FACOLTA’ DI ECONOMIA – ANNO ACCADEMICO 2008 – 2009

LINGUA E TRADUZIONE – LINGUA FRANCESE 1 PROF. ALAIN G. JACQUART

DISPENSA / Dossier de textes 2008 - 2009

Regards sur la France d’aujourd’hui

à travers une sélection d’articles de presse

0. Données économiques et sociales sur la France actuelle PAGE 1. La Défense, le quartier des affaires de Paris 2 2. La France et son Histoire : mémoire, sentiment national 3 3. Histoire de la Ve République ; présidentialisme et réforme constitutionnelle 6/10 4. Héritage colonial. La France, l’Afrique et l’ingérence humanitaire 7 5. Politique étrangère et patriotisme économique 9 6. La France dans les institutions internationales : ONU, UE, FMI… 11 7. Le complexe d’Astérix : mondialisation et exception culturelle 13 8. Crises pétrolières et question énergétique ; le choix du nucléaire 14 9. Système éducatif : de la carte scolaire aux « grandes écoles » 14 10. Politique de la famille, évolution sociologique, pacs 17 11. L’entreprise et ses cadres 18 12. L’emploi et la question du temps de travail 21 13. Commerce, grande distribution et nouvelle consommation 22 14. L’Internet et les libertés : droits d’auteur, 24 15. Le mouvement altermondialiste, écologie, commerce équitable 25 16. Industrie automobile : les mutations de Renault et PSA 27 17. Transports, flexibilité et mobilité sociale 28 18. Organisation du territoire : DOM-TOM, départements, décentralisation 29 19. Justice : Rachida Dati et la réforme de la carte judiciaire 31 20. La révolte des banlieues et la politique de la ville 32 21. Immigration, entre clandestinité et intégration 34 22. Politiques linguistiques et économie 35 23. Francophonie : la Belgique et la question bruxelloise 35

Lecture et analyse

Documents pour la traduction

Document 1 Paris : À la Défense, les salariés des banques prennent conscience de la fin d'une époque

LE MONDE, 20.09.2008

2 La finance est comme une partie de poker. Il ne faut rien laisser paraître sur le visage. Le quartier de la Défense, en cette fin de semaine, affiche à l'extérieur sa face des jours ordinaires.

Des cadres marmoréens se pressent, portable à l'oreille. C'est "business as usual" dans les 3 millions de mètres carrés de bureaux. Impossible de pénétrer, pour en sonder les entrailles, dans ces tours bunkers gardées par des vigiles et des services de communication sur la défensive. La crise ? Quelle crise ?

Il est quelques signes, pourtant... Dans une salle de gymnastique, près de la tour Dexia, on ne se bouscule pas sur les appareils de remise en forme. "C'est très calme ces derniers temps", remarque l'hôtesse d'accueil. Le boulanger constate, lui, une hausse notable des ventes de sandwiches, tandis qu'un restaurateur fait grise mine. "C'est mauvais."

Marqueur infaillible du stress ambiant, "depuis une semaine, il y a plus de mégots sur le trottoir", remarque un syndicaliste. Au pied des tours, les fumeurs sont en effet nombreux à tirer sur leur cigarette. Ils se montrent peu diserts. "Nous ne sommes globalement pas autorisés à parler", explique un homme devant le siège de la Société générale. Les porteurs des plus belles cravates en soie se montrent les plus lapidaires, leur politesse orientée à la baisse.

En laissant vilainement traîner l'oreille, parviennent tout de même des bribes de conversation qui laissent entendre que tout ne va pas au mieux. "Ce ne sera pas une année florissante", lâche une femme. "C'est la merde", assure plus loin un adepte du style direct. "Il y a de l'inquiétude", résume Michel Marchet, délégué national CGT de la Société générale.

Devant la porte à tambour d'AIG, même mutisme. Le groupe d'assurances a été sauvé in extremis à New York. Morne ambiance dans le hall. Les photos des joueurs de Manchester United exultant après une victoire - l'équipe est sponsorisée par la société - contrastent avec la mine apathique des employés.

Derrière les hôtesses d'accueil sont affichées en anglais les règles d'or de la société, notamment "l'esprit d'entreprise". Force est de constater que ce principe en a pris un coup. Un homme parle de "prendre le pactole".

"Les traders ne comprennent pas trop ce qui se passe, constate M. Marchet. C'est la fin de leur âge d'or." Les enfants gâtés ont perdu de leur superbe, de leur condescendance aussi. Parmi les 150 000 salariés de la Défense, ils formaient une caste qui maniait les milliards et écrasait la valetaille. Les salles de marché étaient les lieux choyés des directions, des étages souvent fermés aux autres catégories de personnel.

"C'était un monde à part, remarque Alain Treviglio, délégué CFDT de la Société générale. Quand on discutait avec la direction des bonus distribués à certains petits génies, elle nous répliquait qu'ils faisaient 70 % du résultat. Avec l'affaire Kerviel, on s'est aperçu qu'ils pouvaient aussi nous pousser à la faillite."

La banque a en partie sauvé son bilan grâce aux autres activités. C'est la revanche des gagne-petit, vendant de l'assurance-vie ou des actions de père de famille. Les directions se tournent aujourd'hui vers les étages

naguère dédaignés, additionnent leurs modestes résultats, leurs gains de tâcherons, afin de couvrir les pertes à New York ou à Londres. C'est la fin de l'argent facile. Il va de nouveau falloir le gagner auprès de la clientèle traditionnelle.

Mais, dans les buildings en verre opaque, le doute se répand par les couloirs comme un coup de grisou : la banque de détail pourrait souffrir à son tour. "Les clients sont devenus attentistes. Ils voient bien ce qui se passe, hésitent. Le mal est peut-être plus profond qu'il n'y paraît", constate Roland Roberdeau, délégué national CFE-CGC du secteur bancaire. 3

Les mails rassurants envoyés ces derniers jours par les hiérarchies ne convainquent qu'à moitié les subordonnés. A la Société générale, les conversations bruissent à nouveau d'un rapprochement avec la BNP. Partout, on évoque fusion ou rachat, avec des dommages collatéraux en matière d'emploi.

Sur le parvis, les enfants sont bien seuls à rire, juchés sur un manège. Le carrousel tourne rond. Il n'y a plus que lui à la Défense.

Benoît Hopquin

Document 2

Lazare Ponticelli, le dernier poilu français, est mort

LE MONDE, 12.03.2008

Il était, en France, le dernier ancien combattant de 14- 18, l'ultime rescapé parmi les 8,5 millions d'hommes mobilisés en bleu horizon. Le der des der. Lazare Ponticelli est mort, mercredi 12 mars, au Kremlin- Bicêtre, à l'âge de 110 ans. Ce survivant nous reliait physiquement à des photos défraîchies de pioupious en capote, les bandes molletières tire-bouchonnées sur les brodequins, à des images tournées à la manivelle d'hommes hirsutes, le regard vide, enterrés vivants dans les tranchées. Avec sa disparition, la première guerre mondiale s'enfonce un peu plus dans les brumes du passé.

Tant qu'il l'a pu, le vieil homme aura témoigné sur le conflit, encore et encore, même quand ne sortait plus de sa bouche qu'un filet de voix à peine intelligible. Alors que beaucoup de vétérans s'étaient claquemurés dans le silence pour ne pas avoir à raconter l'horreur, Lazare Ponticelli avait choisi de dire l'indicible. Il assumait ce devoir pour ceux qui n'avaient pas eu la chance de s'en tirer.

"Tous ces jeunes tués, je ne peux pas les oublier. Quel gâchis !" Alors, pour eux et pour la gloriole, Lazare ouvrait aux solliciteurs sa petite maison acquise dans les années 1920, au Kremlin-Bicêtre. Au milieu des meubles patinés, les histoires de cet homme qui avait fréquenté trois siècles étaient une remontée dans le temps. C'était aussi une leçon d'humanisme apprise en enfer.

Ses souvenirs de la vie quotidienne d'un simple soldat, d'un poilu, préservaient de l'oubli ou, pire, de la réécriture dogmatique. S'y mêlaient sens du devoir, écœurement, obéissance, héroïsme, révolte, fraternité.

Ses bribes remontant au hasard de la mémoire résumaient les contradictions qui traversaient les combattants, emportés sans toujours comprendre, broyés par des événements qui les dépassaient.

Il nous parlait d'eux, ses camarades, et des autres, en face, pas si mauvais bougres, finalement. La narration semblait mécanique. Mais une larme surgissait sur le rebord des yeux et roulait lentement sur la joue. Elle remontait de quatre-vingt-dix ans.

Parfois, le narrateur prenait des licences avec la chronologie. Les scènes s'embrouillaient. De quoi faire 4 tiquer les historiens. Mais fallait-il prendre ces souvenirs au pied de la lettre ? N'était-ce pas plutôt l'esprit qui comptait ? L'accumulation d'anecdotes formaient la geste du poilu, racontée par le dernier d'entre eux.

Chaque 11 novembre, Lazare allait à pied au monument aux morts du Kremlin-Bicêtre, râlait contre les discours ampoulés, emphatiques, "toujours trop longs". Il se rendait aussi dans les écoles à 100 ans passés et martelait la même supplique. "Aux enfants, je leur dis et je leur répète : ne faites pas la guerre."

La vie de Lazare Ponticelli était exemplaire pour bien plus que cette parenthèse terrible de quatre ans. C'était aussi l'histoire d'un émigré italien illettré, enfant de rien devenu patron d'une multinationale. Le parcours d'un "Rital" qui voulait absolument se battre pour cette France qui l'avait toléré, puis renié, enfin reconnu sur le tard comme un des siens.

"J'AI VOULU DÉFENDRE LA FRANCE PARCE QU'ELLE M'AVAIT DONNÉ À MANGER"

Lazare fut longtemps Lazzaro, né le 7 décembre 1897, à Bettola, en Emilie Romagne. Il est issu d'une famille pauvre de sept enfants. Un frère puis son père meurent en 1903. La mère abandonne la famille qui se disperse. La sœur aînée emmène une partie de la fratrie "au paradis", là où il y a du travail, en France. Trop jeune, Lazare reste en Italie. Il est confié à une marâtre.

A 9 ans, n'ayant aucune nouvelle des siens, Lazare décide de partir à son tour. Il prend le train pour Paris, débarque gare de Lyon sans parler un mot de français, ne sachant ni lire ni écrire. Il erre trois jours dans la salle des pas perdus, est recueilli par une famille italienne qui le prend en pitié et l'héberge quelques mois.

Lazare devient ramoneur et crieur de journaux. Dès la déclaration de guerre, trichant sur son âge, l'Italien s'engage. Il intègre le premier régiment de marche de la légion étrangère de Sidi Bel Abbes, y retrouve par hasard son frère Céleste. "J'ai voulu défendre la France parce qu'elle m'avait donné à manger", explique Lazare. Après un mois d'instruction, il est envoyé au front, sous les ordres d'un descendant de Garibaldi.

Il participe à la confusion des premiers mois. Son premier fait d'arme est d'avoir, alors qu'il était de garde, blessé un général au mollet. Il assiste à l'hécatombe, soigne son frère, blessé au combat. Le régiment perd un quart de ses effectifs en trois semaines. "Au début, nous savions à peine nous battre et nous n'avions presque pas de munitions. Chaque fois que l'un d'entre nous mourait, on se taisait et on attendait son tour." Il crapahute dans la guerre de mouvement (Soissons, Vitry-le-François, l'Argonne), survit à la pagaille. Puis il creuse les premières tranchées d'un conflit qui s'organise pour durer.

Lazare Ponticelli aimait raconter ce jour où un homme s'était retrouvé blessé dans le no man's land qui séparait les lignes. Les brancardiers n'osaient s'aventurer sous le feu. "Il hurlait : Venez me chercher, j'ai la jambe coupée. Je n'en pouvais plus. J'y suis allé avec une pince. Je suis d'abord tombé sur un Allemand, le bras en bandoulière. Il m'a fait deux avec ses doigts. J'ai compris qu'il avait deux enfants. Je l'ai pris et je l'ai emmené vers les lignes allemandes. Quand ils se sont mis à tirer, il leur a crié d'arrêter. Je l'ai laissé près de sa tranchée. Il m'a remercié. Je suis reparti en arrière, près du blessé français. Il serrait les dents. Je l'ai tiré

jusqu'à nos lignes, avec sa jambe de travers. Il m'a embrassé et m'a dit : Merci pour mes quatre enfants. Je n'ai jamais pu savoir ce qu'il était devenu."

En 1915, Lazare se bat du côté de Verdun lorsque l'Italie, le 24 mai, se range aux côtés des Alliés. Un officier le fait rechercher dans les tranchées. "Tous les Italiens devaient retourner se battre chez eux." Le légionnaire proteste, souhaite rester. "Je pensais que m'être battu pour la France avait fait de moi un Français." Déception. "Ils m'ont dit : Il faut vous en aller ." Il est démobilisé de force, rentre à Paris, se cache six semaines, tente de se réengager dans l'armée française, est finalement transféré entre deux gendarmes 5 à .

"JE TIRE SUR TOI MAIS JE NE TE CONNAIS MÊME PAS. SI SEULEMENT TU M'AVAIS FAIT DU MAL"

Il enfile à regret l'uniforme italien, intègre les chasseurs alpins, se retrouve dans le Tyrol, enterré dans la neige face aux lignes autrichiennes. Ses compagnons parlent couramment l'allemand. Les deux camps s'envoient des messages avec un élastique puis sympathisent. "Ils nous donnaient du tabac et nous des boules de pain. Personne ne tirait plus." Les hommes organisent même des patrouilles communes. La farce dure trois semaines, manque de se terminer devant un conseil de guerre. "L'état-major nous a déplacés dans une zone plus dure." En 1916, il est sur le Monte Cucco, qui sera le théâtre d'une terrible bataille l'année suivante. Les hommes multiplient les assauts stériles et dévastateurs, affrontent les gaz sans masque.

Lazare reste plus de deux jours derrière sa mitrailleuse. Des éclats d'obus lui grêlent le visage. Aveuglé par son sang, il parvient à bloquer des Autrichiens qui se sont réfugiés dans une caverne. Sa section fait deux cents prisonniers. Le héros blessé est envoyé à l'arrière. Il est opéré sans anesthésie, des hommes le maintiennent cloué sur la table d'opération pendant que le chirurgien creuse la plaie et la badigeonne d'alcool.

Ses faits d'arme valent à Lazare une citation mais également un dégoût absolu de cette guerre. "Je tire sur toi mais je ne te connais même pas. Si seulement tu m'avais fait du mal." La révoltante absurdité des combats est traversée d'infimes moments de bonté dont la rareté fait la valeur.

"Mon meilleur souvenir en Italie, ce sont les lettres que ma marraine de guerre, une porteuse de lait que j'avais rencontrée avant de partir au front, m'envoyait. Ne sachant à l'époque ni lire, ni écrire, ce sont des copains qui m'aidaient à correspondre avec elle." Après quelques semaines de convalescence à , Lazare est renvoyé en 1918 sur le front, vers Montello, où il apprend l'Armistice. Autrichiens et Italiens, "tous les gars levaient les bras en l'air".

