Modese Moussorgsky (1839-1881)

CD 1 1_ Une Larme 4’37 2_ Impromptu passionné (Souvenir de Beltov et Liouba) 3’20 3_ Rêverie 5’52 4_ Scène de Foire (La Foire de Sorotchinsk) 4’57 5_ Au Village 5’19 En Crimée (Ghourzouff. Notes de voyage) 6_ Capriccio (Baïdary) 4’09 7_ Ghourzouff 6’24 8_ Hopak de jeunes Ukrainiens gaillards (La Foire de Sorotchinsk) 1’57 9_ Souvenir d’enfance 4’10 Souvenirs d’enfance 10_ 1. Niania et moi 1’34 11_ 2. Première punition 1’42 12_ La Capricieuse 2’32 13_ La Couturière (Scherzino) 3’05 14_ Scherzo en do dièse mineur 6’06 15_ Intermezzo in modo classico (transcription: Modeste Moussorgsky) 14’22 16_ Jeux d’enfants-les quatre coins 4’26

Total Time: 74’38

2 CD 2 1_ Une Nuit sur le Mont Chauve (arrangement Nicolaï Rimski-Korsakov – transcription: Konstantin Tchernov) 15’27 2_ Méditation (Feuillet d’album) 6’42 Tableaux d’une exposition 3_ Promenade 1’40 4_ 1. Gnomus 3’05 5_ Promenade 1’04 6_ 2. Il vecchio castello 5’16 7_ Promenade 0’29 8_ 3. Tuileries (Dispute d’enfants après jeux) 1’19 9_ 4. Bydlo 4’04 10_ Promenade 0’53 11_ 5. Ballet des poussins dans leurs coques 1’22 12_ 6. Deux juifs l’un riche et l’autre pauvre – Samuel Goldenberg et Schmuyle 2’36 13_ Promenade 1’30 14_ 7. Limoges. Le marché (La grande nouvelle) 2’37 15_ 8. Catacombae. Sepulcrum romanum 2’37 16_ Promenade 2’26 17_ 9. La cabane sur des pattes de poule (Baba Yaga) 3’44 18_ 10. La grande porte dans la capitale de Kiev 6’16

Total Time: 62’04

Alice Ader, piano Recording: Paris, IRCAM, 19-23 October 2009 – Piano Steinway - Tuner: Jean-Michel Daudon – Sound engineer: Franck Rossi – Producer & editing: Simon Lebens – Cover: Ilya Repin, Gopak (1927), Private collection – Photograph Alice Ader: H. Boguet – Design: mpoint- production – Executive Production: Michel Stockhem

3 français

Modeste Moussorgsky est le seul compositeur dont l’iconographie courante est celle d’une ter- rible déchéance. Hospitalisé au début de 1881, il ne lui restait plus beaucoup de sang dans sa vodka, alors même qu’Ilya Répine, génial portraitiste des personnalités russes, arrivait au som- met de sa gloire. On était à quelques jours à peine de l’attentat qui coûterait la vie au tsar Alexandre II. Cela, on ne le savait pas; mais Moussorgsky allait mourir bientôt, et cela, c’était évident: peut-être même ne pourrait-on célébrer ses 42 ans. D’ailleurs, il en paraissait le double. À l’insistance de Répine, on installa son chevalet à la clinique, et Moussorgsky posa en robe de chambre et pantoufles. Pendant quelques heures, deux artistes exceptionnels vécurent ce qui pourrait être un roman ou une pièce de théâtre. Le 5 mars, le peintre déposa ses pin- ceaux. Le 28 mars, le compositeur expirait.

Répine vécut, lui, encore un demi-siècle. Son dernier tableau, qui figure en couverture de ce cd, est un véritable hymne à la vie, extraordinairement coloré. Il y a travaillé de 1927 à sa mort (1930), dans sa datcha, Penaty (les Pénates) à Kuokkola. Cette petite ville se trouvait depuis la révolution sur le sol de la Finlande indépendante1. Mais à quoi nous renvoie cette toile, une grande huile figurant le Hopak (ou Gopak), danse ukrainienne traditionnelle, sinon à la vitalité de Moussorgsky, qui avait de manière posthume contribué à populariser le Gopak par une scène de son opéra inachevé La Foire de Sorotchinsk (il en avait même laissé une version pianis- tique qu’on trouvera ici)? Liadov, en charge de terminer l’opéra à la mort du compositeur, mettra plus de vingt ans à la tâche, et le Gopak orchestral, édité en 1903, fera le tour du monde: un bis parfait. Mais il n’a ni la vitalité radicale du modèle pianistique de Moussorgsky, ni les

1 Répine n’en sortait plus guère et résista aux avances des Soviets pour le faire revenir à Saint-Pétersbourg. Il mourut donc en Finlande. En 1948, quand la ville fut annexée par l’URSS, on la rebaptisa Repino.

4 couleurs fascinantes du tableau de Répine; et, en réalité, cette question de vitalité et de cou- leurs semble bien au centre des débats, quand tant de mélomanes ne connaissent des Tableaux d’une exposition, œuvre-phare du XIXe siècle, que la transcription de Maurice Ravel (au point qu’il faille, lorsqu’on parle des Tableaux, systématiquement préciser «version pour piano»).

