ALMA MATER STUDIORUM - UNIVERSITÀ DI BOLOGNA ARISTOTELEION PANEPISTIMION UNIVERSITÉ DE STRASBOURG

Master Erasmus Mundus en Cultures Littéraires Européennes - CLE

INTITULÉ DU MÉMOIRE

Entre poésie et politique : Le cas de Paul Éluard et Manolis Anagnostakis

Présenté par

Theano Karafoulidou

Directeur Tesi di laurea in

Prof. Georges Fréris Letteratura comparata

Co-directeurs

Prof. Patrick Werly Prof. Ruggero Campagnoli Letteratura francese

2011/2012

Je voudrais remercier mon directeur de recherche, M. Georges Fréris, pour ses conseils, ma mère pour son soutien moral et Francisco, sans lequel ce travail n’aurait jamais fini.

A la mémoire de ma tante Maria,

qui a su résister

« Que croyez-vous que soit un artiste? Un imbécile qui n’a que des yeux s’il est peintre, des oreilles s’il est musicien, ou une lyre à tous les étages du cœur s’il est poète, ou même, s’il est boxeur, seulement des muscles ? Bien au contraire, il est en même temps un être politique, constamment en éveil devant les déchirants, ardents ou doux événements du monde, se façonnant de toute pièce à leur image. Comment serait-il possible de se désintéresser des hommes et, en vertu de quelle nonchalance ivoirine, de se détacher d’une vie qu’ils vous apportent si copieusement ? Non, la peinture n’est pas faite pour décorer les appartements. C’est un instrument de guerre offensive et défensive contre l’ennemi. »1 1 Paul Éluard, Anthologie des écrits sur l’art, Éditions Cercle d’Art, 1987, p. 21.

PABLO PICASSO

Sommaire

Introduction...... p.6

I. Deux poètes, deux arrière-plans...... p.8

i. Leurs œuvres poétiques ...... p.15

ii. Leurs idéologies politiques...... p.17

II. L’attrait pour l’espérance...... p.21

i. La nature et l’importance du temps ...... p.25

ii. La mort et la vie : concepts étudiés à travers les deux œuvres..p.35

Conclusion...... p.65

Bibliographie...... p.70

Annexes...... p.90

Introduction

Qu’en pensais-tu alors La poésie au fond, C’est un cœur humain Charg5 VAGENASé de tout Nasos, le monde2Pour Anagnostakis, Textes critiques [en grec], Éditions Égée, 1996 : Nicosie, p. 45. L’humanisme et la sensibilité sont deux éléments que nous ont touché et ont attiré notre attention en lisant les poèmes de Paul Éluard3 et Manolis Anagnostakis4. L’objet de ce mémoire consiste à l’analyse des œuvres de deux poètes susmentionnés, deux œuvres qui à nos yeux sont ce « cœur humain chargé de tout le monde » grâce à leur simplicité et leur sincérité. Cependant, notre but n’est pas de démontrer que les schémas que les deux poètes ont parcourus sont parfaitement identiques. On était bien conscient dès le début que ces poètes ont un soubassement tout à fait différent, opposé même : avec un décalage de trente ans entre leurs dates de naissance, issus de deux pays culturellement divers et historiquement inégaux, les deux poètes appartiennent dans de courants littéraires différents : Éluard est surréaliste et Anagnostakis – influencé par le symbolisme français – est un poète de l’après guerre. Cependant, notre champ d’investigation s’éloigne de cette partie de l’œuvre éluardienne qui est purement influencée par le mouvement surréaliste. Nous avons ainsi évité, dans la mesure du possible, les poèmes composés entre 1922 et 1938, année qui marque la rupture d’Éluard avec Breton. Nous avons voulu nous concentrer exclusivement à la période pendant laquelle des circonstances très particulières, politiques et sociales, affectaient les vies de ces deux poètes et nous avons contraint le corpus à ces recueils de poèmes, publiés avant le déclenchement, pendant ou juste après la guerre. De plus, nous n’avons pas pris en compte tout ce qui était publié sous un autre nom, car il s’agit à nos yeux d’une masque que le poète peut porter afin d’emberlificoter, de dévier et tromper le lecteur. Anagnostakis avoue d’ailleurs que « la poésie n’est pas un moyen pour parler mais le meilleur murage pour cacher notre visage.5»

Il ne faut pas en outre négliger les diverses « facettes » de ces deux poètes. Anagnostakis en tant que poète, critique littéraire, mais aussi en tant que Manousos

2 Nikiforos Vréttacos, « Le monde et la poésie » 3 Poète surréaliste français (14 décembre 1895 – 18 novembre 1952) 4 Poète grec de la première génération de l’après-guerre (10 mars 1925 – 23 juin 2005) Fasis.6 Nous apercevons la période pendant laquelle Anagnostakis écrit sous le nom de plume de Manousos Fasis comme un chapitre autonome de sa personnalité qui devrait être traité séparément du reste de son œuvre. Manousos Fasis utilise par exemple le vers traditionnel, tandis qu’Anagnostakis le vers libre. Éluard aussi a de divers visages. Nous avons la figure du jeune Eugène Émile Paul Grindel7 ainsi que Didier Desroches et de Brun.

6 Sa première apparition date de 1980 : derrière ce masque, Anagnostakis publie « Manousos Fasis, Muse Enfantine ». « Les complémentaires. Notes de critique » apparaissent cinq ans plus tard et en 1986 la ballade « Le poursuivant», toujours sous le nom de Manousos Fasis et publié par une maison d’éditions imaginaire, nommé AIDS. 7 Le poète français change son nom de famille très tôt, en 1917, pour celui hérité de sa grand-mère : Éluard.

Afin d’avoir une approche la plus vraisemblable possible aux deux œuvres, nous nous sommes premièrement intéressé à leurs créateurs ainsi qu’au contexte historique, sociopolitique et culturel qui les entourent – ce qu’Hippolyte Taine a appelé « Race – Milieu – Moment ». C’est ainsi que nous aurons dans une première partie un aperçu des arrière-plans de deux poètes, de leurs œuvres poétiques et leurs idéologies politiques. Dans la deuxième partie, nous nous pencherons sur l’analyse littéraire de leurs poèmes à travers les notions de l’espérance, du temps, de la mort et de la vie, ce qui nous aidera à mieux cerner leurs profils. La problématique de ce mémoire tourne autour de la question de l’accomplissement de la révolution à laquelle tous deux poètes ont cru. La question qui nous intéresse particulièrement est comment Éluard et Anagnostakis affrontent premièrement la guerre et ensuite la défaite, après avoir lutté physiquement et moralement pour des idéaux inaccomplis. Un autre point qu’on examinera est l’espoir ou le désespoir de deux poètes face à la force destructive de la guerre et les coups successifs de la vie. Cette dernière, ainsi que son contraste avec la mort, nous occupera dans une grande partie de ce mémoire.

Enfin, à cause du titre généralisant de ce mémoire, il convient à dire que nôtre objectif n’est pas d’examiner minutieusement ou bien de justifier les idéologies politiques de deux poètes. Bien au contraire : l’axe principal du mémoire – vu sa nature littéraire – reste leur poésie, qui était indubitablement militante, combattante et à travers laquelle on entrevoit l’élément politique. Le titre vise ainsi à fortifier cet élément commun chez les deux poètes : tous deux ils se trouvent lors de leurs parcours entre l’engagement politique et la poésie. I. Deux poètes, deux arrière-plans

«11 NousEngag ésommes dans le mouvement nés les uns communiste aux autres, fran çnousais, É luardmaintenons vient en Grnotreèce en nom, 1946, notre à l’âge ambition, de 51 ans, notredans le histoire.but d’apporter Les son lumi soutienères morallointaines au peuple qui grecnous souhaitant atteignent de combattre ont la m auême côt éforce des forces que cellesdites que nous démocratiques et dénoncer l’intervention impérialiste britannique dans une Grèce qui était au seuil de la guerrevoulons civile. projeter Son sé jour,sur l’avenirson discours »8 qu’il y fait, et les poèmes fruits de ce voyage représentent le seul lien qu’il ait avec les poètes grecs qui l’ont reçu à Thessalonique et à Athènes (Varvitsiotis, Kazantzakis, Sikélianos et autres). Anagnostakis ne fait pas partie de ceux poètes. Pendant la même année de l’arrivé d’Éluard à Thessalonique, Anagnostakis se fait expulser du parti communiste grec. C’est ainsi que Paul Éluard se réfère aux poètes qui l’avaient précédé. Il les considère des frères, des amis exigeants, dont l’espoir de lutter et l’amour d’aimer les unit. La présente étude vise à examiner comment les œuvres de deux poètes qui justement ont maintenu leurs noms, ambitions et histoires, tellement diverses, se sont rencontrées. Comment ont-ils autrement dit Éluard et Anagnostakis, abordé la question de la résistance, de l’espérance. Avant d’entamer toute lecture et au nom de la légitimité d’une étude en littérature comparée9, nous nous sommes dans un premier temps intéressé aux liens éventuellement existants entre ces deux poètes, issus de traditions et d’époques différentes10. On est arrivé à constater que les chemins de Manolis Anagnostakis et de Paul Éluard, poètes sensibles, sociaux et engagés, ne se sont jamais croisés autant que nous sachions. Aucun écrit de leurs contemporains ne témoigne un éventuel contact humain11 – conscient ou pas – ou bien une preuve de correspondance entre les deux ; eux-mêmes ne se référant pas l’un à l’autre, les liens d’échange sont inexistants. La possibilité d’une influence intertextuelle nette et directe est ainsi écartée. Toutefois, ils ne sont décidemment pas éloignés l’un de l’autre, à nos yeux. Au contraire, une brise commune dégage de leurs poèmes, leurs propres portraits dont la similitude est presque inexplicable nous incitent à plonger dans un voyage littéraire et historique, social et philosophique, avec seul guide la poétique et la politique. Nous avons ainsi envisagé d’aborder la présente étude dans le but de repérer les rapprochements dans leur poésie, de cerner leurs profils de poète au cours d’une période très difficile historiquement et

8 JEAN Raymond, Éluard, Éditions du Seuil, 1968 et avril 1995, p. 16. 9 BEAUD Michel, L’art de la thèse, Éditions la Découverte, 2006, p. 72. 10 Éluard décède en 1952, année pendant laquelle Anagnostakis, âgé d’à peine 27 ans, est sur le point de recevoir son diplôme de docteur en médecine, délivré par l’Université Aristote de Thessalonique. socialement parlant et d’arriver à dire enfin, si et jusqu’à quel point leurs œuvres dont aussi les images, conceptions et aperçus s’entrecroisent.

Contrairement13 KARATZAS Nikos, à Éluard, Les po poètesè tede quiThessalonique est né dans, 1930 la -r1980,égion É ditionsd’Ile- deEpilogi,-France 1981, et p.install 14. é à Paris – véritable carrefour culturel de l’époque – dès ses treize ans (quand il entre comme boursier à l'école supérieure Colbert où il étudia jusqu’à l’âge de seize ans avant de tomber malade), Anagnostakis développe son intérêt littéraire dans une ville qui vient de se ressurgir intellectuellement après sa libération en 191212. Pendant que les premières décennies de la production littéraire des poètes de Thessalonique sont marquées par l’inspiration de la tradition et la nature (Sarantos Pavleas), la métaphysique religieuse (Zoi Karelli), le lyrisme (Georges Themelis), l’érotisme et la songerie enfantine (Varvitsiotis), Anagnostakis va introduire au milieu de 1940 une nouvelle période de l’écriture de l’espace poétique. Car bien évidemment, le courant poétique de la génération précédente est incapable d’exprimer l’esprit chargé de cette nouvelle période. Pionnier de ce renouement poétique, Anagnostakis introduira le cercle des poètes sociaux auquel appartiennent Kyrou, Thasitis et autres. Il s’agit d’un groupe de poètes qu’on ne peut pas considérer une école ni un courant littéraire13. Dans ce ‘groupe’ sont classés les poètes de la première génération de l’après-guerre, à savoir ceux qui sont nés de 1918 jusqu’au 1928 dont la poésie se forme à partir de leurs expériences et vécus durant les années de l’après guerre (1945-1960). Généralement, on divise les poètes de l’après-guerre en trois catégories en fonction de la thématique de leurs poèmes : Nous avons ainsi ceux dont la poésie est néo surréaliste, existentielle ou bien sociale, aves des traits de résistance. Dans cette dernière appartient Anagnostakis, dont la poésie exprime la lutte qu’a faite toute une génération.

La littérature de l’après guerre (1945-1967) est fortement marquée par les événements historiques de la seconde moitié du XXe siècle, qui seront présentés brièvement ci-dessous en parallèle avec des éléments biographique d’Anagnostakis, dans le but de comprendre l’atmosphère historique et les raisons qui ont poussé le poète grec à s’engager politiquement et poétiquement.

12 Thessalonique est libéré de l’occupation ottomane en octobre 1912 et s’intègre à l’État grec à l’issue des Guerres balkaniques, juste avant que la Première Guerre mondiale déclenche. En 1936, Manolis Anagnostakis a onze ans, invente des vers et compose des rimes à l’école tandis que la situation politique en Grèce est instable. Après une alternance au pouvoir de plusieurs gouvernements instables, Ioannis Métaxas, un militaire souhaitant l’imposition violente de la royauté, instaure la dictature par le coup d’état du 4 août. Dans cette entreprise, il est bien évidemment soutenu par le roi Georges II, par une partie de la grande bourgeoisie et par la politique britannique. Se plaçant sous les ordres d’un roi anglophile, et lui-même étant germanophile, il essaie de suivre une politique d’équilibre entre les deux. L’état est désormais organisé selon le modèle fasciste : salutation à la romaine, participation obligatoire des enfants et des adolescents à la jeunesse fasciste EON, glorification de la « troisième civilisation grecque »14.

14 La première étant celle de la Grèce antique et la deuxième celle de la Grèce byzantine. 15 Il lit Baudelaire et traduit les Calligrammes d’Apollinaire. 16 ANAGNOSTAKIS Manolis, Je suis gaucher essentiellement : monologue de Manolis Anagnostakis, Éditions Patakis : Athènes, p.82. 17 Anagnostakis fut membre de l’EPON parti intégrante de l’organisation EAM.

Anagnostakis écrit ses premiers poèmes en octobre 1940, à l’âge de quinze ans, suite au déclenchement de la guerre. Dan le même mois, Métaxas refuse l’ultimatum de l’ambassadeur de l’Italie réclamant le passage libre des troupes italiennes par le territoire grec. Du coup, la Grèce se place dans le camp des alliés, Koryzis succède Métaxas mais ne fut pas accepté par Georges II et il se suicide avant l’arrivée des troupes allemandes à Athènes au mois d’avril 1941. La bataille de Crète cause la défaite des alliés en mai 1941 et le nouveau Premier ministre, Emmanouil Tsoudéros, le gouvernement, le roi Georges II, ainsi qu’une grande partie de l’armée grecque, se réfugient en Egypte avant l’installation des soldats allemands en Grèce, fait qui marque le début de l’Occupation du pays. Entretemps, Anagnostakis lit frénétiquement les symbolistes français15. Beaucoup plus tard, il avouera lors d’un entretien : « J’ai toujours distingué les [poètes] français – car je ne connais que les poètes français – Apollinaire, dont les poèmes, que j’ai découvert par hasard, je lisais depuis un très jeune âge, je les ai trouvés dans une bibliothèque et j’étais ensorcelé. 16»

A partir du mois de septembre 1941 les mouvements de résistance, EDES, EKKA, EAM (ce dernier étant le plus important en nombre de participants et d’actions, réunissant les partis de gauche17) se forment. Le Parti Communiste (KKE) prend les avants et devient le premier à entreprendre une action de résistance, étant donnée son expérience préalable et son savoir-faire dans la clandestinité. La lutte contre l’occupation allemande commence grâce à l’action des partisans dans la montagne. Pendant cette période, Anagnostakis fait ses premières tentative d’entrer dans le monde littéraire. Malgré le refus de quelques revues qui n’acceptent pas de publier ses écrits, Anagnostakis publie son premier poème, intitulé « 1870-1942 » 18, et fait ainsi ses débuts en 1942, à l’âge de dix-sept ans. Des autres mouvements de résistance suivent l’exemple d’EAM qui créé en février 1942 l’ELAS, sa branche armée qui agit sous les ordres d’Aris Vélouchiotis. Petit à petit, des régions sont libérées, les partisans gagnent du terrain et des administrations provisoires sont instaurées. En contre-mesure à la création des armées de libération, le gouvernement de l’occupation créé sous les ordres allemands les « bataillons de sûreté » qui sèment la terreur à la population. Notons qu’Anagnostakis, malgré son jeune âge (dix-huit ans à l’époque), était sur le point de partir à la résistance lorsqu’il était arrêté de la part de quelqu’un dont le visage nous ignorons : « C’était une époque très intense. Avec ses problèmes. A la fin de l’année 1943 j’ai voulu partir à la montagne. J’étais prêt, j’avais tout préparé. Mais au dernier moment quelqu’un m’a gardé pour que je ne parte pas, il voulait que je sois le chef de la revue Le Début. Comme j’étais grand et je ne pouvais pas entrer facilement à la clandestinité, on m’a considéré approprié pour cette revue. 19»

18 ARYGRIOU Alexandros, Magazine Bibliothèque, partie intégrale du journal « Eleftherotypia », Le poète…Manolis Anagnostakis…et le citoyen, [en grec, en ligne] publié le 30 novembre 2001, consulté le 30 mai 2012, disponible sur http://spoudasterion.pblogs.gr/2009/06/469489.html 19 ANAGNOSTAKIS Manolis, Je suis gaucher essentiellement : monologue de Manolis Anagnostakis, Éditions Patakis : Athènes, p. 48.

Entretemps, il faut souligner que l’occupation a succédé à l’autoritarisme d’un régime dictatorial sous lequel une grande partie de la population était privée de libertés et même incarcérée ou exilée. Les éléments réactionnaires de Métaxas avaient de plus été maintenus, donc les fonctionnaires et les militaires avaient maintenu leurs postes. Les mouvements de résistance sont gênés par la dominance claire de l’EAM, qui devient de plus en plus hostile dans un effort d’assurer sa dominance après la fin de la guerre.

En mars 1944, des élections secrètes sont organisées par l’EAM et la PEEA (Comité politique de la Libération nationale) qui veut être ce qu’ils appellent « le gouvernement de la montagne », c'est-à-dire une sorte de gouvernement de la Grèce libre. Son but est prioritairement la libération du pays mais en assurant en même temps la domination populaire une fois la Grèce libérée. PEEA souhaite aussi de remplacer le gouvernement exilé en Egypte par un gouvernement d’ « union nationale ». Pour cette cause, il y a lieu en Egypte la mutinerie dans la marine et ensuite dans l’armée de terre grecque en avril 1944. La revendication est l’éloignement des éléments fascisants et la mise en place d’un gouvernement dans lequel seraient représentées les forces politiques constituant la PEEA en Grèce. Les Forces Alliées Britanniques réprimeront la mutinerie et les 20000 soldats grecs qui ont participé à la révolte seront renvoyés dans des campes de concentration en Erythée et dans le désert de l’Egypte.

En mai 1944 le nouveau Premier ministre, Giorgos Papandréou convoque un congrès au Liban dans un but de résoudre les différences entre le front de l’EAM et celui qui s’y oppose. Cela conduit aux événements appelés Ta Dekemvrianà (décembre 1944), une sorte de prélude de la guerre civile, suite au départ des allemands du sol grec en octobre 1944. Durant ces années Anagnostakis étudie médecine à Thessalonique. Il est très actif à l’université en tant que rédacteur de chef, entres autres, de la revue ‘Le Début’20 qu’on a susmentionnée. La bataille d’Athènes, partie des émeutes du décembre 1944 dure 33 jours et oppose l’armée de l’EAM aux forces du nouveau gouvernement. Par conséquent, Papandréou fait appel à l’aide des Britanniques qui mobilisent leurs soldats et obligent EAM à perdre la bataille. Les partisans recourent à la montagne et en février 1945 suite à l’accord de Varkiza, des élections sont de nouveau organisées avec un choix du régime entre royauté ou république par référendum. Cet accord prévoit également le désarmement des partisans, qui n’est pas suivi pas tous. Le Parti communiste grec s’abstient des élections qui ont lieu au mois de mars 1946 et finalement la guerre civile déclenche en été 1946. L’armée de l’ELAS devient l’armée communiste qui s’oppose désormais à l’armée nationale. Parallèlement, le printemps du 1946 Anagnostakis fut exclue du parti communiste étant accusé d’être trotskiste opportuniste et défaitiste. Ce fait nous rappelle évidemment l’exclusion similaire du poète français. En effet, Éluard puise son inspiration par ses expériences de l’époque où sa rupture avec le parti communiste et son exclusion a eu lieu en 1933. Similairement, Anagnostakis fut exclu du parti communiste sept ans plus tard, en 1946, ce qui a eu un grand impact sur lui, comme il avoue lors d’une entrevue : « A une telle époque, c'est-à-dire lorsque le parti communiste grec connaissait son apogée, être exclu

20 VARON-VASSARD Odette, «Anagnostakis au „Début”» [en grec, en ligne], dans le magazine Επτά Ηµέρες, partie du journal Καθηµερινή daté du 4 décembre 2005. Consulté le 2 juin 2012, disponible sur http://www.kathimerini.gr/4dcgi/_w_articles_kathglobal_879170_04/12/2005_1284873 voulait simplement dire ne pas être salué de la part des amis...Je me suis maintenu grâce à la littérature, grâce à l’Art. Il y en avait qui n’ont pas tenu ferme…Soit ils s’enfermaient dans leurs maisons soit ils changeaient de côté. 21»

21 DAFERMOU Katerina, Journal « To Vima », Anagnostakis inédit en première projection – Documentaire comprenant matériel inédit sur la vie du poète aux ‘Coulisses’ de ET1 [en grec, en ligne], consulté le 4 mai 2012, disponible sur http://www.tovima.gr/culture/article/?aid=203460 22 VITTI Mario, « L’épreuve de la Seconde Guerre mondiale et la littérature de l’après-guerre » in Histoire de la littérature néo-hellénique, Éditions Odyssée, 1992, Athènes, p. 421.

23 Ibid, p.422. 24 Quand il se fait exclure du parti communiste, Anagnostakis reste en tant que membre dans l’organisation des jeunes communistes, l’EPON.

Ces années ont été pour Anagnostakis et pour toute la première génération de l’après-guerre, des années difficiles et tourmentées. Il faut noter leur sensibilité particulière vis-à-vis de la situation politique aussi dû à leur très jeune âge. C’est pourquoi la poésie de la première génération de l’après-guerre est considérée « innocente » et « inaffecté », qui trouvait sa raison d’être dans la quotidienneté, les sentiments provoqués de la situation politique et les privations. Mario Vitti affirme très justement que le style narratif est très présent dans la poésie de l’après-guerre dans laquelle « l’intensité s’atteint grâce à des moyens d’expression ingénus : répétition, frugalité, enrichissement »22. Ce groupe de poètes s’auto-définit pour la toute première fois en 1957 quand D.Georgoudis et K.Genatas publient une Anthologie des poètes de l’après-guerre en se présentant en tant que group cohérent et indépendant des autres23.

L’occupation allemande et la guerre civile grecque coïncident avec les années de la vie étudiante d’Anagnostakis. Après son exclusion du parti communiste, il est arrêté en 1948 pour son action à EPON24. Lors du procès, le 14 janvier 1949, Anagnostakis est condamné à mort mais il n’utilise pas l’alibi de son exclusion du parti communiste.

Éluard fera ses premiers pas à une action artistique engagée au début des années 1920, en tant qu’ardent partisan des activités dadaïstes. Avant son initiation à ce mouvement, pilier du surréalisme, Éluard a des petites péripéties de santé. Il interrompt ses études à l'école supérieure Colbert à cause d’une infection à tuberculose pour aller en Suisse et guérir. C’est au sanatorium suisse Davos qu’il fera la connaissance avec Gala, une jeune russe qu’il épousera six ans plus tard. C’est durant les années suivantes qu’il se rapprochera de Breton, qui deviendra très vite un ami intime. Après une parenthèse douloureuse d’un voyage vers l’Atlantique qu’il entreprend tout seul, Éluard sera de nouveau à Paris pour adhérer en janvier 1927 au Parti Communiste, avec ses amis surréalistes : Louis Aragon, Breton, Benjamin Péret et Pierre Unik. Son poème Liberté fait preuve de cet homme d’engagement que désormais il représente un homme « patriote, résistant, un homme d’honneur, de foi, fidèle et sincère 25» qui écrit dès 1917 « ses plus belles pages sur la paix 26». Après avoir été exclu du parti communiste, il voyage en Europe en tant qu’ambassadeur du surréalisme avec Breton. Le poète est très sensibilisé vis-à-vis du soulèvement franquiste et de la guerre d’Espagne et il continue à entremêler politique et poésie pour écrire un an plus tard sa fameuse ‘Guernica’. La seconde guerre mondiale sacre Éluard poète de liberté ; la Libération et la mort de sa compagnon Nusch vont suivre. Le poète passe un moment difficile à cause de cette perte inattendu mais bientôt il retrouvera son espoir pour retourner à son engagement et participer en 1948 au Congrès pour la paix à Wroclaw, quelques mois avant de publier ses « Poèmes politiques ». Il continue les visites dans les pays qui sont en lutte, dont la Grèce, pour apporter son soutien moral au peuple. Dans le dernier stade de sa vie se trouve Dominique Laure qu’il épouse en 1951. Son dernier recueil « Le Phénix » sera publié cette même année pour glorifier la joie retrouvée. Pendant la guerre froide il est « ambassadeur culturel » auprès des « pays frères » et des peuples en lutte, ce qui dure peu car en 1952 il meurt à l’âge de 57 ans27.

25 GUEDJ Colette, Eluard a cent ans : Actes du colloque de Nice - janvier 1996, Les mots la vie revue sur le surréalisme No 10, Éditions L’Harmattan, 1998, p.285. 26 GUEDJ Colette, op. cit., ibid. 27 GUEDJ Colette, op. cit., ibid.

i. Leurs œuvres poétiques

D’une30 PIPINIS mani Yannis,ère g Manolisénérale, Anagnostakis, nous pouvons Un promeneur constater fanatique qu’Éluard de la est po éunsie po, [enète grec], bien É ditionsplus é tudiSocoli,é qu’Anagnostakis,1999 : Athènes, p.42. dont la bibliographie, limitée dans une large mesure en langue grecque, se concentre surtout autour de l’étude axée sur « la poésie de la défaite »28 de toute une génération. Nous considérons que cela est dû en grande mesure à la production littéraire de chaque poète : on était dès le début étonné à s’en apercevoir qu’Anagnostakis, dans l’espace de sa production poétique qui compte trente ans (1941 – 1971)29, recueille quatre-vingt sept poèmes publiés. En effet, c’est Anagnostakis qui donne ce nombre de poèmes en indiquant qu’ils sont ses poèmes intitulés et donc ‘pur-sang’ ; les autres qui sont numérotés à l’aide des caractères latins ne sont pas comptés.30 Mais même ainsi, il s’agit d’une production particulièrement limitée étant donné la durée temporelle dans laquelle se situe son activité poétique. Notons aussi qu’à partir de 1971 et jusqu’à sa mort en 2005, Anagnostakis, entre dans son silence poétique et cesse de publier de poèmes. Nous avons ainsi un poète qui a pris sa plume très tôt – avant même de devenir adulte – et s’est immiscé dans l’actualité politique et l’univers poétique pour enfin se taire après se 45 ans.

Son œuvre est composée par les recueils poétiques suivants : Epoques (1945), Epoques II (1948), Epoques III (1951), La Suite (1954), Parenthèses (1956), La Suite II (1956), La Suite II (1962), La Marge ’68-’69 (1969), La Cible (1970), NB (1983). Sous le surnom de Manousos Fasis il publie : Muse enfantine (1980) et La Descente (1986). Anagnostakis publie également ses essais : Pour et contre (1978), Contre doctrines (1978), Supplémentaires (1985), Le poète Manousos Fasis (1987).

Le poète est taciturne quand il est question de son œuvre. Il dit peu des choses, dont : « Outre les poèmes que j’ai cessé d’écrire à une certaine époque, je n’ai rien écrit. Cependant j’ai écrit beaucoup de livres, des articles politiques dans des journaux,

28 On met ce terme entre guillemets, comme on le trouve dans la plupart d’études sur la poésie de cette période, par exemple dans MENTI Dora, Poésie politique de l’après guerre : idéologie et poétique, Athènes : Kedros, 1995, etc. 29 TZOUMA Anna, Le temps, le discours, l’épreuve poétique de Manolis Anagnostakis : une approche [en grec], Éditions Nefeli, 1982 : Athènes, p.20. dans Aube31 depuis 1987, car j’étais déjà considérablement mêlé à la politique. J’étais candidat député européen à plusieurs reprises. Depuis trois ans, j’ai rompu, car je suis tombé malade et j’étais déçu de la part de la politique.32 »

31 Avgi, c'est-à-dire «Aube » en français, est un quotidien dont la ligne éditoriale est de gauche. Il était édité pour la première fois le 24 aout 1952 et continue jusqu’à nos jours. Sa circulation était interdite par la « Junte » durant la période 1967-1974. A ne pas confondre avec l’ « Aube dorée », un parti politique grec néo-nazi contemporain.

32 ANAGNOSTAKIS Manolis, Je suis gaucher essentiellement…, op. cit., p. 60. 33 GUEDJ Colette, Eluard a cent ans : Actes du colloque de Nice - janvier 1996, Les mots la vie revue sur le surréalisme No 10, Éditions L’Harmattan, 1998, p.281. 34 En collaboration avec André Breton et René Char. 35 GUEDJ Colette, Eluard a cent ans…, ibid.

