Les projets français de transsaharien (XIXe - XXe siècles)

un challenge pour l'industrie

Monique Lakroum

Le 19 décembre 1922, les autochenilles Citroën traversent les dunes au nord du puits d'Hassi-Inifel. 'HISTORIEN déchiffre volontiers les intérêts écono­ transsaharien fut d'abord un concept technique avant de devenir miques sous-jacents aux grandes entreprises, un projet politique. C'est là qu'il faut chercher l'origine de l'en­ recherche spontanément les enjeux politiques implici­ treprise, la vitalité et la permanence sur plus d'un demi-siècle des L tes et est d'autant plus sûrement amené à le faire que idées proposées, mais également les raisons de son progressif les sources les plus profuses et les plus prolixes résultent des cam­ abandon. pagnes de promotion organisées par certains groupes de pres­ sion. Peut-on, pour autant, tout imputer au compte du profit et I. UNE DIFFICILE RECHERCHE du pouvoir? Les concepteurs d'un grand projet ont-ils les DE PATERNITÉ mêmes intérêts, la même démarche et les mêmes finalités que les promoteurs ? Comment reconstituer les liens complexes et Le journal Le Temps du 1er février 1928 soulevait, en ter­ mouvants entre le fonctionnement du système technique, les mes ambigus mais révélateurs, la question de la paternité du milieux politiques et les industriels ? Nombre de grandes entre­ transsaharien2. Il s'agissait en effet de rechercher le « personnage prises passées ou récentes, réalisées ou rangées au ban de l'utopie, gouvernemental qui a compris l'intérêt d'établir » cette liaison célèbres ou oubliées n'ont été perçues et interprétées qu'en terme ferroviaire, qui «a appelé l'attention de ses subordonnés sur de compétition économique ou de rivalité politique. Loin de "l'utilité" de cettet jonction », en somme de donner à l'idée « une nous l'idée de sous-estimer ces aspects. Il nous semble cependant estampille officielle3 ». Le procédé ne manquait pas d'habileté car que s'y mêlent également des enjeux techniques justiciables de comment mieux répondre aux hésitations des pouvoirs publics stratégies différentes et dont un des ressorts essentiels est consti­ d'alors qu'en leur attribuant la paternité de l'idée. Les recherches tué par la recherche de challenge. historiques entreprises débouchèrent sur une querelle académi­ Ce dernier présente en effet trois différences fondamenta­ que savoureuse où s'affrontèrent à titre posthume le vice-amiral les avec les autres formes de compétition : de Mackau crédité de l'idée transsaharienne dès 1847, mais bien­ — il n'a de finalitésqu'e n lui-même, se situe dans l'absolu : tôt renversé par un prétendant plus précoce, l'ex-constituant faire ce que personne n'a jamais fait, battre un record, reculer les Augier la Sauzaie, auteur d'un mémoire au roi daté de 1830 sur la limites du possible. La réussite ne s'y mesure pas en profits mais mise en communication des comptoirs de la côte occidentale en performances ; d'Afrique avec Alger récemment conquise4. — ses critères ne sont pas la conquête d'une position ou Ce débat tardif autour « d'une idée séculaire » témoigne du d'un marché mais la détention d'un titre, la possession d'une réa­ succès et de l'impact du projet devenu peu à peu l'affaire de tout lisation ; le monde sans être la chose de personne. Mais il est encore plus — il n'a de valeur que par son exemplarité, par l'effet révélateur de l'ambiguïté inhérente à toute quête des origines démonstratif qu'il entraîne. En conséquence, il repose sur une dans le domaine technique et scientifique : recherche d'un pré­ provocation initiale, un défi comme incitation à l'action. curseur, d'une source unique, du pionnier oublié à réhabiliter au Ces aspects que le monde du sport nous a rendus familiers service d'une nouvelle cause. L'histoire des grands projets doivent donc être distingués des arguments d'utilité et de renta­ échappe difficilement aux lois du genre : elle fonctionne sur le bilité que les promoteurs de l'idée ont pu y trouver. L'entreprise mode héroïque, celui de l'apologie et de la célébration. Ainsi, en fonctionne en effet sur un mode paradoxal qui stimule cher­ posant le problème du transsaharien sur un plan gouvernemental cheurs et techniciens mais s'accommode mal des impératifs de ou dans le cadre du centenaire de la conquête de l'Algérie, les gestion et d'administration auxquels sont soumis, de tout temps, enquêtes du Temps ou du Journal des Débats ne nous éclairent les responsables politiques et économiques. Ainsi l'examen guère que sur les concepteurs5. attentif des documents techniques (plan, devis, etc.) relève par­ Aussi, plus que l'origine, nous retiendrons la pérennité de fois d'une logique bien différente des argumentaires présentés l'idée : contemporaine des premières conquêtes coloniales, au pour la défense du projet. Sa réalisation, par contre, dépend des cours des années 1870, elle suscita un courant de publications liens réellement établis mais pas toujours formulés avec les ininterrompu jusqu'en 1961. L'abondance et la multiplication besoins de l'industrie. Cette articulation essentielle à tout proces­ des études, rapports de missions, plan et devis indiquent cepen­ sus d'innovation est surtout étudiée lorsqu'elle aboutit, mais dant une progressive modification de contenu. L'étude précise l'histoire des échecs mérite elle aussi notre attention car elle d'un échantillon de 360 articles consacrés uniquement aux pro­ révèle plus sûrement encore les principaux hiatus d'un système jets français et publiés entre 1860 et 1960 permet de comprendre, technique. à travers les modifications du rythme de diffusion, les causes de L'idée de transsaharien, lancée à la fin des années 1870 et cette évolution6. développée