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Samuel Tilman est docteur en Si l’actualité politique et internationale place la question des Histoire (2004) de l’Université réseaux et les relations entre élites à l’avant-plan des préoccu- Libre de Bruxelles. Il a consacré pations contemporaines, cette problématique n’est pourtant son mémoire de fin d’études à pas neuve, et resurgit à chaque étude consacrée aux milieux l’histoire du scoutisme au Congo dirigeants. et à la formation des élites dans En Belgique, pourtant, les spécificités sociales, culturelles et un contexte colonial. En tant politiques du patronat n’ont pas encore fait l’objet d’une véri- Les grands que réalisateur, il est l’auteur table synthèse historique. Cet ouvrage, consacré aux banquiers d’un film documentaire (L’oncle en activité entre 1830 et 1935, est une première tentative de missionnaire, 2003) retraçant la réponse à ce vide historiographique. présence missionnaire dans le En tentant de discerner les caractéristiques communes de

Bas-Congo à travers le portrait l’échelon supérieur du monde capitaliste que sont les ban- Samuel Tilman du plus vieux Jésuite belge quiers, c’est le profil cohérent et nuancé d’un groupe d’élite qui encore en activité dans le pays. prend forme. Les particularités de ce groupe seront soulignées, banquiers Les grands banquiers belges et intégrées dans une approche quantitative et comparative qui (1830-1935) est la publication les confrontera à celles des couches supérieures de monde capi- remaniée de sa thèse de doctorat, taliste d’autres pays européens, et en priorité avec celles des dont a déjà été extrait l'article banquiers d’Angleterre et de France. Cette démarche compa- « Les banquiers et la politique : rative mettra ainsi en exergue le modèle spécifique de banquier incompatibilités ? Le cas de généré par le système de banque mixte en vigueur en Belgique. e Mais elle nous interrogera aussi, dans un second temps, sur belges la Belgique (XIX -début du XXe siècle) » dans S. J et l’originalité des milieux d’élite belges (au sens large) en regard K. B (dir.), Patrons, gens des autres modèles européens. d’affaires et banques, Bruxelles, (1830 -1935 ) 2004. Portrait collectif d’une élite Les grands banquiers belges (1830 -1935 ) -1935 Les grands banquiers belges (1830

Photos de jaquette : Portrait photographique d’Alfred Ancion (1839-1923) ; J.-M. N, Portrait de Ferdinant de Macar ; J. S. S, Franz Philippson (1851-1929), collection privée, photo E. de Theux ; Portrait photographique de Classe des Lettres ISSN 0373-7893 Maurice Houtart (1866-1939) ; Portrait photographique ISBN 2-8031-0226-9 de Jules Urban (1876-1901) ; Portrait photographioque de Prix : 40 € Georges Janssens (1892-1941). ACADÉMIE ROYALE DE BELGIQUE

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Les grands banquiers belges (1830-1935)

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Samuel Tilman

Les grands banquiers belges (1830-1935) Portrait collectif d'une élite

Class e d e s l ettres

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Décision d'imprimer : le 7 mars 2005.

Mémoire de la Classe des Lettres Collection in-8°, 3e série Tome XXXIX 2006

© 2006, Académie royale de Belgique

Toutes reproductions ou adaptations totales ou partielles de ce livre, par quelque procédé que ce soit et notamment par photocopie ou microfilm, réservées pour tous pays.

N° 2038 Dépôt légal 2006/0092/6

ISSN 0378-7893 ISBN 2-8031-0226-9

Communications s.p.r.l., imprimeur de l’Académie royale de Belgique, Louvain-la-Neuve

Diffuseur : Académie royale de Belgique Palais des Académies rue Ducale, 1, 1000 Bruxelles Tél. 32/2/550.22.06 - 32/2/550.22.21 Fax 32/2/550.22.05 e.mail : [email protected] www.academieroyale.be

Remerciements

C’est dans un couloir de l’université que Ginette Kurgan m’a parlé, pour la première fois, de ce projet de recherche. Je sortais du Congo où m’avait emmené mon mémoire. Je rêvais d’Angle- terre. Elle m’a dit de réfléchir et elle est partie en coup de vent rejoindre un groupe d’étudiants qui l’attendaient. Quelques années plus tard, je mesure la chance de cette pro- position inattendue. Elle m’a permis de passer un séjour magique à l’Université d’Oxford que je n’ai quittée qu’à regret. Elle m’a offert ensuite quatre années de grande stimulation intellectuelle et de travail varié. Pour cette confiance d’emblée affichée et pour le défi intellectuel qu’elle m’a proposé, je tiens à remercier Ginette Kurgan. Elle a su créer les conditions stimulantes – mais non contraignantes – dont elle a le secret pour mener à bien cette recherche. Au moment de mettre le point final à ce travail, j’ai une pensée pour tous les chercheurs, confirmés ou novices, que j’ai pu côtoyer dans les couloirs de l’ULB. Eux aussi ont contribué à créer un cadre des plus enthousiasmants, essentiel à l’aboutisse- ment de cette publication. Les objectifs de cette recherche auraient été disproportionnés s’il n’y avait eu une large équipe d’étudiants pour défricher le sujet avant mon entrée « dans la danse ». Si certains d’entre eux n’ont pas gardé que des mauvais souvenirs de leurs années d’étu- des et s’il leur prend d’ouvrir les pages de ce volume, qu’ils sachent que je leur suis reconnaissant pour toutes les recherches effectuées en amont.

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Les grands banquiers belges (1830-1935)

Je ne peux citer ici tous les gens qui m’ont aidé dans l’aven- ture, que ce soit pour les problèmes informatiques qui se sont présentés à l’origine ou pour les soucis moins matériels qui ont surgi par la suite. À tous ceux qui de près ou de loin m’ont donné un coup de main, un grand merci. Dans l’entreprise que j’achève aujourd’hui plus que dans aucune autre auparavant, l’esprit de famille s’est révélé décisif. Ce n’est pas seulement d’un support moral dont j’ai pu bénéficier de la part de mes parents, mais d’un soutien intellectuel avisé au moment le plus crucial, à savoir l’inévitable sprint final inhérent à la discipline de demi-fond dans laquelle je m’étais engagé. Merci donc à la sociologue et à l’économiste pour leurs judicieu- ses remarques. Dans cette famille, qui vient de s’agrandir, je ne peux évidem- ment pas oublier celle qui m’accompagne aujourd’hui depuis plus d’une décennie. Elle aussi, je la remercie pour son soutien moral, intellectuel et matériel. Un dernier remerciement va à l’équipe de choc qui a bien voulu relire le manuscrit dans sa phase finale.

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Introduction

Si l’actualité politique et internationale place la question des réseaux et les relations entre élites à l’avant-plan des préoccupa- tions contemporaines, cette problématique n’est pourtant pas neuve, et resurgit à chaque étude consacrée aux milieux diri- geants 1. L’empreinte des 500 familles les plus riches sur l’écono- mie… Le cumul des pouvoirs au sommet de la hiérarchie sociale… Les phénomènes de reproduction et de transmission au sein de la haute bourgeoisie… Le mythe du self made man… Voilà quel- ques-unes des préoccupations qui poussent l’historien, le sociolo- gue, le biographe, le journaliste, l’érudit à partir à la découverte des personnalités qui ont exercé ou exercent encore les plus hautes responsabilités dans leur domaine. Dans la préface d’une « morphologie des groupes financiers » qui fait référence depuis quarante ans, J. Meynaud avait déjà explicité les grands enjeux qui balisent la recherche consacrée aux élites financières. L’auteur notait « l’existence [en Belgique] de puissantes dynasties familiales capables de conserver, au fil des générations, un vaste pouvoir économique » ; il soulignait le devoir « d’analyser, beaucoup plus systématiquement qu’on ne l’a fait jusqu’à présent, l’influence sociale des détenteurs de capi- taux et spécialement des éléments leaders de la concentration

 Une première exploration du sujet a déjà été faite par G. Kurgan dans G. Kurgan-Van Hentenryk, « Finance and Society. Social and Personal Aspects of Financial Networks », in P. Cottrell, J. Reis (eds), Finance and the making of the modern capitalist world, Congrès de Séville, 24 au 28 août 1998, Leicester, 2000, p. 70 et ss.

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Les grands banquiers belges (1830-1935) financière » ; de « compter avec le jeu des facteurs subjectifs (rela- tions personnelles, familiales, mondaines) qui, sans les détermi- ner nécessairement, sont néanmoins susceptibles d’influencer les conduites » et dès lors d’étudier « divers centres de réunion à recrutement fermé (clubs, cercles, associations de service…) » ; enfin, de peser « la participation des affaires à la vie politique courante et leur poids dans la réalisation des choix et l’exécution des politiques (policies) », sans négliger le rôle des « groupes de pression » 2. Ce rigoureux agenda a tracé les garde-fous de l’exploration proposée ici et consacrée au patronat bancaire en Belgique entre 1830 et 1935.

Qu’entend-on par patronat bancaire ?

À la différence d’autres pays d’Europe, les activités bancaires exercées par les administrateurs de banque en Belgique consti- tuent rarement un métier en tant que tel. Comme nous le ver- rons, la plupart des dirigeants actifs dans les grandes banques belges depuis l’Indépendance ont cumulé leurs fonctions bancai- res avec des charges d’industriels, de négociants, d’avocats. Il est en effet de tradition, chez ces notables, de cumuler les postes à responsabilité tout au long de leur carrière. Une lecture attentive de quelques-uns de leurs journaux intimes nous permet d’ailleurs de reconstituer, dans les grandes lignes, le modèle-type de leur emploi du temps : gestion de l’entreprise familiale, supervision des sociétés dans lesquelles sont investis des intérêts familiaux, préparation des adresses au Parlement, rédaction des plaidoiries, conception des programmes universitaires, etc. 3 Jusque bien au- delà de la Première Guerre Mondiale, le modèle dominant au sein de la population à l’étude demeure l’homme d’affaires touche-à-tout, le notable, présent à la fois dans les sphères éco- nomique, politique et mondaine. L’administrateur de banque, le banquier dépeint dans cette recherche appartient au niveau supérieur du monde des affaires. Il a atteint un degré suffisant de réussite sociale et matérielle pour

 Préface de J. Meynaud dans Morphologie des groupes financiers, 2e édition, Bruxelles, 1966, p. 10-34.  Voir par exemple les Mémoires de Léon Greindl ou les Souvenirs du Chevalier David. Conservés par le Groupe d’Histoire du Patronat de l’ULB. 10 www.academieroyale.be

Introduction obtenir un poste de responsabilité dans un des plus grands éta- blissements financiers du pays, généralement en vertu d’une richesse mobilière fournie et d’une réputation élogieuse. Il appar- tient donc à un groupe social identifiable : l’élite des capitalistes 4. Ce groupe social dépasse la sphère restreinte des banquiers. En font également partie de gros industriels, de riches négociants, de puissants administrateurs de sociétés qui ne gravitent pas dans le milieu bancaire. Un détail important distingue néanmoins le groupe des banquiers des autres représentants les plus en vue du monde des affaires : par sa fonction spécifique, il a un droit de regard sur les emplois du capital et les politiques bancaires d’in- vestissement à grande échelle. En outre, en tant qu’administra- teur de sociétés aux multiples responsabilités, le banquier a un accès favorisé à l’information. Pour cette double raison, le ban- quier possède un pouvoir économique important, ce qui le diffé- rencie du reste de son milieu et marque son appartenance à un groupe social distinct.

Un groupe d’élite

En tentant de discerner les caractéristiques communes de l’éche- lon supérieur du monde capitaliste que sont les banquiers, c’est donc le profil cohérent d’un groupe d’élite qui prend forme. Les particularités de ce groupe seront soulignées, et intégrées dans une approche comparative qui les confrontera à celles des cou- ches supérieures de monde capitaliste d’autres pays européens, et en priorité avec celles des banquiers d’Angleterre et de France. Cette démarche comparative mettra ainsi en exergue le modèle spécifique de banquier généré par le système de banque mixte en vigueur en Belgique. Mais elle nous interrogera aussi, dans un second temps, sur l’originalité des milieux d’élite belges (au sens large) en regard des autres modèles européens. Les concepts de pouvoir et d’élite charrient leur lot d’ambiguï- tés, car ils se situent au cœur même de la problématique de la stratification sociale 5, donc au centre de toute tentative d’agen- cement des rapports de force entre groupes sociaux. Au-delà des

 R.E. Pahl, J.T. Winkler, « The economic elite : theory and practise », in P. Stanworth, A. Giddens, Elites and Power in British Society, Cambridge, 1974.  G. Marshall (ed), A Dictionary of Sociology, Oxford-New York, 1998 (2e edition), p. 519. 11 www.academieroyale.be

Les grands banquiers belges (1830-1935) polémiques d’experts, on peut toutefois dégager un large consen- sus sur une signification usuelle du concept d’élite, utile à cette recherche, et résumée par G. Busino : « […] pour l’écrasante majorité des chercheurs, le mot « élite » désigne actuellement tous ceux qui se trouvent au sommet de la hiérarchie sociale, y exercent des fonctions importantes, lesquel- les sont valorisées et reconnues publiquement au travers de reve- nus importants, de différentes formes de privilèges, de prestige et autres avantages officiels et officieux. 6 » En tant que fraction constitutive du patronat, les banquiers méritent à coup sûr une analyse détaillée. En tant qu’élément constitutif de l’élite, les banquiers doivent également retenir notre attention. G. Kurgan a rappelé récemment encore que les spéci- ficités sociales, culturelles et politiques des patrons belges n’avaient pas fait l’objet d’une étude approfondie, qu’elle appe- lait de ses vœux 7. Cet essai est une première réponse à ce fervent plaidoyer en faveur d’une histoire du patronat. L’extrême rareté des biographies collectives (en terme scienti- fique, on parle de prosopographies) consacrées au monde des dirigeants en Belgique rappellent au chercheur qu’il s’attaque à un terrain presque vierge 8. Une étude comme celle proposée ici, qui pose quelques jalons à des investigations ultérieures plus ciblées, a aussi comme objectif, au-delà des informations nou- velles qu’elle apporte et des analyses qu’elle propose, d’attirer l’attention du lecteur sur l’utilité d’une grille d’analyse spécifi- quement conçue pour les groupes d’élite belges au XIXe siècle.

 G. Busino, Élites et élitisme, Que sais-je, Paris, 1992, p. 117.  Voir son introduction dans G. Kurgan-Van Hentenryk, S. Jaumain, V. Montens (eds), Dictionnaire des patrons en Belgique. Les hommes, les entre- prises, les réseaux, Bruxelles, 1996, p. 8.  Deux contre-exemples : dans le domaine économique, B. De Wilde, « Een sociografich onderzoek van Belgische textielpatroons in de 19de en de 20st eeuw », in Revue Belge de Philologie et d’Histoire, 74 (3-4), 1996, p. 850 et ss ; dans le domaine politique, K. Devolder, De Gentse gemeenteraad en haar leden 1830-1914, Gent, 1994. 12 www.academieroyale.be

Chapitre I

Méthodologie et terminologie

De la biographie à la prosopographie

En vertu du caractère remarquable de leur existence, les grands hommes voient souvent leur destin loué par un biographe bien- veillant. Ils s’extraient ainsi de la masse des acteurs de leur temps pour intégrer la mémoire collective, la peuplant de légendes édi- fiantes ou nourrissant de leurs actions « exemplaires » les réflexions de ceux que le passé interpelle. Les banquiers font partie de cette seconde catégorie. Si les plus éminents d’entre eux ont trouvé une plume élégante pour leur croquer le portrait et rejoindre de la sorte l’immortalité dis- crète des bibliothèques, force est de constater qu’ils ne sont pas de ceux que l’imaginaire populaire a retenus. Ils ont pourtant eu leur heure de gloire : le nom des rues, des places, des châteaux le rappelle au curieux. Mais leur pouvoir de séduction s’est estompé après leur disparition. Et leur aura s’est depuis lors dissoute dans l’oubli. Les historiens ont souvent exprimé leur embarras à rendre compte du monde dans lequel évoluent ces grands banquiers. D’abord, parce qu’il leur est malaisé de dépasser l’exemple parti- culier (explicité, justement, dans les biographies) pour atteindre une vue d’ensemble d’un milieu structuré. Ensuite, parce que les banquiers ont toujours su entourer leurs activités du plus grand secret. Enfin, parce que les réussites des banquiers ne sont pas de celles que les contemporains célèbrent. 13 www.academieroyale.be

Les grands banquiers belges (1830-1935)

Pour surmonter ces embûches classiques, je tenterai donc de m’extraire de la biographie et de son caractère singulier (souvent même « hagiographique ») pour appréhender un champ dans toute son étendue et transformer une fascination toute naturelle pour l’Individu en un regard contrasté sur un groupe social struc- turé. Dans l’état des lieux nuancé que je veux dépeindre d’une réalité somme toute assez peu connue, je me plierai de bonne grâce aux contraintes rigoureuses de la recherche quantitative. Mes objectifs rejoindraient ainsi ceux de N. Stoskopf, auteur d’une prosopographie récente consacrée aux banquiers pari- siens : « de la somme de biographies individuelles, [la prosopographie vise] un enrichissement des connaissances sur le groupe sociopro- fessionnel dans son ensemble : il s’agit de passer de l’image forgée par quelques figures emblématiques […] à un véritable portrait collectif fondé sur la synthèse de plusieurs dizaines de parcours individuels 9. »

L’objet de l’étude

Les balises temporelles de cette prosopographie se sont imposées naturellement. Pour que l’analyse parvienne à éclairer un maxi- mum de mutations structurelles dans le milieu étudié, j’ai opté pour la coupe longitudinale longue. L’étude débute donc en 1830, à l’Indépendance de la Belgique. À cette époque, la Société Géné- rale existe déjà depuis huit années et deux grandes banques par actions s’apprêtent à voir le jour : la Banque de Belgique et la Banque Liégeoise, toutes deux en 1835. Le travail se referme en 1935, soit plus d’un siècle plus tard. Cette date s’impose comme une limite logique à cette recherche, dans la mesure où c’est l’an- née de la promulgation de la « Loi bancaire » (9 juillet 1935) arrê-

 N. Stoskopf, Les patrons du Second Empire. Banquiers et financiers parisiens, Paris, 2002, p. 9. L’historiographie française est riche de nombreuses recher- ches prosopographiques. Voir, entre autres, H. Bonin, Le monde des banquiers français au XXe siècle, Bruxelles, 2000. F. Barbier et al, Le patronat du nord sous le Second Empire : une approche prosopographique, Genève, 1989. C. Charle, Les Élites de la République 1880-1900, Paris, 1987. Pour un bilan de l’exercice prosopographique en France, G. Noiriel, Qu’est-ce que l’histoire contempo- raine ?, Paris, 1998, p. 144. 14 www.academieroyale.be

Méthodologie et terminologie tant la suppression de la banque mixte 10 et la séparation entre les activités de dépôts et les activités de crédit au sein des établisse- ments financiers.

Les banques par actions

Entre les deux dates choisies, des centaines de banquiers se sont succédés à la tête de l’appareil bancaire belge. Pour en extraire les principaux, j’ai arrêté un échantillon de 14 banques par actions qui figurent parmi les plus importantes du pays. Ce sont les dirigeants de ces banques qui constitueront la matière pre- mière de mon étude. L’échantillon de banques, dont le détail est donné en annexe, donne ainsi un aperçu assez complet des milieux bancaires des trois principales places financières du pays : Bruxelles, Anvers et Liège. Les autres régions industrielles du pays ont bien évidem- ment connu une activité bancaire propre, qui par période s’est matérialisée par la mise sur pied d’établissements ambitieux : citons ainsi la création de la Banque de Flandres ou Gantoise en 1841 11, ou encore l’émergence de la troisième puissance bancaire du pays durant l’entre-deux-guerres suite au rapprochement de plusieurs établissements flamands et la création de l’Algemeene Bankvereeniging 12. Le choix opéré pour cette recherche restreint toutefois l’objet aux seuls milieux bruxellois, anversois et liégeois, qui pourront servir de points de référence à de plus vastes inves- tigations embrassant les régions négligées par cette étude.

Les banques privées

L’échantillon aurait été incomplet s’il n’avait pris en compte les banquiers privés. En Belgique, comme le montre le dernier cha-

10 Une première mesure avait déjà été arrêtée en 1934. À ce sujet, G. Vanthemsche, « L’élaboration de l’Arrêté royal sur le contrôle bancaire (1935) », in Revue Belge d’Histoire Contemporaine, XI, 1980, 3, p. 419. G. Vanthemsche, « De politieke en economische context van de Belgische bankwetgevingen van 1934 en 1935 », in La Banque en Belgique 1830-1980, Revue de la Banque, sept. 1980, cahier 8/9, p. 31-50. 11 J. Laureyssens, « Het ontstaan van de Banque des Flandres : onverwacht eind- resultaat van het projekt Banque Anglo-Belge », in Studia Historica Gandensia, Gent, 1968, p. 1-30. 12 H. Van Der Wee, M. Verbeyt, Mensen maken geschiedenis, De Kredietbank in de economische opgang van Vlaanderen, 1935-1985, Bruxelles, 1985. 15 www.academieroyale.be

Les grands banquiers belges (1830-1935) pitre, un petit nombre de maisons de banque privées a exercé une influence considérable dans le milieu bancaire entre 1830 et 1935. Les maisons les plus éminentes ont d’ailleurs participé à la consti- tution et au développement des banques par actions, aux conseils desquelles elles ont généralement obtenu des postes d’adminis- trateur. Dans cette étude ne sont retenus que les banquiers privés payant les plus grosses patentes au XIXe siècle. Ces banquiers s’inscrivent généralement dans une lignée familiale convertie aux pratiques bancaires. Chaque famille dispose donc de plusieurs représentants dans l’échantillon, à l’exception de Charles Balser et Adolphe Fran(c)k qui ne comptent aucun banquier privé dans leur descendance 13. Les grandes maisons privées sont principale- ment basées à Bruxelles, mais on retrouve une famille d’Anvers (Le Grelle), une de Huy (de Lhoneux) et une autre de Liège (Nagelmackers)

Les catégories des banques retenues

Les banques par actions de l’échantillon, les plus importantes de leur époque, peuvent être réparties en trois catégories. La grande majorité d’entre elles répondent aux critères de la banque mixte, tels que R. Durviaux les a définis dans un ouvrage qui fait référence : « La banque mixte est […] celle qui pratique, comme la banque de dépôts, les opérations à court terme facilement mobilisables, les avances, l’escompte, les reports, les crédits documentaires, mais également les opérations à moyen et à long terme. Elle consent d’importantes avances aux industries sous forme d’ouvertures de crédit. Ces avances qui sont, en principe, renouvelables et, de ce fait, souvent prolongées, permettent aux entreprises de se déve- lopper et de surmonter des difficultés passagères. […]. Le ban- quier est ainsi un entrepreneur dont l’action est primordiale dans un pays industrialisé. » « La banque mixte aide également l’industrie en prenant fermes les titres émis lors de la création de sociétés nouvelles ou en vue de consolider des découverts. S’il s’agit de constitu- tion, elle garde généralement en portefeuille, pendant les débuts de l’affaire, les titres nouvellement acquis, pour ne les revendre

13 J. J. R. Osy, qui est un temps banquier privé sous la période hollandaise, a été également repris dans l’échantillon. Il est par ailleurs président de la Banque d’Anvers depuis 1826. E. Empain, un des financiers les plus actifs de la fin du XIXe siècle, fait également partie de l’échantillon. 16 www.academieroyale.be

Méthodologie et terminologie

qu’après plusieurs années lorsque l’entreprise a été lancée et a fait définitivement ses preuves 14 ». En réalité, seules la Banque Centrale Anversoise et la Caisse Générale de Reports et de Dépôts n’ont pas fonctionné sur le modèle des banques mixtes. La première, à l’instar de plusieurs autres banques anversoi- ses, est une banque commerciale, axée sur les mouvements du port : son « portefeuille se compose, en effet, de fonds publics, lots de villes et obligations diverses et contient peu ou point d’ac- tions de sociétés », bien qu’elle s’intéresse « aux affaires financiè- res » et prend part « aux émissions de titres » 15. La seconde est une banque de dépôts pure. Elle limite ses acti- vités aux opérations à court terme, telles que définies ci-dessus. D’après Durviaux, au début du siècle, le Crédit Anversois limi- tera également son activité à ce type d’opérations, après avoir subi des pertes sur son portefeuille au cours de la crise 1900- 1901. La très forte proportion de banques mixtes dans l’échantillon (et leur rôle prépondérant sur la scène bancaire belge) n’est pas sans conséquences sur le profil-type du banquier qui s’en dégage : celui-ci, en tant qu’administrateur de sociétés, est tout à la fois un entrepreneur et un financier soucieux de mettre en place, mais également de gérer, toute une infrastructure industrielle, sur laquelle il a une prise directe par son accès aux organes de déci- sion. En ce sens, banquiers privés et administrateurs de banques mixtes se rejoignent largement, les uns et les autres jouant un rôle dynamique dans l’économie.

Les administrateurs de banque

Qu’entend-on par « dirigeants » de ces banques par actions et de ces maisons privées ? Autrement dit, qui détient le pouvoir dans ces établissements et sur quel organe de décision reposent les banques en Belgique ? Les banques par actions sont dirigées par un conseil d’admi- nistration. À la différence du système allemand, où la tête des entreprises est bicéphale, le conseil d’administration des banques

14 R. Durviaux, La banque mixte. Origine et soutien de l’expansion économique de la Belgique, Bruxelles, 1947, p. 21. 15 R. Durviaux, La banque mixte. Origine et soutien de l’expansion économique de la Belgique, Bruxelles, 1947, p. 81. 17 www.academieroyale.be

Les grands banquiers belges (1830-1935) belges est unique : il est le seul habilité à prendre les principales décisions et à imprimer les grandes orientations aux établisse- ments 16. Les administrateurs (et, cela va de soi, le président du conseil d’administration) exercent dès lors une réelle influence sur les banques qu’ils dirigent. Des rapports de force internes aux conseils font que certaines personnalités pèsent nettement plus que d’autres sur les décisions collégiales, bien que les statuts des banques empêchent toute forme de pouvoir unilatéral. Certains administrateurs, que la lit- térature économique a généralement épinglés, ont été des diri- geants de tout premier ordre. D’autres ont plutôt fait figure de « seconds couteaux » à leurs côtés. Ainsi, il a toujours été de pra- tique courante de solliciter la présence de grandes figures publi- ques au sein des conseils des grosses sociétés, pour rassurer un actionnariat en formation ou redorer le blason des établissements par le prestige associé aux noms de personnalités ou de familles en vue. Comme l’écrivait le célèbre homme d’affaires A. Lan- grand-Dumonceau en 1857 : « une société qui vise à inspirer de la confiance, de la sécurité, a besoin de patrons jouissant d’une renommée de probité et de prudence et portant des noms connus, le plus possible, dans toutes les classes de la population 17 ». Toutefois, quand bien même les administrateurs de banques seraient relégués au second plan de la prise de décision du conseil, la variété de leurs intérêts et l’abondance des mandats dont ils sont titulaires sont deux indices probants du rôle non négligeable qu’ils ont joué dans la conduite de l’économie 18. De même, les recrues politiques des grandes banques belges, si elles n’ont pas toutes été des financiers de première catégorie, n’en ont pas moins pesé lourdement sur les grandes orientations bancaires, ne fût-ce que par leur positionnement stratégique entre les champs écono- mique et politique. Le cas de la Société Générale, qui est le seul établissement dont le mode de direction a été étudié en détail à l’aide de dépouillements en archives, montre d’ailleurs que certains diri- geants bancaires disposent d’un pouvoir considérable – qui

16 Y. Cassis, « Monde des affaires et bourgeoisie en Europe de l’Ouest », in J. Kocka (dir), Les bourgeoisies européennes au XIXe siècle, Paris, 1996, p. 56. 17 G. Jacquemyns, Langrand-Dumonceau, promoteur d’une puissance financière catholique. T. I, Années obscures – Montée, Bruxelles, 1960, p. 151. 18 L’exemple de Jean Pierre Kok illustre parfaitement ce propos. A. Massin, Bruxelles, qui est qui en 1812, Bruxelles, 1997. Les causes célèbres de la Belgique, Paris, 1888. 18 www.academieroyale.be

Méthodologie et terminologie dépasse le simple rôle de relais d’information – sur le fonctionne- ment des entreprises patronnées. La formule de patronage, adop- tée par la Société Générale après 1848, implique des relations qui « s’étagent sur trois niveaux » : sur le plan purement bancaire, la société patronnée bénéficie de conditions privilégiées au crédit par rapport aux autres entreprises ; sur le plan de l’investisse- ment, la Société Générale n’hésite pas à prendre des participa- tions dans le capital des entreprises ; quant à l’organisation et au contrôle des sociétés patronnées, la banque opère une politique de fusion en regroupant ses intérêts de manière à diminuer les coûts. Une division de l’Industrie, « intégrée complètement dans l’organisation de la Société Générale », supervise le contrôle des sociétés patronnées. Des visites d’entreprise, des réunions de coordination pour directeurs-gérants de charbonnages sont ainsi organisées dans le courant des années 1870, sous la présidence de J. Quairier (qui est à la tête de la division de l’Industrie). D’après G. Kurgan, « la grande dépression des années 1876 à 1895 aura pour conséquence un renforcement du contrôle des sociétés patronnées » 19. Des études analogues à celles consacrées à la Société Générale permettraient de préciser le rôle concret des administrateurs des autres grandes banques mixtes dans l’in­ dustrie.

Banquiers privés et représentants de la haute banque

Les banquiers privés, pour leur part, dirigent habituellement seuls leur entreprise. À de rares occasions, ils partagent le pouvoir avec des représentants de familles alliées ou apparentées. C’est pourquoi, on peut sans crainte affirmer que les grands banquiers privés cités dans ce travail font partie des patrons les plus influents de leur temps. Dans cette étude, j’établirai une distinction entre les banquiers privés associés à la haute banque internationale et cosmopolite, et ceux dont le champ d’influence se limite à l’échelle nationale Les premiers sont allochtones, de confession israélite ou pro- testante, et occupent sur la place financière bruxelloise une fonc- tion d’autant plus éminente qu’ils exercent une position de quasi-

19 G. Kurgan-Van Hentenryk, « La Société Générale de Belgique et le finance- ment de l’industrie 1870-1950 », in P. Marguerat, L. Tissot, Y. Froidevaux (eds), Banques et entreprises en Europe de l’Ouest, XIXe-XXe siècles : aspects nationaux et régionaux, Neufchâtel, 2000, p. 203-208. 19 www.academieroyale.be

Les grands banquiers belges (1830-1935) monopole à ce niveau. Leurs collaborations professionnelles sont en outre consolidées par de subtiles stratégies matrimoniales avec d’autres familles aux connexions internationales. Les seconds sont autochtones, pas nécessairement installés sur la place de Bruxelles. Leurs réseaux sont plutôt locaux ou nationaux et ils ne tissent pas d’alliances matrimoniales avec les représentants du premier groupe. Dans les lignes qui suivent, il sera fait référence au premier groupe sous le terme de haute banque, bien que le vocable, emprunté à la réalité parisienne, ne convienne qu’imparfaitement au contexte national. Notons que même en France, le terme de haute banque a revêtu les contours les plus vagues. À ce propos, A. Plessis exprimait son embarras : « Mais qu’est-ce que la haute banque, au début du Second Empire ? L’expression, qui est apparue sous la Restauration, désigne depuis lors un petit nombre de banquiers ; les listes des membres de cette élite comprennent de 22 à 27 noms vers 1840, mais elles n’ont rien d’officiel et n’établissent aucune condition statutaire d’admission. […]. Certains des traits qui leur sont ordinairement attribués ne se retrouvent pas chez tous au même degré (ainsi leur ancienneté dans la profession bancaire), ou ne s’appliquent qu’à une partie d’entre eux : par exemple leur origine étrangère, […] leur appartenance confessionnelle (à la religion protestante ou israélite), […] 20. » En regard de ce qui précède, les membres de ce que j’appelle- rai la haute banque belge présentent un profil sans doute plus harmonieux. Leur homogénéité n’est pas seulement perceptible au travers de leurs alliances matrimoniales, mais aussi sur le plan social par des caractéristiques que je tenterai de mettre en évi- dence dans cette recherche : un goût du risque qui les associe aux entreprises les plus neuves (mais aussi les plus hasardeuses), par opposition aux administrateurs de banque généralement moins enclins à se lancer dans de nouveaux secteurs ; des contacts nour- ris avec l’étranger ; la fréquentation conjointe de cercles de socia- bilité particuliers. Notons encore que le terme de banquier privé provincial fait référence à tous ces hommes d’affaires, négociants ou industriels convertis aux activités bancaires, qui exercent en dehors de Bruxelles et d’Anvers, les deux « capitales » financières du pays.

20 A. Plessis, Régents et gouverneurs de la Banque de France sous le Second Empire, Genève, 1985, p. 81. 20 www.academieroyale.be

Méthodologie et terminologie

L’expression générique de banquier doit être comprise dans son acception la plus large, à savoir administrateurs ou présidents de banques par actions, banquiers privés appartenant à la haute banque, banquiers privés bruxellois, anversois ainsi que ban- quiers de province. Quand aucun qualificatif n’accompagne ce vocable de banquier, c’est ce sens large qu’il faut retenir. Dans les autres cas, des précisions seront apportées pour déterminer la catégorie à laquelle il est fait référence.

Les « interlocking directories » et la situation économique belge

La progression comparée des carrières, l’évolution des profils- types des banquiers, le développement des nouveaux secteurs économiques et l’ouverture de la Belgique sur l’étranger peuvent être approchés par une analyse de l’évolution chronologique des « interlocking directories » (le partage des administrateurs com- muns entre sociétés), seule trace tangible d’une participation effective des banques et de leurs dirigeants dans l’économie lors- que les informations chiffrées précises nous font défaut. L’analyse des « interlocking directories » se rattache à une longue tradition de recherche. Les premières explorations dans ce domaine datent de 1905, quand Otto Jeidels publie les résul- tats d’une étude consacrée aux administrateurs de l’industrie alle- mande. Depuis, les chercheurs n’ont pas hésité à se pencher régu- lièrement sur les participations croisées et les « interlocking directories », avec plus ou moins de bonheur dans les résultats 21. Le talon d’Achille de ce mode d’analyse demeure en effet la dif- ficulté d’appréhender l’influence réelle des directeurs et des admi- nistrateurs dans les conseils d’administration qu’ils sont appelés à rejoindre. Différentes théoriesont d’ailleurs circulé à ce propos : certains ont soutenu que le fait de cumuler un grand nombre de postes d’administrateur accentue le pouvoir du décideur ; d’autres au contraire y voient le signe d’une dilution de son pouvoir réel à l’avantage des administrateurs-délégués qui disposent d’une

21 M. Fennema, H. Schijf, « Analysing Interlocking Directorates : Theory and Methods », in J. Scott, The Sociology of Elites, vol. III, Great Yarmouth, 1990, p. 297. M.S. Mizruchi, « What do Interlocks do ? An Analysis, Critique, and Assessment of Research on Interlocking Directorates », in Annual Review of Sociology, 22, 1996, p. 271-298. 21 www.academieroyale.be

Les grands banquiers belges (1830-1935) meilleure connaissance du terrain et d’une main-mise sur l’évolu- tion concrète de l’entreprise 22. Contentons-nous de souligner, ici, que les banquiers belges les plus puissants (et généralement les mieux connus) ont été, à peu d’exceptions près, ceux qui ont détenu le plus de mandats. Tant les présidents des grandes banques mixtes que les banquiers privés les plus importants présentent ainsi la caractéristique de faire partie de la minorité des individus les mieux dotés en man- dats de société. Disposer d’un grand nombre de mandats consti- tue indiscutablement, dans l’étude qui retient notre attention, un signe de pouvoir économique réel qui se traduit, par ailleurs, par des hautes fonctions tant dans l’appareil étatique que dans les cercles mondains les plus huppés.

Les plus gros détenteurs de mandats de sociétés

Par carrière individuelle, le nombre de sociétés dont les banquiers sont administrateur, et/ou commissaire et/ou président s’élève à 16 en moyenne sur l’ensemble de la période étudiée. Pour les banquiers entrés en activité avant 1865, cette moyenne n’est que de 8 sociétés par individu. Après la profusion de créations de sociétés anonymes dans la seconde moitié du XIXe siècle, ce chif- fre s’élève progressivement pour avoisiner les 20 mandats en moyenne durant l’entre-deux-guerres. Les différences peuvent être considérables entre les personnalités les plus actives dans le monde bancaire, qui parfois obtiennent plus de 70 mandats dans le courant de leur carrière, et la poignée d’individus qui ne doi- vent leur siège d’administrateur de banque qu’à des circonstances étrangères à une quelconque compétence en matière financière, et qui se contentent dès lors de quelques jetons de présence dans l’une ou l’autre assemblée sans être vraiment des hommes d’af­ faires incontournables.

22 R.E. Pahl, J.T. Winkler, « The economic elite : theory and practise », in P. Stanworth, A. Giddens, Elites and Power in British Society, Cambridge, 1974, p. 112. À propos des sociétés de holding belges, H. Daems, The holding company and corporate control, Leiden-Boston, 1978, p. 71. 22 www.academieroyale.be

Méthodologie et terminologie

Liste des banquiers belges qui ont détenu le plus de mandats de société (administrateur, administrateur-délégué, commissaire ou président) sur l’ensemble de leur carrière.

Banquiers principalement actifs avant 1870

P. Vilain XIIII (1778-1856), 15 mandats F. de Munck (1780-1856), 18 mandats J.P. Matthieu (1785-1863), 23 mandats C. De Brouckère (1796-1860), 20 mandats F. de Meeus (1798-1861), 22 mandats C. Liedts (1802-1878), 16 mandats J. R. Bischoffsheim (1808-1883), 25 mandats V. Pirson (1809-1867), 18 mandats J. Malou (1810-1886), 19 mandats G. Sabatier (1819-1864), 16 mandats

Banquiers principalement actifs entre 1870 et 1914

F. Fortamps (1811-1898), 15 mandats V. Tesch (1812-1892), 27 mandats L. Orban (1822-1905), 32 mandats F. Braconier (1826-1912), 27 mandats J. Urban (1826-1901), 34 mandats R. Coumont (1828-1898), 17 mandats G. Brugmann (1829-1900), 17 mandats F. de Macar (1830-1913), 29 mandats E. Despret (1833-1906), 33 mandats E. Nagelmackers (1834-1905), 16 mandats A. Laloux (1834-1919), 28 mandats F. Jacobs (1836-1914), 36 mandats F. Baeyens (1837-1914), 36 mandats A. Ancion (1839-1923), 41 mandats C. Balser (1842-1914), 28 mandats L. Collinet (1842-1908), 36 mandats P. de Smet de Naeyer (1843-1913), 30 mandats R. de Bauer (1843-1916), 35 mandats V. Fris (1843-1913), 33 mandats G. De Laveleye (1847-1921), plus de 70 mandats A. Thys (1849-1915), 41 mandats H. Stern (1850-1912), 32 mandats

23 www.academieroyale.be

Les grands banquiers belges (1830-1935)

Léon Lambert (1851-1919), 26 mandats F. Philippson (1851-1929), 28 mandats

Banquiers principalement actifs après 1918 E. Bunge (1851-1927), une cinquantaine de mandats E. Le Grelle (1852-1935), 43 mandats E. Empain (1852-1929), 31 mandats G. Cooreman (1852-1926), 33 mandats L. Cassel (1853-1930), 37 mandats P. Van Hoegaerden (1858-1922), 32 mandats E. Digneffe (1858-1937), 34 mandats M. Despret (1861-1933), une cinquantaine de mandats J. Jadot (1862-1932), 38 mandats E. Francqui (1863-1935), plus de 70 mandats E. Thys (1868-1914), 80 mandats J. Allard (1868-1931), plus de 70 mandats G. Theunis (1873-1966), 72 mandats H. Le Bœuf (1874-1935), 49 mandats G. Périer (1875-1946), plus de 70 mandats A. Marchal (1879-1963), 46 mandats G. Blaise (1880-1964), plus de 80 mandats A. Bemelmans (1881-1952), plus de 70 mandats W. Thys (1886-1935), environ 70 mandats

Si l’on compare la quantité de mandats détenus par les ban- quiers avec ceux des industriels qui n’ont pas eu accès à une insti- tution financière, les banquiers ont indéniablement une belle lon- gueur d’avance sur les industriels, et ce dès le début du XIXe siècle comme on peut le constater à la lecture du répertoire biographi- que de J. Laureyssens 23. En ce sens, les banquiers actifs dans la banque mixte ont servi, plus que toute autre catégorie d’hommes d’affaires, de courroie de transmission entre les différents secteurs économiques progressivement supportés par le secteur ban- caire 24.

23 J. Laureyssens, Industriële naamloze vennootschappen in België, 1819-1857, dans Cahiers du Centre interuniversitaire d’Histoire contemporaine, t. 78, 1975. Voir aussi les index alphabétiques du Recueil Financier. 24 Voir R.L. Hogg, Structural Rigidities and Policy Inertia in Inter-War , Bruxelles, 1986, p. 128. A. Soete, « Franse Dominantie in het negentiende- eeuwse België : realiteit of fictie », in E. Aerts, B. Henau, P. Janssens, R. Van Uytven (eds), Studia Historica Oeconomica Liber Alumnorum Herman Van der Wee, Leuven, 1993, p. 350. 24 www.academieroyale.be

Méthodologie et terminologie

Jusqu’au dernier quart du XIXe siècle, les banquiers les plus en vue détenaient entre 15 et 25 mandats par carrière. C’est le cas des directeur et président des deux principales banques de Bruxel- les C. De Brouckère (Banque de Belgique) et F. de Meeus (Société Générale), qui ont vu leur nom associé à respectivement 20 et 22 sociétés, ce qui était considérable à l’époque où ils officiaient. Pour cette génération, le record est détenu par le célèbre ban- quier privé J. R. Bischoffsheim avec 25 mandats pour sa seule personne. Bischoffsheim ne se contentait d’ailleurs pas de pro- mouvoir les nouvelles sociétés sous forme anonyme puisqu’il était également un sénateur fort actif dans les débats d’ordre éco- nomique, et une personnalité incontournable du High-Life bruxellois. Son influence était très remarquable et il se passait peu de choses dans le petit cénacle de la haute finance bruxelloise sans que Bischoffsheim n’ait été tenu au courant. En général, les premiers administrateurs de sociétés possé- daient des intérêts dans les charbonnages, pour certains dans les compagnies d’assurance naissantes, dans les premières entrepri- ses de chemins de fer, dans les sociétés financières et dans les entreprises métallurgiques. Très peu se spécialisent réellement dans un secteur unique : leur entregent les mène généralement au conseil de sociétés aux caractères fort différents. En matière de cumul de mandats de sociétés, la période entre 1870 et 1914 est dominée principalement par un petit groupe de banquiers privés prompts, entre autres, à saisir leur chance dans le développement des entreprises belges à l’étranger (G. Brug- mann, L. Lambert, F. Philippson et d’une certaine manière R. de Bauer), ainsi que par une série de hauts dirigeants qui se recon- vertissent dans les nouvelles industries – tant en Belgique qu’à l’étranger – en phase de croissance telles que les tramways, l’élec- tricité (J. Urban, E. Empain, G. De Laveleye, H. Stern, V. Fris, P. de Smet de Naeyer, E. Despret) ou qui bénéficient eux-aussi de l’extraordinaire développement des sociétés coloniales à cette époque (A. Thys, E. Bunge, F. Jacobs, E. Thys). Quelques-uns seulement représentent encore les secteurs plus anciens comme les Liégeois F. Braconier, P. Van Hoegaerden, F. de Macar dont la fortune s’enracine dans les charbonnages, ou E. Nagelmackers qui se spécialise dans la métallurgie. L’un ou l’autre représentant de la Société Générale enfin collectionne les mandats bancaires dans les établissements patronnés : c’est le cas de F. Baeyens et G. Cooreman. Après la guerre, la tendance parmi les plus gros détenteurs de mandats de société est à la diversification des intérêts, plus 25 www.academieroyale.be

Les grands banquiers belges (1830-1935) perceptible que lors de la période précédente durant laquelle les spécialisations semblaient plus marquées. Des personnalités de la banque privée comme L. Cassel ou J. Allard s’emparent de postes d’administrateur dans des sociétés de charbonnage, de métallurgie, mais aussi des sociétés finan- cières, pétrolières, d’électricité, de transports, de chimie, qu’elles soient locales ou étrangères. Dans la banque mixte, des patrons comme M. Despret, E. Francqui, G. Blaise présentent des profils de carrière aux contours assez similaires avec des intérêts bien répartis dans les différents secteurs. Profitent surtout de l’expan- sion belge au Congo et à l’étranger les très dynamiques G. Périer, A. Bemelmans, A. Marchal. Parmi les ingénieurs qui se spéciali- sent dans les secteurs de l’électricité, de la chimie et des trans- ports, le plus célèbre est sans doute G. Theunis. Épinglons encore W. Thys, un grand financier qui a contribué à la centralisation du secteur bancaire en supervisant l’absorption des banques locales par la Banque de Bruxelles. Nous classerons ces banquiers par catégorie dans la dernière partie de ce chapitre. Notons que certaines personnalités incontournables dans le monde bancaire ne sont pas reprises dans cette liste : Sam Wiener est par exemple un de ceux-là. Juriste aguerri et conseiller per- sonnel du Roi Léopold II, sa fortune est sans aucun doute impor- tante puisqu’il souscrit personnellement à plusieurs emprunts d’État, de même qu’à plusieurs émissions d’actions de grandes entreprises coloniales. Il n’est pourtant pas détenteur d’un grand nombre de mandats d’administrateur. Sa place centrale dans les réseaux sociaux est néanmoins une preuve tangible de sa très considérable influence malgré une participation active assez maigre auprès des sociétés auxquelles il souscrivait. D’autre part, l’analyse des mandats d’administrateur a ten- dance à occulter un pan complet de l’activité de banquier : les opérations bancaires pures, à savoir la participation aux grands emprunts, qui constitue une source de profit appréciable tant pour les banques privées que pour les banques mixtes et les ban- ques de dépôts, ainsi que les opérations de change, d’escompte, les placements en comptes courants et prêts sur hypothèque, les émissions et placements en bourse, la gestion de la trésorerie, … Pour superviser tous ces services, on retrouve parfois d’émi- nentes personnalités, tel Franz Philippson 25, mais aussi des

25 Voir C. Allegre, Franz Philippson, banquier 1871-1914, mémoire en histoire, faculté de philosophie et lettres, ULB, 1997-1998. 26 www.academieroyale.be

Méthodologie et terminologie hommes de l’ombre, de purs banquiers qui n’ont pas nécessaire- ment collectionné les mandats de sociétés. C. Horn-Feist fait partie de cette catégorie d’hommes : formé auprès de la maison Oppenheim de Bruxelles lorsqu’il arrive en Belgique à l’âge de 23 ans en 1871, il passe au service de la Banque Centrale Anver- soise dont il devient directeur lors de sa reconstitution en 1877. Horn-Feist se contente de l’un ou l’autre mandat d’administra- teur de société. Pourtant, ses connexions avec l’Allemagne, son pays d’origine, sa forte influence dans la communauté israélite d’Anvers et ses contacts avec la capitale le placent en position de force durant le dernier tiers du XIXe siècle. En 1901, Horn-Feist devient administrateur de la Banque Internationale de Bruxelles qui voit le jour grâce à l’apport de capitalistes allemands dont certains, comme Edouard Oppenheim, de la firme Salomon Oppenheim junior et cie de Cologne, se retrouvaient déjà à l’ori- gine de la Banque Centrale Anversoise.

Présidents, administrateurs-délégués, directeurs

D’une manière générale, il semblerait, d’après l’état actuel de nos connaissances 26, que les présidents, les administrateurs-délégués lorsqu’ils existent, ainsi que les directeurs sont ceux qui, à partir du dernier tiers du XIXe siècle, exercent la plus grande influence dans la gestion quotidienne et dans les stratégies de développe- ment des établissements bancaires. Il n’est d’ailleurs pas rare que les directeurs obtiennent une position d’administrateur ou d’ad- ministrateur-délégué à la banque en récompense de leurs ser­ vices. Dans les banques passées en revue, la fonction d’administra- teur-délégué n’apparaît pour la première fois qu’à la fin du XIXe siècle. Ainsi, un poste d’administrateur-délégué est créé à la Banque Internationale de Bruxelles à sa fondation en 1898, de même qu’à la Banque d’Outremer en 1899. C’est respectivement A. Thys, puis E. Francqui, F. Cattier et C. Fabri, quatre ban- quiers de premier ordre, qui se transmettront la fonction dans le dernier établissement cité. La charge de président n’existant pas à la Banque Liégeoise, c’est un administrateur-directeur (ou administrateur-délégué) qui remplit les fonctions de direction

26 Un dépouillement systématique des procès-verbaux des conseils d’administra- tion des banques permettrait de préciser l’observation. 27 www.academieroyale.be

Les grands banquiers belges (1830-1935) tout en assurant la surveillance des écritures au XIXe siècle 27. Il faut attendre le rapprochement avec la Banque Internationale de Bruxelles en 1905 28 pour qu’un poste d’administrateur-délégué soit créé à côté de la fonction de président : c’est Léopold Rans- celot qui hérite de la fonction. Le Crédit Général Liégeois semble avoir fonctionné sans administrateur-délégué jusqu’à sa fusion avec la Banque Liégeoise en 1928. À la Société Générale, la fonc- tion d’administrateur-délégué n’existe pas dans l’organigramme décisionnel qui comprend un gouverneur, un vice-gouverneur, un secrétaire et des directeurs.

