IFPEK Institut de formation en ergothérapie de Rennes

comprendre et gérer la fatigue dans le syndrome de Marfan

contribution de l'ergothérapie à l'identification d'un obstacle à la qualité de vie et à l'accompagnement des personnes concernées

UE 6.5.S6 : évaluation de la pratique professionnelle et recherche

Sarah Dufrêne

2013/2014 IFPEK Institut de formation en ergothérapie de Rennes

comprendre et gérer la fatigue dans le syndrome de Marfan

contribution de l'ergothérapie à l'identification d'un obstacle à la qualité de vie puis à l'accompagnement des personnes concernées

Sous la direction de Pascale LE MAUFF

UE 6.5.S6 : évaluation de la pratique professionnelle et recherche

Sarah Dufrêne

2013/2014 Remerciements

Ce mémoire n'aurait pas vu le jour sans la contribution de nombreuses personnes.

Je tiens à remercier :

Pascale Le Mauff, ma directrice de mémoire, pour ses remarques pertinentes et constructives, sa réactivité et sa capacité à s'adapter à cet accompagnement atypique.

Les membres de l'Association Française des Syndromes de Marfan et Apparentés, en particulier Laurence Lièvre, Paulette Morin et Philippe Brunet, pour leur soutien et leur disponibilité.

Le personnel des Centres de Compétence et du Centre National de Référence Marfan, notamment le Dr Thomas Édouard, le Pr Sylvie Odent et Sylvie Fourdrinoy (psychologue clinicienne) pour la diffusion des questionnaires, ainsi que le Dr Le Cointrec, le Dr Vigneron, le Dr Stheneur, et Mme Marcadet (psychologue clinicienne) pour les informations transmises

Le Dr Anne Child (St George's university of London) et Marilyn Conibear (ergothérapeute à la World Federation of Occupational Therapists) pour leur enthousiasme et les échanges constructifs dès le début de la réflexion

Les membres d'associations de patients porteurs de syndrome de Marfan pour leurs marques d'intérêt et la transmission de documentation : Helga Dydyk et Sue Tippin (Marfan Trust – UK), Amy Kaplan et Judy Richter (Marfan Foundation – USA), Sharmin Gandhi et Lisa Iliadis (Canadian Marfan Association)

Anne Morillon (sociologue), Denis Poinsot (enseignant en statistiques) et le Dr Bertrand Gagnière (épidémiologiste) pour leurs conseils méthodologiques sur le recueil et l'analyse de données

Toutes les personnes qui ont répondu au questionnaire, ainsi que les deux ergothérapeutes qui m'ont accordé un entretien exploratoire

Nathalie, pour la relecture, ses questionnements et son écoute active

Et enfin Cyrille, pour son soutien permanent : tu es le vent dans mes ailes. Résumé Le syndrome de Marfan est une maladie rare du tissu conjonctif provoquant de multiples déficiences. Les progrès médicaux ayant permis d'augmenter de 30 ans l'espérance de vie des porteurs, c'est maintenant la question de la qualité de vie qui émerge. Des travaux récents montrent que la principale plainte des intéressés concerne la fatigue. Les recherches bibliographiques et l'analyse de 184 questionnaires, remplis par des personnes ayant le syndrome de Marfan, explorent ce symptôme : sa fréquence, ses dimensions, ses causes, et ses conséquences sur les habitudes de vie des intéressés. Cette étude fait émerger des pistes d'intervention pour les soignants et en particulier l'ergothérapeute. D'abord, porter ce symptôme invalidant à la connaissance des soignants semble utile. Ensuite l'ergothérapeute pourrait agir pour limiter la fatigue, notamment sur certaines douleurs qui y contribuent. Enfin, il pourrait accompagner les personnes porteuses du syndrome de Marfan vers une gestion autonome de leur fatigue.

Mots-clés

ergothérapie qualité de vie fatigue syndrome de Marfan

Abstract is a rare disorder. It affects connective tissue, causing a large variety of impairments. Medical care has improved, increasing patients' life expectancy by 30 years. Now, hope about a better quality of life rises. Recent studies show that the main problem is fatigue. A review of literature and a study, involving 184 people with Marfan syndrome who filled a questionnaire out, were used to assess this symptom : its occurrence, its dimensions, its causes and its consequences on clients' occupational performance. This paper provides ideas for occupational therapy support. First, it may be usefull to share knowledge about fatigue with other healthcare practitioners. Then occupational therapists could help lower fatigue by acting on pain which contributes to it. At last, they also could provide guidance for the clients' benefit, empowering them so that they could manage their fatigue on their own.

Key-Words

occupational therapy quality of life fatigue Marfan syndrome Sommaire Introduction et question de départ...... 1 1 Contexte de l'étude et question de recherche...... 2 1.1 L'ergothérapeute, professionnel de santé compétent pour l'évaluation et l'amélioration de la qualité de vie...... 2 1.2 Syndrome de Marfan : premiers éléments...... 3 1.3 De la survie à la qualité de vie...... 5 1.4 Questionnement autour de la qualité de vie et de la fatigue...... 6 2 Apports théoriques : syndrome de Marfan et qualité de vie ...... 8 2.1 Cadre conceptuel de référence pour l'étude : le Processus de Production du Handicap (MDH-PPH2)...... 8 2.2 Le syndrome de Marfan vu sous l'angle du MDH-PPH2...... 9 2.3 Champs d'action possibles de l'ergothérapeute auprès des porteurs du syndrome de Marfan...... 20 3 Étude de la fatigue dans le syndrome de Marfan...... 22 3.1 Matériel et méthode...... 22 3.2 Analyse...... 26 3.3 Intérêts et limites de l'étude des données...... 39 3.4 Synthèse ...... 40 4 Proposition d'intervention...... 42 4.1 Porter à connaissance les résultats de l'étude de la fatigue...... 42 4.2 Agir directement pour limiter la fatigue...... 44 4.3 Accompagner vers une gestion autonome de la fatigue...... 47 5 Discussion...... 51 6 Conclusion...... 52 7 Bibliographie et sitographie...... 53 Annexes...... 60 Introduction et question de départ Etudiante en ergothérapie, je suis aussi membre d'une association ayant pour raison d'être « d'augmenter la qualité et l'espérance de vie de personnes atteintes » de maladies rares : l'Association Française des Syndromes de Marfan et Apparentés (AFSMA1, 2012). Le syndrome de Marfan est une maladie génétique du tissu conjonctif qui provoque des déficiences variables des systèmes cardiovasculaire, pulmonaire, musculo-squelettique, visuel et tégumentaire ; fatigue et douleurs y sont fréquemment associées. Un objectif majeur de l'association est de faire connaître les syndromes de Marfan et apparentés. C'est dans ce cadre que j'ai participé à l'organisation d'une conférence sur le syndrome de Marfan à l'Institut de Formation en Pédicurie- podologie, Ergothérapie et masso-Kinésithérapie de Rennes (IFPEK) en mai 2012 et écrit un article dans le Magazine Inter-Instituts de Formation en Ergothérapie.

A cette occasion, j'ai été surprise de ne pas trouver de documentation française spécifique portant sur l'accompagnement des personnes porteuses d'un syndrome de Marfan par des ergothérapeutes. Le Protocole National de Diagnostic et de Soins (PNDS) du syndrome de Marfan établi par la Haute Autorité de Santé (HAS), l'accès à l'ergothérapie est indiqué mais sans détails (HAS, 2008). La filière de diagnostic et de soins des personnes porteuses de ce syndrome est structurée, avec un Centre National de Référence et sept Centres de Compétence en métropole. Il n'y a pas d'ergothérapeute dans ces consultations spécialisées.

Un besoin d'accompagnement et de conseil est pourtant exprimé par les membres de l'association, d'où leur volonté d'intervenir, de se faire connaître des ergothérapeutes, et de pouvoir accéder plus nombreux aux prestations qu'offre cette profession. Lors de la conférence, ainsi que pendant les réunions régionales ou nationales, les membres de l'association évoquent spontanément des besoins dont la résolution semble parfois s'inscrire dans le champ de compétence de l'ergothérapie. Cela concerne la scolarité (ils ont d'ailleurs publié un dépliant "Enfants Marfan à l'école" décrivant des adaptations utiles), le travail, les activités de vie quotidienne, la gestion de douleurs chroniques, les relations avec les Maisons Départementales des Personnes Handicapées (MDPH). Certains membres de l'association bénéficient ponctuellement de séances d'ergothérapie et/ou d'aménagements préconisés par un ergothérapeute dans ces domaines. La satisfaction de ces besoins, auxquels pourraient répondre les ergothérapeutes, intéresse l'AFSMA qui, conformément à ses objectifs, œuvre pour augmenter la qualité de vie des personnes ayant un syndrome de Marfan.

Aussi, la question de départ de ce travail de recherche est la suivante : L'ergothérapie peut-elle contribuer à l'amélioration de qualité de vie souhaitée par les personnes porteuses de syndrome de Marfan ? 1 Les sigles sont explicités lors de leur première apparition dans le texte et dans le glossaire en annexe 1. Sarah Dufrêne Comprendre et gérer la fatigue dans le syndrome de Marfan 1 1 Contexte de l'étude et question de recherche La question de départ a différents aspects : Quelles sont les attentes prioritaires des personnes porteuses de syndrome de Marfan, en termes de qualité de vie ? Quelles interventions répondraient aux besoins les plus prégnants ? Quelle serait la place de l'ergothérapie dans la filière de prise en charge définie par la HAS ? Passer de cette question de départ à une véritable question de recherche suppose en préalable de définir les termes du questionnement initial.

1.1 L'ergothérapeute, professionnel de santé compétent pour l'évaluation et l'amélioration de la qualité de vie L'Organisation Mondiale de la Santé (OMS ; World Health Organisation, 1993) définit la qualité de vie : «perception qu'a un individu de sa place dans l'existence, dans le contexte de la culture et du système de valeurs dans lesquels il vit en relation avec ses objectifs, ses attentes, ses normes et ses inquiétudes. C'est un concept très large influencé de manière complexe par la santé physique du sujet, son état psychologique, son niveau d'indépendance, ses relations sociales ainsi que sa relation aux éléments essentiels de son environnement.» L'OMS souligne les liens entre qualité de vie, santé, indépendance, et environnement physique et social de la personne.

Plusieurs ergothérapeutes, tels que Morel-Bracq et Sève-Ferrieu, ont travaillé sur la question de l'évaluation de la qualité de vie. Selon Morel-Bracq (2001), « la qualité de vie s'apprécie d'après l'état objectif de la personne et d'après sa perception subjective de la situation. » Pour Sève- Ferrieu (2008) les échelles de qualité de vie comportent quatre secteurs indispensables : déficiences, accès à l'environnement, conséquences dans les activités de vie quotidienne, ressenti de bien-être et de satisfaction de la personne. Il faut donc trouver un outil d'évaluation comportant ces secteurs, permettant le recueil de données dans le temps imparti à cette recherche, et avec les moyens disponibles. Un autre critère incontournable est que l'outil « fasse sens pour le patient » (Sève-Ferrieu, 2008), puisqu'il doit exprimer sa perception subjective.

Dans le recueil Données probantes en ergothérapie de l'Association Nationale Française des Ergothérapeutes (ANFE), Trouvé et al. (2012) expliquent : « La santé et le bien-être sont intimement liés à la capacité d'une personne de participer aux activités normales de la vie (…). Il a également été démontré que l'amélioration ou le maintien de l'autonomie et de la capacité d'une personne de faire des choix, [d'agir, de s'adonner à ses activités,] et de gérer ses activités de vie quotidienne augmentent sa productivité personnelle et sa satisfaction envers la vie. » Trouvé et al. s'appuient sur l'arrêté du 5 juillet 20102, qui fonde la pratique de l'ergothérapie sur le lien entre activité humaine et santé en se centrant sur la personne (ou le groupe) dans un environnement médical ou quotidien, pour soigner, prévenir, réduire et compenser ses altérations et ses

2 Arrêté du 5 juillet 2010 relatif au diplôme d'état d'ergothérapeute – en annexe I de l'arrêté Sarah Dufrêne Comprendre et gérer la fatigue dans le syndrome de Marfan 2 limitations d'activité, améliorer ou maintenir son indépendance, son autonomie et son implication sociale. Ils affirment que « Ainsi, les ergothérapeutes sont des experts dans l'analyse de l'activité et du bien-être. Ils travaillent aux côtés des personnes afin de développer leurs compétences et maximiser leur qualité de vie, réduire leurs besoins de soutien et augmenter leur indépendance et leur autonomie. De nombreuses études internationales permettent aujourd'hui d'établir l'efficacité de l'ergothérapie auprès des personnes devant faire face aux conséquences des problèmes de santé et aux exigences des activités de la vie quotidienne, notamment en milieu ordinaire de vie. »

Pour parvenir à ce niveau d'expertise et d'efficacité, les ergothérapeutes ont une approche spécifique. Se basant sur une vision holistique et centrée sur la personne, ils appliquent un processus mettant en œuvre les dix compétences du référentiel métier3, notamment l'évaluation globale et le diagnostic ergothérapeutique ; la conception et la conduite d'une intervention ; la mise en œuvre et la conduite d'activités de soins, de rééducation et de réadaptation ; la conception, réalisation et/ou l'adaptation d'orthèses, d'aides techniques ou d'assistance technologiques et l'aménagement de l'environnement ; l'élaboration et la conduite d'une démarche d'éducation et de conseil (dont l’Éducation Thérapeutique du Patient : ETP) ; la conduite de relation avec le patient ; le travail en coopération avec différents acteurs (professionnels de santé, acteurs médico-sociaux, patient et son entourage...) ; et enfin, la formation et l'information de certains de ces acteurs.

L'approche holistique et centrée sur la personne est primordiale lorsqu'on étudie la qualité de vie : le contexte et le ressenti de la personne doivent être pris en compte autant que les éléments objectifs de son état de santé.

1.2 Syndrome de Marfan : premiers éléments 1.2.1 Épidémiologie et enjeu du diagnostic Le syndrome de Marfan a une prévalence évaluée selon les sources entre 1 / 3 000 (Judge et Dietz, 2005) et 1 / 10 000 (Shirley et Sponseller, 2009), stable partout dans le monde, sans variation selon l'origine ethnique ou le sexe. La valeur de 1 / 5 000 est communément retenue en France, soit environ 12 000 personnes porteuses en France actuellement (Jondeau, 2012). Ce syndrome a été décrit par le Dr à la fin du XIX ème siècle. Cependant il reste difficile à diagnostiquer en raison de son expression très variable (Stheneur et al., 2012) autant sur le plan inter-individuel4 que sur le plan intra-individuel (les signes s'amplifient souvent à la puberté). « [Le] pronostic vital est déterminé par l'atteinte aortique. Le pronostic fonctionnel dépend des atteintes ophtalmologiques et rhumatologiques. » (HAS, 2008). Un diagnostic aussi précoce que possible est un enjeu de santé publique, car il permet de limiter fortement le risque de

3 arrêté du 5 juillet 2010 relatif au diplôme d'état d'ergothérapeute – Annexe II de l'arrêté 4 Variabilité entre deux extrêmes : d'un côté, la forme néonatale, mortelle avant l'âge de 2 ans en l'absence de chirurgie cardiaque, de l'autre, la forme quasi-asymptomatique découverte lors d'une investigation génétique familiale autour d'une personne diagnostiquée, sachant que la maladie est héréditaire Sarah Dufrêne Comprendre et gérer la fatigue dans le syndrome de Marfan 3 décès par dissection aortique, ainsi que les risques de complications handicapantes pour l'individu et coûteuses pour la société. Les critères diagnostiques ont évolué avec les techniques médicales et scientifiques : critères dit « de Berlin » en 1986 incluant l'échographie cardiaque ; « critères nosologiques de Ghent » en 1996 très complets mais complexes d'utilisation et souvent inadaptés aux situations pédiatriques, « critères de Ghent révisés » en 2010 mettant en avant les signes aortiques, l'ectopie spécifique du cristallin, et la recherche d'une mutation génétique qui reste longue et coûteuse (Stheneur et al., 2012). Cette dernière classification fait apparaître l’appellation « Marfan potentiel » pour les situations équivoques jusqu'à l'âge de 20 ans. Les critères diagnostics de Ghent, mis au point pour une population occidentale, sont moins marqués dans d'autres populations (Akutsu et al., 2009). Ces signes divers, variables, souvent non décelables directement, rendent le diagnostic difficile. Le syndrome de Marfan est une maladie rare car sa prévalence est inférieure à 1 / 2 000. Elle n'est pas orpheline : un protocole de prise en charge est défini par la HAS, des traitements existent ; ces traitements ne sont pas curatifs mais ont une action avérée sur certains symptômes. 1.2.2 Parcours de soins et place de l'ergothérapie Le Protocole National de Diagnostic et de Soins (PNDS) est un document produit par la HAS en 2008. Il décrit « pour les professionnels de santé, la prise en charge optimale et le parcours de soins d'un malade atteint d'un syndrome de Marfan ou apparenté (...) à partir d'un centre spécialisé. » (HAS, 2008, p.3). Le syndrome de Marfan est une maladie génétique du tissu conjonctif provoquant des déficiences variables concernant plusieurs systèmes (cardiovasculaire, pulmonaire, musculo-squelettique, visuel et tégumentaire), d'où une variabilité dans la prise en charge. La filière de prise en charge selon la HAS est schématisée en annexe 2. Elle consiste, suite à la suspicion de diagnostic lors d'une consultation classique ou aux urgences, à réaliser un diagnostic puis un suivi biomédical à vie dans un centre spécialisé. Un psychologue, seul professionnel considéré comme paramédical présent dans les consultations spécialisées, est associé à l'équipe médicale multidisciplinaire.

Le PNDS indique deux cadres d'action de l'ergothérapeute dans le parcours de soins des porteurs de syndrome de Marfan. Le premier est précisément défini. Il s'agit d'un cadre spécifique d'action de l'ergothérapeute en rééducation-réadaptation : « L'ergothérapie se justifie : dès qu'une gêne fonctionnelle apparaît ; pour les essais de matériels et d'aides techniques ; pour aider les équipes de proximité à la mise en place des matériels : aide au choix et formation à l'utilisation. » (HAS, 2008, p.11-12). Le second cadre est mentionné en tant que possibilité, moins clairement délimité : l'ergothérapeute est identifié comme un des professionnels de santé intervenant auprès du patient et de son entourage dans l’Éducation Thérapeutique du Patient (ETP ; HAS, 2008, p. 9). Comme dans l'ensemble des préconisations de la HAS concernant les maladies chroniques, « l'ETP et

Sarah Dufrêne Comprendre et gérer la fatigue dans le syndrome de Marfan 4 l'adaptation du mode de vie des patients » constitue l'un des objectifs de la prise en charge. Pour les porteurs de syndrome de Marfan, la HAS prévoit que l'ETP se poursuive tout au long du parcours de soins et porte sur : les traitements ; l'accès aux ressources pour la prise en charge et les droits ; l'apprentissage de la gestion de la fatigue, du stress et de la vie au quotidien, de l'auto- rééducation et de l'entretien musculaire ; les gestes et techniques ; les efforts physiques.

Ces deux niveaux de définition du rôle de l'ergothérapeute, l'un très précis, l'autre plus vague, suscitent des interrogations sur l'accès réel des patients à l'ergothérapie dans ce parcours de soin. En pratique, les médecins du centre de référence feraient peu appel à des ergothérapeutes : les rhumatologues les connaissent pour les orthèses et les positionnements antalgiques. Leur équipe a connaissance de quelques enfants ayant une atteinte sévère qui ont recours à une rééducation ergothérapeutique, ce qui serait d'ailleurs plus fréquent dans le centre de compétence de . Une ergothérapeute ayant accompagné une personne porteuse du syndrome de Marfan dans le cadre de soins de suite a témoigné de réelles difficultés à trouver des ressources correspondant aux préconisations de la HAS, et en particulier le mode d'accès à l'ETP spécifique. Enfin, le point de vue des patients a été recherché. Paulette Morin, présidente d'honneur de l'AFSMA et cadre de santé, évoque l'intérêt d'une intervention en ergothérapie auprès des enfants (rééducation de l'écriture, adaptation du mobilier scolaire, aménagements organisationnels) et des adultes (rééducation post-chirurgicale, aménagement de poste de travail). Pour elle, parmi les professionnels de santé, « les ergothérapeutes sont ceux qui prennent vraiment en compte la fatigue » . Quelques personnes avec ce syndrome, rencontrées aux journées nationales de l'AFSMA en 2012 et 2013 ont confirmé ces attentes. Ainsi, les personnes porteuses du syndrome de Marfan semblent assez rarement avoir accès à l'ergothérapie. Les apports identifiés de l'ergothérapie concerneraient l'appareillage (aides techniques, orthèses), les aménagements matériels et certains aspects très spécifiques de rééducation chez les enfants. Les besoins sont-ils faibles et donc intégralement couverts par ce recours limité principalement aux aspects matériels ? Pourquoi ne retrouve-t-on pas la notion d'ETP, à laquelle la HAS propose d'associer des ergothérapeutes ? Y aurait-il des besoins existants, mais non pris en compte ? Si tel est le cas, faut-il l'attribuer à une méconnaissance de l'ergothérapie par les médecins prescripteurs et par les patients ?

1.3 De la survie à la qualité de vie

Comme pour de nombreuses autres pathologies graves, les progrès médicaux ont considérablement amélioré le pronostic vital, du moins dans les pays occidentaux. En l'absence de traitements par bêta-bloquant et suite aux difficultés de diagnostic déjà évoquées (paragraphe 1.2.1), 90% des personnes porteuses de ce syndrome décédaient de complications cardio- vasculaires ; l'espérance de vie était de 32 (moyenne) à 48 ans (médiane ; Hasan et al., 2007). Sarah Dufrêne Comprendre et gérer la fatigue dans le syndrome de Marfan 5 « Depuis 30 ans, les connaissances cliniques, génétiques et thérapeutiques [cardiologiques] du syndrome de Marfan ont fait d'énormes progrès, et ainsi les 30 dernières années se sont accompagnées d'un gain de 30 ans de l'espérance de vie » (Stheneur et al., 2012). L'espérance de vie des personnes suivies et observant régulièrement leur traitement est maintenant proche de la moyenne nationale (Jondeau, 2010). Pour les équipes médicales spécialisées et pour les associations de patients, il y a donc maintenant deux enjeux dans la prise en charge. D'une part, le diagnostic, bien qu'il reste difficile à établir, est primordial : il conditionne l'espérance de vie. Mais, d'autre part, pour les personnes et les familles diagnostiquées et observantes de leur suivi, après la question de la « quantité » de vie apparaissent des attentes concernant la qualité de vie. Ainsi, Philippe Brunet, président de l'AFSMA, indique l'intérêt de l'association pour les recherches portant sur la fatigue, la douleur, le vieillissement, et la qualité de vie, lors du 17ème rendez-vous annuel5 en 2013.

1.4 Questionnement autour de la qualité de vie et de la fatigue Le syndrome de Marfan est une pathologie dont les symptômes et conséquences sont nombreux et divers. Dans cette pléiade de manifestations, une plainte particulière retient l'attention : celle de la fatigue. Qu'est-ce qui explique la sensibilité vis-à-vis de cette plainte ? Est-ce sa subjectivité, la difficulté à l'appréhender et le manque d'explications médicales qui aiguisent la curiosité scientifique ? Ou bien, dans le discours des interlocuteurs, peut-on percevoir l'importance particulière de la fatigue de leur point de vue ? En tout cas, à chaque fois que le concept réapparaissait, il est venu imprégner le raisonnement, que ce soit dans les discussions informelles avec les membres de l'association, au cours de l'intervention de Paulette Morin à l'IFPEK (« les ergothérapeutes sont ceux qui prennent vraiment en compte la fatigue »), dans le discours de Philippe Brunet lors du 17ème rendez-vous annuel (« un intérêt de l'AFSMA pour des recherches portant sur la fatigue, la douleur, le vieillissement et la qualité de vie »), ou encore au cours de lectures des ouvrages destinés aux patients. Pourtant il fallait se rendre à l'évidence : aucune publication scientifique ne venait éclairer la fatigue dans le syndrome de Marfan. Devant cette absence, il paraissait donc probable qu'il s'agisse d'un détail, au mieux d'un symptôme réel mais ponctuel, dont les membres actifs de l'AFSMA seraient plus atteints que d'autres, d'où un discours peut-être orienté. C'est pourquoi, lors des recherches préliminaires pour ce mémoire, la démarche a d'abord consisté à recenser l'ensemble des éléments qui pouvaient dégrader la qualité de vie des personnes avec le syndrome de Marfan... parmi lesquels la fatigue réapparaissait toujours ! C'est finalement l'une des rares études cliniques portant sur la qualité de vie des porteurs de syndrome

5 Ces rendez-vous sont une journée annuelle nationale de rencontre, d'information et d'échanges entre les personnes porteuses du syndrome de Marfan, le personnel des centres de référence et de compétence, ainsi que des intervenants extérieurs : chercheur et professionnels du secteur médico-social. Sarah Dufrêne Comprendre et gérer la fatigue dans le syndrome de Marfan 6 de Marfan, menée par une équipe norvégienne (Rand-Hendricksen et al., 2010), qui a poussé à explorer le champ de la fatigue dans ce syndrome. Cette étude conclut que le facteur le plus dégradé dans la qualité de vie des intéressés est le facteur « vitalité », composé des ressentis d'enthousiasme, d'énergie, d'épuisement et de fatigue. Aussi cette recherche s'applique finalement à explorer la fatigue dans le syndrome de Marfan.