pendant toute la période coloniale, illustre ce déca­ Jusqu'à la Première Guerre mondiale, les fluctuations du lage significatif. Construction de prestige, image même du pro­ nombre de publications sont marquées par des pointes impor­ grès technique, instrument stratégique, outil de mise en valeur tantes mais de courte durée : chacune correspond à une nouvelle des colonies africaines, tel était l'abondant plaidoyer en faveur de formulation du projet et aux débats qu'elle suscita. Dans le même cette « œuvre impériale1 ». Le projet n'était certes pas original et temps, les objectifs s'amplifièrent : centrés sur l'obstacle saharien chaque grande puissance coloniale se disputait alors le droit de dans les années 1880, ils suivirent les aléas de la conquête colo­ construire un transcontinental africain. Les plans variaient bien niale et la course au Tchad à partir de 1890 puis se lancèrent à l'as­ entendu en fonction de l'organisation géostratégique de chaque saut du continent tout entier avec la définition d'un plan de tran­ empire et, face à l'axe oriental du Cap au Caire britannique, les safricain (1910-1911). Ainsi se constituèrent peu à peu, à travers Français proposaient un tracé infléchi vers le sud-ouest en direc­ une série de surenchérissements, les divers éléments du challenge tion de l'Atlantique et de la desserte de l'Amérique du Sud. Dans et l'amorce d'une jonction avec d'autres processus d'innovation. tous les cas de figure, la traversée des déserts sahariens constituait Au cours de cette période, les ingénieurs, ceux de l'Ecole des l'étape critique de la réalisation : obstacle à la circulation, entrave ponts tout particulièrement, jouèrent un rôle déterminant. aux échanges, foyer d'insécurité politique et militaire. Mais aussi Avec le premier conflit mondial, d'autres acteurs reprirent quel formidable handicap à franchir ? Quel défi à relever ? Le le projet à leur compte et l'infléchirent vers des finalités politi- ques, militaires ou économiques. Sa diffusion accrue, à la fin des rent l'idée à travers le journal Le Temps ou la Revue des Deux années 20, s'accompagna cependant d'un amoindrissement du Mondes dans laquelle Paul Leroy-Beaulieu publia, d'octobre à contenu technique. Le ministre des Travaux publics A. Tardieu, novembre 1902, une série d'études reprises deux ans après dans alors sollicité pour donner un avis sur les conditions de réalisa­ un ouvrage remarqué13. tion de l'entreprise, se déroba et suscita la création d'une Les projets esquissèrent désormais le tracé d'un transconti­ commission ad hoc (7 juillet 1928)7. Lors du débat parlementaire nental. En 1911, André Berthelot, promoteur du réseau métro­ sur la création et la dotation budgétaire de cet organisme d'étude, politain de , constitua avec l'aide d'un consortium de ban­ les partisans du transsaharien aboutirent à une conclusion bien quiers et d'industriels une société d'étude qui approfondit les générale en regard de l'ampleur du débat technique qui l'avait projets précédents et fit préciser les relevés de terrain nécessaires précédé : « Pour nous, le meilleur transsaharien, c'est celui que au tracé. Ainsi se multiplièrent, au lendemain de la Première l'on fera8 ». Ainsi, à travers les nombreuses campagnes de pro­ Guerre mondiale, plans et tracés opposés, autant de versions et motion organisées par le Comité de l'Afrique française, le de variations sur un même thème infiniment décliné14. Comité Algérie-Tunisie, Maroc et le Comité du Transsaharien, Les intérêts économiques et politiques régionaux alimentè­ la généralisation de l'idée avait conduit à sa banalisation. rent désormais des « querelles de clochers » et divisèrent les par­ tisans du transsaharien. Au sein des promoteurs eux-mêmes, les H. CONCEPTEURS ET PROMOTEURS enjeux étaient variés. Certains adversaires ne voulurent y voir DU PROJET que l'action des « créatures du Comité des Forges », toujours en quête de débouchés pour une activité de plus en plus concurren­ Il est impossible de présenter en quelques pages l'ensemble cée15. Les métallurgistes furent en effet représentés dans toutes des débats qui contribuèrent à l'élaboration du projet. Ils sont les manifestations en faveur du projet comme lors de la présenta­ dominés par deux niveaux d'argumentation distincts : à celui des tion de la proposition de loi, déposée par Edouard de Warren en techniciens qui inventèrent le transsaharien succéda, dès le début 1928, tendant à l'octroi d'un crédit de 18 millions de francs pour des années 20, celui des promoteurs, hommes politiques et l'étude technique16. représentants de certains milieux d'affaires qui virent dans l'opé­ «La grande industrie française, notamment l'industrie ration l'instrument idéal de défense de leurs intérêts. Si tous sem­ métallurgique dont la production a presque doublé depuis la blent d'accord sur l'objectif, ils sont loin de partager les mêmes guerre, et dont les exportations sont de plus en plus menacées, conceptions, de s'engager de la même manière et, paradoxale­ n'a-t-elle pas intérêt (...), à diriger son activité vers la mise en ment, le succès de l'idée auprès de certains industriels permet de valeur de cette Afrique française dont le squelette métallique tout comprendre pourquoi elle n'aboutit pas. entier à construire peut lui fournir du travail durant de longues Les premières missions de reconnaissance furent lancées, à années ? » l'initiative de la Chambre de commerce d'Alger, en 1874. L'ex­ D'autres groupes industriels, comme ceux du textile, plorateur Paul Soleillet esquissa alors un premier itinéraire mais virent dans le transsaharien l'instrument de conquête de nou­ n'aborda aucun des problèmes techniques d'une éventuelle réali­ veaux marchés africains jusqu'alors enclavés17. Dans le même sation9. Quatre ans plus tard, A. Duponchel, ingénieur des Ponts temps, les pinardiers algérois, « ardents partisans du transsaha­ et Chaussées dans le département de l'Hérault, élabora le pre­ rien », rêvaient, grâce à cette liaison ferroviaire, d'inonder le mier véritable devis10. Il estimait les dépenses nécessaires à l'éta­ marché métropolitain et soudanais des cuvées de la Mitidja. A blissement d'une ligne ferroviaire de 2 574 kilomètres à 400 mil­ cette diversité d'intérêts correspondit bientôt une égale variété de lions de francs, soit'un coût kilométrique encore jamais atteint de plans. Défenseurs de l'idée, ils le furent, les uns comme les autres, 155 400 francs11. Son plan suscita l'engouement de Charles de dès le début. De là à leur en attribuer l'invention, il n'y a qu'un Freycinet, alors ministre des Travaux publics, et conduisit à la pas que, au-delà des proclamations et des professions de foi, les création d'une commission d'étude composée de techniciens, documents techniques ne permettent pas de franchir. d'explorateurs et de parlementaires12. Quatre missions furent L'ensemble des méthodes et du langage propre à l'élabora­ lancées à partir du Constantinois pour la reconnaissance précise tion d'un projet technique a en effet pour fonction d'établir les d'un tracé. L'une d'entre elles, dirigée par le lieutenant-colonel possibilités de réalisation de l'idée, la preuve de sa « faisabilité ». Hatters fut massacrée aux abords du Hoggar en 1881. L'accident Dans ce cadre précis fut fixée, hors des divers intérêts qui s'y ral­ mis fin aux rêves de pénétration pacifique du mais aussi, lièrent ultérieurement, son « utilité » particulière, c'est-à-dire sa pour un temps, aux plans de chemin de fer transsaharien. rationalité. Les projets de transsaharien le prouvent. Il y a une Le Comité de l'Afrique française, créé en 1890, relança logique de l'innovation. Elle fonctionne à partir d'un couple de l'idée et lui assura désormais une promotion efficace et durable. force essentiel : démonstration/expérimentation. Les modalités de réalisation du projet restaient cependant encore bien floues et, en dépit des efforts des ingénieurs et des militaires m. LA DÉFINITION DU CHALLENGE comme Rolland (1892) ou Bonnier (1893), les obstacles techni­ ques paraissaient insurmontables. Au sein de ce mouvement, il A la suite de quelques écrits sur l'intérêt d'une liaison ferro­ appartenait aux techniciens d'apporter des preuves de « faisabi­ viaire Algérie-Soudan, A. Duponchel fut chargé par son admi­ lité ». Renoust des Orgeries, lui aussi ingénieur des Ponts, fut nistration de tutelle d'une mission de reconnaissance. La nature plus heureux en offrant à la Société de géographie de Paris un legs de sa démarche ne semble pas, en apparence, très différente de pour monter une autre expédition dirigée avec succès par celle de P. Soleillet : exploration, premiers repérages d'un pos­ Fernand Foureau et le commandant Lamy (1898-1900). Dès sible itinéraire. lors, des opérations militaires de plus en plus nombreuses assurè­ « En entreprenant ce voyage, je ne m'étais pas fait d'illu­ rent le contrôle du désert et, en 1904, le colonel Laperrine inau­ sions sur sa portée réelle. J'avais surtout en vue de reconnaître les gurait un axe de liaison régulier entre l'Algérie et le Soudan. ressources particulières que l'Algérie pouvait offrir comme point Des campagnes de promotion, de plus en plus largement de départ de l'entreprise projetée, et d'apprécier par mes yeux les orchestrées en Afrique du Nord comme en métropole, diffusè­ conditions techniques d'établissement d'une voie de fer dans les vastes régions intermédiaires du Sahara, que je pourrais aborder On peut s'étonner du procédé, de cette façon peu exacte de nier facilement sur sa lisière du nord, en même temps que je trouve­ l'obstacle et d'en sous-estimer les difficultés. C'est que le défi rais, parmi les indigènes et certains officiers de notre armée n'est pas géographique mais purement technique. d'Afrique, de nouveaux renseignements venant corroborer ou infirmer ceux que j'avais pu me procurer ailleurs18. » IV. UNE JUSTIFICATION « AB OVO » De fait, il ne décrit pas son itinéraire et ne paraît pas avoir « vu de ses yeux » d'autres contrées que les rives septentrionales Le Sahara est conçu comme un passage ; il suffit que les du Sahara : Laghouat semble avoir été le point extrême de son conditions topographiques permettent la traversée. C'est ce que périple. Il emprunte donc à des explorateurs comme Barth ou démontre la carte géologique jointe au rapport de Duponchel. Rohlfs, ainsi qu'à des récits de voyageurs moins connus, l'essen­ Bien plus, l'espace saharien y apparaît comme un univers infini, tiel de ses descriptions. En somme, il extrapole mais il le fait avec sans limite et sans contrainte humaine, en somme, le support méthode et selon une technique rigoureuse. A partir d'une syn­ idéal à toute projection géométrique. La définition du tracé peut thèse des descriptions antérieures et de quelques notations per­ donc être soumise aux modes de la résolution mathématique : il sonnelles, il construit un système donnant au projet une cohé­ s'agit d'établir une liaison ferroviaire la plus rectiligne possible, la rence et une rationalité interne qui suffisent à sa justification plus proche des critères de perfections techniques : grands théorique. rayons de courbures et faibles pentes, sorte de prototype de la La première partie de son rapport, consacrée à des considé­ voie ferrée idéale. rations générales sur la nature de la colonisation française — ce « Le transsaharien, tel que je l'ai compris, est destiné à nous