Cours Master : Structure et Architecture

Analyse structurelle et architecturale Hearst Tower, NYC

Auteurs : Gabriel Jaques Mathieu Fritzinger Aleksandar Trifunović

Assistant : Raffaele Cantone

Professeurs : Roberto Gargiani Aurelio Muttoni Pierre Wahlen 16 mai 2016 Hearst Tower

Table des matières

1 Introduction 2

2 La tour et son histoire 3 2.1 Les années 1920 ...... 3 2.2 Les années 2000 ...... 5 2.3 Le design de la Hearst Tower ...... 6 2.4 Ses Concepteurs ...... 9

3 Analyse structurelle 12 3.1 Description de l’objet ...... 12 3.2 Comportement structurel ...... 16 3.3 Système diagrid ...... 18

4 Structure et architecture 25 4.1 Une structure adaptée aux besoins architecturaux ...... 25 4.2 Vérité structurale ...... 26 4.3 Lumière ...... 27 4.4 «Birds’ mouths» : vision panoramique ...... 28 4.5 Attentat 9/11 ...... 29

5 Conclusion 30

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1 Introduction

Il n’existe, à ce jour, une seule approche quant à la valeur de la structure dans l’architecture. Cette relation varie fortement suivant les périodes, les architectes, et même les programmes. De plus, cette corrélation peut même changer ou être changée au fil du temps. Les temples grecs, que l’on croyait avoir mis à nue avec l’étude et l’expertise des ruines léguées par l’histoire, ont depuis peu bouleversé notre préconception de l’architecture monumentale grecque. Des traces de peintures furent retrouvées dans de multiples sites archéologiques et documents attestant de l’utilisation d’enduits pour décorer les lieux de cultes en pierre et sans doute également ceux précédant en bois. Le temple n’était pas uniquement un ‘abri pour les dieux’, mais également une sculpture leur étant dédiée. De même, les cathédrales gothiques et leur architecture jadis délaissés sont de nos jours admirés par leur système structurel ingénieux et méticuleux qui les caractérisent ; “demander une église gothique sans arcs-boutants, c’est demander un navire sans quille ; c’est pour l’église comme pour le navire une question d’être ou de n’être pas“ [1]. Plus tard, Jean-Nicolas L. Durand, dans son ouvrage Précis de leçon d’architecture, apprend à ces étudiants une recettes universelle permettant d’ériger n’importe quel édifice d’après une trame structurelle en s’appuyant sur ces connaissances et interprétations de l’architecture monumentale antique. A l’opposé de l’académie des beaux arts, qui elle se focalise sur les qualités et les relations spatiales que les différentes pièces majeures et les pièces dites secondaires doivent entretenir, déterminant ainsi des espaces servants et des espaces servis. Notion que Kahn reprendra dans plusieurs de ces œuvres. L’architecte américain d’origine estonienne est fasciné par la pièce et son agencement dans un ensemble, une suite. Pour lui “la pièce est le commencement de l’architecture“ [2] ; l’entité de plus petite échelle est l’élément caractéristique de la plus grande échelle. Kahn ne voit jamais la raison d’une pièce dans la pièce elle-même mais dans ce qui la compose, la génère. Il dira à ce propos : “la structure de la pièce doit être évidente dans la pièce même. C’est la structure, je crois, qui fait la lumière“. L’ensemble du patrimoine bâti fait part d’une discussion entre structure - ce qui supporte - et architecture – ce que l’on voit – sans jamais vraiment en donner une réponse claire du caractère de la relation. Les ‘nouveaux’ bâtiments du 21ème siècle donnent-ils une réponse ? Sans doute non. Mais comme cela fut le cas au moyen-âge, certains édifices au caractère social particulier, à travers une expérimentation sur la forme et la matière, ont “considéré les membres du squelette avec le même amour de la perfection et de recherche pour la clarté du but“ [3]. La structure ne porte pas seulement l’architecture mais l’embellie également. Le suivant rapport va appuyer ces propos à l’aide d’une étude de cas d’un bâtiment récent des années 2000 : la Hearst Tower implantée à New York, ville où structure rime avec extravagance.

