période 1966-2004, nettement moins élevée que pour l’ensemble de la population : le ralentissement est net entre la période 1975-1984 (1,27 %) et la période 1994-2004 (0,17 %). En dehors des communes, le ralentissement de la croissance démographique est le résultat de trois effets conjugués : la baisse de la fécondité, les migrations (exode rural, migrations interrégionales et internationales) et la création de nouvelles communes par la promotion de centres ruraux ou l’extension des périmètres des communes existantes.

Tableau 2. Taux d’accroissement de la population par milieux (1966-2004).

Taux annuel en % 1966-1975 1975-1984 1984-1994 1994-2004 Communale 4,29 3,69 3,83 1,83 Non communale 0,87 1,27 0,41 0,17 Totale 2,35 2,48 2,35 1,21

Source : INS.

Gr.1 Taux d'accroissement annuel en % Communale

4,50 Non communale 4,00 Totale 3,50

3,00

2,50

2,00

1,50

1,00

0,50

0,00 1966-75 1975-84 1984-94 1994-04

b. La croissance récente des grandes villes Parmi la population des communes, les villes de plus de 100 000 habitants totalisent plus de 3,6 millions d’habitants sur un ensemble de 6,5 millions, soit plus de la moitié de la population urbaine (56,2 % en 2004 et 55 % en 1994) et près de 37 % de l’ensemble des Tunisiens. Leur prépondérance apparaît aussi plus nettement dans leur capacité à accaparer une part majoritaire des nouveaux citadins (plus de 670 000 entre 1994 et 2004, soit plus de 62 % du total du croît urbain). Les grandes villes se distinguent ainsi par un dynamisme démographique inégalé dans les autres strates de l’armature urbaine tunisienne. Leur taux de croissance de 2,06 % a été supérieur à celui des petites et moyennes villes qui ont cru, durant les périodes précédentes, à des rythmes plus rapides, suite aux actions de promotion entreprises par l’État et qui ont renforcé leur capacité d’attraction grâce aux services publics qui y ont été implantés. Tableau 3. Population communale par tranches (1994-2004).

Tranches 1994 2004 Croît total Nombre Sup. 100 2 990 032 3 661 979 671 947 8 30 à 100 1 054 864 1 286 737 231 873 26 10 à 30 831 062 928 549 97 487 55 Inf. 10 556 898 636 944 80 046 118 Total 5 432 856 6 514 209 1 081 353 207

Source : INS. La décennie 1994-2004 se distingue donc par une recrudescence de la dynamique démographique (et économique) du niveau supérieur de la hiérarchie urbaine et par l’essoufflement des strates inférieures suite à la perte du pouvoir d’attraction des services publics d’encadrement et l’incapacité des autres activités à attirer les populations rurales environnantes ou même, pour certaines villes, à retenir leurs propres populations (l’exemple de Thala peuplée de 14 624 habitants en 1994 et qui n’en abrite plus que 13 968 en 2004 et dont le taux d’accroissement annuel durant la période a été de moins 0,46 % est représentatif).

Tableau 4. Population communale par tranches (1994-2004).

Part (en %) Nombre Croît 1994-2004 Tranches 1994 2004 (en %) Global Taux/an (en %) Supérieure à 100 55,04 56,22 3,86 62,14 2,05 30 à 100 19,42 19,75 12,56 21,44 2,01 10 à 30 15,30 14,25 26,57 9,02 1,12 Inférieure à 10 10,25 9,78 57,00 7,40 1,35 Total 100,00 100,00 100,00 100,00 1,83

Source : INS.

Gr.2 Population communale par catégorie en % 70,00 1994 60,00 2004 50,00 Croît 1994-04 40,00 30,00 20,00 10,00 0,00 Sup. 100 30 à 100 10 à 30 Inf. 10 en milliers d'hab.

c. Géographie de la croissance des grandes villes Si les agglomérations urbaines de plus de 100 000 habitants ont été, entre 1994 et 2004, plus dynamiques que les autres villes tunisiennes, en réalité, ce dynamisme n’était pas le même pour toutes les grandes villes. Le Grand Tunis est à la fois, la plus grande agglomération urbaine tunisienne et celle qui a été capable d’attirer le plus grand nombre de nouveaux citadins. Cette métropole de plus de deux millions d’habitants en 2004 abrite près du tiers de la population communale et plus de 36 % du croît démographique entre 1994 et 2004. Sa part dans la population urbaine s’est accrue de 31 % en 1994 à 31,8 % en 2004. Son taux d’accroissement annuel (2,1 %) a été légèrement supérieur à celui de l’ensemble des grandes villes (2,05 %). Le Grand Sfax, peuplé de 485 000 habitants, est la deuxième agglomération, et elle vient loin après Tunis avec moins de 7,5 % de la population communale, 7,6 % du croît urbain et un taux de croissance inférieur à la moyenne des grandes villes (1,89 %). La deuxième ville tunisienne se distingue ainsi par une dynamique démographique relativement faible et qui ne diffère pas beaucoup des rythmes de croissance durant les périodes précédentes. Malgré un certain pouvoir d’attraction sur les populations de régions voisines (Kairouan et ), Sfax n’a pas eu un pouvoir d’attraction comparable à celui d’autres villes du littoral oriental (Tunis, Sousse, Nabeul-Hammamet). L’essoufflement des initiatives privées locales et l’intérêt croissant des promoteurs sfaxiens pour des zones plus dynamiques du littoral oriental (Tunis, Nabeul, Hammamet…) expliquent la faiblesse relative de son dynamisme démographique (et économique).

Tableau 5. Population des grandes villes (1994-2004).

