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Séquences La revue de cinéma

Vues d’ensemble

Numéro 223, janvier–février 2003

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Éditeur(s) La revue Séquences Inc.

ISSN 0037-2412 (imprimé) 1923-5100 (numérique)

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Citer ce compte rendu (2003). Compte rendu de [Vues d’ensemble]. Séquences, (223), 50–61.

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ADAPTATION lamentables, l'apprentissage de la sexualité, Adaptation Un scénariste tente d'adapter un livre doc­ des adultes pour la plupart irresponsables. umentaire d'une journaliste sur la Et ce n'est certes pas un hasard si Maureen, recherche des orchidées sauvages en l'unique femme du film qui semble bien Floride. Coincé dans son écriture, il voit dans sa peau, vit seule avec sa fille. Mike alors son frère, novice dans le métier, écrire Leigh va peu à peu centrer son attention puis vendre à prix d'or un scénario sem­ sur la famille Bassetts composée de Penny blable à beaucoup d'autres et comportant (Lesley Manville), caissière au super­ tueries et poursuites. Voilà un court synop­ marché, Phil (Timothy Spall), chauffeur de sis de cette œuvre hybride créée par le scé­ taxi, et leurs deux enfants obèses : Rachel nariste de Being John Malkovich à partir de travaille tandis que Rory, plus lourd encore ses expériences d'adaptation d'un livre que sa sœur, se vautre dans son chômage. réputé inadaptable. Dans ce film touffu, Phil est sensible, doux et passif. Alors plein de rebondissements, d'apartés Penny compense. À la maison, c'est elle qui filmiques comme cette séquence d'anima­ tion sur l'évolution du monde qui montre la nécessité de l'adaptation dans ce proces­ sus évolutif et de la place des hybrides dans ce temps de clones, Charlie Kaufman se paie même le luxe de se créer un frère jumeau fictif, Donald et de lui faire cosigner le scé­ nario. Nicolas Cage trouve dans ces deux frères si différents de caractère, un moyen d'exprimer son immense talent en jouant simplement sur une démarche ou un débit différent. On prend aussi plaisir à rencontrer même dans les petits rôles secondaires, des acteurs heureux de croquer dans ce texte. Le réalisateur Spike Jonze manie le tout avec une verve passionnée et l'on peut espérer que l'Oscar de la meilleure adapta­ tion aille à cette Adaptation qui démontre qu'on peut encore produire, aux États- Unis, des œuvres brillantes dans ces temps de cinéma-popcorn. Luc Chaput

All or Nothing États-Unis 2002, 112 minutes - Réal. : Spike Jonze - Scén. :Charlie Kaufman d'après le livre The Orchid Thief de prend les décisions et qui reproche à Rory vateur des clients qui défilent dans son taxi Susan Orlean - Int. : Nicolas Cage, Chris Cooper, Meryl sa paresse. À la suite d'un accident, Phil et et un romantique qui rêve de voir la mer. Streep, Maggie Gyllenhaal, Brian Cox, Tilda Swinton, Cara Seymour - Dist. : Columbia Penny vont s'affronter et se retrouver. Cet Anglais des faubourgs n'est pas tou­ Tous les critiques l'ont dit, cette jours facile à suivre. D'où mon seul regret grande scène entre les époux est magis­ à la projection de presse montréalaise : ALL OR NOTHING tralement interprétée et vaudrait, s'il y l'absence de sous-titres. Topsy-Turvy — une incursion dans la vie avait une justice, un Oscar à Lesley Francine Laurendeau et l'œuvre de Gilbert et Sullivan — était Manville et Timothy Spall. Mais ce qui me une exception dans le parcours filmiqued e rejoint plus encore dans ce film, c'est la Royaume-Uni 2002, 128 minutes - Réal. : Mike Leigh. - l'auteur de Naked, Secrets and Lies et tendre lucidité du réalisateur qui étudie Scén. : Mike Leigh - Int. : Timothy Spall, Lesley Manville, autres tableaux saisissants de la société bri­ sans les juger ces prolétaires aux horizons Alison Garland, James Corden, Ruth Sheen, Marion Bailey, bouchés. C'est le naturel désarmant des Paul Jesson, Kathryn Hunter, Sally Hawkins, Helen Coker, tannique. All or Nothing est la chronique Daniel Mays. - Dist. : MGM. de la vie quotidienne d'une quinzaine de comédiens. Je ne suis pas près d'oublier locataires d'un HLM londonien. De très l'émouvant personnage de Phil, apparem­ jeunes gens qui font, dans des conditions ment éteint mais qui se révèle un fin obser­

