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Edmond Rostand le et la gloire DU MÊME AUTEUR :

Charles Trenet (Calmann-Lévy) Préface de Charles Trenet Bel-Ami, c'est moi ! (Presses de la Cité) Prix des Ecrivains combattants, 1983 Chère Colette (Presses de la Cité et Presses Pocket) Ouvrage couronné par l'Académie française Alphonse Daudet, la bohème et l'amour (Presses de la Cité) MARC ANDRY

Edmond Rostand le panache et la gloire

PLON 8, rue Garancière PARIS La loi du 11 mars 1957 n'autorisant, aux termes des alinéas 2 et 3 de l'Article 41, d'une part, que les « copies ou reproductions strictement réservées à l'usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective » et, d'autre part, que les analyses et les courtes citations dans un but d'exemple et d'illustration, « toute représentation ou reproduction intégrale, ou partielle, faite sans le consentement de l'auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite » (alinéa 1 de l'article 40). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les Articles 425 et suivants du Code Penal. ISBN 2-259-01547-6 © Librairie Plon, 1986 C'était cela, son royaume mystérieux, celui où vivaient les héros fabuleux, compatriotes de son âme et qu'il enten- dait respirer en lui. Rosemonde Gérard.

Les jeunes mariés de la poésie Les poètes sont déjà si rares qu'il est presque exceptionnel qu'ils se ren- contrent. .

Novembre 1918. L'un des hommes les plus choyés de France, le roi de la Belle Epoque, est au plus mal. Il a connu d'extraordinaires succès, la gloire sous toutes ses formes, sa renommée est mondiale. La fortune lui a prodigué ses sourires et il habite à Cambo une maison basque, somptueuse et raffinée, entourée d'un parc élé- gant où il rêve dans un décor de montagnes douces. Le mal l'a frappé à Paris alors qu'il assistait à l'une des dernières répétitions de la reprise de l'Aiglon. Reprendre l'Aiglon quelques jours après l'armistice, n'est-ce pas une idée géniale ? La comédienne Simone qui va jouer pour la première fois le rôle du duc de Reichstadt répète justement. Elle porte une redingote de fin drap noir à revers de soie. Le décor représente la chambre du jeune duc à Schon- brunn. Sur tous les meubles, il y a des bouquets de violettes. Elle vient de lancer une tirade dont les der- niers vers pourraient résumer le fulgurant destin de l'auteur de la pièce : On doit croire embrasser la France sur la bouche Lorsqu'on est aimé par Paris. Le régisseur l'interrompt et lui parle à voix basse. Alors Simone quitte les autres acteurs. Elle remonte très vite dans sa loge pour changer de tenue et quelques minutes plus tard hèle un taxi. En toute hâte elle se rend au domicile parisien d'Edmond Rostand, avenue de La Bour- donnais. Huit ans plus tôt, elle a créé Chantecler avec Lucien Guitry. Dans la voiture qui la conduit vers le Champ-de-Mars, elle pense à cet auteur qui l'a ensor- celée, comme il a ensorcelé toutes les femmes qui l'ont approché. Elle aime son talent exquis de poète, son élégance, sa classe, son beau visage où les yeux noirs brillent avec douceur, son goût du faste. A cinquante ans, Edmond Rostand semble avoir tout réussi. de Bergerac et l'Aiglon ont connu au théâtre un triomphe sans précédent et lui ont valu les plus grands honneurs. A Cambo, il a miraculeusement transformé une colline broussailleuse en un somptueux jardin à la française où miroite une pièce d'eau et où se prélassent deux cents pigeons blancs. Il est six heures du soir et il pleut. Le taxi s'arrête devant un rez-de-chaussée dont les fenêtres donnent sur des arbres tristes. Miss Day, la gouvernante, fait entrer Simone dans le salon qui ouvre sur la chambre du malade. Celle-ci y retrouve Rosemonde Rostand — Rosemonde Gérard en poésie — et la jeune comédienne qui depuis un an partage la vie d'Edmond. Les deux femmes évitent de se regarder car elles se haïssent. Elles sont très différentes : Rosemonde est plutôt petite et Mary est trop grande. Il y a aussi Maurice Rostand, le fils aîné, qui marche de long en large, les pieds serrés dans des bottines, le veston pincé à la taille, le poignet orné d'un bracelet en émail blanc guilloché. En la voyant entrer, il embrasse affectueusement Simone et lui avance une chaise entre sa mère et Mary Marquet. Cette visite va peut-être dégeler l'atmosphère. Simone se tourne vers Rosemonde. Un sourire de pitié erre sur sa bouche lasse. Elle pense encore aux confi- dences que lui a faites, quelques semaines plus tôt, Edmond Rostand : « Je ne suis guère heureux entre une grande blonde qui m'ennuie et une petite brune qui me fatigue. » Elle sait que la petite brune en question n'est autre qu'Anna de Noailles. Depuis longtemps, Edmond est infidèle et traîne tous les cœurs après lui. L'attente est insupportable, le décor planté pour une tragédie. Les acteurs sont à leur place. Le téléphone sonne soudain. — Mme la comtesse de Noailles demande Mlle Mar- quet, annonce Miss Day. Ce nom fait sursauter Mary. Elle se dirige vers l'appa- reil en titubant. Que lui veut donc cette rivale ? N'a-t-elle pas le droit d'aimer Edmond en paix ? Est-ce sa faute si lui aussi l'a aimée ? Au bout du fil, elle entend une jolie voix distinguée. — Allô, mademoiselle Marquet ? — Oui, madame, répond la jeune actrice sur le point de défaillir. Médusées, Rosemonde et Simone prêtent une oreille attentive. Quels propos vont échanger les deux femmes ? Mais à ce moment, Miss Day entre à nouveau, tenant un télégramme à la main. Rosemonde se lève et le déca- chète fébrilement. Il contient ces simples mots : « Que nous sommes malheureuses ! » Il est signé « ». Sarah, la grande Sarah, qui vient tout juste de rentrer d'une triomphale tournée aux Etats-Unis. Elle aussi est très affligée par la maladie de son « poète chéri », de cet homme qu'elle a parfois trop aimé.