1994 2004 Croît 1994-2004

Grand Tunis 1 683 963 2 072 375 388 412 Grand Sfax 402 382 485 259 82 877 Grand Sousse 305 155 395 088 89 933 Grand Gabès 147 467 172 160 24 693 Grand Nabeul 123 347 155 362 32 015 Grand Bizerte 127 974 149 539 21 565 Grand Gafsa 97 110 114 293 17 183 Kairouan 102 634 117 903 15 269

Ensemble 2 990 032 3 661 979 671 947

Source : INS. Le Grand Sousse qui compte près de 400 000 habitants a connu le taux de croissance le plus élevé des grandes villes (2,6 %) et ce, grâce au pouvoir attractif de la ville de Sousse et des agglomérations qui en sont voisines et qui ont bénéficié de certains atouts dans la redistribution des migrants internes venus à la recherche d’emplois dans l’aire urbaine. Parmi ces atouts, la proximité de Sousse et les coûts relativement bas des terrains et des loyers ont été persuasifs pour les catégories sociales à faibles revenus. Avec seulement 155 000 habitants, le Grand Nabeul ou l’aire urbaine de Nabeul- Hammamet occupe une position privilégiée entre le Grand Tunis et le Grand Sousse, non seulement en termes de niveau de croissance, mais surtout en termes de situation géographique. La zone de Nabeul-Hammamet constitue de plus en plus un espace de desserrement des activités économiques et de redistribution des investissements du Grand Tunis en direction du Sahel. Cette dynamique tunisoise orientée vers le golfe d’Hammamet rejoint une dynamique sahélienne en direction du nord et fortement liée à l’expansion du tourisme. Le point de convergence de ces deux dynamiques correspond à la zone d’ qui connaît de profondes mutations par l’industrialisation, l’aménagement d’un grand aéroport et probablement aussi d’un port de conteneurs. Le Grand Bizerte, qui a représenté depuis un certain temps un espace de desserrement de la dynamique tunisoise en direction du nord, connaît un relatif essoufflement de sa croissance démographique (avec un taux d’accroissement annuel de 1,57 % seulement) et moins de 2 % de l’ensemble du croît urbain de la période 1994-2004, ce qui explique la baisse de sa part de la population urbaine de 2,36 % en 1994 à 2,30 % en 2004. Sur le littoral oriental, le Grand Gabès est la plus méridionale des grandes villes et à l’instar de Bizerte, et avec un taux d’accroissement de 1,56 %, elle ne brille pas par son dynamisme démographique. Après l’impulsion donnée par les investissements publics dans le complexe industriel de Gabès-Ghannouche, la croissance de l’agglomération s’est ralentie par manque de dynamisme autonome et par insuffisance de la relève par les investissements privés locaux ou étrangers. Les deux autres agglomérations de plus de 100 000 habitants sont en Tunisie intérieure. Kairouan et Gafsa n’ont pas les capacités attractives qu’ont les grandes villes côtières : leur taux d’accroissement ont été respectivement de 1,4 % et 1,64 %. Toutes les deux sont des villes d’États dont les potentialités sont limitées aux seuls services publics d’encadrement qui ne sont plus capables d’attirer les populations du Centre-Ouest et du Sud-Ouest. Les candidats à l’émigration originaires de ces deux régions préfèrent s’orienter vers les grandes villes du littoral, vers les zones agricoles qui en sont proches ou carrément à l’étranger (quitte à le faire clandestinement). Le manque d’opportunités d’emploi et d’insertion économique dans ces deux villes a donc fortement restreint leur pouvoir d’attraction sur les populations locales et régionales.

Tableau 6. Population des grandes villes (1994-2004) en %.

Part en % Croît Taux/an 1994 2004 (en %) (en %) Grand Tunis 31,00 31,81 35,92 2,10 Grand Sfax 7,41 7,45 7,66 1,89 Grand Sousse 5,62 6,07 8,32 2,62 Grand Gabès 2,71 2,64 2,28 1,56 Grand Nabeul 2,27 2,38 2,96 2,33 Grand Bizerte 2,36 2,30 1,99 1,57 Grand Gafsa 1,79 1,75 1,59 1,64 Kairouan 1,89 1,81 1,41 1,40 Ensemble 55,04 56,22 62,14 2,05

Source : INS.

Gr.3 Croissance des agglomérations de plus de 100000 hab. 1994 40,00 35,00 2004

l 30,00 Croît 1994-04 25,00 20,00 15,00

en % du total communa 10,00 5,00 0,00 Gd Sfax Kairouan Gd Tunis Gd Gafsa Gd Gabes Gd Bizerte Gd Nabeul Gd Sousse

La carte de la croissance des grandes agglomérations et des communes (Fig. 1) montre clairement les contrastes entre, d’une part, le littoral qui est une zone de concentration des grandes villes et des effectifs urbains supplémentaires les plus nombreux, et d’autre part, les régions intérieures dont les villes trouvent de plus en plus de difficultés à attirer les flux de migrants et dont la croissance démographique s’essouffle. Dans les bassins miniers du nord- ouest et du sud-ouest, les villes perdent de la population en raison des difficultés économiques et de l’insuffisance des solutions à la crise des activités minières. Faute d’activités de rechange suffisantes pour satisfaire les demandes additionnelles d’emploi, c’est le départ vers les villes et les campagnes dynamiques du littoral oriental qui alimente les flux de plus en plus nombreux de migrants internes.

Fig. 1. Grandes villes et communes en 2004. L’étude de la croissance récente des grandes villes montre donc une concentration croissante de la population dans la strate supérieure de la hiérarchie urbaine et plus précisément dans le quart nord-est du territoire tunisien. Le Grand Tunis, Nabeul-Hammamet et le Grand Sousse qui s’étendent sur les pourtours des golfes de Tunis et d’Hammamet, tendent à devenir l’espace central le plus dynamique de la Tunisie. Une fois confirmée la prépondérance de la dynamique démographique de cet espace, il reste à déterminer, avec plus de précision, la part due à la croissance naturelle et celle qui découle de la reconfiguration des flux et des champs migratoires internes

II. UNE CROISSANCE DÉMOGRAPHIQUE SOUTENUE PAR LES MIGRATIONS Avant d’évaluer les nouvelles tendances survenues dans les flux et les champs migratoires internes, il est utile de diagnostiquer, à une échelle spatiale assez fine, les nouvelles tendances de la croissance démographique. Les données statistiques issues du recensement de 2004 et désormais disponibles à l’échelle des délégations permettent l’établissement de ce bilan géographique de la croissance et de la mobilité migratoire.