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BALZAC ET LA PETITE départ même de l'histoire, quoique légitime domestiqué et transformé de force en bonne TAILLEUSE CHINOISE dans le contexte, ne dénote pas seulement à tout faire. L'innocence de l'une rejoindra la La « rééducation » d'un jeune intellectuel une condamnation du totalitarisme typique naïveté de l'autre et elles parviendront pendant la Révolution culturelle est un sujet de la Révolution culturelle chinoise; il ensemble à se défendre contre l'hypocrisie et que Dai Sijie avait déjà traité dans son pre­ traduit aussi un malaise. Est-il vraiment les complots. mier film, Chine ma douleur. Avec Balzac, il nécessaire que l'éveil intellectuel des Divisé en trois parties clairement énon­ adapte son propre roman. Il est rare qu'un Orientaux soit tributaire de ce qui vient cées (la science, les arts, le théâtre), le scé­ auteur porte lui-même son œuvre au ciné­ d'Occident, même lorsqu'il s'agit d'art et de nario crée volontairement une distanciation ma (il y a Blier en France). On serait tenté de littérature? Cette question d'ordre esthé­ avec le public, lui rappelant ainsi ses origines tique, Masaki Kobaya­ théâtrales. Pourtant, le travail du cinéaste shi l'avait déjà involon­ dans les médias numériques marque égale­ tairement posée dans ment la signature de ce long métrage. Kaseki, en 1973. Ce film Tourné en HD, The Baroness and the nous montrait un Ja­ Pig évolue dans un environnement où se ponais qui n'avait tou­ multiplient les procédés cinémato­ jours vécu que pour ses graphiques autant dans le traitement des affaires et qui s'huma­ images (des séquences dont l'esthétique rap­ nisait, à la fin de sa vie, pelle de vielles photos jaunies ou d'autres lors d'un voyage en suggérant les tableaux des impressionnistes) Europe, en découvrant que dans le montage dont certaines succes­ les richesses de l'art sions de plans évoquent la photographie. occidental. Filmé principalement dans un château hon­ Sans doute Dai grois, le film aux décors somptueux traduit Sijie nous parle-t-il de bien l'extravagance pompeuse du milieu son propre chemine­ aristocratique de l'époque mais l'esthétique, ment, lui qui a d'ailleurs la virtuosité du montage et même les musiques de Philip Glass concurrencent si Balzac et la petite tailleuse de chinoise adopté la langue fran­ çaise jusque dans son l'on peut dire avec l'intrigue et les person­ croire que nul n'est mieux placé pour le écriture. Mais on aimerait peut-être con­ nages, les reléguant jusqu'à un certain point faire. Pourtant, la réussite n'est pas totale naître davantage ses rapports avec sa culture au second plan. Pourtant le jeu des acteurs dans le cas présent. Dai Sijie s'est curieuse­ d'origine, millénaire, et Dieu sait qu'elle ne se n'est pas en cause. À souligner à ce propos la ment appliqué à déconstruire son récit en en résume pas au « réalisme prolétarien ». performance de Patricia Clarkson dont l'en­ déplaçant et simplifiant parfois des éléments Denis Desjardins thousiasme du personnage n'a d'égal que significatifs. Ainsi en est-il du passage où le son ingénuité mais aussi et surtout l'inter­ personnage appelé le Binoclard veut recueil­ prétation sensible et convaincante de France, 2001, 106 minutes - Réal. : Dai Sijie - Scén. : Dai lir, par l'entremise de Luo et de Ma, les Sijie et Nadine Perront, d'après le roman de Dai Sijie — Int. : Caroline Dhavernas dans la peau de la vieilles chansons d'un vieux montagnard Ziiou Xun, Chen kun, Liu Ye, Chung Zhijun. - Dist. : Seville. sauvageonne Emily. D'ailleurs, le drame de gardien de la tradition orale, pour ensuite les celle-ci arrachée à son milieu animal rap­ triturer en leur insufflant un cachet révolu­ THE BARONESS pelle inévitablement L'Enfant sauvage de tionnaire. Bref, une récupération du patri­ AND THE PIG Truffaut ou encore Nell de Michael Apted moine à des fins idéologiques. Dans le film, Pour faire le saut en cinéma, le dramaturge avec Jodie Foster, sans pour autant cons­ cette scène est reportée en seconde partie, et Michael Mackenzie a opté pour l'adaptation tituer l'objet principal de film. Enfin, si son message est trop simplifié. Par ailleurs, cinématographique de sa pièce éponyme qui l'ensemble de la production régale l'oeil du dans son roman, Sijie avait décrit progres­ illustre paradoxalement la rigidité des con­ spectateur, le dénouement plutôt prévisible sivement l'attente de ses deux jeunes héros ventions sociales et l'entrée fulgurante du en déçoit ses attentes. qui reçoivent d'abord un, puis deux livres du monde dans sa modernité. Louise-Véronique Sicotte Binoclard avant de penser à lui subtiliser sa Dans le Paris des salons mondains du e malle pleine de livres. Dans son film, on XIX siècle, deux univers se rencontrent, a^kW La « Baroness » passe rapidement à la scène du vol. La pro­ s'opposent et finalement s'allient pour la Canada 2002, 95 minutes - Réal. : Michael Mackenzie - Scén. : Michael Mackenzie, d'après sa pièce de théâtre — Int. : gression est donc sacrifiée, et avec elle un survie de deux femmes que tout sépare l'une Patricia Clarkson, Colm Feore, Caroline Dhavernas, Louise certain suspense. de l'autre : une baronne américaine à l'affût Marleau, Benoit Brière, Bernard Hepton — Dist. : Film Tonic. Le film est néanmoins réalisé avec sen­ des innovations technologiques qui foison­ sibilité et application. Toutefois, le point de nent en cette fin de siècle et l'enfant sauvage

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BLOODY SUNDAY Dès l'ouverture de Bloody Sunday, le spec­ tateur comprend la nature de l'objet qui lui est présenté. Pas de con­ texte historique précis. Peu d'explications rela­ tives aux doléances poli­ tiques. Pas de détour. On reste au niveau de la rue, les pieds bien campés dans la réalité et l'hor­ reur, les yeux rivés sur les faits. Derry, Irlande du Bloody Sunday Bowling for Columbine Nord, 1972, quatorze manifestants sont froidement assassinés torique, revisitant l'Histoire pour en des personnalités aux caractères forts dis­ par l'armée britannique lors d'une marche souligner la barbarie et l'injustice. Devant cordants, de Charlton Heston à Marilyn pacifique pour dénoncer l'inégalité sociale tant d'autres films qui sont comme des Manson en passant par James Nichols, dont souffrent les catholiques du pays. ornementations au service de l'industrie et dont les témoignages étoffent à merveille Inutile d'en savoir plus. Le cinéaste Paul des friandises, il n'y a qu'à se réjouir et s'é­ son propos. Des propos renforcés par des Greengrass table sur l'essentiel, sur la pri­ mouvoir devant un film qui ose transpirer variations de tons grâce auxquelles le mauté de la vie humaine au détriment de sauvagement la vie et s'ancrer profondé­ cinéaste fait passer son auditoire avec tout, au-delà de toutes allégeances poli­ ment dans le réel au nom de ceux pour qui grande habileté, des rires aux sanglots, de tiques voire même de toutes considéra­ la dignité signifie encore quelque chose. l'étonnement au dégoût. Car nul besoin tions éthiques ou morales. Simon Beaulieu d'effets spéciaux lorsque la réalité est déjà Depuis l'intérieur, des familles suffisamment terrifiante. catholiques jusqu'au repère de l'armée bri­ Et si Moore pose davantage de ques­ Royaume-Uni/Irlande, 107 minutes - Réal. : Paul Greengrass tannique, des militants politiques jusqu'à - Scén. : Paul Greengrass - Int. : James Nesbitt, Allan Gildea, tions qu'il n'offre de réponses, Bowling for la jeunesse irascible, la caméra-ventouse Gerard Crossan, Mary Moulds, Carmel McCallion, Tim Pigott- Columbine aura tout de même le mérite Smith, Nicholas Farrell, Christopher Villiers, James Hewitt, suit ce dimanche sanglant et ses préparatifs Declan Duddy, Edel Frazer, Joanne Lindsay, Mike Edwards, d'offrir quelques pistes de solutions, au rythme viscéral du quotidien, toujours Jason Stammers - Dist. : Paramount Classics. notamment en remettant en cause le avec ce même élan vital, cette même Second Amendement de la Constitution urgence, tournoyant dans cette réalité à BOWLING FOR COLUMBINE américaine qui reconnaît le droit pour tout bras-le-corps, crue et salissante. Les choses Acclamé au Festival de Cannes où il fut le individu de posséder une arme à feu, ainsi se bousculent, s'entremêlent, se brisent premier documentaire en 46 ans à être que l'accroissement continuel de la vio­ puis finissent par éclabousser. Impossible présenté en compétition officielle, Bowling lence dans les médias, qui exerce une fasci­ de détourner le regard à moins de fermer for Columbine dresse un portrait troublant nation certaine sur le peuple américain. les yeux. La souffrance est frontale et de la violence provoquée par les armes à feu Mais aussi engagé qu'il puisse l'être, le abrupte. C'est l'Irlande du Nord qui se aux États-Unis. Ayant comme point de cinéaste ne peut que relancer le débat sur déchire. On plonge dans les pleurs, dans le départ la fusillade du lycée de Columbine au un problème déjà vieux de plusieurs bruit du corps qui tombe, on sent la honte Colorado le 20 avril 1999, l'enquête (dirions- décennies. Débat qui doit se poursuivre et la chair en morceaux, l'œil fixé sur l'ab­ nous la quête ?) de Michael Moore s'étend hors des salles de cinéma. surdité et la bêtise, sur la violence injusti­ rapidement à l'ensemble du territoire Cari Rodrigue fiée et injustifiable. L'esthétique réaliste américain avec, en prime, un retour à Flint, voire documentaire (caméra à l'épaule, ville natale du cinéaste, qui fut la toile de •• Bowling à Columbine : le jeu des armes Canada / États-Unis 2002, 121 minutes - Réal. : Michael éclairage naturel...) sert ici la prise de con­ fond de Roger and Me, son tout premier Moore - Scén. : Michael Moore - Avec : Michael Moore, science, nous donnant l'impression d'avoir documentaire. Il s'aventure même de notre George W. Bush, Dick Clark, Charlton Heston, Marilyn été là réellement, de comprendre et de côté de la frontière afin d'y observer la dif­ Manson, James Nichols, Chris Rock - Dist. : Alliance. ressentir, blotti quelque part entres les férence. .. Et quelle différence ! balles, le sang et les cris, toute l'ampleur de N'hésitant pas à faire flèche de tout ce Bloody Sunday. L'œil de la caméra bois dans le but d'illustrer à quel point la devient donc une sorte de conscience his­ situation est alarmante, Moore fait appel à