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Edmond Rostand est né un demi-siècle plus tôt à Mar- seille, le 1 avril 1868 très exactement. Dans une famille où la poésie et la musique font bon ménage. Son père, Eugène Rostand, un très sérieux économiste, accaparé par des entreprises financières, ne dédaigne pas de taquiner la muse. Tout en présidant avec gravité la Caisse d'Epargne de sa ville, il écrit des poèmes vibrants. Quand les affaires le laissent en paix, il traduit Catulle en vers français et collabore au Journal des débats. Veste de tussor, bottines pointues, col d'officier, canotier et badine, il porte cravate dès le matin par trente-cinq degrés à l'ombre. L'oncle d'Edmond, Alexis, dirige le jour le Comptoir d'escompte et écrit de la musique, la nuit. Sans pitié pour ses voisins, il compose sur son piano des mélodies et des oratorios. Tous deux parlent souvent au jeune Edmond — Eddy comme ils l'appellent — de leur mère Félicie de Ferrari, une troublante Espagnole née à Cadix, de leur grand-père, également prénommé Alexis, enrôlé sous la Révolution dans l'armée des Pyrénées orientales et qui a rencontré dans son régiment un jeune garçon de Maillane, Frédéric Mistral, le père du poète. Eugène Rostand reçoit d'ail- leurs, dans son luxueux salon de la rue Montaux, Frédé- ric Mistral lui-même qui vient boire l'anisette et chanter sa belle . Edmond Rostand contemple Mistral qui se présente en jaquette, son chapeau de feutre à la main, le feu de l'inspiration aux pommettes, superbe, avec un bon sou- rire, pas très à l'aise dans ce salon précieux. Le père d'Edmond raconte aussi à son fils pendant les veillées familiales que le premier Rostand dont on peut retrouver la trace dans les vieux livres provençaux se prénommait Esprit. Il habitait le petit village d'Orgon, sur la route d'Aix. Un autre Rostand a accompagné Lamartine en Orient sur un brick. Comment s'étonner qu'Edmond ait de bonne heure le goût des lettres ? Il est délicat et sensible. Collégien, il aime musarder, marcher pendant des heures dans les forêts voisines avec ses deux ravissantes sœurs, Juliette et Jeanne, plus jeunes que lui. Dans un village, ils rencontrent un tambourinaire beau comme un pâtre latin qui joue du galoubet et s'accom- pagne en cadence, avec une baguette, sur un tambourin enrubanné au son grave. Edmond compare son cœur « jouant du triste et du gai tout ensemble » à cette cadence profondément sonore. C'est un angoissé, un écorché vif qui doute déjà de tout. Très jeune, il a des complexes à cause de son nez qu'il trouve trop grand. Il se croit laid. Une famille fort connue à Marseille. Une maison cossue où il va grandir dans une douce atmosphère auprès d'Angèle, sa mère, dont les aïeux ont été marins. Un salon doré. Une jeunesse dorée. Il écrira plus tard, lorsqu'il ne parlera plus qu'en vers : Mon père traduisait Catulle, Et ma sœur déchiffrait Mozart. Ce sont des soirées exquises. Angèle fait de la broderie en écoutant sa fille Juliette jouer du piano. Eugène reste penché sur son gros dictionnaire latin. Edmond regagne sa chambre et regarde avec émotion la gravure accrochée au-dessus de son lit. Son père, qui est un fervent bonapartiste, a fait placer une reproduction du portrait du roi de Rome à douze ans, peint par Lawrence. Une cascade de boucles blondes retombe sur le front de l'enfant rose, lui donnant un air très doux. En s'endormant, le jeune Edmond Rostand rêve parfois au destin tragique de ce prince romantique. Il est l'élève du sage Institut Thedenat, tout près de la bourgeoise rue Montaux. C'est le départ chaque matin, la tête encore brouillée de sommeil, le retour, le soir, la serviette bourrée de devoirs à faire avant l'heure du coucher. Il étonne déjà tout le monde par sa perspicacité, sa sensibilité et son imagination. Il éblouit aussi ses jeunes camarades par la variété des rubans qui ornent son chapeau. Il lit beaucoup, adore Walter Scott et Napoléon le fascine. Aidé d'un vieux domestique, il installe un petit