Lazare est contraint de rester sous l'uniforme italien. Il apprend par hasard la mort d'une de ses sœurs, Catherine, victime de la grippe espagnole. En 1920, l'armée italienne souhaite le démobiliser. Il refuse : il veut l'être sous l'uniforme français, avec lequel il a commencé la guerre, ce qui lui permettra de revenir légalement dans ce pays. Il lui faut à nouveau se battre, cette fois contre l'absurde administration. Il obtient finalement gain de cause. Il revient à Paris, avec cinq francs en poche.

Il redevient ouvrier. Avec Céleste et un autre frère, Bonfils, il monte une entreprise de ramonage et de chaudronnerie. Il se marie en 1923 avec une Française, Clara, dont il a trois enfants. Lazare n'obtiendra la nationalité française qu'en 1939, à la veille de la déclaration de guerre. Il veut encore se battre mais est jugé inapte au service parce que trop âgé. Il traverse sans déshonneur l'Occupation.

Après la Libération, sa société Ponticelli frères continue de prospérer. Elle se diversifie, notamment dans les travaux publics et l'extraction pétrolière, prend une stature internationale. Le groupe a aujourd'hui un chiffre d'affaires de 480 millions d'euros et emploie 3800 salariés. Lazare Ponticelli en abandonnera progressivement les rênes dans les années 1960.

Il lui restait à honorer la promesse faite à ses camarades des tranchées. "Quand nous montions à l'assaut, nous nous disions : Si je meurs, tu penseras à moi. " Ne jamais les oublier : le dernier rescapé aura respecté jusqu'au bout ce serment. 6

Benoît Hopquin

Chronologie

7 décembre 1897 : Naissance à Bettola (Italie) - 1914 : S'engage dans la légion étrangère - 1915 : Intègre l'armée italienne - 1939 : Obtient la nationalité française - 12 mars 2008 : Mort au Kremlin-Bicêtre (Val-de-Marne)

Des obsèques nationales organisées lundi 17 mars : Un hommage national à Lazare Ponticelli sera rendu lundi matin 17 mars aux Invalides, a annoncé mercredi 12 mars Alain Marleix, secrétaire d'Etat chargé des anciens combattants. Cette cérémonie se déroulera notamment en présence du président de la République. Après plusieurs refus, Lazare Ponticelli avait fini, fin janvier, par donner son accord à des "obsèques nationales, sans tapage important ni grand défilé, au nom de tous ceux qui sont morts, hommes et femmes". – (AFP.)

Document 3 LE MONDE, 07.04.2008 Les principales mesures du projet de loi constitutionnelle

L'examen du projet de loi constitutionnelle réformant les institutions devrait commencer à l'Assemblée nationale le 20 mai. Le gouvernement espère qu'il pourra être adopté en Congrès, le 7 juillet. Voici ce que propose l'avant-projet de loi qui a été transmis au Conseil d'Etat. L'article 1er indique qu'une loi précisera "les droits respectifs des partis et groupements politiques qui ont déclaré appartenir à la majorité qui soutient le gouvernement et ceux qui ne l'ont pas déclaré".

EXÉCUTIF : Président de la République . Il ne peut accomplir plus de deux mandats successifs (art. 2). Certaines nominations sont soumises à l'avis d'une commission de parlementaires (art. 4). Le chef de l'Etat peut "prendre la parole devant le Parlement réuni en Congrès ou l'une ou l'autre de ses assemblées. Son allocution peut donner lieu, hors sa présence, à un débat qui n'est suivi d'aucun vote" (art. 7). La prorogation de l'état d'urgence au-delà de douze jours doit être autorisée par la loi (art. 14).

Gouvernement . Le nombre maximum de ministres est fixé par une loi organique (art. 3). Le gouvernement n'est plus "responsable de la défense nationale" mais "met en oeuvre les décisions prises" par le président de la République (art. 8).

PARLEMENT : Le Parlement "vote la loi, contrôle l'action du gouvernement et concourt à l'évaluation des politiques publiques". La représentation des collectivités territoriales au Sénat est assurée "en fonction de leur population". Les Français établis hors de France sont représentés à l'Assemblée nationale (art. 9). Les parlementaires peuvent être remplacés temporairement pendant l'exercice de fonctions gouvernementales.

Redécoupage . Le redécoupage des circonscriptions et la répartition des sièges de députés et de sénateurs sont soumis à une commission indépendante (art. 10).

Commissions . Le nombre de commissions permanentes de chaque assemblée est limité à 8, contre 6 actuellement (art. 18). Leurs auditions sont publiques, sauf décision contraire (art. 11).

Séances . La discussion des projets de loi en séance porte sur le texte adopté en commission et non plus sur le texte transmis par le gouvernement. Elle ne peut intervenir qu'après un délai d'un mois suivant le dépôt du texte, quinze jours en cas de déclaration d'urgence (art. 17 et 21).

Ordre du jour . L'ordre du jour des Assemblées, hors projets de loi de financement, est partagé entre les 7 textes inscrits à la demande du gouvernement et ceux dont l'inscription est décidée par la conférence des présidents. Un jour de séance par mois est réservé à l'examen des textes proposés par l'opposition. Les séances de question au gouvernement ont également lieu pendant les sessions extraordinaires (art. 22).

L'engagement de responsabilité du gouvernement sur un texte de loi - art. 49-3 de la Constitution - est limité aux projets de loi de financement et à un autre texte par session (art. 23). La conférence des présidents de chacune des deux assemblées peut s'opposer à la déclaration d'urgence du gouvernement sur un texte de loi (art. 20).

Politique étrangère . Le Parlement doit être informé "dans les plus brefs délais" de toute intervention des forces armées à l'extérieur. Si la durée de l'intervention excède six mois, sa prolongation doit être autorisée par le Parlement (art. 13).

INSTITUTIONS ET CITOYENS : Conseil constitutionnel . Le Conseil constitutionnel peut être saisi par les présidents des assemblées ou par soixante députés ou sénateurs au bout de trente jours d'exercice des pouvoirs exceptionnels accordés au président de la République au titre de l'article 16 de la Constitution (art. 5). Possibilité de saisine directe à la demande d'un justiciable (art. 26).

CSM . Le président de la République et le garde des sceaux ne font plus partie du Conseil supérieur de la magistrature (art. 28).

CES . Le Conseil économique et social peut être saisi par voie de pétition (art. 29). Il est consulté sur les projets de loi portant sur la préservation de l'environnement (art. 30).

Droits des citoyens . "Toute personne s'estimant lésée par le fonctionnement d'un service public peut adresser une réclamation" à un défenseur des droits du citoyen, nommé par le président de la République pour un mandat de six ans non renouvelable (art. 31).

UNION EUROPÉENNE : Un comité chargé des affaires européennes est institué au sein de chaque Assemblée (art. 32). Pour la ratification de l'adhésion d'un Etat à l'Union européenne, le président de la République a la faculté de choisir entre référendum et vote du Parlement réuni en Congrès (art. 33).

Patrick Roger

Document 4 Diplomatie L'image très dégradée de la France en Afrique

LE MONDE, 26.04.2008

Nicolas Sarkozy salue la foule aux côtés du président sénégalais Abdoulaye Wade, jeudi 26 juillet, à Dakar.

Comme deux vieilles connaissances fatiguées l'une de l'autre, l'Afrique et la France ne se comprennent plus. Non seulement Paris perd pied sur le continent noir, mais son image se dégrade. Objet de débat depuis quelques années, 8 cette réalité est désormais officiellement reconnue et préoccupe le sommet de l'Etat. Multiforme, le constat est dressé dans un ensemble de télégrammes rédigés à la demande du Quai d'Orsay à l'automne 2007 par 42 ambassadeurs en poste en Afrique, et dont Le Monde a pris connaissance. Pareil état des lieux tend à plaider en faveur de la "rupture" dans la politique de la France en Afrique promise par . "Rupture" que des proches du président français semblent remettre en cause.

L'image de la France "oscille entre attirance et répulsion dans nos anciennes colonies, au gré du soutien politique ou des interventions, militaires notamment, dont ont fait l'objet ces pays", constate un télégramme de synthèse. "La France n'est plus la référence unique ni même primordiale en Afrique. Les Français ont du mal à l'admettre", ajoute un diplomate qui a participé à ce travail. A l'entendre, tout se passe comme si le temps s'était arrêté : les Africains "jugent la France à l'aune des travers du passé alors que Elf, c'est fini".

De leur côté, les Français ignorent que les Africains entrent dans la mondialisation "plus vite qu'on ne le croit" et sont désormais courtisés par tous les pays émergents (Chine, Inde, Brésil) et par les Etats-Unis. "Loin de la pensée misérabiliste, (...) les progrès accomplis par l'Afrique sont importants et largement sous- estimés par l'opinion et les observateurs", estime le document, élaboré pour tenter de remédier à l'effet désastreux produit par le discours de Nicolas Sarkozy à Dakar en juillet 2007.

Le soutien apporté par Paris à des potentats africains est l'une des composantes de ce désamour. La présence de bases militaires "alimente le fantasme d'une France qui n'agit qu'au profit de gouvernements iniques et pour des causes opaques", alors que la situation dans les pays en question (Gabon, Cameroun, Tchad et Congo) est plutôt meilleure que dans d'anciennes colonies britanniques, estiment les responsables français, qui citent le Zimbabwe. "On nous reproche à la fois de trop intervenir et de lâcher l'Afrique. Quoi qu'on fasse, on a tort", résume l'un d'eux. La voracité prêtée à la France en matière d'exploitation des ressources naturelles pèse aussi. Là encore, l'idée selon laquelle Paris tire toutes les ficelles dans ses ex- colonies relève du leurre, assurent les diplomates, puisque les principaux intérêts français se situent en Afrique anglophone. Le Nigeria et l'Afrique du Sud concentrent la moitié des échanges français avec le continent. L'Afrique ne pèse d'ailleurs que pour 0,5 % dans le commerce extérieur de la France, contre 40 % en 1957.

Les Africains francophones ont "l'impression d'être délaissés, voire de ne pas être payés en retour par une France en repli (immigration, visas, réduction de l'aide, traitement des anciens combattants)", assènent encore les télégrammes, pointant "le risque réel que les jeunes générations se détournent de la France". L'ennui est que la France n'a plus les moyens de ses ambitions. Son immense réseau de coopérants a presque disparu et elle ne maîtrise qu'un tiers du volume de son aide, le reste se partageant entre la réduction de la dette et l'aide distribuée via l'Union européenne. En conséquence, les réalisations

françaises sont mal identifiées et moins visibles que les immenses stades ou palais des congrès construits par les Chinois. Certaines ambassades vont jusqu'à plaider pour une dé-communautarisation des budgets.

Le dépit africain se nourrit aussi du rejet d'une France "donneuse de leçons", insistent les diplomates, qui constatent aujourd'hui les "dégâts durables" produits par l'affaire de L'Arche de Zoé.

Un fossé s'est ainsi creusé entre Français et Africains. Les premiers voient les seconds comme "des gens pauvres parce que corrompus, à qui la France doit dire ce qu'ils doivent faire". En miroir, domine en Afrique 9 la vision d'"une France frileuse, doutant de ses intérêts, méfiante à l'égard de la jeunesse africaine". Ce décalage se double d'une identification nouvelle facilitée par Internet, le portable et le satellite : "Quand les banlieues françaises flambent, la jeunesse d'Afrique se sent maltraitée."

Confrontée à cet inquiétant tableau, la France dispose d'atouts, notamment de sa langue, qui fait l'objet d'une "terrible demande", et d'une "connaissance irremplaçable du terrain". Paris doit "avouer ses intérêts en Afrique", liés aux enjeux du développement, de la sécurité et de l'économie, et négocier avec "des partenaires à part entière". "Nous devons cesser de traiter les pays francophones comme "nos Africains"", résume un diplomate. La modestie et la sobriété nouvelles du discours prononcé par le président Sarkozy au Cap (Afrique du Sud), le 28 février, résulte directement du constat dressé par les diplomates. Là où, à Dakar, M. Sarkozy avait multiplié les mises en garde péremptoires, il a affirmé au Cap que "les Africains en ont assez de recevoir des leçons de morale" et annoncé la révision des accords de défense avec les Etats africains. Ce nouveau discours a été largement inspiré par la cellule diplomatique de l'Elysée et le Quai d'Orsay, alors que celui de Dakar était né de la plume d'Henri Guaino, conseiller spécial de M. Sarkozy.

Mais la querelle d'influence à propos du bien-fondé d'un aggiornamento de la politique française en Afrique n'est pas close pour autant. Le remplacement de Jean-Marie Bockel, secrétaire d'Etat à la coopération, coupable d'avoir mis en cause la gouvernance du Gabon et du Congo, pays "amis de la France", avait déjà reflété un retour aux vieux réflexes. Le choix de Libreville (Gabon), le 10 avril, comme première destination africaine par son successeur, Alain Joyandet, le confirme. Le chef de cette délégation venue clore en grande pompe la fâcherie franco-gabonaise dans le bureau du président Bongo n'était autre que Claude Guéant. Le secrétaire général de l'Elysée a ainsi confirmé sa préférence pour une gestion nettement plus classique des affaires africaines.

Philippe Bernard

Document 5 Patriotisme mal placé

LE MONDE, Editorial, 07.03.2008

La décision du Pentagone d'acheter ses avions ravitailleurs auprès du tandem EADS-Northrop Grumman et non auprès de Boeing, le "fournisseur maison" traditionnel, suscite un nouvel élan de patriotisme économique aux Etats-Unis. Menaces pour la sécurité nationale en raison de la fabrication de certaines pièces à l'étranger, danger pour l'emploi aux Etats-Unis, contestation de l'appel d'offres qui aurait été modifié sans que Boeing le sache... Les opposants au choix du ministère de la défense multiplient les angles d'attaque.

Dans un pays où les avocats sont rois, nul n'imaginait que le choix du Pentagone resterait sans réactions. Celles-ci étaient d'autant plus attendues que ce succès d'EADS est en partie dû à John McCain. Durant des

années, ce sénateur, qui n'était pas encore candidat républicain à la Maison Blanche, a dénoncé les liens entre le Pentagone et Boeing obligeant l'armée à revoir de fond en comble ses appels d'offres. En pleine campagne électorale, les démocrates mais aussi les républicains, qui abritent des usines de Boeing dans leurs circonscriptions, ne pouvaient rester sans réagir.

Il est vrai qu'au moment où les Etats-Unis attaquent Airbus devant l'Organisation mondiale du commerce (OMC) en raison des subventions publiques que recevrait EADS, le choix du Pentagone tombe on ne peut plus mal. Ce n'est pas parce que l'offre d'EADS est moins chère que l'européen et son partenaire Northrop 10 Grumman l'ont emporté, mais parce que, techniquement, leur offre est la meilleure. Sur les cinq critères jugés décisifs par les militaires, l'avion européen en remporte quatre et se trouve à égalité avec Boeing sur le dernier. Mais que le Congrès parvienne à retourner la situation en faveur de Boeing et toute l'argumentation américaine à l'OMC tombera à l'eau.

On n'en est pas là. Après le choix de la marine américaine de retenir le français Sodexho pour nourrir ses hommes et celui de l'armée de terre d'acheter 322 hélicoptères à Eurocopter - une autre filiale d'EADS -, la décision du Pentagone en faveur de l'avion ravitailleur européen confirme qu'une page est bel et bien en train de se tourner. Un Etat ne peut plus, au nom du patriotisme économique, privilégier un industriel national si son offre n'est pas compétitive.

