Année 1995. - N° 28 S. (C.R.) ISSN 0755-544 X Mardi 25 juillet 1995
JOURNAL OFFICIE' DE LA RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
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TROISIÈME SESSION EXTRAORDINAIRE DE 1994 1995
COMPTE RENDU INTÉGRAL
10e SÉANCE
Séance du lundi 24 juillet 1995
28 1318 SÉNAT - SÉANCE DU 24 JUILLET 1995
SOMMAIRE
PRÉSIDENCE DE M. RENÉ MONORY Clôture de la discussion générale. M. le garde des sceaux. 1. Procès-verbal (p. 1319). M. le rapporteur. 2. Hommage à deux militaires français morts en Bosnie (p. 1319). Suspension et reprise de la séance (p. 1370) MM. Josselin de Rohan, le président. Exception d'irrecevabilité (p. 1370) 3. Saisine du Conseil constitutionnel (p. 1319). Motion n° 2 de Mme Hélène Luc. - Mme Hélène Luc, 4. Révision constitutionnelle. - Discussion d'un projet de loi MM. le rapporteur, le garde des sceaux, Charles constitutionnelle (p. 1319). Lederman. - Rejet par scrutin public. Discussion générale ; MM. Jacques Toubon, garde des • sceaux, ministre de la justice ; Jacques Larché, rapporteur Question préalable (p. 1374) de la commission des lois ; Paul Masson, Charles Lederman. Motion n° 1 de M. Jean-Luc Mélenchon. - MM. Jean-Luc Mélenchon, le rapporteur, le garde des sceaux. - Rejet Suspension et reprise de la séance (p. 1337) par scrutin public. MM. Guy Allouche, le garde des sceaux. Renvoi de la suite dè la discussion. PRÉSIDENCE DE M. ERNEST. CARTIGNY 7. Communication de l'adoption définitive d'une proposi- 5. Rappel au règlement (p. 1342). tion d'acte communautaire (p. 1378). Mme Hélène Luc, M. le président. 8. Dépôt d'un rapport (p. 1378). 6. Révision constitutionnelle. - Suite de la discussion d'un projet de loi constitutionnelle (p. 1343). 9. Dépôt rattaché pour ordre au procès-verbal de la séance Discussion générale (suite): MM. Guy Cabanel, Pierre- du 20 juillet 1995 (p. 1378). Christian Taittinger, Pierre Fauchon, Michel Dreyfus- Schmidt, Jacques Habert, Yves Guéna, Michel Charasse, le garde des sceaux, Hubert Haenel. 10. Ordre du jour (p. 1378). SÉNAT — SÉANCE DU 24 JUILLET 1995 1319
COMPTE RENDU INTÉGRAL
PRÉSIDENCE DE M. RENÉ MONORY Le texte de la saisine du Conseil constitutionnel est disponible au bureau de la distribution. La séance est ouverte à dix heures dix. M. le président. La séance est ouverte.
RÉVISION CONSTITUTIONNELLE
Discussion d'un projet de loi constitutionnelle PROCÈS-VERBAL M. le président. L'ordre du jour appelle la discussion M. le président. Le compte rendu analytique de la pré- du projet de loi constitutionnelle (n° 374, 1994-1995), cédente séance a été distribué. adopté par l'Assemblée nationale, portant extension du Il n'y a pas d'observation ?... champ d'application du référendum, instituant une Le procès-verbal est adopté sous les réserves d'usage. session parlementaire ordinaire unique, modifiant le régime de l'inviolabilité parlementaire et abrogeant les dispositions relatives à la Communauté et les dispositions transitoires. [Rapport n° 392 (1994-1995).} 2 Dans la discussion générale, la parole est à M. le garde des sceaux. M. Jacques Toubon, garde des sceaux, ministre de la jus- HOMMAGE À DEUX MILITAIRES FRANÇAIS tice. Monsieur le président, mesdames, messieurs les séna- MORTS EN BOSNIE teurs, en 1958, le général de Gaulle a accompli, avec le soutien des Français, une oeuvre constitutionnelle à la M. Josselin de Rohan. Je demande la parole. mesure de son ambition pour la France. M. le président. La parole est à M. de Rohan. Il a doté le pays d'institutions équilibrées dignes d'une M. Josselin de Rohan. Monsieur le président, mon- démocratie moderne et de nature à. résister à l'épreuve du sieur le garde des sceaux, mes chers collègues, deux offi- temps. Effectivement, plus que toute autre, la Constitu- ciers français ont été tués en Bosnie en accomplissant leur tion de 1958 a montré qu'elle avait pu s'appliquer tout devoir. en s'adaptant. Je souhaiterais que notre assemblée leur rende Plus que tout autre, le Président de la République, l'hommage qui leur est dû et adresse à leur famille nos Jacques Chirac, entend préserver cet héritage dont, désor- très sincères condoléances et le témoignage de notre mais, chacun se félicite et se recommande. admiration devant leur comportement. (Applaudissements M. Jean-Luc Mélenchon. Pas moi ! sur toutes les travées.) M. Jacques Toubon, garde des sceaux. Les grandes MM. Xavier de Villepin et Lucien Neuwirth. Très bien ! Constitutions - et la plus ancienne de toutes, la Consti- tution américaine, n'y fait pas exception - ont pourtant M. le président. Pour répondre à votre appel, monsieur besoin, régulièrement, d'aménagements. de Rohan, nous allons nous recueillir quelques instants. (M. le garde des sceaux, Mmes et MM les sénateurs se Ceux-ci ne sauraient porter atteinte aux équilibre fon- lèvent et observent une minute de silence.) damentaux, en effet, une telle atteinte n'est envisageable que lorsqu'un véritable changement de régime politique intervient. Aujourd'hui, si les Français sont visiblement troublés par les phénomènes profonds qui affectent notre 3 société, rien ne permet de douter de leur attachement à la Ve République, notamment à la stabilité politique qui la caractérise. Affaiblir cette stabilité constituerait, à l'évi- SAISINE DU CONSEIL CONSTITUTIONNEL dence, une erreur politique majeure. Pour autant, il est clair que les Français ne sont pas M. le président. J'ai reçu de M. le président du satisfaits de leur Etat. Une impression diffuse d'abord, Conseil constitutionnel une lettre par laquelle il informe puis de plus en plus nette s'est imposée à eux : ils n'ont le Sénat que le Conseil constitutionnel a été saisi, le pas, dans la conduite des affaires, suffisamment la parole. 20 juillet 1995, en application de l'article 61, alinéa 2, de Ils ont beau, depuis vingt ans, changer régulièrement les la Constitution, par soixante députés d'une demande majorités, ils n'en constatent pas les effets pratiques. d'examen de la conformité à la Constitution de la loi Maintenir la stabilité de l'exécutif mais soumettre relevant de 18,60 p. 100 à 20,60 p. 100 le taux normal davantage les orientations politiques à la surveillance et à de la taxe sur la valeur ajoutée à compter du la décision populaire, tel est l'objectif difficile mais exal- Pr août 1995. tant que le Président de la République a fixé au Gouver- Acte est donné de cette communication. nement dès sa prise de fonction. 1320 SÉNAT — SÉANCE, DU 24 JUILLET 1995
Le Gouvernement s'est acquitté de cette tâche en pro- MM. Jean-Luc Mélenchon et Michel Charasse. Oui ! posant un projet de loi constitutionnelle centré sur le renforcement simultané des deux voies d'expression de la M. Jacques Toubon, garde des sceaux. En réalité, l'ex- souveraineté nationale : le référendum et le Parlement, tension du champ du référendum ,ne change pas grand- deux voies qui, je le rappelle, sont consacrées par chose aux pouvoirs du Président de la République. En l'article 3 de la Constitution. effet, en 1958, lorsque fut introduite dans l'article 11 la référence à l'organisation des pouvoirs publics, après que Il s'agit d'un projet simple, qui évite toute remise en l'on a d'ailleurs songé, je le rappelle, à une rédaction cause des équilibres, facile à comprendre par l'opinion, et visant l'ensemble du domaine de la loi, il s'agissait, si l'on débouchant sur des conséquences très pratiques : des en croit ce que M. Raymond Janot en a dit plus tard, de consultations référendaires et un Parlement présent de « couvrir les problèmes de décolonisation ». façon presque continue au long de l'année. Autrement dit, l'article 11 permettait de traiter les pro- Mais c'est un projet perfectible, que le Gouvernement, blèmes les plus fôndamentaux qui se posaient alors au dès le début, n'a pas conçu comme définitivement clos. pays. Une fois ces problèmes réglés, l'article 11 devenait Au contraire, j'ai abordé le débat devant les assemblées dans cet esprit inévitablement désuet. Revitaliser dans un esprit d'ouverture, notamment en ce qui l'article 11 comme nous le proposons, en lui redonnant concerne le volet parlementaire de cette réforme. un contenu, ne serait donc, de ce point de vue, qu'un Comme je l'ai fait à l'Assemblée nationale, je vais pré- retour aux sources. senter la position du Gouvernement avec la conviction que c'est un bon projet Mais, dès le début de la dis- Je mesure cependant que cet arriment ne résout pas cussion des articles, vous verrez que vos idées trouveront toutes les questions. En effet, ce qu on a appelé et ce que de ma part un écho favorable dès lors qu'elles ne mettent Jacques Chirac lui-mêmè a appelé la « dérive monar- chique » de nos institutions,... pas en cause la logique de nos institutions. Etendre le champ du référendum sans en modifier M. Michel Charasse. Ah, ah ! substantiellement les procédures, allonger la période au M. Jacques Toubon, garde des sceaux. ... s'est produite cours de laquelle le Parlement légifhe et surtout contrôle plus tard, précisément à une époque où le référendum le Gouvernement, en accompagnant cet allongement était tombé en quasi-désuétude. (Rires sur les travées socia- d'améliorations qui, d'ailleurs, ne relèvent pas toutes de la listes.) Lui rendre vie,' ne serait-ce donc pas renforcer cette Constitution elle-même, tels sont les deux aspects de cette tendance ? réforme. D'où une deuxième étape dans la réflexion : peut-on à Ce projet de loi constitutionnelle se décline en réalité la fois rendre le référendum plus facile et priver, d'une en trois volets, car il est apparu nécessaire, à titre de manière que je qualifierai de soupçonneuse, le Président conséquence, d'aménager le régime des immunités parle- de la République de son libre usage ? mentaires. Malgré les réticences qui ont pu s'exprimer, et que je Une première possibilité consiste, vous le savez, à faire comprends - tant il est toujours audacieux de modifier la intervenir dans la procédure référendaire le Conseil loi fondamentale - je sais que le débat qui va s'ouvrir constitutionnel, comme de nombreuses propositions l'ont sera riche et que vous vous investirez dans l'exercice de déjà envisagé. votre pouvoir constituant, qui est l'un des plus éminents Je me suis vite persuadé que c'était entrer, comme je de la Haute Assemblée. l'ai dit à plusieurs reprises, dans une logique de remise en Le travail qu'a accompli votre commission des lois, en cause des équilibres institutionnels - j'y reviendrai tout à un temps bref, y aidera grandement. Je tiens particulière- l'heure. ment à la remercier, ainsi que son président, M. Jacques Cela dit, d'autres modifications de procédure sont Larché. envisageables. Celle qui est proposée dans plusieurs amen- Chacun d'entre vous a pu apprécier la richesse du rap- dements qui seront discutés demain, notamment dans un port établi par la commission, qui éclairera utilement ces amendement de la commission, à savoir l'organisation débats. Il s'ajoute aux réflexions conduites depuis plu- d'un débat parlementaire, n'est pas dépourvue de mérite. sieurs semaines, voire plusieurs années. L'ampleur du tra- L'autre solution consisterait à placer la décision d'orga- vail ainsi effectué est la garantie, pour votre assemblée, niser le référendum en d'autres mains que celles du Pré- d'une analyse approfondie des aménagements proposés. sident de la République, je veux dire dans les mains du Vous le savez, les travaux de l'Assemblée nationale, peuple lui-même. Je suis persuadé que la France y vien- quant à eux, ont été fructueux, mais tous les conflits dra probablement un jour. J'avais d'ailleurs déposé une n'ont pu être surmontés. La responsabilité particulière qui proposition de loi dans ce sers lorsque j'étais député. pèse sur la Chambre haute n'en est que plus grande. Je pense toutefois que le référendum d'initiative popu- J'aborderai, dans une première partie de mon inter- laire ne peut pas être introduit dans un temps de crise où vention, l'extension du champ du référendum. la société française est traversée de doutes, d'incertitudes Ouvrir des voies d'expression nouvelles sans toucher et de pulsions. C'est un instrument qui devra être appri- aux grands équilibres n'est pas chose facile. Je m'en suis voisé par une société apaisée. vite aperçu en préparant le premier avant-projet de loi. Au bout du compte, - et c'est la troisième étape de En effet, toute modification, si modeste soit-elle, d'un mon raisonnement, - les incidences du référendum sur la système fondé sur l'équilibre et la collaboration, comme puissance personnelle du Président de la République disait M. Michel Debré, des différents pouvoirs peut s'avèrent ambiguës, car, si le chef de l'Etat décide - après sembler risquer de profiter à l'un d'eux. proposition du Gouvernement et des assemblées, faut-il le C'est, je ne l'ignore pas, l'un des griefs qui est fait à rappeler ? - de soumettre un projet au référendum, c'est l'extension du champ du .référendum. La décision de sou- tout de même le peuple lui-même qui rejette ou qui mettre un projet de loi à référendum étant prise par le approuve ! Président de la République, l'extension du champ ne Un référendum, c'est un risque, le risque du suffrage donne-t-elle pas au chef de l'Etat des pouvoirs nouveaux ? universel : il peut être gagné, comme il peut être perdu. SÉNAT — SÉANCE DU 24 JUILLET 1995 1321
Le Président de la République - qui, dans nos institu- M. Jacques Toubon, garde des sceaux. Ainsi, la consul- tions, ne gouverne pas au quotidien - est l'homme qui tation pourra désormais englober les lois d'orientation assume les hautes destinées du pays, il est normal qu'il économique pluriannuelle, la lutte contre l'exclusion, ou puisse prendre le risque des grandes questions. encore la politique de l'emploi, autant de sujets qui L'essentiel, m'a-t-il donc semblé au terme de cette recouvrent les préoccupations directes de nos concitoyens. réflexion en trois temps, est de définir avec une précision En revanche, il m'apparaît indispensable de maintenir, suffisante le champ nouveau de la loi référendaire, c'est-à- dans le nouveau champ, les services publics. Ce sont les dire de ne pas s'en tenir à ce que l'on a appelé commu- instruments essentiels de mise en oeuvre de la politique nément les « questions de société » et qui est juridique- de l'Etat. ment indéfinissable. Que serait un référendum sur la politique de l'emploi Le recours au référendum demeure exceptionnel : on si ne pouvaient être évoqués les organes qui la mettent en ne gouverne pas par la voie référendaire. oeuvre et, au premier chef, l'agence nationale pour Je rappellerai, à cet égard, ces propos de Michel l'emploi ? Debré : « Le référendum doit répondre à une exigence Or, si l'on retient l'amendement de la commission et nationale. Il faut un sujet grave, justifiant un engagement l'inspiration qui le motive, il est clair que chacun, le jour personnel du président de la République, pour que le où un référendum serait organisé sur ce sujet, serait en référendum soit largement compris et provoque un élan mesure de dire : « Les travaux législatifs ont bien montré dans un sens ou dans un autre. » que l'on ne pouvait pas s'occuper des services publics. » Pour autant, le référendum n'est pas une voie subsi- Nous serions alors dans une situation tout à fait imprati- diaire d'expression de la volonté des citoyens. Il est dans cable. notre Constitution un instrument privilégié qui permet Que signifierait une consultation sur l'éducation si l'or- de maintenir, par-delà un calendrier électoral aux ganisation et le fonctionnement du service public de échéances espacées, le lien entre la nation et ses manda- l'enseignement n'y étaient inclus ? taires et d'associer les citoyens à la vie politique. Le doyen Retenir les services publics dans le champ de l'article 11 Vedel le rappelait : notre pays se doit d'avoir des permettra de concrétiser la question - référendaire, et j'ai « citoyens plus présents ». déjà évoqué l'importance que revêt cet aspect. Or notre pays n'est plus confronté aujourd'hui au Je ne puis donc partager les craintes de votre commis- mêmes enjeux qu'il y a quarante ans, et le décalage est sion de voir soumise 'au référendum une question rele- grand entre les matières référendaires alors définies à vant, pour une bonne part, de l'article 34 de la Constitu- l'article 11 de la Constitution et la situation actuelle. tion. Cette inadéquation, le Président de la République l'a Que les choses soient claires, et je le dis avec beaucoup parfaitement comprise, l'a soulignée depuis des années et de force, mesdames, messieurs les sénateurs : l'extension en a mesuré les dangers. référendaire n'a ni pour objet, ni pour effet de vider le Les priorités qu'il a assignées au Gouvernement pour champ législatif de l'article 34 de la Constitution ! les années à venir sont économiques et sociales. L'ex- Le nouvel article 11 est respectueux de l'équilibre des tension du champ du référendum à ces matières doit per- pouvoirs. mettre de conduire des politiques à la fois audacieuses et Les libertés publiques, comme le droit pénal, par consensuelles. exemple, ne pourront donner lieu à un référemium, et il Cet élargissement du domaine du référendum a n'y aura pas davantage de consultation directe pour les recueilli l'adhésion de, l'Assemblée nationale, qui a sou- lois de finances ou le fonctionnement de la justice. haité toutefois que les textes soumis à la consultation De même, tout recours au référendum est exclu pour directe du peuple ne se limitent pas à des orientations les questions de souveraineté : la politique étrangère, la générales. Cette proposition a eu l'accord du Gouverne- défense ou encore la police. ment dans la mesure où elle permettra de concrétiser Enfin, il va sans dire que l'extension du référendum ne davantage encore les questions posées à nos concitoyens. touche en aucune manière à ce qu'on appelle le « bloc de Le texte voté par l'Assemblée nationale prévoit que constitutionnalité », qui garantit les droits individuels fon- pourra être soumis au référendum « tout projet de loi damentaux. portant sur l'organisation des pouvoirs publics, sur des Vous le constatez donc, l'extension proposée ne traduit réformes relatives à la politique économique et sociale de pas d'autre ambition que celle d'actualiser, à la fin du la nation, sur les règles fondamentales de l'organisation et xx , siècle, le champ référendaire, sans remettre en cause du fonctionnement des services publics, ou tendant à ni la nature de l'institution ni les missions du Parlement autoriser la ratification d'un traité qui, sans être contraire et du Gouvernement. à la Constitution, aurait des incidences sur le fonctionne- Ma seconde série d'observations à propos des modifica- ment des institutions ». tions suggérées à l'article 11 par la commission des lois a Vous le voyez, l'extension préconisée reste fortement trait aux règles de la mise en oeuvre du référendum, c'est- encadrée. à-dire à la procédure. Votre commission des lois propose d'apporter à cette J'ai indiqué dans quelles conditions le Gouvernement rédaction certaines modifications. s'était interrogé sur 1 opportunité de modifier la procé- S'agissant, en premier lieu, du champ d'application du dure de 1958. référendum, elle souhaite, par deux démarches complé- C'est ainsi que le Gouvernement s'est opposé, lors de mentaires, ajouter la politique éducative et exclure les ser- l'examen du texte par l'Assemblée nationale, à l'interven- vices publics. tion préalable du Conseil constitutionnel dans la procé- Je me félicite, bien sûr, que les problèmes majeurs de dure référendaire. notre temps, qui, vous le savez, sont économiques et Une telle intervention modifierait l'équilibre de nos sociaux, soient retenus par votre commission dans le nou- institutions. veau champ de l'article 11. Elle pourrait être source de conflit si le Conseil s'oppo- M. Jean-Luc Mélenchon. Hélas ! sait à la volonté présidentielle. 1322 SÉNAT — SÉANCE DU 24 JUILLET 1995
Peut-on oublier à cet égard que le Président de la Deux idées directrices animaient les constituants République demeure, selon l'article 5, le garant fonda- de 1958 : établir un véritable régime parlementaire - mental de nos institutions ? Michel Debré l'a souvent souligné - mais, dans le même Est-il besoin d'ajouter qu'une modification de la procé- temps, lutter contre l'instabilité de l'exécutif, qui est .pré- dure de l'article 11 faisant intervenir le Conseil constitu- judiciable au bon fonctionnement de l'Etat. tionnel ne pourrait se concevoir sans qu'il y ait, en Nul ne songerait aujourd'hui à renier ces principes. contrepoint, un aménagement de l'article 89, ce que la Le débat actuel prend en compte d'autres enjeux. commission Vedel avait d'ailleurs proposé ? Le Président de la République rappelait que nous souf- A défaut, toute révision constitutionnelle pourrait être frons d'un « déficit démocratique ». irrémédiablement bloquée par une seule des deux assem- Un constat s'impose en effet : depuis quelques années blées. et à son corps défendant, la machine parlementaire s'est Toute forme de contrôle préalable doit donc être écar- emballée ; elle tourne à plein régime, de jour comme trop tée, et je me félicite que votre commission des lois se soit souvent de nuit, avec seulement quelques coupures qui rangée à cette analyse. s'amenuisent à mesure que croissent les sessions extraordi- En revanche, la commission préconise un autre type naires. d'intervention préalable, qui prendrait la forme d'un Mais, chacun a pu le constater, l'excès de ces activités débat parlementaire. imposées n'est pas synonyme d'efficacité. Il est certain que le débat est inhérent à toute question Permettez-moi de me référer encore au chef de l'Etat : fondamentale posée à la nation et que nos concitoyens « Il faut remettre le Parlement à sa vraie place... Expres- doivent être pleinement éclairés sur les enjeux du projet sion politique du suffrage universel, le Parlement légifère, de loi référendaire avant qu'il leur soit soumis. contrôle et débat des grandes orientations de la nation. » Il est vrai aussi que le débat a été, est et sera toujours Ces missions, nous le savons, ne sont plus correcte- et partout présent, que ce soit dans la presse, sur les ment assumées aujourd'hui. ondes ou chez les spécialistes, et qu'il peut paraître para- La prolifération des normes fait perdre la vision de doxal d'en écarter le Parlement. l'essentiel. Le Président de la République le souligne Il est non moins sûr que les assemblées, lieux privilé- aussi : trop de lois tuent la loi. Je serais tenté d'ajouter giés de l'expression des différents courants de pensée, qu'elles tuent le débat démocratique. constituent une enceinte propre à permettre un véritable Quant au contrôle de l'action gouvernementale, il débat démocratiquë, c'est-à-dire contradictoire. souffre également d'un déficit. De fait, ce débat a lieu ; d'une façon ou d'une autre, Sans concevoir ce contrôle comme une contrainte l'expérience l'a prouvé au cours des années passées. pesante, harcelante, il est bon qu'il puisse justement s'ex- Le Gouvernement n'est donc pas insensible aux préoc- primer. Il doit forcer le Gouvernement à la vigilance et cupations des membres de la commission des lois, parta- procurer ainsi un meilleur gouvernement. Il en va de gées, je le sais, par de très nombreux autres sénateurs. l'équilibre de nos institutions. Mais deux remarques doivent être faites à propos de Comment pallier ces carences que tout le monde cette proposition de débat parlementaire préalable. constate et dont tout le monde se plaint ? La première, c'est que l'intervention du Parlement ne Une nouvelle organisation du rythme des sessions et peut, en aucun cas, se concevoir comme un obstacle à donc une meilleure répartition du calendrier des travaux l'expression de la volonté populaire. parlementaires sont la condition de l'efficacité de l'action C'est pourquoi le débat parlementaire, s'il a lieu, ne des assemblées. doit pas être sanctionné par un vote. Tel est l'objectif que l'on cherche à atteindre à travers La discussion éclaire les enjeux de la consultation. Le l'institution d'une session parlementaire unique de neuf vote, en revanche, s'il était négatif, prendrait la forme mois. d'un veto parlementaire. Je sais que la session unique engendre chez certains la Nous ne pouvons inscrire dans notre Constitution une crainte d'un surcroît d'activités non justifiées et, chez source de conflits entre le pouvoir exécutif et le pouvoir d'autres, le scepticisme quant aux résultats à en attendre. législatif, et entre ce dernier et le peuple lui-même. J'ai Je le redis aujourd'hui dans cette enceinte comme je déjà eu l'occasion de dire que cet appel exercé par le l'ai dit à l'Assemblée nationale : il n'est nullement dans peuple sur le Parlement constituerait pour le Parlement l'esprit du Gouvernement de légiférer plus, son ambition lui-même un risque important. Tel n'est pas, bien sûr, le est de légiférer mieux ! souhait de votre commission des lois et je m'en félicite. Il faut arrêter l'inflation législative, il y va de la crédibi- Ma seconde observation s'agissant de l'éventualité d'un lité de tout système normatif sans lequel aucune société débat préalable pourrait également être perçue comme ne saurait être ordonnée. une évidence. Permettez-moi néanmoins de la formuler : Le Gouvernement, qui reconnaît pleinement sa respon- l'innovation que propose votre commission est grande, sabilité en la matière, entend agir avec fermeté. très grande ; elle est même, à certains égards, boulever- Permettez-moi de vous dire que, pour le parlementaire sante. Il ne faudrait pas qu'elle soit mal comprise par une dans l'âme que je suis resté, légiférer mieux signifie : être lecture hâtive. à l'écoute de nos concitoyens afin de déterminer leurs Le débat parlementaire portera sur la question... plus besoins et de définir des priorités ; approfondir en exactement sur le projet de loi que le Gouvernement pro- commission les questions de plus en plus complexes qui posera de soumettre au référendum ; il est clair qu'il ne sont soumises au Parlement... pourra avoir d'autre objet. Mme Hélène Luc. On n'en prend pas le chemin ! 11 est temps maintenant d'aborder le second volet du projet de loi constitutionnelle qui vous est soumis : l'ins- M. Jacques Toubon, garde des sceaux. ... enfin, partici- tauration de la session unique de neuf mois. per plus activement aux débats publics. SÉNAT - SÉANCE DU 24 JUILLET 1995 1323
Mais la continuité de la session doit permettre égale- Si ces dispositions sont adoptées, nous aurons accompli ment de donner à la mission de contrôle de l'action gou- un grand pas, ri fera du Parlement un organe doué vernementale son véritable sens. d'une capacité d initiative et de contrôle renforcée, gage Les plus grandes démocraties occidentales, dotées de d'une meilleure collaboration entre les pouvoirs. systèmes constitutionnels pourtant très différents, ont Il restera, bien sûr, à mettre en oeuvre, dans la loi orga- souvent fait le choix de la continuité, qu'il s'agisse du nique et dans le règlement intérieur de chaque assemblée, régime présidentiel américain ou du régime parlementaire les dispositions nouvelles. Votre commission des lois pro- britannique. Je pourrais encore citer les exemples de l'Ita- pose de consacrer constitutionnellement la liberté laissée à lie, de la Belgique ou de la Suède. chaque assemblée de fixer le calendrier à l'intérieur de la Toutefois, la continuité n'est pas la permanence. session unique. Ce souhait, que je comprends, soulève des Comme l'a dit à juste titre Michel Debré, il importe difficultés, sur lesquelles je reviendrai lors de la discussion de ménager au Gouvernement un temps de réflexion et de l'amendement. d'action. Cependant, j'insiste dès à présent sur un point : à nos J'ajoute qu'il est de l'intérêt même du Parlement que yeux, la Constitution ne fixe qu'un cadre et des principes ne soient pas sacrifiés la maturation des textes en globaux, la concrétisation de ces derniers dépendant des commission, les différentes missions, qu'elles soient règlements intérieurs de chacune des deux chambres. d'enquête, d'évaluation et de contrôle, ainsi que les liens M. Lucien Neuwirth. Bonne approche ! réels que l'élu se doit de conserver avec sa circonscription. M. Jacques Toubon, garde des sceaux. J'en terminerai J'ajoute enfin que le caractère continu du fonctionne- avec l'aménagement de la procédure parlementaire en ment des institutions européennes implique, pour un rappelant que l'Assemblée nationale a souhaité compléter meilleur contrôle, tel que le souhaite la Haute Assemblée, la réforme proposée par le Gouvernement sur deux que nos propres institutions, et pas seulement l'exécutif, points : les questions orales et les propositions de loi. puissent assurer en permanence ce contrôle. Les premières pourraient désormais, si le Sénat entérine C'est dans le souci de parvenir à un juste équilibre le choix de l'Assemblée nationale, être posées trois fois entre les diverses contraintes qui s'imposent dans l'exer- par semaine, à l'ouverture des séances. cice des pouvoirs législatif et exécutif que le projet de révision constitutionnelle avait retenu un plafond de cent M. Lucien Neuwirth. Nous ne sommes pas en Grande- cinquante jours de séance, au sein de la session ordinaire Bretagne ! de chaque assemblée, auxquels devaient s'ajouter, si néces- M. Jacques Toubon, garde des sceaux. Votre commis- saire, des séances supplémentaires, à la demande du Gou- sion des lois propose la suppression de cette réforme. Le vernement. Gouvernement 1 avait acceptée à l'Assemblée nationale La détermination de ce plafond a suscité un large car, nous le savons, le régime actuel souffre d'une trop débat à l'Assemblée nationale. grande rigidité et confine souvent à l'exercice de style Il est vrai que tout seuil est arbitraire et que les télévisé. moyennes arithmétiques n'ont qu'une signification rela- Mme Hélène Luc. C'est vrai ! tive. M. Jacques Toubon, garde des sceaux. La souplesse M. Lucien Neuwirth. C'est vrai ! envisagée par l'Assemblée nationale avait paru séduisante M. Jacques Toubon, garde des sceaux. Mais la prudence et de nature à revivifier le dialogue entre le Parlement et commande de préserver une certaine marge de l'exécutif, de même que le contrôle, jour après jour, du manoeuvre. premier sur le second. Nous en débattrons -lors de l'exa- Le nombre finalement arrêté par l'Assemblée nationale, men des articles. avec l'accord du Gouvernement, est de cent trente jours. L'Assemblée nationale a souhaité, en second lieu, L'abaisser, comme le suggère votre commission, ne qu'une séance mensuelle soit réservée à l'examen des pro- m'apparaît guère réaliste, sauf à multiplier les séances sup- positions de loi dont le Gouvernement accepte la dis- plémentaires, comme aujourd'hui les sessions extraordi- cussion. naires. Votre commission des lois estime devoir aller plus loin
J'ai déjà eu l'occasion de l'affirmer, le recours à , des en conférant aux assemblées la maîtrise de l'ordre du jour séances supplémentaires ne doit pas devenir une habitude, une fois par mois. sauf à considérer que la Constitution n'a aucune signifi- Je partage, certes, le souci de voir le Parlement débattre cation. plus souvent des textes d'origine parlementaire. Mais vous Le chiffre de cent trente me paraît constituer un seuil comprendrez que le Gouvernement, à qui appartient la approprié, et le Gouvernement proposera un sous-amen- charge de déterminer • et de conduire la politique de la dement en ce sens. Je souhaite que le Sénat puisse s'y ral- nation, doit rester maître, en toute circonstance, de lier. l'ordre du jour. Comme je l'ai dit à l'Assemblée natio- Mais je ne saurais terminer sur ce point sans mse félici- nale, il y va de la conception même de nos équilibres ins- ter que votre commission des lois entende revenir à des titutionnels. règles plus réalistes sur les modalités de convocation des La réforme que vous examinez ne doit pas être l'occa- séances supplémentaires. sion de modifier l'esprit de notre Constitution. C'est La procédure complexe et calquée sur celle des sessions ainsi que l'acceptation par le Gouvernement des proposi- extraordinaires que l'Assemblée nationale a retenue doit tions de loi à discuter reste indispensable. être à mon sens écartée. Je ne puis souscrire davantage aux aménagements que Dans sa sagesse, votre commission des lois a cherché à votre commission des lois propose au régime des amende- éviter toute confusion des genres et à revenir à une ments. conception plus souple des convocations en séances sup- Autant, compte tenu de mon expérience parlementaire, plémentaires, qui recueillera, j'en suis certain, un large je comprends son souhait de voir renforcer le travail en accord de votre part. commission, qui est essentiel •à la bonne tenue des débats, 1324 SÉNAT — SÉANCE DU 24 JUILLET 1995
