Annaud Paraît De Prime Abord Être Un Cinéaste Des Plus Éclectiques
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anjeann-jaacquueds Débat animé par Yves Alion après la projection du film Coup de tête, à l’École Supérieure de Réalisation Audiovisuelle de Paris le 17 février 2005 Jean-Jacques Annaud paraît de prime abord être un cinéaste des plus éclectiques. Qu’il y a-t-il de commun entre Le Nom de la rose et L’Ours ? Un regard sur le monde, ce qui n’est pas rien. Une conception « classique » du cinéma, loin de la moindre improvisation, portée par une connaissance maniaque de la technique. Sur le plan thématique, quelques lignes fortes se révèlent également : Annaud embrasse le monde entier, il ne saurait se cantonner dans des problématiques franco-françaises. Chantre des grands espaces et des grands sentiments, il ne rechigne pas non plus à revisiter l’Histoire, sans jamais se désintéresser de l’humain. Si ses films ont connu des fortunes diverses (son tout premier opus, La Victoire en chantant a été un échec cuisant, bien que récompensé de l’Oscar du Meilleur Film étranger), il faut pourtant admettre qu’il est de ceux qui drainent le public le plus large. Il est vrai que l’ampleur de ses projets, de dimension internationale, les condamne à une large diffusion. Populaire sans jamais s’abaisser à la démagogie, Annaud en fait, s’amuse à nous perdre. Les hommes de La Guerre du feu ont beau pousser des grognements, pour ne rien dire des héros de L’Ours ou de Deux frères , ils sont les défenseurs de la civilisation, ils affichent une Coup de tête éthique. Fin lettré, observateur des désordres du monde, plus politique qu’il n’y paraît, Annaud a en fait la passion de la transmission. Qu’il s’agisse du savoir ou que cela concerne les sentiments, toute la beauté du monde réside dans ces moments de grâce pendant lesquels les êtres parviennent à communiquer. I Quel est votre film le plus cher ? Le plus gros budget, c’est celui de Stalingrad . Nous avons un moment pensé tourner en Tchéquie, en Pologne et en Russie, des pays où les coûts de pro - duction sont moitié moindres qu’ici. Mais nous avons finalement décidé de tourner en Allemagne, parce que l’Allemagne nous donnait 40 millions d’euros. Ces subsides ont intégralement été absorbées par le surcoût d’un tournage sur place. Mais c’était quand même plus confortable, et les techniciens étaient très habiles. Ai-je pris la bonne décision ? Ces histoires de budget, je ne m’en occupe pas trop. En fin de compte, ce sont mes producteurs qui ont choisi l’Allema - gne. Si nous avions dû travailler en Pologne, ou en Tchéquie, les équipes étant moins affûtées, les risques de dépassement deve - naient plus importants. Au final le film a coûté « Il faut aller voir Entretien 90 millions de dollars, ce qui représentait à l’é - les producteurs en disant : poque 110 millions d’euros. Mais ce qui importe, De gauche à droite : “J’ai un projet extraordinaire, vous Jean-Jacques Annaud, c’est la qualité du financement, pas son volume. Umberto Eco, Sean Nous venons de voir Coup de tête , que vous avez réalisé à un moment où vous Ce n’est pas plus compliqué de faire un film très pouvez vous exploser Connery, Michael n’aviez pas encore votre notoriété actuelle. En conséquence de quoi vous Lonsdale et Fred cher qu’un film bon marché. Mais c’est toujours la gueule, mais si ça marche, Murray Abraham sur n’aviez pas disposé d’un budget à la hauteur de ceux qui sont aujourd’hui très compliqué de trouver des financiers, quel ce sera fantastique”. » le tournage du Nom les vôtres. Le regrettez-vous ? de la rose (1986). que soit le niveau où vous vous situez. Quand Jean-Jacques Annaud : Quel que soit le budget dont on dispose, il est tou - vous allez voir un distributeur ou un producteur en lui disant : « J’ai un tout jours insuffisant pour réaliser le film dont on rêve ! Concernant Coup de tête , petit film à faire, tout petit, et s’il se plante, vous ne perdrez pas beaucoup »... je n’ai pas particulièrement souffert : le scénario impliquait un film de taille vous vous apercevez qu’il n’existe personne pour accepter de se planter dou - modeste, et le tournage a duré huit semaines. Il a fallu cavaler, mais de façon cement. Ce que les financiers attendent, c’est de triompher grandement. Il faut raisonnable. Bien évidemment, je n’ai pas eu les moyens donc aller les voir en disant : « J’ai un projet extraordinaire, vous pouvez vous de recréer un match de football comme je