Cette fatigue existe-t-elle ? Si oui, est-elle différente de la fatigue usuelle dans la population générale ? Le cas échéant quelles sont ses conséquences sur les habitudes de vie de celles et ceux qui la subissent ? Si cette fatigue et ses conséquences étaient avérées, l'ergothérapie serait- elle en mesure de proposer des éléments d'amélioration aux intéressés ?

Le recueil de données pour le mémoire était donc en cours, avec encore des doutes sur le bien- fondé de cette recherche, lorsqu'une nouvelle publication de l'équipe norvégienne (Bathen et al., 2014) est venue y apporter un nouvel éclairage. L'article s'intitule « Fatigue chez les adultes avec un syndrome de Marfan, fréquence, et association à la douleur et d'autres facteurs. ». Il rend compte d'une recherche clinique sur un symptôme reconnu comme sévère et nécessitant des recherches complémentaires. Ce mémoire invite donc le lecteur à parcourir cette démarche inductive, c'est à dire initiée à partir d'observations du terrain, qui emprunte aussi à la recherche-action, en référence au positionnement personnel décrit dans l'introduction et à la mobilisation d'une association de patients pour faire aboutir une recherche la concernant. Le doute a contribué à vérifier sans complaisance la réalité des éléments avancés.

Ces réflexions amènent à formuler la question de recherche ainsi :

Comment mieux comprendre la fatigue, facteur majeur de la qualité de vie des personnes porteuses de syndrome de Marfan ? L'ergothérapie pourrait-elle faire des propositions pour améliorer le ressenti de qualité de vie par les intéressés ?

Pour y répondre, il est nécessaire d'expliquer comment le syndrome de Marfan et la fatigue influent sur la qualité de vie en créant des situations de handicap, repérer les principaux obstacles à la qualité de vie. Ensuite, il faut explorer cette fatigue pour identifier le cas échéant si certains paramètres la concernant peuvent être atténués par un recours à l'ergothérapie.

Sarah Dufrêne Comprendre et gérer la fatigue dans le syndrome de Marfan 7 2 Apports théoriques : syndrome de Marfan et qualité de vie 2.1 Cadre conceptuel de référence pour l'étude : le Processus de Production du Handicap (MDH-PPH2) Margot-Cattin (2005) explique la vision globale que l'ergothérapeute porte sur la personne, et les corrèle à la notion de qualité de vie. La personne est vue « comme un système, dont le tout est supérieur à la somme des éléments qui le composent. L'individu est considéré à plusieurs niveaux en interrelation : organiques (cellules et tissus), systémiques (organes et systèmes), personnel (corps et esprit) et socioculturel (groupes sociaux et culturels). (...) le bien-être et la qualité de vie d'un individu ne vont pas dépendre que de l'une ou l'autre de ces dimensions. Une altération de l'une d'entre elles aura certainement des répercussions sur les autres et donc sur l'individu dans sa globalité. » Après avoir identifié les éléments minorant la qualité de vie, empêchant la personne de s'investir dans les activités qui font sens pour elle, l'ergothérapeute va agir pour faciliter ces activités. Cette action porte « sur deux axes : l'environnement, ce qui induira un changement sur la forme de l'activité ; ou sur la personne, ce qui entraînera un changement sur la performance. »

Cette conception systémique se retrouve dans le Processus de Production du Handicap (PPH), un modèle conceptuel centré sur la personne. Il a été développé dans les années 1990 par Patrick Fougeyrollas, docteur en anthropologie spécialisé dans l’étude du phénomène de construction sociale du handicap, qui a activement participé aux travaux de l'OMS pour la construction et l'évolution de la Classification Internationale du Handicap (CIH) dans les années 1980. Avec son équipe de recherche, il a développé le PPH afin de rendre compte d'une part de l'importance des facteurs environnementaux, et d'autre part des interactions entre les facteurs intrinsèques et les facteurs situationnels dans la genèse des situations de handicap. Il a aussi développé avec Luc Noreau des instruments de mesure des habitudes de vie et des déterminants environnementaux. La version réactualisée de ce modèle, le MDH-PPH2 (Fougeyrollas, 2010) prend en compte les maladies génétiques et congénitales. La prise en compte de différents niveaux dans les facteurs liés à la personne, de l'environnement social et humain, des interactions entre ces paramètres et les habitudes de vie, et l'application aux maladies génétiques, sont des points forts qui justifient le choix de ce modèle pour exposer comment le syndrome de Marfan et la fatigue influent sur la qualité de vie en perturbant les habitudes de vie. Enfin l'existence d'instruments de mesure est intéressante pour le recueil de données : ces instruments pourraient être utilisés ou adaptés à la recherche envisagée.

L'impact du syndrome de Marfan sur les porteurs varie d'une personne à l'autre. Le modèle du MDH-PPH2 est centré sur les personnes mais aussi utilisable pour les études de population6. Il

6 Fougeyrollas, 2010, page 174. Sarah Dufrêne Comprendre et gérer la fatigue dans le syndrome de Marfan 8 « illustre la dynamique du processus interactif entre les facteurs personnels (intrinsèques), les facteurs environnementaux (extrinsèques) et la réalisation des habitudes de vie » (Illustration 1), c'est-à-dire des activités qui ont un sens pour la personne, qui « assurent la survie et l'épanouissement de la personne » (Fougeyrollas, 2010). Morel-Bracq (2001), dans le cadre de publications des travaux de recherche du réseau européen des écoles d'ergothérapie ENOTHE, décrit le lien entre ces activités et la qualité de vie, et précise que « l'ergothérapie est une profession qui vise à rendre la personne capable de s'engager dans des activités qui ont du sens pour elle et amélioreront sa qualité de vie ». C'est pourquoi le modèle MDH-PPH2 permet de se créer une représentation de l'impact du syndrome de Marfan et de la fatigue, des interactions avec leurs habitudes de vie, et donc d'établir un lien avec la qualité de vie. Le modèle du développement humain – Processus de production du handicap (MDH-PPH2) Fougeyrollas, 2010

Légende : FP : facteurs protecteurs FR : facteurs de risque Facteurs identitaires / Facteurs environnementaux : F : facilitateur O : obstacle Systèmes organiques : I : intégrité D : Déficience Aptitudes : C : capacités I : incapacités Habitudes de vie : SPS : situation de participation sociale SH : situation de handicap Illustration 1 : le modèle MDH-PPH2 (Fougeyrollas, 2010)

2.2 Le syndrome de Marfan vu sous l'angle du MDH-PPH2 Un premier travail était de rechercher des sources écrites sur le syndrome de Marfan et de les organiser selon le modèle choisi. Il devait s'agir d'études scientifiques fiables, de démarches fondées sur les preuves, ou de textes écrits par des associations de patients d'envergure nationale sous le contrôle de médecins des centres de références nationaux, tels que le Pr Jondeau en France ou le Dr Child au Royaume-Uni. Outre les articles référencés dans les bases de données telles que PubMed, de nombreux documents de référence ont été envoyés par le Marfan Trust (Royaume-Uni), la Canadian Marfan Association (Canada) et la Marfan Foundation (Etats-Unis).

Sarah Dufrêne Comprendre et gérer la fatigue dans le syndrome de Marfan 9 Pour chaque personne porteuse de la maladie, les facteurs personnels ne se limitent pas à la pathologie. Mais, dans le cadre d'une étude de population, nous ne pouvons présenter que les facteurs communs à l'ensemble des porteurs du syndrome de Marfan. 2.2.1 Facteurs personnels et syndrome de Marfan Fougeyrollas (2010) définit les facteurs personnels comme « les systèmes organiques (le corps), les aptitudes (la fonctionnalité) et les facteurs identitaires. » La plupart des facteurs identitaires sont variables : âge, sexe, objectifs de vie, histoire, valeurs, compétences, statut, revenus, etc. Seuls le diagnostic de syndrome de Marfan et son étiologie sont communs à cette population. 2.2.1.1 Un facteur identitaire lié à la maladie : l'étiologie Cette maladie est génétique autosomique et dominante7. Selon les sources, 15 à 30% des proposants8 ont une néo-mutation, donc pas d'ascendant atteint. Le gène muté code pour la fibriline, protéine du tissu conjonctif. L'expression de la maladie varie d'une personne à l'autre, y compris au sein de la même famille (Jondeau, 2012). Les porteurs grandissent avec ce tissu déficient et les limitations qui en découlent, ce qui influence leur développement. 2.2.1.2 Intégrités et déficiences : un tableau variable et évolutif Le tissu conjonctif altéré dans la quasi-totalité de l'organisme explique le nombre de systèmes atteints. Les atteintes possibles à tous les âges sont :

Système organique9 Intégrité10 / déficience11 due au Syndrome de Marfan (possible à tout âge) Système nerveux Globalement intègre12 , mais des hypothèses d'un lien entre ectasie de la dure-mère lombo-sacrée, fréquente, et une partie des douleurs lombaires (Jones, et al.,2007) – 91% souffrent de douleurs au dos (Philippon, 2009) Système auriculaire Intègre Système oculaire 77% souffrent de tensions oculaires. Myopie sévère et astigmatisme fréquents. Risque d'ectopie ou de luxation du cristallin, de décollement de rétine. Glaucome et cataracte plus fréquents et précoces que la norme. (Philippon, 2009) Système digestif Intègre Système respiratoire Défaut d'élasticité de la paroi alvéolaire : risque élevé de bulle apicale, de pneumo- thorax spontané, risque accru d'emphysème (Philippon, 2009). Capacité pulmonaire réduite par rapport à la taille (Evans et Geddes, 200213) Système cutané Peau fine et vergetures à localisation atypique. (Philippon, 2009)

7 Une personne porteuse a 1 risque sur 2 de transmettre le gène défectueux à chacun de ses enfants, sans distinction de sexe, et la présence de ce gène en un exemplaire suffit à l'expression de la maladie 8 Premier malade diagnostiqué pour une affection génétique, déclenchant une enquête génétique familiale. 9 Système organique (Fougeyrollas et al., 1998) : ensemble de composantes corporelles visant une fonction commune. 10 Intégrité (Fougeyrollas et al., 1998) : qualité d'un système organique inaltéré 11 Déficience (Fougeyrollas et al., 1998) : degré d'atteinte au niveau de la structure (anatomique, histologique) ou du fonctionnement (physiologique) d'un système organique. 12 L'ectasie de la dure-mère lombo-sacrée est fréquente mais ses conséquences ne sont pas encore bien connues (Jones, Sponseller, Erkulla, et al.,2007) ; de même pour des anomalies du rachis cervical (Shirley et Sponseller, 2009) 13 Chapitre « Pulmonary manifestations of Marfan Syndrome » dans Child et Briggs, 2002 Sarah Dufrêne Comprendre et gérer la fatigue dans le syndrome de Marfan 10 Système organique Intégrité / déficience due au Syndrome de Marfan (possible à tout âge) Système Dilatation aortique : risque élevé de dissection aortique ; prolapsus mitral (Philippon cardiovasculaire 2009). Système sanguin Intègre et immunitaire Système urinaire Intègre, sauf spécificités après 50 ans Système endocrinien Intègre Sys. reproducteur Intègre, sauf spécificités après 50 ans Système musculaire Fibres musculaires altérées, hypotoniques (Jones, et al., 2007) : fatigabilité Hernies inguinales récurrentes chez certains porteurs (Philippon, 2009) Système squelettique * Hyperlaxité ligamentaire (Philippon, 2009) entraînant hypermobilité articulaire générale, entorses et luxations plus fréquentes (NFM, 2012) voire récurrentes (Pascal, 1995), pieds plats (Peijin, et al., 2009). * Croissance osseuse importante mais anormale, déformations et ostéopénie (Jones, et al, 2007). Palais ogival, chevauchement dentaire, thorax en carène ou en entonnoir, scoliose, arachnodactylie, et/ou protrusion acétabulaire (Philippon, 2009) Morphologie En lien avec le squelette : envergure supérieure à la taille, membres plus longs en proportion, minceur, taille souvent élevée, arachnodactylie (Pascal, 1995) Tableau 1: intégrités et déficiences dues au syndrome de Marfan, possibles à tous âges

Chez les porteurs du syndrome âgés de 50 ans et plus, d'autres déficiences peuvent apparaître. Les études sont moins nombreuses du fait de l'augmentation récente de l'espérance de vie.

Système organique Déficiences dues au Syndrome de Marfan, possibles après l'âge de 50 ans Système auditif possible légère sur-incidence d'hypoacousie (Child) Système oculaire Surincidence des déficiences. 63% ont un système oculaire détérioré : ectopie du cristallin, décollement de rétine (22% cumulent les 2), cataracte plus fréquente et plus précoce que la population générale. (Hasan et al., 2007) Système digestif Prolapsus rectal plus précoce que la norme s'il survient (Child et Rowntree, 2002) Système Arythmie fréquente (Hasan et al., 2007). 82% des femmes ont des varices cardiovasculaire veineuses, soit 2 fois plus que la population générale (Hasan et al., 2007). Hémor- roïdes plus précoces que la norme s'il y en a (Child et Rowntree, 2002) Système urinaire Prolapsus vesical plus précoce que la norme s'il survient. (Child et Rowntree, 2002) Sys. reproducteur Prolapsus utérin plus précoce que la norme s'il survient (Child et Rowntree, 2002) Système cutané Cicatrisation plus difficile avec l'âge (plus que la norme) avec risque d'infection, d'ulcération (Child) Système musculaire 44% des hommes présentent une hernie inguinale (Hasan et al., 2007) Déchirures tendineuses (Hasan et al., 2007) Système squelettique Arthrose, arthrite et hallux valgus précoces. Orteils en griffe ou en marteau. Déchirures ligamentaires. Épanchements intra-articulaires. (Hasan et al., 2007) Tableau 2: déficiences dues au syndrome de Marfan possibles à partir de 50 ans On note le vieillissement précoce des tissus élastiques, riches en fibriline. Hasan et al. (2007) concluent : «On peut considérer le syndrome de Marfan comme un modèle de vieillissement prématuré. Nos patients semblent souffrir de nombreux problèmes fréquemment rencontrés par la population générale, mais à des âges moins élevés et à des fréquences plus importantes. » Sarah Dufrêne Comprendre et gérer la fatigue dans le syndrome de Marfan 11 2.2.1.3 Capacités et incapacités Les aptitudes14 des porteurs du syndrome de Marfan découlent parfois, mais pas toujours, de leurs particularités organiques. Certains facteurs sont à mettre en lien avec l'aspect congénital de la maladie : survenue dès la naissance avec des conséquences sur la psychologie de l'individu et sur ses acquisitions. Les capacités et incapacités15 des personnes porteuses d'un syndrome de Marfan sont donc variables. Elles sont déclinées dans le tableau suivant.

Aptitude capacité / incapacité due au Syndrome de Marfan Activités - aucun retard mental (Child et al., 1993) ; quotient intellectuel normal, capacités intellectuelles d'intégration et de compréhension normales (Stheneur et al., 2012) - chez l'enfant : fatigabilité et problèmes de vue impactant les acquisitions et la participation (Bowyer et al., 2009 ; Child et al., 1993) Langage - compréhension normale (Stheneur et al., 2012) - oral : l'articulation peut être altérée : palais ogival, chevauchements dentaires (hypothèse personnelle suite à des observations de personnes porteuses) - écrit : performances écrites retardées par rapport aux verbales, potentiellement en lien avec la prise d'un traitement par bêta-bloquant (Child et al. 1993) ; ou bien (hypothèse personnelle) écriture rendue difficile par l'hyperlaxité ligamentaire dans la main, l'arachnodactylie (outils scripteurs non adaptés) et des problèmes de vue (coordination motrice et oculo-manuelle) Comportements - l'estime de soi et la sociabilité peuvent être altérées : introversion et difficultés relationnelles, notamment à l'adolescence, dues à une faible estime de soi et à des moqueries sur leur physique ; tendance à avoir moins d'amis que leurs pairs (Dawkins et al.). D'où un impact négatif sur l'affirmation de soi et la compétitivité16 (hypothèse personnelle suite à des observations de personnes porteuses) Sens et perception - douleurs chez 70 à 96% des porteurs du syndrome de Marfan (Shirley et al., 2009). « 91% des Marfan interrogés évoquent des douleurs de dos, 83% de douleurs articulaires, 76% de céphalées et 73% de tension oculaire. Les douleurs articulaires sont celles jugées les plus difficiles à supporter. » (Philippon, 2009). - vision (et audition) : selon les atteintes organiques Activités motrices - retard d’acquisition de posture, coordination, (Bowyer et al., 2009) motricité fine souvent altérée chez l'enfant (Stheneur et al., 2012) - activités motrices : limitées par les atteintes organiques (musculaires, cardiaques, ostéo-articulaires) et le traitement orthopédique temporaire (corset, orthèses) ou définitif (arthrodèse) des malformations du rachis, du thorax, et/ou des pieds. Respiration Apnée du sommeil possible, liée aux facteurs cardio-vasculaires (Taillé, 2013, 17ème journée nationale AFSMA) ou à la laxité des voies respiratoires (NFM, 2012) Digestion Capacité optimale Excrétion Chez les plus de 50 ans : nycturie et syndrome de vessie irritable plus fréquent et plus précoce que dans la population générale (Hasan et al., 2007)

14 Aptitude (Fougeyrollas et al., 1998) : possibilité pour une personne d'accomplir une activité physique ou mentale. Dimension intrinsèque d'un individu sans tenir compte de l'environnement. 15 (Fougeyrollas et al., 1998) : Capacité : expression positive d'une aptitude. Incapacité : degré de réduction d'un aptitude. 16 Compétitivité (Fougeyrollas et al., 1998) : aptitude à affronter des situations de concurrence, à rivaliser avec autrui Sarah Dufrêne Comprendre et gérer la fatigue dans le syndrome de Marfan 12 Aptitude capacité / incapacité due au Syndrome de Marfan Reproduction Grossesse et accouchement à risque cardio-vasculaire (Shirley et al., 2009). En France, le traitement systématique par bêta-bloquant interdit l'allaitement. Protection et Fatigue chez 89% des porteurs du syndrome de Marfan (Peters et al. 2001, cité par résistance Bathen et al., 2014). Manque de force et endurance (Bowyer et al., 2009). Fatigue limitant la participation et les acquisitions chez l'enfant (Bowyer et al., 2009 ; Child et al., 1993), augmentant aussi avec l'avancée en âge (Hasan et al., 2007) Tableau 3: Aptitudes en lien avec le syndrome de Marfan C'est donc au niveau des aptitudes qu'apparaît pour la première fois dans les recherches la notion de fatigue, concernant les enfants (semble-t-il uniquement pour les activités intellectuelles) et les adultes. Peu d'écrits en mesurent la fréquence : ceux de Peters et al. (2001, cité par Bathen et al., 2014 ; voir tableau 3), et en France, l'ouvrage de vulgarisation de Philippon (2009). Ce dernier écrit que "83% [des personnes avec un syndrome de Marfan] souffrent de fatigue [...]. Enfin, 44% ont mentionné des symptômes dépressifs". Or, ces derniers peuvent être liés à la fatigue psychique. 2.2.1.4 Définition et premières précisions sur la fatigue D'une façon générale, la fatigue serait difficile à comprendre. Selon Quéau et Pellegrin (2001), soignants français, la fatigue est multidimensionnelle d'où la nécessité d'une prise en charge interdisciplinaire ; il existerait plus de résistance culturelle à la prise en compte de la fatigue qu'à celle de la douleur. De plus, sa perception est subjective. Lewis et Wessely (1992) abondent dans ce sens. Ils indiquent que dans une étude du Washington Heights, la sensation permanente et générale de fatigue/faiblesse physique (weakness) « était considérée comme un symptôme « très grave » par seulement 6% des psychiatres et 9% des autres médecins, en faisant l'un des moins importants des 43 symptômes listés. A l'inverse, les patients considéraient le même symptôme comme l'un des plus importants de la liste. ». Cela évolue : une fatigue inhérente à la pathologie est prise en compte dans des pathologies (sclérose en plaques (SEP) et polyarthrite rhumatoïde (PR) par exemple), sans pour autant qu'on en ait parfaitement compris les mécanismes. Le Pr Chalès (2011 ; rhumatologue auteur de publications sur la PR) définit la fatigue. « La fatigue peut être physique ou psychique. Dans le premier cas, il s'agit volontiers d'une sensation subjective et durable de faiblesse (weakness), d'asthénie avec manque d'énergie (tiredness) ou d'épuisement (exhaustion), et dans le second, plutôt d'une sensation de lassitude avec manque d'envie (wearyness). « Subjective » implique qu'il s'agit d'un état ressenti par le patient, qui ne peut être évalué que par son appréciation personnelle. Ainsi définie, la fatigue est un mot utile pour nommer une plainte des patients, mais elle reste difficile à décrire et à expliquer. » Le même vocabulaire est fréquemment utilisé pour qualifier ces deux aspects, par exemple le terme lassitude est réservé par certains experts à la fatigue physique, alors que pour d'autres il qualifie la fatigue psychique.

Sarah Dufrêne Comprendre et gérer la fatigue dans le syndrome de Marfan 13 Selon les sources, on différencie ou non la fatigue « normale », qui cède avec le repos, de la fatigue pathologique. L'agence EmPatient (2012) explique que « la fatigue peut [...] être aussi définie comme : une sensation de lassitude décrite de façon variable, un état d'épuisement, un manque d'énergie, la perte d'ambition ou d'intérêt, une vitalité amoindrie, souvent accompagnée d'une sensation subjective de faiblesse et d'une forte envie de repos ou de sommeil. [...] L'asthénie correspond à une fatigue généralisée, disproportionnée par rapport au contexte, qui le plus souvent n'est pas soulagée par le repos. Il existe deux formes principales d'asthénie : l'asthénie somatique liée à diverses pathologies [...] et certaines toxicités médicamenteuses, l'asthénie d'origine psychique, le plus souvent liée à un état dépressif mais aussi à des états anxieux chroniques. » Finalement « le terme fatigue est préféré à celui d'asthénie, notamment parce qu'il s'agit du terme le plus parlant pour les patients. » Ainsi, il ne suffira pas de demander à un patient s'il éprouve plutôt du manque d'énergie ou plutôt de la lassitude pour comprendre quelles dimensions entrent en jeu dans sa fatigue. Une étude norvégienne très récente (Bathen et al., 2014) explore la fatigue dans le syndrome de Marfan. La Fatigue Severity Scale (FSS), outil unidimensionnel initialement validé auprès de porteurs de SEP, est utilisée auprès de 73 répondants. Elle ne permet pas de repérer les dimensions de la fatigue mises en jeu. L'étude quantifie la fréquence et l'intensité de la fatigue dans le syndrome de Marfan, comparée avec la population générale et d'autres maladies chroniques comme la PR. Ensuite elle cherche des corrélations entre le niveau de fatigue et des critères médicaux (facteurs aortiques, déficience visuelle, douleurs chroniques, traitement anti- hypertensif) et/ou sociaux (âge, genre, statut marital et d'emploi). Les chercheurs concluent que le niveau global de fatigue des porteurs de syndrome de Marfan est significativement plus élevé que celui de la population générale et des porteurs de PR. Cependant, la plupart des critères médicaux et sociaux n'expliquent pas la fatigue. Les deux seuls liens significatifs n'expliquent que 24% de la variance des scores de fatigue obtenus : d'autres facteurs existeraient. Le facteur majeur est la douleur chronique. La reconnaissance administrative d'une pension d'invalidité est un facteur mineur. Les chercheurs ne savent pas si la fatigue est la cause de l'invalidité ou l'inverse. Ils ne peuvent pas trancher concernant l'usage de traitement bêta-bloquant et la fatigue (effet secondaire possible) établi dans d'autres études. Ils concluent sur l'impact important de la fatigue dans la vie quotidienne des patients, et sur l'importance d'en tenir compte dans leur prise en charge médicale. Nous avons décrit les éléments correspondant, dans le modèle MDH-PPH2, aux facteurs personnels communs aux personnes porteuses du syndrome de Marfan. Il s'agit de l'étiologie, des systèmes organiques (la littérature scientifique s'attachant à décrire les déficiences) et des aptitudes, parmi lesquelles la fatigue apparaît au titre des incapacités. Il est intéressant de constater que le modèle choisi considère la fatigue comme une incapacité, c'est à dire comme un élément que l'on pourrait éventuellement atténuer par des mesures rééducatives ou réadaptatives. Sarah Dufrêne Comprendre et gérer la fatigue dans le syndrome de Marfan 14 Nous allons maintenant observer les facteurs contextuels, qui dans le modèle MDH-PPH2, interagissent avec les facteurs personnels ce qui a des conséquences sur la possibilité de réaliser ou non les habitudes de vie. 2.2.2 Facteurs macro-environnementaux Dans le MDH-PPH2, les facteurs environnementaux sont les facteurs physiques et sociaux du micro-environnement personnel, du méso-environnement communautaire et du macro- environnement sociétal. Leur modélisation tient compte des facteurs de protection et de risque pour les problèmes de santé, des facteurs obstacles et facilitateurs à la réalisation des habitudes de vie (illustration 1). Une étude de population ne peut décrire que le macro-environnement. 2.2.2.1 Facteurs sociaux Le système socio-sanitaire français est reconnu dans le monde comme protecteur et performant. Dès la suspicion du diagnostic du syndrome de Marfan, une prise en charge structurée (annexe 2) se met en place pour prévenir les complications et notamment la dissection aortique. La répartition des centres de compétence en métropole et leur organisation interne différente rend l'accès au suivi hétérogène. Ainsi, un parisien avec un syndrome de Marfan a accès, sur un site et une journée, à tous ses médecins spécialistes. A Rennes, la consultation oblige le patient a revenir à plusieurs semaines d'intervalle pour rencontrer les différents spécialistes sur deux sites différents. Pour sa part, un poitevin fera plusieurs centaines de kilomètres pour accéder aux centres de compétences. Leur existence reste Illustration 2 : centre de référence et malgré tout un avantage : en Suisse par exemple, les centres de compétence pour le Syndrome de Marfan (source : AFSMA) familles gèrent seules leur suivi. Sans qu'on puisse le chiffrer pour les personnes ayant un syndrome de Marfan, le handicap est source de diminution des revenus (exemple du taux de chômage : INSEE, 2010) et de coûts supplémentaires. Les financements pour la réadaptation existent, mais restent inégaux. Paulette Morin, de l'AFSMA, indique que les MDPH peuvent être sollicitées ; pour une maladie rare, la MDPH doit prendre contact avec le centre national de référence, mais ce serait rarement le cas. De plus, les symptômes difficiles à évaluer car subjectifs - tels que la fatigue - ne permettent pas à notre connaissance d'ouvrir des droits à compensation. En outre, la fatigue ne serait pas reconnue chez les jeunes malades. La mère d'un enfant porteur a indiqué lors du recueil de données : « la MDPH ne prend pas en compte la fatigue de l'enfant et de l'adolescent ! ».Par ailleurs, l'intégration scolaire et l'orientation scolaire optimale sont reconnues comme un droit aux enfants en situation de handicap. Mais la mise en place sur le terrain reste encore une question de volonté locale.