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2 La tour et son histoire

2.1 Les années 1920 Les origines de la Hearst Tower peuvent être retracées, il y a maintenant près d’un siècle de cela, au début des années 1920 et au baron médiatique William R. Hearst. Après avoir fondé la “Hearst Corporation“ en 1887, ce dernier envisage de s’installer à devenue capital média- tique des Etats-Unis après avoir détrôné Chicago. En 1921, Hearst réunie les fonds nécessaires afin d’acquérir une parcelle au 959 Eighth Avenue - parcelle toujours en possession de la fondation au jour d’aujourd’hui -, emplacement du futur siège social de la corporation portant son nom. L’archi- tecte autrichien Joseph Urban et le bureau d’architectes américains Georges B. Post & Sons furent sollicités pour la réalisation de cet édifice devant à la fois répondre à une problématique fonction- nelle, rassembler sous une même structure les douze publications appartenant à la corporation, et une problématique d’image, afficher la présence et l’élan journalistique montant de William Hearst dans le monde des médias. Le résultat de la collaboration des deux architectes prit la forme, sous le nom de l’International Magazine Building, d’un bâtiment Art-déco de six étages centré autour d’une cour intérieure. Des bureaux occupaient les quatre étages supérieurs alors que les deux étages inférieurs étaient occupés par des commerces. La construction de cette structure de faible hauteur, imaginée comme base d’un immeuble de bureaux de neufs étages par Joseph Urban et Wiliam R. Hearst, fut terminée au courant de l’année 1928. La grande dépression de 1929 coupa néanmoins court au projet d’immeuble de bureaux.

Figure 1 – Photo historique de l’ouvrage d’origine

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Figure 2 – Plan de situation

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2.2 Les années 2000 L’entrée dans le 21ème siècle avec les attentats du World Trade Center le 11 septembre 2001 à New York sera, sans aucun doute et à jamais, marquée dans l’histoire comme l’une des plus tragiques du monde moderne. Après ces événements tragiques, il a fallut du temps pour persuader la population mondiale, et surtout la population newyorkaise, de la sécurité et des avantages de tels gratte-ciels. Pour preuve, la première tour réalisée après les attentats de 2001 n’est autre que la Hearst Tower inaugurée en octobre 2006, c’est à dire cinq ans plus tard. Cette dernière est, à ce jour, l’unique contribution à la newyorkaise de l’architecte anglais Norman Foster, qui pour l’occasion collaborera avec l’ingénieur, du bureau d’ingénierie newyorkais WSP Cantor Seinuk, Ahmad Rahimian. Cette extension de la base historique, appartenant depuis 1988 aux “monuments importants de l’héritage architectural de New-York“, vient ressusciter la vision des années 1920 du baron médiatique William R. Hearst et de l’architecte Joseph Urban, qui envisageaient la structure du 959 Eighth Avenu - alors appelée International Magazine Building - comme éventuelle base d’un immeuble de bureaux futurs. Néanmoins, l’envergure du bâtiment actuel dépasse de loin celle du projet initial. En l’espace de 80 ans l’immeuble de neuf étages laissa place à une tour de quarante-deux étages, assurant la superficie nécessaire afin d’accueillir dans un même édifice l’intégralité de deux milles employés jusque là éparpillés sur neufs adresses différentes. Comme en 1928, cette construction high-tech, recouverte par une enveloppe de verre et d’inox, accueille l’ensemble des employers de Hearst, tout en communiquant également les valeurs de la compagnie et sa prééminence en tant qu’organisation du 21ème siècle.

Figure 3 – Photo de la skyline newyorkaise après 2006

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2.3 Le design de la Hearst Tower Une des première contraintes, et sans doute la plus significative pour le projet, à laquelle archi- tectes et ingénieurs ont du se confronter fut donc la nécessité de préserver la structure existante (la façade) considérée depuis 1988 ‘monument important de l’héritage architectural de New York’. Les architectes eu obligation de maintenir les façades extérieures et il fut déterminer que l’ancienne structure devait agir comme plinthe, socle au nouveau bâtiment – comme imaginé originellement par Urban et Post. La Tour pris ainsi place dans la cour de l’ancien bâtiment à l’extrême Ouest de la parcelle adjacent au Shefield Building.

En plus de la façade et de valeur patrimoniale, d’autres facteurs ont influencé la position de la tour, cette fois plus dans l’horizontale, mais dans la verticale. La hauteurs des étages de l’existant n’étant pas adaptée pour un espace de bureaux contemporain et par une perte considérable de lumière dans les premiers étages de la tour si cette dernière était imbriqué dans la cour existante. La hauteur du ‘socle’ eu tendance à pousser la base de la tour vers le haut où elle ne libére pas uniquement la partie supérieur du ‘socle’ mais tend à ‘flotter’ au dessus. Cet agencement à permis une arrivé importante de lumière dans le socle, ainsi qu’une séparation horizontale de la structure ancienne massive et la nouvelle structure légère nouvelle.

