Impact Politique Et Territorial De La Route Bitumée Bondoukou-Bouna Au Nord-Est De La Côte D'ivoire
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European Scientific Journal January 2014 edition vol.10, No.2 ISSN: 1857 – 7881 (Print) e - ISSN 1857- 7431 IMPACT POLITIQUE ET TERRITORIAL DE LA ROUTE BITUMÉE BONDOUKOU-BOUNA AU NORD-EST DE LA CÔTE D’IVOIRE Atta Koffi Lazare, Maitre De Recherches En Géographie Gogbe Téré, Maitre De Conférences En Géographie Université Félix Houphouët-Boigny, Cocody, Côte d’Ivoire Kra Kouadio Joseph, Assistant En Géographie Université Peleforo Gon Coulibaly, Korhogo, Côte d’Ivoire Abstract The weakness of the public investments in the north-east of Côte d'Ivoire has made this region the most deprived and marginalized area of the country. Isolated from the other part of the country, the north-eastern, especially the region of Bouna is regarded as no man's land, a penitentiary, a prison for the recalcitrant civil servants. Due to the numerous problems of development faced, the region differed completely from the other regions of the country. The populations of this area had feeling that they were not member of the nation in construction. But, since 1997, when the government has tarred the road from Bondoukou to Bouna, the population’s feeling of being member of the nation has increased. From them, this tarred road is an evidence of their citizenship. It has not only reinforced their feeling of being member of the nation but it has also permitted to bring local governance to the doorsteps of the people and enhance decentralization process in the region. It is a political road, a road of national unity, food security and economic defence road in that political context influenced by the concept of " ivoirité ". Keywords: Bouna, deprived, development, decentralization, ivoirité, marginalized area, nation, public investments, tarred road Résumé La faiblesse des investissements publics dans le nord-est de la Côte d’Ivoire a fait de cette région la plus déshéritée et la plus marginalisée du pays. Enclavée physiquement, la région du nord-est en particulier la zone de Bouna était considérée comme un no man’s land, un pénitencier, une prison spatiale pour les fonctionnaires récalcitrants. Véritable concentré des 101 European Scientific Journal January 2014 edition vol.10, No.2 ISSN: 1857 – 7881 (Print) e - ISSN 1857- 7431 problématiques nationales de développement, la région s’intégrait difficilement dans l’ensemble ivoirien. Le sentiment d’appartenance à la nation en devenir était faible chez les populations de cette région. Mais, depuis le bitumage de la route Bondoukou-Bouna en 1997, les populations se sentent plus ivoiriennes. Cette route bitumée est une sorte d’écriture au sol du certificat de nationalité ivoirienne des populations de cette région. La route bitumée a non seulement renforcé le sentiment d’appartenance à la nation en construction mais aussi permis la création de structures territoriales déconcentrées et décentralisées. C’est une route politique, une route d’unité nationale, de sécurité alimentaire et de défense économique territoriale dans le contexte politique d’alors marqué par l’“ivoirité“. Mots-clés: Bouna, déshéritée, développement, déconcentrées, décentralisées, certificat de nationalité, investissements publics, ivoirité, région marginalisée, nation, route bitumée Introduction La Côte d’Ivoire comme la plupart des pays africains n’est pas encore une nation. Après trente-six (36) ans d’indépendance, les pouvoirs publics, soucieux de construire l’unité nationale ont pensé à la région de Bouna considérée comme le symbole de l’abandon du nord-est par l’Etat. Les difficultés d’accès à cette ville, chef-lieu de département et son hinterland se sont physiquement et même psychologiquement atténuées par la construction de la route bitumée. L’effort de l’Etat appuyé par la Banque Africaine de Développement (BAD) avec un investissement de près de 15,2 milliards de FCFA en 1996 pour 166 km de route, a sans doute un impact politique sur les populations, leurs mentalités, et sur l’espace car cette route était l’une des plus importantes doléances populations du nord-est. Cette route a une valeur, un coût politique dans la mesure où c’est une décision, un choix mieux la volonté politique étatique qui a présidé au bitumage de la voie. Or toute décision politique cache une intention stratégique. La route a permis aux populations de se sentir politiquement intégrées à la jeune nation en construction. Avec un trafic inférieur à trois-cents véhicules par jour, c’est une route politique. Elle transmet un message politique aux populations : l’unité nationale. Méthodologie Les résultats de cette étude sont le fruit de plusieurs recherches menées auprès des responsables des structures déconcentrées et décentralisées de l’Etat dans la région du nord-est notamment les sous- préfets