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Séquences La revue de cinéma

Conversation avec Gene D. Phillips

Number 114, October 1983

URI: https://id.erudit.org/iderudit/50941ac

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Publisher(s) La revue Séquences Inc.

ISSN 0037-2412 (print) 1923-5100 (digital)

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Cite this article Phillips, G. D. (1983). Conversation avec Henry King. Séquences, (114), 24–30.

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24 OCTOBRE 1983

CONVERSA TI ON A VEC HENRY KING

Jusqu 'à sa mort, à 96 ans, en juin 1982, Henry King vivait dans une splendide maison à North qui fut jadis la propriété de l'aviatrice Amelia Earhart et de son mari, George Putman. Cette maison garde toujours le souvenir d'une carrière renommée de cinéaste qui dura de 1915 à 1962 et qui lui permit de réaliser près d'une centaine de films. Plusieurs prix font par­ tie des souvenirs sur lesquels veille sa veuve avec un soin jaloux: entre autres, le prestigieux prix D. W. Griffith qui n 'a été décerné que treize fois depuis ses débuts, en 1953, et que la Directors Guild of America remit à King en 1956, la médaille d'or Photoplay (une compétition qui existait avant les Oscars) pour la meilleure réalisation à ToPable David (David le tolérant, 1921) et un prix pour l'Art cinématographique que lui a offert la National Film Society en 1979. Il fut, de plus, cinq fois mis en nomination pour les Oscars avec les films suivants: Alexander's Ragtime Band (La Folle Parade, 1938), The Song of Bernadette (Le Chant de Bernadette, 1943), Wilson (1944), Twelve O'Clock High (Un Homme defer, 1944) et Love Is a Many-Splendored Thing (La Colline de l'adieu, 1955). , qui a atteint le sommet de sa carrière, sous la direc­ tion de Henry King, a déjà déclaré que ce dernier n 'eut jamais les éloges qu 'il méritait pour son travail toujours solide. Henry King fut, durant plus de trente ans, le plus important réalisateur chez Fox. DarrylF. Zanuck le considérait toujours en premier pour les projets de films les plus importants du studio. Par delà les années, ses films ont conquis un large public. Henry King naquit sur une plantation, à Christiansburg, en Virginie, le 24 janvier 1886. On donne souvent sa date de naissance de façon erronée en 1892 ou 1896J" Jusqu'à la fin de ses jours, il parlait avec les accents moelleux d'un gentilhomme du Sud. Même nonagénaire, il gar­ dait une allure droite et imposante, mais discutait de sa carrière avec bonhomie et gentillesse. Devant moi se trouvait un véritable pionnier qui a eu une influence déterminante sur le dévelop­ pement du cinéma en tant qu'art. Je le laisse parler au fil de ses souvenirs.

Gene D. Phillips

(1) Toute sa vie, Henry King a entretenu le mystère autour de son âge. Tant qu'on ne découvrira pas son certificat de naissance, personne ne pourra affirmer l'âge exact qu'avait Henry King le jour de sa mort, le 29 juin 1982.

