Illustration de Julien Mariolle IL N’EXISTE PAS DE FILIÈRE MUSICALE Les Allumés du Jazz communiquent 2 EME LES ALLUMÉS DU JAZZ 3 TRIMESTRE 2012 IL N’EXISTE PAS DE FILIÈRE MUSICALE suivi de APRÈS LE CNM, L’AN 01 ?

Illustration de Johan de Moor COMMUNIQUÉS DES ALLUMÉS DU JAZZ Les Allumés du jazz, comme bien d'autres associations représentatives de la vie musicale, avaient refusé de cautionner la mise en place d'un Centre National de la Musique par un communiqué en février dernier (voir dossier n°29 du Journal Les Allumés du Jazz) . La majorité des membres des Allumés du Jazz s'est prononcée pour la publication le 1er juillet dernier d'un nouveau communiqué intitulé « Il n'existe pas de filière musicale » et un second le 13 septembre dernier « Après le CNM, l'An 01 ? », suite à l'annonce de l'abandon du projet de Centre national de la musique par la Ministre de la culture entraînant une étrange colère des défenseurs du projet. Les opposants au projet du CNM sont des plus nombreux et pourtant la presse, souvent sourde, peine - pour dire le moins - à répercuter leurs points de vue les traitant tout au plus de « bémols » (Sarah Bosquet in Libération le 26 juin). Revoici donc ces deux communiqués.

Il n'existe pas de filière musicale Après le CNM, l'An 01 ? e projet Centre National de la a confusion, les hésitations, les Musique, serait abandonné, on contradictions, les précipités, les ralentis Ls’en réjouira. L’association de relatifs à la création d’un Centre L pré figuration de ce Centre National de National de la Musique exprimés récemment la Musique, elle, conti nuera à être révèlent, si cela était encore nécessaire, entendue, on se demande bien pourquoi l’incongruité d’une telle entreprise totalement et au nom de quelle compétence. inadaptée aux besoins et préoccupations des acteurs musicaux agissant dans les champs dits « indépendants » a uxquels La sinistre aventure du Centre National conviendrait mieux sans doute le mot de de la Musique, entreprise de normalisation « artisans ». faisant émerger un dérisoire concept de « filière musicale », mot béquille Ce projet, en plus de son iniquité manifeste, a dont cha cun se gargarise à foison popularisé une expression particulièrement comme s’il signifiait quelque chose, déplacée et nuisible : « la filière musicale » ; aura atteint un tri ple but : confusion, expression reprise, mimée et dupliquée en désarroi et faux-semblants sont devenus toute hâte par les politiques, les médias et les péni bles atours de nos activités. autres protagonistes trop enclins à ignorer le sens des mots. Comment considérer une industrie qui a À l’exception du fait que la finalité serait été incapable d’imposer le prix unique la duplication de la musique (ce qui reste du disque ou la tva réduite à 5,5%, pour discut able), il n’existe aucun point commun faire de ce disque un objet comparable entre les petits producteurs musicaux que au livre (qui lui bénéficie de ce régime nous sommes et les tenants de ce que l’on depuis 30 ans) ? Comment considérer nomme « industrie musicale » chez qui tous une industrie qui n’a eu de cesse de les défricheurs ont été congédiés, comme il s’em parer des plus petits dénominateurs n’éxiste aucun point com mun entre un communs, brocardant la musique pour petit paysan et les gigantesques groupes des profits toujours plus forts, la agro-alimentaires qui dévorent le monde ou un minimisant à l’extrême, la staracadé - artisan cordonnier et la mégaindustrie de la misant, pour en faire au mieux un objet- chaussure qui fait travailler des enfants pour cadeau de la technologie soudain plus toujours plus de profit. Il existe bien plus de juteuse ? Comment pardonner une rapports entre nous et ce petit paysan et cet industrie, si peu soucieuse de création, artisan cordonnier qu’avec une « industrie qui soudain s’en prend à des gamins- musicale » qui n’a eu de cesse ces pirates pour excuser son infinie dernières années de se vider de l’intérieur et négli gence ? minimiser, ridiculiser, limiter voire étouffer la signification du geste musical. Décidément non ! Comme nous l’écrivions Le 4 avril dernier, un mois avant l’élection dans notre communiqué du 1er juillet *, présidentielle, la création de l’Association de nous n’avons rien à voir avec cette supposée pré figuration du centre national de la musique « filière musicale », nous avons à voir composée de hauts fonctionnaires signifiait la avec le monde, ses joies et ses souf frances, mise en place hâtive du Centre National de la avec tous ceux qui œuvrent en ce sens. Musique. Un des objets de ses statuts est de Là est notre « corporation » ! Là est l’endroit où notre petitesse est grande, où nous « défendre les intérêts communs de la filière ». La consultation des musiciens importa peu. (1) pou vons être reconnus, défendus, aidés. Nous, producteursartisans, agissons en pleine solidarité avec les musiciens, acteurs évi demment essentiels à toute vie musicale, à tout développement et souvent impliqués L’abandon du Centre National de la Musique génère un concert de protestations effarou - eux-mêmes dans le processus de production. Notre travail complète le leur, comme celui chées ou faisant mine. On y reconnaîtra peu de musiciens. Impossible de nous associer à des disquaires indépendants, des associations organisatrices de concerts et de toutes celles ces cris si peu musicaux et vaguement criminels qui prétendent que « La France est en et ceux qui avec peine et enthousiasme continuent à penser la musique comme une retard sur les autres pays qui eux n'ont pas peur du marché, l'ave nir de la culture c'est multi plicité d’expressions, qui savent encore aller vers les gens, jouer, créer, transmettre, le marché ». communiquer et partager. Et puisque jamais des décisions aussi simples que le prix unique du disque, ou la réduction Pour nous, cet abandon est la moindre des choses. Mais la moindre des choses ne permettra de sa tva à 5,5% n’ont été prises par les pouvoirs publics comme e lles l’ont été p our le livre, rien de plus tant que nous ne serons pas considérés pour ce que nous sommes : de véri tables considéré lui comme un objet culturel, nous ne saurions faire office de figurants autour de artisans amoureux de leur authentique métier et conscients de ce qu’il peut encore pour la table de la « filière » et cautionner la mise en oeuvre d’un Centre National de la Musique le monde. bis retardé pour cause d’attente de financement. Ce que nous désirons voir pris en compte, ne pas voir étranglé par la violence des À ce titre, nous souhaitons être entendus, véritablement entendus. contraintes d’une « filière » factice et banalisée, c’est notre différence, notre imagination, notre commentaire poétique, notre audace, notre sens du réel, notre nécessité musicale, notre idée d’un monde meilleur, notre artisanat pour lesquels nous nous dépensons sans compter. Les Allumés du Jazz, le 13 septembre 2012 er Les Allumés du Jazz, le 1 juillet 2012 * « Il n’existe pas de filière musicale » http://www.allumesdujazz.com/Evenements_des_Allumes_59#actews574 (1) Les syndicats de musiciens consultés ont refusé de signer l’accord cadre du 28 février 2012. La grande majorité des musiciens de notre secteur n’adhère à aucun syndicat mais est impliquée dans des structures telles que Les Allumés du Jazz, Grands Formats, l’UMJ etc. Intervue EME 3 LES ALLUMÉS DU JAZZ 3 TRIMESTRE 2012

Entretien de John Holloway par Jean Rochard 1/59 JOHN HOLLOWAY, NOTRE MUSIQUE : CONTRE-ET-AU-DELÀ Illustration de Sylvie Fontaine Philosophe et économiste irlandais, vivant au Chiapas, John Holloway a publié en 2008 Changer le monde sans prendre le pouvoir (Editions Sylepse). « Nous avons p e r d u t o u t e s l e s c e r t i tudes, mais l’ouverture à l’incertitude est centrale pour la révolution. ‘Questionner en marchant’ disent les Zapatistes. Nous nous p o s o n s d e s q u e s - t i o n s n o n p a s s e u l e ment parce que nous ne connaissons pas le chemin, mais aussi parce que mettre en question le chemin fait partie du processus révolu - tionnaire lui- même ». Il nous confie ici ses relations à la musique, ce qu'elle renvoie du monde, ce qu'elle envoie au monde.

age Cet exemple des musiciens de Penser que nous sommes dans théorie révolutionnaire) signifie. Au cours des dernières révolution »... cela pourrait la place Sintagma nous parle-t-il une prison : nous nous asseyo ns Mais les deux activités ne élections présidentielles encore être aussi simple que R de quelque chose de plus en nous disant entre nous : prennent vraiment de sens françaises, les deux cela ? vaste sur le pouvoir de la « N ous sommes en prison, il n'y a que si elles sont formulées en principaux « camps » ont Jouer jazz. musique ? Je le crois. Bien sûr, pas d'issue, nous sommes pris au quelque sorte avec le utilisé à foison le mot Oui, bien sûr. Emma Goldman la musique est réifiée, devient piège ». Même si c’est une réalité, mouvement général d'un « improvisation » c omme une a tellement raison. L'idée Sintagma Square, Athènes, le pour certains la source ce serait fort ennuyeux et très changement radical. insulte. À de nombreuses d'une révolution qui ne danse 15 juin : des nombreuses d'énormes profits et de gains tragique, de s’en tenir là car reprises, François Hollande a pas est à la fois absurde et horrible. images de la bataille entre ridicules, mais sa grande force elle ne tiendrait pas compte Quelle musique aimez-vous dit que Nicolas Sarkozy Les révolutions du XXe siècle police et manifestants, une se est de composer le monde sur du fait que, que nous le personnellement associer à un « improvisait » quand Sarkozy n'ont pas dansé (ou, mieux, démarque. Alors que la police une base différente. Jouer de la voyions ou non, les murs de la « changement radical » ? traitait Hollande « d’improvi- leur danse était subordonnée répète constamment ses musique, c'est s'engager dans prison se referment s ur nous. sateur ». Un musicien me à des choses plus sérieuses) et attaques en balançant les gaz une activité qui tire son sens Et donc penser à la direction Jazz serait la réponse évidente, disait récemment « J'aime il y a probablement peu de lacrymogènes, un groupe de non pas de l'argent, l'improvisation dans la musique, gens maintenant qui souhaiteraient musiciens continue à jouer au mais de sa valeur mais je n'aime pas quand les en avoir fait partie. Une centre de la place. Masques à d'usage, de la qualité choses sont improvisées dans la révolution qui n'est pas gaz sur le visage, ils jouent de ce qui est pro- vie ». Qu'est-ce qui semble amusante n'a guère de sens. encore et encore, répudiant duit. Je suis loin d'être avoir été perdu du contact de avec moquerie la violence un musicien, m ais l'art avec l'improvisation dans La citation de Max Roach, que d'Etat, asymétrie totale, j'imagine que faire la vie (cf. Art of the improvisers j’ignorais, est merveilleuse. transformant la colère en ce choix revient d’Ornette Coleman 1959) ? C'est exactement ce que nous quelque chose de beau : la toujours (ou faisons, tout le temps. Mais il y rage joyeuse, la rage digne. presque toujours) Le problème avec le respect a une négativité qui manque. à remettre l'argent des règles, c'est que nous Nous vivons dans un monde Prenons leur morceau, jouons- à une place savons que les règles sont de laideur, de mensonge, qui le en variations, improvisons, subordonnée : je fausses. Nous savons que les nous attaque sans cesse - un développant les thèmes aussi choisis d'être un règles du monde, les lois du monde dominé par la logique loin que possible, et plus loin musicien, que cela développement social nous du capital, celle de l'argent. encore. Entourés par les ou non m'apporte conduisent à la destruction de Créer quelque chose de beau, nuisibles gaz à l’odeur du mal de l'argent, parce l'humanité. Nous savons aussi c'est rompre, pousser ce réaliste « c’est-ainsi-que-sont- que c'est ce que que toutes les certitudes monde contre-et-au-delà. Nous les-choses », nous jouons, j'aime faire. Les projets révolutionnaires du siècle reprenons nos instruments rendant la musique plus forte, musicaux donnent dernier ont échoué. La pour rompre ce monde étalant les mélodies de la une puissance révolution est urgemment capitaliste en créant des révolte, la musique de la extraordinaire à nécessaire, mais nous ne fissures. Notre révolution est dignité. Nous devrions tous le l'image d'une société savons pas comment la faire, interstitielle, il n'y a pas faire, quelle que soit notre composée sur la nous ne pouvons qu’improviser. d'autres moyens. Nous créons façon, en chantant des base de ce que nous Et c'est exactement ce que les des fissures, interstices de chansons, frappant un voulons faire, une mouvements anticapitalistes beauté dans lesquelles nous tambour, selon ce que nous composition sociale d'aujourd'hui font et doivent disons « Non à la logique du savons faire. C'est ce que j’ai qui vient d'en bas et pratiquer : l'improvisation et capital », dans lesquelles nous l’intention de faire et la seule s’oppose à une l'expérimentation. disons «Non, ici nous allons façon que je connaisse de société de plus en faire les choses d'une manière donner ces conférences. plus profondément Nous pouvons penser au différente, ici on ne doit pas structurée par capitalisme comme processus suivre la partition dictée par Ces trois soirs, je vais jouer un l'homogénéisation et totalitaire, un processus qui l'argent, ici nous allons jouer une certain nombre de morceaux, la force totalitaire de subordonne progressivement musique différente, composer le organisés comme des thèses l'argent. Un conflit tous les aspects de la vie monde d'une manière différente ». ou, mieux, comme thèses- souvent pers onnalisé par les opposée, à la r eche rche d'un en raison de son caractère (humaine et non-humaine) questions. J’annoncerais tiraillement s entre jeunes moyen de sortir, à la recherch e de collectif, expérimental et de aux exigences de la production Simple et pas si simple. Simple chaque chanson comme elle aspirants musiciens et leurs l'absurde, la rupture du capi- l'importance de l'improvisation, de valeurs, à la poursuite du parce que nous le faisons tout vient. affectueux parents préoccupés talisme. Rappeler que la parce que l'initiative ne cesse profit. Planifier et programmer le temps, des millions et des et soucieux : c’est bien que tu musique est de plus en plus de passer d'un instrument à puis supprimer la spontanéité millions d'entre nous, c'est (John Holloway : introduction de sa souhaites jouer de la musique intégrée au système capitaliste, l'autre, parce qu’il ne cesse de joue un rôle capital dans ce notre humanité, notre dignité. conférence à Leeds en Novembre 2011 mon chéri, mais comment de plus en plus réduite à une nous surprendre. Je pense processus. Pas si simple, car nous somme s « Rage against the Rule of Money ») vivras-tu ? représentation souvent à constamment attaqués, contenus, de la rébellion la lutte Le communisme fut réprimés, et parce qu'il doit y Où se trouve la musique dans Est-ce que la musique se est vrai, mais Il y a des millions de contemporaine originellement conçu comme avoir une convergence pour la tourmente ? Tient-elle dresse encore comme une c’est aussi vrai façons expérimentales anticapitaliste substitution du capitalisme par jouer notre musique si toujours ? force d'altérité ? Oui, je le qu’il est vrai comme une totalité différente, une puissamment que, comme à pense. Elle éclate constamment pour les dans lesquelles les étant une société ordonnée de manière Jéricho, les murs s'écroulent. La musique est toujours là, je les limites de la marchandisation. prisonniers gens essaient de forme de cohérente par des lois Et c'est quelque chose que pense, pour un autre monde, Cette marchandisation qui de dire « n ous jazz, un différentes. Je pense que cela nous n'avons pas encore réussi une autre façon de voir les court en permanence après, som mes en prison » . rompre la puissance processus a changé, que l'anticapitalisme à faire, nous ne savons pas choses, une autre façon de les cherchant à la rendre inoffensive La se ule du capital. constant sera mieux perçu comme comment le faire, même si relier. Si on pense aux en y parvenant souvent, mais question d'expéri- mouvement antitotalitaire, un nous savons comment ne pas mus iciens de la place Sintag ma, nous sommes toujours en tête intéressante est de savoir mentation créatrice, une mouvement qui part d'en bas, le faire, que ça n'arrivera pas ils sont évidemment là pour le et ils sont toujours à courir comment nous pouvons p enser poussée permanente contre-et- du particulier. On ne peut par le biais d’un parti ou celui plai sir et l’esprit communautaire. après nous. (et le mettre en pratique) à la au-delà. Mais d'un autre côté, plus suivre un modèle, il n'y a d'une armée. Il n'y a aucune La musique est une force très musique dans l'autre sens, je ne pense pas du tout qu’un pas de partition à jouer. La partition écrite pour la active dans la constitution Mais le capitalisme va de paire dans le cadre d'une évasion style de musique soit plus seule révolution possible est la révolution, tout ce que nous d'un Nous : contre ce monde avec le souhait de dompter apparemment impossible. Les révolutionnaire qu’un autre, révolution que nous inventons pouvons faire est de prendre étra nger fait de gaz lacrymogènes , de tous les signes de rébellion, musiciens de Sintagma Square au moins aussi longtemps qu'il de mille et une façons , la seule nos instruments respectifs et police, où règne l'argent, Nous de les transformer en potentiel sont une source d'inspiration, y aura de la place pour voie à suivre est la multiplicité inventer une grande multiplicité affirme la force du plaisir et financier et les désigner de mais je ne pense pas que la enfreindre les règles, pour des chemins que nous créons de choses, de la beauté surtout celle de la jouissance telle façon que la musique musique doive nécessairement pousser les choses au-delà de en marchant dessus. Jazz. contre-et-au-delà du capitalisme, collective. La musique est ici devienne une représentation être explicitement politique leur territoire attribué. Et danser pendant que nous le un refus visible et audible de de la rébellion plutôt que la pour faire partie du mouvement qu'est-ce que j'aime écouter Le Jazz en effet ! Max Roach faisons. se plier à la logique de l'argen t, rébellion elle-même. Comment anticapitaliste et au-delà. Il y a personnellement quand j'ai a déclaré : « Nous prenons nos du profit. Au milieu même de imaginer l'exemple Sintagma des millions de façons expérimentales vraiment envie d'un peu instruments respectifs et l'oppression et de l'austérité, devenir un élément majeur à dans lesquelles les gens d’inspiration pour écrire un collectivement créons quelque nous refusons d'être des l'époque où la musique essaient de rompre la puissa nce du passage ? Eric Dolphy, Prokofiev chose de beau » et Emma victimes, nous créons un devient mondialement capital. Je suppose que c'est ce ou Linton Kwesi Johnson. Goldman est censée avoir dit : monde fondé sur le principe l’ani mal de compagnie de la que jouer de la musique « Si je ne peux pas danser, je ne de plaisir. technologie ? (ou même écrire des li vres de veux pas faire partie de votre Situations 4 EME LES ALLUMÉS DU JAZZ 3 TRIMESTRE 2012

Texte de Zuca Yan RÉDUCTION EN CHAÎNE Illustration de Jazzi

e nos jours la musique est présente partout – signe de son importance dans la Ainsi la perplexité, à tout le moins, reste de mise face à la découverte d’un nouveau vie mais aussi de son dévoiement en souvent vulgaire produit d’appel et / ou de petit magasin, dans le sud-est parisien, d’une enseigne de produits de moins en moins Dconditionnement à la consommation. Tout en étant elle-même devenue produit culturels mais à plus en plus grande distribution, où l’on constate que le rayon disques de consommation. Pourtant, malgré cette omniprésence, il s’avèrerait que le secteur – plus question désormais de « département » - est réduit à la portion congrue, voire soit en « crise », et depuis bon nombre d’années d’après ce qu’expliquent médias, du incongrue au regard de la tentative de mise en scène de nouveaux produits, à la dimension moins ceux qui en parlent, et « professionnels de la profession ». culturelle certainement assumée…, mais là encore désorientant, s’agissant de Mais qu’a fait le secteur, cette « industrie », contre cette régulière descente aux enfers grille- pain, aspirateurs ou autres cafetières. que serait la décroissance des ventes de disques, et plus encore la baisse du chiffre Certes la réduction de têtes de gondoles ne serait pas forcément la plus mauvaise des d’affaires du secteur puisqu’en réalité, c’est toujours le premier élément, et souvent nouvelles, pour ce qu’elles représentent de réduction de diversité et de concentration l’unique, avancé comme preuve du phénomène ? En fait, on serait même tenté de se de l’offre, n’était la présentation de ce nouveau modèle d’établissement de demander plutôt ce qu’il a fait pour une telle situation. l’enseigne comme mètre étalon de sa nouvelle conception à généraliser à l’ensemble de son réseau, fort de quelques quatre-vingt Pour mémoire, la baisse du chiffre d’affaires du secteur disque magasins dit-on, sauf à sous-estimer la fermeture d’une grande enseigne dite spécialisée a précédé de près de pro chaine de certains d’entre eux – à l’image trois années la baisse effective des volumes de cds d’un cas tout récent de l’autre côté du ven dus, diminution de chiffre d’affaires s’expliquant périphérique nord parisien. alors d’abord par la baisse du prix moyen des Entre cette nouvelle orientation, entraînant disques, certes pas forcément évidente à l’œil (et de fait un premier mouvement de au porte-monnaie) de l’amateur, mais pourtant réduction des surfaces allouées au bien conséquence de la multiplication des disque – au sein duquel le jazz ne opé rations commerciales au sein de la dite pèse qu’entre 5 et 7 % du chiffre chaîne. d’affaires, selon la taille du Dans cette fuite en avant qu’ont été, et magasin – et la volonté de sont encore les opérations commerciales réduire les loyers en cédant en tout genre – désormais davantage de des surfaces commerciales l’ordre d’un sauve-qui-peut aux relents aux dif fé rents bailleurs, cette pavloviens –, dans ces campagnes enseigne au poids non négligeable pro mo tionnelles donc, il s’agit de voir dans la vente des disques l’un des multiples symptômes d’un manque (plus d’un tiers de son secteur de vision tant commerciale qu’éditoriale d’un spécialisé), pourrait bien causer secteur dominé par des compagnies de graves dommages à l’ensemble majeures (disques, distribution et chaîne(s) de « l’industrie ». Avec pour détaillante(s)) qui, à force de n’avoir pas su corollaire la dis parition de bon s’organiser depuis les trois décennies écoulées, nombre des disquaires employés se retrouve gros Jean comme devant dans sa course dont l’expertise et les connaissances effrénée au développement de chiffre d’affaires et auront sans doute bien du mal à trouver dans sa lutte éperdue contre la loi de la baisse leur place parmi les cha toyantes couleurs tendan cielle du taux de profit. des produits d’électro-ménager, mais révélant en Un autre symptôme que l’on peut citer au passage, en lien direct passant un symptôme supplémentaire de la déshérence avec celui sus-mentionné, concerne l’incohérence des « politiques » intellectuelle des décisionnaires, sacrifiant sans vergogne de prix menées depuis près de quinze ans dans les chaînes de magasins où, toute possibilité de transmission de savoir, pourtant au gré des opérations commerciales, le niveau des prix n’a cessé de varier – passant de indis pen sable à la pérennité de toute culture, donc de richesse économique dans le 69 francs pour les premières à 59 puis 49 voire 35 francs, avant d’osciller entre 9.99 € cas d’espèce. et 6.99 € voire 5 € de nos jours, si l’on se laisse tenter par un lot de quatre albums. Ajoutez à cela l’incorporation toujours plus rapide de disques fraîchement parus – deux, Pourtant, à bien y regarder, les parutions restent très nombreuses, nouveautés et rééditions trois ans au départ puis six mois ou moins aujourd’hui – et vous obtenez un amateur à étant davantage portées par des distributeurs indépendants qu’auparavant même si les la fois désorienté et désabusé qui, ayant de plus en plus de difficulté à considérer le majors dominent encore largement, et, en dépit de la crise, les autoproductions n’en disque et la musique comme objet de culture et de finissant pas de fleurir, expression d’un désir désir, va se désintéresser du sujet, les sollicitations 85% des ventes ont eu lieu en magasins, tandis que la créa tif apparemment irrépressible. Sans doute étant toujours plus nombreuses par ailleurs et le poussée du canal internet repose sur une forte aussi, le cercle quelque peu infernal dans lequel porte-monnaie tou jours moins extensible. progression des achats de titres uniques. sont pris les musiciens pour essayer d’exister n’y est Certes, ces quelques éléments, parmi d’autres pas étranger. En effet, pour trouver des concerts, il de la même teneur – réduction de l’of fre en est préférable de pouvoir présenter un disque, et magasins sous la dictature de la vitesse de rotation des stocks, dégradation qualitative pour trouver un label, qui devrait produire un disque, il est bon d’avoir des concerts… des conditions d’écoute sous les coups de boutoirs de la miniaturisation technologique Au-delà du paradoxe, dont le poids repose sur les musiciens pourtant à l’origine de tout, et de l’imposition d’un nouveau standard de reproduction sonore, le mp3, pourtant il apparaît que plus grand monde ne souhaite prendre de « risques », ni organisateurs inférieur au CD… - ces quelques éléments donc, n’ont jamais été avancés pour de concerts, ni producteurs – tous ? Enfin, pas tout à fait… puisqu’une poignée expliquer l’évolution de la situation, cette dernière trouvant dans l’émergence d’irré ductibles a entrepris de s’organiser, allant même jusqu’à faire exister un journal d’internet et du téléchargement, illégal notamment, son argument massue, où d’assez inhabituelles musiques et idées peuvent se faire entendre. écra sant tout sur son passage, à la manière d’un bon vieux mammouth, qui d’ailleurs Cependant, cette nécessité économique s’imposant aux musiciens, ne fait pas forcément en son temps écrasa aussi les prix. nécessité artistique – mais cela se constate aussi au sein d’un label, quelle que soit sa taille – et contribue à alimenter une offre finalement assez pléthorique, dont la qualité Pourtant, au regard du bilan du secteur de l’an dernier, encore plus de 85% des ventes diverse n’est pas forcément pointée par les différents prescripteurs de la chaîne menant ont eu lieu en magasins, tandis que la poussée du canal internet repose sur une forte des musiciens aux amateurs – c’est-à-dire des relais journalistiques, presse écrite et progression des achats de titres uniques. Où l’on voit le poids, et l’importance, des audiovisuelle, aux disquaires. choix qui seront faits dans les mois à venir chez les revendeurs « en dur ». Répartis essentiellement entre grande(s) surfaces spécialisée(s) et grande distribution – Une fois encore, la perception de l’objet musical d’une part, et le choix d’autre part, respectivement bientôt 60% et 30% - les décisions des grands visionnaires à la tête seront pour les amateurs, mis à rude épreuve. Cependant vu la détermination de bon de ces enseignes risquent de peser lourdement sur l’économie du secteur, et peut-être nombre d’entre eux, fréquentant encore assidûment les échoppes, il n’est pas écrit que, avant même que les maisons de disques domi nantes n’aient pris de décisions quant tant la crise, que « l’industrie » du disque elle-même, parviendront à décourager définitivement à leur manière de travailler, c’est-à-dire vendre, le support physique. les amoureux de la musique et des disques de leur envie d’assouvir leurs désirs. Le jour... et la nuit EME 5 LES ALLUMÉS DU JAZZ 3 TRIMESTRE 2012