Sarah Dufrêne Comprendre et gérer la fatigue dans le syndrome de Marfan 15 2.2.2.2 Facteurs physiques (matériels) L'environnement matériel peut être obstacle ou facilitateur. En France métropolitaine, l'accessibilité des bâtiments ouverts au public est inégale ; les médicaments sont disponibles, d'ailleurs le traitement par bêta-bloquant est systématique en prévention du risque de dissection aortique dès le diagnostic (même chez les enfants), ce qui n'est pas le cas dans d'autre pays ; le climat tempéré soumet rarement le système cardio-vasculaire fragile à l'épreuve de températures extrêmes ; les équipements techniques, technologiques, électriques et électroniques omniprésents évitent certains efforts physiques dans le cadre privé ou professionnel ; les réseaux de communication très développés permettent l'accès à l'information et les contacts entre personnes concernées par cette maladie rare (auparavant l'éloignement géographique les isolait).

Les facteurs macro-environnementaux constituent donc une ressource importante même si elle est imparfaite, parfois méconnue ou mal répartie, qui peut prévenir l'apparition de complications et faciliter la réalisation des habitudes de vie des porteurs du syndrome de Marfan vivant en France métropolitaine.

On rappelle que par définition, le processus de production du handicap est une « chaîne causale où une suite de causes diverses engendrent des maladies ou des traumatismes, qui engendrent à leur tour des déficiences et des incapacités qui se conjuguent elles-mêmes à des obstacles et interagissent pour perturber les habitudes de vie. » (Blouin et Bergeron, 1997, p.60). Le dernier grand secteur décrit par le MDH-PPH2, que nous allons appliquer au syndrome de Marfan, est donc constitué par les habitudes de vie.

2.2.3 Habitudes de vie 2.2.3.1 Définition de l'habitude de vie « Une « habitude de vie » s'explique comme un activité courante ou un rôle social valorisé par la personne ou son contexte socio-culturel selon ses caractéristiques (âge, sexe, identité socio- culturelle, etc.). Les habitudes de vie [incluant les activités courantes et les rôles sociaux] assurent la survie et l'épanouissement d'une personne dans la société tout au long de son existence. [elles se mesurent] sur une échelle allant de la pleine participation sociale à la situation de handicap totale. » (Fougeyrollas, 2010). 2.2.3.2 Regards croisés sur les situations de handicap vécues par les personnes porteuses de syndrome de Marfan Les observations directes et échanges informels avec les personnes porteuses du syndrome de Marfan sont une source d'information. Mais la variabilité d'expression de la maladie s'ajoute à la diversité des personnalités et du vécu. Pour tenter d'objectiver la recherche, on peut utiliser une ressource particulière : les livres destinés aux enfants, jeunes et adultes récemment diagnostiqués

Sarah Dufrêne Comprendre et gérer la fatigue dans le syndrome de Marfan 16 pour les préparer aux difficultés quotidiennes liées à cette maladie. Ces livres promus par les associations de patients (AFSMA17, Marfan Foundation18) évoquent les problèmes jugés fréquents et importants. Ce point de vue a été croisé avec quelques études portant sur les situations vécues comme des situations de handicap par les personnes avec un syndrome de Marfan. Enfin, il a semblé utile d'y adjoindre des avis d'expertes, telles que le Dr Child, spécialiste du syndrome de Marfan, et d'une ergothérapeute française d'une structure consacrée aux maladies rares, contactée dans le cadre d'un entretien exploratoire (compte-rendu en annexe 3).

Les problèmes évoqués dans les ouvrages destinés aux principaux intéressés concernent : - les complexes liés à l'apparence, le manque de confiance en soi, la souffrance psychique - le risque de dissection aortique (y compris dans le cadre d'une grossesse), les craintes liées à l'opération, l'incurabilité de la maladie, les contraintes de traitement et de suivi permanents - les limitations physiques et leurs conséquences : les douleurs et la fatigue, la faiblesse physique, les problèmes de vue, et l'interdiction de certaines activités physiques. Les activités physiques interdites ne concernent pas uniquement la pratique sportive : les jeux et loisirs (tels que des manèges de parcs d'attraction par exemple) sont aussi cités. - des problèmes pratiques : d'habillement, de mobilier aux dimensions inadaptées, d'orientation scolaire ou professionnelle, d'emprunts bancaires et d'assurance. Il faut ici préciser qu'il n'y a pas de problème moteur dans l'habillement. La difficulté est de trouver des vêtements et chaussures, orthopédiques ou non, adaptés à leur morphologie et aux attentes sociales. - l'hérédité et le risque de transmission - les difficultés relationnelles : moqueries et exclusions par des pairs, inquiétude des proches

Illustration 3 : (Patron, 2008) : les ouvrages pour les enfants et jeunes concernés évoquent les difficultés quotidiennes, parmi lesquelles la fatigue est évoquée Les ouvrages de vulgarisation ne permettent pas de savoir quelles préoccupations sont les plus prégnantes. De Paepe et Van Tongerloo (1998) ont réalisé une étude exploratoire auprès de 17 adolescents et jeunes adultes "pour évaluer l'impact psychosocial de ce trouble sur la qualité de vie des patients". Deux tiers des patients évoquent l'impact des complications médicales, des moqueries et exclusions en raison de leur apparence physique, des choix relatifs à la parentalité (risques liés à la grossesse, transmissibilité de la maladie). La moitié des participants indiquent

17 Bakoumba ; Jeune et Marfan, oui, et alors? ; « Le quotidien » dans Les syndromes de Marfan et apparentés de Philippon 18 Marfan A to Z ; Marfan does not mean Martian ! ; A guide for teens ; Guide to Marfan syndrome Sarah Dufrêne Comprendre et gérer la fatigue dans le syndrome de Marfan 17 que la maladie a influencé leur scolarité en raison de troubles visuels, d'erreurs d'orientation, de la fatigabilité ou de la restriction des possibilités de choix. Les situations de handicap identifiées dans la vie quotidienne concernent trois secteurs. Le premier est l'habillement. Le second découle de troubles visuels sévères : conduite automobile, reconnaissance de visages, suivi d'émissions télévisées. Le troisième est une plainte unanime sur leurs loisirs, pouvant être supprimés par manque de temps -en lien avec la fatigue - ou modifiés car jugés incompatibles avec la pathologie.

Le Dr Child (Child et Briggs, 2002), se basant sur la littérature et son expérience, y ajoute : - les difficultés scolaires liées aux incapacités physiques et à la fatigue. - une dépression liée au sentiment d'être différent, à une image de leur corps difficilement supportée par certains adolescents, au cumul de pertes (ascendants ou descendants porteurs de la maladie, santé, emploi, divers espoirs et opportunités) ; les difficultés de couple quand le diagnostic d'un des conjoints est posé alors que le couple attend un enfant ou qu'il est né. - les difficultés d'assurance pour la santé, les emprunts, la retraite, cette dernière devant souvent être anticipée19. Nous pouvons y ajouter en France le système administratif pour accéder à une compensation du handicap (aide financière pour les aides techniques et humaines) décrites au paragraphe 2.2.2.1. C'est ce que confirme l'ergothérapeute spécialisée contactée lors d'un entretien exploratoire (annexe 3), qui consacre une bonne partie de son activité à l'orientation des personnes souffrant de maladies rares, y compris le syndrome de Marfan, dans ce système administratif. Une autre partie de sa fonction consiste à expliquer et globaliser le discours médical afin de favoriser les activités des patients. Elle explique que « l'ergothérapeute peut « faire le tri » : ce qui ne doit pas être fait par rapports aux symptômes et au diagnostic, [mais aussi] ce qui est faisable, ce qui peut être valorisé en terme d'activité ». Pour elle, « il est très important d'aiguiller les demandeurs vers le bon professionnel pour leur demande de conseils. Lorsqu'une pathologie implique plusieurs spécialistes, ils sont complètement perdus. Par exemple ils vont demander au rhumato quels sports ils peuvent faire en pensant aux aspects cardiaques, et le rhumatologue va répondre en fonction de sa propre spécialité. »

Les situations de handicap vécues par les personnes porteuses du syndrome de Marfan pourraient donc provenir soit de la pathologie (facteur personnel), soit d'une auto-censure due à une incompréhension des préconisations médicales (interaction avec les facteurs environnementaux ou situationnels). On note que la fatigue apparaît quelle que soit la source d'information consultée : ouvrages promus par les patients, études scientifiques, avis d'expert.

19 Ces problèmes sont identiques en France, malgré un système socio-économique différent. Sarah Dufrêne Comprendre et gérer la fatigue dans le syndrome de Marfan 18 2.2.4 Interactions et la qualité de vie Comme cela a été expliqué précédemment (paragraphe 2.1), la représentation des interactions entre les facteurs personnels, environnementaux et les habitudes de vie est un point fort du modèle MDH-PPH2, que nous pouvons mettre en lien avec la qualité de vie.

Par exemple, les déficiences musculo-squelettiques, le risque cardio-vasculaire vital, le risque pulmonaire et les risques visuels, excluent les activités physiques avec risque de choc, les efforts musculaires intenses, les changements de pression atmosphérique (saut en parachute ou plongée). Si une personne pratiquant le rugby avec plaisir est diagnostiquée porteuse d'un syndrome de Marfan et se les voit interdire, sa qualité de vie en sera dégradée. Cette personne ne peut plus pratiquer une activité signifiante pour elle : son sentiment de satisfaction envers sa vie, c'est-à-dire sa qualité de vie (voir paragraphe 1.1) baisse. Pour une personne ayant des habitudes de vie différentes, le même diagnostic n'aurait pas cette conséquence en terme de qualité de vie. 2.2.4.1 interactions négatives causant un surhandicap L'exemple présenté précédemment est relativement simple, mais les interactions négatives peuvent également se développer sous forme de cercle vicieux.

Fougeyrollas (2010) indique au sujet des maladies congénitales : « Il est exact de dire que des facteurs de risques environnementaux ou des situations de participation sociale peuvent devenir des causes d'acquisition ou aggravation de déficiences organiques et de limitations des capacités fonctionnelles. » Le développement de la personne est influencé dès la naissance par ses limitations physiques mais aussi par les conséquences psychiques de la maladie et du diagnostic plus ou moins précoce, ainsi que par les relations stigmatisantes ou non avec l'entourage. Un environnement défavorable entraîne un développement altéré et génère de nouvelles incapacités.

Ainsi, la difficulté à suivre une scolarité normale, du fait de la fatigue, de troubles visuels et de retards de motricité fine (écriture), peut amener à sortir du système scolaire avec un faible niveau d'études. Or, les métiers ne nécessitant pas de qualification sont contre-indiqués aux personnes ayant un syndrome de Marfan en raison du port de charge lourde (manutention, BTP), de la station debout permanente avec port de charge répété (vente, restauration, service aux personnes), ou du stress permanent majorant le risque aortique (centres d'appels, vente par téléphone). La première situation de handicap, scolaire, en crée donc une seconde, professionnelle, qui peut amener des complications de santé physique ou psychique elles-mêmes à l'origine de nouvelles situations de handicap. Cet exemple d'abandon précoce de la scolarité et de ses conséquences a été décrit par plusieurs adultes ayant un syndrome de Marfan lors de rencontres informelles. On le retrouve dans l'étude de De Paepe et Van Tongerloo (1998 ; paragraphe 2.2.3.2) : la moitié des participants à l'étude estiment que leur maladie a entravé leur scolarité en raison de troubles visuels, d'erreurs d'orientation, de la fatigabilité ou de la restriction des possibilités de choix. Sarah Dufrêne Comprendre et gérer la fatigue dans le syndrome de Marfan 19 2.2.4.2 Interactions positives et construction résiliente L'interaction entre les facteurs personnels, environnementaux et les habitudes de vie peut être soit négative, comme cela a été décrit précédemment, soit positive.

Par exemple, plusieurs enfants et adolescents porteurs du syndrome de Marfan sont confrontés à la difficulté scolaire décrite précédemment. Mais, lorsque leurs parents parviennent à faire reconnaître le handicap et à obtenir des mesures compensatoires (mise en place de matériel et d'organisation adaptée pour faciliter la scolarité), certains jeunes parviennent à un niveau d'études suffisant pour choisir un métier compatible avec leur état de santé.

Fougeyrollas (2010) poursuit au sujet des maladies congénitales : « Il est envisageable de parler de facteurs environnementaux et d'habitudes de vie résilientes influençant par l'interaction systémique avec les caractéristiques personnelles une construction identitaire résiliente des personnes, reliée aux expériences et aux ancrages positifs donnant un sens au projet de vie de la personne. » C'est ici que l'ergothérapeute pourrait jouer un rôle en levant des obstacles environnementaux, en favorisant par la rééducation ou la réadaptation l'acquisition de capacités, en facilitant la réalisation d'habitudes de vie gratifiantes pour la personne. Pour cela, l'approche globale de la personne dans son environnement physique et social, en tenant compte de ses déficiences et incapacités, mais aussi de ses intégrités, capacités et motivations, est nécessaire.

2.3 Champs d'action possibles de l'ergothérapeute auprès des porteurs du syndrome de Marfan La modélisation de l'impact du syndrome de Marfan sur les habitudes de vie, en utilisant le MDH- PPH2, a permis d'éclairer la production de situations de handicap pour ces personnes. Elle donne aussi des pistes de diminution des situations de handicap au profit de situations de participation, au travers de la notion d'interactions positives permettant une construction résiliente, à laquelle l'ergothérapeute pourrait en théorie participer pour favoriser la qualité de vie des intéressés.

L'ergothérapeute peut contribuer à améliorer la qualité de vie des personnes ayant un problème de santé en facilitant la réalisation indépendante et/ou autonome des activités quotidiennes importantes pour elles (paragraphe 1.1). Cependant, les situations de handicap auxquelles peuvent être confrontées les personnes porteuses du syndrome de Marfan sont diverses. Les situations de handicap fréquentes chez les personnes porteuses du syndrome de Marfan ont été identifiées, mais il convient de préciser celles qui relèvent des compétences de l'ergothérapeute.

2.3.1 Situations de handicap des porteurs de syndrome de Marfan relevant du champ d'action de l'ergothérapie Plusieurs situations de handicap ont été décrites dans des études psychosociales (paragraphe 2.2.3.2). Certaines font principalement appel aux compétences d'autres professionnels de santé :

Sarah Dufrêne Comprendre et gérer la fatigue dans le syndrome de Marfan 20 conseil en génétique et en cardiologie dans le cadre d'un projet de grossesse, questions relatives au traitement médicamenteux et chirurgical, etc. Les situations de handicap sur lesquelles un ergothérapeute pourrait être pertinent sont les suivantes : - Scolarité : gestion des troubles visuels, de la fatigue (nous pouvons ajouter adaptation du matériel et mobilier scolaire au physique hors normes), amélioration de l'orientation scolaire par la connaissance des capacités/incapacités et des adaptations environnementales possibles. - Vie quotidienne : gestion des difficultés liées à l'habillement, adaptations en lien avec la déficience visuelle, recherche de loisirs adaptés, gestion de la douleur et de la fatigue, aide à la compréhension des préconisations médicales et facilitation de leur mise en œuvre au quotidien. - Dépression : les ergothérapeutes peuvent participer à sa prise en charge - Relais vers d'autres acteurs institutionnels comme le décrit une ergothérapeute spécialisée

Parmi toutes ces possibilités, reste à identifier un facteur prioritaire pour améliorer la qualité de vie. 2.3.2 Mise en évidence d'un problème prioritaire : la fatigue Peu d'études explorent la qualité de vie chez les personnes porteuses d'un syndrome de Marfan. Quatre d'entre elles20 utilisent le questionnaire Short-Form 36 pour évaluer cette qualité de vie. Ces études portent sur de petits effectifs sauf celle de Rand-Hendricksen incluant 84 sujets. Le Short-Form 36 (Leplège et al., 2001) est auto-administré généraliste, international et validé. Il évalue les conséquences des problèmes de santé dans les activités de vie quotidienne et le ressenti de bien-être des personnes. Ces études montrent que les intéressés ont une qualité de vie dégradée, comparable à celle des porteurs de maladies chroniques sévères. Selon Rand- Hendricksen (2010) toutes les sous-échelles de la qualité de vie sont altérées dans le cadre du syndrome de Marfan, avec un fort impact sur les échelles liées aux conséquences physiques de la pathologie : santé générale, fonctionnement et limitations physiques, douleur. Cependant l'impact majeur concerne la sous-échelle « vitalité » de la santé mentale, limitée à 40% de la valeur donnée par la population générale. Cette sous-échelle porte sur le ressenti d'enthousiasme, d'énergie, d'épuisement et de fatigue des répondants. Le questionnaire Short-Form 36 identifie arbitrairement la fatigue comme appartenant à la santé mentale, mais en pratique elle peut être physique et/ou psychique comme nous l'avons vu précédemment (paragraphe 2.2.1.4).

En conclusion, le modèle MDH-PPH2 permet de présenter le syndrome de Marfan et le processus de production de situations de handicap fréquentes qui en découlent ; plusieurs entrent dans le champ de compétence de l'ergothérapie. La fatigue apparaît comme un facteur majeur de dégradation de la qualité de vie. Cependant cette fatigue est peu étudiée. C'est pourquoi, il faut explorer cette fatigue pour identifier le cas échéant les paramètres la concernant qui pourraient être atténués par un recours à l'ergothérapie.

20 Verbraecken et al., 2001 ; Foran et al., 2005, Fusar-Poli et al, 2008 ; Rand-Hendricksen et al., 2010 Sarah Dufrêne Comprendre et gérer la fatigue dans le syndrome de Marfan 21 3 Étude de la fatigue dans le syndrome de Marfan 3.1 Matériel et méthode Au vu du caractère subjectif de la fatigue, l'avis des porteurs du syndrome de Marfan est privilégié dans le recueil de données, puis une confrontation avec des données cliniques cherchera à objectiver l'analyse. Pour l'évaluation, conformément aux préconisations de Sève-Ferrieu (2008 ; voir paragraphe 1.1), le ressenti de bien-être de la personne, les déficiences, l'accès à l'environnement et les conséquences dans les activités de vie quotidiennes seront recherchés. Comprendre l'ampleur, les dimensions et l'impact de la fatigue au quotidien permettrait de proposer par la suite des interventions pertinentes en ergothérapie. 3.1.1 Création d'un questionnaire Le recueil de données a été réalisé par questionnaire. En effet, il est nécessaire d'objectiver l'existence de la fatigue en lien avec cette pathologie. Pour cela il faut réaliser une analyse quantitative, ce que permet un questionnaire. Le nombre de réponses ne dépend pas de l'effectif des enquêteurs. Il s'adapte à la localisation et à l'emploi du temps des enquêtés. Parmi les outils de mesure (Depocas, 1998 ; Chalès, 2011 ; EmPatient, 2012), 3 questionnaires généralistes, auto-administrés, multidimensionnels et validés en français on été repérés : l'échelle de Pichot, la Multidimensional Fatigue Inventory (MFI-20) et l'échelle de fatigue révisée de Piper. Ils ont été pré-testés par 3 porteurs du syndrome de Marfan, quotidiennement gênés par la fatigue. L'échelle de Piper a paru plus efficiente pour décrire leur fatigue, à condition d'ajouter une question mesurant le facteur « motivation ». Cette échelle aborde de façon détaillée le ressenti des personnes. Une question porte sur les déficiences. Rechercher l'ensemble des facteurs médicaux semble délicat et inutile puisque l'étude de Bathen et al. (2014), très détaillée sur ces facteurs, conclut que seule la douleur est liée à la fatigue. Des questions subsidiaires qualitatives ont été introduites pour connaître l'impact de la fatigue sur les habitudes de vie, ainsi qu'une question sur l'accès à l'environnement. Elles sont conçues d'après la Mesure des HAbitudes de VIE (MHAVIE 3.0 ; Fougeyrollas et Noreau, 2003), l'outil issu du PPH (partie 2.1). Sève-Ferrieu (2008) présente la MHAVIE comme un outil reliant les habitudes de vie, le degré de satisfaction de la personne, et la qualité de vie. Il est donc pertinent au regard de la question de recherche. Cependant, la MHAVIE, hétéro-questionnaire à 240 items, n'est pas directement utilisable pour ce recueil de données. A partir de la MHAVIE, 14 questions ouvertes ont donc été formulées et incluses dans le questionnaire suite à l'échelle de Piper. Le questionnaire comporte aussi 2 questions ouvertes sur les moyens utilisés pour soulager et/ou gérer la fatigue. Enfin, 3 questions fermées portant sur le besoin d'aide pour gérer la fatigue, les interlocuteurs et les supports paraissant pertinents ont été ajoutées. 4 autres porteurs du syndrome de Marfan ont pré-testé le questionnaire complet. Le questionnaire est en annexe 4.