Spécificités des banques de dépôts et des banques d’affaires

Comme je l’ai souligné, les présidents des banques sont générale- ment repris dans la liste des plus gros détenteurs de mandats de société. Notons toutefois plusieurs exceptions notables à cette tendance. Elles sont le fait de banques non-mixtes. Ainsi, les principaux animateurs de la Caisse Générale de Reports et de Dépôts avant la guerre sont peu dotés en mandats de sociétés. On y trouve pourtant quelques grands noms du sec- teur bancaire. R. Coumont figure au conseil d’administration dès l’origine ; il est l’une des chevilles ouvrières de la banque, même s’il n’obtient pas la présidence de l’établissement. Bien que sa biographie reste à écrire, plusieurs études ont déjà montré la position importante qu’occupe Coumont sur la place bruxelloise, d’abord comme agent de change, puis comme bras droit de A. Langrand-Dumonceau, ensuite comme banquier privé et administrateur entre autres de sociétés de tramways. Il n’a pour- tant pas obtenu autant de mandats que d’autres représentants de sa génération qui ont accompli l’ensemble de leur carrière dans la banque mixte. F. Masquelin, le premier président effectif de la Caisse Générale, n’occupe de position que dans le secteur des assurances. P. Dansette, le second président, est un des banquiers les plus en vue à l’époque où éclate la Première Guerre mondiale,

27 L.F.B. Trioen, Collection des statuts de toutes les sociétés anonymes et en commandites par action de la Belgique, Bruxelles, 1841. A. Demeur, Les sociétés anonymes de Belgique en 1857. Collection complète des statuts en vigueur colla- tionnés sur les textes officiels avec une introduction et des notes, Bruxelles, 1859, p. 31. 28 O. Vanderick, La Banque de Bruxelles. Évolution et perspectives de 1916 à 1935, mémoire en histoire, faculté de philosophie et lettres, ULB, 1999-2000, p. 22. 28 www.academieroyale.be

Méthodologie et terminologie durant laquelle ses compétences seront d’ailleurs mises à contri- bution. En 1914, il n’est pourtant président que de trois sociétés, et possède au total à peine sept mandats de société. La nature même des activités de la Caisse Générale de Reports et de Dépôts justifie le nombre limité de mandats de sociétés détenus par ses plus hauts dirigeants. Comme le souligne Durviaux, l’établisse- ment est la seule grande banque belge de l’époque qui n’est pas mixte dans son fonctionnement mais qui est restée « un type de dépôts purs ». Les banques anversoises (e.a. la Banque d’Anvers et la Banque Centrale Anversoise), dont l’activité est principalement commer- ciale et basée sur le mouvement du port, ne peuvent pas être considérées comme entièrement mixtes. Leur portefeuille contient en effet peu ou point d’actions de sociétés 29. Cette spécificité transparaît à l’analyse des mandats de société de leurs dirigeants. Même le grand colonial A. De Roubaix, mort en 1893, adminis- trateur de la Banque Centrale Anversoise pendant 22 ans, qui consacre la fin de sa vie à appuyer les premières sociétés fondées au Congo, se limite à neuf mandats d’administrateur, dont la vice-présidence de la Compagnie de Congo pour l’Industrie. Ses collègues à la Banque Centrale Anversoise ne sont pas mieux dotés. Ces gros négociants se contentent généralement de leurs activités auprès de la firme familiale, de l’un ou l’autre mandat facultatif dans une firme industrielle à l’étranger ou en Belgique, et de leur poste à la banque. Le meilleur exemple de ce type de banquier est peut-être H. et P. Kreglinger, ou encore F. ou E. Grisar. Un changement net s’opère à la Banque Centrale Anversoise dans le courant de la guerre avec l’entrée d’hommes d’affaires et de financiers comme C. Good ou E. Le Grelle qui répartissent leurs intérêts dans des secteurs divers : les assurances, les sociétés financières, mais aussi l’industrie anversoise et d’outre- mer. Le Crédit Anversois par contre, malgré un repli vers les acti- vités commerciales au cours de la crise de 1900-1901 après un début euphorique, génère un profil de banquier fort actif dans les entreprises industrielles. La Banque de Reports, de Fonds Publics et de Dépôts est également dirigée par des hommes d’affaires (E. Thys, F. Jacobs) qui multiplient les fonctions dans les socié- tés anonymes de diverses natures.

29 R. Durviaux, La banque mixte. Origine et soutien de l’expansion économique de la Belgique, Bruxelles, 1947, p. 81. 29 www.academieroyale.be

Les grands banquiers belges (1830-1935)

En résumé, les plus gros détenteurs de mandats de sociétés restent les dirigeants des grandes banques mixtes bruxelloises, liégeoises, puis anversoises à partir de la fin du eXIX siècle. À cette série de banquiers se joignent les têtes de file de la banque privée, surtout des individus d’origine étrangère ou dont la famille s’est récemment installée en Belgique. Comme nous allons le voir, ces banquiers privés bénéficient d’un réseau solide hors des frontières nationales. Ils ne détiennent malgré tout jamais autant de mandats de sociétés que leurs collègues de la banque mixte, à l’exception notoire de J. R. Bischoffsheim, un temps administrateur de la Banque de Belgique, qui est le banquier le plus doté de son époque, au milieu du XIXe siècle.

Les profils des banquiers entre 1830 et 1935

Le système de la banque mixte n’a cessé de produire des profils particuliers d’administrateur de sociétés. Avant 1850, c’est l’en- trepreneur qui domine, l’homme d’affaires qui diversifie ses com- pétences et ses responsabilités dans une multitude de sociétés naissantes 30. Dans la seconde moitié du XIXe siècle se côtoient les gestionnaires et les ingénieurs. La première catégorie apparaît vers 1850 et se compose de juristes spécialisés dans les affaires ferroviaires, formés au barreau et bénéficiant généralement d’une expérience acquise dans la sphère politique. Les seconds, formés dans une des écoles d’ingénieurs du pays, atteignent le sommet du monde bancaire dans le courant des années 1870, à la faveur d’un parcours brillant dans les sociétés de chemins de fer de l’État, à la direction de sociétés industrielles importantes ou plus tard dans l’expansion belge à l’étranger. Vers cette même époque se dessine le profil du banquier pur : à la Société Générale, le banquier pur supervise l’implantation de la banque bruxelloise en province et la gestion quotidienne de l’établissement tandis que dans les banques privées, le banquier pur échafaude les combinaisons financières, toujours plus com- plexes avec la spécialisation de l’économie. Après 1885 se profile la figure du colonial, à savoir le banquier privé ou l’administra- teur de banque qui se spécialise dans les investissements outre-

30 Voir, à ce sujet, la réflexion de Cameron dans R. Cameron, « Bankers as entre- preneurs », in P. Klep, E. Van Cauwenberghe (eds), Entrepreneurship and the Transformation of the Economy (10th-20th centuries), Essays in Honour of Herman Van der Wee, Leuven, 1994. 30 www.academieroyale.be

Méthodologie et terminologie mer. Durant l’entre-deux guerres cohabitent donc l’ingénieur, qui s’est reconverti dans les secteurs de la seconde révolution industrielle, le colonial, qui continue à récolter de plantureux profits de l’étranger, le banquier, qui surveille la centralisation de l’appareil bancaire et le financier, version moderne de l’entrepre- neur de la première moitié du XIXe siècle, adaptée toutefois au contexte économique nettement plus compartimenté de l’entre- deux-guerres dans lequel un certain degré de spécialisation s’im- pose. Du côté des banques privées, l’éclectisme est le modèle qui prévaut auprès des principaux acteurs et la tendance est à la diversification des intérêts jusqu’à la Seconde Guerre mondiale. Les banquiers privés, à la différence de beaucoup de dirigeants de banques par actions, ont en effet fait preuve d’un goût avéré pour les secteurs à risque et ont été des moteurs non négligeables du renouvellement économique. Leur nombre limité sur la place de Bruxelles et leurs rapports permanents avec les banques par action – à l’existence desquelles ils contribuent – situent la plu- part des banquiers privés aux côtés des grands noms de la banque mixte parmi les acteurs économiques les plus puissants de leur temps.

Les échantillons de travail 31

Cette enquête porte sur 382 banquiers qui constituent notre échantillon de référence (l’échantillon complet). Dans toutes les problématiques où s’avère utile une analyse en profondeur des profils individuels des banquiers, je ferai toutefois référence à un échantillon restreint de 320 banquiers. Ceux-ci ont été choisis parmi les 382 individus de l’échantillon complet de manière à ce que, d’une part, les proportions entre administrateurs de banque et banquiers privés soient respectées, et d’autre part, que chaque période soit représentée dans les mêmes proportions que dans l’échantillon complet. Cet échantillon a posé les jalons des chapi- tres consacrés aux réseaux de sociabilité, où des dépouillements

31 La liste complète des banquiers de l’échantillon est consultable dans S. Tilman, Portrait collectif de grands banquiers belges Bruxelles – Liège – Anvers (1830- 1935), Contribution à une histoire des élites, thèse de doctorat en Philosophie et Lettres, ULB, 2003-2004, volume second, Annexe A. 31 www.academieroyale.be

Les grands banquiers belges (1830-1935) en archives ont complété les enseignements incomplets fournis par les biographies individuelles. Quand il sera question des réseaux politiques, j’inclurai à l’échantillon complet les 76 commissaires actifs dans les trois grandes banques mixtes au XIXe siècle, à savoir la Société Géné- rale, la Banque de Belgique et la Banque Liégeoise 32. Le rôle du commissaire est, il est vrai, délicat à cerner. En principe, celui-ci bénéficie de prérogatives assez larges. Toutefois, malgré les com- pétences théoriques parfois étendues inscrites, à la fondation, dans les statuts des banques, on sait que les commissaires ont bien souvent dû se contenter d’approuver les décisions entérinées au sein du conseil d’administration 33. Les commissaires se portent néanmoins garants, aux yeux du public, du bon fonctionnement de la banque dans laquelle ils sont personnellement engagés. Au XIXe siècle, ils y investissent non seulement un capital parfois important, mais ils lui cèdent également en garantie l’honneur de leur nom, qu’un revers de fortune pourrait irrévocablement ternir 34. Ajoutons en outre que pour certaines personnalités en début de carrière, un poste de commissaire prélude à une position d’administrateur. À ce triple titre, et en raison des contacts réguliers entre commissaires et administrateurs au sein des banques au XIXe siècle, on peut considérer que les uns et les autres sont des émissaires autorisés de leur établissement auprès des pouvoirs publics 35. C’est pour-

32 Pour le XXe siècle, seuls les administrateurs ont été retenus dans cet échan- tillon, car il devenait impossible de reconstituer les collèges de commissaires pour l’ensemble des banques sélectionnées. 33 L’argument était fréquemment utilisé par les commissaires lorsqu’ils étaient pris à parti dans les procès faisant suite aux faillites. Voir le travail en cinq volumes de Jacquemyns : G. Jacquemyns, Langrand-Dumonceau, promoteur d’une puissance financière catholique.T. I, Années obscures – Montée, Bruxelles, 1960. T. II, Vers l’apogée. 1. Les fondations, Bruxelles, 1960. T. III, Vers l’apogée. 2. Organisation et opérations, Bruxelles, 1963. T. IV, Années difficiles, Bruxelles, 1964. T. V, Chute et liquidation, Bruxelles, 1965. 34 Voir, par exemple, le différend très virulent qui s’engage, par courrier et par presse interposée, entre le colonel Louis Biré, commissaire et gros actionnaire de la Banque de Belgique, et Charles De Brouckère, directeur. Papiers Chlepner, Archives de l’ULB, farde 14. À propos du duel au XIXe siècle en Belgique, quelques exemples dans G. Kurgan-Van Hentenryk, R. Depoortere, J. Sirjacobs, V. Montens, « La violence au tribunal correctionnel de Bruxelles au XIXe siècle », in G. Kurgan-Van Hentenryk (ed), Un pays si tranquille. La violence en Belgique au XIXe siècle, Bruxelles, 1999, p. 89. 35 Citons par exemple le rôle des commissaires des deux grandes banques bruxel- loises au Parlement durant la première moitié du XIXe siècle. 32 www.academieroyale.be

Méthodologie et terminologie quoi, si l’on veut mesurer le degré d’influence d’une banque sur les forces politiques, il est nécessaire de prendre en compte les commissaires qui sont, en la matière, de fidèles alliés des admi- nistrateurs.

Les données biographiques et leur utilisation

L’enquête initiale, à la base de cet ouvrage, a été mise en œuvre par le Professeur G. Kurgan qui a supervisé la constitution d’une banque de données informatiques relative au patronat belge et désormais consultable à l’Université Libre de Bruxelles 36. Cette enquête avait veillé à varier les champs d’investigation. Non seu- lement l’activité économique des banquiers y avait été prise en compte, mais les champs politique et social dans lesquels les ban- quiers évoluent y étaient explorés dans les limites du possible. Les informations recueillies couvraient ainsi l’éventail complet d’une destinée, des premiers détails relatifs à l’enfance et à l’édu- cation du banquier jusqu’à ses derniers « faits d’armes » et aux précisions relatives à son décès. Les informations biographiques étaient ainsi agencées en quatre pôles se recouvrant aux intersec- tions : la sphère et les relations familiales, professionnelles, poli- tiques et mondaines. Ce dernier pôle comprend les activités phi- lanthropiques, culturelles et de loisir. Les dimensions idéologiques et religieuses de l’individu se situent, pour leur part, au croise- ment du pôle familial (le pôle de l’intime) et du pôle mondain. Mon intervention a consisté à vérifier la teneur des travaux biographiques existants, à rechercher les données biographiques des individus qui avaient été négligés et harmoniser les entrées selon leur contenu. Après avoir sélectionné les 320 dossiers qui constituent la colonne vertébrale de ma recherche, j’ai continué à compléter les fiches personnelles de ces individus en dépouillant la presse régionale à la recherche d’éloges funèbres, certaines archives personnelles conservées aux Archives Générales du Royaume ainsi que des archives privées du Professeur Chlepner qui, en son temps, avait envisagé la rédaction d’une monogra-

36 ULB, Groupe d’histoire du patronat. Notons par ailleurs la publication, sous sa direction, du Dictionnaire des patrons. G. Kurgan-Van Hentenryk, S. Jaumain, V. Montens (eds), Dictionnaire des patrons en Belgique. Les hommes, les entreprises, les réseaux, Bruxelles, 1996. 33 www.academieroyale.be

Les grands banquiers belges (1830-1935) phie sur la Banque de Belgique 37. Un relevé systématique du Recueil Financier 38, des principaux instruments biographiques 39, des annuaires administratifs 40 et des ouvrages de référence sur le monde des entreprises 41 a en partie complété les repères chrono- logiques manquants ou incomplets pour bon nombre de ces indi- vidus.

Le traitement des données

Malgré la bonne connaissance que nous pensons avoir de cer- tains grands banquiers par l’intermédiaire de leur biographe, aucune étude n’a à ce jour tenté d’appréhender ces hommes de pouvoir ni dans leur environnement, ni en tant que groupe social. Par ailleurs, je l’ai déjà dit, l’histoire des élites et la prosopogra- phie des catégories dirigeantes n’ont jamais recueilli les faveurs du chercheur en Belgique. C’est pourquoi, l’environnement global dans lequel gravitent les banquiers et les représentants de la classe possédante nous est encore très mal connu. C’est ce contexte complexe, traversé de logiques complémentaires ou antagonistes qui ne sont pas exclusives au milieu étudié, qu’il m’a semblé utile de reconstituer dans cette recherche. Très fréquem- ment, des exemples illustrant les grandes tendances émergentes seront puisés dans les biographies personnelles des banquiers, enrichissant par des détails concrets l’aspect parfois aride des

37 Ces archives ont été déposées par le Professeur Kurgan aux Archives de l’ULB. Papiers personnels, Papiers Chlepner, PP 201. 38 Le Recueil Financier. Annuaire des valeurs cotées aux bourses de Belgique, Bruxelles, 1893-1975. 39 À ce sujet, je renvoie le lecteur à la bibliographie en annexe. 40 L’Almanach royal et l’Annuaire administratif et judiciaire de la Belgique. 41 J. Laureyssens, Industriële naamloze venootschappen in België 1819-1857, CIHC 78, Louvain-Paris, 1975. A. Demeur, Les sociétés anonymes de Belgique en 1857. Collection complète des statuts en vigueur collationnés sur les textes officiels avec une introduction et des notes, Bruxelles, 1859. A. Demeur, Les sociétés commer- ciales de la Belgique. Actes et documents. 1873-1875, Bruxelles, 1876. A. Demeur, Les sociétés commerciales de la Belgique. Actes et documents. Statuts-Documents divers-Jurisprudence. 1876-1878, Bruxelles, 1878. A. Demeur, Les sociétés commerciales de la Belgique. 1re partie : actes et documents. 2e partie : législation et jurisprudence. 1879-1884, Bruxelles, 1885. L.F.B. Trioen, Collection des statuts de toutes les sociétés anonymes et en commandites par action de la Belgique, Bruxelles, 1841, 2 vols. Pour la constitution des banques, voir les Annexes au Moniteur belge. Recueil spécial des actes, extraits d’actes, procès-verbaux et documents relatifs aux sociétés, Bruxelles, Moniteur belge, 1873. 34 www.academieroyale.be

Méthodologie et terminologie résultats quantitatifs. Par souci de clarté, j’ai essayé, dans la mesure du possible, de séparer le corps de la dissertation des exemples illustratifs. Le lecteur pressé y verra un moyen de ne pas s’attarder sur certains points de détail, qui intéresseront cependant celui ou celle que la haute société du XIXe siècle pas- sionne.

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Chapitre II

Héritage familial et transmissions

L’origine sociale des banquiers

Les « fils de leurs œuvres »

Malgré le pouvoir de séduction du modèle méritocratique de réussite – un des fondements de l’imagerie du capitalisme – l’ana- lyse de l’héritage familial des grands financiers en Belgique de 1830 à 1935 tend à prouver que le succès ne se construit qu’ex- ceptionnellement à la seule force de la volonté et du mérite 42. Pourtant, dès le XIXe siècle, les exemples de méritocratie sont élevés au rang de modèle par les chantres du mérite. En effet, avec la révolution industrielle et son cortège de prospérités tapa- geuses naît un mythe tenace et séducteur : celui de « l’homme nouveau », du « fils de ses œuvres », cette nouvelle race d’hommes que l’observateur – jamais innocent – tend à percevoir dans la réussite exceptionnelle de l’un ou l’autre individu. L’introduction aux « Œuvres complètes de François De Pouhon », rédigées par l’historien T. Juste en 1873, synthétise en quelques lignes la légende du « parvenu ». Voici comment l’auteur décrit le parcours de l’homme d’affai- res : « François De Pouhon [originaire de Verviers] appartenait à cette intelligente et industrieuse province à laquelle la Belgique doit tant d’hommes qui, d’une modeste origine, se sont élevés, par

42 Le thème de la méritocratie continue à faire couler de l’encre. Voir par exemple H. Perkin, The third revolution, Professional Elites in the modern world, London-New-York, 1996, p. 12.

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Les grands banquiers belges (1830-1935)

le travail, jusqu’aux plus hauts rangs de la société. Là, comme dans les centres industriels et manufacturiers de l’Angleterre, comme dans les grandes cités de l’Amérique du Nord, les hommes nouveaux [souligné par l’auteur], vrais fils de leurs œuvres, ont conquis les premières places. C’est d’un de ces hommes d’élite que nous allons retracer les labeurs : il dut tout à lui-même, il s’éleva graduellement, après avoir surmonté tous les obstacles par son énergique persévérance 43. » Dans un XIXe siècle pourtant façonné par l’empreinte des lignées, les biographes des grands hommes de l’industrie ne font généralement référence à l’héritage paternel que quand celui-ci se limite à la portion congrue. Si les origines du futur directeur de la Banque Nationale De Pouhon semblent effectivement modes- tes et que son cas peut être présenté comme un exemple précoce d’ascension sociale assez remarquable 44, il est fréquent que cer- taines réussites soient montées en épingle au point d’en travestir sensiblement les débuts et de gonfler démesurément les mérites du héros dont on vante la destinée. Je me contenterai de citer ici quelques exemples postérieurs à celui de De Pouhon. La réussite extraordinaire du magnat anversois Edouard Thys est ainsi de celles qui frappent les esprits. Fauché en pleine gloire à l’âge de 46 ans, Thys avait eu le temps de mettre en place au début du XXe siècle un véritable « groupe » financier à l’œuvre en Belgi- que et à l’étranger. Si les éloges funèbres soulignent tous avec admiration les prises de risque de l’homme d’affaires, certains n’hésitent pas à faire de Thys un self-made man de première caté- gorie. Ainsi lit-on dans le Matin du 19 avril 1914 la description suivante : « comme la plupart des grandes figures du commerce anversois, M. Edouard Thys est le fils de ses œuvres, il débuta modestement comme agent de change en association avec feu E. Van der Linden, sous la firme Thys et Van der Linden 45 ». Décrire un fils d’agent de change, héritier des affaires paternel- les, et fondateur d’une grosse maison de banque (la Banque de Reports, de Fonds Publics et de Dépôts) à l’âge tendre de 32 ans,

43 T. Juste, Œuvres complètes de François De Pouhon, t. I, Bruxelles, 1873, p. 6. 44 Dans le dictionnaire biographique de N. Caulier-Mathy, le père de De Pouhon est mentionné comme cabaretier à la naissance de François. Ce dernier est tisserand à l’époque de son adolescence, tondeur de draps aux alentours de ses vingt ans. N. Caulier-Mathy, Le monde des parlementaires liégeois 1831-1893. Essai de socio-biographies, Histoire quantitative et développement de la Belgique au XIXe siècle, 1re série, tome VII, vol 1, Bruxelles, 1996, p. 233. 45 Le Matin, le 19 avril 1914. Cette prose fut relayée dans plusieurs autres publi- cations, dont la Revue de la ligue maritime belge, 13e année, Mai 1914, p. 79. 38 www.academieroyale.be

Héritage familial et transmissions comme un « fils de ses œuvres » est une affirmation audacieuse que certains journaux et plusieurs de ses amis n’ont d’ailleurs jamais osé faire. En outre, dépeindre les « grandes figures du commerce anversois » comme des modèles d’ascension sociale individuelle, c’est opérer un raccourci discutable entre une mobi- lité ascendante dans le cadre même de la classe possédante et un accès à la classe possédante par des individus d’origine plus modeste. S’il existe pas mal d’exemples du premier type dans le domaine financier, les occurrences sont très rares, nous allons le voir, dans le deuxième cas de figure. Peu après Thys, un autre grand nom de l’histoire financière belge venait à disparaître. Le gouverneur de la Société Générale Ferdinand Baeyens, mort fin juillet 1914, est effectivement l’un de ceux que l’historien peut classer parmi les « fils de leurs œuvres ». Fils de boutiquiers, il a gravi tous les échelons de l’il- lustre banque jusqu’au poste ultime de gouverneur qu’il occupe encore à quelques mois de son décès. Son ascension est d’autant plus remarquable qu’elle s’accompagne d’alliances matrimonia- les contractées pour ses enfants avec des familles d’affaires parmi les plus honorables (de Lantsheere, Puissant, Meeus). S’inspirant du modèle de Baeyens, son successeur à la tête de la banque, Jean Jadot, y va d’un discours apologétique du modèle mérito- cratique à l’occasion du centenaire de la banque. D’après Jadot, « [t]ous les degrés de la hiérarchie sont accessibles aux énergiques et laborieux ; actuellement encore la Direction comprend des membres sortis des cadres de son personnel et ayant gravi succes- sivement tous les échelons de notre administration à force de tra- vail et d’intelligence 46. » Sans doute le gouverneur Jadot décrit-il avec fidélité la com- position effective du conseil d’administration de la Vieille Dame, où quelques « nouveaux-venus » trouvent effectivement place auprès des « héritiers » durant l’entre-deux-guerres, mais peut- être sait-il aussi que son enthousiasme le trahit quand il affirme, dans le même discours, qu’on serait, à la suite de la réussite exemplaire de Baeyens, « en droit de nier un prétendu antago- nisme des classes dans lesquelles les citoyens seraient parqués sui- vant leur origine ou la fortune de leurs ascendants […] ». Comme nous allons le voir, les origines et la fortune comptent lourde- ment dans le monde bancaire ; le cas de la Société Générale est

46 Cité dans G. Kurgan-Van Hentenryk, Gouverner la Générale de Belgique. Essai de biographie collective, Bruxelles, 1996, p. 108. 39 www.academieroyale.be

Les grands banquiers belges (1830-1935) exceptionnel, et en outre les exemples de mobilité sociale y sont encore rares 47. En matière d’analyse biaisée ou d’affirmation à orientation idéologique, soulignons encore les approximations d’un grand commentateur et acteur de la vie économique de l’entre-deux- guerres, l’économiste maintes fois cité Fernand Baudhuin. Celui- ci se laisse également aller, peu après Jadot, à l’éloge de la mobi- lité sociale au sein des classes dirigeantes dans un ouvrage d’histoire économique, devenu depuis un livre de référence 48. Lorsqu’il aborde « l’origine de nos capitaines d’industrie » et « la préparation qu’ils avaient en abordant les affaires », Baudhuin ne peut s’empêcher d’enjoliver une situation qu’il connaît pourtant fort bien. D’après Baudhuin – et je cite un assez long passage parce qu’il me semble caractéristique d’une confusion de son époque- : « Ainsi qu’on pourra le voir, ces chefs, qui ont généralement fait eux-mêmes leur situation, provenaient à peu près tous des classes moyennes. Leur père était instituteur, avoué, médecin de cam- pagne, commerçant. Eux-mêmes ont souvent débuté par les plus modestes emplois : […]. D’aucun de nos capitaines d’industrie, on ne peut dire qu’il n’a eu à se donner que la peine de naître. Chez aucun d’entre eux on ne voit, au point de départ, une fortune ou une situation paternelle que l’on n’a eu qu’à élargir. Certes, on rencontre l’un ou l’autre exemple de dynasties chez nos grands industriels. Mais nous croyons pouvoir soutenir qu’en ce cas la seconde et la troisième génération ont dû leurs succès (pour autant qu’elles en aient eus) à leurs qualités propres et non à l’héritage qui leur était échu. » Toujours sur ce point qui lui tient visiblement à cœur, il enchaîne : « Dans les grandes sociétés, l’hérédité est inconnue ou méconnue : à la Société Générale, le fait que le père soit dans l’état-major est une raison pour que le fils n’y entre pas. Maurice Despret est le fils d’un directeur de la Société Générale, et il a l’étoffe d’un

47 Ce point confirme de manière statistique les observations de G. Kurgan-van Hentenryk dans G. Kurgan-Van Hentenryk, « Mythe et réalité du self-made man au sein du patronat belge », in Bulletin de la Classe des Lettres, Académie Royale de Belgique, tome X, 1-6, 1999, p. 81-96. 48 F. Baudhuin, Histoire économique de la Belgique 1914-1939, t. I, Grandeurs et misères d’un quart de siècle, 2e édition, Bruxelles, 1946. F. Baudhuin, Histoire économique de la Belgique 1914-1939, t. II, Évolution des principaux facteurs, 2e édition, Bruxelles, 1946. 40 www.academieroyale.be

Héritage familial et transmissions

homme d’affaires : mais c’est de la maison d’en face, de la Banque de Bruxelles, qu’il sera un jour président 49. »

Les héritiers

Ces affirmations de Baudhuin, étayées par quelques exemples choisis et célèbres, sont très éloignées de la réalité. Un coup de sonde statistique permet de démontrer aisément que les ban- quiers, ces « capitaines d’industrie » aux multiples mandats d’ad- ministrateur, sont « héritiers » dans de très fortes proportions. Mais précisons ce qu’on entend par héritier. Afin d’éviter les confusions classiques concernant les classes moyennes, je propose, dans ce travail, une taxinomie adaptée aux spécificités de la population étudiée. Afin de déterminer les caractéristiques de l’environnement familial du banquier, je dis- tinguerai d’une part le concept d’héritier-banquier. Les héritiers- banquiers sont tous les individus qui possèdent un lien familial direct avec un parent administrateur d’une des banques sélec- tionnées ou un directeur-gérant-président d’une grande banque privée. Ce lien familial peut être : fils, gendre, frère ou beau-frère. Ainsi, les Nagelmackers sont héritiers-banquiers à travers plu- sieurs générations. Mais Jules Urban est aussi considéré comme tel puisqu’il rejoint son frère Ernest au conseil d’administration de la Banque de Bruxelles. Dans cette même banque, Eugène Van Overloop est héritier-banquier parce qu’il y entre à la suite de son beau-père Jules Delloye. J’utiliserai d’autre part le terme d’héritier-notable. Cette der- nière catégorie, plus vaste, comprend tous les individus dont le père ou le beau-père 50 possède, au moment de l’entrée dans le monde professionnel du futur banquier, une – ou souvent plu- sieurs des – caractéristique(s) suivante(s) : un lien fort avec le monde des affaires (propriétaire d’une entreprise 51, administra- teur de sociétés, activité d’ingénieur exercée en haut de l’échelle

49 F. Baudhuin, Histoire économique de la Belgique 1914-1939, t. II, Évolution des principaux facteurs, 2e édition, Bruxelles, 1946, p. 208. 50 Le beau-père n’est pris en compte que quand le mariage a lieu dans la prime jeunesse, avant les premiers signes de réussite professionnelle. En effet, certaines personnalités issues de milieux plus modestes attendent quelques temps pour contracter une alliance confirmant leur ascension sociale. 51 Une petite entreprise familiale comme un commerce, n’employant qu’un personnel réduit, n’est pas ici pris en considération. 41 www.academieroyale.be

Les grands banquiers belges (1830-1935) dans des entreprises publiques ou privées, gros actionnaire de sociétés anonymes), un diplôme universitaire obtenu avant 1870, un mandat politique à l’échelon local ou national, une responsa- bilité dans un groupement patronal du type chambre de com- merce, une fonction dirigeante dans une association de notables, l’éligibilité au Sénat. Il va de soi que l’héritier-banquier est une sous-catégorie de l’héritier-notable. J’utiliserai dans mon analyse deux classes distinctes : je parle- rai d’une part, « d’héritier-banquier » et d’autre part, « d’héritier- notable non banquier ». Le terme « d’héritier-notable » sans plus de précision désignera, quant à lui, l’ensemble des héritiers, fils de notables, que ces derniers soient ou non banquiers. L’héritier-notable, dans son cursus professionnel, bénéficie généralement d’une marque claire de transmission, habituelle- ment en début de carrière. J’identifie des signes de transmission de quatre ordres : mise à disposition d’un capital économique mo- bilisable ; acquisition d’une formation universitaire ; obtention précoce d’un poste de responsabilité dans le monde capitaliste 52 ; attribution rapide d’un signe de notabilité sociale (membre d’un grand cercle d’agrément, mandat politique, poste d’officier dans la garde civique, …). Il sera indiqué ci-dessous le nombre de cas d’héritiers-notables où les signes de transmission ne sont pas évi- dents à saisir, comme dans l’exemple d’Émile Francqui, dont le père est avoué et l’oncle est professeur d’université, mais qui fut malgré tout contraint à s’engager jeune à l’armée suite à des déboires familiaux. La troisième catégorie que je retiendrai est définie par défaut : elle reprend tous les individus qui n’entrent pas dans les deux classifications précédentes. Ceux-ci sont issus de la moyenne ou petite bourgeoisie : les parents y sont parfaitement étrangers au monde des affaires et dépourvus d’un bagage universitaire. Les enfants, à quelques exceptions près, sont contraints de s’élever par le rang. Pour éviter les connotations péjoratives du terme parvenu, je dénommerai cette catégorie d’individus les nouveaux- venus. En Belgique, selon certaines estimations citées par H. Gaus, la bourgeoisie représenterait environ 6,5 % de la population au

52 Calculé selon l’âge d’accès aux postes de responsabilité. 42 www.academieroyale.be

Héritage familial et transmissions milieu du XIXe siècle, et 8,4 % en 1890 53. Dans ce groupe res- treint, « l’aristocratie financière », à l’image du rôle qu’elle a joué dans les autres pays d’Europe, occupe le sommet de la hiérarchie tant au point de vue de sa richesse que de sa position symbolique dominante. Elle constitue donc une infime minorité de la popu- lation totale. Les catégories mises en avant dans mon étude ten- tent d’à la fois prendre en compte les découpages classiques de la bourgeoisie, hérités des travaux européens récents sur les classes dirigeantes, tout en intégrant des critères propres à l’activité étu- diée et au contexte belge du long XIXe siècle. Les signes de notabilité retenus dans cette étude sont appré- hendés dans le contexte chronologique et dynamique des biogra- phies individuelles. L’analyse de la première décennie profession- nelle du banquier est généralement décisive. En fonction des premiers signes de réussite professionnelle, et de la position sociale du père à l’époque de l’entrée dans le monde actif du futur banquier, il est habituellement possible de préciser le type d’héritage (ou l’absence de transmission) dont ont bénéficié les individus à l’étude. La question des origines familiales s’est posée pour les 368 individus qui ont détenu au moins un mandat d’administrateur dans une des treize banques sélectionnées. Rappelons que je n’aborde pas ici le cas des banquiers privés, sauf quand ils ont été administrateurs des banques à actions. Pour eux, le phéno- mène d’héritage est plus directement perceptible. Comme je l’avais laissé entendre, les héritiers composent la majeure partie de l’échantillon. Au total, 54 % des banquiers sont des héritiers-notables non banquiers, 32 % sont héritiers-ban- quiers, et 5 % seulement sont des nouveaux-venus. Pour tous les héritiers-banquiers, il existe un ou plusieurs signes de transmis- sion clairs. Par contre, pour 15 des 199 héritiers-notables non banquiers répertoriés, je ne possède pas d’élément qui permet de prouver la transmission d’un des héritages définis plus haut. Ces individus se trouveraient donc à la frontière entre l’héritier et le nouveau-venu. Si on exclut ces cas marginaux de la catégorie, il demeure encore 50 % d’héritiers-notables non banquiers sur l’en- semble de l’échantillon.

53 D’après Gaus, les villes comme Anvers et Bruxelles, plus en avance dans le développement du secteur tertiaire, comptent plus de représentants de la bour- geoisie que des villes industrielles comme Liège. H. Gaus, Politieke en sociale evolutie van België, deel 1, Leuven, 1992, p. 117. 43 www.academieroyale.be

Les grands banquiers belges (1830-1935)

Tableau 1. – Répartition des banquiers entre héritiers et nou- veaux-venus

Héritiers-notables avec signes de transmission 303 • Héritiers-banquiers 119 • Héritiers-notables non banquiers 184 Héritiers-notables sans signes de transmission 15 • Héritiers-banquiers 0 • Héritiers-notables non banquiers 15 Nouveaux-venus 17 Origines inconnues 33 Total 368

Notons que pour 9 % de l’échantillon, les données familiales ne suffisent pas pour classer les individus avec certitude dans une des trois catégories arrêtées. Comme j’ai déjà pu le souligner, les inconnues concernent des porteurs de patronymes renommés mais également des personnalités plus obscures qui nécessite- raient des recherches personnalisées. Il y a donc fort à parier que la proportion des 5 % de nouveaux-venus tendrait à augmenter légèrement si l’ensemble des familles nous étaient connues. Une certitude s’impose néanmoins : 82 % au moins des banquiers sont des héritiers avec signes de transmission prouvés, c’est-à-dire des fils de notables qu’ils soient ou non banquiers. Ce groupe corres- pondrait à ce que A. Daumard identifie comme l’aristocratie financière et la haute bourgeoisie, c’est-à-dire les grands notables de notoriété nationale. Dans notre échantillon, 4 % sont des héri- tiers-notables non banquiers ne démontrant pas de signe de transmission. Ce groupe correspondrait à ce que Daumard qua- lifie de bourgeoisie aisée ou bonne bourgeoisie, c’est-à-dire les notables locaux. Enfin, entre 5 et environ 9 % 54 des banquiers sont des nouveaux-venus, issus de la petite et moyenne bourgeoi- sie.

Les notables

Les banquiers sont généralement des notables en vue. Hormis l’un ou l’autre cas exceptionnel où l’individu fait montre d’une

54 Cette limite supérieure est arrêtée sur base d’une estimation du nombre minimum d’héritiers parmi les inconnues, établie d’après les patronymes connus des individus non classés. 44 www.academieroyale.be

Héritage familial et transmissions extrême discrétion dans la vie privée ou subit un grand revers dans la vie professionnelle, « l’intronisation » à la fonction d’ad- ministrateur dans une des grandes banques du pays s’apparente généralement à un signe de reconnaissance de l’appartenance définitive de l’homme d’affaires à l’élite de la notabilité. Preuve en est, dans les faire-part nécrologiques des anciens banquiers, le fait que le mandat bancaire figure régulièrement en bonne place auprès des décorations et autres faits de gloire reconnus par les pairs. Louis de Villenfagne de Vogelsanck, propriétaire liégeois éligible au Sénat, fait partie de l’équipe fondatrice de la Banque Liégeoise depuis 1835 et en est administrateur entre 1858 et 1865. À sa mort en 1868, sa famille fera mention de son mandat bancaire dans la notice nécrologique. Edouard Despret résume avec une simplicité désarmante les retombées d’une nomination à la tête d’un grand établissement bancaire lorsqu’il écrit, au jour de sa promotion comme directeur de la Société Générale en 1883 : « cette position assure mon sort pour l’avenir ; elle deviendra très lucrative et, par la considération dont elle jouit, elle facilitera l’établissement de mes enfants 55 ». Si au minimum 82 % des banquiers sont fils de notable, com- bien d’entre eux appartiennent à des familles en trajectoire ascen- dante dont ils seraient les éléments les plus brillants ? Pour com- bien d’entre eux l’accession au sommet du pouvoir économique par le biais d’un poste d’administrateur de banque couronne l’avènement de succès familiaux récents ? Ces questions sont déli- cates à résoudre car elles nécessitent souvent de longs coups d’œil en amont des lignées. En outre, y répondre requiert l’utilisation d’outils méthodologiques clairs.

Le vocabulaire de l’époque À quoi fait référence la terminologie de notable que j’ai utilisée jusqu’ici ? Vocable à la signification assez étendue, le terme de notable est emprunté aux acteurs du XIXe siècle qui y font régu- lièrement référence. Lorsqu’en 1814-1815, les émissaires du roi Guillaume sont envoyés dans nos contrées pour enquêter sur les élites locales, ils établissent, par arrondissement, des listes de « notables » appelés « à émettre leurs vœux sur le projet de consti-

55 Cité dans G. Kurgan-Van Hentenryk, Gouverner la Générale de Belgique. Essai de biographie collective, Bruxelles, 1996, p. 92. 45 www.academieroyale.be

Les grands banquiers belges (1830-1935) tution 56 ». Au Parlement, après 1830, la commission des pétitions est fréquemment saisie d’enquêtes de « notables » effectuées dans les grandes villes industrielles et concernant, entre autres, des questions d’ordre économique et social. Ainsi, les membres des chambres et tribunaux de commerce sont au nombre des « nota- bles » que l’on sollicite sur les problématiques économiques. Dans un ouvrage rétrospectif publié par la Société royale de philanthropie de Bruxelles au tournant du siècle, l’éditeur note que la liste des sociétaires de l’association comprend « les noms de tout ce que l’agglomération bruxelloise compte de notabilités, tant parmi la noblesse que dans le domaine du commerce, de l’industrie et dans les carrières libérales » 57. Dans ses colonnes, l’hebdomadaire « théâtral et mondain » l’Éventail, publié à partir de 1888, fait régulièrement référence aux « notabilités mondaines, financières et industrielles ». À l’occasion de grands événements, le journal souligne souvent la présence de la « notabilité de la noblesse et de la haute bourgeoisie ». Le terme reste en usage pendant l’entre-deux-guerres. Son sens est encore suffisamment répandu à l’aube de la Seconde Guerre mondiale pour que les services de secours alimentaire et l’aide à l’industrie soient spontanément assignés à des « cercles de notables » restés en place dans le pays. Comme le décrivent J. Gérard-Libois et J. Gotovitch dans un ouvrage qui fait réfé- rence, l’urgence à l’entame de la guerre était au rétablissement des autorités communales, « au besoin sous forme de « Commis- sions des notables » ». Dans ces cercles informels de notables, en quelque sorte l’émanation des « élites naturelles » que le suffrage universel avait érodées 58, les banquiers, par l’intermédiaire de certaines personnalités éminentes comme le gouverneur de la Société Générale Alexandre Galopin, occupaient d’ailleurs une place de choix. L’usage terminologique hérité de l’Ancien Régime a gardé sa signification d’époque jusqu’à aujourd’hui. Un rapide détour par les dictionnaires usuels contemporains prouve la grande stabilité du concept. Au terme de « notable », le Petit Larousse illustré indique par exemple une « personne qui a une situation sociale de

56 Ces listes ont été publiées par F. G. C. Beterams, The High Society Belgo- Luxembourgeoise au début du gouvernement de Guillaume Ier Roi des Pays-Bas (1814-1815), Wetteren, 1973. 57 La Société Royale de Philanthropie, son origine et ses œuvres, Bruxelles, 1898. 58 J. Gerard-Libois, J. Gotovitch, L’an 40, La Belgique occupée, Bruxelles, 1971, p. 430. 46 www.academieroyale.be

Héritage familial et transmissions premier rang dans une ville, une région ». Comme unique illus- tration, il évoque d’ailleurs une acception historique de la termi- nologie en proposant l’expression « assemblée des notables » : « dans la France d’Ancien Régime, assemblée des trois ordres, auxquels les rois demandaient avis dans certains cas 59 « . Christophe Charle, dans une magistrale étude consacrée aux « élites de la République », a synthétisé à la fois la grande force de séduction exercée par la terminologie sur les chercheurs et ses limites. Je me permets d’emprunter un long passage de l’intro- duction méthodologique de son ouvrage : « La prédominance du thème des notables jusqu’à une date récente dans l’ensemble de l’histoire sociale consacrée aux milieux diri- geants du XIXe siècle pose un problème intéressant. Il ne suffit pas, pour comprendre cet état de fait, d’affirmer que les historiens ont naturellement tendance, surtout pour ce siècle, du fait de la richesse de l’histoire politique, à se laisser imposer les découpa- ges hérités de la tradition de l’époque. Ce tropisme conservateur sur une époque conservatrice vient, nous semble-t-il, du fait que l’historien y trouve précisément la réalisation idéale de ce qu’il recherche souvent en vain, une catégorie qui s’autodéfinit et fait en quelque sorte sa propre théorie 60. »

Le concept de notable Plusieurs raisons me font penser que je dois céder, dans cette étude, au tropisme conservateur souligné par Charle et sévissant auprès d’illustres représentants de la discipline historique. Il ne s’agit pas, en ce qui me concerne, de céder à une quelconque solution de facilité qui consisterait à choisir une catégorie héritée de la tradition et possédant de la sorte une légitimité propre que lui aurait conférée sa longévité. À ce prix, pourquoi n’adopte- rais-je pas le concept de « classe moyenne », utilisé au sein des enceintes parlementaires dans les débats à caractère social au XIXe siècle ? De cette « classe moyenne » au sens large, j’extrai- rais les « classes aisées » ou « classes élevées » dont se réclament les élites parlementaires jouissant d’un minimum de biens fon- ciers. Dans ces notions, le lecteur percevrait la nuance de privi- lège directement associée à la classe dirigeante. Pourtant, ces catégories, si elles sont d’époque, ne satisfont pas les exigences de cette recherche. Elles décrivent avec moins de fidélité le groupe

59 Le Petit Larousse illustré, Paris, 2001, p. 701. 60 C. Charle, Les Élites de la République 1880-1900, Paris, 1987, p. 28. 47 www.academieroyale.be

Les grands banquiers belges (1830-1935) de banquiers à l’étude que ne pourrait le faire la notion de ­notable. Le concept de notable est d’abord l’outil classique des grands spécialistes de l’histoire sociale de la France pour les trois pre- miers quart du XIXe siècle 61. Dans cette tradition historiogra- phique, le concept désigne, ainsi que nous le rappelle Charle, les hommes qui cumulent « les diverses espèces de capital qui peu- vent introduire une coupure sociale et un rapport de domina- tion » 62. Les espèces de capital sont désormais bien connus : il peut s’agir de capital économique, social, culturel ou encore sym- bolique. Le notable, et à plus forte mesure le grand notable qui est la quintessence même de la catégorie, possède conjointement les quatre espèces de capital, parfois dans de très fortes propor- tions. Une vision assez similaire du notable, moins influencée toute- fois par la terminologie de P. Bourdieu, nous est donnée par A. Daumard, grande spécialiste de la bourgeoisie française au XIXe siècle : « Nos études sur Paris entre 1815 et 1848 nous ont conduit de même à définir le notable comme un citoyen dont l’influence s’étale au grand jour et est sanctionnée par le lustre dont l’en- toure l’opinion ; la fortune connue ou présumée, la profession et les fonctions sont des éléments de cette considération qui repose aussi sur les antécédents familiaux, les relations et les responsa- bilités assumées, la puissance réelle ou supposée. » Le même auteur, faisant référence à un autre ouvrage classique de Tudesq sur les notables français de cette époque, rajoute encore : « Aussi bien le grand notable est défini essentiellement à partir des différentes formes de « l’avoir » : fortune, savoir, famille, rela- tions et fonctions, toutes choses tangibles qui, selon les termes de l’auteur [A. J. Tudesq], distinguent le notable du « bourgeois que l’ouvrier envie » et du « grand capitaliste que l’homme de la rue ignore 63. » La fusion des pouvoirs observée dans la couche supérieure des notables belges du XIXe siècle s’accompagne bien souvent d’un cumul des fonctions symboliques et parfois, comme dans le cas

61 Voir par exemple A. J. Tudesq, Les grands notables en France (1840-1849), étude historique d’une psychologie sociale, Bordeaux-Paris, 1964, 2 vol. 62 C. Charle, Les Élites de la République 1880-1900, Paris, 1987, p. 28. 63 A. Daumard, Les bourgeois et la bourgeoisie en France, Paris, 1987, p. 100. 48 www.academieroyale.be

Héritage familial et transmissions de nos banquiers, d’une diversification des activités profession- nelles. Cette observation rejoint les découvertes, sur base de recherches consacrées aux élites régionales françaises, d’histo- riens comme M. Agulhon ou P. Lévêque pour qui, « si l’on se place au niveau supérieur du monde des notables, la distinction fonctionnelle entre propriétaires et individus exerçant une fonction publique ou une profession libérale est en partie illusoire. Il s’agit plutôt de choix individuels internes à un même milieu et non de divergences entre des fractions détentrices de capital plutôt économique, social ou culturel 64 ». Au XIXe siècle, le notable n’est pas défini par ce qu’il fait. Il est notable, et fait ce qu’il doit pour le rester. Il investit les champs d’activités où son capital est déficitaire. Si l’utilité du concept semble entendue pour les trois premiers quarts du XIXe siècle en France, elle est remise en question par Charle pour le dernier quart de siècle suite à l’évolution des modes de reproduction sociale, aux mutations des processus de recrutement professionnel et à l’avènement du principe mérito- cratique, allant de pair avec la professionalisation des affaires. La recherche qui suit tend à démontrer que les changements décrits par Charle semblent, dans une large mesure, étrangers à la catégorie des notables en activité dans les milieux bancaires belges à la fin du XIXe siècle. Ainsi, l’élan démocratique provo- qué par l’abandon du suffrage censitaire en 1893, ébranlant la barrière symbolique entre l’élite et la population exclue du pou- voir, est trop timide pour déstabiliser les élites bancaires solide- ment établies sur leur socle. Si le capital économique n’est plus autant qu’avant une condition nécessaire pour atteindre le sommet de la profession – bien qu’il demeure un énorme avan- tage –, le capital social et culturel reste dans la plupart des cas un présupposé incontournable. Au début du XXe siècle, le banquier puissant est plus que jamais un grand notable : c’est, comme le décrit Charle, un « homme connu, donc honoré et à qui vont les honneurs ». En retraduisant la formule, on pourrait d’ailleurs noter que pour une frange de la population exclue du pouvoir, le banquier peut aussi être un homme connu, craint parfois, et contre qui s’accumulent les critiques. La professionnalisation du métier de banquier, la formation universitaire intensifiée des cadres et la timide ouverture du milieu à la moyenne bourgeoisie dans le courant de l’entre-deux-

64 D’après C. Charle, Les Élites de la République 1880-1900, Paris, 1987, p. 29. 49 www.academieroyale.be

Les grands banquiers belges (1830-1935) guerres ne déparent pas la fonction de son aura de prestige et ne vident pas la profession de ses héritiers, dont beaucoup restent héritiers-notables non banquiers. Le cumul des différentes espè- ces de capital est évident à l’analyse des profils socioprofession- nels de la majorité des grands banquiers en activité après 1918. La confusion des fonctions – avocat, industriel, administrateur de société, banquier, homme politique, homme d’œuvres – demeure ainsi d’actualité. La problématique des incompatibilités entre la politique et la finance durant l’entre-deux-guerres éclaire, par exemple, la réticence des notables comme M. Houtart ou M. Lippens à interdire les cumuls de pouvoirs. En ce sens, le concept de notable reste utile pour l’entre-deux-guerres, tant pour définir les banquiers que pour qualifier leurs ascendants encore bien enracinés dans le XIXe siècle 65. L’âge moyen d’ac- cession à un poste de banquier étant d’environ 50 ans, les ban- quiers en activité jusqu’en 1935 sont tous nés, à quelques excep- tions près, au XIXe siècle. Leurs parents connaissent donc leur sommet d’activité à la Belle-Époque et sont, dans leur ensemble, des enfants du régime censitaire.

