Vincent Raymond RIVIERE CHALAN

HISTOIRE ET LEGENDE DES ORATOIRES N. D. DE HEAS ET ST JUSTIN EN BAREGES

AU TEMPS DE L'ARCHIPRETRE ET DE MONBLANC

HISTOIRE ET LEGENDE DES ORATOIRES N. D. DE HEAS ET SAINT JUSTIN EN BAREGES AU TEMPS DE L 'ARCHIPRETRE ET DE MONBLANC

A : - L'ARCHIPRETRE SAINT JEAN DE BAREGES

La vallée formait un archiprêtré autour de l'église Saint Jean de Sère, probablement parce que celle-ci était l'une des plus anciennes de la vallée, la plus vaste et peut-être aussi celle dont le patronat revint assez vite à l'évèque. L'archiprêtre étant celui de toute la vallée, coiffait "spirituellement" en principe les églises Barègeoises, y compris celle de Luz avant qu'elle fût dans l'obédience de l'ordre St Jean de Jérusalem en 1352 (1) 0 Mais cette autorité était peu sensible, tout comme celle de l'archidiacre du , auquel l ' archiprêtre de Barèges fut soumis à partir de 1342 par l'évèque Pierre de Montbrun. Dans la réalité cette hiérarchisation buttait sur ;la puissante autonomie des fadernes locales. Outre les paroisses de Sère et de Luz (avec ses annexes de St Sauveur, Gèdre et Gavarnie), la vallée comptait les paroisses de , Viella, Sers, , St Martin, -Esquieze, Villenave, Vizos, Sassis, , , et celle de Chèze- . Les quinze paroisses étaient groupées en hadernes ou fadernes, une par vic administratif. Mais encore au début du XVII0 siècle il y avait deux fadernes en Labatsus : celle de St Martin, traditionnelle, et celle de Viella spéciale à cette paroisse. La destruction de St Martin en février 1600 fut sans effet immédiat, car, l'av.alanche ayant épargné l'église, l'entité paroissiale sur- vécut jointe à Viey. De même, la faderne de Saligos, détachée de celle de Sazos, jouit de son autonomie avant le vic Débat - son territoire - qui dépendit du vic de Darrer Aygue jusqu'au XV1110 siècle. Enfin il y avait à Luz une faderne de "tôt Baretge" pour la vallée, où présidait l'ar- chiprêtre, qui avait; également dans ses préroga- tives la procession des litanies inter-vics. Le clergé était de même regroupé dans chaque faderne en collège à l'intérieur duquel se répartissaient les tâches et les émoluments de la faderne. Chaque collège était placé sous l'autorité d'un syndic représentant juridique de la faderne, personnalité civile ; un clavier y était chargé de la gestion et un bayle des questions juridiques et de police. Vers le milieu du XVI0 siècle il y avait une quinzaine de collégiats en Labatsus, dont dix au collège de St Martin et cinq à celui de Viella ; il y en avait dix-huit en Darrer Aygue, dont douze au collège de Sazos et six en celui de Saligos ; il y en avait vingt-deux au collège de Luz et Vic du Pla : soit en tout cin- quante cinq collégiats dont tous n'étaient pas prêtres. En fait le chiffre était moindre, car cer- tains, exerçant dans une faderne, pouvaient éga- lement appartenir à une autre s'ils y avaient des biens. Cependant la participation aux émoluments fadernaux faisait que cette double appartenance était limitée et la règle s'appliquait à l'archi- prêtre. Outre les paroisses, l ' archiprêtré comptait quatre prieurés ruraux : celui de Ste Marie, fon- dé par l'abbaye de St Savin au Xll° siècle, qui lui fut toujours uni ; celui de Ste Marie Madeleine - puis St Jean-de-Gavarnie - qui fut acquis par les Hospitaliers de Saint Jean de Jérusalem à la fin du XII' siècle ; et ceux fon- dés sur les oratoires N. D. de Héas et St Justin de Sers, qui restèrent séculiers et dont il va être question. Le prieuré Saint Orens du Lavedan n'eut en Barèges" que des biens, formés en un "Cartet" ; il ne sera qu'évoqué avec le prieuré St Justin. Quant au prieuré dit de Saint Pierre, il ne fut qu'une extension de celui de l'Hôpital de Gavarnie. Paroisses et prieurés étaient donnés en jouissance à des "bénéficiers" tenus d'y faire assurer le culte. Le domanial s'étant quelque peu émancipé du spirituel, les recteurs des pa- roisses et les prieurs des prieurés, n'étaient pas tenus d'être prêtres ni d'exercer eux-mêmes le culte. Ils pouvaient se décharger sur d'autres, qu'ils rétribuaient, des devoirs du culte ; ces "desservants", non recteurs ni prieurs, étaient appelés "capéras" ou "bécaris". Cette "féodalisation" des bénéfices grevait même celui de l ' archiprêtre cité ci-dessous :

