SAHARA, TERRE PROMISE

La France possède un grand désert, c'est même le plus grand du monde ; il est aussi peut-être le plus riche du monde. Si la puissance militaire d'une nation se mesure à son potentiel indus• triel, pourquoi la France ne s'occupe-t-elle pas d'une façon effec• tive de celui qu'elle possède en Afrique ? La Russie aurait-elle vaincu sans le potentiel industriel qui s'échelonne en profondeur sur l'Oural et à travers la Sibérie ? Si les Anglo-Saxons ont gagné la guerre, la victoire n'est-elle pas due également à leur potentiel industriel ? Il fallait être un Hitler pour sous-estimer la puissance industrielle des Etats-Unis ou encore un Ishito pour oser provoquer cette force. Rien ne s'improvise. Tout se prépare patiemment, opiniâtre• ment. Si nous disposions de notre pétrole, de notre charbon, de nos minerais du quelle force serait la nôtre ! Depuis longtemps déjà l'organisation administrative du Sahara et surtout la mise en valeur des richesses de son sous-sol sont deux problèmes qui ont été posés devant l'opinion. L'Assemblée natio• nale s'y est particulièrement intéressée depuis 1952 et l'Assemblée de l'Union française, de son côté, s'en est fortement inquiétée. J'ai fait partie de la mission chargée d'examiner sur place les divers problèmes sahariens et je vais essayer, en relatant ce voyage au centre industriel de Colomb-Béchar, actuellement point de mire du Sahara, de fixer ces données nouvelles d'un intérêt national qui n'échappe pas à nos pouvoirs publics.

PARIS-COLOMB-BÉCHAR : CINQ HEURES D'AVION...

Deux fois par semaine, un avion d'Air France nous relie direc• tement à Colomb-Béchar. Cinq heures d'avion en tout depuis . 202 LA REVUE

• Au cours de mon escale à Alger, j'ai voulu rencontrer un pion• nier du Sahara, Georges Estienne. Il m'accueille à ma descente du DC4 sur le terrain de Maison-Blanche. Nous évoquons le passé, ce passé fait de ses prouesses dans cet immense désert qu'il recon• nut un des premiers ; grâce à lui, je voyais le Sahara se transformer tandis qu'il me parlait avec enthousiasme de son avenir, de ses richesses, tout heureux qu'une mission officielle eut pris l'initiative de faire sur place une enquête. « Un jour, me dit-il, la France s'apercevra que son avenir est en Afrique ». Alger-Colomb-Béchar : 2 heures de vol. Par Un ciel gris, nua• geux, le DC4 d'Air-France décolle de Maison-Blanche. On a em• barqué beaucoup de fret, mais nous ne sommes que onze passagers et nous quittons la plaine algérienne fraîchement labourée pour aborder les montagnes craquelées, ridées dont les sommets sont couverts d'une neige légère. Il semble paradoxal de voir ce duvet blanc devenir plus dense à mesure que nous avançons vers le Sud. C'est que les montagnes vont s'élevant. Le commandant Frézart, notre chef de bord, met heureuse• ment le chauffage, car nous gelions même avec nos pardessus. Nous volons dans la crasse. Une trouée nous laisse découvrir Affre- ville. Nous replongeons dans le « coton », puis un léger voile blanc prend une teinte rosée quand nous survolons le -sable, rouge par moment, du désert. Et voici le Djebel Béchar avec Colomb-Béchar à ses pieds et une plaine de sable qui s'étend à perte de vue. Nous atterrissons sur la piste en « dur » fraîchement achevée ; l'avion se dirige vers un groupe de personnes massées auprès d'une mo• deste bâtisse en construction : c'est l'aérogare future. Sous une pluie fine, nous devons subir le long débarquement du ravitaillement pour la petite cité, car malencontreusement nos légers bagages ont été placés dessous ! Dans quel état nous les rendra-t-on ? Pourquoi ce voyage, en tous points parfait, se trouve- t-il gâté par la négligence du personnel manutentionnaire d'Alger ? Le général Quenard, commandant le territoire militaire d'Aïn- Sefra, me prend dans sa voiture et, après avoir traversé la ville devenue déserte sous la pluie, je suis son hôte au « Territoire ». Le « Territoire », c'était à l'origine un hôtel que construisit un homme qui sut oser en Afrique. Un homme énergique et auda• cieux qui avait deviné les ressources du désert, un animateur qui aujourd'hui manque tellement à l'industrie française André Citroën- SAHARA, TERRE PROMISE 203