Élite de la notabilité et autres notables

Les plus hautes responsabilités Pour pouvoir affirmer que le banquier appartient, dès la nais- sance, à l’élite de la notabilité – les grands notables de A. Dau- mard –, l’analyse des signes de respectabilité doit donc se focali- ser sur les générations qui le précèdent. Quels sont les signes qui permettent de déterminer, sans trop de risque d’erreur, l’apparte- nance du père ou des grands-pères au sommet de la hiérarchie sociale ? Pour répondre à cette question, je me refuse de ne faire référence qu’aux seules informations relatives aux activités pro- fessionnelles. Certes, le critère professionnel paraît fort maniable et les études de mobilité sociale y font habituellement référence parce qu’il est « une information relativement accessible et dont la signification est assez synthétique, parce qu’elle est liée aux autres éléments ou aspects du statut 66 ». Toutefois, on ne peut s’en contenter ici puisque le notable du XIXe siècle en Belgique

65 Le vocable de notable est encore utilisé par Delruelle-Vosswinkel dans une étude assez récente consacrée à la mobilité sociale en Belgique. N. Delruelle- Vosswinkel, Les notables en Belgique, Bruxelles, 1972. 66 D. Merllie, J. Prevot, La mobilité sociale, Paris, 1991, p. 23. 50 www.academieroyale.be

Héritage familial et transmissions ne se cantonne pas systématiquement à une activité profession- nelle unique. De fortes différences peuvent également exister entre les statuts sociaux de deux individus exerçant une même profession. Pour pallier l’insuffisance de ce critère sélectif, je pro- pose de l’accompagner, dans l’analyse qui suit, d’autres signes distinctifs de réussite sociale. En l’occurrence, je n’ai retenu comme critères distinctifs de l’élite de la notabilité que les plus hautes responsabilités existantes, au niveau collectif. Sur le plan professionnel, il s’agit de la prési- dence ou de la direction de sociétés anonymes de plus de 500 000 francs, du poste de bâtonnier, président de la Cour d’Appel, pro- cureur général, notaire ou titulaire d’une haute fonction diploma- tique. L’éligibilité au Sénat, qui, comme je le décrirai plus loin, découle en droite ligne de la richesse foncière, est évidemment un signe patent de notabilité. Dans l’organigramme social, notons encore la présidence ou la vice-présidence de la chambre de com- merce, la présidence d’un cercle d’agrément, le mandat de bourg- mestre, échevin, gouverneur de province, sénateur, député, la res- ponsabilité d’officier dans la garde civique ou bourgeoise. Une ou plusieurs de ces caractéristiques rangent l’individu (père et grand- père de banquier) dans la couche supérieure des notabilités. Elle(s) lui donne(nt) une notoriété qui dépasse l’échelle locale, qualité nécessaire, selon Daumard, pour appartenir à la haute bourgeoi- sie. Pour que l’on puisse parler de transmission à proprement parler entre le père et le fils, les postes du père doivent d’ailleurs être conquis avant que l’individu ait atteint les 55 ans. Pour le reste, la lecture des résultats reste sujette à l’interpré- tation du chercheur, dans la mesure où l’absence de signes de hautes responsabilités peut provenir des lacunes des sources ou être le reflet de la réalité. C’est pourquoi, j’ai séparé les individus n’appartenant pas à l’élite de la notabilité en deux catégories. La première intègre les individus (pères et grands-pères) pour les- quels des doutes subsistent quant aux origines sociales et à leur appartenance à la couche supérieure des notabilités. Ce groupe compte, par exemple, beaucoup de négociants dont on ne connaît pas précisément le niveau d’enrichissement mais dont on sait qu’ils ont transmis un capital économique conséquent à leurs descendants. Pour ces individus, l’absence d’indication claire de leur appartenance au sommet de la notabilité témoigne, à tout le moins, d’une prise de distance avec les formes habituelles de réussite sociale. Cette mise à l’écart peut être interprétée comme une preuve de désintérêt – et donc une certaine forme de margi-

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Les grands banquiers belges (1830-1935) nalité, rare dans le milieu à l’étude – ou comme un signe d’insuc- cès – suggérant alors les frontières de l’élite de la notabilité. En vertu de cette hypothèse, ce groupe des « inclassables » peut être situé dans une position intermédiaire entre la couche supérieure et la couche inférieure des notabilités. La seconde catégorie inclut les individus dont on peut penser, par des descriptions biographiques précises, qu’ils appartiennent à des lignées en trajectoire ascendante ou à des familles en décro- chage social suite à des déboires professionnels, malgré la trans- mission d’un des héritages définis plus haut 67. Il peut s’agir de banquiers de province, d’agents de change en phase d’accumula- tion, d’avoués ou de médecins de province dont les ancêtres sont agriculteurs ou commerçants, de professeurs d’université aux ori- gines modestes, d’industriels ruinés par l’effondrement de leurs affaires. Dans cette catégorie, on ne peut extraire de caractéristi- que commune et les biographies nécessitent une analyse au cas par cas. En suivant la typologie de Daumard, ces individus en phase de mobilité se situeraient entre la bonne et la haute bour- geoisie 68. Ils constituent la couche inférieure de la notabilité.

L’appartenance à la notabilité

Tableau 2. – Classification des origines sociales des héritiers avec signes de transmission

Nombre Pourcentage Élite de la notabilité (notabilité supérieure) 221 73 % Inclassables (notabilité intermédiaire) 55 18 % Notabilité en phase de mobilité (notabilité inférieure) 27 9 % Total 303 100

Parmi les 303 individus que j’ai considérés comme héritiers- notables avec signes de transmission – indépendamment du fait que le père soit ou non banquier – (Tableau 2), 73 % appartien- nent à des lignées occupant le sommet de la hiérarchie sociale depuis plus d’une génération et correspond à l’élite de la notabi- lité. 9 % seulement sont issus de familles en phase de mobilité sociale. Pour les 18 % des héritiers-notables restants qualifiés

67 Il s’agit principalement, dans cette catégorie, de la transmission d’un capital économique ou l’acquisition d’un savoir technique. 68 A. Daumard, Les bourgeois et la bourgeoisie en France, Paris, 1987, p. 118. 52 www.academieroyale.be

Héritage familial et transmissions

« d’inclassables », il est impossible de déterminer le degré d’inté- gration du notable dans la haute société de son temps. Je leur ai attribué une position de notabilité intermédiaire.

Tableau 3. – Classification des origines sociales des héritiers et des nouveaux-venus

Nombre Pourcentage

Élite de la notabilité 221 60 % Notabilité intermédiaire (avec signes de transmission) 55 15 % Notabilité inférieure (avec signes de transmissions) 27 7 % Notabilité inférieure (sans signes de transmission) 15 4 % Moyenne ou petite bourgeoisie (nouveaux-venus) 17 5 % Origines inconnues 33 9 % Total 368 100

Considérant, cette fois, l’ensemble de l’échantillon (Tableau 3), on peut affirmer que 60 % au moins des banquiers s’inscrivent dans des lignées dont les succès et le cumul des pouvoirs remon- tent à une ou plusieurs générations les précédant. Le chiffre de 60 %, correspondant à l’élite de la notabilité, doit être vu comme une limite inférieure, qui sous-estime probablement la réalité en raison du nombre important d’inconnues 69. Notons encore qu’hormis l’arrivée des premiers banquiers issus de la professionnalisation, dont la première vague se situe au début du XXe siècle, les tendances restent stables dans l’échan- tillon. On retrouve des héritiers de notabilité inférieure ou de notabilité en phase de mobilité dans toutes les tranches d’âge en activité à partir de 1850. Les banquiers actifs avant 1850, nés dans la seconde moitié du XVIIIe siècle, tendent dans leur ensem- ble à provenir de familles de notables bien installées sur les places financières – belges ou étrangères 70 –, à l’exception peut-être du directeur de la Générale J. B. Van Volxem, dont le père aurait pu

69 Lorsque l’on additionne les 9 % d’individus pour lesquels on ne possède aucune information biographique (« origines inconnues » du Tableau 1) aux 18 % des fils de notables dont on ne sait si les parents occupaient les plus hauts strapon- tins (« inclassables » du Tableau 2), on obtient une proportion d’inconnues qui approchent les 24 % des 368 individus. 70 À l’image des nombreux immigrés qui ont contribué à la fondation de la Société Générale. 53 www.academieroyale.be

Les grands banquiers belges (1830-1935)

être à l’origine d’une belle ascension sociale 71. Après 1850, une frange très mince de l’effectif fait partie de ceux que Charle a qualifiés d’hommes nouveaux – en opposition à l’aristocratie financière, à l’aristocratie et à la bourgeoisie installée – et que j’ai appelés représentants de la notabilité inférieure en phase de mobilité. Parmi eux, quelques rares ingénieurs et technocrates sans grand héritage familial se sont formés sur le tas et entrent dans la banque dont ils ont été pendant longtemps de précieux conseillers. Il en sera question au Chapitre 3 consacré aux études des banquiers. Ces chiffres rejoignent largement l’analyse de Plessis consacrée aux dirigeants de la Banque de France au XIXe siècle. Parmi les 375 dirigeants que l’auteur a répertoriés dans son échantillon comme n’ayant pas exercé de professions économiques, une quin- zaine seulement peuvent être qualifiés de nouveaux-venus. L’auteur note cependant que les ascensions sociales sont plus fré- quentes parmi les dirigeants exerçant une profession économi- que : grâce à leur réussite dans les affaires, 23 % des 160 hommes d’affaires effectuent une progression dans l’échelle sociale qui leur permet d’entrer dans « l’aristocratie de la richesse » 72. Les résultats obtenus pour la Belgique se rapprochent égale- ment fortement des proportions mises en avant par D. L. Augus- tine à propos des hommes d’affaires les plus riches d’Allemagne entre 1890 et 1914. L’auteur ne limite pas, pour sa part, son étude au simple secteur bancaire, mais élargit sa perspective à l’industrie et au commerce. Dans cette analyse, 45 % de l’échantillon de capi- talistes se composent de fils d’hommes d’affaires, et 39 % supplé- mentaires de fils d’hommes d’affaires dont le statut socioprofes- sionnel est moins clair. L’auteur note à ce propos que la grande majorité des fortunes ne se fait pas en une génération. Par ailleurs, il indique que 87 % des industriels qui sont propriétaires de sociétés sont descendants d’hommes d’affaires, et près de trois quarts des managers-administrateurs de sociétés le sont également 73. Qu’en est-il des banquiers en Belgique ? Quelles sont les professions exer- cées par ces notables dont les banquiers sont les descendants ?

71 Voir S. Tilman, Portrait collectif de grands banquiers belges Bruxelles – Liège – Anvers (1830-1935), Contribution à une histoire des élites, thèse de doctorat en Philosophie et Lettres, ULB, 2003-2004, volume 1, p. 37, note 45. 72 A. Plessis, Régents et gouverneurs de la Banque de France sous le second empire, Genève, 1985, p. 402-403. 73 D. L. Augustine, Patricians and Parvenus, Wealth and High Society in Wilhelmine Germany, Oxford-Providence, 1994, p. 51. 54 www.academieroyale.be

Héritage familial et transmissions

Héritiers et nouveaux-venus dans les différentes banques belges

Les fondateurs des banques sont généralement des héritiers-nota- bles non banquiers, parfois associés à l’un ou l’autre héritier- banquier issu de la haute banque israélite ou protestante, des grandes banques familiales provinciales ou de grandes lignées industrielles associées au monde bancaire 74. Avant 1875, tous les banquiers sont issus des plus hautes couches de la population. Quelques-uns sont des notables en phase de mobilité sociale, mais aucun n’est à proprement parlé un nouveau-venu 75. Ainsi, l’ensemble des administrateurs de la Banque de Belgique (1835- 1880) sont des héritiers de l’une des deux catégories. Les premiers cas de banquiers nés de parents modestes et n’appartenant pas aux notables sont enregistrés à la Société Générale. Ces nou- veaux-venus sont successivement Ferdinand Baeyens (1874) et Joseph Devolder (1890). Ce sont les deux seuls cas connus de banquiers issus de la classe moyenne durant le XIXe siècle. Les autres occurrences s’échelonnent entre 1901 et 1929. Parmi les 17 individus issus de la petite ou moyenne bourgeoisie, 6, soit plus d’un tiers, ont été directeurs à la Société Générale ; 12, soit 70 %, sont nés après 1860. Les banques où l’on retrouve le plus d’héritiers-banquiers sont les deux établissements liégeois ainsi que la Banque de Bruxelles. Dans cette dernière, les héritiers-banquiers sont même plus nom- breux que les héritiers-notables non banquiers sur l’ensemble de la période 76. Le phénomène est particulièrement marquant entre 1914 et 1930, période durant laquelle la banque enregistre l’en- trée de pas moins de 16 administrateurs héritiers-banquiers sur un total de 25 nouveaux arrivants. L’entre-deux-guerres est par- ticulièrement propice à la réussite des héritiers-banquiers : parmi les banquiers entrés en activité entre 1910 et 1930, on compte 5 héritiers-banquiers sur 10 à la Banque Liégeoise, 7 sur 8 au

74 Pour une liste des noms, voir S. Tilman, Portrait collectif de grands banquiers belges Bruxelles – Liège – Anvers (1830-1935), Contribution à une histoire des élites, thèse de doctorat en Philosophie et Lettres, ULB, 2003-2004, p. 38, notes 48 à 50. 75 En ce sens, je me détache quelque peu de l’analyse du nouveau-venu qu’a pu faire Plessis. A. Plessis, Régents et gouverneurs de la Banque de France sous le second empire, Genève, 1985, p. 404. 76 On compte 32 héritiers-banquiers pour 22 héritiers-notables. Dans les deux banques liégeoises rassemblées, il y a 21 héritiers-banquiers pour 32 héritiers- notables. 55 www.academieroyale.be

Les grands banquiers belges (1830-1935)

Crédit Général Liégeois, 8 sur 12 à la Banque Centrale Anver- soise, pour ne citer que les banques où le phénomène est le plus intense. Pour preuve que le profil des dirigeants de la Société Générale est atypique, indiquons que sur la même période, la plus prestigieuse des banques n’engage que 3 héritiers-banquiers sur 16 enrôlements ; un seul d’ailleurs, Adolphe Stoclet, est direc- tement descendant d’un directeur de la Société Générale 77. Durant l’entre-deux-guerres, les banques par actions en Belgi- que sont encore largement contrôlées par les descendants des familles fondatrices. Quel contraste entre le constat de Baudhuin d’une part, qui affirme que « dans les grandes sociétés, l’hérédité est inconnue ou méconnue », et cette confidence d’Henri Le Bœuf, administrateur de la Banque d’Outremer fondée par son beau- père, à un de ses amis en cette période troublée de septembre 1916 : « Vraiment, en ce moment, avec l’aide excellente de mon brave Stoclet, la gestion journalière de la Banque repose tout entière sur William Thys [le beau-frère de Le Bœuf] comme directeur (il s’en tire magistralement, le brave !) et sur moi comme administra- teur. Il ne faut pas trop le dire, car on critique les « banques de famille ». Mais la force des choses nous a conduits là 78. » Jusqu’à la Seconde Guerre mondiale au moins, la banque en Bel- gique reste largement une histoire de familles malgré les prémices de professionnalisation surtout sensibles au sein de la Société Générale.

Le statut professionnel – L’étiquette sociale

Comme j’ai déjà pu le souligner, il est malaisé de classer les ban- quiers ainsi que leurs ascendants dans des catégories profession- nelles distinctes tant celles-ci s’avèrent finalement restrictives. En effet, si l’on ne recense qu’une faible intégration d’éléments exo- gènes dans le groupe des notables à l’étude, on observe par contre une forte mobilité professionnelle au sein même de la classe diri- geante. Dès lors, il n’est pas rare – il est même relativement fré- quent – que les pères des banquiers ne se soient pas contentés

77 Les deux autres sont Charles Fabri, fils d’un banquier de province, et Henri Le Bœuf, gendre d’Albert Thys. 78 F. Cattier, qui jouait un rôle pivot dans la banque, avait été en effet déporté par les Allemands. Cité dans V. Montens, Le palais des Beaux-Arts. La créa- tion d’un haut lieu de culture à Bruxelles (1928-1945), Bruxelles, 2000, p. 31. 56 www.academieroyale.be

Héritage familial et transmissions d’une carrière professionnelle rectiligne et aient diversifié leurs occupations. Sans aborder les fonctions politiques sur lesquelles je reviendrai dans un prochain chapitre, les fonctions profession- nelles qu’occupent les pères de banquiers se situent fréquemment à cheval entre plusieurs champs. Les milieux traditionnellement de robe s’insèrent dans le monde de la finance et de la gestion par le biais des conseils d’administration des sociétés anonymes nou- vellement créées. Le monde du négoce, selon une habitude déjà ancienne, ne rechigne pas à pratiquer le commerce de l’argent. Plus surprenant, certains propriétaires de biens fonciers ne négligent pas les nouvelles formes économiques. Et les hommes formés aux savoirs techniques émergents comme les ingénieurs mettent leurs compétences à profit dans le secteur public et privé, sur le terrain comme directeur d’industrie ou sur le papier comme administrateur de sociétés. Les négociants diversifient leurs sec- teurs de transactions ; les fabricants s’intéressent aux nouvelles formes de mobilisation de capitaux ; des ponts sont jetés entre le monde industriel et l’armée. Les grands corps de l’État ne restent pas étrangers à l’engouement grandissant pour les investissements industriels. S’il ne faut qu’un exemple de la fusion des intérêts du second tiers du XIXe siècle, que l’on songe à la saga Langrand- Dumonceau amplement commentée par le professeur G. Jacque- myns 79. Les familles que l’on retrouve dans les orbites des sociétés bancaires présentent la caractéristique de ne pas pouvoir être catégorisées selon les critères classiques de classement par profes- sions. N’ayant souvent que peu d’informations sur l’état des richesses foncières et mobilières si ce n’est lorsque les individus sont éligibles au Sénat, il peut s’avérer délicat d’établir une clas- sification au sein de certaines professions dont les acteurs se défi- nissent à l’identique. Le fait a déjà été souligné dans le cas des négociants qui peuvent s’enrichir fortement en une génération 80. Pour l’ensemble du XIXe siècle se pose également le problème du

79 G. Jacquemyns, Langrand-Dumonceau, promoteur d’une puissance financière catholique. T. I, Années obscures – Montée, Bruxelles, 1960. T. II, Vers l’apogée. 1. Les fondations, Bruxelles, 1960. T. III, Vers l’apogée. 2. Organisation et opérations, Bruxelles, 1963. T. IV, Années difficiles, Bruxelles, 1964. T. V, Chute et liquidation, Bruxelles, 1965. 80 À ce propos, voir les activités très diverses des banquiers provinciaux à la fin du XVIIIe siècle dans la région montoise. J. Lebrun, Banques et crédit en Hainaut pendant la révolution industrielle belge, Histoire quantitative et dévelop- pement de la Belgique au XIXe et XXe siècles, tome II, vol 4a, Bruxelles, 1999, p. 160. 57 www.academieroyale.be

Les grands banquiers belges (1830-1935) propriétaire-rentier que l’on associe, à tort, au possédant exclusif de biens fonciers ou à l’homme d’affaire « rangé ». Dans les documents administratifs officiels (actes de naissance, de mariage) comme dans les pièces plus officieuses (liste de mem- bres de sociétés diverses), les individus définissent leur statut selon des critères propres dictés tant par les valeurs de l’époque que par les trajectoires des familles qui désirent mettre en exer- gue certains attributs distinctifs de leur lignée. Ainsi, quelques- unes d’entre elles valorisent la fonction professionnelle transmise de père en fils et s’en revendiquent fièrement. Des représentants d’autres lignées préfèrent s’en tenir au statut de propriétaire sans pour autant se limiter, sur le plan professionnel, à la gestion pas- sive d’un patrimoine acquis par les générations antérieures, voire même à la gestion passive de sa propre fortune. Dans les docu- ments d’époque, les titulaires d’un mandat politique mettent généralement leur titre en évidence pendant la durée de leur fonc- tion, et parfois même garde leur étiquette par la suite 81. Les aris- tocrates, pour leur part, se contentent de faire apparaître leur titre nobiliaire dans les listes de notables. Ces observations posent donc la question de l’utilité et de la mise à profit du statut que l’individu choisit pour se définir. Ce statut peut d’ailleurs varier selon qu’il figure dans des listes de sociétés philanthropiques, dans des annuaires administratifs, dans des almanachs mondains, dans des recueils de sociétés. Si l’étiquette est la façon dont l’individu désire être perçu par les autres, elle ne met le plus souvent en évidence que un, deux, voire trois aspects saillants de son profil sans pour autant le cerner dans sa complexité. L’étiquette ne rend que rarement compte de la multiplicité des carrières professionnelles. En outre, elle évolue avec le temps et se module selon les contextes où elle entre en jeu. Or, à défaut de précision sur les fortunes ou les activités réelles, c’est bien souvent d’elle que l’on dépend pour définir l’activité des ascendants des banquiers à l’étude. Il faut donc se montrer prudent dans les interprétations que l’on peut faire de ces sour- ces, car l’historien n’est jamais à l’abri de l’anachronisme. La notion de propriétaire, qui revient comme un leitmotiv chez une certaine tranche d’hommes d’affaires, particulièrement dans la première moitié du XIXe siècle, rend encore plus com- plexe la mise en perspective des fonctions professionnelles pater-

81 Les notables ont ainsi accordé beaucoup d’importance au titre de « ministre d’État ». 58 www.academieroyale.be

Héritage familial et transmissions nelles. Pour mieux comprendre la difficulté, mentionnons quel- ques exemples relatifs aux banquiers dont nous connaissons le mieux les trajectoires. En 1815, Jacques Engler est repris dans un recensement comme propriétaire et fabricant. Trois ans auparavant, un autre recen- sement le répertoriait comme négociant. Plus ambigu encore, Josse-Pierre Matthieu, fils de négociant et banquier privé né en 1785, se fait recenser comme propriétaire dès la fin des années 1810 à l’occasion de la naissance de ses enfants. C’est encore en tant que propriétaire qu’il signe l’acte de mariage de son neveu en 1845. À sa mort, en 1863, l’acte mentionne le décès de « Josse Pierre Matthieu, propriétaire du Domaine de Wijnendaele, che- valier des ordres de Léopold et du Lion Néerlandais, banquier, directeur de la Société Générale pour favoriser l’Industrie Natio- nale, Président du conseil d’administration des chemins de fer d’Anvers à Rotterdam, etc. ». Dans une liste de membres de la Société royale de philanthropie de Bruxelles datant de 1882, les trois frères Brugmann, Ernest, Alfred et Georges, sont réperto- riés respectivement comme propriétaire, rentier et banquier bien qu’aucun des trois n’est étranger au monde industriel.

Les racines familiales des banquiers

L’activité professionnelle des pères des banquiers

Dans la mesure où le tableau qui suit emprunte largement ses données aux différentes listes de notables et documents officiels critiqués ci-dessus, il doit être consulté avec la précaution d’usage et ne doit pas être considéré comme une reproduction absolu- ment fidèle de la réalité économique. Il offre toutefois une bonne idée de la proportion des différentes professions parmi les repré- sentants de la génération précédant celles des banquiers de l’échantillon. Lorsqu’il a été possible de le faire, j’ai indiqué la multiplicité des fonctions, si toutefois celles-ci n’ont pas été éphé- mères dans les cursus. Le mandat politique n’a ainsi été men- tionné que lorsqu’il est national et effectif. Dans la catégorie « administrateur de sociétés » ont été insérés tous les individus dont on connaît l’activité effective (et non hono- rifique) d’administrateur. À la différence de l’administrateur de sociétés, l’industriel, qui souvent se définit comme tel, occupe une fonction de gestion effective (directeur, chef de service, etc.) au sein même de l’industrie. Comme j’essaye de saisir les profils de carrière 59 www.academieroyale.be

Les grands banquiers belges (1830-1935) sur le long terme, il arrive fréquemment que les activités évoluent. Un industriel peut ainsi devenir administrateur de sociétés en deuxième partie de carrière. L’inverse est vrai également, d’où la double catégorie reprise dans le tableau. Certains individus peu- vent aussi être diplômés en droit sans être repris comme avocat, avoué ou magistrat, mais comme banquier, industriel ou fabri- cant. D’autres encore, plus rares, sont ingénieurs de formation mais s’engagent immédiatement dans la carrière de banquier ou de fabricant. Lorsque des indications existent quant à l’activité indus- trielle du propriétaire, ce-dernier n’a pas été classé comme tel mais dans la catégorie d’activité qu’il a exercée. Est indiquée entre parenthèses la mention du secteur attribué à chaque catégorie d’activités professionnelles, permettant ainsi de constituer le Tableau 5 Quelques observations provisoires peuvent être extraites de cette vue d’ensemble. Parmi les pères de banquier dont on connaît la profession, 65 % se répartissent dans une des quatre principa- les catégories d’hommes d’affaires : 17 % se spécialisent exclusive- ment ou essentiellement dans les métiers d’argent ; 13 % sont administrateurs de sociétés dans des secteurs divers ; 35 % pro- viennent du milieu du négoce ou du milieu de l’industrie. En dehors de ces quatre secteurs d’affaires, notons les 16 % de pères actifs dans les professions juridiques extérieures aux affaires ou dans les grands corps de l’État. Enfin, on compte 8 % de proprié- taires. Sous une rubrique Divers, on trouve encore 30 individus classés parmi les professions libérales – à l’exclusion de celles relatives à l’art juridique –, les activités associées aux milieux plus modestes et les professions situées à l’intersection entre le monde du négoce et de l’industrie, cette dernière catégorie à elle seule comptant pour 3 %, ce qui porte le total des individus exer- çant un métier d’affaires à 68 % sur l’ensemble de la période 82. Il est donc clair que les banquiers proviennent pour la toute grande majorité de familles appartenant aux échelons supérieurs de la hiérarchies sociale, ce qui met à mal l’image véhiculée par le mythe du self made man.

82 Ce pourcentage correspond à la somme des pourcentages de 4 secteurs – indus- trie, banque, administrateurs de société et négoce – du tableau 5 (soit 65 %) auxquels sont ajoutées les professions situées à l’intersection du monde du négoce et de l’industrie ou de la banque, classées dans la rubrique divers (soit 3 %). 60 www.academieroyale.be

Héritage familial et transmissions

Tableau 4. – Classification des activités professionnelles des pères des banquiers

Banquier-administrateur de banque (b) 22 Négociant (n) 27 Banquier-homme politique (b) 2 Négociant-banquier (b) 7 Banquier-administrateur de sociétés (b) 9 Négociant-fabricant (div) 4 Régent-gouverneur Banque Nationale (b) 2 Négociant-armateur (div) 3 Agent de change (b) 3 Négociant-sénateur (n) 1 Total 38 Négociant-facteur de la poste impériale (n) 1 Négociant-marchand de cuir (n) 1 Négociant-gérant de manufacture (div) 1 Total 45 Fabricant (i) 3 Ingénieur (i) 7 Fabricant de bougies (i) 1 Ingénieur-industriel (i) 3 Fabricant de draps (i) 5 Ingénieur-administrateur de sociétés (a) 7 Fabricant de draps-homme politique (i) 2 Ingénieur-publiciste (i) 1 Fabricant d’armes (i) 3 Total 18 Armurier (i) 2 Brasseur (i) 3 Distillateur (i) 1 Filateur (i) 2 Industriel (i) 22 Industriel-administrateur de sociétés (a) 3 Industriel-maître de forges ( i) 4 Industriel-publiciste (i) 1 Industriel-maître de carrières (i) 4 Total 56 Propriétaire-éligible au Sénat (p) 8 Procureur général Cour de Cassation (j) 1 Propriétaire-bourgmestre (p) 6 Président Cour d’Appel (j) 1 Propriétaire-parlementaire (p) 2 Président Tribunal de Première Instance (j) 2 Propriétaire (p) 3 Magistrat (j) 2 Propriétaire-Administrateur de sociétés (a) 9 Magistrat-haut fonctionnaire (j) 1 Propriétaire-Administrateur de sociétés-gou- Avocat (j) 11 verneur de province (a) 1 Propriétaire-Administrateur de sociétés- Avocat d’affaires-magistrat (j) 1 sénateur (a) 1 Avocat d’affaires (j) 2 Propriétaire-fermier (p) 1 Avocat-administrateur de sociétés (a) 10 Cultivateur (d) 1 Avocat-administrateur de sociétés- Propriétaire-Directeur de messagerie (p) 1 parlementaire (a) 2 Total 33 Avocat-propriétaire (j) 1 Avoué (j) 6 Notaire (j) 3 Total 43

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Les grands banquiers belges (1830-1935)

Diplomate (f) 2 Agronome (div) 1 Diplomate-substitut du procureur du roi (f) 1 Professeur d’université (div) 1 Haut fonctionnaire (f) 2 Pharmacien (div) 1 Receveur des contributions (f) 1 Antiquaire (div) 1 Commandant du port d’Anvers (f) 1 Architecte (div) 1 Officier (f) 5 Rabbin (div) 1 Officier-administrateur de sociétés (a) 2 Médecin (div) 1 Officier-industriel (i) 1 Médecin de campagne (div) 1 Total 15 Précepteur du Prince Albert (div) 1 Total 9 Employé de banque (div) 2 Total Activités connues 269 Commerçant-mercier-brasseur (div) 1 Activités inconnues : 99 Marchand (div) 2 Graveur (div) 1 Boutiquier (div) 2 Instituteur (div) 2 Magasinier (div) 1 Comptable (div) 1 Total 12

Tableau 5. – Répartition sectorielle des activités profession- nelles des pères des banquiers

Nombre Pourcentage

Industrie (i) 65 24 % Banque (b) 45 17 % Administrateur de sociétés (a) 35 13 % Professions juridiques (j) 31 12 % Négoce (n) 30 11 % Propriétaire (p) 21 8 % Fonctionnaires (f) 12 4 % Divers (div) 30 11 %

Total Activités connues 269 100%

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Héritage familial et transmissions

Tableau 6. – Répartition des activités professionnelles des pères des banquiers entre les quatre secteurs d’affaires, selon la période d’entrée en fonction des banquiers (en %)

Avant 1870- 1914- Ensemble 1870 1913 1935 Industrie 21 % 26 % 21 % 24 % Banque 9 % 18 % 18 % 17 % Administrateur de sociétés 3 % 9 % 18 % 13 % Négoce 27 % 14 % 7 % 11 % Négoce et Industrie ou Banque 16 %– – 3 %

Total 76 % 67 % 64 % 68% Total Activités connues = 100% 45 134 90 269

La première génération des banquiers est plus liée au monde capitaliste que les générations suivantes : trois quarts des pères de banquiers actifs avant 1870 sont dans les affaires. Cette propor- tion assez élevée s’explique par le terreau de base dans lequel naissent les premières banques. La Société Générale est liée au monde des affaires bruxellois, la Banque Liégeoise à la banque et au négoce local. La Banque de Belgique, qui est une assemblée de notables dans un premier temps, est vite noyautée par des banquiers professionnels comme F. Anspach, F. Brugmann, J. R. Bischoffsheim ou L. Deswert. Dès le milieu du siècle, les sphères moins coutumières à l’activité capitalise commencent à envoyer leurs fils dans les conseils d’administration des banques. Je pense avant tout au monde politique et aux milieux de robe. À partir de cette époque, l’ouverture du monde bancaire aux milieux exogènes ne variera presque plus : un tiers environ des banquiers seront descendants de familles extérieures au monde des affaires. Durant l’entre-deux-guerres, parmi les pères des banquiers actifs dans les milieux d’affaires, la catégorie des négo- ciants se fait dépasser, voire supplanter, par les représentants des autres secteurs de la sphère capitaliste que sont les administra- teurs de sociétés, les industriels et les banquiers. Les différences régionales n’apparaissent pas dans ce tableau d’ensemble, mais sont pourtant bien réelles. Liège privilégie ainsi le recrutement industriel tandis qu’Anvers puise ses banquiers dans le monde du commerce. Ces proportions sont, dans l’en- semble, fidèles à ce que nous connaissons déjà des hommes d’af- faires d’autres pays d’Europe. Précisons encore que, comme dans

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Les grands banquiers belges (1830-1935) l’étude d’Augustine consacrée à l’industrie allemande, l’avène- ment du « corporate capitalism » en Belgique durant l’entre-deux- guerres ne modifie pas en profondeur le background social des nouveaux décideurs dans le domaine bancaire. Je reviendrai sur ce point dans le chapitre consacré aux études des banquiers.

Tableau 7. – Proportion des pères des banquiers dans les affaires, selon la période d’entrée en fonction des banquiers (en %)

Avant 1870 Après 1870 Ensemble

76 % 66 % 68 %

Total Activités connues (= 100 %) 45 224 269

Tableau 8. – Proportion des pères des banquiers propriétaires d’une entreprise familiale, selon la période d’entrée en fonction des banquiers (en %)

Avant 1870 Après 1870 Ensemble

64 % 30 % 35 %

Total Activités connues (= 100 %) 45 224 269

La proportion de pères actifs dans une firme familiale dont ils sont propriétaires ou partenaires majoritaires atteint au moins les 35 % sur l’ensemble de la période 83. Ce rapport est considérable- ment plus élevé pour les banquiers en activité avant 1870 dans une des trois grandes banques par actions : la proportion s’élève alors à 64 %, soit une grande majorité des individus actifs dans les affai- res. Elle retombe à 30 % pour l’ensemble des banques si la période d’activité du banquier est entamée après 1870. Elle peut d’ailleurs être très faible pour les banquiers entrant en fonction durant l’en- tre-deux-guerres. Elle est de 17 % à la Société Générale. Par contre, elle est encore de 37 % à la Banque Générale Belge et de 40 % à la Banque Centrale Anversoise. Globalement, le nombre important d’inconnues (1/4 de l’ensemble) doit toutefois nous retenir de tirer

83 Soit un total de 31 dans l’industrie, 37 dans le négoce, 8 dans l’industrie et le négoce, 18 dans la banque. 64 www.academieroyale.be

Héritage familial et transmissions des enseignements définitifs des chiffres avancés ici, même si les inconnues se répartissent équitablement entre les espaces géogra- phiques 84, ce qui limite considérablement la marge d’erreur liée aux spécificités économiques régionales.

L’activité professionnelle des beaux-pères des banquiers – exo- et endogamie L’orientation professionnelle ne se transmet pas simplement par voie directe de père en fils. Les cas sont fréquents où, en raison du désintérêt des fils pour les affaires familiales, de l’absence d’héri- tier masculin, d’une recherche spécifique de compétences ou en raison d’alliances familiales renforcées, le gendre devient le léga- taire du chef de famille. Un des exemples les plus connus de trans- mission par le gendre est la complicité qui a uni le grand industriel liégeois Frédéric Braconier à son gendre d’origine bruxelloise, Paul Van Hoegaerden. Parfois, comme dans cet exemple, la pro- fession du beau-père peut s’avérer autant voire plus déterminante que l’activité du père dans la direction prise par la carrière de l’hé- ritier. Paul Van Hoegaerden met ainsi ses compétences juridiques au service de son beau-père tandis que son frère aîné et son beau- frère s’occupent des affaires familiales.

Tableau 9. – Répartition sectorielle des activités profession­ nelles des beaux-pères des banquiers (en %)

Industrie 29 % Banque 16 % Administrateur de sociétés 10 % Négoce 14 % Propriétaire-rentier 8 % Milieux de robe 14 % Autres 9 %

Total Activités connues=100 % 220 Activités inconnues : 148

Les banquiers mariés possèdent généralement au moins un lien direct avec le monde des affaires. L’étude des activités exer- cées par le beau-père empêche, à ce sujet, une vision trop mono-

84 Soit 26 pour Bruxelles, 24 pour Anvers, 20 pour Liège et 29 d’autres localités (belges ou étrangères). 65 www.academieroyale.be

Les grands banquiers belges (1830-1935) lithique de la transmission qu’on ne peut impérativement pas res- treindre aux liens de sang. Le nombre assez limité de cas connus ne nous permet pas de dessiner les tendances par périodes bien délimitées. Je me contente donc ici de présenter les évolutions longues. Ainsi, parmi l’ensemble des banquiers pour lesquels nous connaissons à la fois les professions du père et du beau-père (soit 154 individus sur 368), 90 % ont au moins un des deux parents actifs dans la banque, l’industrie, le négoce ou sont admi- nistrateur de société. Seuls 55 % des individus ont les deux parents exerçant une profession d’affaires. Les 45 % des individus restants sont donc au moins partiellement enracinés dans un environnement fami- lial étranger au monde capitaliste : 35 % sont reliés au milieu des affaires soit seulement par leur père soit seulement par leur beau- père. 10 % proviennent de milieux totalement étrangers à l’uni- vers des affaires. Ces derniers sont héritiers de fonctionnaires, d’officiers, d’avocats, de magistrats, de professeurs d’université, de propriétaires.

Tableau 10. – Proportion des pères et/ou des beaux-pères des banquiers dans les affaires (en %)

Père et/ou beau-père dans les affaires 90 % ⇒ père et beau-père 55 % ⇒ père seul 13 % ⇒ beau-père seul 22 % Ni père, ni beau-père dans les affaires 10 %

Total Activités connues (= 100 %) 154

Ces résultats combinés suggèrent que « l’isolement social » des milieux d’affaires, s’il a existé, n’est peut-être pas aussi prononcé en Belgique que dans d’autres pays d’Europe. Outre les 10 % de banquiers belges dont les ascendants (pères et beaux-pères) sont parfaitement étrangers au milieu des affaires, près d’un quart des manieurs d’argent de notre pays, dont l’origine paternelle est extérieure à la sphère capitaliste, se trouvent embarqués dans l’aventure financière par l’entremise d’un beau-père versé, quant à lui, dans les affaires. Ces banquiers sont ainsi nés fils de fonc- tionnaire, d’avocat ou de propriétaire foncier. Rappelons toutefois que l’on ne peut généraliser les observa- tions faites ici pour un échantillon de banquiers à l’ensemble du 66 www.academieroyale.be

Héritage familial et transmissions monde capitaliste belge : la profession de banquier, par ses spéci- ficités, est sans doute plus perméable aux milieux de robes et aux notabilités politiques que certaines activités commerciales et industrielles pures. Le fait que les alliances exogames aient eu lieu durant la génération précédant celle des banquiers en activité indique néanmoins une tendance à la mixité sociale qui pourrait constituer la spécificité de la notabilité en Belgique. L’étude d’autres secteurs économiques permettrait de tester l’hypothèse.

Tableau 11 : Proportion d’endogamie et d’exogamie chez les banquiers

Père ou beau-père 35% ⇒ 35% exogamie dans les affaires (dont 16% avec milieux de robe) Ni père, ni beau-père 10% ⇒ 4% exogamie dans les affaires ⇒ 6% endogamie stricte (dont 4% entre milieux de robe) Père et beau-père 55% ⇒ 15% endogamie stricte dans les affaires (dont 4% entre banquiers et 6% entre négociants) ⇒ 40% endogamie large Soit • 39% de cas d’exogamie (dont 35% impliquant un père ou beau-père dans les affaires) • 21% de cas d’endogamie stricte (dont 15% impliquant un père dans les affaires) • 40% de cas d’endogamie large (tous impliquant un père dans les affaires)

Quels sont les types d’alliances familiales conclues par les ban- quiers de l’échantillon ? La combinaison exogame la plus fré- quente associe une famille du monde des affaires avec une autre issue des milieux de robe : 16 % des mariages répondent à ces cri- tères. Les autres mariages exogames touchent, dans des propor- tions assez infimes, toutes les autres professions dominantes dans le spectre des activités de notables : les ascendants peuvent ainsi être propriétaire, médecin, fonctionnaire, officier, ministre, etc. Les mariages strictement endogames, c’est-à-dire où la profes- sion et le secteur d’activité de père et du beau-père se recouvrent complètement, sont relativement rares : 21 % des individus sont dans ce cas de figure. La proportion d’alliances entre deux familles liées au secteur bancaire atteint ainsi 4 %, celle entre lignées de négociants en produits similaires 6 %, celle entre 67 www.academieroyale.be

Les grands banquiers belges (1830-1935) familles de robes 4 %. La tendance générale qui se dessine dans ces statistiques indique la grande variété des alliances matrimo- niales contractées par les banquiers. Parmi l’ensemble des cas où les banquiers trouvent épouse dans un milieu d’affaires alors qu’ils sont eux-mêmes issus d’une famille d’affaires par leur père, soit 55 % de l’échantillon, on en recense moins d’un quart d’en- dogamie stricte, où père et beau-père exercent la même activité.

La spécificité de l’origine sociale des banquiers belges

Ce tableau d’ensemble, dressé sur un siècle d’activités bancaires en Belgique, contraste quelque peu avec ce que l’on peut obser- ver dans d’autres pays d’Europe. En Allemagne, à la fin du XIXe siècle, la réticence des élites « pré-industrielles » et de ce qu’Augustine a appelé la « bourgeoi- sie éduquée » envers le monde capitaliste semble plus palpable qu’en Belgique. Dans une étude où l’auteur s’est focalisé sur les transmissions en ligne directe, on observe que 2 % seulement des businessmen allemands les plus riches sont fils d’officier, 2 % fils de hauts fonctionnaires et 3 % de la « bourgeoisie profession- nelle ». Le pourcentage des managers puisés dans ces trois caté- gories est à peine plus élevé : il atteint tout juste les 9 % 85. À Paris, les banquiers du Second Empire étudiés par Stoskopf sont fils de banquiers (38 %) et de négociants (22 %) en priorité. Si l’on y inclut les « métiers de la finance » (receveurs généraux, intendants et agents de change), c’est au total trois quarts de l’échantillon de Stoskopf qui est issu « du secteur tertiaire, com- mercial ou financier » 86. Le profil que Y. Cassis a donné des banquiers de la City lon- donienne entre 1890 et 1914 diffère lui aussi de nos propres découvertes. L’angle d’approche original de l’étude de Cassis doit nous rendre extrêmement prudent dans la mise en perspec- tive. Sa recherche s’apparente à une coupe transversale circons- crite, tandis que notre étude privilégie l’analyse longue. Or, comme le rappelle Charle, « ce qu’un échantillon gagne en com- préhension, il le perd en extension et réciproquement » 87. Toute-

85 D. L. Augustine, Patricians and Parvenus, Wealth and High Society in Wilhelmine Germany, Oxford-Providence, 1994, p. 53. 86 N. Stoskopf, Les patrons du Second Empire. Banquiers et financiers parisiens, Paris, 2002, p. 26. 87 C. Charle, Les Élites de la République 1880-1900, Paris, 1987, p. 95. 68 www.academieroyale.be

Héritage familial et transmissions fois, mes résultats donnent à penser que certaines observations de Cassis ne s’appliquent pas au cas étudié ici. Ainsi, à aucun moment, les hommes actifs dans les grandes banques par actions belges ne sont, dans une même proportion, descendants de la catégorie socioprofessionnelle des « banquiers ». D’après les sta- tistiques de Cassis, 44 % des banquiers et des « directors of the joint stock and colonial banks » anglais sont fils de banquiers. À la même époque, on compte en Belgique moins d’un cinquième de fils de banquiers (18 %) parmi les membres des conseils d’ad- ministration bancaire (voir Tableau 6).

Tableau 12. – Classification des activités professionnelles des pères des administrateurs des joint stock banks de la City à Londres (1890-1914) (en %)

Banquiers 44 % Négociants, armateurs, administrateurs de société 20 % Industriels 2 % Aristocrates, propriétaires fonciers 23 % Politiciens, hauts-fonctionnaires 2 % Professions libérales, services, clergé 8 % Étrangers 1 % Total Activités connues (= 100 %) 186

Activités inconnues 20

Source : Y. Cassis, City bankers, p. 95.