Sarah Dufrêne Comprendre et gérer la fatigue dans le syndrome de Marfan 22 3.1.2 Diffusion du questionnaire Ne pouvant interroger toute la population, on évalue à partir des réponses d'un échantillon en tenant compte des biais. Il faut prévoir le mode de passation et le mode d'accès aux enquêtés. 3.1.2.1 Échantillonnage Les études de Rand-Hendricksen (2010) et de Bathen (2014) n'identifient pas de corrélation entre la fatigue d'une part, et les données sociologiques (telles que l'âge ou le sexe) ou les critères diagnostiques du syndrome de Marfan (niveau d'atteinte aortique, visuelle, et.) d'autre part. Il n'existe pas de score de gravité applicable au syndrome de Marfan, puisque la maladie est d'expression variable. Aussi, la population concernée par la fatigue est-elle l'ensemble des personnes porteuses du syndrome de Marfan. L'enquête s'adresse aux personnes de plus de 13 ans, limite posée arbitrairement car l'étude porte sur les habitudes de vie, ce qui suppose une autonomie pour choisir ces habitudes et exclut les enfants. Nous ne disposons pas d'une base de données exhaustive permettant de sélectionner d'emblée un échantillon stratifié, et au vu des résultats des 2 études précédemment citées, il n'existe pas de facteur pertinent connu pour stratifier un échantillon qui serait corrélé avec la fatigue dans le syndrome de Marfan. S'agissant d'une maladie rare et compte-tenu du temps imparti pour la démarche, nous avons privilégié la méthode du sondage auprès de volontaires, permettant un recueil en grand nombre. 3.1.2.2 Mode de passation L'enquête en face-à-face ou par contact téléphonique est exclue pour des retours en nombre, avec un seul enquêteur. La voie postale et par Internet supposent que les personnes sachent lire, mais ont l'avantage d'être anonymes et permettent une expression libre sans peur d'un jugement. La diffusion par internet comporte de nombreux avantages (rapidité, coût, enregistrement direct des réponses dans un fichier), cependant seuls les internautes peuvent répondre au questionnaire. La diffusion par courrier est lente, coûteuse et les réponses, parfois peu lisibles, doivent être saisies par l'enquêteur, mais elle présente l'avantage de s'adresser au plus grand nombre. Le taux de réponse aux questionnaires est généralement d'environ 25% (Aubert-Lotarski, 2013), aussi avons-nous choisi de cumuler l'envoi postal et par mail, ainsi que la mise à disposition directe de questionnaires. Nous avons en effet proposé aux personnes participant au 18ème rendez-vous annuel sur le syndrome de Marfan (le 23 mars 2014) de répondre au questionnaire. 3.1.2.3 Mode d'accès aux personnes enquêtées Le secret médical interdit l'accès direct aux personnes. Les modes d'accès indirects sont le relais institutionnel, les personnes-relais et la méthode dite « boule-de-neige » où chaque enquêté peut mettre l'enquêteur en lien avec d'autres. Chacun introduit un biais : un positionnement du répondant en fonction de la représentation qu'il a des attentes du relais, voire un échantillon très homogène, les personnes ayant des affinités avec d'autres ayant des caractéristiques proches. Pour limiter les biais, nous chercherons à diversifier les modes d'accès. Sarah Dufrêne Comprendre et gérer la fatigue dans le syndrome de Marfan 23 3.1.2.4 Bilan : diffusion du questionnaire Le questionnaire a finalement été diffusé par : – l'AFSMA à 317 adhérents, par courrier avec enveloppe timbrée pour le retour – l'AFSMA aux non adhérents : site Internet, page facebook, lettre d'information par mail – contact direct (proposition et remise du questionnaire imprimé à 20 volontaires) lors de la journée nationale annuelle du syndrome de Marfan le 23 mars 2014 – Des soignants des centres de compétence de Toulouse, Rennes et Lyon par courrier ou mail à 66 patients (respectivement 56, 3 et 7) – Effet boule-de-neige de la part de certains enquêtés Le questionnaire imprimé mentionnait la possibilité de répondre par courrier ou en ligne, afin que les frais d'envoi ou difficultés d'écriture manuscrite n'empêchent pas les réponses. Les enquêtés contactés directement et par l'AFSMA fin mars ont disposé de 8 semaines pour répondre, ceux ayant reçu le questionnaire par les équipes médicales début avril, 6 semaines. 3.1.3 Traitement des questionnaires avant analyse Parmi les 202 retours de questionnaires, 17 ont été exclus d'emblée de l'analyse : – 6 répondants n'ayant pas le syndrome de Marfan – 3 d'un âge inférieur à 13 ans – 2 femmes qui n'avaient pas indiqué leur âge, rendant le traitement statistique complexe. – 6 signalements d'une ou plusieurs autres pathologies dont la fatigue est un symptôme : dysthyroïdie, lupus, polyarthrite rhumatoïde, spondylarthrite ankylosante, maladie inflammatoire chronique de l'intestin, séquelles d'accident vasculaire cérébral. 3.1.4 Bilan du recueil de données avant analyse

Envoi par courrier Envoi par courrier ou mail Contact par site internet adhérents AFSMA avec centres de compétence de de l'AFSMA, newsletter, enveloppe affranchie : Lyon, Rennes, Toulouse : page Facebook, effet Total : n = 317 n=66 « boule de neige » : n= ? n>383 (risque de doublon avec l'envoi par l'AFSMA ?) Non réponse : n estimé à 225

Retour des Retour des centres Retour par questionnaire adhérents AFSMA de compétence : en ligne d'autres sources : Total : n=154 n= 14 n= 33 n= 201

Réponses inexploitables Réponses exploitables n =17 N =184

Illustration 4 : diagramme de recrutement et d'extraction des réponses exploitables

Sarah Dufrêne Comprendre et gérer la fatigue dans le syndrome de Marfan 24 3.1.5 Profil des répondants Parmi les 184 réponses exploitables, on retrouve 64 hommes et 120 femmes, avec une répartition variable selon l'âge telle que le montre le graphique ci dessous : Répartition des répondants par âge et par sexe

25 s t n

a 20 d n

o 15 p é r

e 10 d

e r 5 b m

o 0 n 13-15 16-20 21-25 26-30 31-35 36-40 41-45 46-50 51-55 56-60 61-65 66-70 71-75 âge en années Hommes Femmes Illustration 5 : répartition des répondants selon l'âge et le sexe La quasi-absence de réponse d'hommes de 21 à 30 ans pourrait provenir d'un manque d'intérêt pour l'étude ou de la non-réception du questionnaire (De Paepe et Van Tongerloo, 1998, évoquent un refus des contraintes liées à la maladie chez des hommes jeunes). Les hommes ont été moins nombreux que les femmes à répondre. La maladie touche autant les hommes que les femmes à la naissance, mais on ne sait pas si en proportion, les femmes sont mieux diagnostiquées que les hommes, s'il y a plus de mortalité chez les hommes , si les femmes sont plus concernées par la fatigue, si elles sont plus présentes dans l'AFSMA qui a fourni le plus grand nombre de réponses... Parmi les répondants, 11% estimaient avoir un syndrome de Marfan peu prononcé, 47% qu'il était modéré, 25% qu'ils avaient une atteinte sévère, et 17% ne savaient pas. Il n'existe pas de score global de sévérité (mesure objective et normée) pour ce syndrome. 3.1.6 Méthode d'analyse des données Les données ont été analysées à l'aide d'"Excel 2013" et du logiciel "Stabox pro" (analyses uni-, bi-, et multivariée : analyse en composantes principales). Etant dans l'incapacité d'évaluer la représentativité de l'échantillon, il n'est pas possible d'extrapoler les résultats à l'ensemble des porteurs du syndrome de Marfan avec un intervalle de confiance. Les valeurs manquantes ont été exclues des calculs. Nous n'avons pas trouvé d'étude épidémiologique portant sur la fatigue en France ou chez les porteurs de syndrome de Marfan. Les résultats ont été comparés aux rares études existant sur la fatigue dans la population générale (revue de littérature de Lewis et Wessely, 1992) et chez les porteurs de syndrome de Marfan (Bathen et al., 2014).

Sarah Dufrêne Comprendre et gérer la fatigue dans le syndrome de Marfan 25 3.2 Analyse 3.2.1 Pertinence des résultats recueillis 3.2.1.1 Taux de retour Il reste difficile de savoir précisément combien de personnes concernées ont reçu le questionnaire. Concernant les envois de l'AFSMA, certains adhérents ne sont pas porteurs du syndrome, d'autres ne prennent qu'une adhésion pour plusieurs membres du foyer concernés. Les patients contactés par les centres de compétence pouvaient déjà avoir reçu le questionnaire par l'AFSMA ce qui expliquerait en partie la faible participation. De plus, une personne a répondu qu'elle n'était plus suivie par le Centre de Compétence car le diagnostic de syndrome de Marfan avait finalement été écarté. Peut-être est-ce le cas d'autres personnes qui n'ont pas répondu. Les centres n'ont pas joint d'enveloppe affranchie pour le retour, ou ont proposé uniquement la version en ligne du questionnaire pour favoriser les saisies en ligne et faciliter le traitement. Or on constate finalement des retours en ligne (47 réponses) bien moins nombreux que par courrier (154 réponses). Le nombre de porteurs répondant via le site de l'AFSMA, la page Facebook ou indirectement n'est pas évaluable. Un taux global de retour peut être grossièrement estimé par le nombre total de réponses reçues au regard du nombre de questionnaires transmis. Il serait de 52%, mais sa fiabilité est limitée. 3.2.1.2 L'épineuse question de la représentativité Pour tirer des enseignements généraux d'une étude statistique, l'échantillon doit être représentatif de la population étudiée sur le critère évalué. Quand le recrutement est réalisé avec une méthode empirique comme ici, c'est rarement le cas. La population étudiée est constituée par les personnes ayant reçu un diagnostic de syndrome de Marfan, âgés de 13 ans et plus, en France métropolitaine, en 2014. Nous ne disposons pas des caractéristiques démographiques de cette population et ne pouvons pas les calculer. Comme aucune corrélation n'a pu être établie entre la fatigue, l'âge et le sexe des porteurs de syndrome de Marfan, ni avec d'autres critères accessibles, nous ne pouvons ni infirmer ni confirmer que l'échantillon est représentatif du point de vue de la fatigue. Tout au plus, nous pouvons émettre l'hypothèse que la sous-population des adhérents à l'AFSMA est différente de l'ensemble des porteurs du syndrome de Marfan. Elle peut concentrer des personnes plus durement touchées par la maladie, plus de parents d'enfants présentant une néomutation et qui sont par conséquent à la recherche d'information et de soutien. Or, l'échantillon est majoritairement constitué d'adhérents de l'AFSMA. Mais nous ne savons pas si cette différence sur des critères sociologiques entraîne une différence sur le critère de la fatigue. Une seconde hypothèse est que les personnes ayant répondu à l'enquête seraient en moyenne plus concernées par la fatigue que l'ensemble des porteurs du syndrome. Nous ne pouvons pas le vérifier directement, aussi les résultats obtenus seront-ils soigneusement comparés aux résultats des autres études disponibles, avec le risque que celles-ci soient aussi biaisées. Sarah Dufrêne Comprendre et gérer la fatigue dans le syndrome de Marfan 26 3.2.2 Fréquence et chronicité de la fatigue 3.2.2.1 Résultats 16,8% des 184 enquêtés Fréquence de la fatigue parmi les répondants ne ressentent aucune fatigue. La fatigue est chronique si elle Fatigue (sans précision) 8,2% Non fatigués 16,8% perdure depuis plus de 6 mois (MeSH INSERM, 2014). Parmi ceux qui ressentent une fatigue, un quart (25,5 %) sont fatigués depuis moins de 6 mois, Fatigue < 6 mois 25,5% et la moitié (49,5%) subissent Fatigue chronique 49,5% une fatigue chronique. L'âge des enquêtés et la durée Illustration 6 : Fréquence de la fatigue parmi les enquêtés déclarée pour la fatigue permettent de repérer à quel moment de la vie la fatigue chronique est apparue. 10,9% des répondants subiraient une fatigue chronique depuis l'enfance. Chez 4,4% des enquêtés, elle surviendrait à l'adolescence. Dans la majorité des situations de fatigue chronique (34,2% de l'ensemble des réponses), elle serait apparue plus tard. 3.2.2.2 Analyse croisée 83,2% des enquêtés déclarent être fatigués ; cette proportion est comparable aux 89 % constatés dans l'étude de Peters citée par Bathen (2014). La fatigue est répandue dans la population occidentale selon Lewis et Wessely (1992). Des études évaluent sa prévalence à 14,3% chez les hommes, et entre 20,3% et 42% chez les femmes. La fatigue chronique serait présente chez 21 % chez des patients en consultation primaire. En conclusion, la fatigue chronique dans le syndrome de Marfan se distinguerait de celle de la population générale par sa fréquence environ 2 fois et demie plus élevée. Elle serait présente depuis l'enfance chez 11 % des porteurs environ, alors qu'elle est rare avant l'adolescence dans la population générale (Lewis et Wessely,1992). Les répondants touchés dès l'enfance ont parfois ajouté des exemples attestant la réalité de leur fatigue pendant l'enfance, soulignant que souvent l'entourage ou les soignants ne les croient pas, tant ce phénomène est inhabituel. 3.2.3 Intensité ressentie de la fatigue 3.2.3.1 Résultats Dans notre étude, l'intensité ressentie de la fatigue est auto-évaluée sur une échelle de 0 à 10. L'ensemble des réponses se répartit de façon homogène sur toute l'étendue de l'échelle, avec une médiane à 5,0/10. Les réponses ont été analysées selon différents critères : genre, âge, sévérité ressentie du syndrome de Marfan. Concernant le lien entre la sévérité ressentie du syndrome de

Sarah Dufrêne Comprendre et gérer la fatigue dans le syndrome de Marfan 27 Marfan et l'intensité de la fatigue, des écarts de moyennes entre les différentes modalités existent, mais un test statistique21 révèle que ces écarts ne sont pas significatifs. Le même test révèle qu'il existe un écart significatif entre les hommes et les femmes : l'intensité de fatigue ressentie par les femmes serait en moyenne plus forte de 2 points sur 10, avec un intervalle de confiance sur cet écart compris entre 1,25 et 2,81/10. Enfin, il existerait une corrélation significative mais faible22 entre l'âge et l'intensité de la fatigue. 3.2.3.2 Analyse croisée Aucune donnée sur l'intensité de la fatigue dans la population générale n'a été trouvée. Il n'existe pas d'outil normé pour mesurer ce symptôme subjectif. Dans l'étude de Bathen et al. (2014), les analyses bivariées montraient aussi des corrélations entre la sévérité de la fatigue d'une part, et le genre ou l'âge d'autre part. Bien que l'échelle de mesure utilisée soit différente (Fatigue Sevrity Scale : FSS), le niveau de corrélation avec l'âge était comparable23. Cependant, une analyse plus poussée (régression multivariée) a mené cette équipe à conclure que ces corrélations n'étaient pas significatives. Aussi, dans notre étude, est-il possible que les corrélations entre l'âge et le genre d'une part, et l'intensité de la fatigue d'autre part, proviennent d'un biais d'échantillon. Une autre possibilité est que cette corrélation apparente ne résisterait pas à des tests plus poussés. 3.2.4 Dimensions de la fatigue dans le syndrome de Marfan La fatigue décrite pour d'autres maladies chroniques (SEP, PR) est multidimensionnelle, par conséquent on s'attend au même résultat ici. Les dimensions de la fatigue ont été évaluées dans le questionnaire émis à l'aide de l'échelle de Piper, à laquelle nous avions ajouté une question ouverte portant sur la dimention "motivation". Cette dernière est en effet présente dans d'autres échelles. L'évaluation a nécessité la mise en oeuvre de nombreux tests statistiques afin que l'analyse soit précise et fiable. Cette partie d'analyse dimensionnelle est longue, et n'a pas d'autre intérêt que d'établir les dimensions spécifiques de la fatigue dans le syndrome de Marfan afin d'éclairer la suite de l'analyse. Cette suite a un rapport direct avec l'ergothérapie. C'est pourquoi le détail de l'analyse statistique constitue l'annexe n°5. Nous indiquons ici ses conclusions. Les dimensions de cette fatigue seraient indépendantes de l'âge de la personne. La dimension "comportementale et sévérité" de la fatigue parait importante dès l'apparition de la fatigue. Son intensité semble fortement corrélée à la limitation de certaines activités quotidiennes. Le vécu de la fatigue, sa dimension affective, paraît d'autant plus négatif que la fatigue est intense. Ce vécu serait encore plus péjoratif chez les femmes. Il paraît clair que l'humeur n'entre pas en jeu dans la fatigue spécifiquement liée au syndrome de Marfan, même si certains signes somatiques peuvent mimer une dépression. Il est possible que certains porteurs soient déprimés,

21 Test d'intervalle de confiance à 95% pour un écart entre 2 moyennes 22 P-value de Bartlett = 0,0004 ; coefficient de corrélation de Pearson r = 0,258 23 Dans l'étude de Bathen et al. (2014), p-value = 0,03 et r =0,25 (voir résultats dans notre étude ci-dessus) Sarah Dufrêne Comprendre et gérer la fatigue dans le syndrome de Marfan 28 mais la fatigue semble largement plus fréquente que l'humeur déprimée. La fatigue physique est une dimension sensorielle qui apparaît dans l'analyse pour une partie des intéressés, sans qu'un profil particulier ne s'en dégage. L'analyse des résultats obtenus sur les dimensions sensorielle et cognitive indiquerait que sur le plan cognitif, seule l'attention prolongée pourrait être mise à mal chez une partie des porteurs. Enfin, la dimension motivationnelle de la fatigue apparaît importante dans le syndrome de Marfan. Elle semble partiellement liée à l'intensité de la fatigue et peut se traduire par une absence d'envie ou par un renoncement à initier les activités envisagées. 3.2.5 Causes supposées de la fatigue Les causes potentielles de fatigue suivantes ont été citées par les répondants : Causes supposées de la fatigue

Douleurs diverses Sommeil repos insuffisant ou non réparateur Troubles cardio-vasculaires et essoufflement Traitement médicamenteux charge de travail activité physique, fatigabilité musculaire Syndrome de Marfan stress moral bas, anxiété voire dépression déficience visuelle et/ou auditive suites opératoires déconditionnement ou désadaptation à l'effort autres

0 20 40 60 80 100 120 140 nombre de réponses (plusieurs réponses possibles) Illustration 7 : Causes supposées de la fatigue chez les porteurs de syndrome de Marfan

3.2.5.1 Les douleurs à l'origine de la fatigue Les douleurs sont, de loin, la plus importante cause de fatigue citée. Ce phénomène est objectivé par l'étude de Bathen et al. (2014) "Dans nos analyses multivariées, la douleur chronique [...] est [la variable] la plus fortement associée à la fatigue. 64% des participants ont signalé une douleur chronique, ce qui est plus élevé que dans la population générale". On retrouve aussi cette association dans la PR (Chalès, 2011). Les douleurs indiquées par les porteurs de syndrome de Marfan sont principalement rhumatologiques : douleurs rachidiennes (citées 38 fois) et articulaires aux membres (27 fois). Viennent ensuite les douleurs musculaires et tendineuses (13 fois) et les maux de tête (9 fois). Enfin, 28 personnes ont cité les douleurs sans en préciser la nature. Les 20 personnes qui incriminent le syndrome de Marfan dans son ensemble comme cause de la fatigue n'excluent pas ces douleurs : "tous mes organes peinent et fatiguent" (femme, 52 ans).

Sarah Dufrêne Comprendre et gérer la fatigue dans le syndrome de Marfan 29 3.2.5.2 Problèmes cardiovasculaires, bêta-bloquant et activité physique 19 personnes attribuent leur fatigue à la dilatation aortique, à une insuffisance cardiaque ou à un trouble du rythme. 9 indiquent que la fatigue est apparue suite à une opération, notamment une chirurgie aortique. L'étude de Bathen et al. (2014) a testé ce lien entre la fatigue et des critères objectifs tels que le diamètre de l'aorte ou sa chirurgie, sans établir de corrélation. 6 personnes attribuent la fatigue à des problèmes circulatoires, en lien avec une tension artérielle basse. 32 réponses lient la prise du traitement médicamenteux et la fatigue, dont 22 nomment le bêta- bloquant. En France, tous les porteurs de syndrome de Marfan diagnostiqués sont traités par bêta- bloquant, afin de préserver leur aorte et de limiter fortement le risque de dissection aortique (Jondeau, 2012). Ce traitement abaisse la tension artérielle et limite la fréquence cardiaque pendant l'effort, protègeant l'aorte ascendante en limitant la force et le nombre des à-coups dus à la systole. L'étude de Bathen et al. (2014) cite Peters et al. (2001) "qui trouve des associations significatives entre l'usage d'un traitement médicamenteux cardio-vasculaire et la fatigue" dans le syndrome de Marfan. Bathen et al. précisent "c'est un fait accepté qu'il y a une corrélation entre l'usage de bêta-bloquant et la fatigue (Ko et al., 2004)". Lewis et Wessely (1992), écrivent que "des données récentes suggèrent une association entre la fatigue et une tension artérielle basse." Cependant, le Pr Jondeau (2012) communique sur la fréquence limitée de la fatigue comme effet secondaire des bêta-bloquants, et l'importance pour les personnes traitées de ne pas conclure trop hâtivement que les bêta-bloquants sont la cause de leur fatigue. Dans notre étude, 2 hommes ont diminué ou arrêté leur traitement par bêta-bloquant car il induisait selon eux une recrudescence de fatigue ne permettant plus aucune activité. Ces hommes sont conscients du risque de dissection aortique, rendant ce choix difficile et angoissant : "J'ai arrêté les bêta-bloquants car ça me fatiguait encore beaucoup plus. Plus aucun sport pratiquement. Je n'ose plus à cause de l'arrêt des bêta- bloquants." (homme, 50 ans). Nous pouvons espérer que la mise en oeuvre de mesures destinées à limiter les autres sources de fatigue aiderait peut-être à l'observance de ce traitement préventif, dont l'enjeu est vital. 11 personnes indiquent que l'activité physique est une cause de fatigue importante, 12 réponses font état de fatigabilité musculaire et 8 d'un essoufflement rapide. 1 personne relie cette difficulté à l'effort à la désadaptation à l'effort générée par le bêta-bloquant24. On peut supposer que ces personnes vont chercher à limiter leur activité physique pour diminuer leur fatigue. A l'inverse, 8 personnes ont indiqué que la source de leur fatigue était le manque d'entraînement physique, c'est à dire le déconditionnement (ou l'absence de conditionnement) à l'effort. Nous étudierons plus loin la pertinence de ces points de vue divergents.

24 c'est à dire que lors de tout effort, la tension artérielle et la fréquence cardiaque n'augmentent pas autant que sans le traitement. C'est l'effet recherché, mais ici il est gênant dans l'activité physique. Sarah Dufrêne Comprendre et gérer la fatigue dans le syndrome de Marfan 30 3.2.5.3 Charge de travail ou inaptitude au travail Une charge de travail trop importante, générant de la fatigue, est évoquée par 29 personnes. Nous y reviendrons par la suite. Dans l'étude de Bathen et al. (2014), les personnes en invalidité sont plus fatiguées que les travailleurs, parmi les porteurs de syndrome de Marfan et dans l'ensemble de la population, sans que les chercheurs déterminent lequel de ces facteurs occasionne l'autre. 3.2.5.4 Manque de repos et sommeil non réparateur Le manque de sommeil ou de repos est évoqué comme cause de fatigue par 21 personnes et le sommeil non réparateur, par 17. Mais il concerne en réalité un plus grand nombre de porteurs de syndrome de Marfan, qui le subissent sans pour autant l'identifier en tant que "cause". En effet, 63,6% des personnes porteuses de syndrome de Marfan font état d'un lien entre la fatigue qu'ils éprouvent et le sommeil ou le repos. Pour certains le repos n'améliore pas la fatigue :"Même en dormant normalement, je ressens en permanence une fatigue" (homme, 37 ans). Un adolescent a fait état d'une phase d'hypersomnie, un trouble rare et réversible : "Dormir trop ou pas assez. Quand je dormais trop (20h par jour), je devais essayer de rester éveillé puis ça s'est arrangé" (adolescent, 15 ans). Quelques personnes ont quantifié leur besoin de sommeil. Elles indiquent en général ne se sentir reposées que si elles dorment 9 à 12 h par nuit et font une sieste en milieu de journée ("faire la sieste, entre 20 minutes et 1h en fonction de la fatigue." (femme, 22 ans)). Or cela leur semble incompatible avec une vie active : "il est impossible de se reposer au cours de la journée en travaillant à temps plein. Pas possible non plus de faire des nuits de 9h ou plus" (femme, 32 ans). Une femme avec des horaires de travail aménagés témoigne pourtant de cette possibilité : "J'ai adapté mon temps de travail pour pouvoir dormir plus longtemps le matin. Adaptation aussi des horaires pour me permettre un temps de récupération [toutes les 2h]" (femme, 45 ans). Lorsque cet aménagement n'est pas réalisé, une somnolence dans les activités statiques ("Trouble important de la concentration lors de réunion, voire on s'endort" (homme, 45 ans)) et/ou un endormissement ("besoin de sieste. Endormissement dans le métro." (femme, 58 ans)) peuvent survenir. Mais une sieste tardive pénalise le sommeil nocturne : "Je suis souvent obligé de faire des siestes en rentrant du travail. Du coup le soir je retrouve un regain de forme qui retarde l'heure à laquelle je vais me coucher. Au final, je fais des nuits trop courtes." (homme, 39 ans). Plusieurs répondants font état d'un sommeil non récupérateur. L'influence de l'apnée du sommeil (paragraphe 2.2.1.3) sur la qualité de la récupération a été évoquée par une seule personne. Le besoin accru de repos et de sommeil est mal vécu, parce qu'il diminue le temps disponible pour les activités : "je dois dormir beaucoup, ce qui ampute mon temps disponible" (femme, 62 ans) ; "Je dois fractionner le travail, j'ai du mal à tout boucler, je me sens toujours débordée" (femme, 44 ans).

Sarah Dufrêne Comprendre et gérer la fatigue dans le syndrome de Marfan 31 3.2.5.5 Fatigue psychique La fatigue psychique est un des symptômes fréquents chez les personnes souffant de troubles anxio-dépressifs (EmPatient, 2012). Or les personnes porteuses d'un syndrome de Marfan sont dans un contexte favorisant ces troubles, ou au minimum un ressenti de "stress" : une maladie chronique, transmissible, avec un risque vital et un risque de cécité, voire dans certaines familles un grand nombre de deuils liés à cette pathologie. Mais on peut aussi voir la dépression comme une conséquence possible de la fatigue. Par exemple, Depocas (1998), indique que dans la SEP, l'asthénie psychique peut exister sans être systématique. Selon certaines études, "la dépression pourrait indirectement être causée par la fatigue [spécifique à cette pathologie]" et "la diminution de la fatigue par le traitement était accompagnée d'une diminution de la dépression". Aussi, il est difficile de conclure ici si la fatigue est, comme l'indiquent 16 personnes, causée par des troubles anxio-dépressifs, et pour 18 personnes, par le stress quotidien, ou bien si c'est l'inverse, comme cela semble être le cas dans la SEP. Ou encore, s'il s'agit de phénomènes s'amplifiant mutuellement sous forme de cercle vicieux. L'essentiel étant que ces problèmes de santé psychique soient pris en charge quand les personnes en éprouvent le besoin.