Au contraire, Éluard rassemble une centaine de documents manuscrits33, et des recueils complets de poèmes innombrables puisque il publie ses poèmes presque chaque année. Il s’agit de(s) : Premiers poèmes (1913), Le Devoir (1916), Le Devoir et l'Inquiétude (1917), Pour vivre ici (1918), Les Animaux et leurs hommes, les hommes et leurs animaux (1920), L'amoureuse (1923), La courbe de tes yeux (1924), Mourir de ne pas mourir (1924), Au défaut du silence (1925) Capitale de la douleur (1926), La Dame de carreau (1926), Les Dessous d'une vie ou la Pyramide humaine (1926) L'Amour la Poésie (1929), Ralentir travaux (1930)34, À toute épreuve (1930), L'immaculée conception (1930), Défense de savoir (1932), La Vie immédiate (1932), La Rose publique (1935), Facile (1935), Les Yeux fertiles (1936), Quelques-uns des mots qui jusqu'ici m'étaient mystérieusement interdits (1937), Cours naturel (1938), La victoire de Guernica (1938), Donner à voir (1939), Le livre ouvert (1941), Poésie et vérité 1942 (1942), Liberté (1942), Avis (1943), Courage (1943), Les Sept poèmes d'amour en guerre (1943), Au rendez-vous allemand (1944), Poésie ininterrompue (1946), Le Cinquième Poème visible (1947), Notre vie (1947), À l'intérieur de la vue (1947), La Courbe de tes yeux (1947), Le temps déborde (1947), Poèmes politiques (1948), Le Phénix (1951).35

Le fonds Paul Éluard du musée de Saint-Denis dispose d’un large éventail de documents qui couvrent toute la vie du poète français, dès son engagement dans le surréalisme et le communisme jusqu’à la fin de sa vie. Contrairement à Anagnostakis, Éluard écrit jusqu’à l’année précédant sa mort (1951).

ii. Leurs idéologies politiques

«BONNET Appelons Marguerite, poésie cette Adh épuissancerer au Parti qui,communiste par la ? violence,Septembre -pardécembre l’intimidation, 1926, Éditions par Gallimard, la révolution, 1992, parpage le r54.êve, veut exister en dehors du poème, ce que Tzara, par opposition à la poésie moyen-d’expression, entend par poésie-activité-de-l’esprit »36

Après avoir fait un schéma des biographies de ces deux poètes, on est sensible au fait que leurs consciences politiques deviennent inséparables de leurs consciences poétiques, fait qui est dû à leurs propres expériences traumatisantes avec la guerre qui les a profondément marqués. Ainsi, nous cernerons deux poètes dont les idéologies politiques ont été révolutionnaires. Révolution et résistance sont des termes clés pour l’œuvre de ces poètes, les deux ayant appartenu aux Partis communistes de leurs pays37et ayant également participé à la guerre38, d’où d’ailleurs puisent leurs idées pacifistes et libertaires. En effet, les deux poètes engagés adhèrent aux Partis communistes de leurs pays après avoir vécu la guerre (Éluard la grande guerre39 et Anagnostakis la deuxième guerre mondiale). Nettement affilié au mouvement surréaliste le premier, associé au mouvement des poètes grecs de l’après guerre liés à l’existentialisme le second, ils ont été sensibles aux questions de la révolte et du révolté comme par exemple on peut l’apercevoir à travers l’extrait ci-dessous :

UNIK40 – De votre point de vue marxiste, le mouvement surréaliste vous paraît-il utile à la Révolution ? NAVILLE – Je ne puis répondre en deux mots à cette question très importante. En tous cas, cette activité est à soutenir.

36 HUGNET Georges, Petite anthologie poétique du surréalisme, avec une « Introduction », Bucher, 1934, p.22.

37 Éluard y adhère en 1926 avec d’autres membres surréalistes et Anagnostakis en 1942. 38 Éluard fut soldat au 21e régiment d’infanterie coloniale et affecté à la 22e section d’infirmiers militaires durant les années 1914-1916, puis mobilisé dans l’intendance durant 1939-1940 et engagé dans la Résistance pendant 1942-1943. Anagnostakis a participé à la Résistance en Grèce, en tant que membre de l’EPON (Ε.Π.Ο.Ν, Ενιαία Πανελλαδική Οργάνωση Νέων, Organisation Unifiée Panhellénique des Jeunes) et il a été emprisonné dans la période 1948-1951 et condamné à mort en 1949 à cause de ses activités politiques.

39 Éluard adhère pour la deuxième fois au Parti Communiste, alors illégal, en 1942 ; son adhésion dure cette fois-ci jusqu’à la fin de sa vie. 40 Pierre Unik, Pierre Naville, André Breton, Michel Leiris, Paul Éluard : Compte rendu de l’assemblée du mardi 23 novembre 1926 organisée par les surréalistes français. BRETON – Pour beaucoup d’entre nous, c’est l’attitude surréaliste elle-même qui nous a conduits à notre position actuelle de rapprochement vers le communisme. LEIRIS – Comment Naville entend-il que pour adhérer au P.C., il ne faut pas être un révolté ? NAVILLE – Pour adhérer, il ne suffit pas d’un acte de foi, mais il faut être en mesure de mettre ses idées en pratique de toutes ses forces. LEIRIS – C’est sur le terme de révolté que je vous interroge. Je prétends que la révolte est à la base de la Révolution. NAVILLE – Cela se réduit à un jeu de mots. Je parle du révolté en tant que sa révolte est individuelle, anarchiste. ÉLUARD – Il est quand même à la base de tout tempérament révolutionnaire d’avoir été un révolté. C’est à cause de cette révolte qui ne peut se réaliser qu’on devient révolutionnaire.

Anagnostakis43 ibid, p. 33. croit dès le début à une révolution : « il croit à cet ‘idéal’ combatif et collectif, il croit à ‘l’amélioration de la vie’. A sa manière, certes, avec la pureté et l’innocence du poète et de l’adolescent, du ‘révolté’ et non pas du ‘révolutionnaire’41, qui projette bien intentionnellement et confidentiellement sa vision personnelle pour l’être humain et ‘l’amélioration de la vie’, fondée sur des réalités désormais radicalement différenciées. »42

Ainsi, poètes ardents et citoyens politisés dont l’activité militante était inséparable de leur activité poétique, Éluard et Anagnostakis possèdent une orientation engagée et une intelligence à la fois politique et révolutionnaire qui marquent si fortement leurs œuvres. Le poète français participe aux « polémiques politiques, littéraires, intellectuelles du moment, à toute cette agitation publique dont le surréalisme se faisait un devoir »43 et le poète grec en fait de même, en tant que membre de la première génération de l’après guerre. En effet, si les œuvres des poètes grecs appartenant à la première génération de l’après guerre sont tellement militantes et particulièrement sanglantes, c’est qu’elles sont érodées par les vécus que ces poètes ont eus pendant leur jeunesse. De plus, en tant que directeur de publication et éditeur de la revue Critique (« Κριτική ») durant les années 1959-1961, Anagnostakis s’est intéressé aux problèmes fortement liés à la politique et la culture dans le cadre de l’esprit rénovateur du marxisme, dont son œuvre est l’expression.

41 Ici, on revient au propos de Paul Éluard sur les idéologies politique de deux poètes. Le poète français interprète les notions du révolté et du révolutionnaire à sa manière, comme on a vu juste avant. 42 VAGENAS Nasos, La langue de l’ironie : essais critiques sur la littérature grecque, Éditions Stigmi, Athènes, 1994, p.15. Paul Éluard aime aussi étudier l’œuvre du Marxiste Feuerbach et il rappelle en particulier ses dires : « Là où il n'y a pas de toi, il n'y a pas de moi ». En effet, pour Éluard « l’acte créateur est, dans ce qu’il a de plus essentiel, un projet existentiel, visant une réalisation et un accomplissement de l’être44».

44 KITTANG Atle, op. cit., p. 8. 45 ANAGNOSTAKIS Manolis, Je suis gaucher essentiellement : monologue de Manolis Anagnostakis, Éditions Patakis : Athènes, p.52. 46 JEAN Raymond, Éluard, Éditions du Seuil, 1968 et avril 1995, p. 39. 47 ibid, p. 39.

Comme beaucoup de surréalistes, Éluard adhère au Parti Communiste Français pour ensuite être exclu en 1933 à cause de divergences sur le modèle soviétique. Anagnostakis raconte sa propre histoire, similaire à celle du poète français, dans le Parti respectif en Grèce : « J’ai beaucoup supplié, j’ai voulu entrer au Parti, on m’a fait entrer, j’y suis resté. J’ai écrit cette histoire plusieurs fois à la troisième personne. J’ai adhéré au Parti. J’ai beaucoup travaillé et en 1946, j’ai commencé à poser quelques questions avec lesquelles, en ce moment-là, n’était pas d’accord la direction. Quelques questions, un peu bizarres. Confiscation du Comité en Bulgarie, quelques colloques slaves qui se déroulaient, certaines choses qui étaient anticonformistes, disons. Et un jour, on me dit que je suis exclu. Et ceux qui m’ont exclu étaient des personnes qui, trente cinq ou quarante ans plus tard seraient dans KKE « de l’intérieur », qui en ce moment étaient mes dirigeants. En 1946 je suis ainsi exclu, mais moi je suis resté en tant que membre à l’EPON. J’ai traversé un moment de crise, voire de suicide, car tous m’évitaient. »45

Tout comme Anagnostakis, Éluard, continue malgré tout à militer dans les organisations de gauche même après son exclusion du Parti. Cependant, les deux poètes y retourneront à un moment de leurs vies pour continuer à militer. Du lendemain de 1944, Éluard prend « son visage nouveau, son dernier visage46 », un visage dévoilé par ses Poèmes politiques, qui constituent la dernière phase de son écriture. La poésie ne se distingue plus du combat politique et patriotique, il s’agit d’un combat qui est clandestin et auquel Éluard mettra fin en août 1944 suite à la libération de Paris47. En effet, de 1940 à 1944 le poète français « déploie une activité où chaque livre, chaque publication, chaque prise de position est un acte de guerre contre l’occupant, un épisode d’une inlassable lutte clandestine. 48»

48 ibid, p. 37. 49 ibid, p. 39. 50 En 1938 il vend sa plaquette Solidarité au profit des combattants républicains de l’Espagne. JEAN Raymond, Éluard, Éditions du Seuil, 1968 et avril 1995, p. 37. 51 ibid, p. 39. 52 ibid, p. 39. 53 Ici l’auteur se réfère à l’événement daté du 1942 quand des milliers d’exemplaire de Poésie et Vérité 1942- contenant le poème « Liberté »- sont parachutés dans le maquis par les avions de la RAF, l’armée de l’air de l’armée britannique. 54 JEAN Raymond, Éluard, Éditions du Seuil, 1968 et avril 1995, p. 39.

Sur les pentes inférieures, Livre ouvert et Poésie et vérité 1942, tous publiés successivement et clandestinement suite au déclenchement de la guerre témoignent de cette volonté de résistance de la part d’Éluard. C’est ainsi qu’il naît ce lien entre la démarche poétique et sa marche politique. Son engagement dans l’action, que ce soit les publications de brochures – appels à la lutte qui étaient diffusées parmi les résistants ou des recueils de poèmes aux mêmes fins, se rapproche de celui d’Aragon, de Decour, de Paulhan, de Vercors, pour n’en nommer que quelques uns49. Il ne s’agit pas d’un fait fortuit ; lorsqu’éclate la Seconde Guerre mondiale Éluard a déjà sa conscience alertée par les événements d’Espagne (1936-1939) 50. On dirait que brusquement son langage poétique « s’est transformé si spontanément, si naturellement en arme, ne cédant pas aux facilités de la propagande parce qu’il se mettait au service d’une lutte réelle, dure et digne »51

En lisant les poèmes ardents d’Éluard et d’Anagnostakis, on a le sentiment « qu’il a existé dans l’histoire de la littérature peu de moments où la poésie se soit faite si militante, si combattante. »52 Cependant, le vocabulaire politique est évoqué différemment chez les deux poètes, qui ont de divers réseaux sémantiques.

Le contexte historique qui nous intéresse se situe dans les années de la guerre pendant les quelles « la poésie se faisait tract, libelle, affiche, elle était parachutée du ciel53, lancée sur les ondes, colportée de bouche à oreille : elle restait toujours la poésie.54 » Cela veut dire que, pour étudier la question de la révolution et la résistance, j’ai choisi de restreindre mon corpus aux recueils de deux poètes qui ont été publiés en temps de guerre (la Seconde Guerre mondiale, la guerre civile grecque, la dictature des colonels), période qui couvre bel et bien trente cinq ans du XXe siècle. II. L’attrait pour l’espérance

« Sa certitude que les efforts de la Résistance résulteraient à la victoire ne s’est jamais ébranlée. Il nous portait de nouvelles raisons d’espoir de chaque voyage qu’il faisait. Et cet espoir, qui traverse toute son œuvre, est le même qui nous emplit aujourd’hui. »

Louis Parrot, à propos de Paul Éluard, 7 mars 1945

On58 Ibid,ne pourrait p. 1490. pas aborder un tel sujet de poésie sans parler de l’espérance étant donné que face à l’oppression, les poètes chantent souvent en chœur l’espoir, la liberté. Dans ce chapitre nous nous intéresserons à l’étude de l’attrait pour l’espérance, ce sentiment qui fait entrevoir comme probable la réalisation de ce que l’on désire55, que l’on peut repérer dans les œuvres de nos poètes. L’espérance vient du verbe espérer (spērare en latin), qui à son tour vient du verbe spero (avi, atum, āre) qui veut dire avoir bon espoir, attendre, s’attendre à, appréhender. Si on va plus loin dans notre étude étymologique, nous remarquerons que spes (spèī) en latin signifie l’attente d’une chose favorable, espérance (l’attente confiante de la réalisation de quelque chose) et à la fois espoir (fait d’espérer, d’attendre quelque chose avec impatience)56. Le verbe grec ελπίζω (elpìzo) signifie également s’attendre à, parfois avec crainte, espérer, attendre quelque chose avec optimisme une évolution positive d’une situation57, même si dans ce cas le nom προσδοκία (> προσδοκώ, prosdokò), attente de quelque chose souhaitable58, exprimerait mieux la notion subtile de l’espérance. La clarification de ces deux termes vise à justifier le choix du mot-clé qui figure dans le titre de ce chapitre. Dans les cas d’Anagnostakis et Éluard, nous pouvons parler d’espérance vu le degré d’enracinement dans la personne mais aussi d’espoir car les deux termes ont cependant des traits communs et on peut affirmer que parfois les poètes passent de l’espoir à l’espérance et vice versa. On tient également à noter que l’idée de la vertu théologale que comprend la notion espérance, ne nous concerne pas ici.

L’étude de la notion de l’espoir remonte à l’antiquité. Les principaux auteurs de la période archaïque, comme Homère, Hésiode, Théognis et Pindare, conçoivent l’espoir

55 Définition du mot espérance, tirée par Le Robert pour tous, Dictionnaire de la langue française, édité par Le Robert, Nouv. Éd. 15 août 1998. 56 Ibid. 57 BABINIOTIS Georges, Dictionnaire de la langue grecque moderne, 3ème édition, Athènes : Centre de lexicologie, 2008, p. 591. comme une attente de ce qui est à venir, appuyée sur une estimation rationnelle qui, cependant, ne présente pas une connaissance du futur à coup sûr. Euripide et Thucydide qui les succèdent désapprouve cette définition et considèrent l’espoir une attente à la forme d’un désir ou un souhait, lié à la confiance.

Confiance est le mot-clé. Ce qu’on espère doit être réaliste, faisable, autrement l’espoir est illusoire, vain. Cela n’est pas le cas de nos poètes, puisqu’au moment d’une situation sociopolitique si fragile, tout pourrait dévier. Accompagné d’un minimum d’assurance et de confiance dans la possibilité réelle d’atteindre l’objet, l’espoir reste donc problématique puisqu’il peut s’avérer vrai et nous remplir de joie, mais il existe également la possibilité d’une désillusion totale. Autrement dit, espérer signifie prendre des risques. Certes, une certaine certitude est la condition sine qua non pour avoir de l’espérance, puisqu’on ne peut pas espérer en quelque chose si à nos yeux est dès le début infaisable. Cependant, l’espoir implique en même temps un certain saut dans le vide, puisque personne ne pourrait nous garantir par avance ce que succédera dans le futur. Ce dernier se forme en fonction de divers facteurs extérieurs et intrinsèques au sujet ce qui cause sans doute l’incertitude. Du coup, quand l’objet ne dépend pas de nous, l’impulsion que provoque le sentiment de l’espoir nous incite de lutter contre le découragement.

En outre, espérer présuppose désirer : ce qu’on désire est souvent une situation qui est ardue, mais dont la réalisation est tellement importante qu’on est prêt à dépasser soi-même, à contester le déroulement naturel et faire un effort exceptionnel pour y arriver. La réalisation de ce qu’on espère suppose ainsi un grand effort, mais on ne peut être jamais sûr car le résultat final ne dépend pas seulement ou du tout de cet effort. C’est ainsi que nous distinguons deux types d’espoir humain, selon Schumacher : l’espoir pur, réalisable de la part de l’homme par ses propres moyens et l’espoir impur, dont il ne peut atteindre l’objet qu’en ayant recours à autrui59. Par conséquent, l’espoir qui peut mener facilement à un bien (une situation favorable, celle souhaitée) autant qu’à un mal (ce que l’on craint) et l’espoir pur mène plus facilement au premier résultat. Les espoirs d’Anagnostakis et d’Éluard, impurs, étaient orientés vers une possibilité qui au final n’était pas accomplie, une situation selon les idéaux pacifistes qui n’était pas concrétisée. 59 SCHUMACHER Bernard, « Espérance » in Dictionnaire d’Ethique et de Morale (Paris, PUF 1996), p. 525. Et si elle était concrétisée ? L’accomplissement de l’objet de l’espérance (la situation ou le bien désiré), s’identifie par les philosophes de l’espérance contemporains (Schumacher et autres) à l’accomplissement de la personne. Il s’agit d’un apaisement plénier qui mène à la libération, une libération de ses craintes et doutes, une libération premièrement personnelle et par la suite collective, c’est-à-dire de la communauté.

Anagnostakis63 SPINOZA Baruch, insiste Ethique sur ,cette IV, 49 dimension de la communauté, du combat collectif et c’est à ce niveau là qu’il se décourage. En effet, dans son deuxième recueil Epoques II, publié en 194860, Anagnostakis n’insère que huit poèmes numérotés, sans aucun intitulé. Il s’agit des poèmes à travers lesquels on note le désabusement et l’écœurement du poète qui continue son combat lors de la guerre civile grecque mais qui ne voit aucune lumière au fond du tunnel. A. Argyriou explique dans son article61 que dans ce recueil l’énumération des poèmes « n’exprime pas l’unité mais la provenance commune de plusieurs situations d’une époque, d’une autre époque qui présupposait l’expérience de l’Occupation, vues à travers les termes de la Résistance, lue dans son caractère visionnaire et non pas à la lumière d’une situation dissonante et monnayable du parti. Il s’agit d’une question de besogne. Avec ses poèmes l’écroulement de l’espoir est précocement retracé en tant que donnée dramatique. »

Sur le plan strictement philosophique, nous avons également des études qui évaluent le lien entre espoir et crainte. C’est le cas de Baruch Spinoza qui affirme qu’« il n’y a pas d’Espoir sans Crainte, ni de Crainte sans Espoir »62. L’esprit humain oscille au gré des circonstances, entre l’espoir de réussir et la crainte de perdre, puisqu’il existe une probabilité ni parfaite ou nulle de l’accomplissement de son espoir. Il ajoute que ces affections «ne peuvent être bonnes par elles-mêmes63» puisqu’elles font preuve d’une certaine servitude de sa part par rapport au temps et aux biens qui en dépendent.

A cet égard, pour ce qui est d’Anagnostakis, nous n’avons aucune indice de crainte dans le sens fort du terme, exprimée explicitement ou implicitement à travers de ses poèmes. Au contraire, Anagnostakis semble plutôt être intrépide, doté d’un style à

60 Etant emprisonné à Eptapyrgion – ou bien à « Yedi Kuleen », qui sert de prison jusqu’en 1980 – en raison de son action dans le parti communiste grec, Anagnostakis donne 24 pages de poèmes à son ami poète Georges Kaftantzis pour qu’ils soient publiés. 61 ARYGRIOU Alexandros, Magazine Bibliothèque, partie intégrale du journal « Eleftherotypia », Le poète…Manolis Anagnostakis…et le citoyen [en ligne].

62 SPINOZA Baruch, Ethique, III, Def. Aff., § 12-13. l’emporte-pièce que lui donne la possibilité de surmonter toute crainte et de reprendre sa route :

Mais moi je ne crains pas le vent qui rentre par les fenêtres cassées J’ai cherché une autre végétation dans des terres inexplorées Auprès des quelles on entend une voix et68 NIETZSCHEnon pas des F., cris Humain, frigides trop danshumain, des in rues Œuvres, inconnues.64 t. I, Paris, Laffont, 65 1993, § 71.

Une idée opposée à celle de Spinoza et plus proche au tempérament d’Anagnostakis, comme celui est démontré ci-dessus, est que seul est libre celui qui n’a ni espoir, ni crainte, comme nous rappelle l’écrivain grec Níkos Kazantzákis dont l’épitaphe sur la tombe indique une phrase tirée de son œuvre Ascèse : « Je n’espère rien, je ne crains rien, je suis libre »66.

Hommes réels pour qui le désespoir Alimente le feu dévorant de l’espoir Ouvrons ensemble le dernier bourgeon de l’avenir67

Notre intérêt particulier à cet égard s’explique par le fait que la notion de l’espérance est souvent connexe à celle de l’attente, l’expectative mais aussi il arrive qu’elle soit liée à la désillusion, la déception qui est parfois aussi ample que l’a été l’espérance. Dans ce cas, l’espoir s’avère faux, il n’a été qu’une illusion, voire « le pire des maux »68 comme le désigne Nietzsche, car il prolonge la souffrance de l’homme. Nous avons choisi d’évaluer la relation espérance – désillusion chez Anagnostakis et Éluard à travers l’analyse du temps et l’analyse des images de mort et de vie, présentées ci-dessous.

64 ANAGNOSTAKIS M., « Couleurs du crépuscule passé », in Mais pourquoi regagne-t-on chaque fois le même endroit sans but, Éditions Hermès, 2006,, Éditions Hermès, 2006, p. 77 65 Dorénavant, tout poème d’Anagnostakis présenté, entièrement ou en partie dans le texte, a été traduit par nous-mêmes. 66 « Maintenant je le sais: je n’espère rien. Je ne crains rien. Je me suis libéré de l’esprit et du cœur. Je suis monté plus haut. Je suis libre. C’est ce que je veux, rien d’autre. Je cherchais la liberté ». KAZANTZAKIS Nikos, Ascèse. Salvatores Dei , traduction en français et introduction par A. Izzet, Cognac, Le Temps qu’il fait, 1988, p. 38.

67 « La victoire de Guernica » in ÉLUARD Paul, préfacé d’André Velter, J’ai un visage pour être aimé, Choix de poèmes 1914-1951, Éditions Gallimard, 2009, p. 203. i. La nature et l’importance du temps

Le jour se lève la petite aiguille

Dimanche encore une fois. Sept jours L’un sur l’autre Attachés Identiques Comme des perles toutes noires Des Komboloï du Séminaire.

Une,70 ELUARD quatre, Paul.cinquante Les n deux.69écessité s de la vie et les conséquences des rêves; Pr é cédé Viens vite, cours. Et ton corpsd'Exemples. va plus vite Paris: que tes Au pens Sansées Pareil, 1921. Et rien, entends-tu ? rien ne peut te dépasser.70

Nous nous concentrons dorénavant à l’analyse poétique focalisée en premier temps sur un élément très présent dans les deux œuvres, à savoir la conception du temps. En effet, nous ne pourrions pas nous en passer de cette analyse vu l’importance du rôle du temps, qui marque la poésie d’Anagnostakis tout comme la répétition et la présence persistante du discours intercalé. Avant de procéder à l’analyse linéaire des poèmes où le temps est représentatif, on pourrait faire quelques premières remarques sur le rôle du temps dans l’ensemble de l’œuvre d’Anagnostakis et par la suite dans celui d’Éluard.

Anagnostakis est obsédé par le temps : nous notons la notion de l’irréversible, de la vanité du temps, de la prorogation qui est futile, de l’attente et enfin de la mémoire qui souffre et mène à l’oubli. Premièrement, le temps est mis en évidence dans toute l’œuvre du poète grec de par les dénominations de ses trois premiers recueils de poèmes. Le nom époque (εποχή) en grec désigne à la fois l’époque et la saison ; de même, le nom suite (συνέχεια) exprime à la fois la suite et la continuité. Anagnostakis tente ainsi de mettre en relief le temps historique qui domine sa poésie, surtout dans les époques (I, II et III), dont les poèmes sont écrits durant l’occupation allemande, la guerre civile et son emprisonnement. Les événements sont en train de se dérouler lors de l’écriture, d’où le temps historique prédominant. Le poète insiste sur la continuité : du temps, de la guerre, de l’injustice. Il clame cette continuité par le biais des titres de ses recueils et leur énumération répétitive, une structuration bien mesurée pour ainsi reconstituer l’intensité d’un malheur qui revient au fur et à mesure. Il ne faut pas négliger le fait

69 ANAGNOSTAKIS Manolis, « Hiver 1942 » in op. cit. Mais pourquoi…, p.29 qu’Anagnostakis cesse d’écrire quand ces « émeutes historiques » terminent. C’est ainsi que toute son œuvre exprime ses sentiments vis-à-vis d’une continuité douloureuse qu’il a dû subir durant les années de la guerre (mondiale et civile), l’instabilité politique et la censure de la dictature. Quoique intense, généralement le temps chez Anagnostakis n’est jamais explicite ou déterminé, souvent exprimé obliquement ou à l’aide de références occasionnelles à des incidents (« Haris est mort », « les prisonniers sont passés ») ou bien par le biais de conjonctions adverbiales (« demain », « aujourd’hui »). Tout comme le temps, l’espace dans la poésie d’Anagnostakis reste indéfini : « cités mortes », «les fleurs ont fané sur les tombes ».

A propos de ce dernier hémistiche, retrouvé dans plusieurs recueils, on voudrait bien faire un commentaire. En effet, la répétition joue un très grand rôle dans la poésie d’Anagnostakis puisqu’elle accentue l’élément du temps. Au-delà de l’énumération répétitive, Les Epoques sont aussi attachées structurellement aux Suites au niveau du vers. Plus précisément, on remarque que le vers 27 du poème « Ils ont passé tassés » dans Epoques III (1949-1950), comprend les mêmes substantifs, voire il se répète, dans le poème « Je parle… » inclus dans Suite II (1955) :

Sur72 ANAGNOSTAKIS les tombes les Manolis,fleurs ont « Je fan parleé et… la » inpluie op. cit.les Mais pourrit. pourqu71 oi …, p. 109

Je parle des fleurs qui ont fané sur les tombes et la pluie les pourrit.72

Nous retrouvons le même cas avec deux intitulés de poèmes, l’un inclus dans Suite II et l’autre dans Suite III (« Je parle … » et « Maintenant je parle encore… » respectivement). Nous avons ainsi non seulement des images récurrentes dans la poésie d’Anagnostakis, mais aussi des vers inchangés qui reviennent à la lettre intentionnellement dans deux poèmes qui sont écrits avec un décalage de cinq ans entre eux. En outre, un lecteur attentif notera que si les Epoques finissent avec le poème « Epilogue », la « Dédicace» marque la fin des Suites. Tous deux poèmes ont la caractéristique de ce goût amer qu’on observe chez Anagnostakis à la fin d’une époque difficile, une sorte de congé qu’il prend de la poésie. A l’aide de cette astuce, Anagnostakis montre que le cycle des Suites « suit » le cycle des Epoques, avec des éléments qui reviennent dans le temps. Voilà pourquoi le poète est intéressé par un seul

71 ANAGNOSTAKIS Manolis, « Ils ont passé tassés » in op. cit. Mais pourquoi…, p. 71 temps, le temps des Epoques, auxquelles est inévitablement ajoutée une « suite » qui est liée à plusieurs reprises au recueil précédent. Il s’agit d’un temps-négociateur qui gère le dialogue entre le poète et l’époque ou ses époques. Revenons un peu au titre Epoques. Il paraît qu’il s’agit d’un titre méticuleusement choisi pour ses trois premiers recueils ; le poète cache derrière ce titre toute l’histoire de sa vie, l’histoire d’une génération qui a été fortement marquée par les événements historique de l’époque. Se référant à la guerre civile grecque, Anagnostakis dit à propos de sa génération et les questions da vie intellectuelle : « [Ma génération] a écrit beaucoup de poèmes, plein de pages autobiographiques, elle a discuté ‘en particulier’ beaucoup de questions mais à la vraie lutte des idées, elle n’a pas participé. Cette lutte qu’au fond n’existe pas dans notre pays. Cette lutte dont le but était de provoquer. Les raisons sont nombreuses : premièrement l’environnement, cette fameuse ‘époque’. L’atmosphère intellectuelle frigide et les bavardages sans objet de ceux qui étaient avant. Le dégout d’un régime des transactions qui tyrannise notre vie et qu’ils appellent ‘intellectuelle’ par euphémisme. Les atermoiements car il se peut que la projection publique heurte à l’improbité des dénégateurs. Et nous avons ainsi préféré de vivre notre péripétie intellectuelle à travers les vers pour les ceux qui été déjà initiés, d’épuiser notre appétit critique dans des cercles clos de conversations infertiles, de tenir une attitude d’une attente convenable.»73

73 TZOUMA Anna, Le temps, le discours, l’épreuve poétique de Manolis Anagnostakis…,op. cit, p. 16-17. 74 TZOUMA Anna, Le temps, le discours, l’épreuve poétique de Manolis Anagnostakis…, op. cit, p. 24. 75 Il existe aussi des poèmes chez Anagnostakis à travers lesquels on note que le temps historique joint celui de la mémoire.