La très grande proportion de fils de banquier à la City londo- nienne s’explique, selon Cassis, par la prédominance encore tan- gible des banques privées dans l’animation du secteur financier anglais à la fin du XIXe siècle. Les banquiers privés y sont fils de banquier à 76 %, ce qui dope considérablement les statistiques. En Belgique, les banques privées n’ont jamais occupé une posi- tion aussi importante dans le secteur. Les grands banquiers privés, payant les plus fortes patentes, sont pour la plupart asso- ciés à la fondation et au fonctionnement des banques par actions. Mais ils se comptent sur les doigts des deux mains. Ainsi, la « haute banque » juive n’est constituée en Belgique que d’une poignée de familles que l’on retrouve aux comman- des des grands établissements bancaires. J. R. Bischoffsheim et A. Oppenheim s’associent à la création de la Banque de Belgi- que, les Lambert à la Banque d’Outremer et à la Banque Géné- rale Belge. J. Philippson entre également dans le conseil de cette

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Les grands banquiers belges (1830-1935)

dernière. Les Cassel figurent parmi les fondateurs de la Banque Internationale de Bruxelles. Les Stern s’engouffrent dans l’aven- ture de la Banque de Bruxelles. La banque privée protestante, par l’entremise des Balser, a contribué à la fondation de la Banque d’Outremer. Deux générations de Brugmann ont attaché leur nom à la Banque de Belgique et à la Banque Centrale Anver- soise. A. Fran(c)k, d’origine allemande, est pour sa part un des fondateurs de la Banque Centrale Anversoise, puis de la Banque Internationale de Bruxelles. Les autres banquiers privés les plus importants sont également les animateurs des banques par actions. Ils sont fort peu nom- breux : les Allard, Le Grelle, de Lhoneux, Nagelmackers, Mat- thieu, Delloye. La période de « splendeur » des banques privées se situe, selon l’analyse qu’en a faite B. S. Chlepner, dans le troi- sième quart du XIXe siècle durant lequel ces banques se sont enrichies entre autres à l’occasion des nombreuses émissions, à une époque économique particulièrement faste. Après 1870, suite à « la multiplication des banques par actions » et au « pullulement des agents de change », la puissance relative des banques privées ira en diminuant 88. Comme en Angleterre, la transmission, dans ces lignées de banquiers, s’effectue de père en fils. Si l’on incluait l’ensemble des représentants de ces familles dans l’échantillon, la proportion de fils de banquiers augmenterait légèrement puisque je n’ai pris en considération ici que les administrateurs des grandes banques par actions. Toutefois, les chiffres ne seraient jamais aussi impor- tants qu’en Angleterre, parce que le secteur bancaire belge, dont la pierre angulaire est la banque mixte, est plus diversifié sur le plan social. Notons encore que les banquiers privés provinciaux, décrits par J. Lebrun pour la province du Hainaut 89, ne se sont associés ­qu’accessoirement au développement des grandes banques mixtes. S’ils investissent des capitaux dans les nouveaux établissements par actions, ils sont rares à y être représentés au conseil d’adminis- tration : V. Tercelin-Monjot à la Banque de Belgique, G. de Lho- neux à la Banque de Bruxelles et à la Banque Générale Belge, G. Nagelmackers à la Banque Liégeoise, J. Delloye à la Banque de

88 B. S. Chlepner, Le marché financier belge depuis cent ans, Bruxelles, 1930, p. 61. 89 J. Lebrun, Banques et crédit en Hainaut pendant la Révolution Industrielle belge, Histoire quantitative et développement de la Belgique au XIXe et XXe siècles, tome II, vol 4a, Bruxelles, 1999. 70 www.academieroyale.be

Héritage familial et transmissions

Bruxelles. Pourtant, Lebrun a pu montrer le rôle important que ces banquiers provinciaux ont joué dans l’économie locale. Leur stature dépasse déjà l’échelle régionale au début du XIXe siècle : six banquiers montois seront par exemple de gros actionnaires de la Société Générale à sa fondation 90. Dans la seconde moitié du XIXe siècle, les petites banques privées de province continuent à jouir d’une certaine prospérité dans les régions industrielles. Lebrun estime qu’ont existé, sur une période plus ou moins longue, jusqu’à 170 banques provinciales en Hainaut entre 1850 et 1900 91. Toutefois, l’auteur doit admettre que les moyens financiers de ces banques locales sont vraiment modestes. En réalité, la banque anversoise et bruxelloise plonge ses raci- nes dans le terreau du grand négoce plutôt que dans celui de la banque à proprement parler. Ce fait explique la proportion net- tement plus importante des pères négociants repérés dans la pre- mière génération de banquiers de l’échantillon (43 %). Alors que les pères de cette première génération de banquiers ne sont eux- mêmes banquiers qu’à concurrence de 9 % (voir Tableau 6), leurs fils déclarent comme activité professionnelle principale celle de banquier ou de négociant-banquier à concurrence de 20 % (voir Tableau 13). Ces chiffres illustrent un phénomène sensible de reconversion du négoce vers la finance qui s’effectue dans la pre- mière moitié du XIXe siècle. Dès la seconde génération de ban- quiers de l’échantillon, les pères eux-mêmes banquiers sont mieux représentés. Les banquiers de cette génération sont en partie des héritiers de banquiers privés qui s’associent à la banque mixte et en partie, des héritiers de grands administrateurs de sociétés qui se sont spécialisés dans le secteur bancaire : les fils de Meeus ou Demonceau font partie de cette dernière catégorie. La propor- tion des pères banquiers atteint alors 18 % et se maintient à ce niveau pendant l’entre-deux-guerres. En Belgique, les liens entre la propriété foncière et la banque sont également nettement moins marqués qu’en Angleterre 92. La

90 J. Lebrun, Banques et crédit en Hainaut pendant la Révolution Industrielle belge, Bruxelles, 1999, p. 124. L. Francois, « De reacties van de aandeelhouders van de Société Générale op de revolutiegolf van 1830 », in Revue Belge d’Histoire Contemporaine, XII, 3, 1981, p. 442-477. 91 J. Lebrun, « Panorama des banques hainuyères de la seconde moitié du XIXe siècle », in J.-M. Cauchies, J.-M. Duvosquel (eds), Recueil d’études d’histoire hainuyères offertes à Maurice A. Arnould, Mons, 1983. 92 À la condition évidente d’exclure de l’échantillon les « faux » propriétaires, comme je l’ai décrit ci-dessus. 71 www.academieroyale.be

Les grands banquiers belges (1830-1935) différence est d’autant plus frappante si l’on met en lumière les mariages des banquiers. À la City, 23 % des banquiers sont fils d’aristocrates et propriétaires et 24 % d’entre eux prennent épouse dans des familles aristocratiques. Les exemples de la sorte sont plus rares dans notre échantillon. La proportion des propriétai- res (nobles et non-nobles réunis) parmi les beaux-pères n’atteint jamais les 10 % en Belgique, quelle que soit la période étudiée. Comme nous allons le voir, les alliances avec l’aristocratie sont en fait beaucoup plus fréquentes à la génération des fils. Autre point de différence avec la City londonienne, les rela- tions entre la banque et l’industrie sont indéniables en Belgique, tant à Bruxelles qu’à Liège, et même dans une moindre mesure à Anvers. Ce cousinage, par contre, est quasi inexistant à la City, ainsi que le confirme une autre statistique de Cassis : 2 % des ban- quiers sont fils d’industriel, et seul 2 % des « in-laws » de l’ensem- ble des banquiers de son échantillon sont issus de ce secteur. Notons que seule une infime minorité des banquiers de la City sont industriels avant d’être administrateurs de banques : l’auteur n’a classé que 7 % des cas connus sous la rubrique « industriels » 93. Ces différences reflètent la particularité du système de la banque mixte belge qui a recruté une large frange de ses dirigeants dans le secteur de l’industrie dans lequel elle avait de nombreuses par- ticipations (voir le chapitre 7). Soulignons une dernière particularité des banquiers belges, à la lumière des enseignements de Cassis. Autant les administra- teurs de banques sont moins fréquemment fils de banquier en Belgique, autant les chances pour les banquiers belges de s’allier avec une famille versée dans la banque sont nettement plus éle- vées que dans le cas anglais. En effet, sur l’ensemble de la période, on compte 16 % des administrateurs de banque belges dont le beau-père exerce également un métier relatif au commerce de l’argent : cette proportion n’est que de 6 % dans la City entre 1890 et 1914. Les tendances lourdes évoquées pour le cas belge doivent certes être légèrement nuancées lorsqu’on les rapporte à des séquences temporelles plus courtes ou à des réalités plus loca- les. Toutefois, elles ne subissent pas de cassures nettes et offrent donc un reflet fidèle du monde bancaire dans son ensemble. Une dernière conclusion peut être tirée de cette comparaison. La volonté des élites d’ancrer leur réussite sociale dans la propriété foncière a pris, en Belgique, d’autres formes que la simple et tradi-

93 Y. Cassis, City Bankers, 1890-1914, Cambridge, 1994, p. 53, 95 et 205. 72 www.academieroyale.be

Héritage familial et transmissions tionnelle alliance avec l’aristocratie d’Ancien Régime. P. Janssens avait déjà montré, dans une vaste étude consacrée à l’aristocratie en Belgique, que « ni la propriété foncière, ni même la grande pro- priété foncière ne sont une exclusivité nobiliaire » 94. Mon étude conforte ces observations. Comme je le note plus loin, plus d’un quart des banquiers de l’échantillon (banquiers privés, administrateurs de banque et commissaires des deux gran- des banques bruxelloises au XIXe siècle) sont éligibles au Sénat et possèdent donc une belle richesse foncière. Par ailleurs, près de la moitié des banquiers de l’échantillon appartiennent à des familles de notables qui ont compté au moins un membre parmi les éligibles 95. Les riches négociants, industriels et banquiers convertissaient donc leur capital économique en richesse foncière sans nécessairement chercher à conforter systématiquement ces assises terriennes par des alliances matrimoniales. Le sommet du monde industriel belge, qui lui aussi s’est empressé d’asseoir son succès professionnel dans les biens fonciers, n’est pas resté en marge du développement bancaire comme cela à pu être le cas en Angleterre 96. Par ailleurs, nous allons voir ci-dessous que les modes de transmission en Belgique se sont fortement appuyés sur les rapports beau-père/gendre. Cette particularité explique- rait la proportion élevée de belles-familles impliquées dans la profession bancaire, de même que le faible pourcentage de fils de banquier recensés dans notre échantillon.

Caractéristiques professionnelles des banquiers

L’activité professionnelle principale des banquiers

Avant de se pencher un peu plus spécifiquement sur le rôle de la famille dans les choix de carrière des banquiers, il me paraît utile de dresser ici un profil de groupe sommaire décrivant les activités

94 P. Janssens, L’évolution de la noblesse belge depuis la fin du Moyen-Âge, Crédit Communal, no 93, Bruxelles, 1998, p. 330. Pour une comparaison entre la noblesse belge et britannique, voir du même auteur P. Janssens, « L’influence sur le continent du modèle aristocratique britannique au XVIIIe siècle », in R. Mortier, H. Hasquin (dir.), Études sur le XVIIIe siècle, idéologies de la noblesse, Bruxelles, 1984, p. 29 et ss. 95 Soit 120 éligibles sur 458. 190 banquiers sont éligibles ou sont parents en ligne directe d’un éligible. 96 À ce sujet, voir par exemple F. Capie and M. Collins, Have the Banks Failed British Industry ?, London, 1992. 73 www.academieroyale.be

Les grands banquiers belges (1830-1935) principales des banquiers. Le nombre de groupes professionnels représentés dans le tableau suivant est sensiblement réduit par comparaison avec le Tableau 4 consacré aux activités profession- nelles des pères, de manière à mettre plus facilement en évidence les analogies et les variations entre les périodes. J’ai ainsi réduit la classification à l’activité centrale et principale de l’individu, en dehors évidemment de son rôle d’administrateur de banque. La fonction politique n’a été soulignée que pour dessiner une sous- catégorie particulière que je voulais différencier : les avocats de profession qui font carrière dans le monde politique. J’ai égale- ment distingué dans le groupe des avocats, ceux qui ont exercé une intense activité d’homme d’affaires. La tranche des ingé- nieurs n’est qu’une sous-catégorie des industriels au sens large, mais je l’ai distinguée pour souligner la part croissante que les ingénieurs prennent dans le monde bancaire belge.

Tableau 13. – Classification des activités professionnelles principales des banquiers selon la période d’entrée en fonction (en %)

Av. 1870 1870-1913 1914-1935 Ensemble Secteur des affaires 62 % 79 % 74 % 74% dont: Banquier 10 % 20 % 16 % 17 % Négociant-banquier 10 % – – 1,5 % Négociant 18 % 17 % 11 % 15 % Fabricant-négociant 6 % 2 % 1 % 2,5 % Fabricant 4 % 4 % 0 % 2,5 % Industriel 10 % 10 % 8 % 9 % Ingénieur-industriel 0 % 12 % 18 % 12 % Administrateur soc. 0 % 8 % 9 % 7 % Avocat-admin soc. 4 % 6 % 11% 7,5 % Secteurs hors affaires 38 % 21 % 26 % 26 % dont: Avocat-avoué 13 % 10 % 7 % 9 % Avocat-politique 9 % 4 % 8 % 6,5 % Officier 4 % 2 % 5 % 3,5 % Haut-fonctionnaire 4 % 3 % 3 % 3,5 % Propriétaire 8 % 1 % 0 % 2 % Autres (diplo., nota.,…) 0 % 1 % 3 % 1,5 %

Total Activités connues 52 164 118 334 (= 100 %) :

Activités inconnues: 1 15 18 34

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Héritage familial et transmissions

Les banquiers repris dans la catégorie homonyme ci-dessus répondent à la définition qu’en a donnée Y. Cassis dans son ouvrage City Bankers : « the former private bankers on the one hand and, on the other, the directors who obviously played an active role in the management of their banks and whose main activity it was 97 ». Seulement un cinquième environ des conseils d’administration des établissements bancaires belges se compose de purs banquiers, que ce soit des banquiers privés comme L. Lambert ou F. Philippson ou des administrateurs de banques comme F. Baeyens ou W. Thys. Ce chiffre presque stable pour- rait être légèrement revu à la hausse car de nombreux cas liti- gieux se situent à la limite de deux professions. Il n’est pas exclu, par exemple, qu’un petit nombre d’administrateurs de sociétés, de négociants ou d’industriels se soient complètement reconvertis dans les activités bancaires. Par ailleurs, l’interprétation reste sujette à caution quant à la question de savoir si les activités ban- caires d’un individu sont ou ne sont pas ses activités princi­ pales. Les professions d’affaires, dans le sens le plus large du terme, représentent 62 % de l’échantillon avant 1870, 79 % entre 1870 et 1913 et 74 % après 1914. Avant 1870, la forte proportion de nota- bles dont l’activité principale ne se cantonne pas au monde des affaires s’explique d’une part, par la volonté marquée des ban- ques de s’entourer de conseils juridiques, d’autre part, par la proximité encore grande entre finance et politique et enfin par le passage récent de propriétaires fonciers dans la sphère capita- liste. C’est pourtant cette première génération qui compte la plus forte proportion de pères actifs dans les affaires, soit 76 % (Tableau 7). Certains fils d’industriels ou de négociants n’hési- tent pas à faire des détours par les métiers de robe ou par la politique avant d’accepter un mandat bancaire et quelques fonc- tions d’administrateurs dans la seconde partie de leur vie. Après 1870, le chiffre se stabilise, dans les conseils d’administra- tion, entre un cinquième et un quart de personnalités extérieures au monde des affaires. Les anciens hommes politiques assurent une partie de cet effectif, les avocats, fonctionnaires et officiers for- mant le reste du contingent. Les propriétaires disparaissent natu- rellement des statistiques en vertu d’un long processus de recon- version qui voit les descendants de rentiers se tourner entièrement vers le monde des affaires. Alors qu’avant 1870, certains proprié-

97 Y. Cassis, City Bankers, 1890-1914, Cambridge, 1994, p. 53. 75 www.academieroyale.be

Les grands banquiers belges (1830-1935) taires comme le comte P. Vilain XIIII ou le marquis C. de Rodes conciliaient leur fonction bancaire avec les devoirs de leur rang (politique et gestion de la propriété familiale), après 1870, les pro- priétaires impliqués dans le secteur bancaire ne limitent pas leurs activités d’affaires à quelques domaines choisis.

Tableau 14. – Classification des activités professionnelles prin- cipales des banquiers de la City à Londres (1890-1914) (en %)

Secteur des affaires, dont 79 % Banquier 46 % Négociant 19 % Industriel 7 % Armateur 4 % Administrateur de société 3 % Secteur hors affaires, dont 18 % Haut fonctionnaire 9 % Professions libérales 4 % Propriétaire 5 % Activités inconnues 3 % Total = 100 % 186

Source : Y. Cassis, City Bankers, p. 53.

Dans les trois grandes villes belges, le métier de banquier, au tournant du siècle, semble nettement plus ouvert qu’à la City de Londres, aux professions extérieures aux affaires et aux profes- sions non bancaires de la sphère capitaliste. D’une part, les gran- des banques belges, à leur création, font traditionnellement la part belle aux notabilités locales et aux plus éminents représen- tants du commerce et de l’industrie, qui en sont par ailleurs les principaux actionnaires. Cette caractéristique, associée au fait que les fondations des principales banques s’échelonnent sur l’ensemble du XIXe siècle, explique la diversité des professions des administrateurs de banque entre 1830 et 1914. D’autre part, la nature même de la banque mixte commande aux banques par actions de diversifier leur recrutement. En Angleterre, l’époque étudiée par Cassis correspond au grand mouvement de fusion bancaire 98. Les joint stock banks anglaises absorbent alors un

98 F. Capie, G. Rodrik-Bali, « Concentration in British Banking 1870-1920 », in Business History, 1982, vol XXIV, no 2, p. 287. 76 www.academieroyale.be

Héritage familial et transmissions vaste contingent de banquiers privés, ce qui explique la propor- tion très conséquente de banquiers dans l’échantillon de Cassis 99. Le phénomène de concentration bancaire n’a pas emprunté les mêmes voies en Belgique où les banques privées n’ont jamais eu une telle importance. Les banques mixtes belges feront graduel- lement confiance à des managers juristes ou ingénieurs (voir cha- pitre suivant), mais dont les activités ne se cantonnent pas au seul domaine bancaire. Par ailleurs, au fil de l’évolution des ban- ques belges, les banquiers issus du rang restent rares : la propor- tion de ces derniers durant l’entre-deux-guerres n’augmente qua- siment pas.

L’âge d’entrée en fonction des banquiers

L’âge moyen d’accession aux conseils d’administration est de 51 ans pour l’ensemble de la période étudiée. Sur un total de 354 cas où l’on connaît l’âge d’entrée en fonction du banquier, on n’observe que peu de variation de la tendance principale, ni selon les époques, ni selon les banques. Pour les banquiers entrés en fonction avant 1870, l’âge moyen est légèrement supérieur à 50 ans. Il est, pour cette période, de 53 ans à la Société Générale, 47 ans à la Banque de Belgique et 46 ans à la Banque Liégeoise. De 1870 à 1935, l’âge moyen d’accession aux conseils d’adminis- tration des banques bruxelloise est de 50 ans. Dans les banques anversoises, à cette même période, il est également de 50 ans 100. À Liège, il s’élève légèrement à 52 ans. Il s’échelonne entre 43 ans à la Mutuelle Solvay où le recrutement familial favorise la jeu- nesse et 54 ans à la Banque Internationale de Bruxelles qui a opté pour le recrutement de notables. Parmi les banques qui, à cette période, recrutent « jeune », citons encore la Banque de Reports où l’âge moyen dépasse à peine les 45 ans et, à l’autre extrémité, la Caisse Générale dont l’âge moyen de recrutement est proche de 54 ans.

99 34 % des directeurs de son échantillon sont des anciens banquiers privés. 80 % d’entre eux sont considérés par l’auteur comme banquiers. Y. Cassis, City Bankers, 1890-1914, Cambridge, 1994, p. 54. 100 Soit 46 ans pour la Banque de Reports, 52 ans pour la Banque Centrale Anver- soise et 50 pour le Crédit Anversois. 77 www.academieroyale.be

Les grands banquiers belges (1830-1935)

Tableau 15. – Répartition par âge de recrutement des ban- quiers, selon la période d’entrée en fonction (en %)

Avant 1870 1871-1917 1918-1935 Ensemble 20 à 29 ans 2 % 2 % 3 % 2 % 30 à 39 ans 13 % 13 % 14 % 13 % 40 à 49 ans 34 % 29 % 40 % 34 % 50 à 59 ans 34 % 31 % 23 % 29 % 60 à 69 ans 13 % 19 % 11 % 16 % plus de 70 ans 4 % 6 % 9 % 6 %

Tableau 16. – Répartition par âge d’accès aux joint stock banks des banquiers de la City à Londres (1890-1914) (en %)

30 à 40 ans 25 % 41 à 50 ans 38 % 51 à 60 ans 22 % 61 à 70 ans 13 % 71 à 80 ans 2 %

Source : Y Cassis, City Bankers, p. 113.

Les statistiques de Cassis, consacrées aux joint stock banks anglaises au tournant du siècle, montrent que 63 % des banquiers anglais avaient moins de 50 ans lorsqu’ils intégraient le conseil d’une des grandes banques insulaires. En Belgique, l’âge d’accès est sensiblement plus élevé : les moins de 50 ans ne deviennent majoritaires qu’après 1918. Entre 1871 et 1917, ils ne sont que 45 % à devenir administrateur avant 50 ans. Entre 1918 et 1935, ce chiffre passe à 57 %. Le léger rajeunissement d’après guerre s’explique d’une part par la politique délibérée de quelques ban- ques, dont la Société Générale et la Banque d’Outremer, de rajeunir ses cadres en intégrant des managers et technocrates qui n’ont pas encore atteint la cinquantaine. D’autre part, l’arrivée d’une nouvelle vague de jeunes héritiers, à la Banque de Bruxel- les, à la Banque Centrale Anversoise ou à la Mutuelle Solvay, augmente considérablement la tranche des moins de 50 ans. En contrepartie, l’habitude prise par la plupart des établissements de faire appel à des notables expérimentés, principalement extraits du monde politique ou de la sphère financière, explique que la moyenne générale ne baisse pas franchement après la guerre. À travers l’ensemble de la période étudiée, la cohabitation entre deux générations reste généralement de mise dans les banques 78 www.academieroyale.be

Héritage familial et transmissions belges, à l’exception des équipes dirigeantes à la fondation qui sont habituellement issues de tranches d’âge assez semblables. Parfois, des écarts très importants séparent les éléments les plus âgés des recrues les plus jeunes : le record de vieillesse est sans doute détenu par J. P. Kok, encore administrateur de la Banque de Belgique à l’âge plus que vénérable de 88 ans, sous la direction d’un gouverneur né un quart de siècle après lui. Pour résoudre le phénomène inévitable du vieillissement des conseils d’administration, certaines banques comme la Société Générale ont dû fixer une limite d’âge en invoquant la croissance du volume de travail : cette dernière banque a défini la limite à 70 ans en 1923 101. À la Caisse Générale de Reports, le président M. Levie est remplacé par C. Fabri en 1931, à l’âge de 80 ans : il est nommé alors président honoraire. Outre l’entrée en fonction à un âge avancé, un autre phénomène peut concourir au vieillissement des conseils : la durée des mandats, ceux-ci s’achevant souvent au décès ou au retrait de l’administrateur pour cause de santé. C’est ainsi qu’au tournant du siècle, le conseil de la Banque Centrale Anversoise se compose d’individus dont le plus jeune a 60 ans et le plus vieux 76 ans : parmi les administrateurs en fonction, A. Frank siège déjà depuis 24 ans et E. De Gottal depuis 23.

Tableau 17. – Répartition par âge des régents et censeurs de la Banque de France (conseils de 1851 et 1870) (en %)

30 à 39 ans 3 % 40 à 49 ans 8 % 50 à 59 ans 34 % 60 à 69 ans 43 % 70 à 79 ans 6 % 80 ans et plus 6 % Source : A. Plessis, la Banque de France, p. 112.

Dans ce monde de la finance, les acteurs ont généralement atteint un âge vénérable, comme en témoigne aussi l’âge des régents et censeurs actifs à la Banque de France. En Belgique, dans l’échantillon de banquiers étudié, on observe toutefois qu’une poignée de jeunes ambitieux acquièrent des positions appréciables et jouissent d’une influence énorme malgré leur

101 G. Kurgan-Van Hentenryk, Gouverner la Générale de Belgique. Essai de biographie collective, Bruxelles, 1996, p. 118. 79 www.academieroyale.be

Les grands banquiers belges (1830-1935) expérience forcément limitée. Une bonne douzaine d’individus exceptionnellement précoces ont marqué l’histoire économique par une activité intense et décisive à un âge où les autres en sont encore à faire leurs premières armes. Les trois plus grandes banques bruxelloises sont ainsi dirigées, à leur création, par des jeunes gens : Ferdinand de Meeus a à peine 32 ans lorsqu’il devient gouverneur à la Société Générale ; Charles De Brouckère entame sa quarantième année quand il obtient la présidence de la Banque de Belgique ; Jacques Errera fonde et dirige la Banque de Bruxelles alors qu’il a à peine 37 ans. Les carrières brillantes et précoces sont suffisamment rares pour être soulignées. La finance juive offre plusieurs exemples de réus- sites extraordinaires à un âge encore tendre : Maurice de Hirsch bénéficie déjà d’un ascendant non négligeable dans le monde financier à la fin des années 1850, alors qu’il n’a pas encore trente ans 102. Son beau-père, Jonathan Raphaël Bischoffsheim, avait déjà connu un destin similaire puisqu’il était déjà commis- saire de la Banque de Belgique à 27 ans et administrateur à 33 ans. Exceptions parmi ces exceptions, les trajectoires de André Langrand et Edouard Thys sont particulièrement remarquables car ces deux hommes ne doivent leur réussite professionnelle extraordinaire à aucun réseau familial, ce qui n’est pas le cas de personnalités comme William Thys ou Léon Lambert dont l’hé- ritage paternel et la position sociale privilégiée des géniteurs sont deux clés essentielles dans l’explication des réussites précoces. Tous ces exemples de succès hors du commun, tous ces grands noms de la finance qui, pour beaucoup, sont passés à la postérité, ne doivent pas nous faire oublier la réalité d’un métier qui ne se résume pas à ses éléments les plus brillants. À travers le siècle passé en revue, les conseils d’administrations sont dirigés par une écrasante majorité d’hommes mûrs, qui ont atteint plus que la fleur de l’âge et qui restent parfois en activité jusqu’à leur décès. Dans la société de l’époque, les hommes en place aux postes de pouvoir, aux positions de direction politiques et économiques ont, en toute grande majorité, au moins la quarantaine bien

102 Voir le rôle du jeune de Hirsch dans les affaires Langrand-Dumonceau, décrit par Jacquemyns. G. Jacquemyns, Langrand-Dumonceau, promoteur d’une puis- sance financière catholique. T. I, Années obscures – Montée, Bruxelles, 1960. T. II, Vers l’apogée. 1. Les fondations, Bruxelles, 1960. T. III, Vers l’apogée. 2. Organisation et opérations, Bruxelles, 1963. T. IV, Années difficiles, Bruxelles, 1964. T. V, Chute et liquidation, Bruxelles, 1965. 80 www.academieroyale.be

Héritage familial et transmissions sonnée. Il est d’ailleurs frappant de constater que, parmi les indi- vidus particulièrement précoces mis en avant ci-dessus, tous ont bénéficié du plus grand ascendant dans la deuxième partie de leur vie, à une époque où, forts d’une réputation à toute épreuve, ils côtoyaient dans les sphères décisionnelles des hommes de leur génération. D’autres, moins précoces mais tout aussi influents, deviennent incontournables dans la deuxième tranche de leur vie : c’est le cas de Émile Francqui ou Félicien Cattier pour le XXe siècle, de Rodolphe Coumont, Albert Thys ou Ferdinand Baeyens dans la deuxième moitié du XIXe siècle.

Stratégies familiales des banquiers

Les alliances matrimoniales

Quelles sont les stratégies d’alliances matrimoniales mises en place par les familles de banquier ?

L’âge au mariage Première constatation, l’âge au mariage des banquiers varie peu selon les périodes. L’âge moyen de l’homme lors du premier mariage, calculé sur l’ensemble du siècle passé en revue, est de 27 ans et 11 mois. L’âge moyen de la femme est de 22 ans et 6 mois. Lorsque le « promis » est né avant 1870, la moyenne d’âge est légèrement plus élevée et se chiffre à 28 ans et 2 mois. L’âge moyen de la femme est quasiment identique. Lorsque le futur époux est né après 1870, l’âge moyen pour l’homme est d’une année inférieure, soit 26 ans et 11 mois. L’âge moyen de la femme ne varie pas. La différence d’âge moyen entre l’homme et la femme se situe à 5 ans et 8 mois avant 1870, 4 ans et 5 mois après 1870. Lors d’un second mariage, la différence d’âge moyen est de 20 ans. Ces chiffres corroborent la tendance soulignée par K. Devol- der à propos des conseillers communaux gantois en activité entre 1830 et 1914, bien que les moyennes d’âge relevées par l’auteur soient légèrement plus élevées à Gand, particulièrement en ce qui concerne les femmes 103. La régression opérée par Devolder indi-

103 K. Devolder, De Gentse gemeenteraad en haar leden 1830-1914, Gent, 1994, p. 457 et p. 475. Quelques chiffres relatifs à certaines régions d’Allemagne dans la première moitié du XIXe siècle et cités par J. Kocka sont fort proches de 81 www.academieroyale.be

Les grands banquiers belges (1830-1935)

Tableau 18. – Répartition par âge au mariage des banquiers, selon la période de naissance (en %)

< 25 ans 25-29 ans 30-34 ans 35-39 ans 40 ans et > Avant 1870 27,7 % 39 % 25,7 % 5,7 % 1,9 % Après 1870 40,9 % 36,4 % 13,6 % 9,1 %– Ensemble 31,5 % 38,3 % 22,2 % 6,7 % 1,3 %

Tableau 19. – Répartition par âge au mariage des banquiers et hommes d’af- faires français actifs au XIXe siècle (en %)

< 25 ans 25-29 ans 30-34 ans 35-39 ans 40 ans et > Régents Banque de France, 15 % 32,5 % 37,5 % 5 % 10 % Premier Empire* Hommes d’affaires français 28,5 % 35,7 % 28,5 % 7,1 %– nés avant 1790 Hommes d’affaires français 24,1 % 51,7 % 17,2 % 13,7 %– nés après 1790** Régents Banque de France, 3,8 % 46,1 % 34,6 % 15,3 %– Second Empire Hommes d’affaires français 14,9 % 40,9 % 33,5 % 4,9 % 5,5 % (1901)*** Sources: *: A. Plessis, La Banque de France et ses 200 actionnaires sous le Second Empire, Genève 1982. A. Plessis, Régents et Gouverneurs de la Banque de France sous le Second Empire, Genève 1985. ** A. J. Tudesq, Les Grands Notables en France (1840-1849). Étude Historique d’une psychologie sociale, Paris, 1964. *** : C. Charle, Les Élites de la République 1880-1900, Paris 1987.

Tableau 20. – Âge moyen au mariage des banquiers, selon la période de naissance

Avant 1870 Après 1870 Ensemble 28 ans 2 mois 26 ans 11 mois 27 ans 11 mois

que un âge moyen au mariage passant, entre 1830 et 1914 de 29 ans et 2 mois à 27 ans et 10 mois pour l’homme, tandis que celui de la femme opère une courbe descendante de 25 ans et 5 mois à 23 ans et 1 mois. Le patronat du Nord de la France

ceux obtenus ici, soit à peu près 22 ans pour la femme et le début de la tren- taine pour les hommes. J. Kocka, Industrial culture and bourgeois society. Busi- ness, labor, and bureaucracy in modern Germany, Oxford, 1999, p. 125. 82 www.academieroyale.be

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étudié par B. G. Smith présente également des caractéristiques assez semblables : un léger abaissement de l’âge au mariage des hommes et une relative stabilité de l’âge au mariage des femmes. L’âge moyen des femmes est un petit peu moins élevé et se situe à 21 ans. L’âge des hommes au mariage est fort proche des valeurs de l’échantillon des banquiers belges 104. Dans l’échantillon, les épouses de banquiers ont rarement moins de 19 ans lorsqu’elles se marient. Je n’ai recensé que 8 cas de la sorte sur 149 au total. La grande majorité des femmes, soit 70,5 %, ont ainsi plus de 19 ans mais moins de 24 ans au moment de passer l’anneau. La dispersion est plus importante dans la population masculine. À quatre exceptions près, l’homme a au minimum 22 ans lorsqu’il accepte de prendre épouse. Les maria- ges à plus de 30 ans pour les hommes ne sont pas rares parmi les banquiers. Au total, 30,2 % des hommes se marient à plus de 30 ans, tandis que 31,5 % des hommes ont moins de 25 ans au moment du mariage et 38,3 % ont entre 25 et 30 ans. Une comparaison de nos résultats avec ceux de Charle pour les milieux d’affaires français est riche d’au moins un enseigne- ment majeur. Quelle que soit la période du XIXe siècle prise en compte, les banquiers belges se marient à un âge nettement plus jeune que les hommes d’affaires français. La différence d’âge moyenne entre les échantillons français et belge dépasse les deux ans. Pourtant, l’analyse de Charle a montré que les représentants des milieux d’affaires français convolaient plus tôt que les autres milieux d’élite 105. L’auteur explique le phénomène par la forma- tion moins poussée des hommes d’affaires et les perspectives plus rapides d’accès à une situation stable. En Belgique, comme nous allons le voir, l’argument de l’absence de formation longue ne vaut que pour une proportion minoritaire de banquiers et négo- ciants qui ne privilégient pas l’enseignement universitaire dans son système de transmission. Comme je le souligne en effet en détail dans le chapitre suivant, deux tiers au moins des banquiers de l’échantillon ont suivi une formation universitaire. La propor- tion augmente d’ailleurs à mesure que l’on se rapproche du XXe siècle. Or, la moyenne d’âge au mariage tend de son côté à la diminution.

104 Il est d’un peu plus de 28 ans pour les hommes nés avant 1869. B. G. Smith, Les bourgeoises du Nord 1850-1914, Paris, 1981, p. 181. 105 C. Charle, Les Élites de la République 1880-1900, Paris, 1987, p. 261. 83 www.academieroyale.be

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La spécificité belge est donc à rechercher dans les trajectoires professionnelles qui présentent des signes précoces de réussite et partant, des perspectives prometteuses pour les jeunes banquiers. Rappelons-le, 60 % au moins des ceux-ci sont héritiers de grands notables et 22 % supplémentaires bénéficient d’un patrimoine familial qu’ils peuvent convertir dans la sphère professionnelle. Cela se traduit, dans la réalité, par des trajectoires classiques qui voient les héritiers fréquenter l’université, puis contracter une alliance rapidement après avoir conquis leur diplôme, alors qu’ils sont déjà en bonne voie sur le plan professionnel. Les héritiers qui s’engagent dans la firme familiale peuvent avoir déjà atteint les plus hautes responsabilités aux alentours des 25 ans, en par- ticulier lors du décès du père. Josse Allard est directeur de la société familiale à 23 ans ; Jules Emmanuel de Biolley hérite des affaires paternelles à 26 ans ; les van der Rest à respectivement 26 et 27 ans. D’autres jeunes héri- tiers fondent leur propre société à cet âge. Frédéric Brugmann, Alban Poulet, Victor Linon créent des sociétés bancaires alors qu’ils n’ont pas 30 ans. En ce qui concerne les administrateurs de société, le premier mandat (généralement de commissaire) obtenu par un héritier se situe vers la fin de la vingtaine ou au début de la trentaine. Un poste de commissaire est généralement une première étape vers l’obtention d’un siège d’administrateur. Vers la fin du XIXe siècle, Léon Collinet jr et Edouard de Meeus sont ainsi commissaire à 27 et 25 ans. Le premier devient administra- teur à 30 ans, le second à 33 ans. Jules Demonceau est adminis- trateur de la Banque Liégeoise à moins de 30 ans. Les ingénieurs sont généralement placés par l’entremise d’un coup de pouce paternel. Les avocats bénéficient des plus brillants maîtres de stage. Nous reviendrons sur ces aspects plus en détails. Signalons néanmoins que l’âge moyen des hommes au mariage est un signe supplémentaire du caractère favorisé des milieux étu- diés. A 30 ans, 69,8 % des banquiers sont mariés en Belgique. En France, à l’exception de l’étude de Tudesq sur les grands nota- bles du milieu du siècle nés après 1790, ce chiffre varie selon les professions et les époques entre 47,5 % et 64,2 %.

Exogamie et alliances Quelles sont les stratégies d’alliances sur le plan géographique ? Nous n’avons de renseignements précis sur les lieux de naissance conjoints des deux époux que pour un peu moins de la moitié de l’échantillon. N’ayant pu opérer, dans le cadre forcément limité 84 www.academieroyale.be

Héritage familial et transmissions de cette étude, des recherches systématiques dans les archives d’état civil, je me suis contenté de vérifier les données maritales apparaissant dans les monographies, les biographies, les docu- ments professionnels, les archives privées, les dictionnaires bio- graphiques et les arbres généalogiques. Les statistiques suivantes doivent donc être interprétées avec précaution. Par l’aspect aléa- toire de leur constitution, elles permettent néanmoins de dessiner certaines tendances. Parmi les individus nés avant 1850 en Belgi- que pour lesquels nous disposons des informations (soit un total de 62 cas connus), 80 % des futurs époux sont nés dans la même ville. Dans les générations nées après 1850 (soit un total de 94 cas connus), ils ne sont plus que 61 % des banquiers à s’allier à une famille de la même localité. Les alliances matrimoniales contractées par les banquiers avant 1850 dans une autre ville que celle de leur naissance (12 cas sur 62) procèdent souvent du désir de renforcer les liens avec la nouvelle localité de résidence suite à un déplacement profession- nel. Ces déplacements peuvent être au moins de trois ordres : changement du siège central de l’activité industrielle du père, changement d’affectation des hauts fonctionnaires et hauts digni- taires de l’État, volonté des milieux de robe de s’implanter dans une autre localité. Par ailleurs, certaines grandes familles industrielles déploient déjà de vastes stratégies matrimoniales qui dépassent l’espace local et se répètent sur plusieurs générations. Les relations de la famille bruxelloise Meeus avec la région lié- geoise date de la génération de Ferdinand de Meeus (1798-1861). Sa sœur Henriette épouse un juriste, haut-fonctionnaire et homme politique originaire de la région liégeoise mais actif dans la capi- tale. Ce mariage est le début d’une implantation solide dans le pays de Liège qui se renforcera par les deux générations sui- vantes : les Meeus-Macar s’associeront aux Potesta, eux mêmes apparentés aux Laminne, et aux Braconier. Henri de Meeus, le fils de Ferdinand, fait partie des fondateurs du Crédit Général à Liège, ville où il s’est installé suite à son mariage en 1855 avec Amélie de Potesta. Un autre réseau familial précoce et étendu est l’œuvre du pre- mier président de la deuxième grande banque bruxelloise, Char- les De Brouckère (1796-1860). Son père était juriste, haut fonc- tionnaire et homme politique d’abord en poste à Bruges, puis à Bruxelles, avant d’être envoyé en résidence à Maastricht en tant que gouverneur du Limbourg. C’est dans la haute société de cette ville que Charles De Brouckère contracte une alliance en 1819 avec Marie Visschers, la fille d’un riche banquier de la 85 www.academieroyale.be

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place. Le cousin de sa femme n’est autre qu’un futur collègue à la Banque de Belgique, Charles Visschers, secrétaire de l’établis- sement à sa fondation, puis son agent à Liège. Les familles de banquiers Visschers de Maastricht et Dubois de Liège sont asso- ciées depuis la génération antérieure 106. Charles Visschers aban- donnera d’ailleurs son mandat d’administrateur à la Banque de Belgique au milieu du siècle pour reprendre les affaires familiales à la mort de son beau-père, Charles Dubois. Le pont jeté entre les places financières de Bruxelles et de Liège est renforcé par le mariage de la fille De Brouckère avec Jules Nagelmackers, le fils du grand banquier Gérard-Théodore Nagelmackers, co-fonda- teur de la Banque Liégeoise. Peu fréquents avant 1850, les mariages exogames commencent à se succéder à partir du milieu du siècle : on en recense excep- tionnellement 7 dans le courant des années 1850, puis 12 entre 1860 et 1889, 20 entre 1890 et 1919. C’est donc la génération née entre 1860 et 1890 qui sera la plus touchée par le phénomène. À partir de cette époque, la plupart des mariages exogames s’inscri- vent dans le développement de véritables lignées familiales atta- chées au monde bancaire et composées des noms les plus illustres des principales places financières et industrielles du pays. Comme nous allons le voir plus en détails, les Peltzer de Verviers réunissent par exemple les intérêts de familles locales comme les Zurstrassen, Hauzeur, Davignon, avec ceux des Orts et des Graux de Bruxelles, des Orban de Liège, des Lippens de Gand. Par le mariage de ses deux filles vers 1880, Albert Puissant (de Merbes-le-Château) s’allie d’un côté à la famille Deswert-Ans- pach de Bruxelles (Banque de Bruxelles, Banque Nationale), d’un autre à Jules Descamps de Liège (Crédit Général Liégeois puis Banque de Bruxelles). Les relations d’affaires continuent par ailleurs à se voir conso- lider par des alliances matrimoniales locales, à l’image des unions qui balisent l’histoire de la Banque Centrale Anversoise. Fondée en 1871, elle scellera les alliances entre quatre lignées de la métropole. En deux décennies, la collaboration profes- sionnelle se mue en interdépendances familiales. Ainsi, deux ans après la fondation de l’établissement, Eugène Kreglinger, le frère d’un des fondateurs (Herman), épouse Marie Grisar, la fille

106 La mère de Charles Visschers est en effet Jeanne Thérèse Catherine Dubois, et lui-même se marie en 1826 avec Charlotte Dubois (voir les schémas généalogi- ques en annexe de ma thèse). S. Tilman, Portrait collectif de grands banquiers belges Bruxelles – Liège – Anvers (1830-1935), Contribution à une histoire des élites, thèse de doctorat en Philosophie et Lettres, ULB, 2003-2004, volume 2. 86 www.academieroyale.be

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d’un autre fondateur, Félix Grisar. En 1889, le neveu de Félix, Emile Grisar, épouse Alice Delvaux, la fille de Frédéric Delvaux, lui aussi administrateur-fondateur. Ce dernier s’est entre-temps remarié en 1886 avec une Pecher, ce qui consolide ses liens avec la famille Grisar et le rapprochera de la famille De Roubaix, elle aussi associée à l’histoire de la Banque Centrale 107. Ces lignées locales commencent ensuite à croiser des dynasties extérieures. En 1889, le clan Grisar-Kreglinger-Delvaux-Van den Nest (Banque Centrale Anversoise, Banque d’Anvers, puis plus tard Banque Internationale de Bruxelles et Banque Générale Belge) se lie à la famille Mesdach de ter Kiele par le mariage entre Louise Grisar et le bruxellois Albert Mesdach de ter Kiele. Par cette alliance, le trait d’union est opéré entre la lignée anversoise et le conglomérat familial Mesdach-Barbanson-Tesch-Gréban-van Nuffel-Greindl (Société Générale, Caisse Générale de Reports et de Dépôts et bientôt Banque de Bruxelles). Parfois, les alliances précèdent les collaborations bancaires. Léon Collinet Jr (Liège) se marie avec Juliette Plissart (Tongres) une année avant que son beau-père, Jules Plissart, ne devienne administrateur-fondateur du Crédit Anversois – 1898 –, créé avec l’appui du Crédit Général Liégeois dont Léon Collinet père est un des patrons. L’observation vaut aussi au niveau local. L’ami- tié entre les familles liégeoises Vapart et Dallemagne précède la fondation du Crédit Général Liégeois : Léopold Vapart sera administrateur de la banque, suivi par le frère de son gendre, Jules Dallemagne. Le cas classique reste toutefois la mise à contribution du gendre aux côtés ou à la succession du beau-père. Deux des sept filles d’Alban Poulet, le fondateur du Crédit Géné- ral Liégeois, épousent les frères Castermans, tous deux ingénieurs de formation. L’aîné d’entre eux, Léon, suivra les traces de son beau-père : il devient directeur de la Caisse Commerciale de Bruxelles à moins de trente ans, puis administrateur du Crédit Anversois à 38 ans lors de sa création. Les alliances entre familles aux origines géographiques dis- tinctes présentent la caractéristique de se pratiquer essentielle- ment dans les lignées les plus en vue. En outre, les trois quarts de

107 Voir les schémas généalogiques en annexe de ma thèse. S. Tilman, Portrait collectif de grands banquiers belges Bruxelles – Liège – Anvers (1830-1935), Contribution à une histoire des élites, thèse de doctorat en Philosophie et Lettres, ULB, 2003-2004, volume 2. 87 www.academieroyale.be

Les grands banquiers belges (1830-1935) ces alliances contractées après 1880 s’effectuent entre Bruxelles et la province. Avant cette date, les échanges sont moins centralisés vers la capitale (un peu moins de la moitié des mariages exo­ games avant 1880 implique un Bruxellois). Généralement, un ou plusieurs membres des lignées concernées par les mariages exo­ games exercent un mandat politique ou une profession qui les conduit à résider dans la capitale. Habituellement, les alliances matrimoniales scellent – parfois sur plusieurs générations – une collaboration professionnelle antérieure entre des partenaires.

Les lignées de banquiers

À la différence des banques familiales dont le principe de trans- mission repose sur l’idée même de transferts privés, on aurait pu penser qu’avec l’évolution des formes anonymes d’association s’esquisserait un mode d’accès plus ouvert à la sphère financière. Or, le principe de transmission familiale et le système de repro- duction des carrières sont fortement ancrés dans les mentalités dirigeantes du XIXe siècle. La transmission d’un héritage politi- que de père en fils est ainsi monnaie courante, tant au niveau local que national. Comme nous le verrons, les postes de respon- sabilité dans les champs culturels, philanthropiques et plus tard dans l’espace des loisirs, se transmettent également d’une généra- tion à la suivante avec l’assentiment collectif. Les prénoms de famille, qui se répètent de génération en génération dans un ordre changeant, prémunissent les vieilles lignées bourgeoises contre le temps qui passe et renforcent les solidarités dynastiques dans la durée 108. Cette notion de transmission est tellement ancrée dans l’habitus des couches dirigeantes que vouloir la transgresser équi- vaut bien souvent à mettre en péril son statut propre et celui de la lignée tout entière. Si la transmission par primogéniture est une règle d’airain dans les champs socioprofessionnels, les contraintes de la réalité commandent généralement une dispersion du patrimoine capita- lisé entre les héritiers. Chaque descendant emmagasine alors une partie du patrimoine familial, le reproduit à l’identique ou le fait évoluer. Libre aux héritiers de reconstituer en leur nom propre l’ensemble du patrimoine. Libre également à eux de convertir un capital en un autre. Préparés dès la plus tendre enfance à devenir

108 M. Pinçon, M. Pinçon-Charlot, Les Rothschild, Une famille bien ordonnée, Paris, 1998, p. 25. 88 www.academieroyale.be

Héritage familial et transmissions un digne représentant du patrimoine familial, les héritiers bénéfi- cient néanmoins d’une marge de liberté tant dans la reconversion patrimoniale que dans la gestion de l’imprévu. Pour l’une ou l’autre raison, un puîné peut ainsi prendre la place d’un aîné, ou un cadet s’avérer être l’homme providentiel tant attendu. L’habi- tus n’est pas à ce point rigide qu’il priverait les classes dirigeantes d’optimiser leurs chances de réussite. Dans le domaine économique, la primogéniture semble préva- loir sur les autres modes de transmission. C’est ce qui transparaît à la lecture des systèmes de passation des principales lignées associées au monde bancaire belge. Ces lignées peuvent se consti- tuer par transmission directe ou transmission indirecte. Je ne retiendrai ici, comme mode de transmission directe, que les liens de père à fils ou de beau-père à gendre lorsque les deux généra- tions possèdent un mandat dans une des grandes banques par actions sélectionnées pour cette étude. Les transmissions indirec- tes englobent tous les autres types de liens familiaux, plus com- plexes à analyser dans une perspective de transmission. Des lignées peuvent ainsi naître de liens d’oncle à neveu, de grand- père à petit-fils, entre cousins ou beaux-frères.

Les lignées directes À l’intérieur des lignées constituées par voie directe, 65 % des mandats bancaires se transmettent de père en fils. 35 % des trans- missions transitent par le gendre. Cette proportion est à peu près stable à travers toute la période 109. Pour mieux comprendre comment opère la transmission dans ces lignées qui se déploient sur deux générations au minimum, il s’agit de répertorier l’ordre de naissance des héritiers et de le confronter à la tendance générationnelle. Dans l’analyse, je dis- tinguerai d’une part les héritiers issus du mode de transmission par ordre de primogéniture : il s’agit soit du premier fils du ban- quier – même lorsque plusieurs filles le devancent dans l’ordre de naissance – soit du premier gendre, à condition qu’aucun fils ne le précède dans la hiérarchie familiale. D’autre part, je rassem- blerai tous les cas où l’héritier n’est ni l’aîné, ni le premier gendre. Le fondateur d’une lignée est, pour sa part, le premier indi- vidu de la famille ayant accès à un mandat bancaire dans une

109 Si l’on prend en compte les banquiers nés après 1870 et actifs durant l’entre- deux-guerres, le rapport est de 63 %-37 %. 89 www.academieroyale.be

Les grands banquiers belges (1830-1935) société anonyme. Il est suivi au minimum par un héritier (par transmission directe) également mandaté par un établissement bancaire, mais il peut générer des lignées s’échelonnant jusqu’à quatre générations. Parmi les fondateurs de lignée, on compte 63 % d’individus respectant l’ordre de primogéniture : ils sont, dans une proportion de deux tiers, fils aînés de leur dynastie familiale. Ils sont encore 62 % à la deuxième génération à être le premier fils ou le premier gendre de la fratrie et 60 % à la troi- sième. Malgré le caractère viager du mandat bancaire, la trans- mission continue donc à se faire selon les anciens modèles d’hé- rédité inspirés des systèmes économiques reposant sur la propriété familiale. Des contre-exemples existent néanmoins, en marge de cette tendance majoritaire. Le baron Alfred Ancion, qui sera président du Crédit Général Liégeois entre 1914 et 1923, ne fait pas appel à ses fils aînés pour le seconder à la banque, mais à son gendre Pierre David, qui a épousé sa fille cadette. Ce dernier entre dans le conseil d’ad- ministration à la suite du décès de son beau-père en novembre 1923. Notons d’ailleurs que la famille David n’est pas étran- gère au Crédit Général Liégeois. Elle est liée, entre autres, à la famille Braconier qui est une de celles qui a le plus investi dans la banque.

Une lignée prend parfois naissance au début du XIXe siècle. C’est le cas par exemple des Meeus qui sont administrateurs de banque de père en fils pendant trois générations depuis le gouver- neur de la Société Générale Ferdinand.

Mais des lignées plus récentes datent du dernier tiers du XIXe siècle. Un bel exemple de lignée à plusieurs branches voit le jour au tournant du siècle avec le financier Albert Thys, célèbre admi- nistrateur de sociétés coloniales, ainsi que deux de ses gendres (Henri Le Bœuf et Gaston Périer) et un de ses fils (William Thys) qui se lanceront également dans la carrière bancaire.

