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Débat animé par Yves Alion après la projection du film Coup de tête, à l’École Supérieure de Réalisation Audiovisuelle de Paris le 17 février 2005

Jean-Jacques Annaud paraît de prime abord être un cinéaste des plus éclectiques. Qu’il y a-t-il de commun entre Le Nom de la rose et L’Ours ? Un regard sur le monde, ce qui n’est pas rien. Une conception « classique » du cinéma, loin de la moindre improvisation, portée par une connaissance maniaque de la technique. Sur le plan thématique, quelques lignes fortes se révèlent également : Annaud embrasse le monde entier, il ne saurait se cantonner dans des problématiques franco-françaises. Chantre des grands espaces et des grands sentiments, il ne rechigne pas non plus à revisiter l’Histoire, sans jamais se désintéresser de l’humain. Si ses films ont connu des fortunes diverses (son tout premier opus, La Victoire en chantant a été un échec cuisant, bien que récompensé de l’Oscar du Meilleur Film étranger), il faut pourtant admettre qu’il est de ceux qui drainent le public le plus large. Il est vrai que l’ampleur de ses projets, de dimension internationale, les condamne à une large diffusion. Populaire sans jamais s’abaisser à la démagogie, Annaud en fait, s’amuse à nous perdre. Les hommes de La Guerre du feu ont beau pousser des grognements, pour ne rien dire des héros de L’Ours ou de Deux frères , ils sont les défenseurs de la civilisation, ils affichent une Coup de tête éthique. Fin lettré, observateur des désordres du monde, plus politique qu’il n’y paraît, Annaud a en fait la passion de la transmission. Qu’il s’agisse du savoir ou que cela concerne les sentiments, toute la beauté du monde réside dans ces moments de grâce pendant lesquels les êtres parviennent à communiquer. I Quel est votre film le plus cher ? Le plus gros budget, c’est celui de Stalingrad . Nous avons un moment pensé tourner en Tchéquie, en Pologne et en Russie, des pays où les coûts de pro - duction sont moitié moindres qu’ici. Mais nous avons finalement décidé de tourner en Allemagne, parce que l’Allemagne nous donnait 40 millions d’euros. Ces subsides ont intégralement été absorbées par le surcoût d’un tournage sur place. Mais c’était quand même plus confortable, et les techniciens étaient très habiles. Ai-je pris la bonne décision ? Ces histoires de budget, je ne m’en occupe pas trop. En fin de compte, ce sont mes producteurs qui ont choisi l’Allema - gne. Si nous avions dû travailler en Pologne, ou en Tchéquie, les équipes étant moins affûtées, les risques de dépassement deve - naient plus importants. Au final le film a coûté « Il faut aller voir Entretien 90 millions de dollars, ce qui représentait à l’é - les producteurs en disant : poque 110 millions d’euros. Mais ce qui importe, De gauche à droite : “J’ai un projet extraordinaire, vous Jean-Jacques Annaud, c’est la qualité du financement, pas son volume. Umberto Eco, Sean Nous venons de voir Coup de tête , que vous avez réalisé à un moment où vous Ce n’est pas plus compliqué de faire un film très pouvez vous exploser Connery, Michael n’aviez pas encore votre notoriété actuelle. En conséquence de quoi vous Lonsdale et Fred cher qu’un film bon marché. Mais c’est toujours la gueule, mais si ça marche, Murray Abraham sur n’aviez pas disposé d’un budget à la hauteur de ceux qui sont aujourd’hui très compliqué de trouver des financiers, quel ce sera fantastique”. » le tournage du Nom les vôtres. Le regrettez-vous ? de la rose (1986). que soit le niveau où vous vous situez. Quand Jean-Jacques Annaud : Quel que soit le budget dont on dispose, il est tou - vous allez voir un distributeur ou un producteur en lui disant : « J’ai un tout jours insuffisant pour réaliser le film dont on rêve ! Concernant Coup de tête , petit film à faire, tout petit, et s’il se plante, vous ne perdrez pas beaucoup »... je n’ai pas particulièrement souffert : le scénario impliquait un film de taille vous vous apercevez qu’il n’existe personne pour accepter de se planter dou - modeste, et le tournage a duré huit semaines. Il a fallu cavaler, mais de façon cement. Ce que les financiers attendent, c’est de triompher grandement. Il faut raisonnable. Bien évidemment, je n’ai pas eu les moyens donc aller les voir en disant : « J’ai un projet extraordinaire, vous pouvez vous de recréer un match de football comme je l’aurais voulu. exploser la gueule, mais si ça marche, ce sera fantastique ». C’est comme cela J’ai donc travaillé avec l’équipe d’Auxerre, qui n’était que j’ai trouvé suffisamment de fous dans le monde pour financer mes caprices. pas du tout connue à l’époque. J’ai filmé un vrai match, disputé par Auxerre et Troyes, qui s’est soldé par un score Sur Stalingrad , il n’y avait pas un vrai match de foot ! nul. Ce qui n’a pas fait mon affaire sur le plan du spec - Non, mais j’avais un vrai match entre deux nations. tacle, dans la mesure où il n’y a eu aucune action véri - tablement offensive. Après cela, j’ai eu toutes les peines Et là, vous avez été obligé de reconstituer ! du monde avec Patrick Dewaere, qui n’était pas un bon On est toujours obligé de reconstituer, c’est le principe du cinéma. Reconsti - joueur de foot. Il était indubitablement sportif, mais le tuer un match de foot ou reconstituer une bataille, c’est pareil. foot, ce n’était pas son truc. Cela a posé quelques pro - blèmes, mais ce n’était pas une question de budget. Le Reconstituer Stalingrad en ruine plutôt que la ville d’Auxerre, ce n’est pas film a coûté l’équivalent d’un million d’euros. En euros vraiment la même chose… constants, le budget serait aujourd’hui de six ou sept Non, mais c’est le même principe. À Auxerre, il fallait aménager le décor. millions. C’était donc un budget raisonnable. Je pense En Allemagne, nous avons travaillé dans une ancienne même qu’il n’aurait pas fallu que ce soit plus cher. Je base russe où nous avons, évidemment, construit un Deux images de n’aurais rien gagné à disposer de moyens supplémen - décor gigantesque pour figurer la ville de Stalingrad. Coup de tête (1977). taires. À mon avis, il faut toujours ajuster un budget à l’ambition du film. Dès mon premier film, La Victoire en chantant, j’ai En haut, le faux match avec la vraie Autrement dit, si vous avez trop d’argent pour faire un film comme celui-là, construit un décor en plein cœur de l’Afrique pour, jus - équipe d'Auxerre. il se pète les reins, car la mule est trop chargée. Quels que soient les films tement, filmer des images que j’avais dans la tête. Et Au-dessous, Patrick Dewaere. que je réalise, je fais attention de ne pas avoir un budget trop élevé. Même avec afin de retrouver ces images mentales, j’ai été obligé les films très chers, j’essaye de rogner 20% sur le budget initial. Je crois qu’on de faire appel à un chef décorateur. Je ne pouvais pas devient plus inventif quand on a des contraintes financières. Une maxime faire autrement : une année de repérages n’aurait pas Le décor de La Victoire qui vaut pour tout : dans la vie la contrainte budgétaire donne la pêche, elle suffi pour trouver ce que cherchait. C’est exactement la même chose quand en chantant (1976). empêche de s’endormir. on travaille sur une ville détruite comme Stalingrad. J’ai d’ailleurs parcouru

2 3 C’est vrai. Mais cela fait partie du jeu. Le plus compliqué, en fait, ce sont les scènes d’amour. Il suffit que vous parliez mal à vos acteurs, que vous ne les mettiez pas dans la bonne situation et vous n’aurez jamais la scène qu’il faut. Ce sont ces scènes-là les plus délicates à gérer.

Vous pensez au Nom de la rose ? Il y avait effectivement dans ce film une scène d’amour. J’avais demandé à mes producteurs de la placer tard sur le plan de tournage, de façon à ce que Valen - tina Vargas et Christian Slater aient le temps de s’acclimater au film. Je voulais qu’ils sachent que l’on ne faisait pas, évidemment, un film pornographique, même si je souhaitais que l’ensemble soit la plus sincère possible. Mais le décor avait pris du retard, et la seule scène que je pouvais tourner dans le petit décor qui, lui, était prêt, c’était celle-là... J’ai donc fait cette scène de très grande intimité le tout premier jour ! La préparation avait été brève... On a fait avec. J’ai eu le même problème sur Stalin - grad , et pour la même raison. Il faut entrer dans ce cas bille en tête dans la scène. Mais comme dans les deux cas, finalement, il s’agissait de mettre Jude Law dans Stalingrad (2000). en présence deux personnages qui se rencontrent veux traiter ce sujet-là et je le ferai ». Je parlais fortuitement et n’ont pas vocation à rester ensem - de cela récemment avec Luc Besson. Nous avons ble, la gêne des comédiens ne dessert pas le film... les pays de l’Est pendant la préparation du film tous deux la même démarche : nous ne nous pour trouver des zones de réhabilitation. J’ai sommes jamais posé la question de savoir L’Amant n’est pas chiche non plus en scènes effectivement trouvé des quartiers entiers en train combien coûtent les films... chaudes. Elles sont même au cœur du sujet... d’être détruits. Mais c’était extraordinairement Ce film comporte six scènes d’amour. Le défi était dangereux de travailler dans ces quartiers. Si une Vous avez souvent travaillé dans des milieux de trouver six façons différentes de filmer les deux brique était tombée sur la tête de mon acteur, extrêmes. Quelle est la plus grande difficulté que mêmes personnages. J’avais établi une loi avec les c’était la fin du film. Il n’y avait pas d’autre solu - vous avez rencontrée lors d’un tournage ? Quels deux acteurs, celle de ne jamais faire plus d’une tion que de construire le décor. sont les incidents les plus graves ? prise. Donc ils savaient que ces scènes-là étaient Je peux vous raconter des incidents de tournage des moments de magie et qu’il fallait les réussir. Lorsque vous choisissez un sujet, son ambition pendant deux jours, ou cinq jours, ce n’est pas Évidemment, je vidais le plateau de tous ceux qui en termes financiers n’est donc pas un frein à ce qui manque. Tourner dans des milieux extrê - n’avaient rien à y faire... Cela m’évoque une anec - Deux scènes d'amour. votre imagination, ni à votre désir. Vous ne les for - En haut, Christian Slater mes, c’est un défi technique, mais cela importe dote intéressante par rapport à la technique. Quand la jeune fille revient du et Valentina Vargas dans matez pas en fonction des difficultés ponctuel - peu en définitif. Si vous travaillez au Pôle, vous collège, son amant l’attend derrière la porte et ils font l’amour sur le carrelage, Le Nom de la rose les que vous allez rencontrer... (1986). Au-dessous, Jane trouverez toujours des gens qui ont traversé tout de suite. À chaque nouvelle scène, Jane March pleurnichait parce qu’elle March et Tony Leung Moi, je pars avec le désir de faire un film dont le quinze fois la région, des sociétés aptes à vous était très impressionnée. Ces scènes étaient difficiles. Mais tout s’était jusque- dans L'Amant (1991). sujet m’intéresse. Je ne me pose pas la question construire des usines, des hôtels au milieu de la là déroulé très bien, la passion était au rendez-vous. Mais ce jour-là, la prise de l’argent que cela va coûter. Et j’écris le scé - banquise... J’ai envie de vous dire que ce n’est était floue. Je m’en suis aperçu en voyant les rushs. Nous n’avions pas répété. nario à ma guise, en fonction de ce que j’ai envie pas mon problème. En revanche je me souviens Quand vous avez deux comédiens sur le carrelage, où se trouve l’œil ? C’est de voir à l’écran. Ce n’est qu’ensuite que je que la pellicule cassait pendant le tournage de infiniment compliqué. Je suis retourné voir mon actrice, en choisissant le tombe à la renverse quand on me dit combien Sept ans au , en raison du froid. Il fallait tra - moment propice et je lui ai dit : « La scène est magnifique, mais elle est floue, tout cela va coûter. Je pars donc avec mon bâton vailler à 4000 mètres d’altitude, avec ce que il faut la recommencer ». Crise de larmes, on décide de refaire la scène trois de pèlerin et un glaive pour essayer de trouver cela implique... Sur Les Ailes du courage , qui a semaines plus tard. Le jour venu, Jane pleurniche un peu, mais tout se passe les sous. Je ne me suis jamais dit : « Oh là là ! Ça été fait en 3D et en Imax, j’avais évidemment très bien. La scène est magnifique. Mais au bout du compte j’ai conservé la va être compliqué de trouver les sous, donc je des problèmes techniques. première prise, celle qui était floue, parce qu’il y avait une émotion, un état vais faire un film pas cher, avec un petit sujet ». de surprise de la part des acteurs que je n’ai pas trouvés dans la seconde prise. Mon réflexe, c’est plutôt : « J’ai envie d’aller au Vous avez quand même été à deux doigts de La première fois le dos de Jane était quasiment en sang parce que John la cinéma, de voir un film sur un grand écran. Je vous faire tuer par un ours… poussait sur le carrelage... Quand on s’en est aperçu, on a refait le carrelage.