La poésie d’Anagnostakis suit le cours de l’histoire de son époque. Elle est conséquemment dépendante du temps en exprimant l’évolution de l’histoire dans le temps. Ce dernier peut être divisé en six catégories: Le temps historique (qui est objectif, avec des indices temporels), le temps de la mémoire (qui est subjectif et ne coïncide pas avec le présent historique du poète : une sorte de temps de régression), le temps du calendrier, le temps de l’heure, le temps des époques et le temps cosmique.74

Les formes les plus dominantes du temps dans l’œuvre poétique d’Anagnostakis sont le temps historique et le temps de la mémoire75. Selon les calculs de Tzouma, qui examine les notions du discours et du temps dans la poésie d’Anagnostakis, la présence du temps historique est beaucoup plus remarquable que la présence du temps de la mémoire (une moyenne de 63,4% contre 35,1% respectivement.)76 Ceci est tout à fait légitime à nos yeux, étant donné que durant les années 1940-1970, quand sa production poétique atteint son apogée, Anagnostakis fut très engagé politiquement parlant. En outre, historiquement parlant, trois majeurs événements se succèdent : La Seconde Guerre mondiale, le dénouement de la guerre civile grecque – et conséquemment la défaite de la Gauche – et enfin le renversement du régime démocratique (dictature de 1967). Le temps de la mémoire arrive surtout après, quand le poète écrit déjà peu jusqu’au point d’opter pour un silence poétique. Quand le temps historique et celui de la mémoire coïncident et se lient dialectiquement, l’angoisse du poète vient à la surface. Il s’agit d’une angoisse qui débute en tant que protestation politique pour ainsi s’étaler dans le discours et la conscience. Quand, de l’autre côté la ‘tache’ de l’inspiration poétique se révèle dans la mémoire, le langage reste amputé. Et quand le temps de la mémoire s’empare, la poésie dévient plus symbolique77.

76 TZOUMA Anna, op. cit., p. 38. 77 TZOUMA Anna, op. cit., p. 40. 78 ANAGNOSTAKIS Manolis, « Lieu» in op. cit. Mais pourquoi…, p. 99.

Des murs vétustes. Abandon. Des figures du passé circulent indifférents Vieux temps sans substance Rien ne va plus changer ici78

Ces vers illustrent bien les propos d’Anagnostakis qu’on a susmentionnés. En effet, étant écrit juste après la défaite de la Gauche, le poème « Lieu » symbolise fortement non seulement le lieu de rencontre des intellectuels gauchistes grecs mais aussi le lieu de rencontre des idées et des idéaux, un lieu commun qui représentait la résistance commune qui continuerait jusqu’à l’accomplissement. Ce lieu fut abandonné après la défaite et les résistants ont continué indifférents leur chemin sans plus regarder vers le passé, qui n’a plus de substance. Le dernier vers indique un lieu irréparable dont les murs sont branlants, une situation irréversible qui attriste le poète mais pour laquelle il n’y peut rien. Le temps pèse dans le poème, il domine chaque vers : les murs vétustes indiquent le passage du temps, la désolation dans le cours du temps, les figures du passé sont présentés comme des fantômes qui semblent hanter ce lieu en « circulant indifférents », le temps est connoté lui-même péjorativement, il n’a pas de substance, il n’y a plus de sens puisque « rien ne va plus changer ». Notons aussi que quand le poète se livre dans le temps de la mémoire, quand « les figures du passé circulent indifférents », le vers dévient plus haché, plus sec.

Contrairement81 ANAGNOSTAKIS à ce Manolis, temps de« Des la mpoéèmesmoire que qui le sergent est symbolique Otto V nous etlisait survient lors d’une dans soir unée …temps » in assezop. cit. avancMais pourquoié de l’œ…uvre, p. 43. po étique d’Anagnostakis, le temps historique prédomine dans les premiers recueils (surtout dans les Epoques I, II, III), où nous avons des poèmes dotés d’indices temporels précis. C’est le cas de son premier recueil (Epoques I) qui couvre la période 1942-1944 et comprend quinze poèmes dont les sept démontrent l’importance du temps dès le titre (Hiver 1942, 13.13.43, Haris 1944).79 Ce recueil est coloré de l’attitude d’un jeune homme envers les événements de l’occupation allemande dont il fait l’expérience. Il s’agit d’un adolescent qui a « une obsession temporelle tachiste qui se particularise par la suite ». 80 Cette obsession est repérable dès la première lecture des poèmes où les éléments temporels foisonnent, en mettant l’axe sur le temps historique autour duquel est orbité tout le reste. Le temps prend la forme d’un moteur du cours des événements historiques, une « épée de Damoclès » qui harcèle constamment le poète. Dans ce premier recueil, le temps est fortement lié à la solitude, à l’impasse, le désert, les rêves. Examinons quelques extraits de ce recueil :

Dans le poème « Des poèmes que le sergent Otto V nous lisait lors d’une soirée… »81 le temps est le moyen d’exprimer l’angoisse du soldat qui s’apprête à faire la guerre. « D’ici deux minutes», « D’ici une minute » le soldat aura le commandement, ce qui marquera le début du drame. Le soldat affronte ici le temps intolérant et rigoureux, qui semble figé, aux yeux de l’homme angoissé, comme si les minutes passent lentement afin de le torturer plus qu’il le sera durant la bataille. Le soldat sait bien que les moments qui vont suivre le mèneront éventuellement à la mort et juste avant il s’oppose au temps historique, à l’époque historique et à la guerre. Toutefois, le temps n’est pas suffisant pour l’homme pour qu’il se rende compte que la guerre est absurde. Le soldat « fait la guerre depuis des ans, sans savoir pourquoi » ou bien il considère que le motif de la guerre ne le regarde pas. Cela accentue aussi la durée de la guerre, qui semble éternel aux yeux du soldat et du poète, qui vit en ce moment l’occupation allemande.

79 TZOUMA Anna, op. cit., p. 23. 80 TZOUMA Anna, op. cit., p. 23. Dans le même recueil nous avons aussi le poème « La guerre », dont nous juxtaposons ci-dessous les deux premiers et les trois derniers vers:

Les petites aiguilles sont clouées elles aussi à la même heure Tout tarde à finir le soir, bien que les jours et les ans courront très vite

[…]

A ce point, tu te souviens me disant : La guerre est finie !

Mais la guerre n’a pas encore fini. Car aucune guerre n’a jamais fini.82 82 « La guerre » dans « Epoques » in ANAGNOSTAKIS Manolis, « La guerre » in op. cit. Mais pourquoi…, p. 45. Nous sommes toujours en temps de guerre : le peuple grec traverse la période de l’Occupation allemande qui durera bel et bien trois ans difficiles. Dans ce poème nous avons la réalité crue de la guerre, corroborée par les éléments temporels qui font preuve d’une situation rigide, qui ne change pas facilement (« depuis un mois », « ils attendaient depuis longtemps » etc.) Le temps est crucial dans ce poème. Ce dernier commence par l’image d’une horloge qui est en panne (dont « les petites aiguilles sont clouées elles aussi à la même heure ») pour donner sa place à un oxymore temporel, une illusion dégourdie quand « tout tarde à finir le soir » tandis que « les jours et les ans courront très vite ». Le contraste que provoquent les verbes ‘tarder’ et ‘courir’ témoigne l’incapacité du poète de s’enfuir de la cage du temps, ainsi que ses sentiments contradictoires à propos du devoir en temps de guerre. En effet, le temps chez Anagnostakis n’est jamais positif. Si on feuillète un recueil de ses poèmes, nous noterons assez vite que dans sa poésie, soit ‘il est trop tard’, soit le temps est figé, spot elle dégage des sentiments d’une attente douloureuse ou d’un oubli dénoncé. La plupart de temps, le poète grec exprime sa solitude et son isolement à travers le temps.

Dans ce cas, l’immutabilité et la rigidité d’une situation harassante sont bien illustrées par le verbe ‘clouer’ (qui renvoie à la stagnation, la faiblesse) utilisé au premier vers. Cette stagnation symbolise la situation en temps de guerre mais aussi la stagnation de tous les idéaux, valeurs morales et conséquemment de l’optimisme aussi. A propos de ce manque d’optimisme, D. Menti mentionne que « la poésie de la résistance se caractérise par un frémissement d’angoisse et une problématique profonde dans sa dimension élégiaque, le pessimisme de résistance, dont le porte-parole principal est Anagnostakis. Le pessimisme de la résistance ne rejette pas l’idéologie révolutionnaire, mais cette dernière ne peut pas être quelque chose de plus que d’une housse de réconfort des morts qui ont toujours froid. 83 »

83 MENTI Dora, Poésie politique de l’après guerre : idéologie et poétique, Athènes : Kedros, 1995, p. 25. 84 TZOUMA Anna, op. cit., p. 43.

Le temps est mis en évidence non seulement à partir du symbole que présente l’horloge mais aussi grâce à des éléments du temps qui ne peuvent pas passer inaperçus puisqu’ils sont semés à tous les hémistiches du poème : « Ce soir », « Depuis un mois », « aujourd’hui non plus », « depuis tellement de temps », « attendaient depuis longtemps », « Mais prochainement » « Petit à petit », pour n’en citer que quelques uns.

Le temps historique se mêle, petit à petit, avec le temps de la mémoire. C’est le premier cependant qui reste prédominant dans la poésie d’Anagnostakis. A. Tzouma dans son livre «Le temps, le discours, l’épreuve poétique de Manolis Anagnostakis » présume que le discours chez Anagnostakis est considéré un élément d’expression correct pourvu que le temps historique demeure effectif dans la poésie84.

Dans le recueil Epoques II, nous ne retrouvons que des poèmes progressivement énumérés, qui représentent une succession et une continuité impersonnelle et déchirante lorsque la guerre civile succède la Seconde Guerre mondiale. Nous présentons ci-dessous un extrait du poème « II » qui marque l’isolement du poète dans le temps et son envie de s’enfuir. Dans ce recueil nous avons les images de l’abandon, l’aliénation et la solitude qui sont tous survenus avec le passage du temps :

« Toute chose finit un jour », « Maintenant c’est trop tard » Ou bien « Il faut qu’on décide sans prorogation » et d’autres imprécisions du genre. Le vent glissait du verre à vitres brisé. Puis d’autres sont venus. Chaque soir des visages familiers. Ils se sont assis silencieux autour de la table. As-tu pensé comment autant d’heures ont passé encore ce soir ? -Certes toute chose finit c’est tellement simple et naturel à dire- En comptant encore une fois un par un nos rêves naufragés

Comment on a passé encore un soir en attendant toujours (Nos chers amis, ne nous reprochez pas. On a depuis longtemps déchiré nos livres On a couvert nos oreilles avec les mains pour ne pas entendre les sifflements des bateaux On a fait du feu le matin à l’aide de vielles images)85

85 ANAGNOSTAKIS Manolis, « II » in op. cit. Mais pourquoi…, p. 55. 86 ANAGNOSTAKIS Manolis, « L’amour c’est la peur » in op. cit. Mais pourquoi…, p. 69. 87 ANAGNOSTAKIS Manolis, « Dédicace » in op. cit. Mais pourquoi…, p. 129.

Le dernier vers dévoile l’envie du poète d’oublier et d’avancer dans sa vie. Le temps s’impose dans le poème dès le premier vers et continue grâce à un jeu de passage du présent au passé qui se fait systématiquement. C’est dans Epoques III que nous avons clairement le temps de la mémoire qui prédomine et qui provoque des sentiments de colère et de rage. Le poète dénonce tous ceux qui, le lendemain du dénouement de la guerre civile, ils sont retournés dans leur quotidienneté, ils ont vécu la guerre mais la guerre ne les a pas touchés, ne leurs a pas laissé de « rides ». Anagnostakis condamne le manque de contestation une fois les émeutes finies, il condamne la rétrogression dans une époque où les événements historiques devraient inciter à cogiter et à continuer la lutte.

Et qu’est ce qu’il tient alors la main que les hommes offrent ? Elle sait bien la serrer fortement quand la réflexion trompe A cette heure que le temps a cessé et la mémoire est arrachée Comme une agacerie absurde en dehors de tout sens ? (Eux, ils retournent un jour avant, sans même une ride à l’esprit Ils retrouvent leurs femmes et leurs enfants qui ont grandi Ils vont à de petits magasins et aux bistrots du quartier Ils lisent tous les matins l’épopée de la quotidienneté).86

C’est dans la troisième ‘Suite’ que le poète développe consciemment le sujet de la survivance qui se fonde essentiellement sur le besoin de l’oubli. Ecrit en 1962, quand le Parti Communiste grec s’abstient de la scène politique et ses adhérents commencent à s’intégrer dans la société, le recueil intitulé Suite III se distingue pour le ton ‘défaitiste’ qui révèle la déception profonde du poète qui s’intensifie clairement grâce à l’emploi répétitif du temps passé qui démontre une situation irréversible:

Aux amoureux qui se sont mariés A la maison qui est construite Aux enfants qui ont grandi Aux bateaux qui ont été abordé A la bataille qui a été remporté A l’abandonné qui est retourné

A tout ce qui est fini sans plus avoir d’espoir.87 Le temps dans la poésie d’Anagnostakis a plusieurs dimensions et peut être lu sur plusieurs niveaux. A travers ses recueils, ont est emmené à comprendre que le poète est en fin de compte un « survivant » au fil du temps qui se divise entre l’Epoque et la Suite. Il s’agit d’un dédoublement entre l’idée de l’Epoque qui réussit à survivre et la sensation de la corrosion88 et la fin qui arrive petit à petit à cause de la « mémoire arrachée ». Pour reprendre l’idée du « survivant », Anagnostakis se retrouve devant un paysage d’abandon absolu dans trois recueils : Epoques II, Parenthèses, Epoques III.89 Il survit et c’est à travers de ses recueils qu’il le démontre, qui eux-mêmes constituent une sorte de représentation du temps grâce à leur structure.

88 VAGENAS Nasos, La langue de l’ironie : essais critiques sur la littérature grecque, Éditions Stigmi, Athènes, 1994, p.284. 89 VAGENAS Nasos, ibid. 90 Éluard publie en juin 1947 un recueil de poèmes intitulé Le temps déborde, sous le surnom de Didier Desroches. 91 KITTANG Atle, D’amour de poésie : essai sur l’univers des métamorphoses dans l’œuvre surréaliste de Paul Éluard, Éditions Lettres Modernes, Paris, 1969, p.92.

Le temps est également repérable chez Éluard mais surtout à travers les intitulés de ses recueils publiés : Répétitions en 1922, La Vie immédiate en 1932, Chanson complète en 1939, Poésie ininterrompue en 1946 et enfin Le dur désir de durer également en 1946. Toutefois, à part les intitulés des poèmes, la notion du temps elle-même chez Éluard est très imperceptible et surtout liée à la présence féminine. Le temps « déborde »90chez Éluard après la mort de Nusch, un événement qui a un impact flagrant sur l’œuvre du poète. En effet, on dirait que tout élément, à quelques exceptions près, est lié à l’érotisme chez Éluard ; le temps, la nature, la langue, le pays, tous ces thèmes sont présents dans sa poésie en tant que moyens qui visent à célébrer les louanges de la figure féminine, de l’érotisme et de l’amour universel qui nous unit.

Au niveau de son œuvre poétique, le temps ne comporte pas un axe qui traverse la structure de ses poèmes, comme c’est le cas d’Anagnostakis. En lisant les poèmes de ce dernier, nous nous apercevons que le poète était bien conscient lors de l’écriture de son choix concernant les indications du temps, que ce soit des adverbes ou des substantifs qu’il utilise en tant que moyen. Cela est tout à fait légitime car, à force de faire de la poésie à l’aide de ‘l’automatisme psychique pur’, c’est « fabriquer, ou, comme disait Rimbaud, inventer une œuvre d’art qui sera autonome, absolue, sans rapports aucuns avec notre vie quotidienne. »91 C’est ainsi que même après la période ‘surréaliste’, Éluard reste un poète particulier qui vit la poésie avant de la communiquer et la transposer au plan du langage. Le temps n’est jamais directement évoqué dans ces poèmes et nous ne notons jamais des passages entre l’indicatif du passé et du présent, une astuce préférée par Anagnostakis.

Sur97 KITTANG le plan éAtle,rotique, ibid. le présence du temps est bien plus claire. En effet, la perception du temps est problématique pour Éluard : le poète a d’une part un grand désir de continuité et de durée, mais de l’autre part il voudrait bien vivre un éternel présent où il ne serait pas question du passé ou du futur. En somme, il voudrait que rien ne commence et rien ne finisse.92 A propos, en 1929 il dit à Gala :

« S’il me faut concevoir un passé, un présent, un avenir, je me tuerai… »93

Notons l’interdépendance dans la poésie éluardienne entre le moi et le toi : Jean-Pierre Richard observe que « tout commence pour lui [Éluard] avec le surgissement d’un autre. 94», un autre qui est toujours féminin dans une poésie d’amour dont l’univers est féminisé95. Cependant, selon A. Kittang cette fois-ci : « si, grâce aux liens qui l’attachent au toi féminin, le moi éluardien peut agir en poète au niveau de la vie, ce la ne résoudra pas son problème existentiel le plus poignant : le temps. 96» Pour le poète français, créer une poésie vécue veut dire « se donner perpétuellement des fragments de cohérence pour les perdre aussitôt dans la fuite des instants. »97 Face à cette ‘fuite des instants’ et sans durée, Éluard reste pétrifié. L’existence ‘harmonique’ du poète s’irréalise, en devenant souvenirs et expériences qui n’ont pas de présent. La solution possible, envisagé par Éluard, est de donner de la durée à l’acte poétique et d’éterniser les instants.

En conséquence, nous remarquons une rupture entre le temps perçu de la part d’Éluard, une vrai question existentielle qu’il essaie d’affronter et de la part d’Anagnostakis, qui dévient beaucoup plus explicite à ce niveau à travers sa poésie, en démontrant avec sa plume que pour lui, le temps est crucial.

92 GAUCHERON Jacques, Paul Éluard ou la fidélité à la vie…, op. cit., p.59. 93 ibid 94 RICHARD Jean-Pierre, Onze études sur la poésie moderne, Éditions Seuil, 1964, p.105. 95 KITTANG Atle, op. cit., p. 10. 96 KITTANG Atle, op. cit., p. 11. ii. La mort et la vie : concepts étudiés à travers les deux œuvres

«102 Nous Ibid, attendons p.52. la mort Au lieu d’attendre la vie S’agit-il de vivre pour mourir ou de vivre pour vivre Ou peut-être de mourir pour vivre ? Et si c’était mourir pour mourir? »98

« Nous deux nous ne vivons que pour être fidèles À la vie99 »

Dans cette partie nous nous pencherons sur la position de deux auteurs vis-à-vis de la réalité de la mort et de la vie. Si l’argument du chapitre précédent s’est avéré pour nous plus intéressant de par la poésie d’Anagnostakis, ce deuxième thème d’analyse semble inspiré de la poésie éluardienne, surréaliste, sensible où le lyrisme est bien plus présent. Cependant, le duo mort-vie est un thème que l’on peut repérer chez les deux poètes, d’où la présence du chapitre dans ce mémoire.

La mort n’est pas un thème récurant aléatoire. Les deux poètes ont à proprement parler affronté le malheur et la mort et non seulement sur le plan insurrectionnel. Anagnostakis traverse une période très difficile pendant les premières années de l’occupation allemande. L’hiver de 1941-1942 est resté dans l’histoire grecque comme un des plus difficiles de tous temps à cause de la famine. Anagnostakis était alors âgé d’à peine seize ans. Il dit : « ces premiers ans de l’occupation étaient très durs. J’ai eu un moment très difficile »100. Quatre ans plus tard, il échappe un suicide quand en octobre 1945 on commence à discuter son retrait du parti communiste grec et on l’évite101 ; il affronte la possibilité de mourir quand en janvier 1949 on le condamne à mort et ne l’exécute jamais102. Éluard, de sa part, connait également la guerre et la mort à un très jeune âge ; âgé de dix-sept ans, agité par une tuberculose pulmonaire, il interrompe ses études pour entrer dans un sanatorium à Davos, en Suisse. Deux ans plus

98 HUIDOBRO Vicente, El ciudadano del Olvido, Lom Ediciones, Ediciones Ercilla, Santiago du Chili, novembre 2001, p. 120 dans DROPPELMAN PETRINOVIC Alex, La minceur de Virginie, un trou dans le réel de la jouissance, disponible sur http://www.cairn.info/revue-analyse-freudienne-presse-2002-2-page-152.htm 99 ÉLUARD Paul, préfacé d’André Velter, op. cit., « Poésie ininterrompue », p. 239 100 ANAGNOSTAKIS Manolis, Je suis gaucher essentiellement : monologue de Manolis Anagnostakis, Éditions Patakis : Athènes, p.47. 101 Ibid, p.51. tard, en 1914, la Grande Guerre déclenche. Guéri, Éluard retourne de la Suisse et s’enrôle tout de suite à l’armée. Au début au sanatorium, ensuite au front de la guerre (infirmier et fantassin) il connaît la misère de la belligérance. Durant la Seconde Guerre mondiale, Éluard passe quatre ans très durs : Il s’enfuit à la montagne de Lozère afin d’échapper la Gestapo. Il y a recours à l’hospice des aliénés et écrit pendant deux mois des poèmes inspirés du malheur des aliénés au sein des quels il vivait103. Ce qui distingue Éluard d’Anagnostakis vis-à-vis du thème de la mort, ce qu’il puise de plus son inspiration de la mort de la femme de sa vie, fait qui trace ses poèmes qui vont suivre l’événement. Ainsi, le 28 novembre 1946, Éluard est au bord de la folie, hébété, après la mort de Nusch, sa deuxième épouse qui « donnait sens aux paroles, aux actes et aux secrets de sa vie »104. Pire encore, Jacques Gaucheron nous informe qu’après la mort de Nusch, Éluard « songeait à se donner la mort, ce que tous ses amis ont alors redouté, au point de l’entourer presque jour et nuit, les uns et les autres, afin de ne pas le laisser seul » 105, tellement il en était attaché. Il ajoute qu’ « il fallut de toutes les façons lui répéter que cette solution-là était la pire des trahisons. »106 Etant donnée la nature fragile d’Éluard, ce fait ne nous étonne point. Il ne faut pas d’ailleurs oublier que la femme aimée, dans ce cas Nusch, est considérée comme une muse chez les Surréalistes (cf. Aragon et Elsa Triolet). C’est en ce moment là qu’il met de côté son désarroi et se lance dans un engagement encore « plus total, plus lucide, plus volontaire 107». Ainsi, la mort est présente dans l’œuvre d’Éluard non seulement sous la forme d’images inspirées de la guerre mais aussi sous la forme d’une inspiration tirée proprement de la mort d’une personne proche.

103 PARROT Louis / MARCENAC Jean, Poètes d’aujourd’hui : Paul Éluard, Éditions Pierre Seghers, 1955, p.11. 104 ÉLUARD Paul, préfacé d’André Velter, J’ai un visage pour être aimé, Choix de poèmes 1914-1951, Éditions Gallimard, 2009, p.16. 105 GAUCHERON Jacques, Paul Éluard ou la fidélité à la vie : essai, Éditions Le Temps des Cerises, Toulouse, 1995, p.52 106 GAUCHERON Jacques, ibid. 107 JEAN Raymond, Éluard, Éditions du Seuil, 1968 et avril 1995, p. 43.

Parlant de la mort, Éluard est en effet très sensible au sujet de la vie. Dans le préambule de son anthologie «Le Meilleur choix de poèmes est celui que l'on fait pour soi. 1818-1918 », une lecture d’un siècle de poésie de Chateaubriand à Reverdy, qu’il publie en 1947, il précise : « Les professeurs de poésie étant conçus mais à naître, je me méfie des anthologies objectives. On nous apprend ici à mourir plutôt qu’à vivre, à se cacher plutôt qu’à se révéler.108 » Éluard a toujours su se révéler et s’exposer prenant des risques en amour, en poésie et à la guerre : il condamne l’immobilité et l’indolence afin de préserver la fougue et la vivacité pour atteindre au final sa propre liberté. En 1951, il publie sa « Première anthologie vivante de la poésie du passé » pour louer ses frères humains et faire renaître la poésie d’autrefois, composant des anthologies du moyen âge, du XVIème siècle et des classiques. Dans sa préface il précise on ne peut plus clairement sa pensée :

108 ÉLUARD Paul, préfacé d’André Velter, op. cit., p.7. 109 ÉLUARD Paul, Le poète et son ombre, Éditions Seghers, 2008, p.32. 110 Celui-ci issu d'une rupture avec le mouvement Dada, dans la même année. 111 ÉLUARD Paul, préfacé d’André Velter, op. cit., p.12. 112 PARROT Louis / MARCENAC Jean, op. cit., p. 24.

"On n'est jamais poète, ni lecteur de poèmes, sans un brin d'oisiveté. Il faut, pour accorder son cœur aux bonnes puissances de la beauté, pour formuler ou pour entendre justement la vérité, un temps d'arrêt, un temps d'attente délibérée, de réflexion ou de rêverie. Cette vacance dépend de la somme de soucis que nous donnent les malheurs, les luttes, les certitudes de nos frères. La poésie dépend de la vie triomphante."109

C’est au nom de cette vie triomphante ou bien du changement de la vie existante afin d’arriver à la vie triomphante et à la transformation du monde, qu’à partir de 1922, il mène tous les combats au sein du mouvement surréaliste110et embrase une poésie engagée et délicieuse. C’est au nom de la vie et de son ardeur qu’aux côtés de Breton et Soupault commence une vrai révolution, qui s’étale petit à petit dans tous les domaines : l’action politique, la création artistique, les relations amoureuses, voire les pratiques sexuelles111.

Cela ne va pas durer pour autant car deux ans plus tard, en 1924, Éluard se croit à la veille de tout effacer ; désabusé, désespéré, il écrit Mourir de ne pas mourir. Le 15 mars de la même année, à cause de l’accumulation des déceptions personnelles, la fatigue ou bien le besoin d’être seul, Éluard s’embarque seul à Marseille et abandonne la France sans donner signe de vie à personne112. Il court immédiatement des bruits sur lui, qui le veulent mort. Diverses nécrologies sont publiées à la presse parisienne. Toutefois, Éluard n’entame pas ce voyage périlleux et imprévu pour la mort mais pour la vie : il récolte toutes les images exotiques pour sept mois, pendant lesquels il traverse l’Atlantique pour se retrouver aux Antilles, au Panama et ensuite il erre dans le Pacifique pour arriver à Tahiti, aux îles Cook, à la Nouvelle Zélande, en Australie, aux Célèbes…113 On ne saura jamais les détails de ce voyage qui, d’après Éluard, n’avait aucun « profit poétique », une épreuve qui « n’a pas abouti au suicide qu’il avait peut-être entrevu 114».

113 ibid 114 ÉLUARD Paul, préfacé d’André Velter, op. cit.,p.13. 115 Éluard envoie en 1947 une copie de son anthologie «Le Meilleur choix de poèmes est celui que l'on fait pour soi. 1818-1918 » à l’artiste surréaliste belge René Magritte portant un autographe signé «à René Magritte qui défend les mots par des images ». 116 « La victoire de Guernica » in ÉLUARD Paul, préfacé d’André Velter, J’ai un visage pour être aimé, Choix de poèmes 1914-1951, Éditions Gallimard, 2009, p. 203. 117 Deux oxymores tirés de ses Poèmes (1914), in ÉLUARD Paul, préfacé d’André Velter, op. cit, p.21. 118 Oxymore comportant le premier vers du 7ème poème du premier chapitre "Premièrement" issu du recueil « L’amour la poésie », dont le titre lui fut inspiré par sa fille, âgée de 10 ans. 119 PARISIS Ioannis et Nikitas, Dictionnaire des termes littéraires [en grec], Éd. Pataki, Organisme de l’édition des manuels éducatifs, Athènes, 2007, p.136.

Tous ces éléments susmentionnés ont joué un très grand rôle à la jeune sensibilité d’Éluard. Les images de mort et de vie foisonnent dans sa poésie, dans le but de rendre au lecteur la réalité ou la surréalité d’une situation. C’est ainsi qu’ils « défendent » les images par des mots115. Tantôt pour la vie, tantôt pour la mort, nous avons l’impression, en lisant ses poèmes, que le créateur oscille entre optimisme et pessimisme, accomplissement et défaitisme. Ses vers parfois présentent des forts oxymores qui font preuve de ce vacillement, tout à fait justifiable pour une époque comme celle de l’entre-guerre :

La peur et le courage de vivre et de mourir La mort si difficile et si facile116

La présence de ces images percutantes et contradictoires dans l’œuvre poétique d’Éluard est forte. Tout comme il existe une ligne imperceptible qui sépare la vie et la mort en temps de guerre, chez Éluard, « vaincu, vainqueur et lumineux », « la canicule attend les grandes gelées blanches »117 où la terre est « bleue comme une orange »118. Normalement, l’oxymore doit impérativement joindre deux mots contradictoires entre eux mais qui provoquent un sens correct119 (à titre d’exemple nous avons le fameux dicton speûde bradéōs – cf. festina lente en latin – dont la signification profonde consiste au fait que dans la vie il faut s’empresser mais avec prudence.) Ici, nous avons ces beaux oxymores – à partir des quels aucun autre sens n’en découle – grâce à la licence poétique, qui nous permet dans ce cas là de percevoir dans toutes ses dimensions l’irrationalité de la guerre, le dilemme plein de déraison que provoque cette situation psychique dans laquelle se trouvent les êtres-humains lors de la guerre.

De l’autre côté, pour Anagnostakis nous avons une réponse plus tranchée vis-à-vis du dilemme vie-mort, puisque nous ne notons pas le même vacillement. Le lecteur est en même temps frappé par ce mélange de franchise, ingénuité et intrépidité de ses poèmes. Au moment de la guerre et de l’emprisonnement il ne se tait pas car

Notre122 En guise silence de prestéface l’h éausitation livre de entre Madeleine la vie Legrand et la mort. « A Fresnes120 », en hommage à son mari qui ne revient pas de déportation.