Cette juxtaposition des deux structures permit de traiter la partie existante avec une grande li- berté. Cette dernière peut être découpée en deux parties. Une première partie que l’on pourrait appelé côté rue, où une position traditionaliste fut privilégiée : la façade fut conservée et seul l’entrée au bâtiment et l’accès au métro forment des exceptions dans la succession de magasins. Ces magasins occupent les deux premier étages de la structure existante, le reste fut évidé laissant place à un grand atrium. Du point de vue de l’architecte Norman Foster, la Hearst Tower peut être comparée à un petit village, et l’atrium à sa place centrale. L’atrium joue le rôle d’aimant sociale. Tous les différents mondes des étages de la tour se retrouvent dans son cœur afin d’échanger, de se détendre et de profiter des divers commodités offertes.

(a) (b) Figure 4 – Photo de l’ouvrage construit dans les années 1920 (a) et photo de l’ouvrage actuel (b)

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Figure 5 – Hearst Tower actuelle Figure 6 – Coupe de l’ouvrage dans son ensemble

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(a) (b) Figure 7 – Elevation (a) Coupe (b)

aaaaaaaa (c) (d) Figure 8 – Plan d’atrium (c) Plan d’étage type (d)

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2.4 Ses Concepteurs

Norman Foster

Norman Foster compte aujourd’hui parmis les grands noms de l’architecture moderne et particu- lièrement de l’architecture dite High-Tech. Diplômé de l’université de Manchester en 1961, il se rend, après l’obtention d’une bourse d’étude, aux États-Unis où il obtiendra en 1962 son diplôme d’architecte de l’université de Yale. De retour à Londres en 1963, Norman Foster fonde le cabinet d’architecture, Team 4, en compagnie de Richard Rogers et de leurs épouses respectives Wendy Foster et Su Rogers. L’année 1967 marque la fin de quatre années de collaboration entre les deux couples. Rogers travaille alors avec Renzo Piano tandis que Norman Foster et sa femme Wendy Foster fonde le cabinet d’architecture Foster Associates, depuis renommé Foster Partners afin de refléter au mieux l’influence des nouveaux architectes associés. La renommée, Lord Foster, la doit à la réalisation de projets variés et célèbres tel que le viaduc de Millau, le siège de la Swiss RE à Londres, la coupole du Reichstag à Berlin, ou encore l’ancien siège de la HSBC à Hong-Kong pour n’en cité que quelques un.

Figure 9 – Photo de l’architecte Norman Foster

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Ahmad Rahimian

Ahmad Rahimian est aujourd’hui le directeur général du cabinet d’ingénierie WSP Cantor Seinuk, un bureau newyorkais d’ingénierie structurelle en tête de fil et un membre du groupe WSP, entre- prise d’ingénierie mondiale avec plus de cinq cents bureaux sur les cinq continents. Arrivé au début des années 1980 comme immigré iranien avec une licence en ingénierie civile, il poursuivit son édu- cation et obtiendra quelques années plus tard son Master of Science de l’institut polytechnique de l’université de New York. Ce n’est que peu de temps après l’obtention de son diplôme, qu’Ahmad Rahimian fait ces débuts dans le cabinet d’ingénierie newyorkais Cantor Seinuk, fondé en 1971 par Irwin G. Cantor et Ysrael Seinuk, qui par la suite rejoindra le groupe WSP (William Sale Partnership) dans les années 2000. Ces années chez Cantor Seinuk le confronteront à de nombreux défis, comme ce fut le cas pour la Torre Mayor à Mexico City, tour de bureaux de 55 étages venant surplomber un parking de 12 étages, ou encore la Freedom Tower à New York, mégastructure de 105 étages.

Figure 10 – Photo de l’ingénieur Ahmad Rahimian

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Turner Construction

Turner construction est une des plus grandes entreprises de gestion de la construction mondiale. Fondée en 1902 par Henry C. Turner à New York, la compagnie s’étend en 1907 et 1908 respective- ment à Philadelphie et Boston, afin de maintenir son extension géographique. Aujourd’hui, l’entre- prise Turner Construction est composée de 46 bureaux aux État-Unis et est active dans une ving- taine de pays autour du globe. La société doit sa reconnaissance à la réalisation de grands projets complexes, favorisant l’innovation, embrassant les technologies émergentes, et faisant preuve d’une volonté à faire une différence pour leurs clients, les employés et la communauté. Deux exemples cé- lèbres sont le sièges des Nations Unis et le Lincoln Center for Perfoming Arts, tous les deux à New York, et le Burj Khalifa aux Émirats Arabes Unis, pour un exemple international. La compagnie traite une moyenne de 1500 projets par an, que les quelques 5200 employés se partagent.