4 5 Pour rien, puisque l’émotion n’y était plus. Cela Comment dirigez-vous vos acteurs ? Êtes-vous Ce qui est très amusant, c’est de se retrouver avec des acteurs de nature com - milite pour ce que faisait le grand maître Kuro - directif ? plètement différente sur le même film, dans la même scène, dans le même sawa, qui ne faisait jamais plus d’une prise. Sauf La direction d’acteurs, je l’adapte en fonction plan. Il faut les faire travailler séparément. Il m’est arrivé de faire tout un travail quand la grue se cassait la gueule ou que l’acteur du comédien avec lequel je travaille. Certains de method acting avec un comédien, de le faire courir, l’épuiser pendant une oubliait complètement son texte. acteurs, comme Sean Connery, demandent une heure et demie. Pendant ce temps-là, son partenaire était en train de regarder extraordinaire précision, ils ont besoin de savoir le foot à la télé. Il suffisait d’aller le cherche juste avant la prise. Comment vous situez-vous par rapport à la où placer leur regard. Ils veulent savoir si tel Ce qui est très amusant dans le rapport de direction d’acteurs, c’est qu’il faut notion d’auteur ? geste doit durer une seconde et quart ou une trouver à chaque fois le moyen de faire faire à un autre être humain ce dont Je ne cherche pas à me situer par rapport aux seconde trois quarts. Si vous ne répondez pas, vous avez rêvé. Vous ne voulez pas enten - autres, je fais le travail qui me plaît. Je ne sais ils vous prennent pour un con. Je me souviens, dre parler d’une autre façon de le faire. Le plus souvent, je me retrouve avec des films où les gens parlent exactement comme j’ai prévu qu’ils parleraient, sans savoir qui seraient les acteurs retenus. Avec certains acteurs, il faut effectuer un travail de mise en confiance : nous passons des dans Sept ans soirées ensemble. Il m’est arrivé d’aller en vacances avec certains acteurs. Avec au Tibet (1997). Brad Pitt, nous avons passé trois semaines ensemble… Nous avons fait de la marche en Autriche, nous parlions de l’Autriche, de façon à ce qu’il sente bien son personnage... Vous voyez, les méthodes sont infinies. J’ai envie de vous dire que c’est comme la séduction. Si vous me demandiez comment on fait pour draguer une fille, je répondrais qu’il existe un tas de méthodes qui ne marchent pas. Et il y en a qui marchent, mais cela dépend de chaque fille...

Sur Coup de tête , on imagine que Dewaere et Jean Bouise ne font pas partie de la même catégorie d’acteurs... Je le confirme... Jean Bouise, c’est un acteur de théâtre, qui arrive en sachant son texte par cœur. Sean Connery, Christian Slater et Feodor Chaliapin Jr. Il aime répéter et savoir lui aussi, à quel endroit dans Le Nom de la rose (1986). un dimanche, Sean voulait répéter. Il m’a dit : se trouve la flaque pour estimer au mieux son « On va aller sur le décor », je lui ai répondu que saut. Doit-il effectuer un tout petit saut, au risque pas comment on décrit le travail de quelqu’un le décor n’était pas prêt. « Ça ne fait rien, de se mouiller la chaussure ? Je me souviens, qui fait à sa main, les films qu’il a envie de faire, montre-moi le studio ». Nous sommes arrivés nous avions abordé la question avant la scène. sans contrainte extérieure. Je travaille librement, dans le studio vide, des traces à la craie figu - Avec Patrick, c’était beaucoup plus intuitif, évi - j’écris les films de mon choix et je les tourne de rant le décor. « Il y a combien de pas entre le demment. Il ne voulait pas que l’on répète trop manière très proche de ce que j’ai souhaité. Que lutrin et la fenêtre ? ». J’ai vaguement réfléchi et souvent avant la prise, et je répétais avec une Jean Bouise dans recouvre cette notion très française d’auteur ? Il je lui ai dit : « Trois pas et demi ». Il a répété doublure. En conséquence de quoi Jean répétait Coup de tête (1977). semble que l’on parle d’auteur quand les budgets son texte sur trois pas et demi. Le jour du tour - avec une doublure de Patrick pendant que Patrick faisait autre chose. Jean était sont moindres. C’est ridicule : le processus mental nage, il y avait quatre pas et il n’a jamais fait le un tout petit peu perdu, mais ça allait très bien avec le personnage. me semble le même quel que soit le budget du demi pas supplémentaire. Il est resté un petit film. C’est comme les peintres : certains aiment peu plus loin de la fenêtre parce qu’il avait Parce que le personnage est surpris par l’autre. faire des miniatures, d’autres des fresques ; et ils répété comme ça. C’est l’école anglaise. C’est cela. Encore une fois, le charme de ce métier, c’est de savoir gérer le maté - sont tous artistes peintres. C’est vrai que certains Nombre de comédiens fonctionnent ainsi. D’au - riau humain. Dieu sait pourtant si la plupart du temps, l’acteur n’est pas dans l’état travaillent à la chaîne et d’autres à la commande, tres fonctionnent à l’américaine, plus method d’esprit du personnage. Combien de fois, sur des scènes très légères, ai-je vu un ce qui est un autre problème. Mais ceux qui tra - acting , ils ont besoin d’une mise en condition. acteur au téléphone, en train de mettre des coups de pieds dans les arbres, sous vaillent librement, à leur goût, dans le format D’autres enfin ne veulent pas du tout entendre le coup d’une mauvaise nouvelle ? Dans ce cas-là, il faut l’envoyer au maquillage qu’ils choisissent, je crois qu’ils fonctionnent à parler de mise en condition, ils veulent sentir et lui donner deux verres de Bordeaux. Tout ça, c’est la vie quotidienne du peu près tous de la même manière. l’émotion du moment. plateau. Évidemment, si le metteur en scène se désespère, rien ne va plus.

6 7 Il faut savoir faire comprendre qui est le patron. Le ques et moi, à cette époque-là, j’avais trente ans. atteindre des sommets, j’ai dû batailler pour le l’Église. On lui commandait des tableaux en lui travail du metteur en scène, ce n’est pas forcé - Or Poiré voulait absolument Depardieu. Je lui ai ramener à un niveau raisonnable. Il ne faut pas disant : « Notre voûte fait deux mètres de large ment de taper sur la table, mais de faire en sorte dit : « Ce n’est pas le personnage. Si je ne fais pas se lancer dans un projet à l’avance déficitaire. J’ai sur trois mètres douze de haut. Faites-nous un qu’il puisse gérer le film. Combien de fois les films le film avec Dewaere, je laisse tomber ». Il m’a repris ma copie pour trouver des solutions qui tableau du Christ qui va aller là ». Il le faisait. La sont gérés par les acteurs ! répondu : « Dewaere se drogue », ce qui était soient faisables. Mais ça, c’est le travail de tout grande différence qui existe entre les classes vrai. Alors je suis allé voir Patrick et je lui ai dit : artiste. Je me souviens de Marguerite Duras européennes et les écoles américaines, c’est L’autorité, c’est comme la séduction ! « Patrick, j’ai un problème. Poiré veut Gérard et quand elle recevait des conseils de son éditeur. que ce discours est complètement inutile aux Tout à fait. Dans les deux cas, il est indispensa - les assurances refusent de t’assurer parce que tu Il lui disait : « Elle est nulle, cette page », alors elle États-Unis. Un metteur en scène américain sait ble de savoir s’adapter. Savoir s’imposer sur un te drogues ». Il m’a dit : « J’arrête ». Il a arrêté et se battait un petit peu. Et quand elle était per - que le cinéma est une industrie, que c’est un plateau n’est pas enseigné dans les écoles de je suis retourné voir Poiré. Nous avons fait le film. suadée que Jérôme Lindon avait raison, elle métier, régi par des règles. Ici au contraire, en cinéma, les étudiants y sont très peu préparés. C’est un rapport de force permanent. déchirait la page incriminée. Il est des notions qui raison du fossé existant entre l’enseignement et C’est la vie qui nous l’enseigne, pas le vision - La plupart des metteurs en scène qui reviennent m’ont été inculquées, qui le sont généralement la réalité industrielle, les jeunes sont complè - nage des films. Il faut savoir ne pas se laisser de Los Angeles sont désespérés. Cela n’a rien monter sur les pieds, ou être impressionné par d’étonnant. Ils partent pour Hollywood en se des techniciens qui ont quarante ans de métier. disant qu’ils vont jouer les esclaves ou les putes. Si l’on vous dit : « J’en suis à mon 137 ème film ! Évidemment, ils se font entuber. Mais c’est », répondez : « D’accord, et alors ! ». Certains normal, ils arrivent en baissant leur pantalon... metteurs en scène, comme mon ami Ridley Scott, Qu’est-ce que vous voulez faire ? envoient chier tout le monde. Oliver Stone, idem. Moi, je suis plus sournois, je suis très gentil sur le C’est une image ! plateau. Mais si quelque chose ne me plaît pas, Oui, c’est une image pas très distinguée, mais ça ne passe pas. Évidemment, vous ne pouvez elle est parlante ! Je vois des gens ultra connus qui, ayant eu une proposition « Je vois des gens ultra connus qui, américaine – de la part de qui au juste ? – une proposition ayant eu une proposition américaine une absurde basée sur un mauvais Une scène de La Guerre du feu (1981). proposition absurde basée sur un mauvais scénario, porté par un produc - sur les bancs de l’école – j’ai fait Vaugirard - scénario, porté par un producteur véreux, teur véreux, etc., cavalent ventre Louis Lumière et l’IDHEC, je sais un peu de quoi cavalent ventre à terre. » à terre. Il ne faut pas faire ça. Si, je parle. La plupart des professeurs ne sont pas tement perdus quand ils débutent. Quand vous en revanche, vous avez un projet confrontés aux réalités des métiers. Ils ont géné - arrivez sur un plateau en tant que stagiaire, pas vous dire auteur si vous ne contrôlez pas votre et que vous dites : « C’est comme ça, vous prenez ralement une idée mythologique du cinéma, souvent vous n’y restez pas plus de trois jours. film depuis la page blanche jusqu’à la copie stan - ou vous ne prenez pas ! », cela change la donne. alors que nous sommes sur le tas. Au lieu de vous demander : « Qu’est-ce qui va dard et les projections en salle. Dans le cas J’ai mis deux ans à monter La Guerre du feu . J’ai Je me souviens qu’après ma scolarité et mes plaire aux gens qui m’emploient ? », vous allez contraire, si vous commencez à vous faire dépas - fait la tournée des studios. On me disait : « Je diplômes, je suis heureusement arrivé très vite vous dire : « Qu’est-ce qui va m’être utile ? ». En ser par votre équipe technique, votre chef opéra - ne comprends pas ce que vous voulez faire ». Je sur un plateau. J’ai été metteur en scène à dix- réalité, ce qui vous sera utile au bout du compte, teur, votre producteur, votre chef monteur, votre répondais : « Souvenez-vous, La Guerre du feu , neuf ans et demi. Je me suis dit : « Ce n’est pas c’est d’avoir un rôle et de servir ceux qui vous musicien et vos acteurs, qui comme chacun sait c’est ça que je veux faire ! ». Finalement, je les du tout ce qu’on m’avait appris ! ». J’ai eu besoin emploient. C’est comme cela que l’on progresse. n’en font qu’à leur tête, ce n’est plus votre film ! ai eus à l’usure. de deux ou trois ans à désapprendre... Bien sûr, Les gens avec lesquels je travaille n’ont pas Surtout si vous adaptez le scénario d’un autre. je ne suis pas allé à l’école depuis un certain souvent fait des écoles de cinéma, mais ce sont Dans ces cas-là, certains n’essayent-ils pas de nombre d’années… C’est pour cela que j’in - des merveilles. Ils connaissent très bien leur Vous avez toujours eu le choix sur tous les films ? négocier le mammouth (et là, ce n’est pas une siste sur le côté pratique du travail et sur le fait métier et font preuve d’une détermination farou - Vous n’avez jamais eu un producteur qui vous image) ? que pour toute œuvre d’art, il y a toujours, che. Je viens de passer un bon moment avec a dit : « Là, c’est un peu trop »? Si, bien sûr. Jack Nicholson et Michael Douglas curieusement, un client. Je passe mon temps Luc Besson. Il m’a rappelé qu’il avait débuté en Non, parce que le producteur, c’est moi. Alors je voulaient en être... Vous les voyez dans La dans les musées. La plupart des très grands pein - faisant le pied de grue devant les studios de Bou - dis : « Fais comme tu veux ! ». J’exagère un peu. Guerre du feu ? C’était une absurdité. Il faut résis - tres peignaient à la commande, ce qui n’est pas logne. Dès que déboulait un camion de machi - Dans le cas de Coup de tête , par exemple, mon ter. Et l’on résiste d’autant mieux que l’on sait mon cas. Rembrandt – ce n’est pas un mauvais nerie, il y allait et portait les caisses. Tout producteur était Alain Poiré. C’était un vieux pro - ce que l’on veut faire. Bien entendu, il y a des peintre, il est reconnaissable entre tous – tra - le monde l’appelait « Luco ». C’est comme ducteur qui avait fait beaucoup de films comi - négociations. Quand j’ai vu le budget du film vaillait pour les bourgeois de la ville et pour ça que le petit Luco a commencé à avoir