L’œuvre pianistique de Moussorgsky permet de retrouver au plus près un génie fulgurant et peu enclin aux concessions. Unique entorse que se permet Alice Ader dans ce programme, la transcription d’Une nuit sur le Mont Chauve par Konstantin Tchernov a pour elle d’avoir contri- bué à la popularité de l’œuvre à une époque où le concert symphonique s’en emparait à peine, et bien avant le «boum» de Fantasia, Walt Disney et Leopold Stokowski (1940); elle est, de plus, excellente, même si elle est issue de la version Rimski-Korsakov (1886) et non de la par- tition originale de Moussorgsky (1867). Pour le reste, il s’agit bien, ici, des compositions et transcriptions originales du compositeur. Celui-ci était, rappelons-le, également un excellent pianiste, jouant Liszt avant d’avoir atteint ses dix ans.

Deuxième fils d’une grande famille – les Moussorgsky descendaient en droite ligne, semble-t-il, de Rørik, le roi viking fondateur de l’Empire russe au IXe siècle, à Novgorod – Modeste, né à Karevo près de Pskov en 1839, suivit la trajectoire familiale en entrant à l’âge de 13 ans à l’École des Cadets de la Garde, à Saint-Pétersbourg: un refuge de «blousons dorés» se soûlant virilement (au champagne plutôt qu’à la vodka). Discipline de fer et alcoolisme: c’est, sans doute, les deux enseignements majeurs que le jeune diplômé de 1856 retiendra de ces quatre années, sombrant dans l’un et rejetant l’autre. La musique n’avait cependant cessé de l’habiter, et il avait tiré grand profit de ses leçons avec Anton Herke, un disciple d’Adolf von Henselt, qui lui avait fait décou- vrir Beethoven, Hummel, Field, Liszt et Schumann. Par ailleurs, sa passion pour la philosophie allemande et pour l’histoire, combattue par ses premiers maîtres d’études, s’était développée.

C’est sans doute le compositeur Alexandre Dargomyjski, à l’époque très célèbre et considéré comme le maître de l’École russe, qui fixa définitivement la vocation de musicien de Moussorgsky. Séduit par ce jeune pianiste très doué, il lui fit rencontre le critique Vladimir Stassov, César Cui et, surtout, Mili Balakirev, chargé, sans en avoir forcément toutes les com- pétences, de combler ses lacunes et l’initier à l’école moderne. En 1858, Moussorgsky se vou- lut définitivement musicien et démissionna de la Garde impériale. À ces années formatives suc-

5 cédèrent des années de crises – artistique, morale, mystique, financière (l’abolition du servage le 3 mars 1861 appauvrira considérablement sa famille). Attiré par le réalisme, Moussorgsky tra- vailla fiévreusement à une Salammbô jusqu’en 1866, tout en faisant tristement le rond-de-cuir à l’Administration. Le Groupe des Cinq (que l’appellation russe de «puissant petit groupe» a le mérite de ne pas figer à ce nombre trop restrictif et peu conforme à la réalité mouvante du ter- rain) existait déjà, regroupant autour de Balakirev César Cui, Nicolas Rimski-Korsakov, Alexandre Borodine et Modeste Moussorgsky. C’était un groupe considéré par les autorités impériales comme «révolutionnaire» et ultranationaliste.

Dargomyjski était pourtant le plus proche du cœur de Moussorgsky. Il composait alors Le Convive de pierre, ce cocktail de Don Juan et de Pelléas avant l’heure, étrange drame lyrique qu’il ne devait pas achever et qui serait créé en 1872 seulement, au Mariinsky, dans la version achevée par Cui et Rimski-Korsakov. Sans Dargomyjski, Boris Godounov n’eût sans doute pas existé: car c’est lui qui donna à Moussorgsky l’envie d’une nouvelle esthétique du drame lyrique russe basé sur la déclamation. Ce seront Zhenit’ba (Le Mariage), d’après Gogol, inachevé (Ippolitov-Ivanov, le pre- mier, en réalisera une version de scène); Boris Godounov (1869-1872), d’après Pouchkine, puis le «drame musical national» La Khovantchina, écrit par le compositeur d’après une trame de Stassov, achevé (et transformé) par Rimski-Korsakov (création Saint-Pétersbourg 1886), plus tard objet de l’attention de Stravinsky et de Chostakovitch; enfin, cette Foire de Sorotchinsk où on retrouvait Gogol, dont Moussorgsky laissa de larges esquisses successivement mises en forme par Liadov, Cui, Nicolas Tcherepnine et Chebaline.

Au lendemain de la création de Boris Godounov (1874), malmené par la critique, mais plutôt favorablement accueilli par le public, Moussorgsky amorça déjà son ultime descente aux enfers. Isolé, se sentant souvent trahi et incompris – malgré de nombreux témoignages de sollicitude à son égard, à commencer par la compréhension remarquable dont l’administration fit preuve à son endroit, ou l’attachement que lui manifesta toujours Rimski-Korsakov – il s’autodétrui- sit à une allure effrayante. Chaque départ d’un ami forgeait un échelon plus bas dans la dépres- sion – perte réelle, comme la mort du peintre Hartmann, ou perte symbolique, comme l’écla- tement des Cinq ou le mariage et l’éloignement d’un ami comme Arsène Golenichtchev-Koutouzov, le poète des extraordinaires Chants et Danses de la Mort. En 1880, Moussorgsky sera déchu de son poste à l’Administration. D’ultimes initiatives de solidarité et

6 de soutien ne feront rien à l’affaire, et en février 1881 il fut hospitalisé après de sévères crises d’épilepsie. Le 2 mars, c’est un mort en sursis qui descendit de sa chambre pour voir Répine installé à son chevalet. 3 semaines plus tards, il expira, seul dans sa chambre, entouré de quelques livres dont le Traité d’instrumentation de Berlioz.