Selon V. Orsina le poète «sait que ‘l’amour c’est la peur qui nous unit aux autres’, il connait que la nature humaine est fragile, que chaque décision est vacillante. Mais il connait aussi qu’il est donné une possibilité de rédemption au delà de l’hésitation pour la vie et la mort : la sujétion à la loi morale qui brille dans nos cœurs.»121

Afin de rapprocher les deux poètes vis-à-vis de la question de la mort, tracée dans leurs œuvres, nous avons choisi de comparer analogiquement deux poèmes dont le noyau principal est l’absurdité de la mort au front de la guerre. Il s’agit du poème « D’un seul poème entre la vie et la mort » d’Éluard et du poème grec intitulé « « Des poèmes que le sergent Otto V nous lisait lors d’une soirée… » d’Anagnostakis. Tous deux sont des poèmes de la résistance, écrits entre 1941 et 1944, le poème français étant publié en 1944122, et le poème grec en octobre 1945. Leur axe principal consiste au contraste entre l’humanisme – et toutes les valeurs que ce terme englobe – contre l’absurdité de la guerre et la mort que la première va conséquemment causer.

120 ANAGNOSTAKIS Manolis, « L’amour c’est la peur » in op. cit. Mais pourquoi…, p. 70. 121 ORSINA Vincenzo, Le but et le silence : introduction à la poésie de Manolis Anagnostakis, Éditions Nefeli, Athènes, 1995, p. 71.

D’un seul poème entre la vie et la mort (1944) - Des poèmes que le sergent Otto V nous lisait lors d’une Éluard soirée… (1945) - Anagnostakis As-tu bien vu ton semblable Comme il profite de tout Il a la tête brillante D’ici deux minutes on entendra le commandement « Il a la tête enflammée En avant. Marche ! » Sous un masque de soleil Personne ne doit penser à rien d’autre Sous un doux masque d’or double En avant notre drapeau et nous, les bataillons Ses yeux sont des roses chaudes formés, en arrière Car ton semblable a bon cœur Ce soir tu attaqueras cruellement et tu seras attaqué Il t’a montré le chemin Tu traîneras d’avant où se rassemblent des millions Vers la grille et vers la clé de yeux agités Là où des millions de mains se Vers la porte à dépasser serrent autour d’un autre drapeau Vers ta femme et tes enfants Prêtes à attaquer et à être attaquées. Vers la place des visages Il te tend la liberté D’ici une minute ils doivent enfin nous donner le mot de ralliement Mais je rêve et j’en ai honte Un tout petit mot dans la nuit, que d’ici peu L’on va t’imposer la mort resplendira excellemment. La mort légère et puante Qui ne répond qu’à la mort (Et moi qui ai une âme craintive d’enfant Tout va d’un lieu grondant de vie vers le désert Qui ne veut rien de plus que de connaître l’amour La source de ton sang s’atténue disparaît Oh mon Dieu – moi aussi je fais la guerre depuis Nos ennemis ont besoin de tuer des ans, sans savoir pourquoi Ils ont besoin d’être nos ennemis Et devant moi je ne vois rien de plus depuis des ans, que mon frère jumeau).124 Il n’y a rien d’essentiel à détruire Qu’un homme après un homme Il n’y a rien d’essentiel à créer Que la vie toute entière en un seul corps Que le respect de la vie et des morts Qui sont morts pour la vie Comme toi mon semblable Qui n’as rien fait que de haïr la mort.123

Le poème français compte 30 vers divisés en quatre strophes alors que le poème grec – dont nous ne juxtaposons ici que la première partie – est composé de 13 vers formant trois strophes. Notons que le vers des poèmes est libre ; quoique pour tous deux l’axe est centré sur le rythme et la sonorité des mots (voir répétition de mort et corps dans le poème français), au niveau de la rime on constate des différences : elle est présente dans la deuxième et quatrième strophe du poème français mais complètement 124 « Des poèmes que le sergent Otto V nous lisait lors d’une soirée… » in Les Epoques I, publiées en Octobre 1945, comprennent des poèmes écrits sous l’occupation allemande 1941-1944.

123 « D’un seul poème entre la vie et la mort » in Au rendez-vous allemand (1942-1945) in ÉLUARD Paul, préfacé d’André Velter, op. cit., p.289. absent du poème grec. Le registre courant de la langue utilisé dans les deux, offre aux poèmes la simplicité avec laquelle l’homme fait passer le message pacifiste et le sentiment fort de l’absurdité de la guerre, qui constituent le pilier de tout le récit.

Bien que les deux poèmes comportent plusieurs strophes, ils peuvent se diviser en deux parties proportionnellement équilibres. Pour le poème français, les vers 1-14 (strophes 1,2) contrastent les vers 15-30 (strophes 3,4). La description de l’ennemi se fait à travers les premiers vers dans une atmosphère métaphorique, où le visage de l’ennemi semble au visage d’un ange, dont les yeux sont comparés aux roses chaudes et sa tête est enflammée sous un masque de soleil. Dans cette première partie nous avons toutes les mots-éléments qui renvoient à la vie, saine et prometteuse: le masque d’or et de soleil, le bon cœur de l’ennemi – qui montre au soldat français le chemin – la clé, les enfants, la femme, la liberté. Cela provoque un fort contraste quand en passant à la strophe suivante – à partir du vers 15 et jusqu’à la fin du poème – le lecteur est frappé par les images de la mort « légère et puante » qui est précédée ou suivie par le désert, le sang, la destruction, les corps, qui forment tous ensemble des images atroces de la guerre et de la mort. Nous pouvons également « couper en deux » le poème en fonction de son valeur sémantique :

Les deux premières strophes constituent une première partie dans laquelle le poète présente et décrit, au soldat de son camp, son ennemi tandis que dans les strophes suivantes le poète se rend compte que la guerre n’est pas comme celle qu’il vient de décrire (« Mais je rêve et j’en ai honte ») et entame une description autant réaliste que morbide. Nous avons donc deux grands tableaux de la guerre ; le premier est clément, centré sur l’ennemi, dont le portrait est grotesquement beau et le deuxième qui renverse tout ce qui a été décrit, qui dévoile la réalité et l’absurdité de la guerre, qui constitue un cercle vicieux qui provoque le désastre totale, la décomposition de l’humanité (« Il n’y a rien d’essentiel à détruire / Qu’un homme après un homme »). Notons la question récurrente chez Éluard de l’entremêlement de la vie et la mort, où on nous est impossible de distinguer où finit l’une et commence l’autre. C’est ainsi qu’il faut honorer la vie et les morts, qui sont morts pour la vie elle-même (vers 25-28) et ainsi de suite. L’aboutissement du poème à la question philosophique sur la vie et la mort, s’annonce dès le titre (« D’un seul poème entre la vie et la mort »).

Les mêmes notions de vie et mort, devoir et envie, illusion et réalisme sont repérées dans le poème grec. Dans la première partie (vers 1-10) nous avons l’attente du commandement, quelques moments d’inquiétude et d’angoisse vécus par le poète-soldat. Notons que, contrairement à Éluard, dans le poème duquel le poète a un statut très net, le poète-narrateur chez Anagnostakis est ici le soldat lui-même, d’où le ton confessionnal dans la deuxième partie du poème grec125. Le poète-soldat attend ainsi le commandement qui déclenchera la bataille, étant conscient du fait qu’il ne faut pas penser à autre chose et que sa nervosité et ses pensées sont inévitables. L’ennemi n’est pas autant mis en évidence ici comme dans le poème français ; le poète ici insiste sur la similitude entre lui et l’ennemi – la même inquiétude peut être tracée à travers leurs yeux, ils sont eux aussi prêts à attaquer, tenant aussi un drapeau. Les sentiments sont partagés aux deux côtés et seul le commandement « En avant. Marche ! » marquera la fin de cette situation délicate et transformera le champ de bataille dans un champ de feux.

125 Pour intensifier le message pacifiste, Anagnostakis choisit en effet d’écrire sous le masque d’un sergent allemand (Otto V, comme le titre du poème nous indique). Grâce à cette astuce, le lecteur est amené à considérer la situation du côté du sergent Otto V (qui représente théoriquement l’ennemi, celui qui a porté l’Europe à la calamité) et à s’en apercevoir des toutes les pensées communes entre soldats sans égard à leur camp.

126 Vers 29 : « Comme toi mon semblable » dans D’un seul poème entre la vie et la mort (1945). 127 Vers 14 : « Et devant moi je ne vois rien de plus depuis des ans, que mon frère jumeau » dans Des poèmes que le sergent Otto V nous lisait lors d’une soirée… (1945). 128 ÉLUARD Paul, préfacé d’André Velter, op. cit., p.284.

A ce moment crucial, le temps se fige et le poète se met à exprimer sa propre opinion sur la guerre, la réalité vécue d’un soldat dont l’âme, comme celle d’un enfant, est incapable de tolérer la guerre puisque il n’y a de place que pour l’amour. Cette deuxième partie du poème grec prend la forme d’une confesse pacifiste qui révèle le drame de la guerre. Ce drame consiste au fait que les soldats ne savent pas pourquoi au fond ils font la guerre et ne considèrent pas l’autre soldat qu’ils vont bientôt tuer leur ennemi. Tout au contraire, l’autre soldat non seulement il n’est pas un ennemi mais encore plus tragiquement il est identique à celui qui lui fait la guerre. Cette idée qui émerge, à savoir l’ennemi en tant que « frère jumeau126», « semblable127 » du soldat, rend au point culminant l’ironie et l’absurdité de la guerre, démontrée à plusieurs reprises dans les deux poèmes. Notons aussi le substantif « frère » qui est récurrent tant dans la poésie éluardienne que dans la poésie d’Anagnostakis. Il est toujours contradictoirement utilisé comme dénomination de l’ennemi comme par exemple ce vers qui figure dans le poème « Les belles balances de l’ennemi » tiré du recueil « Au rendez-vous allemand » :

« O mon frère on a fait justice de ton frère »128

Ici, le soldat découvre avec stupéfaction, dans les deux cas, « qu’il exerce cette violence aussi bien que ceux qu’il considérait comme des oppresseurs, et que ses victimes ne comprennent pas davantage la cause de leur agression que lui ne la comprenait. »129 Pour intensifier cette notion de l’identification des deux ennemis, Éluard opte pour un schéma circulaire dans son poème : « As-tu bien vu ton semblable » (vers 1) / « Comme toi mon semblable » (vers 29) avec des pronoms possessifs de première et deuxième personne du singulier, s’adressant au début à l’ennemi, semblable au soldat français, et à la fin au soldat français, semblable au poète. En effet, le soldat dans le poème d’Éluard est celui d’Anagnostakis, est universel : Il n’a fait que de haïr la mort le premier, il ne veut rien de plus que de connaitre l’amour le deuxième. Nous arrivons à dire que dans ces deux poèmes l’idée principale se fonde sur l’axe thématique du contraste : contraste entre images de vie et de mort, contraste entre la volonté humaine de vivre pacifiquement et le besoin d’asservissement au devoir du soldat, contraste, en fin de compte, entre l’humanisme et la violence de la guerre. Tous deux poèmes révèlent cependant un autre type de contraste, perceptible lors d’une lecture plus attentive : La guerre comme elle est se présente par l’Histoire (en tant que solution unique et condition préalable pour la liberté) à l’encontre de la guerre en tant qu’expérience personnelle et traumatisante pour le soldat qui en fait partie (la guerre signifie imposer la mort, détruire l’humanité). 129 DEBREUILLE Jean-Yves, Éluard ou le pouvoir du mot : propositions pour une lecture, Éditions A.G. Nizet, Paris, 1977, p.167.

Les deux parties des poèmes se distinguent ainsi, après un revirement inattendu, un changement de ton et de rythme. Dans la première partie des poèmes le ton est vivace et plein d’intensité (pour le poème grec) et métaphorique voire lyrique (pour le poème français). Ils sont tous deux altérés à la deuxième partie, où le lyrisme et la vivacité disparaissent pour donner place à la réalité cruelle de la guerre, la mort macabre qui la caractérise et un ton plus discret voire confessionnal. On note également l’allitération de l’« r» provoquée par les mots « corps » - « morts », « détruire » - « haïr » qui apparaissent à la deuxième partie du poème français. A part l’allitération, nous ne notons pas beaucoup de figures de style dans les deux poèmes. La répétition est aussi prédominante (« Prêtes à attaquer et à être attaquées » ; « L’on va t’imposer la mort /La mort légère et puante/Qui ne répond qu’à la mort») ce qui fortifie le message pacifiste des poètes. L’utilisation de la parenthèse à la dernière strophe du poème grec, témoigne la volonté de la part d’Anagnostakis de distinguer ces vers intercalés qui expriment par ailleurs le message principal du poème. La parenthèse aurait pu être utilisée aussi bien dans le cas du poème français aux deux dernières strophes, lorsque l’atmosphère se modifie. Dans les deux cas, il s’agit du début d’une cogitation personnelle de la part du poète (Éluard : « Mais je rêve et j’en ai honte » / Anagnostakis : « Et moi qui ai une âme craintive d’enfant ») qui porte sur des questions fondamentales liées à la vie. Ici, nous avons aussi la partie intercalée en tant que contestation à tout ce qui a été dit auparavant, en tant qu’une confesse du poète ainsi qu’une image réelle, une version personnelle vis-à-vis de la guerre, qui n’a rien à avoir avec la version historique, qui vise à servir les convenances politiques en sublimant et universalisant la guerre.

A132 laANAGNOSTAKIS fin de la lecture Manolis, de deux op. po citè.,mes p.56. nous nous sommes également aperçu que ce qui joint la poésie d’Anagnostakis à celle d’Éluard – à part le message étourdissant de l’homme pacifiste qui souffre dans la guerre – est la simplicité, commune dans les deux œuvres. Les images, que ce doit de la mort, de la vie ou de la guerre, sont la personnification elle-même de la simplicité, une simplicité qui est exprimée à travers la concision des poèmes, l’usage des mots familiers et non pas très recherchés, bref, tout ce qui structure à la fin une œuvre « en apparence légère »130 (à propos de la poésie d’Éluard), mais aussi ce qui provoque un sentiment de contentement chez le lecteur. Éluard n’use que de la langue commune, la langue de tous car il n’entend pas faire un privilège de ce « don divin » qu’il possède, dans lequel Rimbaud situait toute la singularité du poète131. Anagnostakis, à son tour, dit de ne jamais trop corriger ses poèmes : « Je les écris comme ils viennent. Je fais une correction très légère, quelques mots, quelques phrases, ou bien je les abandonne complètement.132» La simplicité qui en découle n’empêche guère les deux poètes de dévoiler une certaine magie à partir des mots qui sont simples et sans prestige. C’est pourquoi les deux furent des poètes aimés par le peuple, qui vivait lui aussi l’angoisse, l’effarement et la vanité de la guerre, tout comme l’égarement des images de la mort.

130 PARROT Louis / MARCENAC Jean, op. cit., p.14. 131 ÉLUARD Paul, préfacé d’André Velter, op. cit., p.9. Sur le plan symbolique, la question de la vie et la mort est aussi bien apercevable chez Éluard. Il n’est s’agit plus du contraste entre la vie avant la guerre et la mort qui suivit la bataille mais plutôt d’une antithèse qui dépasse les bornes de la précision et s’étale sur le sujet de la contemplation personnelle et psychologique. Éluard insère des images ou des bribes d’images qui « se superposent, se heurtent et éclatent comme un gigantesque feu d’artifice 133» mais qui sont parfois inconsistantes et stimulent la lecture du poème en provoquant des sentiments contradictoires. La nuit contre le jour, l’hiver opposé à la chaleur du feu, le feu contrarié à l’azur « qui l’a abandonné », la vivacité de la nature contrastée au poète, qui « comme un mort il n’avait qu’un unique élément », comme ils sont tous entassés ci-dessous, donnent l’impression d’une incohérence et d’une véhémence parfaites :

133 KITTANG Atle, D’amour de poésie : essai sur l’univers des métamorphoses dans l’œuvre surréaliste de Paul Éluard, Éditions Lettres Modernes, Paris, 1969, p.7. 134 « Pour vivre ici » in ibid, p. 31.

Je fis un feu, l’azur m’ayant abandonné, Un feu pour être son ami, Un feu pour m’introduire dans la nuit d’hiver, Un feu pour vivre mieux. Je lui donnai ce que le jour m’avait donné : Les forêts, les buissons, les champs de blé, les vignes, Les nids et leurs oiseaux, les maisons et leurs clés, Les insectes, les fleurs, les fourrures, les fêtes. Je vécus au seul bruit des flammes crépitantes, Au seul parfum de leur chaleur ; J’étais comme un bateau coulant dans l’eau fermée, Comme un mort je n’avais qu’un unique élément134.

Certains éléments intensifient la tonalité élégiaque du poème ; le contraste entre le feu, les flammes (chaleur, exaltation) aux vers 1-4, 9-10 et la mort (fadeur, lividité) qui survient en début du dernier vers, l’anaphore au début de la première strophe, la vive description de la nature dans la strophe du milieu d’une métrique régulière (dodécasyllabe) contrastée au deux autres strophes (où on note une alternance syllabique). Tous ces éléments ont un effet d’incantation à l’issue de la lecture du poème, où prédomine l’évocation de la mort.

Nous retrouvons l’évocation à la mort dans Les Époques III (1949-1950) d’Anagnostakis. Le recueil est constitué de douze poèmes, dont les six, positionnés dans la partie centrale du recueil, parlent tous de la mort et les taules des suppliciés. Ceci ne nous frappe guère, si on considère que tous le poèmes de ce recueil ont été écrits durant les années où le poète est arrêté, emmené à la prison et condamné à mort.135 Les Époques III comprennent des vers qui se rapportent à des amis maquisards d’Anagnostakis qui marchent vers le catafalque. Le poète est fortement marqué par leur absence, il les imagine tassés et ombragés en marchant vers la mort :

135 KOKOLIS X. A., « A quoi cela sera alors… » La poésie de Manolis Anagnostakis, études et notes [en grec], Éditions Nefeli, 2004 : Athènes, p.112.

136 ANAGNOSTAKIS Manolis, « Ils ont passé tassés » in op. cit. Mais pourquoi…, p. 71. 137 ANAGNOSTAKIS Manolis, ibid, p. 73. 138 Il existe trois poèmes homonymes écrits par Anagnostakis et intitulés « Maintenant »; le premier étant publié dans Epoques, le deuxième dans la revue Lettres Libres et le troisième, auquel nous nous référons ici, fait partie des Epoques III. 139 ANAGNOSTAKIS Manolis, « Maintenant… » in op. cit. Mais pourquoi…, p. 78.

Ils ont passé tassés et ils sont partis, craintifs, avec un ombre Aux yeux Ils n’ont même pas dit adieu – on connaissait leur salut – La poussière est entrée dans nos maisons du fer à cheval.136

Les camarades du poète vont bientôt mourir, ils s’acheminent vers la mort, qui peut être lue dans l’ombre de leurs yeux. Cependant le poète surpasse l’idée de la mort et malgré les échos de leurs voix qui se répercutent dans son âme (« Encore une fois, j’entendais ta voix quand je rentrais hier / de l’hôpital bassinant »137), il retrouve le courage pour rejeter un regard positif vers le futur, pleinement conscient du présent. Ce rapport entre le présent et le futur de la jeunesse actuelle, qui mourra pour donner sa place à une autre génération, la jeunesse du futur, on peut le repérer dans le poème « Maintenant »138 dans Epoques III :

Mais si on doit mourir m a i n t e n a n t, tu le sais bien, On doit le faire car demain on ne sera plus jeunes139.

La mort est ainsi liée à la jeunesse dans la poésie d’Anagnostakis, comme dans toute l’œuvre de la première génération des poètes de l’après-guerre. Leur poésie est inspirée de toute expérience quotidienne d’une vie pleine de péripéties et elle représente les sentiments d’une jeunesse qui est nourrie à partir d’une succession des événements historiques et donc elle a grandi et mûri avec la crainte pour le dénouement, l’envie pour la vie et la conscience de la mort. Cette génération était vigoureuse, ayant un rêve auquel elle déposait sa confiance – tantôt avec ardeur tantôt avec incertitude – mais elle était aussi la génération d’une jeunesse qui a été massacrée. Du coup, le lien entre jeunesse et mort que l’on retrouve dans la poésie d’Anagnostakis140 est parfaitement justifié et imbibé d’un sentiment de quelque chose d’irréparable, irrécouvrable et irréversible :

140 Rappelons, ici, deux vers du poème « Ta bouche aux lèvres d’or » d’Éluard : « […] dans mes nuits d’années, de jeunesse et de mort / J’entends vibrer ta voix dans tous les bruits du monde. » 141 ANAGNOSTAKIS Manolis, «Epilogue» in op. cit. Mais pourquoi…, p. 83. 142 ANAGNOSTAKIS Manolis, Je suis gaucher essentiellement… , op. cit. , p.88. 143 En grande partie, les poètes de l’après guerre ne pensent pas d’avoir réussi à cet égard. Certains commencent à contester le rôle social de la poésie et sa position en tant que moteur d’expression de ces expériences collectives. Par conséquent, beaucoup d’entre eux, impuissants et déçus recourent au silence poétique, c’est qui est le cas de Manolis Anagnostakis.

Car les futurs poètes ne vivent plus Ceux qui parleraient sont tous morts jeunes141

La jeunesse est indissolublement liée soit à la vie soit à la mort dans la poésie d’Anagnostakis à travers un souci évident pour la poésie. Elle représente la vie et l’endurance mais en temps de guerre elle est la première à se trouver au champ de la bataille affrontant la mort. A propos de la relation entre jeunesse et poésie, il dit : « Il se peut que le poète ait dix-huit ans et qu’il soit un grand poète, avec une vision. Personnellement, je considère la jeunesse un grand avantage pour la poésie, un très grand avantage. »142

Quoiqu’injuste et inconcevable, la mort n’est pas effarant ou angoissant pour Anagnostakis, puisqu’il s’agit d’une réalité. Le poète insiste ici plutôt sur le fait que ces morts ont coûté au pays des hommes poètes ou bien futurs poètes qui auraient pu écrire après avoir survécu à la guerre. Notons que les poètes sociaux de la première génération de l’après-guerre sont extrêmement sensibles au sujet de leur poésie en tant qu’expression de leurs vécus douloureux. Ils sont constamment à la recherche d’une langue poétique capable d’exprimer les aspirations collectives ainsi que de toucher le public sans avilir en fin de compte la valeur précieuse de la poésie143. Anagnostakis exprime à l’aide de ces deux vers sa préoccupation à l’égard de ce sujet, étant donné qu’en temps de guerre la mort ne fait pas le tri de ses victimes. Avec ces morts « amères et inexplicables » est également parti l’espoir juvénile de toute une génération qu’ils portaient avec eux :

Tu avais perdu bien plus que ça. Une jeunesse infinie dans chaque coin de la perception amère144

144 ANAGNOSTAKIS Manolis, «VI» in op. cit. Mais pourquoi…, p. 60. 145 Le premier dans Parenthèses (1948-1949) et le second dans la Cible (1967-1970). 146 Dans Epoques (1941-1944). 147 Le premier dans Epoques III (1949-1950) et le second dans La Cible (1970). 148 BOUKALAS Pantelis, « Kathimerini », Poésie sépulcrale de Manolis Anagnostakis [en ligne]. 149 BOUKALAS Pantelis, ibid. 150 ANAGNOSTAKIS Manolis, «Tombal» in op. cit. Mais pourquoi…, p. 136.

En effet, la mort est beaucoup plus explicite dans l’œuvre d’Anagnostakis, parfois beaucoup plus présente et réaliste que la vie, celle-ci souvent retracée à partir de sous-entendus. L’œuvre poétique d’Anagnostakis, comprenant deux poèmes intitulés « Tombal »145, un « Epitaphe »146 et deux « Epilogues »147, est surnommé « poésie sépulcrale » par P. Boukalas dans son article148. Bref, le thème de la mort est clairement récurrent, on retrouve la mort en chair et en os, assez paradoxalement. S’agit-il d’une mort macabre et tragique ? Comment est-elle présentée ? On examinera ces questions à partir des poèmes susmentionnés.

En premier lieu, les poèmes soi-disant « tombeaux » se réfèrent bien évidemment à la mort, mais révèlent aussi d’autres éléments intéressants à propos de la poésie d’Anagnostakis. Ils témoignent à la fois une première familiarité du poète avec le sujet de la mort mais aussi au niveau de sa technique poétique sa « tendance vers la syntaxe laconique qui, grâce à sa frugalité, met de côté le sentimentalisme et la rhétorique pléthorique qui l’accompagne. »149 De plus, bien qu’il traite un sujet si subtil – celui de la mort – Anagnostakis réussit à combiner le lyrisme et le sarcasme, ce qui étouffe l’effet tragique :

Tu es mort – et tu es devenu toi aussi : le brave, L’homme radieux, le chef de famille, le patriote. […] Tu ne seras ni le premier ni le dernier.150

Dans une atmosphère complètement différente, son poème « Epitaphe » pose une question d’un intérêt particulier : un point d’interrogation sur le mot « maîtres » qu’il use au quatrième vers :

Ici se repose Le seul repos de sa vie Le seul et ultime exaucement Pour gésir avec ses maîtres Sur154 BOUKALAS la même terre Pantelis, froide, « Kathimerini au même » ,lieu Poé.sie151 sé pulcrale de Manolis Anagnostakis [en ligne]. Nous avons trois mots qui se répètent dans ce poème : « se reposer », « le seul » et le « même ». Dans cette atmosphère funèbre et extraterrestre, ces trois mots nous incitent à croire que dans les Enfers tout se repose, est seul et identique, égal, ce qui est aussi renforcé par le sens et l’emploi ambigus du mot ‘maîtres’. En effet, nous ignorons à qui peut se référer ce mot positionné au quatrième vers du court poème152. A propos, V. Orsina note que «néanmoins, tandis que j’ai du mal à définir le résultat réel qu’a dans cet épigramme le mot ‘maîtres’, non pas au moment où il est publié, mais au moment où il s’écrit le poème, et le ton qu’il prend à travers son cadre contextuel (et en fonction de la synchronisation des autres poèmes), j’ose dire que le mot ‘maîtres’ n’a pas encore de poids social, et conséquemment, le revirement de l’espace poétique d’Anagnostakis n’y est pas encore survenu, avec ce poème non plus. »153

Dans un contexte plus politique, pourrait-t-on considérer cet usage comme une envie d’exprimer le devoir de la lutte des classes ? Selon cette interprétation, P. Boukalas soutient que ce qui émerge du poème est la démocratie sans classes que la mort établit : « Naïvement ou bien à bon escient, Anagnostakis dans son « Epitaphe » ajuste un lieu poétique commun, qui s’inscrit dans une longue tradition poétique, laquelle (en encourageant et décourageant en même temps) aboutit, après plusieurs élaborations, au même point. Dans cette tradition, le royaume des morts est l’empire d’une équation totale et irrévocable pour tous. »154

Dans cette optique, nous puissions considérer la mort chez Anagnostakis en tant que la juridiction extrême et ultime, qui vient à remplacer la justice qui n’a pas été rendue auparavant. C’est ainsi que l’on peut affirmer que, dans une certaine mesure, le fait qu’Anagnostakis touche le sujet de la mort tellement souvent révèle sa volonté de parvenir à la justice dans une tentative de renverser une situation irréversible :

151 ANAGNOSTAKIS Manolis, «Epitaphe» in op. cit. Mais pourquoi…, p. 37. 152 Platon dans ses « Lois » fait mention de l’éloge funèbre qui comporte idéalement quatre vers. Ici Anagnostakis rédige le sien en cinq vers et positionne le mot ‘maîtres’ au quatrième vers. 153 ORSINA Vincenzo, La cible et le silence : introduction à la poésie de Manolis Anagnostakis, Éditions Nefeli, Athènes, 1995, p.57. […] mais qu’est-ce c’est, ce qu’on a nommé irréversible ? Peut être que l’échappement est toujours faisable, les pas du retour s’éloignent, quand tous tes amis sont morts inexplicablement […]155

155 ANAGNOSTAKIS Manolis, «V» in op. cit. Mais pourquoi…, p. 58. 156 ANAGNOSTAKIS Manolis, «Le Défunt» in op. cit. Mais pourquoi…, p. 115. 157 BOUKALAS Pantelis, op. cit., [en ligne].

Incapable de concevoir la logique de la guerre, il se met dans la quête des raisons d’une situation qui pourrait être aux yeux des autres justifiable. En rédigeant ses poèmes en une atmosphère macabre, il vise d’une part de représenter la réalité brutale et d’autre part de demander une justification pour ces morts qu’il croit horriblement inexplicables, tout en sachant qu’elle n’existe pas. C’est le cas du poème « Le Défunt », où il détaille les étapes d’acceptation de la mort, dès l’arrivée de la nouvelle, du télégraphe reçu annonçant la mort, jusqu’à la marche funèbre pour aboutir à une strophe intercalée, une question rhétorique qui constitue son propre appel :

(Tellement de choses qui ne sont pas prévues Tellement de conséquences incalculables, des sacrifices, Où sont les responsables pour qu’on proteste, où rouspéter ?)156

Bien qu’il semble battu et déçu à travers les poèmes des Epoques II, Anagnostakis retrouve sa force morale pour donner un ton optimiste à son œuvre : Il conclut les Epoques III – et donc tout le cycle des Epoques – et La Cible, dernier recueil de poèmes publié en 1970 avant qu’il choisisse le silence poétique, avec deux « Epilogues ». Ces deux poèmes, marquent de par leurs titres une conclusion, la fin d’une génération harassée mais aussi la fin de son œuvre poétique. Les deux Epilogues « sonnent comme des épigrammes tombeaux consacrés non plus à une seule personne précise ou imprécise» (comme, par exemple, étaient le cas des poèmes « Haris 1944 », « A Nikos E…1949 », « Le Défunt ») « mais à une génération ou bien aussi à un art, l’art poétique plus précisément, en suggérant aussi certaines raisons qui ont dicté au poète le silence »157. Les deux épilogues, contrairement à ce que l’on attend, placent la vie en dessus de la mort et ils concernent tous deux une appréciation sur l’avenir des poètes engagés.