8 9 ses introductions dans le cinéma... Il faut faire cela ? Je disais que j’avais été metteur en scène colossal, réalisateur d’un film que personne teurs vous foutent la paix, généralement. Contrai - preuve d’humilité : on y arrive par une folle à dix-neuf ans et demi. Parce que l’on m’a n’avait vu ; aux États-Unis, j’étais celui qui avait rement aux États-Unis, où l’on peut être viré détermination, par un fol enthousiasme, par un proposé d’entrée de jeu de faire des films publi - eu l’Oscar. J’avais donc une valeur marchande. pendant les quinze premiers jours. fol amour du cinéma, qui se matérialisent par citaires. Je n’en avais jamais vus : je n’allais qu’à J’ai très vite pris un agent américain, avec lequel une totale dévotion à ce métier. Souvenez-vous la Cinémathèque, dans les cinémas d’Art et je suis resté. Il m’a immédiatement proposé des Apparemment, vous faites assez peu de prises. que c’est une profession incroyablement maté - Essai, où l’on ne montre pas de films publici - films gigantesques, au vu de mon expérience L’arrivée du numérique a-t-elle changé vos habi - rielle, même quand on écrit – il faut pondre des taires. Et il n’y avait pas la télé chez moi. Le dans la pub. Cela faisait quand même dix ans tudes de mise en scène ? pages, il faut se gratter la tête, lire des livres, faire premier film publicitaire que j’ai vu, c’est donc que j’étais metteur en scène. Enfin, que je jouais Non, le numérique n’a rien changé. Ce n’est pas des recherches, c’est du travail. moi qui l’ai fait. Comme nous étions peu nom - au metteur en scène. J’allais sur un plateau, je parce que l’outil enregistre « une pellicule dif - breux sur ce créneau et que la télé s’est ouverte disais « moteur », je choisissais les acteurs et férente », que je vais exténuer mes acteurs et Nous parlions des relations avec les producteurs. à la pub, j’ai beaucoup travaillé. J’ai bien dû les décors, j’écrivais les scénarios. Je n’ai pas leur faire faire soixante-cinq prises. Ce que le Revenons sur le cas d’Alain Poiré, le producteur enchaîner 500 pubs. J’étais très demandé, je voulu accepter les propositions américaines numérique offre en revanche c’est une plus de Coup de tête. Vous n’aviez alors qu’un seul récoltais plein de prix. Pour moi, le cinéma, ce parce que j’ai pensé que j’étais trop inexpéri - grande souplesse dans certains cas. Pour Deux menté sur le plan du long métrage pour me frères , au lieu d’attendre que les animaux soient confronter au monstre californien. À l’époque, prêts, je pouvais lancer le moteur beaucoup plus on m’a proposé des gros trucs, comme tôt et bénéficier de leur spontanéité au moment E=MC2, Tora ! Tora ! Tora !, qui a finalement été où ils ont envie d’inventer la scène. Avec les confié à Richard Fleischer, ou encore une adap - acteurs, j’ai complètement oublié que je faisais tation de L’Île de Robert Merle. C’était n’im - du numérique. Je continue à préférer les pre - porte quoi et du coup, j’ai tout refusé. J’ai mières prises. Parfois il faut retenir la prise 7 ou préféré poursuivre le film que j’avais en projet, la 8. Elles surviennent dans un regain, après une plus modeste. sorte de lassitude qui s’installe à partir de la prise Poiré m’a alors rappelé : « Cher ami, est-ce que 3 ou 4. Puis, comme les acteurs commencent à ça vous intéresserait de mener votre projet à bien ? s’impatienter, ils mettent le paquet et les prises Vous écrivez quoi au juste ? Je suis prêt à vous suivantes sont bien meilleures. Certains, comme offrir le concours de Francis Veber, qui est un De Niro, demandent soixante-dix prises à leur grand scénariste ». J’ai dit oui. Je trouvais très metteur en scène. Certains cinéastes, comme intéressant de travailler avec Veber, d’autant que le scénario était déjà écrit. Francis a amené d’ex - cellentes idées de dialogue. Notre collaboration Tony Leung et Jane March dans L'Amant (1991). a été aussi difficile que passionnante. Je lui suis, n’était pas un travail que je devais faire pour aujourd’hui encore, très reconnaissant des choses casser la croûte, mais un rêve. Je n’avais abso - que j’ai apprises. J’avais trente ans. C’est un bon film à votre actif, qui n’avait pas marché. Or lument pas peur que l’on me dise non, je m’en âge pour recevoir des propositions et je voulais Poiré avait de son côté une longue carrière der - foutais. Alain Poiré me proposait un film tous faire un film français avec un acteur, Patrick rière lui. La Gaumont formatait un peu les films les trois mois, des comédies abominables, des Dewaere, qui lui voulait faire le film. Il n’était Playtime de Jacques Tati. qu’elle produisait, et Poiré à l’intérieur de la trucs auxquels je ne comprenais rien du tout. pas à l’époque le plus célèbre acteur français, Gaumont imposait une marque, celle de films Je me demandais comment je pourrais diriger un mais il arrivait en seconde position. La configu - populaires, comédies ou polars, dont les met - truc pareil, je ne comprenais rien aux person - ration était suffisamment forte, finalement, pour Tati, font soixante-dix prises avec leurs comé - teurs en scène pouvaient être interchangeables. nages. Alors je lui disais non et lui ne compre - que j’aie mon mot à dire vis-à-vis du producteur. diens. Mais ce sont des exceptions. C’est vrai Et ce n’est pas leur faire injure que de dire cela, nait pas : « Pourquoi non ? Avec des bons Patrick et moi nous entendions vraiment très qu’il est parfois décourageant pour un acteur certains d’entre eux étaient excellents. Est-ce acteurs, le film est dans la poche... » C’est pour bien : notre tandem était solide et le producteur d’entendre : « On recommence » sans qu’il sache que ce n’était pas une contrainte ? Quand on ça que je lui ai proposé mon idée. Mon film ne pouvait plus faire grand-chose. C’est pour cela pourquoi. Ce sont des techniques de tournage. voit le générique du film, on se dit « C’est la précédent, La Victoire en chantant (rebaptisé que les producteurs font très attention au scéna - Gaumont » et d’entrée de jeu, on sait que l’on va Noirs et blancs en couleur ), m’avait permis de rio, au casting et au choix du metteur en scène. Le numérique modifie-t-il la façon dont vous être en terrain connu... décrocher l’Oscar du Meilleur Film étranger à Parce qu’ils savent qu’une fois que tout cela est tournez ? Vous avez complètement raison. Mais Poiré me Hollywood. Mon statut était très particulier. En réuni, il est trop tard pour intervenir. À partir du Il est une innovation très bénéfique pour les met - proposait des films depuis longtemps. Comment France, j’étais un mec qui avait fait un bide moment où le tournage commence, les produc - teurs en scène et effrayante pour les opérateurs.

