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NOTE ET BILAN D’EXPÉRIENCE Du record group au fonds d’archives Normalisation du classement et de la description d’archives gouvernementales aux Archives nationales du Canada*

Danielle Lacasse Antonio Lechasseur

«... si les dépôts d’archives accordaient une plus grande attention au classement systématique des documents, ils seraient plus en mesure de normaliser les processus de description.» (BCA 1986, 46)

Les Archives nationales du Canada (ANC) célèbrent leur 125e anniversaire en 1997. Au cours de sa longue histoire, cette institution a connu de nombreux change- ments qui reflétèrent à la fois l’évolution socio-politique du pays et le développement de l’archivistique. Le virage entrepris récemment vers la normalisation des pratiques de classement et de description témoigne incontestablement de ce phénomène. Depuis 1992, les ANC participent en effet à un vaste projet devant conduire à l’utilisation des Règles pour la description des documents d’archives (RDDA), du Bureau canadien des archivistes, en matière de contrôle intellectuel. Parallèlement, l’institution est à mettre sur pied un nouveau système automatisé permettant de gérer efficacement son nou- veau cadre normalisé de classement et de description. Grâce à la réalisation de ces deux projets interreliés, les ANC entrent résolument dans une ère nouvelle. Ouvertes aux changements, les Archives nationales du Canada sont également tributaires d’un passé riche de traditions. Ainsi, depuis plus de 40 ans, les ANC utilisent le concept de record group (RG) pour classer et décrire leurs documents d’archives gouvernementaux. Développé aux États-Unis au lendemain de la Seconde Guerre mon- diale en réponse à la prolifération sans cesse croissante des documents gouvernemen- taux, le concept de record group est encore largement utilisé dans plusieurs pays

* Cet article est une version remaniée d’une communication présentée au 25e congrès annuel de l’Association des archivistes du Québec tenu à Rimouski du 12 au 14 juin 1996.

ARCHIVES , VOLUME 28, NUMÉROS 3 ET 4, 1996-1997 57 anglo-saxons. Compte tenu de la ténacité des traditions, les changements nécessaires à la normalisation revêtent une ampleur considérable pour les ANC. L’abandon du re- cord group au profit du fonds d’archives, principe de base des RDDA, marque effecti- vement un point tournant pour l’institution. Il transformera — souvent de façon radi- cale — les pratiques archivistiques des deux divisions responsables de l’acquisition, du classement et de la description des documents d’archives du Gouvernement du Canada: la Division des archives gouvernementales et la Division des archives visuelles et sonores. Détentrice des documents gouvernementaux antérieurs à la Confédération, la Division des manuscrits sera également appelée à revoir ses pratiques en ce sens. Ces trois divisions mettent donc leurs efforts en commun dans la réalisation des projets en cours. Cet article fera état des changements effectués au cours des dernières années pour s’ajuster à ce nouvel environnement normalisé. Il comportera deux parties: en premier lieu, nous mettrons l’accent sur l’historique du record group comme cadre de classement et sur la recherche théorique qui a été nécessaire afin d’introduire le con- cept de fonds d’archives dans le contexte des archives gouvernementales fédérales. Nous nous attarderons tout particulièrement sur l’élaboration de critères permettant l’identification des créateurs de documents d’archives au sein du Gouvernement du Canada et sur l’introduction d’un concept encore peu étudié: le sous-fonds d’archives. En second lieu, nous présenterons le fruit du travail réalisé lors du réaménage- ment des RG en vue de l’application de nos critères relatifs aux fonds et sous-fonds d’archives. À l’aide d’exemples, nous ferons état de l’interprétation et de l’application des critères de ayant conduit à l’élaboration d’un cadre normalisé de clas- sement, c’est-à-dire une nouvelle nomenclature des fonds et sous-fonds pour les archi- ves du Gouvernement du Canada. Nous donnerons également des indications sur les étapes qui restent à franchir dans ce processus de conversion, notamment en ce qui a trait à la mise en chantier des nouvelles notices de description conformes aux RDDA.

DEUX NOUVEAUX VENUS AUX ARCHIVES GOUVERNEMENTALES FÉDÉRALES: LES FONDS ET SOUS-FONDS D’ARCHIVES L’adoption par les Archives nationales du Canada des Règles pour la descrip- tion des documents d’archives est une décision toute naturelle puisque les ANC ont largement contribué financièrement et scientifiquement à l’élaboration de celles-ci. Cependant, cette décision de normaliser nos pratiques en matière de classement et de description apporte bien sûr son lot de changements et d’adaptations communs à tou- tes les institutions qui en font autant, mais dans le cas des ANC cela signifie un pro- fond changement de culture institutionnelle. On ne pouvait donc pas adopter les RDDA du jour au lendemain sans examiner et réviser l’ensemble de nos pratiques de contrôle, concept ici entendu dans un sens large qui englobe l’ensemble des opérations de clas- sement et de description. Le changement le plus fondamental n’est probablement pas d’utiliser les RDDA à l’avenir pour produire nos descriptions mais plutôt de s’aligner sur les concepts de base sur lesquels elles ont été échafaudées. Essentiellement, l’opéra- tion exige l’abandon d’un cadre de classement et de description basé sur la tradition anglo-américaine (les record groups et les manuscript groups) pour faire nôtre le

58 ARCHIVES , VOLUME 28, NUMÉROS 3 ET 4, 1996-1997 concept de fonds d’archives déjà largement en usage dans plusieurs pays européens et au Québec. Ironie du sort, cette conversion institutionnelle se fait au même moment où certains théoriciens de l’archivistique commencent à questionner les fondements mê- mes et l’applicabilité du concept de fonds d’archives aux archives d’organismes com- plexes dont l’information prend des formes nouvelles grâce aux grands bonds techno- logiques des dernières années1 . L’objectif de cette partie est de présenter le cheminement parcouru aux ANC dans leur effort d’application du concept de fonds d’archives tout en faisant le lien avec les pratiques québécoises dans ce domaine; James Lambert et Jean-Pierre Therrien en ont présenté les grandes orientations il y a quelques années dans un collectif inti- tulé Le fonds d’archives: de la théorie à la pratique (Lambert et Therrien 1992). Nous verrons qu’aux Archives nationales du Canada le fonds gouvernemental se rapproche davantage d’une construction intellectuelle basée sur la provenance plutôt que sur l’aspect et le groupement physique des documents. C’est là sans doute une approche à mi-chemin entre les diverses pratiques observées dans les institutions québécoises qui recourent tantôt aux critères suggérés par Michel Duchein, tantôt à un classement basé sur les fonctions institutionnelles et dont le cadre de classement adopté par Hydro -Québec est l’exemple le plus probant (Lambert et Therrien 1992, 148-149). Pour attein- dre notre objectif, nous passerons en revue les pratiques courantes en matière de classement et de description aux archives gouvernementales fédérales, nous repren- drons les critiques formulées au sujet du concept de record group dans la littérature archivistique et finalement nous aborderons les critères retenus pour l’identification des fonds et sous-fonds gouvernementaux.

Les pratiques courantes en matière de classement et de description des archives gouvernementales aux Archives nationales du Canada Comme plusieurs lecteurs ne sont pas nécessairement familiers avec les opéra- tions des Archives nationales du Canada, il est important de présenter d’entrée de jeu les bases du système de classement et de description élaboré il y a plus de 40 ans déjà. Pour ce faire, il sera question du concept de record group ainsi que des outils mis en place pour fins de description.