qu'elle est, ce qu'elle peut, ce qu'elle doit être — constitue à elle faire franchir par une voie rapide l'obstacle stérile du désert, pour seule un véritable programme. Il s'y inspire très largement des nous mettre en relations directes et faciles avec les régions pro­ thèses de Paul Leroy-Beaulieu et plus généralement des idées ductives de l'Afrique équatoriale, fertilisées par le retour périodi­ saint-simoniennes19. Ses liens avec ce milieu, et plus particulière­ que des pluies tropicales. Le tracé m'en paraît dès lors devoir être ment avec Michel Chevalier, sont d'ailleurs établis. Dans ce déterminé par cette triple considération d'être le plus court, de domaine, il illustre parfaitement le rapprochement précoce mais présenter les moindres déclivités de profil et d'éviter le plus pos­ essentiel entre les milieux techniques et les partisans de la coloni­ sible les difficultés de parcours inhérentes au pays, résultant sur­ sation20. tout de la rencontre des dunes de sable22. » Cependant, en dépit des encouragements et du soutien D'un point de la ligne Alger-, situé à Afrevile, il abais­ moral qu'il put y trouver, il ne semble pas s'être aisément intégré sait des segments de droite à travers Laghouat, El Goléa sur les à la communauté scientifique et technique. Rétrospectivement, oasis du Touat et coupant perpendiculairement le Niger au vil­ Paul Leroy-Beaulieu suggéra, en fin connaisseur d'un monde lage de Bamba, à mi-chemin entre Tombouctou et Bouroum. Ce qu'il maîtrisait, les raisons essentielles de l'oubli du projet lieu devait, selon ses estimations, « être appelé à devenir, en Duponchel. Au-delà du portrait psychologique s'esquissent les moins de vingt ans, une ville de plus de 200 000 âmes qui sera discontinuités fondamentales entre la sphère de la conception et notre Calcutta africain23 ». Ses successeurs, en dépit de leurs celles de la réalisation. divergences, ne cesseront de répéter la même chose et les plans «J'ai particulièrement connu Duponchel ; (...) La simili­ ultérieurs tenteront tous de redresser le tracé en limitant de plus tude de nos études sur les travaux publics, quoique les miennes en plus la portée des obstacles naturels, ergs ou, regs qui faisaient fussent d'ordre économique et non technique, la communauté encore hésiter les premiers concepteurs. de nos goûts pour la colonisation étaient entre nous, par surcroît, « Tout chemin de fer transsharien doit être aussi court que un motif de relations et d'échanges d'idées. Très grand, très possible : il doit courir directement, du point de départ au point vigoureux, haut en couleur, Duponchel était un homme de beau­ d'arrivée, sans aucunes déviations que celles, si c'est indispen­ coup de génialité ; sur nombre de sujets aussi bien moraux ou sable, qui peuvent être motivées par de grands obstacles topogra­ politiques que se rapportant à l'art de l'ingénieur, il avait des vues phiques à éviter : mais il est peu probable que des déviations un très originales et très personnelles. Il les répandait dans une con­ peu importantes soient nécessaires24. » versation abondante ; de tous les hommes que j'ai rencontrés, A la veille de la Première Guerre mondiale, la formulation c'est certainement un de ceux qui m'ont laissé l'impression de la la plus extrême de ces principes aboutit à la définition d'un tracé plus grande fécondité et hardiesse d'esprit (...). central quasi rectiligne ; désormais, le chemin de fer doit « Son humeur, comme il arrive fréquemment aux hommes «... pénétrer l'obstacle plutôt que le tourner25 ». inventifs et insuffisamment appréciés, était un peu hautaine et « La conséquence de ce principe est que le désert consti­ maussade ; il n'avait ni souplesse politique, ni souplesse mon­ tuant un immense rectangle, dont la plus grande dimension est daine, ni souplesse corporative ; il eût voulu imposer ses idées de parallèle à l'équateur et la plus petite est dirigée suivant les méri­ vive force, il paraissait paradoxal ; il froissait ou mécontentait ses diens, c'est suivant le méridien, de Biskra au Tchad, et non obli­ camarades plus heureux, parvenus au faîte de la carrière21. » quement d'Igli au Tchad, que le Sahara doit être traversé (...). Il Eloigné des centres de décisions parisiens, il évalua donc faut donc attaquer le désert suivant sa ligne de striction la plus seul et de manière uniquement théorique les paramètres du pro­ caractérisée, en établissant le rail sur le méridien de Biskra-Toug- jet. Cette marginalité, qui était sa faiblesse personnelle, donna au gourt-Temassinine26. » plan qu'il conçut sa force. Il en fit une épure dégagée de toutes De cette géométrie purement euclidienne, les arguments se contingences, réfutant les préjugés courants sur les milieux tirent aisément et justifient en même temps qu'ils fondent la désertiques, éloignant les craintes en quelques formules simples : démonstration : « le transsaharien n'est qu'un moyen ; le transa­ « Il pleut, et plus souvent qu'on ne le pense, dans le Sahara » fricain est le but ». En conséquence, le tracé doit se situer sur les (p. 134). Quant aux «dunes de sable mouvant», elles sont axes des deux grandes routes intercontinentales27. balayées dans son exposé par une traduction originale du mot « Ces deux routes — d'Angleterre au Cap (par Alger) et désignant la région : « sol dur et résistant, ce qui du reste est la d'Italie en Amérique du Sud (par Bizerte et Conakry) — dessi­ véritable signification du mot Sahara en langue arabe » (p. 122). nent sur le sol africain un X immense (...). Il s'agit maintenant, sur cet X déterminé par les deux directions d'Alger au Cap et de profil de la voie ; le gain tiré de la diminution des rampes parais­ Bizerte à Conakry, d'appliquer