Les facteurs de fatigue dans le syndrome de Marfan que nous avons pu identifier ici sont : – très majoritairement les douleurs (rhumatismales, musculaires et maux de tête), – un continuum entre les troubles cardiovasulaires, leur traitement par bêta-bloquant, et la pratique des activités physiques (soit elles sont volontairement évitées, soit les personnes estiment qu'elles devraient s'entraîner physiquement pour être moins fatiguées) – une charge de travail inadéquate par rapport aux capacités de la personne – une qualité et/ou une quantité de sommeil insuffisante – pour environ 1 répondant sur 5, des facteurs psychiques : stress, troubles anxio-dépressifs d'intensité variable Maintenant, nous allons tenter de comprendre les interactions entre la fatigue et les habitudes de vie des porteurs de syndrome de Marfan. 3.2.6 Interactions entre la fatigue et les habitudes de vie La fatigue dans le syndrome de Marfan est multifactorielle. Les différents facteurs engendrent des mécanismes et des conséquences variables sur les habitudes de vie. Ceux qui transparaissent le plus souvent dans les réponses des porteurs du syndrome sont les suivants : – une fatigue physique, mécanique, est engendrée par les douleurs, à laquelle s'ajouterait pour une partie des porteurs une fatigabilité musculaire. Ce type de fatigue a des conséquences principalement dans les activités physiques, la mobilité à pied. Par exemple, des enquêtés indiquent : "j'essaie d'éviter les longs trajets debout dans les transports en commun." (femme, 20 ans) ou encore "voiture uniquement car difficile de marcher Sarah Dufrêne Comprendre et gérer la fatigue dans le syndrome de Marfan 32 longtemps" (femme, 31 ans). Elle se traduirait aussi parfois par une fatigue visuelle ("à cause des déplacements : voiture et fatigue visuelle" (homme, 65 ans)). L'élocution serait plus difficile pour les personnes ayant un palais ogival : articuler leur demande un effort qui nuirait à la communication ("la fatigue, surtout niveau élocution" (femme, 23 ans)). – Une difficulté pour certains porteurs à maintenir une attention soutenue, n'apparaissant qu'au bout de plusieurs heures ou en fin de journée : "incapacité à être performante plusieurs heures d'affilée" (femme, 55 ans). Cet aspect de la fatigue aura un impact sur la réalisation de tâches continues, dans le travail ou la scolarité par exemple, mais aussi dans les situations de communication d'une durée longue, telles que les réunions familiales ou professionnelles. Dans ce cas, les contraintes pour la mobilité ne sont pas les mêmes que si la fatigue est uniquement physique ; ici la conduite automobile peut être évitée selon les circonstances : "Peur de conduire seul, de m'endormir" (homme, 46 ans). La mauvaise qualité de sommeil concourt probablement fortement à cet aspect de la fatigue. – Une quantité de sommeil nécessaire importante (de l'ordre de 9 à 12h par nuit et une sieste en milieu de journée) qui vient diminuer le temps disponible pour les activités. – La dimension motivationnelle et la fatigue psychique peuvent être un obstacle à l'initiation de certaines activités. – Le regard porté sur la fatigue par l'entourage (proches, soignants, collègues) est souvent perçu comme un manque de reconnaissance et une incompréhension. Les enquêtés écrivent par exemple : "La fatigue n'est pas forcément visible, ni perçue donc comprise par l'entourage (familial, professionnel...). Cet aspect est difficile à vivre pour nous." (femme, 50 ans). "Les coups de fatigue sont souvent perçus comme du désintérêt par les tiers." (homme, 52 ans). Les habitudes de vie sont parfois modifiées pour éviter ce jugement, en masquant la fatigue ou en limitant les contacts.

Nous utilisons ici la terminologie du réseau européen des écoles d'ergothérapie ENOTHE, publiée par Meyer (2013). Pour ce réseau, la réalisation des habitudes de vie passe par "l'action de faire", également appelée performance occupationnelle, comportant 3 domaines : les soins personnels, la productivité et les loisirs. 3.2.6.1 Soins personnels Les soins personnels sont ceux qui "permettent à la personne de s'occuper d'elle même". Y sont inclus : les soins d'hygiène et d'apparence, l'alimentation, les soins de santé et les réponses données sur l'activité physique du point de vue des soins ou du risque cardio-vasculaire.

L'impact de la fatigue sur les soins d'hygiène et d'apparence concernerait 25,5% des enquêtés. Le manque de temps disponible et de motivation limitent souvent les soins d'apparence : "laiser-aller : rasage moindre, plus de port de lentilles" (homme 33 ans). En particulier les sorties pour les

Sarah Dufrêne Comprendre et gérer la fatigue dans le syndrome de Marfan 33 achats de vêtement ou soins extérieurs sont limitées : "je renonce à aller chez le coiffeur" (femme, 58 ans). Dans des situations moins fréquentes ou moins signalées, les soins d'hygiène sont espacés : "J'ai honte, mais comme je n'arrive pas à me lever le matin, je pars souvent au travail sans même me brosser les dents." (homme, 47 ans). Par ailleurs, les gestes bras levés pour l'habillage et le soin des cheveux peuvent être rendus difficiles par la fatigue musculaire : "je fatigue des bras pour me coiffer" (femme, 41 ans) ; "L'habillage et le shampoing sont fatigants" (adolescente, 14 ans). Cependant, nombreux sont ceux qui ont préféré témoigner de l'énergie fournie pour ces soins, malgré la fatigue : "je tiens à accorder du temps à mon apparence, peut- être pour "cacher" la maladie" (femme, 31 ans).

La moitié (49,5%) des répondants rencontrent une difficulté liée à la fatigue pour s'alimenter. On retrouve ici le lien entre douleur et fatigue : de nombreuses personnes indiquent une augmentation des douleurs rachidiennes lors du piétinement et du transport des courses (de plus le port de charges lourdes doit aussi être évité en cas d'atteinte aortique). La préparation des repas peut culpabiliser les intéressés, conscients de l'hygiène de vie nécessaire au maintien de leur santé : "alimentation basique et répétitive + malsaine en ce moment, pas de volonté" (homme, 33 ans). Des stratégies peuvent alors mises en place pour éviter ces situations : "courses au "drive" pour éviter les stations debout dans le magasin" (femme, 31 ans) ; "le repas du soir se prépare dans la journée" (femme, 44 ans). Enfin, certains repas, en particulier le dîner, peuvent être supprimés en raison de la fatigue : "je ne mange pratiquement plus, préparer les repas m'épuise. Ma fatigue m'empêchant de manger correctement, je suis consciente que cela l'accentue, mais il m'est actuellement impossible de gérer..." (femme, 63 ans) ; "Quand ma mère m'appelle pour manger le soir, des fois je n'ai pas envie d'aller manger et je préfère aller me coucher." (Adolescent, 13 ans).

La fatigue constituerait une gêne dans la réalisation des soins de santé pour 27,2% des enquêtés. Elle peut limiter la capacité à se rendre aux consultations, par manque de temps disponible ou parce que la fatigue gêne les déplacements : "étant déjà fatiguée, c'est contraignant d'avoir tous ces rendez-vous médicaux (je dois en avoir souvent à raison d'un par semaine)" (femme, 40 ans). Cela peut être délicat pour ceux qui habitent loin des lieux de consultation et/ou qui ont une activité à temps plein : "pour l'organisation des visites médicales, je prends des congés" (femme, 58 ans). La fatigue peut aussi être un obstacle au traitement médical malgré l'enjeu vital. 2 hommes ont limité ou supprimé la prise de bêta-bloquant (paragraphe 3.2.4.2). Parfois des interventions sont retardées en raison du temps de récupération : "Je retarde les opérations chirurgicales car j'imagine que je vais mettre un temps fou à m'en remettre." (femme, 42 ans), ou bien c'est la continuité de la prise en charge pose problème : "difficulté d'aller au bout de la réalisation quand cela induit un suivi régulier sur long terme (dents et coeur)" (femme, 39 ans). Enfin deux phénomènes psychologiques en lien avec la fatigue entrent particulièrement en jeu dans

Sarah Dufrêne Comprendre et gérer la fatigue dans le syndrome de Marfan 34 la régularité des soins. D'une part, comme dans toute maladie chronique, une lassitude des soins à vie existe : "J'en ai marre des parcours de santé, et si je peux m'en passer, (...) je le fais" (homme, 58 ans). D'autre part, l'attitude des soignants envers la fatigue entrainerait un rejet : "je l'ai signalée à mes médecins mais ils ont du mal à comprendre ce que je vis au quotidien et ça devient difficile psychologiquement de passer pour une fainéante." (femme, 24 ans).

Dans l'étude de Bathen et al. (2014), 78% des enquêtés ont un score d'au moins 5/7 à l'item "la fatigue interfère avec mon fonctionnement physique". Dans notre étude, parmi les 69,6% d'intéressés ayant déclaré que la fatigue nuisait à leur activité physique, la plupart ont précisé leur réponse en lien avec les soins ou les risques cardio-vasculaires. La fatigue peut limiter la pratique sportive ou le nombre de séances de kinésithérapie. "Je devrais faire 2 séances de kiné par semaine et du sport. Finalement, je ne fais pas autant." (femme 24 ans). La diminution peut être liée soit à la fatigue générée par le sport ("fatigue rapide si activité physique" (homme, 68 ans)), soit à la fatigue cumulée auparavant : "nager, faire de la gym me feraient le plus grand bien, mais inutile d'envisager ce type d'activité lorsque que je travaille" (femme, 45 ans). La fatigue liée à l'effort est moins fréquemment évoquée que celle liée au cumul d'activités. Cela semble confirmé par l'étude de Bathen et al. (2014), dans laquelle seulement 39% des répondants obtenaient un score supérieur à 5/7 à l'item "l'exercice augmente ma fatigue". La fausse croyance selon laquelle le sport serait interdit dans le cadre de cette pathologie est répandue : "pas d'activité physique surtout par crainte d'aller à contre-sens de ce qu'il faut faire" (femme, 40 ans) "aucun sport possible" (homme, 39 ans) ; "plus de sport depuis 6 mois (notamment car tout est interdit pour un Marfan sous anticoagulant)" (homme, 33 ans). Le centre national de référence (Jondeau, 2012) et l'AFSMA communiquent sur les sports possibles. Cependant, en France comme dans d'autres pays, les patients entendent ou retiennent surtout les limitations qu'on leur indique, parfois cumulées au cours des consultations avec divers spécialistes. De plus il peut exister une frustration de devoirs arrêter les sports collectifs, isométriques et/ou avec risque de choc. Bathen et al. (2014) décrivent : "Pour réduire le risque de dissection aortique et de luxation du cristallin, de nombreux patients se voient conseiller de limiter les sports de contacts et l'exercice physique (Loeys et al. 2010). Cela peut les amener à l'inactivité et à un style de vie sédentaire (Rand- Hendricksen et al. 2010)." Or l'activité physique est nécessaire pour l'entretien cardio-vasculaire. Dans la prise en charge de la PR, une diminution de la fatigue a été mesurée lorsqu'une activité physique adaptée était mise en place, avec des programmes de 15 à 30 minutes d'activité modérée au moins 3 fois par semaine (Chalès, 2011). De la même façon, quelques enquêtés témoignent du bénéfice tiré de l'activité physique sur la fatigue et la qualité du sommeil. "J'ai commencé la course à pied et repris l'équitation pour me sentir moins fatiguée. C'est ce que j'ai trouvé de plus efficace pour lutter contre la fatigue, les maux de dos et la lassitude." (femme, 20 ans) ; "marche quotidienne (plus de 30 minutes) pour bien dormir" (homme, 37 ans). Sarah Dufrêne Comprendre et gérer la fatigue dans le syndrome de Marfan 35 3.2.6.2 Productivité et rôles sociaux Les activités productives sont "en relation avec leur fonction contributives pour la société, ainsi qu'en relation avec leur fonction de subsistance personnelle et de soutien aux proches." Elles "peuvent être rémunérées ou non et [elles] produisent des biens ou des services" (Meyer, 2013). Y sont donc inclus le travail, mais aussi la scolarité et la formation, l'entretien ménager et la gestion d'aspects financiers pour soi, ainsi que les activités bénévoles produisant des services au bénéfice de tiers (garde d'enfants, soutien matériel ou entretien ménager pour des proches, etc.). Dans l'étude de Bathen et al., cet ensemble d'activités est globalement évalué par l'item "la fatigue interfère avec mon travail, ma vie sociale ou familiale" de la FSS. C'est le troisième secteur le plus touché, avec 60% de personnes ayant un score supérieur à 5/7.

Les habitudes de vie concernant le choix et l'entretien du domicile seraient conditionnées par la fatigue chez plus de la moitié (54,3%) des répondants. Souvent, il s'agit de planifier les tâches ("je dois fractionner dans la semaine les grosses tâches" (femme, 44 ans)) ou d'appeler un aidant familial lorsqu'il existe ("Incapable d'aider ma femme au quotidien dans les tâches ménagères" (homme, 39 ans)). Le choix du logement est aussi souvent conditionné par son emplacement pour limiter les déplacements et éviter les escaliers. "J'ai choisi un logement près de mon travail, petit pour moins de ménage ! La conduite est pour moi une activité difficile, j'utilise les transports en commun mais plus de marche donc fatigue. " (femme, 45 ans). "Je suis au 1er étage sans ascenseur avec un bébé. On ne sort pas car trop compliqué de tout porter." (femme, 24 ans).

La fatigue serait un obstacle au rôle familial pour 28,3% des intéressés pour les raisons suivantes. Elle limite le temps disponible pour l'exercer : "Je passe beaucoup de mon temps libre à me reposer, donc moins de visites familiales." (femme, 40 ans). L'énergie nécessaire pour la réalisation des activités correspondantes peut manquer : "Pas de dynamisme pour jouer avec mon fils" (homme, 37 ans). La fatigue rend la communication avec les proches plus difficile pour 47,3% des enquêtés : irritabilité, manque de concentration : "manque de persévérance dans les dialogues (vite saoûlé)" (homme, 42 ans). On retrouve la difficulté liée aux déplacements : "je vois moins mes amis et ma famille car je ne voyage plus" (femme, 34 ans). La difficulté à remplir les rôles familiaux peut engendrer frustration ou culpabilité ("je n'ai pas l'impression d'être à la hauteur par rapport à ce que l'on attend de moi." (homme, 60 ans)). Paradoxalement, quelques personnes indiquent une absence de difficulté parce qu'elles ont renoncé : "Je n'ai pas d'enfant. Je ne me sentirais pas de pouvoir assumer un enfant au quotidien par rapport à la fatigue." (femme, 40 ans).

La gestion des aspects financiers de la vie, et l'exercice des responsabilités civiles et citoyennes, semblent peu atteints par la fatigue. Les difficultés concerneraient respectivement 11,4% et 5,4% des répondants. Cela diffère de l'étude de Bathen et al. (2014), dans laquelle 60% des enquêtés avaient un score supérieur à 5/7 à l'item "la fatigue interfère avec l'exercice de certains devoirs et

Sarah Dufrêne Comprendre et gérer la fatigue dans le syndrome de Marfan 36 responsabilités", mais la formulation de la FFS est plus large que celle de notre questionnaire. Les activités que nous avons évaluées ici sont ponctuelles. La fatigue spécifique au syndrome de Marfan ne comporterait au plan cognitif, qu'une atteinte : celle de l'attention soutenue. Cela permet une organisation et une gestion des priorités pour réaliser les tâches correspondantes. "Mon budget, mon courrier, cela nécessite des journées où je suis en forme et concentrée. Quand les démarches pour faire respecter mes droits me demandent beaucoup d'énergie, je préfère laisser tomber." (femme, 42 ans). Il y a aussi un report sur les éventuels aidants familiaux : "je sous-traite au maximum à mon épouse" (homme, 60 ans). Les situations délicates seraient rares : "Je laisse aller mes comptes et me retrouve régulièrement à découvert depuis 4 mois". (femme, 61 ans).

Chez 59,8% des répondants, la fatigue aurait des conséquences sur l'activité professionnelle, la scolarité, ou une fonction assimilée . La fatigue peut se manifester au plan physique, musculaire : "j'ai du mal à faire mes devoirs le soir [...]. La fatigue liée à la maladie n'est pas bien comprise par les professeurs. J'ai un PAI25 mais je crois qu'ils n'imaginent pas à quel point écrire est difficile [...]." (adolescent, 13 ans). L'aspect attentionnel, dans la réalisation des tâches et dans les relations avec les collègues, entre aussi en jeu : "Difficulté à se concentrer au travail, oubli de procédure, problème avec mes collègues de travail qui ne comprennent pas la raison" (homme, 46 ans) ; "Trouble important de la concentration lors de réunion, voire on s'endort : image négative" (homme, 45 ans). Le travail est important aux yeux des enquêtés parce qu'il permet d'avoir un revenu, un statut et des relations sociales. L'arrêt complet de l'activité professionnelle en raison de la fatigue est très mal vécu :"J'ai été mise en invalidité à 50 ans. Le plus invalidant est de ne pas pouvoir faire des choses AVEC d'autres car on ne va pas avoir la force de suivre. La faiblesse, la fatigue isole." (femme, 70 ans). Pourtant, réaliser les tâches et maintenir un apparent bon fonctionnement aux yeux des collègues peut épuiser : "quand je travaillais, j'avais l'impression de ne faire que ça : dormir et travailler. C'est usant." (femme, 30 ans). Les intéressés peuvent recourir à deux alternatives s'ils ne peuvent plus faire face. L'absentéisme a été évoqué par plusieurs personnes : "aujourd'hui je suis resté chez moi, j'irai voir le médecin pour un court arrêt de travail." (homme, 50 ans). L'adaptation du temps et du poste de travail est également possible : "je pense que le fait d'avoir organisé toute ma vie autour d'un travail à mi-temps me permet de faire un peu tout, sans trop de fatigue, sinon je crois que je n'aurais pas pu gérer" (femme, 50 ans). Il faut alors faire face à la diminution des revenus et au regard des collègues.

3.2.6.3 Loisirs et ressourcement Selon Meyer (2013), les loisirs "permettent à la personne de se ressourcer ou de se délasser du travail et servent la personne plutôt que la société [...]. Les loisirs sont réalisés dans un temps libéré des obligations familiales et professionnelles. Ils sont librement choisis, contrairement

25 PAI : projet d'accueil individualisé, permettant à un enfant ayant un problème de santé chronique d'être scolarisé en milieu ordinaire grâce à des aménagements matériels ou organisationnels. Sarah Dufrêne Comprendre et gérer la fatigue dans le syndrome de Marfan 37 aux tâches incluses dans le travail et sont réalisés pour le plaisir". Le ressourcement et l'accomplissement personnel participent à l'équilibre de la personne. Dans le questionnaire soumis aux enquêtés, cela correspond aux questions sur les loisirs actifs ou de détente, les activités relaxantes, celles qui participent au bien-être psychique, ainsi que les activités relationnelles.

38,6% des intéressés indiquent que la fatigue a des conséquences sur leurs relations sociales. Elle limite le temps accordé aux relations : "j'évite de sympathiser avec mes voisins de peur qu'ils ne viennent sonner quand je me repose" (femme, 42 ans). Indirectement, elle réduit le cercle relationnel ("J'ai perdu quelques amis car je ne faisais pas certaines sorties car fatiguée" (femme, 31 ans)). La qualité des relations est diminuée car les personnes fatiguées sont moins réceptives d'une part, et ont peur du jugement de leur entourage d'autre part. Les enquêtés indiquent par exemple : "on est plus irritable et on culpabilise de freiner son entourage" (homme, 45 ans).

69,6% des répondants pensent que la fatigue à un impact sur les loisirs actifs. On retrouve ici les difficultés indiquées pour l'activité physique dans le cadre de la santé. Mais également l'absence de temps et d'énergie résiduels quand la personne a réalisé les autres activités. "Je ne peux pas suivre, shopping, fête, c'est frustrant. Travail + repos, mais jamais travail + sortie, je dois choisir." (femme, 50 ans). Dans l'étude de Bathen et al. (2014) les secteurs les plus atteints par la fatigue sont la motivation (86% de personnes totalisant un score supérieur à 5/7) et le fonctionnement physique (78% de personnes totalisant un score supérieur à 5/7). Cela explique que les loisirs actifs, nécessitant de la motivation et une capacité physique, soient limités par la fatigue.

Les activités relaxantes seraient limitées par la fatigue pour 38,6% des répondants. Une position statique peut augmenter des douleurs source de fatigue : "Le ciné c'est dur quand il dure plus de 1h/1h30 et il faut que je sois bien assise et bien reposée" (femme 42 ans). L'attention soutenue est limitante pour certains : "je m'endors devant la télé quel que soit le moment de la journée" (homme, 45 ans), ce qui est frustrant ("mon corps ne suit pas ce que ma tête pense" (femme, 56 ans)). La difficulté la plus citée le manque de temps disponible ("impression de ne plus avoir assez de temps pour cela, car je suis plus lente à accomplir les tâches quotidiennes" (femme, 49 ans)), poussant à renoncer aux loisirs : "je dors à la place quand je peux" (femme, 39 ans). Enfin, les loisirs sont par définition réalisés sans obligation : la dimension motivationnelle de la fatigue a une grande importance : "aucun entrain pour organiser des vacances" (homme, 33 ans). 3.2.6.4 Bilan : fatigue et habitudes de vie La fatigue aurait donc des conséquences sur les activités de soin personnel, de productivité et de loisirs. Seules des activités ponctuelles, telles que l'exercice des responsabilités civiles et citoyennes, ou la gestion des aspects financiers (par exemple le paiement des factures ou le suivi des comptes), semblent pratiquement épargnées. L'atteinte de presque toutes les catégories d'habitudes de vie est due à la diversité des mécanismes de la fatigue dans le syndrome de

Sarah Dufrêne Comprendre et gérer la fatigue dans le syndrome de Marfan 38 Marfan : temps de sommeil nécessaire important, fatigue physique, difficulté à maintenir longuement une attention soutenue, atteinte de la motivation ; parfois la fatigue psychique s'y ajoute. On note également la modification des habitudes de vie en réaction au regard (réel ou supposé) porté sur la fatigue par l'entourage familial, professionnel et le personnel soignant.

Le graphique suivant reprend les types d'habitudes de vie explorées dans le questionnaire, classées par ordre d'impact de la fatigue sur leur réalisation, selon les intéressés.

Conséquence de la fatigue sur les habitudes de vie

de porteurs du syndrome de Marfan

Activités physiques, loisirs actifs Travail, scolarité, activité assimilée Choix et entretien de l'habitation Déplacements Alimentation (courses, préparation, repas) Communication avec les proches Relations sociales Activités de détente, loisirs calmes Rôle familial Soins de santé Soins d'hygiène et d'apparence Gestion des aspects financiers Responsabilités civiles et citoyennes 0% 10% 20% 30% 40% 50% 60% 70% 80% 90% 100%

pourcentage de personnes ayant déclaré un impact de la fatigue sur ces habitudes de vie

Illustration 8 : Conséquences de la fatigue sur les habitudes de vie des porteurs du syndrome de Marfan 3.3 Intérêts et limites de l'étude des données Les dimensions et conséquences de la fatigue ont été évaluées à l'aide d'un questionnaire. La méthode de diffusion utilisée permet d'obtenir des informations nombreuses dans le temps imparti. Elle respecte le secret médical. L'enquêté se retrouvant seul devant le questionnaire, ses réponses sont peu affectées par la relation avec l'enquêteur. La diversification des modes d'accès aux personnes enquêtées cherche à limiter les biais. Le grand nombre de réponses reçues permet d'étayer l'idée que la fatigue est un phénomène répandu et générateur de situations de handicap chez les personnes ayant un syndrome de Marfan. La confrontation des résultats avec une revue de littérature sur l'épidémiologie de la fatigue dans la population générale, et avec une étude récente sur la fatigue dans le syndrome de Marfan tend à objectiver l'analyse.

Le questionnaire aurait pu être amélioré. Il aurait été préférable de préciser l'âge minimal de réponse. Il aurait fallu demander si la personne était porteuse d'une autre pathologie et le cas échéant de préciser laquelle afin d'éliminer à coup sûr les personnes porteuse d'une seconde

Sarah Dufrêne Comprendre et gérer la fatigue dans le syndrome de Marfan 39 pathologie pouvant générer une fatigue différente. Enfin, certaines questions ouvertes auraient pu être plus précises, en demandant par exemple de combien de temps de sommeil les personnes avaient besoin. Malgré les précautions prises, les biais de recrutement existent à trois niveaux : échantillonnage basé sur le volontariat, mode d'enquête présupposant la capacité à lire le questionnaire et écrire ses réponses, faible maîtrise de la représentativité de l'échantillon. Nous ne savons pas ce qu'auraient répondu les personnes qui n'ont pas renvoyé le questionnaire : leurs réponses auraient elles été différentes de celles reçues ? Le phénomène étudié est subjectif, le seul moyen de contrôler la qualité des résultats obtenus est la comparaison avec des études existantes sur la fatigue dans la population générale et chez les porteurs de syndrome de Marfan, or ces études sont rares. Aussi il est nécessaire d'être prudent sur l'interprétation des résultats.

