<<

Document généré le 27 sept. 2021 22:31

Ciné-Bulles Le cinéma d'auteur avant tout

Faire l’amour et faire son cinéma The Dreamers André Lavoie

Volume 22, numéro 2, printemps 2004

URI : https://id.erudit.org/iderudit/26086ac

Aller au sommaire du numéro

Éditeur(s) Association des cinémas parallèles du Québec

ISSN 0820-8921 (imprimé) 1923-3221 (numérique)

Découvrir la revue

Citer ce compte rendu Lavoie, A. (2004). Compte rendu de [Faire l’amour et faire son cinéma / The Dreamers]. Ciné-Bulles, 22(2), 6–7.

Tous droits réservés © Association des cinémas parallèles du Québec, 2004 Ce document est protégé par la loi sur le droit d’auteur. L’utilisation des services d’Érudit (y compris la reproduction) est assujettie à sa politique d’utilisation que vous pouvez consulter en ligne. https://apropos.erudit.org/fr/usagers/politique-dutilisation/

Cet article est diffusé et préservé par Érudit. Érudit est un consortium interuniversitaire sans but lucratif composé de l’Université de Montréal, l’Université Laval et l’Université du Québec à Montréal. Il a pour mission la promotion et la valorisation de la recherche. https://www.erudit.org/fr/ cotttrecha The Dreamers

Faire Y amour PAR ANDRE LAVOIE et faire son cinéma

Qui est Henri Langlois? » Si le général de et allait bientôt toucher le fond en compagnie Gaulle n'avait pas posé cette question à son de Paul, incarné par un Marlon Brando lui- ministre de la Culture, André Malraux, Mai 68 même sur la pente descendante... aurait sûrement trouvé sa place dans l'Histoire mais sous un autre vocable et aurait pris Dans la géographie imaginaire de Bertolucci, naissance devant un autre lieu que celui du représente la capitale des plaisirs interdits, palais de Chaillot, là où loge la Cinémathèque une enclave dorée pour l'expression des fantas­ française. Le Général ignorait qui était le père mes inavoués. N'est-ce pas dans Le Conformiste de toute une génération de cinéphiles, de criti­ que le personnage de Jean-Louis Trintignant ques et de réalisateurs. Lorsqu'il eut vent de la découvre à Paris son homosexualité, loin de désorganisation légen­ l'Italie étouffante de Mussolini? Et ce n'est ni à daire du directeur, célè­ New York ni à San Francisco que Paul décide bre ou pas, il pria d'aller jusqu'au bout de sa bestialité machiste, Malraux de montrer la entraînant dans son sillage une femme elle- sortie à Langlois. À même en proie à la folie. Saint-Germain-des-Prés comme dans le monde Ses personnages ont besoin d'une bonne dose entier, on n'entendait d'exotisme pour retrouver un semblant d'équi­ pas les choses de la libre. Une Américaine se réfugie au fin fond du même façon, considé­ désert du Sahara, (The Sheltering Sky); un rant Langlois comme pianiste anglais cloîtré dans un vaste apparte­ un mentor, voire comme ment de Rome s'éprend d'une séduisante un père : « l'affaire Africaine (Besieged); des Européens désabusés Langlois » a mis le feu en vacances dans la campagne italienne sali­ aux poudres et provo­ vent tous devant une ingénue américaine qué plus tard la paraly­ (Stealing Beauty). Il est alors possible d'imagi­ sie politique et sociale ner la perplexité d'un étudiant naïf, originaire de la France. de San Diego, débarquant dans le bouillonnant Michael Pitt, Louis Carrel Paris de 1968, lui dont la principale activité et Eva Green dans Cette étincelle révolutionnaire, le cinéaste ita­ consiste à squatter la Cinémathèque tandis que The Dreamers lien l'évoque d'amusante sa seule excentricité se résume à pisser dans le façon dans The Dreamers, l'adaptation d'un lavabo de sa minuscule chambre d'hôtel. C'est roman de l'écrivain écossais Gilbert Adair, The alors que la « Vieille Europe » et sa perversité Holy Innocents. Par un habile jeu de montage légendaire (?) entre en scène, secouant un où les acteurs de cet événement deviennent Américain puritain qui ne demande pas mieux tout simplement acteurs, il intercale des images que de voir la vie autrement qu'en cinéma­ d'actualités montrant un jeune Jean-Pierre scope. Car pour l'heure, Matthew (Michael Pitt) Léaud enflammé et d'autres, du même Léaud n'en est encore qu'à l'émerveillement : « The vieillissant d'aujourd'hui, reproduisant les first time I ever laid eyes on the Cinémathèque mêmes gestes et les mêmes incantations devant française / tought — only the French. Only the une foule de protestataires survoltés. Rappel French would house a cinema inside a historique, la présence du double cinémato­ palace. » graphique de François Truffaut se veut égale­ lu ment un joli clin d'œil à ce même Léaud qui fut Le « palace », la rue et la chambre à coucher : aussi ce jeune cinéaste idéaliste du Dernier trois lieux symboliques dans The Dreamers Tango à Paris, ignorant que Jeanne (Maria incarnant trois utopies, d'ordre cinémato­ 1 Schneider), sa future femme, s'envoyait en l'air graphique, politique et sexuel, et qui seraient, The Dreamers

