Un Grand Vizir Dans Son Palais Olivier Bouquet
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Un grand vizir dans son palais Olivier Bouquet To cite this version: Olivier Bouquet. Un grand vizir dans son palais : Édition d’un inventaire de fin d’exercice (1785). Turcica, Peeters Publishers, 2020, 51, pp.163-217. 10.2143/TURC.51.0.3288388. halshs-03200798 HAL Id: halshs-03200798 https://halshs.archives-ouvertes.fr/halshs-03200798 Submitted on 30 Apr 2021 HAL is a multi-disciplinary open access L’archive ouverte pluridisciplinaire HAL, est archive for the deposit and dissemination of sci- destinée au dépôt et à la diffusion de documents entific research documents, whether they are pub- scientifiques de niveau recherche, publiés ou non, lished or not. The documents may come from émanant des établissements d’enseignement et de teaching and research institutions in France or recherche français ou étrangers, des laboratoires abroad, or from public or private research centers. publics ou privés. OLIVIER BOUQUET UN GRAND VIZIR DANS SON PALAIS. ÉDITION D’UN INVENTAIRE DE FIN D’EXERCICE (1785) Quatre inventaires conservés aux archives du Premier ministre à Istanbul concernent le grand vizir Halil Hamid Pacha (1736-1785). Trois d’entre eux portent sur les biens confisqués dans ses résidences et à Bozcaada (Ténédos) où le dignitaire fut mis à mort le 27 avril 1785 (17 C 1199). J’en ai proposé une édition complète dans un précédent article1. Le quatrième fut réalisé à la Sublime Porte, dans les jours qui suivirent sa révocation, afin que le successeur de Halil Hamid Pacha, Ali Pacha, pût disposer des effets nécessaires à sa prise de fonction – celle-ci eut lieu le 9 mai. Outre les meubles et objets inventoriés, le document évoque les modalités de la procédure administrative et retrace les diffé- rentes étapes de la confiscation2. J’exposerai celles-ci en détail dans une publication de synthèse consacrée au grand vizir. Je veux ici rendre compte des éléments de l’inventaire effectué à la Sublime Porte (fig. 1). Le document présente un défaut : aucun prix n’est indiqué. Les biens n’ont pas été vendus. Ils sont destinés à être pour partie (réduite) conser- vés par le grand vizir nommé pour l’intérim, à savoir le grand amiral Gazi Hassan Pacha, et pour partie (très majoritaire) transmis au titulaire du poste, une fois celui-ci rentré d’Alep où il servait comme gouverneur E. Eldem et N. Vatin ont eu la gentillesse de vérifier et de préciser les transcriptions des inventaires étudiés. Je les en remercie vivement, de même que Y. Aykan, F. Hitzel, H. Bostan, H. Reindl-Kiel et K. Yıldız qui m’ont aidé à identifier plusieurs objets cités. 1. Bouquet, « Un grand vizir dans sa maison ». 2. Başbakanlık Osmanlı Arşivi (BOA), Maliyeden müdevver defterler (MAD.d 9718). Turcica, 51, 2020, p. 163-217. doi: 10.2143/TURC.51.0.3288388 © 2020 Turcica. Tous droits réservés. 1102136_Turcica_51_05_Article02136_Turcica_51_05_Article BBouquet.inddouquet.indd 116363 119/10/20209/10/2020 007:217:21 164 OLIVIER BOUQUET général. Pour en apprécier la valeur, il faut les comparer à d’autres listes de biens éditées ces dernières années3. Le document présente un intérêt particulier : les biens sont rapportés aux officiers qui en ont la charge pour certains d’entre eux et aux pièces où ils se trouvent au sein de l’hôtel pour les autres. L’étude de l’inventaire donne à voir un espace que nous connaissons peu et mal : les appartements du grand vizir. Elle éclaire le fonctionnement de sa maison et l’organisation de son harem. DRESSER UN INVENTAIRE : L’INTENDANT AU TRAVAIL Halil Hamid fut destitué le 31 mars 1785. Dans les heures sinon dans les jours qui suivirent, des scellés furent posés sur ses résidences, sa maison de ville située non loin de la Porte, à Emin Bey, et sa villa du Bosphore, sise à Arnavudköy. Dans le même temps, les parents et les gens du grand vizir qui se trouvaient logés à la Sublime Porte quittèrent leurs appartements. Ils emportèrent uniquement leurs effets personnels. En vertu d’un ordre impérial remis à l’intendant (kethüda) de la Sublime Porte, Ibrahim Agha, celui-ci devait procéder à l’inventaire du mobilier de l’hôtel du grand vizir. Les biens inventoriés devaient être transmis (teslim) au nouveau titulaire à son arrivée en poste. Pendant toute la durée de l’intérim, rien ne devait sortir de l’hôtel du ministre. À la lecture du document, on imagine Ibrahim Agha et ses hommes au travail. Un scribe liste les objets qui se présentent à sa vue, les uns à la suite des autres. Il compte, assisté de collègues, car un agent de l’administration centrale travaille rarement seul : « 20 serviettes de table brodées en point de reprise double », puis « 14 de taille moyenne ». Il fait la somme : « 34 » (fig. 2, n°54). Il passe d’un objet à l’autre : « çuka kapu perdesi aded 1 ». Il note : « 1 portière en drap çuka ». Quelqu’un la sou- lève pour vérifier un détail courant : ce premier tissu est doublé d’un autre