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Comment j'ai tué mon père Maurice, un médecin sexa- mouture populiste du prolifique Louis génaire en exil, se rend à Saia, devrait s'attirer l'enthousiasme et l'improviste chez son fils l'accueil délirant du grand public. Pour Luc lors d'une soirée deux raisons bien simples : d'une part, il y mondaine. Entre un a les vedettes, Véronique Cloutier (ani­ mariage sclérosé avec Isa et matrice de métier) et Stéphane Rousseau une relation nourricière (humoriste), mais aussi un scénario qui avec son jeune frère Patrick, vise sur le pur et simple divertissement. Luc voit ce retour du père Depuis que la masse populaire reflète de prodigue d'un œil suspect. plus en plus son imaginaire sur le petit Immanquablement, les cica­ écran, il n'est pas surprenant de constater trices de son absence pro­ que le cinéma emboîte le pas en mettant longée plongent Luc dans en avant des vedettes connues et surtout des confrontations avec ce appréciées, quel que soit leur niveau d'in­ vieillard parasitaire qu'il a terprétation. Aujourd'hui, il n'y a que les tenté d'oublier, mais dont il noms qui comptent. Si en plus, le talent a adopté au fil du temps les est là, tant mieux. Au pire, on s'arrangera. valeurs et les attitudes. Le De quoi est-il vraiment question dans Les film propose dès lors une Dangereux ? Roxanne Labelle, une jeune réflexion particulièrement et talentueuse (?) chanteuse populaire est féconde : existe-t-il une kidnappée. Son père, également son forme de rédemption sous­ gérant, ne pourra la revoir qu'en échange traite de remords ? d'un million de dollars... La suite, une Perceptiblement, la série d'aventures rocambolesques, sou­ force de Comment j'ai tué vent, il faut le dire, drôles et efficaces, mon père se situe dans la pour ensuite une fin tout à fait prévisible qualité des dialogues mis en selon les lois du genre. plan avec un sens remar­ De Louis Saia, on aurait pu s'attendre à quable de la repartie drama­ une mise en scène sans éclat, facile et tique et de l'espace. Bouquet surtout maladroite. Avouons que cette épouse avec un plaisir sar- fois-ci le rythme est alerte, vif, exubérant donique les traits d'un per­ même. La règle est simple : divertir sans se sonnage qu'il peaufine avec poser des questions. Si on accepte cette Dangereux art depuis plus de trente ans, théorie, simple et unique loi du marché COMMENT J'AI TUE épaulé par le désarroi posé mais jamais du divertissement cinématographique de MON PÈRE poseur de Berling. Grâce à cela, ce film masse, acceptons Les Dangereux pour ce Anne Fontaine (Les histoires d'amour concis et glacial parvient à nous remuer les qu'il est : un film grand public qui, par un finissent mal en général, Nettoyage à sec) a tripes tout en nous confrontant à un her­ des plus étranges hasards, arrive à nous investi avec son plus récent long métrage métisme moral galvanisateur. Du cinéma distraire malgré le manque de crédibilité une zone grise des relations familiales, un classique de premier plan. des deux principales vedettes qui ne nid de guêpes souvent balayé par un legs Charles-Stéphane Roy comptent que sur leur notoriété et sur la patriarcal impérial sous le tapis de l'incon­ présence des comédiens qui les entourent, scient. À la fois Oedipe et Narcisse, le père et la plupart fort convaincants, en parti­ France 2001, 100 minutes - Réal. : Anne Fontaine - Scén. : le fils de Comment j'ai tué mon père devi­ Anne Fontaine, Jacques Fieschi - Int. : Michel Bouquet, culier Marc Messier. ennent le reflet cathartique du territoire fil­ Charles Berling, Natacha Régnier, Amira Casar, Stéphane Élie Castiel ial masculin pratiqué dans nombre de foy­ Guillon - Dist. : Christal. ers d'après-guerre. Récupérant les cibles Canada [Québec] 2002, 100 minutes - Réal. : Louis Saia - auxquelles s'attaqua le cinéma européen LES DANGEREUX Scén. : Louis Saia, Stéphane St-Denis, Sylvain Ratté — Int. : néo-bourgeois des années 1970 (Claude La recette marche. Pourquoi donc s'ar­ Stéphane Rousseau, Véronique Cloutier, Marc Messier, Guy Nadon, Pierre Lebeau, Michel Charette, Louise Portai, Didier Chabrol et Ettore Scola en tête), Anne rêter ? Si la trilogie des Boys constituait Lucien, Miro, Dominique Quesnel - Dist. : Christal. Fontaine est parvenue avec élégance et une manne lucrative autant pour le pro­ doigté à ressasser le débat père-fils dans un ducteur que pour le distributeur et les récit flirtant avec le suspense. exploitants, Les Dangereux, nouvelle