Pour qui a les opéras, Une Nuit et les Tableaux de Moussorgsky en tête, l’œuvre pour piano du compositeur a des allures de laboratoire. Bien sûr, les pièces écrites par l’adolescent quand il peut déboutonner son encombrant uniforme de la Garde impériale, n’ont rien à voir avec Une larme qui ouvre le premier disque, ultima verba d’un compositeur désespéré à la fin de l’année 1880. L’itinéraire proposé couvre un quart de siècle, de l’adolescent aristocratique, plein de prestance et remarquable pianiste, au vieillard aviné et effrayé par la camarde. Les dominantes communes à toute l’œuvre – écriture modale, génie mélodique, inventivité rythmique – peu- vent ne pas s’y trouver réunies à de grandes structures, ou à l’ambition évidente du cycle des Tableaux: on y trouvera cependant peu de notes inutiles, et c’est un merveilleux complément à une meilleure connaissance d’un des génies les plus novateurs du XIXe siècle.

Commençons, comme Alice Ader, par l’oméga: Une Larme fut noté quelques semaines avant la mort du compositeur, en décembre 1880. Cette plainte crépusculaire à laquelle il ne manque pas la parole, devenue inutile, est d’une sobriété saisissante, le mode majeur venant comme ajouter la consolation d’un ange à la désolation du thème principal. Puis l’alpha: l’Impromptu passionné, sous-titré Souvenir de Beltov et Liouba, fait lui partie du premier groupe de partitions de Moussorgsky, composées de 1857 à 18592. Moussorgsky était alors amoureux de Nadège, la jolie sœur de son ami Alexandre Opotchinine; elle lui accorda son amitié, mais pas son amour… Le sous-titre, référence à un roman courtois des temps modernes signé Alexandre Herzen, À qui la faute?, est donc l’écran de fumée qui dissimule la vérité. Cet «albumblatt» très schumannien, modérément personnel mais sans défaut, existe en deux versions, la 2e et défini- tive, datée du 1er octobre 1859, ayant été retenue pour cet enregistrement.

La belle Duma (Rêverie) de 1865 est basée sur un donné thème par un des amis de Moussorgsky à l’époque, Viaceslav Loginov, membre d’une bohème de six jeunes gens partageant le même appartement et les mêmes rêves révolutionnaires. Mais ici, cette «Douma» - en russe, le terme 2 On a omis ici Porte-enseigne, une Polka écrite en 1852.

7 a les mêmes racines que le nom du parlement… – en donne l’évidente composante nostalgique. La Scène de foire tirée de l’opéra La Foire de Sorotchinsk est une merveilleuse pièce descriptive sauvée par Moussorgsky lui-même de son opéra mort-né; moins populaire que Hopak, elle fut notée dans sa version pour piano lorsque Moussorgsky, privé de ressources, accompagnait en tournée la contralto Daria Leonova qui l’aida beaucoup de 1879 à sa mort (Leonova créa une école de chant à Saint-Pétersbourg et engagea Moussorgsky désœuvré comme accompagna- teur). Ces scènes de danses et chants populaires se retrouvent dans Au Village, écrit peu avant Une Larme en 1880, comme le prouve l’audition de cette succession de brefs épisodes colorés en guise d’intermezzo à notre programme.

La tournée dans le Sud de la Russie eut lieu en été et pendant l’automne de 1879; aussi bien l’Ukraine que la Crimée s’avérèrent de puissantes sources d’inspiration pour Moussorgsky mal- gré son état déliquescent. Ainsi, deux scènes Sur les rivages sud de Crimée également intitulées Gourzouff. Notes de voyage virent le jour, Baïdary et Gourzouff, du nom de deux stations de vil- légiature sur la Riviera de Crimée. Si le capriccio Baïdary est une nouvelle manifestation de la vitalité de Moussorgsky, modérée par la section centrale, Gourzouff est d’une modernité à cou- per le souffle, annonçant le Debussy des Préludes ou de la Berceuse héroïque, et un XXe siècle déjà bien engagé. Toujours datant de la même période, Hopak (ou Gopak, suivant les transcriptions) nous transporte en Ukraine et nous fait revenir à La Foire de Sorotchinsk. Nous entendons ici la première version de cette danse de «joyeux gaillards», que des détails harmoniques et ryth- miques hardis viennent sans cesse distraire de la carte postale.

Souvenir d’enfance date du 16 octobre 1857; sa jolie et spirituelle écriture fait penser à un jeune Grieg russe. Mais ce sont les deux Souvenirs d’enfance de 1865 qui, bien plus, nous annonceront l’extraordinaire évocateur du monde enfantin qu’est Moussorgsky (et qui connaîtra son som- met en 1870 avec le cycle de mélodies Enfantines). Le premier de ces deux «souvenirs», Niania et moi, donne de la nurse un visage infiniment tendre, tandis que Première punition évoque de manière saisissante la panique de l’enfant enfermé dans un cabinet noir.