Figure 11 – Photo prise lors de la visite du chantier

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3 Analyse structurelle

3.1 Description de l’objet 3.1.1 Le socle La première étape du projet a été réalisé en soutenant la façade patrimoniale Art-déco de l’archi- tecte Joseph Urban et en détruisant l’intérieur de ce bâtiment de la fin des années 1920. La façade a été renforcée afin d’avoir la résistance suffisante pour le nouveau élancement ; la hauteur de 6 étages, sans aucun soutient latéral hors de son plan. Elle a donc été renforcée de l’intérieur en lui juxtaposant un mur en béton armé. Ce dernier assure le maintien des murs d’enceinte existants et leur apparence sur toute leur hauteur sans nécessité d’appuis intermédiaire tout en respectant les nouvelles normes sismiques.

Une fois le bâtiment existant évidé de son contenu, ses fondations ont été modifiées et renforcées afin de pouvoir accueillir les 42 étages de la nouvelle Hearst Tower. Les caractéristiques du site urbain ont obligé d’exécuter l’entier des travaux de fon- dation dans l’enceinte du bâtiment. Le bâtiment, dans son ensemble, est soutenu par deux type de fondations afin de répondre à la géo- logie atypique formée par un lit rocheux irrégulier le long de la parcelle. En effet, la roche se trouve en surface sur la moitié du bâtiment, tandis que sur l’autre moitié du bâtiment, le roche se trouve environ 10 mètre sous le niveau de la rue. Ainsi des semelles superficielles ont été utilisées là où la roche était en superficie, alors que des caissons en béton armé ont été utilisés pour atteindre le massif rocheux plus profond. La tour, qui commence au-dessus de l’ancienne fa- çade, est supportée par des ‘méga-colonnes’ et sta- (a) bilisée par des ‘méga-diagonales’ posées à la base sur 12 points d’appuis générant et créant un atrium très dégagé spatialement (sur 10 étages virtuels), dont le volume est uniquement obstrué/coupé par ces mégastructures. Le plan de ces megastrucutres est perpendiculaire au plan de la façade de la tour qu’elles supportent. Ces dernières sont composées d’éléments mixtes : tubes carrés en acier haute performance composés soudés de 1,12m x 1,12m x 100mm, comblés avec du béton. (b) Figure 12 – Méga-structure de la base (a) & (b) Système pour déviation des forces obliques

Structure et Architecture 12/ 31 Hearst Tower La structure porteuse de la tour, reposant sur ces 3.1.2mégastructures La tour formant l’atrium, est principale- ment réalisée par le système de cadres triangulés, communément nommé diagrid. Ce système por- teur est dans le cas présent très lisible et présente plusieurs avantages. Principalement, il permet d’assurer la stabilité d’un tel édifice en façade. Ce système structurel particulier interconnecte les quatre façades de l’extension, générant ainsi une structure tubulaire.

Chaque façade est composée de modules triangu- laires isocèles d’une hauteur constante de quatre étages assemblés afin d’atteindre la hauteur légitime de la tour dans son entier. La section constante des poutres en I de ces triangles facilite et favorise une préfabrication et montage ordonné, planifié. La géométrie de l’ensemble rend néan- moins l’assemblage délicat et compliqué avec des nœuds et pièces d’assemblage complexe.

La séparation en plans horizontaux de la tour est assurée par un conventionnel système poutre- plancher. Dans le cas de la Hearst Tower, une dalle mixte (acier-béton) appuyée sur des poutres en acier a été utilisée. Ces différents niveaux de (a) planchers sont appuyés en façade sur le système diagrid, au noyau et à une couple de colonne supplémentaire contenant les portées à des dimen- sions raisonnables.