autant il m'apparaît dangereux de priver de leur droit Tout d'abord, leur effet pratique est souvent mal d'amendement, par l'adoption d'une motion globale sur compris par nos concitoyens. le travail de la commission, les parlementaires qui n'y M. Jean-Luc Mélenchon. Ils n'ont qu'à réfléchir ! souscriraient pas. M. Jacques Toubon, garde des sceaux. Lorsque l'autori- Mme Hélène Luc et M. Charles Lederman. Très bien ! sation demandée est refusée par l'assemblée, l'opinion M. Jacques Toubon, garde des sceaux. Il s'agirait là publique considère que les élus nationaux bénéficient d'une régression de nos principes constitutionnels, en d'une sorte de privilège personnel qui les place au-dessus particulier d'une atteinte sérieuse aux droits de l'opposi- des lois. tion. M. Jean-Luc Mélenchon. On le lui suggère ! Mme Hélène Luc et M. Charles Lederman. Absolu- M. Jacques Toubon, garde des sceaux. En revanche, ment ! lorsque l'autorisation est accordée, à la suite d'un débat M. Jacques Toubon, garde des sceaux. C'est ce même public parfois pénible,... souci de voir préserver l'économie de notre loi 'fonda- M. Michel Dreyfus-Schmidt. C'est là le problème ! mentale qui préside aux aménagements qu'il vous est pro- posé d'apporter au régime de l'inviolabilité parlementaire, M. Jacques Toubon, garde des sceaux. ... l'opinion a point qui fait l'objet du troisième chapitre du projet de l'impression que le Parlement a prononcé une sorte de loi constitutionnelle. préjugement à l'encontre du parlementaire poursuivi, et L'inviolabilité parlementaire, qui constitue, avec l'irres- ce dernier apparaît comme un coupable, en dépit de la ponsabilité parlementaire, l'une des deux branches de présomption d'innocence. l'immunité prévuepar l'article 26 de la Constitution, fait M. Michel Charasse. La presse y est pour quelque partie de notre tradition républicaine, je dirai même révo- chose ! lutionnaire puisqu'elle trouve son origine dans une M. Josselin de Rohan. Pauvre tradition ! motion adoptée, sur la proposition de Mirabeau, par l'Assemblée nationale le 23 juin 1789. M. Jacques Toubon, garde des sceaux. Deuxième cri- tique : la protection accordée est, en réalité, grandement M. Lucien Neuwirth. Cela ne nous rajeunit pas ! inefficace, en raison de son caractère intermittent. Il suffit M. Jacques Toubon, garde des sceaux. S'il n'est pas en effet que des poursuites soit valablement engagées en question de modifier le régime de l'irresponsabilité parle- période d'intersession pour que les actes juridiques les mentaire, qui est indispensable pour permettre aux parle- plus marquants interviennent ensuite tout à fait régulière- mentaires d'exercer librement leur fonction - en parti- ment au beau milieu de la session en cours. culier de jouir pleinement de leur liberté de parole - il a, M. Michel Dreyfus-Schmidt. Sauf suspension ! en revanche, semblé nécessaire au Gouvernement de pro- poser certains aménagements de l'inviolabilité. M. Jacques Toubon, garde des sceaux. Ainsi, une cita- Ces aménagements ont pour objectif la réalisation d'un tion, une plainte avec constitution de` partie civile ou un équilibre aussi satisfaisant que possible entre la nécessité réquisitoire nominatif dirigé contre un parlementaire d'assurer la légitime protection à laquelle peuvent pré- intervenant quelques jours avant le début de la session tendre, dans toute démocratie, les membres du Parlement permet la mise en examen par le juge d'instruction ou et le respect des règles de notre procédure pénale, c'est-à- l'audience devant le tribunal après le commencement de dire l'égalité des citoyens, à laquelle les Français attachent ladite session. une importance grandissante. L'institution d'une session unique de neuf mois, parce qu'elle étendrait d'un tiers la période pendant laquelle M. Michel Charasse. Et le respect des vacances judi- ciaires ! serait exigée l'autorisation de poursuites, est évidemment de nature, en prolongeant dans le temps ces deux M. Jacques Toubon, garde des sceaux. Les aménage- inconvénients, à les aggraver. ments qui me paraissent nécessaires pour concilier ces C'est pourquoi le texte proposé par le Gouvernement, deux exigences concernent trois points, que j'examinerai et adopté en première lecture par l'Assemblée nationale, successivement : l'autorisation des poursuites, la suspen- procède à la suppression de rautorisation préalable en sion des poursuites et, enfin, l'autorisation d'arrestation. matière de poursuites. En ce qui concerne l'autorisation des poursuites, je Pendant toute la durée de la session unique de neuf constate que les textes actuels ne sont pas totalement mois, comme pendant les éventuelles sessions extraordi- satisfaisants et que les inconvénients qu'ils comportent naires, les autorités judiciaires, de même que les parties risquent d'être aggravés par l'institution d'une session civiles, pourront librement mettre en mouvement l'action unique. publique contre des parlementaires, ainsi qu'ils pouvaient Selon l'actuel article 26 de la Constitution, en période déjà le faire en période d'intersession. de session, hors l'hypothèse du crime ou du délit flagrant, Votée commission des lois ne partage pas cette analyse des poursuites ne peuvent être engagées contre un parle- et propose de maintenir l'autorisation préalable en mentaire qu'avec 1 autorisation de l'assemblée dont il est matière de poursuites, craignant ciue la modification sou- membre. En revanche, en période d'intersession, les pour- haitée par le Gouvernement et lAssemblée nationale ne suites peuvent être librement exercées sans autorisation vienne rompre l'équilibre dont je parlais voilà un instant. préalable, ces poursuites pouvant ensuite se prolonger valablement pendant les sessions. Il ne m'est pas possible d'accepter une telle proposi- tion. En effet, elle reviendrait à accroître de façon sensi- Ces règles sont critiquables à deux égards. ble la durée de l'immunité, ce qui me semble contraire à M. Michel Charasse. Il y a deux cents ans que c'est l'évolution de tout notre droit depuis quelques années. comme ça ! La réforme souhaitée par le Gouvernement en ce qui M. Jacques Toubon, garde des sceaux. C'est justement concerne l'immunité parlementaire s'inscrit dans le cadre sans doute pour cela qu'elles sont aujourd'hui criti- d'une évolution logique de nos institutions qui tend à quables. limiter les exceptions aux règles de procédure pénale et SÉNAT — SÉANCE DU 24 JUILLET 1995 1325
dont les deux dernières étapes ont été la suppression, le projet du Gouvernement complétait l'article 26 pour dans le nouveau code de procédure pénale, des privilèges exiger une autorisation non seulement en cas d'arrestation de juridiction dont bénéficiaient certains élus ou fonc- mais également en ce qui concerne toutes les « mesures tionnaires,... restrictives ou privatives de liberté », c'est-à-dire en cas de M. Michel Dreyfus-Schmidt. Ce n'est pas un privilège ! contrôle judiciaire, quelles que soient les mesures envisa- gées par le juge. Vous le savez, le code de procédure M. Jacques Toubon, garde des sceaux. ... puis l'institu- pénale prévoit une quinzaine de mesures restrictives ou tion de la Cour de justice de la République pour les privatives de liberté. infractions commises par les membres du Gouvernement. Dans l'esprit du Gouvernement, et conformément à M. Michel Charasse. C'est du .Poivre d'Arvor, grand l'analyse développée par le Conseil d'Etat, tout contrôle spécialiste du droit pénal ! judiciaire doit être autorisé préalablement parce qu'une M. Jacques Toubon, garde des sceaux. Après ces deux telle autorisation, si elle est accordée, permet également à réformes importantes, et largement approuvées, est-il l'autorité judiciaire de révoquer la mesure lorsque celle-ci envisageable, mesdames, messieurs les sénateurs, de n'est pas respectée, sans devoir solliciter une seconde conclure cette révision de la Constitution en étendant la autorisation. portée de l'immunité de procédure dont bénéficient les Telle est, en effet, la logique du contrôle judiciaire : parlementaires ? Franchement, je ne le crois pas ! celui-ci peut être sanctionné par sa révocation, c'est-à-dire par une détention, si les conditions qu'il pose ne sont pas M. Michel. Charasse. Si nous avions fait cela quand respectées par celui qui y est soumis. vous étiez député ! L'Assemblée nationale n'a pas suivi ce raisonnement et M. Jacques Toubon, garde des sceaux. En 1993, alors a préféré limiter l'autorisation aux seules mesures « res- que j'étais député, j'ai proposé la suppression pure et treignant la liberté d'aller et venir » du parlementaire, simple de l'immunité parlementaire ! c'est-à-dire à certaines des mesures pouvant être ordon- MM. Michel Dreyfus-Schmidt et Michel Charasse. nées dans le cadre d'un contrôle judiciaire. Démagogie pure ! Il a, par ailleurs, été indiqué au cours des débats M. Jacques Toubon, garde des sceaux. En tout état de qu'une nouvelle autorisation serait nécessaire pour per- cause, sur ce point, le Gouvernement considère que doit mettre la révocation d'un contrôle judiciaire. Cette préci- être conservée la faculté donnée à l'assemblée de requérir sion ne figure pas dans le texte, mais elle correspond la suspension des poursuites ou de la détention, car cette manifestement au souhait de la majorité de l'Assemblée possibilité participe de l'équilibre nécessaire entre les dif- nationale. férents pouvoirs. Le texte adopté sur ce point par les députés me semble M. Michel Charasse. Quand le mal est fait ! difficilement acceptable en raison, précisément, de son imprécision et de son caractère contraire à l'esprit même M. Jacques Toubon, garde des sceaux. Toutefois, sui- du contrôle judiciaire. vant en cela l'avis du Conseil d'Etat, le projet du Gouver- Je ne peux donc que me réjouir que, sur ce point, nement limite cette suspension à la durée de la session en votre commission partage l'analyse du Gouvernement et cours, comme le précisait d'ailleurs la loi constitutionnelle propose de revenir à la formulation retenue dans le projet du 16 juillet 1875 ; mais cela n'a pas été repris dans les de loi initial. constitutions ultérieures. Telle est, mesdames, messieurs les sénateurs, l'écono- Votre commission des lois est cependant opposée à mie de la révision constitutionnelle qui vous est aujour- cette modification. Elle revient en effet sur l'interpréta- d'hui proposée. tion de l'article 26, que dans le silence du texte, avait fait ces dernières années le Sénat, suivi sur ce point par Toute réforme est un engagement sur l'avenir, celle-ci, l'Assemblée nationale, les chambres ayant considéré qu'il sans nul doute, plus qu'aucune autre. leur était possible de suspendre une procédure jusqu'à la C'est dans la perspective du prochain millénaire que le fin du mandat du parlementaire. Président de la République a entamé son mandat. Il a Sur cette question, nous pourrons, je l'espère, arriver à souhaité, en particulier, une « démocratie toujours plus un accord. vivante et toujours plus forte ». J'en viens à l'autorisation d'arrestation. On ne peut être fort si l'on est désarmé. Le Gouvernement estime que, hors l'hypothèse de la A quoi sert aux citoyens le droit de s'exprimer si les flagrance ou d'une condamnation définitive, l'exigence questions ne peuvent leur être posées ? d'une autorisation en matière d'arrestation doit être A quoi sert à la représentation nationale de siéger si le maintenue et précisée. A la différence des poursuites, temps qui lui est accordé ne lui permet pas de débattre ? l'arrestation constitue en effet, par nature, une entrave Mais à quoi sert aussi l'ambition pour la France de immédiate et directe à l'exercice du mandat parle- celui qui est le garant de nos institutions s'il ne lui est mentaire, donc au fonctionnement du Parlement lui- pas donné les moyens de la réaliser ? même. C'est avec le peuple et ses représentants que les Le Gouvernement a toutefois souhaité clarifier la ques- réformes seront réalisées. Donnons-leur à chacun le pou- tion du contrôle judiciaire, que ne mentionne pas voir de se faire entendre et de décider. (Applaudissements l'article 26 - pour l'excellente raison que cette mesure n'a sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants, de été instituée dans le code de procédure pénale que posté- l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDE.) rieurement à la rédaction de la Constitution de 1958 - et sur laquelle le Sénat et l'Assemblée nationale ont des M. le président. La parole est à M. le rapporteur. points de vues différents. M. Jacques Larché, rapporteur de la commission des lois Suivant la position exprimée par le bureau du Sénat, et constitutionnelles, de législation, du su ffrage universel, du communiquée à mon prédécesseur, M. Pierre Méhaigne- règlement et d'administration générale. Monsieur le pré, rie, par une lettre de votre président, M. René Monory, sident, monsieur le garde des sceaux, nous abordons en 1326 SÉNAT — SÉANCE DU 24 JUILLET 1995
cet instant la discussion de la neuvième révision constitu- Le débat référendaire, inévitablement simplifié et tionnelle que la Constitution de la Ve République aura médiatisé, progressant à coups de sondages, est-il pour connue. autant adapté à ces matières économique et sociale, à ces Les institutions de la V République ont fait preuve de services publics, auxquels on veut l'appliquer ? leur açlaptation aux besoins de notre société politique La commission a pensé que le principe proposé n'était alternance et cohabitation ont été rendues possibles. Ceux acceptable qu'à deux conditions : que l'on procède à une qui les avaient combattues les ont scrupuleusement appli- meilleure définition du champ d application ; que soit quées. trouvé un élément de contrôle ou d'information qui Jusqu'à ce jour, des réformes d'inégale importance y interviendrait dans le processus référendaire. ont été apportées. Mais, à l'occasion de celle que l'on Pour beaucoup d'entre nous, sur ce second point, c'est nous propose, comme on pouvait le faire à propos de au Parlement qu'il appartient d'intervenir. celles qui l'ont précédée, il y a lieu de s'interroger, non Prenons l'exemple du référendum annoncé sur l'éduca- seulement sur les modifications institutionnelles en elles- tion nationale. Il sera, nous dit-on, précédé d'un très mêmes mais également sur leurs conséquences de droit et large débat : syndicats, associations de parents, coopéra- de fait. tives scolaires,... Simple dans son principe, la décision de faire élire le M. Michel Charasse. ... congrégations... (Sourires.) Président de la République au suffrage universel direct a M. Jacques Larché, rapporteur. ... seront consultés. modifié fondamentalement les rapports entre les pouvoirs, Peut-on admettre que seul le Parlement soit exclu ? à tel point que l'on a pu prétendre, avec quelque raison, Personnellement, je ne le pense pas. que la Ve République était véritablement née au référen- dum de 1962. Je dois à la vérité de dire que d'autres modalités de contrôle ont été envisagées au cours de notre débat en De même, la possibilité donnée à soixante députés ou commission. soixante sénateurs de saisir le Conseil constitutionnel, dont la portée n'a pas toujours été perçue dans l'immé- Faut-il faire précéder - certains le pensent et le diront - diat, a fait progresser l'état de droit et a accru la protec- la décision référendaire d'un contrôle... tion normaleMent due aux minorités parlementaires. M. Michel Dreyfus-Schmidt. Bien sûr ! De même, enfin, l'indépendance de la justice a été ren- M. Jacques . Larché, rapporteur. ... de constitutionnalité forcée par la réforme du Conseil supérieur de la magistra- sous forme d'avis ou de décision ? On pouvait y songer. ture. M. Michel Dreyfus-Schmidt. Nous y songeons. Monsieur le garde des sceaux, vous avez déclaré à M. Jacques Larché, rapporteur. On pourrait en l'Assemblée nationale - mais vous ne l'avez pas redit ici - débattre, mais deux objections ont paru déterminantes. que cette réforme était ambitieuse et modeste. La technique de décision à laquelle le Conseil constitu- Elle porte sur l'extension du domaine du référendum, tionnel est parvenu par une extension constante de sa sur la durée de la session parlementaire et - tout au volonté de contrôle est apparue inadaptée au référendum. moins certains l'ont-ils pensé - par voie de conséquence, Que signifierait un référendum qui ne pourrait être prati- sur la levée de l'immunité parlementaire. qué que sous réserve de l'interprétation que le Conseil en Je ne partage pas votre sentiment. donnerait ? De cette réforme, telle qu'elle est proposée par le Gou- Le contrôle de constitutionnalité est également apparu vernement et telle qu'elle nous vient de l'Assemblée à bon nombre d'entre nous comme contraire à l'exercice nationale, je dirai bien plutôt, concernant le référendum, même de la prérogative présidentielle. qu'il s'agit d'une réforme à risque, risque que nous Le champ d'application de la politique référendaire devons aborder de façon lucide, en prenant toutes les pré- doit être mieux défini. Nous proposons une nouvelle for- cautions nécessaires pour le prévenir, et concernant la mule plus précise. Il nous paraît dans ce sens nécessaire durée de la session, qu'il s'agit d'une réforme incomplète. d'en éliminer la notion de service public, dont aucun Je traiterai donc de ces deux points en indiquant quelle juriste n'a jamais pu dire avec précision ce qu'elle recou- a été la position de la majorité de la commission des lois. vrait. Je ne dissimulerai pas que nous nous sommes deman- M. Michel Charasse. Très bien ! dés si la hiérarchie des urgences et la gravité des pro- M. Jacques Larché, rapporteur. En revanche - et nous blèmes à traiter, qui exigent de nous un soutien sans l'avons mentionné dans notre rapport, répondant par faille à l'égard du Gouvernement, imposaient qu'un tel avance à votre objection, monsieur le garde des sceaux - débat soit engagé dans la précipitation de l'ordre du jour rien n'interdirait que tel ou tel service public soit d'une session qualifiée d'extraordinaire. concerné par un texte référendaire pour peu qu'il M. Michel Dreyfus-Schmidt. Très bien ! concoure à une réforme de la politique économique, sociale ou éducative de la nation. M. Jacques Larché, rapporteur. Le référendum est Mes chers collègues, lajustice est un service public. défini comme un mode d'exercice de la souveraineté. Va-t-on la modifier par référendum ? Mais, jusqu'à ce jour, son intervention était limitée aux J'en viens à la session de neuf mois, qui, dans l'esprit domaines institutionnel et international. Ce que l'on du Gouvernement, est destinée à accroître les capacités de nous propose tend à ce que le référendum devienne une contrôle du Parlement. modalité du vote de la loi, en des matières qui relevaient de la compétence du Parlement. On nous dit qu'une telle organisation est appliquée dans tous les grands parlements. C'est vrai, mais il ne La pratique référendaire est peut-être adaptée, par sa faut pas oublier que ceux-ci ont la maîtrise de leur ordre simplicité, à des domaines permettant des jugements sans du jour. ambiguïté. Nous nous souvenons tous qu'elle aura permis l'indépendance de l'Algérie. A la question posée, on ne M. Jacques Gentôn. Voilà ! pouvait répondre que par oui ou par non. M. Michel Dreyfus-SChmidt. Eh oui ! SÉNAT — SÉANCE DU 24 JUILLET 1995 1327
M. Jacques Larché, rapporteur. Réduite à ce qui nous quels s'était associé notre ami Jean Faure. Mais la disposi- est proposé, cette réforme ne servirait à rien, sinon à nous tion essentielle avait été annulée par le Conseil constitu- conduire à mal faire en neuf mois ce que nous ne faisons tionnel. pas bien en six. Ce que nous vous demandons de rétablir... M. Jean-Luc Mélenchon. Et voilà ! Mme Hélène Luc. C'est en contradiction avec ce que M. Jacques Larché, rapporteur. Elle ne résout aucun vous avez dit avant sur le rôle du Parlement ! des deux problèmes qui se posent actuellement au bon M. Jacques Larché, rapporteur. ... n'est pas autre chose déroulement du débat parlementaire. que ce qui avait été ainsi supprimé. Ces problèmes, nous les connaissons. Pour ne pas allonger mon propos, je passerai sur cer- Je pense, en premier lieu, à la surcharge inutile de taines préoccupations secondaires dont s'est fait l'écho l'ordre du jour, qui ne semble pas destinée à s'arrêter. Je l'Assemblée nationale et que le Sénat appréciera, telles constate en effet que, chaque fois qu'une question est l'augmentation de la fréquence théorique du nombre des posée, on continue à nous proposer une loi pour la motions de censure, la suppression, grâce à un « toilet- résoudre. L'air de Paris est mauvais, on fera une loi ! tage » de la Constitution, de dispositions périmées ou L'autre problème qu'il nous faudra bien traiter est celui encore la modification de la numérotation des articles. Si de l'inadaptation relative de la technique même du débat l'on veut ! parlementaire à l'examen de certains textes. Plus important est ce (lui a été prévu pour l'organisa- Mes chers collègues, va-t-on siéger neuf mois pour tion des séances de questions et qui me paraît difficile- connaître le même déferlement législatif de lois improvi- ment compatible avec la liberté d'action que l'on doit sées, truffées de dispositions réglementaires, et dont cer- laisser au Gouvernement. Trois séances par semaine sont taines, votées en urgence, attendront pendant des mois proposées : qu'adviendra-t-il s'il en était de même au que sortent les décrets d'application ? (Applaudissements Sénat ? sur les travées socialistes.) Je terminerai sur les dispositions relatives à l'immunité Le Parlement ne doit plus accepter d'être une machine parlementaire. à légiférer à la chaîne. Le régime nous en est connu. Dans sa majorité, la M. Michel Dreyfus-Schmidt. Très bien ! commission a jugé préférable de le maintenir dans son M. Jacques Larché, rapporteur. Va-t-on compliquer la principe actuel -, privilège, disent certains, mal compris tâche de ceux qui, parmi nous, s'honorent d'exercer des par l'opinion publique, ajoute-t-on. fonctions locales ? La commission a estimé que le système proposé Va-t-on rendre difficile, sinon impossible, l'exercice de conduisait à une transformation de la signification même leur mandat par nos collègues d'outre-mer, dont on sait du mandat parlementaire. Le parlementaire serait soumis quel rôle ils jouent dans le maintien de cette véritable au droit commun pour ce qui est de l'engagement des exception française ? Nous avons tous conscience, en poursuites et de la mise en examen éventuelle. effet, que leur présence sur le terrain est nécessaire. Lors de la réforme de la Cour de justice de la La commission, tout en acceptant le principe de cette République, nous avions prévu la création d'une commis- perspective, a retenu trois orientations essentielles. sion de filtrage, qui, dès la première année de son instal- lation, a été saisie de deux cent quarante plaintes et de Elle a entendu fixer le nombre de jours de séance à un plus de cinquante au cours du premier semestre 1995, niveau tel qu'il constitue, à l'égard du Gouvernement, un soit deux plaintes par ministre en moyenne ! signal très fort lui indiquant notre volonté de le voir enfin, comme certains grands Premiers ministres ont su le M. Jean-Luc Mélenchon. Et voilà ! faire, et comme le Conseil d'Etat l'a réclamé, instituer un M. Jacques Larché, rapporteur. Le parlementaire pour- véritable programme législatif. rait être poursuivi et mis en examen sur plainte avec La deuxième orientation consiste à donner au Parle- constitution de partie civile. Il ne pourrait être incarcéré ment la capacité d'organiser son rythme de travail sans ou soumis à un contrôle judiciaire qu'après autorisation que l'on puisse opposer aux dispositions réglementaires à de l'assemblée à laquelle il appartient. prendre en ce domaine les principes de l'ordre du jour La majorité des membres de la commission a estimé prioritaire. qu'un tel débat ne pourrait être mené que sur la base Enfin, mes chers collègues, ne pensez-vous pas qu'à d'une véritable appréciation de la culpabilité du parle- l'aube du xxic siècle l'occasion doit être saisie de moder- mentaire concerné. Une telle orientation lui a paru outre- niser nos méthodes de travail en reconnaissant enfin que, passer gravement le rôle mesuré que le Parlement s'est dans bon nombre de cas, la technique même du débat toujours efforcé de jouer en ces domaines particulière- parlementaire, qui repose sur le principe d'une présence ment délicats. systématique en séance publique, est périmée ? En étudiant ce texte, en suggérant et en faisant adopter Voulez-vous que des caméras goguenardes continuent, par la majorité de la commission un certain nombre de pendant neuf mois au lieu de six, à se promener sur des modifications importantes, j'ai été amené à faire à mes travées vides ? collègues, dans le climat de travail qui est toujours le M. Lucien Neuwirth. Très bien ! nôtre, une réflexion que je vous livre. M. Jacques Larché rapporteur. Voulez-vous que nous Chacun appréciera les risques que comporte pour l'ave- contribuions ainsi à la naissance et au développement nir la réforme référendum. Nous savons tous que, d'une tendance à l'antiparlementarisme trop facile à dans l'immédiat, la plus haute autorité de l'Etat n'en fera entretenir ? pas un usage qui serait contraire à nos principes constitu- Mes chers collègues, je vous le rappelle, nous avions tionnels. Dans les trois ans à venir, y recourra-t-on de modifié notre règlement dans le sens de cette modernisa- façon fréquente ? tion, sur la base des remarquables travaux de. MM. Guy M. Jean-Luc Mélenchon. Evidemment, sinon pourquoi Allouche, Gérard Larcher et Henri de Raincourt, aux- faire cette réforme ? 1328 SÉNAT — SÉANCE DU 24 JUILLET 1995
M. Jacques Larché, rapporteur. Je laisse, moi, la ques- dont dispose le Président de la République par tion en suspens. l'article 11 ; d'autre part, modifier la durée des sessions En revanche, la session parlementaire ordinaire unique parlementaires afin de nous permettre d'exercer différem- de neuf mois telle qu'elle nous est proposée modifie 1 un ment notre double mission, qui est de légiférer et de des équilibres essentiels de la Constitution et rompt avec contrôler. le souci qu'avaient eu les constituants de faciliter le travail J'ai entendu ici ou là certains dire qu'il y avait plus gouvernemental. urgent à faire, à l'heure où le pays connaît de redoutables Cette session ainsi allongée constituera la trame même difficultés. de la vie parlementaire, qui nous concerne tous. C'est précisément parce que les temps sont difficiles et La commission a jugé que la concomitance des deux les problèmes complexes qu'il me paraît prioritaire et réformes, concomitance dans laquelle d'aucuns n'ont pas urgent de donner à la fois au Président de la République manqué de déceler un certain paradoxe, était acceptable et au Parlement les moyens d'agir et de légiférer autre- sous les réserves que je vous ai indiquées et qui, pour cer- ment. tains d'entre nous, membres loyaux d'une majorité plura- Il me paraît clair que différer un tel projet, c'est liste, sont de première importance. l'enterrer. N'est-ce pas au début d'un septennat qu'il faut Nous sommes réunis, non pour tenter de nous imposer permettre un autre débat directement avec le peuple ? des points de vue divergents, mais pour rechercher entre N'est-ce pas également tout de suite qu'il faut enfin don- nous d'abord - c'est ce que nous avons fait au sein de la ner au Parlement français les moyens d'une action plus commission - avec le Gouvernement maintenant et, efficace, aux procédures renouvelées et plus crédibles ? demain, avec l'autre chambre, les conciliations nécessaires. C'est maintenant ou jamais qu'il faut aborder cette loi, C'est à cette recherche que votre commission s'est atta- à mon sens novatrice. chée, et c'est, mes chers collègues, le résultat de cette M. Josselin de Rohan. Très bien ! recherche qu'elle vous demande d'approuver. (Applau- dissements sur les travées des Républicains et Indépendants, M. Paul Masson. C'est avec détermination que nous du RPR et de l'Union centriste, ainsi que certaines travées suivrons aujourd'hui ce chemin. du RDE.) La réforme que vous nous proposez est importante mais elle est limitée, vous l'avez vous-même souligné, M. le président. J'indique au Sénat que, compte tenu monsieur le garde des sceaux. de l'organisation du débat décidée par la conférence des présidents, les temps de parole dont disposent les groupes Elle est importante parce qu'elle s'inspire uniquement pour cette discussion sont les suivants de l'article 3 de la Constitution : « La souveraineté natio- nale appartient au peuple qui l'exerce par ses représen- Groupe du Rassemblement pour la République : tants et par la voie du référendum. » 78 minutes ; Elle est limitée parce que nous devons nous garder de Groupe socialiste : 64 minutes ; compromettre les grands équilibres de notre loi fonda- Groupe de l'Union centriste : 61 minutes ; mentale. Groupe des Républicains et Indépendants : Il me paraît opportun de rappeler, en cet instant, que 53 minutes ; cette constitution, approuvée massivement par le peuple Groupe du Rassemblement démocratique et européen : français, a fait ses preuves depuis trente-six ans dans tous 41 minutes ; les cas de figure que notre vie publique a pu connaître. Groupe communiste : 34 minutes ; On la disait à l'époque taillée à la mesure du général Réunion administrative des sénateurs ne figurant sur la de Gaulle. Le Président Mitterrand a, grâce à elle, pen- liste d'aucun groupe : 29 minutes. dant quatorze ans, assuré, par son arbitrage personnel, le Dans la suite de la discussion générale, la parole est à fonctionnement régulier des pouvoirs publics et la conti- M. Masson. nuité de l'Etat. Mme Hélène Luc. Et M. Habert ? Il est inscrit avant On la disait également conçue au seul usage de la M. Masson dans la discussion générale. majorité d'alors. Elle a, pendant deux législatures, permis M. Michel Dreyfus-Schmidt. Il veut toujours parler en l'alternance ; pendant deux cohabitations, le Gouverne- dernier ! ment a gouverné sans crispation excessive et sans blocage majeur. Mme Hélène Luc. De toute manière, il n'est pas là ! On a souvent dit que le référendum était d'essence plé- M. le président. Mes chers collègues, c'est à la biscitaire, qu'il risquait de conduire au pouvoir personnel demande de M. Habert que je donne maintenant la et qu'il n'avait plus sa place dans une démocratie parole à M. Masson. (M Michel Dreyfus-Schmidt proteste.) moderne. Or, seul l'usage du référendum a permis à ce M. Josselin de Rohan.• Allons, cher collègue vice- pays de trouver une issue nationale à des situations diffi- président, ne compliquez pas la tâche du président du ciles, voire dramatiques. Sénat ! Je rappelle le référendum de 1962 sur l'Algérie, ou Mme Hélène Luc. Que M. Habert ne s'incrive pas, encore le référendum sur la Nouvelle-Calédonie. Je rap- dans ces conditions ! C'est toujours pareil ! pelle la consultation populaire sur la ratification du traité M. le président. La parole est à M. Masson, et à lui de Maastricht, qui est dans tous les esprits. seul ! M. Emmanuel Hemel. Funeste ratification !