André Citroën avait eu l'idée, en 1929, de faire traverser le Sahara au Roi des Belges. Pour l'accueillir aux portes du désert, il construisit donc un hôtel — n'avait-il pas déjà réalisé un premier équipement hôtelier saharien dès 1924 ? — Mais le gouvernement français ne prit pas la responsabilité d'assurer la sécurité de son hôte royal et le voyage fut décommandé. Heureusement l'hôtel resta. Longue bâtisse blanche, sans étage, son vaste rez-de-chaus• sée tout en longueur donne sur une grande cour. D'un côté la demeure résidentielle, de l'autre les bureaux du commandant du Territoire. Il fait presque froid. Dans la vaste salle qui sert à la fois de salon et de salle à manger, brûlent de belles bûches de tamaris qui viennent des forêts voisines. Il y a donc des forêts au Sahara ? Oui, dans la vallée du Guir. Le général me fait le, programme du séjour et déjà il me com• munique sa foi en la région industrielle de Colomb-Béchar. Il la voit prospérer d'année en année depuis 1947, date de sa prise de commandement. « J'assiste ici à l'arrivée des prospecteurs. Scepti• ques au début, ils repartent enthousiastes. » Le soir, au dîner, l'existence au désert, en écoutant la conver• sation si vivante d'un commandant de poste, n'aura plus de secret pour moi. Il est venu avec sa femme se retremper dans l'atmo• sphère plus civilisée de Colomb-Béchar. Mais n'est-ce pas une illusion que ce jeune ménage vient chercher ? Dans son poste, à 600 km. dans le sud, il a tout de même un confort qui contraste étrangement avec l'idée que nous nous faisons du désert... Il a un réfrigérateur, une radio, un tennis et surtout une piscine. En somme les environs de Paris... r— Les mois de juillet et d'août sont terribles à passer, me dit-il. Un commandant des Douanes du Nord de la France a voulu con• naître le Sahara au cours de ses vacances. Il s'est arrêté à mon poste. Il a failli y mourir. J'ai dû le faire rapatrier rapidement comme un grand blessé. Mais plus redoutable encore est le contact avec les hommes. Toujours les mêmes ! C'est la vie quotidienne sans évasion. Alors, Colomb-Béchar, pour nous blédards, c'est la cité ! Et, comme le blédard, j'ai « fait le boulevard », le boulevard Raympnd-Poincaré. J'y ai vu côte à côte une pâtisserie, une bijou• terie, un photographe, les plus belles marques de réfrigérateurs, et même d'alléchants produits de beauté pour les femmes. Bref, 204 LA REVUE une vraie capitale... Dieu, que les rues sont bien gardées ! On y rencontre force gendarmes et sergents de ville, ces derniers très stricts sur la police de la route. Il est loin le petit camp fondé par Lyautey, il y a quelque cin• quante ans, où, à la nuit tombante, on était tenu de se barri• cader, où les sentinelles devaient monter une garde vigilante. Le poste de 1900, devenu petite bourgade endormie et peureuse en 1938, a fait place à une cité florissante. Une activité industrielle s'est emparée de Béchar, suscitant une activité économique. En France, on apprend aux écoliers que le Sahara est un pays sans eau, où la chaleur est intolérable. Cette première nuit, je m'endormirai bercé par le ronronnement du poêle, tandis qu'une pluie torrentielle tombe avec fracas ; elle rebondit violemment sur la plate-forme cimentée de la terrasse qui domine le jardin du « Territoire ». Mais lorsque « la gazelle », magnifique maître d'hôtel arabe, tire les rideaux de ma chambre, un soleil éclatant vient la baigner et je me souviens alors de cette expression typique enten• due hier à Alger : « Nous sommes au mois des fous ». Il pleut des cordes, dix minutes après le soleil luit et ainsi, tout au long de la journée, la pluie et le soleil se succèdent à intervalles rapides et souvent réguliers.