Figure 13 – Vue de l’intérieur de l’étage en (b) construction Figure 14 – Photo du chantier (a) & (b) Photo de l’intérieur de la base

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Figure 15 – Elevation schématique de la structure de la tour

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Figure 16 – Plans types des étages de la tour

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3.2 Comportement structurel 3.2.1 Diagrid : poutres et colonnes

La reprise des charges verticales par le système diagrid s’établie de manière sui- vante. Chaque module de triangle reprend 4 niveaux de plancher en plus des charges des étages supérieures. Les membrures du diagrid agissent comme une ‘colonne inclinée’ et comme une ‘poutre’ dont les extrémités sont encastrées. L’encastrement des membrures réduit le moment maximal en générant des moments opposés près des appuis. Également, en plus des appuis latéraux provenant des planchers appuyés, (a) l’encastrement à l’angle de chaque triangle réduit la longueur de flambage de cet élé- ment hautement sollicité à la compression (sous les charges gravitaires seules).

Les charges verticales gravitaires induisent des efforts de compression, des efforts de flexion et des efforts normaux dans les mem- brures du diagrid. Les efforts de cisaillement et de flexion causés par ces charges sont similaires d’un module du diagrid à un autre. A l’opposé, les efforts normaux engendrés par les charges verticales se cumulent à chaque module du diagrid.

Tandis que, les charges horizontales induites (b) par le vent et le séisme, sont reprises par les planchers et transmises aux membrures du diragrid. Ces charges induisent, elles aussi, des efforts de cisaillement, des efforts de flexion et des efforts normaux dans les membrures du diagrid. Ces efforts provenant des charges horizontales s’additionnent aux efforts des charges verticales. Dans certains cas de chargement, la combinaison des efforts est favorable et, pour d’autres cas, défavorable. Figure 17 – Sollicitations du diagrid sous charges ver- ticales (gravitaires) (a) & (b) Sollicitations du diagrid sous charges horizontales

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3.2.2 Tour : effet du vent

Pour la reprises des charges latérales du vent et séisme, la tour agit comme une énorme poutre en porte à faux vertical encastrée à la base. Cette «poutre» doit donc résister à des efforts de flexion et de cisaillement, en plus d’efforts axiaux. La figure suivante illustre bien les efforts engendrés par flexion. En effet, une partie de la tour se retrouvera en traction tandis que l’autre partie se retrouvera en tension afin de résister au renversement de la tour. De plus, la tour est cisaillée par les efforts latéraux.

Figure 18 – Sollicitations du diagrid sous charges laté- rales

(a) (b) (c)

Figure 19 – Noeud du système de façade (a) Passage des forces verticales (b) horizontales (c)

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3.3 Système diagrid 3.3.1 Démarche de l’analyse Le système porteur principale de la tour est lisible sur ses façades. Il s’agit d’une structure tubu- laire formé en façade à l’aide de triangles s’étendant en hauteur découpés horizontalement par 4 niveaux d’étages.

Ce système, diagrid, évolue à travers les 4 façades pour former un tube redondant, permettant de stabiliser correctement la tour entière puisque le noyau de l’ouvrage a été volontairement disposé de côté de la façade ouest, car celle ci donne sur un bâtiment existant. Ce système structurel a permis de réduire de 20% la quantité d’acier par rapport à une structure conventionnel, cadres stabilisés horizontalement par le noyau central. Également, il est important d’évoquer que Hearst Tower est le premier projet major inauguré à suite à l’effondrement des tours de World Trade Center et les concepteurs ont dû s’adapter aux nouveaux standards de sécurité structurels imposés pour les tours dès lors en construction et le choix s’est porté à ce système hautement redondant, diagrid, qui n’est pas très usuel pour des tours d’environ 40 étages, car même si l’éco- nomie de matière est réalisable, les détails constructifs et le montage plus difficile efface rapidement économiquement cet avantage. Mais l’argument le plus pertinent en faveur de ce système a été une résilience comparable aux autres systèmes relativement à sa masse et à son échelle. En vertu de sa rigidité et force, ce système combine la stabilisation et colonne dans un seul élément et permet de réduire la sollicitation de la base en répartissant la charge sur tous les éléments de la base.

Figure 20 – La tour vue depuis la rue

Une analyse et comparaison de ce système diagrid disposé ici et des systèmes usuellement disposés dans les bâtiments-tours est présenté dans les pages suivante.

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3.3.2 Analyse statique

Système cadre

Cadre stabilisé

Système Diagrid

Système Diagrid sans montants de bords Figure 21 – Comparaison des systèmes statiques par la descente de charge Structure et Architecture 19/ 31 Hearst Tower

Figure 22 – Comparaison statique

Une analyse de descente des efforts, voir figure 21, permet de comprendre le fonctionnement d’un système statique.