M. Paul Masson. Monsieur le garde ' des sceaux, vous M. Paul Masson. Qui peut dire aujourd'hui que la nous avez décrit sans la moindre ambiguïté les ambitions consultation directe du peuple, en ces moments impor- de la réforme constitutionnelle que le Gouvernement sou- tants de notre vie nationale, n'était pas une impérative met aujourd'hui au Sénat. nécessité ? Les deux objectifs du projet de loi sont clairs : d'une Ces grands équilibres constitutionnels organisent, avec part, impliquer davantage les Français dans les affaires du beaucoup de subtilité et une grande efficacité, les rapports pays en élargissant le champ d'application du référendum entre le Président de la République et le peuple français, SÉNAT — SÉANCE DU 24 JUILLET 1995 1329
entre le Président de la République et le Gouvernement, permettra de renouveler le Parlement. N'est-ce pas là une entre le Gouvernement et les assemblées. Nous ne devons pratique dont l'importance stratégique dépasse largement modifier ces dispositions, qui ont aujourd'hui fait leurs notre pratique référendaire ? preuves, qu'avec la plus grande prudence et dans la cir- M. Badinter lui-même, alors garde des sceaux, avait, conspection la plus attentive. Le groupe du RPR ne dès 1984, mesuré le côté désuet de ces préventions. Il pourrait cautionner, à cet égard, aucune disposition qui déclarait en effet ici même, le 7 août 1984 : « C'est cette conduirait à la moindre remise en cause de ce dispositif susceptibilité contre le référendum, nourrie aux sources d'ensemble. de l'histoire » - 1851 - « que nous souhaitons apaiser. Le Le projet de loi qui nous est soumis respecte ces équi- moment est venu de réconcilier tous les républicains avec libres. A partir du moment où le Gouvernement voulait le référendum. Le temps est venu où la France peut ten- permettre un meilleur exercice de la souveraineté natio- ter un usage raisonnable, démocratique et plus large de nale par le peuple, il fallait simultanément, élargir la cette procédure, en la mettant précisément au service des capacité d'expression du peuple français grâce à l'article 11 libertés. Comment concevoir qu'un président élu par les et faciliter une meilleure organisation du travail de ses Français demande aux Français de réduire ou de détruire représentants. eux-mêmes les garanties des libertés publiques sans Donner seulement plus de capacités au Parlement lesquelles leurs libertés disparaîtraient ? » aurait, sans aucun doute, affaibli l'usage référendaire, qui M. Guy Allouche. Comme il avait raison ! risquait de tomber en désuétude. Le rôle éminent du Pré- sident de la République, défini à l'article 5 de la Consti- M. Paul Masson. Ce qui était vrai pour M. Mitterrand tution, aurait été par là même compromis. en 1984 l'est également pour M. Chirac en 1995 ! En revanche, modifier simplement l'article 11 en élar- M. Jacques Toubon, garde des sceaux. On peut l'espé- gissant l'usage référendaire sans dégager parallèlement le rer! Parlement des contraintes actuelles que lui impose le sys- M. Marc Lauriol. C'est évident ! tème des deux sessions de trois mois aurait manifestement affaibli le rôle de nos deux assemblées et, par voie de M. Lucien Neuwirth. Très bien ! conséquence, le crédit qu'elles gardent encore chez la plu- M. Paul Masson. Aujourd'hui, le Président de la part de nos concitoyens. République et le Gouvernement ne vous en demandent Il fallait donc explorer simultanément les deux voies pas tant ! Il s'agit non pas d'élargir le champ référendaire par lesquelles, institutionnellement, le peuple s'exprime de l'article 11 aux garanties fondamentales des libertés afin de maintenir, en cette matière particulièrement publiques, mais simplement de permettre au peuple de se importante, les équilibres auxquels nous tenons absolu- prononcer directement sur des réformes relatives aux ment. domaines économiques et sociaux, à l'exclusion précisé- La philosophie même du projet de loi qui nous est ment de toutes les matières concernant les libertés soumis nous convient puisqu'elle répond au double impé- publiques, dès lors qu'elles ne constituent pas une orien- ratif suivant : d'une part, accroître la capacité de l'inter- tation de politique économique ou sociale. Sont ainsi vention populaire dans notre démocratie parlementaire ; exclus du champ du référendum - M. le garde des sceaux d'autre part, ne pas rompre la judicieuse construction l'a rappelé devant la commission des lois - le code pénal, constitutionnelle qui, depuis trente-six ans, a démontré le droit civil, les prérogatives de police, la politique de dans tous les cas de figure sa force, sa souplesse et son défense, le fonctionnement de la justice. Le rapport de efficacité. M. Jacques Larché cite d'ailleurs à cet égard des exemples très précis. Evoquons d'abord l'article 11 de la Constitution. Le débat théorique sur le caractère antidémocratique L'idée d'élargir le champ référendaire n'est pas nou- du projet de loi me paraît donc aujourd'hui un peu. velle. M. Chirac l'a exposée avec continuité depuis des dépassé ! Ce texte est en effet beaucoup moins ambitieux, années et l'a développée amplement durant la campagne en matière référendaire, que le projet de loi défendu en présidentielle. 1984 par M. Badinter. Il reste totalement dans l'esprit de Certains restent convaincus que le référendum est une la Constitution. A cet égard, le groupe du Rassemble- pratique peu démocratique, même s'il est inscrit dans ment pour la République le soutiendra. (Applaudissements notre loi fondamentale, comme il l'était déjà, d'ailleurs sur les travées du RPR.) - faut-il le rappeler ? - dans le texte de la constitution de Observons encore que le projet de modification de 1946. Je ne partage pas ces craintes. l'article 11 respecte la procédure référendaire telle qu'elle Le Président de la République est seul en mesure de est pratiquée sous la Vc République : pour qu'il y ait texte mettre en marche la procédure référendaire : il est maître de loi référendaire, il faut que le Gouvernement présente de la question, il choisit sa date. Cela signifie qu'il est un projet de loi ou que les deux assemblées élaborent détenteur d'une capacité de stratégie politique. conjointement une proposition de loi. Le rôle qui est dévolu au Président de la République A l'évidence - nous en avons déjà fait l'expérience - le par l'article 5 de la Constitution justifie pleinement cette Président de la République ne pourra, pas plus demain maîtrise de la stratégie politique : le Président de la qu'il ne le pouvait hier, utiliser son pouvoir référendaire République étant garant de l'indépendance nationale, de sans l'accord du Gouvernement. Cela a d'ailleurs été l'intégrité du territoire, du respect des traités, et devant prouvé entre 1986 et 1988, puis entre 1993 et 1995 : assurer, par son arbitrage, la continuité de l'Etat, il paraît M. François Mitterrand ne pouvait utiliser l'article 11 difficile de lui contester la capacité d'apprécier le moment qu'avec l'accord respectivement de M. Chirac ou de où il doit saisir le peuple et la forme de la question qu'il M. Balladur. Cet accord n'a jamais été demandé parce lui pose. qu'il n'aurait bien entendu pas été donné. Après tout, le Premier ministre de Sa Majesté britan- De même demeure inchangée la nature référendaire. Le nique choisit, à la fin de chaque législature, la date à référendum reste une prérogative présidentielle. Il n'y a laquelle la consultation générale du peuple britannique pas de référendum d'initiative populaire. On peut, à cet 1330 SÉNAT — SÉANCE DU 24 JUILLET 1995
égard, longuement argumenter ; ce n'est pas, en tout cas, lisme que seuls viennent troubler les sondages d'opinion, dans la situation que traverse actuellement le pays que comme nous en avons connu un certain nombre depuis l'on peut ouvrir cet autre débat. quelques années. Certains ont fait valoir que le nouvel article 11 était Mais le risque inhérent à toute consultation démocra- conçu en termes généraux. Fallait-il s'en tenir à une énu- tique sera alors amplifié. Le Président de la République mération technique, sèche et fatalement exhaustive ? Per- ne devra pas se tromper quand il choisira la voie référen- sonnellement, je ne le pense pas. Le texte aurait eu alors daire. De même, le Gouvernement qui le soutient et le l'aspect d'un catalogue, peu propice à un énoncé clair et Parlement, dans son débat préalable, ne devront pas non simple de la réforme proposée : les lignes directrices n'ap- plus commettre d'erreur. paraîtraient plus dans la clarté, le peuple serait tenté de se Je suis donc favorable à ce que le projet de loi, tel qu'il détourner d une proposition aux allures technocratiques, nous est transmis par l'Assemblée nationale, soit modifié et le débat national n'aurait pas eu la même ampleur. par voie d'amendement, sous réserve de deux conditions. Je préfère donc le projet gouvernemental, qui permet D'une part, le débat ne doit pas donner lieu à un au Président de la République de oser une questioh sans vote ; à cet égard, la position de la commission des lois caractère normatif mais à partir dû n projet de loi précis, nous satisfait. qui interdit toute ambiguïté dans la réponse. D'autre part, aucune loi organique ne devra déterminer La commission des lois propose au Sénat de modifier les modalités d'application de l'article 11. En effet, tout substantiellement le projet de loi adopté par l'Assemblée vote implique une appréciation majoritaire portée sur un nationale. acte que le Président de la République doit assumer seul, Elle su4:ère tout d'abord d'associer le Parlement à la et toute loi organique suppose l'intervention du Parle- procédure par le biais d'un débat préalable. La majorité ment et le contrôle du Conseil constitutionnel. du groupe du RPR approuve le principe de ce débat dès Par cette procédure, nous verrions le pouvoir du Pré- lors qu'il ne débouche pas sur un vote. Nous considérons sident de la République discuté sur un point où il en effet qu'il serait anormal - vous l'avez d'ailleurs dit, détient, de par la volonté populaire, une initiative sans monsieur le rapporteur - que seul le Parlement soit tenu partage. Le verrouillage ainsi assuré dénaturerait notre loi à l'écart d'un débat où, par médias et sondages inter- fondamentale en rompant l'actuel équilibre constitution- posés, chaque groupe socio-professionnel notamment nel. serait sollicité. L'article 11 et l'article 89 sont les deux éléments Le texte proposé par la commission des lois permettrait cofondateurs de la répartition des pouvoirs entre le Pré- également le débat sur un projet ayant pour objet l'orga- sident de la République et le Parlement. Toute intrusion nisation des pouvoirs publics, prérogative actuelle du seul du Parlement ou du Conseil constitutionnel dans le Président de la République et jusqu'ici non soumise au mécanisme de l'article 11 romprait ce partage de respon- débat. Ainsi, le projet de loi portant sur l'élection du Pré- sabilités... sident de la République au suffrage universel et soumis au référendum en 1962 aurait fait l'objet d'un débat préa- M. Roger Chinaud. Tout à fait ! lable au Parlement. La modification proposée n'est donc M. Paul Masson... et l'on pourrait alors aboutir au pas neutre. Par conséquent, le roupe du RPR réservera paradoxe absolu selon lequel le peuple ne pourrait être sa réponse sur ce point jusqu à la conclusion de nos consulté directement qu'avec l'accord de ceux qui en sont échanges. les délégués. (Applaudissements sur les travées du RPR.) Enfin, la commission propose au Sénat de supprimer M. Jacques Genton. Très bien ! toute référence à la notion de service public, tout en ajoutant les réformes relatives à la politique éducative, et M. Paul Masson. Manifestement, l'équilibre prévu par ce dans un souci d'élargissement du champ référendaire. l'article 3 de notre Constitution serait alors rompu. Et, Il y a donc là, à la fois, élargisseMent du champ du réfé- cela, nous ne l'accepterons jamais. (Très bien ! sur les tra- rendum et restriction de la formulation de la question. vées du RPR.) Une réforme relative à la politique éducative pourra-t-elle J'ai déjà souligné l'obligation d'équilibre qui s'impose à concerner le service public de l'éducation nationale ? Oui, ce projet de révision. Dès lors que le champ référendaire nous dit M. le rapporteur ; non, déclare M. le garde des de l'article 11 est élargi, il importe d'introduire simulta- sceaux. Il faudra en débattre ! nément une modification de l'article 28, qui fixe la durée Sur ce point, un certain nombre de mes amis et moi- des sessions du Parlement. même attendons avec attention les réactions du Gouver- Cette réforme paraît à la majorité du groupe RPR aussi nement et les précisions de M. le rapporteur. Nous importante que celle de l'article 11. Nous sommes nom- sommes plusieurs à penser que la référence à l'organisa- breux, sur les travées de cette assemblée, à déplorer les tion des services publics n'ajoute pas grand-chose au texte conditions dans lesquelles le Parlement exerce ses respon- et pourrait conduire à exégèse et à confusion dans un sabilités. débatpopulaire. Nous sommes donc favorables à une De nombreuses tentatives de modification ont été simplification de la rédaction, mais nous attendons du engagées dans la plupart des groupes et par le biais de débat une clarification sur ce point. notre règlement. Elles se sont toutes heurtées à un obs- Dois-je souligner, pour en finir sur ce sujet, que tout tacle incontournable sans modification constitutionnelle. référendum comporte aujourd'hui un risque de « surmé- Cet obstacle, c'est la date butoir fixée quatre-vingts jours diatisation », point sur lequel M. le garde des sceaux a après l'ouverture de la session budgétaire, le 2 octobre, et d'ailleurs insisté ? qui, chaque année, marque la fin de cette session et le C'est, en fait, une question de confiance que le Pré- commencement de la longue intersession d'hiver. sident dela République pose directement au peuple. Il Dans son rapport, M. Jacques Larché examine longue- acceptera demain ce risque sur des sujets essentiels parce ment les raisons qui ont conduit, en 1958, le constituant qu'il voudra donner au pays une chance de surmonter, à ne prévoir que six mois de session, et il analyse objec- par l'expression directe de sa volonté, des blocages fonda- tivement les causes du lent dérèglement du système et ses mentaux, en évitant ainsi les longues périodes d'immobi- conséquences. SÉNAT — SÉANCE DU 24 JUILLET 1995 1331
Quelles en sont les causes ? En deux mots, la responsa- M. Marc Lauriol. C'est essentiel ! bilité gouvernementale dans l'inflation des textes, la M. Paul Masson. C'est pourquoi le groupe du RPR désorganisation de l'ordre du jour prioritaire, l'abus de la attache une grande importance à la plupart des modifica- procédure d'urgence avec, pour conséquence, la multi- tions adoptées, avec son soutien, par la majorité de la plication des séances de nuit, les travées vides, et, au bout commission. du compte, le discrédit de l'institution parlementaire avec son contrôle désuet, inopérant et en grande partie factice Ces modifications concernent notamment l'abaissement des activités gouvernementales mais aussi - combien de du nombre de jours de séances pendant la session unique, fois l'avons-nous réclamé ? - des activités de la Commis- la liberté d'initiative des assemblées, un jour par mois, sur sion de Bruxelles ou du Parlement de Strasbourg. les points qui leur paraissentopportuns - à ce sujet, monsieur le garde des sceaux, j'ai enregistré vos réserves, MM. Maurice Schumann et Josselin de Rohan. Très mais nous aurons l'occasion d'en débattre - et, enfin, la bien ! motion globale d'adoption ou de rejet d'un texte adopté M. Paul Masson. Sans doute la session de neuf mois ne par une commission, avec ses conséquences sur le droit sera-t-elle pas le remède absolu. Certains en voient même d'amendement prévu à l'article 44. les effets pervers,... C'est, il est vrai, un sujet important, et je sais qu'il y a M. Marcel Charmant. Surtout si l'on ne change pas le à cet égard des sensibilités différentes, même' au sein de reste ! notre groupe, car le droit d'amendement est un droit M. Paul Masson. ... qui peuvent conduire soit à un constitutionnel : le Conseil constitutionnel ne nous l'a-t-il retour au gouvernement d'assemblée, soit à une entrave à pas rappelé à l'occasion d'un projet de modification de l'exercice convenable de nos mandats locaux. notre règlement, présenté récemment par trois de nos Il est évident que nos travers traditionnels ne disparaî- éminents collègues ? tront pas au motif que nous siégerons trois mois de plus ! Si nous voulons réformer le droit d'amendement, nous La frénésie textuelle pourra trouver l'occasion de se déve- devons « donner de l'air » à nos assemblées et, pour ce lopper. Mais ce côté paroxysmique n'est-il pas lui-même faire, modifier légèrement la Constitution sur ce point. Il exacerbé par la brièveté de nos rencontres ? Et n'y s'agit, comme on l'a dit, de « mettre le pied dans la aurait-il pas quelque apaisement dans cette frénésie si la porte » et, ensuite, de réfléchir, par le biais d'une loi session était prolongée de trois mois ? organique, aux conditions dans lesquelles nous pouvons A l'opposé, le Parlement ne va-t-il pas profiter de ces entreprendre cette modification sans compromettre en trois mois supplémentaires pour harceler le pouvoir ? Ce rien l'exercice démocratique du droit d'amendement, à serait vrai - en tout cas, la tentation serait grande - si condition, bien sûr, que cet exercice soit efficace et nous touchions aux articles 19, 40, 44, 47 et 49 - 49-3, justifié. surtout - de la Constitution. Or tel n'est pas le cas, si ce Reste, enfin, le chapitre important qui concerne le n'est une adjonction à l'article 44, relatif au droit régime de l'inviolabilité parlementaire. d'amendement, dont nous aurons à débattre. Nous pensons, à cet égard, que l'allongement de la Mais le cumul des mandats, demandent certains, ne durée de la session ne justifie pas la remise en cause de va-t-il pas entraver nos ambitions ? Je ne le pense pas un l'un des éléments importants du statut des parlementaires. seul instant. En réalité, rien ne changera à cet égard. Je Je suis donc personnellement favorable à la reprise du connais bien des collègues responsables d'importants texte gouvernemental. La majorité de la commission des mandats locaux qui sont assidus à nos séances et lois a été plus loin sur ce point, en vous proposant la prennent souvent en charge des textes importants, sans reprise des dispositions actuellement en vigueur et en parler du travail des présidents de commission. Ceux-là incluant l'autorisation de poursuite dans le champ des seront toujours à la tâche ! J'en connais d'autres, qui ne délibérations de nos assemblées. Nous en débattrons à sont en charge de rien du tout, sauf de leur mandat. Ils l'occasion de l'examen des articles. ne seront pas plus présents sur nos travées qu'ils ne le Je crois, comme l'a dit M. le garde des sceaux, qu'il sont aujourd'hui ! faut respecter le double principe de l'égalité devant la loi Mme Hélène Luc. Il faut les obliger à venir ! - à cet égard, il serait clifficile, me semble-t-il, de faire M. Paul Masson. Nous savons tous que l'assiduité ne admettre que ce principe soit méconnu au détriment des relève pas du calendrier, mais de la conscience de chacun. parlementaires - et de l'inviolabilité de la protection des parlementaires. Nous devrions pouvoir trouver une voie M. Josselin de Rohan. Très bien ! moyenne grâce à une réflexion réciproque sur ce point ! M. Paul Masson. Je vois dans cette réforme impor- Tel quel, ce projet gouvernemental, amendé par la tante, à côté d'inconvénients que nous pouvons très vite commission des lois, recueille l'accord de la majorité du repérer, des avantages certains. groupe du RPR, qui le soutiendra par ses votes. J'en citerai trois. Sans doute existe-t-il chez nous certains éminents col- Tout d'abord, le contrôle exercé par le Parlement sur lègues qui présenteront leurs réserves, avec tout leur poids le Gouvernement sera plus constant. et toute leur autorité. Ensuite, je le répète, le contrôle des activités euro- Il est vrai qu'une session unique de neuf mois rompt péennes, tant celles de la Commission de Bruxelles que avec l'une des dispositions les plus caractéristiques de la celles du Parlement de Strasbourg, sera moins évanescent. Constitution de 1958. M. Marc Lauriol. Absolument ! Le cantonnement du domaine de la loi, exprimé par M. Paul Masson. Enfin, le Gouvernement sera obligé l'article 34, devait entraîner le Parlement à moins légifé- de mieux organiser son travail. rer, et donc à moins siéger. Or le fait majoritaire, qui est Il faut cependant souligner que ces avantages s'es- l'une des autres conséquences de l'application de notre tomperaient vite, les mauvaises habitudes l'emportant Constitution, a conduit les majorités successives à voter souvent sur les grandes idées, si nous ne saisissions pas pratiquement tous les projets de loi que leur proposaient l'occasion qui nous est offerte de moderniser les les gouvernements successifs. En définitive, ledit fait méthodes de travail du Parlement. majoritaire a conduit le Parlement à donner assez facile- 1332 SÉNAT — SÉANCE DU 24 JUILLET 1995
ment critus aux différents gouvernements, qu'ils soient possibilité de mieux répondre aux exigences de réforme et de droite ou de gauche, qui venaient lui présenter leurs aux impératifs de sécurité qu'imposent ces temps difficiles projets de loi. C'est ainsi que, involontairement, bien sûr, et incertains. a été combattu ce souci de moins légiférer, et donc de C'est pourquoi, monsieur le garde des sceaux, sous moins siéger, qui était le corollaire de la double session réserve de vos observations sur l'article 11, le groupe du de trois mois voulue par le constituant de 1958. RPR, dans sa grande majorité, votera le projet de loi qui Les responsabilités sont donc partagées ! nous est aujourd'hui soumis. (Applaudissements sur les tra- Certains peuvent déphirer cet état de fait et demander vées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union au Gouvernement plus de vigilance à cet égard. A centriste.) l'époque où nous sommes et compte tenu des exigences M. le président. La pàrole est à M. Lederman. d'une opinion exacerbée par la médiatisation des pro- M. Charles Lederman. Monsieur le président, monsieur blèmes, je ne crois pas que nous puissions revenir sur le garde des sceaux, mes chers collègues, les deux objectifs cette situation. Il faut donc en tirer les conséquences, sauf essentiels du projet de loi constitutionnelle qui nous est à tenir pour irréversible le discrédit croissant dont souffre soumis seraient de restaurer les droits du Parlement et notre Parlement. d'associer plus étroitement les Français aux grandes déci- En revanche, le croupe du RPR dans sa totalité s'op- sions politiques, économiques et sociales. poserait à toute initiative qui conduirait à saisir l'occasion Je veux d'emblée souligner avec insistance que les de cette réforme pour affaiblir l'autorité présidentielle, conditions dans lesquelles est examiné ce texte dont nous dont les responsabilités, issues de l'article 5, n'ont jamais allons débattre, texte qui touche aux rapports entre le été aussi grandes par les temps que nous vivons, à l'ex- pouvoir exécutif et le pouvoir législatif, sont en complète térieur comme à l'intérieur. contradiction avec les deux objectifs allégués. Ni le contrôle de l'usage de l'article 11 par le Parle- Une fois de plus, en effet, la précipitation avec laquelle ment ou par le Conseil constitutionnel, ni l'affaiblisse- le Gouvernement agit nuit très fortement au débat démo- ment des prérogatives gouvernementales par des modifica- cratique et rend difficile l'expression pluraliste. tions apportées aux articles 40, 47, 48 ou 49 ne Mercredi dernier, dans la soirée, nous avons entendu rencontreraient le moindre accord du groupe du RPR. M. Toubon, et c'est dès le lendemain, déjà, que nous Tel quel, le dispositif proposé ne nous paraît porter avons procédé à l'examen du rapport de la commission atteinte à aucun des équilibres fondamentaux de la des lois, laquelle n'a pu en conséquence procéder aux Constitution. auditions nécessaires - je pense notamment à celle des Les assemblées siégeront neuf mois, certes, mais le Pré- professeurs de droit. sident de la République disposera d'un champ élargi pour Le rapport de M. Jacques Larché, dont le simple saisir directement le peuple en vertu de l'article 11. Il y a exposé général est riche de 102 pages, a été mis en distri- équilibre, balance entre les deux changements. bution dans la journée de samedi, c'est-à-dire avant-hier. Le Parlement pourra engager un débat sans vote sur un Ce simple fait justifierait un report de la discussion projet référendaire concernant l'organisation des pouvoirs puisque des propositions de toute première importance publics, mais le référendum sera étendu à des matières sont avancées par la commission des lois, propositions sur non institutionnelles qui, en vertu de l'article 34, ressor- lesquelles je reviendrai. tissent à la compétence naturelle du Parlement. Il y a Lapreuve de la trop grande briéveté de ce laps de équilibre, balance. On débat préalablement - sans vote, temps, nous la trouvons dans le fait que le délai limite certes - mais, en même temps, le Président de la pour le dépôt des amendements a été fixé à cet après- République agit dans Je domaine non institutionnel et midi, dix-sept heures, ce qui signifie que la discussion dans celui de l'article 34. générale se déroule alors que nous n'avons pas encore connaissance de la totalité des amendements qui seront M. Guy Allouche. Eh oui ! déposés. M. Paul Masson. Oui, mais il y a balance, l'équilibre Nous ne pouvons pas accepter cette manière de procé- est maintenu ! der, d'autant que le thème du débat porte sur le nouveau La session unique de neuf mois permettra au Président souffle à donner... à qui ?... à l'institution parlementaire. de la République d'accroître les délais durant lesquels il Rapprocher le peuple de la politique est le second pourra arrêter un projet de loi référendaire, mais, en pé- objectif de ce texte, affirme-t-on. riode de cohabitation, il ne pourra, pas plus qu'au- Peut-on croire à la sincérité de ceux qui avancent cette jourd'hui, prendre la moindre initiative en matière de idée, alors qu'ils organisent un débat essentiel sur l'avenir référendum en vertu de l'article 11. La cohabitation, des institutions en catimini et, de plus, en période esti- demain, si elle doit intervenir, se déroulera comme celle vale, alors que chacun sait que l'attention de nos compa- d'hier, quelle que soit la durée de la session parle- triotes pendant les vacances n'est pas particulièrement mentaire. portée sur l'actualité législative, ni d'ailleurs sur l'actualité Enfin, les domaines des articles 11 et 89 de la Consti- politique en général ? tution et les procédures qu'elle génère resteront bien dis- Le devenir des institutions de la République devrait, à tincts et parfaitement complémentaires. notre sens, faire l'objet d'un grand débàt national. Il En définitive, cet important projet de loi nous paraît mériterait en tout cas un traitement tout autre que celui opportun dans son urgence, et substantiel sur le fond. Il que le Gouvernement nous propose, avec l'appui de sa ne compromet en rien les équilibres essentiels d'une majorité parlementaire, même si, au Sénat, ce soutien Constitution qui a fait ses preuves. Il permettra au Pré- apparaît quelquefois plus forcé qu'enthousiaste. sident de la République comme à nos assemblées de Pourquoi entreprendre une telle réforme ? mieux associer le peuple, par le référendum, ou par ses Un constat s'impose à tous. La crise de confiance entre représentants, à l'exercice de la souveraineté nationale. le peuple de notre pays et ceux qui en dirigent les Ainsi, chacun dans leurs compétences, le Président de la affaires, ou qui sont considérés comme les dirigeant, s'est République, le Gouvernement et le Parlement auront la accentuée depuis quelques années. SÉNAT — SÉANCE DU 24 JUILLET 1995 1333