L’étrange et bougonne La Capricieuse fut composée en même temps que Duma et, de même, basée sur un thème donné, ici par le comte Login Geiden, fils du prestigieux vice-amiral de la flotte du tsar. Quant à La Couturière, c’est la seule pièce pour piano écrite entre ces les pièces

8 de jeunesse et la dernière floraison de 1879-1880. Nous sommes en 1871, en pleine efferves- cence de Boris; virtuose, humoristique, piquant comme une épingle, ce scherzino est une des plus séduisants témoignages de Moussorgsky au piano.

Le Scherzo en do dièse mineur, lui, remonte à 1858 bien que la deuxième version (jouée ici) soit datée de deux ans plus tard, et qu’à la fin de sa vie, Moussorgsky en fit encore une autre version pour piano à quatre mains. En tout cas, l’on comprend l’attachement du compositeur pour ce «péché de jeunesse»: il s’agissait d’un devoir que lui avait imposé son nouveau maître Balakirev, chargé de dégrossir l’incroyable pierre brute qu’il avait découverte dans l’entourage de Dargomyjski. Certes, le langage est encore globalement assez sage, mais déjà s’y retrouve toute l’énergie radicale des Tableaux, adoucie d’un tendre chant populaire dans le trio, quelques transitions grisantes de nou- veauté, sans compter qu’on peut y voir le fantôme du Schubert des Impromptus.

L’expression la plus accomplie du génie chez le jeune Moussorgsky se trouve peut-être dans son vaste Intermezzo [in modo classico], dédié à son condisciple Borodine. Écrite en 1861, cette pièce inspirée d’une scène de paysans au soleil d’hiver, fut remaniée en 1867 et orchestrée avec succès, avant que le compositeur ne la retranscrive lui-même pour piano (c’est cette version qu’on retrouvera ici). Tout le fardeau de la vie semble s’incarner ici dans une lourdeur voulue, à peine allégée l’espace d’un instant dans l’étourdissement d’une danse grisante: on n’est pas loin ici des derniers opus de Brahms, qui suivront… dans trente ans.

Un retour ultime à l’univers enfantin, dès lors, sera bienvenu pour terminer le premier cd: retrouvons le jeune Moussorgsky dans ses – bien innocents – Jeux d’enfants en forme de scherzo (septembre 1859).

Pour ouvrir le deuxième, Une nuit sur le Mont Chauve. Quelle musique étonnante! Mentionné pour la première fois fin 1858 quand un projet mort-né d’opéra collectif s’attachait déjà à La Nuit de la Saint-Jean de Gogol, repris en 1860 pour une hypothétique commande d’opéra sur un drame du baron Mengden, La Sorcière, le projet refait surface comme poème symphonique en avril 1866. Appelé La Nuit de la Saint-Jean, puis La Nuit de la Saint-Jean sur le Mont Chauve, le poème symphonique plaisait à Moussorgsky, fier d’avoir réussi une œuvre pleinement russe, certes inspirée à son origine de la Totentanz de Liszt, mais complètement dégagée à ses yeux

9 d’une influence germanique. Avant que la version de Moussorgsky lui-même ne refasse sur- face, on n’entendait au concert que la version profondément remaniée et «civilisée» par Rimski-Korsakov. C’est cette version qui servit de base à l’(excellente) transcription pour piano de Constantin Tchernov; mais l’écriture pianistique tranchante restitue bien une partie des arêtes tranchantes et des vides inquiétants caractéristiques de l’original.

Méditation date de 1880 et parut en 1888 dans Nuvellist:Muzykalno-Teatralnaia Gazeta, l’im- portante revue musicale de Saint-Pétersbourg. Dans cette page d’une grande simplicité, amère et douloureuse à la fois, le temps semble s’arrêter.

Enfin, le monument: les Tableaux d’une exposition. Autant la Porte de Kiev – la Porte d’Or – étonne les visiteurs de la ville par sa petite taille, autant ce monument imaginaire-là, gigan- tesque, fait peur à tous les jeunes pianistes. Des difficultés digitales en nombre, assimilables à celles d’Islamey de Balakirev ou de la Bourrée fantasque de Chabrier, – une approche à haut risque des limites de l’instrument, un souffle et un éventail de couleurs prodigieux: ce n’est pas une mince affaire que d’approcher ce cahier dont on a peine à croire, en l’entendant, qu’il remonte à 1874: seules quelques pièces de Liszt et de Brahms peuvent à l’époque lui être opposées en terme d’intérêt et d’anticipation des «questions pianistiques» qui marqueront la fin du siècle. Regrettons au passage que cette œuvre, comme d’autres chefs-d’œuvre de la littérature russe, soit un des victimes du syndrome «plus vite, plus fort» dans beaucoup d’interprétations contemporaines.