À l’origine d’une lignée, on retrouve un homme généralement brillant et performant dans son costume de financier. Il vient du monde du négoce, du milieu industriel ou d’une famille de robes. Ses ancêtres, à la fin du XVIIIe siècle, gravitent généralement dans l’industrie et le négoce (46 %), le monde bancaire (16 %), le milieu de robe (11 %), avec toutefois quelques exceptions. 90 www.academieroyale.be

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Tableau 21. – Identification des fondateurs de lignées (par transmission directe)

Activité professionnelle Nom du fondateur par ordre Activité professionnelle de l’ancêtre du fondateur ­chronologique de naissance du fondateur à la fin du XVIIIe

J.-Bap. Van Volxem (1760-1850) avocat-brasseur commerce Claude Gréban de Saint-Germain industriel-publiciste industrie (1775-1850) Gérard Nagelmackers (1777-1859) banquier banque Frédéric Brugmann (1779-1852) fabricant-négociant-banquier greffier-notaire-pasteur François de Munck (1780-1856) négociant-fabricant négoce-industrie François Anspach (1784-1858) négociant-banquier pasteur J.-Henri Demonceau (1791-1856) négociant-banquier négoce Adolphe Oppenheim (1793-1870) banquier-négociant négoce Gérard Le Grelle (1793-1871) banquier banque Louis Deswert (1795-1864) banquier banque Charles De Brouckère (1796-1860) industriel-homme politique diplomate-notabilité J.-Pierre Barbanson (1797-1883) avocat robe Ferdinand de Meeus (1798-1861) administrateur-banquier négoce-propriétaire Ferdinand Drugman (1804-1868) avocat robe Jules Delloye (1813-1897) banquier banque Jean Van der Straeten (1822-1882) fonctionnaire-administrateur industrie Léon Orban (1822-1905) industriel industrie Adolphe de Laminne (1825-1908) industriel industrie Jules Urban (1826-1901) ingénieur industrie Frédéric Braconier (1826-1912) industriel industrie Edouard Despret (1833-1906) ingénieur-administrateur industrie Frédéric Delvaux (1834-1916) avocat robe Adolphe Laloux (1834-1919) fabriquant d’armes industrie Isaac Stern (1835-1895) banquier banque Alban Poulet (1835-1893) ingénieur inconnu Frédéric-L.-J. Jacobs (1836-1914) banquier-agent de change inconnu Ferdinand Baeyens (1837-1914) administrateur-banquier inconnu Gustave de Lhoneux (1839-1901) banquier banque Alfred Ancion (1839-1923) fabriquant d’armes industrie Alfred Magis (1840-1921) avocat-administrateur de sociétés négoce Armand Dresse (1841-1912) fabriquant d’armes industrie Léon Collinet (1842-1908) avocat robe Hippolyte Lippens (1847-1906) avocat-homme politique propriétaire Albert Thys (1849-1915) administrateur officier-médecin Léon Lambert (1851-1919) banquier banque Edouard Bunge (1851-1927) négociant négoce Armand Solvay (1865-1930) industriel négoce-industrie

D’autres lignées de banquiers privés existent par ailleurs, et il n’est pas rare qu’elles s’insèrent, par l’un de ses représentants, dans l’évolution des établissements constitués sous forme de sociétés anonymes. Les Bischoffsheim, Wiener, Fabri, Kreglin- ger, pour ne citer que quelques grandes familles, sont des lignées 91 www.academieroyale.be

Les grands banquiers belges (1830-1935) qui ont joué un rôle considérable dans la vie financière du pays mais que je n’ai pas mentionnées jusqu’ici parce qu’elles n’ont pas compté plusieurs représentants en ligne directe dans les gran- des banques par actions. Léopold Wiener fait par exemple partie des administrateurs-fondateurs de la Banque de Bruxelles. Mais ce sont deux de ses neveux, Sam et Edouard qui prendront sa relève dans le monde bancaire 110. L’existence d’une transmission, dans le cas de la famille Wiener, est évidente, malgré le lien oncle- neveu qui classerait le cas dans les lignées par voie indirecte.

Les lignées indirectes À travers cet exemple, on perçoit la nécessité d’élargir le champ d’analyse à l’ensemble des lignées, par transmission directe et indirecte. Ainsi, certaines familles servent de trait d’union entre plusieurs lignées et, à ce titre, occupent une place déterminante dans l’histoire économique du pays. Le cas de figure le plus mar- quant concerne la descendance d’Auguste Peltzer. Marié dans un premier temps à Lucie Bacot, Auguste Peltzer réussit, par les alliances des enfants de ce premier lit, à se rappro- cher des familles Graux (Bruxelles), de Rossius d’Humain (Liège) et Hauzeur (Verviers). Après un second mariage avec Hélène Gay, il renforce son assise dans le milieu libéral bruxellois en s’alliant aux Orts et une seconde fois aux Graux. Ce cas d’école exceptionnel, mis en œuvre dans le dernier quart du XIXe siècle, opère une fusion de lignées partageant des intérêts dans quatre grands groupes bancaires : le Crédit Général Liégeois (de Rossius d’Humain), la Banque d’Outremer (Georges Peltzer), la Banque de Bruxelles (Gay, Orts et Despret) et, pour un temps, la Société Générale (Edouard Despret). Il y a fort à parier que ces relations familiales entre futurs dirigeants bancaires ne sont pas restées sans conséquence sur l’évolution du secteur durant l’entre-deux- guerres. Maurice Despret passe ainsi à la Banque de Bruxelles malgré les antécédents paternels associés à la Société Générale ; le Crédit Général Liégeois se rapproche de la banque bruxelloise, où œuvrera également Pierre Orts à partir du début des années 1920. En matière d’alliances matrimoniales, ce dernier frappera d’ailleurs aussi fort que son beau-père puisque ses gendres et brus se prénommeront Magdeleine Janssen, Walter-Jean Ganshof van der Meersch (ce qui le rapproche du groupe Solvay), Jacqueline Zurstrassen, Marguerite Anspach et Georges Bauer.

110 Leur père, Jacques Wiener, frère aîné de Léopold Wiener, avait contribué à la création de la Banque de Bruxelles aux côtés de son frère. 92 www.academieroyale.be

Héritage familial et transmissions

L’exemple Peltzer est d’autant plus édifiant qu’en une famille se regroupent des lignées de trois localités différentes : Verviers- Ensival, Liège et Bruxelles. Ce regroupement est symptomatique du rôle que la politique nationale a pu jouer dans la fusion des élites en marche dans la seconde moitié du XIXe siècle. Ici, c’est le milieu libéral bruxellois qui a opéré la synthèse. Les parents sont tous des figures connues du libéralisme : Fernand de Rossius d’Humain est président de l’Union Libérale de Liège et siège à la Chambre entre 1866 et 1882. Auguste Pelt- zer est député libéral pour Verviers entre 1874 et 1892, puis fait un bref passage au Sénat avant de décéder. Charles Graux est député libéral de Bruxelles et ministre des Finances entre 1878 et 1884 111. Louis Orts appartient à une lignée de grandes figures de l’opinion libérale bruxelloise 112. La lignée Peltzer est l’exemple le plus extrême du phénomène de fusion engendré par les réseaux politiques nationaux et concrétisée dans une capitale de plus en plus centrale. D’autres cas assez spectaculaires de fusion apparaissent à la même époque, comme la famille Puissant-Anspach. Dans ce cas comme dans d’autres, c’est la conjonction d’intérêts économi- ques et d’affinités politiques qui sont à la base de cette fusion des lignées. Soulignons en effet que la famille Puissant ne rechigne pas à faire le grand écart entre le libéralisme très marqué de la famille Anspach, et le catholicisme politique des de Lantsheere 113 qui deviennent leur parent à travers les alliances des sœurs Baeyens. Lorsque, comme dans les cas Peltzer ou Puissant, les solidari- tés agissent non pas de manière verticale mais horizontale, on ne peut plus parler de lignée à proprement parlée, mais de généra- tions solidaires. Ce phénomène de solidarité qui dépasse les lignées en voie directe et dont on peut difficilement mesurer les retombées – sauf à privilégier des études ciblées au cas pas cas – est un élément parmi d’autres pouvant expliquer les mouvements de fusion bancaire après la Grande Guerre. Tandis que la Société

111 Son fils Lucien Graux, beau-frère de Maurice Despret et Auguste Peltzer fils, jouera un rôle en vue dans l’économie de l’entre-deux-guerres. Il préside le Comité Central Industriel de 1936 à 1941. N. Lubelski-Bernard, « Graux, Charles, Alexandre, Louis », in Nouvelle biographie nationale, t. 1, Bruxelles, 1988, p. 112. 112 Louis Orts est député libéral pour Bruxelles entre 1841 et 1848. Il est remplacé par son fils Auguste Orts, député de 1848 à 1880 sans interruption. 113 Théophile de Lantsheere est député catholique entre 1872 et 1900, puis séna- teur jusqu’en 1905. Il est ministre de la justice entre 1871 et 1878. 93 www.academieroyale.be

Les grands banquiers belges (1830-1935)

Générale renouvelle son personnel dirigeant durant l’entre-deux- guerres, la Banque de Bruxelles multiplie les recrues d’héritiers dont les réseaux horizontaux sont particulièrement étoffés. Ce n’est sans doute pas un hasard si la Banque de Bruxelles enregis- tre coup sur coup l’arrivée de trois héritiers de lignées prestigieu- ses dans les années 1910 : Maurice Despret d’abord, puis Gaston Barbanson et William Thys, qui fuient tous trois le giron de la Société Générale. Ces trois personnalités resteront en activité jusque dans le courant des années 30 et joueront un rôle en vue dans les politiques d’absorption mises en œuvre par l’établisse- ment bruxellois.

La descendance des banquiers Combien d’enfants ont les familles de banquiers ? Comme pour les statistiques précédentes, un mot doit être dit des limites de l’échantillon utilisé pour calculer le nombre moyen d’enfants des banquiers. Les proportions ont été établies sur base d’un groupe de 121 individus extraits de l’échantillon complet, dont la descen- dance nous est connue. Les contraintes de la documentation nous ont obligé à restreindre le nombre d’individus pour préve- nir tout risque d’approximation. Les informations concernant la descendance nous sont en effet connues avec précisions pour la couche supérieure des notables, qui ont bénéficié de biographies plus ou moins officielles, soigneusement documentées. Elles le sont aussi pour les banquiers qui ont laissé derrière eux des archi- ves familiales abondantes dont nous sommes parvenus à retrou- ver la trace. Ainsi, s’il existe probablement un léger biais dû à une sur-représentation des couches les plus aisées, mieux expo- sées à la mémoire collective, les familles en phase de mobilité sont également représentées dans le groupe retenu. Par ailleurs, toutes les périodes sont proportionnellement représentées. Les tendances esquissées dans le tableau qui suit reflètent donc assez fidèlement la réalité. Dans son étude, Charle souligne une corrélation entre l’âge au mariage et l’importance de la descendance. Le raisonnement est assez logique : les individus les plus féconds sont ceux qui sortent du célibat le plus tôt. Cette corrélation a également dû jouer un rôle dans notre échantillon et, de manière positive, sur la durée puisque l’âge au mariage diminue sensiblement entre le premier et le second XIXe siècle, tandis que le malthusianisme, observé par exemple dans les milieux d’affaires français, se ressent à peine 94 www.academieroyale.be

Héritage familial et transmissions

Tableau 22. – Répartition des banquiers par nombre d’enfants, selon la période de naissance (en %)

0 1 2 3 4 > 4 Avant 1850 5,2 % 8,6 % 18,9 % 10,3 % 20,7 % 36,3 % Après 1850 7,9 % 4,8 % 11,1 % 27 % 15,9 % 33,3 % Ensemble 6,6 % 6,6 % 14,9 % 19 % 18,2 % 34,7 %

Tableau 23. – Répartition par nombre d’enfants d’autres catégories de nota- bles belges et français au XIXe siècle (en %)

0 1 2 3 4 > 4 Hommes d’affaires français nés après 1790* 10,2 % 20,5 % 25,6 % 10,2 % 33,3 % Négociants parisiens au XIXe siècle** 4,9 % 16,7 % 33,3 % 29,4 % 15,7 % Actionnaires de la Banque de France au XIXe siècle.*** 23 % 23 % 23 % 23 % 4 % 4 % Hommes d’affaires français (1901)**** 9 % 9,6 % 23 % 21,9 % 17,6 % 18,7 % Nobles belges au XIXe siècle ***** 17 % 11,5 % 15,2 % 16,2 % 13,1 % 27 % Sources: * A. J. Tudesq, Les Grands Notables en France (1840-1849) Étude historique d’une psychologie sociale, Paris 1964. ** A. Daumard, La Bourgeoisie parisienne de 1815 à 1848, Paris 1963. *** A. Plessis, La Banque de France et ses 200 actionnaires sous le Second Empire, Genève 1982. A. Plessis, Régents et Gouverneurs de la Banque de France sous le Second Empire, Genève 1985. **** C. Charle, Les Élites de la République 1880-1900, Paris 1987. ***** P. Janssens, L’évolution de la noblesse belge depuis la fin du Moyen-Âge, Crédit Communal, no 93, Bruxelles, 1998.

Tableau 24. – Nombre moyen d’enfants des banquiers, selon la période de naissance

Avant 1850 Après 1850 Ensemble

4,01 3,82 3,91

dans notre échantillon. La diminution du nombre d’enfants mise en exergue chez les élites françaises correspond en réalité à une évolution démographique généralisée dans ce pays. D’après les chiffres avancés dans l’étude de Charle, 27,7 % des notables nés avant 1790 ont plus de 4 enfants. Ce chiffre tombe à 23 % au début du XIXe siècle et à 18,7 % chez les hommes d’affaires en

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Les grands banquiers belges (1830-1935)

1901. Dans notre échantillon, la proportion de banquiers ayant plus de 4 enfants passe de 36,3 % pour les générations nées avant 1850, à 33,3 % pour celles voyant le jour entre 1850 et 1900. Le nombre moyen d’enfants reste proche de 4 durant toute la période. D’après les données de Charle, ce nombre moyen se situe entre 3 et 3,5 dans les milieux d’affaires français à la fin du XIXe siècle. La corrélation entre la religion du banquier et l’importance de sa descendance ne peut être établie de manière statistique étant donné d’une part, la petite taille de l’effectif pour lequel le nombre d’enfants est connu et d’autre part, la relativement grande homo- généité religieuse en Belgique ainsi que la faible part des minori- tés dans le paysage idéologique. Les élites belges restent en effet, dans leur majorité, traditionnellement fidèles à la doctrine catho- lique. Comme les chiffres ci-dessous le suggèrent, l’athéisme n’a pas encore trouvé son chemin parmi les milieux d’affaires nés dans le courant du XIXe siècle. Au pôle opposé, le groupe des banquiers qui se distingueraient par des pratiques religieuses par- ticulièrement ferventes, est difficile à cerner. Classer les banquiers catholiques selon l’intensité de leur croyance religieuse irait à l’encontre de la distance critique nécessaire à la mise en forme statistique. En effet, au vu de la diversité des sources sur le sujet, une tentative de classification risquerait de traduire en chiffres une interprétation des sources biaisée par les subjectivités de l’observateur ainsi que du chercheur. Voici les proportions des convictions déclarées par les ban- quier de l’échantillon restreint.

Tableau 25. – Convictions religieuses des banquiers (en %)

Protestants 5 % Juifs 6 % Libres-penseurs/athées 5 % Catholiques 58 % Convictions inconnues 26 %

Un fait semble certain : 58 % des individus de l’échantillon se déclarent catholiques. Parmi eux, une bonne partie effectuait régulièrement ses devoirs religieux en famille. Entre le groupe majoritaire des catholiques pratiquants et celui nettement mino- ritaire des athées proclamés trouve place près d’un quart de l’ef- fectif total dont on ne connaît pas les convictions religieuses, 96 www.academieroyale.be

Héritage familial et transmissions mais qui vraisemblablement n’appartient pas aux deux minorités religieuses (protestante et israélite) dont les élites nous sont connues grâce à quelques études spécifiques 114. Je reviendrai sur les caractéristiques de ces minorités dans le Chapitre 5. Il est probable que l’influence déclinante mais ininterrompue du catholicisme sur les milieux d’affaires belges ait en partie contré le repli démographique observé auprès d’autres élites d’Europe. Un détail confirme cette hypothèse : 77 % des ban- quiers pères de six enfants ou plus se déclarent catholiques. Chez les Duquenne, Terlinden, Poncelet, tous nés après 1850, on compte même plus de 8 enfants par famille. Le seul contre- exemple connu à cette tendance générale sont les 10 enfants du libéral progressiste et libre-penseur Alban Poulet, né dans la pre- mière moitié du siècle. Notons que si le nombre des naissances reste quasi-stable entre 1835 et 1935, c’est surtout en raison de la persistance des familles très nombreuses. 40 % des banquiers à l’origine de familles de plus de 6 enfants et 50 % de plus de 8 enfants, sont nés après 1850. Dans le calcul de la moyenne, ces proportions élevées compensent l’augmentation des familles ne comptabilisant que trois enfants au maximum 115. Un autre facteur essentiel pourrait éclairer la stabilité du nombre moyen d’enfants des banquiers. Dans le milieu à l’étude, le patrimoine familial est tel qu’il supporte, avec moins de ris- ques que dans d’autres milieux situés plus bas dans l’échelle éco- nomique, une division entre de nombreux héritiers. Comme le souligne Charle à propos de l’exemple français, les facilités d’in- termariages sont plus élevées dans les milieux d’affaires, ce qui explique que ces derniers sont moins touchés par le malthusia- nisme 116. Par contre, nos résultats semblent démentir partiellement une autre observation issue de l’exemple français. En Belgique, le patronat bancaire ne semble pas avoir changé nettement de stra- tégie de reproduction à mesure qu’il s’est converti au capitalisme anonyme. S’il est vrai que le développement des sociétés par actions a nécessité, comme en France, une adaptation stratégi- que de l’élite dont le contrôle économique ne dépendait plus sim-

114 Voir surtout J.-P. Schreiber, Immigration et intégration des juifs en Belgique (1830-1914), 3 tomes, doctorat en philosophie et lettres, ULB, Bruxelles, 1993. H. R. Boudin, Bibliographie du protestantisme belge 1781-1996, Bruxelles, 1999. 115 La proportion passe de 43 % avant 1850 à 50,8 % après 1850. 116 C. Charle, Les Élites de la République 1880-1900, Paris, 1987, p. 321. 97 www.academieroyale.be

Les grands banquiers belges (1830-1935) plement de l’essaimage familial mais également d’une transmis- sion croissante d’atouts culturels et techniques, le cadre de cette transmission, à savoir la composition de la famille, évolue peu en Belgique. À la lecture des chiffres, on peut supposer que les ban- quiers belges ne craignaient pas d’hypothéquer les nouveaux modes de transmission en maintenant un taux de reproduction élevé. Par ailleurs, aux formes nouvelles du contrôle économique restent greffées des formes plus anciennes encore en vigueur durant l’entre-deux-guerres. Nombreux sont en effet les ban- quiers belges qui cumulent la gestion d’entreprises familiales avec l’administration de sociétés anonymes.

La transmission aux enfants La réussite du banquier, son accession aux plus hautes sphères de pouvoir se répercutent-elles sur les choix de carrière opérés par la génération qui lui succède ? Avec toutes les précautions déjà signalées relatives à la taille de l’effectif (121 banquiers dont la descendance est connue), il s’agit de souligner à présent quel- ques tendances saillantes repérées dans la répartition sociopro- fessionnelle des fils et des gendres des banquiers. Un mot d’abord sur les biais de l’échantillon. Pour un sixième des fils de l’effectif retenu, les activités professionnelles ne nous sont pas connues. Une analyse qualitative en profondeur des bio- graphies individuelles permet de penser que ce groupe ne modi- fierait pas profondément les tendances dessinées ici. La propor- tion de cas douteux est nettement plus importante pour les gendres, puisque près d’un quart d’entre eux sont à classer dans la rubrique des activités professionnelles inconnues. Dans leur cas, l’analyse qualitative nous impose de rester prudents. Sans doute connaissons-nous mieux les trajectoires des gendres qui se sont lancés dans les affaires, dans la lignée du schéma familial dominant. Les gendres propriétaires ou actifs dans les catégories dominantes d’Ancien Régime sont ceux pour lesquels les infor- mations sont les plus lacunaires, par la nature même des activités prestées qui laissent moins de traces dans les répertoires consul- tés. Ainsi, les proportions des propriétaires, officiers, diplomates et autres fonctionnaires sont probablement légèrement sous-éva- luées ici par rapport à la réalité. Deux tiers des fils des banquiers deviennent hommes d’affai- res. Or, rappelons-le, les banquiers sont fils d’hommes d’affaire dans la même proportion. À travers le siècle étudié, on décèle 98 www.academieroyale.be

Héritage familial et transmissions

Tableau 26. – Classification des activités professionnelles des fils des ban- quiers, selon la période de naissance des banquiers (en %)

Entre 1830 Avant 1830 Après 1870 Ensemble et 1870 Affaires 61 % 66 % 70 % 65% Robe (hors milieux d’affaires) 17 % 13 % 8 % 13% Officier 6 % 3 % 8 % 5% Politicien, fonctionnaire, diplomate 8 % 4 % 2 % 4% Propriétaire 0 % 4 % 2 % 3% Autres 8 % 10 % 10 % 10% Total Activités connues (= 100 %) 55 127 74 256 Activités inconnues 14 20 8 42

Tableau 27. – Classification des activités professionnelles des gendres des banquiers, selon la période de naissance des banquiers (en %)

Entre 1830 Avant 1830 Après 1870 Ensemble et 1870 Affaires 50 % 66 % 54 % 58% Robe (hors milieux d’affaires) 13 % 9 % 20 % 13% Officier 17 % 9 % 6 % 10% Politicien, fonctionnaire, diplomate 7 % 9 % 3 % 7% Propriétaire 10 % 4 % 11 % 8% Autres 3 % 3 % 6 % 4% Total Activités connues (= 100 %) 46 105 64 215 Activités inconnues 12 28 18 58 une légère augmentation du nombre de fils de banquiers se lan- çant dans les affaires – passant de 61 à 70 % – tandis que ceux exerçant les métiers juridiques (hors milieux d’affaires) diminuent assez nettement. En réalité, cette évolution chiffrée traduit la ten- dance de plus en plus marquée, auprès des fils de banquier, de concilier une charge d’avocat avec des fonctions de gestion et d’administrateur de sociétés. Un autre trait marquant concerne les familles catholiques pra- tiquantes. Il est d’usage à travers l’ensemble du siècle passé en revue, dans ces dynasties aux effectifs souvent nombreux, de sus- citer plusieurs vocations féminines, mais aussi masculines. Ainsi, un voire plusieurs héritiers masculins s’engagent dans les ordres ou se destinent à la prêtrise. Certains notables font d’ailleurs car- rière dans l’Église et en deviennent des membres très influents en

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Les grands banquiers belges (1830-1935) atteignant les sommets de la hiérarchie. Parmi les carrières qui ne sont pas consacrées aux métiers d’affaires, les fonctions ecclésias- tiques arrivent en deuxième position, juste après le métier d’avo- cat. Durant l’entre-deux-guerres, elles sont même la voie la plus choisie par les fils des banquiers qui ne sont pas dans les ­affaires. Au point de vue des générations de l’échantillon, le phéno- mène le plus caractéristique concerne les banquiers nés entre 1830 et 1870 et actifs à la fin du « long » XIXe siècle (1880-1914). Les activités de leurs gendres, combinées à celles de leurs fils ten- dent à démontrer que cette génération intermédiaire de banquiers est celle qui a le plus œuvré pour perpétuer la réussite familiale et ancrer la lignée dans les affaires. À peine plus de 10 % des fils des banquiers deviennent à cette époque officiers, propriétaires ou s’engagent au service de l’État. Seules les carrières juridiques et ecclésiastiques récoltent un certain succès. Dans cette généra- tion, 2 fils de banquiers sur 3 sont eux-mêmes engagés dans les affaires. Simultanément, les gendres sont eux aussi sollicités par les métiers d’affaires : deux tiers d’entre eux y font d’ailleurs car- rière, nettement plus qu’aux générations précédente et suivante.

Les alliances avec la noblesse

Ne déduisons pas de l’analyse de l’échantillon des banquiers développée jusqu’ici que ceux-ci ont bel et bien pris leur distance avec l’aristocratie, suite à leur volonté de s’enraciner dans la sphère capitaliste. L’évolution à ce point de vue est assez com- plexe et touche à un trait original de l’histoire économique de notre pays. Pour comprendre la relation qu’entretient le monde bancaire avec l’aristocratie, il est utile de citer quelques chiffres relatifs à l’ensemble de la banque de données. Seul 6 % des individus de l’échantillon appartiennent à la noblesse d’Ancien Régime. En outre, 4 % sont nobles de souche récente, parfois depuis une génération seulement. Le tableau change considérablement de physionomie lorsque l’on se penche sur la proportion d’anoblis- sements. 10 % des banquiers sont ainsi anoblis en cours d’exis- tence, tandis que 14 % d’entre eux ont des enfants ou petits- enfants qui obtiennent une concession de noblesse. Au total, 28 % soit plus d’un quart de l’échantillon des banquiers appar- tiennent à des lignées anoblies au XIXe ou au XXe siècle. 100 www.academieroyale.be

Héritage familial et transmissions

Ce chiffre, s’il étonne au premier abord, n’a pas de quoi sur- prendre outre mesure. Des travaux d’historiens sur les milieux d’affaires en Allemagne et en Angleterre ont montré que dans les plus hautes couches du monde capitaliste, les taux de nobles et d’anoblis sont assez proches de ceux mis en évidence dans cet échantillon. En Angleterre, cette catégorie compte pour 18 % en 1907 et 31 % en 1929 117. La différence reste néanmoins que ces études n’envisagent que le sommet de différents groupes profes- sionnels, tandis que mon échantillon englobe l’ensemble des indi- vidus d’une catégorie professionnelle et non seulement ses repré- sentants les plus éminents. La proportion de 34 % de familles nobles et anoblies nous ren- seigne ainsi sur la place qu’occupent ces lignées de banquiers belges au sein de la classe supérieure de la population. Il est indé- niable qu’une forte proportion de familles héritières de ces grands hommes d’argent s’est parfaitement intégrée dans l’aristocratie existante sans pour autant constituer une classe à part qui justi- fierait de lui réserver le terme particulier d’aristocratie financière. L’élite du monde bancaire belge a su parfaitement négocier son intégration dans la noblesse au point de faire converger jusqu’à un certain point aristocraties de sang et d’argent. Il ne faudrait toutefois pas faire d’amalgame entre le statut social d’aristocrate que les banquiers ou leurs descendants parviennent à acquérir d’une part, et la fonction de financier que les banquiers exercent sur le plan professionnel d’autre part.

Tableau 28. – Noblesse et anoblissement des banquiers (en %)

Noblesse d’Ancien Régime 6 % Noblesse récente 4 % Anobli 10 % Descendance directe anoblie 14 % Total 34 %

On perçoit, à travers l’exemple des banquiers, l’ampleur du phénomène de renouvellement de l’aristocratie, qui n’hésite pas

117 Y. Cassis, Big business. The European Experience in the Twentieth Century, Oxford, 1997, p. 203. Voir aussi pour l’Allemagne D. L. Augustine, Patricians and Parvenus, Wealth and High Society in Wilhelmine Germany, Oxford-Provi- dence, 1994, p. 45. 101 www.academieroyale.be

Les grands banquiers belges (1830-1935)

à puiser dans les notabilités issues de la révolution industrielle pour se régénérer 118. Comme on peut le deviner, le phénomène est également perceptible à travers les politiques matrimoniales des familles de banquiers et l’analyse des mariages de leurs filles. Ainsi, la proportion de mariages contractés par les filles des ban- quiers avec les familles nobles ne cesse de croître à mesure que les dates de naissance des banquiers se rapprochent de la fin du XIXe siècle. 35 % des filles – mariées – de banquiers nés avant 1830 s’allient à des familles aristocratiques. Cette proportion passe à 40 % pour les descendantes de la génération 1830-1870, et à 53 % pour celle d’après 1870 119. L’exemple le plus symptoma­ tique de cette tendance est incarnée par la stratégie matrimoniale de la famille Barbanson. Les filles de Jean-Pierre Barbanson (1797-1883) sont ainsi admises dans la noblesse tandis que les garçons se lient à la haute bourgeoisie. À la génération suivante, les filles de Léon Barbanson (1843-1912), de même que un de ses fils, prolongeront l’ancrage des Barbanson dans l’aristocratie. Toutefois, ne nous laissons pas abuser par les chiffres. La pro- portion très importante de filles des banquiers mariées dans l’aristocratie s’explique en partie par les mariages endogames pratiqués au sein même de la noblesse. Rares sont effets les filles d’aristocrate qui ne trouvent pas chaussure à leur pied dans le milieu de la noblesse. Cette remarque est particulièrement vala- ble pour les banquiers récemment anoblis qui se font un point d’honneur de consolider leur accession dans le Gotha en mariant indifféremment fils et filles à un conjoint de sang bleu. Si, dans l’échantillon, on pointe le projecteur sur les seules familles rotu- rières pour en examiner les stratégies d’alliances matrimoniales, l’évolution apparaît différente de celle de l’échantillon global. La première génération de banquiers-roturiers, née avant 1830, marie plus ses filles aux membres de l’aristocratie (33 %) que la seconde génération, née entre 1830 et 1870 (25 %). Cette proportion remonte à 40 % pour la troisième génération, née

118 Le nombre de familles anoblies estimé par V. d’Alkemade est de 100 sous Léopold Ier (1831-1865), 140 sous Léopold II (1865-1909), 139 sous Albert Ier (1909-1934) et environ 50 sous Léopold III (1934-1951). Parmi ces familles, on retrouve une proportion importante de lignées de banquiers. V. D’alkemade, Sang bleu belge. Noblesse et anoblissement en Belgique, Bruxelles, 2003, p. 99. 119 Cette proportion est d’autant plus frappante que, comme j’ai pu le faire remar- quer, les banquiers eux-mêmes ne s’allient à l’aristocratie que dans de faibles proportions. 102 www.academieroyale.be

Héritage familial et transmissions après 1870. Notons que l’accession de banquiers-roturiers à l’aristocratie par le mariage se fait en priorité par la voie fémi- nine : le nombre de fils des banquiers roturiers trouvant épouse dans la noblesse est presque insignifiant. Il avoisine les 10 % des mariages sur l’ensemble de la période. Résumons-nous. La première génération de banquiers, née avant 1830, se compose en partie de représentants de la noblesse d’Ancien Régime. Ceux-ci contractent des alliances avec d’autres familles aristocratiques, tant à travers leurs descendants mascu- lins que féminins. Les premiers anoblis de la révolution indus- trielle consolident également, à cette époque, leur position par des alliances bleues. Par ailleurs, un tiers des filles de banquiers non-nobles s’allient à la noblesse. La frange d’anoblis augmente considérablement dans la seconde génération. Répondant au principe qui exige aux anoblis de fraîche date d’éviter les mésal- liances avec des lignées roturières, ceux-ci marient en grand nombre leurs filles dans des familles titrées. Par contre, la straté- gie d’alliances des filles roturières avec la noblesse est moins intense qu’à la période précédente. Au total, le nombre de maria- ges nobles par les filles ne cesse toutefois de progresser suite à la proportion croissante de nobles dans l’échantillon. Le phéno- mène atteint son paroxysme pour la génération née après 1870, où à la fois les roturiers se rapprochent de la noblesse en choisis- sant des gendres dans l’aristocratie, et à la fois les nobles et ano- blis renforcent leur lien avec les familles titrées. Comme on pouvait s’y attendre, l’intégration des lignées de banquier dans l’aristocratie ne s’effectue pas – ou très peu – par l’intermédiaire de la haute noblesse, qui marque globalement ses distances envers la sphère capitaliste. Les alliances des descen- dants des banquiers engagent généralement des familles récem- ment anoblies ou des dynasties ancrées dans la fin de l’Ancien Régime, mais rarement les familles de noblesse immémoriale qui occupent le sommet de la hiérarchie nobiliaire. En prenant note de cet état de fait, on concilie alors aisément la forte proportion de nobles et d’anoblis dans l’échantillon, de même que le grand nombre de gendres issus de l’aristocratie, avec l’importante repré- sentation des métiers d’affaires parmi les fils et les gendres des banquiers. L’aristocratie dont on parle ici est intimement liée à la sphère capitaliste. Qu’elle doive son titre à des succès d’affaires dès l’origine ou qu’elle se régénère en se convertissant aux affai- res, elle est certes traversée de paradoxes, elle éprouve sans doute des difficultés à réconcilier tradition et modernité, mais elle 103 www.academieroyale.be

Les grands banquiers belges (1830-1935) embrasse malgré tout sans remords les nouvelles professions et recourt largement aux nouvelles formes d’enrichissement. Cela ne veut d’ailleurs pas dire que les vieilles familles sont restées totalement étrangères au développement capitaliste. E. Meuwissen a montré, par exemple, que les du Chastel de la Howarderie faisaient partie des actionnaires-fondateurs de la compagnie d’assurances les Propriétaires Réunis au XIXe siècle. Cette famille s’associera d’ailleurs au XXe siècle avec une des- cendante du financier Paul de Launoit, un homme d’affaires de premier plan qui fut anobli en 1929 120. Dans la sphère bancaire, notons les différents mariages impliquant la famille d’Oultre- mont, dont les membres s’allient avec les filles, respectivement, des banquiers , Henri Le Bœuf et René Boël. Notons encore des liens de cette grande famille avec les Houtart et les Mesdach de ter Kiele. On retrouve ainsi plusieurs d’Oultremont dans les charbonnages, dans le secteur de l’électricité, le secteur bancaire. Les de Liedekerke, par ailleurs apparentée aux d’Oul- tremont et aux Boël, sont une autre de ces familles de très vieille souche converties au capitalisme. Hadelin de Liedekerke Beaufort est commissaire de la Société Générale dans la deuxième partie du XIXe siècle, tandis qu’un représentant d’une autre branche, Pierre de Liedekerke de Pailhe, devient administrateur du Crédit Anversois durant l’entre-deux-guerres. Les d’Ursel, également apparentés aux d’Oultremont, ont des intérêts dans la Société Générale très tôt dans le XIXe siècle. Citons enfin les van der Noot d’Assche auxquels s’associent les Allard, Barbanson et Del- loye, trois lignées bien connues de grands banquiers.

Une première photographie des banquiers

Ce chapitre introductif donne un premier aperçu du groupe social dont sont issus les banquiers belges. Comme le montre l’étude de leur origine familiale et contrai- rement à la mythologie en la matière, la majorité des banquiers sont des héritiers. Ils le restent d’ailleurs jusqu’à la fin de la période envisagée dans cette étude. Le phénomène est d’autant plus net quand on considère l’origine sociale des beaux-pères. Par le mariage, certains individus dynamiques parviennent à se donner une ascendance bien nantie ou à élargir leur assise sociale, tandis que d’autres renforcent leur position dominante. Pour les

120 E. Meuwissen, Richesse oblige. La Belle Époque des grandes fortunes, Bruxelles, 1999, p. 103-105. 104 www.academieroyale.be

Héritage familial et transmissions beaux-pères, cette politique matrimoniale élargit le vivier de leurs collaborateurs et de leurs successeurs potentiels, au-delà de leur propre progéniture. Cette caractéristique sociale de la transmission est renforcée par la formation de véritables lignées structurées. Celles-ci ancrent définitivement les membres de certains « clans » dans le monde des affaires, consolidant de la sorte à travers plusieurs générations la position bancaire acquise par les grandes familles dans le courant du XIXe siècle. Nous avons vu également que les activités bancaires sont loin d’être l’occupation exclusive des membres de ce groupe, puis- qu’une grande partie de ceux-ci sont actifs dans d’autres sphères de la vie économique. On ne peut donc considérer les banquiers comme un groupe social homogène, ni le monde de la banque comme un milieu fermé et autonome. L’appartenance des ban- quiers à plusieurs milieux reflète, sans doute, le rôle que les insti- tutions bancaires jouent dans l’ensemble de la vie économique en permanente évolution. Les banquiers constituent toutefois une élite sociale. Tous sont des notables ou le deviennent, à la fois à travers les plus hautes responsabilités qu’ils exercent mais aussi grâce à la noto- riété qui est attachée à leur position professionnelle. La plupart d’entre eux appartiennent à la fraction la plus élevée de la nota- bilité en vertu d’un héritage social considérable. La transmission recherchée par les banquiers n’est pas seulement celle du patri- moine mais aussi celle de la notabilité. Nous verrons dans d’autres chapitres par quelles stratégies concrètes cette double recherche est menée, mais il est déjà clair que ce groupe est préoccupé non seulement par la consolidation de sa position, mais encore par son extension, entre autres par des alliances fréquentes avec la noblesse. La grande diversité qui se dégage des profils de banquiers s’explique par le rôle central joué, dans notre pays, par les ban- ques mixtes. Ce fait explique ainsi la variété des activités profes- sionnelles des banquiers belges comparativement à leur homolo- gues d’outre-manche, ainsi que leurs relations plus intenses avec l’industrie. Pour compléter notre photographie du monde des banquiers, interrogeons-nous à présent sur le niveau de formation de cette population.

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Chapitre III

La formation des banquiers

Les banques au XIXe siècle et leurs fondateurs

Dans les grandes institutions bancaires qui voient le jour au XIXe siècle à Bruxelles, Liège et Anvers, les dirigeants ne sont pas tous issus du même moule. Chaque place voit en effet se développer un milieu d’affaires dominant, enraciné dans des pra- tiques commerciales propres et générant des profils distincts de banquiers.

À Anvers

À Anvers, les banques créées sous forme de sociétés anonymes sont fondées sous la houlette des gros négociants et banquiers de la place, à l’image de la création précoce de la Banque d’Anvers sous la présidence de J. J. R. Osy. La mise sur pied de la Banque Centrale Anversoise en 1871, avec l’aide de capitaux allemands et bruxellois, offre une excrois- sance bancaire à trois grandes familles anversoises qui parvien- nent à obtenir un poste au conseil d’administration : les Grisar, Kreglinger et Lemmé. Jusqu’à la prise de participation de la Banque de Bruxelles en 1919, le conseil d’administration de la banque s’apparente presque à un Who’s Who du haut-négoce anversois, avec cette particularité si caractéristique de la métro- pole que beaucoup de ces familles ont des origines étrangères. L’administration de la Banque de Reports, de Fonds Publics et de Dépôts (1900) est, pour sa part, concentrée dans un nombre

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Les grands banquiers belges (1830-1935) encore plus limité de mains à l’origine. La création de la banque résulte de l’initiative de trois familles de banquiers nouvellement promues sur la place : les Jacobs, Vanderlinden et Thys. Ces trois branches se sont spécialisées dans les affaires de change, elles ont fait fortune dans le troisième tiers du XIXe siècle et ont comme caractéristique de ne pas cumuler, comme certaines familles pré- cédemment citées, négoce et transactions bancaires. Les négo- ciants et industriels sont progressivement associés à l’enseigne à mesure que les affaires prospèrent. Le conseil d’administration du Crédit Anversois, dont la fon- dation date du tournant du siècle comme celle de la Banque de Reports, offre une physionomie moins typiquement anversoise puisqu’il est le reflet des intérêts divers qui se sont unis à sa créa- tion : parmi les 124 comparants à la fondation, le Crédit Général Liégeois a par exemple souscrit pour 5.625 actions 121. On y retrouve donc des hommes d’affaires anversois, mais également liégeois et bruxellois. Le conseil d’administration conservera sa composition relativement hétérogène jusqu’à sa suspension de paiement en 1939.

À Liège

À Liège, ce sont les milieux industriels et bancaires qui sont les moteurs des deux grands établissements locaux. Dans une moin- dre mesure seulement, le milieu du négoce a joué un rôle à l’ori- gine. La Banque Liégeoise (1835) doit beaucoup à l’apport de la maison Nagelmackers, une banque familiale déjà bien implantée sur la place, dont le directeur Gérard est un notable très influent dans les affaires locales. Son principal associé à la Banque Lié- geoise est Jean Henri Demonceau, fils de négociant et homme d’affaires très entreprenant, à l’origine des premières sociétés anonymes de la région. Les industriels s’intègrent rapidement dans le corps dirigeant. Au tournant du siècle s’amorce une com- binaison qui se maintiendra jusqu’à la disparition de l’enseigne, à savoir, banquiers professionnels et notables liégeois, héritiers de familles connues liées à l’industrie régionale. Le Crédit Général Liégeois (1885) naît de l’initiative de deux hommes déjà familiarisés avec les mécanismes bancaires, J. Frai- pont et A. Poulet. Se joignent à l’équipe d’origine plusieurs

121 La Caisse Commerciale de Bruxelles, à laquelle le Crédit Général Liégeois est lié, fait de même. 108 www.academieroyale.be

La formation des banquiers grands noms de l’industrie liégeoise et quelques ténors du bar- reau liégeois. Durant l’entre-deux guerres, les héritiers issus du sérail industriel local feront équipe avec quelques professionnels de la banque, liégeois ou bruxellois.

À Bruxelles À Bruxelles, les deux plus anciennes banques (la Société Géné- rale – 1822 – et la Banque de Belgique – 1835-) connaissent un destin assez similaire : dirigées d’abord par une élite de négo- ciants et banquiers, auxquels se joignent quelques industriels, leur conseil s’ouvre progressivement aux administrateurs de sociétés, fils de notables bruxellois ou provinciaux dont l’activité principale n’est plus axée sur l’entreprise familiale. Dans le dernier tiers du XIXe siècle, la finance étrangère contribue à la fondation de deux banques coup sur coup : la Banque de Bruxelles en 1871, puis la Banque Internationale de Bruxelles en 1899. Ces banques ont tôt fait d’associer à l’équipe dirigeante quelques grands noms de l’industrie belge, de même qu’une série d’experts, avocats ou ingénieurs, dont la réputation dans le monde des affaires n’est plus à prouver. Ces mêmes caté- gories d’experts, associés à un petit groupe de financiers, assurent la gestion de la Caisse Générale de Reports et de Dépôts, consti- tuée en 1874. L’ouverture de l’économie belge sur le monde donnera nais- sance à la Banque d’Outremer (1899), constituée par une poignée de grands spécialistes des colonies. Durant l’entre-deux-guerres, le patrimoine d’une des plus importantes success stories que l’in- dustrie belge ait pu produire prend la forme d’une structure ban- caire : la Mutuelle Mobilière et Immobilière (future Mutuelle Solvay) voit le jour le 16 janvier 1914 et s’appuiera pendant long- temps sur les éléments familiaux les plus dynamiques, pour s’ouvrir au début des années 1930 au monde du négoce et de l’in- dustrie lors de son rapprochement avec la Banque Générale Belge.

Le tableau d’ensemble

Au début du XIXe siècle, les banquiers liégeois, bruxellois et anversois restent issus d’un sérail bancaire ou commercial assez similaire. Si l’on compare les fondateurs de la Banque Liégeoise 109 www.academieroyale.be

Les grands banquiers belges (1830-1935) aux premiers administrateurs de la Banque d’Anvers et de la Société Générale, on est frappé par les similarités de fortune, les ressemblances au point de vue des politiques matrimoniales, les habitudes conjointes de sociabilité ou l’analogie des influences politiques exercées au niveau local. Toutefois, entre Liège, Bruxelles et Anvers, entre la Cité ardente qui puise son renouveau dans ses racines propres, la capitale qui absorbe les talents émergents débarqués de province et la métropole commerciale régénérée par l’apport de forces vives étrangères, les comportements sociaux des dirigeants d’af- faires ne se recouvrent pas totalement : la différence la plus mar- quante que laisse percevoir l’analyse des cursus professionnels des administrateurs de banque concerne les études supérieures et la formation professionnelle des fils de notable.

Les limites de la base de données

Il est certes malaisé de reconstituer avec précision les années de jeunesse des négociants et autres notables anversois. Les séjours de stage à l’étranger, le passage par l’Institut supérieur de com- merce d’Anvers ou d’autres écoles de commerce hors des fron- tières, le début de carrière dans le commerce familial ne laissent que peu de traces à l’historien. Dans l’analyse de l’échantillon restreint (320 individus 122) et les chiffres que je présente ci-des- sous, je distinguerai donc les dirigeants dont on est certain qu’ils n’ont pas suivi d’études supérieures (22 cas) et ceux pour lesquels l’information manque (88 cas), en n’excluant jamais en ce qui concerne ces derniers certaines formes d’enseignement supérieur qui auraient échappé à ma recherche. On sait par contre que les 210 banquiers restants ont suivi des études qui dépassent le stade des humanités. Parmi les 88 individus de l’échantillon dont nous ne connais- sons pas avec certitude le niveau d’études suivi, la grande majorité appartient à des familles aisées, bien en vue sur les places d’Anvers et, dans une moindre mesure, de Liège ou de Bruxelles. Pour certains banquiers, nous savons qu’ils ont été engagés fort jeunes dans l’entreprise familiale, ce qui laisserait à penser qu’ils n’ont pas prolongé leurs études au-delà des humanités afin de pouvoir assister le père ou le chef de famille dans l’enseigne familiale. Dans les grandes familles de négociants comme les

122 Voir le chapitre méthodologique. 110 www.academieroyale.be

La formation des banquiers

Bracht, de Bary, Grisar ou Bunge, il est encore d’usage au milieu du XIXe siècle d’apprendre le métier sur le tas. Toutefois, comme nous allons le découvrir, dès les années 1830, il est de plus en plus fréquent que les chefs de famille, pro- priétaires d’une affaire commerciale florissante ou d’une indus- trie prospère à Liège, Gand, Bruxelles ou même Anvers, encou- ragent leurs futurs héritiers à se former à l’université ou dans une école supérieure avant de se frotter à la réalité du métier. La prérogative de quelques fils de bonne famille dont la for- tune est garantie est de pouvoir mettre fin à leurs études avant terme, et n’être parfois que des étudiants dilettantes. Pour cer- tains représentants nantis de cette génération née dans la deuxième moitié du siècle, l’université représente toujours un espace de rencontres et un centre de savoir utiles, presque incontournables, mais l’obtention d’un diplôme peut leur paraître superflu lorsque les carrières sont déjà tracées d’avance : Evence Coppée (III) (1882-1945) abandonnera ses études pour soulager son père dont la santé viendra à défaillir ; Emmanuel Janssen (1879-1955) se lancera dans l’import-export avant même d’être diplômé du génie civil de Gand et E. de Meeus (1874-1944) décidera de suivre les cours de l’Institut Montefiore de Liège comme élève libre, après avoir achevé une candidature en philosophie préparatoire au droit. Une partie des individus dont on n’a pas pu remonter la trace scolaire fait peut-être partie de ces étudiants aisés qui ont abandonné les études supérieures en cours de route. D’autres encore ont dû accomplir leurs études à l’étranger, échappant de la sorte au dépouillement des listes d’anciens étu- diants compilées pour les universités belges. Sous les régimes français et hollandais, les fils de bonne famille étaient fréquem- ment envoyés très loin du foyer pour se former aux meilleures écoles étrangères. L. de Laminne (1789-1858) effectue des voya- ges d’études en Allemagne avant d’hériter, à 21 ans, de la fortune familiale. L. Desmaisières (1794-1864) sort de l’École Polytechni- que de Paris en 1814, V. Pirson de l’Académie militaire de Breda en 1828. Dans le courant du XIXe siècle, les enfants continuent à être envoyés en pension à l’étranger mais la Belgique s’appuie désormais sur un réseau scolaire réputé dont se satisfont habi- tuellement les parents. Certaines familles de la grande bourgeoi- sie continuent néanmoins à préférer les pays limitrophes : R. Warocqué effectue une partie de sa scolarité au prestigieux Lycée Louis Le Grand à Paris, là même d’où H. Lippens sort diplômé un quart de siècle auparavant.

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Les grands banquiers belges (1830-1935)

Une population diplômée, en Belgique

Les proportions de banquiers ayant fait des études supérieures sont présentées dans le tableau ci-dessous.

Tableau 29. – Répartition des banquiers selon les études faites

Études Nombre Pourcentage Ont fait des études supérieures 210 66 N’ont pas fait d’études supérieures 22 7 Études non connues 88 27 Total 320 100

Une certitude apparaît, malgré l’imperfection des résultats : deux tiers des banquiers de l’échantillon ont entamé des études supérieures (université, école d’ingénieurs, école militaire et école supérieure de commerce) ; tout laisse à penser que la plupart les ont achevées et sont sortis diplômés de leur école. Comme je l’ai déjà indiqué, 22 seulement (7 %) n’ont pas poussé leur cursus scolaire au-delà des humanités puisqu’ils exerçaient déjà une pro- fession à l’âge d’accéder à l’université. Présentant la proportion des banquiers qui ont suivi des études supérieures selon leur année de naissance, le Tableau 30 fait clai- rement ressortir un taux croissant d’étudiants de l’enseignement supérieur durant la première moitié du XIXe siècle. Pour les indi- vidus nés avant 1789, les lacunes dans les informations recueillies rendent délicate l’interprétation des données. La génération née entre 1789 et 1819 comptabilise un peu plus d’un diplômé sur deux individus. Pour les banquiers nés entre 1820 et 1839, la pro- portion atteint les deux tiers. Pour ceux nés après 1840, elle tourne autour des trois quarts, atteignant même 80 % pour la génération née entre 1860 et 1879. Notre échantillon n’est plus représentatif pour l’ensemble des banquiers nés après 1890.

Tableau 30. – Proportion des banquiers ayant fait des études supérieures, selon leur année de naissance

Avant 1790- 1820- 1840- 1860- 1881- Ensemble 1789 1819 1839 1859 1879 1910 Nombre Études supérieures 2 22 38 46 71 24 203 Total Dates connues 18 38 56 63 88 33 296 Pourcentages 11% 58% 68% 73% 81% 73% 69%

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La formation des banquiers

Ce degré très avancé d’études semble particulier aux élites bancaires en Belgique. Quelques recherches sectorielles natio- nales ont déjà pu montrer que les élites patronales et industrielles sont dans l’ensemble nettement moins diplômées que les élites bancaires : le patronat du textile, étudié par B. De Wilde, ne compte que 17,4 % d’universitaires en 1825, et 32 % en 1937. Un coup de sonde effectué par K. Bertrams sur un échantillon aléa- toire de patrons issus de secteurs économiques variés avance le chiffre de 50 % de diplômés pour les individus nés à la fin du XIXe siècle. Cette proportion n’est que de 30 % pour la popula- tion née entre 1840 et 1849. D’autres études similaires devraient être menées systématiquement avant de pouvoir faire un bilan à ce propos 123.