Quant aux industriels, ils ne peuvent plus rester isolés. Sans son accord avec Northrop Grumman, EADS n'avait aucune chance de l'emporter. L'européen a eu l'habileté d'apporter d'importantes garanties, notamment en terme d'emplois, au point d'inquiéter les syndicats européens. Au lieu de défendre à tout prix Boeing, les parlementaires américains feraient mieux de s'interroger sur les partenariats industriels qu'il leur faudra nouer, demain, dans ces secteurs stratégiques.

Document 6 Le fogne della suocera, ultima missione di Sarkò dal nostro corrispondente GIAMPIERO MARTINOTTI, La Repubblica, 30 settembre 2008

PARIGI - Infaticabile e onnipresente, Nicolas Sarkozy si occupa di tutto, compresi i problemi fognari della suocera. E lo fa anche quando l'attualità internazionale lo obbliga a viaggiare in tutto il mondo. In agosto, per esempio, il capo dello Stato ha dovuto interrompere più volte le sue vacanze: il 12 è andato a Mosca e a Tbilisi per tentare di negoziare un cessate il fuoco tra Russia e Georgia; il 14 ha ricevuto il segretario di Stato americano, Condoleeza Rice; il 19 è volato a Kabul dopo l'eccidio dei paracadutisti francesi. E durante il ponte di Ferragosto non si è riposato, perché il 16 si è presentato con Marisa Borini Bruni-Tedeschi all'assemblea condominiale del Cap Nègre. Con l'obiettivo di convincere gli altri proprietari delle ville situate sul piccolo promontorio della Costa Azzurra ad accettare la realizzazione delle fogne. Ma da oltre un mese gli oppositori al progetto, perfettamente legale e anzi obbligatorio, imbeccano la stampa per pubblicizzare l'interventismo del presidente, che ha perfino mobilitato il prefetto per risolvere il problema.

La famiglia Bruni-Tedeschi possiede dagli anni Settanta una bella villa arroccata sul mare. Un piccolo angolo di paradiso appartato rispetto ai luoghi mitici della costa mediterranea. Un promontorio privato in cui non ci si riesce a mettere d'accordo sulle fogne: lì vigono ancora le "fosse settiche", malgrado la legge non lo consenta. E la suocera del presidente si batte da anni per realizzare i lavori, ma i proprietari contrari continuano ad ostacolare il progetto. E Sarkozy ha deciso di intervenire all'assemblea, cui partecipava anche il sindaco del Lavandou, il comune su cui si trova il promontorio.

Il primo cittadino ha promesso un aiuto ai refrattari (tirchi che non vogliono pagare e che preferiscono veder finire in mare le loro acque nere), mentre il presidente ha lanciato ai presenti: "Questa situazione non può più durare. La rete fognaria è l'unica soluzione. Bisogna andare avanti. Vi aiuterò".

E' vero che l'operazione è costosa: il collettore centrale, installato dal comune, costa 750 mila euro, secondo il Canard enchainé, e i 56 "condomini" devono pagare il collegamento con le loro case, cioè qualche decina di migliaia di euro a testa. Quattordici di loro hanno creato un'associazione per opporsi. 11 Ieri mattina, sull'emittente radiofonica France Info, Marisa Bruni-Tedeschi ha cercato di calmare gli animi: "E' venuto all'assemblea condominiale per il solo motivo che è mio genero. Ci andavo sempre con mio figlio, oggi scomparso". Gli oppositori parlano invece di "abuso di potere". Quanto agli abitanti del Lavandou, osservano la vicenda come se si trattasse di un serial televisivo, con un misto di divertimento e di sorpresa: "Un presidente della Repubblica - dice uno di loro - non deve occuparsi delle fogne". Nemmeno quando c'è di mezzo la suocera.

Document 7 La rupture européenne de Nicolas Sarkozy

LE MONDE, 01.07.2008

Devenir le leader incontesté de l'Europe élargie, c'est l'ambition quasi avouée de Nicolas Sarkozy, qui prend mardi 1er juillet pour six mois la présidence de l'Union européenne (UE). Le président de la République française n'a pas la foi des pères fondateurs, pour qui l'Europe incarnait la paix. Mais il n'est pas non plus l'européen contraint que fut . Avocat élevé à Neuilly (Hauts-de-Seine), aux racines hongroises et grecques, marié à des femmes d'origine espagnole puis italienne, M. Sarkozy se sent naturellement européen. Il a grandi avec l'Europe et a accompagné sa construction sans trop tergiverser. Ce qui ne l'empêche pas de la critiquer vivement, pour la réconcilier avec la France du non, et de vouloir que la France y joue un rôle majeur.

Ce n'est plus le cas lorsqu'il arrive au pouvoir. La France, qui avait porté la construction européenne pendant cinquante ans, est "démonétisée" par le non français de 2005 au référendum sur la Constitution. Elle est, avec l'Italie, l'homme malade de l'Europe, qui continue de faire la leçon sur l'exception française alors qu'elle n'en a plus les moyens. La tradition consistant à s'entendre entre Français et Allemands pour entraîner les autres Européens ne fonctionne plus : le système est mort en 2003, lorsque Jacques Chirac et le chancelier Gerhard Schröder ont été mis en minorité sur la guerre en Irak dans l'Europe élargie.

Pour remettre la France au centre du jeu, M. Sarkozy opère une rupture doctrinale. L'Europe ne peut plus être un jardin à la française. Tirant les conséquences du poids réel de son pays dans l'Europe élargie et dans le monde, il balaye certaines vieilles lunes : jamais il ne vante le modèle français, auquel nul ne croit plus en Europe. Au contraire, il invoque les réussites de ses voisins, en particulier des Britanniques, dont la plupart ont atteint le plein-emploi, pour mieux promouvoir ses réformes intérieures. Surtout, il tire un trait sur le mythe gaulliste du non-alignement français, proclamant le retour de la France dans l'OTAN et son amitié pour le peuple américain. Le président a choisi de se placer dans le courant dominant, plus en phase avec ses partenaires.

Ce recentrage politique s'est accompagné d'une opération de séduction. M. Sarkozy commence par effacer la tache du référendum en négociant un traité pour remplacer la défunte Constitution. Ensuite, il mise sur les "petits" pays. Fini le directoire des six grands Etats, qu'il avait promu lorsqu'il était ministre de l'intérieur. Oubliée l'idée d'une Europe à deux vitesses, qui supposerait un accord franco-allemand improbable. L'Europe se fait à 27 et il convient de reconquérir les pays de l'Est, accusés par M. Chirac d'avoir manqué une "bonne occasion de se taire" en soutenant la guerre en Irak. La fin de l'axe Paris-Berlin- Moscou les rassure, les professions de foi atlantistes aussi. 12 En un an, M. Sarkozy multiplie les partenariats stratégiques, creux mais symboliques, et les discours devant les Parlements de partenaires négligés. Les ficelles sont grosses – "La Pologne est le seul pays contre lequel la France ne s'est jamais battue" –, les cadeaux voyants, comme le soutien apporté à la Grèce dans un obscur conflit sur le nom de la République de Macédoine. La méthode paie et permet, grâce au lien avec le Royaume-Uni de Gordon Brown et l'Espagne de José Luis Zapatero, d'avoir un soutien majoritaire en Europe.

Enfin, M. Sarkozy, qui n'aime guère les contre-pouvoirs, finit par accepter la logique institutionnelle européenne. Par tradition, ses prédécesseurs méprisaient la Commission et le Parlement européens, misant tout sur les sommets des chefs d'Etat et de gouvernement. Rompant, selon l'eurodéputé Alain Lamassoure (UMP), avec "la tradition d'arrogance française", M. Sarkozy a passé un pacte politique avec le président de la Commission, José Manuel Barroso. Depuis des semaines, il bichonne le Parlement, en recevant les présidents des groupes politiques. Du jamais-vu, adapté aux circonstances : au fil des traités, le Parlement européen est devenu incontournable, au pouvoir équivalent à celui du conseil des ministres.

UN CHOIX RISQUÉ

En fait, M. Sarkozy s'est mis à copier la stratégie allemande, consistant à être naturellement au cœur de l'Europe pour mieux l'influencer. Ce choix comporte des risques. Le premier concerne le tempérament du président, qui agace, et ses succès, qui suscitent des jalousies. C'est lui qui a su convaincre les frères polonais Kaczynski d'accepter, en juin 2007, le nouveau traité européen. Sans le président français, les infirmières bulgares croupiraient en Libye. Mais les dirigeants allemands, notamment, en ont conçu une amertume envieuse. Il s'efforce de trouver un équilibre entre le volontarisme politique et une modestie de ton qui lui est tout sauf naturelle.

La deuxième faille, c'est l'Allemagne, qu'il n'aime ni ne comprend, mais dont il convoite le leadership. M. Sarkozy n'a pas développé de stratégie cohérente à l'égard d'Angela Merkel. Aussi avait-il bien commencé sa relation en négociant le traité européen, mais il l'a gâchée en lançant son projet d'Union pour la Méditerranée. Le président a dû amender son projet en catastrophe, montrant ainsi que Berlin avait un droit de veto en Europe. La difficulté allemande est palliée par la capacité de M. Sarkozy à faire des compromis. Il cède pour avancer. Il a aussi sauvé ce qui restait à sauver de son Union pour la Méditerranée, comme il a trouvé un accord sur la gouvernance d'EADS et les normes de pollution dans l'automobile.

Le troisième risque est que rien ne prouve que les concessions sur l'atlantisme et l'exception française seront payantes. Elles ont été empochées par les partenaires européens, qui jugent qu'elles vont de soi. Mais ceux-ci ont encore des préventions contre Paris, qui n'a toujours pas assaini ses finances et a multiplié des diatribes contre la Banque centrale européenne, contre-productives, surtout en période d'inflation. M. Sarkozy l'a bien perçu, mettant ses attaques en sourdine.

Surtout, pour avoir un effet positif, il faudrait que le recentrage français s'accompagne de propositions fortes, susceptibles d'entraîner les partenaires. Paris fait de l'activisme, soucieux de montrer que les Européens réagissent à l'envolée des prix du pétrole. Mais il n'existe en réalité pas de solution rapide. C'est le dernier problème : les Européens, passifs dans une mondialisation qui leur échappe, restent en panne de grand projet mobilisateur. Nicolas Sarkozy aussi.

Arnaud Leparmentier 13 Document 8 IL SOLE 24 ORE, 3 luglio 2008 Trichet, l'eurobanchiere che ascolta la techno-music più dei governi

Da ragazzo lo chiamavano Justix, per la sua rettitudine e la sua cocciutaggine, come Asterix della giustizia. Ma anche ora che tanto giovane non è più, il governatore della Bce Jean Claude Trichet, mostra di essere uno che non si piega. Nemmeno quando le pressioni provengono dai Governi più influenti di mezza Europa, che in queste settimane gli hanno chiesto inutilmente di non alzare il tasso d'interesse. Preferisce ascoltare le note metalliche della techno-music.

Jean-Claude Trichet è Nato nel 1942 a Lione, in una famiglia con inclinazioni umanistiche. Il padre e il nonno erano studiosi di filologia classica. Fin da ragazzo mostra una particolare dimestichezza con i numeri. Viene così avviato agli studi tecnici. Laureatosi in ingegneria mineraria, il futuro banchiere centrale ha lavorato per un pò di tempo in una miniera di carbone della Francia nord orientale, prima dell'iscrizione alla famosa Ecole nationale d'administration o Ena, da cui provengono i dirigenti dell'economia e dell'amministrazione della Francia. Finita l'Ena, entra al ministero delle Finanze e fa carriera fino al livello di sottosegretario di Stato. Nel 1993 viene chiamato alla guida della Banca di Francia. Nel 2003 succede all'olandese Wim Duisenberg alla presidenza della Banca centrale europea.

Il presidente della Bce si interessa di arte, e ama profondamente la letteratura. È capace di parlare per ore di sonetti di Shakespeare, ammira Marcel Proust e i romantici francesi. Da quando frequenta Francoforte (sede della Banca centrale europea) ha cominciato a rileggere Goethe. Sul suo iPod - rivela una scheda pubblicata dall'agenzia Ansa - impara il tedesco, e sembra che possa già citare brani del poeta Heinrich Heine in originale o tenere parte dei suoi discorsi in tedesco. Ma si interessa anche di musica elettronica, in questo forse influenzato da uno dei due figli, cultore della Techno-music.

Document 9 Parigi raddoppia sull'atomo pulito

Attilio Geroni, IL SOLE 24 ORE, 4 Luglio 2008

Il giorno in cui Gazprom scommette su un petrolio ben presto a 250 dollari a barile, Nicolas Sarkozy annuncia la costruzione in Francia di un secondo reattore nucleare di terza generazione (EPR). Lo ha fatto durante una visita agli impianti Arcelor-Mittal a Le Crousot, in Borgogna, che produce pannelli d'acciaio destinati proprio alle centrali. Per l'occasione era accompagnato da Anne Lauvergeon, presidente di Areva, numero uno al mondo nella costruzione di impianti nucleari, e dal ministro dell'Economia Christine Lagarde.

Non ha precisato in quale parte del territorio francese sarà costruito il reattore, ma ha detto che tale decisione sarà presa entro il 2009, affinché i lavori possano iniziare nel 2011. Il nuovo progetto va ad 14 aggiungersi all'EPR già in fase di realizzazione a Flamanville e che dovrebbe entrare in servizio nel 2012: «L'era del petrolio a buon mercato è finita - ha detto Sarkozy - e il nucleare è più che mai un'industria del futuro e un'energia indispensabile». Sarkozy ha nuovamente reso omaggio al generale de Gaulle per aver saputo, all'inizio degli anni 60, «anticipare l'importanza del nucleare e quindi la fine del petrolio e del gas» e ha rivolto un altro messaggio al Governo tedesco che negli anni della coalizione rosso-verde aveva scelto di smantellare le centrali: «Vi immaginate che cosa possa rappresentare per un Paese come la Germania aver dovuto abbandonare il nucleare sull'altare dell'alleanza con i Verdi!».

Per giustificare una scelta così importante e della quale non tutti gli addetti ai lavori erano e sono convinti, il presidente francese ha citato alcune cifre: l'elettricità prodotta da un EPR è meno cara del 30-50% rispetto a quella di una centrale a gas o a carbone, il che si traduce in un risparmio annuo rispettivamente di 2 miliardi di metri cubi di gas e di 11 milioni di tonnellate di Co2.

Le indiscrezioni circolate alla vigilia dell'annuncio davano Edf, il colosso francese dell'elettricità, poco convinto della necessità di un secondo reattore di terza generazione ad acqua pressurizzata. Ieri però si è affrettato a sostenere il progetto in un comunicato. Secondo gli analisti vi potrebbe essere però un altro candidato alla gestione della centrale, GdF Suez, la cui fusione sarà operativa da metà mese. Il nuovo colosso energetico non nasconde le sue ambizioni nel nucleare: in gennaio Suez aveva raggiunto un accordo di partnership con Areva e Total per la realizzazione di due EPR negli Emirati arabi uniti mentre in Belgio è già gestore di 6 centrali nucleari di seconda generazione.

In realtà, e lo stesso Sarkozy lo ha sottolineato, il nuovo reattore permetterà alla Francia di aumentare la sua capacità di export verso i Paesi limitrofi, anche se ciò comporterà un potenziamento delle reti di interconnessione.