Il n’est pas nécessaire de revenir longuement sur la genèse de l’œuvre: elle est bien connue. L’architecte et dessinateur Viktor Hartmann, ami cher de Moussorgsky, était mort en 1873 à l’âge de trente-neuf ans d’une rupture d’anévrisme. Il était considéré comme un des principaux artisans du «revival russe» qui secouait les arts à Saint-Pétersbourg – même si peu de ses œuvres ont dépassé le stade du projet. Stassov organisa une exposition rétrospective à l’Académie des Beaux-Arts de Saint-Pétersbourg en février-mars 1874. Le 22 juin suivant, après trois semaines de travail intensif, Moussorgsky mettait la double barre finale à une suite en dix tableaux, hom- mage à son ami disparu3.

Le cycle, qui n’est pas sans évoquer le Schumann de Carnaval, est relié par une « Promenade »

10 fièrement pentatonique, figurant Moussorgsky lui-même allant d’un tableau à l’autre. Pour le reste, l’univers miniature de Hartmann est démultiplié de façon explosive, au gré de la fantai- sie propre à Moussorgsky qu’on a retrouvée jusqu’ici dans les pièces éparses de ce programme : fêtes populaires, êtres marginaux, peur de la mort, «russitude» extrême, nostalgie et retour à l’enfance. Ainsi, c’est dans un ordre établi que passent désormais un gnome grimaçant, la sil- houette d’un vieux château triste, deux enfants en dispute, un char à bœufs polonais, un ballet de canaris nouveau-nés dans leurs coques4, deux portraits de Juifs polonais, le marché de Limoges, les catacombes romaines, la sorcière Baba Yaga surgissant de sa «cabane sur des pattes de poule», et, enfin la Grande Porte de Kiev: une grande porte nouvelle qu’avait imaginée l’ar- chitecte Hartmann pour la capitale de l’Ukraine, et que le sort ne lui permit pas de construire, inspire à Moussorgsky un vaste portique final qui clora notre exploration.

Dans tout cela, l’imagination est au pouvoir, sans rien qui puisse la freiner. Et la fascination s’exerça rapidement: les Tableaux furent orchestrés dès 1891 (par le chef d’orchestre géorgien Michael Touchmalov). Suivirent Henry Wood, qui enregistra sa version (1915) puis tenta de la faire oublier lorsqu’on découvrit la version de Maurice Ravel; celle-ci vint en même temps que celle du chef slovène Leo Funtek (1922), et fut écrite pour Koussevitzky et son Orchestre symphonique de Boston. Elle s’imposa, malgré les tentatives ultérieures de Leonardi, Caillet, Goehr, Stokowski, Ashkenazy et bien d’autres, sans compter les multiples arrangements, disques-concepts (Emerson, Lake & Palmer) et autres variations. Mais tout cela ne fait rien à l’affaire: l’original n’a pu être dépassé en termes de force, de couleur et de profondeur d’im- pression, et se suffit à lui-même. MICHEL STOCKHEM

3 Le fait de les avoir inspirés reste, à ce jour, et pour l’éternité sans doute, le principal intérêt des dessins de Hartmann, dont peu ont du reste survécu. Notons que la suite musicale inspira en retour… une nouvelle suite picturale:Kandinsky exposa à Dessau en 1928 une série de tableaux directement inspirée de Moussorgsky. 4 issus de Trilby ou le démon de la chaleur, un ballet signé du grand Petipa et d’un de ses «faiseurs de musique» préférés, Julius Gerber, représenté au Bolchoï en 1870 dans des costumes signés Hartmann.

11 St-Petersburg in 1856

12 english

Modest Mussorgsky is the only composer whose usual iconography is that of someone in frightful decline. Hospitalised in early 1881, he no longer had much blood in his vodka, just at the time when Ilya Repin, a brilliant portraitist of Russian personalities, was reaching the height of his glory. The successful attempt on the life of Tsar Alexander II was only a few days away. That was as yet unknown; but Mussorgsky was going to die soon, and that much was certain: perhaps even it would not be possible to celebrate his 42nd birthday. Moreover, he looked twice his age. At Repin’s insistence, an easel was installed in the clinic, and Mussorgsky posed in dressing gown and slippers. For a few hours, two outstanding artistes lived what might have been a novel or a stage play. On 5 March the painter laid down his brushes. Three weeks later the composer breathed his last.

Repin for his part lived for another half century. His last painting, which is featured on the cover of this CD, is a veritable hymn to life, extraordinarily colourful. He worked on it from 1927 to his death (1930) in his dacha, Penaty (the Penates) in Kuokkola, a small town that since the revolution had been on independent Finnish soil1. Yet what is the reference in this canvas, a great oil painting featuring the Hopak (or Gopak), a traditional Ukrainian dance, other than the vitality of Mussorgsky, who posthumously had contributed to the popularisation of the Gopak through a scene in his unfinished The Fair at Sorochinsky (he had even left a piano version, which is found here)? Liadov, charged with completing this opera after the composer’s death, spent more than twenty years on the task, and the orchestral Gopak, published in 1903, went around the world: perfect for encores. It had however, neither the radical vitality of Mussorgsky’s pianistic model, nor the fascinating colours of Repin’s picture; and, in fact, this

1 Répine hardly ever left the town and resisted the enticements of the Soviets to make him return to . He died consequently in Finland. In 1948, when the town was annexed by the USSR, it was renamed Repino.

14 question of vitality and colour seems to be the clear focus of debate, when so many music- lovers only know Pictures at an Exhibition, a beacon work of the nineteenth century, in the Maurice Ravel’s transcription (so much so that it is necessary, when referring to Pictures at an Exhibition, to specify quite systematically the piano version).