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En plus de jouer dans des films tels que Love and War in Mexico (1913), je m'initiai au travail de scé­ nariste à Hollywood. J'utilisais, comme base de scénario, des éléments de vieilles pièces de théâtre que j'avais jouées, lors de mes tournées dans les compagnies de répertoire. Je ne pen­ sais pas réaliser des films. Cela m'ar- riva accidentellement alors que je jouais pour la Balboa Film Company qui produisait des films distribués par la compagnie Pathé. Alors que le réa­ lisateur du film dans lequel je jouais était parti tourner des scènes d'exté­ rieurs, je dessinai un combat pour le film, combat basé sur mes souvenirs de jeune garçon. Ce travail compre­ nait une illustration de chaque prise et une analyse du montage du com­ bat. Le réalisateur, à son retour, approuva mon idée et me permit de réaliser et de monter le combat en question. J'avais fractionné le com­ bat en de très courtes prises et, lors­ Tol'able David que je le montai, la bataille parut très excitante. Les patrons du studio Tol'able David (1921) qui, plus que laves du Vésuve, 1923), je demandai furent si impressionnés par ce premier tout autre, me fit reconnaître comme à Colman s'il voulait bien jouer dans travail qu'ils me demandèrent de un réalisateur important. J'emmenai un bout d'essai. Il refusa en disant que jouer et de réaliser mes films. mon équipe passer sept semaines de je perdais mon temps, car il en avait Le premier film que je réalisai, tournage dans les montagnes bleues déjà fait l'expérience et qu'on l'avait Who Pays! (1915), était un feuilleton de la Virginie qui ne sont qu'à envi­ rejeté parce qu'on le trouvait trop en douze parties. J'y avais le premier ron 80 milles (140 kilomètres) de guindé à l'écran. Je réussis finalement rôle masculin aux côtés de Ruth Christiansburg où je grandis. Cela me à le convaincre. Avant de tourner le Roland qui était une étoile dans ce permit d'utiliser, pour plusieurs scè­ test, je lui suggérai une moustache en genre de films. Les films que je fis nes du film, la maison où J. Herges- l'assurant que cela lui irait bien. Il me ensuite étaient assez courts, ce qui me heimer avait vécu, alors qu'il écrivait répondit qu'ayant été blessé à la lèvre permettait d'y jouer et de les réaliser. le roman qui servit de base au film. supérieure durant la première guerre Mais, à mesure que le temps passait, mondiale, il ne pouvait, à cause d'une ma carrière d'acteur était reléguée au cicatrice, porter une moustache. Je lui second plan. RONALD COLMAN ET en dessinai une et cela lui allait à mer­ En 1921, je m'associai avec veille. C'est ainsi que Colman porta Richard Barthelmess et quelques la moustache jusqu'à la fin de ses autres pour mettre sur pied la com­ La chose dont je suis le plus fier jours. Je lui dis ensuite qu'on parle­ pagnie Inspiration Pictures. Je réali­ est d'avoir donné leur première rait un peu avant de commencer le sai dix films pour cette compagnie chance à plusieurs jeunes acteurs. tournage du test. En fait, c'est cette durant la décennie suivante. Ces films Ronald Colman et Gary Cooper vien­ conversation qui fut le véritable test. étaient distribués par la First Natio­ nent tout de suite à mon esprit. Avant À son insu, je fis tourner la caméra nal. Le premier film de cette série fut de réaliser The White Sister (Dans les pendant notre conversation, car je

