Golf-Drouot. Le Temple Du Rock
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Golf-Drouot LE TEMPLE DU ROCK HENRI LEPROUX avec la collaboration d'Alice Hubel Golf-Drouot LE TEMPLE DU ROCK ÉDITIONS ROBERT LAFFONT PARIS Les auteurs remercient Emmanuel Richomme pour son travail de documentation. Si vous désirez être tenu au courant des publications de l'éditeur de cet ouvrage, il vous suffit d'adresser votre carte de visite aux Éditions Robert Laf- font, Service « Bulletin », 6, place Saint-Sulpice, 75279 Paris Cedex 06. Vous recevrez régulièrement, et sans engagement de votre part, leur bulletin illustré, où, chaque mois, sont présentées les nouveautés que vous trouverez chez votre libraire. © Éditions Robert LafTont, S.A., Paris, 1982 ISBN 2-221-00725-5 A ma femme Le rock en France vient d'avoir vingt-sept ans ! Presque trente, l'âge de raison, plus tout à fait vingt, celui de l'énergie pure. Une date qui me fait rêver, c'est le temps des souvenirs, le temps des bilans, mais toujours de l'aventure. Car le rock'n'roll, émanation spontanée de notre époque, lui est devenu de nos jours indispensable. Bien sûr, on peut épiloguer fort longtemps et savam- ment sur les origines du rock, sa naissance, ou plutôt son explosion. Je préfère, quant à moi, le suivre pas à pas dans un lieu que je connais bien, le Golf-Drouot. Au Golf, l'histoire a défilé, depuis vingt-sept ans, sans que nous nous en rendions complètement compte, tant nous étions passionnés de musique, avec une jeunesse toujours renouvelée. De Johnny Hallyday et Eddy Mit- chell, en passant par Trust et Téléphone, je suis fier que le Golf ait été à l'origine de leurs histoires. Et jus- tement, leurs histoires — et celles de beaucoup d'autres —, il paraît — et c'est vrai — que cela fait l'His- toire tout court! Qui aurait pu penser cela, au début des années soixante, lorsque le rock et la jeunesse étaient considérés comme des trublions sans enver- gure ni intérêt par la grande majorité des gens? A présent, même les hommes politiques semblent s'intéresser à cet épiphénomène qui a forgé deux géné- rations d'électeurs... Voilà une consécration. Du moins s'intéressent-ils à la chanson. A quand le tour du rock? Il ne faut pas croire que toutes les facilités aient été accordées à cette bientôt vénérable institution. On construit bien des stades et des maisons de la culture, mais il y a toujours autant de mômes en France, dissé- minés, qui ne trouvent pas d'endroit pour jouer cette musique qui les aide à vivre, des mômes parqués comme des parias dans des salles de concert datant d'une ère qui ignore le confort et à des prix vertigineux. Ces mômes-là, leurs grands frères, leurs parents, leurs copains et leurs petites amies, ce sont ceux du Golf; j'ai voulu leur raconter cette légende toute simple, sous forme de chronique. On me le demandait depuis longtemps déjà, et je reculais devant la tâche méticuleuse de rassembler, bribe par bribe, trace par trace, ces événements qui se sont succédé au premier étage du 2, rue Drouot... Le moment est venu, je crois. Le Golf est fermé, selon une loi qui interdit l'existence de deux débits de boissons dans un même endroit. Le Golf-Drouot fait partie du café d'Angleterre, ce qui le condamne, et les actuels propriétaires songent même à en faire des bu- reaux. Dommage. Tout finit dans une sombre question de limonade et de bureaucratie, et j'en ai presque pris mon parti, à force de découragement et de fatigue à lutter contre des moulins à vent... En tout cas, je gar- derai précieusement dans ma mémoire les images du passé. C'est aussi pour laisser un témoignage, repeindre avec des mots les murs du Golf qui s'effri- tent, colmater les brèches qui le lézardent, que j'ai collaboré avec Alice Hubel. Je crois aux zones magiques, au destin, à l'atmo- sphère. Rien n'est plus passionnant que de revivre une ambiance exacte, un jour, une nuit, une fin d'après- midi. Je hantais le Golf depuis vingt-sept ans, souvent jusqu'au petit matin. Une drôle de servitude dont on n'arrive plus à se défaire, à la longue. Cependant, lorsque nous en sommes partis définitivement, avec Colette, ma femme, la caissière du Golf, nous étions tristes, comme lorsque la fin du film n'est pas tout à fait celle qu'on aurait souhaitée... Et encore, au cinéma on peut parfois fabriquer des happy ends qui n'existent pas dans cette réalité! Mais trêve d'amertume. Je retrouve toute ma séré- nité en me répétant ce proverbe chinois qui me plaît et qui dit : « Pour réussir sa vie, il