C'est dans un contexte de dégradation de la situation excluant les amendements qui lui déplaisent, comme économique et sociale que sont survenues les multiples l'article 45, qui instaure la procédure d'urgence sut un affaires politico-financières qui ont terni l'idée même de texte, ou comme l'article 49-3, véritable « article guillo- politique, qui ont généré les slogans que nous connais- tine » qui permet au Gouvernement de couper court à un sons tous - « Tous pourris ! » - et qui, entre autres débat en mettant en cause sa responsabilité, engendre la choses, font le lit des dangereux démagogues du Front crise que nous connaissons aujourd'hui. national. L'utilisation abusive depuis quelques années de Les désillusions successives de ces quinze dernières l'article 49-3 a contribué à vider de son sens le débat par- années, le grand espoir déçu de 1981, la politique anti- lementaire et à susciter le désintérêt à l'égard du travail sociale de la droite au pouvoir, les dérives européennes des assemblées. • contribuent fortement à éloigner les Françaises et les Savez-vous que, de 1959 à 1981, l'article 49-3 a été Français du débat politique. brandi et employé dix-huit fois, alors que, de 1988 à Nous estimons que, sur le fond, il n'y aura pas d'autre 1992, il le fut trente-neuf fois ! voie pour régénérer la politique qu'une réponse positive aux espérances attendues sur le plan économique et L'actuel gouvernement n'a pas renoncé à utiliser ces social. armes antiparlementaires, puisque, lundi dernier, le 17 juillet, moins de deux mois après sa formation, il a Le Gouvernement doit, en conséquence, mesurer le imposé le vote bloqué sur la partie du projet de loi de risque important que comporte l'oubli progressif des pro- finances rectificative relative aux recettes. messes faites en matière de lutte contre le chômage et l'exclusion, de lutte contre les profiteurs, de lutte - pour Les promesses s'éloignent, mais les vieilles pratiques reprendre l'expression du candidat Jacques Chirac - ont la vie dure ! contre la « fracture sociale ». La Constitution de 1958 se caractérisait donc par la Il n'est donc pas possible de séparer le débat sur la volonté de restreindre le champ d'action du Parlement. démocratie - car c'est bien de cela que nous discutons Mais l'instauration en 1962 de l'élection au suffrage uni- aujourd'hui - du débat sur les conditions de vie des versel du Président de la République a définitivement Français. consacré la prédominance du pouvoir exécutif sur la Cette crise de confiance à l'égard de la politique trouve représentation nationale. Je reviendrai sur ce point dans également sa source dans l'abaissement du rôle du Parle- un instant. ment, reconnu par tous ou presque. La deuxième branche de la tenaille qui enserre le Parle- Je m'étonne à ce sujet de certaines formules à ment, c'est le Conseil constitutionnel. l'emporte-pièce, comme celle qui a été employée par le Cette institution, que nous avons toujours combattue, garde des sceaux, le 10 juillet dernier, 'devant les députés est composée de personnalités non élues, dépourvues quand il a déclaré ex abrupto : « Nous vivons désormais donc de toute légitimité populaire. Pourtant, elle peut une démocratie rassemblée autour de ses institutions ». faire la loi et la (défaire ! Un tel propos est en contradiction avec la réalité, ce Les constituants de 1958 ont ainsi introduit une dispo- que vous notez d'ailleurs vous-même, monsieur le garde sition qui bafoue en fait, et de manière incontestable, la des sceaux, puisque vous reconnaissez la nécessité de rap- souvenaineté populaire. procher le peuple des centres de décision. Rappelez-vous - c'est de circonstance car nous venons Le Parlement, représentant du peuple souverain, est en de débattre de la loi d'amnistie - comment le Conseil crise. Il se trouve, en effet, pris dans l'étau d'une tenaille constitutionnel a décidé - c'était une décision politique - à trois branches : domination de l'exécutif national, d'exclure de la réintégration les « dix de Billancourt ». contrôle du Conseil constitutionnel et, enfin, tutelle de plus en plus lourde de l'exécutif européen. On devrait sourire en constatant que le Gouvernement se bat avec acharnement pour refuser le contrôle de Les pouvoirs conférés au Président de la République constitutionnalité des projets référendaires émanant du par les constituants de 1958 assuraient la domination du Président de la République alors qu'il l'accepte pleine- pouvoir exécutif sur le législatif. ment quand il s'agit de contrôler l'activité législative. La doctrine expliquait que ce régime n'était pas un régime présidentiel mais simplement un régime présiden- La troisième branche de la tenaille, c'est l'exécutif tialiste, parce que le Gouvernement restait responsable européen, dont le pouvoir a été étendu et renforcé par le devant le Parlement. traité de Maastricht. Cette responsabilité gouvernementale, dont M. Michel Quelle est la place faite aux parlements nationaux dans Debré était l'initiateur, a changé de nature. les prises de décision qui concernent bien souvent l'avenir M. Pierre Avril, professeur de droit, fournit sur ce des pays concernés, les grands principes qui les dirigent ? point une analyse qui m'apparaît fort pertinente : « La Elle est minime, et chaque parlementaire constate l'ava- décadence de la représentation nationale a pour cause lanche de propositions, de directives ou d'actes commu- profonde l'effacement de la responsabilité parlementaire nautaires de tous ordres qui, chaque mois, proviennent de du Gouvernement, que sa responsabilité devant le Pré- la Commission de Bruxelles. sident de la Républi9ue a fini par complètement escamo- Le déficit démocratique, dénoncé par tous, ou presque, ter, plaçant ainsi 1 édifice constitutionnel en porte-à- voilà trois ans, n'a pas été comblé, loin s'en faut. Il s est faux ». même accentué. Les sénateurs communistes estiment Cette évolution, associée aux dispositions de la Consti- donc qu'il faut considérer comme une priorité absolue tution qui musèlent le Parlement, comme les articles 34 l'intégration dans notre Constitution d'une dispositioh, et 37, qui privilégient le domaine du règlement par rap- permettant un contrôle réel, effectif, des décisions euro- port au domaine de la loi, comme l'article 40, qui réserve péennes. l'initiative budgétaire au Gouvernement, comme Cette initiative ne réglerait pas, bien entendu, le pro- l'article 44, qui permet au Gouvernement de demander blème mg le fond, car c'est la nature même de cette un vote bloqué sur un texte ou sur une partie de texte en construction européenne, celle de Maastricht, qui est 1334 SÉNAT — SÉANCE DU 24 JUILLET 1995
antidémocratique mais elle permettrait d'établir un rem- sur « des réformes relatives à la politique économique et part contre les dérives actuelles ; je vous ferai part dans sociale de la nation », « sur les règles fondamentales de un instant de notre proposition à ce sujet. l'organisation et du fonctionnement des services publics ». Une tenaille d'une redoutable efficacité tient donc le C'est une grande part du domaine législatif défini par Parlement. Les sénateurs communistes estiment que seule l'article 34 de la Constitution qui entre ainsi dans le une orientation audacieuse, visant à desserrer l'étau, per- champ référendaire du Président de la République. mettra de rééquilibrer nos institutions, de donner la pos- Des questions aussi importantes que le droit de grève, sibilité au peuple de reprendre la place qui doit être la les privatisations, le devenir de l'école publique, pourront sienne dans le débat politique. être soumises directement au référendum par le Président La cadre actuel de la Cohstitution de 1958 n'offre pas de la République, sous forme d'une question forcément la possibilité d'un renouveau de la vie démocratique dans simplifiée, sinon simpliste, sans débat contradictoire et notre pays. sans contrôle de conformité aux valeurs constitution- Je l'affirmais voilà quelques instants, l'éleciion dw Pré- nelles, au valeurs républicaines. sident de la République au suffrage universel est devenue Mme Hélène Luc. Très bien ! la clef de voûte de notre édifice institutionnel. Or nous M. Charles Lederman. Est-ce bien la démocratie que avons pu constater, à l'occasion de la récente campagne de demander à la population de se prononcer par oui ou présidentielle, un véritable dévoiement du suffrage univer- par non sur des questions de société qui peuvent être sel. fondamentales ? Le rôle des médias télévisés doit être aujourd'hui pesé, Faut-il rappeler que Louis-Napoléon Bonaparte avait analysé et remis en question. En effet, l'alliance d'une fait du référendum son outil favori de gouvernement ? Le Constitution organisée pour mettre en avant une person- Second Empire - je pose la question à mes collègues - nalité, et une seule, le chef de l'Etat, et la télévision, qui était-il donc un modèle de démocratie ? personnalise à outrance le débat, dénature la démocratie. Qu'appelle-t-on « réformes relatives à la politique L'avalanche de sondages, l'absence de débat avant le économique et sociale de la nation » ? Ces termes, très premier tour, le culte des petites phrases, ont petit à petit flous, ne recouvrent aucun contenu juridique précis. clésorienté l'électorat. Outre les questions évoquées ci-dessus, qui peut garan- Le phénomène médiatique, allié au mode de scrutin tir que, demain, un Président de la République ne pré- majoritaire à deux tours, favorise la bipolarisation de la tendra pas que la politique d'immigration constitue un vie politique et gène considérablement l'expression du élément de la politique sociale de la nation ? pluralisme. Je dois noter d'ailleurs que M. le garde des sceaux, L'élection au suffrage universel du Président de la lorsqu'il argumente sur le référendum, ne se situe jamais République confère donc à ce dernier une prédominance dans une perspective à long terme et qu'il raisonne au vu dans la vie politique, au détriment du Parlement. de la situation actuelle. Une' réforme en profondeur de nos institutions, qui, N'oublions pas, mes chers collègues, que, lorsqu'on seule, peut rééquilibrer les pouvoirs, doit tendre, selon légifère, surtout en matière constitutionnelle, on le fait nous, à la suppression du mode actuel de désignation du pour plusieurs années, voire plusieurs décennies. chef de l'Etat. Accepter le risque de la tentation plébiscitaire peut ne Nous ne proposerons pas, à l'occasion de cette dis- pas être particulièrement dangereux aujourd'hui. Mais cussion, un projet constitutionnel. Nous déposerons un qu'en sera-t-il demain ? certain nombre d'amendements visant les articles les plus L'attitude de la majorité de la commission des lois, qui contraignants, au quotidien, pour le Parlement. s'inquiète de l'extension du champ référendaire, est inté- Le Gouvernement présente un projet de loi qui va à ressante. Malheureusement, cette critique reste bien for- l'encontre, en tous points ou presque, de l'objectif affi- melle et ne se traduit que par des amendements que nous ché, c'est-à-dire le redressement du Parlement. Ce texte jugeons insuffisants. accentue encore le déséquilibre existant. Monsieur le rapporteur, nous approuvons la suppres- Vos propos, monsieur le rapporteur, vont dans ce sens, sion que vous proposez de la référence aux services si j'ai bien compris, puisque, en évoquant dans votre rap- publics comme thème de référendum. Mais pourquoi port écrit le référendum, vous indiquez : « Le projet de accepter le maintien de la référence à la politique écono- révision modifie cet équilibre en privilégiant le référen- mique et sociale, notion extrêmement ambiguë, qui, de dum comme mode d'expression de la souveraineté natio- toute évidence, peut inclure un certain nombre de ques- nale pour une part importante des textes législatifs. » tions ayant trait aux services publics, comme, je le répète, L'élargissement du champ d'application du référendum le droit de grève ou les privatisations ? d'initiative présidentielle prévu à l'article 11 de la Consti- Le fait de réinsérer, comme vous le proposez, l'éduca- tution est le premier point important du projet de loi. tion dans les thèmes de référendum possibles n'augure Vous utilisez même, monsieur le rapporteur, les termes selon nous rien de bon lorsque l'on connaît l'acharne- d'« élargissement considérable » et vous évoquez les ment de la droite à remettre en cause l'école publique. risques de dérive plébiscitaire grâce à l'utilisation du réfé- (Très bien ! sur les travées socialistes.) rendum personnalisé. Comme vous, nous approuvons la proposition tendant à organiser au Parlement un débat préalable sur la ques- M. Jean-Luc Mélenchon. Bien sûr ! tion référendaire. M. Charles Lederman. Nous apprécions cette analyse, Je tiens toutefois à rappeler - cela a déjà été fait - qu'il d'autant que nous l'avons faite nôtre depuis 1958 et que est prévu, dans l'article 11 - de manière subtile, il faut le nous la développons depuis l'annonce du texte gouverne- reconnaître - une possibilité d'opposition de l'Assemblée mental. nationale. Celle-ci pourrait s'exprimer par le vote d'une Ce dernier, même modifié par l'Assemblée nationale, censure,puisque l'article 11 dispose explicitement que le est sans équivoque. Le référendum pourra porter non seu- référendum doit être décidé durant les sessions parle- lement sur l'organisation des pouvoirs publics, mais aussi mentaires. SÉNAT — SÉANCE DU, 24 JUILLET 1995 1335
La proposition de la commission des lois offre le M. Charles Lederman. Certains nous accuseront bien mérite d'associer les deux chambres à ce débat préalable vite de craindre le peuple. Ce serait oublier que nous pro- et d'en inscrire le principe dans la Constitution. posons une démarche radicalenient opposée à celle du Mais nous estimons Glue cette proposition ne remet pas projet, c'est-à-dire l'introduction dans la Constitution de en cause sur le fond 1« élargissement considérable » du l'initiative référendaire pour le peuple, initiative stricte- champ référendaire évoqué par M. Larché. ment encadrée par les principes constitutionnels pour évi- Tout d'abord, l'absence de vote peut rapidement enta- ter certaines dérives démagogiques inévitables. Quelle sera cher cette procédure d'un certain formalisme. Nous pro- votre attitude sur ce qui serait une véritable innovation poserons, par amendement, d'accompagner ce débat d'un démocratique ? vote des deux assemblées. L'instauration de la session unique constitue la deuxième question importante du projet de loi. M. Jean-Luc Mélenchon. Et voilà ! Plus nous examinons le texte, même amendé par M. Charles Lederman. Ensuite, le texte de la commis- l'Assemblée nationale, plus nous estimons qu'il s'agit sion des lois ne résout pas le problème de la constitution- d'une véritable caricature. On veut permettre au Parle- nalité des questions posées. Cela s'avère pourtant indis- ment de mieux travailler et de mieux contrôler l'activité pensable au vu de l'extension des sujets qui peuvent être gouvernementale et, dans le même temps, on propose de abordés. réduire le nombre des jours de séances par rapport à la Nous ne proposons pas que le Conseil constitutionnel situation actuelle. soit saisi. Nous suggérons, par la voie d'un second amen- Nous estimons que ce nombre ne doit pas , être fixé dement, que les assemblées se prononcent spécifiquement dans la Constitution. C'est en effet 'au Parlement de déci- sur la constitutionnalité du texte proposé par le Président der du temps nécessaire à son travail, selon les besoins du de la République. moment. Refuser ces deux propositions signifierait, selon nous, Le Gouvernement proposait cent cinquante jours, ce accepter de fait le renforcement de la puissance et de la qui était déjà inférieur au chiffre actuel. L'Assemblée prépondérance présidentielle. nationale a tranché pour cent trente jours. La majorité de Une telle attitude de la majorité sénatoriale serait éton- la commission des lois du Sénat propose, quant à elle, nante alors que, voilà onze ans - c'était, rappelez-vous, au cent vingt jours. mois d'août 1984 - le Sénat repoussait, par le vote d'une Cette volonté de réduire la possibilité de réunion du question préalable émanant de la commission des lois, la Parlement en séance publique, à l'exception de séances proposition d'extension du référendum présidentiel pré- extraordinaires décidées par le Gouvernement, n'est pas sent& par François Mitterrand. étonnante lorsque l'on découvre que M. Larché, soutenu Evoquant la proposition du chef de l'Etat d'alors, par la majorité de la commission des lois, présente à nou- Charles Pasqua déclarait, le 7 août 1984 : « Un Président veau sa proposition de suppression de la discussion des de la République peu soucieux des règles démocratiques amendements en séance publique. pourrait donc, à la faveur d'une question ambiguë ou en Inscrire une telle disposition dans la Constitution serait profitant de circonstances exceptionnelles, faire adopter en totale contradiction avec un principe constitutionnel des lois portant atteinte à des libertés fondamentales. » reconnu : le droit d'amendement. M. Michel Charasse. Quelle conscience ! Mme Hélène Luc. Très bien ! M. Charles Lederman. Je ne parle pas du Pasqua M. Charles Lederman. Il faut se rappeler que, déjà, d'aujourd'hui, ... en 1990, le Conseil constitutionnel avait déclaré non M. Emmanuel Hemel. Il est toujours le même : c'est conforme à la Constitution une proposition similaire de un homme remarquable ! la majorité sénatoriale en rappelant la contradiction qu'elle contenait avec le droit d'amendement. M. Charles Lederman. ... dont certains peuvent penser Les sénateurs communistes et apparenté s'élèvent avec ce qu'ils veulent. Je parle du Pasqua qui était à l'époque force contre la proposition de la commission parce qu'elle président du groupe du RPR dans cette assemblée. met en cause le droit des minorités. En effet, une fois un M. Guy Allouche. Il en a dit d'autres ! am'endement repoussé en commission, il ne pourrait plus être présenté en séance publique. Que resterait-il du droit M. Charles Lederman. Cela avait alors une résonance de chaque parlementaire de déposer sur tout sujet un particulière étant donné l'importance numérique du amendement et de le soutenir ? groupe du RPR au sein de la Haute Assemblée. Je vous pose une question d'actualité : aurait-il été pos- M. Pasqua pensait alors au long terme, c'est vrai. sible, dans ces conditions, de faire échec à l'amendement A cette même époque, M. Etienne Dailly, notre ancien de M. Bonnet et consorts qui permettait, dois-je le rappe- collègue aujourd'hui membre du Conseil constitutionnel, ler, l'amnistie des commandos anti-IVG ? Certainement tempêtait en défendant comme .rapporteur la question pas ! préalable : « On voudrait que nous acceptions une révi- sion constitutionnelle follement dangereuse, qui n'accroît Mme Hélène Luc. C'est un bon exemple ! aucune des libertés des citoyens mais qui élargit démesu- M. Charles Lederman. Il apparaît particulièrement rément les pouvoirs des présidents de la République en antidémocratique et attentatoire à la souveraineté popu- fonction ou à venir ! » laire de circonscrire le débat aux salons feutrés des M. Guy Mouche. Et il était applaudi ! commissions, où, au surplus, seuls peuvent intervenir et discuter les membres desdites commissions, hors la pré- M. Charles Lederman. La virulence, on le constate, sence et sans l'avis du Gouvernement. n'est plus de mise puisque, aujourd'hui, la majorité séna- Je m'étonne que M. le rapporteur ait avancé l'argu- toriale accepte le principe et le risque du renforcement ment selon lequel, quand les caméras sont présentes des prérogatives présidentielles. tranquillisez-vous, monsieur le rapporteur, elles ne sont M. Michel Charasse. C'est exact ! pas là aujourd'hui ! - elles filment des travées vides. Je le 1336 SÉNAT — SÉANCE DU 24 JUILLET 1995
regrette comme vous, mais ce n'est pas pour autant que M. Séguin ajoutait : « Il est nécessaire que, pour toutes j'accepterai que personne ne puisse voir ni entendre ce les matières qui relèvent du domaine législatif, aucune qui se passe au sein des commissions qui seraient saisies, 'mesure ne puisse être introduite dans le droit interne sans si jamais - ce qu'à Dieu ne plaise ! -' votre proposition qu'une loi l'autorise expressément ; de même qu'aucune était adoptée. contribution ne doit pouvoir être versée par la France Nous aurons le loisir, à l'occasion de la discussion de sans l'autorisation du Parlement français. » l'amendement en question, de détailler plus encore les Ce projet de révision constitutionnelle apparaît donc raisons de notre opposition vigoureuse à cette proposition comme dangereux. dangereuse, qui, si elle était adoptée, porterait un coup Avant de conclure, je souhaite rappeler l'attitude grave à l'idée même de débat parlementaire. constante des sénateurs communistes à l'égard de l'immu- Je note d'ores et déjà que les propos de M. le garde nité parlementaire. des sceaux à ce sujet me donnent satisfaction, et large- Nous estimons que l'indépendance des élus, le libre ment. exercice de leur mandat est la raison profonde qui a Je veux maintenant parler de l'exigence de l'instaura- motivé les révolutionnaires de 1789 lors de l'instauration tion de la session unique. de ce statut. Nous proposerons, le moment venu, une série de Faire la loi, voter et décider de la politique de la mesures pour revivifier le fonctionnement des assemblées, nation sont des actes d'exception, qui imposent d'écarter en l'occurrence du Sénat. les pressions éventuelles de l'exécutif sur les parle- mentaires. C'est l'une des conditions premières de Je rappelle que l'une des raisons avancées pour pro- rexer- cice de la démocratie. Il s'agit d'un principe républicain mouvoir cette session unique est la possibilité ainsi offerte , de premier ordre. au Parlement de suivre les travaux de l'Union euro- péenne. Mais, dans le même temps, les élus sont tenus de res- pecter la loi. En matière de droit commun, aucun privi- Ainsi, les actes communautaires, qui continuent d'être lège ne doit exister. transmis pendant les intersessions, pourraient être exami- nés tout au long de l'année et faire l'objet d'un avis du C'est pourquoi, en cette matière, nous ne nous oppo- Parlement, en application de l'article 88-4 de la Constitu- sons jamais à la levée de l'immunité. tion. Cet article 88-4, qualifié fort justement par mon C'est pourquoi nous combattons les tentatives de pres- ami Robert Pagès, lors des débats de juin 1992, de sion sur la justice, sur la presse, lorsque l'une comme « simulacre de défense des droits dtf Parlement », ne fut l'autre cherchent la vérité, dans le cadre de leurs préroga- qu'un texte de circonstance, voté afin de faciliter la révi- tives respectives. sion constitutionnelle exigée pour Tatifier le traité de C'est pourquoi, à l'automne 1989, les groupes parle- Maastricht. mentaires communistes furent les seuls à s opposer dans En effet, quelles incidences a eues l'adoption de cette leur intégralité à l'amnistie des délits politico-financiers. disposition ? Ce projet de loi constitutionnelle ne correspond en Le Parlement ne s'exprime que formellement sur des rien aux objectifs affichés puisque, je viens de le démon- textes importants mais en nombre limité et, au surplus, trer, il déséquilibre plus encore les rapports entre l'exé- pour certains, déjà adoptés par les instances européennes. cutif et le législatif dans notre pays. II ignore les suites données à son intervention. L'instauration même de la session unique risque de se Ainsi, sur cent propositions d'actes communautaires traduire par une diminution, dans les faits, de la force soumises à l'Assemblée nationale et au Sénat au cours des d'intervention du Parlement, et la proposition de derniers mois de 1993 et des premiers mois de 1994, M. Jacques Larché de limiter les débats en séance dans trente-sept cas, il s'est écoulé moins de quinze jours publique nous confirme dans nos craintes. entre l'examen de la proposition d'acte cofnmunautaire Je veux, en dernier lieu, rappeler quelques propos : par le Parlement français et l'adoption définitive de cet « J'ai regretté la dérive monarchique de nos institutions. acte par les institutions communautaires. De plus, dans Le moment est venu d'y mettre un terme. » C'est vingt-quatre de ces trente-sept cas, la transmission s'est M. Jacques Chirac - il est vrai qu'il , était alors candidat - effectuée soit après l'adoption définitive de l'acte commu- qui est l'auteur de cette déclaration. nautaire soit le jour même. M. Emmanuel Hemel. Il n'y a pas de dérive depuis Il importe que cette situation cesse. qu'il est élu ! Déjà, au Danemark, une procédure intéressante - M. Charles Lederman. C'est pourtant ce qui nous est même si elle reste insuffisante à notre sens - de contrôle proposé en son nom, et de la façon la plus complète ! réel du Parlement sur les décisions européennes existe. M. Jacques Toubon, garde des sceaux. Non, nous vous Inspirons-nous de cette démarche ! proposons justement d'y mettre fin ! Nous proposons de donner à notre Parlement les moyens de disposer de réels pouvoirs, de véritables M. Charles Lederman. Il est infiniment regrettable, moyens de contrôle de l'action gouvernementale, en un pour paraphraser le Président de la République, que ces mot, d'un droit de veto à l'encontre des propositions forts propos n'aient été que des propos de circonstance, d'actes communautaires. déjà - tombés dans l'oubli en ces jours d'été. Nous rejoignons en cela M. Philippe Séguin, qui décla- Tels sont, monsieur le président, monsieur le garde des rait le 5 mai 1992 devant les députés : « C'est une chose sceaux, mes chers collègues, les motifs pour lesquels nous que de déléguer temporairement un pouvoir susceptible voterons contre ce projet de loi constitutionnelle. d'être récupéré lorsque la délégation n'est plus conforme (Applaudissements sur les travées communistes. - M Mélen- à l'intérêt national ou ne répond plus aux exigences du chon applaudit également.) moment. C'est tout autre chose que d'opérer un transfert M. le président. Monsieur Lederman, vous n'avez sans retour pouvant contraindre un Etat à appliquer une dépassé votre temps de parole que de douze secondes ! politique contraire à ses intérêts et à ses choix. » C'est formidable ! SÉNAT — SÉANCE DU 24 JUILLET 1995 1337