GdGd BizerteBizerte 0 50 100

Kilomètres # ## * TabarkaTabarka # # ### # # # GdGd TunisTunis # # BejaBeja # # # # ## # # # # # # # # JendoubaJendouba # # ## # # # # # # # ## # # # # # ### # # # # # # # # # # # #GdGd NabeulNabeul # # SilianaSiliana ElEl KefKef # # # # # # # GdGd SousseSousse # # # # KairouanKairouan # # # # # # # # # # # # ## ## # ###### # # ## # ### # # # # # # # #### # ### ## ## # # # # ## # # # # # ## # # # # ## # # # # # GasserineGasserine # # # # # # SidiSidi # GdGd SfaxSfax # BouzidBouzid GdGd SfaxSfax # # # GafsaGafsa # # # # # # # # # # # ### # # GdGd GabesGabes # # MidounMidoun # # # # # # # # # ## # # ## # # # # MedenineMedenine Population communale # 2004 BenBen GardaneGardane Taux d'accroissement # # 1994-2004 (en % par an) 100 000 - 2 080 000 2.1 - 17.1 # TataouineTataouine 50 000 - 100 000 1.7 - 2.1 1.1 - 1.7 20 000 - 50 000 0.5 - 1.1 # 10 000 - 20 000 -2.3 - 0.5 0 - 10 000 #

Fig. 2. La croissance des grandes agglomérations urbaines et des communes entre 1994 et 2004. 1. Géographie de la croissance rurale et urbaine Les cartes de la croissance démographique par délégation entre 1994 et 2004 permettent de dégager les différences entre les villes et les campagnes. Les populations non communales, assimilables aux populations rurales, se sont accrues à des taux nettement plus bas (0,17 %) que ceux des populations urbaines (1,83 %). Cependant, toutes les zones rurales n’ont pas connu les mêmes niveaux de baisse de leur croissance. Si les régions intérieures (à l’exception de certaines délégations du Sud-Ouest et du Centre-Ouest) ont enregistré les taux de croissance les plus bas (inférieurs à zéro pour la plupart), les zones rurales proches des grandes villes du littoral oriental ont été épargnées et ce, grâce à l’afflux de populations venues de l’intérieur. Tant pour les populations rurales que pour les populations des communes, la croissance démographique durant la période 1994-2004 s’est concentrée dans les délégations du littoral oriental et plus précisément dans un espace de haute croissance compris entre Tunis et Sfax. Cet espace littoral oriental ne se limite donc pas aux seules grandes villes, il englobe aussi les campagnes qui en sont voisines et qui ont connu une intensification des cultures horticoles et arboricoles en réponse à l’accroissement de la consommation urbaine et touristique. Cette intensification s’est faite par le recours à l’irrigation mais aussi par le travail d’une main d’œuvre (en grande partie féminine, et à bas prix). Une bonne partie de la main-d’œuvre employée dans les périmètres irrigués proches des grandes villes est originaire des régions intérieures qui n’offrent pas les mêmes opportunités d’emploi. En comparaison avec la situation de la décennie précédente (1984-1994), il ressort clairement que le Sud et le Centre-Ouest qui avaient des taux de croissance élevés durant les années 1980, atteignent des taux proches de ceux des autres régions intérieures (le Nord- Ouest) à partir des années 1990. Ce changement s’explique par les effets conjugués de la baisse de la fécondité et de l’accélération des flux d’émigration à partir de ces régions (surtout à partir du Sud-Ouest et du Centre-Ouest et en direction du littoral oriental).

Population non communale Population communale *

Taux d'accroissement Taux d'accroissement 1994-2004 (en % par an) 1994-2004 (en % par an) 1.1 - 27.3 2.5 - 21.4 Les délégations en blanc 0.5 - 1.1 ne contiennent pas 1.8 - 2.5 de population communale -0.1 - 0.5 1.1 - 1.8 -0.8 - -0.1 0.5 - 1.1 -32 - -0.8 -2.8 - 0.5 0 100 200

Kilomètres

Fig. 3. Taux d’accroissement 1994-2004. 0 100 200 Croissance démographique entre 1984 et 2004 Kilomètres *

Taux d'accroissement 1984-1994 (en % par an) Taux d'accroissement 2.9 - 8.9 1994-2004 (en % par an) 2.6 - 2.9 1.7 - 10.2 1.8 - 2.6 1.1 - 1.7 1.1 - 1.8 0.6 - 1.1 -7.2 - 1.1 -0.2 - 0.6 -2.8 - -0.2

Fig. 4. Taux d’accroissement 1984-2004.

2. Baisse de la fécondité et croissance démographique globale L’évolution de l’indice synthétique de fécondité sur la période 1991-2005 (Gr. 4) montre la transition, durant la première moitié des années 1990, vers un nouveau régime démographique caractérisé par la baisse quasi généralisée de la fécondité. Les régions intérieures (à l’exception du Nord-Ouest) qui avaient en 1991-1992 des indices supérieurs à 3,5, sont passées, pour la plupart en 2005 à des indices inférieurs à 2,5. Cette transition démographique assez rapide a été la conséquence d’un jeu d’influences conjuguées où le planning familial n’est pas forcément le plus déterminant. Les difficultés financières et les conséquences économiques et sociales de la crise agricole et minière (chômage, paupérisation et prolétarisation), la prolongation des études, le retardement de l’âge au mariage (surtout pour les filles), l’émigration des classes d’âge fécondes…, sont autant de facteurs qui ont entraîné l’augmentation du célibat et la réduction drastique des naissances pour ceux et celles qui arrivent à se marier. En plus du graphique montrant l’évolution de l’indice synthétique de fécondité, les cartes des taux bruts de natalité en 2000 et 2005 (Fig. 5) révèlent clairement les contrastes entre la Tunisie centrale intérieure encore féconde malgré la transition et le reste du territoire marqué par la baisse sensible des naissances. C’est surtout le Sud-Est qui a connu une transition démographique tardive et où donc la baisse de la croissance démographique durant la période 1994-2004 a été la conséquence de la baisse de croissance naturelle, plus que le résultat d’une accélération des migrations. L’appréciation du rôle des migrations dans la croissance des grandes villes peut être approchée par le calcul de la différence entre la croissance démographique globale et la croissance naturelle. Or, les données statistiques relatives à la croissance naturelle ne sont disponibles qu’à l’échelle des gouvernorats. C’est à cette échelle que le calcul a pu être fait pour le début des années 2000 (2003-2004) et par rapport à la croissance durant la décennie 1994-2004. La comparaison des cartes de la croissance globale et de la croissance naturelle confirme donc le diagnostic fait lors de l’analyse de la croissance des grandes villes. Gr. 4 Evolution de l'indice synthétique de fécondité Tunis Ariana (1991-2005) Ben Arous Nabeul 5.50 Bizerte 5.00 Beja 4.50 4.00 Kairouan Gasserine 3.50 Sidi Bouzid Sousse 3.00 Monastir 2.50 Sfax Gafsa 2.00 1.50 Gabes Medenine 1.00 Manouba 1991 1992 1993 1994 2002 2004 2005 1995 1996 1997 1998 1999 2000 2001 2003 Tunisie