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FEMME FATALE Femme Fatale Etats-Unis 2001, 115 minutes - Réal. : Brian De Palma - Brian De Palma se croit tout permis et il a Scén. : Brian De Palma - Int. : Rebecca Romijn-Stamos, raison de tout se permettre. Que serait le Antonio Banderas, Peter Coyote, Gregg Henry, Rie Rasmussen, Thierry Frémont — Dist. : Alliance. cinéma si on devait constamment s'abs­ tenir, se modérer et s'autocensurer ? De Palma a donc eu un jour une idée. Folle, FRIDA démente — où le cinéma se fera son pro­ Julie Taymor, la metteure en scène de pre cinéma, où pour une fois, il n'hésitera théâtre qui avait réussi le tour de force de pas à tout combiner : mouvements de transformer en œuvre d'art le Lion King de caméra à couper le souffle (sans provoquer Disney pour Broadway, possède un univers de vertige incommodant façon Dogme), visuel riche et frappant, un œil remar­ musique de Ryuichi Sakamoto imitant quable pour le détail et une assu­ Ravel (ces dames portent d'ailleurs de bien rance artistique inébranlable. Elle singuliers boléros), salutations respecteuses en avait déjà fait montre dans son à l'oncle Hitch à qui il doit une bien fière premier long métrage, Titus, qui, chandelle depuis pas mal de temps, hom­ bien qu'inégal, avait au moins le mage à lui-même, à son propre style, à ses mérite d'être puissant et flam­ propres motifs (voyeurisme outrancier, boyant. Taymor sait comment jolies femmes enfiévrées, atmosphère de aborder une histoire complexe psychose chronique) avec des clins d'œil à pour en tirer un récit foisonnant Dressed to Kill, Body Double et même à et cohérent, qualité qui la sert ce bon vieil Obsession, enfin remer­ brillamment dans son nouveau ciements prémédités à ses inconditionnels film, Frida. qui, il le sait, sauront tout lui pardonner. Évoquer la vie et l'œuvre de En plaçant son introduction en pleine la peintre mexicaine Frida Kahlo, ouverture du Festival de Cannes 2000, De femme de tête intelligente, exces­ Palma suggère peut-être aussi que Femme sive, engagée, passionnée et qui, Fatale devrait y être présenté en compéti­ avec son mari Diego Rivera et tion. Après tout, l'autocongratulation ne nombre de ses amis (dont nul commence-t-elle pas elle aussi sur les autre que Trotski), a eu un impact e marches du Palais ? On le voit, nous avons majeur sur l'art du XX siècle, n'é­ Frida affaire ici à une sorte de bande dessinée tait pas simple. En répondant à filmée, dont les superbes images ne per­ l'appel de Salma Hayek, pour qui Frida était port entre la vie et l'œuvre de Frida Kahlo. mettent pas un instant de souffler. La un rêve de toujours, Taymor a relevé le défi Si les acteurs sont tous dirigés de main de voleuse Laure Ash s'empare du bustier fait avec brio. Ainsi, elle ne se laisse pas prendre maître, il faut tirer son chapeau à Salma d'or et de diamants de la très ondulante au carcan de la stricte reconstitution his­ Hayek et Alfred Molina, qui réussissent à Veronica en la séduisant dans les toilettes torique (par ailleurs impeccable à tous les marcher avec grâce et juste ce qu'il faut de du festival, file à Paris, adopte l'identité niveaux, ne serait-ce que dans l'éclatante folie sur ce fil précaire entre la surenchère et d'une certaine Lily, rencontre dans un évocation du Mexique des années 20-30, la bête imitation. Leurs Frida et Diego sont avion en partance un diplomate américain avec tout son folklore mystique mais aussi vivants, étincelants et poignants. qu'elle finira par épouser, puis reviendra ses grands mouvements politiques et intel­ Rien n'est plus difficile à capter, à évo­ malgré elle à Paris sept ans plus tard affron­ lectuels), s'inspirant des peintures mêmes quer à l'écran que le génie artistique. ter les anciens complices qu'elle avait autre­ de Kahlo pour bâtir ses propres tableaux Plusieurs cinéastes fort respectables s'y sont fois laissés en plan. Mais attention, tout ce filmiques, animant des collages d'images et cassé les dents. D'autres ont eu une main carnaval d'images, tout ce cinéma se glissant ses acteurs dans des tableaux plus sûre et plus inspirée, dont Ed Harris faussent à un moment donné compagnie. vivants, eux-mêmes issus de la vie quoti­ avec son Pollock. C'est sans contredit le cas Entre-temps, De Palma nous aura enivrés dienne de l'artiste (un bain, une robe sur de Julie Taymor. avec cette surabondance de surprises, nous une corde à linge) ou des grands drames de Claire Valade aura emportés dans sa folie à suspense fa­ sa vie (son accident d'autobus, sa fausse briqué. Bref, il nous aura bien eus. couche). Un vrai dialogue s'établit entre ces Etats-Unis 2002, 120 minutes - Réal. : Julie Taymor - Scén. : Maurice Elia moments de fantaisie et le fil narratif plus Clancy Sigal, Diane Lake, Gregory Nava, Anna Thomas, d'après chronologique du récit, rendant ainsi parti­ Frida : A Biography of Frida Kahlo de Hayden Herrera - Int. : Salma Hayek, Alfred Molina, Geoffrey Rush, Ashley Judd, culièrement vibrant, palpable et réel le rap- Valeria Golino - Dist. : Alliance.