le rail... ; sur ces deux lignes sché­ sait limité. Aussi les critères de performance fondés sur la qualité matiques qui se croisent, d'échafauder un tracé rationnel ; d'as­ de l'infrastructure de déplacèrent-ils progressivement vers la socier enfin le point de vue théorique et le point de vue prati­ recherche de vitesse. Le transsaharien offrait la possibilité de que28. » pousser jusqu'à leurs limites supérieures des techniques et un Ainsi, on le voit, les prémices définis par Duponchel furent matériel bridés par les infrastructures ferroviaires européennes. bientôt poussés jusqu'à leurs ultimes conséquences théoriques. Ces aspects furent plus particulièrement développés par les tra­ La perfection de l'idée devait suffire à établir sa validité. Para­ vaux de la société d'étude réunie autour d'A. Berthelot en 1911. doxalement, l'unanimité sur les principes conduisit à une multi­ « Pour les voyageurs comme pour les marchandises, la plication djss projets et la bataille des tracés qui suivit cette voie de terre est plus coûteuse, mais elle est plus rapide et c'est un démonstration initiale tint tout entière dans l'application la plus avantage capital. Les navires les plus rapides ne dépassent pas 24 parfaite qui pouvait en être trouvée. C'est qu'elle déterminait a ou 25 nœuds, c'est-à-dire 45 kilomètres à l'heure, alors que les priori tous les éléments du challenge et plus particulièrement les chemins de fer rapides en Europe dépassent 90 kilomètres à critères de la performance. l'heure (...) Si nous cherchons à traduire ces criiffres en réalisa­ tions pratiques, nous trouvons que, là où les navires les plus rapi­ V. UN BANC D'ESSAI des mettent dix-sept jours pour aller de Southampton au Cap et dix-neuf pour atteindre le Transvaal, neuf à dix jours suffiront Pas plus que pour la justification géographique de l'itiné­ pour le même parcours, via Calais et Marseille, en usant de la voie raire, l'enjeu du transsaharien ne porta sur son efficacité écono­ ferrée. En d'autres termes, un voyageur à destination du Cap mique. Les avis étaient sur ce point très partagés : certains en jus­ gagnera une semaine à emprunter le transafricain30. » tifiaient l'établissement par le trafic marchandises qu'il ne saurait L'objectif, ainsi que l'étendue du projet, supposaient des manquer de développer (Leroy-Beaulieu), d'autres y voyaient conditions techniques particulières. Les itinéraires proposés par au contraire une ligne essentiellement vouée au trafic voyageurs A. Berthelot tinrent désormais compte des grands centres (Berthelot) ; les uns rêvaient de trains lourds, d'énormes cargos urbains d'Afrique du Nord ; le tracé s'assouplit et plusieurs plans du désert ; les autres ne juraient que par des trains à grande furent considérés comme théoriquement admissibles (cf. carte). vitesse et une voie ferrée répondant aux normes techniques de la Tout en manifestant une préférence pour l'itinéraire occidental, métropole : voie large (1,44 m) et rails de 45 kg. Les plus opti­ établi à partir d'Oran, la mission d'étude «... a tenu à s'élever au- mistes défendaient les deux à la fois : il fallait bien justifier les dessus des intérêts locaux. Elle s'est uniquement imposé le pro­ énormes dépenses d'établissement que l'entreprise requérait sans blème de démontrer qu'il était possible de monter de la côte sur garantie de profits ou d'avantages ultérieurs. les hauts plateaux, dont l'altitude moyenne est de 1 000 mètres Là n'était pas l'essentiel et les querelles de clochers entre les dans les conditions techniques de son programme31. » Le détour­ chambres de commerce d'Oran et d'Alger—toutes deux voulant nement d'une partie du trafic voyageurs des compagnies de navi­ être la tête de pont du futur transsaharien — semblent bien margi­ gation vers un périple saharien supposait en effet quelques pré­ nales par rapport aux préoccupations des concepteurs. Pour ces cautions. derniers, l'utilisation et les finalitésd u chemin de fer avaient peu « Toute la combinaison de trafic exposée ci-dessus repose d'importance : quelles qu'elles fussent, le rail devait assurer la sur le transport des voyageurs dans des conditions de confort qui réalisation de nouvelles performances et, de par sa nature même, puissent attirer la clientèle riche et avec une rapidité considérable optimiser tous les paramètres de l'exploitation sans autre amélio­ puisque la vitesse commerciale ne devrait pas être inférieure à ration du matériel ou de la traction. Aussi, les divers projets 60 km à l'heure. offrent-ils tous des estimations précises de rendement et de pro­ « La première condition entraîne l'emploi de voitures lour­ ductivité destinées à compenser les incertitudes de rentabilité. des qui seront forcément larges, non seulement pour assurer le C'est dans le domaine de la traction que les gains parurent bien-être des voyageurs et la commodité de la circulation, mais d'abord les plus importants. Compte tenu de son tracé, le trans­ aussi pour pouvoir établir des doubles parois abritant de la cha­ saharien devait, en effet, offrir un banc d'essai intéressant pour leur tropicale. Ce programme est réalisable. tester l'accroissement de la vitesse et l'amélioration des capacités « Le deuxième condition impose une voie lourde, rails de de transport. La limitation des rampes constituait l'élément clé 45 kg, bien établie avec des courbes de grand rayon et de faibles de cette expérimentation. En 1878, Duponchel les voulait infé­ pentes32. » rieures à 4 mm par mètre et assurait, à partir de ce seul facteur, Ainsi, alors que ce nouveau projet admettait des rampes une diminution des tarifs kilométriques. Il calculait que, avec une plus fortes que les précédents (10 mm par