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Ciné-Bulles

The show must go on Birdman or (the Unexpected Virtue of Ignorance) d’Alejandro González Iñárritu Loïc Darses

Volume 33, Number 1, Winter 2015

URI: https://id.erudit.org/iderudit/73192ac

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Publisher(s) Association des cinémas parallèles du Québec

ISSN 0820-8921 (print) 1923-3221 (digital)

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Cite this review Darses, L. (2015). Review of [The show must go on / Birdman or (the Unexpected Virtue of Ignorance) d’Alejandro González Iñárritu]. Ciné-Bulles, 33(1), 30–31.

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The show must go on

LOÏC DARSES

Dans le mythe d’Icare, le principal inté- Après (2003), Babel Et avec quelle verve! Hallucinant est ressé désire s’échapper d’un labyrinthe. (2006) — deux films choraux d’enver­gure l’exploit technique signé par le directeur Ne pouvant pour ce faire emprunter ni aux charmes universalistes mêlant à une de la photographie Emmanuel Lubezki, la mer ni la terre, il confectionne avec pléthore de personnages une spiritualité­ qui exprime avec force et clarté cette son père des ailes en plumes d’oiseau globalisante — et Biutiful (2010) — un rencontre entre théâtre et cinéma — ex- qu’il se fixe aux épaules avec de la cire. effort certes plus concentré, intimiste et ploit qui est celui de donner l’impression Une fois dans les airs, grisé par l’ivresse poétique, mais non moins réservé dans de se dérouler en un seul plan. Mais du vol, il s’élève trop près du Soleil. La son expression d’une infinie mélanco- cette envolée, tantôt lyrique, tantôt bur- chaleur fait fondre la cire et Icare chute lie —, le cinéaste mexicain renchérit ici lesque, frôle-t-elle de trop près le Soleil? alors vers sa mort. Non, le dernier film avec une autre œuvre à grand déploie- Non. Il faut reconnaître que Birdman du cinéaste mexicain Alejandro ment, sa plus spectacu­laire à ce jour. or (the Unexpected Virtue of Igno­ González Iñárritu n’est pas exactement Cette proposition cinématogra­ phique­ rance), film méthodique et appliqué, une réinterprétation du proverbial marque toutefois un changement de qui n’est cependant jamais prisonnier de mythe icarien. Cependant, force est de registre assez saisissant, ne serait-ce sa propre facture, alors que les mouve- constater que citer ce récit intemporel qu’au niveau du ton, alors que le cinéa­s­ ments de caméra complexes exsudent mettant en garde l’Homme contre son te troque ses thèmes chers, tels que la une fougue impétueuse qui ne nuit en désir de transcendance et sa soif d’aller lourdeur de l’âme et la misère humaine, rien aux comédiens, constitue un au- toujours plus loin s’avère ici on ne peut pour une exploration comique et sa­ thentique retour à la forme pour le réa­ plus à propos et que le destin tragique tirique du rôle de l’artiste dans la société lisateur d’Amores perros (2000). de cette figure héroïque se présente nord-américaine, à travers un film abra- comme l’allégorie de circonstance pour cadabrant où les coulisses de Broadway Birdman… est donc un plan-séquence évoquer le Birdman… d’Iñárritu. deviennent un véritable microcosme. à l’aplomb vertigineux ou plutôt une