M. Charles Lederman. C'est une véritable course La pratique référendaire est toujours bien comprise et contre la montre ! Je ne veux pas dire que je suis aussi admise quand l'avenir du pays ou le sort de nos institu- fort qu'Indurain, mais... (Sourires.) tions sont en jeu. La participation électorale l'atteste d'ail- leurs. M. le président. Cela viendra ! (Nouveaux sourires.) Faut-il la maintenir dans les autres cas, quand les expé- Mes chers collègues, nous allons maintenant inter- riences menées ont abouti à un taux d'abstention record ? rompre nos travaux ; nous les reprendrons à quinze La question mérite d'être posée. Si importants soient- heures. ils, nous ne sommes pas convaincus que les grands pro- La séance est suspendue. blèmes économiques et sociaux, que l'avenir de l'éduca- (La séance, suspendue à douze heures trente-cinq, est tion nationale, que la modernisation de nos services reprise à quinze heures dix.) publics, passent par la voie référendaire, tant leur complexité est immense et se prête mal au jeu binaire et M. le président. La séance est reprise. simplificateur du référendum. La solution à ces problèmes Nous reprenons la discussion du projet de loi constitu- dépasse souvent le cadre national, voire européen. La tionnelle. mondialisation des marchés efface les frontières. Le sort Dans la suite de la discussion générale, la parole est à de notre monnaie ne dépend pas exclusivement du Gou- M. Allouche. (Applaudissements :sur les travées socialistes.) vernement français. Quelle consultation populaire pour- rait donc rendre à un peuple la maîtrise de son destin et Mme Hélène Luc. Je demande la parole pour un rappel le choix de son développement ? au règlement. La voie parlementaire demeure incontestablement la M. le président. Vous pourrez prendre la parole après plus appropriée. Le Gouvernement dit qu'aujourd'hui ce M. Allouche, madame. Pour l'instant, c'est à lui que je sont non pas l'avenir et les institutions du pays qui sont l'ai donnée. en jeu mais les questions économiques et sociales, qu'il y a donc lieu d'impliquer, donc de consulter les citoyens. M. Guy Allouche. « La loi est l'expression de la volonté Soit. Mais à quoi servent alors les élections ? Nous générale. Tous les citoyens ont droit de concourir per- sommes le pays d'Europe qui vote le plus. Nous sortons sonnellement, ou par leurs représentants, à sa forma- d'une élection présidentielle. Un Président de la tion. » République a été élu... Ce rappel du début de l'article VI de la Déclaration M. Michel Charasse. De justesse ! des droits de l'homme et du citoyen du, 26 août 1789 M. Guy Allouche. ... et un projet politique a été confirme, s'il en était besoin, que le peuple ne peut avoir approuvé démocratiquement. Qu il soit d'abord mis en juridiquement tort. La pratique du référendum est oeuvre ! incontestablement la plus louable, la plus démocratique, L'élection d'une écrasante ,majorité-de droite à l'Assem- la plus républicaine qui soit lorsqu on veut recueillir blée nationale en 1993, celle-là même qui soutient le Pré- l'avis, l'assentiment, l'adhésion du peuple souverain. Nous sident récemment élu, n'a-t-elle pas un sens politique ? souhaitons tous l'avènement d'une démocratie plus parti- Ne correspondrait-elle pas à un choix d'orientation pour cipative, dans laquelle les citoyens ne seraient plus can- le pays ? Si ce n'est pas le cas, il faut vite dissoudre tonnés au simple devoir électoral, mais exerceraient réelle- l'Assemblée nationale avant de passer au référendum. ment leur pouvoir législatif. Jamais un Président de la République n'a eu aussi On y verrait un remède à l'apathie individualiste, au grande maîtrise des institutions : une opulente majorité à mal de l'indifférence qui frappe les habitants des démo- l'Assemblée nationale, un Sénat qui lui est acquis, la craties consensuelles. grande majorité des collectivités territoriales, les noyaux Cependant, si le recours au référendum a des vertus durs économiques et financiers rassemblés entre les mains républicaines au-dessus de tout soupçon, il porte en lui d'amis sûrs... Il est vrai qu'il manque l'essentiel, je veux les limites de son usage, qui doit être aussi sage que rare parler de la confiance des Français, confiance bien relative car l'expression directe de la souveraineté du peuple ne si l'on en juge par le score réalisé aux élections présiden- saurait porter atteinte aux autres droits fondamentaux du tielles et qui n'est pas à la hauteur des espérances. Alors, citoyen. pourquoi un tel projet de loi constitutionnelle ? Ainsi, sagesse, prudence et rareté constituent le tryp- Pendant la campagne électorale, M. Chirac s'est auto- tique qui préserve l'équilibre entre le développement de la risé à dire aux Français, en réponse à M. Jospin, qu'il y démocratie et la garantie de l'état de droit. avait mieux à faire dans l'immédiat qu'une réforme des Le recours au référendum fait désormais partie de institutions. (Eh oui ! sur les travées socialistes.) notre patrimoine institutionnel collectif ; c'est une pièce Vous disiez tout à l'heure, monsieur Masson : c'est nécessaire de notre arsenal constitutionnel. maintenant ou jamais : on fait ce genre de réforme en Je dis bien « arsenal », et nul ne conteste que le réfé- début de septennat, sans quoi elle est enterrée. Mais ce rendum ne soit une arme à la fois nécessaire, efficace, n'est pas ce qu'a dit M. Chirac, le 2 mai, devant des mil- irremplaçable même dans des cas précis, mais d'un lions de Français ! Il a dit qu'il y avait des préoccupations maniement délicat et parfois dangereux. bien plus importantes qu'une réforme constitutionnelle. Elle est efficace et irremplaçable dans sa fonction arbi- M. Paul Masson. Il parlait du quinquennat ! trale. Tel fut le cas en 1962 pour l'indépendance de M. Roger Chinaud. Parlez du fond, pas de la forme ! l'Algérie et en 1988 pour la Nouvelle-Calédonie. Efficace M. Guy Allouche. M. Chirac parlait de la réforme des et solennelle, elle le fut lors de l'adhésion de la France à institutions, monsieur Masson. l'Europe du troisième millénaire par la ratification du Or, voici que la réforme constitutionnelle devient la traité de Maastricht, en 1992. grande affaire de l'été parlementaire, dans l'indifférence Mais elle est dangereuse pour son auteur et son pays générale des Français, alors que, selon l'exposé des motifs lorsqu'elle est utilisée pour faire ratifier la volonté d'un du projet de loi, il s'agit - excusez du peu -, de « restau- homme et non celle d un peuple ; ce fut le cas en 1969. rer au plus tôt les liens entre l'Etat et les citoyens ». 1338 SÉNAT — SÉANCE DU 24 JUILLET 1995
M. Michel Rufin. Eh oui ! renonce à jouer son rôle, d'autres pouvoirs - je pense à la M. Guy Allouche. Intention louable, et pourtant nous presse et à la justice - sont prêts à se substituer à lui. Ce n'y souscrirons pas parce que le projet de loi est ambigu, ne serait pas bon pour la République. La recomposition paradoxal et incohérent. C'est un texte en trompe-l'oeil d'une vision politique générale saine ne passe en aucun et, surtout, un texte de circonstance. cas par l'effacement du Parlement. M. Jacques Toubon, garde des sceaux. Et en 1984, Si l'examen des grandes questions lui échappe, à quoi c'était quoi ? sert-il ? Quel débat public, par média interposé, est sus- ceptible de remplacer le travail en commission et l'élabo- M. Guy Mouche. Si le Gouvernement veut renforcer la ration d'un rapport ? Le droit d'amendement n'est pas souveraineté populaire, qu'il le fasse dans tous les reconnu aux citoyens par la Constitution. domaines, y compris dans celui des garanties fonda- Le débat et le dialogue ne se résumeraient, selon vous, mentales des libertés publiques, et pas seulement dans qu'à la réponse par oui ou par non. Y a-t-il choix plus ceux qu'il affectionne à dessein. réducteur ? Bien sûr que non ! Curieuse conception du Que voulez-vous ? comme il était impossible de nom- débat démocratique que celle qui se résume à un « c'est à mer en même temps à Matignon deux amis fidèles du prendre ou à laisser » ou à un « ça passe ou ça casse » ! Président de la République, il a fallu faire un geste fort Peut-on revaloriser le rôle du Parlement et celui des en direction du « perchoir » et tenter de promouvoir les élus en faisant planer en permanence la menace du idées chères à M. Séguin ! recours au référendum ? Après le recours abusif à M. Jean-Luc Mélenchon. Mais bien sûr ! l'article 49-3 de la Constitution, le référendum législatif, M. Guy Allouche. C'est cela, la cohabitation des nouvelle épée de Damoclès, signifierait-il par hasard le contradictions dont on a accuse M. Chirac, à tort, retour des godillots et du « Silence dans les rangs ! » ? paraît-il, pendant la campagne présidentielle : à M. Juppé Qu'en est-il du respect dû par un gouvernement à sa la machine gouvernementale, à M. Séguin la mise en propre majorité ? musique ! D'ailleurs, l'absence de M. le Premier ministre Comment peut-on prétendre revaloriser le rôle du Par- dans ce débat, tant à l'Assemblée nationale qu'au Sénat, lement en aggravant le déséquilibre entre l'exécutif et le est révélatrice de la vive attention qu'il lui porte ! législatif au seul 'profit du premier ? Il s'agit d'une exten- Emporté par l'aveuglante passion partisane... sion considérable des pouvoirs du Président de la M. Roger Chinaud. Ce n'est pas votre cas ? République au détriment de ceux du Parlement. M. Guy Allouche. ... il n'y a que vous, monsieur le Vous demandez en somme au Parlement, monsieur le garde des sceaux, pour ne pas déceler les nombreuses garde des sceaux, de s'automutiler. C'est un véritable contradictions que contient le projet de loi. Permettez- article 16 bis de la Constitution ! moi de vous en citer quelques-unes. M. Josselin de Rohan. Oh ! Peut-on affirmer que l'on veut « rétablir le primat du M. Jacques Toubon, garde des sceaux. Oh ! monsieur politique sur la technostructure, que le Parlement doit Allouche, vous nous avez habitués à mieux. être remis à sa vraie place, une place centrale, avec des M. Josselin de Rohan. Vous êtes bien indulgent, mon- prérogatives renforcées, que son rôle doit être revalorisé » sieur le garde des sceaux ! - je reprends ici les termes mêmes du message de M. le Président de la République au Parlement, en me permet- M. Guy Allouche. Je persiste, monsieur le garde des tant d'ajouter que l'on ne revalorise que ce qui a été sceaux : en lui conférant des prérogatives accrues, vous dévalorisé - et annoncer dans le même temps une exten- remettez en quelque sorte les pleins pouvoirs législatifs sion significative du champ d'application du référendum entre les mains du Président de la République. qui enlèvera au Parlement le monopole législatif que lui M. Josselin de Rohan. Vous croyez vraiment ce que confère l'article 34 de la Constitution ? vous dites ? Le véritable retour de la vie politique au sein des hémi- M. Guy Allouche. Vous ne cessez de répéter à l'envi cycles nationaux devrait rendre presque inutile le recours qu'il ne faut pas modifier les équilibres, et c'est vous le direct au peuple. premier qui chargez l'un des plateaux de la balance, celui Le Parlement, mes chers collègues, deviendrait-il un du droit d'initiative du Président de la République. sous-traitant législatif ? M. Marcel Charmant. Très bien ! Elargir le champ du référendum, c'est automatique- ment restreindre le rôle du Parlement. Peut-on à la fois M. Guy Allouche. J'affirme, monsieur le garde des renforcer le rôle du Parlement et dévaloriser celui des sceaux, que votre projet de loi est dangereux pour le élus ? présent et pour l'avenir. Surprenante affirmation que la vôtre, monsieur le Aucun de nous n'est propriétaire de l'avenir. Les situa- garde des sceaux, dans le journal Le Monde : « Le senti- tions politiques sont réversibles. La force d'une constitu- ment s'est progressivement imposé que les changements tion se révèle surtout dans les périodes difficiles. L'alter- de personnel politique restent sans grand effet sur certains nance jouera inévitablement. Il est des risques que nous sujets fondamentaux. » ne devons pas prendre aujourd'hui si nous ne souhaitons Quel jugement sévère pour vous-même, pour vos amis pas être déclarés responsables demain. et pour tout le personnel politique ! Serait-ce une auto- Projet dangereux pour le présent, dis-je, parce que j'ai critique personnelle, après la véhémence des propos que le sentiment qu'un loup se cache quelque part. vous avez eus durant la campagne électorale pour vos On ne se forge pas une arme supplémentaire in abs- propres amis ? Avez-vous conscience de participer ainsi, à tracto au cours d'une session extraordinaire, dans des votre manière, au discrédit porté sur les hommes poli- conditions d'urgence et d'organisation que je qualifie de tiques du pays ? déplorables. Vous voulez rétablir le lien entre les parlementaires et La maîtrise élyséenne de l'arme référendaire accroît les les citoyens. Et comment ? En dévalorisant les fonctions craintes de ceux qui, comme moi, se méfient des dérives des élus ! Bien curieuse méthode ! Si le Parlement plébiscitaires, et même « publicitaires », des référendums. SÉNAT — SÉANCE DU 24 JUILLET 1995 1339
M. Jean Chérioux. C'est un argument éculé ! M. Jean Chérioux. Il n'avait qu'à les faire changer ! M. Guy Allouche. Monsieur Chérioux, permettez au M. Jean-Luc Mélenchon. La vérité, c'est qu'elles sont Français rapatrié d'Algérie que je suis de dire qu'il a de tout le temps dangereuses ! bonnes raisons de se méfier de certains référendums. (Applaudissements sur les travées socialistes. - Protestations M. Guy Allouche. Le populisme progresse dans notre sur les travées du RPR et des Républicains et Indépendants.) pays. M. Désiré Debavelaere. Grâce à qui ? M. Jacques Toubon, garde des sceaux. Bon argument, et M. Dreyfus-Schmidt applaudit, voilà qui est extraordi- M. Guy Allouche. Sans contrôle préalable organisé, un naire ! usage abusif et dangereux du référendum avec un champ d'intervention aussi large pourrait etre tenté dans des cir- M. Jean Chérioux. C'est nous qui avons défendu la constances passionnelles par un président démagogue. République ! Monsieur le garde des sceaux, comprenez, acceptez les M. Guy Allouche. Oui, M. Masson l'a rappelé, en raisons qui nous poussent à demander, parce que nous 1962, ce référendum a été organisé contre l'avis de la sommes favorables à la pratique référendaire, un contrôle majorité à l'Assemblée nationale, qui ne voulait pas de ce préalable ou, à tout le moins, un avis public du Conseil qui était initialement proposé. constitutionnel. M. Michel Dreyfus-Schrnidt. Bon, je peux applaudir M. Lucien Neuwirth. Non ! C'est le contraire. ici, monsieur le garde des sceaux ? M. Guy Allouche. Il est faux de dire que cela dénature M. Guy Mouche. Et l'on sait ce qui a été proposé par les institutions et que cela redistribue les pouvoirs entre la suite ! elles. Dans les domaines visés par la révision, il est bien M. Paul Masson. Il a été battu ! des principes de valeur constitutionnelle que le Conseil M. Guy Allouche. Il est vrai qu'il y a parfois des blo- constitutionnel a pour mission de faire respecter. cages, de grandes réticences à l'idée d'une modernisation Vous ne le voulez pas aujourd'hui parce que M. Chirac et des manifestations de protestation. La droite elle-même est à l'Élysée. en a souvent organisé contre la gauche. Mais qui a dit M. Lucien Neuwirth. Le Conseil constitutionnel n'est que la vie démocratique d'un pays était « un long fleuve pas constituant ; c'est nous les constituants ! tranquille » ? Est-ce avec un marteau-pilon, un bulldozer, que vous allez réduire ces blocages, éliminer les réti- M. Guy Allouche. Mais demain, quand vous serez de cents,... nouveau dans l'opposition, vous regretterez amèrement cette absence de contrôle. M. Jean-Luc Mélenchon. Oui, oui ! M. Roger Chinaud. Parce que vous abuseriez du droit ? M. Guy Allouche.... les grincheux et les conservateurs de tout poil ? M. Guy Allouche. Chers collègues de la majorité, je laisserai le soin à mon ami Michel Charasse de vous dire M. Jean-Luc Mélenchon. Oui, c'est le but ! ce qu'il en pense et ce que vous en pensiez il n'y a pas M. Guy Allouche. Après le Sénat, l'Assemblée nationale encore très longtemps. serait-elle devenue brusquement l'antre du conservatisme M. Lucien Neuwirth. En et de la pensée unique ? 1984 ! Le Président de la République veut-il opposer la vox M. Guy Mouche. L'article 5 de la Constitution dispose populi aux corps intermédiaires... que « le Président de la République veille au respect de la Constitution ». Nulle part il n est écrit qu'il en est le M. Jean-Luc Mélenchon. Parfaitement ! garant. Il « veille au respect », cela signifie que le Pré- M. Guy Allouche... que sont les partis politiques, les sident de la République doit être le premier à la respecter syndicats, les associations, l'ensemble des partenaires scrupuleusement. sociaux, ceux-là mêmes que l'on invite à développer la On imagine mal que les Français puissent être inter- politique contractuelle par le dialogue, la concertation, la rogés sur un texte qui violerait notre loi fondamentale. négociation et la recherche du compromis ? Sans possibilité de contrôle, ce risque existera. Je ne veux Est-ce ainsi que l'on veut réduire la fracture sociale, en prendre qu'un exemple, tant il est révélateur de la dange- dressant les différentes catégories sociales les unes contre rosité du projet de loi, celui du droit social. les autres ? Les nantis qui auraient le devoir de se taire et, Chers collègues, la préférence nationale, expression surtout, de ne pas protester, contre les salariés dont endimanchée du racisme et de la xénophobie, ne s'ap- l'emploi est précaire ? plique pas parce que notre bloc de constitutionnalité l'in- Non, pour nous, le dialogue est dans la permanence. terdit. Acceptez ce texte, et il deviendra possible qu'une Ce projet est dangereux pour l'avenir ; et il me plaît de loi référendaire passe outre les principes constitutionnels. rappeler à cet instant ce que le président François C'est l'état de droit qui est menacé ! Mitterrand aimait à dire... M. Jean Chérioux. Quand le peuple décide, c'est l'état MM. Jean-Luc Mélenchon et Michel Charasse. Ah ! de droit qui est menacé ? Voilà qui est démocratique ! M. Guy Allouche... lorsqu'on l'interrogeait sur les insti- M. Guy Allouche. Vous voulez faire sauter des verrous tutions de la Ve République, institutions qu'il n'a pas au moment où il faut veiller au parfait fonctionnement approuvées mais dont il a toujours appliqué les règles de ceux qui existent. loyalement et scrupuleusement. M. Jean-Luc Mélenchon. Les remords vous tenaillent M. Jean Chérioux. Il s'en est bien servi ! déjà ! M. Guy Allouche. Il disait que ces institutions pou- M. Guy Allouche. Ce serait insulter le gouvernement vaient devenir dangereuses après lui. actuel que d'y voir une réponse indirecte, un signe, un Nous y sommes et on nous y conduit. (Applaudisse- message, aux partisans de la préférence nationale. Mais ments sur les travées socialistes.) demain, après vous, quelles garanties aurons-nous ? 1340 SÉNAT — SÉANCE DU 24 JUILLET 1995
Contradiction, hypocrisie même que d'affirmer qu'il M. Jean Chérioux. Non ! n'y aura pas de référendum sur les problèmes de société M. Guy Allouche.... et c'est un arrêt du Conseil d'Etat tels que la peine de mort, l'immigration ou le statut des qui a cassé cette décision. étrangers. M. Jean Chérioux. Pas les aides sociales, l'aide familiale M. Jacques Toubon, garde des sceaux. M'autorisez-vous uniquement ! à vous interrompre, monsieur Allouche ? M. Jean-Luc Mélenchon. Monsieur Chérioux, vous M. Guy Allouche. Volontiers, monsieur le garde des vous faites du mal à crier comme cela ! sceaux. M. Guy Allouche. Monsieur Chérioux, c'est quoi, l'aide M. le président. La parole est à M. le garde des sceaux, familiale ? avec l'autorisation de l'orateur. M. Jean Chérioux. Cela n'a rien à voir ! M. Jacques Toubon, garde des sceaux. Comment pou- vez-vous faire un tel procès d'intention à propos des prin- M. Guy Allouche. Vous confirmez mon propos, et je cipes fondamentaux et du bloc de constitutionnalité, alors vous en remercie. que le projet de loi du 27 juillet 1984,... M. Michel Rufin. Mauvaise foi ! M. Jean-Luc Mélenchon. Ça y est, c'est reparti ! M. Jean Chérioux. Non, je ne confirme rien du tout ! M. Jacques Toubon, garde des sceaux. ... que vous avez C'est complètement faux ! soutenu et qu'a proposé le Président Mitterrand, pre- M. Guy Allouche. Vous refusez toute saisine du mièrement, étendait le champ du référendum aux garan- Conseil constitutionnel. Le Gouvernement n'a pas prévu ties fondamentales des libertés publiques, c'est-à-dire ce l'organisation d'un débat au Parlement. qui constitue le coeur même du bloc de constitutionna- Nous sommes demandeurs d'un débat parce que le lité, et, deuxièmement, ne prévoyait aucun contrôle préa- Parlement a pour mission première d'éclairer les Français. lable du Conseil constitutionnel ? M. Jean Chérioux. Ils sont servis ! M. Michel Dreyfus-Schmidt. Nous le demandions ! M. Guy Allouche. Et pour que les Français soient M. Jacques Toubon, garde des sceaux. Monsieur mieux informés, n'est-il pas important qu'ils sachent ce Mouche, comment pouvez-vous faire ce procès d'inten- que pensent leurs représentants ? En la circonstance, tion à ce président et à ce gouvernement après avoir sou- accepterions-nous d'être un parlement croupion ? tenu un tel projet en 1984 ? (Applaudissements sur les tra- Aurait-on peur d'un vote ? Imagine-t-on un parlementaire vées du RPR, des Républicains et indépendants et de l'Union favorable au projet de loi référendaire monter à la tribune centriste.) pour le dénigrer et inversement ? Présenté par le Gouver- M. Roger Chinaud. Très bien ! nement, adopté ou non par l'Assemblée nationale et le Sénat, les Français ont besoin de savoir ce que nous pen- M. Jean-Luc Mélenchon. Réglons cela, et qu'on en sons du projet de loi avant de se prononcer. finisse ! Mes chers collègues, que cesse cette hypocrisie ! Et si, M. le président. Veuillez poursuivre, monsieur nous, nous nous abstenons de voter alors que c'est notre Allouche. fonction, pourquoi voulez-vous que les Français se M. Guy Allouche. Je m'attendais à être interrompu sur déplacent pour aller accomplir leur devoir électoral ? ce point précis. M. Claude Estier. Très bien ! M. Lucien Neuwirth. C'est le droit de repentir ! M. Guy Allouche. Peut-on reprocher aux électeurs dé M. Guy Allouche. Au sujet de ce référendum de 1984, s'abstenir quand on s'abstient soi-même ? dois-je vous le rappeler ? le garde des sceaux de l'époque, Ajouterai-je qu'à l'Assemblée nationale les députés ont M. Badinter, était ouvert au contrôle de constitutionna- la possibilité de déposer une motion de censure dès que lité. le projet de loi est déposé et connu. Un débat sans vote Pour le reste, chers collègues de la majorité, relisez- au Parlement, c'est une humiliation supplémentaire. Vou- vous ! Les membres les plus éminents de la Haute Assem- lez-vous faire du Parlement une simple chambre blée faisaient à l'époque du contrôle de constitutionnalité d'experts ? Le Parlement doit demeurer le rempart contre une exigence impérieuse. Et aujourd'hui, qu'entend-on ? toutes les dérives. Monsieur le garde des sceaux, si j'ai choisi l'exemple de Mes chers collègues, qui nous a rebattu les oreilles pen- la préférence nationale - votre interruption me donne dant des mois avec la dérive monarchique .? En effet, pen- l'occasion d'y revenir plus avant - c'est parce que j'ai dant des mois, tout récemment, M. Chirac n'a eu de souvenir qu'il y a quelques années, cinq ou six peut-être cesse de parler de la dérive monarchique. Et aujourd'hui, - ce n'est pas vieux ! - la mairie de Paris, dont le premier pas de contrôle de constitutionnalité, pas de débat, pour magistrat s'appelait Jacques Chirac, avait décidé de sup- l'instant, et pas de vote au Parlement ! primer toutes les aides sociales attribuées aux non- M. Paul Masson. Laissez le Président de la Français de souche. République ! M. Jean Chérioux. C'est faux ! J'étais adjoint aux M. Guy Allouche. Faut-il laisser au chef de l'Etat le affaires sociales, je peux en témoigner, c'est faux ! monopole de la fordiulation de la question soumise aux M. Claude Estier. Non, c'est vrai ! électeurs ? Ne serait-il pas tenté d'imposer sa conception par une rédaction habile ? La pratique des sondages M. Jean Chérioux. Non ! enseigne qu'il n'est pas trop difficile de biaiser l'interroga- M. le président. Messieurs, je vous en prie. M. Allouche tion pour obtenir les réponses souhaitées, ou même a seul la parole. d'envisager une seule réponse à deux questions différentes M. Guy Allouche. La mairie de Paris avait donc décidé ou de portée contradictoire. de supprimer .les aides sociales aux non-Français de Vous voulez renouer avec la tradition gaulliste. A cha- souche. C'est faux... cun d'apprécier ! SÉNAT — SÉANCE DU 24 JUILLET 1995 1341
Devant la commission des lois du Sénat, vous avez Si désormais la session unique se justifie parfaitement, déclaré, monsieur le garde des sceaux, que le référendum c'est un leurre de considérer qu'elle va tout résoudre à est un risque à prendre. M. Jacques Larché, dans son rap- elle seule et que le Parlement va s'en trouver, comme par port au nom de la commission, et M. Masson l'ont égale- magie, revalorisé. ment dit. Dans l'hypothèse où le chef de l'Etat en prend Je m'empresse de dire que nous y sommes favorables; l'initiative et la responsabilité, s'il se veut fidèle au général tout comme nous sommes heureux de constater que cette de Gaulle, sera-t-il prêt à en tirer toutes les conséquences, bonne idée a fait son chemin. Elle n'est pas aussi neuve à assumer tous les risques ? que certains veulent le dire deux de mes collègues, Si le peuple répond « oui », la légitimité du chef de MM. Gérard Larcher et Henri de Raincourt, et moi- l'Etat sera renforcée, ainsi que son autorité, puisque le même avions, dès 1989, lancé la réflexion en vue d'abou- pays lui aura manifesté, une fois encore, sa confiance sur tir à une meilleure organisation du travail parlementaire. un problème clairement posé. Mais si le peuple répond Non, monsieur le garde des sceaux, la revalorisation du « non », que fera-t-il ? Restera-t-il en fonction, au motif Parlement, ce n'est pas seulement la session de neuf mois. que le problème posé n'était pas fondamental, qu'il était Redonner au Parlement sa « vraie place, une place cen- subalterne ? Va-t-on déplacer le corps électoral français trale », c'est commencer par respecter l'article 20 de la sur un sujet secondaire ? Je n'ose le croire ! Constitution, qui dispose que le Gouvernement est « res- Et le Gouvernement, que fera-t-il, lui qui aura proposé ponsable devant le Parlement » : cela signifie que le Parle- le projet de loi au Président de la République ? Le refus, ment est l'interlocuteur prioritaire du Gouvernement, le rejet n'est-il pas la forme suprême de la censure ? qui, en conséquence, lui réserve la primeur de ses projets, Remettra-t-il sa démission ? Vous ne pourrez éluder les la priorité de l'information. Le Parlement serait peut-être réponses à ces questions, monsieur le garde des sceaux, et plus fréquenté si le Gouvernement ne le marginalisait pas nous les attendons à l'issue de la discussion générale. par des comportements qu'il faut d'abord réviser ! A cet égard, je vais citer un propos parmi tant d'autres. En effet, pourquoi venir au Parlement écouter le Pre- En 1984, notre collègue M. Schumann, ici-même, fai- mier ministre qui présente son plan pour l'emploi quand sant référence au général de Gaulle, affirmait : « Dans la ce dernier a été exposé la veille à la télévision ? Alors que tradition gaulliste, quand on pose une question de le monde entier s'émeut de la reprise des essais nucléaires confiance aux Français et que ceux-ci répondent "non", le par la France, aucun débat n'est organisé au Parlement Président de la République s'en va. » français. Mais le Président de la République s'en explique devant le Parlement européen ! Je pourrais multiplier les M. Maurice Schumann. Je n'ai pas changé d'avis ! exemples. Incontestablement, la Constitution est trop M. Guy Allouche. Monsieur le garde des sceaux, dites- contraignante pour les parlementaires. nous ce que vous pensez sur cette question. M. Marcel Charmant. C'est exprès ! Que vous vouliez perpétuer la tradition gaulliste - on M. Guy Allouche. Ce projet de révision constitu- le voit avec les essais nucléaires, les institutions et la frilo- tionnelle n'est qu'un aménagement de la session parle- sité à l'égard de l'Europe - c'est un choix politique. Ce mentaire. Corrigera-t-il les anachronismes, les dérives, les dont je suis sûr, c'est que les Français ne veulent, en abus ? On se donne l'impression de vouloir y croire, on aucun cas d'un succédané du gaullisme et encore moins - veut bien l'espérer, mais il ne vous a pas échappé que le permettez-moi de vous le dire, monsieur Toubon - d'un scepticisme est grand. gaullisme light and soft. Je veux dire à nouveau que vous aggravez encore le M. Jacques Toubon, garde des sceaux. Qu'est-ce que déséquilibre, preuve que le Gouvernement ne veut pas cela veut dire ? lâcher du lest, et on s'en apercevra lors de la discussion M. Michel Rufin. Traduction ! des articles et des amendements. M. Guy Allouche. Et que dire du Sénat en cet instant ? Monsieur le garde des sceaux, on ne peut pas dire que Il n'aura fallu que onze années pour qu'il se déjuge publi- vous ayez fait preuve d'ouverture à 1 Assemblée natio- quement. La majorité sénatoriale - je n'ai pas à en préci- nale,... ser le millésime, la majorité est toujours la même - a M. Jean-Luc Mélenchon. Ah non ! demandé en 1984 ce qu'elle savait impossible et infaisable M. Guy Allouche. ... puisque vous avez rejeté les sur le plan constitutionnel. Elle a dit « non » au projet de demandes de vos propres amis, sans parler du sort que M. Fabius, estimant avec une mauvaise foi aveuglante... vous avez réservé aux amendements de l'opposition. M. Jean Chérioux. Ben voyons ! Scepticisme ai-je dit, parce que les vraies questions M. Guy Allouche. ... que le projet de loi Savary pouvait relatives aux pouvoirs du Parlement ne sont pas abordées. être soumis à référendum sans modification de l'article 11. Il n'est pas touché à la maîtrise quasi absélue exercée Ses orateurs les plus éminents ont même plaidé l'implai- par le Gouvernement sur l'ordre du jour du Parlement, dable. sur le calendrier de ses travaux, sur le choix de l'inscrip- Puisque, à l'époque, ils affirmaient qu'il n'y avait pas tion à l'ordre du jour des propositions de loi - sans par- lieu de modifier la Constitution pour soumettre à un ler des propositions de loi qu'il « télécommande », comme référendum le projet de loi sur l'école, pourquoi affir- le texte tout récent relatif à l'augmentation de la TVA ! ment-ils aujourd'hui que M. Chirac a besoin de cette La discussion budgétaire demeurera inchangée : on révision pour son référendum sur l'école ? consacrera "soixante jours de session à l'examen de 5 p. 100 du budget ! Votre projet de loi n'évoque pas davantage la M. Michel Dreyfus-Schmidt. Très bien ! non-limitation du recours à l'article 49-3, l'invocation M. Michel Sergent. Excellent argument ! fréquente de l'article 40, le vote bloqué, qui est une pres- M. Guy Allouche. Allons, chers collègues de la majo- sion exercée par le Gouvernement sur sa propre majorité. rité, dites-le nous. Tout cela continuera.