D’un côté, le premier « Epilogue » (dans Epoques III), dont le thème principal est l’évanouissement de la poésie, se réfère aux poètes du futur qui ont disparu, ils sont tous morts jeunes. A propos, Anagnostakis répond, lors d’une entrevue dans le magazine Le Mot, à la question qu’on lui pose « qui sont alors ces poètes qui sont morts précocement, avant qu’ils aient la possibilité de parler ? » : « Certes, j’avais précisément à l’esprit des personnes [quand j’ai écrit le poème] mais en même temps je voulais exprimer un sentiment bien plus étalé, celui de la perte des personnes les plus distinguées de la milice en temps de l’Occupation, de la Résistance, de la guerre civile, qui étaient exterminés non seulement physiquement mais aussi moralement et politiquement et, surtout, humainement »158. Quoique persistant sur cette dévastation inhumaine, Anagnostakis ajoute deux derniers vers au poème, qui manifestent clairement sa croyance en un avenir bien plus conscient, une renaissance des jeunes poètes engagés, des jeunes résistants maquisards :

158 ANAGNOSTAKIS Manolis, « Un entretien de Manolis Anagnostakis avec Antonis Fotieris et Thanasis Niarchou », Le Mot, n°47, janvier-février, 1982, p.59. 159 ANAGNOSTAKIS Manolis, «Epilogue» in op. cit. Mais pourquoi…, p. 83. 160 GUYARD Marie-Renée, Le vocabulaire politique de Paul Éluard, Éditions Klincksieck, Paris, 1974, p.104.

Dans leurs tristes chants un lotus a grandi Nous en boirons la sève et renaîtrons plus jeunes.159

Le lotus, symbole de la régénération, l’illumination et la purification – surtout dans les pays de l’Est – marque la renaissance de la résistance, la dominance de la vie sur la mort dans un futur proche ou lointain. Les chansons de douleur, bribes de la mémoire historique, donneront la vie à un lotus et sa sève, d’une part une potion de courage aux plus vieux pour qu’ils puissent renaître mentalement, et d’autre part la sollicitude, aiguillonnera les plus jeunes, la nouvelle génération, à continuer cette lutte acharnée mais inaccomplie. Notons ici deux éléments importants : l’emploi du temps grammatical qui renvoie à une action qui se fera dans l’avenir ainsi que l’élément végétal (personnification de la renaissance) que l’on trouve beaucoup plus abondant dans la poésie éluardienne. Cela nous permet d’établir un lien entre les deux poète, puisque « toutes les concurrences des mots du vocabulaire des la végétation en relation paradigmatique avec un mot qui se réfère à l’homme renvoient au futur »160.

Pour revenir aux « épilogues » d’Anagnostakis, le second poème homonyme (dans La Cible, 1970) se réfère en général à l’homme poète de l’époque, et aussi à lui-même, qui a vécu « l’Occupation, la Résistance, la guerre civile » et désormais la dictature des colonels aussi :

Et surtout n’aie pas d’illusions.

A la rigueur tu les considéras deux projecteurs blafards dans le brouillard Comme une carte postale destinée à des amis absents avec un seul mot : je vis.

[…]

Amputé, montre tes mains. Juge pour être jugé.

Encore162 ÉLUARD une fois, Paul, Anagnostakis préfacé d’André lie,Velter, sur op. un cit., plan p.15. m é taphorique, la désolation de la guerre avec l’amputation poétique, la mort physique du maquisard avec la mort mentale du poète. Ce dernier est désormais face à une nouvelle réalité : la dictature ainsi que la censure qui en découle, d’où l’amputation poétique. Anagnostakis avoue que cette période fut autant difficile que les précédentes, voire pire : « Ce que je veux dire c’est que durant l’occupation n’était pas comme la dictature. Les jeunes doivent connaître ça. Durant la dictature on évitait les écrits car il y avait la dictature. Durant l’occupation on écrivait. Tout ce qui était dit, tout ce qui était entendu, tout ce qui avait la voix grecque, était un acte de Résistance. Tandis que durant la dictature, si quelque chose était publié, c’était en collaboration avec la dictature. C’était tout une autre chose. 161» Ce poème fait cependant preuve que le poète doit continuer sa lutte avec les seuls moyens qui lui restent, même s’il est amputé, car « si la poésie peut être une arme, c’est le moment d’en user162 ».

Retraçant la notion de la mort pour aboutir à celle de la vie, nous avons ainsi examiné sous un large spectre la relation entre vie et mort dans la poésie d’Anagnostakis. A partir de cette notion émergent plusieurs questions – préoccupations du poète, liées surtout à la disparition de la poésie et l’amputation physique et mentale de la jeunesse. Toutefois, nous avons également repéré la mort liée à l’esprit satyrique et ironique, la mort en tant que moyen pour parvenir à la justice et enfin la mort en tant que renaissance – la mort qui donnera ensuite sa place à la vie. Nous remarquons une prédominance de la vie sur la mort chez Anagnostakis, puisque la notion de la vie et de la renaissance revient à chaque fois à l’issue de ses recueils. La mort possède une position prépondérante et plus explicite dans les poèmes que nous avons étudié ; tout de même ils prouvent à la fin un immense besoin de la part du poète de conquérir la vie,

161 ANAGNOSTAKIS Manolis, Je suis gaucher essentiellement …, op. cit., p.49. comme une sorte de vocation première que seulement sous telles circonstances particulières pourrait surgir.

La166 É majoritLUARDé Paul, de po Donnerèmes àexamin voir (1939),és ci «- dessusJe parle sede cesituant qui est autour bien » dansdes KITTANGannées de Atle, la Seconde D’amour Guerrede mondiale,poésie…, op. nous cit., p. poursuivrons 59. l’analyse de l’œuvre éluardienne produite dans le même cadre temporel, désormais sous un aspect comparatif. Cette fois-ci, frappé par la fréquence frénétique du verbe « vivre » (ainsi que de son substantif « vie», et son qualificatif « vivant ») présents dans la poésie d’Éluard, nous procédons l’étude poétique à l’inverse, à savoir à partir de la notion de la vie tracée dans son œuvre. Nous considérons d’ailleurs légitime la présence voire le foisonnement d’éléments « de vie » dans la poésie d’Éluard, étant donné ses affinités surréalistes et son affiliation à ce mouvement littéraire, dont l’aspect dynamique et les notions comme le mouvement, l’ardeur de la vie, la fraîcheur et la fécondité la caractérisent163.

La vie et la vivacité tracent très tôt le profil d’Éluard, un ‘viveur’164 dont le vocabulaire sur la vie « voltige à travers ses poèmes et hante toute sa poésie ».165 Bien au contraire, si on fait hâtivement le bilan des écrits d’Anagnostakis, on notera qu’il n’est jamais question d’une « étude scientifique du monde » ou la présentation si claire de l’acte poétique sur un plan existentiel comme on peut le remarquer chez Éluard ci-dessous :

On a dit que partir des choses et de leurs rapports pour étudier scientifiquement le monde, ce n’est pas notre droit, c’est notre devoir. Il aurait fallu ajouter que ce devoir est celui même de vivre, non pas à la manière de ceux qui portent leur mort en eux et qui sont déjà des murs et des vides, mais EN FAISANT CORPS AVEC L’UNIVERS, AVEC L’UNIVERS EN MOUVEMENT, EN DEVENIR. Que la pensée ne se considère pas seulement comme un élément scrutateur ou réflecteur, MAIS COMME UN ELEMENT MOTEUR, COMME UN ELEMENT PANIQUE, COMME UN ELEMENT UNIVERSEL, le rapport entre les choses étant définis. 166

Tout comme Anagnostakis lie l’idée de la mort à la fin poétique, Éluard associe la vie – une vie tourmentée comme celle que défendent les surréalistes – à l’activité

163 Sur le plan politique aussi, le mouvement surréaliste, considère l’art (poétique et autre) en tant que moyen pour changer la vie et transformer le monde, « des indications précises à s’affranchir des anciens carcans, tant dans la sphère des rapports sociaux, des modes de production et de répartition des richesses, que dans celle des mœurs et des mentalités. » ÉLUARD Paul, préfacé d’André Velter, op. cit., p.12. 164 Quand Ernst déménage à Paris en 1922, Éluard et son épouse, à l’époque Gala, l’accueillent dans un ménage à trois qui tiendra jusqu’en 1924. 165 GAUCHERON Jacques, Paul Éluard ou la fidélité à la vie…, op. cit., p.51. poétique. En effet, la poésie éluardienne, comme on le retrouve chez tous les surréalistes, est au service de la vie. A travers ces paroles, nous remarquons son mépris vis-à-vis des hommes qui ne vivent pas le dynamisme inépuisable du monde et qui, à cause de cette négligence d’un devoir existentiel, ils deviennent des morts vivants167, une notion illustrée par les images du mur et du vide. Encore plus fort chez Éluard que chez Anagnostakis, « l’activité poétique est, en tant que besoin d’intelligibilité et de structuration, un projet existentiel, de devoir même de vivre. » 168 Notons ici que le surréalisme est avant tout une philosophie particulière du modus vivendi, qui comporte une conception plutôt éthique que esthétique de l’homme, même si les deux s’entremêlent. Par ailleurs, Breton, le chef du mouvement, a toujours condamné les tentatives de certains qui réduisaient le surréalisme à un dogme purement esthétique169.

167 KITTANG Atle, D’amour de poésie…, op. cit., p. 60. 168 ibid, p. 59. 169 ibid, p. 91. 170 GAUCHERON Jacques, Paul Éluard ou la fidélité à la vie…, op. cit., p.51. 171 GAUCHERON Jacques, Paul Éluard ou la fidélité à la vie…, op. cit., p.53.

Ainsi, le « devoir de vivre » chez Éluard concerne d’une part quelque chose d’universalisable (un « élément universel » comme il mentionne lui-même) mais il évoque également « des valeurs précieuses et multiples, de façon complexe et souvent contradictoire, se référant soit à l’individu, soit à la société »170.

Cependant cette vivacité cache parfois des préoccupations philosophiques sur la relation entre vie et mort, les indices se reposant sur son œuvre poétique ainsi que son parcours biographique. En effet, depuis son jeune âge, Éluard a une prédilection à Jules Laforgue, dont les poèmes expriment une négation et un pessimisme à tel point que la poésie elle-même est condamnée. Toutefois, Éluard – à l’opposé des surréalistes – semble apprécier sa poésie à travers laquelle il y rencontre « le bout du désespoir et de l’amertume, le sommet du procès intenté à la vie, métaphysiquement et humanistiquement, sur le mode de l’ironie la plus virulente»171. De plus, durant la première moitié du XXème siècle la vie civile ne dure pas autant, et Paul Éluard devra aussitôt partir à la guerre pour connaître les plus grandes atrocités de la mort : l’inquiétude d’une mort possible ainsi que des morts des compagnons rendent ses poèmes plus alourdis, plus onéreux, qui vont désormais de pair avec l’atmosphère belligérante : Les traces d’une proie atroce Hardi au loup et c’est toujours Le plus beau loup et c’est toujours Le dernier vivant que menace La175 GAUC masseHERON absolue Jacques, de la Paulmort.172 Éluard ou la fidélité à la vie…, op. cit., p. 62.

Ce poème dévoile l’atrocité et l’animalité de la guerre. Contrairement à Anagnostakis, Éluard, à part le vocabulaire de végétation, insère dans sa poésie celui du royaume animalier aussi. Nous notons ainsi le contraste entre vie féroce (personnifiée par le loup) et la masse absolue de la mort. Notons également la répétition du mot ‘loup’ ainsi que la notion de la perpétuation à travers la répétition « c’est toujours » qui montre une situation récurrente. Comme c’est le cas des poèmes ‘funestes’ d’Anagnostakis, la mort vient à la fin du poème (une sorte d’anti-catharsis), en constituant ici le dernier mot. Le vocabulaire joue également un rôle très important (« menace », « hardi », « traces ») qui est convenablement combiné avec le vocabulaire cynégétique (« proie », « menace » « loup »). La plupart de ces mots cachent également un côté violent. Cette violence a précédé (« masse absolue de la mort ») ou bien succédera (« menace », « proie »). La violence est par ailleurs pour Éluard « le mal absolu, puisque l’homme la rencontre à l’intérieur même de la lutte qu’il mène pour le triomphe de la justice e de la liberté.173 » Cette violence est ici incarnée par le loup. Dans le passé, Éluard avait publié un recueil avec des poèmes dont les intitulés comportaient des mots du vocabulaire des animaux174. Ce n’est pas au hasard qu’il place un loup au centre de la thématique de la mort, pour incarner la cruauté et la bestialité de l’homme en temps de guerre. En effet, selon Jacques Gaucheron, la notion de l’animalité reste contentieuse, à l’échelle de la vie : « les animaux appartiennent à la nature […] il n’y a pas de coupure entre l’animal et l’homme, entre la nature animale et la nature humaine. Le poète peut aussi bien revendiquer le retour vers l’animalité que reconnaître que l’animal est encore en état d’errance et parfois d’erreur, lorsque l’homme ressemble trop au fauve et à ses griffes. C’est admettre que le terme ‘vie’ ne va pas toujours avec une signification positive aux yeux du poète. Quand, au nom de la Vie, on pousse à l’exaltation des forces instinctives en l’homme, on déchaîne les conduites brutales et irrationnelles. »175

172 « Loup » in Poésie et vérité (1942) in ÉLUARD Paul, préfacé d’André Velter, op. cit., p.271. 173 DEBREUILLE Jean-Yves, Éluard ou le pouvoir du mot : propositions pour une lecture, Éditions A.G. Nizet, Paris, 1977, p.167. 174 « Vache », « poisson », « patte » … dans « Les animaux et leurs hommes, les hommes et leurs animaux », publié en 1920.

La brutalité de la guerre et l’obsession de la mort sont aussi esquissées dans son poème « Guernica », inspiré par un fait historique daté du 26 avril 2937 : le bombardement de la ville de Guernica par l’armée allemande qui marque la guerre d’Espagne. Le poème, inclus dans le recueil « Cours naturel » publié en 1938, est divisé en quatorze petites strophes hétérogènes – on note deux vers seuls, quatre distiques, quatre tercets, trois quatrains et un quintile– dont nous citons l’onzième :

La peur et le courage de vivre et de mourir La mort si difficile et si facile176 176 « La victoire de Guernica » in ÉLUARD Paul, En jouant avec lespréfac mots,é d’Andr Éluardé Velter, cré eop. ces cit., antith p. 203.èses pour dénoter le fait qu’en temps de guerre tout se bouleverse et se déroute. La guerre provoque des sentiments contradictoires, transforme l’homme serein à un homme psychologiquement tourmenté, qui perd la tête devant une situation si absurde et inconstant. Il devient ainsi irrationnel, ce qui est exprimé à travers les notions antinomiques de la mort et la vie, la peur et le courage qui sont difficiles et à la fois faciles. Le cas de l’homme qu’après avoir été envoyé à la guerre, devient irrationnel et procède à des conduites ‘brutales et irrationnelles’ est récurrent. Souvent le dénouement de cet état est la mort.

L’homme qui est affronté à la mort en temps de guerre est aussi tracé dans le poème liminaire « L’avis » du recueil « Au rendez-vous allemand », où le poète, en faisant allusion dans le titre aux avis de recherche établis par les occupants durant la guerre, évoque la peur et la souffrance qui seront à la fin transformées en un message d’espoir :

La nuit qui précéda sa mort Fut la plus courte de sa vie L'idée qu'il existait encore Lui brûlait le sang aux poignets Le poids de son corps l'écœurait Sa force le faisait gémir C'est tout au fond de cette horreur Qu'il a commencé à sourire Il n'avait pas UN camarade Mais des millions et des millions Pour le venger il le savait Et le jour se leva pour lui.177 177 « L’avis » in Au rendez-vous allemand (1944) in ÉLUARD Paul, préfacé d’André Velter, op. cit., p. 281. Deux parties de six vers chacune se distinguent dans ce poème de douze vers octosyllabes. Le début et la fin du poème marquent le contraste entre les parties imagées. La première partie est enfoncée dans l’obscurité de la nuit et marquée par la souffrance du condamné vivant qui connaît préalablement qu’il va mourir. Le septième vers fait la transition entre les deux parties : C’est au fond de cette horreur (décrite auparavant) que l’espoir, symbolisé par le sourire, va surgir. Notons le contraste effectué à l’aide de plusieurs moyens d’expression : le vocabulaire qui divise le poème en deux parties (« nuit », « mort », « sang », « poids », « gémir » contrastés à « sourire », « jour »), ainsi que le premier et dernier vers du poème qui marquent un début dans la nuit obscure et une fin d’un nouveau jour qui se lève. Nous avons ainsi toute l’architecture du poème qui transforme un message de peur à un message d’espoir. Notons enfin l’espoir qui naît au cœur de l’horreur, ce qui rejoint la notion que l’on retrouve chez Anagnostakis, à savoir la justice qui revient après avoir vécu l’horreur.

Dans le même esprit et le même recueil, le poème « Gabriel Péri » tourne autour de la thématique de la mort et de l’espoir. Son thème rejoint celle d’Anagnostakis dans son « Epilogue » (Epoques III), à savoir la justice après la mort et l’espoir persistant qui nous fait vivre. Ce poème se rapproche aussi à « Tombal » (La Cible) d’Anagnostakis : les deux poètes écrivent un poème à l’occasion de la mort d’un soldat qu’ils connaissaient, en s’adressant à lui (dans le cas d’Éluard, c’est Péri, pour Anagnostakis c’est Lavrentis). Notons qu’il ne s’agit pas de poèmes impersonnels car tous deux mentionnent les noms des personnes dans leurs poèmes (Éluard l’intitule aussi ainsi). Tous deux juxtaposent le soldat mort à une communauté plus large, ce qu’a fait le soldat français sacrificateur pour l’ensemble du peuple (Péri est mort pour ce qui nous fait vivre) ou bien dans le cas d’Anagnostakis, le soldat grec – et la mort du soldat – le centre d’intérêt de la communauté qui se précipite à le glorifier. Dans ce poème nous pouvons puiser quelques thèmes récurrents comme par exemple la mort injuste, le sacrifice d’une personne pour le reste du peuple, mais aussi le rôle du poète qui servit de relais entre l’homme perdu et les lecteurs :

179 ANAGNOSTAKIS Manolis, «Le Défunt» in op. cit. Mais pourquoi…, p. 115.

Un homme est mort qui n'avait pour défense Que ses bras ouverts à la vie Un homme est mort qui n'avait d'autre route Que celle où l'on hait les fusils Un homme est mort qui continue la lutte Contre la mort contre l'oubli.

Car tout ce qu'il voulait Nous le voulions aussi Nous le voulons aujourd'hui Que le bonheur soit la lumière Au fond des yeux au fond du cœur Et la justice sur la terre.

Il y a des mots qui font vivre Et ce sont des mots innocents Le mot chaleur le mot confiance Amour justice et le mot liberté Le mot enfant et le mot gentillesse Et certains noms de fleurs et certains noms de fruits Le mot courage et le mot découvrir Et le mot frère et le mot camarade Et certains noms de pays de villages Et certains noms de femmes et d'amies Ajoutons-y Péri Péri est mort pour ce qui nous fait vivre Tutoyons-le sa poitrine est trouée Mais grâce à lui nous nous connaissons mieux Tutoyons-nous son espoir est vivant.178

Le pilier de ce poème se fonde sur la mort injuste de Gabriel Péri dont l’inadmissibilité s’exprime à travers plusieurs éléments : Ce qui nous frappe après une première lecture du poème, c’est l’anaphore dans les vers 1,3,5 (Un homme est mort), que l’on trouve également dans le poème « Le Défunt» d’Anagnostakis, où la phrase répétée (vers 4,8,15,19) est « Mais le défunt n’est pas mort à cette heure précise. 179» L’image de la mort est mise également en relief puisque assez paradoxalement « l’homme mort continue la lutte contre la mort ». La vie emporte la mort très tôt dans le poème et dès la deuxième strophe nous avons la cause de ce la mort, introduite par le connecteur logique ‘car’. Les louanges envers la vie continuera jusqu’à la fin du poème, comprenant des notions contrastées à la mort susmentionnée, et placées à la rime pour

178 « Gabriel Péri » in Au rendez-vous allemand (1944) in ÉLUARD Paul, préfacé d’André Velter, op. cit., p. 292-293. ainsi accentuer les privilèges de la vie (vers 10,11,12, « la lumière »180, « du cœur », « la terre »). Pareillement, dans la première strophe nous avons l’oppression et l’atrocité de la mort qui est similairement mise en évidence par la répétition du mot monosyllabique « mort » à l’hémistiche. Cependant, ce dernier est présent sous cet aspect seulement dans la première strophe. Ensuite viennent les valeurs de l’homme mort qui semblent être partagés par tous, c'est-à-dire les résistants (« Car tout ce qu’il voulait/Nous le voulions aussi ») et le torrent des mots qui expriment ces valeurs universelles. Notons aussi le temps passé dans la première strophe (« qui n’avait pour défense », « qui n’avait d’autre route ») contrasté fortement au reste du poème qui témoigne l’actualité de la vie juste et digne que l’on réclame à l’aide de l’indicatif du présent (« Nous le voulons aujourd’hui »). 180 Notons que la lumière chez Éluard est d’après A.Kittang (« D’amour de poésie : l’univers des métamorphoses dans l’œuvre poétique de Paul Éluard » ; chapitre II – « Femme et lumière » p.21) un symbole fortement féminisée. Éluard a la tendance de joindre les notions ‘positives’ dans son œuvre, comme la vie, la lumière, la nature, l’amour qui sont toutes cachées derrière la présence d’une figure féminine, des parties de son corps (« les courbes de tes yeux ») etc. Cela constitue une de majeures différences entre l’œuvre poétique d’Éluard et celle d’Anagnostakis.

Un autre thème important est la mort de Péri en tant que sacrifice, l’utilité de ce dernier ainsi que le devoir du poète exalte cet acte, en célébrant ce martyre. Tout le peuple est martyrisé et ceci on peut l’apercevoir à partir de la répétition impersonnelle de « l’homme » qui est mort ; il est important car le poète ne nous indique pas dès le début le visage de ce mort – quoique nous avons le nom Gabriel Péri à l’intitulé du poème – mais il nous présente un homme, symbole toute l’humanité qui meure. La masque de l’homme tombera à ma fin du poème et plus précisément au vers 22 (« Ajoutons-y Péri ») qui nous frappe par sa brièveté utilisée comparé aux autres vers pour intensifier le dévoilement de l’homme.

Avant le dévoilement de Péri nous avons une série d’images qui sont entremêlées avec le signifié de chaque parole et représentent les valeurs de la vie en tant que louange à la vie elle-même. Il s’agit des mots « qui font vivre » et sont essentielles pour le poète, qui les place avant sa conclusion qui mène à l’espoir. Ces mots sont d’une diversité épatante, et d’une nature différente : nous avons les termes abstraits et ceux qui sont concrets. Nous notons aussi des éléments de la nature (fleurs et fruits), qui d’une part enserrent l’alexandrin dans le vers 18 et d’autre part sont juxtaposés après les notions de la justice et la liberté, tous deux représentant des ingrédients essentiels qui créent la vie. Ces termes ont tous une connotation positive, à travers laquelle le poète célèbre la vie « généreuse dans ses acquiescements, puisque la nature est abondance et fertilité, toute l’activité des hommes se doit de prolonger l’immense don qui se manifeste à chaque instant dans une infinie diversité. Telle est la vie, tel sera le travail des hommes, création et don.181» En lisant d’un trait toute la strophe, nous avons en effet cette sensation impressionnante d’abondance, de fertilité et de diversité.

181 GAUCHERON Jacques, Paul Éluard ou la fidélité à la vie…, op. cit., p. 81. 182 ÉLUARD Paul, préfacé d’André Velter, op. cit., p.341.

Mais surtout, l’idée qui en découle de la dernière strophe du poème est la fraternité universelle, exprimée par cette diversité du vocabulaire qui à la fin arrive à de mots comme « frère », « camarade », « pays », « villages », « amis ». Cette universalité est également saisie grâce au passage du pronom ‘il’ au pronom ‘nous’ et grâce à la justice qui est « sur la terre » : les valeurs que défend Péri sont universelles et seront transmises au survivants à travers le poète. Le devoir de celui-ci est de garder vive sa mémoire en lui rendant hommage, assurer l’éveil pour la continuité de la lutte de la part des résistants (« Un homme est mort qui continue la lutte ») et inciter aussi l’engagement à la résistance du lecteur. Cette incitation se vérifie par le mode impératif qu’il emploie aux derniers vers (« Tutoyons-le », « tutoyons-nous »), une suggestion au lecteur de « les » joindre à la révolte. Éluard est connu par ailleurs de par son caractère sensible et altruiste et sensible qui veut encourager, inciter, aider à vivre et à espérer. Cela est tracé à travers toute son œuvre et l’on peut également percevoir dans ces vers ci-dessous :

Laissez-moi donc juger de ce qui m’aide à vivre Je donne de l’espoir aux hommes qui sont las malgré les joies robustes de l’amour.182

Ce qui fait Éluard dans le poème « Gabriel Péri » est dévoiler aux autres le sens de la vie, éveiller le peuple et l’aider à vivre, ce qui l’aide à vivre lui-même. Enfin, le message de ce poème est clairement pacifiste et laisse le lecteur troublé, ayant une sensation de devoir et d’espoir pour l’avenir. Les images de l’homme qui ouvre ses bras à la vie, qui meurt pour faire vivre les autres témoignent le soif du poète à vivre et l’espoir qu’il garde en dépit de la mort. Déjà pendant la Première Guerre mondiale, Éluard écrit, en 1916-1917, un poème intitulé « Fidèle » pour ainsi exprimer sa croyance à la vie, son espoir de vivre et sa fidélité à cet espoir, comparée à la fidélité qu’il faut garder aux amoureuses :

Vivant dans un village calme D’où la route part longue et dure Pour un lieu de sang et de larmes Nous sommes purs.

Les nuits sont chaudes et tranquilles Et nous gardons aux amoureuses Cette fidélité précieuse Entre188 GAUCHERON toutes : l’espoir Jacques, de Paul vivre Éluard183. ou la fidélité à la vie…, op. cit., p.55.

A plusieurs reprises et toujours au niveau métaphorique, Éluard lie la mort à la solitude. Cela constitue un autre élément qui différence le poète français du poète grec. En effet, à cause aussi de son œuvre poétique très restreint – comme on l’a déjà mentionné – et qui se limite temporellement à l’époque des événements historiques cruciaux, Anagnostakis utilise les notions de l’espoir, la mort, la vie plus souvent sur un plan strictement à la lettre, ce qui n’est pas le cas d’Éluard.

Le poète français, en proie à la solitude, va parfois aimer le désespoir comme il a aimé l’espoir. C’est en ce moment-là que solitude et mort feront un :

La mort vint toute seule, s’en alla toute seule et celui qui aimait la vie resta seul.184

Quelques vers écrits initialement par Thérèse d’Avila185 – mais repris par les surréalistes pour enfin inspirer Éluard – expriment une autre situation :

Je vis sans vivre Et j’attends une vie si haute Que je meurs de ne pas mourir186

Éluard utilise la fin du vers comme titre de son recueil Mourir de ne pas mourir (1924)187. La thématique de ce recueil tourne autour de l’amour malheureux, où « mourir serait une délivrance des tortures d’un amour à la fois bien vivant et brisé. »188 Les poèmes de ce recueil marquent le début d’une période difficile pour Éluard, qui, attristé de cette mort qui apparaît au sein de l’amour, entamera le lendemain de la

183 « Fidèle » in Le Devoir et l’inquiétude (1917), ÉLUARD Paul, préfacé d’André Velter, op. cit., p. 26. 184 « Mort », (Donner à voir - 1939) in ÉLUARD Paul, préfacé d’André Velter, , op. cit., p.208. 185 Réformatrice des Carmels, selon laquelle « la vie terrestre n’est qu’une agonie douloureuse, l’âme prisonnière du corps étant invinciblement séparée de l’objet aimé, l’être divin. » GAUCHERON Jacques, Paul Éluard ou la fidélité à la vie…, op. cit., p.55. 186 GUEDJ Colette, Eluard a cent ans : Actes du colloque de Nice…, op. cit., p.279. 187 KITTANG Atle, D’amour de poésie…, op. cit., p. 52. publication du recueil son voyage vers l’inconnu, symbole « d’une fuite, d’un suicide, d’un adieu pensé comme définitif à la poésie même »189. Cependant, le poète ne se perd pas sa route et ne se perd pas dans son désespoir. Il revient de son « voyage idiot » - comme il le qualifie après son retour – et il « entreprend lentement une remontée vers la vie, vers la parole vivante 190».

189 Ibid. 190 GAUCHERON Jacques, Paul Éluard ou la fidélité à la vie…, op. cit., p.57. 191 ÉLUARD Paul, préfacé d’André Velter, op. cit., « Poésie ininterrompue », p. 239 192 MINGELGRÜN Albert, Essaie sur l’évolution esthétique de Paul Éluard : Peinture et langage, Éditions L’Age d’Homme, 1977, p. 199

193 « La mort, l’amour la vie » in Le Phénix (1951) in ÉLUARD Paul, préfacé d’André Velter, op. cit., « Poésie ininterrompue », p. 405. 194 GAUCHERON Jacques, Paul Éluard ou la fidélité à la vie…, op. cit., p.59.