théâtre de Guignol, de « pupazzi » comme on dit en Provence, dont il fait les décors et habille les person- nages. Quelquefois, le soir, il regarde sa ville. Il est déjà cocardier. Son Acropole est les Acoules. Puget, Daumier, Monticelli sont nés avant lui dans la cité phocéenne. Avec sa lumière, ses rues animées, son aspect coloré, ses bateaux, son port, ses foules bariolées, Marseille, par les masses d'images éblouissantes qu'elle offre sans cesse, ne peut qu'enrichir une sensibilité d'artiste. Après deux ans au lycée de la ville, il passe brillamment son baccalauréat. Il n'a déjà qu'une idée en tête : écrire des vers. Quand on l'envoie faire son année de rhétorique à Paris, c'est un drame pour lui. Il arrive fin octobre au collège Stanislas. Rue Montaux, les adieux ont été déchi- rants. Le voyage a été long et fatigant, l'arrivée à Paris affreusement triste. Tout le blesse : le dépaysement dans l'immense ville qu'il ne connaît pas, le brouillard après la belle lumière de Marseille, les longs couloirs du collège, les dortoirs sinistres. Comme il regrette les douces veillées ponctuées par Juliette qui joue si bien le Ballet des petits riens. Il regarde avec nostalgie la photographie de sa famille. Une invention merveilleuse, la photographie ! Ses camarades de classe le choquent. Ils s'acharnent après un vieux pion disgracié. Ils l'ont surnommé Pif- Luisant à cause de son nez et, dès qu'il a le dos tourné, crayonnent sans pitié son profil sur les murs de la classe. Edmond écrira plus tard : On t'avait surnommé Pif-Luisant. Les élèves Charbonnaient ton profil grotesque sur le mur ; Mais tu marchais toujours égaré dans tes rêves, Tu ne souffrais de rien. Tu vivais dans l'azur. Par bonheur, un jeune professeur sympathique vient d'arriver qui le prend tout de suite en amitié. Il s'appelle René Doumic. Il n'a que vingt-quatre ans. Huit ans de plus que son élève. C'est un jeune homme fou de litté- rature. Il a les yeux clairs, porte une frange d'écolier du Moyen Age. La nature, la poésie, l'amour n'existent pour lui que sous forme de caractères d'imprimerie. Devant la ligne pure d'un boqueteau, il dit à Edmond : — Charmant bois ! Comme on doit y être bien pour corriger des épreuves ! Leurs rapports deviennent vite amicaux. Mis en confiance, le timide Edmond lui montre ses premiers sonnets. Doumic est étonné par sa maturité, son aisance. — Vous êtes né pour faire des vers, lui dit-il. Faites- en. Sans lui, Edmond Rostand n'aurait peut-être pas été l'auteur que le monde entier a acclamé. Ils se retrouve- ront un jour, tous les deux, à l'Académie française, l'élève y entrant bien avant le maître. Chaque devoir achevé, la composition d'Edmond est presque toujours lue en classe. On reproduit même sur le livre d'or du collège une de ses dissertations à propos du Misanthrope. Doumic adore faire des lectures commentées sur le XVII siècle. Avec un grand art, il ranime cette époque, évoque les beaux esprits dans les ruelles du Marais, les bretteurs d'épées et de vers, les propos recherchés des précieuses. Les sonnets et les rondeaux se mêlent aux hauts-de-chausse éperonnés. Ce siècle devient magique pour Edmond. Un jour, par hasard, Doumic lui révèle l'existence d'un poète de cette époque : Savinien de , né en 1619 dans un petit domaine d'Ile-de-France. C'est une découverte pour lui. L'histoire de ce personnage haut en couleur le passionne. Il puise dans sa courte existence une soif d'idéal qu'il possède déjà. Cyrano est aussi galant dans la vie que brave au combat, et tous ceux qui se risquent à moquer son nez ont à tâter de son épée. A la porte de Nesles, il se bat seul contre cent pour défendre son ami Lignières. Entré dans l'armée, il doit, à la suite d'une grave blessure reçue au siège d'Arras, renoncer à tout avenir militaire. Il suit alors les leçons de Gassendi puis fait partie de la maison du duc d'Arpajon. Deux ans plus tard, à trente-six ans, il meurt frappé accidentellement à la tête par une poutre détachée d'une toiture. Il