Texte de Jean de Grèce Illustration de Rocco COLD FACTS

« C’est ainsi que je considère que c’est à moi, senpiternel Jazz suite malade, à guérir tous les médecins » Antonin Artaud La surmédiatisation de Miles Davis, ses prêtres et ses marchands du temple ont fini par rendre le grand musicien presqu’inécoutable, comme lorsqu’une Fait divers compagnie d’assurance s’empare de la Suite pour orchestre de jazz n° 2 de Дмитрий Дмитриевич Шостакович n jeune producteur de disques s’est (Dmitri Chostakovitch ). Pour entendre encore les immolé en public alors qu’il présentait merveilles de In Person Friday Night at the Blackhawk et Usa dernière p roduction. Le geste n’a pas In Person Saturday Night at the Blackhawk (autrement été très bien compris. Le type donnait l’impression pas sionnants que Kind of Blue ) ou les beautés de d’être heureux dans la musique ; pas de grands Milestones , il faut être capable d’une force d’abstraction succès, mais des disques honorables. Sa mort n’a considérable. Mais les clowns blancs n’ont que faire de guère créé d’émotion, si ce n’est dans une petite telles considérations, ils sont à la page et la page dit île du Pacifique, sujette aux tempêtes, où les que la musique n’est qu’un bien consommable, une albums de sa maison étaient particulièrement affaire d’assimilation ; ils sont à la pièce et la pièce est appréciés. On le disait naïf. Pas d’article, pas de une enceinte. Иосиф Сталин (Joseph Staline ) avait nécro, pourquoi faire d’ailleurs au moment où violemment condamné Леди Макбет Мценского уезда même les regrets ne sont plus côtés à la bourse (Lady Macbeth de Mtsensk ) de Дмитрий Дмитриевич de la nouvelle intelligence, de ses nouveaux formats ? Шостакович (Dmitri Chostakovitch ). « Le Chaos Il y a d’autres urgences que de parler des morts remplace la musique » (La Pravda 28 janvier 1936 ). La qui ne rapportent rien, d’autres urgences que de terreur s’installa. Chostakovitch pensera à se tuer. parler des vivants aussi. Il y a urgence à parler des Chercher la trappe… s’évader… urgences et les urgences consistent à tout sceller dans des listes dont vous ne pourrez plus jamais Parenthèse : l’histoire de Rodriguez vous échapper. Pour votre plus grand confort. Éloquent ce passage du film du suédois Malik La ferme les animaux ! Bendjelloul Searching for Sugar Man , où à Cape Town (Afrique du Sud), dans les archives du temps de - Vous aimez le jazz ? Ecoutez Kind of Blue . Ça l’Apartheid, on voit l’exemplaire radio du disque de ne vous dit pas ? Mais vous êtes un con mon Rodriguez Cold Fact avec les plages « politiques » délibérément vieux ! Allez va, on a des solutions de rechange ! est revenu dans ses bureaux un revolver à la main et a rayées afin qu’elles ne soient pas jouées. Rodriguez On est en démocratie ha ! ha ! ha ! Pour vous, on fait des cendu son patron ainsi que quatre autres personnes est un chanteur de Detroit (Michigan) qui n’a pas eu le toujours le maximum. Voilà quelques listes de repêchage… avant de se donner la mort pour solde de tout compte. moindre succès ni aux Etats-Unis d’Amérique, ni en Europe, Et puis pour vous faire marrer (on ne rêve plus, on se Une sorte d’histoire qui devient presque banale. La crise à la sortie de deux albums d’évidente munificence Cold Fact et marre !), vous en trouverez même une des meilleurs de 1929 et la grande dépression avaient engendré des Coming from Reality . Un jeune américain apporte un jour albums jamais réalisés avec les cri tiques qui vont avec. gangsters d’une certaine stature, John Dillinger, Machine Cold Fact à un copain en Afrique du Sud alors très fermée, - Quoi ? Gun Kelly, Clyde Barrow, Bonnie Parker, Pretty Boy Floyd en plein Apartheid. Le disque y circule comme une traînée - Oui ça veut dire « des disques qui n’ont jamais existé ». ou Homer Van Meter par exemple, dont la spécialité était de pou dre révélant à la jeunesse blanche que la musique - Quoi ? de braquer les banques. La dépression actuelle fabrique pouvait aussi l’aider à se révolter contre le pouvoir raciste. - Mais on s’en fout mon vieux, on fantasme ! des dépressifs et des suicidés, contredisant sans cesse la Il y est publié en 1974 et s’y vend considérablement (plus - Alors au fond pour rejoindre mes rêves, il vaut mieux ne puissance inventive de la vie en recul permanent. de 500 000 exemplaires), plus qu’Elvis Presley, plus que les pas exister… Rolling Stones sans que personne (ou presque ne soit au - So what ! On est dans le virtuel ! Et maintenant courant). On dit Rodriguez suicidé, sur scène en dégage ! Tue-toi si tu veux. On n’en a rien à foutre. « Pas de bien portant qui n’ait un jour trahi, s’immolant en public lors d’un concert déprimant pour n’avoir pas voulu être malade » où rien n’allait. Deux fans sud-africains ne peuvent Prolétaires, sauvons-nous nous-mêmes croire à cette mort, ils partent à sa recherche, guidés (Antonin Artaud) par les paroles des chansons et finissent, au terme Δημήτρης Χριστούλας (Dimitris Christoulas ), pharmacien d’une longue enquête, par le retrouver à Detroit où il retraité s'est donné la mort à 77 ans le 4 avril dernier, travaille alors dans une entreprise de démolition, bien vivant. place de la Constitution, à Athènes (Grèce) en criant : Convulsions (CNM) Rodriguez, mexicain immigré, revendiquant en toute « Je ne veux pas laisser de dettes à mes enfants !" avant d'appuyer dignité son appartenance à la classe ouvrière finit par sur la gâchette. Il a laissé cette terrible lettre : "Le gouvernement Une bande de clowns blancs se lamente autour du défunt jouer en Afrique du Sud en 1998 pour six concerts devant d'occupation a littéralement anéanti la possibilité de ma survie, Centre National de la Musique, une invention diabolique des foules en délire. Ça a l’air tout simple pour lui, basée sur une pension décente pour laquelle j'ai cotisé, depuis 35 touchée par une forme de maladie si contagieuse qu’elle comme d’être sur le chantier. Searching for Sugar Man lui ans (sans l'aide de l'Etat). Je suis à un âge qui ne me permet plus pourrait affecter la musique elle-même. Les clowns blancs rend joliment hommage, pointant un de ces petits miracles de répondre individuellement (et pourtant si un Grec avait pris ont bon espoir, ils se moquent des Augustes qui dansent et dont le monde contemporain semble incapable, un une Kalaschnikof, j'aurais été le second). Je n'ai pas trouvé se réjouissent du monstre mis à bas, ils n’ont sans doute monde qui n’a même plus besoin de rayer les disques d'autre solution pour avoir une fin décente avant d'avoir à faire pas tort car le cadavre bouge encore et les clowns blancs pour qu’ils ne passent plus. les poubelles pour me nourrir. J'espère que les jeunes sans futur, ont encore droit au tapis rouge que leur offrent presse et prendront un jour les armes et pendront par les pieds comme traîtres les politiciens, fameux jumeaux de la chicorée. L’avenir de la Epilogue, politiciens sur la place de la Constitution comme les Italiens l'ont musique serait pour ces gens en une seule enceinte, un fait en 1945 à Mussolini. » territoire promis qui ressemble à une réserve indienne Tous les morts et les vivants de cette chronique sont dont la surface se réduit comme peau de chagrin avec authentiques à l’exception du producteur de l’introduction dis tribution de couvertures infectées par la variole. qui ne s’est en fait pas suicidé, il n’a pas passé son examen Pôle emploi Chercher la trappe… s’évader… d’entrée dans la police nationale mais travaille simplement dans une administration où il s’ennuie à mourir. Le 26 septembre à Minneapolis (Minnesota), Andrew Engeldinger, 36 ans, qui venait d’être viré de son boulot, Pierre qui roule 6 EME LES ALLUMÉS DU JAZZ 3 TRIMESTRE 2012

Texte de Jean-Louis Wiart TAKE THE AAA TRAIN Illustration de Jeanne Puchol

’austérité est sur nous. Nous ne sommes cependant nullement pris au dépourvu s’agissant oreilles d’amateurs qui considèrent encore aujourd’hui que même sans donner dans le luxe, il d’une vieille connaissance. Je parle du monde des petits labels indépendants évidemment, qui est pri mordial d’échapper, et ce par tous les moyens y compris modestes, à la sinistre réduction sonore Ln’a pas eu besoin d’attendre la crise pour souffrir financièrement. La différence, c’est qu’une du MP3. Cette approche constituerait par ailleurs un pied de nez réjouissant à une société technicienne récession presque annoncée devra nous conduire à encore plus d’efforts pour dépenser moins sans qui, outre qu’elle promeut constamment ce dont nous n’avons en fait pas vraiment besoin, nous fait pour autant gagner plus. Dur de faire campagne et d’inspirer confiance à la population avec un tel slogan. croire qu’il y a progrès voire révolution, alors que l’essentiel (je veux dire le fond, le mot qui fâche est Au moment où ces quelques lignes sont écrites, les agences de notation tiennent encore entre leurs lâché) est en régression, ou a tout le moins n’évolue pas. Je me souviens avec amusement d’une mains le fameux AAA dont aujourd’hui plus personne n’ignore l’importance. Nous savons que dans connaissance qui achetait régulièrement des modèles d’enceintes de plus en plus performantes donc le meilleur des cas un AA+ presque infamant nous guette, mais le délai de parution de notre cher de plus en plus coûteuses (avec l’intense satisfaction de faire éclater les vitres d’une vaste maison de journal permettra sans nul doute au lecteur d’avoir largement la réponse au moment où il lit ces famille heureusement en rase campagne) et qui le contraignaient paraît-il à n’acquérir que quelques lignes : c’est dire les risques encourus par ses rédacteurs au moment où ils prennent la des enre gistrements présentant toutes les garanties techniques (le son pur disait-il d’un air extasié !) plume. Nous souhaitons cependant n’être aucunement ennuyeux, conscients que la plupart des amateurs pour être compatibles voire tout simplement dignes du matériel en place. Il était alors parfaitement de jazz sont infiniment plus familiers avec le AABA cotation à ce jour encore inédite au niveau des vain d’expliquer à cet intégriste musical qu’un enre gistrement de Richter avec un peu de souffle agences de notation, et préfèrent à juste titre Moody James à Moody’s tout court. Il nous faut était infiniment plus « grand », plus émouvant que le son aseptisé d’un obscur pianiste finlandais qui néanmoins leur demander instamment de faire un effort, même si nous sommes convaincus que au passage massacrait le répertoire. les chif fres nous trompent. Nous savons bien qu’ils sont les instruments d’une gigantesque partie de Donc l’austérité, et ce qu’elle entraîne, n’est pas incompatible avec l’art dès l’instant qu’on n’a pas poker menteur, à commencer par l’affichage de taux de croissance prévisionnels dont personne n’est perdu de vue l’essentiel. Quand on accède au génie, on peut même dire que l’art efface tout y par définition en mesure de certifier la fiabilité. La construction des budgets qui en découle est donc com pris ce qui chez le commun des mortels pourrait être considéré comme un défaut (répétitions un château de cartes que le moindre coup de vent peut emporter. Gavé d’informations et d’analyses chez Schubert, négligences de style chez Stendhal etc., la liste est longue) voire perçu comme une en tous genres, voilà ce que l’homme de la rue est doctement en mesure d’affirmer aujourd’hui. contrainte insurmontable, moyens dérisoires malgré lesquels un grand metteur en scène est souvent L’amateur de jazz considère lui qu’avec le AABA, l’improvisation a aussi toute sa place, mais qu’au capable de faire illusion. Pour perpétuer le souci permanent du conseil pratique qui anime ce moins la route est tracée. Avec en prime, et ça peut servir quand ça tourne mal, un pont ! journal, je ne saurai trop vous recommander d’acquérir le DVD qui vient de ressusciter un film Le jazz a toujours eu des difficultés avec l’argent. Il en circule d’ailleurs assez peu dans cet univers à sur prenant d’Anthony Mann et qui s’intitule Le livre noir . Truffé d’erreurs historiques, mais c’est sans l’exception de quelques stars privilégiées. Pour importance, il brosse avec un budget de toute la majo rité des acteurs concernés, la notoriété elle- évi dence dérisoire, une fresque assez hallucinante de même ne met pas à l’abri du besoin, c’est-à-dire même la « Terreur » (où Robespierre adresse un impérissable parfois de la rue, les exemples sont finalement assez « don’t call me Max ! » à un interlocuteur qui ose ne nombreux. Les jazzmen en herbe qui souhaitent devenir pas lui donner du Maximilien). musiciens et s’intéressent à l’économie peuvent dès maintenant croiser les doigts pour que la prédiction Et puis, l’austérité recouvrant également le « triste et du grand John Maynard Keynes se vérifie. Il est mort froid », j’ai envie de rappeler que le numérique est depuis plus de soixante ans mais avait annoncé la fin également sur nous. Avec au-delà d’une qualité de l’économie pour... 2030 (sou venez-vous, nous sonore évidente, tout son cortège de renoncements à avions déjà évoqué cette échéance, nous y reviendrons commencer par la disparition de tout support le moment venu). Je sais pertinemment que notre phy sique. Nous vivons des temps où l’on prend avant géné ration a déjà enjambé allègrement bien des dates tout le soin de « défaire », comme si l’on cherchait à célèbres ou réputées fatidiques (1984, 2001 faire disparaître des traces, à détruire, et ce dans bien notam ment, si l’on fait l’impasse sur les dates de fin des domaines. On promeut le changement bien du monde régulièrement annoncées dont le 12 davantage par « bougisme » ou par paresse, voire décembre 2012 prédit par les Mayas, échéance démentie parce que l’on n’a en fait plus rien de vraiment neuf très exactement hier après la découverte de plus anciens à dire. L’orthographe est ainsi simplifiée et le pur calendriers qui vont au-delà de l’an 3500 !). Pour scan dale, j’en appelle vraiment à tous nos lecteurs, que l’échéance 2030, c’est quelque peu différent car représente le remplacement du sensuel et mys térieux l’es poir est ailleurs. En effet, ce cher Keynes a prédit nénuphar au grotesque nénufar (qui, le bougre, a sans sourciller l’existence d’un monde où l’on s’intéres - pourtant tenu le haut du pavé dans les dictionnaires sera vraiment à la vie dans la Cité, à l’éducation, à la du dix-huitième siècle !) est passé pratiquement culture, et cerise sur le gâteau, au culte de l’amitié. inaperçu. La phi losophie, qui chez les Grecs (triple Pas moins. Le jazz, qui n’est pas cité mais pré sente B à cause de la dette, pur scandale alors que le incontestablement toutes les garanties d’un bon monde entier leur doit l’invention de cette discipline vec teur, a donc un avenir possible. majeure), constituait un guide du comportement, a Peut-être qu’à l’instar des constructeurs automobiles, désormais fait place à la « déconstruction », le projet de faire régulièrement des disques vraiment l’ar chitecture au « déconstructivisme », la cuisine à la « low-cost » va désormais s’imposer et devenir la règle. « déstructuration » du produit, il est donc naturel La régie Renault a récemment évoqué la possibilité de que le disque soit à son tour contesté sous sa forme construire une voiture autour de 2500 euros, à nous habituelle. Passé du vinyl, donc déjà sensiblement de jouer ! Il faut savoir qu’on peut toujours réaliser un réduit avec l’arrivée du cd dans les années 80, il enregistrement pour une somme relativement échappe désormais au toucher comme le livre modique hormis les frais de reproduction mécanique numé rique. C’est peut-être ici que réside le plus (donc la Sacem) et de pressage évidemment puisque grand danger sachant qu’il n’est évi demment pas l’un est le passeport de l’autre. Un pavillon de question de refuser un pro grès technique qui dans banlieue ou un lieu de concert prêté gracieusement, le domaine musical a permis à la lutherie de caresser un ami bénévole un peu ingénieur du son et capable plus harmonieusement nos oreilles en enrichissant, en de jongler avec des moyens mobiles, des musiciens que « nettoyant » la palette sonore (j’entends quelques l’on ne paye pas, un piano même droit et pas nécessairement baroqueux maugréer mais je ne varierai pas d’un récemment accordé, constituent un cas de figure de pouce sur le sujet). Le toucher, faut-il le rappeler est départ prometteur à défaut d’être exaltant. en effet le plus important des cinq sens. Il est le Evidemment, il faudra également rogner sur de multiples premier qu’expé rimente l’embryon. Aristote disait frais annexes, nourriture impérativement préparée à qu’au niveau des sens nous étions inférieurs à l’avance dans un contexte de préférence familial et à beau coup d’animaux, mais que pour le toucher pren dre sur place, utilisation d’un véhicule personnel nous les sur passions tous en acuité ce qui faisait de adapté pour tout déplacement (le break est impératif nous les plus intelligents. C’est le toucher qui si l’on tient absolument à la participation d’un contrebassiste entraîne le désir, donc toute la chaîne de la vie. qui, on le sait, exige au plan ferroviaire la première Selon la formule de Raymond Aron, les hommes classe en raison de l’encombrement lié à l’instrument). continuent donc à faire leur histoire sans savoir Par l’économie qu’il fait réaliser sur les frais de l’his toire qu’ils font. studio, l’enre gistrement effectué « live » peut au Au risque de passer pour réactionnaire et sans passage consti tuer une formule très intéressante vou loir créer une nouvelle secte d’indignés, il est et donc à géné raliser. Il est juste utile de donc capital de résister, à la mesure du courage, des rappeler une évi dence, à savoir que s’il s’agit d’un concert unique, les musiciens auront évi dem - moyens, des idéaux de chacun. Le champ est vaste. On peut imaginer dans une manifestation un ment intérêt à être bons du pre mier coup et la qualité du son à peu près correcte, même s’il y a « NENUPHAR FOR EVER » par exemple. Il constituerait sur une bannière un cri symbolique certes encore parfois d’incorrigibles rêveurs sur la phase ultérieure du mixage. Et puis, d’une manière modeste, mais éminemment sympathique. Au passage, comme on a quasiment sous la main un titre géné rale et pour boucler sur ce chapitre des coûts, le verbe mutualiser a sans doute par la force des de standard, cela mériterait peut-être qu’un lecteur-musicien en compose le thème. Et puis à celles et choses de belles années devant lui. L’austérité peut avoir du bon, ne serait-ce que pour nous ceux qui estimeraient que l’irruption d’une plante aquatique ne fait pas sérieux dans un univers confir mer au moins une chose : produire autrement passe peut-être aussi par une aventure contestataire, je voudrais rappeler une vérité histo rique que nous a enseignée un passé somme plus col lective. toute récent : nous vivons dans un monde où même les œillets sont capables de faire la révolution ! Après tout, une musique captée « à l’économie » véritablement vivante, sans apprêt, peut séduire les Entrevue EME 7 LES ALLUMÉS DU JAZZ 3 TRIMESTRE 2012

Interview de Ramuntcho Matta par Pablo Cueco Illustrations de Ramuntcho Matta UN RAMUNTCHO BIEN LOTI

De la poésie sonore de Brion Gysin au projet libérateur de Lizières, le parcours de Ramuntcho Matta, musicien, producteur, plasticien est une véritable carte aux trésors où l'on ren - contre quelques-uns des très beaux indicateurs de ce qui a fait la musique populaire autant que celle qui cherche ces dernières années... et ce n'est pas tout.