Mussorgsky’s piano output provides a close-up of a dazzling genius and one little inclined to make concessions. The unique indulgence Alice Ader allowed herself in this programme, the transcription of A Night on the Bald Mountain by Konstantin Chernov, contributed to the pop- ularity of the work at a time when it was hardly to be heard in concert halls, and well before the ‘boom’ of Fantasia, with Walt Disney and Leopold Stokowski (1940); it is, moreover, excel- lent, even if it is derived from the Rimsky-Korsakov version (1886) and not from Mussorgsky’s original score (1867). For the rest, we have here original compositions and transcriptions of the composer. He was, after all, also an excellent pianist, playing Liszt before his tenth birthday.

The second son of a large family – the Mussorgskys were direct descendants, it appears, of Rørik, the Viking king who founded the Russian Empire in Novgorod in the ninth century, Modest, born in Karevo near Pskov in 1839, followed the family path by entering, at the age of 13, the Cadet School of the Guards in Saint Petersburg: a refuge of ‘gilded jackets’ for manly drunks (on champagne rather than vodka). Iron discipline and alcoholism: it was, without doubt, the two main lessons that the young licentiate of 1856 retained from those four years, sinking into the one and rejecting the other. Music, however, had not ceased to inhabit him, and he had profited enormously from his lessons with Anton Herke, a pupil of Adolf von Henselt, who had revealed to him Beethoven, Hummel, Field, Liszt and Schumann. Moreover, his passion for German philosophy and history, discouraged by his first study directors, had grown.

It was unquestionably the composer Alexander Dargomyzhsky, then very famous and consid- ered the master of the Russian School, who once and for all settled Mussorgsky’s vocation as a musician. Charmed by this young, highly gifted pianist, he introduced him to the critic Vladimir Stasov, César Cui and, especially, Mili Balakirev, who would attempt to fill in the gaps and initiate him into the modern school. In 1858 Mussorgsky decided definitively to become a musician and resigned from the Imperial Guard. These formative years were fol- lowed by years of crises – artistic, moral, mystical, financial (the abolition of serfdom on 3

15 March 1861 considerably impoverished his family). Drawn towards realism, Mussorgsky worked feverishly at Salammbô until 1866, while sadly carrying on with pen-pushing for the Administration. The Mighty Five (that the Russian appellation of ‘powerful little group’ has the merit of not restricting to this reductive number) were already in existence, bringing together, about Balakirev, César Cui, Nicolai Rimsky-Korsakov, and . It was a ‘revolutionary’ and ultra-nationalist group, viewed with suspicion by the authorities.

Dargomyzhsky was, however, closest to Mussorgsky’s heart. He was then composing The Stone Guest, that premonitory cocktail of Don Giovanni and Pelléas, a strange operatic drama that he was not to finish and that was only to be premiered in 1872, at the Mariinsky Theatre, in the version completed by Cui and Rimsky-Korsakov. Without Dargomyzhsky, would doubtless not have come into being: for it was he who had given Mussorgsky the thirst for a new æsthetic for based on declamation. This would produce Zhenit’ba (The Marriage), from Gogol, unfinished (Ippolitov-Ivanov was the first to prepare a scenic version of this); Boris Godunov (1869-1872), from Pushkin, then the “national musical drama” Khovantchina, written by the composer from an idea by Stasov, completed (and transformed) by Rimsky-Korsakov (first performed at Saint Petersburg in 1886), later the object of the atten- tion of Stravinsky and Shostakovich; finally, this Fair at Sorochinsky where we encounter Gogol, and of which Mussorgsky left large sketches successively written up by Liadov, Cui, Nicolai Tcherepnin and Shebalin.

In the aftermath of the premiere of Boris Godunov (1874), when he was roundly criticised by the press but rather favourably received by the public, Mussorgsky had already started on his final descent into hell. Isolated, feeling often betrayed and misunderstood – despite many examples of solicitude towards him, starting with the remarkable understanding the adminis- tration showed to him, or the attachment that Rimsky-Korsakov continually demonstrated – he destroyed himself at such a frightful pace. Every time a friend left him it took him down a notch in his depression – be it a tangible loss, such as the death of the painter Hartmann, or a symbolic loss, such as the break-up of or the marriage and departure of a friend such as Arseny Golenischev-Kutuzov, the poet of the extraordinary Songs and Dances of Death. In 1880 Mussorgsky was sacked from his job with the Administration. Last-minute initiatives of

16 solidarity and support were of no use, and in February 1881 he was hospitalised after some severe epileptic seizures. On 2 March, it was a man at death’s door who left his room to see Repin at his easel. A few days later he died alone in his room, surrounded by a few books including Berlioz’ Treatise on Instrumentation.

For anyone who has Mussorgsky’s , A Night and the Pictures in mind, the composer’s piano works seem a kind of laboratory. Of course, the pieces written by the teenager when he could unbutton his cumbersome uniform of the Imperial Guard, have nothing in common with A Tear that opens the first disc, ultima verba of a desperate composer in late 1880. The sug- gested itinerary covers a quarter of a century, from the aristocratic teenager, an imposing pres- ence, and remarkable pianist, to the wine-soaked old man frightened by the Grim Reaper. The dominant features common to all his output – modal writing, melodic genius, rhythmic inven- tivity – may not perhaps be assembled inside grand structures, or find their place in the evident ambition of the cycle of the Pictures: however, there are few redundant notes, and it is a won- derful complement to a better knowledge of one of the most innovative geniuses of the nine- teenth century.