Le cadre de classement actuel: le record group Le cadre actuel de classement et de description des archives des institutions du Gouvernement du Canada aux ANC a fait l’objet d’une brève présentation lors de la publication du guide de la Division des archives gouvernementales en 1991 ( Lovering 1991). Le texte d’introduction, signé par Terry Cook, est très symptomatique des chan- gements qui s’annonçaient déjà à ce moment-là. En effet il y présente les fonds d’ar- chives dont la division est alors responsable tout en expliquant que ces fonds sont classés et décrits selon les record groups. L’expression fonds d’archives était utilisée dans ce contexte pour traduire le terme anglais holdings. Avant d’aller plus loin, il faut procéder à un bref historique du concept du record group, peu connu au Québec. Il provient de la tradition archivistique anglo- américaine, dont les principaux artisans ont été Hilary Jenkinson, le National Archi- ves Establishment des États-Unis2 et Theodore R. Schellenberg. Tout en se réclamant

ARCHIVES , VOLUME 28, NUMÉROS 3 ET 4, 1996-1997 59 des principes de et de provenance, le premier avait exposé, dans les années 1920, le concept de archive group dans son ouvrage intitulé A Manual for Archive Administration (Jenkinson 1922)3. Bien que pour lui le fonds d’archives était l’unité archivistique de base, il trouvait l’application du concept quelque peu restric- tive lorsqu’il avait affaire à ce qu’il appelle un fonds à l’intérieur d’un autre fonds. Jenkinson suggérait donc un classement aux unités plus englobantes, les archive groups, au sein desquels les archives accumulées par une administration représentant un ensemble organique totalement indépendant pouvaient être regroupées. C’est toute- fois en 1941, au National Archives Establishment des États-Unis, que le terme record group a été défini et utilisé pour résoudre les difficultés rencontrées lors du classe- ment de quantités impressionnantes d’archives produites par les administrations gou- vernementales contemporaines. Le record group était vu comme «une unité archivistique importante établie plus ou moins de façon arbitraire prenant en considé- ration à la fois le principe de provenance et le besoin de créer des unités de taille et de types convenant au classement et à la description ainsi qu’à la publication d’inventai- res4» (cité par Schellenberg 1956, 181). C’est toutefois Theodore R. Schellenberg qui a le plus fait connaître et supporté le concept de record group dans ses deux principaux ouvrages: Modern Archives: Principles and Techniques (1956) et The Management of Archives (1965) 5. Le record group est donc utilisé depuis plus d’une cinquantaine d’an- nées par les dépôts d’archives nord-américains pour classer presque uniquement les archives publiques. Il est étonnant de voir que Jenkinson, le National Archives Establishment et même Schellenberg se réfèrent à la provenance et au respect des fonds comme princi- pes sur lesquels ils basent leur archive group ou record group. Ce dernier est même présenté à titre d’équivalent et de synonyme de fonds d’archives, concept déjà bien ancré chez les Européens depuis la publication en plusieurs langues du Manuel des Hollandais Müller, Feith et Fruin (1910) au début du XXe siècle 6. Cependant, les Améri- cains vont introduire deux dimensions étrangères aux facteurs qu’on avait jusque-là considérés pour circonscrire l’unité archivistique destinée à incarner concrètement la provenance: la taille des unités de classement et l’accès aux descriptions consignées dans des inventaires pour le public chercheur. On comprend mieux cette proposition si l’on se rappelle qu’à l’époque où est mis au point le concept de record group, les archivistes assimilaient organisation physique des documents d’archives et classement intellectuel, la description ne présentant que le résultat de ces deux opérations préala- bles. Ces préoccupations ont entraîné la création de record groups collectifs réunissant les archives de petites organisations publiques et les record groups thématiques pour les documents d’organismes œuvrant dans des domaines apparentés surtout dans le but d’en faciliter le repérage par les chercheurs7. Les Archives publiques du Canada8 ont adopté le concept de record group en 1950 après qu’un de ses archivistes ait effectué un stage de formation à Washington (Lamb 1951, 23). Des années plus tard, W. I. Smith, archiviste fédéral, a défini comme suit ce que l’institution entendait dans la pratique par record group: Le terme anglais «record group» (RG) ne se réfère ici qu’aux documents du gouverne- ment fédéral versés aux Archives publiques du Canada. Ces «groupes d’archives fédéra- les» désignent donc tout ensemble de documents provenant du gouvernement fédéral

60 ARCHIVES , VOLUME 28, NUMÉROS 3 ET 4, 1996-1997 canadien ou des gouvernements qui l’ont précédé et qui s’y rattachent par une certaine continuité administrative, sur le plan de l’organisation et du fonctionnement. En fait, cela signifie qu’on crée un groupe d’archives fédérales pour tout ministère, direction ou organisme qui a maintenu un système d’enregistrement distinct et autonome pendant une période de son existence (W. I. Smith dans Poulin 1975, v). Sans nier la référence implicite au respect de la provenance, la définition des ANC mettait ici l’accent sur deux éléments qui vont orienter l’application du concept pour de nombreuses années: d’une part, la pérennité administrative basée sur la structure ou sur les fonctions des organismes gouvernementaux et, d’autre part, l’importance accordée à la longévité d’un système organisationnel de tenue de dossiers (registry system ). Mettant en application l’esprit et la lettre de cette définition, les Archives na- tionales du Canada ont créé jusqu’à ce jour plus de 150 record groups pour organiser, classer et décrire les archives d’organismes gouvernementaux antérieurs et postérieurs à la Confédération. Cela est loin de correspondre au nombre total des organismes, commissions, bureaux, ministères de tout acabit créés par le Gouvernement du Ca- nada, du moins depuis 1867; Gordon F. Osbaldeston, un spécialiste de l’organisation du gouvernement fédéral, en a recensé plus de 700 uniquement depuis 1940 (Osbaldeston 1992, 1).

Les outils de description Les record groups des Archives nationales du Canada ont servi d’unité de réfé- rence pour l’ensemble des opérations reliées au contrôle: du classement à la descrip- tion en passant par le traitement physique. Au sein de chaque RG, les archives ont été habituellement subdivisées en séries et sous-séries selon les unités administratives, les fonctions et les systèmes de tenue de dossiers de l’organisme. Sans être vraiment nor- malisée, la description prend des formes relativement similaires à celles rencontrées dans d’autres dépôts du pays: guides généraux, inventaires par RG et une pléthore d’instruments de recherche (index sur fiches, registres originaux, listes de dossiers, etc.). Seuls quelques-uns de nos inventaires de record group ont été dotés, avec les années, d’histoires administratives telles que le suggèrent les RDDA. En lieu et place, on a le plus souvent préparé des chronologies faisant état, avec plus ou moins de bon- heur, des dates importantes, des changements de structure et de fonctions ayant af- fecté l’évolution des institutions gouvernementales. Ces divers outils de description ne font état que des archives textuelles et informatiques, laissant aux usagers le soin de trouver ailleurs les documents sur tout autre support. Il s’agit d’un système manuel dont les produits se présentent sur papier; dans les dernières années, seuls les inventai- res des RG ont été produits à l’aide d’un logiciel de traitement de texte alors que certains instruments de recherche ont été versés dans des bases de données. Nos outils de recherche informatisés sont disponibles sur le disque optique compact (CD-ROM) ArchiVIA 2 publié en 1995.