usicien, plasticien, producteur ? Sometimes, Panarea, Lizières ? Coltrane et Mompou. Une des questions pour c'est l'empêcher de se réaliser. Prenons la Dès ma naissance la « famille » Matta s'exilait moi, c'est : ai-je besoin de faire cela ? Ai-je musique : la note jouée produit un effet mais M début juin à Panarea, petite île éolienne sans envie de ce besoin ? Ai-je besoin de cette envie ? pas toujours une puissance. Cette dernière Masticiens, j'adore mâcher les aliments sonores, voitures ni électricité (cette dernière est arrivée Quand la main bouge, cela vient du coude, de provient de ce que notre cerveau en fait. physique et temporels. Et j'aime aussi transformer en 1986). Cet exil était surtout économique : l'épaule, de la colonne, de la hanche, de la Pour le projet Lizières, nous avons bien travaillé une intention en objet/sujet. Le dessin est le rien à acheter là-bas. Le matin tôt, le Panaréen jambe, du pied ? Et avant le pied qu'est-ce qu'il l'espace complémentaire. Cela fonctionne un seul espace qui me permet d'écouter la musique pêche puis bêche sa terre volcanique aride et y a ? Aujourd'hui je crois en une pratique du peu comme un complément alimentaire : nous des autres. ingrate. Le déjeuner est léger : langoustes, corps, une écoute du corps afin d'enrichir nos avons dans la cabine de mix les technologies tor tues, tomates et olives. L'après-midi, c'est la palettes perceptives. L'enseignement nécessaires à la simulation spatiotemporelle et John Cage, Don Cherry, Lou Reed ? sieste. Puis se prépare le soir. Soit de la aujourd'hui pour moi passe par cela... Lorsqu'on dans les espaces d'enregistrements toutes sortes J'ai rencontré vraiment John Cage en 78 musique et de la danse avec des tarentelles mange, qu'est-ce qui nous nourrit ? de surfaces réfléchissantes pour permettre aux lorsqu'il m'a demandé d'enregistrer « Empty endiablées ou alors des spectacles de marionnettes. manifestations acoustiques de se révéler. Words » au théâtre de l'Athénée. J'avais mal fixé Tout cela pour dire que l'individu, l'indivisé, est Le succès, le doute, l'avenir ? Mais tout cela ne serait rien si ces espaces le plateau, durant une bonne partie de la naturellement « multiple ». Le monde capitaliste Je suis une véritable prise de tête, une espèce d'enregistrements n'étaient pas des espaces de perfor mance, on entend grouinch grouinch.... a voulu nous réduire à une fonction ; c'est pour de plasticien de l'oreille : derrière chaque vie : un salon, une cuisine, une salle J'ai le seul enregistrement de John Cage où il cela que la société explose : où est la jouissance mor ceau de musique, comme derrière chaque d'exercices… Tout comme une sculpture ou une tente de lutter contre la pulsation. A un moment d'être ? Où est la place de chacun ? D'où l'initiative expo, il y a une histoire. peinture va modifier l'espace : ce qu'on y fait, donné, ne pouvant plus résister, il se met dans de créer une structure, SometimeStudio, pour C'est John Cage qui me pousse à faire des ceux qui y viennent, chargent l'endroit d'une le Groove... Le Revox groove. En 79 alors à New tout ce qu'on entreprend parfois. À la fois un chan sons. Il pense que c'est une occasion de mémoire vive. Les effets électroniques simulent York... il m'a demandé de venir trois fois par label où l'on peut écouter des documents transmettre des pensées philosophiques. Alors, un espace artificiel, mais il ne faut pas oublier semaine arroser les plantes... Après quelques histo riques (les balbutiements de Jon Appleton, comment faire de la musique qui « dé-formate », que c'est un leurre. Le leurre est intéressant, semaines, je lui demande : « Et la musique l'inventeur du synclavier, les « poétiques » de de la musique qui ouvre ? J'écoute Meredith mais il faut en avoir conscience afin que cela John ? » et il me dit : « ah, je vois que tu es Larry Wendt...), des surprises de Simon Spang Monk, un morceau qui fait « youyouyouyouyou » devienne important dans ce qu'on a à dire et prêt à apprendre à faire le thé... ». Si on ne fait Hansen ou Hiroko Komiya (percussionniste je traduis littéralement par « toi toi toit » et à vivre. Don Cherry disait que la musique pas ce qu'on a à faire avec plaisir, cela se res - japo naise qui se joue des objets du quotidien) voilà un refrain. Comment faire une urbanité électronique repousse et l'acoustique attire, il sentira dans l'intention de son travail. J'ai ou encore des projets pour enfants... C'est une planétaire ? Je travaille dès 1983 avec est plaisant de jouer avec les deux. L'avenir est ren contré Don Cherry, dans la rue. A l'angle du maison d'édition qui édite avant Guillermo Fellove, trom - donc cette cohabitation entre numérique et boulevard Raspail et de la rue Delambre. J'avais tout des choses par besoin de Le véritable succès pettiste cubain, Cacau, émotionnel. Quand je pense à Don, John and un mélodica dans la main et lui aussi. Il est plaisir et non par obligation saxophoniste brésilien, Lou… ça m’offre une magnifique palette de venu vers moi et m'a demandé ce que je faisais : phy nanciaires, comme dirait c'est aujourd'hui, c'est Negrito Transante qui joue possibles humains. Un mélange d'écoutes et « Pas grand-chose » j'ai dit. Il m'a proposé d'aller Jarry. SometimeStudio est aussi faire de chaque des batas, Jannick Top, le d'optimisations. Il n'y aucune obligation à se dans sa chambre d'hôtel pour faire un peu de une vitrine rue Saint-Claude à caméléon de la basse. On soumettre au réel, mais parfois un prix à payer musique. Il a tenté de me faire comprendre le où donner à voir des journée une avancée. fait des musiques de pour poursuivre son évolution : entre les système harmolodique d'Ornette Coleman... démarches : parfois un musicien films, de danses, et des vestiges du passé et un certain vertige du futur, Avec beaucoup de patience… Mon frère Gordon prend des photos, un architecte improvisations... Lorsque un risque à prendre, à embrasser. Cela passe m'a initié à Lou Reed lorsque j’avais 12 ans. Il fait des jouets, un peintre chante... je tombe amoureux d’Elli Medeiros, je repense à par l'abîme d'être soi. Comme nager dans la m'a fait comprendre qu'il y a deux catégories de SometimeStudio est aussi une structure éditant la proposition de John Cage et naît cette tempête, saisir les courants porteurs. musique : celle qui est faite pour séduire et des publications avec le Centre de Cultures et chan son. Comme les scènes de ménage, formidables gagner de l'argent et l'autre, plus profonde, plus de Ressources Lizières, lieu multistrates situé a Il a fallu trois ans d'insistance et de patience entraînements pour nos flexibilités conceptuelles. importante qui se reconnaît car on ressent la 85 kilomètres de Paris avec un studio d'enregis - pour trouver les bonnes personnes : Philippe Dans une activité physique : c'est mieux de travailler à généalogie de ses sources. Dans Lou Reed, on trement résidentiel (6 chambres) et la possibilité Constantin chez Barclay, Alain Maneval sur la fois la souplesse et la musculature. Dans la musique : entend la vérité du blues, la sincérité d'une de petits concerts : lieu en partage où l'on radio cité future et le morceau a pris. Un tube le son et le silence. forme épurée. L'intelligence de la rue associée à peut aussi croi ser des gens en périodes de apporte surtout une grande quantité de la rigueur de Dante, James Joyce et... soi-même, transition qui ont besoin de se ressourcer. malen tendus, mais j'ai pensé qu’une ouverture Une espèce d'écho miroir. était possible. Cela m'a permis de faire, entre La guitare, l'apprentissage, l'enseignement ? autres, un disque que Don Cherry voulait faire John Cage est un compositeur américain que l’on Roberto, Gordon, Ramuntcho ? Hum, la guitare se hume, je m'approche et depuis longtemps : un disque de chansons. Cela pour rait qualifier de déterminant Roberto avait l'âge d'être mon grand-père à ma j'es saie de ressentir si c'est le moment. Le m'a permis aussi de tra vailler avec de Don Cherry est un trompettiste génial Lou Reed est une pop star qui a l’air sympa et ne se naissance. Gordon d'être mon père. Quant à moment d'être dans « l'espace son », « d’élastiser » fascinants ingénieurs du son et d'apprendre, démode pas moi, j'avais bien l'intention de devenir vieux le temps avec l'outil musique. apprendre à prendre. Parmi les moments Roberto Matta , 1911-2002, père entre autres de sans jamais être adulte... J'ai commencé la guitare un peu par accident, gratifiants, il y a un concert devant 200 000 Ramuntcho et de Gordon, est un artiste majeur du La famille n'a pas grand-chose à voir avec la je devais avoir 7 ans ou 9. L'amant de ma mère personnes à Vincennes et aussi lorsque les XXème siècle. biologie. On est père, frère, soeur si on a une était guitariste de tango. Elle ne pouvait pas lui étu diants ont repris la mélodie pour dire : « toit Gordon Matta-Clark, 1943-1978, est un artiste américain at titude de père, frère ou soeur... On peut choisir donner d'argent sans prétextes. J'étais le toi la loi, toi toi, tu ne passeras pas ». Mais le connu pour ses œuvres sur site spécifique notamment sa famille et en changer à volonté... Don pré texte. L'apprentissage passe, pour moi, par succès est une carotte d'âne. Le véritable succès, les « coupes d’immeubles »… Cherry disait qu'on est les parents de tous les une multitude de détours. J'ai eu besoin de la c'est, aujourd'hui, faire de chaque journée une SometimeStudio est aussi un label membre des Allumés du jazz enfants du monde... Brion Gysin, qu'il faut surtout nuit avant de passer, avec Don, à l'énergie du avancée. Un jour, une école d’art m'appelle pour Panarea est une île sicilienne où la famille Matta a éloigner les enfants des parents biologiques et jour. Et puis je me suis rendu compte que si je me proposer de devenir prof. Moi qui ai arrêté quelques attaches Albert Einstein : « À voir ce que les adultes ont n'étais pas « nourri » par le réel de ma journée, l'école à 12 ans… C'est justement ce qui les Lizières est la dernière folie de Ramuntcho fait de la planète, c'est quand même étonnant mes rencontres, lectures, écoutes, ma pratique intéresse. Prof de quoi ? Choisissez. Alors pour (mais pro bablement pas l’ultime) qu'on continue à leur donner l'éducation des musicale étaient creuses... L’autisme de la m'en débarrasser je dis « OK, je veux bien être P.C. enfants ». Roberto m'a donné pas mal pratique quotidienne de l'instrument est prof de doute »... silence puis « OK, on vous d'emmer dements, mais aussi quelques clefs indis pensable. Mais cet autisme est un « être prépare un contrat ». Une boutade est devenue comme : une gymnastique de la chance, le avec le monde », il y a autant de mondes que une vraie responsabilité. J'ai réalisé que le seul véritable moteur, c'est l'amitié, ne jamais travailler d'individus... La musique est avant tout un point commun entre tous les personnages que plus d’une heure d'affilée sur un même sujet... « possible », un territoire où les timbres sont les j'ai côtoyés était peut-être une gestion du doute. et puis l'atelier... Gordon m'a fait le cadeau de contours d'une géographie mouvante. La rigueur L'école, c'est avant tout une simulation du réel. partir pour mes 18 ans. Il est devenu ainsi une est pour moi le moteur car je ne suis absolument À force de simuler, on affûte un monde de simu - Disques de Ramuntcho Matta en vente aux Allumés espèce d'ange gardien. Parfois lorsque je doute, pas doué. La musique est avant tout un espace- lations. Mais comprendre le phénomène, ce n'est du Jazz : je me dis « Et lui ? Qu'aurait-il fait de cette temps où je me sens en contact avec une partie pas construire des concepts « rationalisés » afin Atta - (sometimeStudio maat013) situation ? ». Il est formidablement « déplaçant »... de moi qui, parfois, me présente à une autre d'expliquer. La société est pathogène aussi à Happy Ends - (sometimeStudio maat019) Quant à Ramuntcho, je m'y habi tue... Avoir un partie de moi. Pour cela, pratiquer l'écoute du cause de cette contradiction première. Une prénom de clown prédispose à un décalage… quotidien et des amis et aussi importante que chose est toujours multiple, vouloir la réduire, 8 Échoppe à galettes EME LES ALLUMÉS DU JAZZ 3 TRIMESTRE 2012

ARLES : DISQUAIRE ET AMAP CULTURELLE

A Arles nous avons rencontré Jean Colomina et Catherine Le Guellant, disquaires et promoteurs d'une initiative neuve et originale dans le champ culturel.

Entretien de Jean-Paul Ricard Photo de Bernard Coron Illustration de Pic

organise des concerts gratuits dans la rue, entre midi et 14 heures. C'est bourré, les gens sont de plus en plus contents, il y a une qualité d'écoute monumentale. Nous intervenons sur la programmation et même si ce ne sont pas de grosses pointures, nous présentons des personnalités intéres santes, Pedro Soler, par exemple.

J-PR : Comment voyez-vous l'avenir du disquaire ? JC & CLG : Nous ne croyons pas au Père Noël, nous ne pensons pas que demain, d'un coup de baguette magique, il y aura des disquaires partout et que les CDs se vendront comme autrefois. Certains jeunes reviennent au support, au vinyl mais pour l'avenir, mystère. On va peut-être aller vers des minorités, des grosses minorités et travailler avec des minis niches.

J-PR : Quels sont vos rapports avec les majors ? JC : Paradoxalement cela se passe assez Jean-Paul Ricard : Comment et pourquoi cette AMAP ? En essayant de mettre en relation des gens de goût et de bien, surtout avec Universal. Comme nous sommes très Jean Colomina : Nous sommes disquaires généralistes sensibilité différente. Des critiques de disques à faire peu nombreux, on est un peu leur danseuse. Le gros depuis 22 ans, d'abord en franchise puis indépendants, ici pour les autres. Et, ainsi modifier les rapports entre le problème du disque ce sont les retours et je dois dire que à Arles. Nous sommes disquaires de proximité et généralistes, disquaire et ses clients, impulser de nouvelles démarches. cela se passe bien avec Universal. C'est moins simple avec une spécialisation sur les musiques du monde. Être avec Warner et EMI. Ce qu'il faut dire aussi c'est que les généralistes a toujours été important pour nous. J-PR : Quelle est actuellement la forme de votre autres maisons ont souvent un comportement pire que les Deux éléments ont failli faire basculer les choses : le structure ? majors : produits chers, retours difficiles. Il faudrait téléchargement et le fait que, contrairement aux libraires, JC : Nous avons été en franchise pendant plusieurs une plus grande flui dité dans la circulation des disques, il n'y a pas de prix unique du disque. Résultat, on trouve années mais nous ne nous y retrouvions pas parce que dans la mise en place, dans les retours. Et le disque sur internet des disques à des prix inférieurs à nos tarifs l'on nous imposait des grosses quantités sur des produits moins cher. Il est trop cher, il faudrait le prix unique, la hors taxes. que l'on ne voulait pas et on ne pouvait obtenir ceux que baisse de la TVA. Un disque ne devrait pas dépasser On avait donc décidé de mettre la clef sous la porte, en nous désirions. On a donc abandonné. Et, depuis 6 ou 7 15 euros. ce qui concerne le rayon disques... A ce moment-là, un ans, nous avons choisi une formule qui nous convient certain nombre de clients ont réagi en nous disant : mieux, celle d'une coopérative ouvrière. Nous avons « Vous n'avez pas le droit d'arrêter, il faut trouver une toujours souhaité travailler avec nos clients d'une façon solution ». Ce qui nous a conduits à une réflexion sur notre qui nous intéresse. travail. Sans prétendre tout connaître, nous essayons de conseiller les gens, de l eur faire partager des choses, de les J-PR : La coopérative et l'association sont indépendantes ? orienter dans certaines directions. Même si le disque que JC : Elles sont liées, mais certaines choses relèvent de nous vendons est identique à celui que l'on peut trouver l'une, d'autres de l'autre. L'association est autonome, sur Amazon ou à la Fnac, notre démarche est un peu indépendante. différente. Quelques usagers ont donc créé une association nommée J-PR : Avez-vous été aidé pour monter cette structure AMAP ? AMADIP (association pour le maintien à Arles du disquaire JC : Non, cela a été l'affaire de particuliers, suivie avec de proximité) et qui fonctionne, avec une adhésion de bienveillance par les collectivités locales (Ville, Conseil 5 euros, sous forme d'abonnement. Le client choisit la Général, Région). L'important à noter c'est que les 250 somme qu'il investit mensuellement : 5, 10, 15 euros ou membres se situent en grande partie dans la région mais davantage pendant un an. Cette somme constitue une pas seulement. Il y a des gens qui nous rejoignent par tré sorerie pour le magasin et une cagnotte pour le client sympathie pour la démarche et c'est important que notre qui l'utilisera à son gré. action dépasse la seule région proche. L'expérience a débuté il y a 6 mois, nous avons environ 250 adhérents et cela continue de progresser. J-PR : Y a-t-il d'autres disquaires sur Arles ? JC : Il y a la boutique Harmonia Mundi et la librairie J-PR : Avez-vous déjà une vision de leur comportement ? Actes Sud qui a un rayon disques. Est-ce qu'ils renouvellent et réalimentent leur cagnotte ? JC : Jusqu'à maintenant, à 97% ils réalimentent. Outre J-PR : Quels sont vos rapports avec eux ? l'aspect économique, cette action est en train de créer des JC : Ce sont des rapports intelligents. Si je n'ai pas un rapports différents entre le client et le vendeur et cela disque, j'envoie le client chez Harmonia Mundi ou Actes ouvre des perspectives au projet, comme un site internet Sud. Je préfère que le client trouve ce qu'il cherche sur par exemple. Mais les choses se font petit à petit car cela Arles plutôt qu'ailleurs. demande un énorme travail bénévole. Un site internet serait aussi un lieu d'échange entre les J-PR : Vous participez aussi à un festival de musiques du uns et les autres. Les adhérents peuvent, comme nous, monde ? av oir des coups de coeur et le faire savoir pour les partager. JC : Nous sommes partenaires d'une manifestation qui Ou parler d'un concert qui a eu lieu à tel ou tel endroit. s'appelle « Convivència », qui existe depuis 11 ans et qui Penser la musique aujourd’hui EME 9 LES ALLUMÉS DU JAZZ 3 TRIMESTRE 2012

Interview de Franck Vigroux par Jean Delalhune LE SON DU GESTE Photos DR

En 18 disques, FV : Il y a une multitude de possibles. L'auditeur sera dans une interaction véritable dans des formats du type installations Franck Vigroux, sonores, on parle alors d'« art sonore » et non plus de musique. musicien Au fait la musique du compositeur a-t-elle besoin de l'auditeur pour exister ? Passif l'auditeur ? Dans les concerts de masse, qui électronique, au passage ressemblent à bien des égards aux pires messes de sculpte un régimes totalitaires, l'auditeur est dans ce cas bien plus docile. L'influence de l'auditeur se fait plus fortement ressentir dans un parcours unique, concert d'une salle à taille « humaine », car là il s'agit ni plus ni une forme de moins que de théâtre. Le musicien comme un comédien est un interprète dans un théâtre. Il réagit selon le degré d'attention et destinée héritée de réponse de l'auditeur, il le divertit, mais se galvanise aussi, etc. On va voir un spectacle, un concert. Edgar Varèse trouvait de morceaux de « douteux » les spectateurs qui ferment les yeux au concert rock, de tradition (j'encourage vivement à écouter les entretiens de Varèse publiés par l'INA), il y a autant à voir qu'à entendre. Il est communément électro-acoustique, admis que des musiques trouvent une « qualité » en concert, de récit grâce à son théâtre et ses gestes, et peut au contraire être des plus ennuyeuse sur disque, où le temps d'écoute, plus profond radiophonique, est débarrassé de tout théâtre. Exemple inénarrable, les groupes de danses aussi, de pop, dont le « jeu de scène » est au moins aussi important que leur musique... (j'ai commencé par là) la pertinence de la qui vise à composition musicale n'est souvent qu'un élément parmi d'autres, chaque fois à l'on ne s'attend pas à autre chose qu'à une forme sans surprise que l'on achète : intro-couplet-refrain-solo. Pour le jazz, l'opéra, plus d'autonomie et bien d'autres esthétiques, les formes sont aussi connues à l'avance, ou encore par exemple le volume du son est prévisible, encore dans pour l'auditeur qui est de fait réduit à être spectateur, ces l'élaboration d'un Franck Vigroux concerts ont des intérêts divers et pas seulement pour la musique. Du mélomane au curieux, on s'y rend aussi pour y langage hors norme à la forte parole. trou ver une détermination sociale. Suivant tel ou tel type de salle de concerts, l'auditeur se retrouve dans un contexte grégaire pas forcément propice à l'écoute, avoir une personne ean de Grèce : Pour Charlie Chaplin, action et musique sont pertinence, l'improvisateur fait de même en jouant sous tous les assise à côté de soi (qui émet potentiellement du son ou des indissociables. Quel est le champ d'action de la musique ? angles à travers sa composition à tiroirs. J'imagine que l'on peut mouvements non prévus par le compositeur), c'est déjà un J encore pousser dans l'exploration sonore que ce soit dans la facteur de risque d'amoindrissement de l'écoute. composition avec des fréquences extrêmes, ou le volume et donc Exemple radicalement opposé dans un concert électroacoustique Frank Vigroux : Ce qui m'intéresse concerne surtout les points la pression acoustique ; la lutherie électronique a aussi engendré sur « acousmonium », l'influence du public est quasi nulle, ici la de ruptures, là où la musique dit non et va ailleurs, rupture avec énormément de sonorités qui sont loin d'avoir été exploitées musique, sur support fixe, dans le noir, sans autre interprète l'académisme, même si perpétuellement un académisme en sous toutes les coutures par les compositeurs comme ils l'ont fait que le « diffuseur » qui spatialise le son à la console, bénéficie chasse un autre. Les créateurs voient le monde au scanner et avec la lutherie classique. d'une écoute optimum. Commençant mon parcours de participent à son évolution, ils le réfléchissent et le dénoncent, musicien comme guitariste rock, j'ai longtemps dénigré la les conservateurs ont un autre rôle, ce sont des repaires culturels, JDG : À l'électronique, tu mêles volontiers des instrumentistes de musique électronique jouée en live, ne voyant quasiment pas de des marqueurs historiques, ils sont nécessaires mais pas plus. Il « lutherie classique » ? geste produire de son, mais les choses ont évolué et j'ai faut sans cesse déverrouiller le champ de la création musicale et commencé à totalement faire abstraction du geste instrumental. artistique en général pour s'imposer et faire entendre les FV : En concert ou pour des pièces électroacoustiques, j'ai fait Je parle là de ma seule expérience, je pratique les trois, le ruptures dont l'art a besoin pour ne pas se scléroser. Il est beaucoup cela (1) . Mais finalement cette mixité ne m'intéresse théâtre, l'acousmonium, l'électronique live. potentiellement vaste, mais si souvent réduit quand la musique plus beaucoup, je ne suis pas un bon compositeur. Dans l'avenir, Il semble évident que cette question mériterait bien plus que a ce rôle de divertissement par exemple, c'est l'essentiel de la je vais uniquement utiliser de la lutherie électronique que je ces quelques mots, elle déborde à mon avis sur le champ de la production musicale d'ailleurs. maîtrise mieux, seul ou bien en groupe. sociologie de la culture.

JDG : Le divertissement n’est-il pas toujours implicite dans toute JDG : De quelle façon la danse a-t-elle sa place dans ton JDG : Pour la vérité musicale, la solitude serait-elle inévitable et création ? univers ? l'inédit une condition sine qua non ?