Enfin, c'est précisément le peu de données théoriques disponibles qui rend ce recueil de données à la fois nécessaire pour mesurer et mieux comprendre la fatigue dans le syndrome de Marfan, intéressant puisqu'il explore un domaine émergeant, et difficile, avec une analyse longue et ardue.

3.4 Synthèse La fatigue concernerait 83,2% des porteurs du syndrome de Marfan ayant répondu au questionnaire. Sur l'ensemble de ces personnes la moitié subiraient une fatigue chronique, soit 2,5 fois plus que dans la population générale. La fatigue chronique apparaîtrait le plus souvent à l'âge adulte mais serait tout de même présente chez un petit nombre d'adolescents et chez environ 12% des porteurs du syndrome dès l'enfance, ce qui est caractéristique de cette pathologie.

Cette étude nous a permis de dégager des causes et mécanismes possibles de cette fatigue en confrontant les idées des intéressés et des données de la littérature scientifique. Les douleurs (rachidiennes, articulaires, musculaires ou les maux de tête) semblent être la principale source de fatigue, qui viennent amplifier la fatigabilité musculaire et limiter le fonctionnement physique des personnes. Les déficiences cardio-vasculaires, les effets secondaires possibles du traitement par bêta-bloquant (fatigue et désadaptation à l'effort), et le déconditionnement à l'effort pourraient aussi concourir à cette fatigue physique. Un besoin de sommeil important (de l'ordre de 9 à 12h par nuit et une sieste en milieu de journée), souvent non satisfait, diminuerait le temps et l'énergie disponible pour les activités. Un trouble de l'attention soutenue apparaîtrait sous forme d'endormissement chez certains porteurs lorsque l'activité est longue et le corps statique ; peut- être est-il lié à une quantité ou une qualité de sommeil insuffisante. Dans environ 1 cas sur 5, des facteurs de fatigue psychique (stress, troubles anxio-dépressifs) sont cités ; la dimension motivationnelle de la fatigue est souvent présente, ce qui peut contrarier l'initiation de certaines activités, soit par manque d'envie, soit par crainte de ne pas pouvoir terminer l'activité prévue.

Sarah Dufrêne Comprendre et gérer la fatigue dans le syndrome de Marfan 40 En conclusion, l'impact de la fatigue sur les activités varie selon la nature de l'activité, les dimensions de la fatigue spécifique à chaque individu (présence ou non de trouble de l'attention soutenue, de fatigue visuelle, de douleur à la marche, etc.), la présence ou non d'un environnement matériel facilitateur. Indirectement, l'envie de masquer la fatigue à son entourage ou d'éviter des jugements négatifs (réels ou supposés) émis par les proches, les collègues ou les soignants, pourrait aussi modifier les habitudes de vie.

Les soins personnels, qui sont les activités les plus basiques réalisées par tout être humain, sont limitées, parfois fortement, par la fatigue dans le syndrome de Marfan. C'est un facteur important à prendre en compte pour l'observance des soins, qui conditionne le pronostic vital, et pour la qualité de vie des intéressés. La fatigue pousse au sacrifice des activités ressourçantes et du repos pour maintenir celles que les personnes vivent comme une nécessité incontournable : les soins personnels et les activités productives, comme l'illustre une des personnes enquêtées. "Je dois travailler à temps complet pour des raisons financières. Tout mon courage, mon énergie, je dois la garder pour continuer à aller au travail. Et je n'ai plus de courage pour le reste (sorties, loisirs...). (femme, 47 ans). Or d'après les théories des besoins fondamentaux développées par Henderson (Boittin, Lagoutte et Lans, 2002) et Maslow (1956), les besoins de communiquer, de se réaliser (au travail ou en dehors), de se récréer, sont des besoins fondamentaux supérieurs. Leur réalisation ne peut se faire au détriment des besoins les plus basiques, mais elle est nécessaire au sentiment de plénitude (Maslow, 1956). C'est pourquoi la fatigue, qui entrave la plupart des activités et empêche des personnes porteuses de syndrome de Marfan de réaliser leurs besoins fondamentaux supérieurs, est le principal frein identifié à leur qualité de vie. « En tout cas ne rien faire pour me reposer n'est pas une solution, car dans ce cas je rumine et me sens incapable et je culpabilise. J'ai besoin d'activités et de réussites (reconnues au moins par moi) afin de me sentir mieux dans ma peau et me rendre plus optimiste. » (homme, 60 ans).

Aussi, nous allons proposer une approche ergothérapeutique pour une gestion de la fatigue, afin de contribuer à l'amélioration de la qualité de vie des personnes ayant le syndrome de Marfan.

Sarah Dufrêne Comprendre et gérer la fatigue dans le syndrome de Marfan 41 4 Proposition d'intervention La question de recherche posée au début de ce travail comporte deux volets : Comment mieux comprendre la fatigue, facteur majeur de la qualité de vie des personnes porteuses de syndrome de Marfan ? L'ergothérapie pourrait-elle faire des propositions pour améliorer le ressenti de qualité de vie par les intéressés ? Le premier, qui concerne la compréhension du phénomène dans son contexte, a été exploré précédemment. Le second volet consiste, une fois le phénomène mieux compris, à en tirer une proposition d'intervention pour les soignants, notamment les ergothérapeutes, au bénéfice des personnes porteuses d'un syndrome de Marfan. La fatigue dans le syndrome de Marfan implique différents mécanismes, ce qui implique selon Quéau et Pellegrin (2001) une prise en charge multidisciplinaire. La fatigue diminue la qualité de vie en limitant les activités, les habitudes de vie, des intéressés. Cela entre dans le champ de compétence de l'ergothérapie. Selon Margot-Cattin (2005), l'action de l'ergothérapeute porte « sur deux axes : l'environnement, ce qui induira un changement sur la forme de l'activité ; ou sur la personne, ce qui entraînera un changement sur la performance. ». La performance comprend le choix, la planification, l'organisation et l'exécution d'une activité (Chapparo et Ranka, 1997, cités par Meyer, 2003). La proposition tient compte de ces deux axes. Mais il est apparu au cours de la recherche que la fatigue avait des conséquences chez 27% des répondants sur l'observance du traitement (consultations, traitement médical et activité physique nécessaire à l'entretien cardio-vasculaire). C'est pourquoi il semble important de porter les résultats de cette étude, même si elle est imparfaite, à la connaissance des professionnels de santé et des personnes porteuses du syndrome de Marfan. Aussi la proposition d'intervention se décline selon trois axes : porter à connaissance les résultats de l'étude de la fatigue dans le syndrome de Marfan, agir sur l'axe environnemental pour modifier limiter l'asthénie quand c'est possible, et accompagner le processus de changement de la personne fatiguée vers une gestion autonome de sa fatigue.

4.1 Porter à connaissance les résultats de l'étude de la fatigue Les biais indiqués dans la partie 3 ne permettent pas de chiffrer précisément la fréquence de la fatigue chez l'ensemble des personnes porteuses de syndrome de Marfan. Malgré cela, les résultats de cette étude, de l'étude de Rand-Hendricksen et al. (2010), et de celle Bathen et al. (2014), laissent penser que la fatigue est répandue et gênante pour les porteurs de cette pathologie. Pour qu'un phénomène soit pris en compte, il faut préalablement qu'il soit connu.

Sarah Dufrêne Comprendre et gérer la fatigue dans le syndrome de Marfan 42 4.1.1 Un enjeu de santé publique Chercher à diminuer le symptôme de fatigue pour améliorer la qualité de vie des individus est en soi un objectif louable. Il se place en outre dans un contexte plus vaste, avec des intérêts de santé publique. On pense par exemple aux deux hommes qui ont diminué ou cessé le traitement bêta- bloquant en raison de la fatigue, aux nombreuses personnes qui ne font pas d'activité sportive, pensant qu'elle est contre-indiquée, alors que l'inactivité augmente le risque cardio-vasculaire, à ceux qui craignent de s'endormir au volant... Atténuer les difficultés liées à leur fatigue, c'est leur permettre d'avoir un quotidien plus agréable, mais aussi limiter les risques d'accidents, de complications, et les coûts humains et financiers associés. 4.1.2 Une reconnaissance du symptôme nécessaire aux personnes porteuses du syndrome de Marfan Depocas (1998, p. 44), écrit au sujet de la fatigue dans la SEP : "Déjà, la seule reconnaissance scientifique d'une fatigue spécifique [à la pathologie] constitue pour les patients un progrès important, ne serait-ce qu'en levant les soupçons de paresse qui pèsent trop souvent sur eux de par leur entourage." L'étude menée sur la fatigue dans le syndrome de Marfan montre aussi ce poids du regard de l'entourage (familial, professionnel, soignant) et ce besoin de reconnaissance.

Plusieurs enquêtés manifestent soit de l'agacement envers les soignants qui ne seraient pas à l'écoute de leur fatigue, soit un soulagement parce que le recueil de données leur permet de s'exprimer sur ce sujet. Dans un livret destiné aux médecins, le Pr Chalès (2011, p. 33) indique que l'un des points-clés pour la pratique clinique est d'améliorer le dialogue avec les patients. Pour cela, il conseille « [d'aborder] le thème de la fatigue, lors des consultations [...] : engager le dialogue à propos de la fatigue [...] permet au patient de percevoir que son symptôme et la souffrance qu'il engendre vont être pris en compte et cela l'encourage à exprimer ses plaintes. » Il ajoute qu'il est important de savoir « décrypter des plaintes en rapport avec la fatigue formulées de façon indirecte par le patient », de « [répondre] à la plainte du patient sans la nier et en cherchant à la comprendre », et enfin d'aborder régulièrement le thème de la fatigue au cours du suivi. Ces conseils semblent transférables dans le cas du syndrome de Marfan et concourraient probablement à la mise en place d'une alliance thérapeutique entre le patient et le soignant.

Enfin, la reconnaissance de la fatigue par les médecins spécialistes, si elle avait lieu, permettrait la mise en place de recherches complémentaires, de traitements (par exemple, les soins en ergothérapie ne peuvent se faire que sur prescription médicale), et d'adaptations matérielles et organisationnelles (par exemple le médecin du travail pourrait préconiser un temps de sieste méridienne en salle de repos, mais ne le fera que si la fatigue est un symptôme connu et reconnu).

Sarah Dufrêne Comprendre et gérer la fatigue dans le syndrome de Marfan 43 4.1.3 Soulager la fatigue, un enjeu partagé Même si les ergothérapeutes sont compétents en ce qui concerne la qualité de vie et les activités de vie quotidiennes, si la fatigue était prise en compte dans le parcours de soins, elle le serait nécessairement par plusieurs professionnels. En effet, la fatigue est multidimensionnelle. Les douleurs qui y participent, majoritairement articulaires, sont actuellement prises en compte dans le parcours de soins des personnes ayant un syndrome de Marfan par les rhumatologues, avec parfois un recours ponctuel à l'ergothérapie pour des orthèses (d'autres pistes peuvent être envisagées comme on le verra plus loin). La fatigabilité musculaire, qui se manifeste au niveau des membres, mais aussi parfois sous forme de difficulté à articuler et de « fatigue visuelle » (hypothèse de fatigabilité des muscles oculomoteurs), pourrait être prise en charge par des kinésithérapeutes, des orthophonistes ou des orthoptistes le cas échéant. Les questions relatives aux déficiences cardio-vasculaires, aux effets secondaires possibles des bêta-bloquants, et au déconditionnement à l'effort peuvent déjà être posées aux cardiologues, la mise en pratique dans le quotidien pourrait être favorisée par des kinésithérapeutes, des ergothérapeutes ou des chargés d'activité physique adaptée. L'amélioration de la qualité de sommeil fait déjà appel aux pneumologues dans le cadre de l'apnée du sommeil, mais une réflexion sur l'hygiène de vie et le sommeil peut être envisagée avec d'autres professionnels de santé. Quant à la fatigue psychique, quand elle se manifeste, elle semble logiquement être du ressort des psychologues déjà présents dans les consultations multidisciplinaires spécialisées...

Soulager la fatigue dans le syndrome de Marfan nécessiterait une approche multidisciplinaire. L'ergothérapeute peut y contribuer. En pratique, il est avant tout nécessaire d'identifier les éléments minorant la qualité de vie (tels que la fatigue), c'est à dire empêchant la personne de s'investir dans les activités qui font sens pour elle. L'ergothérapie met en avant l'autonomie de l'individu, c'est à dire le respect de son aptitude à faire des choix le concernant. C'est donc à partir des besoins exprimés par la personne (en veillant à ce que le soignant n'impose pas son avis personnel au soigné) que l'ergothérapeute va travailler avec elle. Il va agir pour faciliter les activités qui sont importantes pour la personne, en recherchant si besoin à les lui faire hiérarchiser et en lui proposant de fixer des objectifs concrets, mesurables et atteignables. Avec les personnes ayant un syndrome de Marfan, l'ergothérapeute pourrait, selon les besoins, intervenir soit sur la forme de l'activité soit sur la performance comme cela a été expliqué précédemment. Lorsque les besoins sont ponctuels, l'action de l'ergothérapeute peut être tournée vers la forme de l'activité, être très directe. C'est ce que nous allons développer maintenant.

4.2 Agir directement pour limiter la fatigue Nous abordons ici les aspects techniques et matériels de l'ergothérapie, les plus connus des personnes ayant un syndrome de Marfan et des équipes soignantes (paragraphe 1.2.2),

Sarah Dufrêne Comprendre et gérer la fatigue dans le syndrome de Marfan 44 en les appliquant à la question de la fatigue. Parmi les compétences de l'ergothérapeute26, ces compétences « visibles » concernent la mise en œuvre et la conduite d'activités de soins, de rééducation et de réadaptation ; la conception, la réalisation et/ou l'adaptation d'orthèses, d'aides techniques ou d'assistance technologiques et l'aménagement de l'environnement ; et enfin, la formation et l'information de certains acteurs (professionnels de santé, acteurs médico-sociaux, patient et son entourage...). Les compétences préalables telles que l'évaluation globale, le diagnostic ergothérapique, la conception d'un plan de traitement, la conduite d'une relation de soin et la coopération avec les acteurs précédemment cités sont nécessaires, mais restent méconnues. L'efficacité de ces techniques sur la qualité de vie des personnes accompagnées par des ergothérapeutes a été démontrée par les pratiques probantes (paragraphe 1.1). Le Protocole National de Diagnostics et de Soins (PNDS) spécifique au syndrome de Marfan établi par la HAS indique d'ailleurs le cadre spécifique d'action de l'ergothérapeute en rééducation-réadaptation : « dès qu'une gêne fonctionnelle apparaît ; pour les essais de matériels et d'aides techniques ; pour aider les équipes de proximité à la mise en place des matériels : aide au choix et formation à l'utilisation. ». (HAS, 2008, p.11-12). Cependant la HAS ne donne pas plus de précisions dans ce document de synthèse, or il existe des spécificités liées au syndrome de Marfan sur lesquelles l'ergothérapeute devrait être vigilant. 4.2.1 Évaluations La fatigue elle-même devrait être évaluée tout simplement en demandant à la personne si elle est fatiguée, et le cas échéant quel est son niveau de fatigue et quelles en sont les conséquences. En rééducation fonctionnelle, il est important de ne pas multiplier les évaluations puisque ces personnes sont fatigables. Il faut aussi garder à l'esprit que les exercices isométriques sont contre-indiqués en raison des risques aortique, de blessure musculaire ou d'entorse. Les tests avec soulèvement rapide de poids croissants, tels que le test de Pile souvent utilisé pour la lombalgie sont donc à proscrire. et Benjamin (2009, p. 4) conseillent de ne pas évaluer la force contre résistance dans les bilans musculaires, pour protéger l'aorte. Cela limite aussi la fatigue. 4.2.2 Activités physiques Les personnes avec un syndrome de Marfan ne doivent pas pratiquer les sports isométriques, ceux avec risques de choc donc de luxation du cristallin ou de décollement de rétine, ainsi que les activités avec des variations de pression de l'air dans les poumons, comme la plongée profonde, en raison du risque de pneumothorax (paragraphe 2.2.1.2). Paris et Benjamin (2009, p.3) recommandent, s'il n'y a pas d'indication donnée par le cardiologue, de conserver le pouls en dessous de 100 battements par minute pour les patients ayant un traitement par bêta-bloquant, et d'éviter les activités alternant des arrêts brutaux et des changements de position rapide. 26 arrêté du 5 juillet 2010 relatif au diplôme d'état d'ergothérapeute – Annexe II de cet arrâté Sarah Dufrêne Comprendre et gérer la fatigue dans le syndrome de Marfan 45 Dans la SEP et la PR, l'activité physique bien encadrée contribue à diminuer la fatigue (Depocas, 1998, p.40 ; Chalès, 2011, p.30-32). L'activité physique dynamique, qui est déjà conseillée dans le cadre du traitement du syndrome de Marfan comme facteur d'entretien cardio-vasculaire (Jondeau, 2012), pourrait-elle aussi limiter la fatigue ? On peut l'espérer, d'autant que plusieurs enquêtés ont témoigné en ce sens. Cependant, les personnes ayant un syndrome de Marfan peuvent être découragées par toutes les limitations citées précédemment et ne plus pratiquer d'activité physique (paragraphe 3.2.5.1). En ergothérapie, pour favoriser l'activité physique, nous pouvons rappeler que l'activité physique est possible et souhaitable, puis contribuer au choix d'une activité physique – qu'il s'agisse d'un sport ou d'un loisir actif – adapté aux goûts et à l'état de santé de la personne, et si nécessaire préconiser des adaptations pour rendre une activité possible. Des orthèses ou des bandes (« strapping ») peuvent être conseillés pour protéger les articulations fragiles (Paris et Benjamin, 2009, p.6). Depocas (1998, p. 40-41) insiste sur la nécessité d'adapter le rythme et l'intensité de la pratique à chacun, en prévoyant des pauses avant la survenue de la fatigue ou dès les premiers signes, mais aussi en planifiant l'activité physique « selon le rythme circadien de la fatigue, avec son pic de fin d'après-midi, et fixé de manière à ne pas nuire aux autres activités de la journée [...] » ce qui amène souvent à réaliser l'activité physique plutôt le matin ; ce conseil de planification destiné aux porteurs de SEP semble transposable aux personnes porteuses d'un syndrome de Marfan. 4.2.3 Rééducation : techniques gestuelles L'apprentissage de nouvelles façon de faire les gestes est parfois incontournable, par exemple pour les personnes avec un syndrome de Marfan qui ont subi une arthrodèse étendue au niveau du rachis. Des conseils et un apprentissage de l'économie rachidienne et de l'économie articulaire peuvent aussi être utiles en dehors de la rééducation post-opératoire. En effet, les douleurs, en particulier rachidiennes et articulaires aux membres, sont une source majeure de fatigue (paragraphe 3.2.4.1). Il n'existe pas de programme spécifique pour le syndrome de Marfan, mais les conseils donnés aux lombalgiques et aux polyarthritiques sont adaptés, pour peu que l'on tienne compte de l'interdiction du port de charge lourde et de l'hyperlaxité ligamentaire. 4.2.4 Orthèses adaptées Les rhumatologues des consultations spécialisées feraient déjà ponctuellement appel à des ergothérapeutes, notamment pour réaliser des orthèses. Les orthèses de repos sont utilisées pour lutter contre la douleur, celle-ci étant source de fatigue. Les orthèses de fonction rendent le geste plus efficace, ce serait moins fatigant lors d'activités prolongées. Paris et Benjamin (2009, p. 6) précisent "En raison de la morphologie inhabituelle des patients avec un syndrome de Marfan, grands et minces, les orthèses préfabriquées [standard] ne leur conviennent généralement pas. Par conséquent, les orthèses de repos ou de fonction peuvent nécessiter une personnalisation." Sarah Dufrêne Comprendre et gérer la fatigue dans le syndrome de Marfan 46 4.2.5 Aménagements environnementaux, aides techniques Comme l'explique l'ergothérapeute américaine Roux (2009), « Les patients avec un syndrome de Marfan sont un cas d'école pour l'ergonomie [...]. Leurs membres sont plus longs et leur torse plus court, et ils peuvent avoir des déformations du rachis. Ils vivent dans un monde qui n'est pas équipé pour des personnes de leur taille et/ou leur morphologie. Un positionnement [...] adéquat peut limiter l'effort physique pour s'y adapter. » C'est pourquoi le poste de travail et le domicile devraient être adaptés, lorsque c'est possible, à la taille, à la vision et à la fatigabilité de la personne. Les mensurations inhabituelles nécessitent souvent des ajustements : ainsi un siège de bureau, devra souvent être équipé d'une assise plus haute, d'assise et d'accoudoirs plus longs que le modèle équivalent pour une personne de même taille et de morphologie standard ; les renforts lombaires doivent être ajustables à la morphologie, et la mousse d'assise devrait être de haute densité, le poids étant réparti sur une surface réduite. Le positionnement au lit, déjà proposé par de nombreux ergothérapeutes aux patients lombalgiques, favorise la diminution des douleurs et la qualité du sommeil. L'adaptation du domicile est à réfléchir en fonction de l'ensemble des habitants, ce qui peut amener à proposer des plans de travail de hauteurs différentes par exemple.

Le poids des objets et la force nécessaire pour les gestes de soins personnels, peu valorisants, peuvent aussi être limités afin de préserver l'énergie disponible pour des activités plus gratifiantes. Par exemple, on peut proposer aux personnes qui éprouvent une fatigue musculaire pour lever les bras (paragraphe 3.2.5.1), d'utiliser des brosses à shampoing, brosses à cheveux ou peignes ultra-légers à long manche légèrement courbé. Enfin, une question délicate se pose quand la marche est possible d'un point de vue fonctionnel mais épuisante, celle de proposer une aide à la mobilité à certains moments ; cela peut aider à conserver de l'énergie pour d'autres activités.

Les spécificités pédiatriques n'ont pas été présentées ici car l'étude porte sur les adolescents et adultes. Les ergothérapeutes disposent de techniques directement applicables, utilisables pour modifier la forme de l'activité et diminuer la fatigue. Mais si la fatigue ne peut pas être totalement éliminée, l'ergothérapeute peut aider les personnes à savoir la gérer au quotidien.

Alors, l'ergothérapeute tentera d'accompagner le cheminement individuel de la personne concernée, dans un esprit éducatif. Selon Traynard et Gagnayre (2013), « De nombreuses expériences dans d'autres spécialités ont confirmé les effets d'une éducation des patients en termes d'amélioration de leur équilibre métabolique, de leur qualité de vie, de prévention des accidents aigus et des complications et de réduction des coûts. ».

4.3 Accompagner vers une gestion autonome de la fatigue A ce jour, dans le parcours de soins des porteurs de syndrome de Marfan, ce rôle des ergothérapeutes semble méconnu. Pourtant, l'autonomie de la personne est un des objectifs

Sarah Dufrêne Comprendre et gérer la fatigue dans le syndrome de Marfan 47 de l'ergothérapie. Il s'appuie sur des compétences établies dans le référentiel métier27 : élaboration et conduite d'une démarche d'éducation et de conseil (dont l’Éducation Thérapeutique du Patient : ETP) ; conduite de relation avec le patient ; travail en coopération avec différents acteurs (professionnels de santé, acteurs médico-sociaux, patient et son entourage) ; formation et information de certains de ces acteurs. Dans le PNDS du syndrome de Marfan, la HAS dit la nécessité de l'éducation des patients, la compétence des ergothérapeutes dans ce domaine, et préconise l'apprentissage de la gestion de la fatigue : « Divers professionnels de santé (médecins, infirmier, kinésithérapeute, ergothérapeute, psychologue clinicien) interviennent dans l'éducation thérapeutique [...]. Cette éducation thérapeutique doit contribuer à l'implication active du patient et de son entourage. [...] Elle s'accompagne d'un apprentissage de la gestion de la fatigue, du stress et de la vie au quotidien, de l'auto-rééducation et de l'entretien musculaire, ainsi que de conseils et d'une information sur les gestes et techniques à réaliser et à éviter. » (HAS, 2008, p.9). 4.3.1 Connaître le symptôme et les ressources La base de l'autonomie, c'est que l'intéressé ait accès à des informations pertinentes, formulées de façon compréhensible pour lui, afin d'éclairer ses choix. Cela relève de l'éducation à la santé (information) plutôt que de l'ETP (formation), mais ce premier niveau peut déjà résoudre une partie des difficultés éprouvées par les personnes pour gérer leur fatigue.