a composé deux œuvres pour le théâtre : la Mort d'Agrippine et le Pédant joué dont Molière faisait grand cas. Cyrano de Bergerac a écrit aussi des récits de voyages imaginaires dans la lune et le soleil, inspirés d'œuvres analogues de John Wilkins mais en y mettant sa note propre qui est l'audace de ses vues sur la nature et la politique. Au moment du concours littéraire de fin d'année, Edmond Rostand demande à René Doumic : — Que me diriez-vous, monsieur, si je faisais mon exposé en vers ? Son professeur n'hésite pas : — Je vous ferais confiance. Mais cet exposé ne plaît pas aux autres maîtres. C'est trop d'audace ! Et après les résultats, Doumic trouve son élève au fond de la classe, assis dans un coin, le front bas et soucieux. — Rostand, lui dit-il, ne vous affligez pas. Un jour, vous ferez quelque chose, j'en suis sûr. Edmond relève un peu la tête. — Oui, je vous l'assure. Ayez confiance. En ce jour de tristesse, ayant obtenu l'autorisation de sortir du collège, le jeune homme court chez son correspondant à Paris, un ami de son père : Georges de Villebois-Mareuil. Comme Cyrano, son personnage favori, cet officier est un héros. Il a servi en Cochinchine et combattu en 1870 avec l'armée de la Loire où il a été grièvement blessé. « Brusque, pimpant, l'œil bleu, la moustache ébouriffée », il salue Edmond. — Alors, mon jeune ami, pourquoi as-tu cet air déses- péré ? lui dit-il avec un grand éclat de voix affectueux. Et tout en bourrant sa pipe, il écoute le récit des malheurs littéraires de son protégé. Il conclut en sou- riant : — Tu ne t'es jamais dit que « littérature » est un mot féminin. Féminin, m'entends-tu ? Tu apprendras à tes dépens la signification de ce mot. Donc, ta littérature est femme. Elle te déçoit. Rien de plus normal. Ils vont ensemble faire un tour au bois de Boulogne tout proche. Il y a foule dans les allées. Edmond regarde passer les élégantes dans leur coupé. Les plus belles femmes de Paris défilent au trot de leurs chevaux et Villebois, qui s'y connaît, lisse sa moustache en lui citant des noms. Il emmène quelquefois Edmond au théâtre et au restaurant. Il lui raconte de belles histoires de guerre et d'amour qui passionnent le jeune homme. Des bruits de voix leur parviennent. En cette année 1884, les riches sportifs se retrouvent à la Croix-Catelan, où depuis quelques mois s'est installé un club très chic, le Racing. On y joue au lawn-tennis. Ce jeu, en vogue en Angleterre, commence à faire fureur en France, à Dinard comme à Paris. Un peu plus loin, un troupeau de vaches paît au Pré-Catelan pour fournir du lait aux enfants et aux nourrices. Villebois-Mareuil parle à son jeune ami de Jules Ferry qui conduit l'un des plus longs ministères de la III Répu- blique. — Une grande figure, lui dit-il. Pour l'heure, il se lance dans une difficile épopée coloniale. Trois raisons à son action : occuper les militaires qui rêvent trop de revanche, contrer l'expansion britannique et la politique de Bismarck qui ne pense qu'à isoler la France. L'officier marche au pas de charge. Edmond a du mal à le suivre. Villebois continue à lui parler de tout en vrac. De la reine de Tahiti, Maraü, que la France vient de recevoir somptueusement, de l'Opéra-Comique où l'on a créé ces jours-ci la Manon de Massenet, du Chat noir où Rodolphe Salis attire les noctambules, de l'épidémie deParis. choléra qui ravage Marseille, Toulon et monte jusqu'à — Par bonheur, j'ai eu de bonnes nouvelles de ma famille,tous. dit Edmond, mais je suis très anxieux pour eux Soudain, dans le Bois, tous les promeneurs sont effrayés. Dans leur coupé les élégantes frémissent. Les cavaliers retiennent difficilement leurs chevaux prêts à s'emballer. Dans un épais nuage de poussière et un bruit d'enfer vient de surgir la première automobile, la Dela- marre-Debouteville. Le conducteur est emmitouflé de four- rures, ses yeux sont cachés derrière d'énormes lunettes. — Ces voitures sans chevaux n'ont aucun avenir, dit Villebois-Mareuil d'un ton sans réplique.