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THE GREY ZONE lisée. En effet, voir des acteurs américains HARRY POTTER AND THE Basé sur les écrits du docteur Miklôs chevronnés joués des rôles d'Allemands, de CHAMBER OF SECRETS Nyiszli, ce film raconte le destin tragique Hongrois et de Polonais et s'exprimant en Pour les milliers de fans du jeune sorcier d'une escadron spécial de prisonniers juifs, anglais est un peu déconcertant et déstabi­ partout à travers le monde, l'impatience et les Sonderkommandos, au camp de con­ lisant au début. Cela donne l'impression de la fébrilité entourant la sortie de Harry centration d'Auschwitz II -Birkenau en voir un film étranger doublé en anglais ! Potter and the Chamber of Secrets était Pologne en 1944. Ces prisonniers avaient la Mais enfin, il semble inconcevable pour les amplement justifiée : Chris Columbus, tâche ingrate d'envoyer à la chambre à gaz Américains de tourner dans une langue le réalisateur de Harry Potter and the leurs semblables pour ensuite disposer de autre que la leur. Malgré cette petite mise en Philosopher's Stone, parviendrait-il à leur corps dans les fours crématoires en garde (il faut écouter l'accent ridicule relever le défi d'une intrigue plus touffue et échange de nourriture et de quelques mois d'Harvey Keitel), on a droit à un film très plus noire, tout en améliorant ce qu'on de plus à vivre. Le réalisateur Tim Blake puissant qui pose de nombreux dilemmes avait reproché au premier film (essentielle­ Nelson en avait déjà tiré une pièce de moraux, présentant ses personnages non ment, son rythme effréné) ? théâtre qu'il adapte ici pour le cinéma. Ce comme des héros ni des meurtriers mais On peut respirer, Columbus a réussi. film, qui fait froid dans le dos, est une page plutôt comme des humains qui à chaque Partiellement — le rythme est plus équili­ sombre de l'Histoire et sans aucun doute jour perdent une parcelle de leur humanité bré, mais il reste tout de même principale­ un des films les plus difficiles et les plus en effectuant un travail ignoble avant de ment voué à faire avancer l'action (surtout éprouvants sur l'Holocauste qu'il nous ait tenter une révolte : en vain. dans la première demi-heure), s'attardant été donné de voir. La mise en scène de Nelson est soignée peu aux petits moments qui servent à entrer Si on a un reproche à faire au réalisa­ et retenue dans son ensemble alors que les vraiment dans la tête des personnages —, teur, il se situe au niveau de la langue uti- comédiens sont très convaincants, notam­ mais réussi tout de même. L'atout majeur ment David Arquette, jusqu'ici cantonné de Chamber of Secrets est la justesse avec The Grey Zone dans des rôles d'idiots au cinéma, et qui est laquelle cet univers riche et de plus en plus particulièrement surprenant et émouvant sombre est décrit : des choses graves se ici, dans le rôle de Hoffman. passent à Hogwarts, des choses qui, con­ Pascal Grenier trairement à la première année passée à la célèbre école, font d'innocentes victimes (des étudiants sont pétrifiés par un mon­ États-Unis 2001, 108 minutes - Réal. : Tim Blake Nelson - Scén. : Tim Blake Nelson, d'après le livre de Miklôs Nyiszli — stre mystérieux, révélé à la toute fin — Int. : David Arquette, Allan Corduner, Steve Buscemi, Harvey d'ailleurs enlevante et même assez Keitel, Mira Sorvino, Natasha Lyonne — Dist. : Christal. effrayante pour les plus petits). Ici, les apparences sont souvent trompeuses et rien n'est jamais complètement noir ou blanc, comme en témoigne entre autres l'exalté professeur Gilderoy Lockhart — Kenneth Branagh, parfait de vanité — ou l'inquiétude de Harry qui commence à s'interroger sérieusement sur les liens qui unissent son destin à celui du maléfique Voldemort. Malgré le happy end, le trouble palpa­ ble qui flotte sur Chamber of Secrets est ce qui fait le succès du film parce que c'est justement vers ce malaise angoissant que tendent de plus en plus les prochaines aventures du jeune héros. Sans être un vrai joyau de liberté créative et de maîtrise dans la mise en scène comme l'était par exemple l'an dernier The Fellowship of the Ring, Chamber of Secrets, avec ses effets spé­ ciaux techniquement plus achevés et plus spectaculaires et ses comédiens impé- Harry Potter and the Philosopher's Stone cables, offre un divertissement pur des plus

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honnêtes et efficaces. Mais pour tous les amateurs de Harry Potter, le véritable test de la série se posera avec l'adaptation du prochain tome, Harry Potter and the Prisoner of Azkaban, roman troublant, profond, extrêmement complexe et formi­ dablement palpitant. Alfonso Cuarôn, l'ex­ cellent réalisateur choisi pour prendre la relève de Columbus, parviendra-t-il à élever maintenant la série à cet état de grâce magique toute en finesse qu'elle mérite ? Claire Valade

.HH Harry Potter et la chambre des secrets États-Unis 2002, 161 minutes - Réal. : Chris Columbus - Scén. : Steven Kloves, d'après le roman de J.K. Rowling - Int. : Daniel Radcliffe, Rupert Grint, Emma Watson, Kenneth Branagh, Robbie Coltrane, Richard Harris, Alan Rickman, Maggie Smith - Dist. : Warner.

L'homme du Train L'HOMME DU TRAIN Petite ville de province. Deux hommes. visage Ridicule ou La Veuve de Saint- Un prof de français à la retraite qui y réside Pierre. Notre préférence va à ses petits depuis qu'il est né, un aventurier qui films où l'infime et le délicat l'emportent débarque pour y braquer une banque avec sur le triomphant : Monsieur Hire, Le ses complices. Une rencontre inattendue. Mari de la coiffeuse, Le Parfum d'Yvonne, Ces deux-là ne se ressemblent en rien. L'un La Fille dur le pont. Et celui-ci. est bavard, l'autre pas. L'un est ouvert, Maurice Elia l'autre secret. L'un est âgé, l'autre vieillis­ sant. L'un rêveur, l'autre taciturne. Chacun France 2002, 90 minutes - Réal. : Patrice Leconte - Scén. : envieux de la vie de l'autre. Que ne don­ Claude Klotz - Int. : Jean Rochefort, Johnny Hallyday, nerait pas Manesquier pour endosser rien Isabelle Petit-Jacques, Jean-François Stévenin, Edith Scob - Dist. : Seville. que pour quelques instants le blouson de La Main invisible cuir de Milan : ses pantoufles, tiens... On imagine ce qu'aurait pu faire LA MAIN INVISIBLE mines aux corps noirs des danseurs Chabrol avec un sujet pareil. Mais le Un train bondé de passagers roule sur la exubérants du groupe Soleil d'Afrique, le Chabrol des belles années, et avec Jean terre rouge de la Guinée. Ce train prend un cinéaste nous convie à découvrir toutes ces Rabier à la photo. C'est peut-être trop trajet similaire aux trains convoyant le mains invisibles qui construisent notre demander, alors, ne nous plaignons pas car minerai de bauxite vers nos usines de trans­ monde et que nos médias habituels ont Patrice Leconte s'en sort tout de même avec formation qui produiront cet aluminium souvent tendance à oublier. brio. Il faut dire qu'il a Rochefort et dont on fabrique, entre autres, des canettes Je regrette pourtant que le réalisateur Hallyday pour aplanir les quelques inepties de boisson gazeuse. Un artisan-fondeur, en n'ait pas donné un aperçu même rapide de d'un scénario trop bien enrubanné pour Guinée, en fera des ustensiles ou des sculp­ la situation politique de la Guinée et de son être honnête. Les deux acteurs, totalement tures qu'il vendra peut-être aux passagers évolution depuis l'époque de Sékou Touré, à l'opposé l'un de l'autre dans leur style de du premier train. qui avait suscité un des meilleurs documen­ jeu et leurs maniérismes, revitalisent aisé­ Ce cycle est un des exemples de la mondia­ taires québécois, La Danse avec l'aveugle ment un film où les dialogues tout en con­ lisation qui happe maintenant tous les peu­ d'Alain d'Aix et Morgane Laliberté, sur les centré prennent souvent toute la place. ples de notre Terre. Sylvain L'Espérance prisons politiques d'alors. L'humour et un suspense pas trop méchant continue ici son travail de capteur d'égal à Luc Chaput parviennent à donner à ce petit hommage égal des joies et peines de ses semblables à un cinéma vaguement dépassé un petit qu'il a commencé dans Les printemps incer­ air nostalgique nullement déplaisant. tains et Le Temps qu'il fait. Servi par une Canada [Québec], 2002, 77 minutes - Réal. : Sylvain On pourra vous dire que Leconte a remarquable direction photo de Jacques L'Espérance - Avec : Ibrahima Soy Sounate, Mohamed Camara, Fatoumata Bayo, Mabinta Camana, Mbaliya Sylla, mieux fait par le passé, vous lancer au Leduc qui oppose les divers rouges de ces Manaste Bangoura - Dist. : Cinéma Libre.