Il capo dello Stato ha sottolineato che la scelta di un secondo EPR non rallenterà gli sforzi nelle energie rinnovabili ( «non si tratta di scegliere, abbiamo bisogno di entrambe»), difendendo al tempo stesso la sua politica di proporre ai Paesi in via di sviluppo la tecnologia nucleare civile: «Può essere un'arma di pace perché è un'arma al servizio dello sviluppo».

Document 10 Fuites au collège

Le Mans (Sarthe), envoyée spéciale. LE MONDE, 01.09.2008

D'abord 320, puis 307 et enfin 243. Une perte sèche de près de soixante-dix collégiens en trois ans. De moins en moins d'élèves, de plus en plus de dérogations. La rentrée a un petit goût amer au collège du Plateau, au Mans. D'année en année, le déclin s'accentue.

Planté au milieu des immeubles de la zone urbaine sensible (ZUS) de Bellevue, le collège se confond presque avec les petits parallélépipèdes blancs sans âme du quartier, là où habite le gros de l'effectif. Etablissement sans histoires mais non sans réussite (93 % au brevet cette année), il subit la méfiance grandissante des habitants de la commune voisine de Sargé. Censées elles aussi scolariser leurs enfants dans ce collège, les familles profitent des nouvelles règles du jeu de la carte scolaire pour s'en détourner.

Au mois d'avril, après examen du nombre des inscrits en 6e, le collège a appris qu'il allait perdre trois classes. A la fermeture attendue d'une 5e et d'une 4e, suite à la chute des effectifs de l'année précédente, 15 une classe de 6e allait disparaître. Trois classes sur douze en un an, l'hécatombe ! Parents et professeurs se sont rebiffés, la 6e menacée a été sauvegardée. Pour le quartier, l'équipe et les parents, c'est le soulagement. Mais ce n'est qu'un sursis.

Etablissement banal, le collège du Plateau rassemble encore ceux qui se mélangent de moins en moins : les enfants des HLM; ceux des maisons Leroy-Haricot, bâtisses mitoyennes bon marché conçues dans les années 1960 pour permettre l'accession à la propriété des familles modestes; ceux des Côteaux de la Gironde, un lotissement plus chic qui jouxte les immeubles; ceux, enfin, de la zone pavillonnaire de Sargé- lès-LeMans, à l'habitat d'un standing très supérieur.

Ni ghetto ni ZEP, il souffre pourtant de la pauvreté grandissante des familles de la ZUS. Le pourcentage des boursiers grimpe en flèche : 18,4 % de boursiers en classe de 3e , 38,5 % en 4e, 41,6 % en 5e, 47,3 % en 6e. Plus d'un tiers des collégiens sont boursiers, dont la moitié au taux 3, celui des minima sociaux. Fini en 6e le "vrai mélange" que les professeurs trouvent encore dans les classes de 3e, là où "on fait le grand écart entre la fille du neurologue et le fils du RMiste", plaisante Sophie Le Guiet, professeur de français. Et c'est justement le découpage de la carte scolaire, millimétré, qui avait réussi à maintenir ce petit monde.

"AVANT, LES PARENTS ALLAIENT DANS LE PRIVÉ, MAINTENANT ILS DEMANDENT DES DÉROGATIONS"

Le Plateau, un cas d'école ? Exemplaire en tout cas de ces collèges "moyens mélangés", comme les a qualifiés le sociologue Marco Oberti dans L'Ecole dans la ville (Presses de Sciences Po, 2007), où se joue l'avenir de la mixité sociale. "Les élèves qui nous quittent sont remplacés par les enfants des plus pauvres", constate le principal du collège, Guy Salmon. "Avant, les parents allaient dans le privé, maintenant ils demandent des dérogations", résume François Blomme, président de la section locale de l'association des parents d'élèves (FCPE).

Il y a deux ans, un incendie volontaire enflamme un container, provoquant dans la foulée l'incendie de la cantine. Violents, les élèves du Plateau ? "Certains parents redoutent la violence, pourtant inexistante. Ils ont peur", explique Marie Garier, professeur de français, en poste depuis six ans dans ce collège. Peur de quoi ? Bellevue, zone urbaine sensible, n'a rien de "sensible" aux yeux des vrais urbains. "Rien à voir avec Saint-Denis [Seine-Saint-Denis] où j'ai enseigné trois ans avant d'atterrir ici", raconte Frédéric Launay, professeur de sciences de la vie et de la Terre. Mais tout est relatif. Vue de l'allée David-Douillet, de la rue Christine-Caron, de celle de Didier-Pironi – Sargé aime les champions ! –, la ZUS de Bellevue ressemble à un chaudron. Puisqu'on lui donne le choix, Sargé-lès-Le-Mans, son golf, son retable, préfère l'entre-soi.

Le privé, avec le collège Saint-Julien qui joue la carte de l'excellence, reste prisé mais c'est surtout au collège public du Villaret, équidistant de celui du Plateau pour les habitants de Sargé, que la concurrence profite désormais. D'autant que, autrefois difficile d'accès aux amateurs de dérogations, il ouvre désormais grandes ses portes. Cette année, 35 élèves s'y sont inscrits par dérogation (sur un effectif de plus de 300 élèves) dont 24 viennent du Plateau.

La réforme de la carte scolaire était supposée mettre un terme au "système de ségrégation qui assignait les élèves à résidence dans leur quartier ", selon les termes du ministre de l'éducation nationale, Xavier Darcos. Vue du Plateau, elle fonctionne en marche arrière. Au lieu de casser un ghetto, tout porte à croire qu'elle contribue à en créer un. Mère de trois enfants dont la dernière fréquente encore le collège, Laurence Boquet a assisté à l'hémorragie. "A l'époque de mes aînés, certains choisissaient bien Saint-Machin ou Saint-Chose, mais la grande majorité allaient au collège du secteur. Les gens faisaient un essai et comme ça se passait bien, ils y laissaient leurs enfants. Aucune dérogation n'était accordée." 16 Au sein du collège, la fracture entre ceux qui ont les moyens et ceux qui ne les ont pas se ressent. "Pour les sorties, certains parents ne peuvent pas suivre", raconte Nathalie Fauvel dont la fille, Nolwen, entre en 4e. Sociale, la dégradation est aussi scolaire. "L'an dernier, au conseil de classe de ma fille Blanche, en 6e, j'ai été surprise de constater que la moitié des élèves avaient un an de retard", pointe Laurence Boquet.

C'est peu dire que les profs vivent mal cette chronique d'une mort annoncée. Le rejet du collège est vécu comme une injustice. Le sentiment d'un échec là où l'école pourrait déjouer les destins sociaux. L'impression que c'est leur travail qui est attaqué. "Le seul argument qui est avancé aux élèves pour les inciter à aller vers nous, c'est : Va au Plateau, c'est plus facile. Pourtant, nous sommes le seul collège de la Sarthe à proposer une classe bilangue [français, allemand]. Et le taux de réussite au brevet tourne autour de 90 % depuis plusieurs années !", regrette Marie Garier. Cette enseignante de français fait partie d'une équipe de trentenaires qui s'efforcent d'enrayer la chute. Pour améliorer la liaison CM2-6e, le prof d'éducation physique, Cédric Fonteneau, a préparé une course d'orientation. Une rencontre poésie a rassemblé plus d'une centaine d'élèves… L'inspection académique, qui a fait machine arrière sur la fermeture de classe, ne leur paraît pas suffisamment active. "Ils avaient dit qu'ils organiseraient des réunions avec les instits de CM2… Nous, on ne peut pas tout faire", s'agace Marie Garier.

ÉLUS IMPUISSANTS, ÉDUCATION NATIONALE DÉSEMPARÉE

Alors, les préjugés et "les fausses représentations" continuent de l'emporter. Bilan : "Sur les 45 élèves inscrits en CM2 à l'école Camille-Claudel, une dizaine a opté pour le Plateau", regrettent les profs. Sachant que l'école communale elle-même subit une érosion démographique, combien seront-ils l'an prochain ?

Nul ne se risque aux pronostics, d'autant que les élus se montrent impuissants à trouver la parade. Comme tous les conseils généraux – en charge de la sectorisation depuis deux ans –, celui de la Sarthe manie cette affaire avec des pincettes. A lui de mettre la pression sur les maires pour qu'ils acceptent de faire bouger les lignes. Pas facile, admet Jean-Marie Geveaux, responsable des affaires scolaires au conseil général.

Tel maire "ne souhaite pas un apport de population de la ZUS" dans le collège situé sur sa commune; tel autre redoute que la perte d'élèves aille de pair avec celle des licenciés des associations sportives, etc. Les mauvaises et les bonnes raisons s'accumulent, et le tracé qui délimite les quartiers et les rues qui dépendent de tel ou tel collège n'a pas bougé d'un iota.

L'éducation nationale apparaît tout aussi désemparée. Sauver la mixité oui, mais comment garder, voire attirer les familles ? "Nous devons donner aux collèges en difficulté des éléments pour se défendre", rétorque l'inspecteur académique, Jean-Claude Rouanet. Maintenir "les moyens humains", c'est sûr, mais aussi jouer sur "l'offre" et "le management".

C'est que, dans un marché devenu concurrentiel, le marketing scolaire a pris de l'importance. Le collège dispose bien d'une classe bilangue et de l'option "découverte professionnelle". Mais ces charmes-là ne valent pas une section sport-études, des classes à horaires aménagés de musique ou des langues rares…

proposées ailleurs. Alors, rénover le bâtiment, peut-être ? La reconstruction de la cantine, engagée cet été, est un signal. Muscler l'encadrement du collège ? Sans aucun doute.

Le temps presse. Les parents d'élèves, qui ont jusqu'à présent fait bloc pour défendre l'établissement, n'ont pas vocation de martyrs laïcs. "Vous dire au jour J si mon fils, actuellement en CE1, fréquentera plus tard le collège du Plateau, je n'en sais rien, avoue Nathalie Fauvel. On verra."

Brigitte Perucca 17

Document 11 LE MONDE, 31.03.2008 Pacs, enfants tardifs et hors mariage : la famille en 2008

Dans les années 2000, la famille s'est éloignée du modèle très en vogue proposé par les années 50.

La famille des années 2000 est bien loin du modèle traditionnel des années 1950. Des mères plus âgées, des pacs qui se substituent de plus en plus souvent aux mariages et une majorité d'enfants qui naissent désormais hors mariage : telles sont ses nouvelles caractéristiques, décrites dans le bilan 2007 de l'Institut national d'études démographiques.

Des grossesses de plus en plus tardives. En 2007, les femmes qui ont mis un enfant au monde avaient en moyenne 29,9 ans. "La tendance observée depuis trente ans à avoir ses enfants toujours plus tard se poursuit", note le démographe Gilles Pison dans Population et sociétés (La Population de la France en 2007, mars 2008, no 443, http://www.ined.fr/). En 1977, l'âge moyen des femmes à l'accouchement était de 26,5 ans. Aujourd'hui, plus d'un nouveau-né sur cinq (21,1 %) a une mère âgée de plus de 35 ans.

L'explosion du pacs. Créé en 1999, le pacte civil de solidarité, que Jacques Chirac jugeait "inadapté aux besoins de la famille", connaît un immense succès : alors que le mariage ne cesse de reculer, le nombre annuel de pacs a plus que quintuplé, passant de 20 000 en 2001 à plus de 100 000 en 2007. Cette progression est liée à l'augmentation des pacs signés par des couples homosexuels (+ 50 %), mais surtout au succès du pacs auprès des couples hétérosexuels : en six ans, leur nombre a été multiplié par six. "En 2007, on se rapproche d'un pacs pour deux mariages, remarque Gilles Pison. Le pacs hétérosexuel est-il en train de remplacer le mariage ?"

Le triomphe du pacs est sans doute lié au fait qu'il s'est peu à peu rapproché du mariage : en 2005, les avantages fiscaux accordés aux pacsés ont été alignés sur ceux des couples mariés. Sa souplesse - il peut être dissous à la suite d'une simple déclaration écrite - semble en outre correspondre aux demandes des couples d'aujourd'hui. Pendant la campagne électorale, Nicolas Sarkozy avait reconnu que la droite s'était fourvoyée, en 1999, en combattant cette nouvelle forme d'union. "Nous sommes passés à côté du pacs", regrettait-il dans Têtu .

La banalisation des naissances hors mariage . En 2007, près de la moitié des bébés sont nés au sein d'un couple non marié, contre seulement 6 % en 1970. "Ces naissances, alors rares et mal perçues, étaient classées officiellement comme "naturelles" ou "illégitimes", souligne Gilles Pison. Mais la norme sociale a changé et elles sont aujourd'hui à parité avec les naissances au sein de couples mariés."

Le droit a pris en compte ce bouleversement : en 1972, le législateur a proclamé l'égalité des filiations légitimes et naturelles et, en 2001, l'égalité successorale des enfants a été garantie. Cette évolution a été parachevée en 2005 par une ordonnance du gouvernement de Dominique de Villepin, qui a fait disparaître les mots "légitime" et "naturel" du code civil.

Les naissances hors mariage ne sont plus le signe d'une absence de père : en 2005, plus de 80 % des enfants nés hors mariage ont été reconnus par leur père dès la naissance. "Les naissances hors mariage surviennent désormais le plus souvent au sein de couples stables, conclut M. Pison. Avec la banalisation des naissances 18 de couples non mariés, la reconnaissance paternelle est devenue la règle."

Anne Chemin

Document 12 "Le cadre n'encadre plus rien"

LE MONDE, 24.09.2008

Selon un sondage réalisé par l'Association pour l'emploi des cadres (APEC), 40 % des cadres envisagent de changer d'entreprise dans un avenir proche. Alexandre des Isnards, auteur de "L'open space m'a tuer" répond aux questions.

Pourquoi la faute d'orthographe dans le titre de votre ouvrage "L'open space m'a tuer"?

Alexandre des Isnards : En référence au fait-divers d'Omar Raddad, tout simplement. L'idée était d'inclure le mot "open space" dans le titre, à la fois comme un lieu où tout le monde travaille actuellement et un symbole du nouveau management.

Depuis que je suis en open space, j'ai beaucoup de difficultés à me concentrer. Que puis-je faire pour m'en sortir ?

Alexandre des Isnards : Spontanément, je dirais qu'il faut rester travailler tard le soir... De toute façon, l'open space sera peut-être aménagé dans les entreprises, mais les dirigeants en créeront de plus en plus, c'est la tendance, et elle se maintiendra. L'idée, c'est que les gens se surveillent les uns les autres. C'est moins une logique d'efficacité qu'une logique de surveillance. Le principe, c'est que comme ça tout le monde est logé à la même enseigne. Tout le monde se surveille, et cela permet d'économiser la hiérarchie : plus besoin, finalement, de chef. On entend parfois quelqu'un qui part à 19 heures dire : "Je prends mon après-midi." Les salariés intériorisent la norme. Donc s'autolimitent, restent tard le soir en fonction des autres et finalement, entre eux, sont beaucoup plus impitoyables.

Vous pointez avec justesse le détachement croissant des cadres, notamment des plus jeunes d'entre eux. Pourtant, dans un contexte de fragilisation des classes moyennes, cette tendance n'est-elle pas dangereuse pour l'individu, l'entreprise étant encore aujourd'hui le principal vecteur d'ascension sociale?