FV : Non, il n'y a plus de liens qui méritent qu'on s'y attarde, FV : Les deux derniers spectacles que j'ai montés sont des FV : Je ne connais pas la vérité musicale, mais il y a des vérités. quel rapport entre André Rieu et Merzbow ? D'ailleurs « bruit collaborations avec une chorégraphe italienne Rita Cioffi. Dans organisé » est plus approprié que « musique » dans la création mon prochain spectacle « Aucun lieu » (2) , je fais appel à la sonore aujourd'hui, Varèse proposait déjà cette appellation il y a chorégraphe Myriam Gourfink qui travaille sur une danse d'une soixante ans... Encore une fois, il y a dans la création musicale lenteur extrême, à l'opposé de la danse expressive de la (1) http ://www.franceculture.fr/emission-atelier-de-creation-radiopho - une frange qui digère le monde. Quand Xenakis écrit Persepolis, première. Détail important, je ne travaille pas pour un nique-d503-2011-03-13.html il a été défiguré par un éclat d'obus quelques années plus tôt, chorégraphe ou un metteur scène, mais avec. D'ailleurs, le (2) https://vimeo.com/45785195 divertissant ? producteur, c'est moi. Je me rends compte que je vais plus souvent à des spectacles de danse et de théâtre qu'à des concerts. JDG : Chez Xenakis, le rapprochement musique-architecture est La danse, mais aussi le théâtre contemporain sont devenus central. Le rapport au monde y passe beaucoup par une complètement indissociables de mon travail. J'organise même un construction savante, loin de la recherche d'accidents, la festival qui invite compositeurs et auteurs à se rencontrer, Bruits Disques de Franck Vigroux en vente aux Allumés du Jazz : Blancs à Anis Gras (Arcueil) en mai. Au-delà de mes seuls goûts, sensation y est davantage dans la projection future que dans Venice, dal vivo - (D’autres cordes dac5005 ) l'immédiateté. Qu'en est-il de ta démarche ? je pense que la « musique » qui cherche, a tout à gagner à se Looking for Lilas - (D’autres Cordes dac041) rapprocher du théâtre et de la danse contemporaine, territoires Lilas tristes - (D’autres Cordes dac031) FV : Je ne parle pas simplement d'accidents mais de d'expérimentation, mais où la connaissance de la création Triste Lilas - (D’autres Cordes dac061) l'expérience, l'habitus, qui s'inscrit sans le demander dans musicale chez les chorégraphes et les metteurs en scènes est Cœur à cœur - (D’autres Cordes dac121) l'inconscient de chaque créateur et qui quelle que soit sa encore trop sommaire. Récolte - (D’autres Cordes dac4999) volonté ne peut totalement s'en échapper. J'aurais du mal à Camera Police - (D’autres Cordes dac302) décrire ma démarche, le rapport au son est central, je cherche JDG : Comment traduirais-tu l'idée de Stockhausen de chercher Broken Circle Live - (D’autres Cordes dac191) me madame (good news from wonderland) - (D’autres Cordes dac5002) par la composition, un ordonnancement des sons visant à à rattraper m on retard et à avoir une vision très large de mon art, Cos la machina 1 - (D’autres Cordes dac051) pour trouver les pistes sur lesquelles je vais vraiment pouvoir atteindre l'absence de contradiction ? Repush machina - (D’autres Cordes dac091) défricher. Live - (D’autres Cordes dac191 LOUB) FV : Le concept de durée, le temps avant l'espace sont des Data 4.5.1 - (D’autres Cordes dac 5001) JDG : Le rythme est-il déterminant ? barrières à franchir, mais l'attention de l'auditeur, l'entendre, Les 13 cicatrices - (D’autres Cordes dac001) peuvent-il suivre ? Transistor - (D’autres Cordes dac1973) FV : Les recettes d'écriture sont toujours les mêmes, il n'y pas de Archipel électronique - (D’autres Cordes dac2010) rupture sans précédent, de Guillaume de Machaut à Pierre Schaeffer JDG : Eh bien... je te pose la question. Ce qui nous amène aussi We (nous autres) - (D’autres Cordes dac2021) il y a 9 siècles, et pourtant invariablement le compositeur place à parler de la place de ce fameux auditeur, de son rôle actif (ou toujours un matériau sonore à côté d'un autre et en juge la passif) de ce qui peut lui être apporté, de son influence aussi ? Cours du temps 10 EME LES ALLUMÉS DU JAZZ 3 TRIMESTRE 2012

DIDIER LEVALLET : HORIZONS DE JAZZ Interview de Didier Levallet par Jean Rochard 1/59 Transcription de Valérie Crinière Photos de Guy Le Querrec Infatigable organisateur d'orchestres, mais aussi de collectifs, de lieux éducatifs ou de toutes les assemblées qui, à un moment, permettent un pas en avant, Didier Levallet est l'une des personnalités essentielles de la vie du jazz en France depuis 40 ans. Du très justement nommé Perception à une renaissance post Montbéliardaise, une aventure d'exception guidée par un sens aïgu de la transmission.

ou moins toléré. partie, entracte et après la vedette. En 1968, Les Nana Mouskouri était au programme, d’autres fois étudiants, s’en Enrico Macias, Moustaki. J’ai gagné ma vie ainsi. foutaient du jazz, Je suivais encore mes cours au conservatoire de comme toujours. Lille. J’y étais entré quasiment par effraction. Un J’accompagnais jour avec un copain en classe d’alto au conservatoire, ces braves gens on avait envie de jouer mais il n’y avait pas de chantant et c’est là salle de libre et il me dit « il y a la salle des qu’a déboulé de contrebasses au conservatoire, on va aller là, il y a Belgique Julos un piano et on va jouer. » On rentre en douce et Beaucarne. Nous on se met à jouer. Le directeur du conservatoire avons sympathisé. se pointe. « Qu’est-ce que vous faites là ? » Les week-ends, « Je n’ai rien contre le jazz, mais vous n’êtes pas j’allais le rejoindre élèves, vous n’êtes pas inscrits ». On lui a en train (teuf teuf) répondu : « On va s’inscrire, on va s’inscrire ». avec ma J’ai suivi les cours de contrebasse pendant trois à contrebasse à quatre ans y compris quand j’étais à Paris. Je Bruxelles et lui revenais prendre mes cours à Lille même si entre- venait me chercher temps, je m’étais inscrit dans d’autres cours sur en 2 CV. On partait Paris avec un contrebassiste soliste de l’Orchestre en Wallonie jouer de Paris qui enseignait, comme beaucoup de dans les bistrots. musiciens classiques, dans plusieurs Ça ne gagnait pas conservatoires d’arrondissement. Je n’ai pas lourd. poussé mes études très loin.

JR : Mais ça se JR : On est en 1964 là ? profile alors DL : Oui. Ce batteur lillois jouait à l’Hilton à Paris comme un métier ? avec Grappelli, il y avait Marc Hemmeler au DL : Le tournant Piano, Pierre Sim à la contrebasse. Très bon Didier Levallet, La Villette Jazz Festival, 1999 professionnel est musicien André Hatman, mais assez fainéant. venu par les variétés. Après mes études universitaires, en 1966/67, je ean Rochard : Comment la musique Je jouais toute la soirée, une partie avec mon Le journal m’installe donc à Paris prétextant travailler avec arrive-t-elle à toi ? quartet au saxophone alto et l’autre en trio avec La Voix du Nord avait un car podium où il produisait les chanteurs et je l’appelle : « Est-ce que tu J un pianiste et un batteur. des spectacles gratuits - de connais des gens Didier Levallet : Je suis né dans l’Yonne vers propagande - y compris une qui chercheraient Auxerre d’une famille parisienne en juillet 44. JR : Le répertoire à l’époque ? tournée des plages de la Mer du J’aime bien entraîner un contrebassiste ? ». La musique a toujours été présente dans mon DL : J’étais fan de Jackie McLean, Phil Woods. Nord l’été. Ils ont engagé pour Il m’a donné environnement de façon un peu bourgeoise ; ma J’avais les premiers Blue Note distribués en quelques galas un couple de des gens sur un terrain quelques mère jouait du piano (Chopin) comme une jeune France, la musique de The Connection, en gros chanteurs qui venait de remporter adresses. Une a fille bien élevée ; mon père avait été musicien beaucoup de hard bop. le palmarès des chansons de Guy sur lequel ils ne mordu. Je me semi-professionnel mais avait arrêté quand il Lux : Line et Willy. Le type de La suis retrouvé avec s’est marié. Mais il avait des disques. Je me JR : Donc, c’était le début des années 60... Voix du Nord me connaissait et seraient pas allés des jeunes souviens de 78 tours de Benny Goodman, Artie DL : Juste après le passage des Jazz Messengers m’a mis sur le coup. J’ai tourné musiciens qui Shaw. À 11 ou 12 ans, on m’a offert un disque à Paris. Quant à nous, nous jouions sans par la suite 7-8 ans avec eux. Ces d’eux-mêmes. revenaient d’une de Sidney Bechet, Les Oignons et je suis partitions (il n’y en avait pas). Des copains plus gens en début de carrière, boostés saison dans un tombé dedans. Ce musicien au milieu des costauds que nous pouvaient relever des accords par l’émission de Guy Lux, club de vacances, années 50 était la grande star des jeunes en et nous filaient des grilles. Les thèmes, je les n’avaient pas encore de musiciens attitrés. Je et dont le contrebassiste avait décidé de bouder. France, un grand musicien par ailleurs. C’est apprenais à l’oreille. J’ai joué un peu plus de terminais mes études. Comme j’étais sursitaire, Ils jouaient au Chat qui Pêche, ce qui était pour juste avant 56, avant que ne débarque Elvis deux ans dans ce club qui s’appelait le Kaducé l’armée ne m’a pas appelé tout de suite, j’ai moi le temple absolu du jazz moderne, j’étais très Presley. J’ai eu un rêve de gosse : devenir tout en étant étudiant. C’est là que Michel Grailler, même cru qu’elle m’avait oublié. J’ai pris une impressionné. Avec le batteur, on s’est trouvé clarinettiste de jazz, mais ça n’allait pas plus qui suivait les cours d’une école d’ingénieur pas loin pièce chez des gens à Paris, et tous les week- embauché par la vedette suivante, Hal Singer. Un loin, on ne m’avait pas proposé d’aller à l’école de la mienne, a débarqué un soir et joué du jazz ends, je partais sur les routes avec eux. Il y avait soir, Roland Kirk débarque au Chat qui Pêche. Il de musique. J’ai commencé à collectionner les pour la première fois de sa vie. Il est tombé dans des grandes tournées de variété sous chapiteau ou devait jouer dans un club de la rue Saint-Séverin, disques de Bechet. Il y a eu aussi ce fameux la marmite et s’est mis à tout écouter comme un dans des grandes salles de villes de province. Ils La Grande Séverine, qui avait fermé au moment disque Horizons du jazz de la Guilde du jazz fou. André Hartman, un batteur lillois qui jouait étaient les vedettes américaines, fin de première où lui était arrivé pour y jouer ; Maurice Cullaz le offert avec l’électrophone, une vraie ouverture où avec Stéphane baladait dans les clubs. Il a joué figuraient deux morceaux de Charlie Parker, un Grappelli, m’a dit « Summertime » sur un tempo avec Gillespie « Relaxin at Camarillo » et puis que j’avais plus d’enfer. Georges Arvanitas était Art Tatum, Erroll Garner... La musique de Parker d’étoffe sur la venu avec lui et avait pris la s’avérait plus complexe que celle de Bechet mais contrebasse que place du pianiste. De toutes à force de réécouter, je suis entré dedans. Je sur le saxophone. façons Arvanitas assurait tout. Je révère toujours autant Sidney Bechet pour son Et comme on me suis accroché aux branches exceptionnelle invention maîtrisée. Parker, ça trouve toujours et ça a été rude. J’ai continué à reste une référence absolue en terme d’improvi - du travail en tant jouer avec Hal Singer pendant un sation. Je me suis fait offrir une guitare que j’ai que contrebassiste… certain temps. Entre-temps, je gratouillée mais ça n’allait pas beaucoup plus J’ai commencé à fréquentais le Gill’s club. J’y ai loin. Lorsque j’ai eu 15 ans, nous sommes partis accompagner mes joué plusieurs semaines avec Mal à Lille où je suis resté 8 ans. J’y ai fini mes potes étudiants Waldron. J’ai fait petit à petit études secondaires et fait mes études qui chantaient et mon trou dans le milieu du jazz supérieures dans une école de journalisme. J’ai rêvaient d’avoir, où, il faut bien le dire, à cette retrouvé le saxophone de mon père et je l’ai fait comme Brassens, époque-là en 66, 67, 68, il n’y réparer. J’en ai joué sans prendre de cours, un Pierre Nicolas avait pas 10 bassistes qui reproduisant les thèmes entendus sur les derrière eux. J’ai débarquaient chaque semaine, disques. On a monté un orchestre avec des joué sur le premier donc moi j’étais le petit nouveau. copains. Je louais une contrebasse pour le disque de Il y avait à tout casser 200 bassiste, mais il ne travaillait pas du tout son Jacques Bertin en musiciens qui se revendiquaient instrument. J’ai donc pris la contrebasse et ça a 1967 pour La de cette musique. On se duré pendant 2 ans. Vers 18 ans je jouais Boîte à Musique, connais sait tous. On se refilait alternativement du sax ou de la contrebasse début d’une les affaires. Les musiciens de suivant les groupes. J’avais été convaincre une longue complicité. jazz en France étaient tous à patronne de bistrot auprès de la fac de médecine Lors des Jam De gauche à droite, Luc Lemasne (saxophone alto), Pierre Rigaud (saxophone ténor), Denis Paris. Du moins le pensait-on. Ce qui avait un sous-sol aménagé en discothèque. Sessions même bassiste qui avait déserté Je lui ai proposé d’y jouer sans être payé mais étudiantes, le Levaillant (piano), Didier Levallet (contrebasse), Armand Lemal (batterie), Fête du P.S.U. l’orchestre avec lequel j’ai avec consommations pour les musiciens. jazz était plus (Parti Socialiste Unifié), juin 1976 commencé faisait partie du big band de Claude Cagnasso. Ils Cours du Temps EME 11 LES ALLUMÉS DU JAZZ 3 TRIMESTRE 2012

Je n’ai pas lancé de pavés, mais j’ai assisté à des débats à l’Odéon. Le free jazz me titillait.

avaient trouvé une combine pour faire un disque dans l’activité du groupe Perception qui a existé et dans les maisons et un peu prétentieux : « definit perception pour les disques Véga. Michel Grailler, Jacques de 70 à 77. On faisait une musique free post de la culture aux quatre coins de la France et ensemble » et en fait on a tout viré et on a gardé Bolognesi, Alain Hatot étaient dans le coup. Coltrane, si on veut, qui aurait du mal à se faire aussi Slide Hampton avec qui j’ai joué au Chat Perception. Moi je planais à 300 mètres Évidemment, il n’y avait pas d’argent pour payer entendre aujourd’hui et qui avait réellement un qui pêche. Ça c’était le quotidien des musiciens d’altitude en rentrant chez moi. J’ai agité mon les musiciens (mais ils étaient d’accord) et, une public. On a fait des dizaines de concerts par le freelance. J’avais envie d’aller dans cette autre téléphone tout l’été pour entretenir le moral des fois au studio, le bassiste a piqué sa crise. Hatot circuit des MJC et des fêtes politiques : la fête de mouvance. Les tentatives de 1968 en groupe troupes en disant « on a un groupe, il faut m’a appelé. Je suis entré dans l’orchestre de l’Humanité, celle de Lutte ouvrière mais aussi étaient plus ou moins abouties ou stables. Il nous absolument qu’on fasse quelque chose ». Le Cagnasso au moment de faire le disque (1) . Mon surtout la fête du PSU. Tous ces gens-là étaient manquait sans doute un élément fédérateur pour deuxième concert eut lieu au Centre Américain de premier disque de jazz. Les précédents étaient un peu dans la même mouvance biologique, le que cela fonctionne vraiment. Mais j’avais la rue du Dragon. C’était très drôle parce que avec des chanteurs comme Bertin et Beaucarne. militantisme culturel, peuple de gauche en ayant toujours en tête d’essayer de faire cela. Je jouais j’avais été invité chez le conseiller culturel de ras-le-bol d’être gouverné par la droite depuis tant beaucoup au Gill’s qui était un club désargenté. l’ambassade des Etats-Unis place de la Concorde. JR : Le journalisme t'a-t-il complètement quitté et tant d’années. Curieusement, ce tissu s’est On partageait la recette à la sortie avec les Il revenait des obsèques de Samson François et il lorsque tu as opté pour la musique ? Tu sembles défait quand la gauche a gagné les élections. Terronès. Y compris et . m’a présenté à un claveciniste baroque. L’idée avoir gardé un rapport très proche à l'écriture Bertin avait toujours un discours plus ou moins J’ai joué un mois avec Hank Mobley. Je le c’était de partager l’affiche. J’ai proposé de finir (manifesté dans des articles pour la presse ou par une improvisation collective. Le claveciniste d'autres publications) baroque s’est fait massacrer. Avec Truong et DL : Durant ces premières années, je n’ai jamais Yochk’o, il n’a pas pu en placer une, on ne décidé que je renonçais définitivement à ce métier : l’entendait plus : Il s’appelait William Christie. Je à cette époque de plein emploi, je savais que ma me suis beaucoup démené. J’ai joué le chef de formation me permettrait de trouver du travail bande et le commercial de l’affaire pour jouer ici quand je le voudrais, si la musique ne me et là et on a commencé une très jolie carrière, convenait plus (ou plutôt, si je ne lui convenais aujourd’hui je ne sais pas comment on ferait. On plus). D’autre part, il me semble intéressant de était porté par l’époque. Mino Cinelu, puis tenter d’avoir une parole articulée sur son art. Jacques Thollot ont joué dans le groupe à la fin. Dans les premiers temps, j’ai donné un coup de main à Jazz Hot , puis ai collaboré au fil du temps à diverses publications : Jazz Magazine, Jazzman, JR : Il y a eu la création de L’ADMI (Association Les Cahiers du Jazz, Politis … Avec Denis-Constant pour le développement de la musique improvisée). Martin, nous avons écrit un livre sur Mingus. C’est important ! DL : C’est important symboliquement. L’ADMI, JR : Mai 1968, ça a été quelque chose qui a c’est Châteauvallon été 72, l’année Portal. compté pour toi ? Discussion avec Jean-Louis Méchali en coulisse DL : J’ai un souvenir particulier personnel de mai au bar des pros : « Ah si on faisait quelque chose 1968, mais je dois préciser que j’étais sous les les musiciens tous ensemble ? ». À la rentrée, on drapeaux. Je sortais de l’école de journalisme et a regroupé un certain nombre de gens et on a un de mes condisciples qui avait eu, via Europe 1, créé cette association pour le développement de un poste au service de presse du ministère de la musique improvisée qui était un peu un manifeste l’air place Balard, m’a proposé de lui succéder. d’une génération et d’une certaine esthétique C’était Bernard Langlois. Je n’ai pas lancé de musicale, y compris des gens plus âgés qui ont pavés, mais j’ai assisté à des débats à l’Odéon. Le A gauche, Didier Levallet (contrebasse) et à droite, Yochk’o Seffer (saxophone ténor), souhaité accompagner le mouvement. Je me free jazz me titillait. J’avais acheté Mama Too Fête du P.S.U. (Parti Socialiste Unifié), juin 1976 souviens des Concerts manifestes de démarrage à Tight d’Archie Shepp, Expression de Coltrane, le Normal Sup. Barney Wilen, Christian Vander, sont disque Free Jazz de François Tusques. Jean- venus jouer. On a acquis une certaine crédibilité François Jenny-Clark était mon mentor. Je prenais politisé : le Chili, les Lip à Besançon étaient au rame nais dans ma 4L et il disait « Mais en tant que mouvement. Daniel Humair nous a avec lui des leçons de contrebasse, qu’il ne m’a cœur de son propos. Notre discours était moins pourquoi Johnny Griffin, il s’en sort très bien ici ouvert le musé d’Art Moderne pour deux concerts jamais fait payer. Il jouait (du free) au Requin explicite. Je te dirai que concernant la conscience et moi j’y arrive pas ! ». Gérard Terronès me dont un avec Raymond Boni et Perception. Nous Chagrin, place de la Contrescarpe, avec Bernard politique des choses, entre Yochk’o Seffer, faisait confiance. Je lui dis « j’ai envie de monter avons mis nos forces en commun pour louer un Vitet, Jacques Thollot et Barney Wilen. Un soir il Siegfried Kessler, Jean-My Truong, je ne sais pas un groupe » et il me répond : « D’accord je te local de répétition dans le Marais. L’association a m’a dit « Tiens, viens faire un tour » et il m’a où elle était. Par contre, c’est le public qui se donne trois soirs au mois de juillet » (1970). permis des sorties de disques dont le deuxième lâché dans la nature en me disant « vas-y joue ! ». reconnaissait en nous. Nous étions réellement J’avais entendu Jean-My Truong avec Joachim de Perception en janvier 1971 (3) . Le premier J’étais bien embarrassé car je ne comprenais pas portés par un mouvement qui voulait casser les Kühn au Gills et trouvais que sa rage de jouer disque de Perception étant un Futura. comment cette musique marchait. Donc j’ai fait meubles et ce qu’on faisait en musique était intéressante. Mon idée, si j’en avais une du tempo. Vitet m’a fait la gueule. Plus tard, JF correspondait à cela, consciemment ou non. On précise, c’était plutôt d’aller dans le sens JR : Il y a eu 3 disques ! m’a envoyé au pied levé le remplacer au Chat qui n’avait pas besoin de mettre des étiquettes « harmolodique », pour dire vite... Je pensais à DL : Oui et le 3ème disque c’est le 1er disque du pêche avec Aldo Romano qui disait « Mais quand dessus. C’était en phase. Rollins avec Don Cherry, plus qu’à Coltrane. Free jazz workshop (plus tard : Workshop de est-ce qu’il revient JF ? ». J’étais aussi en relation J’aimais bien Alain Hatot, très rollinsien, à qui j’ai Lyon), Inter fréquence . En 1971, des musiciens avec le batteur Jean Guérin qui avait fait un JR : Perception est ton premier projet ? proposé l’affaire. Mais cette musique-là, il n’en de Lyon m’avaient appelé, ils avaient besoin disque pour Futura. Je connaissais bien Teddy DL : Avec Siegfried Kessler, on accompagnait avait strictement rien à foutre. Il est venu le d’un bassiste. Jean Méreu m’a dit : « on a un Lasry qui à l’époque jouait de la flûte dans Le premier soir et il m’a dit qu’il préférait rester chez bon bat teur, François Tusques l’apprécie ». Il Songe d’une nuit d’été de la jeune compagnie Le lui ensuite car il partait en tournée avec Gilbert essayait de me convaincre car je ne les connaissais Théâtre du Soleil d’Ariane Mnouchkine. Avec eux Bécaud en Russie. En désespoir de cause j’ai pas. Ils avaient 3 concerts à Aix-en-Provence. deux et Michel Grailler qui était prêt à tout, je ne appelé Jeff Seffer (2) que j’avais rencontré chez Bolcato avait quitté le groupe provisoirement. J’ai sais plus trop par quel biais, on se retrouve à Cagnasso. Je ne le connaissais pas très bien. Il alors fait la connaissance de Jean Méreu, Maurice jouer notre free jazz dans l’amphi de la fac de m’a répondu qu’il pouvait le vendredi mais pas le Merle et Christian Rollet. Il y avait une droit à Assas qui était à l’époque tenue par les samedi car il avait invité des copains à dîner. communauté de destin entre les musiciens de gauchistes. Ils devaient projeter Le petit soldat Pour remplir le contrat, j’ai appelé Siegfried pour cette génération-là. de Godard. Nous jouions avant, le film avait du le samedi. Le troisième soir, il y a eu un miracle : retard. Un des organisateurs a dit : « Les Siegfried était en retard et c’est Yochk’o Seffer JR : Est-ce qu’il y avait une influence de ce qui camarades musiciens veulent bien jouer encore ». qui débarque. Il voulait jouer, et on a commencé se passait en Allemagne, en Angleterre ou en Dans la salle les gens criaient « non ! ». et Siegfried est arrivé. Ça aurait été dans l’autre Hollande ? J’étais très impressionnable, très romantique. Cet sens, cela n’aurait probablement pas marché. On DL : Terronès importait les disques INCUS… Le élan de générosité dans les réunions à l’Odéon me jouait free. Il a allumé le piano électrique, il a festival de Gand nous avait invités. Politiquement, parlait au cœur. Je pouvais vouloir y croire même foncé dedans et immédiatement ça y était. Il y on était dans cette époque-là : prendre son destin si… ça m’a quand même frappé, j’étais issu d’une avait une complémentarité. Siegfried, formidable en main, faire la musique qu’on voulait faire famille conservatrice et j’ai définitivement viré ma musicien, avait une oreille harmonique infaillible. quand on le voulait et sortir un disque éventuellement. cuti. Un effet de réflexion, une révolte quand Il plaçait des accords là où on ne savait même Le disque de Perception, je l’ai financé de A à Z. même qui a poussé mon analyse des choses. La pas ce que c’était, un sens de l’harmonie J’avais acheté 500 pochettes blanches : on a fait question politique m’a toujours intéressée. Je moderne, une connaissance étonnante de la des pochettes à la main avec Yochk’o… Inter m’interrogeais sur ce qu’on fait là, à quoi on musique classique du 20ème siècle. Il y a fré quence, c’était pareil avec une lithogravure. sert… eu une alchimie, je m’en suis rendu compte Des objets sympas, artisanaux. immédiatement. Ça faisait 3 jours que je me L’ADMI a duré environ deux ans. J’ai écrit un JR : Jouant en même temps avec des chanteurs à posais des questions à propos de la note qu’il article dans Jazz magazine : « Raisons des leçons textes et en même temps avec des musiciens de fallait jouer et là je ne m’en posais plus aucune. d’un échec ». Je poussais la réflexion sur la jazz, qu’est-ce qui te semblait le plus en phase De g. à dr., Yves Robert (trombone), Le groupe Perception a démarré ce jour-là, à la position sociale, politique au sens large du avec ce qui se passait politiquement ? Sylvain Kassap (anches), Günter seconde où il a allumé le piano. Extraordinaire musicien dans la société. Je me référais beaucoup DL : Spontanément, c’est plutôt les chanteurs Sommer (batterie), Didier Levallet mais c’est comme cela. au bouquin d’Eric Sprogis Libérez la musique , un parce qu’il y a des textes et que ça dit des choses ; (contrebasse), Festival de Chantenay- discours assez PSU sur le positionnement du c’est tout le problème de la musique, on connaît JR : C’est toi qui a trouvé le nom du groupe ? musicien dans la société. Ah Le mot « artiste » ! ça. Il y a quelques semaines, je me suis replongé Villedieu, septembre 1982 DL : Oui j’avais trouvé un premier nom alambiqué Maintenant j’ai plus de facilité à l’assumer depuis Cours du temps 12 EME LES ALLUMÉS DU JAZZ 3 TRIMESTRE 2012