ARCHIVES , VOLUME 28, NUMÉROS 3 ET 4, 1996-1997 61 La critique des bases théoriques du record group et l’adoption du fonds d’archives La remise en question des bases théoriques et le rejet de la notion de record group par la communauté archivistique internationale est une histoire qui s’échelonne sur près de trente ans. Les premières critiques sont apparues en Australie sous la plume de l’archiviste Peter Scott dès 1966 (Scott 1966). En 1991, Cheryl Simes, une autre archi- viste d’Australasie, proclamait bien fort dans un article publié dans le New Zealand : «le record group est mort; vive le record group!» (Simes 1991). C’est à peu près à ce moment que les Archives nationales du Canada ont amorcé l’examen de leur système de RG en vue de souscrire à la normalisation des pratiques descriptives impo- sées par l’adoption des premiers chapitres des Règles pour la description des docu- ments d’archives. C’est donc dire que le RG était encore bien vivant au Canada alors qu’on avait ailleurs procédé à son enterrement et à la rédaction de plusieurs certificats de décès 9. Cependant, on n’était pas sans ignorer les problèmes inhérents à son utilisa- tion depuis que Carl Vincent avait publié un article percutant sur le sujet dans Archivaria au cours des années 1970 (Vincent 1976-1977). À ce moment, l’abandon du RG semblait quasi impossible devant la tâche à accomplir pour identifier et mettre sur pied un nouveau système. Il semble bien que seules quelques-unes des recommanda- tions formulées par Vincent ont été considérées dans les années qui ont suivi pour tenter de guérir le malade. Mais comme nous le verrons, le record group était atteint d’un mal que d’aucuns qualifient de congénital10. Pour l’essentiel, les critiques du RG ont clairement démontré sa faiblesse et son incapacité à rendre compte des changements administratifs fréquents dont sont l’objet les organisations gouvernementales. Comme le dit très clairement Cheryl Simes, le concept avait été élaboré par des archivistes dont la préoccupation était de classer et décrire les archives d’un arriéré monstrueux. Ces derniers minimisaient grandement le niveau d’instabilité ayant affecté un grand nombre de ces créateurs de documents. Petit à petit, on s’est bien aperçu que les changements avaient été fort nombreux même dans le passé et qu’ils ne pouvaient être que plus fréquents dans l’avenir. En réaction, plusieurs archivistes ont essayé de faire entrer les archives dans les RG ou de remodeler ces derniers pour y placer les documents d’archives. En somme, l’élément principal de la remise en question du système des RG tient à la difficulté, plus pratique que théorique, de procéder à un classement et à une description pouvant offrir toute la flexibilité qu’exigent les fluctuations administrati- ves à survenir au sein des organisations gouvernementales tout en protégeant et docu- mentant le contexte de création et l’ordre primitif des documents. Les problèmes les plus flagrants étaient de déterminer le sort des archives versées par un organisme mais créées par un autre ou par une succession d’institutions différentes. De là décou- laient également d’autres problèmes plus terre à terre concernant la numérotation des séries au sein de chaque RG au moment d’en insérer de nouvelles à la suite de nou- veaux versements ainsi que ceux engendrés par l’adéquation du classement intellec- tuel et de l’organisation physique des archives dans l’ordre des RG sur les étagères des magasins. Avec le temps, on a interprété de façon de plus en plus permissive certains éléments de la définition déjà imprécise de record group; ainsi, créateur des docu- ments est devenu petit à petit synonyme d’organisme verseur. Cela a entraîné bien

62 ARCHIVES , VOLUME 28, NUMÉROS 3 ET 4, 1996-1997 des distorsions dans le classement et la description des archives des ministères et agences gouvernementales dans plusieurs pays. Face à ce type de difficultés, les Archives nationales du Canada n’ont pas été en reste puisqu’elles ont dû interpréter de façon assez libérale la notion de record group. Cependant, les ANC ne sont pas demeurées insensibles aux critiques formulées contre le système des RG dans la foulée des travaux réalisés au milieu des années 1980 par le Groupe de travail canadien sur les normes de description en archivistique dont la première des trente-cinq recommandations précisait justement qu’en «priorité, les archivistes canadiens décrivent et indexent les fonds et collections au niveau du fonds ou de la , quelque soit le type de documents ou de support sur lequel ils sont conservés» (BCA 1986, 64). Le Groupe de travail était, toutefois, assez prudent puisqu’il assimilait record group à fonds d’archives comme le niveau de description le plus élevé au sein d’un dépôt. Cela correspondait sans doute à une opinion, alors répandue, à l’effet de voir dans la définition donnée du RG — du moins celle alors en usage aux ANC — l’équivalent du fonds d’archives puisqu’on s’appuyait théoriquement sur les principes fondateurs de provenance et de respect des fonds. On a finalement reconnu aux ANC que la pratique avait altérée de manière irrémédiable la notion théorique de RG. Ainsi, ici comme ailleurs, la commodité l’a emporté sur les concepts archivistiques fondamentaux lorsqu’on a pris en compte l’ampleur des archives à trai- ter et la complexité de certaines institutions aux plans administratif et opérationnel. Voici quelques exemples: Aux Archives nationales du Canada, des considérations de ce genre ont abouti à la création de groupes de documents «collectifs» sans rapport entre eux et sans continuité administrative et qui ne correspondent à aucune activité commune de tenue de dossiers — une violation évidente du principe de la provenance. C’est le cas des commissions royales d’enquête inscrites dans le RG 33 et des Comités, Commissions et Bureaux inscrits dans le RG 36. Pire encore, des comités, des commissions et autres entités analogues de longue durée ont été partagés entre des groupes de documents distincts. De même, c’est pour des raisons de commodité plutôt que de provenance qu’on en est venu à diviser les documents du ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien où l’on a créé non seulement des groupes de documents pour les deux grands secteurs autonomes au sein du ministère, mais encore un groupe de documents général couvrant les fonctions communes à tout le ministère (Wilson 1993, 12-13)11. Après avoir pris en considération ces déficiences et avoir analysé l’esprit des recom- mandations du Groupe de travail canadien sur les normes de description en archivistique, les Archives nationales du Canada en sont venues à la conclusion qu’il fallait abandonner le record group pour adopter le concept de fonds d’archives en vue de faciliter le travail de reclassement nécessaire à la normalisation des pratiques ins- titutionnelles dans le cadre de l’utilisation des RDDA . Comme nous le soulignions au début de cet article, cette décision d’aller de l’avant avec la conversion des RG en fonds d’archives a pour les ANC plusieurs conséquences importantes qui vont entraîner avec les années un profond changement de culture institutionnelle.

ARCHIVES , VOLUME 28, NUMÉROS 3 ET 4, 1996-1997 63 L’identification des fonds d’archives au sein des institutions du Gouvernement du Canada: fonds et sous-fonds ou l’équilibre entre approches minimaliste et maximaliste Ce changement de cap dans le domaine du classement des archives gouverne- mentales aux ANC s’est produit alors que la communauté archivistique canadienne était elle-même en totale effervescence, tentant de mesurer l’impact du grand projet collectif de normalisation des pratiques descriptives au pays. C’est sans doute là le projet collectif qui a donné lieu au plus grand effort réussi de collaboration entre professionnels de l’archivistique et responsables de dépôts d’archives. Cette efferves- cence a porté sur presque toutes les dimensions du travail de l’archiviste: classement, description, introduction du contrôle d’autorité et de l’indexation par sujet, automati- sation des dépôts, etc. Mais s’il est un domaine qui a donné des fruits intéressants, c’est bien celui de la réflexion théorique qu’il a fallu faire un peu partout au pays quant aux principes de provenance, de respect des fonds, de fonds d’archives, sur lesquels reposent toute l’architecture des RDDA. La diffusion au Canada des travaux de l’archi- viste français Michel Duchein et les travaux publiés par Terry Cook (1992), Heather MacNeil (1992), James Lambert et Jean-Pierre Therrien (1992), Sylvain Senécal (1991), Jean-Yves Rousseau (1990), etc. font en sorte que les communautés archivistiques ca- nadienne et québécoise sont vues comme des chefs de file au plan international dans le domaine de l’application pratique des principes fondateurs de la profession. Cette affirmation s’appuie notamment sur le fait que le manuel publié en 1993 par les Archi- ves nationales de France, et intitulé La pratique archivistique française, cite de nom- breux travaux canadiens et québécois dans son chapitre consacré au fonds d’archives (Favier 1993, 135-140). La décision d’adopter le fonds d’archives comme cadre principal du classement et de la description des archives gouvernementales fédérales avait un corollaire im- portant: les anciens RG ne pouvaient être convertis automatiquement en fonds sans procéder à un reclassement dans les cas où les principes archivistiques avaient été compromis dans la pratique et des normes claires et systématiques devaient être adop- tées en vue de la délimitation des fonds gouvernementaux. Cette dernière tâche a nécessité à elle seule plus d’une année de travail pour des groupes de travail de la Division des archives gouvernementales et de la Division des archives visuelles et sonores qui se partagent la responsabilité des fonds du Gouvernement du Canada. Notre examen approfondi de la littérature archivistique relative au respect des fonds, de la provenance et au fonds d’archives nous a conduit à identifier plusieurs problèmes auxquels nos normes institutionnelles devaient répondre. Par exemple, de- vions-nous adopter une approche de type maximaliste en considérant le Gouverne- ment du Canada comme le fonds unique auquel nous devrions rattacher toutes ses institutions et organismes? Nous avons rapidement rejeté cette possibilité compte tenu des difficultés nombreuses que cela entraînerait pour le classement et la description des archives gouvernementales. Nous avons cru préférable, comme la plupart des dé- pôts d’archives provinciaux, de situer la provenance à un autre niveau, mais encore fallait-il en préciser les frontières. Comme le disent James Lambert et Jean-Pierre Therrien, l’approche des ANC pourrait être qualifiée à ce chapitre de «maximaliste inférieure» à l’exemple de celle pratiquée aux Archives nationales du Québec (Lambert

