<<

Hans Hartung et l’abstraction lyrique

Hans Hartung

Au début des années 1920, Sans l’appui théorique des précurseurs de l’abstraction, Hans Hartung produit des séries d’œuvres graphiques non figuratives, frappantes par leur force expressive. Après cette découverte solitaire, le jeune garçon, né à en 1904, effectue un parcours académique afin d’ordonner et de nourrir ces fulgurances, Il passe alors plusieurs années de formation, d’abord dans sa ville natale, puis à Dresde, et . Il s’enthousiasme alors à la fois pour les grands maîtres – Greco, Rembrandt, Goya, ... – et les expressionnistes allemands du début du XXe siècle. A compter de 1931, il s’engage définitivement dans la voie d’une abstraction pure.

Hartung est un voyageur, un citoyen du monde, mais sa destinée devient surtout française à partir de 1935 : il s’installe à Paris et ses œuvres sont reconnues dans des salons et des expositions prestigieux.

Mais les tourments de la guerre viennent entraver son ascension et auraient même pu la briser définitivement. Engagé deux fois dans la Légion étrangère, en 1940 puis en 1944, il est blessé en novembre 1944 sur le front de Belfort et est amputé de la jambe droite. Malgré un profond désarroi, il reprend le travail avec ardeur dès 1945 et se reconstruit peu à peu, obtenant la nationalité française en 1946. La reconnaissance et le succès arrivent enfin : il obtient sa première exposition personnelle parisienne en 1947 à la galerie Lydia Conti. Dès 1946, il est un des porte-drapeaux de ce que Jean-José Marchand et plus tard Georges Mathieu appelleront l’ « abstraction lyrique ». Cette abstraction, née au cœur d’une Europe meurtrie par une guerre dévastatrice, se veut libératrice et exalte les forces gestuelles et émotionnelles de l’individu.

L’esthétique de Hartung est traversée par un paradoxe : il cherche à maîtriser la pulsion de la peinture lyrique. Ainsi, il produit ses œuvres en reportant méticuleusement, selon la technique de mise au carreau, des petits dessins exécutés avec spontanéité sur du papier.

Hartung renouvelle sans cesse ses moyens d’expression. Après une consécration à la Biennale de Venise où il obtient le Grand Prix international de peinture, un tournant s’opère : il emploie de nouvelles méthodes et introduit de nombreux outils. Aux grattages et pulvérisations succéderont les bandes des rouleaux (1970), les traces laissées par les balais et branchages (1980), puis les projections colorées de l’ « œuvre ultime » (1986-89).

Hans Hartung décède à Antibes en décembre 1989, au sein de la propriété qu’il avait conçue pour vivre et travailler et qu’il occupait avec son épouse, l’artiste franco-norvégienne Anna- Eva Bergman (1909-1987). Soucieux du devenir de leurs œuvres, les deux artistes avaient de leur vivant formulé le souhait que cette demeure devienne un lieu dédié à la conservation et au rayonnement de leur art. La Fondation Hartung-Bergman, reconnue d’utilité publique, est créée en 1994.

L’abstraction

Développé et théorisé au début du XXe siècle par les peintres européens Vassily Kandinsky (1866-1944), Piet Mondrian (1872-1944) et Kazimir Malavitch (1878-1935), le courant de l’abstraction émerge ensuite aux Etats-Unis, pour se développer pleinement dans les années 1950.

Les artistes mettent de côté l’intention figurative pour révéler l’autonomie de la peinture et des formes, selon un « principe de nécessité intérieure » (Kandinsky). Ils questionnent le sens de leur art et partagent leur vision du monde, leur recherche spirituelle ou métaphysique.

Après la seconde guerre mondiale, Paris est le centre de la création artistique. L’abstraction s’y développe dans des formes et des courants divers, tout en gardant en mémoire certaines tendances picturales antérieures (cubisme, peinture romane, à la nature, etc.). Dans la capitale, deux branches de l’art abstrait vont alors s’affronter : l’abstraction géométrique, qui regroupe les peintres Auguste Herbin (1882-1969), Alberto Magnelli (1888- 1971), César Domela (1900-1992), Victor Vasarely (1908-1977). A l’opposé émerge une abstraction plus expressive qui prendra différents noms : abstraction lyrique, art informel, art « autre », , ...

L’abstraction lyrique

Ce terme, apparu pour la première fois en 1947 sous la plume du critique Jean-José Marchand, regroupe des artistes souvent perçus comme les défenseurs d’une peinture gestuelle, libre, spontanée, émancipée de tout contrôle. Même s’ils tendent tous à affirmer les pouvoirs du signe, de la couleur, de la matière ou de la ligne, chacun développe des techniques et des buts bien particuliers. Gérard Schneider (1896-1986), Hans Hartung (1904-1989), Camille Bryen (1907-1977), Georges Mathieu (1921-2012) ou Jean-Paul Riopelle (1923-2002) font partie de que l’on pourrait appeler les « pionniers » de l’abstraction lyrique.

Hans Hartung et sa peinture

Voici comment l’artiste définit, en 1947, son travail et ses motivations à peindre : « Il s’agit d’un état émotionnel qui me pousse à tracer, à créer certaines formes afin d’essayer de transmettre et de provoquer une émotion semblable chez le spectateur. Et puis cela me fait plaisir d’agir sur la toile. C’est cette envie qui me pousse : l’envie de laisser la trace de mon geste sur la toile, sur le papier. Il s’agit de l’acte de peindre, de dessiner, de griffer, de gratter. »

Bénédicte Delmot Morier

Sources : Hans Hartung, Adagp / Fondation Hartung-Bergman / Fonds Hélène et Edouard Leclerc pour la Culture