10 11 Le metteur en scène, avec le numérique, voit diate, comme au théâtre. Le metteur en scène retrouvez pas les grands films que vous avez nouveau matériel, je m’informe. Quand les tru - l’image finale en temps réel. Bien entendu, il est de théâtre est dans la salle et quand il demande aimés. Et c’est également vrai de Spielberg et cages numériques ont été mis au point, j’ai été toujours possible de la bricoler en post-produc - de baisser la lumière, il est possible de répon - John Williams… La musique change la couleur invité chez George Lucas, qui par ailleurs avait tion, mais c’est quand même agréable de pouvoir dre immédiatement à son attente. Je vous rappelle d’un film. Repensez, par exemple, aux films de besoin de commercialiser ses inventions techni - contrôler la direction de la lumière, le contraste. que la prééminence du chef opérateur date de David Lean, Le Pont de la rivière Kwai , Docteur ques et son matériel. J’ai passé la journée avec Luc C’est comme si l’étalonneur était présent sur le l’époque très héroïque où il fallait regarder à Jivago ou Lawrence d’Arabie : sans musique, ce Besson, qui m’a montré son installation. Nous plateau, alors qu’il intervient réellement six mois travers le filtre noir pour savoir s’il y allait avoir ne sont plus les mêmes films. Pour moi, il est aimons parler entre amis, entre collègues. Cela plus tard. Du coup, le metteur en scène est moins quelque chose sur la pellicule quand elle faisait absolument capital que le metteur en scène puisse m’a toujours plu de tenter de nouvelles expé - dépendant de son chef opérateur. Jusque-là, deux ASA et qu’il fallait tourner en plein soleil. faire confiance à ses plus proches collaborateurs riences sur le plan technique. C’est pour cela que Puis est venue la couleur, que l’on ne « Mais choisir son chef opérateur pouvait concevoir que pétante. Pendant c’est également capital. Parce que longtemps le chef opérateur est resté le c’est l’homme qui va vous aider à vrai chef du plateau, parce qu’il était le placer les caméras, à donner un seul à savoir comment la caméra, cette machine magique, opérait. Aujourd’hui, style visuel à l’image. » le metteur en scène voit tout de suite le résultat. Si ça ne lui plaît pas, il peut le celui-ci avait tendance à répondre à la moindre dire. Et s’il n’a pas d’idée précise, il ne dit rien. récrimination : « Mais non, tu n’y comprends J’ai très bien connu François Truffaut les cinq ou rien, le Gama est différent, la courbe… ». Il est six dernières années de sa vie. Nous n’étions pas vrai que j’ai toujours été intéressé par la techni - intimes, mais tout de même assez proches. Or il que et que j’ai su leur répondre... La première fois demandait en permanence ce que je pensais de que je suis arrivé sur un plateau, évidemment, j’ai la photo de ses films. Et il avouait : « Je ne com - mis l’œil à la caméra. Tout le monde attendait de prends rien, ça ne m’intéresse pas, je ne sais pas voir si j’allais dire : « Oui, c’est bien ». C’est un le faire ». Je trouvais cela étrange, d’autant que la peu un bizutage. C’est plus facile aujourd’hui, photo de ses films est souvent irréprochable. Mais avec le numérique. Il y a encore quelques simplement Truffaut ne possédait pas de culture années, nous allions voir les rushes avec une visuelle. Sa culture littéraire était en revanche certaine appréhension. C’est alors que nous pou - magnifique, c’était un formidable dialoguiste, un Une scène de La Victoire en chantant (1976). vions voir qu’il n’y avait pas suffisamment de merveilleux conteur. Je pense que c’est aussi un si ce n’est pas sa nature de s’immiscer dans tout. lumière, par exemple. Ou qu’il y avait une rayure talent du metteur en scène que de savoir choisir Je suis peut-être un peu trop envahissant. J’ai ten - sur le négatif... En numérique, vous avez un gros les membres clef de son équipe. Choisir ses dance à dire : « Non, je ne veux pas trois haut - j’ai fait un film en Imax. Au même titre que j’ai moniteur devant vous, et l’image que vous voyez acteurs, c’est primordial. Mais choisir son chef bois, je préfèrerais deux clarinettes ». Ce n’est eu envie, pour mon dernier film, Deux frères, de est la même que celle que vous verrez plus tard. opérateur c’est également capital. Parce que c’est pas forcément bien. Certains compositeurs sont faire un film en digital. Parce que je lisais des l’homme qui va vous aider à placer les caméras, exaspérés, je les comprends. articles, je voyais des images. Les fabricants de Faut-il comprendre que votre chef opérateur n’a à donner un style visuel à l’image. J’ajouterai à Digital avançaient que c’était « aussi bien que pas la liberté que d’autres cinéastes lui accor - cette liste le chef décorateur et évidemment les Vous avez été dans les écoles. Mais la techni - le 35 mm », les fabricants de 35 mm répondaient : dent ? musiciens. Si vous ne mettez pas Nino Rota avec que évolue, et pas seulement au niveau de la « C’est de la merde ». J’ai appelé Panavision. Je Je suis très directionnel, d’autant que j’ai reçu Fellini, vous n’avez plus le même Fellini. Si vous haute définition. Les objectifs ne sont pas les me suis fait prêter la meilleure caméra numérique, une formation d’opérateur à Vaugirard, que je ne mettez pas Morricone avec Leone, vous ne mêmes, la façon d’éclairer est différente… Le ainsi qu’une Golden Panavision. J’ai tourné les passe mon temps dans les musées, que j’arrive tournage suffit-il à la formation permanente, ou mêmes choses en parallèle, puis j’ai demandé à avec des storyboards et toute une collection de avez-vous quand même le désir de vous mettre ma monteuse de tout mélanger : je n’ai pas vu la croquis. Alors quand le chef opérateur me au courant de ce qui existe ? Notamment en différence. Ma monteuse non plus, mon ami pro - demande : « Qu’est-ce que tu en penses, tu voyant d’autres films et en essayant de com - ducteur non plus, mon scénariste non plus. Alors crois qu’on devrait mettre un quart de bleu en prendre comment ils fonctionnent ? on a voulu recommencer l’expérience : ce n’était plus sur le projecteur de gauche ? », je lui Je vois beaucoup de films. Étant membre des aca - pas normal qu’il n’y ait aucune différence. Fina - réponds : « essayons », ou « ça va », ou encore démies, j’ai le privilège de recevoir beaucoup de lement, il existe une petite différence. « ce n’est pas assez bien ». La réponse est immé - Docteur Jivago de David Lean. DVD. Par ailleurs, par nature, dès qu’il y a un J’ai toujours considéré avec une grande gaieté

12 13 d’être confronté au défi d’un monde qui change. à la façon dont on raconte les histoires. On fait claquements de sandales dans les couloirs ou une contrainte qui ne me plaisait pas, jusqu’au Mais ce n’est pas, finalement, la technologie qui beaucoup plus de plans qu’autrefois, on est sur le dallage de l’église. Je le fais figurer au scé - jour où j’ai découvert que James, que j’aimais fait bouger le plus les choses. J’ai connu de obligé, aujourd’hui, de faire un montage beau - nario. L’habillage sonore fait partie de l’écriture beaucoup, avait un passeport anglais. Nous grandes révolutions technologiques. Pendant coup plus serré. Les spectateurs ont changé, ils cinématographique. Qu’est-ce qu’écrire un scé - l’avons fait venir en catastrophe, il a vu le film, il longtemps, j’ai fait des films publicitaires pour la analysent les images de cinéma beaucoup plus nario ? Ce n’est pas écrire une histoire. C’est a commencé à pondre des musiques dans la télé, alors qu’elle était encore en noir et blanc ! rapidement qu’auparavant. Et ils sont deman - décrire les images et les sons tels que les specta - foulée. Nous avons travaillé d’arrache-pied Et un jour, il a fallu que tous les films passent à la deurs d’une multiplicité d’angulations, ce qui teurs les recevront plus tard. Il faut donc exposer pendant trois semaines, jusqu’au moment où couleur. On a dû changer de chefs opérateurs, n’était pas le cas autrefois. Les gens étaient habi - un travail qui n’est pas encore effectué. Autre - nous nous sommes fâchés parce qu’il voulait me comme dans Chantons sous la pluie . Parce que tués au théâtre, ils faisaient leurs gros plans eux- fois, en France, on définissait dans le scénario la faire valider sa musique électronique. Il me pro - les amoureux du noir et blanc trouvaient que la mêmes. Aujourd’hui, c’est la télévision qui donne colonne image et la colonne sonore. Je préfère le posait en fait du sampling d’instruments anciens. couleur n’avait pas le même charme. C’est peut- le la. Or le poste de télévision étant de taille système anglo-saxon. Au lieu d’inscrire : Finalement, nous nous sommes fâchés tout rouge être vrai, mais il n’empêche que le monde modeste, il faut montrer rapidement où ça se « musique », j’écris « le sifflement du vent est l’un et l’autre. À la suite de quoi nous avons cessé remplacé par la stridence des violons, ce qui de nous parler pendant des années. Pour Le Nom indique un changement de climat sonore ». C’est de la rose , j’ai fini par lui dire : « Tu fais ce que indispensable. Si l’on veut faire du cinéma et non tu veux, je suis sans a priori . Mais si ça ne me illustrer un texte avec un habillage sonore. Si vous faites une comédie « Au lieu d’inscrire : “musique”, j’écris musicale, la première personne que vous engagerez, c’est le compositeur. “le sifflement du vent est remplacé par Mais pour ce qui est des autres genres, la stridence des violons, ce qui indique un ce n’est pas systématique. Soit vous changement de climat sonore”. » entretenez un rapport ancien avec un compositeur, et vous savez à quoi vous en tenir, soit vous le rencontrez très en amont. plaît pas, ce ne sera pas dans le film ». C’est Dans ce cas-là, vous lui donnez le scénario pour comme cela que la musique du film s’est frayée

Tcheky Karyo dans L'Ours (1988). qu’il commence à vous présenter des thèmes. un chemin... Et finalement, nous nous aimons C’est ainsi que j’ai procédé pour Deux frères avec beaucoup. Nous avons de nouveau travaillé passe par un plan large, pas trop insistant, puis Gabriel Yared. Mais il m’a dit : « Je ne peux pas ensemble pour Stalingrad . Mais tous les types de aller chercher les différents gros plans, que l’on le faire, parce que je suis pris entre l’enclume de relations sont possibles : John Williams est inter - change. Après cela, j’ai eu la joie de faire avec La dynamise le plus possible. La télévision a beau - Troie et le marteau de Cold mountain ... » Ce sont venu au premier montage sur Sept ans au Tibet . Guerre du feu le premier film français, ou peut- coup changé la donne et j’ai envie de dire tant des choses qui arrivent. Avec Pierre Bachelet, Mais c’est peut-être la musique de L’Ours qui être le second, en Dolby stéréo. Il n’y avait mieux. J’aime davantage le cinéma d’aujourd’ - qui a signé la musique de Coup de tête, j’ai m’a donné le plus de soucis. J’allais voir Phi - d’ailleurs pas de labos stéréo, ni d’audis stéréo hui que celui, certainement plus lyrique, plus procédé autrement. Quand le premier montage lippe Sarde tous les jeudis matin pendant la en France, et je suis allé faire le son au Canada. posé d’hier, mais qui demandait à ce que l’on du film a été prêt, je l’ai appelé. Il est arrivé avec période du montage. Je lui montrais des photos, Sur Deux frères , mon chef opérateur habituel, limite le nombre de plans. Parce que chaque ses petites bobinos de musiques temporaires. quelques images du film, nous parlions, nous Robert Fraisse m’a dit : « Je ne fais pas le film si plan demandait beaucoup de temps. Je ne vais Nous avons tenté de voir sur quelles séquences parlions. Or, ce n’est pas être médisant que de c’est en numérique, le 35 mm est beaucoup pas développer l’histoire parallèle de la stylisti - elles fonctionnaient. Rien ne marchait. Alors le révéler : la veille de l’enregistrement, Philippe mieux ». Je lui ai répondu : « Qu’est-ce que tu en que et du matériel, mais croyez bien que les Pierre s’est mis à siffloter. J’ai trouvé ça sympa. Au n’avait encore rien à me faire entendre. La panne. sais ? Pourquoi n’essayes-tu pas ? ». En fait, le deux sont étroitement liés. stade du pré montage, j’ai inclus ces petits airs Finalement, c’est Carlos Salina, l’orchestrateur changement fait souvent peur. Nombre de com - sifflés, sans être certain de les conserver. Puis de Nino Rota, qui a tout écrit dans la nuit. Ces positeurs ont en leur temps prétendu que « le Pour revenir à la musique, à quel stade du déve - nous avons essayé d’autres instrumentations. Ça choses-là arrivent. Et moi qui avait commencé à piano, c’est nul, il faut continuer à faire du cla - loppement du film commencez-vous à réfléchir n’allait pas, seul le sifflement collait... travailler très en amont pour justement ne pas vecin ». Aujourd’hui, les joueurs de clavecin ne à la fois aux éléments musicaux et aux éléments Pour Le Nom de la rose , j’ai travaillé avec James avoir ce genre de problèmes... Quand j’allais courent plus les rues ! Je crois qu’il faut accueillir d’effets, d’ambiance, de bruitage, au design Horner. Nous avions de terribles problèmes d’ar - chez Philippe Sarde pour écouter ce qu’il avait l’innovation technologique comme un outil qui sonore en quelque sorte ? gent, j’étais très en retard sur le montage. Pour fait, il me servait des tartines de caviar… C’est vous est offert. Après, c’est à vous de savoir si J’ai toujours entendu mes films pendant que je aider mon producteur allemand qui avait dû très bon le caviar, mais je n’aime pas particu - cela vous aide ou pas. les écrivais. Quand j’écris l’une des scènes du vendre ses immeubles pour faire le film, il fallait lièrement ça, j’aurais préféré la musique. En revanche, l’évolution est spectaculaire quant Nom de la rose , j’entends la réverbération des que je travaille avec un musicien anglais. C’est Vous alternez des films de conception assez clas -