L'EGLISE ET LES PAROISSIENS Ainsi donc, vers 1591, l ' archiprêtre, M. Carassus, ayant obtenu son changement pour la cure de Saligos, dont il était probablement ori- ginaire., l ' archiprêtré resta sans titulaire plu- sieurs années ; l'on ne sait s'il y avait eu des incidents qu'on reprochait aux paroissiens. Toujours est-il que l'évèque refusait de faire droit aux réclamations de ceux-ci, qui voulaient un pasteur ; ils en cherchèrent un et l'on demanda directement au Pape de le nom- mer : le candidat était Jean de Bérié d'Esterre. Rome, par décision du 16° jour des calen- des de mars l'an 1600 donna provision audit Jean Bérié ou Vergé "in informa elegium antiqua", écrit le notaire ; décision confirmée "cum archi- presbyteris Sancti Joannis de Valletica" le 27 septembre 1600. Et en exécution de cet ordre de Rome, le nouvel "archiprêtre" se présenta le 2 novembre 1600 devant l'église "archipresbytérale de Saint Jean de Barèges" à Sère où il fut reçu par M0 Donfédac prêtre de Luz : en présence de Bernard de Thilh prêtre et recteur de Sassis, Bernard de Périssère prêtre et recteur de Villenave, Pierre Matheou prêtre dudit Villenave, Jean Baget prêtre de Sazos, Guilhem de Capdevielle escolier de Sassis, Antoine de Faurine de Luz et Guillaume de Lana de Saint Pierre (3). Et comme l'évèque de ne devait pas être d'accord, les voisins de Sère ou leurs repré- sentants avaient été invités à venir dire à haute voix ce qu'il en avait été depuis le. départ de M0 Carassus. Solennellement le nouvel archiprêtre demanda à haute voix aux paroissiens en présence du no- taire et des témoins : "Messieurs, j'aurais esté porveu dudit béné- ffice et archiprestré de Saint Jean de ce lieu par imp. de Rome". "Pour l'entretien de ma juste cause et con- servation de mon droict me seroit besoing déclara- tion m'estre faicte par vous autres et contenant quatre poincts" : "Primo : Depuis quel temps vous n'avez eu archiprestre en vostre paroisse qui vous soict venu administrer les saints sacrements, dire messes et autres charges et offices accoustumès d'y estre célébrés". "Secundo : Si vous avez présenté requit, et combien, à messire révérend père en Dieu Moss. L'evesque de Tarbe tendant, qu'attendu le bénéf- fice estant sans archiprestre, qu'il vous eust à pourvoir d ' archiprestre". "Tercio : Sy avez jamas demandé audit sieur évesque de vous préférer au rentement, en payant autant que les fermiers l'en payoient". "Et pour le catriesme se debvoit, si des- puis que ledit archiprestré a esté possèdé par ledit sieur évesque ou procureur, les jours de feste vous est vaqué le divin service ? "Lesquels Jean, l ' archipretre - poursuit le notaire -, Jean de la Péna, consul, Pierre Carréra (marguillier), Guilhem Laborde, Peyrollet de Bastan, Bertrand deu Sola, Jean Fortané, Jean deu Benqué et Miqueu de Bastan (les représen- tants des paroissiens), cestant ung peu escartés des temoings et de moy et (ayant) parlé entre eux, ont déclaré et par la teneur du présent instrument déclarent par la bouche d'icelluy ar- chiprestre et consul et de la bouds plus haütiue (de la voix la plus forte) : "Sur le premier point proposé et requis par icelluy Vergé archiprestre susdit et les autres (points) par ordre : "que despuis que M. Carassus prêtre et recteur de Saligos eust changé l ' archiprestré pour la cure dont aujourd'hui est recteur - de quoy a neuf années ou environ - ils n'ont eu aulcun archiprestre, du moins que nous l'ayons veu et cogneu ; - ne jamas s'estre présenté pour faire le divin service et administrer sacrements requis "Et voyant qu'ils n'avoient point d'archi- prestre, deux d'entre eulx seroient allés devant ledit sieur évesque de Tarbe, comme ordinaire, requérir à leur pourvoir d ' archiprestre, par deux diverses foys : l'une par requeste verbale et l'autre par requeste par écrit ; auxquelles ne leur auroit faict droict avis, icelles rette- nues d'enber soy sans fère ni donner app. juri- dique. "D'autres foys, voyant qu'il n'y avoit lieu d'estre porveu de pasteur, demanderoient au nom dudit village le rentement de ladite archipretré à icceluy sieur evesque, fust par année ou (par) triane, en payant comme les autres ; de quoy, deux années passées, ceust leur fust respondu par ledit sieur évesque qu'il n'y avoit lieu pour lors parce qu'il l'auroit déjà faict fère à Delassale notaire à Luz ; mais que pour une autre foye il y adviseroit. "Pendant lequel temps de neuf années et aulx festes solemnes comme dimanches et autres jours, desclarent comme