26 OCTOBRE 1983 voulais voir comment il serait sur sai, pour la Fox, le premier de mes générateur de tout l'équipement tech­ l'écran alors qu'il se relaxait. J'avais deux films avec Will Rogers, Light- nique tirait la voiture des caméras. Le l'impression que la caméra lui coupait nin' (1930). Je ne savais pas, à ce résultat nous récompensa de nos ses moyens et c'est pour cette raison moment-là, que je passerais les trente peines. qu'il avait semblé guindé auparavant. prochaines années à la Fox. Je restai Le lendemain, après avoir vu ce test, dans cette compagnie même après la je décidai de lui donner le premier fusion avec la Twentieth Century Pic­ TYRONE POWER rôle, aux côtés de dans tures, en 1935, qui amena Darryl The White Sister. Deux semaines plus Zanuck comme chef de la production tard, nous partîmes en bateau pour de la nouvelle organisation. En plus d'avoir découvert Col­ l'Europe afin de tourner le premier Le seul film que je ne fis pas pour man et Cooper, j'ai aussi donné leur film américain important en Italie. la Fox, après 1930, fut This Earth Is première chance, chez Fox, à plusieurs Quand le film sortit, le 9 septembre Mine (Cette Terre est mienne, 1959). acteurs, dont Tyrone Power, avec 1923, Ronald Colman connut un Casey Robinson, qui fut un de mes lequel j'ai fait onze films. Une de ses énorme succès. scénaristes préférés chez Fox, me meilleures performances fut celle qu'il Durant cette période de travail demanda de faire ce film dont il était donna dans Alexander's Ragtime pour Inspiration Pictures, je réalisai à la fois scénariste et producteur pour Band (La Folle Parade, 1939), une aussi quatre films d'affilée pour le Universal. comédie musicale contenant près de producteur Sam Goldwyn. Ces films Je réalisai un de mes films favo­ trente chansons d'Irving Berlin. Celui- furent distribués par United Artists. ris, à mes débuts chez Fox, State Fair ci vint sur les lieux du tournage et L'un de ces films fut un western avec (La Foire aux illusions, 1933), qui trouva que je dirigeais les opérations Ronald Colman, The Winning of Bar­ mettait en vedette un de mes acteurs d'une main de fer. Je crois qu'il avait bara Worth (Barbara, fille du désert, préférés, Will Rogers. En 1945, on raison. 1926). C'est un film qui lança Gary m'a demandé de porter à l'écran la Un autre film important pour Cooper sur les écrans, comme je comédie musicale de Rodgers et Ham- Tyrone et moi fut, en 1939, Jesse l'avais fait pour Colman, environ merstein, State Fair, mais cela ne James (Le Brigand bien-aimé). Je deux ans auparavant. Je trouvai, un m'intéressait pas de me répéter. En considère qu'il faut connaître l'es­ jour, dans mon bureau, un jeune 1962, on refit une autre version musi­ sence des personnages avant de faire homme du Montana qui cherchait un cale de State Fair, mais ce fut raté. un film. C'est pourquoi, je me ren­ emploi comme acteur. Je lui propo­ J'ai pourtant réussi à filmer une dis, avant le tournage, dans la région sai un petit rôle dans Barbara Worth. comédie musicale de Rogers et Ham- où vécut et mourut Jesse James, pour Ce petit rôle contenait pourtant une merstein, en 1956, Carousel (Car­ mieux comprendre le sujet. Je m'as­ scène importante que je tournai en rousel). sis près de la tombe de Jesse James de premier. Dans cette scène, Gary Coo­ Mon premier film couleur, qui laquelle des gens, en mal de souvenirs, per devait remettre, après une longue était aussi mon premier chez Fox, en ont enlevé des morceaux. Je m'assis chevauchée, un message au père de 1936, s'appelait Ramona. Il était tiré également sous l'arbre où le beau-père Barbara, puis s'évanouir. Pour le pré­ d'un classique américain. Au début de de Jesse James fut pendu et je pus parer, je dis à Cooper de marcher de la couleur, les patrons voulaient qu'on ainsi rapporter mes impressions au long en large sur le plateau de tour­ tourne en studio où il était plus facile scénariste Nunnally Johnson, lors de nage jusqu'à ce que je le trouve assez de contrôler l'éclairage. Mais le sujet mon retour à Hollywood. fatigué. À ce moment-là, je tournai se prêtait davantage aux décors natu­ Mon film suivant fut Stanley and la scène. Cooper ouvrit la porte, rels et j'insistai pour que Ramona ne Livingstone (Stanley et Livingstone, donna le message et tituba. Colman soit pas tourné en studio. Les scènes 1939). y jouait le rôle fut si ému par le jeu de Cooper qu'il d'extérieur, tournées en studio, m'ont de Henry Morton Stanley, le repor­ fonça sur lui pour le soutenir, croyant toujours paru fausses. Dans une de ter qui retrouva le docteur David qu'il était blessé. ces scènes en décors naturels, la voi­ Livingstone, disparu en Afrique, quel­ Mon premier film parlant, en ture où se trouvaient les caméras tirait ques années auparavant. J'ai eu beau­ 1930, fut Hell Harbor (Sous les tro­ la charrette qu'on photographiait, coup de joie à travailler avec Spencer. piques). Peu de temps après, je réali­ pendant que le camion qui portait le Il m'a demandé s'il fallait absolument