Comparaison avec l’étranger Quelques tendances données à titre comparatif permettent de mesurer les différences de niveaux d’études des élites dans les autres pays européens. Les statistiques suivantes n’ont évidem- ment qu’une valeur indicative en raison du nombre important d’inconnues généralement répertoriées dans les études citées. Les variations sont toutefois suffisamment marquées pour pouvoir dessiner certaines évolutions. Le profil scolaire présenté par les élites bancaires en Belgique ne peut être rapproché qu’avec celui des banquiers de la City de la fin du XIXe siècle étudiés par Y. Cassis. Cet auteur a en effet montré qu’à cette époque, 51 % des banquiers et directeurs de banque de son échantillon ont fréquenté une « public school » et/ou Oxford et Cambridge. Cette proportion s’élève à 74 % lors- qu’il ne prend en considération que les banquiers dont il connaît avec précision le cursus scolaire. En Angleterre, seuls les hommes politiques présentent à la même époque un profil similaire : 68 % des ministres alors en fonction ont été inscrits dans une public school, et 71 % ont étudié dans une des deux grandes universités anglaises 124. Dans un autre échantillon de banquiers anglais

123 B. De Wilde, « Een sociografich onderzoek van Belgische textielpatroons in de 19de en de 20st eeuw », in Revue Belge de Philologie et d’Histoire, 74 (3-4), 1996, p. 856. K. Bertrams, Universités et entreprise. Milieux académiques et indus- triels en Belgique, 1880-1970, Bruxelles, 2006, p. 139 et p. 243-244. 124 Cassis note également la forte intégration des représentants de la « drink and tobacco industry » dans la fraction supérieure de la population, sensible entre autres dans les modèles d’éducation. Y. Cassis, Big Business. The European Experience in the Twentieth Century, Oxford, 1997, p. 199. 113 www.academieroyale.be

Les grands banquiers belges (1830-1935)

(merchant bankers et clearing bankers) étudié par A. Giddens et P. Stanworth, il faut attendre la génération née entre 1900 et 1919 pour atteindre des proportions d’universitaires qui dépas- sent les 70 % et se rapprocher ainsi des résultats obtenus pour les générations de banquiers nés après 1840 en Belgique 125. Ces caractéristiques sont sans commune mesure avec le profil scolaire du monde industriel anglais du XIXe siècle. Moins de 10 % des industriels actifs dans la sidérurgie en 1865 ont transité par une public school. Ce chiffre grimpe à 16 % pour la généra- tion active entre 1875 et 1895, et à 31 % pour celle des années 1905-1925. Le nombre d’universitaires est minime : respective- ment 4 %, 9 % et 15 % des industriels ont fréquenté Oxbridge. Une autre étude citée par Cassis estime le nombre d’industriels des régions de Birmingham, Bristol et Manchester éduqués dans les public schools à seulement 18 % 126. La proportion d’indus- triels éduqués dans les public schools augmente sensiblement dans la première moitié du XXe siècle. Elle atteint les 57 % dans les années 1960 127. Pour la France, les travaux de C. Charle ont montré que l’in- térêt pour la filière d’enseignement supérieur est également apparu tardivement parmi les élites du monde des affaires. Parmi les régents de la Banque de France en activité entre 1852 et 1870, on compte encore 84 % d’individus non diplômés. Au début du XXe siècle, ce chiffre descend à environ 50 %, avec par ailleurs un nombre assez important d’inconnues. En règle générale, les pré- sidents, vice-présidents et administrateurs de sociétés de son échantillon n’ont pas prolongé leurs études au niveau supérieur dans les mêmes proportions qu’en Belgique : le nombre de diplô- més de l’enseignement supérieur dans cette catégorie en 1901 ne dépasse pas 65 % 128. En Allemagne, assez tôt dans le siècle, l’importance des études universitaires devient perceptible dans le cursus des élites, parti- culièrement auprès d’une bourgeoisie intellectuelle (bildungs­ bürgertum) très structurée. Toutefois, cette classe éduquée est

125 P. Stanworth, A. Giddens, « An economic elite : a demographic profile of company chairmen », in P. Stanworth, A. Giddens, Elites and Power in British Society, Cambridge, 1974, p. 92. 126 Y. Cassis, City Bankers, 1890-1914, Cambridge, 1994, p. 99. 127 E. Hobsbawn, « The Example of the English Middle Class », in J. Kocka, A. Mitchell (eds), Bourgeois Society in Nineteenth Century Europe, Oxford- Providence, 1993, p. 137. 128 C. Charle, Les Élites de la République 1880-1900, Paris, 1987, p. 107. 114 www.academieroyale.be

La formation des banquiers demeurée relativement séparée de l’élite économique (wirtschafts­ bürgertum). La classe capitaliste allemande, à l’instar de son équivalente anglaise, semble être restée étrangère à l’engouement que l’université a pu susciter auprès de la bourgeoisie intellec- tuelle. Dès l’enseignement secondaire, la fracture apparaît déjà entre les deux fractions de la bourgeoisie 129. Ainsi, une partie de la bourgeoisie d’affaires n’a jamais jugé bon d’envoyer ses ­héritiers dans les Gymnasiums qui préparent les élèves à l’univer- sité. À nouveau, les chiffres accessibles à l’historien souffrent du grand nombre d’inconnues. Soulignons néanmoins le fait que D. L. Augustine n’a comptabilisé que 22 % d’hommes d’affaires titulaires d’un diplôme universitaire pour un échantillon consti- tué d’environ 500 représentants du monde capitaliste, au tour- nant du XXe siècle. Le nombre de fils diplômés de l’université est par contre considérablement plus élevé : selon deux études consa- crées aux plus grands industriels de cette même époque, dans la génération suivante, entre 80 et 90 % des fils d’hommes d’affaires sont universitaires 130.

Leçons d’une spécificité belge

Que nous enseigne ce détour par l’étranger ? Même lorsque l’on compare la situation des banquiers belges à celle des banquiers de la City londonienne, le profil universitaire est plus marqué dans nos frontières. Diplômés de l’université dans de plus fortes proportions, et surtout plus tôt dans le siècle puisque les généra- tions nées entre 1790 et 1819 sont déjà à plus de 50 % porteuses d’un diplôme de l’enseignement supérieur, les banquiers belges ont privilégié la filière universitaire. Or, nous avons vu que les banquiers sont issus à plus de deux tiers de pères actifs dans les affaires (et sont même 90 % à avoir père ou beau-père engagé dans ce milieu). Beaucoup de ces héritiers, destinés à remplacer le chef de famille dans les affaires familiales, sont ainsi envoyés se former à l’université, quitte à reporter de quelques années leur entrée dans le monde professionnel.

129 C’est la thèse de Kaelble, qui est légèrement nuancée par D. L. Augustine. H. Kaelble, « French Bourgeoisie and German Bürgertum », in J. Kocka, A. Mitchell (eds), Bourgeois Society in Nineteenth Century Europe, Oxford- Providence, 1993, p. 277. 130 D. L. Augustine, Patricians and parvenus, Wealth and High society in Wilhelmine Germany, Oxford, 1994, p. 56. 115 www.academieroyale.be

Les grands banquiers belges (1830-1935)

Les établissements universitaires, et dans une moindre mesure les quelques écoles supérieures fréquentées par les banquiers, ont joué en Belgique un rôle pivot de cohésion entre les élites qui peut s’apparenter aux influences exercées par les public schools et Oxbridge en Angleterre 131. Le nombre limité d’établissements universitaires existants et le recrutement sélectif des étudiants au XIXe siècle transforment les filières de droit, puis les écoles d’in- génieurs, en un vivier de futurs décideurs du monde économique, mais également du monde politique. Je reviendrai au Chapitre 4 sur la place prise par les universités dans le cursus des banquiers et la fonction de réseau qu’elles ont pu jouer. D’après J. Kocka, le succès des institutions universitaires auprès de la bourgeoisie intellectuelle en Allemagne, associé au retard économique enregistré par le pays et au rôle central qu’y occupe la bureaucratie, a maintenu une distance relative entre l’élite éduquée et la bourgeoisie économique 132. Il semblerait que l’exemple des banquiers liégeois, bruxellois, et dans une moindre mesure anversois, dont on a vu au Chapitre 2 combien les familles étaient perméables aux couches non-capitalistes de la société, ne nous mène pas aux mêmes conclusions. En Belgique, l’exemple des banquiers laisse à penser que l’université fréquentée par des fractions variées de la bourgeoisie a plutôt joué un rôle fédéra- teur dans la formation d’un milieu d’affaires hybride symbolisé par ces administrateurs de banque qui se situent à la croisée des milieux de robe, du négoce, de l’industrie, de la propriété, de l’ar- mée et des hautes fonctions au service de l’État. Passant en revue l’histoire des classes bourgeoises d’Angle- terre, d’Allemagne et de France, Cassis fait observer que « dans aucun des trois pays, le passage par l’enseignement supérieur ne peut être considéré comme indispensable pour l’accès au statut social plus élevé ». Il rajoute que les « grandes écoles » françaises étaient par exemple « tout à fait inutiles aux fils de banquiers et aux enfants des dynasties industrielles ». Il note qu’elles n’attire- ront d’ailleurs les enfants des élites économiques qu’au moment

131 De nombreuses études ont tenté de cerner le rôle joué par les public schools en Angleterre. Pour un descriptif rapide de l’enseignement des middle classes, voir E. Hobsbawn, « The Example of the English Middle Class », in J. Kocka, A. Mitchell (eds), Bourgeois Society in Nineteenth Century Europe, Oxford- Providence, 1993, p. 135. Voir aussi M.J. Wiener, English Culture and the Decline of the Industrial Spirit. 1850-1980, Cambridge, 1981. 132 J. Kocka, « Modèle européen et cas allemand », in J. Kocka (dir), Les bour- geoisies européennes au XXe siècle, Paris, 1996, p. 33. 116 www.academieroyale.be

La formation des banquiers où les complexités grandissantes liées à la gestion des entreprises exigeront des compétences professionnelles devenues indispensa- bles 133. En Belgique, la présentation des données concernant les études des banquiers nous conduit à être beaucoup plus nuancés dans notre analyse des notables. Il est indéniable que les gros négo- ciants anversois, dont les connexions dépassent bien souvent les frontières nationales, ainsi que la plupart des représentants de la haute banque privée du XIXe siècle, n’ont pas eu besoin de l’uni- versité pour conforter leur position sociale dans la société belge. Toutefois, beaucoup d’autres négociants, industriels, banquiers, administrateurs et propriétaires jugent bon, dès l’Indépendance de 1830, et malgré une richesse déjà bien assise et des affaires florissantes, d’envoyer leur progéniture se former à l’université. Le phénomène s’explique en partie par la particularité des élites étudiées, bien en vue dans la sphère politique locale ou nationale et fort actives en matière de sociabilité urbaine. Cette catégorie d’hommes d’affaires valorise sans doute le diplôme universitaire en terme de prestige social tout autant qu’en terme d’acquisition de compétence. Les Fortamps, van der Rest à Bruxelles, les Pirmez et Sabatier à Charleroi, les de Laminne et Braconier à Liège, les De Gottal et Thys à Anvers ne dédaignent pas un diplôme universitaire alors même que les affaires familiales sont toutes dans une courbe ascendante.

Les spécificités locales dans les niveaux d’études des banquiers

Le tableau d’ensemble ne doit pas nous empêcher d’affiner le propos.

Le cas d’Anvers Comme on pouvait s’y attendre, les différences régionales sont considérables. Dans les banques anversoises, seuls 40 % des indi- vidus recensés ont suivi un enseignement supérieur. Il apparaît donc que ces lignées patriciennes impliquées dans le commerce anversois ne valorisent que faiblement le passage de leurs héri- tiers par l’université, à la différence de leurs homologues liégeois ou bruxellois : tout au plus encouragent-elles parfois leurs fils à

133 Y. Cassis, « Monde des affaires et bourgeoisie en Europe de l’Ouest », in J. Kocka (dir), Les bourgeoisies européennes au XIXe siècle, Paris, 1996. 117 www.academieroyale.be

Les grands banquiers belges (1830-1935) se former dans des écoles de commerce, adaptées aux contraintes de la profession et offrant un enseignement pratique privilégiant l’expérience sur le terrain. L’exemple type de cette catégorie d’institution scolaire est l’Institut supérieur de commerce d’Anvers qui voit le jour en 1853 à l’initiative de quelques notables, représentants politiques et négociants influents. Le manque dans le domaine de l’enseigne- ment des sciences commerciales à Anvers s’était déjà fait ressen- tir dans le courant des années 40. L’idée de constituer un nouvel institut était dans l’air depuis cette époque. Dès la fin des années 1840, plusieurs projets émanant de personnalités officielles dessi- nent les grandes lignes de l’école à créer. Le dossier amorce sa phase finale en octobre 1852, lorsqu’un arrêté royal annonce la fondation de l’Institut supérieur de commerce 134. L’enseignement se veut adapté à la réalité des professions commerciales puisque les cours théoriques sont donnés matin et soir, « avant et après l’ouverture des bureaux particuliers des commerçants ». « Un bureau commercial est annexé à l’Institut pour traiter fictivement et pratiquement les affaires de commerce et de banque ». La commission directrice de l’institut est constituée de 6 mem- bres, 2 nommés par le ministre, 2 par le conseil communal et 2 par la chambre du commerce. En 1862, cette commission directrice compte 5 noms familiers du milieu bancaire anversois : O. Gunther, A. Cornelis-Lysen seront administrateurs de la Banque Centrale, C. Agie et J. Fuchs sont administrateurs de la Banque d’Anvers, W. Good comptera son fils et son petit-fils parmi les adminis- trateurs de la Banque Centrale Anversoise. Parmi les personna- lités qui ont fait un passage par l’Institut, citons C. et F. Good, W. Friling, E. van Eetvelde, A. Van den Nest ou C. Swolfs. Cette liste est toutefois loin de rassembler l’ensemble des banquiers anversois issus du monde du négoce. Ceux-ci ne passent pas tous par des écoles supérieures commerciales, loin s’en faut. Aux yeux des élites négociantes anversoises, il demeure évi- dent jusqu’à une période avancée du XIXe siècle que le métier s’apprend sur le tas : l’apprenti-négociant trouvera plus profita- ble de parfaire son savoir-faire en se confrontant directement aux pratiques et à la réalité de la profession. Des stages intensifs – si possible à l’étranger – auprès de maisons amies ou parentes per-

134 L’institut supérieur de commerce de l’État à Anvers 1852-1937, Anvers, 1937. K. Bertrams, Universités et entreprise. Milieux académiques et industriels en Belgique, 1880-1970, Bruxelles, 2006, p. 112-113. 118 www.academieroyale.be

La formation des banquiers mettront d’approfondir les compétences linguistiques et techni- ques du novice, armes inestimables en terre anversoise où les diverses nationalités ne cessent de se côtoyer dans un va-et-vient incessant avec l’étranger. La Banque Centrale Anversoise (1871) est l’établissement pour lequel la proportion de diplômés de l’enseignement supé- rieur est la moins élevée de l’échantillon : 25 % à peine de ses administrateurs ont poursuivi leurs études au-delà des humani- tés. Notons que le milieu de négociants qui dirige la Banque Cen- trale Anversoise se singularise un peu plus encore au tournant du siècle. Issue à l’origine du bastion libéral anversois et liée au col- lège communal, la direction puise sa relève au début du XXe siècle dans le terreau cosmopolite du négoce international. Cette géné- ration, qui se montrera bien plus active au sein des cercles diplo- matiques de la ville qu’auprès du microcosme politique local, présente un profil singulier, unique en son genre : parmi les douze administrateurs recrutés par la banque entre 1899 et 1918, aucun n’a effectué d’études supérieures en Belgique, à l’exception de C. Good qui a suivi les cours de l’Institut de commerce dont son père était l’une des chevilles ouvrières. Ce groupe d’administra- teurs laissera la place, dans le courant des années 1920, aux pre- miers banquiers professionnels apparus avec la centralisation des institutions bancaires. Les deux autres banques anversoises sont moins homogènes sur le plan social. La proportion du nombre de diplômés de l’en- seignement supérieur n’est toutefois pas beaucoup plus élevée : elle est de 35 % à la Banque de Reports, et de près de 60 % au Crédit Anversois 135. La génération fondatrice de la Banque de Reports est constituée de banquiers de profession : parmi ceux-ci, seul H. Thys a obtenu un diplôme d’ingénieur. Dans la génération qui suit, E. Bunge présente le profil caractéristique du fils de négociant converti à la finance : après un stage à l’étranger et un long séjour en Amé- rique du Nord, il s’associe à la firme familiale à l’âge de 24 ans. Il mettra ensuite à profit sa prodigieuse connaissance des mar- chés étrangers au bénéfice du monde financier belge. L. Meeus, de son côté, incarne la reconversion dans les affaires industrielles du monde du négoce anversois. Il obtient les diplômes d’ingé- nieur civil et électricien à l’Université de Liège et suit l’amorce classique de la carrière du jeune ingénieur : attaché à plusieurs

135 Celui-ci est, rappelons-le, composé de représentants des trois grandes places financières. 119 www.academieroyale.be

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sociétés de tramways et d’électricité liées au groupe d’Edouard Thys, il intégrera le conseil du Crédit Mobilier (ex-Banque de Reports) tout en diversifiant ses intérêts industriels. Il est associé dans plusieurs affaires aux frères Carlier, eux aussi administra- teurs de la banque. Ce parcours, classique à l’image des carrières d’ingénieurs que l’on peut observer à Liège et à Bruxelles, est plus rare dans le chef d’un anversois descendant d’une famille célèbre de négociants. La tradition de l’agent de change formé sur le tas et devenu banquier d’affaires n’est pas seulement typique d’Anvers, même si l’exemple du noyau fondateur de la Banque de Reports (F. Jacobs, E. Thys et les frères Vanderlinden, tous d’anciens agents de change) est assez frappant. Cette tradition se perpétue également à Bruxelles depuis la carrière ascensionnelle de F. De Pouhon, originaire de Verviers et devenu censeur de la Banque Nationale en 1850. P. Crabbe et R. Coumont, respectivement à la Banque de Belgique et à la Caisse Générale de Reports, connaî- tront des destins similaires. Rappelons que jusqu’à la loi du 30 décembre 1867 modifiant radicalement le régime légal des bourses, le métier d’agent de change était fortement réglementé. À cette époque, le nombre d’agents de change officiels à Bruxel- les était encore de 28. Trois ans après la promulgation de la loi qui abandonnait tout contrôle, le nombre d’agents de change était déjà passé à environ 200 136. La trajectoire ascendante de l’agent de change converti à la haute finance est encore d’actualité au début duXXe siècle, comme le prouvent trois exemples du Crédit Anversois. C. Die- trich exerce la profession d’agent de change à Bruxelles à la fin du XIXe siècle. Dans le bureau où il fait ses premiers pas en affai- res, il est associé à son père et à F. Lambeau, lui aussi agent de change et ingénieur de formation. Les deux collègues entrent ensuite au conseil d’administration du Crédit Anversois, en 1913. En 1919, c’est au tour de J. Waterkeyn, un homme d’affaires qui a débuté comme agent de change à Anvers à la fin du siècle pré- cédent, de rejoindre le conseil d’administration de la banque. Il entraîne dans son sillage son beau-frère, l’ancien ministre et avocat anversois P. Segers.

136 B. S. Chlepner, Le marché financier belge depuis cent ans, Bruxelles, 1930, p. 46. G. Vanthemsche, « Du carcan à la débauche. L’évolution de la régle- mentation au XIXe siècle », in G. De Clercq (dir.), À la bourse, Histoire des valeurs en Belgique de 1300 à 1990, Bruxelles, 1992, p. 231. 120 www.academieroyale.be

La formation des banquiers

À Liège et à Bruxelles

Au contraire d’Anvers, Liège et Bruxelles se caractérisent par une proportion importante de banquiers diplômés de l’enseigne- ment supérieur. Le cas de Liège se distingue par la grande régu- larité des chiffres à travers les périodes : la Banque Liégeoise, par exemple, compte en moyenne 85 % de diplômés dans son équipe dirigeante et s’appuie dès l’origine sur des notables, généralement sortis de l’Université de Liège, diplômés de la faculté de droit. Avant 1900, seules trois personnalités n’ont leur nom associé à aucune université belge : parmi ces derniers, deux (L. de Villenfa- gne et H. Grodent) sont désignés comme propriétaires et le troi- sième est le célèbre banquier Gérard Nagelmackers, élevé à la fin du XVIIIe siècle sous l’œil attentif de son banquier de père, qui meurt quand il vient à peine de fêter ses 22 ans. Après 1900, le seul non-universitaire de la banque est l’ancien commis devenu administrateur, A. Goffin 137. Dans la capitale, la proportion de banquiers diplômés de l’en- seignement supérieur avoisine les 70 %. Ce chiffre, un petit peu supérieur à la moyenne nationale, cache en réalité des spécificités selon les périodes et le type de banques étudiées. Les banquiers recrutés avant 1880 ne présentent pas les mêmes profils que ceux engagés les décennies suivantes. D’une part, les négociants et banquiers bruxellois de la première génération pré- sentent un profil de carrière proche de ceux de leurs homologues anversois : très mobiles sur le plan géographique, ils ont été formés auprès de firmes familiales associées et ont commencé très jeunes à assumer de hautes responsabilités dans les affaires. D’autre part, les forces vives issues de l’étranger, comme Hirsch, Oppenheim, Bischoffsheim ou le Français Emerique, présentent un parcours professionnel proche de la première génération autochtone décrite ci-dessus. La dernière vague de représentants de cette catégorie date de la fondation de la Banque de Bruxelles en 1871. Ces personnalités, au profil caractéristique, se mêlent progressivement aux « notables » que G. Kurgan a bien décrits pour la Société Générale, ces fortes personnalités de la vie publi- que, généralement formées dans l’une ou l’autre université belge 138.

137 Au Crédit Liégeois, la proportion de diplômés est à peine inférieure qu’à la Banque Liégeoise (75 %). 138 G. Kurgan-Van Hentenryk, Gouverner la Générale de Belgique. Essai de biographie collective, Bruxelles, 1996. 121 www.academieroyale.be

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Ces faits expliquent qu’avant 1880, la proportion de diplômés de l’enseignement supérieur en Belgique atteint tout juste les 50 % pour l’ensemble des banquiers de l’échantillon. Rappelons qu’à cette époque, la majorité des banquiers de l’échantillon concen- trent leurs activités à Bruxelles. Après 1880 et la fondation de la Banque de Bruxelles (1871) et de la Caisse Générale de Reports (1874), le paysage bancaire bruxellois s’ouvre soudain à une constellation d’universitaires faisant gonfler la proportion de diplômés dans les instances de direction : si à la Caisse Générale, on ne dépasse jamais les deux tiers de diplômés, on atteint 70 % à la Banque d’Outremer, 75 % des administrateurs belges à la Banque Internationale et le niveau record de 90 % à la Mutuelle Solvay-Société Belge de Banque durant l’entre-deux-guerres. À la Banque de Bruxelles, depuis sa création en 1871 jusqu’en 1935, 8 administrateurs sur 10 en moyenne ont reçu une formation dans l’enseignement supérieure ; ce chiffre s’élève à 90 % si on limite la période d’entrée en fonc- tion entre 1880 et 1925. À la Société Générale, cette proportion approche les 85 % après 1880. La Mutuelle Solvay – société familiale – présente la particula- rité, comme je l’ai déjà souligné, de recruter de très jeunes élé- ments qui sont quasiment tous passés par l’université, ce qui témoigne du statut social élevé que revêt le diplôme universitaire pour cette génération d’industriels et d’hommes d’affaires, nés entre les années 1880 et 1900 et héritiers, par descendance directe ou par alliance, de l’énorme fortune de la famille Solvay. En réalité, seules les banques commerciales anversoises n’en- gagent pas en majorité des banquiers universitaires après 1900. En règle générale, on peut répartir les banquiers non-universitai- res actifs au XXe siècle en quatre grandes catégories. Première- ment, les merchant-bankers, les banquiers-négociants dont les carrières sont attachées à la firme familiale : on en compte encore quelques représentants dans les années 1910 et 1920 comme W. von Mallinckrodt, E. Bunge ou E. et V. Bracht. Deuxièmement, les héritiers de la haute banque comme L. Lambert ou R. de Bauer : ces banquiers aux vastes relations internationales ne sont pas restés à l’écart des grandes banques belges par actions, malgré l’intense activité générée par leurs intérêts propres. Troisième- ment, les hommes qui ont conquis leurs lettres de noblesse en tant qu’hommes d’affaires dans les colonies : E. Francqui fait partie de cette catégorie, au même titre qu’A. Delcommune. Qua- trièmement, les banquiers dont la carrière a commencé à 18 ans

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La formation des banquiers ou plus jeune encore au bas de l’échelle, comme commis, pour l’un ou l’autre des grands établissements bancaires. Ajoutons à ces grandes catégories d’exceptions, le parcours hors du commun d’Edouard Empain qui, diplômé de l’enseignement moyen, crée sa propre maison de banque à moins de 30 ans et se lance dans les affaires de transport et d’électricité 139. Les trois cas de promotion interne après 1880 à la Société Générale, relevés par G. Kurgan-van Hentenryk, représentent des exemples rares de réussite méritocratique. De tels exemples semblent encore plus rares dans les autres banques bruxelloises. Avec la réserve que les biographies consultées ne sont pas tou- jours parfaitement complètes et que l’un ou l’autre cas de self- made man peut avoir échappé à ma vigilance, le passage en revue systématique de la composition des conseils d’administration est éloquent. Je n’ai relevé aucune occurrence de promotion interne à la Banque Internationale de Bruxelles. À la Banque d’Outre- mer, seul le directeur C. Aldenhoven sort du rang pour devenir administrateur à 41 ans, en 1911. La Mutuelle Solvay ne fait appel qu’à des banquiers issus de familles notables et éduqués à l’université, à l’exception du commis en écriture J. Van den Bran- den devenu directeur-administrateur à 52 ans. La Banque de Bruxelles, banque de notables et d’héritiers par excellence, ne compte que deux cas, fort tardifs, de banquiers formés au bas de l’échelle : le Hollandais naturalisé Belge M. Soesman, qui est engagé à 20 ans, après deux années d’études supérieures commer- ciales dans son pays d’origine, à la Banque Internationale de Bruxelles, avant de devenir directeur de la Banque de Bruxelles à 33 ans, puis administrateur à 45 ans (1930). Le porteur de pro- curations F. Van Roy, devenu administrateur au début des années 30 à l’âge de 48 ans, non sans gravir un à un les échelons de la hiérarchie : sous-directeur en 1917, directeur en 1923, admi- nistrateur de banques de province avant d’entrer au conseil d’ad- ministration de la Banque de Bruxelles en 1931. À la lumière de ces éléments, l’ascension exceptionnellement rapide de F. Baeyens, dont le parcours fut jalonné de succès pré- coces, tant sur le plan professionnel que sur le plan social, acquiert une dimension presque irréelle qui explique aisément le statut mythique que les chantres de la méritocratie ont pu confé-

139 Comme le souligne Y. Toussaint, des doutes subsistent quant à ses origines, ses études et son entrée dans la vie professionnelle. Y. Toussaint, Les barons Empain, Paris, 1996, p. 22. 123 www.academieroyale.be

Les grands banquiers belges (1830-1935) rer à sa carrière. Parti de presque nulle part à 14 ans, Baeyens devient administrateur de la plus prestigieuse banque belge à moins de 40 ans, à une époque – les années 1870 – où la promo- tion et le recrutement internes ne sont d’actualité dans aucun autre établissement bancaire et où la moyenne d’âge d’entrée en fonction est de plus de 50 ans dans tous les conseils d’administra- tion du pays.

Les études suivies

Les études de droit, largement dominantes avant 1880

Dans la génération des banquiers entrés en activité avant 1880, 80 % des diplômés de l’enseignement supérieur sortent des facul- tés de droit 140. À la Banque Liégeoise, l’équipe dirigeante compte plusieurs juristes dès l’origine. Si nous ne savons rien sur la formation de G. Nagelmackers, son associé C. Verdbois est juriste de forma- tion. Il est diplômé la même année que G. Demonceau, le frère du troisième fondateur, J. H. Demonceau. Les Demonceau sont fils de marchand de cuirs et de peaux. Ce profil professionnel original, à cheval entre le milieu de robes et le monde bancaire, est précurseur d’une lignée d’avocats d’affaires, à la fois actifs à la barre des palais de justice et admi- nistrateurs de sociétés diverses. Ces grands avocats joueront un rôle important auprès des banques belges, tant à Bruxelles qu’à Liège et dans une moindre mesure Anvers. Comme le rappelle G. Kurgan-van Hentenryk, dans le cas particulier de la Société Générale à Bruxelles, les juristes réputés s’avèrent particulière- ment utiles aux établissements bancaires au milieu du XIXe siècle pour « la transformation de nombreuses entreprises en sociétés anonymes, les négociations de concessions avec les pouvoirs publics, les litiges » qui peuvent opposer les banques à l’État belge 141. Les banques liégeoises ne manqueront jamais de recru- ter les noms les plus éminents du barreau liégeois. V. Bellefroid fait partie de cette catégorie de juristes spécialisés dans les affai-

140 Soit 32 individus sur 41. Quant aux 9 autres diplômes de cette période, 5 banquiers ont été formés à l’armée, 2 sont ingénieurs, 1 est passé par l’École Polytechnique de Paris et le dernier a fait les Beaux-Arts. 141 G. Kurgan-Van Hentenryk, Gouverner la Générale de Belgique. Essai de biographie collective, Bruxelles, 1996. 124 www.academieroyale.be

La formation des banquiers res : issu d’une famille de négociants et héritier des affaires fami- liales, Bellefroid concilie sa carrière commerciale avec sa profes- sion d’avocat. Il est par ailleurs très actif auprès de la Chambre de commerce de Liège dès la fin des années 1830 et devient juge au Tribunal de Commerce à la décennie suivante. Il rejoint l’équipe de la Banque Liégeoise en 1858, en même temps que l’avocat J. Demonceau Jr, qui remplace Demonceau père. La Banque d’Anvers s’appuie, à cette époque, pour ce que nous connaissons de ses administrateurs grâce aux éléments ras- semblés dans la littérature, sur un groupe de négociants prospè- res et fortunés, mais nullement liés aux milieux de robe de la métropole. N’oublions pas que cette banque, par son statut par- ticulier, se trouve sous l’aile juridique experte de la Société Géné- rale à Bruxelles. Dans la seconde moitié du XIXe siècle, la prési- dence de la Banque d’Anvers sera réservée à un directeur de la Société Générale : se succèdent alors à la tête de la banque les juristes et banquiers L. Veydt, C. Gréban de St Germain, J. Van der Straeten et V. Tesch. Le profil de l’avocat d’affaires fait son apparition dans les banques anversoises de l’échantillon à la création de la Banque Centrale Anversoise (1871) avec la personnalité de F. Delvaux. Fils d’un avocat-échevin de la ville d’Anvers où sa famille vient d’emménager, F. Delvaux est lui aussi docteur en droit et avocat d’affaires dans la métropole. Membre très jeune de l’association libérale de la ville, secrétaire de la chambre de commerce à 31 ans, il est élu administrateur de la Banque Centrale Anversoise à sa fondation. Ce poste ne l’empêche pas de devenir bâtonnier du barreau d’Anvers. Parallèlement à sa carrière juridique, il ren- force encore ses liens avec le milieu du négoce lorsque sa fille épouse E. Grisar qui lui succèdera au conseil de la banque. Le parcours du second avocat engagé au conseil d’administration de la Banque Centrale Anversoise, E. De Gottal, est assez similaire à celui de Delvaux. Fils d’une famille notable de robe, il est député à l’âge très précoce de 28 ans pour le parti libéral, mais quitte ses fonctions politiques pour œuvrer dans les affaires. À la mort de De Gottal en 1909, le conseil n’estime plus utile de faire appel à un juriste et il semblerait, d’après les informa- tions recueillies sur l’ensemble des administrateurs, que la banque n’ait plus fait appel à un juriste spécialisé après son départ. Pas de trace d’avocat non plus à la création de la Banque de Reports en 1900, ni plus tard lors des renouvellements de l’administra- tion. Les cas de Delvaux et De Gottal sont donc atypiques dans

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Les grands banquiers belges (1830-1935) la métropole anversoise où le milieu du négoce paraît relative- ment dissocié de la société des gens de robe. Delvaux et De Gottal sont d’ailleurs tous deux étrangers à la ville, où leurs familles emménagent tardivement : ils feront leur entrée dans le monde des affaires par la voie politique (l’association libérale) et les fonctions administratives au sein de la chambre de commerce. À la différence d’Anvers où le palais de justice ne peut pas être considéré, à proprement parler, comme un vivier de vocations financières, dans les prétoires de Liège et de Bruxelles se bouscu- lent quantité de jeunes ambitieux dont la carrière penchera défi- nitivement vers les affaires à l’âge de la maturité. Au XIXe siècle, neuf des quatorze administrateurs recrutés par la Banque Lié- geoise ont fait des études de droit. Parmi les douze directeurs entrés en fonction à la Société Générale entre 1850 et 1880, neuf sont docteurs en droit. La Banque de Belgique peut elle aussi se targuer d’avoir fait appel à bon nombre de diplômés en droit : entre 1850 et 1870, cinq nouveaux venus sur huit au conseil d’ad- ministration ont fait des études de droit. La Société Générale et la Banque de Bruxelles conserveront un quota important de doc- teurs en droit dans leurs instances de décision jusqu’à la Seconde Guerre mondiale. Sur l’ensemble de la période, les études de droit sont donc de loin les mieux représentées aux conseils d’ad- ministration des banques belges, avec 53 % des banquiers diplô- més.

Les études d’ingénieurs, en croissance après 1880

La proportion de juristes engagés dans les banques en Belgique diminue après 1880 tandis que la variété des diplômes dont sont titulaires les banquiers s’élargit. 50 % des banquiers diplômés entrés en fonction entre 1880 et 1918 sont docteurs en droit ou ont suivi des études de droit sans les achever 142. Les juristes doivent désormais composer avec les ingénieurs, dont le nombre augmente soudainement vers 1890-1900 : les ingénieurs consti- tuent un tiers des banquiers diplômés entrés en fonction entre 1880 et 1918. L’armée comme étape de formation reste une alter- native privilégiée par une poignée de notables dont, générale- ment, le père a choisi la voie pour le fils 143. Après quelques

142 Soit 54 sur 105. 143 Actifs durant cette période, notons A. Thys, L. Janssen, A. Marchal. 126 www.academieroyale.be

La formation des banquiers années sous les drapeaux, ces fils de bonne famille optent pour la reconversion dans les affaires, généralement avec l’assentiment – ou parfois l’aide – du pater familias. De nouveaux créneaux s’avèrent porteurs : les études supérieures de commerce pour les Anversois qui ont choisi d’opter pour un système d’enseigne- ment supérieur, les sciences politiques comme degré de spéciali- sation après le passage classique par les cours de droit. N’oublions pas que le métier s’enrichit par ailleurs à cette époque d’une première fournée de banquiers professionnels qui, en règle géné- rale, se sont formés sur le tas sans être passés par une école supé- rieure. Ceux-ci se greffent à la constellation de négociants et banquiers non diplômés qui, dès l’origine, côtoient les universi- taires. Ces chiffres ne doivent pas masquer les grandes disparités qui existent entre banques suivant leurs spécificités. Certaines ban- ques continuent à dépendre presque complètement de notables formés aux compétences juridiques : c’est le cas de la Banque Lié- geoise, ou parmi les banques nouvellement créées, de la Banque Internationale de Bruxelles. D’autres banques se caractérisent par le recrutement d’ingénieurs dès leur fondation : tel est parti- culièrement le cas de la Banque d’Outremer où plus de la moitié des hommes engagés pendant cette seconde période sont ingé- nieurs, mais aussi, dans une moindre mesure, le cas du Crédit Général Liégeois qui est par tradition présidé par un ingénieur ou encore, celui de la Banque Générale Belge qui compte au minimum deux ingénieurs dans ses rangs. Dans les grandes ban- ques bruxelloises, entre 1880 et 1918, un équilibre tend à s’établir entre les juristes et les ingénieurs. Quelles sont les filières de recrutement bancaire des ingé- nieurs ? Largement constituée de fils d’industriels bien établis, cette première génération d’ingénieurs appartient à la grande bourgeoisie pour laquelle, comme l’écrit G. Kurgan-van Henten- ryk, « l’acquisition d’une compétence technique est devenue sou- haitable pour consolider la transmission de la fortune et du pou- voir économique » 144. Les ingénieurs accèdent au monde bancaire lorsqu’ils ont fait leurs preuves dans le domaine industriel, que ce soit auprès de firmes patronnées par les banques ou auprès de grosses sociétés nationales dont la gestion exige de hautes com- pétences. Une frange significative des ingénieurs est recrutée

144 G. Kurgan-Van Hentenryk, Gouverner la Générale de Belgique. Essai de biographie collective, Bruxelles, 1996, p. 89. 127 www.academieroyale.be

Les grands banquiers belges (1830-1935) parmi les managers des entreprises de transport, qu’elles soient privées comme le Grand-Central dont sont issus E. Despret (Société Générale) et J. Urban (Banque de Bruxelles) ou publi- ques comme les chemins de fer de l’État où ont débuté A. Dubois (Banque de Bruxelles), L. Jadot (Banque d’Outremer) et J. Cousin (Banque Liégeoise). La Société Générale est à la pointe du changement, puis- qu’elle accueille en son sein un premier ingénieur en 1867 en la personne de l’industriel liégeois L. Orban. Notons qu’à cette époque, l’ingénieur A. Poulet joue déjà un rôle prédominant dans le milieu bancaire et industriel liégeois, en compagnie de son associé Léon d’Andrimont. Soulignons également qu’Orban est plutôt un spécialiste de l’industrie lourde, et non un expert dans le secteur des transports comme la génération qui va le suivre. Après Orban entreront en effet à la Société Générale, V. Stoclet (1882) et E. Despret (1883), deux ingénieurs rompus en matière de chemins de fer. À la création de la Banque de Bruxelles, les ingénieurs issus du sérail industriel sont présents d’emblée : E. Godin et J. Urban font partie du conseil d’administration en 1871 tandis qu’E. Urban se joint à l’équipe en 1875. La Banque Générale Belge puise éga- lement ses ingénieurs dans les grandes familles industrielles dont les patronymes sont associés au commerce de la laine et du drap, tels J. Poswick (1901) – qui représente la famille Simonis – ou L. Zurstrassen (1911). À Anvers, comme j’ai déjà pu le souligner, les exemples d’ingénieurs reconvertis dans la finance sont à peu près inexistants. L’ingénieur-banquier né pendant le premier tiers du XIXe siècle peut avoir emprunté trois voies distinctes de formation. Soit il a été formé à Paris à l’École centrale des Arts et Manufactures 145. Soit il doit ses compétences aux instructeurs militaires de l’École royale militaire de Bruxelles 146 ou de l’École Polytechnique de Paris 147. Notons que cette prestigieuse école parisienne a préci-

145 C’est le cas des deux fils d’industriels nantis que sont L. Orban (né en 1822) et E. Godin (1824). 146 G. Sabatier (1819), E. et J. Urban (1826 et 1827), issus d’une lignée d’ingé- nieurs originaire de la région de Namur, A. Poulet (1835), L. Barbanson-Tesch (1843). 147 L. Desmaisières (1794). 128 www.academieroyale.be

La formation des banquiers sément servi de modèle d’organisation et d’enseignement aux concepteurs de l’École royale militaire belge 148. Une troisième filière s’ouvre aux fils de notables avec la créa- tion des premières Écoles spéciales d’ingénieurs en Belgique, en 1836 à l’Université de Liège et en 1838 à l’Université de Gand. Les deux premières mentions de ces écoles dans l’échantillon datent du milieu des années 1840 et concernent l’École de Liège. Remar- quons que les premiers aspirants ingénieurs répertoriés dans cette recherche, F. Braconier et A. de Laminne, qui appartiennent à deux des familles industrielles les plus fortunées de la région lié- geoise, partagent la particularité de n’avoir pas achevé leurs études et d’avoir rejoint les affaires familiales avant d’être diplô- més. À partir d’E. Despret, reçu ingénieur au milieu des années 1850, les ingénieurs diplômés des écoles de Liège et de Gand commencent à trouver leur place dans les conseils d’administra- tion. Le phénomène apparaît dans les années 1880. La généra- tion née après 1840 ne provient désormais plus exclusivement de ces écoles ; s’y ajoutent l’École spéciale de l’Université de Louvain fondée en 1863 et l’École polytechnique de l’Université de Bruxel- les mise sur pied en 1873. Pendant plus de trois décennies, les universités belges alimenteront les conseils d’administration de techniciens formés sur leurs bancs. S’il fallait démontrer, par un exemple unique, que la forma- tion d’ingénieur auprès d’une université belge est désormais prisée par le monde bancaire, je citerais le cursus éducatif du banquier W. Thys. Fils du célèbre colonial A. Thys, officier asso- cié au Roi Léopold II dans le financement de l’industrie dans les colonies et père-fondateur de la Banque d’Outremer, W. Thys est destiné au métier de banquier par son père qui veut préserver son œuvre et le capital qu’il a constitué par un jeu subtil d’héritage que j’ai déjà abordé plus tôt. Ses humanités brillamment réussies à l’Athénée royal d’Ixelles, l’une des écoles les plus prisées par les élites bruxelloises de l’époque, W. Thys achève des études d’ingé- nieur civil à l’Université de Liège (1909), puis d’ingénieur électri- cien à l’Institut Montefiore de Liège (1911). Il est entre-temps envoyé en stage dans une institution bancaire en Angleterre. Ce

148 V. Deguise, Histoire de l’école militaire de Belgique, Bruxelles, 1895, p. 25. K. Bertrams, Les universités belges et le monde de l’industrie. Essai de repérage historique (1880-1970), Thèse inédite en Philosophie et Lettres, orientation histoire, Université Libre de Bruxelles, 2003-2004, p. 18. 129 www.academieroyale.be

Les grands banquiers belges (1830-1935) cursus original présente une synthèse entre l’aspect pratique encore privilégié par les milieux de la haute finance et du négoce, et l’aspect théorique désormais nécessaire dans un milieu ban- caire qui tend à se spécialiser.

L’équilibre entre juristes et ingénieurs durant l’entre-deux-guerres

Après 1918, l’équilibre est atteint entre le recrutement de juris- tes et d’ingénieurs. La proportion de chacune de ces deux caté- gories approche les 45 % parmi les banquiers diplômés, si l’on inclut dans la catégorie des ingénieurs l’ensemble des jeunes offi- ciers d’artillerie reconvertis aux affaires. En effet, au sein de la génération aux études au tournant du siècle, l’École royale mili- taire regagne les faveurs d’une poignée de jeunes notables, à nouveau tentés par l’uniforme 149. Pour cette nouvelle génération d’ingénieurs formée à l’armée et active dans les années 1920-30, il n’est pas rare de parachever son éducation par un diplôme d’ingénieur en électricité auprès de l’Institut Montefiore de Liège 150. Les autres diplômes (10 %) conquis par les banquiers actifs après 1918 se répartissent de manière marginale entre l’option commerciale, les sciences politiques ou les sciences éco- nomiques 151. Notons que sur l’ensemble de la période étudiée, 9 diplômés sur 10 le sont en droit ou en ingéniorat. Après 1918, les ban- quiers sont toujours près de 90 % à avoir suivi une de ces deux filières éducatives. Ce taux très élevé s’explique par le faible attrait des gros négociants pour les écoles belges de commerce, et le peu d’alternatives en termes de formation offertes aux jeunes gens de la grande bourgeoisie désirant prolonger la tradition familiale des affaires. Le premier et le seul ingénieur commercial de l’échantillon est Henri Lambert, descendant de la célèbre famille de banquiers Lambert, anciens représentants des Roths- child à Bruxelles, acteurs infatigables de la haute banque en Bel- gique. Né en 1887 et très actif à la fin des années 1920, Henri

149 Entre 1893 et 1904, six personnalités importantes du monde industriel sortent de l’école militaire : L. Greindl (1893), G. Theunis (1895), G. Blaise (1903), A. Bemelmans (1904), H. Urban (1904), A. Marchal (1904). 150 Se spécialisent en électricité G. Theunis, H. Urban et A. Marchal. 151 Quelques noms : licenciés en sciences économiques, J. Philippson (1881-1961) et J. Allard (1868-1931). Licencié en sciences politiques, J. Ingenbleek (1876- 1953), A. de Lantsheere (1870-1932). 130 www.academieroyale.be

La formation des banquiers

Lambert est un des premiers diplômés de l’École de commerce Solvay de Bruxelles : il incarne la première génération de ces riches héritiers de la haute finance qui se tourne vers l’enseigne- ment supérieur 152. Ce comportement neuf dans le chef des repré- sentants des grandes lignées de banquiers prouve le caractère désormais incontournable de la formation universitaire dans la haute société du début du XXe siècle. Durant l’entre-deux-guerres, les banques n’ont pas toutes recruté selon la même logique. À la Société Générale et à la Banque de Bruxelles, l’équilibre entre les juristes et les ingénieurs est à peu près respecté. Toutefois, suite au mouvement de fusions bancaires, la Banque de Bruxelles intègre une série de notables de provinces et le conseil d’administration, présidé successivement par deux banquiers diplômés en droit (M. Despret et M. Hou- tart), tend à pencher du côté des juristes même si le profil des personnalités recrutées est très variable. La Banque d’Outremer, comme la Banque de Bruxelles, abandonne quelque peu son recrutement intensif d’ingénieurs bien que la banque repose encore largement sur ses experts et techniciens. La Banque Cen- trale Anversoise, qui demeure une banque commerciale, peut pour sa part aisément se passer de l’aide d’un ingénieur au conseil d’administration. Les banques de l’échantillon comptent presque systématique- ment au moins deux ingénieurs dans leur conseil d’administra- tion. Le virage le plus spectaculaire de la période est celui effec- tué par la Banque Liégeoise, traditionnellement enracinée dans le milieu de robe liégeois : à partir de 1920, son conseil se garnit successivement de cinq nouveaux ingénieurs, et d’un banquier issu du rang. À l’heure des managers spécialisés et au moment où les nouveaux enjeux industriels se complexifient, les banques ont toutes, avec leurs spécificités locales, intégré des spécialistes des domaines économiques émergents.

152 Avec lui, M. Philippson (1877-1938) et son frère Jules Philippson (1881-1961), J. Allard (1868-1931). 131 www.academieroyale.be

Les grands banquiers belges (1830-1935)

Études supérieures et origines sociales

Diplômes et secteurs d’activité

Tous les milieux socioprofessionnels n’ont pas encouragé les études supérieures de leurs fils ni avec la même intensité, nià partir du même moment. Sur l’ensemble de l’époque étudiée, une constante se dégage toutefois : en règle générale, à quelques rares exceptions près 153, les banquiers issus de la bourgeoisie diplômée sont eux-même titulaires d’un diplôme universitaire. C’est le cas, dans un premier temps, des juristes, avocats ou fonctionnaires, descendants d’une famille de robe. Il en sera de même, ensuite, pour les lignées d’industriels-ingénieurs. En dehors de cette constante apparaissent de nettes différences sectorielles, dont quelques-unes ont déjà été évoquées. Parmi les individus de l’échantillon entrant en activité avant 1870 dans les trois premières grandes banques mixtes belges, seuls 50 % des banquiers issus de pères dans le négoce, l’industrie ou la banque se forment à l’université. Pour cette période, la proportion se vérifie dans chacun des trois grands secteurs professionnels dis- tingués ici. La génération suivante, par contre, voit deux tendan- ces se dessiner. D’une part, les banquiers issus de pères banquiers ou négociants continuent à garder leurs distances avec le milieu universitaire, puisque la proportion de diplômés parmi les ban- quiers issus de ces deux catégories diminue même légèrement, jusqu’à 45 %, pour la génération active entre 1870 et 1914. D’autre part, les pères industriels se démarquent des deux caté- gories précédentes, en envoyant alors en grand nombre leurs fils se former dans les universités. En effet, parmi les banquiers fils d’industriels, la proportion de diplômés s’élève à 75 % pour cette période. Peut-on déduire de ces données que le milieu industriel belge s’est, à partir de 1870, montré particulièrement réceptif à l’ensei- gnement spécialisé professé dans les grandes universités du pays ? L’effet de loupe lié à la particularité de l’échantillon – composé, je le rappelle, d’éléments dont la réussite dans les affaires est maximale – doit nous inciter à la prudence. Le nombre très important de diplômés parmi les banquiers fils d’industriels, contrastant avec la relative désaffection des études universitaires

153 L’exemple de E. Francqui, fils d’avoué et neveu de professeur d’université, vient le plus spontanément à l’esprit. 132 www.academieroyale.be

La formation des banquiers observée dans les rangs des fils de négociants et de banquiers, nous indique l’attrait grandissant de l’enseignement universitaire auprès d’une fraction supérieure du secteur industriel – celle qui a accès au marché des capitaux –, n’hésitant plus alors à envoyer ses héritiers suivre une formation privilégiant la théorie. Le contraste est saisissant avec un pays comme l’Angleterre où le monde industriel reste circonspect quant aux avantages que peut lui apporter un enseignement universitaire. Notre échantillon composé d’éminents hommes d’affaires illustre le fait que la fraction supérieure des élites en Belgique, une fois atteint un certain niveau d’aisance, privilégie la voie uni- versitaire, non seulement comme filière d’acquisition de savoir, mais également comme signe de notabilité. La seule catégorie de notables qui reste longtemps imperméable à cette lame de fond se compose des grands négociants liés aux échanges internatio- naux et basés à Anvers, ainsi que le monde de la haute banque qui partage plusieurs caractéristiques avec le milieu du négoce. Pour la génération entrant en activité après 1914, le passage par un cursus universitaire, ou à tout le moins par des études supérieures, est désormais devenu la règle, d’une manière glo- bale. Les pères négociants et banquiers ne sont toutefois plus assez nombreux dans cette dernière génération de banquiers de l’échantillon, pour pouvoir rapporter l’observation des études de ces derniers aux secteurs professionnels de leurs pères. La nou- velle vague d’hommes d’affaires diplômés de l’enseignement supérieur se compose alors d’héritiers dont les pères sont eux- mêmes généralement passés par l’université.