Fig. 5. Taux de natalité 2000 et 2005. Les taux d’accroissement de la population supérieurs à la moyenne nationale entre 1994 et 2004 (1,21 %) se trouvent dans les gouvernorats de la façade littorale orientale compris entre Tunis et Sfax (à l’exception du centre du Grand Tunis marqué par l’ampleur des départs dus à la mobilité résidentielle en direction des nouvelles périphéries). Tandis que les taux les plus élevés de la croissance naturelle sont le lot des gouvernorats de la Tunisie compris entre la Dorsale et le Sud et plus particulièrement les gouvernorats de Gasserine, Sidi Bouzid, Mahdia et Monastir). Il ressort de ces différences entre croissance globale et croissance naturelle que les gouvernorats dont la croissance est fortement déterminée par les migrations sont les gouvernorats périphériques du Grand Tunis (Ariana, Ben Arous et Manouba) et les gouvernorats de Nabeul, Sousse et Sfax. Ce sont donc les espaces qui contiennent les principales grandes villes tunisiennes situées sur la façade littorale orientale. Leur croissance est de plus en plus alimentée par les flux de migrants originaires des régions intérieures qui continuent à avoir une croissance naturelle relativement forte.

3. Reconfiguration des flux et des champs migratoires internes L’analyse des migrations internes et de leur évolution durant la période 1987-2004 montre clairement l’intensification des migrations à partir des régions intérieures et en direction du littoral oriental et plus précisément du Grand Tunis, ses pourtours (le Nord-Est) et le Centre- Est. Le solde migratoire du Grand Tunis est passé de 47 800 entre 1987 et 1994 à 58 500 entre 1999 et 2004. Durant cette période, la capitale a concentré 45 % des migrants entrants. Cette concentration prouve la capacité de Tunis à continuer de polariser l’essentiel des flux migratoires internes et ce, malgré une certaine réorientation des flux et réorganisation des champs en direction des villes du Sahel et de Sfax. La région du Centre-Est qui les regroupe a connu un renforcement de son solde migratoire de 18 600 entre 1987-1994 à 49 600 entre 1999 et 2004. Cette partie de la façade littorale orientale est devenue le deuxième pôle attractif des migrants internes et l’essentiel des flux provient des régions du Centre-Ouest et du Sud-Ouest. Ces deux dernières régions ont vu leur solde migratoire négatif passer de moins 27 500 entre 1987 et 1994 à moins 62 800 entre 1999 et 2004. Elles rejoignent ainsi la région du Nord-Ouest, traditionnellement zone de départs massifs en direction du Grand Tunis.

*

Différence TAA-TAN en % 0.89 - 2.84 0.14 - 0.89 -0.20 - 0.14 -0.72 - -0.20 -1.59 - -0.72 Taux d'accroissement Taux d'accroissement global 1994-04 (en %) naturel 2003 (en mille) 2.27 - 3.81 13.9 - 16.8 1.19 - 2.27 11.3 - 13.9 0.83 - 1.19 10.3 - 11.3 0.48 - 0.83 10.0 - 10.3 -0.51 - 0.48 TAA= Taux d'accroissement moyen annuel 1994-2004 6.9 - 10.0 TAN= Taux d'accroissement naturel en 2003

Fig. 6. Taux d’accroissement global et naturel. Tableau 7. Intensification des migrations de l’intérieur vers le littoral.

Solde 2004 (%) 1987-1994 1999-2004 Entrants Sortants Grand Tunis 47 800 58 500 45,05 31,89 Centre-Est 18 600 49 600 23,98 12,82 Nord-Ouest - 35 900 - 45 300 5,67 15,86 Centre-Ouest - 23 900 - 52 500 4,97 16,78 Sud-Ouest - 3 600 - 10 300 3,64 5,96 Sud-Est - 2 700 - 4 500 7,35 8,37 Nord-Est - 300 4 500 9,33 8,32 Total 0 0 100,00 100,00

Source : INS.

Gr.8 Migrations internes 2004

250000 Entrants Sortants 200000

150000

100000

50000

0 Grand Centre Nord Centre Sud Sud Nord Tunis Est Ouest Ouest Ouest Est Est

Les cartes de flux migratoires nets supérieurs à 200 migrants en 1994 et 2004 montrent la reconfiguration récente des champs migratoires internes. D’une situation de la fin des années 1980 et du début des années 1990 marquée par la prépondérance des flux originaires du Nord- Ouest et en direction du Grand Tunis, on passe au début des années 2000 à une situation d’intensification des flux en direction de : 1. Tunis à partir des régions centrales et méridionales 2. Sousse, Monastir et Sfax à partir des gouvernorats de Kairouan, Sidi Bouzid et Gasserine Les régions de l’intérieur de la Tunisie centrale, qui sont longtemps restées sans grands départs migratoires, sont donc passées à une plus grande mobilité des populations originaires des campagnes et des villes en vue de la recherche d’opportunités d’emploi et de ressources de plus en plus rares dans leurs lieux d’origine. Cette mobilité revêt d’ailleurs des formes et des modalités diverses qui ne se limitent pas au seul exode rural. Ce sont des migrations saisonnières liées à l’emploi dans l’agriculture, le bâtiment, le tourisme et même dans l’industrie. Ce sont aussi les fixations fréquentes sur les souks et les marchés dynamiques (dont ) en vue d’exercer un commerce polyvalent ou les tentatives de migration clandestine vers l’étranger. Les grandes villes de la côte orientale et les campagnes environnantes sont donc les principaux pôles attractifs de cette mobilité accrue, y compris celle des migrants clandestins vers l’étranger qui transitent par les ports de pêche.