COLOMB-BÉCHAR, CITÉ PROSPÈRE

Je passe ma première matinée à visiter la ville. Pas âme qui vive sur la place des Chameaux, à la sortie du « Territoire ». Cette place est vaste, carrée, bordée de bâtisses blanches à basses et uniformes arcades. Elle a une certaine harmonie. Je m'amuse à regarder un car dans lequel des Arabes s'engouffrent en file indienne. Il est prêt à partir pour Béchar-Djedid situé à 6 km. Tout au long de la jour• née il fera la navette et sera toujours aussi débordant de cette foule agitée et grouillante. Je pénètre dans la cour intérieure de la Société Africaine des Transports Tropicaux. Dans ces mêmes locaux, où il y a mainte• nant bureaux et ateliers, le pacha d'Aichir avait son harem. Je lis sur les voitures pullmann argentées un itinéraire évocateur : « Alger- Zinder-Kano--Fort-Lamy », 4.700 km., la plus longue ligne automobile du monde. A côté, un camion citerne de 18.000 litres avec une seule inscription : « Ligne du Hoggar » ; c'est le ravi• taillement en essence des postes du désert. SAHARA, TERRE PROMISE 205

11 y a trente ans, les voitures à chenilles de la mission Citroën effectuaient la première traversée du Sahara. L'immense désert ; relie maintenant l'Algérie au Niger et au Tchad par différentes voies de communication. Le Sahara français est devenu, entre la Méditerranée et l'Afrique Centrale, une voie commerciale dont l'importance économique n'est plus discutée. Du Nord au Sud, en effet, deux lignes régulières sont ouvertes au trafic voyageurs et marchandises : ligne de Bidon V, piste N° 2, la plus courte, par , Colomb-Béchar, Gao et Niamey. Son trafic marchandises est en constant développement ; 225 automobiles l'ont empruntée sans encombre en février dernier. Ligne du Hoggar, piste N° 1, par Alger, et Zinder. Son trafic voyageurs est plus élevé en raison des ressources touristiques et des facilités de ravi• taillement. Au bout du boulevard Poincaré, j'arrive à l'hôpital militaire Yves Quemeneur. Quemeneur était un médecin-lieutenant qui mourut à Colomb-Béchar au cours d'une épidémie. A l'entrée, les anciens bâtiments qui datent de 1883 contrastent singulièrement avec les nouveaux. Construit en 1945, dans le style du pays, par des prisonniers anciens collaborateurs aidés de pri• sonniers italiens, l'hôpital est moderne. Il a 100 lits et pourrait en recevoir le double si besoin en était. Ses six bâtisses espacées sont admirablement conçues pour résister à la fois à la chaleur et au froid. N'oublions pas, en effet, qu'on subit des nuits glaciales par• fois au Sahara. Il fait nuit. Le boulevard Raymond-Poincaré est très animé, toutes les vitrines sont splendidement éclairées. Une petite cara• vane traverse la ville et arrive au « Territoire ». Ce sont mes collègues de l'Assemblée de l'Union française qui viennent tout droit de Gao. Avec le général Quenard, nous accueillons MM. Daniel Bois- don, Pierre Cornet et Paul Theetten. Ils ont traversé le désert en moins de quatre jours en suivant la piste régulière, l'itinéraire normal qui relie l'Afrique noire à l'Afrique blanche, s'arrêtant à Bidon V, Reggan et Beni-Abbès. Ils sont un peu fatigués, mais leur voyage s'est accompli sans his• toire, sans incident. Le soir, le Président Boisdon, qui a parcouru les différentes pistes du désert et qui a souligné dans un rapport magistral l'ur• gence de la question saharienne, nous parlera de sa rencontre avec la mission de l'Assemblée nationale. Il la croisa à Dakar et à Ségou. 206 LA REVUE