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LE MARAIS homme ouvert et généreux. Ulysse est un dard selon des critères strictement ciné­ Kim Nguyen nous raconte une histoire artiste dont les enfants du village adorent matographiques, il demeure intéressant de qui se développe entre deux pôles. Le pre­ les spectacles de marionnettes. Dans les suivre l'élaboration de leur filmographie mier est un village où s'agitent des paysans parages se profile la silhouette ondoyante respective. obtus, superstitieux, obsédés par leurs d'une jeune religieuse. Pas loin non plus, Le dernier film de Paul Thomas préjugés, le vieux Pépé en tête. Le second, à une femme très belle ouvre ses bras à Anderson peut être inscrit dans cette pers­ l'orée du bois, est un lieu enchanté comme Alexandre. Mais un meurtre accidentel va pective. Après nous avoir proposé l'excel­ la forêt de Brocéliande, inquiétant comme changer le cours des choses. Orientés par le lent Hard Eight (1996), le très scorsesien une didascalie de Maeterlinck, romantique fanatisme ambiant, les soupçons pèseront Boogie Nights (1997) et Magnolia (1999), comme une toile de Caspar David bientôt sur les deux habitants du marais, l'un des meilleurs chasses-croisés depuis Friedrich. Dans ce paysage qu'on devine trop différents pour n'être pas suspects. Et Short Cuts (1993), Anderson continue sur peuplé d'elfes et de gnomes, aux abords le drame éclate, drame dont Ulysse sera sa lancée avec Punch-Drunk Love. Le récit, d'un étang glauque, vivent deux hommes l'innocente victime. plus modeste que ses précédentes fresques, libres. Alexandre (Gregory Hlady) vient J'ai reçu ce filmcomm e une nouveauté relate les déboires de Barry Egan (apprécia­ d'ailleurs, on le considère donc comme un rafraîchissante dans l'habituel contexte ble interprétation d'Adam Sandler), jeune individu louche. C'est lui qui a recueilli et québécois. En deux temps trois mouve­ homme au caractère singulier que le scé­ élevé Ulysse (Paul Ahmarani), rejeté dès sa ments, nous voilà plongés dans un univers nario envoie soudainement valser à la ren­ naissance par les gens du village à cause de étrange et magique où le fantastique nous contre d'une bande de truands et d'une son physique singulier, fruit d'une ascen­ est livré par touches légères, grâce à une histoire d'amour bourgeonnante. Plutôt dance peu orthodoxe. Alexandre est un mise en scène et une direction d'acteurs que d'y dépeindre les déboires d'un homme à qui la vie a beaucoup appris, un qui sait indiquer sans jamais appuyer. La personnage intellectuellement attardé, affec- distribution des rôles est tivement mésadapté ou socialement dysfonc- Le Marais d'ailleurs d'une remar­ tionnel, Anderson semble plutôt utiliser Egan quable inventivité. Un pour pointer l'existence des références à par­ excellent premier long tir desquelles ces jugements pourraient être métrage. formulés. L'image, le son et la narration Francine Laurendeau elle-même sont régulièrement parasités par des éléments étrangers (négligence brillam­ ment étudiée) tant pour Egan que pour le Canada (Québec) 2002, 85 minutes - Réal. : Kim Nguyen - Scén. :Kim Nguyen spectateur. Ainsi désorienté, ce dernier, s'il - Int. : Paul Ahmarani, Gregory Hlady, ne décroche pas complètement, est encou­ Gabriel Gascon, Alex Ivanovici, Elizabeth Walling, Jennifer Morehouse. — Dist. : ragé à se joindre plus intimement au pro­ Film Tonic. tagoniste qui devient paradoxalement le seul élément stable du film. Cette double PUNCH-DRUNK utilisation de procédés de distanciation LOVE (par rapport au film) et d'appels à l'em­ Assistant cette année, dans pathie peut permettre au spectateur d'ap­ le ventre obèse des mégaplexes, préhender l'ensemble du récit sous un à la projection des The Royal angle différent de celui auquel le cinéma Tenenbaums, Monster's populaire l'expose habituellement. L'essouf­ Ball, Full Frontal et com­ flement visible du scénario en fin de course pagnie, il n'est pas impertinent d'envisager n'entache pas la qualité globale du film et l'émergence d'une opportunité nouvelle, l'ensemble, de la part d'un réalisateur qu'on pour une élite de réalisateurs américains, espère au début d'un long parcours, de développer des films à la facture moins apparaît comme un exercice de style conventionnelle tout en tirant partie des rafraîchissant. avantages (de production et/ou de distri­ Philippe Théophanidis bution) offerts par les grands studios. Même s'il est bien hasardeux, d'une part, de •• Ivre d'amour États-Unis 2002, 95 minutes - Réal. : Paul Thomas Anderson parler à l'heure actuelle d'une nouvelle — Scén. : Paul Thomas Anderson — Int. : Adam Sandler, Emily vague de cinéma d'auteur américain et, Watson, Philip Seymour Hoffman, Luis Guzman - Dist. : d'autre part, de tenter de réunir ces pro­ Alliance.