Quant à l'instauration de la session , unique, c'est le Le Gouvernement n'apporte aucune assurance, aucune prototype de la réforme en trompe-l'oeil, en tout cas telle garantie en ce qui concerne la désinflation législative, le qu'elle nous est présentée. recours moins fréquent aux déclarations d'urgence - le 1342 SÉNAT — SÉANCE DU 24 JUILLET 1995
Parlement a quinze jours pour délibérer, mais les minis- une loi n'est pas l'addition des intérêts particuliers au tères disposent de plusieurs mois pour la parution des détriment de 1 intérêt général. Peut-on affirmer que ces décrets ! Il n'est pas question non plus de programmation pays sont sous-administrés, mal gérés ou dans l'anarchie ? du travail- législatif : le « pilotage à vue » perdurera. Je sais bien que cette question divise toutes les forina- Il paraît que l'on pourra mieux contrôler l'action du dons politiques. De trop grandes résistances demeurent, Gouvernement, idée très chère à M. Séguin, mais en mais elles finiront par céder, j'en suis convaincu. Faute de aura-t-on les moyens et le temps ? Ce que je constate, s'y être préparé, il est à craindre que le verdict des élec- c'est que jamais M. Séguin n'a autant parlé de contrôle, teurs ne soit alors brutal et radical. du Gouvernement que depuis le jour où M. Juppé a été En conclusion, dois-je vous dire que nous ne suivrons nommé Premier ministre. Il n'est pas touché au nombre pas la voie tracée par le Gouvernement, bien que, je le de commissions permanentes, il n'y a pas constitutionna- répète, nous soyons favorables à la pratique référendaire lisation des commissions d'enquête et de contrôle, il n'est et à la session unique ? pas reconnu de droits nouveaux à la minorité et le Gou- Nous ne suivrons pas le Gouvernement parce que ce vernement pourra toujours ne pas respecter les conclu- qui est proposé est dangereux, dans la forme et dans le sions d'une commission mixte paritaire. fond. Je pense l'avoir expressément démontré, et nous Bref, aucun remède ne vient soulager les maux dont développerons encore notre argumentation tout au long souffre le Parlement. Mais il paraît qu'il sera à sa vraie du débat. place. Et vous souhaitez, monsieur le garde des sceaux, C'est un projet de loi dangereux, de circonstance, de que l'on soit tous enthousiastes ! régression, tout en trompe-l'oeil ; voilà autant de raisons Mieux faire travailler le Parlement durant neuf mois, qui nous incitent déjà à vous dire non, monsieur le garde lui donner des capacités nouvelles, - hélas ! restreintes - de sceaux ! Le débat à l'Assemblée nationale a montré que n'est efficace que s'il y a des parlementaires pour s'en sai- le Gouvernement faisait passer ses prérogatives et ses inté- sir. Les mêmes causes produisant les niémes effets, on rêts avant ceux des citoyens, qui sont très attachés à la voit mal par quel miracle les parlementaires viendraient garantie de l'Etat de droit, et ceux. du Parlement, qui sera davantage au Parlement lorsqu'il leur sera ouvert pendant un peu plus affaibli. neuf mois qu'ils n'y sont venus jusqu'ici pendant six Monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, tout mois. change, tout bouge autour de nous. Qui ne l'a encore M. Jacques Toubon, garde des sceaux. On ne va pas les remarqué ? Une constitution n'est certes pas intangible ; assigner à résidence ! mieux, elle doit s'adapter à son temps, voire le devancer, sans jamais porter atteinte à ce qui fait la force d'une M. Guy Allouche. Y penser toujours,... démocratie, à savoir l'Etat de droit. Je suis désolé de vous M. Roger Chinaud. Pendant quatbrze ans ! dire, monsieur le garde des sceaux, qu'on n'affronte pas M. Guy Allouche. Vous savez très bien à quoi je fais un monde qui bouge avec des têtes qui se ferment ! allusion, monsieur Chinaud ! (Applaudissements sur les travées socialistes.) M. Roger Chinaud. Vous aussi, vous savez à quoi je fais (M. Ernest Cartigny remplace M. René Monory au fau- allusion ! teuil de la présidence.) M. Guy Allouche. Y penser toujours, ai-je dit, n'en par- ler que rarement, n'y remédier jamais, telle est la formule PRÉSIDENCE DE M. ERNEST CARTIGNY qui s'applique le mieux à la permanente question du vice-président cumul des mandats et des fonctions. Quoi que vous disiez, monsieur le garde des sceaux, s'il est une question qui relève du débat constitutionnel, c'est bien celle de la compatibilité de la fonction ministérielle avec celle de maire, de président de conseil régional ou de conseil général. Pour moi, c'est incompatible. On n'est RAPPEL AU RÈGLEMENT pas ministre à temps partiel, c'est-à-dire deux ou trois jours par semaine ! L'« entreprise France » ne se gère pas Mme Hélène Luc. Je demande la parole pour un rappel ainsi. A quoi sert la critique acerbe à l'égard des tech- au règlement. nocrates, du pouvoir envahissant de l'administration, si M. le président. La parole est à Mme Luc. les ministres ne sont pas là pour assumer leurs fonctions ? Nous savons déjà que celui qui applique et administre Mme Hélène Luc. Monsieur le président, monsieur le une décision est parfois plus puissant que celui qui la garde des sceaux, mes chers collègues, comme chacun le prend ; que dire si l'autorité politique lui confie de sur- sait, des événements de plus en plus graves se déroulent croît le soin de la prendre en son lieu et place ? Éton- en Bosnie. Ce matin, nous avons unanimement rendu nons-nous après cela que les bureaucrates confisquent le hommage aux deux officiers tués et assuré leur famille de pouvoir politique ! Aussi, nous présenterons, sur ce point, notre solidarité. un amendement à l'article 23 de la Constitution. Une dépêche tombée à l'instant rapporte que cinq L'une des causes du dysfonctionnement du Parlement détonations ont été entendues lundi en début d'après- tient au fait que les élus sont moins présents. Par rapport midi à Pale, alors que, selon des témoins, le fief des à d'autres parlements, cette différence tient à la singula- Serbes de Bosnie était survolé par des avions. Ces sources rité française du cumul des mandats. Qui osera dire que n'ont pu préciser ni le nombre d'appareils survolant la nos collègues étrangers sont moins compétents, moins zone de Pale ni l'origine de ces derniers. expérimentés, moins proches des citoyens ? Le non- Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, il cumul, pour eux, relève davantage de l'éthique que de la serait utile, me semble-t-il, que le Parlement, qui siège en loi. Ils se veulent les vrais représentants de la nation et session extraordinaire, soit informé de ce qui se passe en d'elle seule, ils disent la loi, ils la font, mais ils ne sont Bosnie. En effet, comme vous le savez, l'inquiétude gran- pas chargés de l'appliquer à l'échelon territorial. Ainsi, dit dans notre pays. SÉNAT — SÉANCE DU 24 JUILLET 1995 1343
C'est pourquoi, au nom des sénateurs communistes et La démarche du Gouvernement me semble inspirée du apparenté, je .demande que M. le Premier ministre ou, à même esprit de progrès. Aussi, malgré les critiques que défaut, M. le ministre de la défense vienne éclairer le suscite le projet de loi constitutionnelle, je veux saluer le Sénat sur la situation actuelle. courage qu'il y a à proposer au Parlement une réforme de M. le président. Madame Luc, je vous donne acte de la Constitution, dont l'ampleur ne doit pas être minimi- votre rappel au règlement. sée. Nous allons reprendre la discussion du projet de la M. Michel Dreyfus-Schmidt. Cela n'a aucun rapport ! constitutionnelle. M. Guy Cabanel. Vous allez voir ! Suivez le texte ! Mme Hélène Luc. Ne pensez-vous pas, monsieur le Soyez patient, monsieur Dreyfus-Schmidt ! (Sourires.) président, que M. le garde des sceaux pourrait réagir à notre rappel au règlement ? Une première question vient à l'esprit : faut-il réformer la Constitution de 1958 ? Sans hésitation, je réponds par M. le président. Vous avez fait mention de M. le Pre- l'affirmative. mier ministre ou de M. le ministre de la défense. De plus, nous devons poursuivre notre discusssion. Certes, les institutions de la V' République ont démon- tré leur efficacité en trente-sept années de bons et loyaux Mme Hélène Luc. Il est dommage que M. le garde des services au travers de plusieurs alternances. Ainsi, elles ont sceaux n'intervienne pas ! reçu l'aval de tous les courants de pensées politiques de notre pays. 6 Au lendemain du référendum relatif à l'élection du Président de la République au suffrage universel direct, on aurait pu craindre une dérive monarchique. Il n'en a RÉVISION CONSTITUTIONNELLE rien été : tous les présidents de la République ont accom- pli leur mandat dans le respect de l'équilibre initial de Suite de la discussion 1958. d'un projet de loi constitutionnelle M. Jacques Toubon, garde des sceaux, ministre de la jus- tice. Pas tous ! M. le président. Nous reprenons la discussion du pro- jet de loi constitutionnelle, adopté par l'Assemblée natio- M. Guy Cabanel. Notre République est parlementaire, nale, portant extension du champ d'application du réfé- même si son parlementarisme a été qualifié de « rénové et rendum, instituant une session parlementaire ordinaire discipliné ». Cette expression trouve son sens dans le unique, modifiant le régime de l'inviolabilité parle- contexte de 1958, marqué par un désir de rupture par mentaire et abrogeant les dispositions relatives à la rapport au régime d'assemblée de la IV' République. Communauté et les dispositions transitoires. Les contextes constitutionnels initiaux, pas plus que le Dans la suite de la discussion générale, la parole est à référendum de 1962, n'ont établi une République pré- M. Cabanel. sidentielle. C'est pourquoi je souhaite, dans ce débat, M. Guy Cabanel. Monsieur le président, monsieur le faire abstraction du rôle arbitral du Président de la garde des sceaux, monsieur le ministre, mes chers col- République en tenant compte de l'essentiel, c'est-à-dire de lègues, une réforme constitutionnelle est toujours un acte l'équilibre entre les pouvoirs exécutif et législatif, réalisé grave dont on doit mesurer toutes les conséquences dès 1958 et donnant jusqu'à ce jour satisfaction au potentielles. peuple français. Le débat d'aujourd'hui, neuvième du genre, revêt une Cependant, après trente-sept ans d'usage et une pro- importance particulière en raison de l'intérêt des trois fonde évolution sociale, la Ve République doit s'adapter principaux sujets abordés par le projet de réforme. aux défis du temps présent. En effet, la République fran- En effet, le projet de loi constitutionnelle vise tout çaise est un Etat centralisé, voire hiérarchisé, à forte infra- d'abord à doter le pouvoir exécutif de possibilités nou- structure bureaucratique. Tel n'est pas à l'évidence le velles dans le domaine législatif par un dialogue direct meilleur profil pour affronter la mondialisation de la vie avec le peuple au moyen du référendum. quotidienne, particulièrement celle de l'économie. Il tend ensuite, par l'instauration d'une session unique En dépit des lois de décentralisation de 1982 et de de neuf mois, à faciliter au Parlement son oeuvre de légis- 1983, oeuvre importante de Gaston Defferre, mais, à lation et lui offrir une capacité plus grande de contrôle mon sens, inachevée, en dépit de l'Union européenne, du Gouvernement. avec l'application du traité de Rome, de l'Acte unique et Il a enfin pour objet de modifier sensiblement le des directives et règlements en découlant, la République régime de l'inviolabilité indispensable à l'exercice du française demeure un Etat centralisé imprégné d une tra- mandat parlementaire. dition de colbertisme pieusement transmise par certaines L'importance de ces trois propositions contenues dans de nos grandes écoles. le projet de loi soumis au Sénat me conduira à exprimer Les activités économiques, depuis l'affirmation du pou- des appréciations et des convictions personnelles. Mais le voir monarchique, l'enseignement, depuis Napoléon Ier, débat qui s'ouvre est celui de la modernisation de nos l'action sociale, depuis la Libération, sont soumis à une institutions. Aussi, au nom du groupe du Rassemblement ferme réglementation étatique alors qu'une simple régula- démocratique et européen, je me permettrai d'évoquer tion par l'Etat correspondrait mieux au monde de cette l'engagement dans cette voie de notre collègue Edgar fin de 30C siècle. Faure, voilà quarante ans. Il faut donc s'engager dans la voie des réformes, En effet, le Journal officiel du 2 juillet 1955 publiait, notamment celle de la modernité évoquée dès 1955 par sous la signature du président du Conseil qu'il était, les Edgar Faure. Il faut le faire avec prudence certes, et, si décrets du 30 juin créant et définissant les circonscrip- possible, avec un large soutien de l'opinion. D'où la tions d'action régionale, point de départ de la régionalisa- deuxième question de ce débat : le référendum peut-il tion et de la décentralisation. ouvrir cette voie des réformes vers la modernité ? 1344 SÉNAT - SÉANCE DU 24 JUILLET 1995
J'ose l'espérer, sans céder à l'illusion de lafacilité. En clarté, j'attends que le. Gouvernement précise sa position effet, la tâche sera rude pour le gouvernement qui voudra au cours du débat au Sénat. Je reconnais que la définition s'y engager : il devra associer à 1 oeuvre de modernisation, du champ d'application est un exercice difficile. outre une opinion inquiète et versatile, les corps de la En fait, on comprend aisément cjue pourraient bénéfi- fonction publique responsables des services à adapter. Si cier des nouvelles dispositions de 1 article 11 de grandes le monde a changé autour d'eux, ils n'ont pas pour Iluestions nationales telles que la protection sociale ou autant démérité. Ils ont une excellente connaissance de 1 enseignement. leurs métiers et de leurs dossiers. Surtout, nos dirigeants soucieux de réformes devront se tenir à l'écart de deux La sécurité sociale, malgré de multiples plans d'enca- écueils dogmatiques : le dirigisme exagérément planifica- drement, reste un difficile problème financier par ces teur et le libéralisme forcené puéril. temps de chômage, si l'on en juge par le nouveau bond en avant de son déficit cumulé depuis 1994. J'en viens à la troisième question : la réforme de l'article 11 telle qu'elle est proposée dans le projet de loi L'éducation nationale, malgré de louables efforts, peut-elle atteindre ces objectifs ? montre chaque jour les limites de ses interventions dans la formation de nos jeunes. Une voie nouvelle a été A cette question, je suis tenté de répondre par l'affir- ouverte par le Gouvernement en 1989, avec l'appel aux mative, mais sous certaines conditions. Naturellement, le régions, aux départements et à certaines villes pour cofi- débat qui va se dérouler me permettra de juger si elles nancer avec l'Etat le plan Université 2000. Dès lors, c'est sont ou non remplies et conditionnera mon vote sur dans le sens de l'autonomie et de la coopération contrac- l'essentiel du texte. tualisée que la loi référendaire pourrait engager l'enseigne- L'extension du champ d'application du référendum ment afin de dénouer la crise de notre système de forma- souffre au Sénat d'un préjugé traditionnellement défavo- tion. rable. La Haute Assemblée se méfie de l'article 11. La modification de cet article ne peut être acceptée que si le L'université de masse, tout particulièrement, a pour nouveau dispositif est efficacement maîtrisé par la défini- conséquence l'affaiblissement du pouvoir de diffusion des tion claire de son processus d'initiative, de son champ connaissances, la dévaluation des diplômes délivrés ou la d'application et de la coordination à établir avec le Parle- sélection par l'échec, ainsi que l'altération de la capacité ment. de recherche fondamentale de ses enseignants. Cette der- nière incidence retentit fondamentalement sur l'innova- La proposition d'initiative conjointe par les deux tion technologique. Les conséquences de cette situation assemblées me paraît constituer rîne procédure d'une sont fâcheuses pour l'emploi. laborieuse mise en oeuvre. Selon 'toute vraisemblance, l'initiative du référendum en appliçation de l'article 11 C'est dire que la tentation est grande de passer un véri- modifié appartiendra le plus souvent au Gouvernement. table contrat de rénovation avec le pays au travers du C'est sur sa proposition que le Président de la référendum. Encore faudrait-il que la réponse du peuple République pourra soumettre au peuple le texte législatif. soit sans ambiguïté pour triompher des résistances catégo- Certes, je comprends le sens profond du commentaire rielles qui s'expriment bruyamment à chaque tentative de d'une clarté simplificatrice fait par le général de Gaulle réforme par voie parlementaire. sur le référendum : « Pour pouvoir maintenir l'action et Il reste à envisager la possibilité d'inclure dans l'équilibre des pouvoirs et mettre en oeuvre quand il le l'article 11 modifié ce que l'on a appelé à tort le contrôle faut la souveraineté du peuple, le Président détient la pos- parlementaire sur le dispositif référendaire. Il s'agit, en sibilité de recourir au pays par la voie du référendum. » fait, de l'indispensable coordination entre les pouvoirs Mais aujourd'hui, instruits par les périodes de cohabi- exécutif et législatif au cours de cette nouvelle procédure. tation, il nous faut veiller à ce que le Gouvernement, en Au moment où le pouvoir exécutif étend son champ priorité, joue pleinement et librement son rôle de propo- d'action dans le domaine de la loi, il n'est pas imaginable sition ; en effet, le Gouvernement est l'expression de la de tenir complètement à l'écart le Parlement, dépositaire majorité parlementaire. Il faut donc qu'il puisse délibérer du pouvoir législatif. C'est malheureusement le cas dans en parfaite connaissance de cause du texte à soumettre au le nouvel article 11 tel qu'il a été proposé par le Gouver- référendum. nement et adopté par l'Assemblée nationale. Une telle Immédiatement, se pose la question de la conformité démarche est inacceptable pour le Sénat, qui a refusé de ce texte à la Constitution. En 1993, le comité consul- en 1984 au Président de la République l'extension du tatif présidé par le doyen Vedel avait proposé un avis champ du même article aux garanties fondamentales des préalable du Conseil constitutionnel. La crainte du « gou- libertés publiques. vernement des juges » semble avoir fait écarter cette sug- La loi référendaire me semble devoir être une loi-cadre gestion. Peut-être faudrait-il alors rendre public l'avis du dont le Parlement aura à décliner les principes en une Conseil d'Etat, recueilli traditionnellement par le Gouver- série de lois ordinaires. Mieux vaut que le Parlement soit nement lors de l'élaboration de textes législatifs ? En fait, d'emblée associé à la démarche référendaire. Comment l'usage du référendum pour des lois de réforme de notre peut-il l'être ? Cette question est au coeur du débat séna- société exigera une transparence irréprochable et une torial. information complète des citoyens. C'est le prix à payer pour avoir un débat sincère. Trois solutions sont envisageables. Après les précisions sur l'initiative référendaire, l'ana- Premièrement, par une déclaration solennelle devant les lyse du texte de l'article 11 modifié doit porter sur le deux assemblées, le Gouvernement annoncerait sa déci- champ d'application. Les termes définissant ce champ sion de proposer sur un sujet déterminé de consulter le figurant dans le projet de loi tel qu'il a été adopté par peuple français par voie de référendum. l'Assemblée nationale ne soulèvent pas l'enthousiasme, Deuxièmement, cette déclaration serait suivie d'un pas plus - M. Larché me pardonnera, j'espère - que les débat dans lequel s'exprimerait la diversité d'opinions des modifications proposées par la commission des lois. En représentants de la nation, qu'ils soient élus au suffrage l'absence de formules susceptibles d'apporter plus de universel direct ou indirect. SÉNAT — SÉANCE DU 24 JUILLET 1995 1345
Troisièmement, ce débat pourrait se terminer par le C'est seulement par réaction contre les excès du régime vote d'Une résolution des deux assemblées. Au sein du d'assemblée de la III et de la IVe République que les groupe du Rassemblement démocratique et européen, constituants de 1958 s'étaient montrés restrictifs, délimi- nombreux sont les sénateurs favorables à cette éventualité. tant nettement le domaine de la loi et, surtout, définis- Mais cela donnerait un sens particulier au référendum. sant strictement la durée des sessions ordinaires. Ce dernier deviendrait simplement un acte conférant une C'est dire que l'évolution de notre régime parle- solennité particulière à la loi, au risque de dénaturer la mentaire qui nous est offerte ne saurait être repoussée. démarche référendaire. Cependant, cette avancée notable ne se fera pas sans M. Paul Masson. Tout à fait ! appeler de nouveaux débats, qui nous entraîneront bien M. Guy Cabanel. Certains pensent alors que la modifi- au-delà de la présente révision. cation constitutionnelle devrait permettre au Président de En effet, si la mise en application de la session unique la République, sur proposition du Gouvernement, de ne s'accompagnait pas d'une modification profonde des soumettre à référendum toute loi avant promulgation. méthodes de travail des deux assemblées, il s'agirait d'un L'usage qui pourrait être fait de cette possibilité paraît coup d'épée dans une eau déjà troublée par un anti- imprévisible quant à ses conséquences sur l'équilibre des parlementarisme latent. Elle ne disciplinerait pas la tradi- pouvoirs jusqu'ici assuré par la Constitution de 1958. tion bien française du cumul des fonctions politiques et n'éviterait pas l'absentéisme dans l'exercice des mandats Mame sans vote, le débat parlementaire évite la frac- parlementaires. ture entre les pouvoirs exécutif et législatif. Il devrait enri- chir l'information des citoyens appelés à se prononcer par A partir du principe de la session unique, la commis- référendum. sion des lois du Sénat a élaboré un certain nombre C'est pourquoi je suis cosignataire d'un amendement, d'amendements au projet de loi. Ils méritent un examen élaboré le 19 juillet avec mes collègues MM. Blin et attentif, notamment s'agissant de la simplification des Lucotte, ayant pour objet l'organisation de ce débat au débats publics. Parlement avant que le Président de la République sou- Mais, pour atteindre l'efficacité, la réorganisation du mette le texte de la loi au peuple français. Le président travail parlementaire appelle une concertation tripartite. Jacques Larché, rapporteur de la commission des lois, a Le Gouvernement, l'Assemblée nationale et le Sénat d'ailleurs repris cette disposition dans le texte de son rap- doivent trouver un terrain d'entente pour élaborer un sys- port. tème conciliant réflexion et action, tout en évitant les Pour en terminer avec les modifications concernant le errements du passé. référendum, je voudrais exprimer un regret. Il me semble Les travaux précipités ne sont pas à l'honneur de nos manquer à cette réforme constitutionnelle une vision assemblées. J'en garde à l'esprit un souvenir pénible : générale du fonctionnenent de la procédure référendaire. ayant été rapporteur devant vous, mes chers collègues, du C'est en effet dans les petites et moyennes collectivités projet de loi de ratification du traité instituant l'Acte humaines que le référendum trouve au mieux sa place, les unique européen, je me souviens d'une discussion géné- grandes nations occidentales usant peu du référendum rale s'ouvrant en début d'après-midi alors que le rapport national. J'ai donc le sentiment qu'en adoptant la modifi- n'avait pu être distribué que dans la matinée. Comment cation de l'article 11 qui nous est proposée, la France se peut-on juger en connaissance de cause un engagement dote d'un dispositif d'usage vraisemblablement limité. Je national de cette importance dans de telles conditions ? regrette que la toilette de nos institutions aujourd'hui A l'opposé de tels errements, les exemples étrangers, en entreprise n'ait pas comporté une réflexion sur l'emploi particulier l'exemple allemand, montrent qu'une planifi- des référendums locaux, susceptibles de favoriser la parti- cation rationnelle du travail parlementaire, même à long cipation des citoyens à l'aménagement du territoire. terme, est possible. Quelle est la position du Gouvernement en ce domaine ? Ne ratons pas l'occasion qui s'offre à nous de changer Compte tenu des échanges passionnés qui ont eu lieu radicalement de méthode à l'heure de l'informatisation, naguère au Sénat sur cet article 11, je pensais que le cha- d'Internet et des visioconférences. pitre Ier du projet de loi serait au centre du débat. Pour- Enfin, le chapitre III du projet de loi, traitant de l'in- tant, l'institution de la session unique de neuf mois paraît violabilité parlementaire, appelle aussi quelques observa- devoir occuper, après son examen par la commission des tions. lois, une place importante dans la discussion en cours. Certains ont pu voir dans les dispositions de l'article 26 Le chapitre II du projet de loi substitue une session de la Constitution une véritable impunité des parle- unique aux deux sessions ordinaires, auxquelles la pra- mentaires. Cette interprétation est erronée. Il serait inac- tique avait adjoint un nombre sans cesse accru de sessions ceptable de donner l'impression de sacrifier les élus de la extraordinaires. L'objectif étant de rationaliser le travail nation à une campagne médiatique ou à une obscure parlementaire, la session unique aurait le mérite théorique volonté de suspicion à leur égard. Il s'agit de conserver, de nous donner du temps pour une action législative har- en l'adaptant à la session unique, un régime d'immunité monieusement répartie. indispensable à l'exercice serein du mandat confié par le Dans cette perspective idéalisée, il y aurait du temps peuple. Ce débat nous permettra de comprendre si les pour que les commissions jouent sereinement leur rôle de mesures proposéespar le Gouvernement permettent d'at- réflexion et de décision ; du temps pour des débats moins teindre cet'objectif. précipités ; du temps, enfin,pour exercer une vigilance Au moment de conclure, après l'analyse des trois prin- accrue sur le pouvoir exécutif. cipaux chapitres du projet de loi de réforme constitu- La continuité des activités parlementaires - tout du tionnelle, je crois pouvoir donner acte au Gouvernement moins la réforme qui s'en approche - équivaut incontes- que le but qu'il cherche à atteindre au travers de ses pro- tablement à la permanence de la représentation populaire. positions est celui de l'indispensable modernisation de Ne nous y trompons pas : la plupart des démocraties notre République. C'est une oeuvre essentielle, mais aléa- occidentales l'ont ainsi compris en aménageant une toire. Il faut, à la fois, respecter les grands équilibres insti- session unique. tutionnels de la Ve République et répondre aux change- 1346 SÉNAT — SÉANCE DU 24 JUILLET 1995