Un système cadre, qui est ici le moins redondant, ne permet pas la diffusion de l’effort dans le sys- tème global, son élément auquel s’applique la force, encaisse pratiquement l’entière unité. Tandis que les systèmes plus redondants (avec diagonales), permettent une diffusion d’effort, particulière- ment avantageux pour la sollicitation (ainsi plus petite) des éléments se trouvant en de sous et la répartition des charges dans les fondations.

Concernant le système diagrid, on aperçoit que avec l’avantage de ne pas avoir des "colonnes", les efforts dans les éléments obliques ne sont pas dramatiquement augmentés.

Quant au système diagrid, sans montant aux bords de façade, système disposé dans la Hearst Tower, on aperçoit qu’il est un peu moins efficace, principalement sous sollicitation horizontale que le système diagrid avec les montants de bord, mais il offre l’avantage architectural de n’avoir aucun élément vertical.

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Système cadre Cadre stabilisé Système Diagrid Syst. Diagrid sans montants Figure 23 – Analyse de la structure d’une façade

Figure 24 – Comparaison de rigidité horizontale d’une façade

Le graphique de ci-dessus, la figure 24, présente la rigidité horizontale d’une façade en fonction des système statique. On voit que le système diagrid (avec montant de bord) a une rigidité identique au système avec cadres stabilisés. Le système de façade de la Hearst Tower, diagrid sans montants de bords a une rigidité environ 2 fois plus petite, mais il reste tout de même environ 5 fois plus rigide que le système "Cadres seuls".

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Tour Syst. Cadre Tour Cadre Stabil. Tour Syst. Diagrid Tour Syst. Diag. sans montants Figure 25 – Analyse de la structure de la tour (tube)

Figure 26 – Comparaison de rigidité horizontale de la tour

En analysant les façades reliées, formant ainsi une structure à 3 dimensions, un tube, la rigidité horizontale est semblable pour les 3 systèmes hautement redondants, à savoir "Tour Cadres sta- bilisés, Tour Système Diagrid et Tour Système Diagrid sans colonne de bord". La différence entre "Tour Cadres stabilisés" et Tour Système Diagrid sans colonne de bord" est de 20% en faveur du premier système cité.

Ainsi, on aperçoit que le système de la tour est très efficace, même avec cette élimination des éléments verticaux aux coins de la tour. "Tour Système Diagrid sans colonne de bord" est de 25 fois plus rigide horizontalement que "Tour Cadres seuls" ; le système de façade formé par des cadres (poutres et colonnes avec connexions rigides aux intersections).

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Syst. de la Hearst Tower Syst. avec base plus logique Figure 27 – Analyse global avec le système à la base

Figure 28 – Comparaison de rigidité horizontale de l’ouvrage entier Structure et Architecture 23/ 31 Hearst Tower

Syst. de la base de la H.Tower Syst. base plus logique Figure 29 – Analyse global avec le système à la base

Figure 30 – Comparaison de rigidité rotationel (torsion) de la base

Comme déjà mentionné, le système statique à la base de la Hearst Tower se différencie complète- ment de la structure de la tour, ce qui est une volonté architecture de la ville de New York City, mais également de l’architecte Foster, séparant ainsi les volumes et donnant l’harmonie par ces cassures qui "font oublier" l’immense différence de la façade patrimoniale Art-déco et la tour Hight Tech verre et acier.

Concernant la rigidité horizontale, le système disposé à la base dans la Hearst Tower, le système qui change de plan brusquement, n’a pas de grande influence, voir figure 26. Par contre, concernant une rigidité torsionnelle, c’est logique que ce système est moins performant, car comme déjà dit, le plan a un changement brusque de 90 à la base, ainsi un système de la base qui suit le plan de la tour serait beaucoup plus adapté, voir figure 30.

