Alfredo Pidz Alcala (1925-2000)

lfredo Alcala, l'un des plus grands re- de la guerre, après la libération par les troupes présentants de la bande dessinée phi- de MacArthur et la proclamation d'indépendan- A lippine aux Etats-Unis, s'est éteint le ce, que le marché de la bande dessinée peut se samedi 8 avril dernier, à l'âge de 74 ans. développer à nouveau. Né le 23 août 1925 à Talisay, sur l'île Negros L'influence de la présence américaine est (), Alcala quitte très tôt l'école pour perceptible dans la forme que prend alors la se consacrer à son amour du dessin. Il com- bande dessinée. Alors qu'auparavant les ar- mençe sa carrière en dessinant des panneaux tistes œuvraient exclusivement pour des jour- publicitaires, puis entre comme apprenti dans naux ou magazines (dont l'hebdomadaire Li- un atelier de fer forgé. Le soir, il recopie les wayway Komiks), les éditeurs d'après-guerre strips de par Harold Foster ou s'inspirent de la présentation des comic-books d'Alex Raymond jusqu'au petit pour lancer des revues, en général de 44 pages, matin. Sa plus grande influence sera cependant entièrement consacrées à la bande dessinée. , artiste de Black Condor, Uncle Sam et Le premier comic-book philippin, Halakhak Ko- Dollman chez Quality. Une autre influence fut miks, est lancé par Isaac Tolentino en 1945 celle de Francisco Coching, artiste et scénaris- mais ne dure que dix numéros. L'après-guerre te philippin très prolifique dans les années 30. voit surtout la création de compagnies qui do- La guerre et l'occupation japonaise en 1942 mineront bientôt le marché, telles celle de P.S. suspendent l'activité des grandes maisons Gomez ou la prestigieuse firme Ace Publications d'édition philippines, telles que Liwayway Publi- de Manille, fondée par le millionaire Ramon cations (Ramon Roces Publications) ou Bulak- Roces déjà actif avant la guerre, et qui sera lak Publications. Certains artistes s'engagent connue pour recruter les meilleurs talents jus- dans la résistance, et ce n'est qu'au lendemain qu'à la cessation de ses activités en 1964.

Quelques artistes de Ace Publications pendant les belles années de la compagnie. De gauche à droite, debout : Nestor Redondo, Rico Javinal, Tony Velasquez, Francisco V. Coching (penché); assis : Manuel Carillo, , , Mars Ravelo, Elpidio Torres (à genoux). Ces jeunes maisons d'édition apportent un À mesure qu'il progressait, Alcala étudia les sang neuf et permettent à toute une génération grands illustrateurs américains, tels Howard d'artistes de faire leurs premiers pas, d'autant Pyle, N. C. Wyeth, , Robert Faw- que le milieu traditionnel de la bande dessinée cett ou J.C. Leyendecker. L'une de ses grandes (celui des journaux et magazines) est très fer- influences fut également le peintre muraliste mé et n'emploie que les artistes confirmés. Par- anglais Frank Brangwyn. mi cette génération d'artistes de l'après-guerre Aux Philippines, Alfredo Alcala se fit surtout figurent, outre Alcala, Nestor Redondo, Ruben connaître par sa série "Voltar". Publiée dès le Yandoc, Tony DeZuñiga, Noli Panaligan, Teny premier numéro d'Alcala Fight Komiks daté du Henson, Mars Ravelo, Funing Ocampo, Fred 9 juillet 1963, cette série narrait la saga d'un Carrillo, Elpidio Torres, Emil Rodriguez, Federi- héros en perpétuelle quête d'aven ture, dans un co Javinal, Carlos Lemos, Celso Trinidad, Emil monde de barbarie et de chevalerie peuplé de Quizon-Cruz et bien d'autres. À la même bêtes de légende. À la dimension épique et à époque, les vétérans de la bande dessinée les l'intrigue riche en rebondissements s'ajoute une plus en vue sont Francisco Reyes, Jesse San- interprétation graphique spectaculaire, puisque tos, Francisco V. Coching, Tony Velasquez, J. Alcala inaugure avec "Voltar" la technique qui le Zabala-Santos, Carlos V. Francisco, Isaac To- rendit célèbre par la suite et qui donne à ses lentino, Gene Cabrera ou Manansala. planches, au prix d'un travail des détails épous- Alfredo Alcala fait ses premiers pas en oc- touflant, l'aspect de gravures à l'eau forte. "Vol- tobre 1948, avec une illustration publiée dans tar" fut salué par la critique comme l'une des Bituin Komiks. Dès le mois suivant, il est enga- bandes dessinées les plus détaillées qui soient gé par Ace Publications. À cette époque, Ace jamais parues. publie deux titres bimensuels, Pilipino Komiks L'exportation des talents de la bande dessi- et Tagalog Klasiks, et lançera par la suite deux née philippine commença en 1970, lorsque Car- autres titres, Especial Komiks et Hiwaga Ko- mine Infantino, qui était alors rédacteur en chef miks. Alcala dessine pour tous ces titres simul- chez DC, engagea par l'intermédiare de Tony tanément, et œuvre aussi bien sur des feuille- DeZuñiga (parti à New York en prospection) un tons (certains durant plusieurs mois) que sur certain nombre d'artistes pour une durée de des histoires complètes. Au cours des années cinq ans. Alcala en faisait partie, tout comme 50, il dessine également pour les revues de P. Alex Niñó, les frères Redondo, Ruben Yandoc et S. Gomez, où il livre des feuilletons tels que "O bien d'autres encore. Alcala poursuivit ainsi une Dynah" (dans le bimensuel Universal), "Uwad" seconde carrière pour les Etats-Unis. Comme ou "Jungla" (tous deux dans