cy-devant ont déclaré, avoir eu manque de divin service comme messes parrochiales et vespres ; mesme le temps de Saincte Croix peulx avoir deux années ou plus, eurent manque de messes et vespres" "Laquelle susdite déclaration ont dit, déclaré et juré ung après autre contenir vérité et offrir la faire en toutes cours et par devant tal jutge qu'il appartiendra ... etc" (4). Cette exceptionnelle déclaration en cette ex- ceptionnelle procédure, montre assez ce qu'il en était alors des méthodes d'administration de l'é- glise dans les vallées. Elle témoigne aussi de la nature des rapports qu'elle entrainait entre les paroissiens et l'évèque... Il est vrai que les Barègeois avaient également de mauvais rapports à l'époque avec le sénéchal et sa cour du juge mage (5). L'on peut se demander néanmoins si de pré- cédentes interventions du "seigneur" de Monblanc concernant le presbytère de I ' archiprêtre n'avaient pas altéré les rapports de la paroisse avec l ' é- vèché. En effet, dans le premier tiers du XVI0 siè- cle noble Odet de Saint Martin de Doumec de Viella était archiprêtre. A sa mort il légua le presbytère ou maison de l ' archiprêtre à Sère à sa nièce, Johanéta de Saint Martin de Doumec de Viella, épouse du seigneur d'Abos, de Saint Pastous et de Monblanc d'Esquieze. Et celle-ci, par testament, retenu le 18 janvier 1541 par le notaire Ramond de Nogué, ordonna que la maison de l ' archiprêtre serait vendue et que sa fille cadette, Bertrane d'Antin, devra avoir 25 écus de la somme qui en proviendra (6) En fait, le presbytère de l'archiprêtre resta dans le domaine de Monblanc, puisque Bertrane d'Antin, précisément, épouse Jean de Lavedan Arcizans, et devenue - à la mort de son frère Jean Jacques - seigneur d'Abos, de Saint Pastous et de Monblanc, l'afferma à Barthélémy de Basa dit Garsiole par acte retenu par le même notaire le 31 janvier 1557 (6) .. , « ». tandis rque" deux archiprêtres se prétendaient normalement pourvu-s du bénéfice archipresbyté- ral : Gaxarnaut de Doumec (appelé "meste") et mossen de Casa de Marsous... et que leurs vi- caires respectifs : Pey de Lassanh capera de Sassis, pour le premier, et Bernard de Mendeu tertiaire de Sassis, pour le second, se dispu- taient le droit de dire la messe à Sère et de faire les processions des litanies des Vics, com- me le relate l'acte de protestations retenu par le même notaire lés 20 et 21 mai 1555 (7). Quoi qu'il en fût, en 1600, les paroissiens de Sère furent tellement heureux d'avoir enfin un pasteur qu'ils en rompirent une cloche à force de la faire virevolter. C'est ce qui résul- te de l'acte d'une convention dressée à Luz le 7 novembre 1601 entre les représentants de la paroisse et Pierre Geaubert, maître fondeur de cloches à Saint Gaudens, à qui ils promet- taient . » . "de donner à faire et à fondre une cloche qu'ils ont rompeue dans l'église de Sère, et de lui payer pour la faction de ladite cloche et autres paines et bacquations que pour ce faire lui conviendra souffrir, la somme de cent escuts petits", outre la nourriture au cours du travail et diverses fournitures (8). Le cas de Sère n'était d'ailleurs pas le seul, puisque Betpouey procéda de même après s'être adressé au Pape, le 8 novembre 1600. On s'explique mieux avec ses exemples la situation qui fut celle du prieuré de l'hôpital de Gavarnie, déjà évoqué (note 1), où les fermiers percevaient dîmes et rentes alors que personne n'assurait le culte. Il en fut de même aux prieu- rés Sainte Marie et Saint Justin. Seul le prieuré de Héas sut mieux garder la permanence du culte à Marie grâce à la dévotion particulière des val- léens et à l'attention plus soutenue de son patron laïque, l'abbadier d'Esterre dit plus tard de Monblanc. Ces abbadiers, fondateurs ou dotateurs de l'église pour sa fondation, furent les seigneurs paroissiaux ayant rang de damoiseaux. Il n'en restait que trois de plein exercice en Barèges au XVI0 siècle : l'abbadier de Sazos, qui tenait aussi l'abbadia de Viscos ; le domenger de Viella qui tenait l'abbadia de Viey-Sers ; et l'abbadier d'Esterre qui l'était aussi d'Esquieze, puisque ces deux communautés ne formaient qu'une seule paroisse. Le grand prieur Toulousain de Malte prieur de Gavarnie et à ce titre patron et décima- teur de Luz et ses annexes, "seigneur régulier", n'était pas abbadier valléen ; il en était de même du prieur de Saint Orens du Lavedan, qui pré- sentait à la cure de Sassis et possèdait le dimai- re de Chèze. Voici en conclusion de ce court chapître sur