Alexandre des Isnards : C'est simplement que la notion de carrière a disparu. Quand un candidat arrive dans une entreprise, on lui dit : "Si tu viens chez nous, tu te revendras ailleurs." Donc dès le départ, le contrat est clair : on n'essaie pas de fidéliser le salarié, mais en échange, le salarié ne s'investit pas. Il s'investit pour son propre projet, mais pas pour celui de son entreprise. Il soigne son employabilité, soit au sein de l'entreprise, soit au dehors. Mais ce n'est pas forcément lié. Donc l'entreprise est un vecteur d'ascension sociale et le restera, mais en changeant de boîte, pas en restant au sein de sa boîte.

Parler en général des cadres a-t-il encore un sens ? N'y a-t-il pas une différence fondamentale entre ceux qui ont encore un pouvoir de décision et le "middle management" qui subit les multiples systèmes de contrôle ?

Alexandre des Isnards : Cela a encore un sens administratif, pour les retraites. Et peut-être les salaires qui sont au-dessus du SMIC la plupart du temps. Mais cette notion a de moins en moins de sens, effectivement. Le cadre n'encadre plus rien, on lui confie un projet, avec un budget et un planning donnés, sur lequel il est autonome. Mais c'est tout. Derrière, il est contrôlé par les outils de reporting : feuilles de temps (les 19 nouvelles pointeuses des cadres). C'est une fausse autonomie. Il n'a donc de cadre que le nom.

Pourquoi avons-nous importé les techniques de management qui nous viennent des USA et balayé nos organisations françaises ?

Alexandre des Isnards : Ces méthodes de consulting donnent l'impression qu'on importe de l'efficacité américaine, peut-être. Mais surtout, les méthodes anciennes ne sont plus adaptées à la nouvelle économie, qui va sans cesse plus vite.

Pourquoi avoir mis en place cette structure matricielle, qui multiplie les hiérarchies géographiques ou par branche ? Quel en est l'intérêt pour l'entreprise et les conséquences pour le cadre ?

Alexandre des Isnards : Les conséquences pour le cadre, c'est un isolement sur son projet, une énorme pression. C'est la notion de responsabilité qui est diluée. Le manager, le N+1 (le supérieur hiérarchique) délègue son pouvoir et n'est plus qu'une sorte de coach. La responsabilité opérationnelle repose en fait sur le junior, sur le jeune cadre. Ce qui fait que très vite même les stagiaires font face à des responsabilités très fortes.

Le cadre n'est-il pas confronté à une perte de sens de son travail ?

Alexandre des Isnards : Le cadre souffre qu'on lui présente en permanence son métier comme une aventure passionnante, qu'on lui présente chaque projet comme un vrai challenge, une occasion de s'épanouir. C'est une manière de présenter de façon boursouflée des tâches assez basiques, présentées comme de grands défis. Par exemple l'audit : les jeunes cadres surdiplômés doivent "matcher" la colonne de gauche avec la colonne de droite, et quand les chiffres sont bons, ça fait "clic" ! On voit beaucoup de vidéos sur Dailymotion où de jeunes auditeurs pètent les plombs pour se défouler, frustrés de faire des métiers aussi pauvres en intelligence.

Quand on voit le travail des caissières ou des ouvriers à la chaîne, le cadre a-t-il a le droit de se plaindre ?

Alexandre des Isnards : Effectivement, il y a des gens qui sont plus à plaindre ; chômeurs, Rmistes ou caissières, mais ce n'est pas pour autant qu'on n'a pas le droit de parler du ressenti de ces jeunes cadres, qui, comme on l'a dit, sont de moins en moins cadres. Thomas Zuber et moi avons parlé dans notre livre de ce que nous avons vécu, des témoignages de nos proches ou de collègues, mais les réactions autour de nous, c'est que ce type de pression, de management se diffuse vraiment partout.

Ne pensez-vous pas que notre société a le plus grand tort de se priver de l'expérience des seniors que l'on licencie, que l'on refuse d'embaucher ou que l'on met au placard ?

Alexandre des Isnards : J'ai un peu peur pour les seniors. Actuellement, on a l'impression qu'on est vieux de plus en plus jeune et jeune de plus en plus vieux. En fait, c'est un système qui fonctionne avec des jeunes diplômés renouvelés avec un turnover de plus en plus accéléré. Je rattacherai cela à la notion de carrière.

La carrière se déroulant en dehors de l'entreprise, il faut arriver à se créer un personnage qui soit visible, et pour être visible, il faut maîtriser les outils des nouvelles technologies : réseaux sociaux, Facebook... Pour assurer sa réputation. Et les seniors sont plus habitués à un système qui fonctionne à l'ancienneté et à la reconnaissance interne. Pour apporter une petite note positive, les seniors ont un rôle à jouer par leur capacité à ne pas diffuser le stress grâce à leur expérience. C'est la carte qu'ils devraient jouer.

Le stress est-il un mode de management efficace ? 20 Alexandre des Isnards : On parle beaucoup de stress positif, mais quand on voit la souffrance des jeunes salariés en entreprise, on a du mal à positiver. Et en tout cas, le stress a un énorme coût au niveau de l'économie : arrêts maladie, antidépresseurs... Mais souvent le stress n'est pas encore vraiment analysé, c'est pourquoi nous avons quelques saynètes très noires dans notre livre, car les cadres vont prendre sur eux pour montrer leur capacité à gérer le stress. Il s'agit donc d'un stress pas du tout spectaculaire, intérieur, qui se manifeste par ulcères, psoriasis, dépressions... Avec comme remède les anxiolytiques et antidépresseurs de toute sorte.

En quoi les nouvelles technologies ont-elles aggravé le mal-être des cadres ?

Alexandre des Isnards : Les nouvelles technologies permettent un contrôle en temps réel de l'activité de tous les salariés grâce aux time-sheets. on contrôle dans certaines entreprises heure par heure, grâce aux nouvelles technologies. Ce qui fait que la créativité est bridée. L'expression qui revient toujours dans la bouche des managers, c'est : "On ne va pas réinventer la roue", car il faut aller très vite. C'est un peu le bracelet électronique des cadres.

Que conseilleriez-vous aux jeunes diplômés envisageant une carrière en tant que cadres pour obtenir un emploi sain et où l'épanouissement personnel reste possible ?

Alexandre des Isnards : S'il veut réussir en entreprise, le jeune cadre doit passer par une sale période. Au départ il faut tout accepter, comme le travail gratuit en stage. L'important c'est de sortir le plus vite possible du statut anonyme de jeune diplômé. Pendant cette période, il n'y a pas beaucoup d'épanouissement possible. C'est ensuite, après deux-trois ans d'expérience, qu'on peut commencer à se revendre, à progresser et à regarder avec plus d'exigence le marché et donc commencer à construire une vie professionnelle et une vie privée "épanouies".

Depuis la parution du livre, quelles sont les réactions que vous avez eues ?

Alexandre des Isnards : Pour l'instant, j'ai eu de très bons retours. Il y a un sentiment de soulagement qu'on puisse parler de ce qui se passe vraiment. C'est très difficile de parler autour de soi quand on est cadre, car on est censé faire partie des privilégiés et on a la chance d'avoir un travail. Il y a aussi la crainte de se griller sur le marché du travail. Les gens sont contents d'avoir des porte-parole. Ils nous disent : "Tu nous as vengés, merci", ou "Je déteste ce travail en open space". Les gens nous racontent aussi leurs histoires.

Selon un récent sondage, 82 % des cadres se disent heureux, n'est-ce pas contradictoire avec votre livre ?

Alexandre des Isnards : Les gens ne vont jamais se plaindre ouvertement. Un sondage, c'est comme un vote à main levée. Il faudrait qu'ils puissent s'exprimer dans l'isoloir ! Pour notre part, nous avons eu beaucoup de mal à obtenir des témoignages. Les gens avaient peur. Quand ils ont compris qu'on changerait les noms, ils se sont mis à parler.

Y a-t-il une dictature de l'optimisme dans l'entreprise ?

Alexandre des Isnards : Cette dictature est un gros quiproquo. C'est la raison pour laquelle nous avons écrit le livre. On pense que les jeunes salariés ont perdu le goût au travail. Il faut donc leur faire croire que travailler est un jeu, qu'ils vont prendre du fun. On va installer des baby-foot et des croissants à la "Kfête"... Ce n'est pas la bonne manière de dialoguer. On préférerait un discours de sincérité. Si les jeunes cadres prennent leurs RTT ou se mettent en congé maladie, ce n'est pas par absence de volonté de travailler, c'est une conséquence de l'impossibilité d'évolution ou de manque de projet commun entre l'entreprise et le salarié. 21 Document 13 Un paradoxe français par Jean-Michel Dumay, LE MONDE, 30.08.2008

Voici donc venu le temps des gommes neuves et des crayons taillés. Des protège-cahiers et des résolutions de rentrée. La France au travail, après deux mois d'été. La France et ses espoirs de boulot : l'an passé, 2,9 millions de personnes étaient sans emploi, mais exprimaient le souhait de travailler, nous dit l'Insee (enquête "Emploi 2007, Insee première, août 2008"). Et sur les 25,6 millions ayant un travail, 1,4 million occupés à temps partiel souhaitaient travailler davantage et 1,6 million d'autres déclaraient vouloir en changer : le souhait de progresser vers un Graal plus intéressant ou mieux payé, la crainte, aussi, de perdre son travail. Mieux vaut rester maître de son destin, anticiper.

C'est important, le travail. Très important même pour les Français. Avant l'été, le Centre d'études de l'emploi (CEE) relevait qu'ils sont, en Europe, parmi ceux qui lui accorderaient le plus d'importance. Si les Britanniques et les Danois sont 40 % à déclarer le travail "très important", les Français sont 70 %, caracolant en tête de l'ancienne Europe des Quinze.

Et pourquoi donc ? Par souci du devoir à accomplir (un sentiment partagé par plus de la moitié des Européens) ? Pas franchement. Par crainte du chômage (la corrélation est souvent vérifiée, ouvriers, employés et chômeurs associant davantage et plus directement que les cadres bonheur et travail) ? Pas seulement. Mais parce qu'ils auraient (nous aurions), plus que les autres, "la volonté de s'épanouir au travail".

Fouillant diverses enquêtes internationales, Dominique Méda et Lucie Davoine, auteurs de l'étude, font observer que les Français affichent les attentes les plus fortes à l'égard de l'intérêt du travail, qu'ils attendent plus intensément de lui qu'il soit un lieu de "réalisation" de soi, d' "accomplissement", de développement de ses capacités. Un lieu qui donne du sens. Un moyen, aussi, de nouer des liens privilégiés au sein d'un groupe. Ces attentes, sur un mode très affectif, ne seraient pas fonction du niveau de richesse. Et les jeunes accentueraient la tendance. OK pour investir de l'énergie au boulot à condition d'avoir du plaisir, vite, ici et maintenant, et que celui-ci revête de la valeur à leurs yeux.

Le paradoxe, relèvent les analystes, réside dans le fait que, dans le même temps, si les Français sont les plus nombreux à déclarer le travail " important", ils sont également les plus nombreux à souhaiter le voir occuper... moins de place dans leur vie (la moitié des Britanniques, Belges, Suédois, sont ainsi, comme les deux tiers des Français).

Et pourquoi donc ? D'abord, suggèrent Mmes Méda et Davoine, parce que la sphère du travail, à l'usage, se révèle incapable de combler les attentes en question ; parce que celle-ci est vécue, apparemment plus qu'ailleurs, comme "une activité génératrice de mal-être et de stress" - aucune gratification (revenu,

sécurité de l'emploi) ne parvenant à dissiper le malaise. C'est en France que les relations hiérarchiques sont les moins bien vécues (loin derrière l'Allemagne et l'Irlande), les Français se sentant moins l'objet de la confiance et de l'attention de leurs supérieurs quant à leurs capacités, moins autonomes dans leurs tâches, insuffisamment payés, et moins consultés qu'ailleurs en cas de réorganisation du travail.

La spécificité française s'expliquerait aussi parce qu'à l'instar des autres pays, et plus encore qu'eux, le travail, même jugé important, doit dorénavant permettre d'assurer et de concilier d'autres investissements dans d'autres lieux de "réalisation", consommateurs de temps : à commencer par la famille. Cela se 22 retrouve dans les kiosques. "Travail, comment ne plus le subir ?" titre ce mois-ci le magazine Psychologies...

Document 14 Des consommateurs li-bé-rés !

LE MONDE, 19.05.2007

Des millions de produits, livres, CD sont disponibles en ligne sur eBay, Amazon... En quoi cela bouleverse- t-il la consommation ?

Grâce à la distribution et au commerce en ligne, nous entrons dans un monde d'abondance. Il est plus facile de créer des produits, moins cher de les distribuer, et des outils de recherche permettent aux consommateurs de s'orienter. Regardez la musique. Chez le distributeur traditionnel Wal-Mart, l'univers musical se résume à 60 000 morceaux. Mais pour le site Rhapsody, le marché est apparemment infini : non seulement les 60 000 premiers morceaux sont écoutés au moins une fois par mois, mais il en va de même pour les 100 000, 400 000 et même 900 000 premiers. Dès que Rhapsody ajoute des morceaux, il trouve des clients, ne serait-ce qu'une poignée chaque mois.

Si on propose en ligne au consommateur dix ou cent fois plus de produits, son choix se répartit sur un nombre bien plus important d'articles. En conséquence, les dix produits phares sont proportionnellement moins vendus. Cela paraît logique, mais nous en avons désormais les preuves, chiffres à l'appui, sur des marchés de plusieurs millions de produits.

Est-ce la fin des produits stars, achetés par la majorité pendant la seconde moitié du XXe siècle ?

Non, mais disons que c'est la fin de leur monopole comme celui du marché de masse. Il y aura toujours des hits, des best-sellers, mais ils vont se partager le marché avec des millions de produits de niche, qui ne plaisent pas à tout le monde mais plaisent beaucoup à quelques-uns. Ceux-ci constituent un marché de "longue traîne". Le numéro un restera le numéro un, mais les ventes correspondantes ne seront plus ce qu'elles étaient. Parmi les 50 albums les plus vendus de tous les temps, la plupart datent des années 1970 et 1980. Il n'y en a aucun ces cinq dernières années.

On estimait que 20 % des produits dans un magasin généraient 80 % du chiffre d'affaires. Est-ce la fin de cette loi ?

Cette règle, apparue au XIXe siècle, dérive d'un comportement qui est universel dans la culture humaine. Certains produits plaisent plus que d'autres. Ce sera toujours le cas avec ou sans Internet. Mais, jusqu'à présent, les entreprises ignoraient les 80 % des produits qui étaient en bas des ventes. Elles focalisaient leur attention sur les produits stars, pour des raisons de coût. Il n'y avait pas assez de place dans les linéaires pour les autres. Avec Internet, vous pouvez tout proposer. Et nous observons deux choses : d'une part, les

ventes de ces produits jadis délaissés, les fameux 80 % restants, augmentent. D'autre part, ce qui est très surprenant, est que de cette offre bien plus large - qui peut aller comme dans le monde physique du très bon au très mauvais - émergent également des produits qui n'étaient pas partis pour être populaires, et le deviennent.

Par exemple ?

L'exemple classique est celui du groupe Arctic Monkeys, qui grâce au bouche-à-oreille en ligne est devenu 23 un groupe best-seller. Mais prenez plus récemment les OK GO. Leur vidéo sur YouTube a été regardée par 15 millions de personnes, un quasi-record, alors que ce groupe n'est soutenu par aucune major et n'est jamais passé sur la chaîne MTV.