Le second moyen pertinent d'aide à la gestion de la fatigue évoqué par les enquêtes (après l'aide individuelle) serait une plaquette d'information. Celle-ci pourrait reprendre : – les connaissances et hypothèses actuelles sur la fatigue dans le syndrome de Marfan, – des conseils pour limiter la fatigue : tenir compte de son besoin de sommeil, lutter contre la douleur qui participe à la fatigue par différents moyens, se positionner et aménager son environnement, utiliser des aides techniques, se reconditionner à l'effort, prendre des moments de détente pour limiter le stress – des principes de gestion de la fatigue, c'est à dire de réflexion sur l'organisation personnelle, à chaque fois qu'elle est possible (vie privée et professionnelle) : illustration 8. Principes de gestion de l'énergie et de la fatigue 1. Établir des priorités : temps de repos, sélection d'activités importantes et tâches essentielles 2. Éliminer des tâches ou des activités qui ne devraient pas être réalisées ou sont facultatives (par exemple faire ses courses sur internet et les faire charger dans sa voiture, ou les faire livrer) 3. Simplifier les tâches : éliminer les étapes facultatives (par exemple sécher la vaisselle), combiner des tâches (par exemple sortir les déchets et prendre le courrier), demander de l'aide 4. Déléguer des tâches : prévoir les tâches déléguées, s'organiser avec celui qui les réalisera 5. Répartir les activités au cours de la semaine : répartir la charge et conserver des loisirs 6. Réaliser les activités à un rythme soutenable, en prévoyant des pauses régulières ou dès

27 arrêté du 5 juillet 2010 relatif au diplôme d'état d'ergothérapeute – Annexe II de cet arrêté Sarah Dufrêne Comprendre et gérer la fatigue dans le syndrome de Marfan 48 les premiers signes de fatigue, en fractionnant l'activité sur plusieurs jours si besoin 7. Sélectionner le bon équipement pour effectuer les tâches ou les activités : maniable (poignées larges), adapté à sa taille, léger 8. Organiser son aire de travail : avoir sous les yeux et à portée de main les objets nécessaires avant le début de l'activité, pour éviter les déplacements et les mouvements contraignants 9. S'installer confortablement pour travailler, se détendre ou dormir 10. Réévaluer sa fatigue quotidienne régulièrement : mieux connaître sa fatigue, son sommeil et le lien avec les activités, afin d'améliorer sa planification (par exemple en notant sur un carnet)

Illustration 9: Principes de gestion de l'énergie et de la fatigue, adapté d'après Depocas (1998) L'étude a montré que parfois les personnes ne comprennent pas quelles sont les activités qui sont possibles. De plus, il peut exister une crainte de ne pas pouvoir financer certains aménagements matériels et aides techniques, ou une méconnaissance des droits relatifs à la diminution du temps de travail. Aussi, la HAS prévoit dans l'ETP spécifique au syndrome de Marfan « les modalités d'accès aux ressources disponibles pour la prise en charge et l'orientation vers les organismes (dont les associations) pouvant aider le malade et son entourage à faire valoir leurs droits » (HAS, 2008, p. 9). L'AFSMA est reconnue comme relais dans ce cadre. Une équipe de professionnels médicaux et médico-sociaux (dont un ergothérapeute) répond aussi à ce besoin : la Plate-forme Régionale d'Information et d'Orientation des maladies Rares, dans les CHU de Nantes et Angers. 4.3.2 Propositions pour l'ETP concernant la fatigue L'ETP est particulièrement pertinente pour les personnes ayant une maladie chronique (Traynard et Gagnayre, 2013), puisqu'ils vont réaliser leur auto-surveillance et des soins quotidiens hors des structures hospitalières, ce qui nécessite une certaine autonomie. Ainsi, les intéressés sont acteurs de leur prise en charge ; ils peuvent partager leur expérience avec d'autres personnes ayant les mêmes difficultés. C'est un processus de changement de la personne qui ne s'improvise pas : il nécessite des compétences techniques, pédagogiques et relationnelles.

A ce jour l'ETP est proposée au centre de référence deux fois par an. Chaque session regroupe 6 ou 7 patients adultes, accompagnés éventuellement d'un proche. Le matin, les participants remplissent un questionnaire afin de cerner leurs attentes. Puis des apports médicaux théoriques, ciblés selon ces attentes, leur sont fournis. Les échanges entre médecins et patients sont favorisés. L'après-midi est consacrée à des ateliers sur la gestion de la douleur, animé par un rhumatologue, la diététique, et enfin la gestion du stress, animé par la psychologue. Les hypothèses explicatives du faible nombre de patients recrutés sont : l'absence de besoin des patients (en consultation, peu expriment une forte gêne dans le quotidien), une faible motivation (certains se sont déclarés intéressés mais n'ont pas donné suite), une mauvaise communication (l'ETP n'est ni proposée systématiquement, ni signalée sur le site internet ou dans les locaux du centre de référence), des difficultés pratiques d'accès (elle n'existe pas en région).

Sarah Dufrêne Comprendre et gérer la fatigue dans le syndrome de Marfan 49 Consacrer une partie de l'ETP à la gestion de la fatigue ne pourrait se faire que si cela répond à un besoin des participants, normalement identifié au moyen d'un diagnostic éducatif. Les compétences à acquérir par le patient devraient alors être formulées avec lui dans un contrat éducatif correspondant à ses priorités ; les compétences pourraient être par exemple : - des compétences d'auto-observation : identifier ses limites et ses ressources, connaître les facteurs et la fluctuation quotidienne de sa fatigue, distinguer les signaux d'alerte - des compétences de raisonnement et de décision : planifier/organiser ses différentes activités pour limiter et gérer sa fatigue, savoir économiser ses forces - des compétences d'auto-soin : mettre en œuvre une hygiène de vie (quantité de sommeil adaptée ; reconditionnement à l'effort ; techniques de relaxation ), veiller à son positionnement dans les activités, la détente et le repos ; porter et entretenir ses orthèses de façon adéquate ; choisir et utiliser des aides techniques - des compétences sociales : expliquer sa fatigue à son entourage, contacter des organismes ressources pour mieux connaître ses droits

La mise en œuvre du programme d'ETP, avec le choix des techniques d'apprentissage et des supports, se fait en fonction de l'équipe qui la met en œuvre et des moyens disponibles. On peut imaginer un support « photo-langage » pour favoriser l'expression des difficultés ou repérer les facteurs de fatigue, un agenda pour faciliter l'auto-observation ou un planning pour faciliter la réflexion sur les changements d'organisation, un plateau de jeu avec les pièces du logement, des objets représentant les activités génératrices de fatigue et des aides techniques, etc.

Enfin, l'évaluation des acquis des patients et leur appréciation sur le programme proposé doit permettre d'améliorer les contenus dans un souci de qualité.

Les facteurs externes doivent aussi être considérés dans le cas d'une ETP destinées à des personnes fatiguées : les enquêtés ont fait part de difficultés liées aux déplacements, et une journée intense peut majorer les difficultés le soir. Il semble donc important que des pauses soient prévues dans la journée, avec notamment une possibilité de sieste méridienne. L'idéal serait que l'ETP se déroule dans le cadre d'une hospitalisation en court séjour, afin que les personnes n'aient pas à se soucier des trajets quotidiens et des tâches ménagères. Lorsque les programmes d'ETP sont autorisés par les Agences Régionales de Santé, une participation financière serait possible.

La fatigue dans le syndrome de Marfan est multidimensionnelle et varie d'une personne à l'autre. Aussi, les propositions faites pour soulager ce symptôme s'appuient sur l'implication de différents professionnels pour favoriser la connaissance du symptôme, les actions rééducatives et réadaptatives, et l'accompagnement des intéressés vers une gestion autonome de cette fatigue.

Sarah Dufrêne Comprendre et gérer la fatigue dans le syndrome de Marfan 50 5 Discussion

Le défi de cette étude résidait dans sa complexité. La complexité à trouver les ressources bibliographiques, d'abord, puis à repérer le facteur qui dégrade le plus la qualité de vie des personnes porteuses du syndrome de Marfan. La complexité ensuite de comprendre ce phénomène subjectif, multifactoriel et dont l'étude commence à peine : la fatigue. La complexité enfin du positionnement personnel au début de cette recherche, où la démarche inductive et l'approche de type "recherche-action" étaient génératrices d'une forte motivation, mais aussi d'un risque d'échec. Il ne m'appartient pas de dire si le défi a été relevé. Quoi qu'il en soit, je pense avoir progressé dans la capacité d'analyse, la compréhension de phénomènes subjectifs, et avoir pris de la distance vis-à-vis du sujet traité sans perdre de motivation, ce qui sera bénéfique, je l'espère, d'un point de vue professionnel.

L'importante recherche documentaire, le nombre de réponses obtenues lors du recueil de données et la rigueur recherchée dans l'analyse, ont amené à dégager quelques pistes pour mieux comprendre de la fatigue dans le syndrome de Marfan, à l'échelle modeste d'un travail d'initiation à la recherche. Ces pistes de compréhension et les propositions d'action qui en découlent seront transmises aux soignants et aux associations de patients qui en ont fait la demande, contribuant à alimenter leurs réflexions sur le parcours de soins et la qualité de vie dans le syndrome de Marfan.

D'un point de vue plus global, un parallèle existe probablement entre la compréhension de la fatigue dans le syndrome de Marfan et d'autres symptômes subjectifs et invalidants que la science ne sait pas encore mesurer ou expliquer en totalité du point de vue biomédical (certaines fatigues et douleurs par exemple). Ici, l'apport de l'ergothérapie n'est pas négligeable : une approche par l'évaluation des impacts de ces symptômes sur la réalisation des habitudes de vie permet de les rendre plus concrets, plus perceptibles. Le modèle MDH-PPH2, qui est bien connu des ergothérapeutes mais ne leur est pas spécifique, est systémique. Ainsi, même lorsque les déficiences et incapacités sont difficiles à comprendre du point de vue biologique, comme c'est le cas ici, il favorise la compréhension des interactions entre ces phénomènes, l'environnement et les habitudes de vie des personnes concernées. C'est grâce à cette compréhension que des propositions peuvent être faites pour améliorer au quotidien la qualité de vie des intéressés.

Sarah Dufrêne Comprendre et gérer la fatigue dans le syndrome de Marfan 51 6 Conclusion Tenter de répondre aux besoins non pris en compte des personnes ayant un problème de santé, lorsqu'ils concernent leur qualité de vie et à leurs activités quotidiennes, est au cœur du métier d'ergothérapeute. Pour les personnes porteuses d'un syndrome de Marfan, la qualité de vie serait dégradée principalement du fait de la fatigue, or ce symptôme ne fait l'objet que d'études rares et récentes. Ce mémoire constitue une simple initiation à la recherche, et n'a pas la prétention d'être aussi précis qu'une recherche clinique. Cependant une exploration du phénomène de fatigue était utile pour mieux le comprendre. Le grand nombre de réponses à l'enquête a permis de dégager des pistes. C'est un préalable nécessaire à des propositions pour soulager la fatigue, mieux la gérer. Peut-être cela contribuera-t-il à améliorer la qualité de vie des intéressés, et de leurs aidants qui pâtissent indirectement de cette fatigue. Mais prévoir dans quelle mesure ce travail est applicable reste difficile : cela dépendra de l'évolution des connaissances sur la fatigue, de l'implication des patients notamment au travers de leur association, l'AFSMA, et de ce que les équipes multidisciplinaires spécialisées souhaiteront en faire.

Le champ des maladies rares, dont le syndrome de Marfan n'est qu'un exemple, constitue probablement un domaine émergent pour l'ergothérapie. En effet, le second Plan National pour les Maladies Rares, qui est en cours, soutient des mesures visant à améliorer les connaissances sur les conséquences des maladies rares en termes de handicap, de retentissement sur la scolarité et la qualité de vie. Or les ergothérapeutes ont les compétences nécessaires pour cela : ils peuvent transmettre aux professionnels du soin des connaissances sur les situations de handicap vécues par les personnes porteuses de ces maladies, mais aussi aider les intéressés à comprendre les préconisations médicales et à les intégrer dans leur quotidien. De plus, l'ergothérapie renforce l'indépendance et l'autonomie des personnes. Cela amène à développer une alliance thérapeutique avec des hommes et des femmes considérés comme experts de leur situation. C'est d'autant plus vrai dans le cas des maladies rares, où souvent les soignés connaissent très bien leur quotidien mais aussi leur maladie, alors que les soignants (en dehors des centres de compétences), y sont rarement confrontés. C'est pourquoi la présence d'ergothérapeutes dans le parcours de soin des porteurs de maladies rares compléterait l'offre de soins de façon pertinente, contribuant à améliorer l'accompagnement et la qualité de vie de ces personnes.

Sarah Dufrêne Comprendre et gérer la fatigue dans le syndrome de Marfan 52 7 Bibliographie et sitographie Monographies Anon, 2010. Le Robert : Dixel 2011, le dictionnaire illustré. Paris : Dictionnaires Le Robert-SEJER. Blouin, M., et Bergeron, C., 1997. Processus de production du handicap. In Dictionnaire de la réadaptation, tome 2. Québec : Les Publications du Québec, p.60. Bowyer, Patricia et Cahill, Suzan. Marfan syndrome, 2009. In Pediatric occupational therapy handbook : a guide to diagnoses and evidence-based interventions. Saint-Louis (Missouri) : Mosby Elsevier. pp. 225-229. Chalès, Gérard et Barberot, Valérie, 2011. Fatigue au cours de la polyarthrite rhumatoïde : un symptôme à prendre en compte pour une meilleure prise en charge des patients. Courbevoie, EDIMARK SAS – éditions DaTeBe. Child, Anne et Briggs, Martin J., 2002. The Marfan syndrome : a clinical guide. Édition révisée 2002. Londres : British Heart Foundation. Depocas, Pierre, 1998. Le point sur la fatigue de la sclérose en plaques. Montréal : Centre de réadaptation Lucie-Bruneau. Fougeyrollas, Patrick, 2010. Le processus de production du handicap (PPH). In Le funambule, le fil et la toile : transformations réciproques du sens du handicap. Laval (Québec) : Presses de l'Université de Laval. pp. 147-182. Fougeyrollas, Patrick, et al., 1998. Classification québécoise : processus de production du handicap. Québec : RIPPH. Fougeyrollas, Patrick, et Noreau, Luc, 2003. La mesure des habitudes de vie : instrument général détaillé (MHAVIE 3.0). Québec : RIPPH. Leplège, A., et al., 2001. Le questionnaire MOS SF-36 : Manuel de l’utilisateur et guide d’interprétation des scores. Paris : Éditions Estem. Maslow, Abraham, 1956. Devenir le meilleur de soi-même : besoins fondamentaux, motivation et personnalité. Paris : Eyrolles. Meyer, Sylvie, 2013. De l'activité à la participation. Paris : De Boeck-Solal. Morel-Bracq, Marie-Chantal, 2009. Modèles conceptuels en ergothérapie : introduction aux concepts fondamentaux. Marseille : Solal. Anon. (NFM), 2012. A guide to Marfan Syndrome and related disorders. New York : National Marfan Foundation (NFM). Patron Agnès, 2008. Bakoumba. Paris : Éditions Jacob-Duvernet.

Sarah Dufrêne Comprendre et gérer la fatigue dans le syndrome de Marfan 53 Philippon, Patrick et Trocme Jacques, 2009. Les syndromes de Marfan et apparentés. Paris : Fondation d'entreprise Groupama pour la santé. Traynard P.-Y. et Gagnayre R., 2013. L'éducation thérapeutique du patient atteint de maladie chronique. In Education thérapeutique : prévention et maladies chroniques. 3ème édition. Issy-les- Moulineaux : Elsevier Masson. pp. 3-8. Trouvé. E., et al., 2012. Les données probantes en ergothérapie. Paris : ANFE.

Articles de périodiques Akutsu, K. et al., 2009. Characteristics in phenotypic manifestations of genetically proved Marfan syndrome in a Japanese population. American journal of cardiology, 103 (8), pp. 1146-1148. Bathen, Trine, et al., 2014. Fatigue in adults with Marfan syndrome, occurrence and association to pain and other factors. American journal of medical genetics, article first published online in Wiley online librairy : 9 avril 2014, part. A 9999:1–9. Béthoux, F. Fatigue et sclérose en plaques. Annales de réadaptation et de médecine physique, juillet 2006, vol. 49, n°6, p. 265-271. Boittin, I., Lagoutte, M. et Lantz, M-C, 2002. Virginia Henderson 1897–1996 : Biographie et analyse de son oeuvre. Recherches en soins infirmiers, 68, pp. 5-17. De Paepe, A. et Van Tongerloo, A, 1998. Psychosocial adaptation in adolescents and young adults with Marfan syndrome : an exploratory study. Journal of medical genetics, 35 (5), pp. 405-409. Foran, J.R., et al., 2005. Characterisation of the symptoms associated with dural ectasia in the Marfan patient. American journal of medical genetics. 134A, pp. 58–65. Fusar-Poli P., et al., 2008. Determinants of quality of life in Marfan syndrome. Psychosomatics. 49, pp. 243-248. Gledhill, Jane A., et al., 2002. Validation française de l'échelle révisée de fatigue de Piper. Recherche en soins infirmiers. 68, pp. 50-65. Hasan, A., Poloniecki, J. et Child, A., 2007. Ageing in Marfan syndrome. International Journal of Clinical Practice. 61 (8), pp. 1308-1320. Jones, K. B., et al., 2007. Symposium on the musculoskeletal aspects of Marfan Syndrome : meeting report and state of the science. Journal of Orthopaedic research. 25 (3), pp. 413-422. Judge, D.P. et Dietz H.C., 2005. Marfan's syndrome. The Lancet. 366 (9501), pp. 1965 – 1976. Lewis, G. et Wessely, S., 1992. The epidemiology of fatigue : more questions than answers. Journal of epidemiology and community health. 46, pp. 92-97. Morel-Bracq, M-C, 2001. Activité et qualité de vie la théorie du Flow. In Ergothérapies. 4, pp. 19-26 Pascal, P, 1995. "Détecter le Marfan". Sport Med'. 75, pp.26-28.

Sarah Dufrêne Comprendre et gérer la fatigue dans le syndrome de Marfan 54 Peijin Z., et al., 2009. La hanche et le pied dans le syndrome de Marfan. Revue du podologue. 27, pp. 22-24. Rand-Hendricksen, S., et al., 2010. Health related quality of life in Marfan syndrome : a cross- sectional study of short-Form 36 in 84 adults with a verified diagnosis. Genetics in Medicine. 12 (8), pp. 517-524. Roux, Amy, 2009. Marfan syndrome : Background and treatment considerations. Advance for occupational therapy practitionners. 25 (2), p. 39. Sève-Ferrieu N., 2008. Indépendance, autonomie et qualité de vie : analyse et évaluations. EMC (Elsevier Masson SAS, Paris), Kinésithérapie-Médecine physique-Réadaptation, 26-030-A-10. Shirley, Eric D. et Sponseller, Paul P., 2009. Marfan Syndrome. Journal of the American academy of orthopaedic surgeons. 17 (9), pp. 572-581. Stheneur, C., et al., 2012. Nouveautés dans le syndrome de Marfan. Archives de pédiatrie. 19, pp. 551-555. Verbraecken, J., et al., 2001. Evaluation for sleep apnea in patients with Ehlers-Danlos syndrome and Marfan : a questionnaire study. Clinical Genetics. 60, pp. 360-365. Anon. World Health Organization. Study protocol for the World Health, 1993. Organization project to develop a quality of life assessment instrument (WHOQOL). Quality of Life Research. 2 (2), pp.153-159.

Actes de congrès, colloques Margot-Cattin, I. et Margot-Cattin P., 2005. Ergothérapie : profession pivot d'un réseau de compétences pour la qualité de vie et le bien-être du "client". In Izard, M-H et Nespoulous, R. Expériences en ergothérapie : 18ème série. Montpellier : Sauramps médical. pp. 143-147. Quéau, V. et Pellegrin, P., 2001. Le concept de fatigue. In Izard, M-H, Moulin, M et Nespoulous R. Expériences en ergothérapie : 14ème série. Montpellier : Sauramps médical. pp 151-158.

Rapports et recommandations HAS, 2008. Syndromes de Marfan et apparentés, Protocole national de diagnostic et de soins pour une maladie rare. s. l. : HAS. Disponible sur internet : < http://www.has-sante.fr/ portail/ upload/ docs/application/pdf/2008-07/pnds_marfan_web.pdf > (consulté le 4/04/2013)

Textes de loi, décrets, circulaires Ministère de la santé et de la protection sociale, 2004. Décret n° 2004-802 du 29 juillet 2004 relatif aux parties IV et V (dispositions réglementaires) du code de la santé publique et modifiant certaines dispositions de ce code. Journal Officiel, n°183, 8 août 2004, page 14 150.

Sarah Dufrêne Comprendre et gérer la fatigue dans le syndrome de Marfan 55 Ministère de la santé et des sports, 2010. Arrêté du 5 juillet 2010 relatif au diplôme d’État d’ergothérapeute. Journal officiel, n°156, 8 juillet 2010, page 12 558. Ministère des affaires sociales et de l'emploi, 1986. Décret n°86-1195 du 21 novembre 1986 fixant les catégories de personnes habilitées à effectuer des actes professionnels en ergothérapie. Journal Officiel de la République Française, 23 novembre 1986, page 14 133.

Plaquettes et brochures Anon (EmPatient), 2012. Polyarthrite rhumatoïde : comprendre et prendre en charge la fatigue de vos patients. Paris : EmPatient. Anon. (AFSMA). Enfants Marfan à l'école. s.l., éditeur inconnu, s.d. 8 pages. [dépliant] Anon. (AFSMA). Rapport moral 2012. s.l., éditeur inconnu, février 2012. 2 pages. Anon. (NFM), 2013. Need-to-know information for the teacher : raising awareness of Marfan syndrome and related disorders. New York : Marfan Foundation. Benjamin M.-J. et Paris M.-J. Standard of Care : Marfan syndrome. The Brigham and Women's Hospital – Department of Rehabilitation, 2009. 12 pages. Disponible sur internet : < http://www.brighamandwomens.org/Patients_Visitors/pcs/ rehabilitationservices/ Occupational %20Therapy%20Standards%20of%20Care-Protocols/General%20-%20Marfan%20Syndrome %20OT.pdf > (consulté le 25/03/2013) Child, A. et Rowntree, J., 2002. Growing older with Marfan syndrome. Londres : Marfan Trust. Child, A., Phil, M. et Rust, D., 1993. Marfan syndrome : a booklet for teachers. Londres : Marfan association UK. Child, Anne, s. d.. Advice for the older Marfan patient. Londres : St Gorge's hospital medical school, department of cardiological sciences. [Disponible sur demande auprès du Marfan Trust]. Dawkins, J., et al., s. d.. Psychosocial aspects of Marfan Syndrome : a pamphlet for child psychiatrists and child psychologists. Londres : Marfan Trust.