Punch-Drunk Love ductions atypiques sous un même éten­

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ROGER DODGER Roger Dodger Faisant fi des ingrédients habituels d'ac­ Etats-Unis 2002, 105 minutes - Réal. : Dylan Kidd - Scén. : Dylan Kidd - Int. : Campbell Scott, Jesse tion et de violence du cinéma américain Eisenberg, Isabella Rossellini, Elizabeth Berkley, Jennifer populaire, le scénariste et réalisateur Dylan Beals - Dist. : Alliance. Kidd a misé pour son premier long métrage sur les dialogues comme source THE RULES OF principale d'intérêt en exposant les men­ ATTRACTION talités opposées de deux générations Le réalisateur de l'excellent Killing Zoe d'hommes en ce qui a trait à l'art de la et co-scénariste de Pulp Fiction, Roger séduction — le plus âgé des deux ne Avary, a mis près de dix ans à concrétis­ s'avérant pas nécessairement (on s'en er son rêve d'adapter ce roman nihiliste doute) le plus mature. À la demande de de l'auteur d'American Psycho, Bret son neveu Nick encore puceau, Roger Easton Ellis. Sans être une œuvre pro­ entreprend son éducation à la drague lors fondément originale, The Rules of d'une virée dans un quartier du nightlife Attraction étonne de par sa sinistre new-yorkais. vision des mœurs estudiantines améri­ Campbell Scott incarne avec brio ce caines en évitant le piège de la provoca­ Casanova moderne, imbu de lui-même, tion gratuite et excrémentielle comme prétentieux à l'extrême, cynique à souhait, Ken Park de Larry Clark et Ed bref ce type d'homme désabusé dont seule Lachmann. la conquête sexuelle est encore une activité Depuis le succès ines­ qui le tient en éveil. Pour lui faire contre­ timé de Pulp Fiction, Roger poids, Jesse Eisenberg dans la peau de Avary et Quentin Tarantino, l'adolescent candide et sensible joue avec deux amis inséparables, ont un naturel déconcertant. Ensemble, ils for­ brisé leurs liens, Avary accu­ ment un duo surprenant dont les con­ sant Tarantino de lui avoir trastes constituent la mécanique de cette volé toutes ses idées et comédie grinçante. d'avoir tout fait pour le dis­ La structure de Roger Dogder repose créditer. Ceci dit, en confi­ principalement sur une suite de scènes ant le rôle de Sean Bateman autour d'un verre ou d'un repas mais les — le petit frère de Patrick propos suffisants de Roger et les reparties Bateman, le maniaque fort pertinentes de Nick et des personnages d'American Psycho — au féminins, entre autres celles de sa patronne jeune James Van Der Beek, (radieuse Isabella Rossellini), pimentent qui ressemble étrangement judicieusement son contenu. à Quentin Tarantino, n'était- Du côté technique, la caméra mobile ce pas une façon d'exorciser multipliant les champs-contre-champs ses démons et de régler une sans cadrage fixe se veut à l'image du fois pour toutes son dif­ rythme trépidant de Manhattan. Ce style férend avec ce dernier ? Sans apporte certes un dynamisme aux scènes doute, mais il n'en demeure pas moins que revendeur de drogue, a tendance à appuyer plus statiques mais ce mouvement presque le film est fidèle à la vision de son auteur et un peu trop son jeu. La trame sonore est un continuel finit par agacer. qu'Avary s'amuse fortement avec cette modèle d'efficacité et la scène du suicide sur Si le film souffre d'un certain aspect mise en scène bourrée d'énergie et truffée l'air de Without You d'Harry Nilsson est un moralisateur (l'adulte émotionnellement d'inventions visuelles. On peut cependant véritable morceau d'anthologie. immature reçoit les leçons d'un jeune plus reprocher le rythme plutôt inégal de Pascal Grenier sage, réfléchi et respectueux envers les l'ensemble et l'intrigue aurait mérité à être femmes), le sujet n'en demeure pas moins plus resserrée. La virtuosité du cinéaste Etats-Unis/Allemagne 2002, 110 minutes - Réal. : Roger dans l'air du temps en suscitant un ques­ nous permet d'oublier ces lacunes et l'in­ Avary - Scén. : Roger Avary, d'après le roman de Bret Easton tionnement de plus sur la déroute des sexes térêt est maintenu malgré tout. Ellis — Int. : James Van Der Beek, Shannyn Sossamon, Jessica et leur difficile compréhension mutuelle. Biel, lan Somerhalder, Eric Szmanda, Clifton Collins Jr. — Le film est interprété par des jeunes Dist. : Christal. Louise-Véronique Sicotte comédiens plus ou moins connus qui sont fort bien dirigés. Seul Clifton Collins Jr., en

SÉQUENCES 223 janvier/février 2003 BB LES FILMSVUE S MBLE

SECRETARY lors une relation de soumission et de fication et de structures souveraines, au Ce deuxième long métrage de Steven domination. Maggie prend plaisir à détriment d'un (souhaitable) sens du spec­ Shainberg (Hit Me) marque tant par son devenir l'esclave sexuelle de son patron et tacle. Ce qui n'enlève rien à l'importance audace que par son style débridé. Comédie découvre dans cette situation extrême ce de ce Kiarostami plus formaliste qu'à l'ac­ noire sadomasochiste, Secretary explore le que l'amour signifie. coutumée, d'une part à l'intérieur de son côté sombre d'une relation particulière Il faudra assurément prendre cette éloquente filmographie, mais également entre un avocat et sa secrétaire et se dis­ relation subversive au deuxième degré. au sein du corpus récent d'œuvres tingue de toute histoire d'amour conven­ Par-delà les images du film, Steven tournées en DV. Ce qui démarque Ten de tionnelle. Shainberg tourne avec humour et doigté la ses contemporains numériques, ce n'est Maggie, une jeune femme tout juste beauté de deux personnages atypiques que pas tant au niveau d'une quelconque per­ sortie d'un institut psychiatrique, suc­ tout semble rapprocher. cée esthétique que dans l'exploitation des combe à sa plus grande manie : l'automu­ Il n'est pas surprenant que ce long possibilités spatio-temporelles intrin­ tilation comme exutoire émotionnel. À la métrage ait remporté le Prix spécial du sèques à ce support. En effet, le cinéaste recherche d'un emploi et de nouvelles sen­ jury pour son originalité au Festival de capte dix conversations entre une femme sations, elle trouve un travail de secrétariat Sundance l'année dernière. Sans jamais et ses interlocuteurs de passage dans une chez un avocat méticuleux. S'ensuit dès poser de réel jugement, Secretary joue voiture en mouvement. La caméra, fixe, avec les idées préconçues de enregistre les conflits et embrouilles senti­ Secretary la société sur l'amour et la mentales de la conductrice à partir du cof­ sexualité et démontre au fre à gants, bloquant ainsi l'accès à son travers de pratiques a priori visage et ses réactions. Cette utilisation déviantes l'harmonie d'une particulière du hors-champ stimule l'im­ véritable tendresse. plication du spectateur afin de combler Portant l'ensemble de l'absence visuelle du personnage principal la production sur ses frêles tout en témoignant d'une démarche aussi épaules, Maggie Gyllenhaal fascinante que rebutante : l'ablation de » I se montre particulièrement tout mouvement cinétique à l'intérieur 1 I convaincante et semble être d'une prise unique. L'intervention même -. la révélation du film. James de Kiarostami ne s'est alors produite qu'a­ Spader dans le rôle de l'avo­ vant le tournage de ces prises, si bien qu'il cat et Lesley Ann Warren a su remettre en cause avec intelligence la dans celui de la mère de notion même de mise en scène, ici resti­ Maggie offrent également tuée exclusivement dans les dialogues et le de belles prestations. débit des répliques. Dans la première Pierre Ranger séquence, de jeunes inconnus baissent la vitre du véhicule et observent tantôt l'ac­ tion, tantôt la caméra; le film se nourrit Etats-Unis 2002, 104 minutes - Réal. : Steven Shainberg - Scén. : Erin Cressida Wilson, d'après une nouvelle de Mary autant de ces imprévus fortuits que du Gaitskill — Int. : James Spader, Maggie Gyllenhaal, Jeremy cadre narratif exigu dont il démontre Davies, Lesley Ann Warren, Stephen McHattie, Patrick radicalement les possibilités et les limites. Bauchau — Dist. : Christal. Charles-Stéphane Roy TEN Les amateurs de Kiarostami, surtout du France/Iran 2002, 94 minutes - Réal. : Abbas Kiarostami - Goût de la cerise et du Vent nous Seen. : Abbas Kiarostami - Int. : Mania Akbari, Roya emportera, risquent de regarder leurs Arabshahi, Katayoun Taleidzadeh, Mandana Sharbaf, Amené montres plus d'une fois durant la projec­ Moradi, Amin Maher - Dist. : Seville. tion de Ten. Non pas que le film soit dénué d'intérêt, mais plutôt qu'il accuse rapide­ ment une linéarité stylistique excessive­ ment minimaliste. Ten serait ainsi plus un film pour cinéastes que pour le commun des spectateurs, comme peuvent l'être cer­ tains Godard, Warhol ou Antonioni; des œuvres croulant sous le poids d'une codi­