Vous décrivez un monde où ce ne sont plus seulement les grandes entreprises qui décident de ce qui va plaire, être lu, écouté, acheté...

Il est vrai qu'elles vont devoir apprendre à partager ce pouvoir. Dans un système de distribution physique traditionnelle, coûteux et limité en place, ceux qui s'occupent de l'offre doivent sélectionner avec un sens critique aigu les produits à vendre. Les éditeurs décident de la validité d'un auteur à publier, tout comme les dénicheurs de stars pour les majors, les responsables des achats pour un magasin, les responsables marketing, les publicitaires... Cette activité qui consiste à deviner ce qui va se vendre ou pas ne me semble plus promise à un si bel avenir. Bientôt, tout arrivera sur le marché en ligne, et la grande aventure sera d'en faire le tri. Ce seront ensuite des filtres, comme Google, qui mesureront l'intérêt des consommateurs. Les blogs sont également de plus en plus une source de recommandation. Nous avons déjà sur Internet une génération pour laquelle la valeur d'une marque n'est pas ce qu'une entreprise dit mais ce qui apparaît sur Google.

Les ventes en ligne c’est 10 % du commerce de détail aux USA et il faudra attendre plusieurs décennies pour atteindre 25 %. Pensez-vous que l'impact de ce phénomène sera global sur la consommation?

J'en suis persuadé. La génération qui grandit actuellement sur le Net, bien qu'elle n'achète pas tout en ligne, établit ses goûts à partir du réseau. Ces jeunes, en gros les moins de 25 ans, ont la certitude qu'ils peuvent tout trouver grâce au Net. C'est la première génération exposée à une telle richesse culturelle, d'une diversité infinie. Cela va influer sur la façon dont elle s'habille, ce qu'elle mange, les vidéos qu'elle regarde, ses hobbies... En Californie, par exemple, les enfants sont désormais fans de mangas. Pas des mangas américanisés, non, des mangas japonais, et ils apprennent des mots pour les comprendre. Je pense que cette génération sera moins satisfaite que la précédente des produits imaginés pour plaire au plus grand nombre. D'ailleurs, les entreprises de grande consommation l'ont compris et sont en train de cibler ces différentes niches de consommation, l'underground, la culture souterraine.

Comment les entreprises traditionnelles peuvent-elles attirer ces nouveaux types de consommateurs ?

Lego par exemple. L'entreprise proposait un petit nombre d'articles pour plaire au plus grand nombre. Mais elle s'est rendu compte qu'il existait une clientèle voulant construire ses modèles sur mesure, demande qui ne pouvait être honorée en magasin. Depuis, le site Lego.com offre cette possibilité, avec la Lego Factory, qui représente entre 10 % et 15 % du chiffre d'affaires. Parlons de la télévision. La plupart des programmes sont proposés sur un temps très court, puis on ne peut plus les voir. Rien qu'en rendant accessibles les archives, vous vous créez un public de "longue traîne" à un coût minime. Amazon n'est pas un acteur traditionnel, mais l'exemple est également intéressant : pour proposer en ligne encore plus de livres sans

augmenter ses coûts de stockage, l'entreprise s'est lancée dans l'impression à la demande des ouvrages et a racheté en 2005 Booksurge, un des leaders de l'activité.

Pour vous, toute entreprise devrait pouvoir s'adapter...

Fondamentalement, personne ne sait ce qui peut se passer. Il faut tester, faire des expérimentations, petites et pas chères, pour trouver ce que ces clients potentiels pourraient vouloir et que vous ne proposez pas. Depuis que j'ai écrit sur ce phénomène, j'ai été contacté par des entreprises de tous secteurs 24 cherchant à se positionner sur ces marchés de niche : chocolat, bière, jeans... Nous faisons même actuellement des recherches sur les chaussures ! Il existe des centaines de milliers de paires, mais seules quelques centaines sont disponibles dans les magasins. Déjà Zappos propose en ligne 750 000 paires différentes...

Propos recueillis par Laure Belot

HISTOIRE D'UNE THÉORIE

EN OCTOBRE 2004. Chris Anderson, rédacteur en chef du magazine californien Wired, publie "The Long Tail", article décrivant comment Internet transforme la consommation de masse.

RAZ DE MARÉE DE RÉACTIONS. Les dirigeants de sociétés Internet confient à l'auteur leurs statistiques de ventes pour élargir la théorie. Des conférences sont organisées. Le blog thelongtail.com reçoit les avis des lecteurs.

UN TRAVAIL DE RECHERCHE. Avec les business schools de Stanford, MIT et Harvard est lancé, aboutissant à la publication de The Long Tail, en juillet 2006.

À LIRE. La Longue Traîne, Chris Anderson (2007, Village mondial, 280 p., 25 €).

Document 15 Edito du Monde Edvige en examen

LE MONDE, 10.09.2008

Le cyclone Edvige commençait à devenir menaçant pour l'exécutif. Les protestations des défenseurs patentés des droits de l'homme ou celles de l'opposition contre ce superfichier de police l'avaient jusqu'à présent laissé de marbre. Mais les critiques exprimées dans la majorité (par Alain Juppé, notamment), au sein même du gouvernement (par Hervé Morin ou Rama Yade), ou encore par la voix de la patronne des patrons, Laurence Parisot, ont eu raison de son impavidité.

Les dégâts provoqués par Edvige risquaient d'être d'autant plus sérieux qu'ils touchent le territoire favori du président de la République : celui de la sécurité. Pragmatique, Nicolas Sarkozy a donc décidé de lâcher du lest. Ce recul sonne comme un aveu. Demander à la ministre de l'intérieur d'organiser une concertation afin de préparer "des décisions pour protéger les libertés publiques" revient à admettre, à la fois, que les discussions préalables à la création de ce fichier avaient été insuffisantes et que lesdites libertés étaient menacées.

Reste à analyser les garanties que le gouvernement offrira à tous ceux que ce fichier trouble ou inquiète. Les pistes déjà évoquées ne sont pas négligeables, qu'il s'agisse du fichage des personnalités politiques, économiques ou sociales, que le chef de l'Etat juge superfétatoire, ou encore des informations - inacceptables - sur la sexualité ou la santé des personnes, ou enfin des conditions de fichage des mineurs à partir de 13 ans. Dans ces affaires, le diable se niche volontiers dans les détails, et la vigilance s'imposera quand ces modifications éventuelles seront formalisées.

Pour l'heure, cependant, la philosophie même du fichier Edvige n'est pas remise en cause. Son champ 25 d'application - censé toucher toute personne ou organisation "susceptible de porter atteinte à l'ordre public", ainsi que son "environnement" et ses "relations" - reste trop étendu et flou pour ne pas inquiéter. D'autant que d'autres fichiers similaires (comme Cristina) échappent, pour l'heure, à la controverse.

Il n'empêche : pour la première fois depuis les attentats du 11 septembre 2001 à New York, les citoyens s'insurgent contre le renforcement indéfini des mesures de sécurité et se mobilisent pour la défense des libertés. C'est salutaire.

Document 16 Commerce équitable : l'âge de raison LE MONDE, 25.04.2008

Vingt ans après la création du label Max Havelaar, le commerce équitable, dont la 8e Quinzaine se tient en France du 26 avril au 11 mai, a décollé. Mais comment préserver les grands principes, rémunération, conditions de travail, développement durable, tout en attirant de nouveaux consommateurs ?

La 8e quinzaine du commerce équitable, organisée du 26 avril au 11 mai dans toute la France, est l'occasion d'évaluer les succès et les défis du secteur. Commençons par un détour au Mexique, à Ixtepec, chez les paysans de la coopérative Uciri. Ces Indiens zapotèques vivent dans les montagnes du sud de l'Etat d'Oaxaca, à quelques dizaines de kilomètres du Chiapas, dans des conditions d'une extrême rudesse. Ils ont constitué, il y a un peu moins de trente ans, avec l'aide d'un missionnaire néerlandais, Frans van der Hoff, un projet collectif agricole qui préfigure le système international Max Havelaar. Ces paysans montrent volontiers leur hangar, la nouvelle route, un camion qui permet d'effectuer les tournées de collecte de l'arabica, le bus scolaire qui évite aux enfants de marcher quatre heures pour rejoindre l'école, le hall du conseil, les ordinateurs, les étiquettes sur les sacs de café… Bref, tout ce qu'ils ont réussi à construire et à financer. Aujourd'hui, Uciri pourrait presque voler de ses propres ailes. La coopérative écoule une part de plus en plus importante de ses récoltes sur le marché conventionnel. Une autre coopérative brésilienne, Coagrosol, spécialisée dans les jus de fruits biologiques, partage cette " maturité ". Cela fait deux projets arrivés à l'âge adulte, sur les 632 soutenus cette année par l'organisation non gouvernementale Fairtrade Labelling Organizations (FLO), qui gère le label Fairtrade Max Havelaar.

L'idée d'un commerce plus juste a germé après l'appel " Le commerce, pas la charité ! " lancé en 1964 à la tribune de la Conférence des Nations unies sur le commerce et le développement (Cnuced). En 1969, le premier magasin est apparu aux Pays-Bas. En 1974, une boutique Artisans du monde a ouvert en France.

Le label Max Havelaar, nouveau système marchand alternatif de grande envergure, a été développé en 1988 par Frans van der Hoff et un ex-membre de l'ONG Solidaridad, Nico Roozen. Les deux hommes cherchaient à garantir des conditions de rémunération et de travail décentes aux petits producteurs pauvres et isolés, en favorisant le développement autonome et durable. Depuis vingt ans, les règles perdurent : un prix d'achat supérieur aux cours mondiaux (afin de couvrir les coûts de production) ; une

prime au développement (destinée à financer des équipements collectifs) ; l'organisation en coopérative (pour encourager la mise en place d'un système démocratique) ; le préfinancement des récoltes (afin de lutter contre le surendettement) ; et l'instauration de relations commerciales au long cours (qui évitent la spéculation).

Aujourd'hui, le succès commercial est réel pour le café, le produit historique du secteur, mais aussi pour la banane, qui est désormais dépassée par les fibres de coton (une filière mise en place en Afrique de l'Ouest en 2005). Selon TNS Worldpanel, qui mesure les achats réels d'un panel représentatif de 13 000 foyers, 26 22,5 % des ménages français ont acheté des produits labellisés Max Havelaar en 2007, pour un budget annuel moyen de 16 euros. Le logo bleu et vert sur fond noir figure sur plus de 80 % des produits vendus en commerce équitable dans le monde. Ce système bénéficie à 1,4 million de familles du Sud.

Le commerce équitable est devenu un business : 1,6 milliard d'euros de chiffre d'affaires en 2007 (+ 42 % par rapport à 2006), selon FLO International, dont 200 millions d'euros en France. Entre 2005 et 2007, le nombre total de foyers français consommateurs de produits équitables a progressé de 1,6 million, selon TNS. Et ce n'est pas fini. Une étude publiée en février à Londres par Datamonitor estime que " la sensibilité croissante des consommateurs aux achats éthiques " va faire décoller le marché. " Le consumérisme éthique va devenir une priorité, a confié l'auteur de l'étude, Nick Beevors, au site FoodProductionDaily.com. Les consommateurs vont choisir des marques qui se différencient activement, de façon transparente et crédible. " Les gammes s'étendent, la grande distribution cherche à élargir son offre, ou convertit ses approvisionnements. En Grande-Bretagne, Marks & Spencer a passé en 2007 toute son offre de café et de thé en équitable, suivi par Sainsbury's, pour les bananes et tout son thé.

NOUVEAUX DÉSÉQUILIBRES

Désormais, l'association FLO, installée aux Pays-Bas, s'organise comme une entreprise. Son nouveau patron en France, Joaquin Muñoz, un ancien consultant du cabinet Mars & co, parle " optimisation " des débouchés, gestion des " packagings ", développement des dosettes pour le café. Depuis janvier, la filiale FLO-Cert, qui garantit la fiabilité du système auprès des consommateurs, est certifiée ISO 65, ce qui atteste la transparence et l'indépendance de ses contrôles. Si les bénéfices sur le terrain sont tangibles, de nouveaux déséquilibres menacent aussi. " On est très soucieux de l'orientation politique du label, explique Tristan Lecomte, le patron de l'entreprise Alter Eco, qui a introduit en France des gammes complètes dans les grandes surfaces. Nous préférerions que FLO renforce l'existant, accompagne mieux les coopératives les plus fragiles. " Vingt-cinq personnes sont chargées de l'assistance sur le terrain chez FLO. C'est peu.

Voilà le chantier du label Fairtrade Max Havelaar : placer des garde-fous afin de protéger les filières capables de produire les produits les plus demandés, mais aussi aller jusqu'au bout de la vision politique initiale, en imaginant la route qui permettra à ceux qui sont prêts de basculer en douceur dans le système " classique ". A ce jour, cette question très polémique n'est pas évoquée dans le Livre blanc qui fixe la stratégie pour les années à venir.

Florence Amalou

Le 4e Forum national du commerce équitable à la Cité des sciences (Paris-19e), les 25 et 26 avril. Renseignements : www.forumequitable.org

Document 17 LE MONDE, 09.07.2008

Renault va avoir du mal à réaliser ses objectifs de vente

Il est désormais peu probable que Renault puisse atteindre en 2009 les objectifs commerciaux fixés par son président Carlos Ghosn en 2006 : vendre 3,3 millions de véhicules à partir de 2009, soit 800 000 unités de plus qu'en 2005. Mercredi 9 juillet, le constructeur automobile a annoncé qu'il avait vendu au premier semestre 1,3 million de véhicules dans le monde, un chiffre en hausse de 4,3 %.

Il y a quelques jours, M. Ghosn avait préparé les marchés financiers à de mauvaises nouvelles. Prudent, 27 Patrick Blain, directeur commercial du groupe, a indiqué que les ventes devraient enregistrer une croissance comprise "entre 5 % et 10 %", "avec une probabilité plus forte d'être dans le bas de la fourchette. Si le contexte économique reste en l'état ou continue à se dégrader, on sera dans le bas ; 10 %, c'est si les choses s'améliorent. Il ne faut pas l'exclure, même si cela paraît improbable". De fait, M. Ghosn a dit s'attendre à une rentrée "très difficile".

L'année avait plutôt bien démarré : entre janvier et mai, les ventes avaient augmenté de 6,5 %. Mais à partir du mois de juin, le groupe a constaté une baisse de ses commandes. "Il nous manque clairement des volumes (...)", a reconnu M. Blain. Et M. Ghosn n'exclut plus dorénavant un décrochage plus important, notamment en France, du fait de la baisse de l'indice de confiance des consommateurs.

Si les nouvelles sont très bonnes du côté du Brésil - où les ventes ont quasiment doublé - et de la Russie - où elles ont augmenté de plus de 25 % -, le ciel s'obscurcit en Iran, où le groupe n'a pu livrer que 24 000 Logan alors que 90 000 clients l'avaient prépayé en mars 2007. "Le niveau de production reste très en dessous de la demande des clients et de nos objectifs", reconnaît Renault. Initialement, le constructeur comptait vendre entre 200 000 et 250 000 véhicules.

En Inde, la Logan souffre d'un problème de positionnement. Considéré comme une voiture de milieu de gamme, le potentiel des ventes est inférieur à ce qu'avait envisagé Renault.