faut avoir un fils, plan- ter un arbre, et écrire un livre. » J'ai rempli les deux premières conditions, et mon livre, ce sera celui-ci, il existe parce que le Golf est là. Alors, surtout, ce livre est celui du Golf-Drouot. Mais, direz-vous, le Golf, au fond, qu'est-ce que c'est? J'ai envie de dire, abrupte- ment : un fait accompli. Ni Versailles, le palais, ni Lipp, la brasserie. Un local, ancien thé dansant, s'il vous plaît, où sont passés des musiciens, des gens. Ni une boîte à la mode, même si elle fut suivie, ni un édifice destiné à glorifier son constructeur. Quand on entre au Golf, cela ne sent ni l'histoire, ni le must, ni la frime. En regardant autour de soi, on voit juste un mur orné de photos et un panneau 1 Un peu plus loin, à 1. « C 'est ici, au Golf-Drouot, que naquit, en 1955, le rock français dont les tinue...principaux » interprètes furent Johnny Hallyday et Eddy Mitchell, et la fête con- gauche, il y a la salle des slows, à droite, le tremplin, une sorte de scène totalement artisanale et une salle réduite, aux murs ornés de fresques naïves et « rocky »... Le Golf, ce n'est que cela, mais c'était fou de le sen- tir vivre, vibrer, et se peupler, indéfiniment depuis toutes ces années. Le théâtre n'avait d'âme que grâce aux acteurs, mais l'originalité de ce théâtre-là, c'est que les spectateurs y étaient aussi les acteurs. Dans la plus pure tradition du happening musical des années soixante-dix. « Pionnier » me semble le terme le plus choisi pour définir le Golf. Un pionnier crée quelque chose de toutes pièces, en général de ses propres mains ; après le pionnier vient celui qui fait, en somme, fructifier tout ça. Au Golf, nous n'avons jamais dépassé le stade du pionnier, nous sommes restés des artisans, et si les vedettes révélées au Golf ont contribué à l'expansion industrielle du rock, nous sommes toujours restés fidèles à notre vocation. Donner une chance aux jeunes, aux nouveaux, sans arrêt. Cela suppose tout un état d'esprit, et en chiffres cela se traduit par la baga- telle de plus de 6 000 auditions de groupes et de pas- sages sur scène. Comme on dit dans le métier : il faut assurer. Cela vaut au Golf en tout cas de figurer dans le Livre des records ! Certains soirs de morosité, je l'avoue, je me suis posé la question : « Mais pourquoi faire tout ça, après tout? » Le Golf n'est pas à moi, je n'en suis que le directeur et l'animateur, entre autres occupations plus pratiques et moins reluisantes. Alors pourquoi? La seule explication que je pourrais donner à cet acharne- ment, c'est l'engrenage de la passion ! Mais oui. Rien d'autre ne m'a jamais poussé à recevoir tous ces jeunes, armés de guitares et autres ustensiles bruyants, dont certains ont ensuite continué leur route, et d'autres sont toujours aussi excités à l'idée de jouer de la musique. Mais pas n'importe quelle musique, inutile de le préciser. A l'époque où j'ai entendu les premiers rocks, j'avais tout juste vingt-sept ans, et ce fut pour moi la première initiation musicale. Buddy Holly, Eddie Cochran, Gene Vincent et Elvis furent mes maîtres. Buddy, Big Popper et Ritchie Valens moururent ensemble en février 1959 dans un accident d'avion. Cochran se tua l'année suivante 1 James Dean était mort cinq ans auparavant dans son bolide fulgurant. Elvis était encore fringant et hawaiien. Au Golf, on parlait du mythe de la génération sauvage dont « Rebelle » était l'attitude clé. Aujourd'hui, les temps passent, on parle de génération froide. Mais de Love me tender à Antisocial on peut dire qu'une certaine tra- dition demeure, celle du mal de vivre. On s'aperçoit d'ailleurs avec les années que c'est un état hautement créatif. Moi, j'étais plus âgé qu'eux : ils avaient tous moins de vingt ans, j'étais en quelque sorte leur grand frère. Puis, je suis devenu encore plus âgé, et eux, ils étaient toujours aussi jeunes ! Alors me voilà un peu leur père, mais pas paternaliste, familial, je préfère. Le Golf, à sa façon, a élevé quelques enfants (en fait il en est passé 3 millions!), les a rassurés, a donné un but à leurs vagabondages nocturnes et leurs errances désœuvrées, 1. En taxi à bord duquel se trouvait Gene Vincent : le taxi roulait à vive allure en direction de l'aéroport de Londres, un pneu éclata, la voiture s'écrasa contre un lampadaire. Eddie Cochran ne reprit jamais connaissance. C'était un dimanche de Pâques, le 17 avril 1960. mais musiciennes. C'est la chose qui compte le plus pour moi. Voici le moment, à présent, d'ouvrir le livre d'images.