Sahara, Terre Promise
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SAHARA, TERRE PROMISE La France possède un grand désert, c'est même le plus grand du monde ; il est aussi peut-être le plus riche du monde. Si la puissance militaire d'une nation se mesure à son potentiel indus• triel, pourquoi la France ne s'occupe-t-elle pas d'une façon effec• tive de celui qu'elle possède en Afrique ? La Russie aurait-elle vaincu sans le potentiel industriel qui s'échelonne en profondeur sur l'Oural et à travers la Sibérie ? Si les Anglo-Saxons ont gagné la guerre, la victoire n'est-elle pas due également à leur potentiel industriel ? Il fallait être un Hitler pour sous-estimer la puissance industrielle des Etats-Unis ou encore un Ishito pour oser provoquer cette force. Rien ne s'improvise. Tout se prépare patiemment, opiniâtre• ment. Si nous disposions de notre pétrole, de notre charbon, de nos minerais du Sahara quelle force serait la nôtre ! Depuis longtemps déjà l'organisation administrative du Sahara et surtout la mise en valeur des richesses de son sous-sol sont deux problèmes qui ont été posés devant l'opinion. L'Assemblée natio• nale s'y est particulièrement intéressée depuis 1952 et l'Assemblée de l'Union française, de son côté, s'en est fortement inquiétée. J'ai fait partie de la mission chargée d'examiner sur place les divers problèmes sahariens et je vais essayer, en relatant ce voyage au centre industriel de Colomb-Béchar, actuellement point de mire du Sahara, de fixer ces données nouvelles d'un intérêt national qui n'échappe pas à nos pouvoirs publics. PARIS-COLOMB-BÉCHAR : CINQ HEURES D'AVION... Deux fois par semaine, un avion d'Air France nous relie direc• tement à Colomb-Béchar. Cinq heures d'avion en tout depuis Paris. 202 LA REVUE • Au cours de mon escale à Alger, j'ai voulu rencontrer un pion• nier du Sahara, Georges Estienne. Il m'accueille à ma descente du DC4 sur le terrain de Maison-Blanche. Nous évoquons le passé, ce passé fait de ses prouesses dans cet immense désert qu'il recon• nut un des premiers ; grâce à lui, je voyais le Sahara se transformer tandis qu'il me parlait avec enthousiasme de son avenir, de ses richesses, tout heureux qu'une mission officielle eut pris l'initiative de faire sur place une enquête. « Un jour, me dit-il, la France s'apercevra que son avenir est en Afrique ». Alger-Colomb-Béchar : 2 heures de vol. Par Un ciel gris, nua• geux, le DC4 d'Air-France décolle de Maison-Blanche. On a em• barqué beaucoup de fret, mais nous ne sommes que onze passagers et nous quittons la plaine algérienne fraîchement labourée pour aborder les montagnes craquelées, ridées dont les sommets sont couverts d'une neige légère. Il semble paradoxal de voir ce duvet blanc devenir plus dense à mesure que nous avançons vers le Sud. C'est que les montagnes vont s'élevant. Le commandant Frézart, notre chef de bord, met heureuse• ment le chauffage, car nous gelions même avec nos pardessus. Nous volons dans la crasse. Une trouée nous laisse découvrir Affre- ville. Nous replongeons dans le « coton », puis un léger voile blanc prend une teinte rosée quand nous survolons le -sable, rouge par moment, du désert. Et voici le Djebel Béchar avec Colomb-Béchar à ses pieds et une plaine de sable qui s'étend à perte de vue. Nous atterrissons sur la piste en « dur » fraîchement achevée ; l'avion se dirige vers un groupe de personnes massées auprès d'une mo• deste bâtisse en construction : c'est l'aérogare future. Sous une pluie fine, nous devons subir le long débarquement du ravitaillement pour la petite cité, car malencontreusement nos légers bagages ont été placés dessous ! Dans quel état nous les rendra-t-on ? Pourquoi ce voyage, en tous points parfait, se trouve- t-il gâté par la négligence du personnel manutentionnaire d'Alger ? Le général Quenard, commandant le territoire militaire d'Aïn- Sefra, me prend dans sa voiture et, après avoir traversé la ville devenue déserte sous la pluie, je suis son hôte au « Territoire ». Le « Territoire », c'était à l'origine un hôtel que construisit un homme qui sut oser en Afrique. Un homme énergique et auda• cieux qui avait deviné les ressources du désert, un animateur qui aujourd'hui manque tellement à l'industrie française André Citroën- SAHARA, TERRE PROMISE 203 André Citroën avait eu l'idée, en 1929, de faire traverser le Sahara au Roi des Belges. Pour l'accueillir aux portes du désert, il construisit donc un hôtel — n'avait-il pas déjà réalisé un premier équipement hôtelier saharien dès 1924 ? — Mais le gouvernement français ne prit pas la responsabilité