l’aurais voulu. exploser la gueule, mais si ça marche, ce sera fantastique ». C’est comme cela J’ai donc travaillé avec l’équipe d’Auxerre, qui n’était que j’ai trouvé suffisamment de fous dans le monde pour financer mes caprices. pas du tout connue à l’époque. J’ai filmé un vrai match, disputé par Auxerre et Troyes, qui s’est soldé par un score Sur Stalingrad , il n’y avait pas un vrai match de foot ! nul. Ce qui n’a pas fait mon affaire sur le plan du spec - Non, mais j’avais un vrai match entre deux nations. tacle, dans la mesure où il n’y a eu aucune action véri - tablement offensive. Après cela, j’ai eu toutes les peines Et là, vous avez été obligé de reconstituer ! du monde avec Patrick Dewaere, qui n’était pas un bon On est toujours obligé de reconstituer, c’est le principe du cinéma. Reconsti - joueur de foot. Il était indubitablement sportif, mais le tuer un match de foot ou reconstituer une bataille, c’est pareil. foot, ce n’était pas son truc. Cela a posé quelques pro - blèmes, mais ce n’était pas une question de budget. Le Reconstituer Stalingrad en ruine plutôt que la ville d’Auxerre, ce n’est pas film a coûté l’équivalent d’un million d’euros. En euros vraiment la même chose… constants, le budget serait aujourd’hui de six ou sept Non, mais c’est le même principe. À Auxerre, il fallait aménager le décor. millions. C’était donc un budget raisonnable. Je pense En Allemagne, nous avons travaillé dans une ancienne même qu’il n’aurait pas fallu que ce soit plus cher. Je base russe où nous avons, évidemment, construit un Deux images de n’aurais rien gagné à disposer de moyens supplémen - décor gigantesque pour figurer la ville de Stalingrad. Coup de tête (1977). taires. À mon avis, il faut toujours ajuster un budget à l’ambition du film. Dès mon premier film, La Victoire en chantant, j’ai En haut, le faux match avec la vraie Autrement dit, si vous avez trop d’argent pour faire un film comme celui-là, construit un décor en plein cœur de l’Afrique pour, jus - équipe d'Auxerre. il se pète les reins, car la mule est trop chargée. Quels que soient les films tement, filmer des images que j’avais dans la tête. Et Au-dessous, Patrick Dewaere. que je réalise, je fais attention de ne pas avoir un budget trop élevé. Même avec afin de retrouver ces images mentales, j’ai été obligé les films très chers, j’essaye de rogner 20% sur le budget initial. Je crois qu’on de faire appel à un chef décorateur. Je ne pouvais pas devient plus inventif quand on a des contraintes financières. Une maxime faire autrement : une année de repérages n’aurait pas Le décor de La Victoire qui vaut pour tout : dans la vie la contrainte budgétaire donne la pêche, elle suffi pour trouver ce que cherchait. C’est exactement la même chose quand en chantant (1976). empêche de s’endormir. on travaille sur une ville détruite comme Stalingrad. J’ai d’ailleurs parcouru 2 3 C’est vrai. Mais cela fait partie du jeu. Le plus compliqué, en fait, ce sont les scènes d’amour. Il suffit que vous parliez mal à vos acteurs, que vous ne les mettiez pas dans la bonne situation et vous n’aurez jamais la scène qu’il faut. Ce sont ces scènes-là les plus délicates à gérer. Vous pensez au Nom de la rose ? Il y avait effectivement dans ce film une scène d’amour. J’avais demandé à mes producteurs de la placer tard sur le plan de tournage, de façon à ce que Valen - tina Vargas et Christian Slater aient le temps de s’acclimater au film. Je voulais qu’ils sachent que l’on ne faisait pas, évidemment, un film pornographique, même si je souhaitais que l’ensemble soit la plus sincère possible. Mais le décor avait pris du retard, et la seule scène que je pouvais tourner dans le petit décor qui, lui, était prêt, c’était celle-là... J’ai donc fait cette scène de très grande intimité le tout premier jour ! La préparation avait été brève... On a fait avec. J’ai eu le même problème sur Stalin - grad , et pour la même raison. Il faut entrer dans ce cas bille en tête dans la scène. Mais comme dans les deux cas, finalement, il s’agissait de mettre Jude Law dans Stalingrad (2000). en présence deux personnages qui se rencontrent veux traiter ce sujet-là et je le ferai ». Je parlais fortuitement et n’ont pas vocation à rester ensem - de cela récemment avec Luc Besson. Nous avons ble, la gêne des comédiens ne dessert pas le film... les pays de l’Est pendant la préparation du film tous deux la même démarche : nous ne nous pour trouver des zones de réhabilitation.