Après la Libération, Éluard écrit ironiquement en 1946 ce vers éloge à l’amour et à la vie : « Nous deux nous ne vivons que pour être fidèles à la vie191 » sans connaître que pendant la même année Nusch aura une mort tragique et imprévue. Suite à sa inattendue de Nusch, le 28 novembre 1946, Éluard entreprend son ultime itinéraire192. Le poète s’exclut de toute communication et capturé d’une volonté d’autodestruction, il s’installe dans une véritable clôture, une sorte de tombeau que l’on peut identifier dans les vers suivants :

J'ai cru pouvoir briser la profondeur l'immensité Par mon chagrin tout nu sans contact sans écho Je me suis étendu dans ma prison aux portes vierges Comme un mort raisonnable qui a su mourir Un mort non couronné sinon de son néant Je me suis étendu sur les vagues absurdes Du poison absorbé par amour de la cendre La solitude m'a semblé plus vive que le sang193

Devant la mort d’une femme qu’il a aimée, Éluard découvre déplorablement la vie éphémère et l’amour fugace qu’il a crus éternels. Nous avons l’impression qu’Éluard « songe d’une immobilité qui assurerait la permanence et l’exclusivité amoureuse définitive. Il s’efforcera de maintenir cette conception contre tous les démentis de l’expérience vécue 194» :

Il m'est donné de voir ma vie finir Avec la tienne Ma vie en ton pouvoir Que j'ai crue infinie Et l'avenir mon seul espoir c'est mon tombeau Pareil au tien, cerné d'un monde indifférent J'étais si près de toi que j'ai froid près des autres.195

195 Ma morte vivante in Le temps déborde (1947) 196 GAUCHERON Jacques, Paul Éluard ou la fidélité à la vie…, op. cit., p.52. 197 KITTANG Atle, op. cit., p. 18-19. 198 PIPINIS Yannis, Manolis Anagnostakis, Un promeneur fanatique de la poésie…, op. cit., p.127.

Mais même après avoir vécu, ou mieux, survécu aux deux guerres mondiales, avoir connu la mort qui rôdait, la mort de Nusch, et sa propre mort sous forme de solitude et de désespoir, Éluard a gardé le moral. Mais même quand il était découragé, il a su enseigner l’amour pour la vie, d’où le ton didactique que l’on dépiste parfois dans ses écrits. En 1947, il écrit à sa fille Cécile : « Il faut aimer la vie avec application, avec acharnement », quand au même moment il intime à Gala : « La mort, le sentiment de la mort a pris en moi une trop grande place »196.

Après avoir examiné l’élément du temps et la relation entre vie et mort dans les deux œuvres concernées, nous arrivons à dire que les poètes conçoivent la seule et même réalité de la guerre et de la mort en restant optimistes. La réalité d’Éluard est bien plus embrouillé que celle d’Anagnostakis, mais selon A. Kittang, « malgré sa complexité et ses innombrables métamorphoses, elle incarnera ce qu’on pourrait appeler l’optimisme éluardien et, au fond, correspondra à ce qu’il y a de plus authentique dans toute la philosophie et toute la poésie surréalistes. »197 Pour Anagnostakis, il existe une ligne très subtile entre vie et mort et une fois piétinée par la guerre, le poète cherche à trouver une justification et pour cela justement il écrit ses poèmes : c'est-à-dire pour trouver une réponse ou à la rigueur confronter les problèmes de son époque. En effet, la poésie d’Anagnostakis «fut indissolublement enlacée à la vie. Malgré son contexte existentiel profond et sa transcendance à une certaine mesure, elle n’est jamais été une poésie de la réminiscence et de la fuite métaphysique. Anagnostakis n’est pas simplement un poète qui exprime amplement toute une époque mais de l’époque la plus dramatique et tragique de l’Hellénisme contemporain.198 » De l’autre côté, dans la poésie d’Éluard – autant militante mais décidemment un peu plus ‘romantique’ – on retrouve une liaison intime entre vivre et aimer, mourir et aimer qui n’est pas perceptible dans l’œuvre d’Anagnostakis. Cependant, tout deux esquissent un panorama de la guerre, laquelle bien sûr dénoncent fortement, mais qui en même temps leur permet d’exprimer, par le biais de leur poésie, la vie réelle, ce « tissu de conflits, de crises individuelles et collectives, de contradictions.199 » D’où le foisonnement de contrastes imagées dans leurs poèmes écrits en temps de guerre, entre la vie et la mort, l’oubli et la mémoire, la désillusion et l’espoir. Enfin, les deux poètes non seulement restent fidèles à la vie mais ils continuent à l’aimer fervemment et c’est en temps de guerre que la vie devient valeur absolue, « au nom de laquelle tout se juge et se joue ».200 C’est à parti du désespoir qu’apparaissent leur espoir et leur fidélité à la vie et à un meilleur avenir :

199 GAUCHERON Jacques, Paul Éluard ou la fidélité à la vie…, op. cit., p.71. 200 GAUCHERON Jacques, op. cit., p.51. 201 « La victoire de Guernica » in ÉLUARD Paul, préfacé d’André Velter, op. cit. , p. 203.

Hommes réels pour qui le désespoir Alimente le feu dévorant de l'espoir Ouvrons ensemble le dernier bourgeon de l'avenir201

Conclusion

Enfin,203 ÉLUARD la poé Paul,sie et J’ai l’engagement un visage pour politique être aimé… sont, p. 375deux-376. él é ments qui lient sans doute fortement Éluard et Anagnostakis, tout comme ils lient – vu la nature des poètes – tous les hommes ayant voulu mettre en pratique leur credo politique, exprimé à travers leur poésie. Leur nature extrêmement fragile, leur envie d’unir les peuples en un seul monde et leur soif de bonheur et d’amour universels font preuve d’un parcours avoisinant, d’une similitude puissante entre les deux figures des poètes. « Je suis poète érotique et à la fois politique. C’est l’époque qui associait tous les deux »202, avoue Anagnostakis en novembre 1992, lors d’une conversation enregistrée avec Michel Fais, actuellement critique littéraire. De même, Éluard s’identifie à ce profil de poète érotique et d’homme « aimant l’amour » qui approfondit constamment du désir, à l’érotisme et jusqu’à l’ouverture au monde qu’il considère l’amour :

Être unis c’est le bout du monde Le cœur de l’homme s’agrandit Le bout du monde se rapproche […] Nous avons pénétré le feu Il faut qu’il nous soit la santé Nous nous levons comme les blés

Et nous ensemençons l’amour203

De ce point de vue, la problématique posée au début de ce travail s’avère à la fin légitime. Cependant, à l’issue de cette analyse littéraire, on arrive à comprendre que, malgré le rapprochement qu’on puisse faire entre les messages transmis de leurs œuvres ainsi qu’entre leur idéologie politique, les deux poètes prennent progressivement des voies différentes, des réactions opposées face au dénouement des événements historiques, face à la défaite irréversible de l’idéal. Éluard et Anagnostakis ont cru tout les deux à une révolution politique et sociale qu’ils ont vue crouler devant leurs yeux. Le poète grec, face à la défaite de la Gauche reste enlacé à la quête de la vérité, à travers laquelle nous repérons d’un côté son refus clair de l’idéologie d’obéissance et de la soumission et sa croyance à l’homme, une sorte d’humanisme moderne qui recouvre la dignité du poète et les valeurs humaines qu’il préserve jusqu’à la fin. Après son engagement politique au

202 « Autobiographie d’Anagnostakis : Un monologue du grand poète à propos de la vie, la poésie, la politique » http://www.tovima.gr/books-ideas/article/?aid=409199 Front de libération nationale grec (EAM), son expulsion du parti communiste en 1946, son arrestation durant la guerre civile de 1946-1949, son emprisonnement pendant trois ans, après la peine de mort à laquelle il était condamné et qui ne fut pas exécutée à la fin, après la dictature et sa candidature au Parlement Européen, il se déçoit de la politique qui le laisse à désirer. Il opte désormais pour le silence poétique : « J’ai coupé tout contact avec la poésie, j’ai cessé d’écrire très tôt car, quand l’expérience arrive, quand les rides apparaissent, la veine – la veine poétique – trempe et sèche. »204 Anagnostakis se rend compte que la quête de la justice n’est pas une affaire qui concerne le parti, l’état ou bien une collectivité en général, mais elle est personnelle qui se pend de chacun de nous particulièrement, comme il l’exprime dans son premier petit thème :

204 ANAGNOSTAKIS Manolis, Je suis gaucher essentiellement…, p. 45. 205 Cinq petits thèmes, thème I. ANAGNOSTAKIS Manolis, Mais pourquoi…, p. 38.

Nous avons aimé Nous prions toujours Nous avons partagé notre pain, notre peine

Et moi dans toi et dans tout le monde.205

Nous notons le nous qui devient moi, le moi personnel. Alors qu’Éluard demeure un pur idéologue, Anagnostakis dépose son idéologie et ses espoirs à la nouvelle génération consciente et agitée et à l’instruction personnelle. L’inclination de son attitude repose justement sur cet élément : La poésie représente le produit de la ferveur juvénile, qui a une position dans la vie de l’homme lors du stade prématuré ; il s’agit d’une poésie qui se recule au fil du temps pour donner sa place à la prose et à l’essai, considérés par Anagnostakis comme un moyen d’expression plus évoluée qui vient à l’âge mûr.

Toute l’œuvre poétique d’Anagnostakis cotise à ce dépôt de l’espérance à la génération suivante, à l’opposé d’Eluard. Il s’agit en effet d’une chaîne qui lie tous ses recueils et emmènent le poète à ce choix de silence. Ses trois « époques » qui renvoient à l’occupation de la Grèce sous les forces fascistes, à l’écroulement de la certitude et à la déception provoquée par le dénouement des événements. Ses trois « suites » à la mémoire de ses confrères perdus, qui préfigure l’acceptation amère des événements historiques, la tristesse du poète pour « tout ce qui est fini sans plus avoir d’espoir » (Dédicace), pour enfin écrire la « Cible », une introspection profonde, une évaluation de la poésie et la constatation du besoin impératif d’une intrusion décisive dans la via sociale. Le message d’Anagnostakis est par conséquent positif sous un voile pessimiste ; il s’agit du message de la nouvelle lutte qu’il faut entreprendre.

Du coup, la notion du défaitisme ne peut pas se poser dans ce cas là, puisqu’il s’agit de l’attitude personnelle du poète vis-à-vis à la poésie et ne représente en aucun cas un modus vivendi. Anagnostakis opte ainsi pour un mode de vie combattif dans un silence poétique. Au contraire, Éluard écrit et publie son Phénix, un an avant son décès. Plus précisément, Phénix est le dernier recueil qui glorifie l’amour et l’espoir retrouvés dans le visage de Dominique Laure. Un peu plus réaliste éventuellement, Anagnostakis « s’efface » avec une déception bien plus présente que celle d’Éluard.

Toutefois,208 Le rêve occupe Anagnostakis une position refuse prépond laé rantedénomination chez les surr queéalistes. l’on Une lui sdonneérie de rfrêveséquemment sont présent :é sil à n’existe titre pasd’exemple à son dansavis Nadja une catde Breton.égorie telle que la « poésie de la défaite ». On ne peut pas professer être poète érotique, sans prendre en compte le contexte politique d’une époque, la fureur politique de l’époque.206 Les éléments politiques sont ainsi exprimés par le biais d’un certain érotisme. Il n’est pas question de défaite, mais d’une angoisse pour cette époque qui s’exprime à travers la poésie ou tout moyen d’expression afin d’apaiser la préoccupation que les événements provoquent. « Quand cette époque finit, la poésie finit avec elle. On ne peut pas être poètes à jamais. »207 Anagnostakis démentit ainsi ceux qui le considère un poète – un de plus grands poètes de la génération de l’après guerre par ailleurs – en ajoutant qu’il ne s’agit pas de sa profession. Il a été un poète dans le passé, sous des conditions très spécifiques, en raison de l’atmosphère politique très chargée qui ne pourrait être toléré que par ce moyen d’expression. Le mal de vivre exprimé avec brio et l’espoir de toute une époque est ce qui donne par ailleurs une force incontestable à l’œuvre poétique d’Anagnostakis, qui dépasse largement les idéologies politiques.

De l’autre côté, Éluard reste érotique et politique devant ses mille sorties au jour le jour pour une gloire triomphale. Le désappointement reste certes présent dans son œuvre mais son attitude ne change guère : il reste visionnaire, fidèle à son idéalisme mystique, un vrai surréaliste qui ne cède pas devant son rêve208 et à travers la poésie duquel on entrevoit toujours une lueur d’espérance personnifiée par une figure féminine. Autrement dit, « l’essentiel si l’on veut suivre la pensée d’Éluard, c’est de comprendre que nous avons

206 ANAGNOSTAKIS Manolis, Je suis gaucher essentiellement…, p. 47 207 Ibid, p.50 affaire à une image faisant entrevoir l’unité d’un complexe imaginaire qui peu à peu est venu s’organiser autour de la femme 209». 209 KITTANG Atle, D’amour de poésie…, op.cit., p. 61.

Par conséquent, même si le désespoir est bien présent chez les deux poètes, leur poésie ne peut pas être considérée, à nos yeux, pessimiste. L’espoir ne s’est pas éteint, ni pour l’un ni pour l’autre. Ils gardent leur espérance, tout en ayant un accomplissement personnel et non pas un accomplissement de la communauté ou bien du parti politique. De ce point de vue, on dirait qu’Anagnostakis et Éluard sont les vainqueurs d’une résistance qui s’est avérée à la fin ratée ; des vainqueurs étant donné leur investissement personnel important qui nécessite une motivation sans failles pour parvenir à succomber aux pièges des échecs et des déroutes.

A travers ce travail, nous avons étudié des notions très fortes qu’on peut dégager de deux œuvres, à savoir l’espérance, le temps, la mémoire, la désillusion. Elles sont des notions qui étaient délibérément choisies vu leur liaison à la politique et à la résistance. Elles ont été traitées dans des chapitres à part, malgré l’interdépendance qu’on peut noter entre elles et leur fusion au sein des poèmes.

La relation étroite entre poésie et politique, entre accomplissement de la révolution et défaite et surtout entre espoir et désespoir nous fait également réfléchir – en vue de nouvelles élections législatives qui se dérouleront prochainement en Grèce – sur l’actualité de la problématique ou, mieux encore, sur la situation actuelle problématique de la politique grecque et de ses coulisses.

Enfin, nous espérons avoir déniché correctement de points de rencontre qui lient les œuvres poétiques de P. Éluard et M. Anagnostakis autant que leurs profils de poètes engagés, résistants et soucieux de l’avenir. Certes, nous constatons qu’après tout, l’axe transversal « politique » qui traverse leurs œuvres ne fait certainement pas preuve d’une affinité parfaite entre eux. Pour conclure, notre étude aurait également pu prendre un autre chemin, ou bien ressortir une analyse plus fidèle à l’esprit cartésien. Cependant « […] on est obligé d’accepter le fait que le poème permet plusieurs et diverses interprétations, qui peuvent être toutes à la fois correctes et légitimes, même si elles semblent être parfois contradictoires, mais aucune entre elles n’est complète, car chacune correspond à une couche différente d’inspiration.210 » 210 DIMARAS K. TH., Essai sur la poésie (1943), Éditions Nefeli, Athènes, 1990, p. 81.

Bibliographie

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ÉLUARD Paul, Poésie interrompue, Éditions Gallimard, 1946 et 1953, 155 pages. ÉLUARD Paul, Choix de poèmes, Éditions Gallimard, 1954, 440 pages. ÉLUARD Paul, Derniers poèmes d’amour, Éditions Seghers, 1963, 190 pages. ÉLUARD Paul, Lettres à Gala (1924 – 1948) Édition établie et annotée par Pierre Dreyfus, Préface de Jean-Claude Carrière, Éditions Gallimard, 1984, 517 pages.

ÉLUARD Paul, Lettres de Jeunesse avec des poèmes inédits, Éditions Seghers, 1962, 222 pages.

ÉLUARD Paul, J’ai un visage pour être aimé, Choix de poèmes 1914-1951, Éditions Gallimard, 2009, 445 pages.

Manolis Anagnostakis

ANAGNOSTAKIS Manolis, La voix basse : le lyrisme d’une époque passée aux vieux rythmes : une anthologie personnelle de Manolis Anagnostakis, Éditions Nefeli, Athènes, 1990, 223 pages.

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ANAGNOSTAKIS Manolis, Les poèmes, 1941-1971, Éditions Stigmi, Athènes, 1995, 186 pages.

ANAGNOSTAKIS Manolis, Mais pourquoi regagne-t-on chaque fois le même endroit sans but (Όµως γιατί ξαναγυρίζουµε κάθε φορά χωρίς σκοπό στον ίδιο τόπο), Éditions Hermès, 2006, 168 pages.

II. Publications consacrées aux auteurs

Paul Éluard

a. Monographies

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DEGERMETZIDIS Simeon, Questions philologiques de la traduction, comparaison des traductions de la poésie de Paul Éluard, Université Aristote de Thessalonique, 1995, 206 pages.

DIDIER Beatrice, Manuscrits surréalistes : Aragon, Breton, Éluard, Leiris, Soupault, Saint-Denis : Presses Universitaires de Vincennes, 1995, 266 pages.

GAUCHERON Jacques, Paul Éluard ou la fidélité à la vie : essai, Éditions Le Temps des Cerises, Toulouse, 1995, 309 pages.

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KITTANG Atle, D’amour de poésie : essai sur l’univers des métamorphoses dans l’œuvre surréaliste de Paul Éluard, Éditions Lettres Modernes, Paris, 1969, 118 pages.

MINGELGRÜN Albert, Essaie sur l’évolution esthétique de Paul Éluard : Peinture et langage, Éditions L’Age d’Homme, 1977, 285 pages.

PARROT Louis / MARCENAC Jean, Poètes d’aujourd’hui : Paul Éluard, Éditions Pierre Seghers, 1955, 275 pages.

PERCHE Louis, Éluard, Éditions Universitaires, Paris, 1963, 123 pages. RITSOS Yannis, Essais : Mayakovsky, Hikmet, Ehrenburg, Éluard, « Témoignages », « Loge », Éditions Kedros : Athènes, 1974, pp. 74-106.

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TSATSAKOU Athanasia, La transparence en tant qu’engagement éthique et esthétique : La Grèce dans l’œuvre de Paul Éluard, Université de Thessalie, Volos, 1996, 24 pages.

TSATSAKOU Athanasia, La terre-ciel de Paul Éluard : une surréalité : l’image, moyen de la création chez Paul Éluard (transcendance et prolificité), Université Aristote de Thessalonique, 1990, 493 pages.

TSATSAKOU Athanasia, Paul Éluard : le rêve et la vie, Université Aristote de Thessalonique, 1975, 115 pages.

VANOYEKE Violaine, Paul Éluard - Le poète de la liberté, Éditions Julliard, 434 pages.

b. Recueils collectifs

GUEDJ Colette, Eluard a cent ans : Actes du colloque de Nice - janvier 1996, Les mots la vie revue sur le surréalisme No 10, Éditions L’Harmattan, 1998, 428 pages.

Manolis Anagnostakis

a. Monographies

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ANAGNOSTAKIS Manolis, Les complémentaires : notes de critique, Éditions Stigmi : Athènes, 1985, 173 pages.

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ARGYRIOU Alexandros, Manolis Anagnostakis : signifiés de sa poésie, Éditions Gavriilidis, Athènes, 2004, 230 pages.

BALASKAS Kostas, Littérature et Education : connaissance et lecture des textes littéraires, Éditions Epikairotita, Athènes, 163 pages.

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DALLAS Yannis, Grand Angle :essais pour la poésie et la prose, Éditions Nefeli, 2000 : Athènes, 269 pages.

DALLAS Yannis, Manolis Anagnostakis : Poésie et idéologie, Éditions Kedros, Athènes, 2007, 266 pages.

KARADIMITRAKI Eleni, Discours intercalé dans ‘Poèmes, 1941-1971’ de Manolis Anagnostakis, Université Aristote de Thessalonique, 1998, 303 pages. KENTROU-AGATHOPOULOU MARIA, Souvenirs d’Heptapyrgion : le cas du poète Manolis Anagnostakis, Centre d’histoire de la municipalité Sykeon, Thessalonique, 2005, 115 pages.

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BOUKALAS Pantelis, Journal « Kathimerini », Poésie sépulcrale de Manolis Anagnostakis [en grec, en ligne], publié le 28 juin 2005, consulté le 29 avril 2012, disponible sur http://news.kathimerini.gr/4dcgi/_w_articles_civ_221714_28/06/2005_148513

DAFERMOU Katerina, Journal « To Vima », Anagnostakis inédit en première projection – Documentaire comprenant matériel inédit sur la vie du poète aux ‘Coulisses’ de ET1 [en grec, en ligne], consulté le 4 mai 2012, disponible sur http://www.tovima.gr/culture/article/?aid=203460

MARKOPOULOS Giorgos, «Epoques et Suites» [en grec, en ligne], dans le magazine Bibliothèque, partie du journal Eleftherotypia, daté du 30 novembre 2001, consulté le 2 juin 2012, disponible sur http://archive.enet.gr/online/online_issues?pid=51&dt=30/11/2001&id=73029836

VAILAKIS Georges, « Manolis Anagnostakis : La conscience d’une génération » [en grec, en ligne], consulté le 5 mai 2012, disponible sur http://www.ethnos.gr/article.asp?catid=22784&subid=2&pubid=4358808

VARON-VASSARD Odette, «Anagnostakis au „Début”» [en grec, en ligne], dans le magazine Επτά Ηµέρες, partie du journal Καθηµερινή daté du 4 décembre 2005. Consulté le 2 juin 2012, disponible sur http://www.kathimerini.gr/4dcgi/_w_articles_kathglobal_879170_04/12/2005_1284873

ZENAKOS Avgoustinos, Grammos-Vitsi août 1949 [en grec, en ligne], dans le journal «Το Βήµα» (« La Tribune »), daté du 29 juin 2003, consulté le 3 mai 2012, disponible sur http://www.tovima.gr/relatedarticles/article/?aid=152344

III. Ouvrages critiques généraux

a. Ouvrages historiques

APOSTOLIDIS Renos Iraklis, Anthologie de la littérature néohellénique – Poésie – érudite et populaire depuis le Moyen Age et jusqu’à nos jours (Ανθολογία της Νεοελληνικής Γραµµατείας- Ποίηση- Λόγια και Δηµοτική από τον Μεσαίωνα ως τις Μέρες µας), Tome A, Éditions Ta Nea Ellinika, sd (première édition en 1933), 568 pages.

ARGYRIOU Alexandros, L’histoire de la littérature grecque et son adjonction pendant les années de la démocratie instable (1950-1956) [Ιστορία της ελληνικής λογοτεχνίας και η πρόσληψή της στα χρόνια της επισφαλούς δηµοκρατίας (1950-1956), Tome E, Éditions Kastanioti, 2005, 340 pages.

ARGYRIOU Alexandros, L’histoire de la littérature grecque et son adjonction pendant les années de l’expansion à l’improviste (1957-1963) [Ιστορία της ελληνικής λογοτεχνίας και η πρόσληψή της στα χρόνια της αυτοσχέδιας ανάπτυξης (1957-1963), Tome F (Τόµος Στ’), Éditions Kastanioti, 2005, 472 pages.

BASCH Sophie, Le mirage grec : la Grèce moderne devant l'opinion française depuis la création de l'Ecole d'Athènes jusqu'à la guerre civile grecque (1846-1946), Paris Athènes : Hatier, 1995, 541 pages.

BEATON Roderick, An introduction to , Oxford: Clarendon, 1999, 420 pages.

BREE Germaine et MOROT-SIR Edouard, Histoire de la littérature française ; du surréalisme à l’empire de la critique, Paris, Éditions Flammarion, 1996, 597 pages.

CLOGG Richard, A Concise History of , Cambridge University Press, 1992, 291 pages.

DALÈGRE Joëlle, La Grèce depuis 1940, Paris, L’Harmattan, 2006, 245 pages. KARATZAS Nikos, Les poètes de Thessalonique, 1930-1980, Thessalonique : Éditions Epilogi, 1981, p. 1-20, 64-70.

MAZOWER Mark, Dans la Grèce d'Hitler : 1941-1944, (trad. de Charalampos Orfanos Traduit de Inside Hitler's Greece : the experience of occupation, 1941-44), Paris : Les Belles Lettres, 2002, 478 pages.

MENTI Dora, Poésie politique de l’après guerre : idéologie et poétique, Athènes : Kedros, 1995, 315 pages.

VITTI Mario, « L’épreuve de la Seconde Guerre mondiale et la littérature de l’après-guerre » in Histoire de la littérature néo-hellénique, Éditions Odyssée, 1992, Athènes, pp. 414-436.

b. Les avant-gardes historiques et le surréalisme

BRETON André, Manifestes du surréalisme, Éditions Gallimard, 1965, 188 pages. BÜRGER Peter, Theory and History of Literature, t. IV, Theory of the Avant-Garde, University of Minnesota Press, 1984, 99 pages. CHÉNIEUX-GENDRON Jacqueline, Le Surréalisme, Presses Universitaires de France, 1984, 256 pages.

DUROZOI Gérard, Histoire du mouvement surréaliste, Éditions Hazan, Paris 2004, 712 pages.

NADEAU Maurice, Histoire du surréalisme [1997], Éditions du Seuil, 1964, 498 pages. POGGIOLI Renato, Teoria dell’arte d’avanguardia, Bologna: Società editrice il Mulino, 1962, 257 pages.

WALDBERG Patrick, Le Surréalisme, Éditions d’Art Albert Skira, Génève, 1962, 133 pages.

c. Poésie et politique

ENZENSBERGER Hans Magnus, « Weltsprache der modernen Poesie », Einzelheiten II Poesie und Politik, Éditions Suhrkamp, 1984.

KING Alasdair, Hans Magnus Enzensberger - Writing Media Democracy, Éditions Peter Lang, 2007 (Chapitre 3, The plebiscite of the consumers: Einzelheiten and the politics of popular culture), 357 pages.

MARONITIS Dimitris, La conscience morale poétique et politique : la première génération de l’après guerre : Alenandrou, Anagnostakis, Éditions Kedros, 1984, Athènes, 126 pages.

VITTI Mario, La génération de 1930 – Idéologie et Forme, Hermès, Athènes, 2006, 335 pages.

d. Philosophie

BONNET Marguerite, Adhérer au Parti communiste ? Septembre-décembre 1926, Éditions Gallimard, 1992, 119 pages.

MARGUIN Louis, Poésie et liberté, Lyon : Presses universitaires de Lyon, 1986, 289 pages.

SARTRE Jean-Paul, Qu’est-ce que la littérature?, Éditions Gallimard, 1948 (Chapitre IV : Situation de l’écrivain en 1947), 374 pages.

SCHUMACHER Bernard N., Une Philosophie de l'espérance: la pensée de Josef Pieper dans le contexte du débat contemporain sur l'espérance, Saint-Paul, 2000, 281 pages.

THIRION André, Révolutionnaires sans révolution, Éditions Robert Laffont, 1999, 899 pages.

IV. Autres ouvrages mentionnés ou utilisés

a. Dictionnaires

BABINIOTIS Georges, Dictionnaire de la langue grecque moderne, 3ème édition, Athènes : Centre de lexicologie, 2008, 2032 pages.

PARISIS Ioannis et Nikitas, Dictionnaire des termes littéraires [en grec], Éd. Pataki, Organisme de l’édition des manuels éducatifs, Athènes, 2007, 238 pages.

Nouveau dictionnaire français-grec moderne (Νέο γαλλο-ελληνικό λεξικό). Nouveau dictionnaire grec moderne-français (Νέο ελληνο-γαλλικό λεξικό), en 2 volumes, édité par T.A. Rosgovas, Athènes, Publications Hélleniques, 1989, XXII-681 et XXXVII-649 pages respectivement.

Le Robert pour tous, Dictionnaire de la langue française, édité par Le Robert, Nouv. Éd. 15 août 1998, 1275 pages.

b. Autres sources

BEAUD Michel, L’art de la thèse, Éditions la Découverte, 2006, 202 pages.

Bibliographie commentée :

 Corpus et autres ouvrages mentionnés ou utilisés

BASCH Sophie, Le mirage grec : la Grèce moderne devant l'opinion française depuis la création de l'Ecole d'Athènes jusqu'à la guerre civile grecque (1846-1946), Paris Athènes : Hatier, 1995, 541 pages.

Quoiqu’il213 Il s’agit de ne quatre concerne procès pas-verbaux directement d’assembl leé esdomaine retrouvé slitt danséraire, les archives cet ouvrage de Breton. me semble pertinent pour mon sujet puisqu’il comporte une présentation détaillée de l’opinion française vis-à-vis des événements historiques de la Grèce contemporaine. « L’Epilogue » est le chapitre qui m’intéresse le plus qui se concentre sur la deuxième guerre mondiale et la guerre civile. On apprend que la France émue par la guerre civile, comme elle l’était pour l’héroïsme grec pendant la Résistance, ne va pas manifester sa solidarité ni ouvertement ni unanimement à cause des raisons politiques évidentes. « Le seul écrivain français vraiment présent lors de la guerre civile sera le poète Paul Éluard. Dès les premiers signes de déchirement intérieur, en décembre 1944, il réagit en écrivant le poème Athéna. » On apprend qu’en dehors de la visite du poète français aux partisans de l’armée démocratique retranchés sur le mont Grammos dans le nord de la Grèce et son appel à la réconciliation, l’intérêt de la France demeura discret.211

BREE Germaine et MOROT-SIR Edouard, Histoire de la littérature française ; du surréalisme à l’empire de la critique, Paris, Éditions Flammarion, 1996, 597 pages.

Cet ouvrage m’a offert un panorama de la littérature française, ses générations poétiques et notamment celle qui est née au tournant du siècle, entre 1895 et 1903, qui était constituée de novateurs. Il s’agit d’un ouvrage général qui aide à placer la génération d’Éluard et le poète lui-même dans un contexte bien plus large, afin d’avoir un panorama de la littérature française du dernier siècle, présentée à travers l’orientation et l’impulsion que le passé récent lui ont données. Concernant Éluard, on apprend qu’ « il a tout autant su par ses poèmes exalter les sentiments le plus simples, que l’amour de la liberté et l’espérance politique. » 212 L’ouvrage dans sont ensemble fut le premier à avoir consulté afin de bien entamer mon travail.