64 ARCHIVES , VOLUME 28, NUMÉROS 3 ET 4, 1996-1997 et Therrien 1992, 140). Pour délimiter le contour des fonds du gouvernement fédéral, nous nous sommes basés sur les critères développés par Michel Duchein et qui font aujourd’hui autorité à peu près partout. Nous les avons cependant enrichis d’un critère relatif à l’existence d’un système de tenue de dossier tel que proposé par les archivistes Peter Scott (1980, 50-51) et Terry Cook (1992, 44). Adoptés tels quels, les critères auraient sans doute signifié un glissement cer- tain vers une approche plus minimaliste. Pour contrer cette tendance, il nous est vite apparu que si les critères de Duchein, Scott et Cook permettaient de préciser la fron- tière du fonds gouvernemental par le haut, il fallait pouvoir en faire autant vers le bas. C’est dans cet esprit que nous nous sommes longuement interrogés sur les moyens de préciser encore davantage le critère de Michel Duchein relativement au degré d’autonomie des institutions gouvernementales fédérales. Après avoir passé en revue diverses solutions souvent jugées trop subjectives, nous avons conclu de limiter les fonds gouvernementaux aux institutions dont l’autonomie financière est confirmée par les crédits votés par le Parlement tels que publiés annuellement dans le Budget des dépenses principal 12. De plus, le créateur de fonds doit faire rapport directement au Parlement ou par l’intermédiaire d’un ministre. Ainsi défini, le critère relatif à l’auto- nomie financière reposait sur des assises solides. Basé sur la démocratie parlementaire, ce critère offrait une méthode d’identification des créateurs de fonds qui était à la fois exhaustive, uniforme et immuable. Facilement applicable, le critère relatif à l’autono- mie financière offrait en outre une ligne de partage viable entre les organismes créa- teurs de fonds d’archives et ceux qui ne pouvaient être considérés comme tels. Utilisé en relation avec les cinq autres critères, le critère de l’indépendance financière menait à une nomenclature des fonds qui correspondait étroitement aux record groups ac- tuels, réduisant ainsi au minimum le travail de conversion. Les critères relatifs à l’identification des fonds du gouvernement fédéral se lisent donc comme suit: Une identité juridique — Le créateur des documents doit posséder sa propre appella- tion légale et avoir une existence juridique propre, établies en vertu d’une loi datée, d’un décret du conseil, d’une proclamation, d’un décret, d’une charte, etc. Un mandat officiel — Le créateur des documents doit avoir un mandat important clairement défini qui doit également être énoncé dans un document juridique ou régle- mentaire. Une position hiérarchique définie — La place occupée par le créateur des docu- ments dans la hiérarchie administrative doit être clairement établie dans une loi ou un décret, et ses rapports avec les autres niveaux supérieurs de la hiérarchie doivent être clairement définis. Un vaste degré d’autonomie — Le créateur des documents doit posséder un organe exécutif qui a le pouvoir de prendre des décisions à titre indépendant jusqu’au niveau hiérarchique de ses membres. Ce point devrait se refléter dans la législation. Pour être considéré comme indépendant, un organisme doit avoir le pouvoir de contrôler ses propres finances et son budget tel qu’il est présenté au Parlement et publié dans le Budget des dépenses principal. En outre, l’organisme doit faire rapport directement au Parlement ou par l’intermédiaire d’un ministre. Structure — Le créateur des documents doit posséder une structure organisationnelle interne officielle.

ARCHIVES , VOLUME 28, NUMÉROS 3 ET 4, 1996-1997 65 Système de gestion des documents — Le créateur des documents doit posséder un système de gestion des documents indépendant (Wilson 1994, 7-8). L’autonomie financière est donc devenue le critère que les Archives nationales du Canada utiliseront pour préciser la frontière inférieure des fonds du Gouvernement du Canada. Essentiellement, il s’agit des principaux ministères, agences, commissions roya- les d’enquête, sociétés d’État, etc. Cela établi, il est vite devenu évident que plusieurs organismes gouvernemen- taux n’ont pas le degré d’autonomie financière recherché pour être identifiés comme créateurs de fonds d’archives à proprement parler. C’est là que le sous-fonds d’archives est apparu comme un concept offrant une alternative permettant de classer et décrire à un niveau approprié les archives de ces organisations vivant dans le giron ou l’om- bre d’autres ministères et agences. La notion du sous-fonds mérite que l’on s’y arrête quelque peu puisqu’il s’agit là d’un concept encore neuf et peu pratiqué au Canada et au Québec. Le sous-fonds nous semble découler logiquement de ce que la tradition anglo- saxonne a longtemps appelé le sub-group sans trop en préciser la nature et la validité théorique (Scheinberg et al. 1996). Dans le cas des Archives nationales du Canada, l’étude du concept de sous-fonds et son introduction comme niveau de classement et de description est apparu comme un excellent moyen de résoudre les tensions entre tendances maximaliste et minimaliste puisque nous ne pouvions accepter qu’un orga- nisme créateur de documents d’archives puisse être relégué au niveau de la série. L’idée faisait son chemin depuis le dépôt et la publication du rapport du Groupe de travail canadien sur les normes de description en archivistique13 (BCA 1986, 63). La première définition du sous-fonds a été élaborée à la School of Library, Archival and Information Studies de l’Université de la Colombie-Britannique et reprise par Heather MacNeil dans son article intitulé The Context is All.... Cette définition se lit comme suit: «une subdivision d’un fonds basée sur la structure du créateur ou l’organisation de ses activités14» (MacNeil 1992, 222). Les Archives nationales du Canada ont officiellement adopté le sous-fonds comme niveau approprié de classement et de description à la fin de 1993 sans en préciser immédiatement le contour. C’est sans doute à cet exercice que nous avons consacré le plus de temps et d’efforts puisque nous ne pouvions nous appuyer sur aucune démarche similaire. Notre crainte était de réintroduire un élément d’arbitraire dans l’identification de la provenance et l’application du principe de respect des fonds basé sur des considérations comparables à celles qui ont marqué le triste sort du RG: par exemple, l’importance relative des institutions concernées, leur taille ou le regrou- pement thématique de certaines fonctions institutionnelles. Nous avons donc joué de prudence en insistant pour poursuivre dans la veine des travaux réalisés pour l’iden- tification des fonds et d’appliquer la même rigueur au concept de sous-fonds. C’est très certainement là le premier effort significatif tenté dans ce sens au pays. Cela signifie concrètement que le sous-fonds devrait être appliqué à des institutions gouvernemen- tales créatrices de documents d’archives ou à certaines unités administratives exer- çant une grande autonomie, précisant ainsi la définition donnée par Heather MacNeil telle que citée plus haut. Il s’agirait donc de quasi-fonds auxquels, en raison du critère d’autonomie financière, on ne pourrait attribuer le statut de fonds. Encore une fois, il