Pendant les vacances qui suivent, Edmond se rend à Luchon où sa famille s'est installée après avoir fui Mar- seille et la terrible épidémie. Ses parents y possèdent un joli chalet, la villa Julia. Il est toujours heureux de retrouver ce décor grandiose. Il fait de longues randon- nées à travers la montagne avec son père. Tous deux s'assoient parfois à l'ombre des sapins sur la route du col de Peyresourde. Le paysage est sublime. La vallée de Louron sombre dans une symphonie de couleurs. D'un côté, le pic de Sarrouyes, de l'autre, des monts plus doux, voilés d'une légère brume qui en atténue les contours. — Eddy, mon petit, il faut que je te parle. Tu es un garçon intelligent. Tu vas faire ta philosophie. Que décideras-tu ensuite ? Ta mère et moi, nous espérons te voir un jour entrer dans la diplomatie. — La diplomatie ? — Ecoute-moi. Je ne voudrais pour rien au monde contrarier tes projets mais il faut bien faire quelque chose de sa vie. Edmond hésite et lui dit : — Au collège Stanislas, j'ai eu deux professeurs étonnants, René Doumic et Boris de Tannenberg. Ce dernier m'a fait découvrir Shakespeare que je viens de relire attentivement. J'ai envie, moi aussi, de créer et de faire revivre des hommes. Le retour à la maison est silencieux. Eugène Rostand a été surpris par la vibrante profession de foi de son fils. Il ne s'attendait pas à cela. Il en a eu le souffle coupé. Pour lui, la poésie n'a toujours été qu'un diver- tissement. Pas un gagne-pain. Qu'Edmond fasse au moins son droit ! — Ecoute-moi, Eddy. La poésie peut être un passe- temps, une élégance, un art d'agrément, comme la flûte ou le violon, mais elle n'est pas un métier, un but. Après le dîner, on passe au salon. Juliette, la fille aînée, se met au piano. Angèle, sa mère, commence un travail de broderie au point de croix et Eugène s'assoit à son bureau, toujours plongé dans son gros dictionnaire. Songeur, Edmond s'approche de la fenêtre ouverte. Rien n'a changé. Son père traduit Catulle, sa sœur déchiffre Mozart, et lui, il rêve. En une soirée, Edmond Rostand devient, grâce à Cyrano, le roi de la Belle Époque. Il n'a que vingt-neuf ans. Sa vie et ses amours demeurent mal connues. La tendre Rosemonde Gérard, la première, tombe amoureuse de ce jeune Marseillais lancé à la conquête de Paris. Sa fantastique réussite, il la doit aussi à Sarah Bernhardt. Le poète et son interprète connaîtront une liaison passionnée et c'est elle qui créera l'Aiglon avec une fougue sublime. La comédienne Simone sera éblouie, à son tour, par l'auteur de Chantecler. Et plus tard, Anna de Noailles, géniale et baroque, Mary Marquet, débutante émerveillée. Autour de lui revivent ces acteurs que Cocteau a nommés "les monstres sacrés" : Lucien Guitry, Coquelin, de Max, Le Bargy. En 1900, Edmond Rostand est un dieu. Il habite un somptueux ermitage à Cambo mais ne vit que dans la fièvre du théâtre. Cette biographie, pleine de charme, nous le ressuscite dans tout l'éclat de son triomphe.

Marc Andry est journaliste. Il est l'auteur de plusieurs biographies : Maupassant (prix des Écrivains combattants 1983), Colette (couronné par l'Académie française) et Alphonse Daudet, très bien accueilli par la critique. Participant d’une démarche de transmission de fictions ou de savoirs rendus difficiles d’accès par le temps, cette édition numérique redonne vie à une œuvre existant jusqu’alors uniquement sur un support imprimé, conformément à la loi n° 2012-287 du 1er mars 2012 relative à l’exploitation des Livres Indisponibles du XXe siècle.

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