14 15 sique comme Le Nom de la rose ou Stalingrad et d’autres, moins traditionnels d’en faire, c’est la meilleure façon de la réussir. Il ne faut jamais dévier de ses comme L’Ours ou La Guerre du feu . Cela implique-t-il une écriture différente désirs. Il faut se battre pour réaliser ses rêves. Si l’on y arrive, c’est génial et c’est ? très rigolo, très longtemps. Quand j’étais à l’IDHEC, l’ancêtre de la FEMIS, nous avions reçu Vincente Minnelli, qui s’était longuement plaint : sa vie était une galère, il se faisait chier Nous parlions de la pub et de l’expérience que vous en avez tirée. Qu’est-ce qui à faire toujours les mêmes films, etc. J’ai ensuite rencontré Hitchcock, qui vous a servi le plus ? La technique ? La relation avec les acteurs ? Le montage ? m’avait dit la même chose. Je m’étais dit : « C’est quand même bizarre, ces Ce qui m’a incroyablement servi, c’est de développer une espèce d’arro - cinéastes font des films extraordinaires et ils se sentent piégés dans un genre ». gance. J’avais fait des écoles et j’étais vraiment fasciné par le grand cinéma sovié - Pour ma part, je ressens la nécessité, quand je finis un film comme Le Nom tique ou celui de Kurosawa et Mizoguchi. Je me suis retrouvé dans le milieu de la rose , de ne pas refaire un film au Moyen-Âge ou sur un livre en grec. de la pub et je me suis dit : « C’est une bande de demeurés ». Je n’avais Ou de ne pas faire un film sur la vie monastique. Ou de ne pas faire un film aucune envie de faire de la pub : c’était très facile pour moi d’afficher cette sur les bibliothèques. J’ai envie d’aller ailleurs, d’aller dans la montagne reni - sorte de dédain. Quand un commanditaire me disait : « Faites ça », je répon - fler les sapins, comme les ours. Cela me permet de redécouvrir un autre dais facilement : « Non, c’est trop nul ». Alors on me donnait une vraie liberté style. Après L’Ours , j’ai eu envie de revenir, avec L’Amant à une histoire sen - pour faire valoir mes idées. Pendant des années et des années, j’ai constaté deux timentale, adaptée d’un roman. Je puise un dynamisme personnel très fort en choses. D’abord que j’ai toujours fait, même en pub, les films que je voulais changeant de lieu, en étant obligé de me bousculer un peu, d’affronter des faire : si ce n’était pas possible, je me tirais. Ensuite que cette arrogance est problèmes nouveaux. Quand j’ai voulu faire La Guerre du feu , que disaient devenue un style de vie. Je ne suis plus arrogant, mais je fais toujours ce que les producteurs ? « C’est un mec qui a fait de la pub et qui fait très fort en j’ai envie de faire. Pendant une période qui a été très bénéfique pour moi, comédie ». Je venais de faire Coup de tête … Je me suis bagarré pendant des j’ai eu la chance que tous mes films publicitaires soient récompensés par au années pour faire La Guerre du feu et bizarrement le film a eu du succès. moins un prix, alors qu’ils avaient, sans aucune exception, été refusés par l’a - On m’a donc proposé des tas de films où les gence. Mais ce sont les mêmes qui me portaient en triomphe dès que le vent gens couraient cul nu, des films de primitifs, tournait. C’est pour cela que j’ai fait Coup de tête . Les gens qui changent avec mammouths ou sans mammouths... d’opinion parce que les autres changent d’opinion, pour moi c’est incroyable ! Quand je me suis présenté avec Le Nom de Il faut tenir bon, se faire confiance, faire contre les autres, à sa manière. ma rose , un livre qui à l’époque n’avait pas Il y a grosso modo deux manières de faire. Primo passer en force, comme je encore l’aura qui sera la sienne par la suite, le faisais à l’époque de la pub. J’avais alors une expression : « Je prends ma tout le monde a pensé que j’étais un fou musette ». J’avais une espèce de sacoche de pêche et je partais au milieu des

Un mammouth de furieux, que cela ne marcherait jamais. Tout réunions... Ça se savait dans le milieu de la pub... C’était une époque d’en - La Guerre du feu (1981). le monde disait : « Annaud ne comprend rien à la littérature, il est bestial ». fant gâté, mais qui m’a donné le sentiment qu’après tout, en étant soi-même, J’ai fait Le Nom de la rose et l’on a aussitôt considéré que j’étais un spécia - on pouvait passer par des moments cruels, par des moments où on se faisait liste de l’Histoire. On a voulu me coller tous les projets historiques ou intel - jeter le film à la gueule. Et je peux dire que quand vous faites des longs métra - los. Parce que Umberto Eco était devenu entre temps une sommité ges, vous vous les faites jeter à la gueule. Les critiques du Nom de la rose ont intellectuelle, et qu’il avait dit beaucoup de bien de moi. De même, quand été exécrables à la sortie du film aux États-Unis, les pires que j’avais jamais eues. j’ai voulu faire L’Ours , les producteurs ne voulaient pas me financer : « Annaud Idem en Italie. Aujourd’hui, on me paye des voyages pour que je vienne parler ne comprend rien à la tendresse ». L’Ours a eu du succès et j’ai voulu faire du Nom de la rose . Il s’agit pourtant du même film, mais certains ont changé L’Amant. Rebelote. « Annaud ne connaît rien à l’amour ». Après L’Amant , on d’opinion. Ma femme – je suis l’un des rares cinéastes à avoir la même femme m’a naturellement proposé des films d’amour avec des scènes d’amour. Tout depuis longtemps – me dit tout le temps que même quand je suis d’accord, cela est stupide. Je suis comme tout le monde, j’ai des passions complètement je dis non par réflexe. Lorsqu’on me présente quelque dissymétriques. Je connaissais un chef machino avec des pognes énormes, chose, je dis d’abord non, cela me donne le temps de il était collectionneur d’oiseaux de paradis, c’était sa passion, mais tout le réfléchir. Si l’on dit oui trop tôt, on est cuit. Si vous monde pensait que c’était une brute... Moi, j’aime puiser dans les différen - recevez un scénario, et que vous dites : « C’est pas tes facettes de ma personnalité. mal », vous êtes piégé. En fait, le scénario ne vous a C’est vrai que j’ai une passion pour l’Afrique, mais que j’ai aussi une passion pas plu : il faut dire non tout de suite. pour la Russie que j’ai mise, d’une certaine manière, au service de Stalingrad . La pub m’a également appris à gérer une équipe. Je vais J’ai une passion pour la littérature : je puise dans un grand texte pour faire un vous raconter une anecdote. Quand j’ai fait mon premier La Victoire en chantant film qui va me passionner, mais après, je change de climat. Certains, par film, , nous étions une toute Jean Carmet dans contre, ont des passions très monolithiques, qui n’aiment que le film noir par petite équipe en plein cœur de l’Afrique, une trentaine de personnes, les La Victoire en chantant exemple. Ils y excellent d’ailleurs. Chacun doit faire de sa vie ce qu’il a envie acteurs compris. Jean Carmet, qui était un acteur célèbre à l’époque, est venu (1976).

16 17 me voir au bout de cinq ou six jours et m’a perruques. Si vous pensez que c’est une bonne je travaille, mais il y a autant de façons de faire que de cinéastes. Je suis très demandé : « Qu’est-ce que ça te fait d’être le professionnelle qui a déjà vingt ou trente ans de ami avec Patrice Leconte, mais je n’arrive pas à comprendre comment il fait. chef de tout ce monde ? ». Je n’ai pas osé lui métier et qu’elle a raison, vous êtes fichus. Si on Et c’est réciproque. Mais je ne vais jamais sur le plateau des autres parce qu’à dire que c’était la première fois depuis des années se met à écouter tout le monde, le soleil devient chaque fois que cela m’arrive, je me dis : « La caméra, il ne devrait pas la que j’avais une équipe aussi réduite. En pub, un ennemi, il n’est jamais là où il faut. Les com - mettre là, c’est impossible... » Ce qui est merveilleux dans le cinéma, c’est j’étais habitué à gérer des équipes de 150 per - merçants deviennent des ennemis, qui râlent que chacun doit conserver sa personnalité, choisir ses acteurs comme il l’en - sonnes, alors que j’étais tout gamin. Cela m’a parce que c’est leur rue qui a été choisie. Mais tend, écrire son scénario selon ses propres convictions. Ce qui est lamentable, donné l’habitude de gérer une équipe, de ne pas quand le film marche, ils sont très contents c’est de ne pas faire les films auxquels on croit. Si un cinéaste un peu cons - me laisser impressionner par le nombre de gens qu’on ait choisi leur rue parce que les gens cient se met à faire des films qui valorisent les GI’s en Irak, parce qu’il a besoin qui travaillaient pour moi, de n’en faire qu’à ma viennent acheter leur pain dans la boulange - de travailler, c’est terrible. Il pourra se payer une villa à Hollywood, mais il verra tête. Ce sont peut-être de mauvais conseils que rie du film... son psychanalyste tous les jours...

Avez-vous une approche particulière dans l’écriture de vos scénarios, une méthode immuable ? J’emploie à peu près toujours la même méthode. Mais il faut distinguer les histoires originales et les adaptations. Même si la difficulté est égale. J’ai fait plusieurs adaptations. À chaque fois, l’enjeu, c’est de respecter les émotions ressenties à « Je me mets à la place de chaque la lecture. Mais plus le livre est célèbre, plus personnage. Il m’arrive parfois, vous avez une obligation, non pas de res - d’ailleurs, d’écrire l’histoire du semblance, parce que le roman et le film film à travers chacun. C’est une sont objets différents, mais d’honnêteté. Les façon de vérifier sa cohérence. lecteurs du livre voudront le retrouver dans Inventer une histoire est quelque le film. Et c’est là que ça se complique. Ce chose de très plaisant. » cas de figure m’est arrivé sur Le Nom de la Lhakpa Tsamchoe, et Brad Pitt rose et sur L’Amant . Au bout du compte, je suis obligé de dire à tout le monde : dans Sept ans au Tibet (1987). C’est le cas du bistrotier d’ Amélie Poulain. « Ma lecture prévaut, c’est mon film, et tant pis pour le livre ». Umberto Eco Le bistrotier d’Amélie Poulain a effectivement l’a très bien compris. Marguerite Duras a moins bien réagi, elle a eu du mal je vous donne, mais c’est comme ça que j’ai fait. fait tous les malheurs du monde à Jeunet, il ne à accepter mes choix. Mais il faut savoir ce que vous voulez, évidem - voulait pas qu’il tourne. Et maintenant ce sont Comment fait-on une adaptation ? Il faut commencer à décortiquer le livre, ment. Parce que si ce n’est pas le cas, vous êtes des cars entiers de touristes japonais qui vien - essayer d’isoler la courbe dramatique qui vous a le plus intéressée et ensuite, mort. Être metteur en scène, c’est avoir une vision nent boire un verre chez lui... Ça c’est l’ironie du commencer à faire un découpage scène à scène. Quand j’ai une idée origi - claire de ce que vous souhaitez voir plus tard cinéma. Il faut le savoir et se battre en perma - nale – c’est le cas de mes deux derniers films, la sur l’écran et de l’expliquer aux autres. nence. C’est un combat qui ne se finit jamais. méthode est plus fluctuante. Stalingrad est parti Truffaut disait qu’il faut faire attention, sinon Le jour où vous n’avez plus la force de vous d’une anecdote célèbre, qui tenait sur deux un film subit une longue dégradation entre battre, vous vous faites éjecter. pages... Pour Deux frères j’ai assemblé des idées l’idée originale et la copie standard. Il faut veiller qui me trottaient dans la tête, le matin dans mon à préserver l’intégrité de la flamme, se battre Certains étudiants feront de la mise en scène, bain, le soir dans mon lit, la journée quand je comme un fou. Les gens sont gentils, ils vien - mais d’autres de la production, de l’image, cer - conduisais. Dans ce cas-là, je me demande ce nent toujours vers vous pour vous dire : « Je tains seront même, qui sait, parmi ceux qui net - que va faire tel personnage à tel endroit, à tel crois que j’ai une très bonne idée ». Je réponds toient les perruques. moment, parce que j’ai eu l’idée de la scène sui - toujours : « Est-ce une bonne idée qui facilite Je ne peux donner que mon point de vue. Même vante et je ne dois pas manquer la jointure des ton travail ou qui améliore le film ? ». En si cela fait des années que le cinéma est mon deux scènes. Je me mets à la place de chaque Mario David, Jean Bouise, Robert Dalban, général, mon interlocuteur s’en va. Par exemple, univers, je ne peux pas vous parler aussi sincè - personnage. Il m’arrive parfois, d’ailleurs, d’écrire l’histoire du film à travers Paul LePerson et Michel si la scène décrit une bataille dans la boue et rement et honnêtement du travail de l’acteur ou chacun. C’est une façon de vérifier sa cohérence. Inventer une histoire est Aumont dans Coup de que la perruquière vient me dire : « Ça serait du chef opérateur. Je n’ai jamais été autre chose quelque chose de très plaisant. Coup de tête est né à l’issue de plusieurs mois tête (1977). mieux qu’ils se battent dans le sable », c’est que metteur en scène. J’ai forcément pris de de recherches, où j’allais sur les terrains de football, j’écoutais des anecdotes... pour ne pas passer la nuit entière à nettoyer les mauvaises habitudes. Je vous dis comment Ça me permettait d’enrichir les personnages. Au départ, j’étais complètement