66 ARCHIVES , VOLUME 28, NUMÉROS 3 ET 4, 1996-1997 était clair que la clé du problème se trouvait dans notre habilité à définir de façon théorique, quoiqu’à l’aide d’exemples empiriques, ce que l’on entendait par autonomie administrative et d’opérations at arm’s length, comme le disent bien nos collègues anglophones. Après de longues discussions et des essais de mise en application, nous avons retenu la définition suivante: Le sous-fonds est un niveau distinct de classement sous celui du fonds, destiné à refléter l’autonomie d’un organisme gouvernemental ou d’une structure administrative. Les en- tités qui seront identifiées comme sous-fonds relèvent d’un créateur de fonds et sont financées par son intermédiaire. Bien qu’elles ne reçoivent pas de crédits distincts du Parlement et qu’elles ne possèdent pas toujours leur propre loi, tels les créateurs de fonds, ces entités possèdent un vaste degré d’autonomie sur les plans historique, structu- rel, administratif, financier et/ou fonctionnel. Les créateurs de sous-fonds peuvent in- clure des organismes quasi-autonomes tels que les tribunaux et les commissions d’en- quête. Ils peuvent également être des unités administratives telles que directions générales, directions, secteurs, bureaux régionaux et à l’étranger, démontrant un haut niveau d’autonomie (Scheinberg 1996, 27-28). Comme l’ont démontré nos recherches, cette définition s’appliquera à deux types d’en- tités, celles devant correspondre aux critères d’identification suivants: Partie I La partie I réfère aux organismes qui possèdent une identité distincte de celle du créa- teur de fonds. Ils possèdent un vaste degré d’autonomie et opèrent à distance du créa- teur de fonds. Ils doivent également posséder l’une des caractéristiques suivantes: i) une appellation légale et une existence juridique propres établies en vertu d’une loi datée, d’un décret en conseil, d’une proclamation, d’un décret, d’une charte, etc.; ii) une existence légale spécifiée dans la loi de l’institution parente; iii) un mandat ou une existence mentionné dans la loi de l’institution parente; iv) un mandat ou une existence qui découle d’une telle loi sans mentionner le nom de l’organisme mais qui implique sa création éventuelle afin d’accomplir la mission décrite dans la dite loi. Partie II La partie II réfère aux unités administratives subalternes au créateur de fonds mais possédant un vaste degré d’autonomie dans l’exercice de leur mandat ou fonction. L’unité administrative fait preuve d’un niveau d’autonomie en vertu de son rôle unique, son mode de financement, sa structure de responsabilité et/ou son mandat. L’autonomie de l’unité administrative peut également être confirmée par l’existence d’un système de gestion de documents, qu’il soit tout à fait indépendant ou qu’il se résume à des séries numériques figurant au sein du système de gestion des documents du créateur de fonds (Scheinberg et al. 1996, 28). Comme on peut le voir, la partie I reprend le critère de Michel Duchein relativement à l’existence juridique de l’entité tout en l’adaptant à ce niveau particulier de classement des fonds du Gouvernement du Canada. Le critère de la partie II ouvre quant à lui la porte à plus de flexibilité pour permettre d’identifier ces structures administratives qu’exclurait par exemple la partie I et qui tomberaient tout de même sous le coup de la définition générale présentée plus haut. Tout au long de notre réflexion relativement aux fonds et sous-fonds en vue d’enchâsser les institutions créatrices de documents du Gouvernement du Canada, nous

ARCHIVES , VOLUME 28, NUMÉROS 3 ET 4, 1996-1997 67 avons porté une attention toute particulière aux modalités devant nous permettre à l’avenir de réagir aux changements fréquents au sein de l’appareil d’État. Nous revien- drons sur cette question plus loin.

LE VISAGE DES NOUVEAUX VENUS: LA NOMENCLATURE DES FONDS ET SOUS-FONDS POUR LES ARCHIVES DU GOUVERNEMENT DU CANADA Après avoir réalisé cette importante réflexion théorique, les Archives nationa- les du Canada ont amorcé le travail de reclassement des record groups afin de les convertir en fonds d’archives. Dans cette partie, nous ferons état de l’application con- crète des critères établis pour l’identification des fonds et sous-fonds du Gouverne- ment du Canada et préciserons quelles sont les étapes qui restent à franchir parallèle- ment à notre projet d’automatisation.

Du record group au fonds d’archives15

Le critère d’autonomie financière au cœur de la problématique L’application et l’interprétation des critères établis pour l’identification des créateurs de fonds d’archives fut au cœur des discussions relatives à la conversion des record groups. Toutefois, les critères sélectionnés ne firent pas tous l’objet des mêmes interrogations. En fait, leur application se révéla relativement simple pour la majorité d’entre eux. Grâce à une recherche plus ou moins exhaustive, nous étions générale- ment en mesure de déterminer si les institutions gouvernementales possédaient ou non une identité juridique, un mandat officiel, une position hiérarchique, une struc- ture organisationnelle interne et un système de gestion des documents indépendant. En revanche, l’application du critère relatif à l’autonomie financière s’avéra plus complexe. On se rappellera que, pour être considéré comme indépendant, un orga- nisme devait respecter les conditions suivantes: obtenir des crédits financiers distincts du Parlement (tel qu’indiqué dans le Budget des dépenses principal) et être redevable au Parlement directement ou par l’intermédiaire d’un ministre. Si le critère de l’auto- nomie financière reposait sur des fondements théoriques solides, son utilisation requé- rait néanmoins certains ajustements afin de tenir compte de la complexité et des particularités des structures du Gouvernement du Canada. En effet, les recherches des archivistes ont démontré que certains organismes ne respectaient pas le critère d’auto- nomie financière, tel que défini précédemment mais jouissaient néanmoins d’un degré d’indépendance suffisant pour être considérés comme créateurs de fonds d’archives. L’exemple des commissions royales d’enquête est certes le plus probant. Ainsi, les commissions royales d’enquête sont financées à même le budget du Bureau du Conseil privé et rendent des comptes au Cabinet (plutôt qu’au Parlement) par l’entre- mise du Bureau du Conseil privé. Selon une stricte application des critères, les archives des commissions royales d’enquête devraient donc être intégrées au fonds du Bureau du Conseil privé. Or, une telle solution ne tiendrait pas compte de l’autonomie réelle dont jouissent les commissions royales d’enquête, vu leur nature quasi-judiciaire et leur statut de ministère en regard de la Loi sur la gestion des finances publiques. Aussi, afin de respecter la structure particulière des commissions royales d’enquête,

68 ARCHIVES , VOLUME 28, NUMÉROS 3 ET 4, 1996-1997 avons-nous décidé de les considérer comme des créateurs de fonds d’archives à part entière. Une telle décision conduira au démantèlement du RG 33, record group au sein duquel les commissions royales ont été classées comme séries distinctes. Dans la même veine, nos recherches ont démontré que l’obtention de crédits financiers distincts du Parlement ne devrait pas constituer l’unique critère pour déter- miner l’autonomie financière d’un organisme. Ainsi, l’appareil gouvernemental cana- dien renferme un large éventail de sociétés d’État, de corporations, de conseils, de commissions, de bureaux et de sociétés — pour n’en nommer que quelques-uns — qui sont entièrement ou partiellement autofinancés et qui, par le fait même, jouissent d’un vaste degré d’autonomie. Dans le but de refléter cette réalité, nous avons accepté d’étendre le critère de l’autonomie financière à l’ensemble des organismes gouverne- mentaux autofinancés qui se verront donc attribuer le statut de créateur de fonds d’archives.

La clause du statu quo du classement: un outil peu utilisé Si les recherches et les discussions nous ont permis d’élargir le critère relatif à l’autonomie financière, le recours à la clause du statu quo du classement a, quant à lui, été considérablement restreint. Dès les premières études sur le réaménagement des RG, nous avions évoqué la possibilité d’utiliser cette clause dans la conversion automati- que de certains record groups en fonds d’archives. Plus précisément, nous avions alors convenu que les RG dont les créateurs n’existaient plus et qui n’avaient pas de liens solides et directs avec des fonds ouverts pourraient être traités comme des candidats au titre de créateur de fonds. Une telle démarche visait d’abord à épargner les nom- breux efforts que de vastes recherches auraient nécessités pour déterminer le statut de ces RG. Malgré son attrait incontestable, la clause du statu quo du classement n’a que très rarement été utilisée dans le processus de conversion. Dans la majorité des cas, les record groups qui ne respectaient pas les six critères énoncés pour devenir un fonds d’archives ont pu, après examen, être rattachés à des fonds appropriés. L’utilisation de la clause du statu quo du classement n’a été appliquée qu’à quelques comités intermi- nistériels, commissions et bureaux pour lesquels la provenance demeurait incertaine. Dans l’éventualité où nos recherches ne nous permettront pas d’identifier les créateurs de documents, les organismes dont il est ici question — présentement groupés sur les RG 35 (Archives des comités interministériels) et RG 36 (Archives des comités, commis- sions et bureaux) — se verront vraisemblablement décrits au niveau du fonds d’archi- ves ou de celui de collection; dans ces cas, des explications suffisantes seront fournies dans les éléments de description.