de moindre qualité, aba, fixé au contact direct de la porte. Il ajoute : « 1 aba » (fig. 2, n°193). Le scribe (ou son collègue) compte quatre nattes décorées de motifs hatayi. Il se reprend ou quelqu’un le corrige : il en 3. Savaş, « Sivas Valisi Dağıstânî Ali Paşa’nın Muhallefâtı XVIII » ; Nagata, « Karaosmanoğlu Hacı Hüseyin Ağa’ya Ait Tereke Defteri » ; Telci, « Aydın Muhassılı Abdullah Paşa » ; Yılmazçelik, « Diyarbakır Valileri » ; les deux articles de Cahit Telci parus en 2007 ; Ertürk, « Orta Dereceli Bir Osmanlı Memurunun Mal Varlığı » ; Şakul, « Hattat İsmail Zihni Pasha » ; Polat, « Çapanoğlu Ahmed Paşa’nın Muhallefâtı » ; Başarır, « Diyarbekir Voyvodalarının Terekeleri » ; Bouquet, « Un grand vizir dans sa maison » ; Bozkurt, III Mustafa. 1102136_Turcica_51_05_Article02136_Turcica_51_05_Article BBouquet.inddouquet.indd 116464 119/10/20209/10/2020 007:217:21 UN GRAND VIZIR DANS SON PALAIS 165 Fig. 1. Un inventaire de fin d’exercice dressé à la Sublime Porte. (Başbakanlık Osmanlı Arşivi [BOA], Maliyeden müdevver defterler [MAD.d 9718]). 1102136_Turcica_51_05_Article02136_Turcica_51_05_Article BBouquet.inddouquet.indd 116565 119/10/20209/10/2020 007:217:21 166 OLIVIER BOUQUET n°54 n°57 n°193 n°22, 23 Fig. 2. Détails de l’inventaire. (Başbakanlık Osmanlı Arşivi [BOA], Maliyeden müdevver defterler [MAD.d 9718]). a oublié une. Sous le chiffre « 4 », il ajoute « 1 » et fait la somme (fig. 2, n°57). Il trace des traits : / puis / puis /…. Il compte : 1, 2, 3, 4, 5 selles rehaussées d’argent ; avant de passer au groupe suivant : 1, 2, 3, 4, 5 sabres décorés d’argent. Des objets sont liés les uns aux autres : cinq sabres de cheval sont situés à proximité de cinq selles et de cinq paires d’étriers d’argent (n°21, fig. 2, n°22-23) – quand un sellier prépare un cheval, il en prélève un de chaque. Au harem, le scribe passe également d’une pièce à l’autre4. Il entre dans celle qui est réservée à l’intendant. Il en recense le mobilier : quatre banquettes recouvertes d’un tissu çuka ; 4. Sur l’itinéraire des scribes de pièce en pièce : Rogers, « An Ottoman Palace Inven- tory », p. 41 ; Philipps, « Ali Paşa and His Stuff », p. 92. 1102136_Turcica_51_05_Article02136_Turcica_51_05_Article BBouquet.inddouquet.indd 116666 119/10/20209/10/2020 007:217:21 UN GRAND VIZIR DANS SON PALAIS 167 elles sont surmontées de six petits matelas sur lesquels sont disposés quinze coussins dans le style de Bursa ; au centre de la pièce, un tapis. Il sort du bâtiment et se dirige vers le bassin : celui-ci est bordé d’un pavil- lon ; il y a une véranda dotée de larges baies vitrées et deux pièces dont l’une est destinée aux esclaves féminines. Puis il revient dans les appar- tements du vizir, emprunte l’escalier et monte à l’étage. Ainsi de suite. CURIEUX BRIC-À-BRAC ? LIRE, TRANSCRIRE, TRADUIRE, DÉCRIRE « Là se trouvent les belles écharpes rayées de Tunis, les tapis et les châles de Perse, dont la broderie imite à s’y tromper les palmes du cachemire, les miroirs de nacre, de perle et de burgau, les tabourets incrustés et découpés pour poser les plateaux de sorbets, les pupitres à lire le Coran, les encensoirs en filigrane d’or ou d’argent, en cuivre émaillé et guilloché, les petites mains d’ivoire ou d’écaille pour se gratter le dos, les cloches de narghiléh en acier du Korassan, les tasses de Chine ou du Japon, tout le curieux bric- à-brac de l’Orient5. » Théophile Gautier est un homme de lettres. C’est aussi un peintre extraordinairement attentif aux détails et aux particularités des objets qui entrent dans son champ de vision. L’univers matériel stambouliote lui évoque le « curieux bric-à-brac de l’Orient6». Le paléographe ottoma- niste en a une vision plus fonctionnelle ; le mobilier d’une maison s’orga- nise en une suite de mentions écrites, se matérialise dans le détail des miniatures et fait écho à des évocations littéraires plus ou moins précises. Du coffre à l’inventaire, de la maison au registre, il s’agit de faire cor- respondre les mots aux choses. Ardue, l’opération est rarement menée à bien. Les spécialistes ont leurs habitudes : beaucoup de transcriptions ; peu de traductions ; des analyses centrées sur les dimensions administra- tives et financières de la procédure de confiscation. Prenons, au hasard, une indication extraite d’un inventaire : « kehrüba imameli kiraz çubuk7 ». Comment traiter cette information ? Cinq options sont envisageables : – Faire figurer cette mention au sein d’une liste de biens transcrits en annexe8. Le lecteur est supposé assez érudit pour comprendre ce qu’il 5. Gautier, Constantinople, p. 126. 6. Ibid. 7. Bouquet, « Un grand vizir dans sa maison », p. 213. 8. Çadırcı, « Hüseyin Avni Paşa’nın Terekesi » ; Öztürk, Askeri Kassama ; Akyıldız, Refia Sultan ; Yılmazçelik, « Diyarbakır Valileri » ; Emecen, Nagata, « Bir Âyânın 1102136_Turcica_51_05_Article02136_Turcica_51_05_Article BBouquet.inddouquet.indd 116767 119/10/20209/10/2020 007:217:21 168 OLIVIER BOUQUET lit.