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THE TRUTH ABOUT CHARLIE .HM La Vérité à propos de Charlie Le caractère volontairement théâtral de États-Unis, 102 minutes - Réal. : Jonathan Demme. - Scén. : Un film qui s'efforce d'être expérimental Jonathan Demme, Steve Schmidt, Peter Stone (d'après son l'interprétation peut en avoir choqué entre les mains d'un cinéaste qui a depuis scénario pour Charade [1963) sous le nom de Peter Joshua), quelques-uns mais il renforce l'hommage Jessica Bendinger - Int. : Mark Wahlberg, Thandie Newton, que Wajda veut rendre à la pérennité de la longtemps dépassé ce stade. Un récit à l'o­ Tim Robbins, Christine Boisson. - Dist. : Universal. rigine hyper simple traité de façon alam- culture polonaise. Parmi ses acteurs biquée. Une caméra qui virevolte inutile­ habituels, on peut remarquer Daniel ment et cadre personnages et situations VENGEANCE Olbrychski qui prend plaisir ici, comme dans des angles impossibles. Un style qui se Dans la Pologne de la fin du XVIIIe siècle, dans Pan Tadeusz, à s'enlaidir après avoir cherche d'un bout à l'autre tout en dépecée et sous le joug des puissances lim­ joué si longtemps les jeunes premiers. «• essayant de faire un (très) vague hommage itrophes, des petits nobles, obligés de Luc Chaput à la Nouvelle Vague française (ouais : cohabiter dans un château en décrépitude, •ma Zemsta Truffaut, Aznavour, Langlois, Karina, se querellent pour une question de mur à Pologne 2002, 101 minutes - Réal. : Andrzej Wajda - Scén. : Varda... Mais, bon.) Avec Paris comme construire. Ce chef d'œuvre du théâtre Andrzej Wajda, d'après la pièce d'Aleksander Fredro - Int. :Roman Polanski, Janusz Gajos, Andrzej Seweryn, Rafal toile de fond qu'on affirme vous présenter polonais, Zemsta, publié sous le titre de Krolikowski, Agata Buzek, Katarzyna Figura, Daniel Olbrychski - comme vous ne l'avez jamais vu. Pour L'Empoignade au lieu de Vengeance en Contact : Films Polski. couronner le tout, une pseudo-parodie de français, écrit par l'auteur et officier des The Truth About Charlie ces comédies sentimentales du début des guerres napoléoniennes, Aleksander comte années 60 où tout était prétexte à retrou­ Fredro, avait déjà fait l'objet d'une adapta­ vailles amoureuses dans un cadre exotique tion en 1957 par les cinéastes Antoni à l'issue d'aventures rocambolesques et Bohdziewicz et Bohdan Korzeniewski. bon enfant. Et des tas de petits moments Andrzej Wajda, avec de l'argent ve­ où le spectateur cherche en vain le fil con­ nant surtout de la télévision polonaise, ducteur qui pourrait rapprocher ce qu'il nous en donne ici une nouvelle version car, voit de ce qu'on veut lui montrer qu'on comme il l'a déclaré dans une entrevue imite. Tout cet excès d'artifices (et quatre publiée sur le site de Warsaw Voice scénaristes pour un remake !) ne pouvait http://www.warsawvoice.pl/v730/Culture que faire sombrer The Truth About 05.html, il craint que ce mal polonais des Charlie au fond du triste puits où s'en­ querelles intestines, qui a si souvent miné tassent, les uns sur les autres, les films ratés. son pays, ne risque de resurgir de nouveau. Quelques amateurs portés sur la con­ Le thème de l'argent qui sous-tend toute naissance cinématographique vont triom­ l'animosité entre le grand échanson violent phalement vous rappeler que le film est Raptusiewicz et le notaire retors Milczek signé Jonathan Demme, qu'il faut donc est d'ailleurs symbolisé par ce mur qui ne prendre tout cela avec un grain de sel. Mais fait que s'écrouler. Pour l'aider à tramer sa faut-il donc l'excuser ? Si 8 femmes avait vengeance, Raptusiewicz fait appel à un été réalisé par Lelouch et non Ozon, n'au­ petit noble désargenté, sorte de Falstaff rait-il pas été jeté au fond dudit puits ? Il mince, tel qu'interprété par le serait peut-être temps d'anéantir ce sno­ cinéaste Roman Polanski, qui bisme intellectuel qui vous débite l'histoire commença comme acteur il y a du cinéma en petites rondelles, vous si­ plus de quarante ans dans gnalant, le sourire large, que vous faites Pokolenie du même Wajda. fausse route, que le cinéaste en question est Cette vengeance aura des con­ une sorte de joyeux iconoclaste qui sait ce séquences inattendues pour la qu'il fait parce qu'il s'est fait un nom. plupart des protagonistes puisque La vérité sur Charlie, c'est qu'un réa­ l'on est dans une comédie de lisateur s'est amusé à nos dépens en mœurs. Les sous-titres anglais, essayant de faire taire ses potentiels m'ont fait, semble-t-il, fait per­ détracteurs. Mais il oublie que tous les dre une partie de l'humour de agneaux ne garderont pas nécessairement ce texte écrit en vers du le silence. « Molière polonais ». Maurice Elia

Vengeance

SÉQUENCES 223 janvier/février 2003