mètre voire 15 mm), ligne plane, une locomotive de 350 chevaux, à une vitesse les courbes étaient fixées à un rayon moyen de 750 mètres et ne moyenne de 25 kilomètres à l'heure, pourrait transporter un pouvaient descendre en dessous de 300 mètres. Enfin, la traction poids utile de 600 tonnes. Une réduction des pentes entraînerait, des trains, dont le poids pouvait atteindre 800 tonnes* supposait selon ses estimations, une diminution considérable des tarifs des locomotives d'environ 2 000 à 2 500 chevaux. Leur utilisa­ kilométriques29. tion et leur entretien, en milieu désertique, n'avaient encore fait La traction et le matériel roulant ayant été considérable­ l'objet d'aucune expérimentation précise. On attendait toujours ment améliorés après 1880, d'autres enjeux relancèrent le carac­ de la forme de la voie, de son profil et de son tracé, les progrès les tère expérimental de l'entreprise. P. Leroy-Beaulieu reprit les plus démonstratifs. Les recherches portèrent donc sur la défini­ estimations sans en modifier en rien les principes. Cependant, la tion d'un itinéraire plus rectiligne, donc plus rapide. capacité des wagons, d'environ 10 tonnes au moment des pre­ « Par analogie, il faut que les transcontinentaux africains miers plans de transsaharien, avait plus que doublé ; l'accroisse­ permettent de réaliser de grandes vitesses : les grands centres, les ment de la puissance des locomotives, modèle Coumpound, grandes agglomérations qui doivent être mises en communica­ s'accompagnait d'une réduction de leur consommation de char­ tion — Europe occidentale, d'une part, Afrique centrale et aus­ bon ; tous ces facteurs réduisaient la portée des caractères liés au trale, d'autre part — étant très éloignés, il importe de franchir rapidement les distances qui les séparent (...). pensables au fonctionnement des mécanismes de l'habilitation « On recherchera donc des points d'arrêt très espacés, technique. Celle-ci repose sur la démonstration de capacité qui reliés par des parcours rectilignes autant que possible ; (...) établit non seulement un certain pouvoir de réalisation mais « Ainsi, les locomotives pourront d'un bout à l'autre du assure aussi des droits sur un domaine et autorise une préemp­ parcours français, une fois sorties de l'Atlas algérien, circuler avec tion des autres entreprises de même nature. toute leur vitesse, en remorquant des trains d'un poids très lourd, Ainsi, les descriptions des travaux s'inspiraient-elles large­ ce qui est un grand avantage à la fois pour le confort et le trans­ ment des procédés de construction télescopique inaugurés aux port économique des marchandises33. » Etats-Unis, dans les années 185Q, mais repris pour toutes les Il ne reste plus alors qu'à tirer les conséquences d'une voies ferrées pionnières en Russie comme en Amérique du Sud. démonstration mathématiquement irréfutable : L'absence de relevés préalables précis et le manque de moyens de «... Entre deux points déterminés, le nombre de voyageurs transport pour l'acheminement du matériel et de la main- croît en raison inverse du carré de la distance à parcourir. Ainsi d'œuvre conduisirent à des méthodes rudimentaires mais rapi­ que, par un procédé quelconque, l'itinéraire entre deux points des : le rail constituait l'unique support logistique de son propre soit réduit de moitié (...), il en résultera presque aussitôt un mou­ établissement. A partir d'une tête de pont facilement ravitaillable, vement de voyageurs non seulement double, mais quadruple du on définissait une direction. Le défrichement, les relevés topo- nombre primitif4. » graphiques, la constitution de la plate-forme et la pose des rails Ainsi, la performance établissait l'efficacité et les arguments s'enchaînaient à peu de distance. Le procédé parut alors bien techniques fondaient l'utilité économique. Restait à le prouver et empirique et primitif aux ingénieurs européens habitués à une donc à réaliser les projets. Là résidait le dernier élément du chal­ définition préalable plus précise et au travail sur plan. La qualité lenge. technique de ce type de réalisation ne répondait pas aux normes de sécurité et de fiabilité de l'Ancien Monde37. VL UNE DÉMONSTRATION DE CAPACITÉ C'est pourquoi les concepteurs du transsaharien, tout en reprenant ces méthodes, eurent à cœur de leur donner une ratio­ Pour la construction des transcontinentaux, l'industrie nalité fondée sur la division du travail et son organisation scienti­ européenne ne se plaça que tardivement en position de challen­ fique. ger. Les divisions politiques, l'étroitesse des marchés nationaux « Toute la question doit aujourd'hui se résumer pour nous avaient orienté les techniques ferroviaires vers la maîtrise des dans l'organisation de chantiers de travailleurs, car on ne saurait réseaux mais les avaient tenues à l'écart des systèmes pionniers procéder en pareille matière comme pour le réseau de nos che­ développés dans les pays neufs. Les précurseurs étaient améri­ mins de fer intérieurs. J'ai exposé dans une brochure spéciale, cains ou russes et ce n'est qu'avec la conquête coloniale que les comment me paraîtrait pouvoir être organisée cette petite armée industriels purent assimiler et surtout expérimenter de nouveaux industrielle : 12 000 à 15 000 hommes organisés militairement, procédés de construction. habitués au maniement des armes en même temps que celui de « Sous ce rapport, prenons notre inspiration auprès des l'outil du travailleur, bien équipés, bien payés à raison du travail Russes et voyons comment ils ont réalisé leur transcaspien (...). qu'ils auraient effectué, pourraient avancer à raison de 1 000 km « Voici donc une ligne entreprise au milieu d'obstacles considé­ par an38. » rables, il