selon Bertolucci, à la base de l'effervescence révolutionnaire de Mai 68. Isabelle (Eva Green, la fille de l'actrice Marlène Jobert) et Théo (, le fils du réalisateur Philippe Garrel), deux enfants terribles à la Cocteau, se veulent des incarnations vivantes de ces slogans destinés à changer le monde. Devant un Matthew subjugué par leur association sym­ biotique et une attitude d'apparence ouverte à l'égard de la sexualité, ces jumeaux s'érigent en « purs », filtrant tous les événements de leur existence à travers les films qu'ils ont vus et revus. Isabelle proclame même être née en 1959, l'année de la sortie d'À bout de souffle de Jean-Luc Godard, en se donnant des airs de Jean Seberg avec sous le bras ses exemplaires du New York Herald Tribune.

Ce n'est ni la première ni la dernière référence cinématographique à tapisser le 22e film de Bertolucci, véritable catalogue du cinéma amé­ The Dreamers ricain et européen des années 1930 aux années de Bernardo Bertolucci 1960 où défilent figures emblématiques (Greta Tout comme Paul décidant de rompre le pacte Garbo, Marlène Dietrich), contrepoints sonores de l'anonymat en se rendant chez Jeanne pour (musique des 400 Coups de Truffaut) ainsi que lever le voile sur son univers bourgeois, d'amusantes reconstitutions (la course dans une Matthew fait de même en pénétrant dans la salle du tirée de Bande à part de Godard). chambre d'Isabelle, frappé d'interdit. Véritable Mais tout cet étalage de prétentions cinéphi- musée de la petite fille modèle, la pièce offre liques, mâtinées de considérations politiques, un curieux décalage avec celle qui s'enchaînait camoufle les véritables obsessions de ces jeunes aux portes de la Cinémathèque... Cette révéla­ en liberté non surveillée. Dans cet appartement tion est à l'image même d'un film d'une grande aux corridors infinis que les parents des beauté plastique, soutenu par une bande jumeaux ont déserté pour les vacances, chaque sonore ayant tout pour séduire les nostalgiques pièce se transforme en chapitre de l'évolution mais qui, comme ses personnages, refuse de sexuelle des protagonistes, qui tentent de mettre le nez dehors par crainte d'exposer au réinventer les règles du ménage à trois. grand jour ses contradictions, sa lâcheté.

Tâche ardue s'il en est une, mais il faut compter Car il y a finalement peu d'ironie dans le regard sur Bertolucci pour quelques petites idées que pose Bertolucci sur ces révolutionnaires de scabreuses, même si au chapitre de la « porno salon, qui s'installent d'ailleurs, peu avant la fin grand public », le cinéaste n'affiche plus la de leur bordel nouveau genre, sous une tente témérité d'antan. On peut ainsi admirer Isabelle de fortune dans l'une des pièces chic de l'appar­ jouer à l'effeuilieuse avec La Mer de Charles tement... Isabelle et Théo, avec leur arrogance Trenet en fond sonore, ou perdre sa virginité — typiquement parisienne, ont décidé de com­ une révélation autant pour Matthew que pour le pléter l'éducation sentimentale d'un Yankee spectateur... — sur le plancher de la cuisine. ayant encore la couche aux fesses : rarement The Dreamers Sanctionné pour ne pas avoir deviné que sa remettent-ils en question leurs contradictions sœur imitait, par ailleurs fort mal, Dietrich bourgeoises, où piquer une bouteille de 35 mm / coul. / 114 min / 2003 / fict. / France- sortant de son costume de gorille dans Blonde Bordeaux dans la cave à vin de papa s'avère le Grande-Bretagne-ltalie- Venus, Théo doit se masturber devant une summum de la sédition. États-Unis a, photo défraîchie de la star... et en présence de S Réal. : Bernardo Bertolucci ses deux « camarades ». On doit comprendre En plus du célèbre « Sous les pavés, la plage », Scén. : Gilbert Adair que tous ces rituels se déroulent pendant que on scandait : « Plus je fais la révolution, plus j'ai d'après son roman Paris vit à l'heure des cocktails Molotov. Cela envie de faire l'amour. Plus je fais l'amour, plus The Holy Innocents Image : Fabio Cianchetti Ul n'empêche pas Isabelle et Théo de se prendre j'ai envie de faire la révolution. » Les person­ Mont. : jacopo Quadri pour des révolutionnaires d'un genre bien nages de The Dreamers, eux, préfèrent s'adon­ Prod. : leremy Thomas th connu : ceux prêts à défendre la classe ouvrière ner à la masturbation intellectuelle : difficile Dist. : 20 Century Fox Int. : Michael Pitt, Eva 2 pourvu qu'ils jouissent (le mot n'est pas trop dans ces conditions de brandir une pancarte, Green, Louis Garrel, Robin O fort...) de tous leurs privilèges... encore moins de faire la révolution... • Renucci, Anna Chancellor