Un exercice de conversion relativement facile Si les discussions ont largement porté sur les RG considérés au départ comme étant problématiques, il importe toutefois de souligner que peu d’entre eux l’ont été réellement. En effet, des 153 record groups à l’étude, seulement 37 n’ont pu être direc- tement convertis en fonds d’archives. La relative facilité avec laquelle la conversion s’est effectuée tient sans doute à deux facteurs: la consistance des critères établis pour l’identification des fonds d’archives, y compris celui relatif à l’autonomie financière, et

ARCHIVES , VOLUME 28, NUMÉROS 3 ET 4, 1996-1997 69 le bien-fondé de nos pratiques descriptives antérieures. En effet, si l’application du concept de record group reposait parfois sur des considérations de commodité admi- nistrative, il semble néanmoins que nombre de nos RG ont été créés en fonction des principes archivistiques fondamentaux de provenance et de respect de l’ordre primitif.

Les résultats: un aperçu de la nomenclature des fonds pour les archives du Gouvernement du Canada La nouvelle nomenclature comprend présentement 291 fonds d’archives. Tou- tefois, elle ne dénombre pas les comités interministériels (RG 35) ainsi que les comités, commissions et bureaux (RG 36) dont le sort reste à déterminer. Dans la mesure où il sera impossible de relier les documents de ces organismes à d’autres fonds, ils pourront constituer jusqu’à 44 fonds d’archives distincts. Ainsi, les ANC posséderont plus de 335 fonds d’archives gouvernementaux, soit le double des RG actuels (voir Lacasse 1996). Certains fonds ont été augmentés à la suite d’un regroupement de divers RG qui ne respectaient pas les critères énoncés pour devenir des fonds distincts. C’est le cas, par exemple, du fonds du ministère de l’Énergie, des Mines et des Ressources (RG 21). Il se compose désormais de la Direction des mines (RG 86), de la Direction des ressources minérales (RG 87) de la Direction de la géographie (RG 92), de la Commis- sion géologique du Canada (RG 45), de la Direction des levées et de la cartographie (RG 88) et des Observatoires du Canada (RG 48). Les fonds du ministère des Affaires in- diennes et du Nord canadien (RG 22) et du ministère de l’Environnement (RG 108) ont subi la même transformation: ils regroupent respectivement quatre et cinq RG diffé- rents. Par ailleurs, certains record groups ont été scindés en plusieurs fonds distincts. Mentionnons, à titre d’exemple, les Archives du Parlement (RG 14), le Bureau du Surin- tendant des institutions financières (RG 40) le Solliciteur général (RG 73) et le minis- tère de l’Industrie et du Commerce (RG 20). Une telle opération a donné naissance à 19 nouveaux fonds d’archives. Outre ces nouveaux fonds apparus lors du démantèlement des RG actuels, la nomenclature a été enrichie de six nouveaux fonds pour lesquels la Division des archi- ves visuelles et sonores détient des documents. Ces fonds sont ceux du Musée canadien des civilisations, du Musée canadien de la nature, du Musée national de la science et de la technologie, du Musée des beaux-arts, de Via Rail et de la Banque du Canada.

Le sous-fonds d’archives: l’expérimentation d’un nouveau concept

L’aboutissement d’un processus complexe Alors que la conversion des record groups en fonds d’archives reposait sur l’application et l’interprétation de critères déjà solidement établis dans la théorie et la pratique archivistiques, l’identification des créateurs de sous-fonds consistait en un exercice hautement complexe, compte tenu de la nouveauté de ce concept. En effet, si l’on reconnaissait d’emblée l’importance du sous-fonds pour le classement de certains types d’institutions fédérales, la définition de ses paramètres fut l’aboutissement d’un long processus. Au fil des mois, nous avons expérimenté différentes séries de critères

70 ARCHIVES , VOLUME 28, NUMÉROS 3 ET 4, 1996-1997 avant d’en arriver au modèle présenté dans la première partie de cet article. Nous résumons ici les principaux jalons de notre cheminement. Dans un premier temps, nous avons élaboré un modèle constitué de critères obligatoires en deux points et d’une série de caractéristiques facultatives. Selon cette approche, les organismes reconnus comme étant créateurs de sous-fonds devaient pos- séder une identité juridique exprimée dans un texte écrit, d’une part, et devaient ma- nifester un large degré d’autonomie administrative et opérer à distance du créateur du fonds, d’autre part. En outre, les organismes pouvaient présenter certaines caracté- ristiques supplémentaires, telles qu’un système de tenue de dossiers distinct, un man- dat spécifique et leurs propres procédures corporatives. Une fois les critères établis, nous avons consulté l’ensemble des archivistes de la Division des archives gouvernementales afin de déterminer dans quelle mesure l’approche retenue s’appliquait à la configuration hautement complexe de l’appareil gouvernemental canadien. Malgré les expériences variées des archivistes, un consen- sus s’est dégagé de cet exercice de consultation. Si, de façon générale, on reconnaissait la pertinence des critères proposés, on les jugeait néanmoins trop restrictifs. Les archi- vistes étaient d’avis que les critères retenus s’appliquaient uniquement à un petit nom- bre d’organismes largement indépendants et, par le fait même, excluaient toute une panoplie d’unités administratives subalternes, mais autonomes. En revanche, les archi- vistes favorisaient une approche plus flexible à même de refléter le caractère dualiste des créateurs de sous-fonds. Notre approche a donc été réévaluée et réajustée pour tenir compte des com- mentaires des archivistes. Ce processus a mené à l’adoption de deux séries de critères exploratoires. Largement tributaire de l’approche décrite plus haut, la première série s’adressait aux institutions fédérales autonomes sur le plan hiérarchique et qui fonc- tionnent à distance ou de manière quasi-indépendante de l’organisme auquel ils se rattachent au niveau du fonds. À l’instar de notre approche initiale, les organismes considérés en vertu de cette première série de critères devaient posséder une identité juridique exprimée dans un texte écrit et devaient manifester un large degré d’autono- mie administrative et se distancer du créateur du fonds sur le plan opérationnel. Pour sa part, la seconde série de critères visait les organismes qui fonctionnent comme des unités administratives subalternes, qui exercent un mandat ou une fonction unique et importante, et qui manifestent un large degré d’autonomie. Pour être reconnus comme créateurs de sous-fonds, les organismes gouvernementaux devaient respecter six des huit critères suivants: un statut autonome, une allocation financière non transférable, une position hiérarchique spécifique, un nom officiel, un système de classification distinct, une indivisibilité fonctionnelle et opérationnelle, une continuité structurelle et une distinction géographique. Une seconde ronde de consultation fut alors entreprise à l’échelle de la Divi- sion des archives gouvernementales afin de vérifier la validité des deux séries de critères exploratoires. En règle générale, le nouveau modèle plut aux archivistes. Ils furent particulièrement enchantés par la flexibilité que les deux séries de critères allouaient en accommodant deux types d’institutions gouvernementales distinctes. Bien que les archivistes aient été généralement satisfaits de la formule proposée, l’applica- tion de certains critères souleva néanmoins des questions. Ainsi, on a parfois fait

ARCHIVES , VOLUME 28, NUMÉROS 3 ET 4, 1996-1997 71 remarquer que le concept de la distanciation administrative (en anglais: arm’s length ), tel que stipulé dans la partie I des critères, était difficile à définir. De même, on s’est interrogé sur la signification et la pertinence de certains critères présentés en partie II, tels que le nom officiel, la continuité structurelle dans le temps et la distinc- tion géographique. Par ailleurs, certains archivistes ont remis en question l’obligation de respecter six des huit critères de la partie II pour pouvoir justifier la création d’un sous-fonds. Ces interrogations ont suscité des nombreuses discussions qui, à leur tour, ont mené au raffinement des critères exploratoires et à l’adoption du modèle présenté dans la première partie de cet article. Si l’adoption des deux séries de critères pour l’identification des créateurs de sous-fonds marque l’aboutissement d’un processus complexe, elle ne signifie pas pour autant que les débats sur la question sont clos. En effet, le concept de sous-fonds est susceptible d’être perfectionné au gré de nos recherches empiriques et de l’évolution constante de l’appareil gouvernemental canadien. L’augmentation du nombre de créa- teurs multiples, notamment dans le cas des documents informatiques, est certes un exemple de cette tendance et de la problématique qu’elle suggère pour le classement et la description aux archives. Les discussions entourant le sous-fonds ont donc révélé que le travail de classement est loin d’être statique. Au contraire, il est sans cesse appelé à changer au fur et à mesure que nos connaissances des particularités des organismes gouvernementaux se développent et se précisent. Alors que l’élaboration, l’interprétation et l’application des critères pour l’iden- tification des créateurs de sous-fonds ont fait l’objet de longues délibérations, le bien- fondé de ce concept n’a jamais été remis en question. En effet, les travaux théoriques et pratiques ont permis de confirmer notre intuition de départ, à savoir que le sous-fonds est un niveau de classement nécessaire pour tenir compte de la complexité des struc- tures et des fonctions au sein du Gouvernement du Canada.