ments considérables de notre société dans les trente-sept consacrant la prééminence présidentielle. Chacun, avec années d'application loyale et harmonieuse de la Consti- son tempérament, avec son style, a fait la même inter- tution de 1958. prétation et, depuis, toutes les controverses qui avaient Aujourd'hui, la réforme en fonction de l'évolution de été soulevées par cet article 5 se sont définitivement éva- la société, que ce soit par décret ou par la loi, n'est pas nouies, ne constituant plus, dans les facultés, qu'un exer- assurée de réussir. Réformer, c'est envisager le change- cice de travaux pratiques. ment avec le consentement populaire. C'est pourquoi J'en viens au troisième danger de l'exercice de modifi- nous considérons que le référendum . peut trouver sa place cation auquel nous sommes conviés. C'est le réveil per- dans cette éventualité, mime si nous reconnaissons que manent de nos vieux démons institutionnels. Il existe, en son usage est complexe et son résultat incertain. effet, au fond de chaque homme politique, une faculté de Une large action d'information, de persuasion presque, se quereller sur nos institutions. s'impose pour entraîner nos concitoyens, prudents ou Aujourd'hui, il nous est demandé d'accepter une hui- méfiants, à devenir les acteurs du changement. tième révision de la Constitution. Vous l'avez définie J'ai évoqué, au début de cette intervention, la vison vous-même, monsieur le garde des sceaux, dans une très prophétique d'Edgar Faure en 1955. Dans le même jolie formule que n'aurait pas rejetée Shakespeare : elle est esprit, je conclurai en rappelant sa célèbre formule des « ambitieuse et modeste ». Permettez-moi, à cet égard, de « majorités d'idées ». Pour lui, les grandes questions natio- vous rappeler que la modestie, selon Shakespeare, était nales ne pouvaient trouver de solution qu'à travers des pour l'ambition une échelle vers laquelle celui qui s'élève majorités d'idées, transcendant les divisions politiques, tourne son visage. syndicales ou philosophiques. En réalité, notre débat se situe entre deux questions : C'est pourquoi, malgré le préjugé traditionnellement qu'apporteront les changements que vous nous proposez, défavorable à l'article 11 dans les rangs des sénateurs du et seront-ils aisément applicables ? Rassemblement démocratique et européen, mes collègues suivront avec une particulière attention le débat sur la Il s'agit d'abord de modifier ce que Michel Debré réforme constitutionnelle avant de déterminer leur vote. appelait devant le Conseil d'Etat, le 27 août 1958, le « strict régime des sessions », qu'il situait dans « la voie Pour ma part, je garde l'espoir d'une conciliation entre étroite parlementaire ». la volonté du pouvoir exécutif de se doter d'un nouveau dispositif référendaire pour la modernisation de la Je tiens à faire remarquer aujourd'hui que, si l'on pose République et l'indispensable respect. du pouvoir législatif. à nouveau le problème du travail parlementaire, la res- Cette conciliation, je la souhaite personnellement claire ponsabilité en incombe à tous les gouvernements de la et solennelle. Elle doit confirmer lç principe du régime Ve République, en particulier depuis 1981, date à partir parlementaire de la Ve République sans contredire la de laquelle l'inflation, la boulimie législative - je préfère volonté de son créateur de pouvoir donner la parole au boulimie, car c'est une maladie, à inflation - ont pris une peuple dans des moments difficiles, pour, selon l'expres- proportion insupportable pour ceux qui ont la responsa- sion du général de Gaulle que j'ai citée tout à l'heure, bilité de faire les lois. « maintenir l'action et l'équilibre des pouvoirs ». (Applau- Les gouvernants, quels qu'ils soient, se sont, pendant dissements sur les travées du RDE, du RPR et de l Union ces périodes, davantage préoccupés de « tenir » leur majo- centriste, des Républicains et Indépendants.) rité que d'explorer les voies d'un dialogue fructueux avec M. le président. La parole est à M. Taittinger. le Parlement. M. Pierre-Christian Taittinger. Monsieur le président, S'il existe un certain déclin du Parlement, celui-ci s'ex- monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, modi- plique par la difficulté qu'ont connue les deux assem- fier une Constitution, si légèrement que ce soit, demeure blées, confrontées à l'action de l'exécutif, pour s'adapter un exercice toujours délicat. de façon efficace aux réalités politiques, économiques et sociales de cette fin de siècle. Vous êtes en train de l'apprécier en cet instant, mon- sieur le ministre de la justice, pour trois raisons simples et Les difficultés que rencontre le Parlement proviennent évidentes. essentiellement de l'incapacité gouvernementale à organi- D'abord, parce que « les Français ont l'esprit ainsi fait ser rationnellement le travail législatif, incapacité d'autant qu'ils voient les inconvénients d'une chose avant ses avan- plus surprenante, mes chers collègues, qu'elle constitue, à tages ». Cette réflexion de Valéry Giscard d'Estaing pour- notre époque, la préoccupation majeure de toutes les rait figurer en préambule de tout projet de réforme ! entreprises françaises, oit deux notions dominent : la recherche de la productivité et la réduction du temps de Ensuite, parce que, au-delà du caractère anodin d'une travail. Deux perspectives qui, dans nos assemblées, sont évolution, se crée, ce qui est beaucoup plus sérieux, une totalement ignorées ! pratique du droit et se développe une coutume. Je sais que les auteurs sont partagés à ce sujet, mais il faut se Je dois dire que les différents gouvernements, quelle rendre à l'évidence : « Il existe des pratiques répétées qui que soit leur sensibilité, ont développé des conceptions ne sont pas explicitement prévues par la Constitution et opposées qui s'appelaient l'urgence, la précipitation et, qui sont ressenties comme une obligation. » quelquefois même, l'affolement. Au demeurant, combien Je prendrai un exemple très précis, celui de l'article 5. de lois votées dans ces conditions ne sont pas entrées en La Constitution de 1958 représentait, à cet égard, un vigueur ? modèle d'équilibre entre un régime parlementaire rénové Plus que la durée des sessions ou le nombre des jours et une direction présidentielle contenue, et les difficultés de séance, la qualité du travail parlementaire dépendra de qu'ont rencontrées les rédacteurs de cet article 5 étaient le la détermination du Gouvernement. Il en sera de même à signe de la volonté de parvenir à cette solution. Or la propos du contrôle de l'action gouvernementale, qui reste réforme de 1962, qui apparaissait limpide, a totalement une des missions majeures du Parlement et un élément transformé le caractère de nos institutions. Depuis, tous essentiel du jeu démocratique. Là aussi, il ne s'agit pas de les chefs d'Etat successifs ont fait, souvent même en s'en fixer une durée, mais de constater une intention gouver- défendant, une application coutumière de cet article, nementale de faciliter l'utilisation des moyens multiples SÉNAT — SÉANCE DU 24 JUILLET 1995 1347
qui sont mis à la disposition des parlementaires. Ce sera Le référendum devenait pour lui la question de de plus en plus décisif, notamment pour le contrôle des confiance posée directement aux électrices et aux élec- actes communautaires. teurs, leur permettant de confirmer ainsi une adhésion à La durée des sessions ne constituera jamais un véritable un chef d'Etat et à une politique. enjeu. Seules compteront, pour que nous conjurions le En 1969, il saura en tirer les conséquences. Alors que déclin du Parlement, l'efficacité, la qualité et l'importance le peuple français avait simplement confirmé son attache- de nos travaux. ment au Sénat et ne demandait pas son départ, lui, quit- tera le pouvoir. Le référendum est encore un sujet brûlant. Il demeure la grande innovation de la Constitution de 1958. Il éta- Depuis cette date, il faut reconnaître que ses succes- blissait l'originalité significative de la Ve République. seurs ont adopté une démarche beaucoup plus prudente, précisant les uns et les autres, même s'ils ne recouraient A cet égard, je reprendrai l'expression de François pas au référendum, qu'une éventuelle réponse négative Luchaire, dans un livre de droit qui fait référence : « En n'entraînerait jamais leur démission. introduisant le référendum législatif dans nos institutions, Pour le général de Gaulle, le référendum se justifiait le constituant a cherché à rompre avec une tradition par la nécessaire adoption d'un texte majeur... d'hostilité et de méfiance à l'égard des procédés de démo- cratie semi-directe. » M. Michel Dreyfus-Schmidt. Le plébiscite ! M. Pierre-Christian Taittinger. ... et la confirmation de Il faut reconnaître que, dans l'histoire de nos institu- la légitimité présidentielle. tions, le référendum a connu des destins fâcheux : les ten- tatives de la Convention s'étaient révélées des échecs, Aujourd'hui, dans le cadre d'une interprétation beau- l'approbation populaire des constitutions révolutionnaires coup plus limitée - je vous le concède, monsieur le garde des leurres ; Bonaparte s'en était servi comme d'un ins- des sceaux - il nous est proposé d'étendre le champ d'ap- trument d'autorité ; quant au prince-président, il avait plication du référendum. créé l'usage de l'appel au peuple. La rédaction que vous nous proposez, je le reconnais, est à la fois souple et suffisamment cadrée pour apaiser, Il aura fallu attendre un auteur, Carré de Malberg, au fond, les angoisses qui nous ont été brillamment expo- pour assister à une tentative de réconciliation entre les sées. procédés de démocratie directe et le régime représentatif. Au reste, il aurait été imprudent, monsieur le garde des Mais, dès 1958, au moment où la question s'est posée, sceaux, d'aller plus loin dans un pays aussi fortement les constituants ont mesuré les difficultés que représen- marqué par la tradition parlementaire et où existe encore taient la pratique et l'usage du référendum. une défiance légitime à l'égard des tentations je ne dirai Derrière la critique dirigée contre les excès du régime pas plébliscitaires, le mot est un peu démodé,... représentatif, qui était accusé de transférer la souveraineté M. Michel Dreyfus-Schmidt. Il est historique ! du peuple au Parlement, et la noble affirmation de la M. Pierre-Christian Taittinger. ... mais publicitaires du participation populaire au processus de la décision poli- pouvoir. Cela, les présidents de la République d'au- tique, que d'obstacles, que de craintes et de réserves ces jourd'hui et de demain, comme ceux d'hier, le savent. procédures suscitaient ! Il était parfaitement concevable Qui songerait à réveiller des passions vaines et des divi- d'admettre les hésitations et les doutes. sions stériles ? Je prends un exemple très précis, en dehors de toute Dans notre tradition politique, le référendum restera actualité, ce qui nous permet d'avoir une sérénité totale. essentiellement associé à l'exercice du pouvoir constituant Dans son beau livre Hier et Demain, Vincent Auriol fai- et à quelques grandes questions de principe. Le banaliser sait l'éloge du procédé référendaire. Il disait : « Ce pro- serait un risque inutile pour de multiples raisons. cédé donne aux lois toute leur force, les aide à briser les D'abord, il est difficile à organiser. En outre, son coût résistances et à franchir les obstacles. » sera de plus en plus exorbitant, et, sachant que l'on veut Or, en 1946, alors qu'il possédait une autorité indis- réduire les dépenses publiques, les Français ne compren- cutée, Vincent Auriol fut l'un des plus réservés quant à draient pas qu'on y recoure de plus en plus fréquem l'introduction du référendum dans la constitution de la ment. IVe République. Ensuite, ce serait ajouter encore à la fréquence des C'est ce qui expliquera toutes les ambiguïtés de consultations électorales en France, pays d'Europe et l'article 11, les controverses et les interprétations diverses peut-être même du monde où l'on vote le plus souvent et qu'il aura provoquées et le fait que l'on ne verra jamais le plus régulièrement ! surgir dans cet article cette préoccupation essentielle : le Enfin, il y a le phénomène que représente la dramatisa- référendum ne doit pas apparaître comme une arme d'un tion médiatique. Aujourd'hui , il n'y a plus de débat président contre le Parlement. innocent et simple sur une question sans que le pouvoir médiatique essaie de créer un climat de guerre civile. Et si C'est ce qui explique aussi que les rédacteurs de la un jour on interroge les Français par voie de référendum Constitution aient évité un certain nombre de données sur la durée des vacances scolaires ou l'heure d'été, je fondamentales pour définir et préciser les limites de crains que nous n'aboutissions à un véritable drame l'article 11. national qui rappellera les grandes périodes qui ont le Après la réforme de 1962, c'est le général de Gaulle plus divisé les Français ! qui a été amené à donner au référendum une dimension Nous sommes persuadés que le référendum ne sera nouvelle et précise, que M. Maurice Schumann a eu jamais, en France, un mode de gouvernement, mais seule- d'ailleurs raison de rappeler. ment une méthode de sondage un peu plus affirmée, en Dans sa conférence de presse du 31 janvier 1964, le dehors de grandes questions nationales pour lesquelles général de Gaulle déclarait : « Le peuple souverain, en éli- l'arbitrage des Français serait nécessaire. sant le président, l'investit de sa confiance. C'est là d'ail- Son avenir va donc dépendre essentiellement à la fois leurs le fond des choses et l'essentiel du changement ac- du niveau d'éducation civique des électrices et des élec- compli. » teurs, de la sagesse des gouvernants, qui éviteront des 1348 SÉNAT — SÉANCE DU 24 JUILLET 1995
démarches irréfléchies, mais également de la vigilance de Telles sont, au-delà des visées immédiates, qui plus en plus grande d'un peuple qui saura refuser ce qu'il importent peu, les questions posées par le présent projet considérera comme relevant de la seule habileté politi- d'extension du référendum aux affaires économiques et cienne. sociales, voire à l'organisation des services publics, c'est-à- Pensant à Chateaubriand, qui terminait ses Mémoires dire à la partie la plus vivante, la plus actuelle et la plus d'outre-tombe en regardant le coucher du soleil sur le jar- controversée de notre vie publique. din des missions étrangères et en essayant d'imaginer ce A la question de l'opportunité de l'extension du champ que serait le monde qui s'ouvrait sous ses pas, je crois du référendum, une large majorité du groupe de l'Union que l'on peut faire un rave, celui que l'on arrive un jour centriste - à l'exception de quelques personnalités à une forme de référendum consultatif. notoires - est prête à répondre positivement,— L'idée a été lancéepar quelques juristes de grande qua- M. Jean-Luc Mélenchon. Ah ah ! lité. Ce type de référenelum, dans un environnement M. Pierre Fauchon... par réalisme d'abord,... apaisé et serein, dans le cadre d'une démocratie représen- M. Jean-Luc Mélenchon. Non, non ! tative, offrirait au peuple l'occasion d'être associé à la pré- paration d'un processus de décision. Il permettrait au M. Pierre Fauchon la démocratie étant d'ores et déjà Parlement de mieux connaître les préoccupations des directe, mais aussi par confiance en un suffrage universel citoyens et de mieux les prendre en considération. mieux informé et tout de même beaucoup mieux instruit qu'au temps de Montesquieu ; enfin, et peut-être surtout, Je reste persuadé - ce n'est pas l'objet du débat nous n'ignorons pas que, sur les graves questions que d'aujourd'hui - que le mue siècle saura répondre à cette notre société doit résoudre si elle ne veut pas se disloquer exigence. (Appktudissements sur les travées des Républicains et Indépendants, du RPR et de l'Union centriste, ainsi que - je n'ai pas besoin de les énumérer, elles sont dans tous sur certaines travées du RDE.) les esprits - seules des décisions prises par la nation tout entière peuvent clore les polémiques et dépasser les M. le président. La parole est à M. Fauchon. contestations idéologiques comme les revendications caté- gorielles. M. Pierre Fauchon. Monsieur le président, monsieur le Pour autant, je dois avouer que nous ne sommes guère garde des sceaux, mes chers collègues, l'état de droit rassurés, ne croyant pas que la démocratie directe soit auquel s'est référé M. Guy Allouche ne saurait être un purgée de ses inconvénients propres, non plus que des état d'immobilité parfaite; même dans sa structure de dévoiements auxquels elle peut donner lieu. base, la Constitution. Beaucoup dé choses changent et, Il est à craindre, en particulier, que les effets d'entraî- pour celles qui perdurent, c'est l'éclairage qui change. Si nement et de mode, les mises en scène et éclairages divers l'occasion se présente d'accompagner le changement, il qui donnent un si grand pouvoir aux médias, la difficulté faut savoir la saisir. d'apprécier les conséquences d'une décision à moyen et à Cette occasion nous est fournie par l'élection' présiden- long terme, la pression des motivations les plus immé- tielle. Il serait trop injuste, monsieur le garde des sceaux, diates et les plus personnelles ne concordent mal avec que, via l'amnistie, l'avènement d'un nouveau chef de l'intérêt général. I Etat ne soit une aubaine que pour les mauvaises M. Michel Dreyfus-Schmidt. L'antithèse après la thèse ! actions ! La discussion simultanée d'une réforme constitu- tionnelle devrait consoler les amis du bien public, au pre- M. Pierre Fauchon. A quoi l'on peut objecter, mon mier rang desquels le Sénat veille et agit. cher collègue, que les débats parlementaires, dont vous Telle que le Gouvernement l'imaginait, cette réforme êtes si friand, ne donnent pas non plus toujours une intéresse grandement le 'pouvoir législatif puisqu'elle tend impression très satisfaisante ! à élargir le champ de la démocratie directe mais aussi M. Michel Dreyfus-Schmidt. Vous êtes trop modeste ! celui de la démocratie représentative, de l'action parle- M. Pierre Fauchon. Si le suffrage universel peut être mentaire. myope et parfois aveugle, il arrive que le Parlement, pour Telle que notre commission des lois la propose, cette sa part, soit sourd. réforme pourrait trouver sa cohérence profonde dans Le plus grave tient peut-être au caractère excessivement l'association du Parlement au processus référendaire et sommaire des verdicts populaires. Il n'y a pas de bonne dans la modernisation qui permettrait à ce même Parle- loi qui ne soit le fruit de ce laborieux effort d'ac- ment de mieux assumer les responsabilités qui restent les commodement et de composition qui est au coeur de siennes. toute démocratie pluraliste authentique, mais que ne per- Le développement de la démocratie directe est une réa- met évidemment pas le référendum (M Dreyfus-Schmidt lité dont nous sommes les témoins impuissants et souvent applaudit) puisqu'il ne peut aboutir - et d'une manière désolés : sondages, impulsions télévisuelles, manifestations difficilement révocable - qu'à l'adoption ou au rejet glo- toujours plus nombreuses et plus exigeantes... Nos bal d'un texte souvent fort complexe et donc mal contemporains, sollicités ou non, manipulés ou non, se compris. mêlent de plus en plus de ce qui les regarde et acceptent S'il faut bien admettre que le développement des socié- de moins en moins que leur sort soit réglé sans eux. tés modernes génère une complexité croissante, on voit Faut-il prendre acte de cette évolution et la satisfaire mal comment celle-ci pourrait être maîtrisée par voie de en généralisant le référendum ? Le système parlementaire référendum, si ce n'est au prix d'une certaine mystifica- cher à Montesquieu est-il dépassé ? En viendrons-nous au tion, ayant bien de la difficulté p°ur les citoyens à discer- turbot de Domitien ? ner la substance des choses derrière l'appât des promesses et des effets d'annonce. L'articulation directe entre le pouvoir exécutif et l'ensemble des citoyens est-elle le nouvel avatar de la M, Michel Dreyfus-Schmidt. Eh oui ! démocratie, seul capable de lui rendre vie, ou le rituel M. Pierre Fauchon. Qu'on le veuille ou non, la dérive manipulable et confus qui la conduit à sa perte, sous le plébiscitaire est sous-jacente à toute démarche référen- couvert du triomphe ? daire. On aperçoit ainsi un certain gouffre. SÉNAT — SÉANCE DU 24 JUILLET 1995 1349
Il faut donc imaginer une formule qui soit de nature à ordinaire, le Président de la République conservant l'ini- prévenir les dangers du référendum sans altérer ses vertus tiative et jouant ainsi davantage un rôle d'arbitre, donc vivifiantes pour la démocratie. un rôle moins dynamique que celui que lui confère l'élec- tion au suffrage universel. M. Michel Dreyfus-Schmidt. Contrôle de constitution- nalité ! Il faut reconnaître que ce système pouvait apparaître comme susceptible d'aboutir à une fâcheuse discordance M. Pierre Fauchon. C'est dans la procédure qu'il faut entre le Parlement et le pays. Le débat sans vote, qui chercher la solution plus que dans la définition du nou- n'exclut ni la motion de censure à l'Assemblée nationale, veau champ offert au référendum,... ni les affirmations d'opposition des groupes du Sénat, M. Jean-Luc Mélenchon. Ben voyons ! laisse probablement en réalité une plus grande indépen- M. Pierre Fauchon... cette définition étant nécessaire- dance aux parlementaires. ment large si l'on veut répondre à la question posée, Cette solution,qui fut suggérée voilà déjà une quin- donc extensible au eré du ou des détenteurs du droit zaine de jours par le président de notre assemblée, d'initiative, et l'on sait bien que le vote ne portera jamais M. Monory, a été finalement adoptéepar la commission sur des contestations de frontière de compétences mais des lois. Nous l'approuvons, parce qu'elle permet d'asso- sur le fond. cier le Parlement au lieu de l'éviter, comme d'avoir le Certains, et non des moindres, ont suggéré de sou- bénéfice des débats et des avertissements que la dis- mettre le texte proposé au contrôle du Conseil constitu- cussion, ainsi ouverte sans risque dans l'opinion, ne man- tionnel. quera pas d'engendrer. Une telle censure peut éviter le pire éventuellement, Ceux pour qui l'exécutif n'aura jamais assez de pou- mais elle est contestable juridiquement - elle était plus voirs se plaindront peut-être, oubliant que ces pouvoirs concevable s'agissant des textes relatifs aux garanties fon- sont déjà considérables, sauf .en période de cohabitation, damentales des libertés - dans la mesure où le peuple non concernée par ce projet. Est-il nécessaire, est-il souverain a toujours le droit inaliénable d'interpréter la prudent de grandir encore ce que d'illustres auteurs ont Constitution aussi bien que son préambule... appelé la « dérive monarchique » du régime, en dépit de la volonté hautement affirmée d'y mettre fin ? Il ne me M. Michel Dreyfus-Schmidt. Non ! semble pas que cela soit de saison. M. Pierre Fauchon. Mais si ! Le Conseil constitutionnel La démarche référendaire ne perdra rien de son auto- ne dispose que d'un pouvoir délégué. Qu'il intervienne rité, mais deviendra ainsi moins aléatoire et plus consen- dans 1 interprétation que le pouvoir représentatif ou le suelle, plus modeste aussi. Mais la modestie n'est-elle pas pouvoir exécutif font des lois fondamentales, c'est nor- une des formes les plus attendues de la modernité ! mal. Mais dès lors que c'est le souverain qui s'exprime, personne n'a plus la parole ! Pour être moins spectaculaire, la continuité des travaux parlementaires assurée par une session unique pourrait Aussi bien, ce contrôle du Conseil constitutionnel être d'une beaucoup plus grande portée dans la mesure serait peu efficace politiquement dans la mesure où la où elle s'accompagnerait d'une amélioration substantielle vérification de constitutionnalité... des méthodes. M. Michel Dreyfus-Schmidt. Nous sommes souverains ! Depuis l'avènement de la République, nous vivons M. Yves Guéna. Ce n'est pas vous, c'est le peuple le dans le concept selon lequel une loi ne peut être votée souverain ! que dans les formes solennelles de la séance publique, avec son déroulement rituel : discussion générale, motions M. Michel Dreyfus -Schmidt. On le représente ! éventuelles, examen article par article, amendements, M. Yves Guéna. Pardonnez-moi, monsieur Fauchon. explications de vote... Ceux qui se donnent la peine d'as- M. Pierre Fauchon. Mais je vous remercie, monsieur sister aux séances savent que ce processus est bien souvent Guéna, car, si je comprends bien, vous m'appuyez, ce qui détourné de sa raison d'être normale, qui est la mise au est tout à fait précieux, j'allais presque dire inattendu ! point d'un texte, ou son rejet, au profit d'une faculté (Sourires.) quasi illimitée d'expression individuelle, parfois utilisée Le contrôle du Conseil constitutionnel serait peu effi- dans le seul but de faire obstruction au processus législa- cace politiquement dans la mesure où la vérification de tif. constitutionnalité ne purge pas les vices ou inconvénients Le résultat est que l'hémicycle est déserté - c'est tout inhérents à la consultation référendaire. de même cela, le grand mal - et que le fameux débat La plupart des textes n'auront aucune incidence consti- démocratique n'est plus qu'un rituel assez formel qui tutionnelle, mais ils n'en tomberont pas moins sous le n'intéresse guère que les spécialistes, d'ailleurs talentueux coup des menaces que j'ai évoquées tout à l'heure et qui et tenaces, de ce genre d exercices, compagnie auxquels sont réelles, même si on ne les dramatise pas, comme l'a tiennent ceux qui, placés en sentinelles pour prévenir les fait avec tant de talent notre ami Guy Allouche dans son coups fourrés, le subissent bon gré mal gré. (Sourires.) intervention. Avouons qu'il faut beaucoup d'optimisme et un peu La sagesse nous paraît être davantage de faire coopérer d'aveuglement pour croire que la démocratie est suspen- les deux modes du pouvoir législatif. Il nous a semblé due au maintien d'un tel système qui, en réalité, la dévi- que cette coopération .pouvait se réaliser par une présenta- talise. tion préalable du projet référendaire à chacune des deux M. Michel Dreyfus-Schmidt. Monsieur Fauchon, me assemblées donnant lieu à un débat. permettez-vous de vous interrompre ? Fallait-il aller jusqu'à prévoir un vote à l'issue de ce M. Pierre Fauchon. On tombe dans ce que je crai- débat ? On serait ainsi entré dans une toute autre concep- gnais ! (Rires.) Bien sûr, je ne peux rien vous refuser, tion du référendum, conception intéressante certes, mais monsieur Dreyfus Schmidt. selon laquelle, sans avoir à faire de distinction dans le champ de l'action législative, la consultation du pays M. le président. La parole est à M. Dreyfus-Schmidt, serait rendue possible pour toute loi votée en la forme avec l'autorisation de 1 orateur. 1350 SÉNAT — SÉANCE DU 24 JUILLET 1995
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Je ne crois pas que ce soit M. Pierre Fauchon. ... qui ne peuvent pas être compa- ce que vous craigniez. C'est au contraire ce que vous sol- rées à celles du chef de l'Etat élu au suffrage universel... licitez, c'est-à-dire un débat qui ne soit pas formel. C'est M. Michel Dreyfus-Schmidt. Nous aussi ! vous qui m'avez encouragé à vous interrompre. (Sourires.) M. Pierre Fauchon. ... et, a fortiori, à celles du peuple L'article 3 de la Constitution dispose : « La souverai- lui-même. neté nationale appartient au peuple qui l'exerce par ses Constatons notre désaccord, comme disait Phileas représentants et par la voie du référendum. » Fogg ! Le mandataire n'a-t-il pas les mêmes pouvoirs que le Avouons qu'il faut beaucoup d'optimisme - je sais que mandant ? Lorsque nous agissons au nom du peuple, ne vous en avez beaucoup, cher ami Dreyfus-Schmidt - et représentons-nous pas la souveraineté nationale ? quelque peu d'aveuglement - je n'oserai pas dire que M. Roger Chinaud. Il n'a pas dit le contraire ! vous en avez un peu - pour croire que la démocratie est M. Michel Dreyfus-Schmidt. Pourtant, nos travaux sont suspendue au maintien d'un tel système qui, en réalité, la soumis au contrôle du Conseil constitutionnel ! Pourquoi dévitalise. la question posée par le Président de la République ne M. Roger Chinaud. C'est vrai ! serait-elle pas soumise elle aussi au Conseil constitution- M. Pierre Fauchon. Ce qui était supportable en un nel avant que le peuple soit appelé à y répondre ? temps où les travaux législatifs étaient moins lourds, ce (Applaudissements sur les travées socialistes.) qui reste légitime et nécessaire à l'égard de tout texte de M. Jean-Luc Mélenchon. C'est imparable ! portée ou de signification politique générale, n'a plus lieu d'être en notre temps d'inflation législative à l'égard de M. Yves Guéna. C'est une offense au peuple ! textes dont les aspects techniques l'emportent de très loin, M. le président. Monsieur Fauchon, veuillez pour- voire exclusivement, sur la portée politique. suivre, je vous prie. Pour de tels textes, comme on peut le constater quoti- M. Pierre Fauchon. Monsieur Dreyfus-Schmidt, votre diennement et comme les assemblées révolutionnaires, interruption m'oblige à revenir en arrière. auxquelles je vous renvoie, l'avaient d'ailleurs bien Je continue de penser que le rôle du Conseil constitu- compris, c'est la commission - il s'agissait alors des comi- tionnel est de contrôler les mandataires et, éventuelle- tés - qui constitue le meilleur cadre du débat, celui qui ment, le pouvoir exécutif qui n'exercent que des pouvoirs permet la confrontation plus sincère, moins artificielle, et délégués. le rapprochement des points de vue parce qu'il gagne en sérénité ce qu'il perd en solennité. M. Paul Masson. Après que la loi a été votée ! Un dispositif est proposé - le temps permettra de le M. Pierre Fauchon. Mais on ne contrôle pas le souve- mettre au point - qui ménage tout ce qui doit être rain qui interprète lui-mime sa Constitution et la modifie ménagé : le droit d'amendement pour tous, la présence éventuellement. Il est le souverain ! du Gouvernement et celle des commissions saisies pour M. Michel Dreyfus-Schmidt. Nous sommes les souve- avis, la publicité ; ce dispositif n'exclut pas la discussion rains missi dominici ! générale, mais permet de l'éviter lorsque la raison l'auto- rise. M. Pierre Fauchon. Je vous renvoie à Jean-Jacques Une telle diversification de la procédure du vote de la Rousseau, ce qui ne doit pas tellement vous être étranger. loi permettrait d'apporter à celle-ci une amélioration aussi M. Michel Dreyfus-Schmidt. Nous sommes les souve- bien qualitative que quantitative. C'est dans cet esprit rains ! qu'elle nous est proposée par la commission des lois. M. Pierre Fauchon. Non ! Nous sommes les manda- Notre groupe voit dans une telle diversification des taires du souverain, et c'est totalement différent. procédures de vote la chance; qu'il faut saisir, d'une réno- vation profonde de la procédure législative et de la vie M. Michel Dreyfus-Schmidt. C'est pareil ! parlementaire permettant une meilleure participation de M. Roger Chinaud. Non, c'est différent ! tous, la valorisation du vote personnel, qui reste la pierre M. Pierre Fauchon. Nous en arriverons peut-être un de touche de la vraie démocratie et qui a conservé son jour à des référendums abrogatifs comme il s'en pratique rôle au sein des commissions... dans des démocraties qui ne sont pas ridicules et dans M. Michel Dreifus-Schmidt. Allons-y ! lesquelles les mandataires sont désavoués par voie de réfé- M. Pierre Fauchon. ... et une meilleure chance de coo- rendum. C'est la voie que nous n'avons pas cru opportun pération entre les tendances opposées. d'emprunter, au moins pour le moment. C'est dans cet esprit positif que nôtre groupe abordera M. Jacques Toubon, garde des sceaux. Sûrement pas ! le moment venu ce débat. M. Michel Dreyfus-Schmidt. Allons-y ! S'agissant enfin de l'immunité parlementaire, notre groupe, je dois l'avouer, est partagé entre la conviction M. Guy Allouche. C'est la question ! qu'elle est consubstantielle à 1 idée même de mandat par- M. Pierre Fauchon. Je suis donc parfaitement cohérent lementaire et la considération malheureuse du fait qu'au avec moi-même. cours de ces dernières années cette immunité a trop J'aurais pu également invoquer le fait que le Conseil souvent semblé protéger des comportements qui ne la constitutionnel n'est pas composé d'élus. méritaient pas ; d'où il s'ensuit que l'opinion, qui est sou- veraine, peut à juste titre s'inquiéter de la voir étendue à M. Roger Chinaud. Il y a une différence de nature ! proportion de l'extension de la session. M. Pierre Fauchon. Il existe une différence de qualité M. Michel Dreyfus-Schmidt. L'immunité n'a jamais et de nature dans ses responsabilités,... protégé personne ! M. Roger Chinaud. Très bien ! M. Pierre Fauchon. C'esi sur la question précise de M. Michel Dreyfus-Schmidt. Pourtant, il nous l'autorisation des poursuites que porte cette interrogation, contrôle ! que le débat ne manquera pas d'éclairer. SÉNAT — SÉANCE DU 24 JUILLET 1995 1351