que j’ai travaillé 10 ans dans une Scène nationale. chanteurs. ce n’était pas vraiment un jazzeux mais un bon pu me traverser l’esprit. Mais je n’avais aucune Il y a des musiciens, des comédiens, des musicien de séance qui avait joué des musiques base solide là-bas. Difficile d’imaginer de faire le dan seurs qui ne sont pas des vedettes et qui JR : C’est un groupe où tu vas t’affirmer dans rythmiques. Il y avait Capon. J’avais rencontré grand saut, d’autant que les mouvements des donnent beaucoup à leur métier. C’est un mot quelque chose qui va continuer en tant que chef l’autre violoncelliste, Denis Van Hecke, chez musiciens européens vers l’Amérique étaient que j’ai revalorisé, mais à l’époque c’est un mot d’orchestre Lubat. J’ai été un peu dans l’avant Compagnie beaucoup plus rares qu’aujourd’hui. L’exemple de qui m’énervait. Cette vision bourgeoise de DL : Porteur de projet. Perception a été la Lubat. On avait un concert dans le Cantal en trio Georges Arvanitas – qui avait réussi à jouer très l’Artiste. Oh lui, il est à gauche, et bien oui : conjonction non planifiée de quatre avec Bernard Lubat et Escoudé (il y a eu régulièrement là-bas mais en revenait les poches c’est un artiste. tempéraments qui se sont trouvés. Confluence, d’ailleurs un disque de ce trio enregistré en vides – n’était pas encourageant. D’autre part, c’est un goût pour une certaine instrumentation. Pologne) pendant l’été 76 et Escoudé ne pouvait j’avais un certain nombre de projets sur le feu JR : Pourquoi L’ADMI s’est arrêtée ? Il y a une constante dans ma façon de vivre cette pas le faire. Et j’ai appelé Jean-Louis Chautemps. de ce côté-ci. Quant au rapport jazz DL : Parce que les énergies se dispersent, la musique-là : je ne veux pas séparer les choses. La jonction Chautemps Lubat, elle s’est faite là. américain/français, soyons brefs (sinon…) et gestion de la cave… Un très beau lieu avec des J’aime bien entraîner des gens sur un terrain sur Après, ils ont commencé leurs concerts au considérons deux ou trois choses : pour des fresques qui dataient de la révolution, pas très lequel ils ne seraient pas allés d’eux-mêmes. La Mouffetard avec Letheule, moi je n’étais pas raisons culturelles historiques (et économiques) pratique. C’est devenu un resto au coin de la rue preuve, Cinélu ou Pifarély. Quand je l’ai connu, il dans le coup. les Etats-Unis produisent et produiront encore du roi de Sicile. Nous étions trop verts, pas assez jouait du violon jazz, ou classique ou folk mais des artistes exceptionnels ; il y a une structurés. 25 ans plus tard on aurait peut-être pas l’improvisation libre. Ou alors ce big band JR : Tu étais intéressé par tout cela ? mondialisation du jazz, accompagnée d’un haut eu une subvention du Ministère pour le par exemple où se côtoyaient Roger Guérin, Jean DL : Ah, j’avais un peu de mal quand même. niveau d’enseignement, qui fait qu’un langage fonctionnement ! Ha ! ha ! Cohen, Denis Levaillant, Mino Cinelu, Beb Guérin : Chautemps disant « Avec la compagnie Lubat, international bien partagé est à l’œuvre ; des des juxtapositions de personnalités et de cultures maintenant je fume le cigare sur scène ». musiciens non américains (peu de Français, il est JR : Des années plus tard (années 90), tu as fait pas évidentes a priori. C’était encore une forme Je voyais bien où était le dadaïsme. Lubat est un vrai, même si un certain nombre résident outre- partie d’un autre collectif : Zhivaro ? atlantique) ont su se faire une place au DL : Oui ça a duré 6-7 ans, mais ce n’est sommet : Dave Holland, Joe Zawinul, pas comparable. Zhivaro a été Jean-Luc Ponty, Miroslav Vitous etc… ; initié par un garçon qui avait été enfin le jazz français a donné des per - programmateur au jazz club de sonnalités Dunkerque et qui, arrivant à Paris, singulières, irréductibles au seul modèle dit « moi j’ai envie de faire une super américain : sans remonter encore à agence ». Il y avait Henri Texier, Sylvain Django et Grappelli, Solal, Portal, Kassap, Gérard Marais, Claude Louiss, mais aussi Sclavis, Godard… Il y Barthélémy et moi (et, un peu plus tard, aurait beaucoup plus à dire, mais la Jacques Mahieux)… Finalement ça a place manquerait. dévié, et abouti à un collectif d’événements qui ne fonctionnait jamais JR : Tu fais un disque avec In & out en en tant que tel, mais toujours avec des 1981 qui est une maison de disques invités extérieurs. On faisait ce que dans laquelle tu es impliqué. j’appelais des concerts Liebig ou Royco, DL : Maison de disques qu’on a fondée à c’est-à-dire Iyophilisés. Tu invites Han partir du festival d’Angoulême. In & Out Bennink, Evan Parker, François a permis la renaissance du Brothehood Corneloup et des tas d’autres. On a un of Breath de Chris McGregor dans lequel jour, deux à tout casser pour les j’étais impliqué avec Louis Sclavis, répétitions avec un programme et des François Jeanneau. Il y avait des invités différents à chaque fois, chacun Anglais, des Français des Sud-Africains, amenant de la musique. Radu Malfatti aussi. En 80-81 se monte le trio avec Marais et Pifarély qui a aussi JR : Après Perception, tu vas monter beaucoup tourné. Ce trio enregistre à Confluence ? l’ouest de la Grosne chez Jacky Barbier DL : J’ai monté Confluence en 74. près de Cluny : le disque est sorti chez Musicalement il y a des choses qui nous Open d’Alain Guérini. ont fait réfléchir. Un retour à la forme et presque à la chanson entre guillemets JR : C’est important pour toi de faire des assez interrogeant (Return to forever, par disques à ce moment-là. exemple). J’étais un peu réticent. Je le Didier Levallet (ici au saxophone alto), Eric Barret (saxophone ténor), Henri Texier (ici à la batterie), DL : J’ai un attachement très fort aux suis Dominique Pifarély (ici à la guitare basse), Collectif Zhivaro, Théâtre Dunois, décembre 1989 disques. J’ai tout appris par le disque. toujours. Entre-temps, il y avait eu aussi Mes universités, elles sont là ; depuis le Libération music Orchestra de Charlie Bechet jusqu’à Archie Shepp et au-delà. Haden et Escalator over the hill de Carla Faire un disque, c’est exister dans la vie Bley. Quand même par rapport à Ayler, un retour assez ouverte où l’écriture s’effaçait assez vite tel musicien… Donc à l’époque, je fricotais avec musicale, c’est avoir des retours ; à l’époque, à l’écriture même si il y a cette confluence devant l’improvisation. Au même moment, je Lubat. Je dis les cordes d’accord mais c’est du c’était beaucoup moins la carte de visite, de justement entre l’écriture et les solos de Barbieri, monte mon premier quintet avec André Jaume, jazz donc une batterie, Escoudé et Kessler avec démarchage pour les concerts que ça ne l’est Don Cherry ou Roswell Rudd. J’avais côtoyé Jef Sicard, Jean Querlier, tous flûtistes, tous son clavinet justement pour rester dans une devenu maintenant. Le disque du quintet s’est Jean-Charles Capon pendant les tournées de saxophonistes et deux clarinettistes pour un couleur plus corde qu’un piano. Et je me suis vendu sur plusieurs années et on est arrivé à variété avec Moustaki. J’ai rencontré Christian hautboïste ou cor anglais – et avec Mino Cinélu, mis au travail et j’ai écrit toute la musique et 2500 exemplaires avec un disque qui un an Escoudé. Jean Querlier jouait du hautbois, du cor puis Jean-Claude Montredon à la batterie. l’arrangement sur Carla Bley et on a fait ce après sa sortie était susceptible de se vendre anglais, de la flûte et ça m’intéressait bien. Certains ont cru remarquer que l’écriture est disque dans la journée. C’est devenu un jalon encore. Ce qui aujourd’hui est impensable. Confluence, c’est effectivement un lieu de plutôt d’inspiration européenne, l’interprétation dans l’histoire des cordes en France. Le projet rencontres entre l’improvisation libre mais aussi penchant vers le jazz américain. A l’époque, j’ai a duré avec des formations différentes. JR : Le concert Scoop (4) à Angoulême est un le jazz qui swingue, des thèmes, des mélodies. un minimum de crédibilité et les organisateurs événement. Le ministre de la culture Jack Lang L’orchestre a démarré dans une certaine euphorie nous engagent sur mon nom donc il y a des JR : Tu reliais ce que tu fais à une sorte de vient au concert et quelques journalistes de mais au fond de lui-même Escoudé n’avait pas concerts. Et puis arrive en 1978 le Swing string tradition française. Par exemple Michel Warlop ? Libération. du tout envie de faire de la musique improvisée. system. DL : Un peu mais je dirais que la tradition DL : et l’archevêque aussi… pas du tout les gens française est plutôt dans l’inspiration du qu’il fallait pour assister à ce concert-là. JR : Dans le disque rouge, c’est Armand Lemal JR : Qui enregistre pour le Label du parti compositeur, de la mélodie que dans le souci qui joue les percussions. socialiste Uniteledis. Comment ça s’est fait ? Ils d’orchestration. Il y a, toutes modestes JR : Lang s’ouvre alors de son goût pour le jazz DL : Oui, c’est cela. Le groupe a duré 6 ans avec avaient publié le concert de Shepp à Massy. proportions gardées, une filiation sensible avec ou son absence de goût pour le jazz. Ce concert 3 disques chez RCA. Il y avait encore de l’argent DL : Dirigé par Maurice Sévenot, journaliste à quelques grands ancêtres : Satie, Fauré, là a-t-il eu une incidence sur ce qui s’est passé dans les grandes maisons de disques. L’ORTF viré en 1968 pour gauchisme et qui Debussy, Ravel, Poulenc. Cette parenté explique ensuite… Ce n’est pas qu’ils nous ont couverts d’or. La s’occupait de la société médiatique du Parti peut-être pourquoi le jazz français n’a jamais DL : La cheville ouvrière de ce qui se passe, collection s’appelait Balance. Le jazz à RCA socialiste. Ce n’était certainement pas sa eu la radicalité de la musique improvisée c’est Maurice Fleuret, sauf peut-être pour l’ONJ France, c’était Jean-Paul Guiter pour les vocation première de publier des disques et britannique ou de l’Europe du nord. Il y a où là il y a la décision du ministre. Jean rééditions. Pour le reste, on était dans un truc encore moins des disques de jazz ce que d’autres raisons : par exemple l’isolationnisme de Carabalona arrive en 1982 à la Direction de la avec des directeurs artistiques glandeurs finis, d’ailleurs ils n’ont pas très bien fait. Je n’ai pas la part des Anglais par rapport aux musiciens Musique et de la Danse, en charge du jazz, et la mais bon on a fait ce qu’on a voulu. enregistré l’hymne du Parti socialiste, « Changer américains alors que nous avons toujours baigné politique d’ouverture aux autres musiques date la vie », ha ! ha ! ça c’était Herbert Pagani. Par au milieu des musiciens américains. de ce moment-là. A Angoulême, c’est parce que JR : Là, tu deviens compositeur contre, on a enregistré l’Internationale avec un je venais d’y ouvrir la première classe de jazz DL : Oui je commence. Dans Perception, il y avait cœur de copains chanteurs pour lequel j’avais JR : Tu figures dans le disque Under Paris Skies dans une école nationale de musique. La déjà quelques thèmes de moi qui étaient assez mobilisé Georges Arvanitas qui joue de de Freddie Redd (1971) avec Freddie Redd dont conférence de Presse de Maurice Fleuret était squelettiques. Je cherchais mais n’avais pas la l’Harmonium. On était en relation avec Maurice tu disais aimer The Connection tout à l'heure. Tu dans ma salle de cours qui était un petit plume très développée. Avec Confluence, je m’en Sévenot à travers Bertin qui n’était pas au parti as aussi joué comme « sideman » avec Byard auditorium. Après ça a essaimé. En 1985, donne à cœur joie avec des morceaux qui durent socialiste mais avait des accointances. L’adjoint Lancaster puis Frank Lowe. As-tu eu envie de certificat d’aptitude, puis diplôme d’Etat. Toute une face entière, des thèmes différents qui de Sévenot était plus branché musique et m’a dit t'expatrier à un moment ? Comment vois-tu les l’administration de l’enseignement musical se s’enchaînent, des suites. Je renforce un peu mon « et si tu faisais un disque qu’avec des cordes ? ». rapports complexes du jazz américain et de la met en branle à ce moment-là. Il y avait une écriture. Je dois dire que mon écriture Banco, c’était le moment où scène française ? classe de jazz au CNR de Marseille avec Guy d’arrangeur et de compositeur aussi, je l’ai émergeait. J’avais employé un autre violoniste DL : Lorsque je suis allé aux Etats-Unis avec Longnon. Je ne sais pas sur quelle définition de affinée en faisant des arrangements pour les qui, lui, avait été dans Zao, Jean-Yves Rigaud : Byard Lancaster en 1974, l’idée de m’y établir a poste Longnon a fonctionné. J’ai été titularisé. Cours du temps EME 13 LES ALLUMÉS DU JAZZ 3 TRIMESTRE 2012

le public qui nous a choisis. Je pense au CIM, JR : Tu as fait 3 disques ? 15 ans. J’ai toujours eu un intérêt pour la Centre d’Information Musicale fondé par Alain DL : Oui dont un avec Jeanne Lee, qui est pour production de disques. Mettre les mains dans le Guérini avec l’idée au départ d’un centre de moi le plus réussi. cambouis pour essayer de faire avancer les ressources : documentation, discographies etc. et J’ai été très fier d’avoir été choisi. On a passé choses. Prendre son destin en main. On ne nous un petit département d’enseignement. Ils ont été des moments formidables. Il y a eu des concerts attend pas, on ne nous doit rien. Quand on parle dévorés par l’enseignement. Un jour Guérini où l’orchestre a décollé. On a joué en Espagne, de politique, du musicien dans la société, j’ai m’appelle, me dit qu’il y a des réunions sur la vie en Grèce, Bulgarie, Egypte etc. et puis des l’impression que c’est un peu faussé : de musiciens (les droits) et me demande si je moments, dans des théâtres de ville, où tu sens « Comment ! Moi je joue super bien ! On ne peux venir parler. Le sujet ne m’intéressait pas que les gens sont venus par m’appelle pas ! » Aujourd’hui on crée un festival vraiment mais j’y suis allé. Et c’était plein. Et à conformisme d’abonnés et la sortie, je lui dis « ils sont drôlement sérieux que, quand même, tu les tes élèves ». Il me répond : emmènes ailleurs. « ce sont des élèves de première année qui viennent voir comment le métier se passe ». J’ai JR : Mais quand ils rentrent raccompagné en voiture une jeune élève du CIM chez eux cet ailleurs-là, qui m’a dit « Moi je suis en première année de qu’est-ce qu’il en reste ? chant jazz et comme il y a du chômage partout, DL : C’est un éternel je vais essayer le chant jazz ». Hallucinant. problème. Ce sont des Quand le Ministère a voulu définir les musiques questions que je me pose à actuelles et s’y intéresser, le jazz s’est retrouvé Cluny. Je ne sais pas ce qui dans ce vaste fourre-tout : on a perdu tout ce reste dans la tête des gens. qu’on avait gagné en 10 ans en terme de Cette consommation reconnaissance, de spécificité y compris festivalière, elle est très économique. La logique économique emporte tout. volatile. Elle est très liée au Gérard Marais (guitare), Didier Levallet (contre - lieu, à l’époque. basse) et au fond, photo de Ed Blackwell (batterie), JR : Quand L’ONJ se crée, comment tu vis cela ? Tu vas diriger un cycle mais est-ce que c’est JR : Lorsque tu évoques New Morning, décembre 1992 quelque chose qui t’intéresse, d’emblée ? ta sortie de l’ONJ, tu fais DL : J’ai assisté au jour historique, à la décision référence à ton poste de J’étais l’égal des profs de violon. C’est le début Didier Levallet (contrebasse), Jeanne Lee (chant), Yves Robert chez Lang lors d’un déjeuner. André Francis avait directeur de la Scène (trombone), ONJ (Orchestre National de Jazz) dirigé par Didier officiel de cette politique. Scoop représente un cette idée depuis longtemps avec l’exemple des Nationale de Montbéliard. peu tout ça. orchestres des radios allemandes. Fleuret était là, C’est un choix important, Levallet, La Villette Jazz Festival, juin 2000 des musiciens (Didier Lockwood, Eric Lelann). Le un choix de faire autre JR : Et les choix s’étaient faits comment ? projet a été vendu à Lang. J’ai toujours pensé chose que d’être musicien DL : Je voulais faire quelque chose autour de que c’était un outil à mettre au service d’un aussi. et on va frapper à la porte de la DRAC en disant . J’avais fréquenté Marc Charig et Radu projet musical. Après, on peut gloser sur national DL : J’ai fait une petite erreur d’appréciation, « voilà j’ai créé un festival, il faut me donner des Malfatti chez Chris McGrégor. La commande jazz machin mais j’ajouterais que d’une façon parce que nous autres musiciens nous sous. » devait être d’avoir un orchestre assez international. plus politique, tout le monde sait que ces 800 000 € connaissons tellement mal ces maisons. On n’y L’idée était d’avoir des grands improvisateurs européens n’iront nulle part (en tout cas pas au jazz) en cas séjourne pas. On arrive à 4h, on fait la balance, JR : Tu as joué aussi avec Jac Berrocal, Dennis et de mettre cela en forme, de bien structurer. de suppression de l’orchestre. C’est on va à l’hôtel et on rentre le lendemain, Charles et Daunik Lazro. Toute la presse snobinarde qui était descendue de certain depuis le début. contrairement aux comédiens qui y séjournent DL : Oui, ça fait partie des histoires parallèles Paris est tombée dessus à bras raccourcis en disant longtemps, qui s’installent. Je suis allé voir importantes. Aussi avec Charles Tyler avec qui « q uelle horreur du free jazz ! ». Pour en revenir à JR : Et toi, ta participation en tant que chef Sylvie Hubac, directrice de la DMDTS à l’époque : j’ai fait un joli disque, peu de temps avant sa Lang : le jazz pourquoi pas, il y a des festivals, ça d’orchestre, directeur musical de l’ONJ, qu’est-ce « j’ai fait l’ONJ, c’est la seule institution dont mort. Je viens de croiser Jacques Coursil et plaît aux jeunes (croyait-il)… La création de l’ONJ, que ça t’a apporté et en même temps est-ce que dispose cette musique et comme vous n’allez pas j’aimerais faire quelque chose avec lui. J’ai un c’est cela aussi... Sa projection ne va pas beaucoup ça a apporté aussi un lot de frustrations ? créer des centres nationaux pour le jazz, moi je projet de quintet pour l’année prochaine. C’est plus loin que cela par rapport à cette musique DL : Ça passe très vite 3 ans, donc j’ai écrit dirigerais bien une structure ». J’ai toujours eu reparti ! mais il y avait un préjugé favorable, un geste comme un malade. J’ai eu la joie d’aller dans envie de diriger un établissement où on puisse envers une musique qui n’avait pas été prise en des tas d’endroits vraiment intéressants en construire des projets. J’ai confondu en effet une compte jusque-là, une reconnaissance de valeur. particulier à l’étranger (où, tout de même, le fait Scène Nationale avec un Centre Dramatique 1) Claude Gagnasso Big Band : Head Under Legs que la France se soit dotée d’un ONJ génère sans National ou un Centre Chorégraphique National. (Vega) JR : C’est une époque où il y a plus d’opportunités. doute l’étonnement, mais fait aussi figure Je me suis dit : « je vais arriver dans une 2) Yochk’o Seffer Et en même temps, il y a une rupture. d’exemple). Frustration je sais pas, on est maison, certes pluridisciplinaire, mais avec une 3) Perception & Friends (Admi) DL : Je crois que c’est à l’automne 1986 qu’il y a tellement dans la vitesse. option forte musique, avec ma petite histoire et 4) Scoop avec Steve Lacy, Tony Coe, Radu Malfatti, Marc Charig, Gérard Marais, Gérard Buquet et Tony le colloque de Mulhouse sur l’enseignement du je vais me poser là-dessus ». Or ce n’est pas Oxley (In & out) jazz ou Maurice Fleuret est venu ; George Russel JR : Et quand cela s’arrête ? cela. Un Centre Dramatique oui : le directeur et Ran Blake étaient invités. L’apparition d’un DL : Ça s’arrête, voilà ! Moi j’ai choisi une est obligatoirement un metteur en scène. Un balisage administratif de la qualification crée une directeur de scène nationale, c’est un programmateur, mais ce n’est pas un artiste par définition. Donc, tu as tout le poids de la maison sur le dos et tu n’es pas attendu pour tes propres Disques de Didier Levallet en vente aux Allumés du productions. Il y a des cas exceptionnels comme Jazz : Dominique Répécaud à Vandeuvre-les-Nancy, Swing Strings System - Eurydice - (EvidenceEVCD06) mais il était déjà dans la place avant d’être Super Swing Strings System - Paris Suite - (Evidence EVCD07) directeur. C’est le seul. Moi j’étais le seul à être Swing Strings System - (EvidenceFA449) Beckett, Levallet - Images of Clarity - (EvidenceEVCD315) nommé en tant que musicien de jazz, directeur ONJ - Didier Levallet - Séquences - (Evidence EVCD928) d’une structure. Tu as tellement de trucs qui te ONJ - Didier Levallet - Deep Feelings - (Evidence FA448) tombent sur la tête que tu n’as pas le temps de faire grand chose pour toi. Je savais que j’allais être puni pendant 3-4 ans après l’ONJ, alors… « embarquons-nous là-dedans, ça m’a toujours titillé ». J’ai fait quelques petits trucs mais peu. Au moins, j’ai aidé la musique des autres à vivre. Peut être avais-je besoin de recul. J’ai continué à faire de la musique improvisée. Il y a ce trio avec Günter Sommer et Sylvain Kassap qui existe encore depuis 30 ans. Dans 15 jours, je suis en Allemagne avec eux. De gauche à droite, les contrebassistes de jazz, Kent Carter, Léon Francioli, Didier Levallet, Jean-François Jenny-Clark et Barre Phillips, concert en hommage à Beb Guérin, Bobino, JR : Là, on fait un petit flash novembre 1980 back. Il y a une création d’une maison de disques Évidence avec Sylvain ? autre mentalité. On quitte un certain romantisme. manœuvre de diversion. DL : Oui Evidence en 1985 avec Un élève de conservatoire, c’est quelqu’un qui Après, de toute façon, tu ne fous plus rien. Roger Fontanel de Nevers. achète un service et on doit lui donner ce pour Frustrations, elles sont d’un autre ordre. Je ne Maintenant le catalogue est en quoi il paye. comprends pas que les musiciens de la valeur de exploitation chez Frémaux. et Harry Beckett n’aient jamais À un moment où les disques Dominique Pifarély (violon), Didier Levallet (contre - JR : Quelle était l’urgence de l’enseignement du attiré l’attention des commentateurs. commençaient à plonger du nez, basse), Rencontres internationales De Jazz de Nevers, jazz de cette façon-là. on n’a plus suivi cette affaire-là. novembre 2006 DL : Ce n’est pas nous qui avons choisi cela. C’est Mais ça a quand même duré Salut Lol 14 LES ALLUMÉS DU JAZZ 3EME TRIMESTRE 2012