Quelques résultats préliminaires: un aperçu de la nomenclature des sous-fonds pour les archives du Gouvernement du Canada Émanant de l’application des critères exploratoires, les résultats dont il est ici question sont encore de nature préliminaire. Toutefois, comme les critères retenus divergent peu des critères exploratoires, nous avons donc une excellente idée de la forme définitive que prendra la nomenclature des sous-fonds pour les archives du Gouvernement du Canada. Au terme de l’application des critères exploratoires, la création de quelque 96 sous-fonds d’archives a été recommandée. Parmi ce nombre, une trentaine de sous- fonds a été proposée en vertu de la partie I des critères. En guise d’exemple, mention- nons le cas du Musée national des sciences naturelles. Actuellement décrit au niveau de la série dans le fonds des Musées nationaux du Canada (RG 132), ce musée respecte la partie I des critères exploratoires pour l’identification des sous-fonds. Ainsi, le Mu- sée national des sciences naturelles possède une existence légale spécifiée dans la loi de l’institution parente, à savoir la Corporation des musées nationaux du Canada (Loi établissant une Corporation chargée d’administrer les musées nationaux du Ca- nada, 16 Elizabeth II, 1967, chapitre 21). De plus, tout en relevant de la Corporation

72 ARCHIVES , VOLUME 28, NUMÉROS 3 ET 4, 1996-1997 pour les services administratifs centraux, le Musée possède un large degré d’autonomie dans la gestion de son programme muséologique. Par ailleurs, 32 sous-fonds ont été recommandés en vertu de la partie II des critères exploratoires. C’est le cas, par exemple, de la Commission des expositions du gouvernement canadien, un RG à part entière (RG 72). Les documents de cet orga- nisme, qui ne respectent pas les critères édictés pour être classés comme fonds d’archi- ves, seront vraisemblablement classés comme sous-fonds au sein du fonds du minis- tère des Approvisionnements et services (RG 98). Les recherches ont effectivement démontré que la Commission respectait sept des huit points cités à la partie II des critères exploratoires, c’est-à-dire un statut autonome, un budget non transférable, une position hiérarchique spécifique, un nom officiel, un système de tenue de dossiers distinct, une indivisibilité fonctionnelle et opérationnelle et, enfin, une continuité structurelle dans le temps. De plus, certains groupes de travail relevant du Bureau du Conseil privé se verront vraisemblablement attribuer le statut de créateur de sous- fonds en vertu de la partie II des critères exploratoires. Tel est le cas, par exemple, du Groupe de travail sur les relations de travail, du Groupe de travail sur la structure de l’industrie canadienne et du Groupe de travail sur les conflits d’intérêt. Enfin, dans 34 cas, les deux séries de critères ont été simultanément invoquées pour justifier la création de sous-fonds. Ainsi, les archives des quinze ambassades et postes diplomatiques canadiens, présentement des séries dans le fonds du ministère des Affaires étrangères et du Commerce international (RG 25), respectent à la fois les critères des parties I et II. Il en est de même pour la Commission géologique du Canada (RG 45), de la Direction des mines (RG 86) et de la Direction des ressources minérales (RG 87). Présentement classés comme RG distincts, les documents de ces organismes constitueront probablement des sous-fonds au sein du fonds du ministère de l’Énergie, des mines et des ressources (RG 21).

La création des nouveaux fonds d’archives

Compléter le travail de classement Alors que le travail de conversion réalisé jusqu’à présent a porté essentielle- ment sur les archives traitées — soit à peine le tiers du volume des documents gouver- nementaux conservés aux ANC —, les prochaines étapes consisteront à établir les liens entre les nouveaux fonds et sous-fonds et les autres paliers du système de classement, tels les acquisitions non traitées, les instruments de recherche et les archives informa- tiques. Précisément, il faudra rattacher intellectuellement ces divers éléments aux sous- séries, séries, sous-fonds et fonds appropriés. Il ne sera pas surprenant alors de décou- vrir à cette étape les documents d’organismes gouvernementaux pouvant respecter les critères édictés pour le fonds et le sous-fonds. Bref, il s’agira de compléter le travail de classement archivistique préalable au démantèlement concret des RG et leur descrip- tion normalisée selon les RDDA. Afin de poursuivre le travail de classement des archives du Gouvernement du Canada, il faudra parfaire certains outils essentiels à la réalisation de cette tâche. C’est le cas notamment des règles relatives aux changements de compétence. À l’instar de toute bureaucratie moderne, le gouvernement fédéral est le champ de transformations

ARCHIVES , VOLUME 28, NUMÉROS 3 ET 4, 1996-1997 73 constantes. Les sphères de responsabilité et les structures gouvernementales connais- sent effectivement de nombreux transferts, ajouts et suppressions. Ces nombreuses modifications ont des implications importantes sur le maintien des principes de prove- nance et de respect des fonds. Dès 1977, Michel Duchein reconnaissait les répercussions des variations de compétence des organismes créateurs d’archives sur le plan archivistique et proposait trois règles pour sauvegarder l’intégrité des fonds d’archives (Duchein 1977, 98-101). En 1992, les Archives nationales du Québec adoptèrent une série de cinq règles fortement inspirées de Duchein (ANQ 1992, 62-63). L’année suivante, les Archives nationales du Canada reprirent l’essentiel des règles québécoises et formulè- rent à leur tour cinq règles destinées à préserver l’intégrité des fonds lors des princi- paux cas de variations de compétences (Wilson et al. 1993). Si les règles adoptées constituent une base intéressante pour aider au démantèlement des RG, elles sont loin d’être définitives. En effet, elles devront être raffinées pour tenir compte des préoccu- pations des archivistes qui jugent leur application rétrospective difficile, notamment en ce qui a trait à la fermeture des fonds. Trois projets pilotes portant sur les fonds du ministère de l’Intérieur (RG 15), du ministère de l’Industrie et du Commerce (RG 20) et de la Commission de la fonction publique (RG 32), trois organismes ayant subi de nombreux transferts de compétences, nous permettront d’expérimenter avec les règles précitées.

La véritable conversion des record groups: mise en œuvre de la rédaction des nouvelles notices descriptives Le travail préliminaire et théorique de classement fera finalement place à la véritable conversion des RG en fonds d’archives. Cela ne se produira que lorsque nous serons en mesure d’amorcer de façon systématique la rédaction des nouvelles notices descriptives pour chacun des fonds gouvernementaux. Il est très important de faire remarquer ici que les ANC possèdent déjà d’excellentes descriptions qui pourraient s’intégrer facilement aux portées et contenus aux niveaux des séries ou des sous- séries. Comme nous l’avons signalé plus haut, ce n’est malheureusement pas le cas pour plusieurs autres champs descriptifs aux niveaux du fonds ou du sous-fonds puisque bon nombre de RG n’ont jamais été dotés d’histoires administratives ou d’historiques de la conservation tel que le requièrent les RDDA. Avant toute chose, il faudra donc que les archivistes s’affairent à la rédaction de ces éléments essentiels des descriptions à chacun des niveaux correspondant à un créateur de documents. Si c’est par l’amorce de la rédaction des nouvelles notices descriptives que la conversion des RG en fonds d’archives débutera, il est évident que cela va exiger une planification pouvant s’étendre sur quelques années. Les ressources actuellement dis- ponibles font en sorte que ce travail rétrospectif de description ne constituera qu’une partie de la tâche des archivistes parmi l’évaluation archivistique, l’enregistrement et la description des acquisitions courantes, le traitement, le classement et la description des nouveaux fonds, la référence spécialisée, etc.