Let us start, like Alice Ader, with the omega: A Tear was written down a few weeks before the composer’s death, in December 1880. This twilight lament that lacks not words, become superfluous, is of striking sobriety, the major mode adding as it were the consolation of an angel to the desolation of the main theme. Then the alpha: the Passionate Impromptu, subtitled Memory of Beltov and Liuba, is part of the first group of Mussorgsky’s scores, composed from 1857 to 18592. Mussorgsky was then in love with Nadeja, the pretty sister of his friend Alexander Opochinin; she gave him her friendship, but not her love… The sub-titles, referring to a courtly novel of modern times by Alexander Herzen, Whose Fault?, is thus the smokescreen that hides the truth. This highly Schumannesque ‘Albumblatt’, moderately individual yet with- out any faults, exists in two versions, the second and definitive (dated 1 October 1859), being the one chosen for this recording.

The fine Duma (Rêverie) of 1865 is based on a theme by one of Mussorgsky’s friends at that

2 Porte-enseigne, a polka written in 1852, has been omitted here.

17 time, Vyaceslav Loginov, a member of a Bohemian group of six young folk sharing a flat and dreams of revolution. Here, however, it is this ‘Duma’ (in Russian the term has the same roots as the name of the parliament) that delivers the clearly nostalgic component.

The Fair Scene from the opera The Fair at Sorochinsky is a wonderfully descriptive piece saved by Mussorgsky himself from his still-born opera; not as popular as Hopak, the piano version was written down when a penniless Mussorgsky was accompanying on tour the contralto Daria Leonova who greatly helped him from 1879 to his death (Leonova founded a singing school at Saint Petersburg and hired him, at a loose end as he was, as accompanist). These scenes of dances and traditional songs are also to be found in In the Village, written shortly before A Tear in 1880, as is proved by the audition of this succession of brief, colourful episodes acting as an intermezzo for our programme.

The tour in southern Russia was undertaken in the summer and autumn of 1879; both the Ukraine and the Crimea proved to be powerful sources of inspiration for Mussorgsky despite his precarious state. And so two scenes On the southern banks of the Crimea, also entitled Gurzuf, Travel Notes were born, Baïdary and Gurzuf, from the names of two holiday resorts on the Crimean Riviera. Whereas the capriccio Baïdary is a new manifestation of Mussorgsky’s vital- ity, moderated by the central section, Gurzuf is of quite breathtaking modernity, heralding the Debussy of the Preludes or the Berceuse héroïque, and a twentieth century already well under way. Dating from the same period, Hopak (or Gopak, following the transcriptions) takes us to the Ukraine and brings us back to The Fair at Sorochinsky. Here we hear the first version of this dance of “joyful fellows”, that bold harmonic and rhythmic details constantly prevent becom- ing a picture postcard.

Childhood Memory dates from 16 October 1857; its pretty, witty style evokes a young Russian Grieg. Yet it is the two Memories of Childhood from 1865 that, to a much greater extent, her- ald for us the extraordinary evoker of the world of children that was Mussorgsky (and that was to reach its high point in 1870 with the song cycle The Nursery). The first of these two ‘mem- ories’, Niania and I, lends the nurse an infinitely gentle face, while First Punishment is a striking evocation of the panic felt by a child locked up in a black cupboard.

18 The strangely gruff La Capricieuse was composed at the same time as Duma and was, similarly, based on a given theme, supplied in this instance by Count Login Geiden, son of the presti- gious vice-admiral of the Tsar’s fleet. As for The Seamstress, this is the only piano piece written between the youthful pieces and the last outburst of 1879-1880. We are in 1871, in the full blossoming of Boris; virtuosic, droll, as sharp as a pin, this scherzino is one of Mussorgsky’s most charming piano pieces.

The Scherzo in C sharp minor dates from 1858, although the second version (played here) was written two years later, and at the end of his life, Mussorgsky made another version, this time for piano four hands. At any event, one can understand the composer’s attachment to this ‘youthful peccadillo’: it was a piece imposed upon him by his new teacher Balakirev, in charge of breaking down the incredible natural stone he had discovered in the Dargomyzhsky’s entourage. To be true, the language is still on the whole fairly sedate, but already we find all the radical energy of the Pictures, alleviated by a soft traditional song in the trio, a few intoxi- catingly novel transitions, not to mention the fact that one can see in it the ghost of the Schubert of the Impromptus.

The most accomplished expression of genius from the young Mussorgsky is perhaps to be found in his vast Intermezzo [in modo classico], dedicated to his co-disciple Borodin. Written in 1861, this piece, inspired by a peasant scene in the winter sun, was reworked in 1867 and suc- cessfully orchestrated, before the composer re-transcribed it himself for piano (this is the ver- sion on the present CD). The whole of life’s burden seems to be embodied here in a deliber- ate heaviness, scarcely lessened for an instant by a dizzily joyful dance: we are not too far distant here from the last works of Brahms, that were to follow… thirty years later.

A final return to the world of children will now be most welcome in order to conclude the first CD: here we have the young Mussorgsky in his – thoroughly innocent – Children’s Games in scherzo form (September 1859).