Sous la direction de M. July, député d'Eure-et-Loir, elle étudiait les régions périphériques du Sahara. L'an dernier, déjà, l'Assemblée nationale sur l'initiative de la Commission de l'Intérieur avait envoyé une mission présidée par M. Cor• donnier pour examiner le problème des territoires du Sud-Algé• rien. Ce grand problème est, en effet, très complexe et l'on comprend que les Commissions intéressées aient à cœur d'envoyer sur place leurs représentants pour chercher la solution de l'unification saha• rienne. Le Sahara français, qui représente la presque totalité du Sahara proprement dit, est divisé administrativement en cinq par• ties, dont chacune relève de l'Algérie, de la Tunisie, du Maroc, de l'A.O.F. et de l'A.E.F. Cinq régimes administratifs différents ! Et quatre ministères : Intérieur, Affaires étrangères, France d'Outre-Mer, Défense nationale. « Il convient donc, a déclaré M. July dès son arrivée à Paris, de mettre fin et de la façon la plus nette, à Vincohérence administrative existante ». En dehors de ces deux missions, nous apprenons avec satisfaction le voyage en Afrique noire de M. Jacquinot, ministre de la France d'Outre-Mer, et nous commentons sa récente déclaration : « Je crois à l'Afrique, à ses immenses territoires, à son développement. Le sous-sol africain contient des richesses qu'il est de notre devoir de prospecter et d'exploi• ter ». M. Louvel, ministre de l'Industrie et de l'Energie, de son côté, ne se trouvait-il pas dernièrement dans le Sud ? La presse s'est fait l'écho de ses déclarations : « Malgré l'immensité de ses terri• toires, le risque de travaux gigantesques et onéreux doit être couru, car cela en vaut la peine. » Membres du gouvernement, membres des Assemblées sont venus visiter ces immenses espaces qui retiennent l'attention des organismes officiels en même temps qu'ils suscitent l'intérêt de l'opinion publique. La première conclusion qui se dégage de ces visites est la nécessité impérieuse de concevoir les problèmes sahariens d'une tout autre manière qu'ils l'ont été jusqu'à présent. C'est un pro• blème d'intérêt national qui doit se traiter à Paris et suivant le vœu des enquêteurs dans les plus brefs délais. SAHARA, TERRE PROMISE 207

DU CHARBON DANS LE DÉSERT

La mission chargée par l'Assemblée de l'Union française du problème saharien est maintenant au complet. Nous sommes tous réunis autour de la table du commandant du Territoire. A bâtons rompus, nous passons en revue l'effort, la ténacité avec lesquels certains grands pays ont mis en valeur des déserts semblables au nôtre, voire même plus arides, plus difficiles à prospecter que celui aux portes duquel nous nous trouvons. Depuis longtemps déjà, les Britanniques et les Belges se sont chargés d'exploiter les exceptionnelles richesses du sous-sol de l'Afrique du Sud. Parmi les exemples les plus probants nous pen• sons au Congo belge, aux multiples îlots du Katanga et à la zone agricole du Kiwu. Les magnifiques réalisations de ces régions sont le fruit et les témoins de la volonté des hommes. Les Anglais au Kenya, au Tanganyika, dans la Rhodésie, au Canada, en Australie, ont su industrialiser méthodiquement de vastes contrées et ont obtenu des résultats prodigieux. Nous revenons à l'Afrique du Sud où de nombreuses et vastes cités se sont élevées depuis cinquante ans. Un grand nombre ont « poussé » dans les régions les plus ingrates du Veld, dans la péri• phérie du désert de Kalahari ou encore au beau milieu de l'affreux désert de Nabib lui-même, montrant qu'il n'y a pas de difficultés naturelles que l'on ne puisse vaincre quand on est résolu à aboutir. Nous faisons une autre constatation, c'est qu'il n'est pas d'exemple que des territoires aussi vastes et d'un seul tenant, comme le Sahara, soient complètement dépourvus de minéralisa• tion importante. On ne peut concevoir sans mines le territoire des Etats-Unis qui mesure plus de 7 millions et demi de kilomètres carrés ou celui de la Russie d'Europe avec 5 millions de kilomètres carrés, celui du Brésil avec 8 millions et demi de kilomètres carrés, du Canada avec 9 millions et demi, alors que l'étendue de l'en• semble africain français atteint 9 millions 600.000 kilomètres carrés. Chacun sait que les plus importantes mines du monde se trouvent dans les pays que je viens de citer, certaines sont connues depuis longtemps, d'autres, et non des moindres, au Canada, en Australie, en U.R.R.S., au Brésil ont au contraire été décou• vertes à la suite de prospections récentes et dans des secteurs considérés comme sans intérêt. Les Russes n'ont-ils pas montré, lors 208 LA REVUE du cengrès géologique international de Moscou en 1937 grâce à une prospection persévérante et méthodique, les réserves char• bonnières du bassin du Donetz, évaluées à moins de 2 milliards de tonnes en 1869, étaient passées à 55 milliards en 1912 et à 88 milliards en 1937 ? Sahara de l'Atlantide, Sahara des rêves de notre enfance, Sahara terre de la soif, terre de sable, ce Sahara-là a vécu.