BONNET Marguerite, Adhérer au Parti communiste ? Septembre-décembre 1926, Éditions Gallimard, 1992, 119 pages.

Il s’agit d’un ouvrage qui fait partie des archives du surréalisme213 et porte sur un moment pendant lequel on discute le problème de l’adhésion au Parti communiste. Le compte rendu de la séance du 23 novembre 1926 est le plus important pour ma

211 BASCH Sophie, Le mirage grec : la Grèce moderne devant l'opinion française depuis la création de l'Ecole d'Athènes jusqu'à la guerre civile grecque (1846-1946), Paris Athènes : Hatier, p.477 212 BREE Germaine et MOROT-SIR Edouard, Histoire de la littérature française ; du surréalisme à l’empire de la critique, Paris, Éditions Flammarion, 1996, p.417. recherche puisque pendant cette séance tous les présents, dont Éluard, fixent leur position non seulement face au communisme mais face au surréalisme aussi. Ils répondent à la question de l’adhésion au Parti communiste et aux autres sujets qui en découlent (comment y adhérer, en bloc ou individuellement, comment procéder, renoncer aux activités purement surréalistes et s’engager complètement dans le militantisme ou pas etc.) Du coup, le profil d’Éluard est très bien esquissé à partir de ses interventions, on dirait rares si on les met en parallèle avec celles des autres, mais certaines et solides.

GUEDJ Colette, Eluard a cent ans : Actes du colloque de Nice - janvier 1996, Les mots la vie revue sur le surréalisme No 10, Éditions L’Harmattan, 1998, 428 pages.

Un des plus riches ouvrages que j’ai pu consulter qui comprend un grand nombre d’études qui ont été faites sur Éluard, majoritairement comportée par les communications présentées au Colloque international de Nice en 1996, ainsi que d’autres. Son approche littéraire sera indispensable pour mon travail afin de ne pas rester sur un plan purement biographique. Des « aspects du discours amoureux dans la poésie d’Éluard » jusqu’aux « Variations sur Éluard » j’au pu approfondir mes connaissances à travers l’examen de ses procédures d’écriture et la stylistique. Dans la seconde partie du volume la communication de Christian Arthaud « Absences de Paul Éluard ? Les poètes contemporains face à l’œuvre d’Éluard » m’a donné un aperçu de la postérité du poète français auprès des poètes contemporains même si c’était sous forme d’entrevues avec les poètes.

JEAN Raymond, Éluard, Éditions du Seuil, 1968 et avril 1995, 220 pages. Le premier ouvrage très générique sur le poète français que j’ai lu et qui m’a cependant permis d’avoir un aperçu clair et détaillé de la vie d’Éluard dès sa naissance. L’auteur divise son livre dans sept chapitres et traite globalement toutes les phases de la vie de l’auteur, de la période de sa vie dite « surréaliste », jusqu’à la période de sa poésie de combat et sa mort. « La parole politique » (p. 124-147) représente un chapitre particulièrement intéressant pour mon sujet, dans lequel Raymond à l’aide des lettres du poète destinées à ses parents et se proches, des extraits des poèmes et des explications de lui-même explique le progrès de son action si militante. La partie de la chronologie et de la bibliographie établie par Christophe Crime dans les annexes fut également très utile.

MAZOWER Mark, Dans la Grèce d'Hitler : 1941-1944, (trad. de Charalampos Orfanos Traduit de Inside Hitler's Greece : the experience of occupation, 1941-44), Paris : Les Belles Lettres, 2002, 478 pages.

Pour bien comprendre l’atmosphère politique et historique de la Grèce sous l’occupation allemande il me fallait un ouvrage historique. Cela parce que la première génération des poètes d’après guerre émerge en Grèce en 1945, étant inspiré par la frayeur quotidienne de la guerre. La deuxième partie de l’ouvrage, consacrée à la Résistance et son organisation, fut la plus utile. A travers cet ouvrage nous arrivons à discerner les difficultés économiques et sociales qui vont de pair avec l’avant-scène politique de l’époque.

PERCHE Louis, Éluard, Éditions Universitaires, Paris 1963, 123 pages.

Il221 s’agitPar le biaisd’un de ouvrage l’écriture lapidaire automatique et utile surtout grâce à son deuxième chapitre intitulé « Idéalisme » (p.33-45) au cours duquel l’auteur décrit comment Éluard cède à l’attrait de l’élément idéal. A travers la poésie d’Éluard qui consiste-t-elle même on dirait une leçon d’idéalisme, nous remarquons un effort récurent du poète vers la délivrance214. Ceci est démontré par l’auteur, à l’aide de quatre vers215 au début et puis au moyen de différents extraits des ses poèmes. Quelques éléments de la poésie éluardienne liés à l’idéalisme, sont juxtaposés, l’amour est présenté en tant que la chair de ses poèmes, et le spiritualisme qui les parcourut semble plus clair. Cette analyse nous aide à apercevoir les différences entre la poésie d’Éluard et d’Anagnostakis, la première étant plus métaphorique et caractérisée par un idéalisme « toujours aussi sincère et aussi pathétique »216 et la deuxième étant plus militante et on dirait même « crue ».

SARTRE Jean-Paul, Qu’est-ce que la littérature?, Éditions Gallimard, 1948 (Chapitre IV : Situation de l’écrivain en 1947), 374 pages.

Cet ouvrage générique de Jean-Paul Sartre comprend un chapitre qui nous intéresse indéniablement : La Situation de l’écrivain en 1947. En d’autres termes, Sartre évoque la littérature contemporaine217. Par le substantif « écrivain » Sartre entend l’écrivain français.

Afin de faire un tableau de la littérature contemporaine, il distingue trois générations ; la première est celle des auteurs qui ont commencé de produire avant la guerre de 1914 et ont achevé leur carrière dans les années 40. Il s’agit des auteurs qui paraissent à Sartre « avoir réalisé en leur personne et par leurs œuvres l’ébauche d’une réconciliation entre la littérature et le public bourgeois218 ». Il s’agit pour la plupart d’entre eux, des auteurs qui ont tiré leurs ressources de tout autre chose que la vente de leurs écrits219. Maurois, Duhamel, Romains, Claudel, Giraudoux, Gide, Mauriac et Proust appartiennent à cette génération. Les surréalistes appartiennent à la deuxième génération, celle qui nous intéresse : Elle vient à l’âge d’homme après 1918 et elle fut d’après l’auteur « un feu d’artifice220 ». Sartre présente le surréalisme qui repousse « l’idée bourgeoise du travail », propose la destruction de la subjectivité221, et détruit en même temps l’objectivité. D’après Sartre, il ne s’agit plus de s’évader hors de la classe

214 PERCHE Louis, Éluard, Éditions Universitaires, Paris 1963, p.36. 215 « Tous les chemins mènent à ta beauté/ Tous les chemins mènent à ton amour/A travers nos gestes et leur ombre, à travers notre vie/Vois, le ciel a coulé jusqu’à nous. Le voici » 216 PERCHE Louis, op. cit., p. 44. 217 Etant donné que l’ouvrage était publié l’année suivante (1948) 218 Jean-Paul Sartre, Qu’est-ce que la littérature?, Éditions Gallimard, 1948, page 211. 219 ibid. p. 211. 220 ibid. p. 219. bourgeoise mais il faut « sauter hors de la condition humaine »222 Ensuite, il examine l’aspect politique du mouvement lorsque ce dernier se déclare révolutionnaire et tend la main au parti communiste : il discute le fait que le lien du surréalisme avec le prolétariat soit indirect et abstrait puisque les surréalistes eux-mêmes n’ont aucun lecteur dans le prolétariat223. Leurs déclarations révolutionnaires demeurent ainsi purement théoriques. Sartre souligne que, par conséquent, les surréalistes « demeurent les parasites de la classe qu’ils insultent, leur révolte demeure en marge de la révolution 224». La troisième génération est « la nôtre »225 note Sartre, celle qui commence à écrire peu avant la guerre.

222 Jean-Paul Sartre, op. cit., p. 226. 223 Bien au contraire, leur public se trouve dans la bourgeoisie cultivée. 224 Jean-Paul Sartre, op. cit., p. 232. 225 ibid. p. 347. 226 Athanasia Tsatsakou, La Grèce comme espace-temps chez Paul Éluard, L’Harmattan, 2000, page10.

Enfin, l’ouvrage du philosophe français peut bien évidemment nous servir dans son ensemble. Nous avons une analyse philosophique de l’écriture, de la définition jusqu’à la raison de l’écriture et la situation des écrivains en France de la première moitié du XXe siècle, dont Paul Éluard fait partie.

THIRION André, Révolutionnaires sans révolution, Éditions Robert Laffont, 1999, 899 pages.

Il s’agit d’un ouvrage qui comporte quatre chapitres qui présentent un intérêt particulier pour mon sujet : VI- Le mirage de la Révolution (p.145-160), XVII- Le surréalisme au service de la Révolution (p.440-478), XXIII- Le Front populaire (p.676-724) et XXVI- Le prix de la liberté (p.841-899). Ce qui m’a attiré dans cet ouvrage et qui m’a incité de le placer dans la bibliographie commentée, c’est la touche personnelle ajoutée par André Thirion, combattant de la Résistance, qui au sein du Parti communiste, a connu de près les surréalistes français. Nous avons, certes, un récit qui présente les événements historiques dès les années 1920 jusqu’à la montée du fascisme français en 1936 et puis la fin de la guerre, mais sous un regard plus personnel qui esquisse les relations et les interventions d’Éluard, ses tâches dans le Parti communiste et ses réactions qui nous dévoile un poète sous un autre angle.

TSATSAKOU Athanasia, La Grèce comme espace-temps chez Paul Éluard, L’Harmattan, 2000, 110 pages.

Un ouvrage qui n’est pas forcement pertinent pour notre sujet mais qui constitue la seule étude existante portant sur la relation d’Éluard avec la Grèce à travers ses poèmes. Il peut paraître utile pour l’étude approfondie du poète français dans les poèmes duquel nous pouvons retracer la Grèce en tant qu’élément récurrent qui représente une infrastructure géographique, historique, mythologique ou culturelle toujours « chargée d’intensité émotionnelle 226». L’étude de l’auteur, ancienne professeure de littérature française et vice-recteur de l’Université Aristote de Thessalonique, vise à analyser le chronotope Grèce et ses variantes à l’aide de la deuxième édition du recueil Grèce ma rose de raison227, parue en 1949. Tsatsakou fait une analyse à travers d’une lecture parallèle des poèmes d’Éluard et ceux des partisans grecs, qui ont tous le thème commun du mépris de la mort. Elle en déduit que le titre du recueil « condense la “conversion grecque” du moi créateur228». Cependant, plus que ses conclusions sur le « moi créateur » éluardien et la « Grèce transformatrice », c’est ses étapes d’analyse poétique qui m’ont intéressées qui constituent un bon exemple méthodologique.

227 À la réserve de ses huit poèmes, Éluard ajoute au recueil des poèmes du même nombre, écrits par K. Yannopoulos et F. Astéris, tous les deux partisans grecs qui furent exécutés en 1948, après plusieurs années d’emprisonnement. 228 Athanasia Tsatsakou, op. cit., p. 103. 229 En effet, la poésie de la première génération d’après guerre en Grèce est fortement marquée par un ton existentialiste à travers l’interrogation constante sur le sens de leurs propres vies. 230 VANOYEKE Violaine, Paul Éluard - Le poète de la liberté, Éditions Julliard, p. 314.

VANOYEKE Violaine, Paul Éluard - Le poète de la liberté, Éditions Julliard, 434 pages.

Un ouvrage purement biographique qui m’a donné un aperçu très détaillé sur la vie du poète français, notamment sur les périodes de son service actif, sa rupture avec Breton et son édition sous l’Occupation. Tout au long du livre, on suit de près les démarches du poète vis-à-vis aux événements historiques et ceux qui se déroulent au sein du cercle surréaliste. Un sous-chapitre intitulé «L’existentialisme » (p.314-315) m’a paru intéressant à cause du fait que les poèmes d’Anagnostakis sont connus pour leur dimension existentielle229. L’auteure affirme qu’Éluard s’intéresse à l’existentialisme mais qu’il n’en fait pas partie même si le courant en question « reprend les objectifs qui lui sont chers : la liberté, la solidarité, l’engagement des intellectuels 230». Enfin, si ce livre se distingue des autres livres générales et biographiques, c’est qu’il comporte en annexes les textes d’Éluard dans les revues et les journaux par ordre chronologique.

 Ouvrages critiques en lien avec le corpus

i) Ouvrages généraux sur les avant-gardes historiques

BÜRGER Peter, Theory and History of Literature, t. IV, Theory of the Avant-Garde, University of Minnesota Press, 1984, 99 pages.

L’ouvrage de Peter Bürger est un des œuvres les plus importantes qui a fortifié le débat sur les avant-gardes historiques et le post-modernisme. Ses théories débattues ont provoqué une forte réaction et des critiques violentes. La question centrale porte sur le sens et la définition du terme avant-garde. Peter Bürger analyse l’idée selon laquelle l’avant-garde se distingue du modernisme. Un autre argument prépondérant dans l’ouvrage est le fait que nous devons concevoir le concept du terme avant-garde en tant que « connaissance »231 des pièges du modernisme et une sorte d’attaque sur les institutions dominantes de l’art et la littérature.

231 awareness 232 «The automatic texts also should be read as guides to individual production. But such production is not to be understood as artistic production, but as part of a liberating life praxis. This is what is meant by Breton’s demand that poetry be practiced (pratiquer la poésie). » Peter Bürger, Theory and History of Literature, t. IV, Theory of the Avant-Garde, University of Minnesota Press, 1984, page 53.

233 ibid. p. 90.

Bürger expose ses réflexions préliminaires sur la science de la critique littéraire, il analyse le problème de l’autonomie de l’art dans la société bourgeoise et il aborde l’œuvre de l’art avant-gardiste. D’après lui, le but de l’avant-garde devrait se concentrer sur la réintégration de l’art dans la vie. Le théoricien allemand se réfère également à l’écriture automatique, qui a été utilisée par les surréalistes comme un mode de création littéraire, permettant de s'émanciper de l'étroitesse de la pensée régie par la raison. Il exprime son point de vue, selon lequel ce type de production littéraire doit être lu en tant que « guide pour la production individuelle232. »

Bürger repose ses théories sur la pensée de Théodore Adorno et il situe son argument dans le contexte de la pensée contemporaine. Selon Bürger, le modernisme est principalement concerné par le développement et l'évolution du style formel de l'art et la littérature, qui est une continuation et une répétition du passé. L'idée de détruire les institutions d'art que le modernisme avait idéologiquement renforcé était impraticable et aurait pour résultat la destruction de l'art lui-même. Il s'agit de la caractéristique cardinale de la modernité, qui est la conviction que la valeur de l'art comme «grand art» est déterminée par sa distance et de la transcendance de la culture de masse.

Bien que son travail ait été très influent puisqu’il a aidé à tracer la voie vers le post-modernisme, il ya eu de nombreuses critiques concernant sa théorie de la séparation radicale entre la modernité et l'avant-garde. Bürger, voit la modernité comme un «phénomène réactionnaire», fait qui la rend conservatrice. Cette conception de la modernité a été promulguée par Clement Greenberg. Son opinion concernant l'avant-garde, c'est qu'il s’agit d’une rupture radicale et un changement de la vision du monde.

Contrairement à Poggioli qu’on examinera par la suite, le critique littéraire allemand Peter Bürger suggère que, complice avec le capitalisme, «l'art en tant qu'institution neutralise le contenu politique du travail individuel. 233»

POGGIOLI Renato, Teoria dell’arte d’avanguardia, Bologna: Società editrice il Mulino, 1962, 257 pages. Il s’agit d’un des ouvrages les plus importants sur la théorie de l’avant-garde, à travers lequel l’essayiste italien examine les aspects historiques, sociaux, psychologiques et philosophiques de l'avant-gardisme en allant au-delà des cas individuels de l'art, la poésie et la musique.

Premi235 Andrèrement,é Breton, Poggioli Manifeste fait du Surrla distéalismeinction, Éditions entre du l’avant Sagittaire-garde, 1924 artistique (réédité en et1929 l’avant) -garde politique. Il classifie les avant-gardes selon quatre dispositions conceptuelles : le Nihilisme, l’Agonisme (l’esprit du sacrifice), le Futurisme (le présent subordonné au futur), et la Décadence. Il disserte sur les stéréotypes de l’avant-garde, l’élite intellectuelle (qui forme le public de cette dernière) et les avant-gardes dans le domaine politique. Lors de l’examen de relations entre l’art et la société, il évoque l’aliénation et ses formes : l’aliénation économique et culturelle, esthétique et stylistique. Ensuite, dans le chapitre suivant intitulé La Technologie et l’avant-garde il développe une autre catégorie qui dérive de tous les susmentionnés : il s’agit de l’expérimentalisme, une des caractéristiques prépondérantes de l’art avant-gardiste.234 Poggioli continue à développer ses idées sous forme d’une chaîne des concepts qui sont fortement liés l’un à l’autre. Il conclut son essai avec une brève enquête historiographique sur les avant-gardes.

Le critique littéraire italien est convaincu que tous les aspects de la culture moderne ont été touchés par l'art d'avant-garde. Il explore la relation entre l'avant-garde et de la civilisation. Les parallèles historiques et des exemples modernes de tous les arts sont utilisés pour montrer comment l'avant-garde est à la fois symptôme et cause de beaucoup de grandes tendances extra-esthétiques de notre temps.

Tout comme l’ouvrage de Bürger, La Théorie de l’avant-garde de Poggioli doit être lue attentivement étant donné que le groupe des Surréalistes s’est formé à partir de l’esprit de révolte qui caractérise les avant-gardes européennes des années 20.

ii) Ouvrages généraux sur le surréalisme

BRETON André, Manifestes du surréalisme, Éditions Gallimard, 1965, 188 pages.

J’ai décidé de placer cet ouvrage dans la bibliographie commentée car tout en étant l’ouvrage théorique prépondérant du surréalisme, il peut servir à la compréhension et analyse des poèmes de l’écrivain français choisi. Cet ouvrage regroupe deux textes de Breton, chef de file du mouvement surréaliste et ami intime de Paul Éluard, le premier étant le Manifeste du surréalisme235 et le deuxième le Second manifeste du

234 « É evidente infatti che il singolo stimolo insito a ciascuna di queste categorie può bastare da solo a indurre l’artista d’avanguardia ad esercitare tale attavità sperimentale. » Renato Poggioli, Teoria dell’arte d’avanguardia, Bologna: Società editrice il Mulino, 1962, page 151. surréalisme236. Breton dessine ici une théorie de l'expérience esthétique qui a bouleversé tous les domaines de la création au XXème siècle et notamment le domaine littéraire qui nous intéresse. Il s’agit d’un ouvrage particulièrement intéressant puisqu’ il comporte une véritable réflexion théorique sur le surréalisme et l'écriture automatique, que Breton expérimente à la même époque dans les Champs magnétiques237. Dans cet ouvrage, Breton définit le surréalisme238 et nous dévoile son attitude anticonformiste, une des caractéristiques majeures de l’écrivain surréaliste, que l’on va retrouver dans les poèmes d’Éluard. Dans le premier manifeste, le chef de file du mouvement cherche à montrer qu'il est nécessaire de libérer l'imagination de l'homme, exploiter le rêve et faire pénétrer les œuvres littéraires de merveilleux. Nous observons cette première tentative de Breton d’expliquer sous quelles conditions l’écrivain surréaliste a entamé sa révolution. Il trouve des traces de surréalisme dans chaque grand génie, et montre en quoi les surréalistes d'à présent sont plus surréalistes que les autres. D’après lui, ceux qui ont trop d'imagination et qui passent outre aux considérations pratiques, sont enfermés. Le surréaliste doit passer par des lieux dangereux afin de trouver la vraie vie et non pas pour échapper au monde. Breton se laisse aller à quelques mystifications, en même temps qu'il propose de véritables techniques surréalistes: composition d'un texte, d'un discours. Il revendique une évolution des textes surréalistes, qui est pour lui possible. Dans cet ouvrage, Breton commente certains aspects fondamentaux du surréalisme, qui se révèlent pertinents pour notre projet. Il affirme que le langage surréaliste peut être source de connaissance et qu’il est à son mieux dans le dialogue, où il ressemble à certains états pathologiques. Ensuite, le Second manifeste évolue lui vers un ton beaucoup plus agressif et des propos qui viennent refléter les tensions vives au sein du groupe surréaliste à la fin des années 20. Il revient notamment sur les relations entre surréalisme et marxisme et affirme « le principe du matérialisme historique ».239

236 Lequel paraît cinq ans après la publication du premier, en septembre 1929, et qui sera ensuite réédité en 1946. 237 Un recueil de textes en prose, écrit à partir de l’écriture automatique et publié en mai 1920. 238 «Automatisme psychique pur par lequel on se propose d'exprimer, soit verbalement, soit par écrit, soit de toute autre manière, le fonctionnement réel de la pensée. Dictée de la pensée, en l'absence de tout contrôle exercé par la raison, en dehors de toute préoccupation esthétique ou morale.» 239 «Notre adhésion au principe du matérialisme historique…il n’y a pas de moyen de jouer sur ces mots. Que cela ne dépende que de nous […] et nous nous montrerions capables de faire, au point de vue révolutionnaire, tout notre devoir.» André Breton, Manifestes du surréalisme, Éditions Gallimard, 1965, page 98.

CHÉNIEUX-GENDRON Jacqueline, Le Surréalisme, Presses Universitaires de France, 1984, 256 pages.

Le Surréalisme de Jacqueline Chénieux-Gendron est un ouvrage qui dévoile le surréalisme sous son aspect international, en étant à la fois lapidaire et explicatif. Il comprend l’histoire du mouvement et sa théorisation progressive. Chénieux-Gendron débute par l’année 1919, date de l’écriture des Champs Magnétiques par André Breton et Philippe Soupault et arrive jusqu’en 1969, date de la dissolution du groupe par lui- même240. Après avoir situé la naissance du mouvement surréaliste dans le courant poétique et pictural du symbolisme, elle rappelle que le rôle auquel se dédie le surréalisme dans ces dernières décennies est de «s’élever contre la ‘dissolution’ de l’esprit et redonner à la conscience individuelle une fonction participative241».

240 Trois ans après la mort du poète Breton. 241 Jacqueline Chénieux-Gendron, Le Surréalisme, Presses Universitaires de France, 1984, page 45. 242 Une activité inventée et pratiquée intensément durant la période qui s’étale de 1919 à 1923 ibid. p. 67. 243 Qui surgit dans les textes littéraires après 1930, sous la plume de Breton 244 Jacqueline Chénieux-Gendron, op. cit., p. 195. 245 A partir de l’été 1935 246 Jacqueline Chénieux-Gendron, op. cit., p. 195. 247 Le mouvement trotskyste naît en France en 1924, en même temps que l’opposition communiste en URSS. 248 Jacqueline Chénieux-Gendron, op. cit., p. 209.

L’auteur consacre également des sous-chapitres à des notions importantes, telles que l’automatisme242, le hasard objectif243 et l’humour noir, qui nous aident tous ensemble à clarifier l’image d’un poète durant la révolution surréaliste. Elle rappelle les conditions d’expérimentation de l’écriture automatique, définies par André Breton dans le Manifeste, et compare l’image et le travail linguistique chez Breton et Eluard. Une fois la théorie de l’image et celle du collage analysées, elle continue avec les années 30 et la guerre, la fondation de la nouvelle revue Le Surréalisme au service de la Révolution (1930) et le départ de Breton pour le Mexique. Après le rapide survol des modèles par rapport auxquels se dresse le surréalisme, Jacqueline Chénieux-Gendron déploie l’éthique de la révolte et du risque, la projection du désir, de l’éros et la conception surréaliste de l’amour.

C’est dans le second chapitre qu’elle va évoquer la politique libertaire et le statut de l’œuvre d’art révolutionnaire. Elle explique ainsi que c’est la revendication de plus de justice sociale qui rapprochera les surréalistes de tous les courants politiques « d’inspiration égalitaire, contestataires de l’ordre établi 244». L’auteur examinera ensuite la position politique des surréalistes, la rupture avec le Partie Communiste Français245, la « séduction de l’anarchisme 246», l’accord avec les marxistes entre 1925-1935 pour arriver enfin à la rencontre avec la pensée trotskyste247. Elle note que « la reconnaissance par le surréalistes du courant trotskyste comme la philosophie politique la plus apte à rendre compte de leur vision du monde est très progressive 248». Il s’agit certainement d’un chapitre qui nous intéresse extrêmement car nous avons un panorama du mouvement surréaliste comme celui a été évolué et fortement lié au politique. Il a formé ainsi à son tour des écrivains engagés ne voulant pas dissocier l’art de l’action politique.

Enfin, l’auteur relève quelques points de repère pour une situation du Surréalisme dans le débat philosophique et psychanalytique. L’ouvrage de Jacqueline Chénieux-Gendron se démontre pertinent pour notre recherche car nous avons cernés de façon précise la définition des concepts principaux et des pratiques du mouvement en combinaison avec les informations historiques qui font tous ensemble un excellent outil de travail. DUROZOI Gérard, Histoire du mouvement surréaliste, Éditions Hazan, Paris 2004, 712 pages.

Ce livre nous offre une vue d’ensemble complète du surréalisme en littérature, philosophie, politique, photographie, cinéma, sculpture et peinture, étant divisé en sept chapitres conformes à l’ordre chronologique. Au long de ces sept chapitres, on trouve tout ce qui a fait la vie agitée du groupe, les revues et les cafés, les manifestes et les expositions, les bagarres et les fêtes. Il couvre l'histoire du surréalisme depuis 1919 jusqu'à la dissolution du mouvement en 1969. L’ouvrage, étant particulièrement explicatif, pourrait nous servir pour la recherche de moindres détails. L’auteur ne se limite pas à la présentation du mouvement surréaliste en France : L'aspect international est fortement présent, de l'Angleterre aux Canaries, du Japon au Mexique, avec des développements importants sur le surréalisme en Belgique et en Tchécoslovaquie.

Outre251 Le 1920 l’aspect est en international,effet l’année de lacet signature ouvrage des foisonne derniers trait égalementés de paix, de le commencementfigures surréalistes de la liquidation peu de connuesla guerre. au grand public. Il examine au fur et à mesure les différentes phases du mouvement, tout en commençant par les premiers coups d’éclat en 1920 et les derniers éclats dadaïstes, en passant par l’adhésion décevante au Parti communiste, les initiatives politiques de 1934 jusqu’à la mort d’André Breton et les interrogations sur la poursuite de l’activité collective. Par le biais des sous-chapitres d’ordre chronologique249 nous avons la possibilité d’examiner une période déterminée250concentrée sur l’activité du mouvement surréaliste.

L'abondante illustration est faite à partir de documents (portraits, groupes, revues, expositions) dont beaucoup sont inédits, et d'œuvres, rassemblés pour rendre compte de l'extraordinaire fertilité du mouvement.

NADEAU Maurice, Histoire du surréalisme [1997], Éditions du Seuil, 1964, 498 pages.

Il s’agit d’un livre qui combine l’histoire et les « preuves », c'est-à-dire les documents surréalistes. Ici, l’écrivain et critique littéraire français présente l’histoire du mouvement surréaliste chronologiquement.

Dans une première partie il se réfère à « l’élaboration » en situant le mouvement surréaliste dans le contexte historique des années 1920251. Ensuite à partir de 1923 et dès lors le deuxième chapitre, nous avons la période héroïque, c'est-à-dire la fondation officielle du mouvement en 1924, les déclarations d’Aragon, Breton, Éluard qui composaient les premières armes et la guerre du Maroc pendant laquelle « les surréalistes sont poussés du côté des révoltés et, dans la métropole, de ceux qui les

249 « Le Surréalisme en 1929 » ; « Le Surréalisme en 1947 » 250 Par exemple la période entre 1934-1937, qui nous intéresse (voir I, page 2) soutiennent : les communistes qui proclament la volonté de faire cause commune avec Abd-el-Krim 252». Dans une troisième partie, Maurice Nadeau expose la « période raisonnante » (1925-1930), qui englobe la crise Naville, l’année des réalisations253, la crise de 1929, et le début de la révolution. Le quatrième et dernier chapitre s’étale chronologiquement de 1930 jusqu’en 1939, en comprenant entre autres l’affaire Aragon, la politique surréaliste, l’art surréaliste et la période de la deuxième guerre mondiale.

252 Maurice Nadeau, Histoire du surréalisme [1997], Éditions du Seuil, 1964, page 86. 253 Il s’agit de 1928 : une année calme dans l’évolution du surréalisme, sans frictions apparentes dans le groupe. Deux œuvres maîtresses du surréalisme apparaissent en cette année : Le Traité du style d’Aragon et Nadja de Breton. 254 Indiqué dans l’avertissement du livre : Maurice Nadeau, op. cit., p. 10.

255 Patrick Waldberg, Le Surréalisme, Éditions d’Art Albert Skira, Génève, 1962, page 20. 256 Le mot « surréalisme » désigna une de ses farces, Le mamelles de Tirésias, du nom de « drame surréaliste ».

Ce qui différencie l’ouvrage de Nadeau des autres susmentionnés, et qui le rend donc indispensable pour le corpus de notre bibliographie, c’est qu’il recueille tous les documents surréalistes dont on connaît l’existence depuis 1924 et jusqu’au 1939, juxtaposés dans une deuxième partie du livre. Nous avons en premier le pamphlet intitulé Un Cadavre, qui était écrit en réaction aux funérailles nationales faites à Anatole France et comprend les textes de Philippe Soupault, Paul Eluard, André Breton et Louis Aragon. La section des documents comporte aussi des publications telles que la lettre aux recteurs des universités européennes, l’adresse au Dalaï-lama, l’adresse au Pape, la lettre ouverte à Paul Claudel, tirées de La Révolution surréaliste du 1925.