y a environ trente ans, par un peuple dont la civilisation Ainsi, dès 1878, Duponchel ne se contente pas de préconi­ est très en retard sur la nôtre, auquel nous avons fourni fréquem­ ser l'emploi des méthodes américaines ; il définit deux principes ment des capitaux et des ingénieurs. Ce que nous aidons les fondamentaux que l'ingénieur Taylor systématisa quelques autres à accomplir chez eux, n'oserons-nous pas l'entreprendre, années plus tard : la spécialisation des tâches et la hiérarchie des chez nous, dans nos colonies, et continuerons-nous à n'être postes qui devaient assurer le commandement et la maîtrise de audacieux que par procuration35 ? » l'avancement des travaux. Les estimations ultérieures, plus Même conception du défi et même définition de l'enjeu modérées dans leurs prévisions, limitèrent les effectifs de travail­ chez P. Leroy-Beaulieu : se situer parmi les entrepreneurs de tra­ leurs en généralisant l'emploi de machines, mais l'organisation vaux publics d'envergure internationale. du chantier répondait toujours aux mêmes conceptions. « De toutes parts, Anglais, Américains, Australiens et Rus­ «Il existe des machines à terrasser, à poser la voie, à ses multiplient les énormes travaux ; nous, nous ne pensons qu'à extraire, casser et trier le ballast. Ces machines seraient mues par des petits chemins de fer côtiers, qui peuvent avoir une utilité l'électricité et, pour les actionner, il suffirait que les usines desti­ régionale, mais qui ne donneront jamais à notre empire africain la nées à l'exploitation soient installées dès la période de construc­ charpente dont il a besoin... Nous nous complaisons dans les tion et suivent pas à pas l'avancement du travail39. » choses mesquines ; ce qui est grand épouvante nos faibles cervel­ Ainsi, avec la diffusion du machinisme, la main-d'œuvre les36. » pouvait être réduite : 600 à 800 ouvriers répartis en équipes spé­ Il ne s'agit pas pour autant de copier les méthodes et les cialisées devaient assurer l'avancement des travaux de 2 km par procédés mis au point à l'étranger : si on s'en inspire, c'est pour jour en moyenne. Il faudrait donc six ans pour achever le transsa­ les intégrer à un système d'organisation du chantier que l'on veut harien. scientifique. Aussi, dans les plans et devis, accorde-t-on le même En fait, dans la plupart des projets, ce dernier aspect est soin à la manière de conduire les travaux que l'on s'attachait à la accessoire. L'intérêt des concepteurs allait surtout à la forme et la description de la forme du tracé. La volonté de donner à ce défi manière plus qu'aux résultats. Ainsi l'engouement nouveau pour déjà relevé par d'autres un mode de résolution spécifique éclaire les procédés de construction télescopique tenait moins à leur effi­ les objectifs des concepteurs : prendre pied sur le marché forte­ cacité intrinsèque qu'aux nouvelles formes d'utilisation de l'ins­ ment disputé des grands travaux publics en prouvant, grâce au trument ferroviaire qu'ils autorisaient : le chemin de fer n'y transsaharien, la supériorité du savoir-faire de l'industrie fran­ apparaît plus comme une fin mais comme le moyen d'investiga­ çaise. Les projets devaient en effet déboucher sur la reconnais­ tion et de balisage idéal, jalon principal des espaces continentaux sance officielle d'aptitudes et de compétences particulières indis­ encore mal maîtrisés par la science et la technique européennes40. frojets de tra.ce* t "' Dtfpottckei (mt) "3

Ainsi s'expliquent l'importance des définitions préalables du Colomb-Béchar au Niger. En janvier et novembre 1924, la tracé, la multiplication des explorations et des missions de recon­ Compagnie générale transsaharienne, fondée par Gaston Gradis, naissance. finança une nouvelle mission : le matériel se composait de quatre Jusqu'à la Première Guerre mondiale, l'enjeu ne porta pas autochenilles et d'un avion Nieuport-Delage, l'équipe technique sur la construction du transsaharien —chacun s'accordait à associait aux aviateurs, comme Georges Estienne, et aux repré­ reconnaître, à tort ou à raison, que l'entreprise était moins péril­ sentants du service géographique de l'Armée des techniciens leuse que l'établissement du transcaspien ou des transcontinen­ ayant participé aux 7 000 km du raid Citroën en Asie (Croisière taux américains — mais sur la logistique du chantier : capacité jaune). Les objectifs de la mission reprenaient les principes de d'acheminement du matériel et des hommes, enchaînement des l'idée transsaharienne ; les modalités de sa réalisation avaient opérations de repérage et d'établissement de la voie, intégration changé : « ... Etudier et réaliser une liaison aérienne directe entre des nouvelles techniques d'assemblage et de construction préfa­ l'Algérie et le Niger42. » Enfin, en 1926, trois nouvelles expédi­ briquées aux procédés traditionnels. En tout, le rail constituait tions partirent respectivement d'Alger, de Constantine et l'outil majeur, redevenait une technique de pointe. d'Oran et assurèrent leur jonction sur le Niger en une quinzaine Cependant, d'autres instruments vinrent peu à peu s'asso­ de jours. Cependant, l'une d'entre elles n'avait mis que sept jours cier au chemin de fer ; en apparence, ils facilitaient la mise en et quatre heures ; au retour, le record fut battu en quatre jours et œuvre des plans transsahariens ; en pratique, ils les ruinèrent. dix-sept heures. Il devait à nouveau tomber à soixante-huit heu­ Dès 1910, les premiers survols en avion ou en dirigeable préci­ res lors du raid Paris- remporté par le lieutenant saient l'image des régions sahariennes et, grâce à la photographie Estienne. aérienne, jalonnaient de nouveaux itinéraires. Ces « reconnais­ Tous