Fig. 7. Flux migratoires nets 1994-2004.

Gr.9 Evolution du solde migratoire

Solde 1987-94 60000 Solde 1999-04

40000

20000

0

-20000

-40000

-60000 Grand Centre Nord Centre Sud Sud Est Nord Tunis Est Ouest Ouest Ouest Est

La disponibilité des données statistiques relatives aux migrations internes évaluées à l’échelle des délégations et pour les deux derniers recensements permet de montrer les tendances de la mobilité migratoire au niveau des délégations abritant les grandes villes et leurs campagnes proches. Ces délégations ont attiré 441 130 entrants en 1994 et 479 734 en 2004, soit respectivement 70 % et 67,5 % de l’ensemble des entrants dans les délégations. Le recul relatif de la part des grandes villes est le résultat d’une réorientation récente des flux vers des espaces proches des grandes villes et présentant beaucoup d’avantages pour les migrants en matière d’emploi et de coûts de l’habitat. Les petites et moyennes agglomérations des gouvernorats de Monastir et de Nabeul sont des exemples d’agglomérations démographiquement dynamiques qui, sans atteindre les performances des grandes villes, ont été capables d’attirer une part des migrants internes (voir la carte des taux d’accroissement des agglomérations entre 1994 et 2004). Malgré un recul relatif entre 1994 et 2004, le Grand Tunis, avec 40,8 % des migrants entrants en 2004, reste le pôle principal dans les champs migratoires internes. Les délégations du Grand Sfax totalisent près de 10 % et celles du Grand Sousse ont connu une progression de leur part de 5 % en 1994 à 7,74 % en 2004. Les trois premières agglomérations urbaines tunisiennes ont donc attiré plus de la moitié des migrants entrants (58,4 %), ne laissant aux autres grandes villes que 9,15 %.

Tableau 8. Migrations internes vers les grandes villes (1994-2004).

Entrants Part en % Délégations 1994 2004 1994 2004 Grand Tunis 302 474 289 966 48,03 40,82 Grand Nabeul 11 190 13 509 1,78 1,90 Grand Bizerte 11 485 13 736 1,82 1,93 Grand Sousse 31 990 54 963 5,08 7,74 Grand Sfax 58 191 69 768 9,24 9,82 Grand Gabès 10 581 18 662 1,68 2,63 Kairouan 9 420 10 755 1,50 1,51 Grand Gafsa 5 799 8 375 0,92 1,18 Total Grandes Villes 441 130 479 734 70,05 67,53 Total Général 629 750 710 425 100,00 100,00

Source : INS.

4. Qui migre vers les grandes villes ? L’afflux croissant de migrants vers les grandes villes pose la question des caractéristiques démographiques, économiques et sociales des migrants. S’agit-il de migrants comparables à ceux qui migraient auparavant ou a-t-on affaire à de nouveaux profils de migrants en rapport avec les nouvelles dynamiques que connaissent les grandes villes ? La réponse à cette question ne peut être donnée uniquement à partir des données statistiques issues des recensements, tant est délicate et problématique l’approche des migrations par le biais des questions posées lors des recensements. Cette difficulté est rendue d’autant plus ardue que l’absence de données sociales et économiques sur les migrants réparties à l’échelle des communes ou des délégations pour le recensement de 2004 ne permet pas de déceler les mutations récentes dans les profils des migrants. Le recoupement des données disponibles pour 1994 avec celle de 2004 permettra une première approche qui nécessite des compléments qui doivent être fournis par des recherches de terrain ciblées.

a. Caractères démographiques des migrants Les femmes migrent-elles plus qu’avant ? Cette question mérite d’être posée car dans certaines grandes villes (dont le Grand Sousse particulièrement), l’afflux récent et croissant de femmes originaires des régions intérieures laisse penser à un changement significatif de la répartition des migrants par sexe. Cette question est d’autant plus pertinente que les modes anciens d’immigration étaient caractérisés par la prédominance des hommes célibataires. Assiste-t-on à une transition vers une migration familiale ? Ou s’agit-il de migrations de jeunes filles célibataires ? D’après les données des recensements et des enquêtes intermédiaires (1980, 1989, 1999), la part des femmes parmi les migrants s’est accrue de 44,6 % en 1975 à 48,5 % en 1989 puis elle a baissé à 45,5 % en 1994 pour remonter à 46,5 % en 2004 (alors que la part des femmes dans la population totale est 49,9 % la même année). Si, pendant les années 1970, c’est le modèle masculin qui prédominait, on peut supposer que la part des femmes a progressé jusqu’à la fin des années 1980 dans le cadre des migrations de « regroupement familial » des générations précédentes de migrants masculins. La stabilisation de la part des femmes au début des années 1990 correspondrait à une reprise des migrations masculines plus rapide que celles des femmes. Enfin la remontée récente de la part des femmes est due à l’immigration plus massive de jeunes filles venues travailler dans les grandes villes comme ouvrières ou comme femmes de ménage.