Lignées de diplômés et mobilité dans la formation

En général, les études supérieures du banquier et de son père – du moins lorsque ce dernier en a suivies – se recouvrent : 69 % des banquiers empruntent les pas de leur père dans leur cursus uni- versitaire. À Liège, on dépasse même les 85 %. Ainsi, il n’est pas rare qu’au XIXe siècle, l’attrait pour les études d’ingénieur s’avère héréditaire et l’on ne compte plus les lignées d’ingénieurs dont certains représentants ont joué un rôle non négligeable dans le monde bancaire 154. Le clan Cousin-Jadot est bien connu pour la position centrale qu’il a tenue dans le mécanisme financier belge

154 Quelques familles connues : les Bemelmans, les Gérard, les Stouls, les Dalle- magne, les Descamps, les Dewandre, les Semet, les Stoclet, etc. 133 www.academieroyale.be

Les grands banquiers belges (1830-1935) du début du XXe siècle. Mais d’autres familles illustrent ce type de lignées. Les Urban sont ingénieurs de père en fils sur trois générations. Le père du fondateur du Crédit Général Liégeois Alban Poulet est ingénieur civil, Alban lui-même officie comme ingénieur formé à l’école militaire, son fils Alban jr et son beau- fils Léon Castermans, qui prendra sa succession dans le domaine bancaire, sont respectivement ingénieur civil des mines et ingé- nieur des arts et manufactures. Fait insolite, les six filles d’Alban Poulet ont épousé des ingénieurs. Toutes ces lignées d’ingénieurs n’ont pas nécessairement brillé dans le monde bancaire pendant plusieurs générations, mais toutes partagent le fait d’avoir siégé dans un établissement financier d’envergure par l’intermédiaire d’au moins l’un de ses représentants. Le phénomène de transmission du choix des études n’est d’ailleurs pas propre à l’ingénieur. En Belgique, il existe égale- ment de nombreuses familles de robe par tradition 155. Toutefois, les lignées d’avocats spécialisés dans les affaires sont moins fré- quentes. Les avocats d’affaires peuvent inciter leurs héritiers à diversifier leurs carrières et à ne pas systématiquement reproduire leur propre parcours professionnel. Ces avocats présentent la particularité de ne pas avoir associé leur nom à une entreprise unique : ils ont investi leurs intérêts dans des établissements variés, tant bancaires qu’industriels. La diversification de leur carrière et de leurs prises de participations industrielles détermine également les modes de transmission de l’héritage familial qui a tendance à se traduire dans des schémas loin d’être uniformes. Les descendants des hommes d’affaires formés à l’art juridi- que peuvent tout aussi bien reproduire le modèle paternel dans leurs études, se spécialiser dans une formation d’ingénieur ou se détourner complètement des affaires par un choix d’études étran- ger à la carrière d’administrateur de sociétés. Ce phénomène de diversification est caractéristique de la génération aux études à la fin du XIXe siècle. À la suite de C. de Rossius (1863-1946), fils du député Fernand de Rossius, avocat à la Cour d’Appel de Liège et administrateur de sociétés, vont se succéder une série d’exemples d’ingénieurs issus de familles de robe converties aux

155 Parmi les lignées de juristes dont certains représentants ont joué un rôle dans les affaires, citons les familles Doreye, del Marmol, Misonne, Verwilghen, Masquelin, Mesdach de ter Kiele, van Nuffel d’Heynsbroek, Pirmez, Orts, de le Hoye, etc. 134 www.academieroyale.be

La formation des banquiers affaires 156. Par ailleurs, une poignée de fils de juristes, de L. Greindl (1867-1944) à G. Ganshof van der Meersch (1898- 1973), sont envoyés à l’armée s’initier aux compétences pratiques avant de reprendre le flambeau familial dans les affaires. L’observation qui précède vaut aussi, dans une moindre mesure, en sens inverse : certains héritiers de la première généra- tion d’ingénieurs, lorsqu’ils ont eux-mêmes conforté leur position professionnelle et leur statut de notable, choisissent de réorienter leurs enfants vers les métiers de robe 157. Ces ingénieurs, qui ont généralement obtenu de belles positions, n’hésitent pas à éloigner leur progéniture des études techniques, conduisant au métier d’ingénieur, pour leur offrir l’alternative juridique toujours fort prisée dans les milieux d’affaires. Ainsi, le seul banquier issu de la lignée d’ingénieurs des Sepul- chre est un docteur en droit : François Sepulchre (1858-1929) est envoyé par son père, ingénieur diplômé de l’École de Liège, faire son stage chez l’avocat-banquier H. Clochereux auprès de qui il forge sa future vocation d’homme d’affaires. Chez les Barban- son, administrateurs de sociétés de père en fils pendant plus d’un siècle, le balancier a oscillé entre le droit (les deux premières et la dernière génération) et les études d’ingénieur (la troisième géné- ration). Le banquier et sénateur M. Despret seconde son père ingénieur dans des entreprises étrangères de transports, après un passage remarqué au barreau de Bruxelles ; il aura à son tour une brillante carrière de financier. Durant la seconde moitié du XIXe siècle, il est encore fréquent que le chef de famille n’ait pas eu la chance de profiter d’un enseignement universitaire parce qu’il a été appelé très jeune à prêter main forte dans les affaires familiales ou que des circons- tances particulières l’en ont empêché. Il n’en reste pas moins attentif à ce que ses descendants puissent bénéficier de ce label universitaire dont il a lui-même été privé. Soit le père aiguille ses fils vers les études appliquées d’ingénieurs pour conforter la posi- tion de ses affaires en les enracinant dans le nouveau savoir tech-

156 M. Hulin (1881-1966), E. Janssen (1879-1955), M. (1875-1956) et P. Lippens (1876-1915), etc. 157 C’est le cas de L. Guinotte (1870-1950), ami d’enfance de R. Warocqué avec qui il s’inscrit en droit, et de A. E. Janssen (1883-1966), fils d’un ingénieur à l’administration des chemins de fer. 135 www.academieroyale.be

Les grands banquiers belges (1830-1935) nique 158, soit il les oriente vers les études de droit 159 lorsqu’il privilégie pour la firme familiale la formation de gestionnaires rompus à la maîtrise des règles administratives.

L’importance des études pour les banquiers

Les statistiques mettent en lumière l’importance croissante des études universitaires pour les élites bancaires du XIXe siècle. Quasi tous les banquiers de l’échantillon dont les pères sont eux- mêmes diplômés de l’université sont à leur tour titulaires d’un grade académique (ou ont à tout le moins passé quelques années à l’université, sans nécessairement avoir passé l’épreuve finale). Cette règle ne connaît que quelques exceptions pour l’ensemble de l’échantillon 160. Épinglons également les cas devenus célèbres de ces autodi- dactes, privés d’enseignement supérieur, qui une fois la réussite atteinte, investissent tant matériellement que symboliquement dans le créneau universitaire. Dans la deuxième partie de sa vie, Edouard Empain devient un bienfaiteur appréciable de l’Univer- sité de Bruxelles et de l’Université de Louvain ; Émile Francqui, pour sa part, est à la base d’un vaste réseau d’institutions – encore en place aujourd’hui – visant la promotion des universités et de la recherche. En définitive, le seul milieu de l’échantillon resté longuement imperméable à l’émulation universitaire est le monde du négoce international, présent principalement à Anvers. Dans les milieux d’affaires liégeois, verviétois, gantois ou bruxellois, même si cer- taines circonstances exceptionnelles empêchent parfois les héri- tiers de se former dans une institution d’enseignement supérieur, il est généralement entendu qu’un passage par l’université parti- cipe tant à la consolidation du statut social qu’à l’acquisition de savoirs et de compétences utiles dans la sphère professionnelle.

158 C’est le cas de L. Eloy (1841-1892), armurier, dont les trois fils deviennent ingé- nieurs, dont le banquier Louis Eloy (1870-1940). Pour ne citer que quelques autres exemples, retenons J. Poswick (1832-1905), L. Zurstrassen (1858-1930), L. Massaux (1883-1955) ou A. Baar (1875-1942). 159 Voir par exemple les biographies de A. Vercruysse (1834-1921), A. Dresse (1841-1912), X. Olin (1836-1899), H. Gillieaux (1869-1953) ou P. David (1872- 1948). 160 Citons par exemple H. de Laminne, qui commence à travailler dans la firme familiale à 18 ans alors que son père, A. de Laminne, a suivi en élève libre (sans l’obtention de diplôme) les cours de l’école des mines à Liège. 136 www.academieroyale.be

La formation des banquiers

Conclusion : héritiers et université

On peut d’ores et déjà tirer une conclusion des observations qui viennent d’être développées. Au tournant du siècle, l’ère de la professionnalisation de l’économie n’a pas enrayé la marche des héritiers-notables. Les banquiers et financiers les plus incontour- nables de l’entre-deux-guerres ne sont que rarement « fils de leurs œuvres ». Ce sont généralement des héritiers qui ont su s’adapter aux transformations de l’économie à travers, entre autres, une fréquentation élevée des établissements universitaires, et plus particulièrement des écoles d’ingénieur à partir de la seconde moitié du XIXe siècle. Pour se convaincre du recrutement élitiste des banquiers, il suffit de jeter un œil sur les cas de recrutement bancaire interne, durant les années 1920 et 1930 : comme observé pour les périodes antérieures à Bruxelles, un tel recrutement ne concerne qu’un nombre très limité d’individus, dont presque aucun n’a fait une carrière à la hauteur de celle des héritiers M. Despret, C. Fabri ou H. Lambert. La montée en puissance progressive des ingénieurs dans la seconde moitié du XIXe siècle, puis l’avènement de la catégorie durant l’entre-deux-guerres ne modifient pas le profil sociologi- que du banquier. La plupart des ingénieurs actifs après la Pre- mière Guerre mondiale sont recrutés dans les plus hautes cou- ches sociales et restent en majorité des fils d’hommes d’affaires. La notabilité, dont sont issus les administrateurs de banques, a su saisir l’évolution des mentalités perceptible surtout dans le monde industriel. À l’image des Braconier ou des de Laminne, ils ont été parmi les premiers à amorcer le virage vers les études supérieures techniques, et ne se sont donc pas laissés doubler par des nouveaux-venus qui auraient pu faire prévaloir des compé- tences professionnelles étrangères aux notables en place. Déten- teurs du savoir technique et forts d’un capital scolaire souvent très élevé grâce à leurs études universitaires, les fils d’héritiers de la dernière période devenaient ainsi imparables pour obtenir les plus hautes responsabilités dans les institutions bancaires. Dans ce sens, l’université n’a pas joué, pour la génération des ban- quiers qui nous occupe, un rôle d’ouverture de l’accès au métier, mais a plutôt permis à la fraction dominante en place de rester au pouvoir. Comme nous l’avons vu, au fil des générations de banquiers, les pères propriétaires d’affaires industrielles ou commerciales sont progressivement remplacés par les pères banquiers et admi-

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Les grands banquiers belges (1830-1935) nistrateurs de sociétés. Aux yeux des premiers comme à ceux des seconds, l’université constitue une voie obligée pour l’éducation de leur progéniture. La tradition remonte au moins à l’indépen- dance du pays. Dès ce moment, les études juridiques sont répu- tées ouvrir des perspectives d’avenir assez larges : une carrière consacrée à la Justice, mais également un rôle en vue en politi- que, une position de pouvoir au service de l’État, et pour ceux que les affaires attirent, des postes rémunérateurs dans les plus grosses sociétés. Dans un second temps, les études d’ingénieur ont apporté aux héritiers un nouveau savoir technique en réponse aux enjeux économiques plus complexes du monde capitaliste. Quelques nouveaux-venus ou bourgeois en phase de mobilité comme F. Cattier ou J. Devolder ont bien compris cet enjeu du diplôme universitaire. Ces derniers, qui ont conquis leur titre de juriste alors qu’ils sont d’extraction plus modeste, font cependant figures d’exception. Pour les nouveaux-venus, l’accession au sommet du monde des affaires est généralement due à l’excel- lence de leur parcours professionnel. Comme je l’ai souligné, beaucoup des banquiers issus de la professionnalisation du métier et actifs durant l’entre-deux-guerres demeurent formés sur le tas. L’université belge n’a pas joué, dans leur cas, un rôle de levier dans une logique méritocratique. Elle n’a pas représenté un moyen d’accès au métier de la haute-finance pour une fraction moins aisée de la population. Pour cerner l’influence réelle de l’université sur le renouvelle- ment des élites belges à partir de la seconde moitié du XIXe siècle, il serait utile d’étendre ce questionnement à d’autres sphères de pouvoir. On pourrait ainsi juger des parcours de formation des autres catégories appartenant aux milieux d’affaires, et en parti- culier des industriels 161, ainsi que de l’élite politique, dont nous n’avons ici qu’un nombre limité de représentants, insuffisant pour développer des conclusions générales.

161 Dans le sens de la recherche de De Wilde : B. De Wilde, « Een sociografich onderzoek van Belgische textielpatroons in de 19de en de 20st eeuw », in Revue Belge de Philologie et d’Histoire, 74 (3-4), 1996. 138 www.academieroyale.be

Chapitre IV

La sociabilité (I)

Les réseaux d’études et de jeunesse

Les hauts-postes de responsabilité dans le monde des affaires sont rares : l’accession au conseil d’administration d’une grande banque est un succès appréciable et valorisé. Toutefois, si les places de décideurs sont comptées, les candidats-aspirants ne se bousculent pas. Pour devenir administrateur d’une institution financière, il faut avant tout correspondre au bon profil : le can- didat devra être, si possible, diplômé en droit ou ingénieur, armé d’une solide expérience des affaires, héritier d’une famille recon- nue sur la place et disposant d’une fortune appréciable 162. Par ailleurs, nous verrons dans un chapitre suivant qu’une forte pro- portion d’entre eux sont des hommes politiques influents, bien introduits et respectés, même par l’opposition. Une fois ces conditions au moins partiellement remplies, les circonstances sociales et les liens interpersonnels viennent dépar- tager les plus capables. En dehors de la sphère purement profes- sionnelle, les notables se ménagent en effet de multiples occasions de rencontres dans des circonstances de détente et de loisir qui favorisent les rapprochements durables entre individus. Ces rap- prochements ont parfois des répercussions importantes sur le plan professionnel. Ils sont le fruit d’une stratégie consciente des élites qui évitent soigneusement, dans leur vie privée, de se mêler et de fréquenter d’autres milieux que celui auquel ils s’apparen-

162 Voir les chapitres précédents.

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Les grands banquiers belges (1830-1935) tent. Entre 1830 et 1935, tout semble encore en place pour pré- server le caractère immuable du rang social et les rares cas de mobilité sociale observés s’opèrent dans le cadre très strict insti- tué par les élites en place, où l’arrivée de nouveaux-venus est rigoureusement contrôlée et où les possibilités d’ascension sociale se limitent souvent à l’enrichissement de familles, déjà aisées à l’origine, par la réussite exceptionnelle d’un de leurs membres. Cette obsession de l’entre-soi guide la vie des grands bour- geois dès leur plus tendre enfance et dicte les conduites des pre- miers pas jusqu’au dernier souffle de l’individu. L’entre-soi s’ex- prime d’abord de manière concrète dans le choix des lieux de résidence. Tout au long du XIXe siècle, plusieurs groupes de ban- quiers liégeois partagent des propriétés voisines dans la cité ardente. Ils se transmettent d’ailleurs généralement les biens d’une famille à une autre 163. La forme la plus aiguë de co-terri- torialité s’est toutefois exprimée à Bruxelles, avec l’expansion planifiée des beaux-quartiers vers le sud de la ville. Pour sortir de la « vieille ville », on construit coup sur coup le Quartier Léopold, le quartier de l’Avenue Louise, puis les alentours de l’Avenue de Tervuren, toujours sous l’impulsion d’un petit groupe de nota- bles dont certains appartiennent à l’échantillon de banquiers 164. Dans ces petits espaces privés, la proximité spatiale est telle qu’elle impose aux notables des comportements de bon voisi- nage. Mais l’entre-soi se note surtout dans les coutumes de sociabi- lité. Certaines formes de sociabilités aristocratiques (de sang et d’argent) se sont perpétuées à travers le siècle, d’autres se sont modifiées et se sont adaptées au progrès, à la laïcisation et à la démocratisation de la société. À travers l’exemple du monde bancaire transparaît le rôle des lieux de sociabilité dans la consti- tution ou la consolidation des réseaux mis à la disposition des notables. Ces liens d’amitié, de camaraderie ou de complicité, nés dans le partage d’une passion ou d’une expérience communes,

163 Consulter par exemple T. Gobert, Les rues de Liège, Anciennes et modernes, Liège, 1901 (2e édition), 4 tomes, t. 2, p. 248, t. 3, p. 381 et p. 463. 164 L. Hymans, P. Hymans, Bruxelles à travers les âges, t. III, Bruxelles moderne, Bruxelles, sd. V. Heymans, Architecture et habitants. Les intérieurs privés de la bourgeoisie à la fin du XIXe siècle (Bruxelles, Quartier Léopold, extension nord- est), doctorat en philosophie et lettres, ULB, Bruxelles, 1993-1994. J. D’osta, Le Quartier Léopold, Hier et aujourd’hui, Anvers, sd. C. Temmerman, T. D’huart, 1897-1997, Les 100 ans de l’avenue de Tervueren, Bruxelles, 1997. 140 www.academieroyale.be

La sociabilité (I) peuvent bien vite se muer en alliance professionnelle lorsque le loisir fait place aux affaires. Je réserverai ce chapitre aux relations élaborées dans la période de jeunesse et en particulier, aux réseaux d’études. Le chapitre suivant sera consacré aux multiples réseaux extra-professionnels tissés par les banquiers au cours de leur vie adulte.

Une expérience forte, hors du giron familial

Les années de formation marquent une étape significative dans l’évolution des destinées bourgeoises. Pour la première fois, les jeunes enfants ou adolescents sont confrontés au monde exté- rieur, à l’altérité. Pris en charge durant leur prime enfance à l’in- térieur du cocon familial par un précepteur, une gouvernante ou par les parents eux-mêmes, ils poursuivent habituellement leur formation intellectuelle au contact de condisciples dans une ins- titution d’enseignement primaire, secondaire, puis universitaire pour la plupart d’entre eux. Dans l’état actuel de nos connaissan- ces, il semble que le passage par l’enseignement moyen soit la règle pour les futurs banquiers : à l’école, ils peuvent côtoyer des congénères et rares sont ceux qui entrent dans la vie profession- nelle sans avoir ainsi tissé des liens avec des jeunes gens de leur âge et de leur condition. Bien qu’il ne soit pas toujours aisé de les reconstituer, les liens établis dès le plus jeune âge peuvent jouer un rôle important dans les relations d’affaires ultérieures. Comme l’a joliment décrit, avec une nuance de nostalgie, Louis Hymans dans son recueil « Types et silhouettes », les amitiés de jeunesse transcendent les opinions et le temps. Cet auteur prolixe du XIXe siècle souligne d’ailleurs que ces liens de jeunesse forgent souvent des unions plus solides que ceux qui peuvent naître d’une « communauté ponctuelle d’idées » et d’intérêts, que les ambitions et les rivalités menacent d’anéantir à chaque instant : « l’amitié se fonde sur les bancs de l’école entre enfants et jeunes gens du même âge ; elle procède de la communauté des sentiments et se préoccupe assez peu de la divergence des idées 165 ». Cette amitié, Hymans le déplore, peut se briser à l’usure de la dure réalité politique. Elle le peut également lorsque le combat sans pitié des affaires la mal- mène. Mais elle est à la base de nombreuses alliances financières,

165 L. Hymans, Types et silhouettes, Bruxelles, 1877, p. 85. 141 www.academieroyale.be

Les grands banquiers belges (1830-1935) qui n’auraient vu le jour sans cet essentiel contrat de confiance souvent conclu dès l’adolescence. Les plus grands spécialistes de l’histoire des banques n’ont pas manqué de souligner l’impor- tance du facteur « confiance » dans les transactions d’affaires 166. La confiance s’enracine parfois dans des relations de longue date qu’entretiennent les jeunes gens de familles alliées. Il n’est pas possible pour l’historien, quand il s’attache à dres- ser le portrait d’un groupe d’individus aussi abondant que l’échantillon de banquiers étudié, de pointer le projecteur sur la vie privée de chacune des personnalités étudiées. Il doit toutefois faire ressortir, du foisonnement des parcours individuels, certains traits communs caractéristiques d’un groupe et d’une époque, quitte à enrichir et à nuancer les observations générales au moyen d’une sélection d’exemples concrets éloquents. Un grand nombre de biographes et d’acteurs eux-mêmes ont insisté sur l’impor- tance des complicités nouées à l’adolescence : dans quelles cir- constances celles-ci voient-elles le jour, et quelles empreintes ont- elles laissées dans le déroulement des affaires ?

Les études secondaires

Le choix de l’établissement

Au jeune homme de bonne famille en âge d’entamer ses humani- tés en 1830, le choix des établissements reste limité. Si la Belgique n’a jamais connu ses « public schools », à l’instar du système anglais, elle a toujours reproduit un système élitiste d’enseigne- ment où une poignée de « bonnes écoles » rassemblaient les futurs dirigeants du pays. Les données concernant les études primaires et moyennes de mon étude sont fragmentaires 167. Elles ne don- nent qu’un aperçu impressionniste de la situation, à partir duquel on peut esquisser quelques tendances non chiffrées.

166 R. Tilly « Moral Standards and Business Behaviour in Nineteenth-Century Germany and Britain », in J. Kocka, A. Mitchell (eds), Bourgeois Society in Nineteenth-Century Europe, Oxford-Providence, 1993. V. Mangematin, « La confiance : un mode de coordination dont l’utilisation dépend de ses conditions de production », in C. Thuderoz, V. Mangematin, D. Harrisson (eds), La confiance. Approches économiques et sociologiques, Levallois-Perre, 1999. 167 On ne connaît l’institution fréquentée dans le cadre du cycle moyen que pour 82 banquiers, soit un quart de l’échantillon restreint. La qualité de l’échantillon s’améliore pour les banquiers formés après 1850. 142 www.academieroyale.be

La sociabilité (I)

Dans la capitale, l’Athénée royal de Bruxelles est, jusqu’à la fin du XIXe siècle, un passage quasi-obligé pour les familles qui choisissent les humanités anciennes mais n’optent pas pour l’en- seignement jésuite. Restructuré à plusieurs reprises sous les régimes français et hollandais, la réputation de l’établissement ne fait que s’amplifier durant les premières décennies suivant l’Indé- pendance de 1830. Au milieu du siècle, l’athénée est à la tête de la liste des établissements d’enseignement moyen les plus fré- quentés de Belgique, avec près de 500 élèves inscrits. À cette époque, l’âge théorique d’admission est de 10 ans pour les prépa- ratoires, mais les inscriptions d’enfants plus jeunes sont acceptées à condition que les parents puissent prouver que leur progéniture sait lire et écrire. Ceci explique d’ailleurs les succès scolaires et universitaires précoces de certains banquiers. Entre 1830 et 1850, les élèves de l’Athénée royal de Bruxelles doivent choisir entre trois types d’enseignement selon qu’ils se destinent à la carrière des armes, à celle de l’industrie ou du com- merce ou à la carrière universitaire. Après la réforme de 1850, l’enseignement se scinde en deux sections : les humanités ancien- nes « d’où sortent les futurs avocats, magistrats, notaires, diplo- mates, médecins, professeurs » ; la section professionnelle rece- vant les industriels et commerçants en herbe 168. Cette seconde section est rebaptisée « humanités modernes » à partir de 1887. Notons que les familles des futurs banquiers optent généralement pour les humanités anciennes, où l’accent est mis sur l’apprentis- sage du latin, du français et du grec et où l’enseignement des mathématiques est reporté à la classe de troisième. Jusqu’à la Seconde Guerre mondiale, les gréco-latines demeurent en effet la voie royale vers l’université qui constitue l’objectif ultime des futurs banquiers dont on connaît le parcours scolaire 169. Le minerval élevé prouve les exigences de l’établissement bruxellois en matière de recrutement sélectif : il est fixé à 100 francs en 1851, puis est porté ultérieurement à 180 francs. Seules la bonne et la grande bourgeoisies peuvent s’offrir un enseigne- ment à ce prix, les dépenses scolaires ne se limitant évidemment pas à l’inscription annuelle. Le tableau est fort semblable au Col-

168 L’athénée royal de Bruxelles, son histoire, son organisation, ses méthodes, Bruxelles, 1908. H. Dorchy, l’Athénée Royal de Bruxelles, son histoire, Bruxelles, 1950. Il y a 800 élèves en 1875, répartis entre les deux sections. 169 D. Grootaers, « Tensions et ruptures dans le projet éducatif et culturel des humanités (1830-1950) », in D. Grootaers (dir), Histoire de l’enseignement en Belgique, Bruxelles, 1998, p. 271-272. 143 www.academieroyale.be

Les grands banquiers belges (1830-1935) lège Saint-Michel, l’institution catholique rivale à Bruxelles, aux mains des Pères Jésuites. Le minerval des externes s’élève égale- ment à 100 francs ; celui des pensionnaires de l’internat atteint la somme astronomique de 1000 francs par an. À titre de compa- raison, le préfet de l’Athénée royal de Bruxelles touche à cette époque un salaire assez confortable de 3800 francs par an. Une étude chiffrée de X. Dusausoit montre que vers 1840, quand le Collège Saint-Michel commence à prendre son envol et à rencon- trer un certain succès, la proportion des fils de nobles et de fonc- tionnaires s’y élève à 20-25 % et celle des enfants de professions libérales à 20-30 %. Par ailleurs, l’auteur précise qu’« au cours du XIXe siècle, le recrutement social du collège connaîtra un lent renforcement des classes les plus favorisées » 170. Au milieu du XIXe siècle, il n’est pas rare de voir s’inscrire à l’Athénée royal de Bruxelles des élèves originaires de province. La famille de Jules Audent (1834-1910), implantée dans la région de Charleroi, opte pour l’athénée de Bruxelles, ce qui n’empêchera pas le jeune avocat fraîchement diplômé de revenir s’inscrire au barreau de sa ville natale. Le pouvoir d’attraction des deux gran- des écoles bruxelloises (Athénée de Bruxelles et St-Michel) n’at- teint toutefois pas la région liégeoise. À Liège, le Collège Saint- Servais est l’institut de prédilection de la jeunesse catholique de la région. À la même époque, l’Athénée royal de Liège constitue la référence pour les fils du monde des affaires de l’autre bord. Aucun Liégeois de l’échantillon ne semble avoir dérogé à la règle : pas question pour les enfants du pays de s’inscrire dans un éta- blissement extérieur à la ville de Liège. Les Anversois, de leur côté, bénéficient de la bonne tenue’Athénée del royal d’Anvers qui, dès le milieu du siècle, accueille plusieurs membres de l’échan- tillon. Du côté catholique, mentionnons le Collège Saint-Jean Berchmans (jésuite) qui récolte l’une ou l’autre inscription dans cette même ville. À la fin du XIXe siècle, il devient plus courant de rencontrer des fils de notables achevant leurs humanités dans l’école locale avant de quitter leur région natale pour l’université 171. À cette époque, l’Athénée royal de Bruxelles connaît un déclin relatif : les familles des banquiers ont tendance à lui préférer son concurrent

170 X. Dusausoit, « Une école et une ville. Les enseignements tirés des registres d’inscription du Collège Saint-Michel à Bruxelles (1835-1905) », in Travaux et Recherche, no 17, Bruxelles, 1989, p. 218-222. 171 L. Massaux (1883-1955) fait par exemple ses études secondaires à l’Athénée de Charleroi. J. Ingenbleek (1876-1953) à l’Athénée d’Hasselt. 144 www.academieroyale.be

La sociabilité (I) direct, l’Athénée d’Ixelles, qui draine également quelques rejetons venus de province. Ce déclin observé dans l’échantillon se traduit dans les chiffres : si l’Athénée de Bruxelles compte encore un mil- lier d’élèves en 1881, sa population s’effondre à 575 en 1914 et à 481 en 1921. Quoi qu’en dise Mme Warocqué mère, qui rappelle avec une certaine condescendance à son fils Raoul qu’il était « faible, même à Ixelles, athénée le plus faible de toute la Belgi- que », l’Athénée d’Ixelles semble bel et bien le nouvel établisse- ment en vogue dans la grande bourgeoisie bruxelloise des années 1880 172. Dans certaines familles catholiques, tout au long du siècle, le petit séminaire constitue un détour enviable dans le parcours éducatif : c’est au séminaire, par exemple, que Michel Levie accomplit la première partie de sa scolarité. Les Jésuites restent toutefois les maîtres incontestés de l’enseignement catholique destiné à l’élite. Malgré les épreuves et les contestations endurées sous les régimes antérieurs, la Compagnie de Jésus, forte d’une longue et solide tradition dans le domaine éducatif, est parvenue à conserver la confiance des familles fortunées. Après l’Indépen- dance, outre Saint-Michel à Bruxelles et Saint-Servais à Liège, le Collège Notre-Dame de la Paix de Namur se forge à son tour une réputation appréciable auprès des notables belges 173. Aupara- vant, sous Guillaume Ier, certains catholiques fervents n’hési- taient d’ailleurs pas à envoyer leurs enfants au Collège jésuite de Saint-Acheul, près d’Amiens. À l’époque où Jules Malou y entama ses études (1825), l’établissement comptait 900 élèves dont pas moins de 130 Belges 174. Quelques très grandes familles, dont le tissu relationnel en Belgique n’est plus à constituer, s’offrent le luxe de faire faire à leurs enfants des études secondaires à l’étranger 175. Ce fut le cas des Warocqué qui envoyèrent Raoul se former à Paris ou des Lippens et des Allard qui choisirent également la France pour leurs fils. Pierre David, pour sa part, passa un long séjour éduca- tif en Suisse. Une fois les humanités achevées, ces familles optent malgré tout pour un diplôme universitaire belge, dans un des

172 Citée dans M. Van Den Eynde, La vie quotidienne de grands bourgeois au XIXe siècle. Les Warocqué, Morlanwez, 1989, p. 240. 173 L. Ranscelot (1864-1936) fait ses études chez les Jésuites à Mlle. P. Segers (1870- 1946) va au collège jésuite de Turnhout. 174 Baron de Trannoy, Jules Malou 1810 à 1870, Bruxelles, 1905, p. 9. 175 Pour la famille Errera, M. Errera-Bourla, Une histoire juive. Les Errera. Parcours d’une assimilation, Bruxelles, 2000, p. 113. 145 www.academieroyale.be

Les grands banquiers belges (1830-1935) grands établissements du pays : Liège, Gand, Louvain ou Bruxel- les. Ce retour au pays à l’aube de la carrière professionnelle illus- tre indéniablement le rôle essentiel que joue l’université dans la constitution de réseaux relationnels. J’y reviendrai. Vers le milieu du siècle, une nouvelle filière d’enseignement semble devenir populaire auprès des futurs banquiers qui n’op- tent pas pour les humanités classiques : les études moyennes com- merciales. Dès 1835, une École centrale de commerce et d’indus- trie est fondée à Bruxelles. Cette institution pionnière propose deux sections spécialisées consacrées l’une à l’industrie et l’autre au commerce. Le but de cette école, tel que formulé par ses fon- dateurs à l’origine, est de fournir des recrues qualifiées « aux diverses industries, aux écoles spéciales des ponts-et-chaussées et des mines et à l’école militaire » 176. L’école pouvait s’appuyer sur un corps professoral solide dont quelques représentants étaient particulièrement prestigieux : C. De Brouckère, après une décen- nie passée à la direction de la Vieille Montagne, enseigna à l’école de commerce à son retour dans la capitale, juste avant d’être nommé bourgmestre de la ville (1847) 177. Dans le conseil de pro- tection et de perfectionnement des débuts de l’école siégeaient par ailleurs les ministres J. B. Smits et L. Desmaisières, eux aussi liés à la Banque de Belgique, de même que Jacques Engler, direc- teur de la Société Générale. Parmi les élèves qui firent carrière, Georges Brugmann, « attaché à la banque de M. son père », fré- quenta cet enseignement moyen spécialisé alors que l’école venait d’ouvrir ses portes avec l’appui d’Engler, l’ami de son père. Cet établissement bruxellois se voit bientôt concurrencé par une école spéciale de commerce et d’industrie anversoise, l’Insti- tut Saint-Ignace, tenu par les Pères Jésuites. C’est sans doute pour des raisons idéologiques que Josse Van der Rest, gros négo- ciant en fer bruxellois, confie son fils Gustave aux Jésuites anver- sois après un séjour au Collège Saint-Michel à Bruxelles au milieu du XIXe siècle. La création de ces deux établissements spécialisés comme celle de l’Institut supérieur de Commerce d’Anvers, en 1853, participent à cet engouement nouveau pour les études appliquées destinées aux fils d’industriels et de négociants. Ces créations se rattachent au mouvement de fondation des institutions d’enseignement

176 Bulletin de la Société de l’Union des anciens élèves de l’École Centrale de commerce et d’industrie de Bruxelles, 1847-48, 2e année, Bruxelles, 1847. 177 T. Juste, Charles De Brouckère (1796-1860), Bruxelles, 1867, p. 70. 146 www.academieroyale.be

La sociabilité (I) industriel, commercial et professionnel, base de l’enseignement technique 178. Ce nouveau type d’enseignement, de niveaux moyen et supérieur, identifié sous l’appellation « enseignement spécial », est censé apporter une réponse concrète aux insuffisances que pouvaient présenter les établissements d’enseignement moyen dans leurs sections commerciales et industrielles. Ces dernières ne semblent d’ailleurs pas avoir rencontré beaucoup de succès auprès des banquiers de l’échantillon.

Quelques exemples de liens tissés à l’adolescence

La littérature économique abonde d’allusions plus ou moins appuyées à des amitiés d’affaires qui datent, parfois, de la plus tendre enfance. Un exemple illustre nous a été rapporté par la recherche fouillée et passionnante que M. Van den Eynde a consacrée à la famille Warocqué : la formation du tandem Raoul Warocqué et Léon Guinotte, qui prouvera toute son efficacité sur le terrain des affaires, remonte à la complicité de leurs pères, respectivement Arthur et Lucien, collègues aux charbonnages de Bascoup et Mariemont. Léon Guinotte deviendra même l’héri- tier financier de Raoul Warocqué, parti prématurément sans lais- ser de descendance. Je m’abstiendrai de faire ici l’inventaire de l’ensemble des cas où des amitiés forgées sur les bancs de l’école ont prouvé leur utilité, plus tard, dans le monde des affaires. Le travail serait aussi inutile que fastidieux. Je ne peux toutefois m’empêcher d’exposer un cas concret et peu connu où une étude attentive des premiers moments de la vie de quelques décideurs peut éclairer des événements importants de l’histoire financière du pays. L’histoire montre qu’à la création d’une banque en Belgique, les liens entre les premiers administrateurs sont souvent relative- ment étroits. Le noyau de dirigeants à l’origine de la Banque de Bruxelles ne semble pas, à première vue, confirmer cette observa- tion. On repère deux groupes distincts à la fondation de l’établis- sement, avec d’une part la finance juive internationale et d’autre part un groupe d’entrepreneurs belges. Mais il n’est pas exclu que la poignée d’industriels et banquiers belges impliqués dans l’affaire aient tissé entre eux des liens de forte proximité, malgré leurs origines géographiques variées. Ainsi, l’analyse de la scola- rité des protagonistes permet de jeter un pont entre le milieu

178 D. Grootaers (dir), Histoire de l’enseignement en Belgique, Bruxelles, 1998. 147 www.academieroyale.be

Les grands banquiers belges (1830-1935) hutois constitué par le banquier J. Delloye et l’industriel ­E. Godin – qui scelleront leurs relations d’affaires par une alliance matri- moniale entre descendants – et le milieu bruxellois, représenté par les frères Urban et Alfred De Brouckère. On savait déjà que Delloye était collègue avec De Brouckère aux Hauts Fourneaux de Montignies-sur-Sambre 179. De Brouckère, par ailleurs, est un ami intime du fondateur de la banque J. Errera et de sa femme M. Errera-Oppenheim 180. On apprend, en feuilletant les listes des anciens élèves de l’École centrale de commerce et d’industrie de Bruxelles, que les frères Urban et Eugène Godin figurent parmi les tout premiers étudiants inscrits dans cet établissement et qu’en outre, ils étaient membres actifs, durant les années 1840, de la société de l’Union des anciens élèves qui ne regroupait à l’époque qu’une poignée d’individus. Il y a fort à parier que ces condisciples, qui seront parmi les premiers ingénieurs actifs dans le domaine bancaire, n’ont jamais oublié les complicités qu’ils ont nouées durant leur scolarité et qui ont pu s’avérer extrêmement utiles à l’heure de boucler le premier conseil d’administration de la Banque de Bruxelles.

Les études universitaires

Plus encore que l’école où les destins sont en gestation, l’univer- sité représente un lieu fécond en amitiés solides. Comme je viens de le préciser, il est extrêmement rare que le banquier n’opte pas pour une université belge à l’aube de ses études supérieures. Non pas qu’il se contente systématiquement d’un diplôme belge. Il arrive qu’il se spécialise dans une institution étrangère après un grade obtenu en Belgique. Cette pratique est déjà en vigueur au milieu du XIXe siècle : Victor Linon (1843c-1924c) parachève ses études d’ingénieur entamées à Liège à la Technische Hochschule d’Aix-la-Chapelle. Après lui, d’autres banquiers partent se per- fectionner à l’étranger : docteur en droit de l’Université de Liège, Emile Digneffe (1858-1937) obtient un diplôme en sciences poli-

179 Ils sont d’ailleurs apparentés. A. M. Dutrieue, « La Banque de Bruxelles au miroir de son conseil d’administration de 1871 à 1914 », in Études et Docu- ments, IV, 1992, p. 191-192. 180 Son père, Charles De Brouckère, était un intime de J. Oppenheim. M. Errera- Bourla, Une histoire juive. Les Errera. Parcours d’une assimilation, Bruxelles, 2000, p. 90. 148 www.academieroyale.be

La sociabilité (I) tiques de l’Université de la Sorbonne à Paris. Edmond Carton de Wiart (1876-1959) ira jusqu’à fréquenter quatre universités euro- péennes différentes : Paris, Rome, Berlin et Oxford. Toutefois, les futurs banquiers belges optent généralement pour les spécialisa- tions (ingénieur électricien, sciences politiques) offertes par les universités locales.

Le choix de l’université

Les quatre universités belges recueillent les faveurs des banquiers. Dans un ordre croissant, l’Université de Gand compte 15 ban- quiers de l’échantillon, l’Université de Louvain 37, l’Université de Bruxelles 40 et l’Université de Liège 60 181. Le succès de l’Université de Liège s’explique par la haute répu- tation de son École des mines et, plus tard, de l’Institut Monte- fiore pour les ingénieurs-électriciens. Durant tout le XIXe siècle, ces filières spécialisées attireront des futurs banquiers originaires des quatre coins de Belgique. En outre, les banquiers liégeois choisissent systématiquement l’établissement universitaire de leur ville, au contraire des banquiers d’autres cités qui n’hésitent pas à se déplacer pour leurs études supérieures. Dans notre échan- tillon, la faculté de droit de l’Université de Liège est fréquentée dès le début du XIXe siècle et demeure une référence pour les banquiers de l’ensemble du pays jusqu’en 1860 : on y vient de Charleroi (J. Audent), de Bruxelles (A. De Brouckère), d’Anvers (F. Delvaux), de Ypres (J. Malou), etc. Ensuite, c’est l’École des mines de cette université qui perpétuera la tradition de brasser une population étudiante d’origines géographiques diverses : c’est Liège que choisissent E. Despret (Chimay), W. Thys (Bruxelles), P. Lippens (Gand), etc. La faculté de droit de l’Université de Gand, quant à elle, ne connaît un certain engouement qu’auprès de la première généra- tion de banquiers : Charles Liedts (1802-1878), Laurent Veydt (1800-1877), Charles Gréban de Saint-Germain (1813-1871), Emile Van Hoorebeke (1816-1874). Après 1855, les études d’ingé- nieur de cette université y attirent encore quelques banquiers de Bruxelles (C. de Burlet), Jemelle (J. Cousin), Renaix (L. Lagache),

181 Les 58 autres ont reçu leur formation à l’armée, dans une université étrangère, dans le supérieur non universitaire ou, pour quelques cas, dans une université non identifiée. 149 www.academieroyale.be

Les grands banquiers belges (1830-1935) mais les autres facultés ne concernent plus que les notables de la région (Hippolyte et Maurice Lippens, par exemple). Vu sous l’angle des parcours universitaires représentés dans l’échantillon de banquiers, l’Université de Louvain ne présente pas de particularité marquante. Elle s’adresse avant tout aux familles catholiques pratiquantes qui optent pour un enseigne- ment en accord avec leurs opinions philosophiques plutôt que pour une filière dont l’université se serait fait une spécialité. Les banquiers ayant étudié à Louvain se répartissent ainsi avec régu- larité sur l’ensemble du siècle, et dans l’ensemble des orienta- tions : le droit bien sûr, mais également la philosophie, les scien- ces politiques et les sciences exactes. La poignée d’ingénieurs issus de Louvain ne sort qu’après 1880 et se retrouve dans l’orbite de la Société Générale : Jean Jadot en 1882, Lambert Jadot en 1897, Firmin Van Brée en 1902. Les autres ingénieurs de l’échantillon sont formés en priorité à Liège (40 %), et dans une moindre mesure à Bruxelles (15 %), Gand (15 %) et à l’École royale mili- taire de Bruxelles (15 %) 182. Le choix des banquiers ne commence à se porter sur l’Université de Bruxelles que durant la seconde moitié du XIXe siècle. Hormis Frédéric Fortamps et Alfred De Brouckère, tous deux fils de ­donateurs-fondateurs de l’institution, et à l’exception de Emile Van Hoorebeke, docteur en droit de l’Université de Gand mais agrégé puis professeur de l’Université de Bruxelles, la première vague d’inscriptions à l’Université de Bruxelles date des années 1860. Ce sont surtout les deux dernières décennies du siècle qui voient le plus grand nombre de diplômés de cette université parmi les représentants de l’échantillon. Il semble que l’Université de Bruxelles ait mis quelque temps pour acquérir ses lettres de noblesse auprès de la population fortunée dont sont issus les banquiers. Mais son crédit semble suffisamment établi vers 1880 pour recueillir les suffrages de nombreux Bruxellois, tant dans les matières juridi- ques que pour les études d’ingénieur. Il n’y a d’ailleurs pas lieu de s’étonner, comme le fait pourtant M. Van den Eynde, du choix de l’Université de Bruxelles par les familles catholiques, à la fin du eXIX siècle. Le phénomène est antérieur à la génération de Raoul Warocqué (diplômé en 1893)

182 Les 15 % restant étant constitué de diplômes étrangers, des trois ingénieurs de l’Université Catholique de Louvain et des ingénieurs dont ne connaît pas le lieu d’étude. 150 www.academieroyale.be

La sociabilité (I) et remonte à l’origine de l’université 183. Des personnalités du monde bancaire connues pour la ferveur de leurs sentiments reli- gieux ont contribué à la fondation de l’université et font partie des premiers donateurs 184. Rien que pour les années 1860, l’échantillon présente trois cas de banquiers issus de familles notoirement catholiques qui choisissent l’Université de Bruxelles pour achever des parcours d’étude entamés dans les filières catho- liques les plus traditionnelles. Eugène Van Overloop (Banque de Bruxelles) sort docteur en droit de l’Université de Bruxelles en 1869. À cette époque, son oncle, l’avocat Isidore Van Overloop, est député catholique : il fait partie des membres fondateurs de la Société d’émulation de Bruxelles, cercle de sociabilité et de rencontres catholique, à laquelle son neveu Eugène adhère à la sortie de l’université. Joseph Devol- der (Société Générale) est également une des chevilles ouvrières de la Société d’émulation au début des années 1870 185. Cet autre docteur en droit de l’Université de Bruxelles (1864) ne semblait pas destiné à opter pour l’établissement bruxellois : après ses humanités au Collège Saint-Michel, il fait sa philosophie prépa- ratoire au droit à l’Institut Saint-Louis. Sans quitter la société bruxelloise, il s’inscrit à l’Université de Bruxelles, puis fait son stage d’avocat dans la capitale. Un autre exemple similaire est le fils du négociant en fer Josse Van der Rest, Léon Van der Rest (Crédit Général Liégeois), futur censeur de la Banque Nationale. Comme son frère Gustave et comme Joseph Devolder deux ans auparavant, il est éduqué au Collège Saint-Michel de Bruxelles. À l’instar de nombreux juristes catholiques de sa génération, il est envoyé faire sa philosophie aux Facultés jésuites de Namur. Il revient néanmoins à l’Université de Bruxelles pour achever son doctorat en 1866. Comme Devolder et Van Overloop, il sera actif comme avocat au barreau de Bruxelles. Le choix de la filière bruxelloise pour les avocats catholiques qui veulent faire carrière au barreau de la capitale s’avère bien plus populaire que ce que la réputation de l’Université de Bruxelles aurait pu laisser penser. Henry Carton de Wiart, frère aîné du ban- quier Edmond Carton de Wiart (Société Générale), raconte dans

183 M. Van Den Eynde, La vie quotidienne de grands bourgeois au XIXe siècle. Les Warocqué, Morlanwez, 1989, p. 241. 184 Deux exemples parlants : Ferdinand de Meeus et la Société Générale, et Frédéric Fortamps père, dont le fils fera une carrière politique dans le parti libéral. Voir aussi J. Bartier, « L’Université Libre de Bruxelles au temps de Théodore Verhaegen », in J. Bartier (G. Cambier (ed)), Franc-maçonnerie et laïcité, Bruxelles, 1981, p. 35. 185 Société d’Émulation, Rapport de la Commission, Bruxelles, 1866 et 1872. 151 www.academieroyale.be

Les grands banquiers belges (1830-1935) ses souvenirs quel était le statut de l’étudiant catholique à l’Univer- sité de Bruxelles à la fin des années 80, lorsque les tensions entre catholiques et libéraux sont particulièrement exacerbées 186. De cette période heureuse mais mouvementée de sa jeunesse, Henry Carton de Wiart, qui avait suivi un parcours étudiant en tous points similaire à Devolder, écrit : « de la Faculté de Saint-Louis, je passai à l’Université de Bruxel- les. Les étudiants catholiques, ou qui consentaient à être notés comme tels, n’y formaient qu’une poignée, et la querelle clérico- libérale était encore trop aigre pour permettre un contact facile entre eux et le gros des étudiants sortis des athénées de Bruxelles ou de la province. » Après avoir rapporté un incident qui avait opposé deux groupes d’étudiants divisés selon leurs opinions philosophiques, il ajoute quelques lignes plus loin : « et à la reprise des cours, on ne parla plus de l’incident. De banc à banc, les relations entre étudiants se firent bientôt cordiales, empreintes de cette bonne humeur peu raffinée et de cette familia- rité assez lourde dont notre jeunesse estudiantine (a-t-elle beau- coup changé depuis ?) cultivait les rites de génération en géné- ration. D’ailleurs, presque tous, à des degrés sans doute divers, et chacun suivant les réactions de sa sensibilité propre, nous obéissions à un phénomène nouveau : dans notre vie nationale, les questions politiques semblaient diminuer d’importance tandis que les questions sociales passaient au premier plan 187. » Traversée par les remous politiques, la cohabitation entre catho- liques et libre-penseurs était malgré tout de mise à l’Université de Bruxelles. Au total, l’observation sans doute la plus frappante concerne la faible proportion des banquiers formés à l’Université de Lou- vain. Moins de 25 % des universitaires belges de l’échantillon sont diplômés de Louvain : le reste du contingent a reçu sa formation dans un des deux établissements de l’État (50 %) ou à l’Université de Bruxelles (25 %). Ces chiffres nous renseignent utilement sur la construction des réseaux au XIXe siècle, fort peu dictée par des préoccupations purement philosophiques : le choix de l’université dépend également de la qualité de la formation, de la réputation de l’établissement dans la haute société, de l’implantation géo-

186 Henry étudie à Bruxelles, tandis qu’Edmond opte pour l’université catholique de Louvain. 187 H. Carton de Wiart, Souvenirs politiques (1878-1918), Bruxelles, 1948, p. 21. 152 www.academieroyale.be

La sociabilité (I) graphique des élites qui le fréquentent, de l’influence de ses pro- fesseurs, des débouchés concrets qu’elle offre. En réalité, rien ne retient les familles liégeoises profondément pratiquantes de choisir l’université de l’État de leur ville qui accueille ainsi plus de trois générations de notables aux opinions philosophiques contrastées. De même, rien n’empêche les familles catholiques bruxelloises de préférer l’Université de Bruxelles, lar- gement adoptée par la haute société à partir de 1860 et où il est dès lors loisible de se construire un précieux tissu de relations dans la capitale, utiles pour les carrières en devenir. Au XIXe siècle, la population étudiée demeure encore largement croyante. Nous l’avons vu, la majorité des banquiers dont l’opinion philosophi- que nous est connue est catholique (voir Tableau 25 au Cha- pitre 2). Seule une poignée s’affirme ouvertement comme libre- penseurs. Bien que catholiques – plus ou moins pratiquants selon les cas –, les banquiers délaissent pourtant la seule université qui se revendique formellement de leur bord philosophique. Cela montre bien qu’entre les deux pôles idéologiques qu’on a souvent voulu mettre en exergue – d’un côté le catholique combattant et de l’autre l’athée militant –, il y avait place, dans l’élite belge du XIXe siècle, pour une large fraction d’individus qui ne se recon- naissent dans aucun de ces deux modèles. Pour nombre de jeunes notables et leurs familles, il n’était pas exclu et même plutôt sti- mulant de fréquenter, une fois l’adolescence passée, des étudiants qui ne partageaient pas les mêmes idées qu’eux.