30 Volume 33 numéro 1 quinzaine de ceux-ci, magistralement orchestrés puis imperceptiblement liés entre eux, qui promènent le spectateur à travers les méandres d’un théâtre new- yorkais durant les quelques jours précé- dents la première d’une pièce adaptée d’un texte de Raymond Carver. C’est Riggan Thomson, un acteur has been dont le costume du superhéros fictif, Birdman, colle malgré lui toujours à sa peau (rôle qui lui a jadis apporté recon- naissance et célébrité), qui adapte, met en scène et incarne le premier rôle de cette pièce dans l’espoir de relancer sa carrière déchue, vampirisée de tout mérite artistique par le spectre Bird- man — qui le hante toujours au sens propre par l’entremise d’une voix hors- champ tout aussi over-the-top que schizophrénique. « super­­héroïques » qu’Alejandro Gon­ Cependant, la finale du film s’égare zález Iñárritu mène une charge viru- quelque peu par de trop nombreux Jouant les funambules sur le mince fil lente. Sauf que si cette dénonciation en allers-retours entre le réel et le fan- séparant le réel de l’imaginaire, Iñárritu règle semble d’entrée de jeu satisfaisante, tasque, si bien que le tout s’en trouve di- change sans cesse le point de vue et al- elle tombe, lors d’une séquence ostenta- lué : le propos, la catharsis émotive, etc. terne parfois à même les séquences toire d’effets spéciaux caricaturaux, dans C’est là le seul véritable bémol de cet réalité et élucubrations surnaturelles du un didactisme dénonciateur qui donne à impressionnant voyage au bout du spec- protagoniste. Audacieuse, la musique la démarche du cinéaste des airs de sim- tacle, habile jeu de masques où les mas­ percussive et syncopée d’Antonio Sán- ple doigt d’honneur prétentieux adressé à ses se paient l’artiste et l’artiste se paie chez aide à instaurer un rythme effréné la culture de masse. Heureusement, une les masses. Du cinéma d’auteur grand et désorientant. Tout cela pour imager réflexion plus aboutie permet à Iñárritu public intelligent, comme il s’en fait trop d’une manière on ne peut plus ciné- d’éviter le piège pamphlétaire en étendant peu. matographique le paysage mental de sa critique à celle du travestissement de Riggan, dont la perception est altérée l’art en général. par le stress et la peur de l’échec. Puisque derrière le masque de l’artiste Poussé dans ses derniers retranchements excentrique se cache un être humain par une révérée critique culturelle à malade et c’est, entre autres, ce qui fas- l’éthique journalistique douteuse, Riggan cine chez ce personnage campé par un ira alors jusqu’à commettre l’irréparable Michael Keaton tout simplement jubila- (ou presque) sur scène pour accéder à la toire. Keaton fut d’ailleurs le Batman reconnaissance du milieu artistique. Un (1989) de Tim Burton, et ce n’est pas un ultime coup de théâtre menant à une hasard… douce ironie qui laissera le protagoniste affublé, encore et toujours, d’un masque : C’est là en effet le premier niveau d’une celui dont il ne peut réellement se dépar- mise en abîme subversive très habile- tir. Iñárritu donne ainsi à voir que si la États-Unis / 2014 / 119 min ment tissée par un cinéaste en plein déli- quête jusqu’au-boutiste du succès au box- Réal. Alejandro González Iñárritu Scén. Alejandro re hallucinatoire et postmoderne. Si, dans office est pernicieuse, celle d’une bonne González Iñárritu, Nicolás Giacobone, Alexander Dinelaris et Armando Bo Image Emmanuel Lubezki la même veine et plus d’une décennie critique l’est tout autant. Ce qui est diver- Son Thomas Varga Mus. Antonio Sánchez Mont. avant, Spike Jonze et Charlie Kaufman tissement pour les uns devient avant- Douglas Crise et Prod. Alejandro González Iñárritu, John Lesher, Arnon Milchan mettaient à l’épreuve, avec Adaptation gardiste pour les autres. L’idée étant tou- et James W. Skotchdopole Int. Michael Keaton, (2002), la structure narrative hollywoo­ jours la même, c’est-à-dire d’en mettre Edward Norton, Emma Stone, Naomi Watts, Zach Galifianakis, Andrea RiseboroughD ist. dienne classique, c’est aujourd’hui con- plein la vue, tout le temps et encore un 20th Century Fox tre la profusion de superproductions peu plus...

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