Les Maîtresses Du Régent
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LES MAÎTRESSES DU RÉGENT ÉTUDES D'HISTOIRE ET DE MŒURS SUR LE COMMENCEMENT DU XVIIIe SIÈCLE PAR MATHURIN DE LESCURE PARIS - E. DENTU - 1861 PRÉFACE. LES PREMIÈRES MAÎTRESSES. I. La petit Léonore — II. La Grandval. — III. Mademoiselle Pinet de la Massonière LES GRANDES MAÎTRESSES. I. Charlotte Desmares. — II. Mademoiselle Florence. — III. Madame d'Argenton. — IV. Madame de Parabère. — V. Madame de Sabran. — VI. Madame d'Averne. UNE PETITE MAÎTRESSE. Mademoiselle Houël. LA DERNIÈRE MAÎTRESSE. Madame de Phalaris. APPENDICE. PRÉFACE Il en est de certains lecteurs, et même de certaines lectrices, comme de madame de Longueville, qui s'ennuyait extrêmement en Normandie où était son mari. Ceux qui étaient auprès d'elle lui dirent : Mon Dieu ! madame, l'ennui vous ronge ; ne voudriez-vous point quelque amusement ? il y a des chiens et de belles forêts ; voudriez-vous chasser ? — Non, dit-elle, je n'aime pas la chasse. — Voudriez-vous de l'ouvrage ? — Non, je n'aime pas l'ouvrage. — Voudriez-vous vous promener, ou jouer à quelque jeu ? — Non, je n'aime ni l'un ni l'autre. — Que voudriez-vous donc ? lui demanda-t-on. Elle répondit : Que voulez-vous que je vous dise ? je n'aime pas les plaisirs innocents1. C'est à ces lecteurs et à ces lectrices que j'offre ce petit livre. Innocent, il ne l'est point, Dieu l'en garde ! Mais il est honnête, s'il plait à Dieu. L'histoire intime de la Régence m'a paru posséder ce rare privilège d'être à la fois amusante et instructive. Elle est amusante pour celui qui s'intéresse aux révolutions de la mode et aux caprices du cœur humain. Elle est instructive pour celui qui sait voir dans l'histoire de la mode l'histoire des mœurs elles-mêmes, et qui connaît assez le cœur humain pour tenir compte de ses caprices. Le moraliste trouvera à glaner dans cette frivole moisson d'anecdotes. Il pourra comparer l'une à l'autre deux époques d'argent, et calculer ce qu'un Law peut faire de l'âme d'une nation. Il y verra ce que valent les hommes quand ils s'achètent, et les femmes quand elles se vendent. Quant au lecteur assez heureux pour ne chercher dans l'histoire qu'un amusement et non une leçon, il ne pourra s'empêcher de reconnaître que maîtresses pour maîtresses — je parle des maîtresses de roi —, il est encore meilleur d'avoir affaire à celles qui font sourire qu'à celles qui font pleurer, à celles dont le nom ne rappelle que les fautes d'un prince trop aimable, et ne fait pas songer aux malheurs de la nation. C'est là le principal, peut-être le seul mérite de ces charmantes et nobles aventurières dont je vais esquisser les traits et la vie. Toute leur vertu consiste en ce qu'elles n'ont pas d'histoire. Elles dominèrent l'homme sans dominer le prince, et loin de régner sur la France, ne régnèrent pas même sur son cœur. Madame d'Argenton, madame de Sabran, madame de Parabère, madame d'Averne, madame de Phalaris, furent les maîtresses du duc d'Orléans, voilà tout. Elles aimèrent, mais ne gouvernèrent pas. Faciles à vaincre, elles demeurèrent faciles à renvoyer. Un signe suffit pour commencer ou clore leur passagère faveur. Leur volage amant en triomphait avec un sourire, et les congédiait avec un bon mot. Tout cela, sans que la France s'en mêle. Toutes vécurent et moururent vierges.... de politique. Aucun ministre n'alla prendre à leur toilette l'ordre du jour, et elles ne décidèrent pas la paix ou la guerre d'un signe de leur éventail. Le scandale de leurs liaisons fut si inoffensif, qu'il n'atteignit point même les mœurs qui, autour d'elles, eussent pu rester pures, si, 1 Correspondance de Madame, duchesse d'Orléans. Paris, Charpentier, 1855, 2 vol., t. I, p. 409. avant elles, elles n'eussent été corrompues. Elles n'imposèrent à la ville et à la cour ni leurs vices ni leurs vertus, qu'elles gardèrent pour elles, économisant également le plaisir de la faute et le mérite du repentir. Quand mademoiselle de Séry tomba, elle n'afficha point sa chute. On ne vit point, à son exemple, les filles d'honneur s'empresser de se déshonorer. Quand madame de Parabère devint enceinte, la mode ne revint pas des robes battantes sous lesquelles madame de Montespan étalait, sous prétexte de les cacher, ses grossesses adultères. Quand elle se convertit, si elle se convertit jamais, on ne flatta point autour d'elle, par une dévotion hypocrite, ces velléités de pénitence. Quand le duc de Brancas se retira à l'abbaye du Bec, on ne vit pas tous les