l'hebdomadaire nombre de ses compatriotes, il travaille d'abord United), ainsi que de nombreuses histoires chez DC sur les titres d'horreur et de surnatu- dans United, revue qui accueillait les meilleurs rel (, House of Secrets, The dessinateurs chez Gomez (des cinq revues édi- Unexpected, Witching Hour, Dark Mansion, Se- tées par Gomez, Kidlat et Continental servaient crets of Sinister House, , Weird Mystery de banc d'essai, tandis que Planet et Universal Tales et Weird War Tales). En 1974, le contrat constituaient la seconde étape pour un artiste signé par DeZuñiga avec DC prend fin, et cer- avant de se voir ouvrir les pages de United). tains artistes philippins décident de s'installer Alcala acquit très vite la réputation d'un ar- aux Etats-Unis afin de pouvoir y continuer leur tiste à la fois rapide et méticuleux, qualités très carrière, la liaison étant auparavant assurée par appréciées dans une industrie qui en était alors DeZuñiga qui faisait office d'agent. Alcala conti- à son apogée (les Philippines devinrent le nue de travailler pour DC, où son goût pour le deuxième producteur mondial de bandes des- détail lui vaut d'encrer certains titres ou per- sinées dans les années 60). La légende court sonnages (Kamandi, Freedom Fighters, Bat- même qu'il lui est arrivé de travailler 96 heures man) outre ceux qu'il dessine (Kong the Unta- Extrait d'une histoire d'Alfredo Alcala publiée dans Tagalog Klasiks 73, Ace Publications, 1952. d'affilée sans dormir, et il assurait lui-même med, Rima, El Diablo). Parallèlement, il entame Alcala n'avait que quatre ans de carrière derrière lui, mais avait déjà développé un style très proche tous les aspects de la production de son travail, en 1974 une carrière chez Marvel, où son tra- de celui qui allait le faire connaître aux Etats-Unis quelque vingt ans plus tard. jusqu'au lettrage. vail le plus remarqué restera son encrage des histoires de Conan par dans Sa- 1980, assura la transition entre et vage Sword of Conan. Il y dessine ou encre éga- sur (août 80-février 81) lement des personnages ou des titres tels que et prit la relève de sur Rick O'Shay. Captain Marvel, Doctor Strange, Iron Man, Man- Dès le milieu des années 70, et jusqu'aux an- Thing, Hulk, Ka-Zar, Tarzan, Kull, Thor, Dracula, nées 90, Alcala travaille également pour de nom- Planet of the Apes, Tales of the Zombie, Vampi- breux éditeurs indépendants : Rip Off Press (Tales re Tales ou Arrgh! Il fait également une brève in- from the Berkeley Con, 1974), Comic Art Gallery cursion chez Charlton en 1976, sur Emergency. (Barn of Fear, 1977), Kitchen Sink (50s Funnies, Après avoir déménagé à New York en 1976, 1980), Pacific (Twisted Tales, Last of the Viking He- Alfredo Alcala s'installe finalement à Los Angeles roes, 1982-3), Eclipse (Destroyer Duck et couver- et continue de diversifier sa carrière. Outre les tures, 1982-4), Melrose Square (Daddy Cool, comics, il travaillera, au fil des ans, pour l'armée, 1984), Blackthorne (The Gift, 1986), First (Hawk- pour des studios de cinéma, de télévision et moon, 1986 et Around the World in 80 Days, d'animation (Ruby-Spears), des fabriquants de 1991), New Comics Group (Deadtime Stories, jouets (Mattel), et des agences de publicité. Dans 1988), Fragments West (Penguin & Pencilguin, les comics, il sera également employé comme 1988), et Hamilton (Maggots, 1991-2). Parallèle- lettreur et coloriste. ment, il continue de travailler pour Marvel et DC À la fin des années 70, Alcala met un pied chez jusqu'au début des années 90. Warren, où il livre des histoires pour Creepy, Ee- Parmi ses travaux d'illustrateur, signalons un his- rie ou Vampirella et, surtout, resuscite le person- torique de la Statue de la Liberté écrit par Henry nage de Voltar dans les pages du magazine The Gibson à l'occasion du centenaire de celle-ci en Rook. En 1977 paraît également chez Comics & 1986, et un livre sur la mission Apollo 12 (Moon- Comix un magazine indépendant, Magic Carpet, shot) écrit par l'astronaute Pete Conrad. Alfredo Al- avec une histoire de Voltar. À la même époque, Al- cala était également un peintre réputé, et ses cala fait aussi partie de "The New York Tribe", sor- huiles ont été exposées dans de nombreux pays. te de groupe informel auquel fait appel Marvel L'une de ses plus connues est une recréation à lorsqu'il faut encrer un numéro en catastrophe. l'identique d'une couverture de J.C. Leyendecker Dans les strips, Alfredo Alcala dessina Conan en de 1936, mais il a produit de nombreuses œu vres originales inspirées de son enfan- ce aux Philippines. Sur le plan professionnel, Alcala était représenté depuis 1998 par Hero's World, à Fairfield, Californie. Sa dernière apparition en public remonte au 8 mai 1999, à l'occa- sion d'une exposition de ses strips originaux de Star Wars. Un livre lui a récemment été consacré, Secret Teachings of a Comic Book Mas- ter: The Art of Alfredo Alcala par Heidi MacDonald et Phillip Dana Yeh. Signalons que Larry Alcala, son frère, fut également un scé- nariste et artiste réputé aux Philip- pines, en particulier pour ses per- sonnages humoristiques. — T.L. Détail d'une histoire de Conan crayonnée par John Buscema (Savage Sword of Conan 12). Extrait du premier épisode de la reprise de Voltar chez Warren (The Rook 2).