d'assurer la sécurité de son hôte royal et le voyage fut décommandé. Heureusement l'hôtel resta. Longue bâtisse blanche, sans étage, son vaste rez-de-chaus• sée tout en longueur donne sur une grande cour. D'un côté la demeure résidentielle, de l'autre les bureaux du commandant du Territoire. Il fait presque froid. Dans la vaste salle qui sert à la fois de salon et de salle à manger, brûlent de belles bûches de tamaris qui viennent des forêts voisines. Il y a donc des forêts au Sahara ? Oui, dans la vallée du Guir. Le général me fait le, programme du séjour et déjà il me com• munique sa foi en la région industrielle de Colomb-Béchar. Il la voit prospérer d'année en année depuis 1947, date de sa prise de commandement. « J'assiste ici à l'arrivée des prospecteurs. Scepti• ques au début, ils repartent enthousiastes. » Le soir, au dîner, l'existence au désert, en écoutant la conver• sation si vivante d'un commandant de poste, n'aura plus de secret pour moi. Il est venu avec sa femme se retremper dans l'atmo• sphère plus civilisée de Colomb-Béchar. Mais n'est-ce pas une illusion que ce jeune ménage vient chercher ? Dans son poste, à 600 km. dans le sud, il a tout de même un confort qui contraste étrangement avec l'idée que nous nous faisons du désert... Il a un réfrigérateur, une radio, un tennis et surtout une piscine. En somme les environs de Paris... r— Les mois de juillet et d'août sont terribles à passer, me dit-il. Un commandant des Douanes du Nord de la France a voulu con• naître le Sahara au cours de ses vacances. Il s'est arrêté à mon poste. Il a failli y mourir. J'ai dû le faire rapatrier rapidement comme un grand blessé. Mais plus redoutable encore est le contact avec les hommes. Toujours les mêmes ! C'est la vie quotidienne sans évasion. Alors, Colomb-Béchar, pour nous blédards, c'est la cité ! Et, comme le blédard, j'ai « fait le boulevard », le boulevard Raympnd-Poincaré. J'y ai vu côte à côte une pâtisserie, une bijou• terie, un photographe, les plus belles marques de réfrigérateurs, et même d'alléchants produits de beauté pour les femmes. Bref, 204 LA REVUE une vraie capitale... Dieu, que les rues sont bien gardées ! On y rencontre force gendarmes et sergents de ville, ces derniers très stricts sur la police de la route. Il est loin le petit camp fondé par Lyautey, il y a quelque cin• quante ans, où, à la nuit tombante, on était tenu de se barri• cader, où les sentinelles devaient monter une garde vigilante. Le poste de 1900, devenu petite bourgade endormie et peureuse en 1938, a fait place à une cité florissante. Une activité industrielle s'est emparée de Béchar, suscitant une activité économique. En France, on apprend aux écoliers que le Sahara est un pays sans eau, où la chaleur est intolérable. Cette première nuit, je m'endormirai bercé par le ronronnement du poêle, tandis qu'une pluie torrentielle tombe avec fracas ; elle rebondit violemment sur la plate-forme cimentée de la terrasse qui domine le jardin du « Territoire ». Mais lorsque « la gazelle », magnifique maître d'hôtel arabe, tire les rideaux de ma chambre, un soleil éclatant vient la baigner et je me souviens alors de cette expression typique enten• due hier à Alger : « Nous sommes au mois des fous ». Il pleut des cordes, dix minutes après le soleil luit et ainsi, tout au long de la journée, la pluie et le soleil se succèdent à intervalles rapides et souvent réguliers. COLOMB-BÉCHAR, CITÉ PROSPÈRE Je passe ma première matinée à visiter la ville. Pas âme qui vive sur la place des Chameaux, à la sortie du « Territoire ». Cette place est vaste, carrée, bordée de bâtisses blanches à basses et uniformes arcades. Elle a une certaine harmonie. Je m'amuse à regarder un car dans lequel des Arabes s'engouffrent en file indienne. Il est prêt à partir pour Béchar-Djedid situé à 6 km. Tout au long de la jour• née il fera la navette et sera toujours aussi débordant de cette foule agitée et grouillante. Je pénètre dans la cour intérieure de la Société Africaine des Transports Tropicaux. Dans ces mêmes locaux, où il y a mainte• nant bureaux et ateliers, le pacha d'Aichir avait son harem. Je lis sur les voitures pullmann argentées un itinéraire évocateur : « Alger- Zinder-Kano-Niamey-Fort-Lamy », 4.700 km., la plus longue ligne automobile du monde. A côté, un camion citerne de 18.000 litres avec une seule inscription : « Ligne du Hoggar » ; c'est le ravi• taillement en essence des postes du désert. SAHARA, TERRE PROMISE 205 11 y a trente ans, les voitures à chenilles de la mission Citroën effectuaient la première traversée du Sahara.