Il devrait donc manquer à Renault plusieurs milliards de chiffre d'affaires en 2009. "Or, si les profits ne sont pas générés par les ventes, ils devront l'être par la réduction des coûts", affirme un analyste qui ne voit pas comment Renault pourrait faire l'économie d'un plan de restructuration.

Dans ce contexte morose et malgré la baisse attendue du marché européen, PSA a semblé plus optimiste. Mardi 8 juillet, le groupe a confirmé ses objectifs d'une croissance des ventes d'environ 5 % pour 2008. En Europe, il mise sur ses petits véhicules économes en carburant. Au premier semestre 2008, Peugeot en a vendu 496 000, sur un peu plus de 1 million de véhicules.

Face à l'augmentation du coût de l'essence, les automobilistes achètent de plus en plus de véhicules de cette gamme. Les ventes des berlines du segment supérieur n'en finissent pas de chuter. Par conséquent, tous les constructeurs sont confrontés à une baisse de leur mix-produit (répartition de leur offre entre petites, moyennes et grandes voitures). Or, les petites voitures sont moins rentables que les grosses berlines : en moyenne, la marge est de 3 000 euros contre 5 000 euros. Selon une étude du Crédit suisse, la poursuite de ce changement du mix-produit pourrait coûter 700 millions d'euros sur les bénéfices des constructeurs européens en 2008 et en 2009.

Nathalie Brafman

Document 18 Lufthansa veut remettre en cause la suprématie d'Air France-KLM dans le ciel européen

LE MONDE, 23.09.2008

28 Qui d'Air France-KLM ou de Lufthansa gagnera la bataille du ciel européen ? Depuis plusieurs mois, les deux groupes aériens, conscients du rôle qu'ils ont à tenir dans la consolidation du transport aérien en Europe, sont à l'affût. Pour l'instant, British Airways se tient à l'écart de ces grandes manoeuvres, la compagnie britannique s'étant lancée dans un rapprochement avec l'espagnole Iberia.

Privatisation ou prise de participation, aucun dossier n'est étranger aux deux compagnies. "On assiste, en fait, à un véritable marquage à la culotte", note un spécialiste du secteur. Et de préciser que "la pertinence économique ne se vérifie pas à chaque fois".

"Bien souvent, explique-t-il, on s'intéresse à tel ou tel dossier pour une seule raison : que l'autre ne l'ait pas, sachant que finalement, le seul fait de s'y intéresser fera monter les enchères."

Les cibles potentielles ne manquent pas. Le ralentissement de l'activité économique et la flambée des cours du brut ont accentué les difficultés financières au sein d'un bon nombre de compagnies, obligeant ces dernières à rapidement trouver un adossement. La plus mal en point et, surtout celle dont le sort reste le plus incertain, est l'italienne Alitalia. Au bord de la faillite, la compagnie, endettée à hauteur de 1,2 milliard d'euros, perd 3 millions d'euros par jour et pourrait voir ses avions cloués au sol dès jeudi 25 septembre, faute de licence de vol.

Lufthansa et Air France-KLM ne sont officiellement - pour l'instant - plus candidat à la reprise de la compagnie transalpine. Pourtant, pour Air France, la reprise d'Alitalia a incontestablement du sens : la collaboration entretenue depuis plusieurs années avec Alitalia sur les lignes entre l'Italie et la France a toujours été très rentable pour les deux compagnies. Air France et Alitalia sont également membres de la même alliance, SkyTeam. En outre, Air France-KLM n'a jamais caché qu'elle était prête à aider Alitalia, en cas de reprise, à repartir à la conquête de son marché intérieur, le quatrième en Europe.

L'intérêt manifesté par Lufthansa est, lui, plus discutable : Alitalia ne fait pas partie de la même alliance et n'a pas d'accords commerciaux avec l'allemand. La candidature de Lufthansa relèverait d'une autre stratégie : empêcher Air France de mettre la main sur son homologue italienne.

Les deux majors se disputent aussi l'autrichienne Austrian Airlines (AUA). Air France aimerait s'en emparer. Cette démarche, à la fois tactique et stratégique, donnerait à la compagnie française une plus forte présence sur le marché des pays de l'Europe de l'Est au détriment de Lufthansa. Cette dernière, bien qu'elle y ait peu intérêt en terme de réseau - très proche du sien - s'y intéresse pour les mêmes raisons qu'Alitalia : compliquer la tâche d'Air France.

ENTRÉE TARDIVE

Mise à part Austrian, Lufthansa fait cavalier seul dans la course à la consolidation. Le nombre de "fers au feu" dont dispose le transporteur allemand témoigne de son ambition. Il vient de reprendre SN Brussels, l'ex-Sabena, et a des vues sur la scandinave SAS et la britannique BMI, ex-British Midland. Un intérêt évident pour Lufthansa : la compagnie allemande détient 30 % de BMI et SAS en possède 20 %. En

reprenant BMI, la compagnie allemande mettrait un pied solide à Londres-Heathrow, base de BMI. Enfin, toutes ces compagnies ont le mérite d'appartenir, comme Lufthansa, à la Star Alliance.

Pourquoi Lufthansa manifeste-t-elle un tel appétit ? Celle-ci est entrée tardivement dans le mouvement de consolidation du ciel européen. Certains observateurs notent qu'elle aurait au moins trois années à rattraper sur Air France, dont la fusion avec KLM remonte à 2004.

Lufthansa affrontera un certain nombre de problèmes non négligeables, car agréger plusieurs petites 29 compagnies présente la difficulté de devoir intégrer des personnels navigants techniques, c'est-à-dire des pilotes. Ainsi, la fusion entre Delta Airlines et Northwest, aux Etats-Unis, a-t-elle longtemps été suspendue à l'accord des pilotes. L'échec de la reprise d'Alitalia est, lui aussi, selon les observateurs, en partie imputable aux syndicats de pilotes.

François Bostnavaron

Document 19 Rétrolecture 1947 "Paris et le désert français"

LE MONDE, 15.07.2008

Dans un domaine qui n'est pas vraiment une pépinière de best-sellers, le livre de Jean-François Gravier, Paris et le désert français , a eu une carrière hors du commun. Plus qu'une référence, il reste un témoignage, un symbole : celui de la révolte contre une France déséquilibrée, entre une région-capitale écrasante, où tout se passe, et une province belle endormie qui suscite l'ennui et fait fuir les talents vers la Ville Lumière.

Lorsque le jeune géographe (né en 1915, il a alors 32 ans) publie en 1947, aux éditions du Portulan, il n'imagine pas que son essai (tiré à 3 000 exemplaires) puisse inspirer au général de Gaulle l'aménagement du territoire à la française et devenir la bible de la décentralisation. L'influence de Gravier se retrouverait même dans la "nouvelle société" de Jacques Chaban-Delmas, premier ministre de Georges Pompidou de 1969 à 1972.

En 1947, Le Monde ne rate pas Paris et le désert français , sans toutefois lui accorder une très grande place. Le supplément hebdomadaire "Une semaine dans Le Monde" du 25 octobre 1947 consacre environ une demi-colonne à ce "remarquable ouvrage". Même si l'auteur du papier cite surtout la préface de Raoul Dautry, ministre de la reconstruction et de l'urbanisme à la Libération.

Réédité une première fois en 1958 par Flammarion, Paris et le désert français est couronné par le Grand Prix d'histoire de l'Académie française, le prix Gobert, le 17 décembre 1959. L'écrivain Maurice Genevoix prononce l'éloge du récipiendaire et salue "un chef-d'oeuvre (...), un ouvrage bénéfique" dont les répercussions devraient être "considérables". En 1972, l'ouvrage est réédité une troisième fois, de nouveau par Flammarion.

A lire aujourd'hui les quelque 400 pages de l'édition de 1947, le "Gravier" correspond bien à l'empreinte qu'il a laissée dans la mémoire collective. La première partie, "Bilan", qui occupe la moitié de l'ouvrage, est un réquisitoire bourré de cartes, de chiffres, de tableaux. C'est elle qui a bâti la légende de Gravier. Dans un

style incisif, malgré les références constantes aux statistiques, l'auteur y décrit avec minutie cette exception française qui fait que le centralisme politique hérité de l'Ancien Régime a gagné, de proche en proche, les sphères économique, culturelle, éducative, jusqu'à faire de la centralisation parisienne la règle générale.

Le raisonnement de Jean-François Gravier est simple. Il défend la décentralisation au nom de l'efficacité, notamment économique, et du mieux-être des populations qui, à ses yeux, vont de pair. L'auteur considère que, comparée notamment à l'Allemagne - n'oublions pas que le livre sort deux ans après la guerre -, la France devrait rechercher, à long terme, un gain de presque 30 millions d'habitants, pour arriver à 73 30 millions, avec la production industrielle correspondante. Et il se demande si la centralisation est le meilleur moyen d'y arriver : "Peut-on fonder l'avenir d'une nation sur l'hémorragie interne ? Peut-on fonder sa renaissance sur le gonflement congestif de 4 % de son territoire et sur l'appauvrissement continu en hommes et en productions de la moitié de ses provinces ?" Gravier résume d'ailleurs en trois mots "les vrais problèmes français" : "population, énergie, investissement". L'auteur s'y montre adepte résolu du Plan et de "l'économie dirigée", qui prévaut à l'époque.

"TENTACULES"

Gravier est parfois utopique, excessif, verse dans l'autoritarisme pour servir sa volonté farouche de relancer la production. Mais l'ouvrage impressionne encore aujourd'hui par la force de ses descriptions, ses capacités d'anticipation. Ainsi, avec trente ans d'avance, le géographe (disparu en 2005) prône la création de 16 régions, chacune dirigée par un super-préfet. Il souligne la nécessité d'un "Grand Paris" d'environ 5 millions d'habitants, insiste sur les conséquences néfastes du laisser-faire urbanistique. Quant à la capitale elle-même, il déplore - en 1947 ! - que "Paris semble aménagé pour des automobiles et non pour des hommes - encore moins pour des enfants"...

Mais il y a une face souvent ignorée de Jean-François Gravier, son engagement idéologique dans la mouvance maurassienne. Un jeune universitaire, Antonin Guyader, rappelle que le géographe, qui signe alors "François Gravier", a été membre des étudiants royalistes d'Action française, puis a continué à graviter dans les milieux de la droite monarchiste, avant de travailler pour Vichy (La revue Idées 1941-1944. Des non-conformistes en Révolution nationale , L'Harmattan 2006). Plus tard, Gravier aurait été sensible aux idées du personnalisme chrétien.

Dans quelle mesure l'idéologie de jeunesse de Gravier a-t-elle pesé sur ses analyses ? Depuis la fin des années 1990, quelques auteurs dénoncent une inspiration pétainiste du Désert... Dans l'édition de 1947, Gravier montre une méfiance évidente envers les très grandes structures, qu'il s'agisse de la ville ou de l'entreprise, stigmatise "les tentacules" de Paris et des plus grandes villes.

Mais il cite aussi en exemple Milan ou la structure urbaine multipolaire de l'Allemagne, veut faire de Poitiers et Aix-en-Provence un Oxford et un Cambridge français, défend le rayonnement de la capitale et soutient que l'aura intellectuelle, culturelle, du Paris de la fin du XIXe siècle ne souffrait pas d'une population moins importante.

Le mouvement de repeuplement des campagnes, que souhaitait organiser Gravier, a d'ailleurs commencé aujourd'hui, à partir des bases mêmes qu'il évoquait : besoin d'espace, de nature, fuite de la saturation urbaine. Tandis que le poids démographique de l'Ile-de-France semble stabilisé, voire en légère baisse.

Au demeurant, ce poids toujours décisif malgré l'attraction des nouvelles métropoles régionales, l'asphyxie qui gagne la région parisienne, les problèmes inextricables de logement, de transport, de pollution, amène à se poser une question essentielle : si la prise de conscience accélérée par l'ouvrage de Jean-François Gravier n'avait pas eu lieu, quel serait le visage de la France d'aujourd'hui ?

Jean-Louis Andréani

31 Document 20 Faiza e i giudici francesi: passaporto negato alla mamma in burqa

La donna, marocchina, spinta a vestirsi così dal marito. «Abito contrario alla laicità». Niente cittadinanza

DAL NOSTRO CORRISPONDENTE PARIGI — Il burqa è incompatibile con il diritto alla cittadinanza? La libertà della donna si difende meglio con il rifiuto del passaporto? Sembra di sì, secondo il Consiglio di Stato, l'autorità della giurisprudenza francese, che ha respinto il ricorso di una donna marocchina con la motivazione: «difetto di assimilazione».

Un caso senza precedenti, che allarga il fossato fra norme e valori della società di accoglienza e la complessità di diritti e usanze di coloro che debbono integrarsi. Ma anche un caso limite, se si considera che la donna — Faiza M, 32 anni — vive in Francia da otto anni e parla correttamente la lingua di Voltaire. E' sposata con un cittadino francese, dal quale ha avuto tre figli, tutti nati in Francia. Avrebbe in sostanza i requisiti per ottenere la cittadinanza, come ha sostenuto nel ricorso: «Non ho mai voluto mettere in discussione i valori fondamentali della Repubblica», ha detto. In realtà, stando ai funzionari che hanno istruito il dossier, la donna si è presentata con il burqa a tre successivi colloqui. Accompagnata dal marito, Faiza M. ha detto di aver spontaneamente aderito alla lettura più rigorosa del Corano.

Ma il suo racconto aggiunge risvolti paradossali alla vicenda. La donna ha infatti riferito di non aver mai portato il burqa prima di venire in Francia, di avere assecondato la volontà del marito e di farlo «per abitudine più che per convinzione religiosa». E il rifiuto della cittadinanza viene motivato anche dalla condizione di sottomissione agli uomini della famiglia. «Non ha alcuna idea della laicità e del diritto di voto, le sue dichiarazioni rivelano la non adesione a valori fondamentali della società francese». Peccato che, per aderirvi, sia costretta a non considerarsi francese. «Con questo spirito, dovremmo chiederci se tutte le donne in condizioni di inferiorità o sottomissione abbiano diritto alla cittadinanza francese», dice Daniele Lochak, professore di diritto a Nanterre. E' la prima volta che la «pratica religiosa» viene annoverata fra i requisiti indispensabili per l'ottenimento della nazionalità. Finora era stata rifiutata a persone considerate vicine a movimenti fondamentalisti o segnalate per comportamenti e discorsi pubblici di natura radicale. In sostanza, potenzialmente pericolosi. Inoltre, le norme introdotte dal presidente Nicolas Sarkozy in materia di immigrazione, hanno alzato la soglia di controllo per quanto riguarda padronanza della lingua, conoscenza delle leggi della République e matrimoni di convenienza, oltre al fenomeno non trascurabile della poligamia. Mai però si era arrivati a considerare un'usanza o una pratica, quale il burqa, come un ostacolo all'ottenimento del passaporto. Nel giudizio, si è evidentemente tenuto conto della controversa legge sulla laicità dello Stato con cui si è voluto tracciare un confine netto fra identità religiosa, differenze culturali e «neutralità» della società e della scuola francese. Confine delineato da insigni giuristi e limitato alle scuole pubbliche e al rapporto del cittadino con l'amministrazione pubblica. Ma il divieto di

«ostentazione di simboli religiosi» resta molto vago nel paesaggio multiculturale della società francese e in particolare delle periferie.