Guy Le Querrec - Magnum Encyclopédie EME 15 LES ALLUMÉS DU JAZZ 3 TRIMESTRE 2012

LES MOTS POUR NE PAS TOUJOURS LE DIRE

Texte du Docteur Stpox et ses amis musiciens, Jean-Jacques Birgé, Sylvain Darifourcq, Hubert Dupont, Dominique Pifarély, Guillaume Roy, Guillaume Séguron, Bruno Tocanne, Illustrations de Pic et Ouin, photo de Guillaume Séguron omme tout le monde, je vis dans cette « société du Cspectacle », où les mots « Si j'avais le pouvoir, je commencerais par redonner leur sens aux mots » (Confucius) comme « incontournable », « indispensable » , « extraordinaire »... sont sur-utilisés, galvaudés, Les mots virevoltent, se gonflent puis se vident lorsqu’ils ne deviennent plus que des ombres de tics, des facilités réductrices, de « dé-substantéifiés ». Ces excès brouillent tout repère, aplatissent préjugés qui ne savent plus où se « nicher ». Le Docteur Stpox et ses amis musiciens font leur petit tour du nouveau et la réalité, et la seule chose que j'ai envahissant dictionnaire. trouvée pour vivre dans notre milieu le plus sereinement, c'est de rtiste émergent = en langage m'y tenir à distance. Quel ne fut DRAC : le jazzman est trop cher, LES ALLUMÉS SONT-ILS NORMAUX ? pas mon soulagement de constater Al'émergent est valorisé par son que non seulement je n'étais titre et du coup (coût ?) moitié prix. oin du mundillo de la création franco-française, cette Tour de Babel si emblématique de la visiblement pas le seul à en L'artiste émergent peut tout à fait être filière musicale, les Allumés du jazz proposent un choix jubilatoire et improbable d’artistes souffrir, mais qu'en plus Les quinquagénaire voire incontournable. Allumés du Jazz consacrerait un émergents ou confirmés, souvent venus d’horizons différents, voire des quatre coins de la Création = j'ai fait un nouveau casting. L article à cette plaie ! Downloader = je ne vends rien, mais planète. Le catalogue fonctionne quelque part comme une mise en abyme des musiques dans le monde entier. actuelles, amplifiées, contemporaines, d’aujourd’hui, nouvelles, ethniques, fusion, main stream, Trois petites choses : Emblématique = indissociable de figure post-next, jazz, free, improvisation libre ou préméditée, konzept zak, newdeal zik, régional blue, et de mouvement. vinyl corse, neo cool… Musiques de niches, incontournables du répertoire, perles rares, création La première est une réflexion qui Filière musicale = à la queue comme tout mondiale… Le tout présenté de façon ludique et jubilatoire, dans un improbable journal et sur un m'est venue la dernière fois que je le monde ? qu'en pense Boulez ? Serais- site qui - tout en restant normal et accessible à Monsieur et Madame Tout-le-monde et au suis tombé sur l'inévitable dossier je dans la même filière que Patrick Juvet ? Français moyen comme à la ménagère de moins de cinquante ans - a su se rendre incontournable. de Jazz Magazine-Jazzman : « Les Forwarder = verbe du premier groupe Vous pouvez forwarder l’info, les downloader de tout poil n’ont qu’à bien se tenir, les problèmes disques indispensabes ». Le « non-initié » particulièrement savoureux à l'imparfait qui reste de marbre à l'écoute de de gestion et de gouvernance du net n’ont pas ici leur place. Normal, ces gens ne connaissent du subjonctif. Kind of Blue , se donnera-t-il une Gouvernance = généralement, elle est rien au spectacle vivant. Même pas en disque. autre chance ? Qui plus est, si ses bonne, et se marie très bien avec : c'est Dr Stpox poils ne se dressent pas plus à une histoire ou une question de... l'écoute du nouveau virtuose du Improbable = hautement bien sûr, piano mensuel ? Refuser de mesurer l'improbabilité a besoin de hauteur. ce genre de jugement journalistique Incontournable = désormais incontournable, et refuser d'appeler un concert le sommet d'une carrière. raté, un concert raté (sous prétexte Jubilatoire = souvent aussi haut que que les musiciens sont des improbable. Américains, des Icônes de la Mise en abyme = très en vogue dans la musique improvisée etc.), favorise musique improvisée il y a quinze ans. La à mon avis le désintérêt du public définition de l'Encyclopédie Universalis pour ces musiques. Nous avons laisse songeur : Associé à André Gide et au tous entendu cette phrase « Oh Nouveau Roman, qui l'a popularisé, le terme mais moi j'y connais rien, j'ai pas de « mise en abyme » est volontiers utilisé compris le concert, je n'ai pas les aujourd'hui pour désigner indifféremment références ». J'ai malheureusement toute modalité autoréflexive d'un texte ou constaté qu'il pouvait souvent d'une représentation figurée. Ainsi Fable de s'agir de concert raté où les éner - Francis Ponge sera-t-il qualifié de poème « en gies n'avaient pas circulé... abyme », puisqu'il exploite l'autoréférence, pratique le repli narcissique sur soi et s'écrit, La seconde concerne le mot comme le fameux Sonnet en X mallarméen, création . Beaucoup de musiciens sous le signe du « langage se réfléchissant ». constatent les effets pervers sur la Musique actuelle = appelons le jazz lisibilité (et donc l'engagement ou musique inactuelle, il ne s'en portera pas du public) du sens donné à que mieux. CREATION par les programmateurs. Musique de niche = pauvre chien. Sous l'impulsion des financeurs Normal = la musique de Dave Holland ? publics et privés (puisqu'il faut Spectacle vivant = une référence à Zappa rendre compte de l'utilisation de sans doute (« jazz is not dead it just smells leurs subventions), la création funny »). devient la simple rencontre inédite Guillaume Roy de deux ou plusieurs personnalités. La notion artistique (créer du nou veau) est reléguée au second plan. Il est d'autant plus étonnant de constater que les musiciens des scènes expérimentales n'utilisent pas ce mot... Là encore, il s'agit quasiment de désinformation - le public auprès du public. La dernière est une simple anecdote, - les publics (ha ! ha !) elle concerne la notion d'artiste émergent, (ce qui me touche de - en direction des près...). Claude Tchamitchian m'a dit : « Je plains sincèrement votre publics (youpi !) géné ration, cette étiquette vous collera à la peau jusqu’à 40 ans. Nous, on - médiation nous considérait comme des artistes arrivés à maturité, à 30 ans. » - proposition artistique ... Merde ...

Dominique Pifarély Sylvain Darifourcq

Encyclopédie 16 EME LES ALLUMÉS DU JAZZ 3 TRIMESTRE 2012

E R I D E L S R U O J U O T S A P E N R U O P S T O M S E L Tableau : Diana Escobar et photo : Guillaume Séguron (SUITE)

haque langue, issue du passé et enrichie où il s'est laissé enfermer. Les chapelles par les invasions, est toujours constituée empêchent les grands mouvem ents de se réaliser Cde glissements de sens. Certaines expres - et les indépendants de survivre à défaut de vivre. sions l'enrichissent, d'autres la réduisent. Notre Ce serait ainsi jubilatoire si nous nous battions époque n'a aucune raison d'échapper à la règle. tous ensemble contre l'horreur et la stupidité, usique de niche / I wanna be your Ça me va. J’aime la chanson de Léo Ferré. L' artiste émergent serait-il un éphémère qui l'intolérance et la rivalité, non ? dog disparaîtra aussi vite qu'il fut lancé, produit La mise en abyme est un chat qui se mord la M Puis, Kleenex destiné au marché à court terme, ou queue. Est-ce une preuve d'immaturité, d'une Si c’est d’eux dont il question lorsque l’on dit : représentera-t-il l'art officiel que certains grande souplesse ou la vue à long terme qui Fabuleux ! « Il fait un temps à ne pas laisser un chien dehors », modernes pensent actuel sans se rendre nous permet d'envisager le cosmos en nous Avant de la lire, je ne connaissais pas ils doivent vraiment être plus qu'exécrables. compte que la mode n'a d'intérêt que si on la ramenant à notre infiniment petite condition l’exis tence de cette expression. Mais, là ça ne me va pas. Vraiment pas. fait et que l'actualité est un rideau de fumée d'être humain ? Je ne l’avais jamais entendue. Pas même lue. Il fait un temps de chien, une humeur de qui n'a d'autre propos que La musique de niche est une bonne Aucune part. Vraiment. Rien ne pouvait me chien, sale clébard… d'enfumer le consommateur blague. Il n'existe plus aucun laisser supposer son existence. Il s’agit donc pour mieux manipuler ses espace qui ne soit colonisé ou en pour moi d’une découverte. Ailleurs, goûts ? La musique actuelle passe de l'être. Les avant-gardes Je laisse filer ma pensée. Je connais certains chiens(nnes) qui ont l’œil n'a pas le temps d'arriver à ont disparu avec le gros des Une niche ? vif et l’oreille alerte qui ne ressemblent à rien la coda qu'elle est déjà troupes, faute aux professionnels N’est-ce pas « riche » qu’il faut lire (?) d’autre qu’à un chien, qui ne sentent rien dépassée par une autre de la profession de savoir encore Là, ça irait, ça fonctionne. d’autre que le chien. Ils sont souvent de taille lessive qui lave encore plus reconnaître le bon grain de l'ivraie. J’aime ce genre de confusions. De dérapages. moyenne, noirs avec une tache blanche sur le blanc. Défendons le noir ! On sème n'importe quoi, pourvu sommet d‘une oreille. A 50 mètres, ils savent La création s'oppose-t-elle à que les germes soient à la mode, Musique de riches ? Pour les riches ? Oui. que c’est toi. Lorsque tu te promènes en leur l'évolution, pensée actuels comme ils disent. Le bio Admettons. compagnie, ils font 4 fois le trajet tellement ils réactionnaire qui laisserait est un marché juteux. Presque plus Et ça résonne avec Musique de niche si par courent devant, derrière pour voir si tout va croire à quelque génération personne ne sait ce que signifie niche on entend « niche fiscale ». bien. Que de vie, d’énergie ! Rien ne les spontanée, ou bien le « faire sens ». dérange vraiment, même pas la pluie. J’en ai statut d'œuvre d'art est-il Mais, on ne peut pas subodorer qu’en plaçant connu un qui, en hiver, cassait la glace de la devenu obsolète puisque La normalité est devenue la norme. son argent dans nos musiques, on pourrait rivière pour se prendre un bain. Ils sont cool et chacun se rêve ou se croit L'invention est mal vue. Les sourds payer moins ou pas d’impôts. Quoique ? Non. de leurs grands yeux (lorsque tu t’arrêtes, artiste pour avoir pris les ont gagné la première manche. Ce Vraiment non. perdu dans tes pensées), ils semblent toujours commandes de quelque qui dérange est ignoré. Dommage (peut-être que c’est finalement te poser une question. Ils sont gentils, scrupuleux, application numérique ? Comme si un artiste Heureusement les résistants n'ont pas d'autre pré férable, quoique…) ils s’occupent des enfants, de ceux qui dorment avait le choix ! choix que de continuer. Il faut vivre vieux, et debout ! au pied d’un poirier. Ils ne demandent rien Downloader n'est que le terme anglais pour Si le spectacle vivant s'oppose au spectacle Une niche, c’est l’abri, sinon la maison, d’un d’autre que d’être là, avec toi (mon vieux télécharger. Internet a révolutionné les mort, je rêve de faire se relever les zombies, chien. Non ? René), de faire leur boulot de chien. échanges. Contrairement à ce qui fut annoncé, pour que les révolutionnaires assassinés depuis La niche dépend de l’affection que l’on porte on n'a jamais tant écrit depuis l'avènement du la nuit des temps marchent sur les ruines d'une au (à la) chien(ne). Elle dépend aussi du lieu Généralement ils s’appellent Bobby. numérique. Quant au piratage, Peer to Peer ou civilisation où la peau de chagrin est devenue si où vivent les « maîtres », certainement Tu as raison Bobby. streaming, trois termes absents de la liste, exigüe qu'on sera obligé d'inventer de nouvelles uto - une mai son à la campagne ou avec un jardin. n'est-il pas plus urgent de faire circuler les pies pour continuer à partager la passion qui Ici, on ne cherche pas à savoir s’ils ont des Il doit y avoir une musique pour toi Bobby. œuvres et les informations que de protéger les nous anime, dernier rempart contre la barbarie, niches fiscales. droits des auteurs, même si une rétribution est avec l'espoir que nos sociétés, comme leurs Je n’ai jamais connu de niche pour chien absolument nécessaire ? La culture n'a pas de prix. langues, sauront se renouveler et éviter la d’ap partement… Emblématique du capitalisme sauvage qui catastrophe. amplifie les inégalités et rénove les Il existe tant de nouveaux mots, certains plus Une Musique de niche serait donc la musique mécanismes de l'exploitation de l'homme par gros que les autres. On aurait pu ainsi gloser que l’on passe dans la maison d’un chien l'homme, la filière musicale n'est rien d'autre sur parité, discrimination positive ou je ne sais vivant à la campagne ? qu'un marché parmi les autres, animé du même quelle expression en vogue à la télévision et Pourquoi pas. Admettons. Il y a bien des psy cynisme, vidant de leur sens les œuvres pour dans les grands médias. Les femmes, les pour les chiens. les transformer en produits. homos ou les bronzés ont pourtant encore du Forwader , c'est faire suivre. Alors forwardons, chemin à faire avant que leur condition ne Ou bien, forwardons, partageons, surtout les informa - passe après leurs aptitudes individuelles. Les chiennes et les chiens sont ces êtres tions… Au lieu de se diluer ou de se diviser, J'oublie les autres espèces que les uns comme anthropomorphiques qui écoutent certaines elles se multiplieront. les autres ne respectent aujourd'hui pas plus musiques de… chiens (?) Certainement pas une Musique de niche, car Quant à l' improbable , c'est le réel. Tout est qu'ils ne se respectent eux-mêmes. Œuvrons Ce ne peut être que le terme pour dire qu’il de niche Bobby, tu n’en as pas. possible. C'est même certain. donc pour inventer de nouveaux mots qui existe une musique pour les chiens ? Tu dors à mes côtés. (Merci Léo) On souhaiterait pourtant plus souvent laissent entrevoir qu'un autre monde, plus juste Une catégorie de clébards émergents, en l' incontournable , la marque indélébile, le choc et fraternel, est envisageable. un quelque sorte ? de la rencontre. Peu importe que l'on aime ou Là, par contre, j’en connais : Iggy (par Guillaume Séguron pas. Il y a un avant et un après. Encore Jean-Jacques Birgé , compositeur touche-à-tout exem ple : « I wanna be your dog ». Il y en a faudrait-il que chacun sorte de la petite boîte bien d’autres…). « Nous estimons les ecchymoses des Esquimaux aux mots exquis » Marcel Duchamp

u gré de mes navigations sur le net, en produc tion collective, mécanisée, standardisée. fin, contrairement à l’ouvrier qui n’a pas de D’après le Larousse en ligne, définition de cherchant « artistes arti sans », j'ai En effet, les productions de l’art sont singularisées rap port personnel avec ce qu’il est en train de « filière » dont la seule définition qui corresponde Atrouvé cet extrait de cours de philo qui (et non pas en série comme dans l’industrie) et produire ; à ce qui nous concernerait est issue du langage pourrait amener de l'eau à notre moulin. supposent des connaissances d’ordre économique : « Ensemble des phases d'un empirique, c’est-à-dire liées à l’expé rience • leur production est faite selon les règles de processus de pro duction qui permettent de Qu’ont en commun l’artiste et l’artisan ? (et non pas scientifiques comme pour la l’art : tous deux doivent sui vre une certaine passer de la matière première au produit fini a. La tecknè : définition du mot art. tech nologie). méthode et respecter des techniques plus ou moins vendu sur le marché. (Elle englobe toutes les Au sens grec de tecknè, l’art est une activité b. Artistes et artisans sont tous deux des gens codifiées. On ne s’improvise pas plus musicien étapes de transformation depuis l'amont qui produit quelque chose venant s’ajouter à la de l’art. que menuisier : un apprentissage est jusqu'à l'aval pour obte nir une famille de nature : c’est une habileté acquise par L’assimilation historique entre l’artiste et néces saire. Contrairement à ce que l’on peut produits. Par exemple, la filière bois ou textile.) » apprentissage et qui repose sur des l’arti san se justifie par de nombreux points prétendre, l’artiste n’est pas l’ins piré qui connaissances empiriques. Telle est la communs entre leurs pratiques : crée sans effort. Il ne peut acquérir la maîtrise Bruno Tocanne défini tion que donne Aristote de l’art dans la • artiste et artisan produisent tous deux une de son art qu’en l’exerçant (« Cent fois sur le Physique (livre II). œuvre singulière et originale ; métier remettez votre ouvrage », écrit Boileau L’art de l’artiste, comme celui de l’artisan, en parlant de l’art poétique). se distingue de l’industrie vue comme • tous deux suivent la production du début à la Encyclopédie EME 17 LES ALLUMÉS DU JAZZ 3 TRIMESTRE 2012

Illustration de Ouin LES PAS POUR NE LE DIRE TOUJOURS MOTS (SUITE)

« Un mot et tout est sauvé ; un mot et tout est perdu. » André Breton e problème qu’on avait avec la critique critique musicale n’est pas suspecte de chercher Filière musicale : c’est du jargon économique ; à y perdre son slip musicale, c’est quand elle était tenue avant tout à fournir aux annonceurs du temps ça voudrait dire l’industrie musicale (disque) ... Lpar de s mandarins qui ne se déplaçaie nt de cerveau disponible, grâce à une prose bien + les concerts (spectacle vivant) ? jamais hors des salles prestigieuses avec des calibrée... et ça, c’est kooool ! Mise en abyme : ok pardonné. groupes connus ; les nouvelles aventures Gouvernance : c’est de la politique ?... On vic times du black-out, l’underground bien là Artiste émergent : c’est du jargon technocratique peut parler de politique ?... Musique actuelle (musiques actuelles, où il est. C’est encore le cas pour les grands des politiques culturelles, ou des virtuoses du business- « musique-z-ac ») : c’est du jargon technocratique ; medias, mais ailleurs ça a un peu changé model. A manier intentionnellement, ou pas du tout. Improbable : faire exister un truc improbable, en dehors, on ne sait pas ce que ça veut dire avec le net, avec cette liberté de publier ce c’est plutôt bien, non ? (tout sauf le classique ?...). qu’on veut en temps réel, y compris sur des Création : c’est pas un gros mot ! C’est un blogs et des sites qui font référence. Par acte ou une attitude qui fait partie de Incontournable : ce mot, en parlant d’un Musique de niche : c’est du jargon technocratique ; contre, soyons sympas avec les critiques qui notre réa lité quotidienne j’espère - il artiste, ne s’adresse qu’au microcosme ; il n’a en dehors, on ne sait pas ce que ça veut dire viennent nous voir et qui écrivent sur nous ! appar tient à chacun d’apprendre assez pas de sens quand on le projette vers le (moi et ma meute de fans ?...). Ils font un boulot salement difficile mince de cul ture pour comprendre avec modestie public, ça devient même une insulte. j’aim erais pas être à leur place - et puis souvent qu’en réalité, il n’invente pratiquement rien, Spectacle vivant : c’est du jargon technocratique ils savent sacrément écrire - , et ils ont le dr oit et c’est un autre problème. Pour ma part, Jubilatoire : ok c’est pardonné... ce mot- (pour nous en musique, ce serait les concer ts, le de voir d’être horriblement partial et subjec tif, quand je dois décrire ma musique pour le co ncept est un vrai challenge pour les écrive urs sans inclure le disque ni l’audiovisuel) en deho rs, et d’utiliser du langage original et raffiné, public, je déteste parler de ça ; je mets plutôt qui essaient de ne pas se répéter : pour leur on ne sait pas ce que ça veut dire. du jargon de spécia liste, des formules l’a ccent sur « il faut faire danser nos femmes ! » rendre service, je propose un concours branchouillos... Il reste un problème, c’est la ou, tout au plus, « j’aime être surpris ». Mais le de syno nymes, et je commence : Une cession mémorable, une sacrée jam-cession séduction du story-telling : si tu fournis du fait que l’institution distingue les musiques transgénial (s ic ! lu plusieurs fois dans la presse, ha ! ha !). roman à raconter en toile de fond de ta « de création » et les autres, ou bien qu’une over-bon Attention, une cession, c’est une vente de musique, la critique court - et si tu espères « première » s’appelle officiellement une bon à mourir spectacle ; une session, ça groove plus ). que l’attention se focalise avant tout sur la « création », c’est entré dans le langage de la busterkeatonesque musique, t’es mal ? ... Enfin quand même, la cri tique... un reflet de la réalité... à savoir manier ? fellinien Hubert Dupont Compagnonage 18 EME LES ALLUMÉS DU JAZZ 3 TRIMESTRE 2012 LE JAZZ À LA BAGUETTE

Texte de Walter Joisinau Illustration de Zou

ous recevez confortablement à votre journa l. Bref dans un avenir relativement pro che et domicile le « Journal des Allumés ». sans nous engager plus que de raison, il VPeut-être, et croyez-bien que nous devra it être possible de repartir du magasin vous en sommes reconnaissants, faites- avec une baguette, un journal, et un vous lire chaque numéro autour de vous. questionnaire : une vraie définition du Il vous faut cependant savoir qu’il bonheur. Nous vous tiendrons existe une distribution qu’on ne évid emment au courant des résultats saurait baptiser clandestine, et de l’opération et de son extension qui se traduit par un dépôt éventuelle car tout ceci n’aura dans un certain nombre somme toute qu’une valeur d’endroits publics. Certains expérimentale. Pour celles peuvent sembler insolites, et ceux qui viendraient à aussi nous apparaissent- trouver tout à coup ils dignes d’être signalés incongrue l’irruption parce qu’ils font après d’une boulangerie tout partie de la vie de dans une publication ce journal. Dans ce à vocation musicale, numéro, nous allons je rappellerai donc vous parler simplement que d’un lieu où le depuis la plus Journ al des Allumés haute antiquité, a depuis près d’un comme aurait pu an droit de cité, le dire Alexandre un lieu où celui Vialatte, la qui officie se lève musique a à l’heure où le toujours puisé musicien de jazz dans ce doma ine se couche. Si bon nombre de vous venez de ses références. prononcer le mot Je ne parlerai boul angerie bravo ! pas pour faire L’action se passe l’intéressant de à Paris. Faisant celle qui vit nôtre le dicton qui même un ancêtre affirme « qu’il vaut de Bach pratiqu er mieux aller au ce noble métier, boulanger qu’au mais de ce qui est méd ecin », remontons entré dans les la rue de Ménilmontant moeurs à commence r pour nous arrêter sur par le vocabulaire le trottoir de droite au notamment celui des num éro 90. Nous som mes musiciens. alors presque au croisement N’appelle-t-on pas de la rue des Pyrénées, et généralement une fausse pour être précis juste avant note un « pain » et l’exécution la rue Boyer, où les échos de d’un morceau comportant la « Maroquinerie » et de la précisément un assez grand « Bellevilloise » laissent parfois nombre de fausses notes, une tourner dans l’air du soir des « boulangerie » ? Par extension, et musiques qui nous sont familières. même si la multiplication des pains Cette boulangerie est assez particulière. es t pourtant a priori un phénomè ne Par la trajectoire de vie du propriétaire d’essence divine, le musicien qui les pour commencer. Il n’est en effet pas si collectionne n’est-il pas pour autant lui courant, qu’au sortir d’une fonction de aussi affublé de cette épithète infamante ? Secrétaire Général d’une structure para-étatique En fait, je vais vous dire, sur ce registre tout le de dix mille personnes brusquement interrompue problème est de ne pas abuser. On est généralement par les aléas politiques liés à ce type de poste (pour plus indulgent avec une fausse note isolée dans un faire vite), un homme décide de se faire boulanger. solo inspiré, parce qu’elle sera toujours préférable à Le besoin de changer de vie, de rompre radicalement avec un quelque chose d’insipide exécuté avec justesse mais sans passé récent, le souvenir d’odeurs remontant à l’enfance (nous imagin ation. Il y a d’ailleurs sur ce champ des spécialistes célèbres et savons tous que le coup de la madeleine ici particulièrement en l’histoire contemporaine nous a même permis de vérifier, de situation, peut frapper à tout moment de l’existence), on peut Gérard Philippe à Gary Peacock, qu’on pouvait même jouer ass ez toujours trouver mille raisons pour expliquer l’inexplicable tout au régulièrement faux sans que cela soit rédhibitoire. A condition d’avoir ce moins pour les témoins ébahis d’une vie antérieure. Mais après que nous appellerons la « grâce », bref quelque chose d’unique, de tout, quand on est convaincu depuis toujours de l’importance du arrondissement et les prix encore (relativement) abordables de rayonnant, qui emporte l’adhésion et fait oublier le reste. process, le terrain d’application peut bien changer, on n’est en l’immobilier. Dans la grande tradition de nos conseils pratiques, une dernière fait jamais dépaysé. Pour le reste, il suffit d’écouter le maître des chose, juste avant d’éteindre : si vous comptez entreprendre lieux expliquer dans une langue qui nous parle que « dans le pain A chaque numéro du journal, une centaine d’exemplaires, parfois plus, quelque jour l’ascension de la rue de Ménilmontant (pour le pain comme ailleurs, ce n’est pas le produit qui compte, mais la façon est déposée dans la boutique et exposée bien en vue juste devant où l e journal voire les deux c’est au choix) soyez raisonnables en veillant de faire ». Autant dire que le maillon le plus faible, comme dans la caisse. Je vais résister, et c’est particulièrement méritoire, à à monter progressivement sachant que la mise en place d’un la musique, n’est pas la matière mais l’homme, dans sa faiblesse et l’image qui s’impose et me contenter de dire qu’ils partent très camp de base n’est toutefois pas indispensable. Il vous faut ses contradictions. Pour le boulanger, le pain ne se voit pas, il se vit. rapidement. Dès que le délai de parution, par définition aléatoire, juste ne pas oublier que nous avons ici affaire à du 8% ce qui La clientèle est venue progressivement. La présence d’une de cette publication commence à s’étirer quelque peu, les clients correspond tout bonnement à la pente moyenne de la secré taire devenue pâtissière et dont certains gâteaux (je pense demandent régulièrement si le prochain numéro va enfin paraître. montée de l’Alpe d’Huez ! Quelle ville ! plus spécialement à la tarte citron-meringuée et au moelleux au Pour la boulangerie, c’est une source d’échange supplémentaire, chocolat) ont aujourd’hui largement franchi les pyrénées (je parle pour la réputation du journal, c’est pain bénit. Les Scop Pains d Abord de la rue mais je ne plaisante pas et prends les paris), a largement Récemment, nous avons pris conscience que nous avions en Boulangerie pesé dans la balance. Cette clientèle recouvre ici une population l’espèce un observatoire intéressant au niveau du lectorat, et 90 rue de Ménilmontant très diverse, assez récemment grossie de ce qu’on appelle qu’il était peut-être judicieux de s’en servir pour poser quelques 75020 Paris communément des « bobos » attirés par le charme ancien du vingtième questions ; c’est un vieux débat que nous avons au sein du tél 01 46 36 53 81 La vie à la boutique 19 LES ALLUMÉS DU JAZZ 3EME TRIMESTRE 2012

Photos JP et Clelia Vega LE JOURNAL DES ALLUMETTES

olà bonnes gens ! résonner nos catalogues. Ça festoie dans la Qu'il est joyeux pardieu de Hboutique ! Nous, voir nos compagnons dames Cécile et Valérie, Bernard Coron, Jean-Paul jumelles de la bonne galette, Ricard, Sophie Chambon, vous accueillons au magasin Françoise Bastianelli chaque fois qu'il est possible dresser leur étal à Charlee avec nos amis musiciens : free ou au château de la princesse Clélia Vega, Didier Tour d'Aigues, le rendant Petit chevalier de Bourgogne, aux manants, où foisonnent le tambourinaire Bruno disques, livres, tee-shirts, Tocanne et son compagnon bons conseils et sourires. Rémi Gaudillat, les troubadours Oui nous aimons partager Sylvain Kassap et Hélène nos remèdes de fortune que Labarrière. Et point ne nos amis musiciens, mourrez-vous de so if auprès producteurs et tous leurs d'une fontaine, lorsqu’abondent alliés, préparent avec amour. liqueurs délic ieuses, gâteaux succulent s, figues ou thés Cécile et Valérie. d'orient ! Ah qu'il est bon de vendre des disques, de les partager ! Qu’il est bon aussi de chevaucher jusqu’à Luz-Saint-Sauveur où la musique est libre et où la montagne bienveillante fait

GAUDILLAT /KELLER /TOCANNE CALL IT ANYTHING IMR CIA01 Rémi Gaudillat CLELIA VEGA (trompette, bugle), SILENT REVOLUTION Benoît Keller (contrebasse), Vicious circle Bruno Tocanne (batterie) Clelia Vega (voix)

12 € 12 €

KASSAP/LABARRIERE PICCOLO DIDIER PETIT Evidence EVCDFA447 DON’T EXPLAIN Sylvain Kassap (clarinettes), Buda in situ 860183 Hélène Labarrière Didier Petit (violoncelle) (contrebasse)

15 € 17 € 20 Aubades L E S A L L U M É S D U J A Z Z 3EME TRIMESTRE 2012

obie Watkins (batterie), Sammy Figueroa (percussions), Bob Cranshaw (basse), Peter Bernstein (guitare), Clifton SONNY ROLLINS JAZZ À JUAN K Anderson (trombone).