27 SÉQUENCES N" 114 qu'il dise ces mots: « Doctor Living­ durant la deuxième guerre mondiale. Oscar pour ce premier grand rôle. stone, I presume. » (Docteur Living­ Je gardais le livre sous le siège de mon Frank Capra, entre autres, m'a stone, je suppose.). J'étais d'accord avion et je le lisais attentivement pen­ dit que j'ai eu tort de rester si long­ avec lui que c'était devenu un cliché. dant qu'on refaisait le plein. Zanuck temps chez Fox, mais Zanuck ne m'a Je dis à Spencer que Stanley devait m'avait dit que ce livre serait le sujet jamais créé d'ennuis. Il ne m'a jamais être éreinté par ses voyages dans la de mon premier film, à mon retour fait de demandes impossibles et a tou­ jungle lorsqu'il découvrit finalement aux studios. Je considère que c'est jours respecté mon jugement. Du le corps de Livingstone. Donc il a dû l'un des meilleurs livres que j'ai lus. moment que vous êtes consciencieux dire ces mots d'une voix hachée, ce Cette histoire d'une sainte fille qui et que vous vous rappelez que vous qui leur conférait un caractère de nou­ avait eu des visions de la Vierge est, dépensez 30 000 $ par jour de l'argent veauté. Je fus étonné de constater que en grande partie, responsable de ma de quelqu'un d'autre quand vous Tracy n'y avait pas pensé. conversion au catholicisme. Linda tournez un film, vous prendrez des Darnell passa un essai pour le rôle de décisions qui ne vous créeront pas Bernadette, mais je la trouvais un peu d'ennuis avec le producteur. trop vieille pour le rôle et je lui offris J'ai eu ma part de problèmes avec MA CONVERSION le rôle de la Vierge Marie dans les The Prince of Foxes (La Revanche des visions Ce nom de Linda Darnell n'ap­ Borgia, 1949). Zanuck étant malade, J'ai toujours dit que mon film paraît pas cependant au générique du personne d'autre dans la direction ne favori était celui que j'allais commen­ film). Après avoit fait passer une dou­ voulait prendre de risques. Un film en cer, mais je garde une affection par­ zaine d'essais, je portai finalement costumes comme The Prince of Foxes ticulière pour 777e Song of Bernadette mon choix sur Jennifer Jones, parce aurait dû être tourné en couleur, mais (Le Chant de Bernadette, 1943). que contrairement aux autres actrices, la direction voulait épargner de l'ar­ J'avais lu le livre de Franz Werfel, elle semblait voir véritablement la gent et me refusa l'usage de la cou­ alors que j'étais pilote dans l'active Vierge Marie. Elle eut d'ailleurs un leur. De plus, je croyais, à cause des

The Song of Bernadette

28 OCTOBRE 1983 qu'en dira-t-on, avoir des problèmes avec Orson Welles qui devait interpré­ ter Cesare Borgia. II ne vint pas à deux de mes rendez-vous avant le début du tournage. À cause de cela, je dis à son agent de rappeler à Wel­ les que s'il n'arrive pas à l'heure, le premier jour où il doit jouer, quelqu'un d'autre aura le rôle le len­ demain. Le premier jour du tournage, alors que je mettais au point une prise de vue, je m'aperçois qu'Orson était là, prêt à jouer bien que je n'eusse besoin de lui que le lendemain matin. Il me dit qu'il voulait faire connais­ sance avec l'équipe. Après cela, je n'eus aucun problème avec lui.