Nous avons donc un excellent outil dans nos mains qui nous permet d’une part de repérer les actions des surréalistes par période et de l’autre part de parcourir les documents authentiques qui étaient alors publiés. Le fait que « l’auteur a eu l’occasion d’approcher Breton et ses amis au moment où l’orage de la deuxième guerre mondiale allait se déclencher »254ajoute une raison de plus pour inclure cet ouvrage dans notre bibliographie générale.

WALDBERG Patrick, Le Surréalisme, Éditions d’Art Albert Skira, Génève, 1962, 133 pages.

Waldberg fut lui-même poète surréaliste, et le premier biographe de Max Ernst. Son ouvrage comporte un tableau synoptique du mouvement surréaliste depuis son émergence jusqu’aux années soixante. Il s’agit d’une étude dans laquelle l’art est mis en avant sas être séparé de la poésie et de l’action politique qui l’escorte. Dans un premier chapitre, l’auteur révèle l’état d’esprit surréaliste, qui, durant une vingtaine d’années, « eut une action tantôt corrosive, tantôt libératrice, sur le goût, l’art et les mœurs de notre temps 255». Waldberg ensuite nous informe que le vocable « surréalisme » fut créé par Guillaume Apollinaire256 avant d’esquisser le portrait de Breton lorsque ce dernier avait vingt ans. Puis il situe la tradition avec laquelle le surréalisme a renoué : Si Breton a énoncé le précepte de « la beauté qui sera convulsive ou ne sera pas », c’est qu’il a pris pour modèle Descartes257, Nerval258 et Rimbaud.

257 Dont la « table rase » n’est pas aussi étrangère que l’on croit au souci fondamental des surréalistes 258 Dont maints écrits sont de parfait exemples de textes surréalistes 259 Notamment sur Ernst, Tanguy, Magritte et Dali

260 Patrick Waldberg, op. cit., p. 133. 261 « Η ποίηση που δηµοσιεύεται στο περιοδικό προβάλλει τη νεωτερική γραφή, ανήκει δηλαδή στην πρωτοπορία. Παρ' όλα αυτά, δεν συνοδεύεται από τη συνήθως ελιτίστικη στάση της avant-garde, και σ' αυτό έγκειται η ιδιοµορφία του » Waldberg nous présente la vie de Giorgio de Chirico, dont l’influence sur les peintres surréalistes259 fut considérable. Nous sommes désormais en 1916, une période d’explosion de rage contagieuse en Occident, qui marque la naissance du mouvement de révolte Dada. L’auteur bascule dans le temps afin de nous faire montrer comment Tristan Tzara groupe à Paris tout le monde sous sa bannière, et notamment ceux qui allaient devenir les surréalistes. Les pages qui suivent sont consacrées aux précurseurs qui vinrent se joindre aux surréalistes. Nous avons ainsi une vive présentation de la vie et de l’œuvre de Duchamp, Man Ray, Picabia, Hans Arp qui représentent les artistes dada ayant le mieux contribué à enrichir le surréalisme et dont l’élaboration de leurs œuvres relèvent du hasard et de l’automatisme. Des peintures de ces artistes, entre autres, sont juxtaposées tout au long du texte. Outre les illustrations et le texte, on trouve également un chronogramme avec les dates et les concordances.

Waldberg conclut en disant que le surréalisme n’est pas mort. Il est devenu, certes, « matière précieuse pour les musées et sujet de thèses universitaires »260mais l’esprit surréaliste, espoir et révolte, traduit jusqu’à nos jours un des courants profonds des aspirations humaines.

Il s’agit, enfin, d’un ouvrage qui aide à percevoir tout ce qu'il y a eu de passion dans le surréalisme, et à comprendre pourquoi, après toutes ces années, le feu brûle toujours.

 Articles

VARON-VASSARD Odette, «Ο Αναγνωστάκης στο „Ξεκίνηµα”» [en ligne], dans le magazine Επτά Ηµέρες, partie du journal Καθηµερινή daté du 4 décembre 2005

Un bref article sur la vie d’Anagnostakis, concentré surtout sur la diffusion de sa revue illégale « Le commencement » (1944) ainsi que sur ses premières tentatives d’écrire des poèmes et de faire de la critique littéraire. Cette dernière comprend un commentaire sur le poème Amorgos de Gkatsos, qui était surréaliste et provocateur. Anagnostakis fait l’éloge du poème et du poète sans délibérément se préoccuper de la réaction de la part de gauche, qui à cette époque là foudroyait le surréalisme et l’écriture moderniste. Si c’est article m’a paru pertinent pour mon sujet, c’est qu’il met entre autres en avant sa poésie, publiée dans cette revue, qui « revendique l’écriture moderniste » et qui « appartient à l’avant-garde mais n’est s’accompagne pas de l’attitude élitiste, d’où sa singularité. »261

Annexes Choix de poèmes262 262 Dans cette section sont présentés les po1)è Émespoques d’Anagnostakis, 1941-1944 qu’on a traduits afin de les insérer en langue française, en entier ou en partie, dans ce mémoire. Il convient de dire queHiver la traduction 1942 proposée est la nôtre, car les Χειµώνας 1942 quelques traductions existantes des poèmes d’Anagnostakis en langue française (à savoir : Les poèmes: (1941-1971), traduit par Xavier Bordes,Le jour publi se léè àve Bruxelles, la petite 1994, aiguille Editions Le Ξηµέρωσεν ο δείχτης πάλι Κυριακή. cridimanche et la traduction encore de uneces m fois.êmes po èmes par Marie-Stéphane Devaud Sassi-Schartz et Antoinette Simitsis, intitulée «Il y avait des hommesSept jours » et publi ée au Québec en 2003) ne Εφτά µέρες sontL’un pas sur trouv l’autreées dans les bibliothèques Η µια πάνω απ' την άλλη universitairesAttachés à Thessalonique. Les traductions Δεµένες desIdentiques poèmes utilis és qui n’apparaissent pas Ολόιδιες dans les annexes, ont été tirées de l’Anthologie deComme la poésie des grecque perles contemporaine: toutes noires Σα χάντρες κατάµαυρες 1945Des -Kombolo2000, de Michelï du SVolkovitchéminaire. et Jacques Κοµπολογιών του Σεµινάριου. Lacarri ère, édité par Gallimard en 2000. Les poUne,èmes quatre, en langue cinquante grecque sont deux. pr é sentés en Μια, τέσσερις, πενήνταδυό. é criture monotonique afin de faciliter l’impression et éviter des problèmes éventuels enSix ce jours concernant. tous pourLe crit unère du choix de Έξι µέρες όλες για µια poSixèmes jours ici prd’attenteésentés s’est fondé Έξι µέρες αναµονή essentiellementSix jours de rsuréflexion les vers utilis és en tant que Έξι µέρες σκέψη supportPour un à l’analysejour littéraire. La traduction est Για µια µέρα toutJuste à fait pour un travailun jour d’amateur. Elle a un Μόνο για µια µέρα double objectif : conserver le mieux possible leJuste sens pourdes po uneèmes heure et exprimer dans la mesure Μόνο για µιαν ώρα. duRelev possibleée et le sol lyrismeeil. de la langue française. Απόγευµα κι ήλιος.

Des heures Ώρες Identiques Ταυτισµένες Sans conscience Χωρίς συνείδηση Essayant un rayonnement Προσπαθώντας µια λάµψη Sur un fond des pages Σε φόντο σελίδων D’une couleur funèbre. Με πένθιµο χρώµα.

Un jour de joie précaire Μια µέρα αµφίβολης χαράς

Juste pour une heure peut –être Ίσως µόνο µιαν ώρα Peu de moments. Λίγες στιγµές. Le soir l’attente revient Το βράδυ αρχίζει πάλι η αναµονή Encore une semaine, quatre, Πάλι µιαν εβδοµάδα, τέσσερις, Cinquante deux πενηνταδυό

......

Depuis ce matin il pleut L’eau de neige est jaune. Σήµερα βρέχει απ' το πρωί. Ένα κίτρινο χιονόνερο.

La guerre

Les petites aiguilles sont clouées elles aussi à la même heure Tout tarde à finir le soir, bien que les jours et les ans courront très vite On s’amuse pourtant bien, on ne se lamente pas Ce soir à titre d’exemple une première dans trois théâtres. Je pense au vieux notaire du dernier étage, avec son fils tué, que je n’ai vu aujourd’hui non plus. Depuis un mois qu’il ne s’est pas montré. Au port, les bordels embourrés des hommes du bord des nouveaux contre-torpilleurs et les estampilles tombent.

Le réchauffeur fatigué depuis tellement de temps est resté encore cet an dans une disponibilité honorifique. Notre très cher enfant, (ici figurera son nom, qui n’a plus d’importance) âgé de 8 ans etc., etc. A rue d’Égypte (première rue à droite) les filles désossées attendaient depuis longtemps l’espagnol avec le papier à cigarettes Et moi-même je n’y crois pas mais j’essaie de te convaincre après tout, que ceci au coin était autrefois comme toi. Doté d’un visage, d’une tête. Mais prochainement, avoue-t-on, la situation s’arrangera et dans le centre à côté on a déjà commencé les essais. Demain c’est dimanche. Petit à petit se sont vidés les rues, les maisons, mais encore il y quelqu’un qui court pour arriver à temps et les heures ont heurté en cadence et ont ouvert

des portes et des fenêtres avec des figures décapitées sublimes. Ensuite les bannières, les drapeaux, les fanfares sont venus les murs se sont éboulé des cris inarticulés. Des corps sans tête dansaient follement pleins d’ivresse quand les cloches sonnaient. A ce point, tu te souviens me disant : La guerre est finie ! Mais la guerre n’a pas encore fini. Car aucune guerre n’a jamais fini.

Ο Πόλεµος

Οι δείχτες κοκκαλιάσανε κι αυτοί στην ίδια ώρα Όλα αργούν πολύ να τελειώσουν το βράδυ, όσο κι αν τρέχουν γρήγορα οι µέρες και τα χρόνια Έχει όµως κανείς και τις διασκεδάσεις του, δεν µπορείς να πεις' απόψε λ.χ σε τρία θέατρα πρεµιέρα. Εγώ συλλογίζοµαι το γέρο συµβολαιογράφο του τελευταίου πατώµατος, µε το σκοτωµένο γιο, που δεν τον είδα ούτε και σήµερα. Έχει µήνας να φανεί. Στο λιµάνι , τα µπορντέλα παραγεµίσανε από το πλήρωµα των καινούργιων αντιτορπιλλικών κι οι µάρκες πέφτουνε γραµµή. Η θερµάστρα κουρασµένη τόσα χρόνια έµεινε πάλι φέτος σε µια τιµητική διαθεσιµότητα. Το πολυαγαπηµένο µας αγγελούδι, ( εδώ θα µπει το όνοµα, που για τώρα δεν έχει σηµασία ) ετών 8 κτλ., κτλ. Στην οδό Αιγύπτου ( πρώτη πάροδος δεξιά ) τα κορίτσια κοκαλιασµένα περιµένανε απ' ώρα τον Ισπανό µε τα τσιγαρόχαρτα Κι εγώ ο ίδιος δεν το πιστεύω αλλά προσπαθώ να σε πείσω οπωσδήποτε, πως αυτό το πράγµα στη γωνία ήτανε κάποτε σαν κι εσένα. Με πρόσωπο και µε κεφάλι. Οσονούπω όµως, ας τ' οµολογήσουµε, ο καιρός διορθώνεται και να που στο διπλανό κέντρο άρχισαν κι όλας οι δοκιµές. Αύριο είναι Κυριακή. Σιγά σιγά αδειάσανε οι δρόµοι και τα σπίτια, όµως ακόµη κάποιος έµεινε και τρέχει να προφτάσει και ρυθµικά χτυπήσανε µια µια οι ώρες κι ανοίξανε

πόρτες και παράθυρα µ΄ εξαίσιες αποκεφαλισµένες µορφές. Ύστερα ήρθανε τα λάβαρα, οι σηµαίες κι οι φανφάρες κι οι τοίχοι γκρεµιστήκανε απ' τις άναρθρες κραυγές. Πτώµατα ακέφαλα χορεύανε τρελά σα µεθυσµένα όταν βαρούσανε οι καµπάνες. Τότε, θυµάσαι που µου λες: Ετέλειωσεν ο πόλεµος! Όµως ο πόλεµος δεν τελείωσεν ακόµα. Γιατί κανένας πόλεµος δεν τέλειωσε ποτέ.

Des poèmes que le sergent Otto V nous lisait Ποιήµατα που µας διάβασε ένα βράδυ ο lors d’une soirée… λοχίας Otto V… D’ici deux minutes on entendra le commandement « Σε δύο λεπτά θ’ ακουστεί το παράγγελµα «Εµπρός» En avant. Marche ! » Δεν πρέπει να σκεφτεί κανένας τίποτ’ άλλο Εµπρός Personne ne doit penser à rien d’autre η σηµαία µας κι εµείς εφ’ όπλου λόγχη από πίσω En avant notre drapeau et nous, les bataillons Απόψε θα χτυπήσεις ανελέητα και θα χτυπηθείς Θα formés, en arrière τραβήξεις µπροστά που µαντεύονται χιλιάδες Ce soir tu attaqueras cruellement et tu seras attaqué ανήσυχα µάτια Εκεί που χιλιάδες χέρια σφίγγονται Tu traîneras d’avant où se rassemblent des millions γύρω από µι’ άλλη σηµαία Έτοιµα να χτυπήσουνε de yeux agités Là où des millions de mains se και να χτυπηθούν. serrent autour d’un autre drapeau Σ’ ένα λεφτό πρέπει πια να µας δώσουν το σύνθηµα Prêtes à attaquer et à être attaquées. Μια λεξούλα µικρή µες στη νύχτα, που σε λίγο εξαίσια θα λάµψει. D’ici une minute ils doivent enfin nous donner le (Κι εγώ που ‘χω µια ψυχή παιδική και δειλή Που δε mot de ralliement θέλει τίποτ’ άλλο να ξέρει απ’ την αγάπη Κι εγώ Un tout petit mot dans la nuit, que d’ici peu πολεµώ τόσα χρόνια χωρίς, Θε µου, να µάθω γιατί resplendira excellemment. Και δε βλέπω µπροστά µου τόσα χρόνια παρά µόνο τον δίδυµο αδερφό µου). (Et moi qui ai une âme craintive d’enfant Qui ne veut rien de plus que de connaître l’amour Oh mon Dieu – moi aussi je fais la guerre depuis des ans, sans savoir pourquoi Et devant moi je ne vois rien de plus depuis des ans, que mon frère jumeau).

2) Époques II, 1946-1948

II

« Toute chose finit un jour », « Maintenant c’est trop tard » Ou bien « Il faut qu’on décide sans prorogation » et d’autres imprécisions du genre. Le vent glissait du verre à vitres brisé. Puis d’autres sont venus. Chaque soir des visages familiers. Ils se sont assis silencieux autour de la table. As-tu pensé comment autant d’heures ont passé encore ce soir ? -Certes toute chose finit c’est tellement simple et naturel à dire- En comptant encore une fois un par un nos rêves naufragés Comment on a passé encore un soir en attendant toujours (Nos chers amis, ne nous reprochez pas. On a depuis longtemps déchiré nos livres On a couvert nos oreilles avec les mains pour ne pas entendre les sifflements des bateaux On a fait du feu le matin à l’aide de vielles images) On a pensé une fois qu’on devrait prendre plus soin de nos mains J’avais des doigts malingres qu’on pourrait y glisser irréparablement toute chose Ils ont dit que tout ce qu’on touchait fêlait. (On devait enfin y croire aussi). Mais pourquoi regagne-t-on chaque fois le même endroit sans but ? On disait qu’on était oubliés pour des jours, puis des ans, mais on y revenait toujours On regardait notre visage au miroir habitués à une autre figure. Κοιτάζαµε το πρόσωπό µας στον καθρέφτη και µια άλλη συνηθίσαµε µορφή. ... Le vent glisse puissamment du verre à vitres brisé.. (Qui a lancé les chaises au sol s’en allant ?) On ne s’est pas décidés enfin si on devait y revenir ou ne pas y revenir Comme si au fond il aurait été fatiguant au même. On n’est pas décidés. (Nos visages s’étaient emmêlés tellement étrangement. Ne nous reprochez pas. On a perdu à jamais le nôtre.

II

« Το κάθε τι τελειώνει µια µέρα », « Τώρα είναι πια πολύ αργά » Ή "Ν'αποφασίσουµε χωρίς αναβολή" και άλλες τέτοιες πολλές αοριστίες. Φυσούσε απ'το σπασµένο τζάµι. Ύστερα ήρθανε κι άλλοι. Γνωστοί κάθε βράδυ. Καθίσαν σιωπηλοί σ'ένα τραπέζι. Σκέφτηκες πως περάσανε κι απόψε τόσες ώρες -Σωστά το κάθε τι τελειώνει είναι τόσο απλό και φυσικό σαν το λες- Μετρώνας ακόµη µια φορά ένα-ένα τα ναυαγισµένα µας όνειρα Πως ζήσαµε και άλλο ένα βράδυ την ίδια πάντα αναµονή. (Φίλοι καλοί, µη µας κατηγορήσετε. Σκίσαµε τώρα καιρό τα βιβλία µας Καλύψαµε µε τα χέρια τ'αφτιά µας στα σφυρίγµατα των πλοίων Ανάψαµε τη φωτιά µας το πρωί µε τις παλιές φωτογραφίες) Κάποια φορά σκεφτήκαµε πως έπρεπε να κοιτάξουµε περισσότερο τα χέρια µας Είχα κάτι αρρωστιάρικα δάχτυλα, µέσα γλυστρούσε ανεπανόρθωτα το κάθε τι Είπαν πως ό,τι αγγίζαµε ράγιζε. (Έπρεπε πια και εµείς να το πιστέψουµε). Όµως γιατί ξαναγυρίζουµε κάθε φορά χωρίς σκοπό στον ίδιο τόπο; Λέγαµε πως λησµονιούµασταν µέρες, ύστερα χρόνια, µα πάντα γυρνούσαµε Κοιτάζαµε το πρόσωπό µας στον καθρέφτη και µια άλλη συνηθίσαµε µορφή. ...Φυσάει πολύ απ'το σπασµένο τούτο τζάµι. (Ποιός έριξε φεύγοντας τις καρέκλες στο πάτωµα;). Δεν ξεχωρίσαµε στο τέλος αν έπρεπε να ξανάρθουµε ή να µην ξανάρθουµε Θαρρούσες πως στο βάθος θα µας κούραζε το ίδιο. Δεν ξεχωρίσαµε. (Είχαν τα πρόσωπά µας τόσο αλλόκοτα µπλεχτεί. Μη µας κατηγορήσετε. Χάσαµε πια οριστικά το δικό µας).

3) Époques III, 1949-1950

L’amour c’est la peur… Η αγάπη είναι ο φόβος… L’amour c’est la peur qui nous unit aux autres. Η αγάπη είναι ο φόβος που µας ενώνει µε τους άλλους. Quand ils asservirent nos jours et les pendirent comme Όταν υπόταξαν τις µέρες µας και τις κρεµάσανε σα des larmes δάκρυα Quand ils moururent avec eux en une déformation Όταν µαζί τους πεθάνανε σε µιαν οικτρή παραµόρφωση déplorable Τα τελευταία µας σχήµατα των παιδικών αισθηµάτων Les formes ultimes de nos sentiments enfantins Και τι κρατά τάχα το χέρι που οι άνθρωποι δίνουν; Et qu’est ce qu’il tient alors la main que les hommes Ξέρει να σφίξει γερά εκεί που ο λογισµός µας ξεγελά donnent/offrent ? Την ώρα που ο χρόνος σταµάτησε και η µνήµη Elle sait bien la serrer fortement quand la réflexion ξεριζώθηκε trompe Σαν µιαν εκζήτηση παράλογη πέρα από κάθε νόηµα; A cette heure que le temps a cessé et la mémoire est (Κι αυτοί γυρίζουν πίσω µια µέρα χωρίς στο µυαλό µια arrachée ρυτίδα Comme une agacerie absurde en dehors de tout sens ? Βρίσκουνε τις γυναίκες τους και τα παιδιά τους που (Eux, ils retournent un jour avant, sans même une ride à µεγάλωσαν l’esprit Πηγαίνουνε στα µικροµάγαζα και στα καφενεία της Ils retrouvent leurs femmes et leurs enfants qui ont συνοικίας grandi Διαβάζουνε κάθε πρωί την εποποιία της Ils vont à de petits magasins et aux bistrots du quartier καθηµερινότητας). Ils lisent tous les matins l’épopée de la quotidienneté). Πεθαίνουµε τάχα για τους άλλους ή γιατί έτσι νικούµε On dit qu’on meure pour les autres ou parce qu’on gagne τη ζωή la vie ainsi Ή γιατί έτσι φτύνουµε ένα-ένα τα τιποτένια οµοιώµατα Ou bien parce qu’on crache un par un les effigies futiles Και µια στιγµή στο στεγνωµένο νου τους περνά µιαν Et pour un moment un rayon de soleil traverse leur ηλιαχτίδα cerveau Κάτι σα µια θαµπήν ανάµνηση µιας ζωικής προϊστορίας. Comme un souvenir obscur d’une préhistoire vitale. Φτάνουνε µέρες που δεν έχεις πια τι να λογαριάσεις Des jours arrivent où on n’a plus rien à dire Σύµβαντα ερωτικά και χρηµατιστηριακές επιχειρήσεις Incidents amoureux et entreprises financières Δε βρίσκεις καθρέφτες να φωνάξεις τ’ όνοµά σου On ne trouve plus de miroirs pour crier son nom Απλές προθέσεις ζωής διασφαλίζουν µιαν επικαιρότητα De simples propos de vie, retiennent l’actualité Ανία, πόθοι, όνειρα, συναλλαγές, εξαπατήσεις Fadeur, désirs, rêves, tractations, escroqueries Κι αν σκέφτοµαι είναι γιατί η συνήθεια είναι πιο Et si je réfléchis c’est que l’habitude est plus accessible προσιτή από την τύψη. des remords. Μα ποιος θα ‘ρθει να κρατήσει την ορµή µιας µπόρας Mais qui viendra soutenir la fougue d’une pluie d’abat ? που πέφτει; Qui comptera une par une les gouttes de pluie avant Ποιος θα µετρήσει µια-µια τις σταγόνες πριν σβήσουν qu’elles s’effacent sur la terre στο χώµα Avant qu’elles s’unifient à la boue comme les cris des Πριν γίνουν ένα µε την λάσπη σαν τις φωνές των poètes ? ποιητών; Gueux d’une autre vie fuyards du Moment Επαίτες µιας άλλης ζωής της Στιγµής λιποτάχτες Ils cherchent une nuit inaccessible leurs rêves pourris. Ζητούνε µια νύχτα απρόσιτη τα σάπια τους όνειρα.

Car notre silence est le doute pour la vie et la mort Γιατί η σιωπή µας είναι ο δισταγµός για τη ζωή και το θάνατο

Ces vers Οι στίχοι αυτοί

Ces vers seront peut-être les derniers Oι στίχοι αυτοί µπορεί και νά ' ναι οι τελευταίοι Oι Les derniers des derniers qui s'écriront τελευταίοι στους τελευταίους που θα γραφτούν Car les poètes à venir ne vivent plus Γιατί οι µελλούµενοι ποιητές δε ζούνε πια Aυτοί Ceux qui auraient parlé sont tous morts jeunes που θα µιλούσανε πεθάναν όλοι νέοι Tα θλιβερά Leurs tristes chants sont devenus des oiseaux τραγούδια τους γενήκανε πουλιά Σε κάποιον άλλον Dans un autre ciel où brille un autre soleil ουρανό που λάµπει ξένος ήλιος Γενήκαν άγριοι Elles sont devenues des fleuves féroces courant à la ποταµοί και τρέχουνε στη θάλασσα Kαι τα νερά mer Et leurs parages ne se distinguent τους δεν µπορείς να ξεχωρίσεις Στα θλιβερά Dans leurs tristes chants un lotus a grandi τραγούδια τους φύτρωσε ένας λωτός Nα Nous en boirons la sève et renaîtrons plus jeunes. γεννηθούµε στο χυµό του εµείς πιο νέοι.

4) Parenthèses, 1955

Lieu

Τοπίο Des murs vétustes. Abandon. Ερειπωµένοι τοίχοι. Εγκατάλειψη. Περασµένες Des figures du passé circulent indifférents µορφές κυκλοφορούνε αδιάφορα Χρόνος παλιός Vieux temps sans substance/existence χωρίς υπόσταση Τίποτα πια δε θ' αλλάξει δω µέσα. Rien ne va plus changer ici. Είναι µια ήρεµη σιωπή, µην περιµένεις απάντηση C’est un silence calme, n’attend pas de réponse Κάποια νύχτα µαρτιάτικη χωρίς επιστροφή Χωρίς Une nuit de mars sans retour νιότη, χωρίς έρωτα, χωρίς έπαρση περιττή. Κάθε Sas jouvence, sans amour, sans exaltation superflue. Μάρτη αρχίζει µιαν Άνοιξη. Το βιβλίο σηµαδεµένο Tous les mars commence un Printemps. στη σελίδα 16 Το πρόγραµµα της συναυλίας για την άλλη Κυριακή.

Ce livre est marqué à la page 16 Le programme du concert pour dimanche prochain.

5) La Suite III, 1962

Le Défunt Ο Νεκρός

Les premiers télégraphes sont arrivés La presse s’est Ήρθαν τα πρώτα τηλεγραφήµατα Σταµάτησαν τα arrêter, ils attendaient Les premières commandes aux πιεστήρια και περίµεναν Έγιναν οι παραγγελίες στις autorités appropriées. αρµόδιες αρχές. Mais le défunt n’est pas mort à cette heure précise. Μα ο νεκρός δεν πέθανε την ορισµένη ώρα. Ils ont mis tous des cravates noires Ils ont essayé des Όλοι φόρεσαν τις µαύρες γραβάτες Δοκίµασαν στον poses navrées devant le miroir Les premiers sanglots καθρέφτη τις συντριµµένες πόζες Ακούστηκαν οι les louanges tristes entendus. Mais le défunt n’est πρώτοι λυγµοί τα θλιβερά εγκώµια. pas mort à cette heure précise. Μα ο νεκρός δεν πέθανε την ορισµένη ώρα. Enfin les heures sont devenues des jours Στο τέλος οι ώρες γινήκαν µέρες Εκείνες οι φριχτές Ces jours atroces d’attente µέρες της αναµονής Οι φίλοι άρχισαν να Les amis se sont mis à protester διαµαρτύρονται Έκλεισαν τα γραφεία τους Ils ont fermé leurs bureaux, arrêté les prestations σταµάτησαν τις πληρωµές Γυρνούσαν τα παιδιά τους Leurs enfants erraient dans les rues. αδέσποτα στους δρόµους. Έβλεπαν τα λουλούδια να Ils regardaient les fleurs faner. µαραίνονται. Mais le défunt n’est pas mort à cette heure précise. Μα ο νεκρός δεν πέθανε την ορισµένη ώρα. (Tellement de choses qui ne sont pas prévues (Τόσα και τόσα πράγµατα πού δεν προβλέπονται Tellement de conséquences incalculables, des Τόσες συνέπειες ανυπολόγιστες, τόσες θυσίες, Σε sacrifices, ποιους υπεύθυνους να διαµαρτυρηθείς, που να Où sont les responsables pour qu’on proteste, où φωνάξεις;) rouspéter ?) Et le défunt n’est pas mort à cette heure précise. Και ο νεκρός δεν πέθανε την ορισµένη ώρα.

Dédicace Αφιέρωση Aux amoureux qui se sont mariés A la maison qui est construite Για τους ερωτευµένους που παντρεύτηκαν Για Aux enfants qui ont grandi το σπίτι που χτίστηκε Για τα παιδάκια που Aux bateaux qui ont été abordé µεγάλωσαν Για τα πλοία που άραξαν Για τη A la bataille qui a été remporté µάχη που κερδήθηκε Για τον άσωτο που A l’abandonné qui est retourné επέστρεψε Για όλα όσα τέλειωσαν χωρίς ελπίδα πια. A tout ce qui est fini sans plus avoir d’espoir.

6) La Cible, 1970

Επίλογος Epilogue Epilogo

Κι όχι αυταπάτες προπαντός. Et surtout n’aie pas Ed anzitutto non avere d’illusions. illusioni. Το πολύ-πολύ να τους εκλάβεις σα δυο θαµπούς A la rigueur tu les considéras Al massimo li stimarai due προβολείς µες στην οµίχλη deux projecteurs blafards proiettori sfocati nella Σαν ένα δελτάριο σε φίλους dans le brouillard foschia/nebbia που λείπουν µε τη µοναδική Comme une carte postale Come una cartolina inviata λέξη: ζώ. destinée à des amis absents ad amici che mancano con avec un seul mot : je vis. una sola parola: vivo. «Γιατί», όπως πολύ σωστά είπε κάποτε κι ο φίλος µου ο « Car », comme l’avait alors « Perché », come l’aveva Τίτος, dit à juste titre mon ami detto bene una volta il mio «Κανένας στίχος σήµερα δεν Titos, amico, Titos, κινητοποιεί τις µάζες « De nos jours, aucun vers ne « Nessuno verso mobilita le Κανένας στίχος σήµερα δεν mobilise les masses masse oggi ανατρέπει καθεστώτα.» De nos jours, aucun vers ne Nessuno verso abbatte il lo renverse des régimes. » status quo.» Έστω. Ανάπηρος, δείξε τα χέρια Soit. Così sia. σου. Κρίνε για να κριθείς. Amputé, montre tes mains. Minorato, mostra le tue Juge pour être jugé. mani. Critica per essere criticato.