Gr.10 Part des femmes parmi les migrants et la population totale Migrants % 50,00 Ensemble

49,00

48,00

47,00

46,00

45,00

44,00

43,00 1975 1980 1984 1989 1994 1999 2004

b. Pyramide des âges des migrants L’évolution de la pyramide des âges des migrants comparée à celle de la population permet de mieux préciser les mutations dégagées de l’analyse de la répartition par sexe. La pyramide des âges des migrants est marquée par la part prépondérante des classes d’âge actif (15 à 59 ans) dont la part est passée, pour les femmes, de 63,1 % en 1994 à 76,38 % en 2004. Pour les migrants d’âge actif, leur part est montée de 68,4 % à 78,36 %. Cette montée est d’autant plus spectaculaire qu’elle renforce la part des actifs parmi les migrants en comparaison avec leur part dans la population totale, ce qui confirme la tendance à une migration des classes d’âge actif plus importante que celle des autres classes d’âge (surtout les enfants de 0 à 4 ans et les personnes âgées de 60 ans et plus) Parmi les migrantes, les femmes âgées de 25 à 29 ans en 2004 représentaient 18,4 % de l’ensemble des migrantes, soit une part supérieure à celle des hommes de la même tranche d’âge (15,8 %). Cette prépondérance des jeunes femmes, célibataires plus que mariées, est révélatrice d’un changement dans les modes migratoires et de l’importance de l’emploi féminin et de la prolongation de la scolarité des filles (à l’université).

Tableau 9. Structure par âges et par sexes des migrants et de la population totale (1994-2004), en %.

1994 2004 Années Ensemble Migrants Ensemble Migrants F M F M F M F M 0 à 4 10,8 11,2 13,6 11,5 7,90 8,40 11,40 10,34 5 à 14 23,5 24,1 20,2 17,5 18,10 19,00 11,83 11,11 15 à 59 57,6 56,3 63,1 68,4 64,70 63,30 76,38 78,36 60 et plus 8,1 8,4 3,3 2,6 9,30 9,30 0,39 0,19 Total 100,0 100,0 100,0 100,0 100,0 100,0 100,0 100,0

Source : INS. c. Niveau d’instruction des migrants Si la tendance à la migration des catégories sociales les plus instruites peut être diagnostiquée depuis les années 1980, elle est devenue plus sensible durant la décennie 1994- 2004. Les migrants de niveau d’instruction universitaire qui représentaient seulement 11,7 % en 1984 (pour 2,1 % dans l’ensemble de la population) représentent 28,7 % des migrants en 2004. Par ailleurs, la part des migrants sans niveau d’instruction a baissé de 29,6 % en 1984 à 9,5 % en 2004. On a donc affaire à des migrants de plus en plus instruits et qui cherchent, dans de nouveaux horizons, les opportunités d’insertion professionnelle dans un contexte marqué par un accroissement dramatique du nombre de chômeurs diplômés du supérieur.

Tableau 10. Évolution du niveau d’instruction des migrants et de la population (1984-2004), en %.

1984 1994 2004 Niveaux Migrants Ensemble Migrants Ensemble Migrants Ensemble Néant 29,6 46,2 15,1 31,7 9,5 23,2 Primaire 28,0 34,5 32,8 40,2 25,8 37,2 Secondaire 31,7 17,2 36,4 24,3 36,0 31,8 Supérieur 11,7 2,1 15,7 3 ,8 28,7 7,8 Total 100,0 100,0 100,0 100,0 100,0 100,0

Source : INS. Les différences de niveau d’instruction sont aussi grandes entre les genres : les migrantes de niveau d’instruction supérieur représentent 25,86 % des migrantes (pour 31,4 % chez les migrants) et les femmes sans instruction sont plus nombreuses que les hommes (respectivement 13,7 % et 5,32 %).

Gr.11 Niveau d'instruction des migrants et des migrantes Analphabète Primaire Secondaire Supérieur 45 en % 40 35

30

25

20

15

10

5

0 Migrants Migrantes Population totale

d. Pourquoi migre-t-on ? Il n’est pas aisé de répondre à une question aussi simple et surtout en se limitant aux données globales issues des recensements ou d’autres sources. Seules des enquêtes qualitatives ciblées permettraient de rendre compte de la complexité et de la diversité des raisons qui poussent à migrer, tant à l’échelle des collectivités qu’à l’échelle d’un individu. Les migrants changent de lieu de résidence dans l’espoir de réaliser certains de leurs projets via l’insertion professionnelle, résidentielle, sociale ou autres. Les grandes villes tunisiennes et plus particulièrement celles du quart nord-est du territoire sont perçues, à tort et/ou à raison, par les migrants potentiels comme les lieux qui répondent le mieux à leurs attentes. L’insertion professionnelle par le travail est, selon les déclarations des migrants recensés en 2004, la raison principale de la migration des hommes (37 % et seulement 14 % pour les femmes).