Pour le reste, et particulièrement pour les diverses Dans la. Constitution de 1958, le recours au référen- mesures de sûreté, nous ne croyons guère possible de faire dum revêt un caractère exceptionnel dans la mesure où il un tri qui transformerait l'assemblée concernée en un ne peut concerner qu'un projet de loi portant sur l'orga- véritable juge d'instruction, selon la formule de notre col- nisation des pouvoirs publics. Le présent projet de loi va lègue M. Jolibois. C'est l'ensemble de ces mesures qui, au bien au-delà, car il prévoit d'étendre le champ du référen- même titre que l'arrestation naturellement, doit bénéficier dum à des matières qui ressortissent évidemment à la d'une protection aussi indispensable que traditionnelle compétence naturelle du Parlement et du Gouvernement, - vous l'avez dit : deux cents ans ; vous avez calculé juste, dans la mesure où le peuple pourrait être interrogé sur puisque vous tombez après la Terreur, après l'arrestation des réformes relatives à la politique économique et sociale des Girondins. Merci ! de la nation, et même aux questions éducatives, si l'on Au total, le groupe de l'Union centriste salue avec venait à approuver l'un des premiers amendements de la confiance l'important travail effectué par notre commis- commission des lois. sion des lois sous l'impulsion de son président rapporteur. Personnellement, je suis assez réticent devant cet élar- S'il en était besoin - et ce sera ma conclusion - ce travail gissement. Les référendums en grand nombre - on disait et ces propositions démontreraient à l'évidence le carac- jadis les plébiscites - rappellent fâcheusement les périodes tère irremplaçable de la démocratie représentative. bonapartistes et les prémices, entre 1802 et 1804, ou en (Applaudissements sur les travées de l'Union centriste, des 1852, du Premier ou du Second Empire. Républicains et Indépendants, du RPR, ainsi que sur cer- Sous couvert de démocratie directe, cette procédure est taines travées du RDE.) de nature à accentuer la présidentialisation. En effet, en • M. Michel Dreyfus-Schmidt. Le Gouvernement aurait l'état actuel du texte, le Parlement n'est à aucun moment pu interroger directement le peuple, monsieur Fauchon ! associé à la procédure. M. Michel Dreyfus-Schmidt. Dérive monarchiste ! M. le président. La parole est à M. Habert. M. Jacques Habert. En effet, à une époque où l'on M. Jacques Habert. Monsieur le président, monsieur le entend parler de « dérive monarchiste »... garde des sceaux, mes chers collègues, faut-il réviser la Constitution ? M. Michel Dreyfus-Schmidt. Voilà ! Telle est la question que plusieurs orateurs, déjà, ont M. Jacques Habert. ...de nos institutions, l'élargisse- posée dans ce débat général. ment du champ du référendum accroît considérablement les prérogatives du Président de la République et se prête Vous avez très bien expliqué, monsieur le garde des à des critiques renforcées. sceaux, les raisons pour lesquelles M. le Président de la République a décidé, conformément aux promesses qu'il M. Michel Dreyfus-Schmidt. Tout à fait ! avait faites au cours de sa campagne, de soumettre cer- M. Jacques Habert. La commission nous propose de taines rectifications constitutionnelles au suffrage du Par- prévoir la possibilité d'un débat parlementaire préalable. lement. Nous en sommes d'accord pour notre part. Cela permet- Cependant, moi, représentant les Français de l'étranger, tra que le pays, en entendant l'opinion de ses élus, soit qui ai déjà vécu pendant plus de trente ans dans un mieux informé sur la question posée et, surtout, que le grand pays dont la Constitution reste, à peu de chose Parlement ne soit pas mis hors jeu. près, celle que les Jefferson et Washington ont rédigée Venons-en maintenant à la session parlementaire voilà plus de deux siècles, je reste un peu perpelxe devant unique. Le projet de loi constitutionnelle prévoit une le spectacle de changements continuels que donne la nouvelle rédaction pour l'article 28 de la Constitution : France dans ce domaine. « Le Parlement se réunit de plein droit en une session Je ne pense pas seulement aux constitutions qui se sont ordinaire qui commence le premier jour ouvrable d'oc- succédé au début de la Révolution française. La Constitu- tobre et prend fin le dernier jour ouvrable de juin. » tion de l'an III, d'ailleurs, promulguée le 22 août 1795, Cette mesure remet en cause l'une des caractéristiques est pour nous la plus importante puisque c'est celle qui a les plus notables de la Constitution de 1958, qui, pour créé le Conseil des Anciens, précurseur du Sénat. J'espère inciter peut-être le Parlement à moins légiférer, stipulait - soit dit en passant - que nous n'oublierons pas de célé- que ce dernier siégerait moins longtemps : 180 jours au brer, dans les mois prochains, le bicentenaire du bicamé- total, en deux sessions de trois mois. risme, c'est-à-dire l'existence de deux chambres, qui Une session unique de neuf mois est maintenant pro- demeure la base essentielle d'une vraie démocratie parle- posée, pour assurer, nous dit-on, la permanence du mentaire. contrôle de l'action gouvernementale. Mais ne court-on pas le risque inverse ? M. Yves Guéna. Très bien ! Avec la suppression de l'intersession d'hiver, c'est, M. Jacques Habert. Les changements de régime et de comme l'a écrit notre excellent rapporteur M. Jacques constitution ont été fréquents chez nous. Je n'y reviendrai Larché, « un véritable boulevard qui s'ouvre à la frénésie pas. Rien que ces dernières années, nous nous sommes textuelle des cabinets ministériels », ainsi - puis je l'ajou- rendus quatre fois à Versailles pour des modifications ter ? - qu'aux propositions de loi des sénateurs et dépu- relativement mineures, sans doute nécessaires, et qui, par- tés. fois, comme le dernier changement relatif à l'article 88-4 On risque bien d'assister à une relance de l'inflation prenant en compte les changements dans l'organisation législative que contenait tant bien que mal la limitation de l'Europe, peuvent être d'une grande importance. des sessions. De 9uoi s'agit-il cette fois ? On l'a dit, trois points Le projet de loi constitutionnelle précise ensuite que le sont à 1 ordre du jour et figurent dans l'intitulé même du nombre de jours de séance que chaque assemblée pourra projet de loi : le référendum, la session parlementaire tenir au cours de cette session unique ne devra pas excé- unique et l'inviolabilité parlementaire. der cent trente. Pour nous en tenir à ce chiffre, il est pro- En ce qui concerne le premier point, le projet de loi posé que le Parlement se réunisse pendant ces neuf mois conduit à un élargissement considérable du champ du à raison de trois jours par semaine, sans doute les mardi, référendum. mercredi et jeudi. 1352 SÉNAT — SÉANCE DU 24 JUILLET 1995
Pour les sénateurs représentant les Français établis hors Actuellement, le régime de celle-ci diffère selon que le de France, ainsi, je pense, que pour tous les parle- Parlement est en session ou non. mentaires d'outre-mer, il s'agit d'un rythme qui s'accorde Pendant la session, l'inviolabilité concerne à la fois fort mal avec l'accomplissement de leur mandat et leurs l'engagement des poursuites et l'arrestation, l'immunité obligations loin de la métropole. parlementaire ne pouvant être levée que par la majorité M. Hubert Durand-Chastel. Très bien ! de l'assemblée. Hors session, au contraire, l'inviolabilité est restreinte à la seule arrestation, l'éventuelle levée d'im- M. Jacques Habert. Jusqu'à présent, les mois de jan- munité devenant du ressort du bureau. vier, février et mars nous permettaient de garder le Il semble que le Gouvernement n'ait pas voulu, dès contact avec les communautés françaises expatriées. Com- lors que la session durerait neuf mois, empêcher la justice ment pourrions-nous désormais rendre visite à nos man- d'engager des poursuites contre un parlementaire pendant dants ? Comment pourrions-nous programmer nos une période aussi longue — encore que neuf mois, cela voyages en Asie, en Afrique ou en Amérique si nous ne n'est pas si long ! La nouvelle rédaction proposée pour disposons que de trois jours par semaine ? Ce « saucisson- l'article 26 de la Constitution revient, en somme, à placer nage » me paraît très préjudiciable à l'efficacité de notre constamment les parlementaires dans la situation qui action. n'est actuellement la leur que pendant les périodes d'in- , La session de neuf mois ne me paraît pas la panacée tersession. s'agissant des maux dont souffre actuellement le Parle- ment. Ces maux, mes chers collègues, vous ne les La commission des lois du Sénat estime que le passage à la session unique n'est pas un motif suffisant pour connaissez que trop, et M. Larché les énumère dans son remettre en cause cet élément important du statut des rapport : « oksorganisation de l'ordre du jour prioritaire, absence de programmation des travaux parlementaires, députés et des sénateurs. Nous en sommes tout à fait d'accord. profusion des lois surchargées de dispositions régle- mentaires ou dénuées de toute portée normative, prolifé- L'immunité parlementaire est un principe démocra- ration des "législations à crédit", pour reprendre I expres- tique essentiel, plus que deux fois centenaire : il date en sion utilisée par le président du Sénat M. René Monory, effet du 23 juin 1789, lorsque les Etats généraux se sont augmentation déraisonnable de la durée des discussions proclamés Assemblée nationale. législatives, multiplication des séances de nuit, inflation L'inviolabilité des parlementaires est devenue, depuis, du nombre des amendements. » une tradition républicaine. Elle ne confère d'ailleurs On pourrait ajouter : absentéismé et désintérêt crois- aucune impunité à ses bénéficiaires, puisqu'elle ne fait sant pour les séances dans l'hémicycle. que retarder le moment des poursuites. Elle n'est pas non plus absolue, puisque l'immunité peut être levée. Elle Si l'on garde ces mauvaises habitudes, on ne fera qu'ac- constitue non pas un privilège, mais une protection légi- croître la dérive actuelle. On ne fera pas mieux en neuf time des élus pour que ceux-ci puissent s exprimer libre- mois que ce que l'on n'a pas pu faire en six. ment. Il faut modifier, réformer, moderniser les méthodes de travail. M. Michel Dreyfus-Schmidt. Très bien ! Plutôt que des semaines de trois jours, nous préconi- M. Jacques Habert. On ne voit pas pourquoi une sons, pour plus de souplesse, des semaines de quatre simple modification de la durée de la session conduirait à jours, voire de cinq, au moment du débat budgétaire par une limitation de la nécessaire protection du mandat par- exemple, avec, en compensation, une ou deux semaines lementaire. (Très bien t sur les travées socialistes.) libres plus tard, notamment de janvier à mars. M. Jacques Habert. La suppression de l'autorisation de L'essentiel, c'est que le travail du Parlement soit orga- poursuites pendant la session unique exposerait les parle- nisé bien longtemps à l'avance et que ce programme ne mentaires, comme l'a fort bien dit M. Larché, à un risque puisse plus ensuite être modifié. non négligeable : le harcèlement judiciaire. C'est ce qui se passe, par exemple, en République fédé- Avec l'enracinement de la démocratie en France, rale d'Allemagne. J'ai sous les yeux le Zeitplan, c'est-à-dire l'hypothèse d'arrestations arbitraires ou de poursuites l'horaire, le plan de travail du Bundestag pour l'année injustifiées sur ordre de l'exécutif n'a certes plus la même 1995: Ce programme a été établi dès l'automne de 1994 vraisemblance qu'il y a deux siècles. et il prévoit le déroulement des travaux de cette assem- Mais il ne faut surtout pas sous-évaluer les risques de blée jusqu'au mois de décembre 1995. harcèlement judiciaire, non plus par des autorités M. Cabanel connaît bien, lui aussi, ce document. publiques, mais par des personnes privées, physiques ou
Grâce à . ce programme, les députés allemands sont morales. En effet, des poursuites peuvent être èngagées informés de leur emploi du temps pour les douze mois, directement par des particuliers ou des associations, soit voire les quinze mois à venir. Ils savent ainsi quand ils par dépôt d'une plainte avec constitution de partie civile, devront se rendre à Bonn. Ils font dès lors connaître à soit par citation directe. La multiplication, depuis quel- leurs mandants quand ils seront présents dans leur cir- ques temps, des actions pénales engagées contre des élus conscription. Les activités locales étant prévues longtemps ou des ministres incite, à cet égard, à une très grande à l'avance, rien n'empêche plus les parlementaires d'être prudence. présents dans la capitale lorsque le Parlement siège. Contre cette menace de harcèlement que nous ne vou- J'ajoute qu'il ne serait pas obligatoire que ces semaines lons pas subir, la commission des lois propose de mainte- coïncident au Sénat et à l'Assemblée nationale. Une cer- nir le régime actuel, dans lequel l'engagement des pour- taine alternance pourrait être établie pour clarifier les suites durant les sessions est subordonné à l'autorisation débats et éviter d'inutiles précipitations. Je vous invite, de l'assemblée dont le parlementaire est membre. Nous monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, à réflé- approuvons entièrement cette attitude. chir à cette possibilité. Telle est la position des sénateurs non inscrits, au nom Le troisième point du projet de loi qui nous est soumis desquels je me suis exprimé, sur les trois points essentiels concerne l'inviolabilité parlementaire. du projet de loi portant réforme constitutionnelle. SÉNAT — SÉANCE DU 24 JUILLET 1995 1353
D'autres questions, moins importantes, sont également Je ne vais pas développer à nouveau ce sujet, je suis soulevées par ce texte. Nous aurons l'occasion d'en parler tout à fait d'accord sur ce point avec ce que vous avez lors de l'examen des amendements. dit, monsieur le garde des sceaux. Mais je vais en profiter Nous espérons, monsieur le garde des sceaux, que le pour ouvrir une parenthèse. débat qui va suivre permettra au Gouvernement et à la Quand on vient me dire : « Votez telle réforme consti- commission des lois de rapprocher leurs points de vue. tutionnelle, ainsi, les pouvoirs du Parlement vont être Nous souhaitons que cet échange conduise à un texte que accrus, ainsi, vous serez davantage respectés », je me rap- la majorité présidentielle tout entière pourra approuver et pelle qu'il y a vingt ans on était venu nous dire - et voter, non seulement ici, au Sénat, dès demain, mais j'avais voté cette loi - que l'on allait permettre à soixante aussi lundi prochain, lors de la réunion du Congrès à députés ou soixante sénateurs de saisir directement le Versailles. (Applaudissements sur les travées des R épublicains. Conseil constitutionnel - alors qu'auparavant seules et Indépendants, du RPR, de l'Union centriste et du RDE.) quatre autorités pouvaient le faire - afin que celui-ci se M. le président. La parole est à M. Guéna. prononce sur la constitutionnalité des lois. M. Yves Guéna. Cette réforme que, monsieur le garde M. Michel Dreyfus-Schmidt. Eh oui ! des sceaux, vous nous présentez au nom du Gouverne- M. Yves Guéna. Comme vous le savez, cela n'a pas ment comporte deux dispositions principales, la troisième, abouti à un renforcement des pouvoirs du Parlement. Le sur les immunités, étant annexe par rapport à l'allonge- Parlement, c'est-à-dire les représentants du peuple - oui, ment de la session parlementaire. nous le sommes - détenteurs de la souveraineté du L'une pose, en vérité, en tout cas à mes yeux, peu de peuple, sont désormais sous la tutelle des juges constitu- problèmes ; l'autre, selon moi, mérite une réflexion beau- tionnels ! coup plus approfondie, tant les bonnes intentions qu'elle affiche cachent de chausse-trapes. M. Josselin de Rohan. Nommés par M. Mitterrand ! La première, celle qui pose selon moi peu de pro- M. Yves Guéna. Nous nous sommes trompés nous- blèmes, est l'extension du référendum ; la seconde, si mêmes en nous lançant dans cette réforme ! préoccupante, est la session unique. M. Michel Dreyfus-Schmidt. Nous aussi, en ne la Je commencerai donc mon propos par l'extension de la votant pas ! procédure du référendum. Quand on touche à la Constitution, il faut se référer M. Yves Guéna. J'ose dire, monsieur le garde des aux intentions des constituants de 1958, il faut se sceaux, et vous le savez, que le Conseil constitutionnel demander si l'on ne se sépare pas de ce qu'ils ont voulu avait été mis en place pour assurer le fonctionnement faire, ou bien, si l'on s'en sépare, le faire en toute régulier des mécanismes de la Constitution en ce qui connaissance de cause. concerne les rapports entre le Gouvernement et le Parle- ment. Je me permettrai de dire que, s'il y avait une M. Jean-Luc Mélenchon. Et à visage découvert ! réforme à faire, monsieur le garde des sceaux, c'était M. Yves Guéna. Or, le référendum est dans l'esprit de celle-là et non pas celle que vous êtes en train de nous nos institutions puisque la Constitution a été établie par présenter ! deux fois par référendum. M. Jean Chérioux. Je rappelle en outre que, en 1992, c'est par un référen- Très bien ! dum que nous sommes entrés dans l'Union européenne. M. Michel Rufin. Bien dit ! Je me réjouis d'ailleurs de ce référendum, quel qu'en ait M. Yves Guéna. J'ajouterai, à l'attention de M. Caba- été le résultat, car, dans le pays, hélas ! il n'y avait pas nel, dont j'ai beaucoup apprécié l'intervention, qu'il n'est beaucoup d'écho des débats que nous avions eus sur le pas non plus, à mon sens, heureux d'envisager la publica- traité de Maastricht dans cette assemblée ou dans l'autre. tion de lavis du Conseil d'Etat. En effet, vous savez bien Le référendum est un moyen constitutionnel à la dis- que lorsque telle haute juridiction - celle-là en l'espèce position du Président de la République pour s'adresser - délibère en sachant que son avis restera limité à la directement au peuple. Il est mis en oeuvre selon certaines transmission au Gouvernement ou bien sera public, elle modalités précises et simples, puisqu'il y faut l'initiative ne se comporte pas de la même façon. du Gouvernement,puisque c'est sur proposition du Gou- En conséquence, la décision concernant le référendum vernement que le Président de la République peut saisir ne doit dépendre ni de la publication de l'avis du Conseil le peuple, dans un domaine délimité. C'est la lettre, c'est d'Etat ni de la consultation préalable du Conseil constitu- l'esprit de l'article 11 de la Constitution. tionnel. On nous demande d'élargir le domaine de l'article 11, Deuxième condition : le référendum ne doit en aucun dont le cadre peut paraître un peu étroit. Il l'avait paru, cas être une procédure d'appel dont se servirait le Pré- m'a-t-on dit - mais il n'y a pas de déclaration publique sident de la République contre le Parlement. -, au général de Gaulle ; il l'avait certainement paru éga- lement au Président François Mitterrand. M. Guy Allouche. Très bien ! Sur l'élargissement des dispositions de cet article, je M. Yves Guéna. Ce serait vraiment une erreur fonda- serais porté à m'en remettre, monsieur le garde des mentale si l'on faisait d'abord voter le Parlement et que le sceaux, à la sagesse du Gouvernement, car, comme je l'ai Président de la République, ensuite, s'adressât au pays. A dit, ce n'est pas une affaire qui me préoccupe au premier chaque référendum on risquerait la crise de régime, car si point. le Président de la République, après avoir été désavoué Je voudrais tout de même dire que, selon moi, cette par le Parlement, était _désavoué par le peuple, il n'aurait réforme doit obéir à quelques conditions, plus précisé- pour le coup aucune échappatoire, et si le Parlement se ment à trois conditions. trouvait désavoué par le peuple - excusez-moi, ce serait La première condition - sujet qui a été abordé parfois une situation complètement ubuesque ! le Parlement avec passion depuis ce matin, ce que je comprends -, n'aurait qu'à s'autodissoudre puisqu il n'est pas possible, c'est qu'il n'y ait pas de consultation préalable du Conseil quoi qu'en ait dit le père Ubu, de dissoudre le peuple ! constitutionnel. (Sourires.) 1354 SÉNAT — SÉANCE DU 24 JUILLET 1995
Le référendum, en aucun cas, ne doit donc se présenter M. Yves Guéna. Non, parce que le régime qui est le comme un appel devant le peuple. nôtre aujourd'hui est, comme le régime de la M. Christian de la Malène. Très bien ! Ille République, comme le régime de la IVe République, un régime parlementaire dans lequel le Gouvernement est M. Yves Guéna. C'est dire que l'idée de faire un débat soumis à la censure du Parlement et peut être renversé. avec un vote doit être écartée, et, à la limite, je me Si nous avons obtenu ces résultats, qui sont comme un demande si le fait d'inscrire l'obligation d'un débat n'est trésor dont nous ne devons pas nous dessaisir, c'est que pas une erreur. Qu'on ait un débat, oui ! On ne pourra nous en avons pris les moyens et que nous avons mis en d'ailleurs pas s'y soustraire avant un référendum et per- place, avec la Constitution, un dispositif pour assurer la sonne ne pourra nous en empêcher. Mais qu'on l'inscrive stabilité gouvernementale. dans la Constitution comme une obligation, je ne crois pas que ce soit une bonne chose. Ce dispositif tient en deux mesures fondamentales. ,Enfin, troisième condition - et je me sépare là de La première, c'est le pouvoir de dissolution du Pré- notre éminent ami M. Pierre-Christian Taittinger - en sident de la République. aucun cas le référendum ne doit s'apparenter à une La seconde, c'est l'installation d'un maillage complet et espèce de consultation - « Pensez-vous que telle réforme complexe pour assurer dans les meilleures conditions, est bonne ? » - ou à un supersondage d'opinion. C'est, je c'est-à-dire dans les conditions de la stabilité, les relations l'ai dit, le Président de la République qui s'adresse au entre le Gouvernement et le Parlement. Je ne vais natu- peuple. C'est toujours une sorte de question de confiance. rellement pas énumérer toutes ces conditions, vous les Le référendum ne peut porter que sur des sujets extrême- connaissez aussi bien, sinon mieux, que moi : la délimita- ment importants, pour lesquels le Président de la tion du domaine de la loi, la limitation des commissions République s'engage. permanentes à six, les mécanismes de la censure, très par- Naturellement,je ne demande pas que chaque pré- ticuliers, y compris l'article 49-3, et l'ordre du jour prio- sident de la République, à chaque référendum, fasse ce ritaire, avec son corollaire, l'article 40. que faisait le général de Gaulle ! Mais il faut qu'il marque Et puis, il y a la limitation de la durée des sessions. son choix. Est-ce très important la limitation de la durée des Je reprends l'exemple du référendum sur Maastricht. sessions, parmi tout le dispositif que je viens de rappeler ? Le Président de la République n'avait pas dit qu'il démis- Probablement que oui, puisque le fondateur de notre sionnerait si le « non » l'emportait. Mais il s'était engagé. régime, quand, en 1960, une majorité de députés, Il est certain qu'il aurait été obligé d'et (' tirer certaine conformément à la Constitution, lui a demandé une conséquence si le résultat de ce référendum avait été session extraordinaire, s'y est opposé. Il n'a pas voulu réu- négatif. nir le Parlement en session extraordinaire ! C'est donc M. Michel Dreyfus-Schmidt. Pas du tout ! qu'il y attachait une certaine importance. Cette juris- prudence, depuis trente-quatre ans, n'a connu aucune M. Josselin de Rohan. Encore que... dérogation de la part d'aucun Président de la République M. Yves Guéna. C'est mon interprétation ! ni d ailleurs du Parlement. En tous les cas, monsieur Dreyfus-Schmidt, le Pré- Je me demande si la session unique - c'est-à-dire, par- sident de la République, lors du référendum sur Maas- lons clair, la session permanente - n'est pas la première tricht, a dit quel était son choix. C'est ce que je veux maille qu'on arrache : toute la cotte de mailles se défait, dire, et je suis heureux, monsieur Dreyfus-Schmidt, que et l'on se retrouve sans arme ni armure face au régime vous soyez une fois de plus d'accord avec moi. (Rires.) d'assemblée. Je ne suis pas sûr, monsieur le garde des Voilà ce que je voulais souligner en 'ce qui concerne la sceaux, qu'il en soit ainsi, mais au moins doit-on se poser partie du projet relative au référendum. la question. Certes, vous avez apporté quelques justifications à cette M. Michel Dreyfus-Schmidt. Ce n'est pas un plébis- réforme. cite ! On a d'abord avancé cette question de contrôle des M. Yves Guéna. Tout autre est l'enjeu de la session actes communautaires, qui sont produits pendant unique. douze mois de l'année, et que nous ne pourrions donc Mes chers collègues, je voudrais vous rappeler quelques contrôler vraiment quand nous ne siégeons que six mois ! événements, illustrés par quelques chiffres. Les voici. Jan- Excusez-moi de dire que cet argument est non seule- vier 1920 - mars 1940, du départ de Clemenceau jusqu'à ment spécieux, mais encore fallacieux ! la chute de Daladier, vingt-huit présidents du Conseil ont été renversés ou conduits à la démission par des votes du Il est spécieux parce que - c'est peut-être sophisme --- Parlement. que deviendront ces actes communautaires pendant les trois mois où nous ne serons pas en session ? Six mois ou Janvier 1947 - avril 1958 : en onze ans, entre le début trois mois... En outre, d'après ce que j'ai entendu dire, de la IVe République et le renversement du Gouverne- nous serions gratifiés de vacances scolaires : trois semaines ment Gaillard, dix-huit présidents du Conseil ont été à Noël, une semaine à carnaval, comme on dit chez moi renversés ou contraints à la démission par l'Assemblée (Sourires), et quinze jours à Pâques. Pendant ce temps-là, nationale. il n'y aurait pas de contrôle des actes communautaires ? Enfin, 1959 - 1995: en trente-six ans, un seul Premier Cela ne tient pas ! ministre a été renversé par l'Assemblée nationale. Est-ce L'argument est fallacieux car, depuis que l'article 88-4 que, par hasard, nous serions devenus d'une sagesse de la Constitution existe, le système fonctionne : c'est exemplaire ? Est-ce que nous aurions réussi à conjurer l'une des assemblées qui adresse une résolution au Gou- notre démon, qui est celui de l'instabilité et que nous vernement, qui la suit ou ne la suit pas, comme vous le avons subi pratiquement pendant tout le xrxe siècle, en savez, et, si les assemblées ne siègent pas, la commission tous les cas pendant la première moitié du me siècle ? compétente a tous pouvoirs pour le faire et le Gouverne-
M. Michel Dreyfus-Schmidt. De 1852 à 1 . 870 ! ment, autant que nous avons pu le constater, tient autant SÉNAT — SÉANCE DU 24 JUILLET 1995 1355
compte des résolutions des commissions que des résolu- On peut trouver que c'est bien, mais, à ce moment-là, tions de telle ou telle assemblée. Par conséquent, qu'on vous ne tiendrez pas non plus sur l'article 40, car je ne ne nous mette pas en avant cette argumentation ! connais pas de proposition de loi qui n'entraîné pas des On nous dit aussi : finalement, les sessions extraordi- dépenses nouvelles ! Face au Parlement, pendant naires, il y en a tout le temps, alors, autant régulariser les neuf mois, quand défileront les propositions de loi, vous choses en les transformant en sessions ordinaires. Les serez obligés de céder ; pas vous, mais vos successeurs, gouvernements - monsieur le garde des sceaux, ce n'est monsieur -1e garde des sceaux. pas vous que je mets en cause en disant