To begin the second CD, A Night on the Bald Mountain. What astounding music! Mentioned for the first time in late 1858 when the still-born project of a collective opera was still associ- ated with Gogol’s The Night of Saint John, revived in 1860 for a hypothetical opera commission

19 on a play by Baron Mengden, The Witch, the project reappeared as a in April 1866. Called The Night of Saint John, then The Night of Saint John on the Bald Mountain, the sym- phonic poem found favour in Mussorgsky’s eyes, proud as he was to have succeeded in pro- ducing a fully Russian work, inspired to be true, in its origin, by Liszt’s Totentanz, but com- pletely emancipated in his mind from any Germanic influence. Before the version of Mussorgsky himself emerged, all that was heard in concerts was the deeply reworked and ‘civilised’ version made by Rimsky-Korsakov. It was this version that served as the basis for the (excellent) piano transcription by Konstantin Chernov, although the trenchant piano writing restores part of the incisive outlines and the characteristically disquieting voids of the original.

Meditation dates from 1880 and was published in 1888 in Nuvellist: Muzykalno-Teatralnaia Gazeta, the important musical periodical of Saint Petersburg. In this utterly straightforward piece, both bitter and sorrowful, time itself seems to come to a standstill.

At last, the monument: the Pictures at an Exhibition. The Gate of Kiev – the Golden Gate – astonishes visitors to the city by its small size, and in the same way this monument, imaginary this time, and gigantic, strikes fear into the hearts of all young pianists. Numerous digital diffi- culties, comparable to those in Islamey by Balakirev or Chabrier’s Bourrée fantasque, – a highly risky approach to the limits of the instrument, a prodigious sweep and palette of colours: it is no trifling matter to approach this volume that, almost unbelievably – to hear it, dates from 1874: only a few pieces of Liszt and Brahms could at the time be compared in terms of inter- est and the anticipation of ‘pianistic matters’ that were to mark the century’s end. It is to be regretted, be it said in passing, that this work, like other masterpieces in the Russian repertory, is a victim of the ‘faster, stronger’ syndrome that characterises many contemporary perfor- mances.

It is not necessary to dwell on the work’s genesis, which is well known. The architect and designer Viktor Hartmann, a close friend of Mussorgsky’s, died in 1873 at the age of thirty- nine from a broken blood-vessel. He was thought of as one of the main artisans of the ‘Russian revival’ that was shaking up the arts in Saint Petersburg – even if few of his works went beyond the stage of project. Stasov organised a retrospective exhibition at the Academy of Fine Arts of Saint Petersburg in February-March 1874. On the following 22 June, after three weeks of

20 intensive work, Mussorgsky wrote the double bar at the end of the suite in ten tableaux, a homage to his departed friend3.

The cycle, that puts one in mind of the Schumann of Carnaval, is linked by a proudly penta- tonic ‘Promenade’, featuring Mussorgsky himself walking from one painting to another. For the rest, the miniature world of Hartmann is multiplied explosively, according to Mussorgsky’s own whimsy such as has so far been found in the scattered pieces of this programme: popular fairs, marginal creatures, the fear of death, extreme ‘Russitude’, nostalgia and a return to child- hood. And so, there is a settled order for the appearance of a grimacing gnome, the silhouette of a sad old castle, two squabbling children, a Polish chariot with a team of oxen, a ballet of new-born canaries still in their shells4, two portraits of Jews, the market at Limoges, the Roman catacombs, the witch Baba Yaga emerging from her ‘cabin on fowl’s legs’, and, lastly the Great Gate of Kiev: a big new gateway that Hartmann the architect had imagined for the Ukrainian capital, although fate had not allowed him to erect it. It gave Mussorgsky the inspiration for a vast final portico that brings our exploration to a close.

In all this, the imagination is in full rein, with nothing able to restrain it. And the fascination works rapidly: the Pictures were orchestrated as early as 1891 (by the Georgian conductor Michael Touchmalov). There followed the orchestration of Sir Henry Wood, who recorded it (1915) then tried to bury it when Maurice Ravel’s version became known; the latter arrived at the same time as that of the Slovenian conductor Leo Funtek (1922), being written for Koussevitsky and his Boston Symphony Orchestra. It established itself definitively, despite the later attempts of Leonardi, Caillet, Goehr, Stokowski, Ashkenazy and many others, not to mention the multiple arrangements, disc-concepts (Emerson, Lake & Palmer) and other varia- tions. Yet all this changes nothing: the original could not be bettered in terms of strength, colour and depth of impression, and it is enough, all by itself. MICHEL STOCKHEM (TRANSLATED BY JEREMY DRAKE)

3 The fact that they were so inspirational remains, to this day and no doubt for eternity, the principal interest of Hartmann’s drawings, few of which have in fact survived. Note that the musical suite in return was to inspire… a new pictorial suite of quite another kind: Kandinsky exhibited in Dessau in 1928 a series of paintings directly inspired by Mussorgsky. 4 Taken from Trilby or the demon of heat, a ballet choreographed by the great Petipa and by one of his favourite ‘music-makers’, Julius Gerber, staged at the Bolshoï in 1870 in costumes designed by Hartmann. Découvrez les autres cd d’Alice Ader chez Fuga Libera

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