18 19 incompétent dans le domaine du football. Mais ter des histoires, mais au lieu de les rêver, je les ren trant. L’écriture prend du temps. Je m’étais planté sur mon premier film, La j’avais pour conseiller Guy Roux qui à l’époque écris. J’écris énormément, c’est affolant ! Des Victoire en chantant , j’avais pensé qu’on écrivait un scénario en deux ou trois était un jeune mec marrant. Guy m’a fait ren - milliers et des milliers de pages. J’ai appris cela semaines... Ce qui ne veut pas dire qu’il n’y a pas d’exceptions. Le scénariste de contrer un tas de crétins, il me disait : « La pro - avec Georges Conchon, avec qui j’ai écris mon La Chute , le film qui raconte les derniers jours d’Hitler, a effectivement écrit le chaine fois, on rencontrera un con, il est premier film. C’était un grand écrivain. Il avait film en trois semaines. À ceci près que ça fait 25 ans qu’il y pense... 25 ans qu’il phénoménal celui-là ! ». Et tous ces gens-là me eu le prix Goncourt avec L’État sauvage . Je me a les décors en tête. Il a eu le temps de tout lire sur la période... Mais quand donnaient des idées. J’ai conservé mes petites souviens de la première fois où l’on a travaillé vous démarrez à froid sur un sujet nouveau, il faut que vous planchiez un an entre fiches où je notais ce que j’entendais et voyais ensemble. Il s’est assis à mon bureau à la cam - le premier jet et le moment où vous allez oser donner le scénario à quelqu’un. – pas devant eux. J’ai également rencontré des pagne, il a ouvert son stylo, il a posé un paquet anciens footballeurs dans des bars, dans des ban - de pages blanches devant lui et m’a demandé : Tout le monde ne travaille pas autant que vous. On sait que sur Le Nom de la rose , vous avez pratiquement dressé le Gault et Millau des monastères d’Europe. On a l’impression que vous êtes un perfectionniste, un jusque - boutiste de la documentation. On imagine que pour les films suivants vous êtes devenu un grand spécialiste du bouddhisme, etc. Vous avez besoin de vous immerger totalement dans votre sujet pour vous lancer dans l’écriture... J’ai toujours adoré constituer une documentation, depuis l’époque où j’étais étudiant. Je suis un rat de bibliothèque et un rat de cinémathèque. C’est par goût que j’aime fouiller. Mais il est une autre raison qui me pousse à être per - fectionniste. Sur le plateau, il y a des tas de gens qui me posent des questions de tous ordres. Si j’hésite dans ma réponse ou si je donne une réponse fausse, je retrouve cette erreur dans le film et ça m’énerve. Je veille pour éviter cela à posséder mon sujet mieux « J’ai passé un temps que tout le monde, mieux que mon chef décorateur. considérable pour Le Nom de Parce que c’est à moi de lui dire ce que je veux, des la rose à essayer de savoir bas reliefs, comme dans les arènes romaines ou les quelle était la longueur de la arènes asiatiques, qui montrent des scènes de combat. barbe des moines. » C’est à moi de dire que les Franciscains ont des san - dales... Du coup, c’est vrai que j’ai passé un temps considérable pour Le Nom de la rose à essayer de savoir quelle était la longueur de la barbe des moines. Christian Slater et Sean Connery dans Le Nom de la rose Alors mon cher Jean-Jacques, le film commence (1986). « Et s’ils se rasaient, comment faisaient-ils ? Il faut se donner du mal. Par exemple, comment ? ». Je lui ai répondu : « C’est la savane quand j’ai fait L’Amant , j’avais avec moi un très vieux monsieur qui était l’un au matin » ; « Alors que se passe-t-il ? » ; « Ce sont des grands romanciers du Viêt-nam. J’avais beaucoup d’affection pour lui. Il lieues incertaines. Beaucoup de gens commen - des soldats africains, qui parlent allemand »; était un peu la garantie historique du film et il me disait tous les jours – avec cent leur carrière par une autobiographie. Ils « Très bien. Et que font-ils ? ». Je lui ai décrit la son dentier qui ne tenait pas, il n’avait pas assez de sous pour acheter la colle : savent d’emblée qui sont les personnages : le scène et il s’est mis à écrire. Je lui ai dit : « Atten - « C’est très important que vous fassiez bien votre travail, parce que ce film sera papa, la maman, la fiancée, le grand-père, l’em - dez Georges, nous n’avons pas réfléchi... » ; « Si la mémoire de la Cochinchine ». Je me suis dit : « C’est vrai que tout cela va ployeur... Après on s’éloigne, on raconte des ça ne vous plaît pas, on le refera ». disparaître, il faut faire attention ». Et j’ai effectivement fait vachement gaffe, histoires décalées. Mais au bout du compte, on Écrire, c’est matérialiser une idée. Le lendemain par respect pour les gens qui travaillaient se raconte toujours soi, il ne faut pas se le cacher. on reprend ce qui a été fait, on conserve certaines sur le film, par respect pour la culture qui On ramène les personnages à soi... choses, on en jette d’autres, et on recommence... inspirait le film, et qui avait inspiré Mar - C’est comme ça que je travaille. En ce moment, guerite Duras. J’avais envie d’être loyal. C’est votre côté un peu ours... dans ma maison de campagne, ma porte est pleine Idem quand j’ai fait Sept ans au Tibet. Je dois avoir un côté un peu ours. Et un côté un de Post-It... C’est une façon de mettre un peu J’avais peur de trahir les Tibétains, d’au - peu femme, qui m’a permis de faire L’Amant . Et d’ordre dans mes idées. Les Post-It sont de plu - tant plus que le Dalaï Lama m’avait beau - je dois avoir un côté un peu féroce qui m’a permis sieurs couleurs, figurant les différents personna - coup aidé. Sa sœur était venue jouer le Deux frères Jamyang Jamtsho de mener à bien . On a tous des pul - ges. C’est un guide visuel. En venant vous voir, rôle de sa mère, son fils était l’un de mes assistants, son conseiller ecclésias - Wangchuk et Jetsun sions qui se retrouvent dans les différents stades dans les embouteillages, j’ai trouvé une autre tique était devenu le mien, son premier ministre avait été présent sur le tour - Pema dans Sept ans au de l’écriture. Je commence toujours par me racon - scène, bien meilleure, que je vais écrire en nage... J’ai montré le film aux Tibétains. Et en sortant de la salle, le gouvernement Tibet (1987).

20 21 Tibétain a demandé la permission d’avoir des cassettes de ce film pour montrer Vous avez travaillé plusieurs fois avec Ron Perlman. Cela change-t-il votre façon aux enfants ce qu’était le Tibet autrefois. Ça m’a effectivement fait très plaisir. de travailler avec un acteur quand vous le pratiquez de façon récurrente ? Mais on peut très bien faire des films qui ne respectent pas ça, ce sont des Avec Ron Perlman, le plaisir a été immédiat. Je l’ai rencontré à l’occasion fantaisies. Encore une fois, chacun son truc. Le mien c’est de partir d’une base d’un casting à New York, et je l’ai trouvé génial. J’ai eu un plaisir inouï à tra - ethnologique. Pour reprendre François Truffaut, « dans tout grand film, il doit vailler avec lui pendant La Guerre du feu , puis je l’ai repris à la dernière y avoir un grand documentaire »... minute pour Le Nom de la rose . Je souhaitais le prendre dès le début, mais il fallait que je choisisse plutôt des acteurs italiens pour des raisons de finance - Qu’est-ce qui vous attire dans les films qui se passent totalement de dialogue ment. J’avais choisi un mec qui me plaisait bien, mais qui ne voulait pas se jeter comme La Guerre du feu ou L’Ours ? à l’eau. Il n’acceptait pas une vraie tonsure... Jusqu’au dernier jour il m’a dit : J’ai l’impression que si le cinéma consiste à filmer celui qui parle, cela devient « Pas de problème... ». Mais la veille du tournage il m’a annoncé qu’il ne se de la radio filmée, donc de la télévision. Je crois que notre art, c’est de savoir couperait pas les cheveux, et je l’ai viré. Et j’ai faire partager des sensations sans qu’il soit nécessaire de les expliquer par le pu reprendre mon copain Perlman qui est arrivé langage qui ressort de la littérature. Je pense que le cinéma, même dans son éty - en catastrophe de New York. Il a fait sa première mologie, c’est un instrument qui enregistre le mouvement. À l’origine, le cinéma scène le matin, une scène de torture, en plein s’adresse plus à l’instinct des spectateurs qu’à leur décalage horaire. Mais Ron est un homme telle - intelligence. Le cinéma est directement perçu par ment généreux, tellement extraordinaire, c’est les sens, par l’œil et l’oreille et au bout du compte, une mascotte. Quand il est sur un tournage, il par le cœur ; alors que la littérature par son prin - met tout le monde de bonne humeur sur le cipe même – puisqu’on est obligé de passer à plateau. Son humour est formidable, sa tendresse travers le concept, donc l’abstraction – se prête traverse le maquillage. Si j’ose dire. J’ai été stu - essentiellement au développement des idées. Pour péfait de constater qu’avec une couche de latex Une scène de L’Ours (1988). raconter une idée au cinéma, il faut la faire passer par des émotions. Le cinéma sur le visage, il arrive à être émouvant. libère l’adrénaline, c’est en cela qu’il est beaucoup plus populaire et universel C’est toujours une bonne chose de se sentir bien que la littérature. Les mots et les idées divisent, les images et l’émotion fédè - avec ceux qui se trouvent sur le plateau. Au bout rent. À l’époque où je faisais des films publicitaires, mon problème était que d’un certain temps, il n’est pas rare que l’on