Texte de Etienne Brunet J’ai une peur bleue de la vieillesse. Sonny Rollins m’a donné le courage d’affronter l’inéluctable. J’ai écouté Rollins au Festival Illustration de Nathalie Ferlut de Juan-les-Pins, dans la Pinède entourée par les yachts avec piste d’hélicoptère, lingots d’or palpables bien qu’inaccessibles et maillots de bains multicolores. Au coucher du soleil, Sonny monte sur scène. Il a 82 ans. Il arrive le dos plié à moitié avec son saxo ténor comme une canne virtuelle. Il est vêtu d’un élé gant costume bleu clair de soie brillante, il est mangé par une énorme barbe et une coiffure afro blanche comme neige. La musique démarre au quart de tour. J’oublie instantanément l’insondable cau chemar de la Côte d’Azur.

Sonny joue le présent à fond vers la beauté. Il réécrit les stan dards comme on écrit un scénario à partir d'un roman. Changement de ton, de titre, condensation de l’histoire pour atteindre direct le noyau « audio-actif » du jazz immortel. Bien sûr la musique n’est pas narrative. Seule l’émotion créée par le phéno mène du jeu donne cette sensation de vécu. Appelons ce phénomène le « Sonny’s Tone » qui est bien plus impressionnant que ces vieux roublards de « Rolling Stones ». On entend deux sources débordantes dans les chorus de Sonny : l’implacable tempo latin et le blues. Certaines de ses composi - ti ons/improvisations comme « Blossom », mot qui signifie « fleur » en anglais classique, donnent une vision des années soixante-dix comme un rêve. Si quelqu’un me demandait de résumer comment étaient les « seventies » de mon adolescence, je lui ferai simplement écouter la version enregistrée en concert en Suède en 1980 par Rollins de « Blossom », sur le disque Road Shows vol 1 . Il syn thétise Coltrane et Ayler, il phagocyte le Gato Barbieri ultra sexe et contestataire d’une époque révolue. Il explose mesures après mesures, points d'appui harmoniques après points d'ap pui rythmiques, ponts, viaducs et bridges tra versés comme une furie défiant la mort dans une course effrénée. Le « géant » du ténor présente ses musiciens (un orchestre fantastique) avec une voix fluette et chevrotante. Rollins n'est pas un « Allumé du Jazz », mais il est lumineux des pieds à la tête. Il faut à nouveau écouter encore et encore la modernité du jazz, la sagesse du conseil des vieux, ne jamais céder un seul instant au découragement de la mort, conserver l’énergie foudroyante de l’âge mûr. Sonny Rollins est le vieux chef du « village mondial ».

BON DE COMMANDE - Disques p. 24 à 27 et références en fin d’article dans tout le numéro ou sur www. allumesdujazz.com Allumés Du Jazz - 2 rue de la Galère 72000 LE MANS - FRANCE - WWW.ALLUMESDUJAZZ.COM

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NOM / PRÉNOM …………………….……………………………….……………………………….……………………………….……………………………….………. ADRESSE …………………….……………………………….……………………………….……………………………….……………………………….…………...... CODE POSTALE / VILLE / PAYS …………………….……………………………….……………………………….……………………………….…………...... TELEPHONE / FAX / MAIL …………………….……………………………….……………………………….……………………………….…………...... FRAIS DE PORT* / NET À PAYER …………………….……………………………….……………………………….……………………………….…………......

*FRAIS DE PORT EN EUROS / France métropolitain e: forfait port et emballage (1à 2 C D= 2,00) (3 à 4C D= 2,50) (5 à 6 C D= 3,50) (7 CD et plus = 7,00) / Europe (1à 2 C D= 2,50) (3 à 5C D= 4,50) (6 CD et plus = 10,00) Monde (1à 2 C D= 2,50) (3 à 4C D= 4,50) (5 à 6 C D= 5,00) (7 CD et plus = 15,00) Emplettes EME 21 LES ALLUMÉS DU JAZZ 3 TRIMESTRE 2012

POLAR, LITTÉRATURE DE GARE ET PHILOSOPHIES DE COMPTOIR

Texte de Inspecteur de Paul Illustration de Efix

ans ce journal, certains dos d’un de ses livres : Lune aux suicidés (à lire dans l’ordre !). disons le haut et fort… nous proposent quelques cacher un bon polar… mauvais esprits - que sanglante … Critique signée par C’est la trilogie Lloyd Hopkins, bonnes choses, notamment Dnous ne nommerons pas le « père » du néo polar, le du nom de son personnage Une autre bonne surprise : Morte la bête de Lotte et Pour vous remettre d’aplomb, - ont par le passé abusivement et gauchiste, libertaire, collectiviste, récurrent. Un ensemble 658 de John Verdon. Soren Hammer : on pense au lisez d’urgence Le bar parfait de lâchement éreinté la critique. Il anarcho, situ, et j’en passe, cohérent et clairement La facture est classique et les Menkel de Les Morts de la Jean-Bernard Pouy, car en est vrai que certains « journalistes » Jean Patrick Manchette ( Le fondateur : on retrouve son éléments de séduction un peu Saint Jean (très bon opus) en toute chose il faut la perfection prêtent le flanc… Mais attention ! petit bleu de la côte ouest , influence dans bien des polars trop maîtrisés, mais le tout un peu plus trash et un peu chercher… La critique fait parfois des Nada , La position du tireur qui suivront… Pour prendre un avec un style simple, une narration moins bien pensant. miracles. Admettons que c’est couché …). L’éloge d’Ellroy, on exemple positif et constructif, claire, et des personnages bien J’ai aussi lu Minuit à Si vous avez raté tout ça très exceptionnel, mais c’est ce aurait compris ça de ADG ou Le poète sans doute le meilleur allumés. Ce qui emporte Copenhague de Dan Turèll, pendant l’été, il est encore qui m’est arrivé… Grisola… Mais là, Manchette ! livre de Michael Connelly, l’adhésion, c’est la synthèse malgré une critique élogieuse temps de se rattraper. Depuis longtemps, je rechigne En plus, la critique, au-delà de évoque sur bien des points quasiment parfaite entre le d’un confrère de Télérama , ce Bonne rentrée et vivement les à lire Ellroy, pour cause de la personnalité de son auteur, Lune sanglante … polar américain « moderne » torchon néo-chrétien de vacances ! droitisme aggravé. Certains de était convaincante : « … Un (Connely, Ellroy…) et le polar gauche à ambition culturo- mes amis, y compris dans des plus remarquables romans Il faut aussi lire Le caméléon européen - voire british - des télévisuelle (deux oxymores, l’honorable comité de rédaction noirs de la décennie, par sa noir et Nous avions un rêve de débuts, avec mystères, énigmes voire trois pour le prix d’un)… de ce journal, le considérant préoccupation intellectuelle élevée, Jake Lamar… C’est intellectuellement et policier perspicace (Conan Toujours au premier rang pour comme fasciste, raciste, réac, son écriture savante et, pour le complètement à l’autre bout de Doyle, Agatha Christie, etc.). susurrer avec les loups et xénophobe, néo conservateur, dire balistiquement, son l’Amérique : la classe moyenne Ca mérite largement le détour. essayer de nous faire croire ultralibéral autoritaire, bushiste, épou vantable puissance d’arrêt ». noire, l’intégration dans la bourgeoisie, Le volume suivant, N’ouvre pas que le polar, c’est de la littéra - reaganiste… J’avais malgré J’y ai passé une bonne partie le monde universitaire… les yeux est aussi bon. Il vaudra ture ! Bon, le bouquin est atta - tout tenté quelques incursions, de l’été. Au début, on croit être tombé quand même mieux attendre sa chant… Une sorte de réincar - mais clandestinement, sans sur un de ces romans communautaires sortie en poche, moins onéreuse. nation nordique du Marlowe de jamais me résoudre à autre James Ellroy donc… Le mec dont les amerlos nous abreu - Chandler par Altman ( Le privé chose que quelques extraits… est sûrement facho, mais les vent régulièrement. Mais c’est Quelques nouveautés nordiques : avec Elliot Gould, à revoir…). Un jour du début de l’été, bouquins sont à lire, sans tellement tordu, incorrect et les Suédois cherchant toujours Comme quoi il ne faut en provision de polars vacancière aucun doute. Je vous recommande subtilement mal élevé qu’on se leurs nouveaux Menkel ou aucun cas se fier à la oblige, je tombe en arrêt pour commencer Lune sanglante , fait embarquer sans s’en Larson, avec chiffre d’affaires à critique… Une bonne critique devant une critique citée au A cause de la nuit et La colline rendre compte. Du bon polar, l’appui, ce sont les Danois qui dans Télérama peut aussi 22 Emplettes LES ALLUMÉS DU JAZZ 3EME TRIMESTRE 2012

LE DÉPART MADE IN MARSEILLE AGAIN

Texte de Jacques Thollot - Photo Malavida Films Texte de Pablo Cueco

ne nouvelle production du GRIM. L’abord est assez luxe : un coffret format carré noir mat, très soigné d’aspect général. Un système Ud’ouverture sobre et efficace… A l’intérieur, 13 images et autant de textes… On découvre que chaque texte correspond à une image… Et que celles-ci reproduisent des oeuvres marseillaises, c’est-à-dire visibles ou réalisées à Marseille (13 - Bouches- du-Rhône). Les temps, époques, périodes et styles se télescopent et s’interrogent sans céder à la tentation de se répondre. Le tout, très bien réalisé, toujours subtil. Sous toutes ces images et textes, on trouve un disque vinyl, noir, long play, 33t, 30 cm… Une galette à l’ancienne… Le son est très bon, très chaud – et ça ne vient pas que de l’analogique. Chaque plage correspond, bien sûr, à une œuvre et un texte. C’est de l’improvisation inspirée et généreuse, sans course à l’ego, sans « virtuosisme » ni facilités… C’est parfois vif, parfois mélancolique, parfois contemplatif… Toujours vivant. La musique respecte les œuvres et s’en nourrit, c’est très jouissif. Le duo violon acoustique / guitare électrique fonctionne parfaitement… Et pour cause : Fanny Paccoud au violon et Jean-Marc Montera à la guitare… Une production originale et étonnante, d’un raffinement sans près avoir assuré une formidable ressortie en salle (copie restaurée), Malavida ressort le fameux Départ de Jerzy Skolimowski en édition DVD. Thierry Jousse écrivait si justement à propos de ce complaisance. La classe ! Afilm où brillent Jean-Pierre Léaud et Catherine-Isabelle Duport : « C'est le film d'un temps où le risque et le désordre étaient à l'ordre du jour. Un film où rien ne s'accumule et tout se dilapide. Le film de vitesse et d'immaturité, d'ivresse et de mélancolie, d'exactitude et d'incertitude. C'est une rareté signée Skolimowski qui a plus de 30 ans d'âge et qui n'a rien perdu de sa folle énergie. » Cette réédition très musicale est accompagnée d’un cd de la bande originale (une des plus belles de toute l’histoire du cinéma) composée par Krzysztof Komeda et jouée par Don Cherry, Gato Barbieri, Jean- François Jenny-Clark, Jacques Thollot, Christiane Legrand, Philip Catherine, Jacques Pelzer… et de quelques 13 IMPROS bonus parmi lesquels une réinterprétation du thème par le quartet de Bertrand Ravalard avec Emile IMPROVISATIONS MUSICALES SUR LES OEUVRES DE 13 PEINTRES MARSEILLAIS 13 peintres : Parisien, les bandes annonces, une interview (très intéressante) de Willy Kurant ou une fantaisie sur Alphonse Alt, Georges Autard, Richard Baquié, Paquito Bolino, Bernard Boyer, Charles Jacky Ickx. Jacques Thollot se souvient du Départ . Camoin, Jean-Charles Ceccarelli, Honoré Daumier, Jean-Louis Delbès, Piotr Klemensiewicz, Pierre Puget, Lionel Scoccimaro, Gérard Tranquandi I « Dans un rapport, pur, immédiat, total. » Grim Musiques 6 Ces quelques mots de Marguerite Duras sur le film, pourraient en partie définir l'état d'esprit Fanny Paccoud (violon), Jean-Marc Montera (guitare) régnant lors de ces sessions d'enregistrements. Peu de répétitions, l'envie de jouer ensemble, Reproductions en quadrichromie de chaque tableau accompagnées de textes la qualité des supports nous mènent rapidement à nos instruments respectifs, une mesure à Disponible aux Allumés du Jazz vide (du 6/8, I like it). Puis..... Action ! C'est Jacques Pelzer (sax, flûte), Belge qui connut Skolimovski. Il fut le lien et sa contribution (hors séance) permit de réunir cette formation... plutôt exceptionnelle. Surpris de constater que le nom des musiciens ne soit mentionné (sur version VHS de l'époque - édition vidéo pourtant joliment nommée « Les Films de l'Atalante »). Edition vidéo pourtant joliment nommé "Les Films de l'Atalante"). Ni dans Wikipedia. Don aimait beaucoup les compositions de Krys Komeda. Pas le seul (excellente reprise par les Fat Kids Wednesdays sortie chez hope street/nato). L'élégance de sa musique, son large fee ling qui inspira de superbes improvisations. Une scène entre autres, où la voix animée de Jean-Pierre Léaud mêlée aux instruments, participe au swing généré par le groupe, au discours mené. Staccatos trompette, cornet free sonnant, tambours battants. Que dire de Gato. Ce son majestueux, soliste dans un passage en trio... qui me vaudra en l'écoute cabine de la part de Jean-François Jenny-Clark, un plissement de coins de paupières, un hoche ment de tête approbateur, sourire, confirmation positive... de ce que je pensais, ressentais moi-même. Surprise! Le passage imprévu de Jean-Pierre Léaud en studio. Un grand plaisir. La glace n'a pas à se briser, nous passons à travers. Après quelques instants, apparemment énigmatiques et d'une timiditéphémère, le langages du regard vient à la rescousse. Nos ailleurs se croisent, se côtoient. Il est intéressé par la musique bien sûr, et semble comme intrigué, attiré ? par les drums. Trop brève rencontre certes, mais le vouloir nous appelle. Silence, Saturne. Don fut réellement heureux parmi ces séances, de leur finalité. Nous l'étions tous. 45 Conjugaison Adlib, € Open.

Le Dépa rt de Jerzy Skolimowski Edition Collector (Malavida) Emplettes 23 LES ALLUMÉS DU JAZZ 3EME TRIMESTRE 2012 ACOUPHÈNES PARADE www Tinnitus trait d’union Mojo point FR, récit poétique

Texte de Christelle Raffaëlli, photo de Marion Salle, illustration de Zou Amies lectrices et amis lecteurs, Etienne Brunet vient de publier Acouphènes Parade , ouvrage de lecture et d'écoute... et d'utile avertissement

ous aimez voyager avec votre numéro des Allumés du Jazz aux quatre coins du monde et de nos régions. L’oreille interne est l’âme comptable inventant une parade musicale à la persistance VC'est bien logique. des expériences heureuses et malheureuses. linéaire de l’acouphène et faisant échapper Envoyez-nous vos photos, nous en sélectionnerons une par «Elle résonne comme l’âme d’un son auteur à la société du spectacle. numéro et publierons les autres sur notre site. vio lon, petit cylindre de bois responsable Par la poste ou par e-mail à [email protected] de la vibration de l’instrument. » (1) Acouphènes parade d’Etienne Brunet est une Comment faire entendre une vie, gagnée œuvre composée d’un récit écrit don nant par un bruit blanc, mieux qu’en projetant accès sur internet à des séquences filmées et le lecteur dans la sinuosité vibrante d’une illustrée musicalement par un orchestre (Etienne Brunet : vidéo, électroniques, voix, saxophone oreille, en le faisant entrer en résonance alto - Léo Brunet : guitare - Thierry Negro : avec la violence du monde et de son basse). Les parties de vidéo-musique, au expérience ? Attaque des ondes, nom bre de 6, sont accessibles grâce à l’adresse fragmen tation des êtres, solitude, oubli figurant dans le sous-titre de l’œuvre. de la matière, déréliction, l’acouphène se La lecture de cet ouvrage de réconciliation, hors meut dans la plus pure inanité. du commun et fort sensible (ainsi que l’écoute 7€ qui va avec) vous fera percevoir autrement les « La non-communication avec les sifflements d’oreilles. (Disponible aux Allumés du Jazz). écou teurs, casques et oreillettes vous tuera à petit feu . » (2) Mémoire vivante et habitée, le récit d’Etienne Brunet sur fond de tiraillements (1) Citation extraite de la version papier de « Les téléphones portables, transports, sonores et visuels déroule la bande d’une Acouphènes parade médias et amplificateurs de toutes sortes vie, les errances d’une conscience qui se (2) et (3) Textes extraits de la séquence de vidéo- vous conduiront aux acouphènes (je ne diffractent en explosions acouphéniques et musique intitulée « Tinnitus-Mojo » vous le souhaite pas). » (3) trouvent une résolution dans un ultime concert, un cercle magique : le texte Modernité : immense tinnitus. renvoie à l’image qui se nourrit du texte 24 What’s new LES ALLUMÉS DU JAZZ 3EME TRIMESTRE 2012

i vous n'avez pas la chance d'être à quelques enjambées du Souffle Continu à Paris, de l'Amap à Arles, des Mondes des disques à Poitiers, de la boutique des Allumés du Jazz au Mans pour ne citer que quatre indispensables dis quaires, S alors vous vous plongerez dans les pages qui suivent (et puis si ça ne suffit pas, vous irez jeter yeux et oreilles sur le site des Allumés du Jazz ou vous passerez un petit coup de fil aux Allumettes). En tout cas, joie des disques, bon heurs de la musique enregistrée et tournée des plages. Les Allumés du Jazz vous présentent alors les 30 nouvelles réalisations récemment offertes au Monde. C'est moins cher que la Vodka et ça emmène vraiment plus loin. Il y en a pour toutes et tous et même pour les bambins. Ça fonctionne par correspondance ou bien en venant à la bou tique au Mans. Un catalogue plus complet de galettes, de galets et de coquillages dans lesquels on entend la mer, est dispo nible, pour les surfeurs, sur le site http://www.allumesdujazz.com (ou par courrier). Et en cas de besoin d'un conseil, nos Allumettes, qui sont loin de se la couler douce mais qui vous auront doucement à la cool, sont là pour vous répondre par e-mail : [email protected] ou par téléphone : 02 43 28 31 30. (Bon de commande p.20) VINCENT COURTOIS MEDIUMS IIllustration de Jazzi La Buissonne RJAL 397015 Vincent Courtois (violoncelle), Daniel Erdman (saxophone ténor), Robin Fincker (saxophone ténor) ERIKM AUSTRAL LE SON, LA MÉMOIRE ET LA CHAIR D’autres cordes dac2031 Erikm (direction, platines CD, électro - nique), Hélène Breschand (harpe), Sylvain Kassap (clarinettes), Franck Masquelier (flûtes), Anaïs Moreau (violoncelle), Philippe Cornus (percussions) 15 €

ANDY EMLER MEGAOCTET E TOTAL La Buissonne RJAL 397014 Andy Emler (piano, direction, compositions), Laurent Blondiau (trompette, bugle), 10 € Laurent Dehors (saxophones ténor et soprano, clarinettes), Thomas de Pourquery (saxophone alto et voix), Philippe Sellam (saxophone alto) François Thuillier (tuba), BOURNE / DEHORS Claude Tchamitchian (contrebasse), CHANSON D’AMOUR Eric Echampard (batterie), Emouvance EMV 1034 François Verly Matthew Bourne (piano), (marimbas, tablas, percussions) Laurent Dehors (clarinette) 15 €Invitée : Elise Caron (voix)

15 € 15 €

CALL IT ANYTHING QUARTET CALL IT ANYTHING IMR CIA01 CARLOS MAZA Rémi Gaudillat DESCANSO DEL (trompette, bugle), SALTIMBANQUI Fred Meyer (guitare), La buissonne RJAL 397013 Benoît Keller (contrebasse), Carlos Maza (guitare 10 cordes, Bruno Tocanne (batterie) piano, compositions)

15 €

12 € EME What’s new 25 LES ALLUMÉS DU JAZZ 3 TRIMESTRE 2012

IIllustration de Andy Singer

he New York City Jazz Record est un intéressant mensuel ayant du jazz une idée large (ce qui n'est plus si courant) que l'on peut aussi se procurer Tgratuitement en ligne http://nycjazzrecord.com/. Son numéro de septembre fait, entre autres, la part belle à Lol Coxhill, Jerry Granelli, Bobby McFerrin, Wilbur Ware, D an Tepfer, au label Inner Circle et aux chroniques de disques que l'on ne voit pas forcém ent ailleurs. On peut également - comme pour Le journal des Allumés du Jazz - consulter les anciens numéros parus depuis janvier 2011 - http://www.nycjazzrecord.com