Gr.12 Pyramide des âges des migrants en 2004

80 et+ Masculin 70 à 74 Féminin

60 à 64

50 à 54

40 à 44

30 à 34

20 à 24

10 à 14

0 à 4 -20 -10 0 10 20 en %

Les migrants entrants dans les gouvernorats abritant les grandes villes en 1994 et répartis par secteur d’activité sont les témoins des influences exercées par les activités économiques des agglomérations urbaines du littoral oriental sur les migrants internes. Les services publics de l’administration, de l’éducation et de la santé mobilisent le plus grand nombre de migrants (29 % pour une part de la population occupée qui se limitait 16,9 %). Cependant, les gouvernorats des grandes villes ne détiennent pas le record d’attraction des salariés de l’État. Ce sont surtout les chefs-lieux de gouvernorat de la Tunisie intérieure qui se démarquent par la part quasi exclusive de l’attraction des salariés des services publics. La preuve en est donnée par les gouvernorats de Kairouan et de Gafsa où cette catégorie de migrants représentait respectivement 67,2 % et 64,1 % des entrants. Les industries manufacturières, le bâtiment et les travaux publics étaient aussi des activités économiques fortement attractives. Les industries qui employaient près de 20 % des forces de travail, arrivaient à attirer 15,2 % des migrants et 16,8 % de ceux qui allaient vers les gouvernorats des grandes villes. La part des industries était supérieure à cette moyenne dans les gouvernorats où l’industrie était prédominante (Sfax : 24 %, Ben Arous : 22,3 %, Monastir : 21 %). Le bâtiment, qui offrait 13,4 % de l’emploi général, était le secteur d’activité de près de 16 % des migrants dans les gouvernorats des grandes villes. Les activités de l’hôtellerie et de la restauration n’étaient attractives que dans les principales zones touristiques : Nabeul avec 16,3 % et Sousse avec 10,5 % alors que la moyenne nationale était de 4,5 %. Les services publics d’encadrement, l’industrie, le bâtiment et le tourisme étaient donc les activités qui exerçaient la plus forte attractivité sur les migrants internes. L’absence de données statistiques postérieures à 1994 et relatives à la répartition des migrants internes par secteur d’activité ne permet pas d’analyser les dynamiques récentes. Toutefois, on peut pallier cette insuffisance par la disponibilité des données sur l’emploi réparties par délégation en 2004. Cette répartition permet d’approcher la géographie de l’emploi dans les grandes villes et dans une certaine mesure, de dégager le rôle de certaines activités dans leurs dynamiques récentes. Les services publics d’encadrement restent prédominants dans l’ensemble du pays (18,8 %) et dans les grandes villes (21,7 %) et surtout dans celles de l’intérieur (et plus particulièrement Gafsa avec 30,8 %). Mais la prépondérance des services de l’État est aussi le lot de la capitale (23,8 %) et des autres grandes villes du littoral: Bizerte (24,4 %) et Gabès (23,3 %). Ce constat est lourd de signification en termes de transition économique. Malgré l’incitation à la privatisation et des résultats évidents dans certaines activités (tel que le tourisme), la prédominance de l’emploi dans les services de l’État continue de caractériser l’économie de la plupart des grandes villes tunisiennes et, dans une certaine mesure, de ralentir leur mutation métropolitaine en relation avec la privatisation et l’ouverture sur l’international. Les variations géographiques de l’emploi industriel révèlent une autre diversité économique des grandes villes et nous renseignent mieux sur leurs mutations économiques en liaison avec l’international. L’emploi dans les industries manufacturières vient en première position dans les grandes villes suivantes : Sfax (32,8 %), Sousse (29,3 %) et Bizerte (28,6 %) où sa part dépasse la moyenne des grandes villes (22,7 %) et celle de la Tunisie (19,3 %). Dans ces villes l’importance de l’emploi industriel est le résultat des investissements de capitaux privés (tunisiens et étrangers) en vue de développer des productions destinées au marché intérieur et surtout à l’exportation (industrie de la confection et de l’habillement). Les industries textiles, qui ont représenté, avec le tourisme, l’une des voies de l’ouverture sur l’international depuis les années 1970, continuent de jouer un important rôle économique et social dans les grandes villes. Cette importance doit être relativisée à cause des problèmes de commercialisation à l’étranger et des perspectives d’avenir. Si l’emploi dans les industries textiles, après la baisse des années 1990, a connu une reprise qui a nécessité le recours au recrutement d’ouvrières dans les bassins d’emploi des régions intérieures, cela ne signifie pas toujours un renforcement réel des potentiels industriels ni la recherche de solutions de rechange pour l’avenir. L’essoufflement technologique de cette branche industrielle remet en question les acquis de l’ouverture sur l’international engagée depuis une trentaine d’années. Le même essoufflement caractérise la deuxième activité ouverte sur l’international et qui a joué un rôle moteur pour Sousse et Nabeul. Malgré l’ambition des projets et des infrastructures programmées3 dans le golfe d’Hammamet, le tourisme balnéaire de masse qui engendrera probablement de multiples opportunités d’emploi, ne pourra pas garantir une mutation métropolitaine dans les grandes villes profitant des effets induits sur leurs économies et leurs sociétés locales. Au total, le dynamisme démographique et économique des grandes villes et la confirmation de leur attractivité sur les migrants internes sont des indicateurs sûrs du poids prépondérant et en accroissement de ces villes dans l’économie et la société de la Tunisie. Même si les migrants sont de plus en plus instruits et recherchent des opportunités de promotion sociale dans les grandes villes, cela n’exclut pas la permanence, sinon le renforcement d’une migration de misère pour des masses de population paupérisées et prolétarisées qui n’ont aucune alternative que de migrer, vers les grandes villes où ailleurs. Les cartes de la pauvreté en 2002 et du chômage en 2004, réalisées à l’échelle des délégations montrent une géographie de la société tunisienne fortement marquée par le clivage entre les zones rurales de l’intérieur et les grandes villes du littoral. Les valeurs élevées de la part des familles nécessiteuses en 2002 (plus de 12 %) caractérisent les délégations de la Tunisie à l’ouest d’une ligne reliant Bizerte et Gabès. Les délégations au taux de chômage supérieur à 20 % en 2004 sont en majorité à l’ouest de la même ligne. Les grandes villes du littoral oriental et les campagnes environnantes sont donc perçues par les migrants potentiels comme des zones offrant plus de potentialités et d’opportunités que leurs espaces d’origine. Pour d’autres, les grandes villes et leurs environs sont des interfaces

3 Le grand aéroport international d’Enfidha et probablement un port de conteneurs dans la même zone. pour nouer des contacts avec les économies étrangères, aussi pour développer des activités commerciales licites ou illicites que pour migrer illégalement.