de Bondoukou, Laoudi-Ba et Bouna. Des compléments d’enquêtes de terrain ont été réalisés auprès des chefs traditionnels et leurs notables, des 102 European Scientific Journal January 2014 edition vol.10, No.2 ISSN: 1857 – 7881 (Print) e - ISSN 1857- 7431 élus (députés et maires) et cadres de la région. Nous avons également eu des entretiens collectifs avec la notabilité dans les principaux villages situés autour de la structure routière bitumée. I-La route bitumée Bondoukou-Bouna : instrument de cohésion politique nationale Il y a une intention politique et même stratégique derrière la construction de la route bitumée Bondoukou-Bouna. Plus qu’un investissement socio-économique, elle constitue avant tout un investissement à caractère politique. Cette route avait pour but plus ou moins avoué l’intégration politique de cette partie de la Côte d’Ivoire longtemps marginalisée. L’unité nationale étant en Afrique plus territoriale qu’institutionnelle, c’est dans le domaine de l’intégration politique du département de Bouna et même de la région du nord-est dans l’ensemble de la Côte d’Ivoire que l’on observe le mieux les réalités du désenclavement par la route bitumée. Elle constitue l’instrument d’un aménagement politiquement orienté de l’espace. Il s’agit de mettre les ivoiriens de cette contrée dans le moule de la jeune nation en construction. Avant le bitumage, les ressortissants, les fonctionnaires d’Etat et les opérateurs économiques privés qui voyageaient sur la route avaient l’impression qu’ils venaient d’un pénitencier avec tout le calvaire psycho-physique (poussière offrant un colorant sur les véhicules et les vêtements, fatigue, pannes et toutes sortes de désagréments) qu’imposait un trajet long d’environ 180 km. Le département de Bouna gravitait dans l’orbite du Burkina Faso et même du Ghana. La ville de Bouna, à environ 97 km de la frontière du Burkina Faso, 37 km de celle du Ghana et 180 km de Bondoukou était beaucoup plus exposée aux influences des pays limitrophes. Pour certains, il faut le souligner avec véhémence, le département présentait plus des caractéristiques des pays sahéliens que celles de la Côte d’Ivoire. Selon certains habitants, dès qu’un voyageur venait de Bouna, on pourrait penser qu’il vient de Burkina Faso et qu’il est même Burkinabé. Les ivoiriens, il faut le dire, au nom de la conscience populaire et surtout de leur orgueil, avaient tendance à considérer Bouna comme une province du Burkina Faso même si dans le fond et dans la forme ce n’était pas le cas pour l’administration. N’oublions pas que la subdivision de Bouna a été intégrée dans la colonie de la Haute Volta en 1932 (actuel Burkina Faso) avant d’être réintégrée dans la colonie de Côte d’Ivoire en 1947. C’est pourquoi le voyageur qui arrivait à Bondoukou se sentait plus en Côte d’Ivoire ou pensait que c’était là que commençait la Côte d’Ivoire. Pour d’autres Bouna pourrait être comparé a une prison coincée entre le Parc National de la Comoé et le Burkina Faso. Prison où l’administration affectait les fonctionnaires récalcitrants ou d’obédience politique différente de celle du pouvoir central. Alors que Bouna n’est pas le 103 European Scientific Journal January 2014 edition vol.10, No.2 ISSN: 1857 – 7881 (Print) e - ISSN 1857- 7431 Sahara encore moins le Sahel. C’est dans cet embrouillamini qu’évoluait Bouna et son arrière pays, l’opinion publique ayant une force, un pouvoir psycho-mental qu’elle imposait à travers des préjugés, du reste, pas toujours fondés. En fait, Bouna et ses contrées étaient en contradiction avec la Côte d’Ivoire moderne. La conscience des populations était ipso facto plus sociale, tribale, ethnique, quelquefois régionale plus que nationale. En décidant de bitumer la route, l’Etat veut non seulement affirmer et affermir son autorité sur son territoire devant la communauté nationale et internationale mais aussi et surtout donner la preuve aux populations locales qu’on se soucie de leur sort, de leurs conditions de vie et de travail mieux de leur avenir. L’Etat veut également montrer que sa volonté d’éviter un repli identitaire, le régionalisme, donc de créer un ciment d’unité capable de jeter les bases des fondations inébranlables de la nation ivoirienne, ne se limite pas à l’érection de la ville de Bouna comme chef-lieu de département. L’Etat venait ainsi d’écrire, d’exprimer mieux de signer sur le sol de Bouna sa volonté de s’engager pour le progrès et le développement local. C’est un cachet indélébile de l’Etat sur le sol. La route soulage et fait la fierté des populations. C’est un symbole politique fort. L’Etat a écrit, a ouvert une nouvelle page de l’histoire de la zone de Bouna, démontré qu’elle compte à ses yeux et qu’il n’existe pas ‘’deux Côte d’Ivoire ’’, l’une utile et l’autre inutile. Le bitumage de la route vise également à effacer le passé colonial burkinabé de la zone de Bouna.