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4 Structure et architecture

4.1 Une structure adaptée aux besoins architecturaux La volonté de l’architecte concernant l’aménagement des surfaces de plancher de la tour a grande- ment influencé le choix de la structure. En effet, la présence d’une tour d’habitation à la bordure Nord-Ouest du site, obligea l’architecte Norman Foster de déplacer le corps de circulation. La jux- taposition du noyau de circulation permet effectivement d’éviter d’obtenir une zone insuffisamment éclairée naturellement et sans dégagement visuel vers l’extérieur. De plus, il permet d’accroître la surface utilisable du coté Sud-Est, c’est à dire un des cotés les plus favorables pour des bureaux, tout en gardant une distance corps façade appropriée. Néanmoins, ce choix décisif pour le bon fonctionnement du monde intérieur de la tour a un impact non négligeable sur le comportement statique de cette dernière. Le centre de torsion de la tour se voit ainsi déplacé et par conséquent incapable de reprendre les charges horizontales pouvait engendrer de grands efforts de torsion non désirés. En effet généralement, le noyau structurel d’un tel bâtiment, correspondant aux différentes cages de distribution verticale (ascenseur, escalier, vide technique,. . . ) reprend la grande majorité des charges horizontales et des charges verticales. Ici, c’est la façade qui remplit l’entièreté de ce rôle structurel ; le noyau pouvant dès lors être une construction légère servant uniquement à réduire les portées à l’intérieur du bâtiment. L’élément porteur étant repoussé en façade et en façade uniquement, les ingénieurs ont opté pour un système, à la fois, hautement stable, rigide et distinctif, un système diagrid. Ce dernier permet d’assurer la stabilité de la tour en interconnectant les quatre faces du bâtiment par une juxtaposition méticuleuse d’un même module triangulaire et lui donnant ainsi également un visage uniforme où structure et contreventements se mêlent.

Figure 31 – Noyau juxtaposé au côté ouest du bâtiment

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4.2 Vérité structurale La vie et l’influence d’un gratte-ciel dépendent essentiellement de l’apparence de ce dernier. Ceci est particulièrement vrai à New York et sur sa mythique presqu’île de Manhattan. La Hearst Tower ne déjoue pas cette règle. “Le diagird travaille à l’échelle urbaine et établit un profil distinctif sur la ligne d’horizon“, (voir [4]). Ce système structural si particulier devient ainsi la caractéristique primaire de ce bâtiment, celle qui “le démarque et qui l’explique“, (voir [4]). En effet, l’architecte Norman Foster prit le parti de montrer et de distinguer la structure périphérique de l’enveloppe du bâtiment. Ce contraste est ici souligné par le choix des matériaux différents, respectivement l’inox et le verre. Les quatre façades font foie d’une vérité structurelle, d’une transparence compositionnelle ; le bâtiment s’explique de lui même. Un socle historique en maçonnerie est surplombé d’une tour high-tech en acier. Entre ces deux structures une ‘jupe’, un bandeau de verre horizontal, fait office de transition. Cette transition est accentuée par un changement de structure, le diagrid laisse place à un simple un système de colonnes contreventées plus traditionnel. Cette variation structurelle est une conséquence directe des normes de préservation de la ville de New York selon lesquels une nouvelle structure devrait exprimer son propre temps tout en respectant et en renforçant l’existant. L’innovation structurelle est donc laissée à la nouvelle tour et le système de porteurs verticaux – solution plus traditionnelle – au socle. La transition structurelle marque donc également une transition programmatique, l’espace public laisse place aux étages de bureaux.

Figure 32 – Maquettes d’étude du projet

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4.3 Lumière Norman Foster prend la problématique de la lumière naturelle très au sérieux et en a fait au fil des années le point de départ majeur de ces projets. Dans le cas de la Hearst Tower la question était de savoir par quel moyen, ou comment l’apport en lumière naturelle pouvait être assuré dans les étages inférieurs de la tour en présence du socle de 1928. La destruction des planchers fut décidée dès les premières phases du projet étant donné les hauteurs bien trop faibles des étages selon les standards contemporains ; la tour pouvait donc se placer librement dans l’espace. Le cadre de construction privait néanmoins les trois premiers étages de la tour d’un apport en lumière naturelle optimal, si celle-ci était ‘posée’ directement au dessus des deux étages commerciaux. Les architectes ont donc décidé de repousser le premier étage de bureaux vers le haut. Afin de pouvoir subvenir aux besoins lumineux de ce nouvellement créé atrium, les architectes ont décider de faire ‘voler’ une quarantaine d’étages de bureaux au-dessus de la structure existante générant ainsi un changement de système structurel et la transition horizontale entre ancien et nouveau ; respectivement entre monde urbain et le monde du travail.

Figure 33 – La tour vue depuis l’intérieur de la base

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4.4 «Birds’ mouths» : vision panoramique La présence de la tour dans le tissu urbain de Manhattan est établie par le système diagrid. Ce dernier fonctionne néanmoins également a une échelle plus petit qu’est celle du quartier. Le jeu de composition de l’angle du bâtiment en est la source principale. En effet, l’évidemment de l’angle en l’absence de montants de bord génèrent des chanfreins, décrit par l’architecte Norman Foster comme des ‘birds mouths’. Ces dernières permettent d’accentuer les proportions verticales de la tour et du bâtiment dans son ensemble.