GREGORY PECK ET The Snows of Kilimandjaro AVA GADNER de (L'Homme des val­ spectateurs. La scène de la boîte de Après Tyrone Power, Gregory lées perdues, 1953). J'ai tout simple­ nuit où l'héroïne quitte le héros, car Peck fut l'acteur avec lequel je fis le ment tourné ce film parce que je trou­ elle s'aperçoit qu'elle est un obstacle plus de films, soit six. Gregory Peck vais que l'histoire contenait une bonne à son travail d'écrivain sérieux, fut est un acteur qui pense son rôle, qui part de vérité humaine. répétée plusieurs fois jusqu'à ce que l'approfondit afin de mieux le jouer. Le rôle de Gregory Peck dans Gregory et Ava soient complètement Il est plus facile à diriger que Tyrone 77it? Snows of Kilimandjaro (Les Nei­ relaxés. Je filmai la scène en une seule à qui je devais donner plus de conseils ges de Kilimandjaro, 1952), d'après prise, sans gros plan, les deux étant sur la façon d'interpréter une scène. la nouvelle d'Ernest Hemingway, fut assis à une table. Le travail d'Ava Gregory Peck m'envoya, après le un des sommets de sa carrière. Cela m'avait tant ému que je ne voulus pas tournage de Twelve O'Clock High permit aussi à Ava Gardner d'accéder recommencer. Elle m'avait donné (Un Homme de fer, 1949), qui eut un au statut de vedette internationale. l'impression de me montrer son âme immense succès, le scénario de The Ava Gardner était, contrairement aux dans cette scène qui demeure, pour Gunfighter (La Cible humaine, 1949), apparences, une actrice sérieuse. J'ai moi, la meilleure du film. qui est peut-être notre meilleure col­ toujours aimé travailler avec elle. laboration. Le sujet m'a impressionné Durant le tournage des Neiges, j'ai pu parce qu'il traitait d'un tireur d'élite étudier son style de jeu. Elle n'est pas qui vécut en même temps que Jesse tragédienne mais, lorsqu'elle sent bien ERNEST HEMINGWAY James. Ce cowboy voulait prendre sa son personnage, elle peut, lors d'une retraite, mais des jeunes gens le scène d'une grande intensité, montrer La monteuse du film, Barbara défiaient sans cesse afin de prouver qu'elle est déchirée intérieurement McLean, avait plusieurs fois travaillé leur valeur comme tireurs et le rem­ sans laisser tomber une larme. Quel­ avec moi, mais elle éprouva des réti­ placer dans l'opinion publique. Cela ques actrices exagèrent et noient de cences devant ma façon de monter les donne un western sérieux et adulte, larmes de telles scènes. Ava n'avait retours en arrière. Je ne voulais pas mais je n'étais pas conscient de com­ pas besoin de pleurer pour que les de fondus pour signaler à l'auditoire mencer ainsi une série dans ce genre. spectateurs pleurent. Elle prouve cette qu'un retour arrivait ou finissait, juste II fut suivi, entre autre, par High vieille maxime théâtrale qui dit que si un passage strict d'une scène à l'au­ Noon de Fred Zinnemann (Le Train un acteur utilise toutes les larmes à tre. Elle me dit que Zanuck n'allait sifflera trois fois, 1952) et de Shane la scène, il n'en restera plus pour les pas aimer cela. Je répondis qu'Ernest 29 SÉQUENCES N° 114