LES MINES DE KENADZA

Un petit poste était installé en 1916 à Kenadza. Le capitaine qui le commandait fut assez intrigué en voyant les femmes du village gratter le sol du désert. Il ne tarda pas à découvrir qu'elles venaient y chercher de quoi faire du feu. Un légionnaire silésien eut la curiosité de donner, à son tour, un coup de pioche et déclara : « En Silésie, c'est du charbon ». Ainsi fut décelée une formation charbonnière sous l'immense plaine qui s'étend de la falaise Colomb-Béchar-Kenadza jus• qu'au pied des Djebel Antar, Horreit et Bou Kaïs. C'est par là que nous commençons notre visite. La petite caravane quitte le « Territoire » en longeant un marché pittoresque où les robes de couleurs vives des femmes chatoient au soleil. Nous voyons à la sortie de la cité l'emplacement où, dans quelques semaines, on entreprendra la construction d'un hôtel dû à l'initiative de la Compagnie générale Transatlantique et de Georges Estienne. Cet hôtel ne deviendra-t-il pas dans quel• ques annéees le centre de Colomb-Béchar ? Nous ne tardons pas à aborder le désert. La route est carros• sable et la voie ferrée la suit à peu de distance. Nous parcourons 25 km à peine et nous voici à Kenadza. C'est une vraie petite ville ; les rues sont bien tracées, nettes, l'école voisine avec l'église et la mosquée, l'aspect extérieur des villas annonce des intérieurs confortables. Nous sommes, faut-il l'avouer, un peu étonnés de cet ensemble parfaitement équilibré. La ville précède la mine. Nous nous arrêtons devant l'immeu• ble de la Direction et mon collègue Paul Theetten, originaire du Nord, n'est pas dépaysé : « C'est un immeuble comme nous en voyons chez nous ». Effectivement nous sommes transportés dans une cité des environs de Lille. SAHARA, TERRE PROMISE 209

M. Joanny Thomas, directeur général de la Société des Houil• lères, nous accueille en haut des marches et quelques minutes après nous sommes assis autour d'une table, crayon en main, tels des écoliers studieux. Nous écouterons l'intéressant « amphi » de l'aimable directeur qui nous retrace l'historique de son indus• trie, ses réalisations et ses perspectives d'avenir. — Colomb-Béchar, nous dit-il, se caractérise par la présence d'un bassin houiller dont la partie nord située à Kenadza est exploitée. La partie sud, avec les points caractéristiques de Ksiksou et de Sfaïa, donne lieu actuellement à d'importants travaux de prospection. Un bassin doit être ouvert prochainement à Ksiksou. On compte sur 200 tonnes par jour pour débuter. Un troisième bassin, celui de Nézarif, situé à l'est de Béchar, étant donné les difficultés d'approche, n'a pas encore fait l'objet de prospections sérieuses. On trouve, en outre, des gîtes de fer hématite dont on envisagerait l'exploitation prochaine à raison de 50.000 tonnes par an. On trouve également des traces de plomb et de cuivre. L'origine de l'exploitation de Kenadza est bien simple. La Compagnie des Chemins de Fer Algériens, lorsqu'elle installa la voie ferrée, eut besoin de charbon. Elle créa là un petit centre d'exploitation et fut ainsi ravitaillée en combustible. Puis, au début de la dernière guerre, comme l'Algérie manquait de char• bon, la production annuelle passa de 60.000 à 250.000 tonnes. Actuellement, la production mensuelle est de 30.000 tonnes. Elle est acheminée vers Nemours par la voie ferrée aux fins d'ex• portation en Espagne et en Italie ou pour la consommation de l'Afrique du Nord. M. Thomas nous parle également de la petite ville que nous avons aperçue. Elle a été créée avec tous les services sociaux néces• saires, le médecin, les assistantes sociales, sans parler bien entendu de l'école et des coopératives. Il insiste sur la valeur exception• nelle du personnel de maîtrise. Les indigènes se sont bien adaptés à ce travail nouveau. Ainsi on trouve sur place, déjà habitués au pays, les premiers éléments de l'industrialisation africaine. Les charbons du Sud-Oranais sont généralement sulfurés. Le problème important est donc le lavage du charbon et l'éUmi- nation du soufre. Si l'on a recours aux procédés des bas-four• neaux, ce problème d'élimination se pose avec moins d'acuité puisque l'avantage de ce procédé réside principalement dans l'emploi de ce genre de charbon. 210 LA REVUE