Tableau 11. Secteurs d’activités des migrants entrant dans les gouvernorats des grandes villes en 1994. Adm. Hôtel. Agr. Ind. BTP Éduc. Autres Total Restau. Santé Tunis 1,00 14,03 12,66 3,79 30,88 41,42 100,00 Ariana 2,44 15,42 14,67 2,31 27,04 40,44 100,00 Ben Arous 3,16 22,29 12,59 1,89 26,45 35,50 100,00 Grand Tunis 2,14 17,03 13,31 2,72 28,24 39,28 100,00 Nabeul 9,69 14,87 23,55 16,35 20,32 31,56 100,00 Bizerte 7,01 10,78 7,55 0,94 53,64 21,02 100,00 Sousse 3,95 16,37 23,83 10,50 21,23 34,61 100,00 Monastir 6,71 21,01 27,72 7,95 18,58 25,99 100,00 Mahdia 8,65 11,68 18,06 7,59 39,61 22,00 100,00 Sfax 6,31 24,04 19,16 1,95 24,79 25,69 100,00 Gabès 3,16 9,16 15,99 2,24 47,25 24,44 100,00 Kairouan 3,37 7,95 6,27 0,24 67,23 15,18 100,00 Gafsa 2,25 5,89 10,92 0,52 64,12 16,81 100,00 Sous-total 3,75 16,77 15,93 4,49 29,01 34,54 100,00 Total des entrants 4,25 15,23 15,38 4,77 32,59 31,55 100,00 Tunisie 21,90 19,90 13,40 4,20 16,90 23,70 100,00 Source : INS. Agr. = Agriculture / Ind. = Industries BTP = Bâtiments et Travaux publics Hôtel. Restau. = Hôtellerie et Restauration Adm. Éduc. Santé = Administration, Éducation et Santé

Tableau 12. Secteurs d’activité des actifs occupés des grandes villes* en 2004.

Adm. Min. Tran. Autres Délégations Agr. Ind. BTP Comm. Éduc. ND Total Én. com. Services Santé Grand Tunis 3,73 19,80 1,39 9,48 13,55 7,61 23,78 19,25 1,41 100,00 Grand Nabeul 6,87 20,78 0,53 10,91 11,36 5,37 13,60 29,47 1,11 100,00 Grand Bizerte 6,33 28,59 1,76 12,30 8,77 5,91 24,38 10,83 1,12 100,00 Grand Sousse 3,07 29,29 0,81 11,52 11,02 5,76 16,95 20,16 1,43 100,00 Grand Sfax 3,91 32,77 1,65 10,28 12,54 6,18 17,06 14,39 1,22 100,00 Grand Gabès 10,75 21,17 1,68 12,78 10,95 5,91 23,30 12,37 1,10 100,00 Grand Gafsa 6,93 8,54 4,46 14,32 11,54 7,78 30,77 14,91 0,75 100,00 Kairouan 13,63 14,69 0,72 14,55 13,90 5,93 23,69 11,94 0,95 100,00 Total 4,61 22,66 1,39 10,42 12,68 6,90 21,74 18,28 1,31 100,00 Tunisie 16,56 19,31 1,18 13,27 10,72 5,51 18,79 13,42 1,25 100,00 Source : INS. * Il s’agit des délégations dans lesquelles se situent les grandes villes. Agr. = Agriculture / Ind. = Industries / Min. Én. = Mines et énergie / BTP = Bâtiments et Travaux publics Comm. = Commerce / Tran. Com. = Transports en commun Adm. Éduc. Santé = Administration, Éducation et Santé ND = non déterminé Gr. 13 Secteurs d'activités des entrants 1994

Agriculture Industries BTP Hotellerie Adm, Educ, santé

100%

80%

60%

40%

20%

0% Sfax Gafsa Gabes Bizerte Nabeul Mahdia Sousse Monastir Kairouan Grand Tunis

Gr. 14 Secteurs d'activités des grandes villes 2004

Agric IndMine BTP ComTrans AdmEducSant Autres

100%

80%

60%

40%

20%

0% Total Tunisie Kairouan Grand Sfax Grand Tunis Grand Gafsa Grand Gabes Grand Bizerte Grand Nabeul Garand Sousse Fig. 8. Le chômage en 2004. 0 65 130 Kilomètres *

Familles nécessiteuses en 2002 (en %) 11.9 - 63.8 7.4 - 11.9 4.6 - 7.4 2.7 - 4.6 0.3 - 2.7 Familles nécessiteuses en 2002

Fig. 9. Les familles nécessiteuses en 2002. CONCLUSION En somme, la dynamique démographique et économique des grandes villes tunisiennes est une réalité incontestable dans la reconfiguration récente du territoire tunisien. Parmi les grandes villes, Tunis accapare de plus en plus de migrants en rapport avec son potentiel économique et sa fonction de capitale nationale où l’État continue de jouer un rôle majeur. Sa dynamique métropolitaine est nettement plus évidente que celles des autres grandes villes qui souffrent des insuffisances de leurs acteurs sociaux et des limites de leurs zones d’action et de leurs ambitions à l’intérieur d’espaces et de domaines économiques restreints. Elle entraîne une expansion en direction de Nabeul-Hammamet et de la nébuleuse urbaine du Sahel qui constituent des espaces de forte croissance démographique et économique alimentée par des flux croissants de migrants internes en provenance du Nord-Ouest et de plus en plus du Centre-Ouest. Si l’intensification des flux de migrants internes vers les grandes villes peut être interprétée comme une mobilité spatiale et sociale plus grande que celle des périodes précédentes, il est probable qu’elle connaîtra une intensification en rapport avec les mutations métropolitaines attendues dans les plus dynamiques des grandes villes. Dans cette transition vers de nouveaux modes de mobilité socio-spatiale vers les grandes villes coexistent des processus d’affinage et de massification. Les migrants diplômés du supérieur côtoient les manœuvres du bâtiment, les ouvrières du textile, les chômeurs sans qualification, les commerçants de l’informel, les candidats à l’émigration clandestine vers l’étranger… Les grandes villes tunisiennes sont donc à la fois des réceptacles et des interfaces où aboutissent les réseaux migratoires et d’où ils se redéploient vers d’autres directions. Cette transition s’accompagne aussi de nouvelles formes et modalités de redistribution interne des citadins. Les mobilités résidentielles vers les nouvelles périphéries sont l’une des modalités de fabrique de la ville et de fondation de nouveaux modes d’habiter. Dans les nouvelles périphéries des grandes villes tunisiennes, les nouveaux citadins, les migrants d’origine rurale et urbaine cohabitent avec des citadins qui changent de quartier de résidence. Cette cohabitation qui ne se fait pas sans frictions et animosités est fondatrice de nouvelles territorialités où les jeux des acteurs sociaux sont fondamentaux dans les processus de régulation, de gouvernance et de reterritorialisation.