NAUTILIS Marmouzic MAR08 Christophe Rocher (clarinettes, direction artistique), RICHARD MANETTI Nicolas Peoc'h WHY NOTE (saxophone alto), Label bleu 6708/LABO 341 Philippe Champion Richard Manetti (guitares), (trompette), Jean-Marc Jafet (basse), Fred Grégoire Hennebelle D’Oelsnitz (claviers), Yoann (violon, violons alto et ténor), Serra (batterie), Stéphanes Christofer Bjurström (piano), Guillaume (saxophones) Frédéric Briet (contrebasse), Nicolas Blampain Nicolas Pointard (batterie), (guitare acoustique) V i n c e n t R a u d e ( é l e c t r o n i q u e )

15 € 15 €

ANNE PACÉO ROMANO/SCLAVIS/TEXIER YOKAÎ 3+3 GUILLAUME ROY QUARTET Laborie Label bleu LBLC6709/LABO 340 EXUBÉRANCES Antonin-Tri Hoang Aldo Romano (batterie), Le Triton TRI12519 FRANCK VIGROUX (sax alto, clarinette basse), Louis Sclavis Guillaume Roy (alto) WE (NOUS AUTRES) Pierre Perchaud (guitare), ANNABELLE PLAYE (clarinette, saxophone), François Corneloup D’autres cordes dac 2021 Leonardo Montana (piano), MATRICE Henri Texier (contrebasse), (saxophone baryton) Franck Vigroux Stéphane Kerecki (contrebasse), D’autres cordes DAC 2011 Enrico Rava (trompette), Christophe Monniot (électroacoustique, guitare, Anne Paceo Annabelle Playe Nguyèn Lê (guitare), (saxophones alto & soprano), percussions, voix), (batterie, voix, compositions) (electroascoustic, voix) Bojan Z (piano) Julien Padovani (piano) Annabelle Playe (voix)

10 € 15 € 10 € 15 € 15 € What’s new 26 EME LES ALLUMÉS DU JAZZ 3 TRIMESTRE 2012

écouter. Ici, surprise, alors que et les divers musiciens qui en le tango est traditionnellement assurent le dynamisme. interprété par des hommes, A l'aise dans tout le champ du EDWARD PERRAUD / c'est un sextet féminin que jazz contemporain (free compris), ELISE CARON l'on découvre avec plaisir. La les cinq membres de Now BITTER SWEETS « malena » c'est la femme Freeture ne se limitent pas à la Quark QR0210630 idéale, référence à un succès rep roduction de modèles convenus Edward Perraud (batterie, percussions du tango de 1942. C'est le mais prennent le risque d'une électroniques), Elise caron (voix, flûte) nom choisi par les six dém arche de nature cherche use musiciennes de ce groupe (avec ses hauts et ses bas) qui fondé en 2002 et enregistré mérite l'attention. Un groupe à « live au Triton » le 19 mars suivre. 2011. Une bonne opportunité de rattr apage et un vrai bonheu r 300 BASSES “sei ritornelli” pour tous ceux qui n'y assistaien t pas. Le titre, non sans humour, annonce six ritournelles. 15€ LAURENT ROCHELLE “Les Un Italien, un Portugais et un amours invisibles”

Multi-instrumentiste et compositeur, Laurent Rochelle propose une KAIMAKI oeuvre d'une grande cohérence MATAROA et affiche une profonde Autoproduction GM02 détermination dans la volonté textes de tient aussi à sa dimension de faire partager un univers Yannis Ritsos et André Kédros Elise Caron (chant), La Nuit des Musiciens, Le Trianon, décembre 2007 col lective. Sa réussite est en très personnel et singulièrement même temps celle d'un groupe habité. Séduisante et de quatre musiciens en totale touchante, intemporelle aussi, Texte de Jean-Paul Ricard osmose et dont la complémentarité sa musique ne craint pas de Melting jazz pot quasi télépathique leur autorise renouer avec une certaine Photos Guy Le Querrec une expression d'une grande forme de romantisme (ainsi de liberté. Au final, une façon la mise en musique de « I died épique de raconter des for be auty » d'Emily Dicke nson). OC “You can dance (if protagonistes du projet, véritables André Kédros, exercent avec hi stoires, particulièrement sensi ble L’ensemble est bien servi par 15 € you want)” arpenteurs sonores, utilisent la talent et émotion leur devoir en écoute live. une interprétation remarquable T cathédrale Saint-Pierre de de mémoire. Pour l'exemple. et une belle utilisation des Poitiers comme une boîte SHAI MAESTRO “Trio” cordes. Touché par le syndrome du expérimentale et multiplient POLYMORPHIE “Voix” « power trio », TOC ne laisse les combinaisons interactives S'il est indéniable que la FRANCOIS VERLY “à fleur de pas indifférent et conduit son entre le son et la pierre dans Voilà un septet d'une belle formule du trio piano/contre - peau” projet avec rigueur et conviction. un espace réverbérant où la efficacité. Autour de beaux basse/batterie peut décliner un TONY TIXIER Celui d'une génération inventive circulation du son est textes (français, anglais) dits grand nombre de réussites, elle Le meilleur du jazz actuel par DREAM PURSUIT de musiciens lillois qui ne mathématiquement calculée. ou chantés, Romain Dugelay n'en reste pas moins un quelques-uns de ses plus Space Time Records BG1235 s'interdit rien et choisit Expérience mystérieuse, (saxophoniste et compositeur) challenge d'importance pour fidèles serviteurs. Cela se sent Tony Tixier (piano), d'ex plorer, sans limites, le troublante et fascinante. développe une écriture les jeunes musiciens. A ce jeu, dans la capacité à se donner Logan Richardson (saxophones), royaume des sons. Lesquels, parfaitement adaptée à innover relève de la gageure, collectivement à la musique de Burniss Earl Travis II (contrebasse), saturés, triturés, compressés, KAIMAKI “Mataroa” l'élaboration d'un univers ne pas ennuyer constitue une François Verly. Lequel, exemplaire Kendrick Scott (batterie) déboulent avec la puissance poé tique et sensible. bonne surprise et intéresser sideman de nombre de formations d'un torrent en crue. Même si Son actuelle crise n'est pas la Les ensembles sonnent comme frise la performance. Shai hexagonales qui comptent, émergent, ici et là, quelques première des tragédies traversée une grande formation, avec une Maestro, pour son premier livre ici (et le plus souvent au nuances et accalmies cet par la Grèce. Les musiciens de trés grande précision rythmique. essai sous son nom, avance piano) le meilleur de son album s'adresse davantage aux Kaïmaki viennent opportunément Riche et foisonnante (une des arguments (richesse monde musical. Finesse de accros de sensations fortes nous le rappeler. Témoignage réussite de plus à porter au mélodique, diversité des l'écriture, pertinence des qu'aux amateurs de miniatures du refus d'oublier, cette évocation crédit du Grolektif), une musiqu e climats, sens de la construction arrangements et larges espaces impressionnistes. du périple du Mataroa (navire à découvrir d'urgence. interactive, sûreté rythmique) d'improvisation offerts aux qui, en 1945, amena 200 suffisamment convaincants différents membres d'un THOMAS TILLY & JEAN-LUC jeunes intellectuels grecs à EMILE PARISIEN “Chien pour le hisser au rang des quintet d'exception. Un must. GUIONNET “Stones, Air, Paris, leur évitant le régime Guêpe” personnalités d’avenir. 15 € Axioms” des colonels) est avant tout un NOW FREETURE “atom” beau chant d'amour et de Depuis ses débuts, Emile LAS MELANAS “live au Triton” La démarche, bien explicitée liberté. Celui d'enfants d'exilés Parisien ne cesse de creuser, Grâce au Petit Label, on dans les liner notes de l'album, qui, en musique et autour de d'approfondir un univers musical Intermède tango. Pas ma connaît mieux la scène pique la curiosité. Les deux textes de Yannis Ritsos et très personnel dont l'originalité spécialité mais j'aime bien en musicale de Basse-Normandie POLYMORPHIE VOIX LAURENT ROCHELLE Grolektif GRO011P01 LES AMOURS INVISIBLES Marine Pellegrini 13 MINIATURES FOR NICOLE MITCHELL / LinoleumLIN011 (chant, narration), ALBERT AYLER AN_ARCHE NEWMUSIC Nathalie Boulanger (violon), Marie- Romain Dugelay RogueArt Rog0040 ENSEMBLE LAS MALENAS Florence Ricard (violon alto), (saxophone alto, baryton, JOE MORRIS QUARTET Joe McPhee, Steve Dalachinsky, ARC OF O SEXTET TANGO Julianne Trémoulet (violoncelle), composition), GRAFFITI IN TWO PARTS Evan Parker, Jean-Jacques Avenel, RogueArt Rog0041 LIVE AU TRITON Marie-Madeleine Mille (violoncelle), Clément Edouard RogueArt Rog0039 Joëlle Léandre, Sylvain Kassap, Nicole Mitchell (flûte, voix, électro - Le Triton TRI12518 Laurent Avizou (guitare), Denis (saxophone alto, laptop, clavier), Joe Morris (guitare, banjouke), Ramon Lopez, Jean-Luc Cappozzo, nique, composition, direction), Véronique Rioux (bandonéon), Frâjerman (guitare), Edit Gergely Félicien Bouchot Lowell Davidson (batterie, Simon Goubert, Raphaël Imbert, David Boykin (saxophone ténor), Katiana Georga (piano), (voix), Alima Hamel (voix), Audrey (trompette, bugle), contrebasse en aluminium), Urs Leimgruber, Didier Levallet, Renée Baker (violon), Mwata Anne Le Pape (violon), Durand (voix), Masako Ishimura Lucas Garnier (trompette, Malcolm Goldstein (violon), Barre Phillips, Michel Portal, Bowden (saxophone baryton, clari - Juilette Wittendal (violon), (flûte), Laurent Paris (percussions), cornet, clavier), Lawrence D. « Butch » Morris Lucia Recio, Christian Rollet, nette, clarinette basse), et_Arche Sabine Balasse (violoncelle), Loïc Schild (batterie, marimba), Damien Cluzel (guitare baryton), (cornet) John Tchicai NewMusic Ensemble Pascale Guillard (contrebasse) Cédric Marcucci (batterie) Léo Dumont (batterie)

10 €

15 € 15 € 15 € 15 € 15 € What’s new EME 27 LES ALLUMÉS DU JAZZ 3 TRIMESTRE 2012

Suisse, trois accordéonnistes lumineuses d'inventivité pure FRANÇOIS VERLY QUINTET imposent avec brio leur instrument et de jubilatoire complicité. À FLEUR DE L’EAU dans l'environnement, où il est Une rencontre sous le signe de Petit Label PL033 peu présent, des musiques l'imagination au pouvoir et, François Verly (percussions, piano), improvisées. L'expérimentation surtout, une étonnante capacité Denis Leloup (trombone), est méthodique. Chaque pièce à rebondir et à multiplier les Pierre-Olivier Govin explore une particularité spécifique règles de jeux. D'où des pièces (saxophones, et la développe sous forme courtes (c'est leur force), un clarinette basse), (sons tenus ou répétés) art certain de la miniature, du Marc Bertaux (contrebasse), d'infinitésimales variations. format chanson et une Antoine Banville (batterie) L'int eraction des trois musiciens multiplicité d'invitations à générant une texture sonore rêver, voyager et... sourire. homogène et dépouillée, un rien au stère mais dont on peut penser JOE MORRIS QUARTET qu'elle a les moyens de séduire “Graffiti in two parts” en live. 12 € D'abord préciser que cette ELIS E CARON/EDWARD PERRAU D musique, inédite, date de “bitter sweets” 1985. Ajouter que cette publication vient documenter Coup de coeur, que du bonheur ! un moment important de A savourer, dix-huit pépites l'aventure post-free aux Etats- Unis et un musicien, Lowell Davidson (disparu en 1990), SHAI MAESTRO TRIO dont la discographie (un album dont Philippe Carles, dans ses Laborie LJ18 pour ESP, en 1965, au piano liner notes, dit admirablement François Verly (percussions), Andy Emler Megaoctet, Europa Jazz Festival, mai 2008 Shai Maestro (piano), avec Gary Peacock et Milford bien ce qu'elle représente Ziv Ravitz (batterie), Graves) est aussi mince que d'essentiel : « Dès lors, au fil Jorge Roeder (contrebasse) mythique. Compléter en d'un inventaire quasi précisant qu'il s'agit de l'une chrom atographique, les multiples des riches directions musicales rythmique souple et dansante, réuni est exceptionnel. Il tient des dernières (et superbe) phases, tempos et couleurs prô nées par l'AACM de Ch icago. il développe de fascinantes ses promesses et nous gratifie prestation de « Butch » Morris allaient se séparer, se déverser, Cett e longue suite pour improvis a- sinuosités. A la poursuite de d'une oeuvre magnifique et, par au cornet avant qu'il ne se se heurter, se diffracter, se teurs et orchestre de chambre son rêve, Tony Tixier témoigne sa thématique (la musique de co nsacre à ses « conductions ». rejoindre, se confondre en de éme rveille par le subtil équilibre de riches qualités de pianiste Tom Cora accompagnait Sainte En résumé, intense et dense, multiples combinaisons entre l'écriture et les interventions et d'arrangeur (évidentes dans Jeanne des Abattoirs , pièce de convaincant et passionnant, un miniatures, chaque élément solistes. Superbe ! sa re prise de « Giant Step s »). Bertolt Brecht) d'une brûlante beau témoignage de la musique participant plus ou moins Un musicien à suivre. actualité. S'en dégage une improvisée américaine. directe ment, voire caricaturalement, TONY TIXIER “dream pursuit” double émotion (le sujet de la de quelque “aylerisme” . » MUSIQUE ACTION #4 pièce, la disparition de Tom Cora) 15 € 13 MINIATURES FOR ALBERT Indispensable à tout « aylerolâtre ». Dans le champ d'un post “Madame Luckerniddle” palpable chez les interprètes AYLER hard-bop actualisé, Tony Tixier d'une musique où planent les NICOLE MITCHELL “Arc of 0” parvient à faire preuve d'une Enregistré en 1998 lors de la ombres de Kurt Weill et Voici donc la trace de cette originalité certaine et, surtout, 15ème édition du festival d'Hanns Eisler. soirée hommage au grand No uvelle pièce de choix à ajouter affiche un jeu dépourvu de Musique Action de Vandeuvre, Albert Ayler, à l'occasion du à l'excellente discographie de tout maniérisme ou d'une en hommage à Tom Cora qui 40ème anniversaire de sa Nicole Mitchell. La flûtiste quelconque virtuosité gratuite. devait y participer. Pour les NOW FREETURE tragique disparition. Ils sont confirme ici la pleine inscription Franc et direct dans ses familiers des musiques ATOM dix-huit pour cette célébration de son travail dans la continuité attaques, porté par une improvisées, le casting ici MUSIQUE ACTION #4 Petit Label PL034 MADAME LUCKERNIDDLE Antoine Simoni (contrebasse), Vand’œuvre 1235 Emmanuel Piquery THOMAS TILLY / JEAN-LUC Christian Marclay (platines), (piano électrique, compositions), EMILE PARISIEN QUARTET SEI RITORNELLI GUIONNET TOC Phil Minton (voix), Guillaume Dommartin CHIEN DE GUÊPE TRIO 300 BASSES STONES, AIR, AXIOMS YOU CAN DANCE Catherine Jauniaux (voix), (batterie), Laborie LJ15 Potlatch P212 Circum LX005 (IF YOU WANT) Zeena Parkins Samuel Belhomme Emile Parisien (saxophones), Alfredo Costa Monteiro Thomas Tilly (enregistrement, CIRCUM DISC CIDI1101 (harpe électrique, clavier) (trompette, bugle), Julien Touéry (piano), (accordéon, objets), Jonas composition), Jérémie Ternoy (Fender Rhodes) Veryan Weston (piano) Yann Letort Ivan Gélugne (contrebasse), Kocher (accordéon),Luca Jean-Luc Guionnet (orgue) Ivann Cruz (guitare) Michael Vatcher (batterie, percussion), (saxophone ténor, clarinette basse) Sylvain Darifourcq (batterie) Venitucci (accordéon, objets) Peter Orins (batterie) Otomo Yoshihide (platines), Luc Ex (basse électrique, voix)

12 € 12 € 15 € 15 € 12 € 13 €

LES ALLUMÉS DU JAZZ N°30 EST UNE SACRÉE PUBLICATION GRATUITE À LA PÉRIODICITÉ DIABLEMENT ALÉATOIRE // RÉDACTION / 2, RUE DE LA GALÈRE, 72000 LE MANS // T / 02 43 28 31 30 // W / WWW.ALLUMÉSDUJAZZ.COM // E / [email protected] // ABONNEMENT GRATUIT / MÊME ADRESSE // DÉPÔT LÉGAL / À PARUTION // LA RÉDACTION N’EST PAS TOUJOURS RESPONSABLE DES TEXTES, ILLUSTRATIONS, PHO TOS ET DESSINS PUBLIÉS QUI ENGAGENT PARFOIS LA SEULE RESPONSABILITÉ DE LEURS AUTEURS. LA REPRODUCTION DES TEXTES, PHOTOGRAPHIES ET DESSINS PUBLIÉS EST INTERDITE (MÊME S’IL EST INTERDIT D’INTERDIRE) // IMPRIMERIE, ROUTAGE / IPS / LES LUÈRES 72230 MONCÉ EN BELIN // TRAVAILLEURS ASSOCIÉS / CHRISTELLE RAFFAËLLI, CÉCILE SALLE // ONT ÉCRIT DANS CE NUMÉRO : JEAN- JACQUES BIRGÉ, ÉTIENNE BRUNET, PABLO CUECO, SYLVAIN DARIFOURCQ, DOCTEUR STPOX, HUBERT DUPONT, JEAN DE GRÈCE, JEAN DELALHUNE, INSPECTEUR DE PAUL, WALTER JOISINAU, DOMINIQUE PIFARÉLY, CHRISTELLE RAFFAËLLI, JEAN-PAUL RICARD, JEAN ROCHARD 1/59, GUILLAUME ROY, GUILLAUME SÉGURON, BRUNO TOCANNE, JACQUES THOL LOT, JEAN-LOUIS WIART, ZUCA YAN // LA RÉALISATION EST DE VALÉRIE CRINIÈRE // LES ILLUSTRATIONS SONT DE JOHAN DE MOOR, EFIX (BAN DEAU ET ALLUMETTE), NATHALIE FERLUT, SYLVIE FONTAINE, JAZZI, JULIEN MARIOLLE (COUVERTURE),RAMUNTCHO MATTA, OUIN, PIC, JEANNE PUCHOL, ROCCO, ANDY SINGER, ZOU // LES PHOTOS SONT DE GUY LE QUERREC MAGNUM, SABINE CHARRIN,BERNARD CORON, DIANA ESCOBAR ,JP, MARION SALLE, GUILLAUME SÉGURON, CLELIA VEGA // POUR GARDER VOTRE ABONNEMENT GRATUIT, PENSEZ À NOUS COMMUNIQUER VOTRE NOUVELLE ADRESSE //

LES ALLUMÉS DU JAZZ // AA, AJMI, AMOR FATI, ARCHIEBALL, ARFI, AXOLOTL JAZZ, CELP, CHIEF INSPECTOR, CIRCUM-DISC, CISMONTE & PUMONTI, D’AUTRES CORDES, DECALCOPHONIE, DFRAGMENT MUSIC, ELABETH, EMIL 13, ETONNANTS MESSIEURS DURAND, ÉMOU VANCE, EVIDENCE, FREE LANCE, GIMINI, GROLEKTIF, GRRR, , IMR INSTANT MUSIC RECORDS, IN SITU, JIM A. MUSIQUES, LABORIE, LA BUISSONNE, LABEL BLEU, LABEL LA FORGE, LABEL USINE, LA NUIT TRANSFIGURÉE, LA TRIBU HÉRISSON, LE TRITON, LINOLEUM, MARMOUZIC, METAL SATIN, MUSIVI, NATO, ONZE HEURES ONZE, PETIT LABEL, POROS EDITIONS, POTLATCH, QUARK RECORDS, QUOI DE NEUF DOCTEUR, ROGUE ART, RUDE AWAKENING PRÉSENTE, SARAVAH, SOMETIMES STUDIO, SPACE TIME RECORDS, TERRA INCOGNITA, TRANSES EUROPÉENNES, ULTRACK, VAND’OEUVRE, VENTS D’EST, VENT DU SUD, WILDSCAT PRODUCTION, YOLK... GLQ pa r... 28 EME LES ALLUMÉS DU JAZZ 3 TRIMESTRE 2012

Texte de Guillaume Séguron CE QUE JE SAIS, C’EST CE QUE JE NE VOIS PAS sur une photo de Guy Le Querrec

GUILLAUME SEGURON SOLO POUR TROIS GUILLAUME SEGURON Ajmi AJM22 NOUVELLE RÉPONSE Guillaume Séguron (contrebasse) DES ARCHIVES Lionel Garcin (saxophone) Rude awakening RA 2021 Patrice Soletti (guitare) Guillaume Séguron (contrebasse) Sortie en décembre

15 € 15 €

Guillaume Séguron Finistère Nord, ville de Saint-Pol-de-Léon, juin 1973 par Sabine Charrin

e photographe est dans le champ depuis l’aurore. Il ne sait sont alourdis par la gadoue. La lame se perd dans l’ombre. pas encore si ce sera un portrait. Combien de bobines ? Combien de fois a-t-il déjà saisi ce geste ? A-t-il augmenté la L vitesse d’obturation ? Il déclenche. Qu’importe le cadre. Il savait Il accompagne l’homme. Se sont-ils déjà rencontrés ? Nous ne savons rien du sol. Qu’importe si le lointain est oblique. que le mouvement serait vif. Rien ne sera flou. La ligne d’horizon est au centre de la hotte. Il ne le sait pas encore. Est-ce l’unique cliché de la journée ? Le seul sur cet homme, sur ce champ ? Sont-ils plus nombreux à accomplir cette tâche dans Perdu dans l’immensité, ils ne lèvent pas la tête, pas besoin de L’œil balaie l’image de haut en bas et de gauche à droite. Une un espace si vaste ? Avec de si petits outils ? repères. L’homme se dirige vers l’est. Le photographe est au sud. masse sombre le stoppe. Sont-ils au milieu du champ ? Suivant une courbe, il remonte, rencontre cet artichaut en l’air – Se parlaient-ils ? Parlent-ils encore ? comme collé – tête en bas. Rien ne nous indique qu’il atterrira Nous n’en saurons rien. La hotte sera vidée dans une benne, sur un chemin invisible. dans la hotte, mais à cet instant, il se détache encore. Quand cela se terminera-t-il ? Seront-ils là demain ? Le ciel est une fine bande qui par son étroitesse accentue la sen - Le soleil est encore bas – entre 7 et 8 heures du matin. Peut-être sation de pesanteur. En opposition la figure en suspens apporte un peu avant. En août. Peut-être déjà en septembre. Aujourd’hui L’instant d’avant l’homme était tourné vers le photographe. Peut- une indescriptible légèreté. Sa verticalité est une illusion. le ciel semble dégagé. être commentait-il ses gestes ? Il coupait la fleur dont il ne res - tera – comme ultime souvenir – que cette tige décapitée. Là, au Ce que je vois d’abord c’est ce que je cherche et ne vois pas ins - La manche est sombre, le pantalon aussi. La rosée a détrempé bas de l’image. tantanément : la lame. son bleu de travail. Comme la veille, comme demain, il est En reste-t-il – sur la pellicule – une trace floue ? Je vois le geste, le triangle de la rotation du temps. Je vois les mouillé jusqu’à l’os. Pourquoi n’en serait-il pas de même pour le outils. Cet espace divisé, le All-over du champ comme ligne de photographe ? La veste le protége de l’hostilité de cette plante L’instant d’après tout s’accélère. L’œil scrute, cherche sa nouvelle fuite – à perte de vue et l’œil qui s’y perd. épineuse. cible. Les yeux reprennent leurs tâches. La courbure de l’effort. Et, en d’autres temps de nouvelles for - Les traces des sangles de la hotte sur ses épaules ? Quel poids ? L’homme se met de profil. Le photographe reste immobile, arme mulations. l’appareil. La prochaine fleur est là – à la lisière du cadre – à L’heureuse surprise de l’instant, la virtuosité de présent. La Le photographe sent à travers ses vêtements les estafilades des droite. Tandis qu’il jette instinctivement la précédente par-dessus rigueur de l’improvisation. chardons sur sa peau. Son corps s’est refroidi, ses pieds imbibés son épaule, l’homme s’oriente vers elle. Variations sur l’artichaut de Guy Le Querrec par Guillaume Séguron