Enfin nous apprenons à la fin de cet exposé que les charbons du Sud-Oranais ont fait, en 1952, l'objet d'essais en vue de leur transformation en produit de synthèse. Nous foulons maintenant le sol qui reçut le premier coup de pioche du légionnaire. Cette manie de creuser, de tailler dans le roc, de collectionner des pierres, continue d'ailleurs depuis cette époque. Cette manie, il faut le dire, a donné d'excellents résultats. Nous sommes au bord d'un chemin roulant qu'escala• dent des wagonnets qui ramènent de la colline le charbon gras. On devient optimiste au contact d'une nature si généreuse. Enve• loppé de soleil dans ce jaune du désert, on voit s'étendre à perte de vue cette magnifique tâche blonde, cependant que s'élèvent ces monticules noirâtres et cette succession de petits pics som• bres. Quel contraste saisissant !

LE « COMBINAT » DE BÉCHAR

Première étape de Vindustrialisation de Sahara

Un déjeuner cordial nous réunit dans la salle à manger du grand bâtiment administratif. M. Thomas nous manifeste la joie qu'il éprouve en constatant l'intérêt que les services officiels portent à l'avenir de ce bassin houiller. Peut-être celui-ci sera- t-il à l'origine du « combinat » souhaité par l'homme qui veille avec tant de soin et d'intelligence sur notre Sahara, M. Erik Labonne, trop méconnu en France. Ce « combinat » permettrait de valoriser toutes les richesses du sous-sol algéro-marocain. La création du combinat de Béchar vient donc à point nommé afin d'apporter la seule et unique solution de salut pour nos char• bonnages. Sans elle, à l'heure où l'insuffisance de la production charbonnière française confère à notre pays un rang d'associé de second ordre parmi les signataires du pool charbon-acier, l'économie française se trouverait privée d'une chance sérieuse d'améliorer sa position et la France serait en mauvaise posture pour participer à l'organisation de l'Afrique, corollaire inéluc• table du Pacte Atlantique. Pourquoi Béchar a-t-il été choisi ? C'est là, en effet, que doivent s'implanter les installations de la première zone d'orga• nisation industrielle de l'Afrique (Z. O. I. A. n° 1). Ce choix a été-dicté par des considérations minéralogiques et économiques. Nous l'avons vu, Béchar est une ville prospère, susceptible SAHARA, TERRE PROMISE 211

d'attirer le monde des affaires qui nécessairement gravitera autour de cette région. Béchar est aussi un centre qui peut être grande• ment développé du point de vue de l'habitat. Nous le verrons au cours de nos différents visites, les ressources en eau sont capa• bles de répondre à toutes les exigences de la vie. Béchar est égale• ment le siège d'études militaires importantes. J'ai l'occasion d'aller saluer son chef, le colonel Michaud ; mais il n'est pas possible de pousser plus avant ma visite, le centre d'Essai des, engins téléguidés fait partie des secrets de la défense nationale. Le bruit a couru que des usines d'aviation seraient construites, ici. Nous en sommes loin. Il y a bien eu des projets de ce genre. Des dirigeants de sociétés nationales aéronautiques ont effecti• vement saisi la valeur préservative et le potentiel de création qui s'attacheraient à l'échelonnement en profondeur des établis• sements industriels et notamment des industries de guerre. Il est évident que la découverte de gîtes de bauxite permettrait l'implantation dans ce fameux « combinat » d'une industrie de l'aluminium à laquelle s'intéresserait infailliblement une industrie de l'aéronautique. Mais nous n'en sommes pas là. Qu'il nous soit simplement permis de situer la question. C'est au cours de cette première visite à Kenadza que nous comprenons l'intérêt de la constitution du « combinat » qui grou• perait les industries interdépendantes et s'approvisionnerait de matières premières aux sources locales. Première étape de l'indus• trialisation de l'ensemble africain français.