La legge è stata riconosciuta da tutte le comunità di fedeli, nella pratica quotidiana usi e costumi sono accettati in nome di un principio altrettanto valido: quello della tolleranza, che ha avallato o subito piscine separate per donne, polemiche infinite negli ospedali pubblici (per il rifiuto di donne musulmane delle visite ginecologiche di medici maschi) e abbigliamenti (anche di altre religioni) per tradizione piuttosto visibili. Il burqa è ovviamente il caso limite: definisce in sé una condizione d'inferiorità e segregazione, in contrasto 32 con un principio universale di eguaglianza di diritti. D'altra parte, non sempre il rispetto del principio è l'unica soluzione. In Francia, ci sono casi di donne costrette a divorziare e a rimanere sole, con enormi difficoltà economiche, per uscire dalla condizione di poligamia. Recentemente, si è assistito a un'ondata di indignazione per la decisione del tribunale di Lilla di annullare un matrimonio fra due giovani musulmani, riconoscendo che la sposa aveva mentito sulla sua verginità e dando quindi ragione al marito. Sola voce discordante, la ministra della giustizia, Rachida Dati, di origini maghrebine, la quale si è almeno chiesta se l'annullamento non fosse un modo di proteggere la giovane da un matrimonio forzato.

Corriere della Sera. Massimo Nava, 12 luglio 2008

Document 21 Seine-Saint-Denis, naissance d'un ghetto

LE MONDE, 29.09.2008

SYMBOLE de la banlieue et de ses convulsions, le département de la Seine-Saint-Denis défraie régulièrement l'actualité avec ses faits divers et ses émeutes. Pour comprendre comment s'est construit un tel échec social et urbanistique, la cinéaste Yamina Benguigui, auteur de Mémoires d'immigrés, s'est plongée dans un siècle et demi d'histoire. Son long-métrage documentaire, 9/3, mémoire d'un territoire, est le fruit d'un riche travail d'enquête auprès des habitants et d'entretiens avec des spécialistes - historiens, sociologues, architectes ou politiques.

A l'aide de portraits actuels et d'archives originales, il se démarque résolument des reportages spectaculaires, catastrophistes ou naïfs, et privilégie l'analyse et l'explication. Le ton, pourtant, n'est jamais froid ni clinique : sous le savoir percent une empathie manifeste de la cinéaste pour ces populations délaissées et une colère sourde contre les pouvoirs successifs qui ont organisé leur relégation. "Sacrifiés", le mot revient dans la bouche de plusieurs experts, à propos de ce territoire et de ses habitants, tant la continuité des décisions politiques qui organisent le désastre est impressionnante.

L'histoire commence au XIXe siècle. Paris se veut Ville Lumière, phare international, et repousse ses industries extra-muros, vers l'est, afin que les fumées ne soient pas rabattues vers les quartiers aisés de l'Ouest. Des milliers d'industries lourdes et polluantes se concentrent ainsi sur les franges nord-est de la capitale. Des images montrent les sacs de sulfate d'ammoniaque maniés à main nue. "Les ouvriers travaillaient dans des conditions abominables, explique l'historien Alain Faure. Certaines usines étaient réputées être des mouroirs. Les ouvriers les appelaient des "Cayenne", en référence au bagne. "

CRISE GÉNÉRALE DU LOGEMENT

La main-d'oeuvre arrive des provinces françaises, puis d'Espagne, de Russie, d'Allemagne, de divers pays européens. Elle vit sur place, sans eau courante, sans éclairage, sans hygiène. La construction des usines précède celle des égouts : "Des enfants tombent et se brûlent dans les rejets d'eaux acides qui coulent en pleine rue", raconte l'historienne Anne-Cécile Lefort. A la veille de la guerre de 1914, les rabatteurs amènent des enfants d'Italie, puis d'Espagne pour travailler à l'usine, comme le montrent des images de gamins à des postes de travail dangereux.

Au lendemain de la seconde guerre mondiale, la crise générale du logement se traduit par la multiplication 33 des taudis : 200 000 en région parisienne, précise l'ancien ministre Pierre Sudreau. La main-d'oeuvre afflue depuis les colonies, car l'industrie a besoin de toujours plus de bras. Quand l'Etat décide de construire des grands ensembles, sur les 36 construits en région parisienne, 28 le sont en Seine-Saint-Denis. Il y enverra les populations démunies - rapatriés pauvres d'Algérie, Antillais amenés en masse sous de Gaulle pour désamorcer les révoltes des jeunes des îles... Ginette René, Guadeloupéenne de Bobigny, a fait partie de ces recrues : "Vous êtes une fille de 20 ans, pas mariée, vous avez un enfant, vous vivez encore chez vos parents faute de trouver du travail, et on vient vous promettre l'Eldorado. Vous n'hésitez pas, vous partez."

Jusqu'aux années 1950, la Seine-Saint-Denis ne compte aucun lycée et bien peu d'infrastructures sociales, à l'exception de celles mises en place par les élus communistes de cette "ceinture rouge". "J'ai été la seule élève de ma classe à aller au lycée, raconte Georgette Uloa, petite-fille d'immigrés espagnols. Il fallait prendre le métro pour se rendre à Paris. C'était un autre monde." L'historien Jacques Girault décrit "l'enfermement dans le milieu ouvrier", tout en précisant que l'identité ouvrière est alors vécue avec fierté.

La politique de déconcentration industrielle entraîne le départ de nombreuses usines et la perte des emplois qui en dépendent, tandis que les attributions de logements sociaux continuent à réunir les populations les plus pauvres. Commence alors l'ère du chômage, de la maladie, des drogues. "Certains parents ont perdu trois ou quatre enfants. Ils étaient dépassés et ne comprenaient pas ce qui arrivait", estime Yahia Bellakhal, dont le père, ancien ouvrier d'Idéal Standard, ne voulait pas avouer son licenciement : "Je me souviens de ses quintes de toux. Il voulait nous montrer qu'il était encore le héros de l'histoire, mais j'ai compris qu'il fallait aller voir ailleurs."

Les logements vieillissent mal, faute d'entretien : "Ils mettent les gens dans des ghettos, après on peut rester six mois sans ascenseur. On habite au 18e étage et il faut bien sortir", dénonce Ginette René.

UN TERRITOIRE POLLUÉ

Aujourd'hui, l'ensemble du territoire est gravement pollué, expliquent plusieurs experts. Les bombardements sur les usines pendant la seconde guerre mondiale, l'accumulation de matières dangereuses ont contribué à déposer dans les sous-sols des hydrocarbures, des métaux lourds, de l'arsenic, etc. Selon des études citées par Anne-Claire Lefort, acides sulfurique et citrique, soude et plomb ont contaminé les nappes phréatiques. Le dynamitage des barres d'immeuble, dans les années 1990, a projeté des poussières d'amiante dans tout le voisinage. De nombreuses écoles sont bâties à moins de 500 mètres d'un établissement gravement polluant.

La construction du stade de France et l'implantation de bureaux et d'entreprises à proximité dynamisent certaines zones du département. Mais les emplois ne concernent pas les habitants. Comme le déplore Georges Guilbert, ancien président de la chambre de commerce et d'industrie, "quand Air France a embauché 1 500 personnes à Tremblay-en-France, seulement cinq d'entre elles venaient du 93".

Lycéen vivant dans la cité des Bosquets, à Montfermeil, Abderrahim explique que ses frères ont tous fait des études supérieures. L'un est devenu chauffeur de taxi, après avoir envoyé en vain des centaines de CV. L'autre a fini par décrocher un emploi, grâce à une petite ruse : "Il a enlevé l'adresse "93 Montfermeil" et écrit "94 Vincennes". "

------

9/3, mémoire d'un territoire, lundi 29 septembre à 20 h 50 sur Canal+. Le film sortira en salle en fin 34 d'année..

Catherine Bédarida

Document 22 Generali mise 9 millions d'euros sur Zidane

L’ex numéro 10 de l’Equipe de France incarne la nouvelle signature de l’assureur, dans le domaine du mécénat social et de la responsabilité environnementale.

AMIS footeux, Zizou est de retour! Pas sur le terrain, ni pour vanter une eau de toilette, mais pour la marque Generali France. L’ex numéro 10 de l’Equipe de France incarne la nouvelle signature de l’assureur, "génération responsable", pour tout ce qui concerne l’engagement de l’entreprise dans le domaine du mécénat social et de la responsabilité environnementale. La campagne, d’un montant global de 9 millions d’euros, démarre le 10 septembre dans la presse quotidienne et le 14 à la télévision. Elle est signée de l’agence Leg, une entité de la nébuleuse Havas, et auteur, entre autres, des campagnes détonantes pour l’Eurostar, moult fois primées, ou encore des récentes pubs, façon Monty Python, pour SFR.

Zizou et les Generali sont de vieux complices. Lors du dernier Mondial de football, il y a deux ans, le joueur jouait déjà les porte-drapeaux pour la marque, comme ambassadeur pour la protection de l’environnement. Il avait aussi accepté de parrainer le premier monocoque du groupe, équipé en éoliennes et capteurs solaires, dans le cadre du Vendée Globe. Cette fois, le tandem va encore plus loin, puisque la nouvelle signature s’accompagne de la création d’une bourse aux projets innovants, en matière social ou environnementale. Une impulsion donnée par Claude Tendil, le patron de Generali France, pour booster notamment la notoriété et l’image de l’assureur dans l’Hexagone face au leader Axa.

Dans cette optique, choisir Zidane -"une marque en soi" selon le publicitaire Jacques Séguéla- est tout sauf anodin. Sorti du terrain, Zizou, dixit les experts, véhicule encore des valeurs universelles, telles la mixité, l’esprit d’équipe, l’engagement… Coup de boule ou pas, il reste une valeur sûre en marketing.

par Thuy-Diep Nguyen, Challenges, 04.09.2008

Document 23

LE MONDE, 25.09.2008 Editorial Les mots de la crise 35 Depuis que la crise des subprimes - ces crédits hypothécaires acrobatiques - a éclaté aux Etats-Unis à l'été 2007, chaque mois qui passe, et désormais chaque jour, accentue davantage les secousses qui ébranlent l'économie mondiale. Partie des marchés financiers, l'onde de choc a atteint celui des matières premières, fait s'effondrer une partie du système bancaire américain et met maintenant en danger l'économie "réelle", autrement dit la production, la croissance et l'emploi.

Aux Etats-Unis en premier lieu, mais par ricochet dans tous les pays, c'est une redoutable crise de confiance qui menace - en témoignent les doutes et le scepticisme que suscite le gigantesque plan de sauvetage bancaire annoncé par le gouvernement américain il y a quelques jours. Qui peut enrayer cette défiance ? Certainement pas, à ce stade, les principaux acteurs économiques, encore moins financiers, qui n'ont su ni mesurer ni maîtriser la folie des marchés - quand ils ne leur ont pas prêté la main.

Restent les factotums de la vie publique : les responsables politiques. Décriés, le plus souvent soupçonnés d'être des rhéteurs sans pouvoir, ils retrouvent là l'occasion de démontrer leur utilité. Mais le risque est évident. S'ils ne parlent pas, leur silence sera jugé coupable. S'ils parlent, le doute s'insinue immédiatement : quelle prise ont-ils réellement sur la crise ? George W. Bush vient de se livrer à l'exercice, sur un mode alarmiste, voire dramatique, sans craindre d'évoquer "une récession longue et douloureuse".

Toutes proportions gardées, le défi est le même pour Nicolas Sarkozy, qui devait s'exprimer à Toulon jeudi 25 septembre : trouver les mots pour éviter que l'inquiétude ne se transforme en "panique" (dixit G. W. Bush) ; mais sans laisser croire aux Français que la crise est sous contrôle, puisque rien ne permet, pour l'heure, d'affirmer qu'elle l'est.

Bref, le président de la République doit, autant que possible, rassurer sans endormir, expliquer sans affoler, reconnaître les limites de son pouvoir sans accentuer la défiance sur sa réalité même. En sachant que l'enjeu est décisif pour les trois années à venir : contrairement à son homologue américain, il n'est pas en fin de mandat.

Document 24 La scission de la Belgique serait ruineuse

LE MONDE, 15.09.2008. BRUXELLES CORRESPONDANT

Plus de 7 milliards d'euros : voilà ce que perdraient les trois régions belges (Flandre, Wallonie et Bruxelles) en cas d'éclatement du pays. Le chiffre - égal à 2,3 % du produit intérieur belge - a été établi par Rudy Aernoudt, un économiste libéral flamand. Ancien haut fonctionnaire, il dirige un cercle de réflexion et avance que la Wallonie perdrait quelque 4,9 milliards d'euros (6 % du PIB régional) par an avec la fin des transferts interrégionaux. Soit 1 400 euros par habitant. La Flandre, au lieu de gagner une importante

marge de manoeuvre, comme l'affirment ses dirigeants, perdrait 1,25 milliard, surtout parce qu'elle devrait procéder à de nombreux investissements. Le coût pour Bruxelles est évalué à 1 milliard.

M. Aernoudt prône dès lors le maintien d'un Etat fédéral qui, pourvu d'une administration plus efficace, préservant son rôle au sein de l'Europe et rationalisant les différents échelons de décision, gagnerait 21 milliards d'euros.

Si des économistes sont d'accord avec ces chiffres, le monde politique a réagi avec scepticisme. Parce que 36 l'analyse contredit l'idée, bien ancrée en Flandre, que davantage d'autonomie entraînerait automatiquement une "meilleure gouvernance" et une amélioration du bien-être. Des dirigeants flamands reprochent à l'auteur d'avoir négligé l'hypothèse d'un modèle plus réaliste que l'éclatement du pays : l'instauration du confédéralisme.

En Wallonie, les réactions sont plus virulentes. Michel Daerden, ministre PS du budget régional, maintient l'idée qu'une "nation francophone" réunissant la Wallonie et Bruxelles serait viable. Pour les dirigeants wallons, M. Aernoudt a le tort d'envisager le seul scénario de trois régions indépendantes. Le discours dominant chez les francophones évoque plutôt une alliance entre Wallons et Bruxellois dans l'hypothèse d'une scission du pays que précipiteraient les revendications flamandes. Il reste que cette hypothèse, plus rassurante pour la population francophone, a, elle aussi, ses faiblesses : les politiques flamands accepteraient très difficilement d'abandonner la capitale pour la voir ensuite s'allier à la Wallonie.

Jean-Claude Marcourt, ministre PS de l'économie régionale wallonne, s'en est pris à ce qu'il estime les a priori idéologiques de M. Aernoudt. Celui-ci prône, à tous les échelons, un "dégraissage" de l'administration.

A Bruxelles, le ministre-président régional Charles Picqué (PS) déplore que l'étude néglige le poids économique de la capitale et de la richesse qu'elle transfère indirectement vers les deux autres régions - 3 milliards à la Flandre et 1,6 milliard à la Wallonie. Bruxelles est le lieu où travaillent quotidiennement des centaines de milliers de Flamands et de Wallons, mais elle ne profite pas de leurs impôts, perçus sur le lieu de résidence.

Aucune des objections faites au travail de M. Aernoudt ne répond à l'un de ses constats : la régionalisation du pays a entraîné une perte d'efficacité de 15 % de l'administration, alors que ses effectifs ont enflé à tous les niveaux.

Jean-Pierre Stroobants