74 ARCHIVES , VOLUME 28, NUMÉROS 3 ET 4, 1996-1997 Vers l’automatisation de la description des fonds d’archives — le système MIKAN Aux ANC, l’élaboration des normes de classement et de description est paral- lèle, mais complémentaire, à la mise en place d’un système automatisé unique de gestion des fonds d’archives. Il s’agit de l’application MIKAN16 bâtie à l’aide du logiciel commercial GENCAT®. Présentement, les documents d’archives sont enregistrés et dé- crits dans différentes bases de données divisionnaires qui, dans la plupart des cas, n’ont aucun lien entre elles. Qui plus est, une seule et même division peut utiliser plusieurs bases de données automatisées. Ainsi, la Division des archives visuelles et sonores possède presque autant de bases de données qu’elle a de supports sous sa responsabilité. Souvent incomplets, les catalogues informatisés doivent en plus être consultés de concert avec les inventaires manuels. Bref, l’accessibilité à un fonds d’ar- chives donné exige actuellement des stratégies de recherche qui varient considérable- ment d’une division à l’autre et d’un support à l’autre. Afin de corriger ce manque d’uniformité et cette fragmentation, les ANC tra- vaillent présentement à la mise en place d’un système automatisé intégral de tous les fonds d’archives, et ce quel qu’en soit le support. Fruits d’un effort collectif, de tels développements ne sont pas sans avoir des répercussions importantes sur l’avenir de l’institution et sur le travail des archivistes. Grâce à l’adoption d’un système intégré et normalisé de contrôle intellectuel, les ANC seront en mesure de rallier des traditions archivistiques différentes, généralement établies en fonction du support. Une telle en- treprise favorisera l’avènement d’une nouvelle culture institutionnelle, où l’on ira au- delà des frontières disciplinaires dans un contexte d’équipes de travail. C’est là une nouvelle dimension du concept d’archives totales. Par ailleurs, l’adoption d’un système automatisé unique de gestion des fonds d’archives aura des conséquences avantageuses sur la prestation des services aux usa- gers. Présentement, l’organisation et l’accès à un fonds d’archives répondent surtout aux besoins des milieux spécialisés de la recherche, milieux largement axés sur un support particulier. De plus, la diversité et la complexité des systèmes de contrôle actuellement en place supposent des connaissances que peu de chercheurs possèdent. Aussi doivent-ils souvent compter sur l’aide des archivistes pour réaliser leurs recher- ches. Or, grâce à l’utilisation d’un système intégral et uniforme, les ANC seront en mesure de rendre leurs fonds également accessibles à un large éventail d’usagers. Plus démocratique, ce système sera également plus facilement maniable, permettant ainsi aux chercheurs d’être plus autonomes.

CONCLUSION Ce que nous venons de présenter ici ne fait état que d’une partie des change- ments qui s’opèrent présentement aux Archives nationales du Canada en vue de la normalisation des pratiques reliées au classement et à la description, deux fonctions fondamentales du métier, compléments essentiels à l’évaluation et à l’acquisition. Nous avons voulu montrer quel est le point de départ et quel objectif nous cherchons à atteindre. S’il est un point essentiel sur lequel nous avons voulu insister c’est bien l’effort déployé, tant au sein de la communauté archivistique qu’aux ANC, pour cerner

ARCHIVES , VOLUME 28, NUMÉROS 3 ET 4, 1996-1997 75 encore davantage ce que signifient provenance et respect des fonds à l’aube d’un nou- veau millénaire. Les difficultés ont été nombreuses et il en reste sans doute plusieurs à surmonter avant que nous puissions dire que la profession archivistique a réussi à relever l’énorme défi d’être tout aussi efficace dans la protection du contexte de création des documents d’archives, dans les manières qu’elle imaginera pour documen- ter la provenance, pratiquer sans distorsion le respect des fonds alors même que le document tend à disparaître en information évanescente et que les supports n’offrent que peu de garanties en matière de pérennité. Dans le cas des ANC, par exemple, il faudra sans doute se demander si la définition de série archivistique telle que proposée par les RDDA convient bien au classement des unités administratives et fonctions des organismes gouvernementaux faisant l’objet de fonds ou de sous-fonds. L’utilisation du concept de collection a même été envisagée pour certains types de documents gouver- nementaux dont la provenance demeure trouble. Enfin, il faudra pouvoir répondre aux critiques qui s’élèvent un peu partout et qui, à l’ère de l’inforoute, questionnent la validité même du concept de fonds d’archives. Mais, nous osons croire que cet article aura permis de juger des efforts déployés depuis 1992 aux Archives nationales du Canada en matière de normalisation du classement et de la description. C’est sans doute là une démarche à laquelle seront sensibles les services d’archives canadiens ou étrangers qui ont pour mandat de mettre en valeur des archives publiques ou gouver- nementales.

Danielle Lacasse est chef de la Section des archives des transports, des affaires économiques et des ressources naturelles à la Division des archives gouvernementales des Archives nationales du Canada. Antonio Lechasseur est chef de la Section des archives militaires, d’État et de la culture à la Division des archives gouvernementales des Archives nationales du Canada.

NOTES

1. On peut se référer à Cook (1996) pour was an organic whole, complete in un examen de la littérature portant jus- itself, capable of dealing independently, tement sur le questionnement contem- without any added or external porain relativement à la validité théo- authority, with every site of any busi- rique des concepts de provenance et de ness which could normally be presented respect des fonds, donc corrollairement to it» (p. 101). de celui de fonds d’archives. 4. Traduction libre de : «... a major 2. Créées seulement en 1934. L’institution archival unit established somewhat devient National Archives and Records arbitrarily with due regard to the Service en 1949 puis National Archives principle of provenance and to the and Records Administration en 1985. desirability of making the unit of 3. Voir principalement les pages consa- convenient size and character for the crées au classement : pp. 97-109. Il défi- work of arrangement and description nit comme suit son concept de archive and for the publication of inventories.» group : «the Archives resulting from United States, National Archives, the work of an Administration which Archivist’s Memorandum No. A-142, February 1941.

76 ARCHIVES , VOLUME 28, NUMÉROS 3 ET 4, 1996-1997 5. Dans ce dernier ouvrage, Schellenberg ral identifie les crédits devant être vo- utilise l’expression archive groups tés en vue d’autoriser les ministères et comme synonyme de record groups, cf. les organismes gouvernementaux à dé- pp.162-164. penser au cours d’un exercice financier. 6. L’ouvrage fut originellement publié en Il s’agit d’une source de référence stable Hollande en 1898. Terry Cook présente depuis au moins 1939. L’autonomie d’un une excellente synthèse de l’évolution organisme créateur de fonds d’archives de l’archivistique au XXe siècle dans la est ainsi établie par le fait qu’on lui vote communication qu’il a préparée pour le un crédit distinct et identifiable dans XIII e Congrès international des archives cette source (Wilson 1994, 15-16). tenu à Beijing en 1996 (Cook 1996). 13. Il est surprenant de voir qu’après avoir 7. Theodore R. Schellenberg (1965, 162-163) référé au sous-fonds comme niveau de donne des exemples intéressants de ces classement, les recommandations fina- différentes possibilités. les n’y font pas allusion. Cela explique 8. Les Archives publiques du Canada chan- sans doute pourquoi les Règles pour la gent leur nom en 1987 lors de l’adoption description des documents d’archives sont finalement demeurées muettes sur de la Loi sur Archives nationales du le sous-fonds. Canada (35-36 Elizabeth II, chapitre 1). 9. Nous reprenons ici les métaphores de 14. Traduction libre de : «a subdivision of Cheryl Simes (Simes 1991). a fonds based on the structure of the creator or the organization of its 10. Nous paraphrasons ici Cheryl Simes activities» (MacNeil 1992, 222). (Simes 1991). 15. Cette section résume les principales con- 11. Il s’agit ici d’un texte traduit de l’an- clusions d’un rapport faisant état des glais. Le terme record group est traduit travaux réalisés au cours de la phase II par «groupe de documents». de la conversion des record groups 12. Le Budget des dépenses principal cons- (Lacasse et Lechasseur 1995). titue la partie II du Budget des dépenses 16. «MIKAN» est un mot algonquin qui peut du Gouvernement du Canada déposé au er signifier, selon la façon dont il est ac- Parlement le 1 mars de chaque année. centué : sentier, chemin ou découverte. Dans ce document, un sommaire géné-

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