*

A 3 heures, nous avons déjà regagné la ville, calme, déserte presque à cette heure particulièrement chaude de la journée. J'avais pris rendez-vous avec un petit transporteur de Colomb- Béchar, M. Stadler, qui est le plus vieux des Sahariens installés dans la ville. Arrivé d'Alger en 1916 comme conducteur de camion, il se trouve à la tête d'une petite entreprise de transport. Mais je veux, de sa bouche, entendre le récit d'un drame dont il fut le témoin dans le désert. Si l'on y peut circuler paisi• blement aujourd'hui, il n'en fut pas toujours de même et il est juste de rendre hommage à ceux qui eurent le courage de s'y aventurer. C'était le 18 mai 1927, un convoi de trois camions 212 LA REVUE quittait Béni-Tadjit pour rejoindre Bou Denib. Sur chaque voi• ture se trouvaient quatre tirailleurs d'escorte. René Estienne avait pris place sur le premier camion qu'il conduisait lui-même. Près de lui se tenait le mécanicien Grimm. Soudain, à 14 h. 30, au col de Bel-Kacem, une vingtaine de « djicheurs » en embus• cade ouvrirent le feu sur le camion de tête qui, malheureusement, au cours de la marche, avait pris une avance de 1 km sur les deux autres. René Estienne, le frère de Georges, atteint de deux balles à la tête, fut tué net à son volant. Les quatre tirailleurs périrent également. Grimm fut seulement blessé, mais il devait peu après être achevé à coups de poignard. — J'occupais le second véhicule, poursuit M. Stadler. Malgré mon moteur traversé par plusieurs projectiles, je réussis à me replier sur le dernier camion et je rejoignis immédiatement Béni- Tadjit pour donner l'alerte. Ce Sahara-là a été vaincu grâce à la ténacité et au courage de ses pionniers. Leur mémoire ne manquera pas d'être honorée par le Sahara nouveau.

UNE RÉVÉLATION : LE MASSIF DE L'OUGARTA

— C'est une grande journée, nous dit le général Quenard, en nous accueillant à sa table. Je viens, en effet, de recevoir une nouvelle que j'attendais impatiemment depuis plusieurs semaines. On a maintenant l'assurance que sur une partie de la chaîne de l'Ougarta, longue de 50 kilomètres, les couches de fer sédimen- taire sont sans aucune faille, ininterrompues. — Et le général continue : — M. Georges Cantarel estime à plusieurs milliards de tonnes les possibilités de ce gîte. Quinze puits de recherches ont déjà été forés et, autre avantage à considérer, la totalité du gîte se trouve sur le parcours prévu pour le prolongement du chemin de fer Méditerrannée-Niger, à 250 kilomètres au sud de Colomb- Béchar... Nous accueillons avec une grande satisfaction cette informa• tion qui, heureuse coïncidence, arrive au moment où nous venons faire une enquête dans cette région. Il est vrai que d'anciennes exploitations indigènes de mine- raïs de cuivre datant de plusieurs siècles ont été reconnues sur ces terrains. On se doutait que l'important massif de l'Ougarta comprenait de nombreux indices de minéralisation, notamment SAHARA, TERRE PROMISE 213 de cuivre et de plomb. La Compagnie Moktar El Hadid et le Bureau des Recherches Minières d'Algérie (le B. R. M. A.) ont ouvert en 1952 une partie de cette région avec des permis de recherche de fer, de manganèse et de cuivre. C'est le moment de rendre hommage aux cheminots du Médi• terranée-Niger. En effet, ils furent les premiers à signaler du fer dans ce massif de l'Ougarta. Au moment du tracé de la ligne, une voiture ensablée fut à l'origine de cette découverte. Ce ne fut pas la seule. Aux points kilométriques P K 20, P K 40 et P K 60, les cheminots ont trouvé également des gisements qui font dire couramment qu'au Sahara les cheminots se doublent de géologues. Un autre slogan circule à Colomb-Béchar : « Pour• quoi un chemin de fer s'il n'a rien à transporter et que devien• drait le minerai que l'on ne pourrait transporter ? »

LOUIS CASTEX, Conseiller de l'Union Française. (A suivre).

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