roués aller aux Camaldules de Grosbois, comme on avait vu, avant eux, les anciens compagnons d'orgie de Roquelaure et de Bussy, faire jeûner leurs gens et dragonner les protestants. On ne trouvera donc rien, dans ces récits, de ce qui dépare, sous Louis XIV et sous Louis XV, la grande histoire. On n'y verra passer ni le clergé, ni le Parlement, ni les jansénistes, ni les jésuites. Aucune de ces favorites d'un jour ne vaut la peine d'être flattée. Aussi, n'ont-elles pas de poètes ; Voltaire seul fera hommage à madame d'Averne de quelques vers trop mauvais pour n'être pas désintéressés. Inhabiles à inspirer l'adulation, les maîtresses du Régent ne le sont pas moins à provoquer la haine. Elles ne pourraient pas même, si elles le cherchaient, réussir à être détestées. Personne ne leur fait l'honneur d'un ennemi. Personne ne se bat pour elles et ne va pour elles à la Bastille. Fouquet fut perdu pour avoir osé aspirer à La Vallière. Puni comme concussionnaire, il ne fut peut-être coupable que comme rival. Lauzun fut emprisonné pour avoir marché sur la main de madame de Monaco, puis pour avoir manqué à madame de Montespan. Beringhem et Richelieu conservèrent leur liberté, même après en avoir abusé au point d'enlever au Régent ses maîtresses. C'est à peine si le dernier put réussir, en trahissant l'État, à faire sortir un moment le prince de son indulgence. Le temps est passé des affaires d'amour dégénérant en affaires d'État. De tous ces menus accidents de cour qui, sous Louis XIV, prennent si vite les proportions d'un événement, c'est à peine si l'on trouve quelques traces dans les sottisiers. Quelques couplets malins, mais pas une satire : Voilà tout ce que les maîtresses du Régent purent obtenir de la curieuse indifférence de leurs contemporains. Hâtons-nous de dire qu'elles ne s'en plaignaient pas. L'ombrageux Dubois, lui, ne s'en plaint pas davantage. Il se frotte les mains, loin de trembler, à chaque événement nouveau. Sa tâche n'est-elle pas diminuée de moitié par ces insouciantes enchanteresses, grâce auxquelles lb Régent oublie de régner ?... Du reste, il ne leur laisse pas le temps de s'attacher au prince qu'il gouverne, ni surtout à l'attacher à elles. Ce que le prévoyant précepteur a surtout appris à son élève, c'est l'art d'être infidèle. Et comme il a profité de ses leçons ! Toute sa vie, en politique, en science, en amour, n'est qu'une suite d'inconstances. Grâce à ce système, auquel les passions de l'un et l'ambition de l'autre trouvent également leur profit, tout va bien, excepté la morale. La France n'est pas plus inquiète de ces éphémères faveurs que Dubois n'en est jaloux. La nation sait, comme le ministre, que son sort ne dépend point d'un de ces riens foudroyants qui, sous le pouvoir des maîtresses reines, renversent les hommes et ébranlent les institutions 1. Chose étrange ! c'est cette époque décriée qu'on nomme la Régence, qui réparera sur certains points les torts du grand siècle. Loin de nous faire assister à la continuation de ce déplorable spectacle qui a fait gémir si longtemps les Chevreuse, les Beauvilliers, les Bellefonds, les Fénelon, ce groupe de fidèles indépendants, plus amis de la royauté que du roi ; loin d'achever la dégradation de la paternité et de consommer l'apothéose de l'adultère, c'est elle qui venge à la fois les droits de la famille et de la nation outragées. C'est elle qui abaisse d'abord l'orgueil de ces fils de l'amour et un peu du hasard, auxquels l'aveugle idolâtrie de Louis XIV vieillissant avait, d'édit en édit, fait enjamber la distance qui les séparait du trône. Sous la Régence comme sous Louis XIV, il y a des adultères et des bâtards. Mais l'infidélité n'est plus glorifiée et la bâtardise reprend son pas boiteux derrière la légitimité. Le Régent ne s'expose pas à recevoir dans son sang la leçon qu'il venait d'infliger aux du Maine. Brutalement prévoyant, il lie ses deux fils naturels au célibat par les vœux de l'épiscopat et de Malte, et loin d'abandonner à une dangereuse fécondité ces branches parasites de sa famille, il les condamne à la stérilité 2. En outre, continuant par son exemple à nous offrir un argument invincible contre ceux qui veulent faire assumer à ce prince la responsabilité d'une corruption des mœurs qui avait commencé bien avant et qui était déjà mûre à la mort de Louis XIV 3, le Régent, qui n'affiche pas ses passions, ne se pique pas davantage de les faire partager aux autres. Il n'oblige personne au respect de ce qu'il méprise et de ce qu'il aime.