je devais faire passer un message à la con, genre : « Achetez du yaourt, c’est devienne réellement ami avec son chef opérateur. Deux rôles de Ron meilleur pour votre cœur, pour votre santé », ce qui me gonflait complète - Et puis j’ai épousé ma script. Elle était mignonne, ça a aidé. C’est très conforta - Perlman. Dans La Guerre du feu ment. Par contre, j’aimais faire passer par le biais de l’image, du son et de la ble. Maintenant le confort peut être dangereux. C’est comme dans les couples, (1981) et dans musique, une autre histoire. Je me suis lancé dans des aventures comme celles au bout d’un certain temps, on se donne moins de mal... Donc, je fais attention Le Nom de la rose de La Guerre du feu , de L’Ours ou de Deux frères parce que je crois à cela. Je à la chimie de mes équipes et à la chimie de mes castings. Je ne prends pas (1986). crois qu’on peut absolument faire partager des émotions très fortes en montrant uniquement des gens qui me sont très proches. des situations dont on ne comprend pas forcément le dialogue. Avec les expériences qui s’accumulent, il est quasiment impossible que je La semaine prochaine, je vais aller à Bamako voir mon ami Souleymane Cissé. me retrouve sur un plateau avec moins de 30% de comédiens ou de techni - J’ai revu ses films sans lire les sous-titres. Or ses films sont en mandingue... Mais ciens avec lesquels j’ai déjà vécu beaucoup d’aventures. Cela crée des liens, les images sont fortes. Je n’ai pas besoin de passer par les mots pour compren - parfois intimes. Nous savons des tas de choses les uns des autres que natu - dre que le garçon est amoureux de la fille et son père ne veut pas qu’il l’épouse. rellement nous ne répétons jamais à personne... Les sentiments sont d’au - En fait, si vous repensez aux grandes scènes de cinéma, ce sont très rarement des tant plus forts que le tournage est un moment très particulier, de grande scènes de dialogue. Mais je ne dis pas que l’on ne peut pas faire d’extraordinaires émotion, de grande fragilité. Tout le monde a peur de mal faire. Tout le monde programmes de télévision ou d’extraordinaires pièces radiophoniques. a plein de problèmes, tout le monde est exténué. Mais comme le tournage est une bulle, loin de tout, tous vivent des expériences très intenses. Les senti - Il existe des films de dialogue. Si l’on ôte son verbe à Rois et reine ou au ments sont exacerbés. Il faut faire attention. Déclin de l’empire américain, ils perdent une bonne partie de leur intérêt... Chabrol fait le contraire. Nous avons en commun d’avoir épousé notre script, Bien entendu. Il existe de très grands films de dialogue. Et en fin de compte mais lui prend toujours le même opérateur, toujours les mêmes acteurs. Ça le le plaisir du spectacle passe par le dialogue. Mais moi, viscéralement, je suis rassure. Moi j’aime bien avoir un certain degré d’insécurité dans mon travail. davantage émerveillé par le cinéma qui passe par l’image, par le son, par la Je cultive cette insécurité en choisissant des sujets différents, en me mettant musique. Et pourtant je suis un bon lecteur, j’apprécie beaucoup la littéra - en péril par des budgets qui ne sont jamais tout à fait assez consistants. J’aime ture. C’est peut-être pour cela que, du coup, je préfère un grand livre à un découvrir les gens, j’aime faire travailler des gens nouveaux, j’aime beaucoup grand film de dialogues. mélanger des équipes aguerries avec des gens qui démarrent dans le métier.

22 23 J’ai fait ça très souvent avec les acteurs. Les trois qui ne l’était pas : « Demande à un autre, ce n’est nouvelle caméra, la Solido, une caméra à deux acteurs de La Guerre du feu étaient des nouveaux, pas ma responsabilité ». Je n’ai pas besoin de objectifs. Et il fallait absolument que j’aille voir tout comme Jane March, l’actrice de L’Amant . vous dire que je n’aime pas beaucoup entendre une bande de démonstration. À l’époque, j’ha - ce genre de choses... Mais, Dieu merci, il a été bitais à Los Angeles. J’ai pris l’avion pour Van - Certains de vos collaborateurs doivent être un peu remplacé par un Canadien super sympathique… couver... J’ai été subjugué... J’étais à ce moment-là fâchés d’être écartés au profit de petits nouveaux Généralement, j’ai eu des assistants de très bonne en train de travailler sur l’histoire de Guillau - alors que tout s’est bien passé... qualité, avec lesquels j’ai un échange très fort. Un met. Mon scénario débouchait sur un film de Peut-être, mais chacun sait qu’il y a une bonne film se fait au fond avec peu de gens : ceux qui 50 minutes, je savais que je ne pouvais pas faire Jane March dans L'Amant (1991). dose de flexibilité dans ce métier. On n’est pas tous bons pour les mêmes comptent vraiment, ce sont le chef opérateur, le un long métrage. Je me suis dit : « C’est exacte - choses. Par exemple, Pierre Bachelet ne savait pas très bien gérer les grands chef décorateur, le chef monteur, le chef costu - ment l’outil qu’il me faut pour raconter cette his - orchestres. Ce que John Williams sait très bien faire, mais ils ne font pas tout mier, le premier assistant, le directeur de produc - toire ». C’est un film d’espace et d’intimité. J’avais à fait la même musique. On ne peut pas demander à John Williams de faire une musique avec un accordéon et un siffleur, il ne le fera pas.

Et les storyboardeurs ? Le storyboard n’est pas très répandu dans le cinéma. J’ai formé un certain nombre de storyboardeurs qui sont, après coup, devenus très exigeants. Ils se sont mis à demander des fortunes pour faire des dessins. Comme je fais faire parfois 1500 dessins par film, c’est vrai que s’ils demandent 300 euros par dessin, on ne pourra pas faire affaire. C’est vrai qu’il y a des aspects très maté - riels au problème, comme cela. Mon premier storyboardeur a été raconter dans Libération que j’étais incapable de faire du cinéma si je n’avais pas un dessin pour me rappeler le sens de l’histoire. Ce n’était pas très élégant de sa part, d’autant que ce garçon ne connaissait rien au cinéma : j’étais obligé de faire les premiers croquis moi-même dans un premier temps pour qu’il puisse des - siner. Ça c’est la vie ! Mais il sera d’accord si je lui propose un autre film.

Comment entendez-vous vos rapports avec vos premiers assistants ? Mon assistant sur Coup de tête, Dominique Cheminal a épousé ma mon - Deux frères (2004). teuse, Noëlle Boisson, avant de signer le making of – très réussi d’ailleurs – de tion, le régisseur et évidemment le producteur et Deux frères . J’ai beaucoup de tendresse pour mon équipe, elle est ma famille. les financiers. Je fais en sorte de déléguer les respon - J’aime les équipes unies, harmonieuses. Les premiers assistants se donnent sabilités qui ne sont pas de mon domaine. Savoir trouvé que le plus spectaculaire en 3D, c’étaient un mal colossal pour moi, je le sais. C’est le cas de Christophe Cheysson, combien il faut de camionnettes, je ne m’occupe les visages. J’ai proposé ce film, et ma proposi - fils de l’ancien Ministre des Affaires Étrangères, qui m’a fait un grand nombre jamais de cela. Connaître le nombre d’assistants tion a été accueillie avec enthousiasme par la de suggestions épatantes. Je laisse à mon premier assistant la gestion du plan nécessaires aux caméras pour les charger quand direction de Columbia. Nous avons décidé de de travail. S’il me dit : « Demain tu ne tournes pas la scène avec les éléphants, il y en a six, ce n’est pas mon business. Je laisse faire faire une trilogie, que j’ai écrite. Je me suis dit : mais celle de la grotte avec le vieux Bouddha », je m’incline. C’est une tâche mon directeur de production. Le plan de travail « C’est le syndrome de la poule et de l’œuf. Il n’y incroyable que de gérer tout l’aspect matériel du tournage, de faire en sorte est le domaine de mon premier assistant. Il me a pas de cinéma en 3D parce qu’il n’y a pas de que les costumes soient prêts à l’heure... Le premier assistant est donc un propose un certain plan, je l’accepte ou non. Bien salle, mais il n’y a pas de salle parce qu’il n’y a pilier du film. Sur Coup de tête , Dominique Cheminal – qui était l’un de mes entendu, s’il me propose de faire toutes les scènes pas de films à diffuser. Donc il faut bien com - condisciples de l’école de Vaugirard – a fait avec moi tout le casting, tous les de pluie en saison sèche, je ne vais pas être d’ac - mencer quelque part ». Et la Columbia a joué repérages. C’était très gai, très ludique. Nous étions très potes : nous avions cord. Mais ça ne se passe pas comme ça... le jeu. Nous avons fait ce film en 3D en espérant déjà travaillé ensemble sur La Victoire en chantant et cinquante films publi - que les salles allaient s’équiper. Quand on a fait citaires. Je peux dire que c’est un ami proche. Ma vie professionnelle et mes Les Ailes du courage a été tourné selon le le film, il n’existait qu’une seule salle, celle de relations amicales sont alors en complète symbiose. procédé Imax. Seriez-vous tenté par une nou - Sony au coin de Broadway et de la 62 ème rue Mais j’ai eu des expériences médiocres sur La Guerre du feu . On m’avait donné velle expérience en la matière ? à New York. Aujourd’hui, il en existe 150. Le un très mauvais assistant anglais, émule de la méthode anglaise. Il savait pré - J’ai fait ce film parce que j’avais appris par le film a marché, mais mes collègues n’ont pas cisément ce qui était théoriquement de son ressort et refusait de se mêler de ce président de Columbia qu’Imax avait une toute suivi. Parce que ça leur a semblé trop compliqué.