Ce geste compositionnel permet également une fois à l’intérieur d’offrir un regard différent sur la grille de Manhattan, un regard diagonal. Le regard ne se dirige plus sur la route ou le bâtiment d’en face, mais sur le croisement, l’arrête des bâtiments. Le choix de la structure créa ainsi à la fois l’apparence du bâtiment à l’intérieur de la ville et l’apparence de la ville à l’intérieur du bâtiment.

Figure 34 – Vue panoramique offerte par le «birds’ mouths»

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4.5 Attentat 9/11 Le diagrid crée une structure très efficace composé d’un réseau de membrures permettant plusieurs cheminements des charges. Cette considération est très importante pour les gratte-ciel de la ville New-York. La Hearst Tower est le premier gratte-ciel qui a été construit dans le centre-ville de New-York après les attentats du 11 septembre 2001. Lors de cette tragédie, deux avions ont été déviés par des terroristes et ont heurté les tours jumelles du World Trade Center causant l’effon- drement des 2 bâtiments.

Ce système diagrid, système statique hautement redondant, est un système bien plus rigide que le système cadre qui a succombé très rapidement suite à ce sinistre tragique. Même avec un évidement d’une partie de ces éléments sur la façade diagrid, le système répartie les charges par les treillis en dessus et en dessous de l’évidement pouvant être formé par un tel accident.

Figure 35 – Résistance du système en cas d’accident

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5 Conclusion

En somme, la collaboration entre Norman Foster et Ahmad Rahimian lors de la conception de la Hearst Tower peut être jugé d’exemplaire. La structure et l’architecture cohabitent, se complètent afin de générer cette figure emblématique dans la skyline de Manhattan. Cette figure présente, en son sein, un système structurel unique répondant au langage architectural unique de cette tour, où ancien et nouveau se confrontent. En effet, la démarcation de deux systèmes statiques, un pour le bas et un pour le haut, résulte de la volonté de différencier les deux époques du bâtiment, tout en permettant une stabilité irréprochable de la tour soutenu uniquement par sa "peau" extérieure devenue emblème du bâtiment. En effet, l’expression architecturale de cet édifice est générée par la structure sinequanone de ce bâtiment, la structure est apparente, ou du moins son principe structural. Ce dernier transmet l’image nouvelle et imposante de la Hearst Corporation mais, à plus petite échelle, également la conviction de l’architecte et de l’architecture moderne de participer à la conservation de l’environnement. La Hearst Tower est le premier bâtiment de bureaux ‘vert’ à New York City. Il reçu la distinction LEED Gold, par l’US Green Building Council. Cette catégorisation est notamment due à l’usage de ce système diagrid si particulier qui permet d’économiser environ 20% d’acier, ce qui correspond dans ce cas à environ 2000 tonnes d’acier d’économie. A cela se rajoute la forte présence d’acier recyclé composant la tour, environ 85%. La structure vient donc compléter les différentes mesures de réduction de dépense énergétique. Une collaboration très précoce entre architecte et spécialistes a ainsi permis une intégration de tous les éléments généralement jugés anecdotique dans le concept et expression architecturale global et notamment l’aspect structurel complexe de ce genre de construction.

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Références

[1] Eugène Viollet-le-Duc, Dictionnaire, Volume 1, «Arc-boutant», p. 60. [2] Louis I. Kahn, "The room, the Street and Human Agreement", AIA Journal, vol.56, n3 [3] Louis I. Kahn, “Monumentality”, Louis I. Kahn . Essential texts, Robert C Twomby, W.W.Norten, 2003 [4] Foster, Norman. Hearst Tower Foster + Partners. Londres : Prestel (2010) : 8-11. [5] Adolf Loos, Le Principe du Revêtement, 1898 [6] Norman Foster, Lecture to Foster 10 Exhibition, Century Cultural Center, Tokyo, 1988 [7] Norman Foster, Architecture and Structure, Architectural Association of Japan, novembre 1994 [8] steeldoc 01/09, Skyline - immeubles tours, SZS, édition mars 2009 [9] METALS IN CONSTRUCTION, Diagrig Framing System - Lifts Historic Building into Skyline, The steel institute of New York and the ornamental metal institute of New York , édition printemps 2006 [10] David Jenkins, Norman Foster : Works 6, PRESTEL, 2014

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