Sitographie ANFE, 2013. Définition, in L'ergothérapie. ANFE : le site officiel de l'ergothérapie et des ergothérapeutes [en ligne]. Disponible sur internet : (consulté le 8 avril 2013) Aubert-Lotaski, A, 2012. Etudes et conseils : démarches et outils. École supérieure de l'éducation nationale de l'enseignement supérieur et de la recherche. [en ligne]. Disponible sur internet : < http://www.esen.education.fr/conseils/ recueil-de-donnees/ > (consulté le 2 février 2014) INSEE, 2010. Population handicapée. INSEE : mesurer pour comprendre. [en ligne]. Disponible sur internet : (consulté le 18/05/14)

Sarah Dufrêne Comprendre et gérer la fatigue dans le syndrome de Marfan 56 Jondeau, G, 2012. Centre de référence national sur les syndromes de Marfan et apparentés, hôpital Bichat. [en ligne]. Disponible sur internet : (consulté le 2 mai 2013) Jondeau, G., 2012. Syndrome de Marfan. Orphanet : le portail des maladies rares et des médicaments orphelins. [en ligne]. Disponible sur internet : (consulté le 15 décembre 2013) MeSH INSERM, 2014. Syndrome de fatigue chronique, épuisement chronique, fatigue chronique, fatigue chronique post-virale. CISMEF HeTOP : Portail des terminologies de santé [en ligne]. Disponible sur internet : < http://www.hetop.eu/hetop/#env=basic&n=500&f = 1&s=&format=null&lang=fr&wt=false&res=MSH_D_015673&tab=0&filter=null&objti=T_DESC_MES H_DESCRIPTEUR&objti=T_DESC_MESH_PUBLICATION_TYPE&objti=T_DESC_MESH_SUPPL EMENTARY_CONCEPT&objti=T_DESC_MESH_QUALIFICATIF&objti=T_DESC_CISMEF_META _TERME&objti=T_DESC_CISMEF_STRATEGIE&objti=T_DESC_CISMEF_TYPE_RESSOURCE& ee=false&q=%22Fatigue%20chronique%22> (consulté 24/04/14)

Sarah Dufrêne Comprendre et gérer la fatigue dans le syndrome de Marfan 57 Table des matières Introduction et question de départ...... 1 1 Contexte de l'étude et question de recherche...... 2 1.1 L'ergothérapeute, professionnel de santé compétent pour l'évaluation et l'amélioration de la qualité de vie...... 2 1.2 Syndrome de Marfan : premiers éléments...... 3 1.2.1 Épidémiologie et enjeu du diagnostic ...... 3 1.2.2 Parcours de soins et place de l'ergothérapie...... 4 1.3 De la survie à la qualité de vie...... 5 1.4 Questionnement autour de la qualité de vie et de la fatigue...... 6 2 Apports théoriques : syndrome de Marfan et qualité de vie ...... 8 2.1 Cadre conceptuel de référence pour l'étude : le Processus de Production du Handicap (MDH-PPH2)...... 8 2.2 Le syndrome de Marfan vu sous l'angle du MDH-PPH2...... 9 2.2.1 Facteurs personnels et syndrome de Marfan...... 10 2.2.1.1 Un facteur identitaire lié à la maladie : l'étiologie...... 10 2.2.1.2 Intégrités et déficiences : un tableau variable et évolutif...... 10 2.2.1.3 Capacités et incapacités...... 12 2.2.1.4 Définition et premières précisions sur la fatigue...... 13 2.2.2 Facteurs macro-environnementaux ...... 15 2.2.2.1 Facteurs sociaux...... 15 2.2.2.2 Facteurs physiques (matériels)...... 16 2.2.3 Habitudes de vie...... 16 2.2.3.1 Définition de l'habitude de vie...... 16 2.2.3.2 Regards croisés sur les situations de handicap vécues par les personnes porteuses de syndrome de Marfan...... 16 2.2.4 Interactions et la qualité de vie...... 19 2.2.4.1 interactions négatives causant un surhandicap...... 19 2.2.4.2 Interactions positives et construction résiliente...... 20 2.3 Champs d'action possibles de l'ergothérapeute auprès des porteurs du syndrome de Marfan...... 20 2.3.1 Situations de handicap des porteurs de syndrome de Marfan relevant du champ d'action de l'ergothérapie...... 20 2.3.2 Mise en évidence d'un problème prioritaire : la fatigue...... 21 3 Étude de la fatigue dans le syndrome de Marfan...... 22 3.1 Matériel et méthode...... 22 3.1.1 Création d'un questionnaire ...... 22 3.1.2 Diffusion du questionnaire...... 23 3.1.2.1 Échantillonnage...... 23 3.1.2.2 Mode de passation ...... 23 3.1.2.3 Mode d'accès aux personnes enquêtées...... 23 3.1.2.4 Bilan : diffusion du questionnaire ...... 24 3.1.3 Traitement des questionnaires avant analyse...... 24 3.1.4 Bilan du recueil de données avant analyse ...... 24 3.1.5 Profil des répondants...... 25 3.1.6 Méthode d'analyse des données...... 25 3.2 Analyse...... 26 3.2.1 Pertinence des résultats recueillis...... 26 3.2.1.1 Taux de retour...... 26 3.2.1.2 L'épineuse question de la représentativité...... 26 3.2.2 Fréquence et chronicité de la fatigue...... 27 3.2.2.1 Résultats...... 27 3.2.2.2 Analyse croisée...... 27 3.2.3 Intensité ressentie de la fatigue...... 27 3.2.3.1 Résultats...... 27 3.2.3.2 Analyse croisée...... 28 3.2.4 Dimensions de la fatigue dans le syndrome de Marfan...... 28 3.2.5 Causes supposées de la fatigue...... 29 3.2.5.1 Les douleurs à l'origine de la fatigue...... 29 3.2.5.2 Problèmes cardiovasculaires, bêta-bloquant et activité physique...... 30 3.2.5.3 Charge de travail ou inaptitude au travail ...... 31 3.2.5.4 Manque de repos et sommeil non réparateur...... 31 3.2.5.5 Fatigue psychique...... 32 3.2.6 Interactions entre la fatigue et les habitudes de vie ...... 32 3.2.6.1 Soins personnels...... 33 3.2.6.2 Productivité et rôles sociaux...... 36 3.2.6.3 Loisirs et ressourcement...... 37 3.2.6.4 Bilan : fatigue et habitudes de vie...... 38 3.3 Intérêts et limites de l'étude des données...... 39 3.4 Synthèse ...... 40 4 Proposition d'intervention...... 42 4.1 Porter à connaissance les résultats de l'étude de la fatigue...... 42 4.1.1 Un enjeu de santé publique...... 43 4.1.2 Une reconnaissance du symptôme nécessaire aux personnes porteuses du syndrome de Marfan...... 43 4.1.3 Soulager la fatigue, un enjeu partagé...... 44 4.2 Agir directement pour limiter la fatigue...... 44 4.2.1 Évaluations...... 45 4.2.2 Activités physiques ...... 45 4.2.3 Rééducation : techniques gestuelles...... 46 4.2.4 Orthèses adaptées...... 46 4.2.5 Aménagements environnementaux, aides techniques...... 47 4.3 Accompagner vers une gestion autonome de la fatigue...... 47 4.3.1 Connaître le symptôme et les ressources...... 48 4.3.2 Propositions pour l'ETP concernant la fatigue...... 49 5 Discussion...... 51 6 Conclusion...... 52 7 Bibliographie et sitographie...... 53 Annexes...... 60 Annexe 1 : glossaire des sigles Annexe 2 : parcours de soins indiqué par la HAS Annexe 3 : entretien exploratoire : compte-rendu Annexe 4 : questionnaire pour le recueil de données Annexe 5 : analyse des dimensions de la fatigue Annexes Annexe 1 : glossaire des sigles AFSMA : Association Française des Syndromes de Marfan et Apparentés ANFE : Association Nationale Française des Ergothérapeutes CHU : Centre Hospitalier Universitaire CIH : Classification Internationale du Handicap ETP : Éducation Thérapeutique du Patient (recommandation de la HAS) FSS : Fatigue Severity Scale HAS : Haute Autorité de Santé IFPEK : Institut de Formation en Pédicurie-podologie, Ergothérapie et masso-Kinésithérapie de Rennes MDH-PPH2 : Modèle du développement humain – Processus de production du handicap (2ème version, en vigueur) MDPH : Maison Départementale des Personnes Handicapées MFI-20 : Multidimensional Fatigue Inventory (inventaire multidimentionnel de la fatigue) MHAVIE : Mesure des HAbitudes de VIE MPR : Médecine Physique et de Réadaptation NFM : National Marfan Foundation (États-Unis), devenue en 2013 la Marfan Foundation OMS : Organisation Mondiale de la Santé

PNDS : Protocole National de Diagnostic et de Soins (publié par la HAS) PPH : Processus de Production du Handicap PR : Polyarthrite rhumatoïde SEP : Sclérose en plaques Annexe 2 : Parcours de soins indiqué par la HAS

Suspicion de diagnostic - lors d'examen « de routine » : médecin généraliste, cardiologue, autre spécialiste des systèmes atteints - en urgence : cardiologue, chirurgien cardiaque, ophtalmologiste, pneumologue

Évaluation en centre spécialisé consultation multidisciplinaire incluant l'étude génétique Annonce du diagnostic Par un médecin éventuellement assisté d'un psychologue clinicien. Transmission d'information concernant le patient, conseil en génétique (risque familial et transmission)

Prise en charge médicale multidisciplinaire Prise en charge Médecin coordinateur du centre spécialisé, paramédicale cardiologue, ophtalmologiste, rhumatologue « selon le besoin » et/ou pédiatre et/ou interniste, généticien Psychologue clinicien, Professionnels Recours optionnel infirmier, médico-sociaux Pneumologue, chirurgien cardio-vasculaire kinésithérapeute, « selon le et/ou orthopédiste et/ou viscéral, médecin psychomotricien, besoin » de médecine physique et réadaptation ergothérapeute, assistant socio- (MPR), dermatologue, gynécologue, podologue, éducatif obstétricien, radiologue, algologue, dentiste, orthoprothésiste, orthodontiste (et d'autres). orthophoniste, conseiller en génétique, diététicien Éducation Traitement Traitement thérapeutique médicamenteux Dès l'annonce du Bêta-bloquant dès chirurgical diagnostic et tout confirmation du diagnostic - cardiaque : aorte, au long du pour préserver l'aorte valves) parcours - orthopédique : Recours optionnel rachis, thorax, - cardio-vasculaire : membres inférieurs traitement substitutif en - ophtalmologique cas d'intolérance au bêta- - viscéral : hernie bloquant, anticoagulants, - pulmonaire : Légende : prophylaxie antibiotique pneumothorax Systématique (pour l'HAS) (risque d'endocardite) - rhumatologique et/ou Selon atteinte et besoin freinateur de croissance - antalgique

Suivi clinique - annuel : cardiologue, ophtalmologiste, rhumatologiste et/ou pédiatre, spécialistes des systèmes atteints, nombreux examens paracliniques ciblés selon les atteintes - trimestriel puis mensuel pour les femmes enceintes : cardiologue - suivi dentaire important (voie d'entrée infectieuse à risque pour le cœur)

Illustration 1 : une filière de soins structurée pour un suivi « à vie » des porteurs de syndrome de Marfan Annexe 3 : entretien exploratoire : compte-rendu 16/10/2013 – Pour respecter l'anonymat, l'ensemble des éléments permettant d'identifier la personne ont été modifiés, les parties de texte modifiées à cette fin sont indiquées entre crochets. [L'ergothérapeute qui m'a accordé cet entretien travaille dans une structure pilote] mise en place à l'initiative d'un généticien et d'une membre d'association de maladie rare impliquée dans Alliance Maladies Rares. [...] Les médecins coordonateurs [...] ne font pas de diagnostic, ils répondent aux questions médicales sur la prise en charge. Les autres membres de l'équipe [...] répondent à des demandes extrêmement variées sur les prises en charge médico-sociales dans le système français et plus précisément dans la région : notamment assurance maladie, MDPH, lieux d'accueil. Le travail consiste à analyser la demande des personnes avec elles : identifier leur(s) besoin(s) et les orienter vers une personne qui pourra les accompagner au long cours ; les personnes avec une maladie rare impliquant plusieurs spécialités ne savent pas vers qui s'orienter pour des questions touchant leur vie quotidienne. Les membres de l'équipe [...] répondent aux demandes faites par téléphone, au domicile, dans ses locaux et les services [de santé]. Ils aident à remplir les formulaires, à trouver les bonnes ressources. Parfois une réponse ponctuelle suffit. [...]. Pour un ergothérapeute, il est facile de s'intégrer à ce type de structure car : – nous avons une connaissance du réseau médico-social – nous avons une approche globale de la personne Sur [les 2 dernières années], 3 demandes [...] ont concerné des personnes ayant le syndrome de Marfan. La montée en charge [de cette jeune structure] est très progressive. • Une demande [d'un parent isolé ayant un enfant atteint]. [Le parent était seul] suite au décès [de son conjoint] d'une dissection aortique. C'est ce qui a été à l'origine du diagnostic pour [le conjoint et l'enfant]. La demande [du parent] portait sur l'organisation quotidienne de la garde de [l'enfant], car c'est [un parent isolé]. [Il] ne souhaitait pas que l'école soit mise au courant du diagnostic, d'autant que [l'enfant] était peu gêné au quotidien. L'AEEH a été évoquée mais le taux de handicap étant inférieur à 50% il n'y avait pas de possibilité de PCH aide humaine ([le parent] espérait une aide pour la garde). Indirectement, la demande [du parent] porte sur une qualité de vie très dégradée du fait de la maladie qui touche sa famille. • Une [personne] atteinte a été adressée par un généticien. Sa demande portait sur un remboursement de lunettes. [Elle] a été opérée 2 fois des cristallins. [Elle] doit changer de lunettes [régulièrement] avec un reste à charge [très lourd du fait de la correction]. La [structure] l'a orientée vers [sa caisse d'assurance maladie], son employeur et une demande de PCH pour frais exceptionnels. Ces aides sont ponctuelles et [elle] aura du reste à charge, mais il n'y a pas d'autre piste. [Cette personne] avait un emploi dans la communication. [Elle] a décidé, de sa propre initiative, de changer d'emploi suite à ses problèmes visuels. [Elle] a choisi de [un métier d'aide à la personne]. Or cette orientation n'est pas pertinente vis à vis de sa pathologie (problèmes d'épaules, hyperlaxité, douleur, fatigue). Si [elle] avait bénéficié d'un accompagnement par un spécialiste du handicap, il aurait été possible de l'accompagner vers un maintien dans son secteur d'activité malgré le problème visuel, ou de lui éviter ce choix de métier non pertinent. L'ergothérapeute, de par sa spécificité d'action sur l'environnement et sa vision globale des conséquences de la pathologie pouvait accompagner cette démarche. • [Une autre personne porteuse] du syndrome de Marfan a été adressée par [un médecin]. Elle a été suivie par l'assistante sociale. Elle avait un problème de prise en charge par la sécurité sociale et demandait un soutien administratif pour l'ALD [affection longue durée : reconnaissance permettant la prise en charge à 100% de certains soins]. Pas de répercussion connue en terme de qualité de vie. Par contre, [le médecin] qui l'a adressée est en questionnement sur la qualité de vie des patients ayant un syndrome de Marfan ou d'Ehlers-Danlos. [...] il serait [...] intéressé par les résultats du mémoire. La question de la qualité de vie n'est pas abordée [dans la structure] car les demandeurs sont orientés par les médecins par rapport à une question ponctuelle, mais on sent un besoin en terme de qualité de vie pour les 2 premières [demandes]. La question de la qualité de vie se pose pour les personnes atteintes du syndrome de Marfan, mais elle est très variable d'une personne à l'autre. D'où l'intérêt d'une approche centrée sur la personne comme pratique l'ergothérapeute. Mais il faudrait alors répondre aussi à la question : quel réseau solliciter pour répondre à la préconisation d'ergothérapie par la HAS dans le PNDS Marfan ? En libéral ? [Dans notre structure] on oriente plutôt vers une prise en charge en MPR... ? Ailleurs ? L'évaluation de la qualité de vie devrait être faite par un questionnaire standardisé puis des questions plus ciblées. Pour l'évaluation de la fatigabilité, un conseil : voir « du côté » des SEP. La HAS s’intéresserait peut-être au retour d'information sur l'ergothérapie dans la prise en charge du syndrome de Marfan, même si le mémoire n'a pas de prétention en tant que simple travail d'étudiant. Le dernier Plan Maladies Rares valorise [les démarches innovantes telles que la mise en place de notre structure]. Le mémoire doit mettre en valeur ce que l'ergothérapie peut apporter. L'ergothérapeute peut « faire le tri » : – ce qui ne doit pas être fait par rapports aux symptômes et au diagnostic – ce qui est faisable, ce qui peut être valorisé en terme d'activité En accord avec ma collègue [...] (elle me fait des signes), il est très important d'aiguiller les demandeurs vers le bon professionnel pour leur demande de conseil. Lorsqu'une pathologie implique plusieurs spécialistes, ils sont complètement perdus. Par exemple ils vont demander au rhumato quels sports ils peuvent faire en pensant aux aspects cardiaques, et le rhumatologue va répondre en fonction de sa propre spécialité. Dans la discussion, il faudrait mettre en lumière le double rôle de l'ergothérapeute : – vers les professionnels médicaux : ce que l'ergothérapeute apporte spécifiquement à la prise en charge – vers les patients : traduire les termes du diagnostic médical dans le quotidien du patient, accompagner vers ce qui est possible. Annexe 4 : questionnaire pour le recueil de données

Annexe 5 : analyse des dimensions de la fatigue L'analyse des dimensions de la fatigue a été réalisée sur un échantillon de 184 porteurs du syndrome de Marfan, âgés de 13 à 75 ans, au moyen de l'échelle révisée de Piper (validée en Français) et d'une question ouverte portant sur la dimension "motivation". Remarque préalable : Aucun lien n'a pu être établi entre des aspects de la fatigue et le degré de sévérité ressentie du syndrome de Marfan. Cela concorde avec l'analyse de Bathen et al. (2014) où aucun lien n'a pu être établi entre la sévérité des symptomes et l'intensité de la fatigue mesurée avec la FSS. De même, le lien entre fatigue et âge, étudié dans la population générale (Lewis et Wessely, 1992) et dans le syndrome de Marfan (Bathen, et al. 2014), n'est pas prouvé. Dimension comportementale et sévérité La dimension "comportementale/sévérité", représentant "l'intensité de la fatigue et son impact sur les activités physiques et sociales" (Gledhill, 2002) est évaluée par 6 variables numériques. Ce sont le degré de souffrance lié à la fatigue (item n°2), la capacité à travailler ou suivre une activité scolaire (n°3), la possibilité de sortir ou voir ses amis (n°4), la capacité à avoir une activité sexuelle (n°5), la capacité à profiter des sources habituelles de plaisir (n°6), et l'intensité ou la sévérité ressentie de la fatigue (n°7). Ce dernier item n'est pas comparable à la "sévérité" au sens de la FSS évaluée par Bathen et al. (2014).

En rouge : moyennes En noir : minima, maxima et médianes

Illustration 1: impact de la fatigue des porteurs du syndrome sur leur capacité à travailler selon la chronicité

La variable concernant l'activité sexuelle n'est pas interprétable. 23 réponses manquent en lien la nature même de la question (Gledhill et al., 2002) et l'âge des plus jeunes répondants. Les autres variables de cette dimension sont corrélées entre elles de façon significative (p=0,000) et forte (coefficients de corrélation de Pearson r>0,72). On observe des différences de perception importantes. Pour toutes les variables de cette dimension, l'écart entre le groupe- contrôle constitué par les répondants n'éprouvant pas de fatigue et les personnes éprouvant une fatigue non chronique est supérieure à 4 points ; ces différences sont toutes significatives en tenant compte de l'IC95% des moyennes, comme l'indique le tableau n° 2. Ceux qui subissent une fatigue chronique ont un score légèrement augmenté par rapport au groupe précédent (exemple : illustration 2), mais cet écart entre la fatigue "récente" et la fatigue chronique n'est pas toujours significatif avec l'intervalle de confiance à 95%. Écart de moyenne (Δ) et Moyenne (M) et écart-type estimé de la intervalle de confiance à 95% moyenne (σ) (* : significatif) Variables Non-fatigue fatigue < 6 Fatigue < 6 mois Fatigue chronique non-fatigue / (31 mois / fatigue (47 réponses) (91 réponses) fatigue < 6 mois réponses) chronique 2. degré de M = 0,9 M = 5,3 M = 6,2 Δ = 4,4 Δ = 0,8 souffrance σ = 1,1 σ = 2,2 σ = 1,8 [3,6 – 5,3]* [0,2 – 1,5]* 3. capacité à M = 1,0 M = 5,1 M = 5,8 Δ = 4,1 Δ = 0,6 travailler σ = 1,7 σ = 2,4 σ = 2,5 [3,1 – 5,2]* [-0,2 – 1,5] 4. sortir / voir M = 0,5 M = 4,7 M = 5,6 Δ = 4,2 Δ = 0,8 des amis σ = 1,5 σ = 2,8 σ = 2,5 [3,2 – 5,2]* [-0,01 – 1,75] 6. prendre du M = 0,6 M = 4,6 M = 5,9 Δ = 4,1 Δ = 1,2 plaisir σ = 1,4 σ = 2,8 σ = 2,4 [3,0 – 5,2]* [0,3 – 2,1]* 7. degré de M = 0,7 M = 5,5 M = 6,2 Δ = 4,7 Δ = 0,7 sévérité σ = 1,1 σ = 2,2 σ = 2,0 [3,9 – 5,6]* [-0,05 – 1,4]

Tableau 4: moyennes et écarts significatifs par variable de la dimension « comportementale / sévérité » La dimension Comportementale / sévérité est présente dans la fatigue des porteurs de syndrome de Marfan. Ses variables constitutives sont fortement corrélées entre elles. Ainsi, une fatigue perçue comme sévère aura un fort impact sur les "activités physiques et sociales". Dimension affective La dimension affective mesure "le vécu de la fatigue par la personne" (Gledhill et al., 2002) au travers de 5 variables numériques représentant respectivement les aspects respectivement plaisant-déplaisant (item n°8), agréable-désagréable (n°9), protecteur-destructeur (n°10), positif- négatif (n°11) et normal-anormal (n°12) de la fatigue. La variable de normalité engendre une difficulté d'interprétation. L'équipe ayant validé l'échelle de Piper en français l'a constaté : "certains ont fait référence à leurs expériences antérieures de fatigue, tandis que d'autres ont considéré qu'il était normal d'être fatigué [dans ce contexte de maladie]" (Gledhill et al., 2002). Les relations mesurées sont significatives (p=0,000). Les variables interprétables de cette dimension sont fortement corrélées entre elles (r>0,72) et avec la sévérité de la fatigue(r>0,66). Plus la fatigue est sévère et a une dimension "comportementale", c'est à dire "un impact de la fatigue sur les activités quotidiennes" (Gledhill et al., 2002), plus elle est perçue comme désagréable. Les répondants ne semblent pas se complaire dans cette fatigue, différente de celle éprouvée par un sportif après son activité par exemple. Les moyennes de ces variables sont élevées (entre 5,8 et 6,5). Dès que la fatigue existe, il existe une différence de perception entre les hommes et femmes, ces dernières la vivant encore plus mal que les

En rouge : moyennes En noir : minima, maxima et médianes

Ill. 2: différence de vécu de la fatigue entre hommes et femmes porteurs du syndrome de Marfan hommes (illustration 3). Cette écart de moyenne est significatif avec un intervalle de confiance à 95% (Δ = 1,1 ; intervalle : [0,43 – 1,77]). Dimension sensorielle 5 variables permettent d'évaluer "les caractéristiques et la nature de la fatigue éprouvée par le patient" (Gledhill et al., 2002). Elles portent sur la force, l'éveil, la dynamique, l'impression de repos et d'énergie. Il existe une corrélation forte (r>0,72) entre les variables concernant le dynamisme, le repos et l'énergie. La relation entre les 2 autres variables est beaucoup plus faible (r=0,51). Cela signifierait que la plupart des répondants font un lien entre la fatigue et la sensation d'énergie, mais qu'une partie d'entre eux ressentiraient plutôt une fatigue physique (notion de force/faiblesse), et une autre partie une fatigue attentionnelle (sensation d'éveil/endormissement). Les recherches en ce sens sur une perception différente selon le genre, l'âge ou la chronicité de la fatigue sont restées sans résultats. Dimension cognitive et humeur 3 variables permettent d'évaluer l'humeur (impatience, tension, dépression) et 3 autres les fonctions cognitives (concentration, mémoire, réflexion). La variable mesurant l'humeur gaie/déprimée est significativement (p=0,000) et fortement corrélée aux 2 variables de la dimension sensorielle concernant l'énergie et le dynamisme (r>0,71). On mesure ici la fatigue psychique connue dans les troubles anxio-dépressifs. Mais cette variable n'est pas fortement liée à d'autres, comme par exemple la souffrance générée par la fatigue et la sévérité de la fatigue (r<0,51). Cela indique que la fatigue dans le syndrome de Marfan ne serait pas de nature psychique. Les 2 autres variables d'humeur connaissent une forte dispersion des réponses sans relation avec d'autres indicateurs. Plusieurs enquêtés témoignent d'une difficulté à faire reconnaître que leur fatigue n'est pas systématiquement la conséquence d'une dépression. Cela arrive également à des patients non dépressifs porteurs de PR, "dans la mesure où certains signes somatiques [...] (fatigue, douleurs, troubles du sommeil) peuvent mimer des manifestations dépressives." (Chalès, 2011). Or les mêmes signes sont souvent présents chez les porteurs de syndrome de Marfan. Nous n'occultons pas ici le risque réel de trouble anxio-dépressif lié à la crainte pour son avenir, ses proches, ou aux deuils subis par les porteurs. Cependant cette étude n'établit pas de lien entre la fatigue ressentie par la majorité des porteurs et une tendance dépressive, qui, si elle existe, serait moins fréquente. Les variables cognitives sont significativement corrélées entre elles (p=0,000 et r>0,74) mais faiblement aux autres variables, y compris dans les autres dimensions. La moyenne pour ces 3 variables est d'ailleurs plus faible que pour les autres dimensions (entre 3,8 et 4,4/10). La fatigue ressentie dans le syndrome de Marfan ne serait donc pas une fatigue cognitive, au sens de l'échelle de Piper. Cependant, elle semble avoir des conséquences sur l'attention prolongée, en lien avec le rique d'endormissement (dimension sensorielle). Cela en fait une fatigue différente de celle endurée par les porteurs de SEP, qui comporte une dimension cognitive (Béthoux, 2006). On peut l'expliquer par la nature des déficiences : la SEP affecte le système nerveux central, siège de la cognition, or c'est un système indemne dans le syndrome de Marfan. Dimension Motivation La perte de motivation est importante. Elle concerne 60,9% des personnes porteuses de syndrome de Marfan dans cette étude. Elle représente la plus importante caractéristique de la fatigue mesurée dans l'étude de Bathen et al. (2014) à l'aide de la FSS (86% des répondants avaient un score compris entre 5 et 7/7 pour cette variable). Dans notre étude, cette atteinte semble indépendante de l'âge, du genre et de la chronicité de la fatigue. Elle paraît en partie liée à la sévérité ressentie : 41,8% des personnes ayant un score compris entre 0 et 3/10 sur la variable de sévérité de la fatigue éprouvent une perte de motivation liée à la fatigue, alors que cette proportion passe à 60,4% pour ceux qui ont un score de sévérité compris entre 4 et 6, et 78,3% de ceux qui évaluent la sévérité de leur fatigue à 7 ou plus. D'un point de vue qualitatif, elle recouvre deux réalités distinctes : – soit une absence d'envie ("je suis très fatigué je n'ai envie de rien"), – soit un renoncement à une activité souhaitée par peur que la fatigue n'empêche d'aller au bout ("je renonce à l'envie d'aller à une expo ou un musée ou un spectacle le soir : peur de ne pas tenir le coup").