24 25 Beaucoup m’ont appelé, ils avaient envie de se C’est sûr. Mais il y a des problèmes annexes qui ciseaux pour se débarrasser de son agresseur, on est limité, je ne suis donc jamais satisfait. Ce que lancer. Mais ils ont tous renoncé. Sauf James on fait que ce système n’a pas fonctionné. Les a vraiment envie de lui donner un coup de main. je peux dire c’est que j’ai fait tous mes films avec Cameron, qui m’a contacté il y a peu... L’ami inventeurs du procédé sont trop gourmands au Oui, mais Hitchcock était un maître, il avait passion. Ce n’est pas si courant dans le métier : j’ai Luc Besson était très intéressé, mais il a jeté l’é - plan financier. Du coup, les producteurs ne compris qu’il ne faut pas passer son temps à jeter la chance d’avoir fait tous les films que je voulais ponge : « C’est trop compliqué, ce truc ». Il faut peuvent pas rembourser leurs films, et ils payent des objets dans la gueule du spectateur pour l’é - faire et rien que ceux-là. Je n’en reviens toujours dire que les caméras n’étaient pas prêtes, qu’el - de leur poche. J’ai fait Les Ailes du courage uni - tonner. Une fois que le spectateur a été surpris de pas ! J’en suis à me dire : « Ce serait marrant d’ac - les étaient très lourdes et qu’elles faisaient un quement parce que Columbia voulait faire un recevoir un couteau dans la tronche, puis une cepter de réaliser un film dont je reçois le scéna - potin d’enfer, de telle sorte que les acteurs ne coup de prestige... Ce n’était pas gênant que le tarte à la crème, puis une balle de ping-pong, il rio par la Poste et que je n’ai pas envie de faire »: s’entendaient pas quand ils jouaient. En outre, il film ne se rembourse pas. Mais ce n’est pas pos - a compris. On ne va pas au cinéma pour se rece - ça c’est vraiment un truc que je n’ai pas fait. fallait changer le magasin toutes les deux minutes sible de généraliser la chose. voir des tartes à la crème, mais pour s’identifier et demie et cela coûtait une fortune. C’est plus Pour résumer, j’ai effectivement souhaité faire dans une histoire. Ce sont les idées réductrices qui On ne vous a jamais proposé de réaliser un James simple aujourd’hui. Il n’est pas exclu qu’un d’autres films dans ce format ; je crois que c’est ont tué tous ces procédés, y compris le cinéma Bond ? nouveau mouvement voie le jour, du fait que un format extraordinaire ; je crois que c’est un en relief. Ces crétins de producteurs de l’époque Si. de nombreuses salles s’équipent avec un pro - bonus fabuleux pour les spectateurs de cinéma ; C’est un exercice de style. Faire un James Bond ne m’intéresse pas. À un certain niveau de notoriété, on vous propose plus d’un film par jour. Je n’ai même pas le temps de lire les lettres qui accompagne les scénarios, c’est affolant. J’ai fait des films assez différents les uns des autres. Ce qui est amusant, c’est que selon le pays où je me trouve, c’est Le crime était presque parfait d’Alfred Hitchcock. tel ou tel film qui sera mis en avant. Par exemple au Japon, je suis l’homme du Nom de la rose , se sont dit : « Ah ! C’est génial, quand tu lances de L’Amant et de Sept ans au Tibet , surtout Sept quelque chose, les gens rentrent la tête ». Nous ans au Tibet. Mais La Guerre du feu reste abso - Une scène de Stalingrad (2000). étions en 1952 ou 1953 : on a tous vu ces fameu - lument inconnu au bataillon. Aux États-Unis, je crois qu’on peut faire des choses extraordi - ses photos quand la salle entière est remplie de c’est Stalingrad qui me vaut beaucoup de recon - jecteur mixte, ce qui permet de voir certaines naires, mais en ne faisant pas l’erreur qu’induisent spectateurs portant des lunettes bicolores... Il y naissance et de prix. En Italie, c’est Le Nom de scènes en Imax. Il ne faut pas s’emmêler les pin - tous les systèmes révolutionnaires au plan tech - a eu une mode, ça n’a pas duré. ceaux, l’Imax est un format formidable, mais ce nique, qui font croire que la technique est une Imaginez que le cinéma sonore « J’ai fait des films assez différents les uns n’est pas une raison pour se dire : « On va faire panacée universelle. C’est ce qui est arrivé avec se soit contenté de faire des comé - des autres. Ce qui est amusant, c’est que selon un film taillé sur mesure pour ce format-là ». le Cinérama, qui n’avait proposé que de grands dies musicales ou des explosions. le pays où je me trouve, c’est tel ou tel film qui C’est vrai que l’image est formidable, mais sa paysages. On s’en fout des grands paysages ! Si Au début, le Technicolor s’est sera mis en avant. » qualité est à double tranchant. La définition est l’Imax se contente de nous montrer la sexualité borné à montrer de belles cou - telle qu’elle interdit d’utiliser les acteurs qui des papillons ou la reproduction du palmier nain, leurs. On ne voyait que des disent n’avoir que 48 ans et les actrices qui les gens vont s’ennuyer, et ils n’iront plus... En femmes dansant avec des jupes jaunes et des la rose ; en Allemagne, c’est La Guerre du feu annoncent qu’elles en ont 24. Quand vous avez revanche, si vous racontez une histoire en Imax, corsets rouges sur fond de ciel bleu. Heureuse - et surtout pas Stalingrad . Donc suivant les un visage de 30 mètres de haut, vous ne pouvez le film est quatre fois plus beau qu’en 35 milli - ment qu’un jour on s’est aperçu qu’il était possible moments et les lieux, ma satisfaction d’avoir pas tricher. C’est un frein considérable... En 35 mètres, mais il ne faut pas oublier l’histoire. de faire du cinéma normal et en couleur et du fait tel ou tel film peut varier. Mais si j’essaye millimètres, il y a si peu de définition que tout cinéma normal et sonore. de faire abstraction de mon environnement, j’ai passe, les rides du côté de l’œil, la petite cica - Comme le cinéma en relief, qui a tendance à envie de dire que je vais aussi loin que je peux. trice... Tout passe. Il suffit de mettre du projeter des objets vers le spectateur… Pensez-vous que l’un de vos films est plus abouti Heureusement, je change ; heureusement, les maquillage. En Imax, on voit bien qu’il y a du Ce n’est qu’un gimmick. Il ne faut pas faire ça. que les autres et si oui, pourquoi ? Pensez-vous spectateurs changent ; heureusement, la tech - maquillage sur la cicatrice. que chaque film vous permet de progresser ? nologie change. C’est pourquoi je ne peux pas En même temps, dans Le Crime était presque Si un jour j’ai l’impression qu’un film est abouti, laisser penser qu’un film représente l’aboutisse - Hubert Deschamps en Imax, ça doit être quelque parfait , d’Hitchcock, quand Grace Kelly est il faut que j’arrête. Je fais chaque film du mieux que ment de quelque chose. Chaque film est un défi chose ! penchée en arrière et qu’elle essaye d’attraper les je peux, au moment où je le fais... Mais ce mieux nouveau, en termes de style, de matériel,

26 27 de caméras, de pellicule, etc. Ce qui compte, tamise un peu les lumières comme nous le Avez-vous travaillé plusieurs fois avec les mêmes dresseurs ? c’est le chemin que le film emprunte, plus que le faisons tous quand nous sortons avec notre Partiellement. Sur L’Ours , Thierry Leportier avait géré une scène où un puma résultat. Chaque film a été pour moi un moment chérie, les choses s’arrangent. Quand on appli - avait une confrontation avec l’ourson et j’avais été ébloui par son travail. Je de bonheur. Quand il est fini, le résultat est plus que ces principes au monde animal, si l’on pense que c’est vraiment l’un des meilleurs dresseurs du monde. Il a un tel ou moins satisfaisant. Il reste à passer au suivant... tourne par exemple une scène où il est prévu rapport de confiance avec les animaux que ceux-ci se sentent à l’aise face à que l’animal est surpris, ce n’est pas très com - la caméra. Ils n’ont pas peur de l’environnement et du Votre insatisfaction est-elle la même lorsque le pliqué. On ne peut évidemment pas dire à l’ours coup, ils réagissent avec beaucoup de naturel aux stimulis film prend un animal comme personnage prin - ou au tigre : « Quand la caméra tournera, tu qui leur sont adressés. Mais pour la scène de sensua - cipal ? sera surpris ! ». Par contre, on peut faire partir lité, il a fallu attendre six mois que le tigre et la tigresse C’est pareil, il n’y a pas une grande différence de un cheval qu’il n’avait pas vu, et alors il le regar - soient d’accord, et aient envie. Parce que je ne peux mise en scène ou de direction d’acteurs. Quelle dera avec surprise. Mais on n’a droit qu’à une pas intervenir... Ça se passe et quand ça doit se passer, différence entre une jeune fille très instinctive seule prise. L’animal va être surpris, une fois. pas avant ni après... Il suffisait d’être prêt. Nous avions et un tigre très professionnel ? Vous pouvez vous Après cela, il ne le sera plus... construit un décor que nous trimbalions partout. Le jour L'accouplement des faire sauter dessus de la même manière, et c’est C’est très amusant de faire de temps en temps J, j’étais en train de tourner une autre scène. Thierry est venu me voir : « Ils sont deux tigres dans aussi dangereux pour votre vie privée ! des films avec des animaux – ce que j’avais beau - prêts ». J’ai tout arrêté et j’ai tourné la scène en vingt minutes. J’aurais pu Deux frères (2004). filmer leurs soixante rapports, mais ce n’était pas la peine... Tati, qui était le roi des perfectionnistes, l’aurait peut-être fait.

Pourriez-vous parler des cinéastes qui vous ont donné envie de faire du cinéma ? Ils sont assez nombreux heureusement. Quand j’étais mioche, mes parents étaient plutôt violemment anti-américains : pour eux le cinéma américain était débile. Ils m’emmenaient voir les grands films italiens, les films français, les films japonais. Pourtant mes parents n’étaient pas du tout des gens culti - vés. J’appartenais à un milieu complètement populo, en banlieue. Ma mère était secrétaire, mon père tourneur : les livres n’avaient pas chez eux une place de choix. Mais ils n’auraient renoncé pour rien au monde à aller voir un bon film le dimanche. Comme mon père travaillait à la SNCF, Tcheky Karyo face à l'ours dans L'Ours (1988). la seule revue que l’on recevait, c’était La Vie du rail . Je lisais les papiers de coup fait au temps des films publicitaires. Je me Georges Charensol… suis ainsi aperçu de bonne heure que les diffé - Mais réussir à faire faire à un animal ce que avez rences entre acteurs et animaux sont secondai - Un critique comme il n’y en a eu peu. Il a commencé sa carrière dans les envie de voir à l’écran, n’est-ce pas plus com - res. Si l’animal a confiance dans le metteur en années vingt et a continué à écrire pratiquement jusqu’à son dernier souffle. pliqué qu’avec un acteur ? scène, il lui fait sentir. Il est mort quasi centenaire... Ce n’est pas plus difficile. Très souvent, la En tous cas, ses jugements étaient sûrs. Mes parents sui - meilleure manière de diriger un acteur, c’est de On se souvient d’une pub avec des vautours... vaient ses recommandations à la lettre. C’est ainsi que le mettre dans une situation où il va sentir spon - J’avais dirigé des vautours dans un film publicitaire j’ai pu voir tout Visconti, tout Fellini, tout Rossellini, les tanément ce qu’il doit faire. S’il y a du blizzard pour Hertz. Entre une super star et un débutant, il grands Français, les bons et très bons. Le premier film que et que la fille est très belle, il va se passer n’y a pas de grande différence. C’est le même j’ai vu, c’est La Bataille du rail . J’étais fasciné par le quelque chose. Si par contre, l’environnement matériau humain. L’acteur a toujours peur de ne cinéma. Il me permettait de m’évader. Comme j’étais n’est pas le bon, l’acteur sera paumé. S’il crève pas bien faire. Face à une caméra, un tigre a aussi un petit gars de la banlieue, la rue où j’habitais était un de chaud alors qu’il est supposé avoir froid, si vaguement peur de ne pas être à la hauteur. L’un peu tristouille. Alors le cinéma, me faisait exploser le la fille le révulse, il n’y aura pas l’alchimie néces - des tigres de Deux frères était extraordinaire : cœur. Après, quand j’ai fait l’IDHEC et Vaugirard, là, saire. Si l’on veut tourner une scène de séduc - quand il avait compris qu’il avait été bon, il voulait j’ai eu la discipline d’aller aux trois séances quotidien - La Bataille du rail tion en plein soleil avec un cagnard d’enfer ou recommencer pour faire mieux encore... Et j’en nes de la Cinémathèque, à Chaillot. Cela a duré six ou sept ans... Le temps de René Clément. des projecteurs dans la tronche et que l’on désire avais un autre, que j’avais appelé Sean Connery, d’avoir trois coups de cœur, à commencer par Renoir. J’ai d’ailleurs eu la très que les tourtereaux se regardent de manière dès qu’il avait bien fait, il voulait rentrer dans sa grande chance de le rencontrer après mon premier film. C’est lui qui a pris l’i - amoureuse, c’est mal barré. Par contre, si on cage et ne plus entendre parler du film... nitiative de m’écrire. J’étais fou de joie... I

28 29 Filmographie Jean-Jacques Annaud est né le 1er octobre 1943 à Draveil, Essonne, France.

Jean-Jacques Annaud sur le tournage de Stalingrad (2000).

1976. LA VICTOIRE EN CHANTANT ou NOIRS ET BLANCS EN COULEURS. Avec Jean Carmet, Jacques Dufilho, Jacques Spiesser. – 1978. COUP DE TÊTE. Avec Patrick Dewaere, France Dougnac, Jean Bouise. – 1981. LA GUERRE DU FEU. Avec Everett Mc Gill, Ron Perlman, Rae Dawn Chong. – 1986. LE NOM DE LA ROSE (The Name of the Rose). Avec Sean Connery, Christian Slater, Fred Murray Abraham, Ron Perlman. – 1988. L’OURS. Avec Tcheky Karyo, Jack Wallace, André Lacombe. – 1991. L’AMANT. Avec Jane March, Tony Leung Ka Fai, Frédérique Meininger. – 1996. GUILLAUMET, LES AILES DU COURAGE (Wings of Courage) (50 min. IMAX 3D). Avec Craig Scheffer, Elizabeth Mc Govern, Val Kilmer. – 1997. SEPT ANS AU TIBET (Seven Years in Tibet). Avec Brad Pitt, David Thewlis, B.D. Wong. – 2000. STALINGRAD (Ennemy of the Gates). Avec Jude Law, Ed Harris, Joseph Fiennes, Rachel Weisz. – 2004. DEUX FRÈRES (Two Bro - thers). Avec Guy Pearce, Jean-Claude Dreyfus, Philippine Leroy-Beaulieu. – 2006. SA MAJESTÉ MINOR . Avec José Garcia, Vincent Cassel, Claude Brasseur – 2011. OR NOIR . Avec Tahar Rahim, Antonio Banderas, Mark Strong – 2015. LE DERNIER LOUP . Avec Feng Shaoleng, Shawn Dou, Ankhnyam Ragchaa, Baoyingexige Jean-Jacques Annaud à l’ESRA.

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