les records étaient battus. Le challenge avait été rem­ sances à grande envergure, dans lesquelles l'intelligence et le porté. Mais pas par le chemin de fer. Celui-ci ne paraissait plus regard du voyageur peuvent passer instantanément de l'étude du constituer un instrument de conquête ou de progrès et la formu­ détail à la contemplation de l'ensemble... », assuraient la maîtrise lation initiale de l'idée, qui s'attachait plus à la performance qu'à de l'espace et bouleversaient les procédés traditionnels de relevés son utilité, préparait mal à une reconversion du projet. Il fut pro­ topographiques et de cartographie41. gressivement abandonné. Au lendemain de la guerre, des expéditions associant l'avion et l'automobile purent expérimenter et démontrer sur-le- champ la validité des itinéraires relevés. En 1922 et 1923, deux premiers raids en autochenilles Citroën relièrent Touggourt puis Les projets de transsahariens. Notes Distribution des articles consacrés au transsaharien 1. M. Liniger-Goumaz, « Transsaharien et transafricain. Essai bibliogra­ dans un échantillon de 360 titres publiés entre 1860 et 1960 phique », Genève-Afrique, n° 1, vol. lu, 1968, pp. 70-85. Bulletin du Comité de VAfrique française. Renseignements coloniaux, 1878-1881 18,28% 1921-1929. 1890-1891 6,11% Revue politique et parlementaire, 1920 à 1930. 1910-1913 7,50% 2. « Le Père du transsaharien », et in Bull, du Comité de VAfrique fran­ 1«7«-1QH 1* 0/. çaise. Renseignements coloniaux, 1928, p. 209. 1922-1924 8,33 % 3. Voir note 2. 1927-1933 30 % 4. Voir note 2. 1914-1939 51,11% 5. Pour l'analyse des promoteurs du transsaharien, voir M. Lakroum, « Paris-Dakar... en chemin de fer ! », L'Histoire, n° 82, octobre 1985, pp. 66-75. 6. Voir note 1. 7. Loi du 7 juillet 1928 approuvant la création d'un organisme d'étude du chemin de fer transsaharien, publiée au Journal officiel de la République fran­ çaise, 25 juillet 1928. Dirigé par Maitre-Devallon, ingénieur des Ponts et chaus­ Rampes Tarifs km Réduction sées détaché du ministère des Affaires étrangères et mis à la disposition du minis­ tère des Travaux publics, l'organisme était également subventionné par des 0,2 m - 0,5 m 10 centimes entreprises privées : les compagnies ferroviaires apportaient 3 millions sur la 0,01 m 5 centimes 50 % dotation totale de 11 millions 500 mille francs. Le reste était versé par l'Etat fran­ 0,006 m - 0,007 m 3 centimes 40 % çais (4 millions) et les colonies concernées (Algérie, Tunisie, Maroc, AOF : 0,003 m - 0,004 m 2 centimes 33,33 % 4 millions 500 mille francs). 8. « Autour du transsaharien », Bulletin du Comité de l'Afrique fran­ çaise, op. cit., 1927, p. 495. 9. J. Valette, « Pénétration française au Sahara et exploration : le cas de Paul Soleillet », Revue française d'histoire d'outre-mer, t. LXVQ, nos 248-249, 3e et 4e trimestre 1980, pp. 253-267. 10. A. Duponchel, Le Chemin de fer transsaharien, jonction coloniale entre l'Algérie et le Soudan, Montpellier, Boehm et fils, 371 p. 11. A. Duponchel, op. cit., p. 318. 12. M. Lakroum, Chemin de fer et réseaux d'affaires en Afrique occi­ dentale : le Dakar-Niger (1878-1960), doctorat d'Etat en cours d'achèvement, Université Paris VQ, chapitre I. 13. P. Leroy-Beaulieu, Le Sahara, le Soudan et les chemins de fer trans­ sahariens, Paris, Guillaumin et Cie, 1904. 14. 15. Général Brissaud-Desmaillet, «Le Transsaharien et les revendica­ tions coloniales allemandes », Revue économique française, LX, janvier-mars 1938, p. 31. C. Vallaux, « Le Chemin de fer du désert », Journal des économistes, novembre 1927, pp. 182-188. 16. E. de Warren, « Proposition de loi tendant à l'octroi d'un crédit de dix-huit millions de francs pour l'étude technique définitive du projet du transsa­ harien », Bulletin du Comité de l'Afrique française. Renseignements coloniaux, 1927, pp. 139-140. 17. Déclarations de Waddington, président de l'Association cotonnière Colonial, au déjeuner du Transsaharien, 23 février 1928, Bulletin du Comité de l'Afrique française. Renseignements coloniaux, 1928, p. 207. 18. A. Duponchel, op. cit., préface. 19. 20. Voir note 12. 21. P. Leroy-Beaulieu, op. cit., p. 38. 22. A. Duponchel, Lettre à M. le Président et à MM. les membres de la Commission supérieure du transsaharien, Montpellier, Ed. Boehm et fils, 1880, p. 15. 23. A. Duponchel, ibidem, pp. 32-34. 24. P. Leroy-Beaulieu, op. cit., p. 465. 25. Cdt Roumens, L'Impérialisme français et les chemins de fer transa­ fricains, Paris, Pion, 1914, p. 247. 26. Cdt Roumens, ibidem, pp. 281-282. 27. Cdt Roumens, ibidem, p. 144. 28. Cdt Roumens, ibidem, pp. 237-238. 29. A. Duponchel, Le Chemin de fer transsaharien..., op. cit., pp. 256-257. 30.R. Legouez, «Le Projet du chemin de fer transafricain de M. Berthelot », in]. Berge, Le Chemin de fer transafricain de l'Algérie au Cap, si, Lib. de Soyé, 1912, p. 22. 31. R. Legouez, ibidem, p. 25. 32. R. Legouez, ibidem, p. 24. 33. Cdt Roumens, op. cit., p. 290. 34. Cdt Roumens, ibidem, p. 247. 35. Cdt Roumens, ibidem, p. 126-127. 36. P. Leroy-Beaulieu, op. cit., p. 469. 37. G. Ribeill, « Du système technique ferroviaire français », * 38. A. Duponchel, Lettre à M. le Président..., 1880, op. cit., 31. 39. R. Legouez, « Conférence faite le 9 février 1913 à l'Ecole des arts et métiers », Revue d'économie politique, mars-avril 1913. Cité par Cdt Roumens, op. cit., p. 294. 40. M. Korinman, « Les Français sont-ils de bons coloniaux ? », L'His­ toire, n° 89, mai 1986, pp. 64-68. 41. Cdt Roumens, op. cit., p. 285. 42. Général Estienne, président du conseil d'administration de la Compagnie générale transsaharienne, « De l'Algérie au Niger par le plus court chemin », Bulletin du Comité de l'Afrique française, décembre 1923, p. 538.