Hemingway avait écrit cette oeuvre de dirigeait vraiment le studio. David cette façon et que je voulais garder la ERROL FLYNN Selznick avait vendu les droits ciné­ même démarche. Quand Zanuck vit matographiques de Tender Is the la copie de travail du film, il pensa que Philip Roth a exprimé, dans son Night, ainsi que les services de son le monteur n'avait pas eu le temps article sur le film, paru dans la revue épouse, Jennifer Jones, à la Fox, d'inclure les fondus et qu'il allait les The New Republic, son admiration après avoir tenté, en vain, de produire rajouter. Il dit à Barbara McLean de pour le jeu d'Errol Flynn dans le rôle lui-même le film. Selznick réussit à ne pas les inclure car il trouvait le film du dissolu, mais malgré tout sympa­ faire mettre une clause dans l'accord parfait comme cela. Il crut jusqu'à la thique, Mike Campbell. On m'avait avec le studio selon laquelle il avait un fin de ses jours que cette idée venait dit, avant que je l'emploie, qu'Errol droit de regard sur la façon dont le de lui et je ne l'ai jamais contredit là- Flynn buvait beaucoup et courait les film serait réalisé. Cette clause m'était dessus. jupons. Cela n'était qu'une surface, inconnue lorsque j'acceptai de tour­ Ernest Hemingway lut la pre­ car il s'est révélé un acteur sérieux et ner le film. mière version du scénario de The Sun travailleur. Il le montra d'ailleurs dans Quand on eut terminé le tour­ Also Rises (Le Soleil se lève aussi, son soliloque vers la fin du film nage, je voulus enlever, du montage 1957), mais la trouva très mauvaise. lorsqu'il perd temporairement son final, une scène de huit minutes con­ Je dis à Zanuck qui venait de congé­ amie au bras d'un matador. On voyait sacrée au voyage de noces. Cela aurait dier le premier scénariste que, sans très bien comment un homme se sent raffermi le film et plus spécialement être un spécialiste de Hemingway, je quand sa petite amie le quitte. Cette le travail de Jennifer Jones. Mais Selz­ connaissais bien le livre et que j'allais scène l'avait hanté depuis le premier nick voulait garder la scène qui ne fai­ m'assurer que le roman allait animer jour du tournage. Jouer n'était pas sait que ralentir le film, étant sous le scénario. Dès le lendemain matin, une chose facile pour lui. Il avait ten­ l'impression que plus on voyait son j'entrepris une lecture comparative du dance à vouloir passer rapidement à épouse dans le film, mieux c'était. scénario et du roman, en m'assurant travers une scène difficile pour en finir J'aime bien et je respecte énormément que tout ce qui était dans le scénario avec le trac. Je lui dis qu'il ne devait Jennifer Jones, mais dans Tender Is venait bien du livre, car on avait pas avoir peur de sa capacité de mon­ the Night, cette scène était inutile. Le oublié plusieurs scènes importantes et trer les émotions nécessaires car, s'il studio laissa pourtant Selznick avoir ajouté des scènes fantaisistes. Je ren­ avait bien pensé à son interprétation, le dernier mot. contrai, à Londres, Zanuck et Peter tous les éléments devraient s'imbri­ J'ai fait trois films avec Jennifer Viertel, l'autre scénariste du film. quer et c'est d'ailleurs ce qui arriva. Jones. Elle gagna l'Oscar pour le pre­ Viertel n'eut alors qu'à transposer les Nous n'eûmes besoin que d'une prise mier, The Song of Bernadette (Le passages du roman que je voulais pour son long discours, comme pour Chant de Bernadette, 1943), elle fut inclure dans le scénario. Le travail la scène d'Ava, dans la boîte de nuit mise en nomination pour le second, fini, nous apprîmes que Hemingway du film Les Neiges du Kilimanjaro. Love Is a Many-Splendored Thing (La retournait de France aux États-Unis Errol Flynn fut mis en nomination Colline de l'adieu, 1955), et elle aurait en bateau et qu'il allait faire une aux Oscars pour ce rôle. Il aurait dû eu un autre Oscar pour le troisième escale de nuit à Liverpool, avant la en obtenir un. si on m'avait laissé raffermir le film. traversée de l'Atlantique. Peter et Après que la Fox eut introduit le J'aurais ainsi amélioré le tout et les moi, nous nous rendîmes en auto à cinémascope, en 1953, je fis le reste recettes en auraient été meilleures. Liverpool pour lui montrer le scéna­ de mes films sur écran large, à comp­ Toutefois, j'ai plus de bons sou­ rio. Après avoir dîné dans sa suite, ter de King of the Khyber Rifles venirs que de regrets comme réalisa­ nous restâmes la moitié de la nuit sur (Capitaine King, 1953), en passant par teur. m'a dit, un jour, qu'il le bateau pendant qu'il lisait notre scé­ The Sun Also Rises jusqu'à, y inclus, gagnait simplement sa vie à faire des nario. Hemingway, à la fin, exprima Tender Is the Night (Tendre est la films lorsque, tout à coup, on décida son plaisir à voir que ce scénario se nuit, 1962), qui est le quatorzième de considérer le cinéma comme un art. rapprochait davantage de son roman film que je fis en collaboration avec Pour moi, réaliser un film est un tra­ et nous félicita. Enchantés, nous mon chef opérateur favori, Leon vail difficile, mais c'est la chose la plus retournâmes à Londres, heureux du Shamroy. À ce moment-là, Zanuck agréable qu'il m'ait été donné de travail accompli. avait quitté la Fox et plus personne ne faire.

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