Les liens tissés dans les milieux estudiantins

Cette ambivalence est tout entière exprimée dans l’attitude de Jules Malou à l’Université de Liège au lendemain des régimes français et hollandais, à une époque où les idées d’hostilité envers l’Église faisaient leur chemin. Séduit par la réputation académi- que de l’établissement liégeois, Jules Malou le préfère à Louvain. Il n’en reste pas moins méfiant vis-à-vis des idées nouvelles et reste à l’écart du scepticisme ambiant, conscient, d’après son bio- graphe, « des périls qu’il courait dans ce milieu » 188. Cinquante années plus tard, malgré l’irruption du politique dans le monde universitaire et l’exacerbation des oppositions philosophiques, de fervents catholiques comme Henry Carton de Wiart reproduisent à l’Université de Bruxelles le même schéma que Jules Malou.

188 Baron de Trannoy, Jules Malou 1810 à 1870, Bruxelles, 1905, p. 28. 153 www.academieroyale.be

Les grands banquiers belges (1830-1935)

Si l’enseignement moyen ne joue pas systématiquement le rôle de creuset entre fils de bonnes familles, l’université remplit indé- niablement cette fonction. A l’université, le nombre d’étudiants inscrits par section est encore fort limité : entre 1817 et 1870, le nombre annuel de diplômés en droit de l’Université de Liège varie globalement entre 10 et 40, avec quelques pics à plus de 40 au début des années 1830 189. Les cours de droit de l’Université de Bruxelles ne commencent réellement à se peupler qu’au début des années 1880, à une époque où l’on dépasse pour la première fois les 300 inscrits dans cette faculté. Avant 1880, les classes se déroulent encore en petits comités 190. Par ailleurs, comme l’a décrit Henry Carton de Wiart, la fréquence des relations estu- diantines est intense : les livres, la musique, les libations sont autant de prétextes à de multiples rencontres. Le milieu social reste homogène à l’université malgré la pré- sence de quelques nouveaux-venus. Nous l’avons vu, les cas de promotion sociale par le biais universitaire sont extrêmement rares dans la population qui nous occupe. Les universités belges ne sont en réalité accessibles qu’à une petite fraction de la popu- lation : de 50 étudiants pour 100 000 habitants, la proportion passe à 78 en 1879 et ne dépassera jamais les 102 étudiants avant 1909 191. En outre, pour le petit nombre d’étudiants issus de la moyenne bourgeoisie qui fréquente l’université, il demeure diffi- cile de surpasser le handicap de leur milieu d’origine pour se créer le réseau de relations ouvrant sur les plus belles réussites professionnelles. L’université s’avère donc particulièrement utile aux familles bien établies qui s’en servent comme un moyen de nouer de nouveaux liens et de renforcer, à travers les nouvelles générations, des alliances existantes. Ce n’était un secret pour personne que trois grands noms de la politique belge, dont deux firent carrière à la Société Générale et le troisième est à l’origine de la création de la Banque Natio- nale, étaient condisciples à l’Université de Liège à l’époque où les étudiants y affluaient des quatre coins de la Belgique. Jules Malou, d’Ypres, Victor Tesch, de Messancy, Walthère Frère- Orban, de Liège, ont partagé les bancs des mêmes amphithéâtres

189 A. Le Roy, Liber Memorialis. L’université de Liège depuis sa fondation, Liège, 1869. 190 L. Vanderkindere, L’université de Bruxelles 1934-1884, Notice historique faite à la demande du conseil d’administration, Bruxelles, 1884. 191 K. Bertrams, Universités et entreprise. Milieux académiques et industriels en Belgique, 1880-1970, Bruxelles, 2006, p. 32. 154 www.academieroyale.be

La sociabilité (I) durant leur jeunesse. Même si plus tard, Malou et Frère-Orban devenus adversaires politiques ont progressivement commué leur intimité en intense et parfois acerbe rivalité, la légende subsiste de l’existence d’une réelle amitié entre les deux intéressés à l’épo- que universitaire 192. Moins connues mais tout aussi exemplaires de l’aspect déterminant du passage par l’université, d’autres alliances professionnelles sont ancrées dans le terreau universi- taire. À ce titre, le cas de l’Université de Liège est particulière- ment éloquent. Charles Verdbois, fondateur de la Banque Liégeoise, est docteur en droit sorti la même année (1820) que Grégoire Demonceau, le frère d’un autre fondateur de la banque, Jean-Henri Demon- ceau. Dans leur promotion, figure également Henri De Brouc- kère, frère de Charles De Brouckère, directeur de la Banque de Belgique avec laquelle la Banque Liégeoise fera affaire. Les liens entre les Demonceau et les De Brouckère se concrétisent ainsi dans la constitution en société anonyme de la Fabrique de fer d’Ougrée en octobre 1836. Par l’intermédiaire de Demonceau, les frères Lamarche entrent en contact avec la Banque de Belgique et Charles De Brouckère et parviennent à le convaincre de s’asso- cier à l’affaire. Au passage, la Banque Liégeoise prend une parti- cipation et obtient un siège au conseil d’administration. En 1830, ce sont les successeurs de Verdbois et Demonceau au conseil d’administration de la Banque Liégeoise qui sortent diplômés en droit de la même promotion : César Terwangne entrera le pre- mier au conseil de la banque au milieu des années 1840 ; il y sera rejoint par Victor Bellefroid au milieu des années 50. De leur promotion universitaire faisait également partie Joseph Demar- teau, ami intime de Bellefroid, directeur et principal animateur du quotidien catholique La Gazette de Liège autour de laquelle gravitaient plusieurs personnalités de la banque. De véritables clans naissent même, dans le courant des années 1860, constituant un réseau puissant d’alliances familiales et pro- fessionnelles dont toute une génération sort diplômée à quelques années d’intervalle. En 1863, une vague de futurs grands patrons achèvent leurs études universitaires à Liège : Armand Dresse, Alfred Magis, Jules Ancion, Maximilien Doreye et Léon Collinet sont reçus docteurs en droit et docteur en sciences politiques et administratives. Deux ans auparavant, Alfred Ancion, le frère de

192 À ce propos, consulter Baron de Trannoy, Jules Malou 1810 à 1870, Bruxelles, 1905, p. 28. G. Kurgan-Van Hentenryk, « Finance et politique : le « purga- toire » de Jules Malou à la Société Générale », in J. Art, L. Francois (ed), Liber amicorum Romain Van eenoo, Gand, 1999, t. 2, p. 1069. 155 www.academieroyale.be

Les grands banquiers belges (1830-1935)

Jules, est proclamé ingénieur civil des mines dans la même uni- versité. Le clan Doreye-Collinet est issu de deux familles de robes. Léon Collinet, avocat célèbre et fils d’un avoué à la Cour d’Appel de Liège, épouse Marie Doreye, la sœur de son ami Maximilien Doreye, camarade d’université et fils du président de la Cour d’Appel. Commissaire du Crédit Général Liégeois au moment où Léon Collinet accède au conseil d’administration (1883), Max Doreye, son beau-frère, en devient lui-même administrateur en 1899. À l’époque où Léon Collinet est appelé au conseil du Crédit Général Liégeois y entre également Alfred Ancion (1885), ingénieur issu d’une famille industrielle importante de la région et dont le frère cadet Jules était un congénère de Léon Collinet à l’université. Un deuxième clan s’entrecroise avec le précédent et déploie largement ses tentacules dans le milieu bancaire. Il est constitué de trois familles qui se sont liées lors de la génération antérieure : les Laloux, Dresse et Ancion. Dieudonné Ancion, le père d’Alfred, ingénieur, précédemment cité, avait trois sœurs : la première se marie avec Olivier Dresse, mais elle s’éteint précocement à l’âge de 30 ans ; c’est donc la seconde sœur qui épouse le jeune veuf Olivier Dresse après le décès de la première ; la troisième pour sa part accepte les avances d’Henri Laloux. Ces trois familles, fortement engagées dans la fabrication d’armes et désormais alliées, auront chacune un représentant dans une des grandes banques liégeoises : tandis qu’Alfred Ancion entre au Crédit Général Liégeois (1885), son cousin Adolphe Laloux (le fils d’Henri), diplômé en droit de l’Université de Liège en 1858, rejoint le camp de la Banque Liégeoise (1881). Plus tard (1898), leur cousin Armand Dresse (fils d’Olivier), juriste, issu de la fameuse promotion universitaire de 1863 avec entre autres Collinet et Doreye, renforce la présence familiale au conseil de la Banque Liégeoise. Pour être complet, ajoutons qu’un dernier condisciple sorti docteur en droit en 1863, Alfred Magis, obtiendra un poste d’administrateur à la Banque Liégeoise dans les années 1910. Inutile de préciser que ces personnalités qui cumulent pouvoirs économique et symbolique figurent également aux premières loges politiques : Alfred Ancion, Alfred Magis, Maximilien Doreye occuperont tous trois un siège à la Chambre ou au Sénat. Avant eux, Grégoire Demonceau ou Victor Belle- froid étaient déjà de grands noms de la vie politique liégeoise. À travers cet exemple frappant par sa complexité, on perçoit clairement que, dans l’ensemble des liens qui peuvent rapprocher les individus, les relations nouées lors des études universitaires 156 www.academieroyale.be

La sociabilité (I) sont loin d’être anecdotiques : lorsqu’elles se perpétuent dans le temps, elles peuvent aisément engendrer des relations d’affaires dans lesquelles un capital de confiance vient renforcer une conjonction d’intérêts. Dans certains cas, elles suscitent des alliances matrimoniales qui scellent définitivement les liens d’ami- tié. Ce que l’on constate à un degré élevé à Liège vaut aussi, dans une moindre mesure, pour les autres universités belges. Xavier Olin, homme politique et banquier en vue, et Edmond Picard, une des personnalités les plus influentes de la société bruxelloise de l’époque, étaient condisciples à l’Athénée royal de Bruxelles et à l’Université de Bruxelles. Après le mariage d’Edmond Picard avec Adèle Olin, la sœur de Xavier, ils deviennent apparentés au premier degré, ce qui n’empêchera d’ailleurs pas les deux beaux- frères de n’être pas toujours sur la même longueur d’onde sur les sujets politiques et sociaux 193.

Les réseaux post-universitaires

L’entrée dans la vie active est un tournant essentiel dans le par- cours du jeune banquier. Comme je l’ai déjà souligné, les pre- miers postes de responsabilité et l’âge d’accès aux plus hautes responsabilités nous renseignent assez précisément sur le niveau social de la famille de l’individu. Si tous les banquiers de l’échan- tillon ne sont pas nés avec une cuiller en or dans la bouche, beau- coup cependant ont pu bénéficier d’appuis paternels ou relation- nels à des moments décisifs. Ils parviennent ainsi à s’associer d’emblée avec des partenaires qui s’avèrent parfois précieux ulté- rieurement. Dans la discussion qui suit, j’aborderai successive- ment les deux catégories les plus représentées au sein des conseils d’administration, les avocats et les ingénieurs.

Du côté des juristes

Pour l’avocat qui veut se spécialiser dans les affaires, le choix du maître de stage s’avère souvent déterminant. Lorsque l’on feuillette les biographies des grands hommes politiques de la Bel- gique du XIXe siècle, on est frappé de constater que plusieurs générations d’avocats célèbres se sont succédés au sein des Cham-

193 P. Aron, Les écrivains belges et le socialisme (1880-1913), Bruxelles, 1995, p. 25-26. 157 www.academieroyale.be

Les grands banquiers belges (1830-1935) bres législatives et au gouvernement. Il n’était pas rare que le passage de flambeau d’une génération d’hommes politiques à une autre prenne place à l’occasion des stages qu’effectuaient les apprentis-avocats. De manière analogue, des transmissions de compétences, se muant en collaboration intense puis en véritable succession morale ont existé dans le milieu des avocats d’affaires – qui s’entrecroise d’ailleurs avec le monde politique –. Le maître de stage peut être un ancien professeur, un collègue paternel, une connaissance à qui l’on a été recommandé ou un avocat prestigieux que l’on a pu convaincre de ses mérites par un parcours universitaire sans fautes. Il constitue dans tous les cas un marche-pied efficace pour les jeunes gens qui parviennent à faire preuve de compétence sous leur direction. Le choix du cabi- net d’avocat donne souvent une impulsion décisive à une car- rière. En particulier, le lieu du stage n’est pas anodin car les avo- cats restent généralement attachés au tribunal où ils ont débuté. Dès 1830, de jeunes diplômés originaires de province, promis à une brillante carrière, optent pour la capitale. Le phénomène s’observe lorsque J. Malou, originaire d’Ypres et diplômé de Liège, s’inscrit au barreau de Bruxelles. Ce choix détermine son accession rapide à la politique puisque son ancien professeur devenu ministre, A. Ernst, fait appel à lui pour le seconder au Ministère de la Justice. Un peu plus tôt, Charles Gréban de Saint-Germain, le futur trésorier de la Société Géné- rale, diplômé de Gand, l’université de sa ville natale, choisit d’en- tamer sa carrière à Bruxelles où son père faisait affaires. L’attrait de la capitale se marque toujours cinquante années plus tard dans le parcours de Maurice Houtart. Fils d’un banquier tour- naisien, il est proclamé docteur en droit de l’Université de Lou- vain en 1889. Immédiatement, il est engagé à Bruxelles par T. de Lantsheere, bâtonnier de l’Ordre des Avocats, député catholique, futur gouverneur de la Banque Nationale. Après un bref passage dans le cabinet d’Alfred Goblet, il retourne en 1892 seconder son père dans la firme familiale. Sa carrière prestigieuse de banquier, d’administrateur de sociétés et de ministre ne l’éloignera jamais tout à fait de la capitale, mais il établira son fief professionnel dans sa ville natale. D’autres provinciaux restent attachés à leur ville natale, y obtiennent leurs premiers galons professionnels avant d’étendre leurs activités à la capitale. Fils de juriste, Jules Audent, diplômé en droit de l’Université de Liège, établit sa réputation comme avocat d’affaires au barreau de Charleroi : à 37 ans, il en devient bâtonnier, à 45 ans il est élu 158 www.academieroyale.be

La sociabilité (I)

bourgmestre de la ville qui l’a vu naître. À cette époque, Audent est un grand spécialiste en matières industrielles et un adminis- trateur de sociétés écouté : c’est à ce titre de notable provincial qu’il est appelé à siéger au conseil de la Banque de Bruxelles vers la fin de sa vie. Que ce soit à Bruxelles ou en province, les premières années professionnelles de l’avocat et les relations qu’il y tisse aiguillent fréquemment l’orientation de sa carrière. François Sepulchre fils, docteur en droit, entre en 1881 comme stagiaire auprès de l’avocat d’affaires liégeois réputé Henri Clo- chereux, par l’intermédiaire de son père François Sepulchre qui avait été le condisciple de Clochereux à l’Université de Liège. La collaboration entre le jeune avocat et son aîné dure plus de dix ans : elle se concrétise d’ailleurs par des prises de participation communes dans des entreprises locales. Lorsque Clochereux devient administrateur du Crédit Général Liégeois, Sepulchre gravitera dans l’orbite de la banque : il entre même au conseil du Crédit Anversois à la fin de sa vie. C’est à Bruxelles que l’avocat namurois – né à Ostende – (1829-1912), diplômé de l’Université de Lou- vain, choisit de tenter sa chance. Beernaert aurait pu faire une grande carrière de financier. Les premières années de son cursus professionnel le destinaient d’ailleurs plutôt à un rôle en vue dans les affaires, mais la politique le rattrapant en cours de route, il abandonna ses mandats bancaires pour se dévouer entièrement à la chose publique. Initialement, il était entré au service de H. Dolez, député puis sénateur libéral modéré, décrit par Carton de Wiart comme grand bourgeois « ami naturel de l’ordre, de la mesure et de la ponctualité » 194. Sous les conseils experts de ce célèbre avocat, il avait publié à la fin des années 1850 des études sur diverses questions juridiques et fiscales, qui lui valurent la proposition de rejoindre l’équipe juridique de la Société Générale comme avocat-conseil. Ensuite, en 1873, J. Malou « qui s’était trouvé maintes fois en rapport avec Auguste Beernaert à l’occasion de l’une ou l’autre question d’affaires », l’intègre à son cabinet catholique comme ministre des Travaux publics. À cette époque, Beernaert avait gardé des liens très intimes avec son ancien patron libéral H. Dolez, ce qui faisait dire à certains que Beernaert était un véritable transfuge. Rétrospectivement, il ne fait pas de doute que Beernaert incarnait un modèle fort répandu du banquier de

194 Le même Carton de Wiart décrivait, dans un autre de ses opus, le « milieu composite » du barreau de Bruxelles qu’il qualifiait « d’excellente école de tolé- rance ». H. Carton de Wiart, Souvenirs politiques (1878-1918), Bruxelles, 1948, p. 34. 159 www.academieroyale.be

Les grands banquiers belges (1830-1935)

l’époque. Comme le note son biographe, « à la vérité, aucun mys- tère ne planait sur ses conceptions libérales, non plus que sur ses convictions religieuses » 195. Beernaert avait basculé sur les bancs de la droite ; d’autres banquiers partageant largement ses idées lui faisaient face sur les bancs de la gauche. Proche de Beernaert avec qui il partage un début de carrière fort similaire, Joseph Devolder se bâtit une réputation solide au barreau de Bruxelles comme avocat-conseil de grandes entrepri- ses : dans sa clientèle figurent entre autres la Société Générale et le Grand-Central. Lorsque Beernaert est chargé par le Roi de former un gouvernement catholique, il fait appel à son ami et collègue Devolder qu’il avait appris à apprécier dans les couloirs du Palais de Justice. Mais tandis que Beernaert restera insensible aux appels du monde financier jusqu’à la fin de sa vie, Devolder intègre le conseil de direction de la Société Générale à la mort du directeur Charles Simons en novembre 1890. Jeune avocat, Maurice Despret obtient un poste d’avocat d’af- faires à Bruxelles auprès de Joseph Devolder, peu avant que ce dernier soit appelé au gouvernement. Devolder est une connais- sance personnelle de son père. Lié au clan politique libéral par son beau-père Charles Graux, et à la mouvance catholique par ses relations d’affaires, Maurice Despret bénéficie en outre de l’in- fluence de son père qui vient d’être nommé directeur de la Société Générale (1883) à l’époque où il entre dans la vie professionnelle. D’autres ont connu des démarrages moins heureux ! La carrière de Maurice Despret dans les affaires fut d’ailleurs à la hauteur de ce que ses premiers succès avaient laissé présager. Une décennie plus tard, toujours à Bruxelles, c’est au tour d’Henri Le Bœuf de bénéficier d’un début de carrière sur le velours par les bons soins de relations familiales. Sous les conseils d’Edouard Empain au service duquel il était entré en tant que secrétaire, il s’inscrit au barreau de Bruxelles sous la tutelle de l’avocat Samson Wiener à qui Empain confiait régulièrement des affaires. En cette extrême fin e deXIX siècle, Wiener n’était pas encore administrateur de la Banque de Bruxelles, mais c’était déjà une personnalité incontournable dans le monde des affaires : conseiller de Léopold II pour ses entreprises d’Outremer, Wiener était un grand spécialiste des litiges relatifs aux grandes entrepri- ses et à la haute finance. Dans une de ses lettres que nous dévoile l’historienne V. Mon- tens, Henri Le Bœuf décrit le contexte dans lequel il entre au ser- vice de Sam Wiener. D’après son récit, Empain lui aurait suggéré l’attitude suivante : « vous allez faire un stage chez S.W. […] et j’irai vous présenter moi-même, pour bien faire comprendre ce que je désire. Il vous fera étudier des affaires de finance, de Stés ann., etc., [sic] et ne vous donnera de petites crottes que juste ce

195 H. Carton de Wiart, Beernaert et son temps, Bruxelles, 1945, p. 30-43. 160 www.academieroyale.be

La sociabilité (I)

qu’il vous faudra pour vous mettre au courant des procédures, levées de jugement, et autres cuisines. Faites cela pendant trois ans, en restant chez moi tous les après-midi, et dans trois ans, vous serez une valeur, relativement, bien entendu. » 196. S’il est évident que les relations familiales, héritage d’une bonne position sociale, sont décisives pour offrir un sérieux coup de pouce aux jeunes avocats qui se lancent, l’échantillon offre pourtant l’exemple célèbre d’un nouveau-venu ayant connu la mobilité sociale grâce à ses études de droit. Félicien Cattier, puis- que c’est de lui dont il s’agit, est le fils d’un instituteur de pro- vince que des talents intellectuels hors du commun propulsent au titre d’agrégé de l’Université de Bruxelles en 1893 après avoir conquis les diplômes de docteur en droit et en sciences politiques et administratives. Stagiaire chez Edmond Picard, il épaule son célèbre patron pour la rédaction de la consultation sur la ques- tion des terres vacantes au Congo et entre de la sorte en contact avec les problèmes coloniaux. Devenu grand spécialiste en la matière, il est choisi comme conseiller juridique du groupe Thys et accédera par la suite au conseil de la Banque d’Outremer comme administrateur-délégué. Notons que Cattier, et dans une moindre mesure Devolder dont la famille était en pleine ascension sociale, sont les seuls cas connus de conseillers juridiques réputés qui ont réussi à se faire un nom dans le domaine financier sans avoir bénéficié de réseau familial. Dans le monde bancaire du début du XXe siècle, les tra- jectoires de Devolder et Cattier demeurent indéniablement des exceptions.

Du côté des ingénieurs

À la sortie de l’université, quatre cas de figure se présentent aux ingénieurs fraîchement promus. Une partie d’entre eux rejoignent l’entreprise familiale où ils secondent le chef de famille en pre- nant en charge un poste subordonné de responsabilité. À la mort du chef, ils héritent de l’entreprise de leur père ou de leur beau- père. Il arrive qu’ils aient entre-temps diversifié leurs activités. Arrivés au sommet de la hiérarchie, ils exercent par ailleurs un mandat bancaire et parfois des hautes responsabilités auprès de la Chambre de commerce ou du Tribunal de Commerce.

196 V. Montens, Le palais des Beaux-Arts. La création d’un haut lieu de culture à Bruxelles (1928-1945), Bruxelles, 2000, p. 21. 161 www.academieroyale.be

Les grands banquiers belges (1830-1935)

Alfred Ancion incarne parfaitement ce type de parcours. Il rejoint la fabrique d’armes de son père au sortir de l’université en 1861. Une dizaine d’années plus tard, il abandonne la gestion courante des affaires familiales à son frère Jules et s’essaye à de nouveaux secteurs. Louis Zurstrassen met son diplôme d’ingé- nieur au profit de la filature familiale Hauzeur dont il présidera la destinée au début du XXe siècle. De son côté, Léon Lagache fonde à 23 ans, avec l’aide de ses frères et l’appui financier fami- lial, une teinturerie et une filature dans sa ville natale. Durant l’entre-deux-guerres, Jean-Louis Semet, petit-fils d’Elisa Solvay, débute sa carrière comme ingénieur à la Société Solvay. À 28 ans, il entre à la Mutuelle Solvay comme représentant de la branche familiale Semet. D’autres bénéficient de l’appui paternel pour obtenir d’emblée une position enviable dans une entreprise amie. Jules Dallemagne, fils d’un ingénieur des mines, commence sa carrière comme gérant aux charbonnages de Sclessin. Armand Stouls, également fils d’ingénieur – membre fondateur As-de l’ sociation des ingénieurs sortis de l’École de Liège –, entre comme ingénieur à la Fabrique de fer de Charleroi en 1879 ; deux ans plus tard, il en devient directeur. Léon Massaux entre comme cadre à la Banque Générale du Centre dont son père est co-fondateur. Charles de Rossius d’Humain est engagé comme ingénieur-secré- taire aux Aciéries d’Angleur dont son père est co-propriétaire. Bien vite il est promu directeur commercial. Une troisième catégorie d’ingénieurs entre sur concours dans l’administration, généralement les Chemins de Fer de l’État. Lambert Jadot est admis comme ingénieur des chemins de fer à Anvers en 1898. D’abord répétiteur à l’École du génie de l’Univer- sité de Gand, Arthur Dubois est attaché à l’administration cen- trale au service des Chemins de Fer de l’État en 1866, à l’âge de 28 ans. Nommé sous-ingénieur des ponts et chaussée à la faveur d’un cursus universitaire brillant, Constantin de Burlet passe par tous les grades administratifs jusqu’à celui d’inspecteur général en fin de carrière ; il obtient par ailleurs la direction de la Société nationale des Chemins de Fer vicinaux sur proposition du minis- tre Beernaert. Un dernier groupe, dont il est difficile d’estimer le nombre tant les réseaux peuvent s’entrelacer, profite des coups de pouce qui lui sont offerts dans le cadre des sociétés d’anciens étudiants. Ces sociétés d’anciens élèves, diplômés d’une des universités belges, ne sont pas propres aux études d’ingénieurs. Elles pullu- lent dans le courant du XIXe siècle, tant auprès des établisse- 162 www.academieroyale.be

La sociabilité (I) ments d’enseignement supérieur que de ceux d’enseignement moyen. J’ai déjà souligné le rôle joué par l’Union des anciens élèves de l’École centrale de commerce et d’industrie de Bruxelles où se côtoyaient les frères Urban, E. Godin, G. Brugmann, etc. Des groupements du même ordre existaient à l’Athénée royal de Bruxelles et au Collège Saint-Michel. Ils permettaient aux anciens de garder contact à travers des réunions informelles et de loisirs. Ces associations publient régulièrement des rapports d’activité et des revues dans lesquels elles tiennent à jour la liste de leurs membres et célèbrent les succès de ces derniers. Pour les établissements du niveau supérieur, les objectifs des cercles d’anciens étudiants sont plus ambitieux que dans le cas des écoles secondaires. Outre la mission de propagande qu’ils assurent en faveur de leur institution, ces cercles mettent habi- tuellement sur pied des cellules d’anciens, haut-placés dans le monde professionnel, qu’ils investissent d’une mission de relais entre le monde professionnel et le milieu estudiantin. Ainsi, un des buts explicitement déclarés du cercle des anciens étudiants de l’Institut supérieur de commerce d’Anvers, cercle fondé en 1873, est « d’assurer le placement de ses membres et s’intéresser parti- culièrement au sort des diplômés des dernières promotions, dès leur affiliation au Cercle ». Le 5 mars 1934, une véritable com- mission de placement est mise sur pied qui examine les demandes d’emploi et qui les confronte aux offres existantes 197. De véritables réseaux professionnels voient ainsi le jour sur base de l’appartenance à l’un ou l’autre établissement scolaire ou universitaire. Au milieu de la multitude de groupements d’an- ciens étudiants, les associations d’ingénieurs se montrent particu- lièrement actives. Chaque université qui possède une école d’in- génieurs fonde ainsi son cercle d’anciens. Un des plus puissants parmi ces cercles est sans conteste l’Association des ingénieurs sortis de l’École de Liège qui voit le jour dès 1847, soit à peine dix années après la sortie de la première promotion de diplômés. Dans le courant du XIXe siècle, elle opère des séances d’informa- tion auprès du grand public, des entreprises de lobbying auprès des pouvoirs publics, sans pour autant délaisser ses propres mem- bres qu’elle réunit régulièrement, notamment dans le cadre d’ex- cursions scientifiques un peu partout dans le pays. Des échanges fréquents et féconds animent le local de l’association pendant plus d’un demi-siècle. En 1907, l’association choisit de se trans-

197 L’institut supérieur de commerce de l’État à Anvers 1852-1937, Anvers, 1937. 163 www.academieroyale.be

Les grands banquiers belges (1830-1935) former en union professionnelle. La nouvelle organisation est désormais divisée en sections régionales selon la résidence des anciens étudiants et elle crée différents comités spéciaux, dont un comité de placement qui se donne pour mission de trouver des positions pour les nouveaux promus. Tous les grands noms du monde bancaire qui ont transité par l’école de Liège figurent évidemment dans la liste des membres de l’association. En outre, quelques sommités du monde industriel ont le privilège d’être nommés membres d’honneur sans avoir jamais été étudiants de l’école de Liège. En 1907, l’association compte cinq membres d’honneur, dont trois sont des banquiers repris de l’échantillon : E. Empain, A. Thys et R. Warocqué. Parmi les plus gros donateurs en faveur de l’association en 1906, il faut également citer, outre le richissime Georges Montefiore- Levi, deux personnalités éminentes de l’échantillon diplômées de l’école de Liège : Edouard Despret, vice-gouverneur de la Société Générale, qui verse 1000 francs et Alfred Ancion, administrateur et futur président du Crédit Général Liégeois, qui fait un don de 500 francs 198. L’Association des ingénieurs sortis de l’École de Liège, de même que toutes les autres associations indépendantes attachées aux différentes écoles spéciales des universités du pays, contribuent à la naissance, en 1885, de la Société belge des ingénieurs et des industriels qui marque le couronnement de l’ingénieur et de l’in- dustriel dans le nouvel ordre économique et qui s’apprête à jouer un rôle moteur dans la circulation des idées économiques et sociales au sein de la classe possédante. À l’occasion du cinquan- tenaire de la société, son président Lucien Graux rappelait les enjeux de la société à sa création à la fin du XIXe siècle : « il existait bien des associations formées par les anciens élèves de chacune des grandes écoles techniques ; il existait aussi des socié- tés scientifiques, des groupements régionaux, des syndicats spé- ciaux et des bourses réunissant les industriels, mais il manquait entre tous ces éléments, trop étroitement cantonnés chacun dans la sphère de ses intérêts particuliers, des contacts et des liens qui favorisent leur coopération. Quand on songe que cela se passait il y a cinquante ans, à la veille des transformations et de l’essor que les découvertes de la science allaient provoquer dans l’in-

198 Association des ingénieurs sortis de l’école de Liège, Mémorial du Cinquante- naire 1847-1897, Liège, 1898. Association des Ingénieurs sortis de l’École de Liège, Liste des membres, 1913. 164 www.academieroyale.be

La sociabilité (I)

dustrie, on est frappé d’admiration pour la clairvoyance de nos fondateurs 199. » Avec la Société belge des ingénieurs et des industriels, qui com- porte une section destinée aux étudiants-ingénieurs, on pénètre dans le monde structuré des « sociétés mondaines » qui vont être abordées dans le chapitre suivant, consacré aux réseaux extra- professionnels des banquiers adultes.

199 Société belge des Ingénieurs et des Industriels, Compte-rendu des cérémonies commémoratives du cinquantième anniversaire de la Fondation de la Société 1885-1935, Bruxelles, 1935, p. 720. 165 www.academieroyale.be www.academieroyale.be

Chapitre V

La sociabilité (II)

Les réseaux extraprofessionnels des banquiers adultes

Les historiens se sont rarement penchés sur les loisirs et la vie sociale de la haute bourgeoisie et de la noblesse belges au ­XIXe siècle. La principale raison à ce vide historiographique résulte de la difficulté de réunir les sources fiables et le manque de traçabilité de la vie mondaine de l’époque. Variés, changeants, évanescents, les signes de sociabilité de la classe possédante se perdent rapidement dans l’écheveau des associations, salons, clubs, cercles qui égayent les temps libres des contemporains. Le coup de projecteur proposé ici souffre du caractère limité inhé- rent à la nature des sources disponibles auquel je ne peux échap- per. Quantité d’associations – culturelles, artistiques, économi- ques, politiques, sportives – fréquentées par les banquiers ne seront dès lors que brièvement abordées alors qu’elles mérite- raient à coup sûr un éclairage individuel, que l’exercice de syn- thèse proposé ici ne prétend pas offrir. Une vue d’ensemble – sur base de l’expérience de notre groupe de banquiers – permet toutefois de proposer un tableau croisé des différents loisirs et des activités variées qui s’offraient à l’homme fortuné entre 1830 et 1935. Une telle synthèse nuance ainsi les conclusions que l’on peut être amené à tirer de l’étude ciblée de l’une ou l’autre association artistique, philanthropique ou sportive à laquelle on est tenté d’apposer trop rapidement une étiquette idéologique restrictive. À travers la description des acti- vités extraprofessionnelles des banquiers se dessine un réseau

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Les grands banquiers belges (1830-1935) complexe de sociabilité qu’il est utile d’analyser si l’on veut com- prendre les phénomènes de transmission et d’héritage percepti- bles dans le monde économique. Je découperai l’ensemble de l’époque étudiée en quatre pério- des. Nous verrons que des lignes continues les traversent, mais aussi que chacune d’elles comprend des traits propres : création des cercles d’agrément et des associations philanthropiques à la première période (avant 1850) ; émergence du clivage politique à la seconde (1850-1875) ; montée en puissance des groupements d’intérêts économiques et diversification des occupations de loi- sirs à la troisième (1875-1914) ; enfin, retombées de l’action en première ligne menée par les banquiers pendant l’Occupation et réajustements face à la nouvelle donne politique et sociale de l’entre-deux-guerres (1914-1939).

Avant 1850

Les grands bouleversements sociaux de la fin de l’Ancien Régime, la révolution industrielle en cours, les régimes politiques qui se succèdent à un rythme rapide dans nos régions obligent le monde des notables citadins à se structurer autour de nouveaux vecteurs de cohésion. Ceux-ci semblent, pour un temps, transcender les divergences d’opinion. Les foyers de rencontre fréquentés par les banquiers ont pu prendre plusieurs formes. Les cercles d’agré- ment d’une part, qui opèrent un recrutement dépassant les cliva- ges politiques et philosophiques ; les associations philanthropi- ques d’autre part, qui recueillent les faveurs de larges franges de la notabilité indépendamment des opinions personnelles de leurs dirigeants. Dès 1830, le champ politique amorce timidement son évolution qui le mènera à se diviser en deux camps, encadrés par les associations libérales et catholiques. Toutefois, les lignes de démarcation du champ politique sont encore trop floues avant 1850 pour pouvoir circonscrire des espaces de sociabilité vérita- blement distincts qui prendraient le dessus sur les autres formes d’association. La cohésion de groupe, tangible dans les cercles de loisir et les associations philanthropiques, semble encore l’em- porter sur les tendances centrifuges occasionnées par la genèse des partis politiques.

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La sociabilité (II)

Les cercles d’agrément

Les cercles dans les trois grandes villes du pays, au moment de l’Indépendance Au début de l’Indépendance belge, tant à Bruxelles, qu’à Liège et à Anvers coexistent une poignée d’associations que fréquentent assidûment les banquiers, industriels et négociants qui forment le milieu d’origine des banques d’affaires belges. Héritières des formes de sociabilité en vogue sous les régimes français et hollan- dais, ces associations offrent des espaces de loisir où les notables se rassemblent à titres divers. Ouverts du matin au soir, ces clubs font office en journée de lieu de rencontres où les membres peu- vent consulter leurs journaux favoris – ou la dernière brochure controversée – autour d’un petit déjeuner, d’une tasse de thé ou d’un cigare servis dans la salle des « comestibles ». Sur les valves du club sont affichés les dernières nouvelles, le règlement intérieur du cercle, la liste des nouveaux membres. Le soir, les salons de ces cercles s’animent des conversations des joueurs de billard, très en vogue à l’époque, des joueurs de cartes ou de dominos. Les règle- ments d’ordre interne rappellent régulièrement que les jeux de hasard proscrits par la loi sont interdits dans les locaux du cercle. Le dépassement de l’heure de fermeture coûtera de lourdes amen- des aux membres à qui le goût du jeu, l’appât du gain et les effluves alcoolisées ont fait perdre toute notion du temps. Suivant les asso- ciations, les salons, la bibliothèque, le fumoir et le bar sont ouverts de 7 ou 8 heures du matin à environ minuit. Pour sélectionner les membres de ces confréries un peu parti- culières, les cercles appliquent un système de cooptation par bal- lottage. Habituellement, le candidat à l’adhésion est parrainé par un ou plusieurs membres du cercle qui proposent son nom à l’as- semblée des membres. Les candidatures sont affichées quelque temps sur les valves du local, puis une élection est organisée lors d’une séance devant réunir un nombre de membres suffisant pour que le quorum soit atteint. Les listes de membres sont parfois restreintes à un nombre limité d’élus. Ceux-ci doivent payer une cotisation annuelle assez élevée, comprise entre 50 et 100 francs. Dans la première moitié du siècle, les femmes et les enfants (de même que les chiens) ne sont pas admis dans les salons du club, sauf à l’occasion d’événements exceptionnels. Outre sa vocation informelle et récréative, le club propose généralement des activités annexes, artistiques, mondaines ou 169 www.academieroyale.be

Les grands banquiers belges (1830-1935) philanthropiques 200. Certains cercles cumulent même toutes ces fonctions : ils deviennent ainsi le lieu de sociabilité par excellence où l’on peut assouvir l’ensemble de ses envies et de ses besoins entouré de personnes d’un même milieu et partageant les mêmes valeurs. Avant 1830, la société Concordia (1818) à Bruxelles publie des almanachs, organise des concours littéraires, propose des confé- rences et offre jusqu’à 80 périodiques à la consultation deses membres. Par ailleurs, elle organise des collectes auprès de ses sociétaires, qu’elle se charge d’allouer à des œuvres utiles : les sociétaires sont prévenus par affiche de l’emploi du produit des collectes 201. De la même époque date la Société philharmonique d’Anvers (1814c) réunissant la haute société anversoise autour de concerts et de bals 202. À Liège, deux associations encore plus anciennes (1779) se partagent les faveurs de la high-life liégeoise : la Société d’émula- tion, qui se définit comme « la place d’armes de la jeunesse ins- truite, un centre d’action pour les amis des sciences, de la littéra- ture, de toutes les œuvres de l’esprit », et la Société littéraire de Liège, qui rassemble des « membres de la noblesse, du clergé et du tiers états » dans une « commune fraternité » sous « prétexte de jeux et de plaisirs ». Dès l’origine, la Société littéraire met à dis- position des sociétaires une caisse de charité, destinée à « délivrer chaque année un ou deux prisonniers détenus pour dettes » puis, plus tard, à venir en aide à des centaines de « mères malheureu- ses » ainsi qu’aux hôpitaux de la ville. La publication anniver- saire de son centenaire souligne que « l’esprit de bienfaisance » de la Société littéraire ne s’est jamais démenti à travers son his- toire 203. Si la société Concordia disparaît avec les événements de 1830, la Société d’émulation, la Société littéraire de Liège ainsi

200 Dans les loges maçonniques également, l’objectif est en partie caritatif. ­S. Dupont-Bouchat cite en exemple la loge des Amis philanthropes à Bruxelles. S. Dupont-Bouchat, « Entre charité privée et bienfaisance publique : la philan­ thropie en Belgique au XIXe siècle », in Philanthropies et politiques sociales en Europe (XVIIIe-XXe siècles), textes réunis par C. Bel, C. Duprat, J. N. Luc et J. G. Petit, Paris, 1994, p. 36. 201 Concordia, naamlijste der leden, Bruxelles, 1826. Règlement de la Société des Amis de la Concorde, Établie à Bruxelles le 16 janvier 1818, Bruxelles, 1818. J. Stengers (dir), Bruxelles, croissance d’une capitale, Anvers, 1979, p. 181. 202 Liste des membres de la Société Philarmonique, Anvers, sd. Antwerpen 1860- 1960, Antwerpen, 1960, p. 361. 203 La Société littéraire de Liège, son histoire, son organisation, 1779-1888, Liège, 1888. 170 www.academieroyale.be

La sociabilité (II) que la Société philharmonique d’Anvers occuperont un espace de choix dans la haute société du XIXe siècle. D’autres clubs fleurissent à Bruxelles au début de l’Indépen- dance, attirant également un public de premier choix : la Société de la loyauté, la Société du cercle, la Société du grand-concert. Cette dernière, très huppée, organise des événements mondains auxquels les femmes sont conviées à raison de trois invitations par membre et par divertissement. Les « mères de famille » peu- vent devenir membre de la société mais se font représenter auprès des assemblées générales par un de leurs fils qu’elles auront dési- gné. La fréquentation de ces clubs tourne autour de 200 mem- bres : aux notables de la ville s’ajoutent parfois quelques « étran- gers » triés sur le volet, officiers de l’armée belge en garnison, gouverneur de province, hauts diplomates que l’on admet dans les clubs sans ballottage.

Les membres À Bruxelles, la direction de la Société Générale, dans le cou- rant des années 1830, compte certains représentants qui faisaient déjà partie de la société Concordia avant l’Indépendance, et qui fréquentent désormais soit la Société de la loyauté, soit la Société du grand-concert. Dans la première citée, outre le gouverneur F. de Meeus et le directeur J. Engler, on retrouve entre autres parmi les 204 mem- bres inscrits en 1838, le commissaire J. vander Linden d’Hoog­ vorst, les actionnaires E. Mosselman et A. Everard-Goffin 204. Dans la seconde se côtoient en 1834 « Fréd. Basse, fabricant », « H. Schumacher, négociant », « G. Van Volxem, fils, avocat », « Ferd. Drugman, avocat » de même que des personnalités en vue comme « F. Duvivier, ministre des Finances » ou « Ch. De Brouckère, directeur de la monnaie » 205. À Anvers, le conseil d’administration et le collège des commis- saires de la Banque d’Anvers des années 1830 à 1860 se retrou- vent presque en totalité à la Société philharmonique : Osy, de Baillet, Elsen, Havenith van Geetruyen, Fuchs, de Wael Vermoe- len, Lemmé, Knight, Pelgrims, entre autres. Tous sont actifs au sein de cette société incontournable dans le monde anversois 206.

204 Règlement pour la Société de la Loyauté avec les changements et modifications qui y ont été apportés jusqu’au 1er janvier 1839, Bruxelles, 1839. 205 Règlement de la Société du Grand-Concert, 1833, Bruxelles, 1834. 206 Liste des membres de la Société Philarmonique, Anvers, sd. 171 www.academieroyale.be

Les grands banquiers belges (1830-1935)

De même, la Société littéraire de Liège voit défiler dans ses locaux une bonne partie des banquiers tant de la Banque Liégeoise que du Crédit Général Liégeois. Le noyau d’hommes d’affaires à l’origine de la création de la Banque Liégeoise, dont je souligne les liens politiques par ailleurs, fréquente dans son ensemble la société entre 1785 et 1835. Au sein de ce club particulièrement huppé, on retrouve des représentants de grandes lignées locales sur plusieurs générations : le grand-père de Laminne, avocat et jurisconsulte, fait déjà partie des sociétaires à la fondation ; de même, les Nagelmackers, Braconier, Francotte, Terwangne, de Sauvage, Digneffe, de Rossius sont membres, de génération en génération, à travers l’ensemble du XIXe siècle. L’âge d’admission théorique dans ces sociétés de sociabilité varie entre 21 et 25 ans. À cet âge, les fils et héritiers sont intro- duits dans la société et ont l’occasion de fréquenter les amis et collègues de leur père, par le biais informel du loisir et du jeu. De même, ils sont entourés de jeunes gens du leur âge, munis d’un bagage social similaire au leur et bien souvent descendants de connaissances familiales. Ici aussi, les alliances d’affaires et les relations mondaines se prolongent en unions matrimoniales : Gilles-Antoine Lamarche, Charles de Rossius d’Humain père, Frédéric Braconier père, Hyacinthe Richard, Pierre Francotte et Henri Joseph Orban s’af- filient à la société entre 1805 et 1815 : ils ont tous entre 20 et 30 ans et aucun n’a encore trouvé l’âme-sœur à l’époque. Hyacin- the Richard et Pierre Francotte épousent deux sœurs de Gilles- Antoine Lamarche. Charles de Rossius, Henri Joseph Orban et Frédéric Braconier père marient trois de leurs fils aux filles de Gilles-Antoine Lamarche.

Mélange des genres et distance vis-à-vis du politique La caractéristique principale de ces clubs de sociabilité, aux alen- tours de 1830, réside dans leur volonté affichée de marquer leurs distances avec la politique et d’échapper aux dissensions philoso- phiques. Comme nous le verrons, ce trait de neutralité se perpé- tuera à travers les XIXe et XXe siècles dans les sociétés les plus huppées fréquentées par les banquiers en vue. C’est ainsi que, quelle que soit la couleur politique des membres en dehors de l’enceinte mondaine, rien n’empêche les notables de commercer en bonne intelligence. L’heure ne sera jamais aux grands déchi- rements. 172 www.academieroyale.be

La sociabilité (II)

Comme l’indique la brochure éditée pour l’anniversaire de la Société littéraire de Liège, « de 1830 à 1879, la Société littéraire n’a pas été mêlée aux événements politiques. Elle a continué à donner, en diverses circonstances, des preuves de son amour pour la patrie belge et de son esprit de bienfaisance. » On peut y lire en outre qu’à la fondation, un article des statuts interdisait les propos qui attaquaient la religion et les mœurs 207. Ces fonde- ments étant partagés par l’ensemble des sociétaires, il n’était donc pas surprenant que le libéral Léon d’Andrimont intègre la Société littéraire à la même époque que le très catholique Henri de Meeus, ou encore que le libéral Frédéric Braconier et le catho- lique Jules Demonceau s’y côtoient. L’exclusion du politique n’empêche pas, bien au contraire, le mélange des genres qui se produit à cette époque. Dans l’efferves- cence fondatrice du moment, les visées et les objectifs des sociétés s’entremêlent, comme s’enchevêtrent les professions des membres et leurs envies. Le désir de promouvoir l’expression artistique peut ainsi prendre une forme commerciale comme le prouve la fondation, à Bruxelles, de la Société des beaux-arts en 1838. Cette société en commandite voit le jour à l’initiative d’une bonne dizaine de grands noms de la noblesse et de la haute bourgeoisie. Dans son conseil siègent le Comte J. Coghen (Société Générale), le Marquis C. de Rodes (Banque de Belgique), Abel Warocqué (gros industriel), aux côtés des représentants des plus grandes familles de l’aristocratie belge comme le Prince de Ligne et le Comte de Mérode. La société est dirigée par deux gérants, et son objet porte sur « la publication d’ouvrages d’art en tout genre », dans des secteurs aussi variés que le dessin, la gravure, l’impres- sion typographique, le moulage ou le clichage. Dirigée comme une société de profit conventionnelle, le lustre exceptionnel de son conseil rappelle qu’il ne s’agit pas là d’hommes d’affaires comme les autres. Cette association entre plaisir et affaires, patronage et esprit d’entreprise, préside à la création au début des années 1850, de la Société royale de zoologie et d’horticulture de Bruxelles sous forme de société anonyme. Rassemblant une représentation importante de grands noms de la société bruxelloise 208, la société acquiert une

207 La Société littéraire de Liège, son histoire, son organisation, 1779-1888, Liège, 1888, p. 46. 208 Société Royale de Zoologie et d’Horticulture de Bruxelles, liste des membres effectifs au 31 déc. 1852, Bruxelles, 1853. 173 www.academieroyale.be

Les grands banquiers belges (1830-1935) vaste propriété dans la zone du Quartier Léopold où elle entre- prend de mettre en valeur, sous des motifs scientifiques, la faune et la flore terrestres, grâce à la construction d’un zoo et de vastes ter- rains de refuges pour animaux. Procédant du nouvel engouement pour les jardins zoologiques en Europe, la société projette d’ouvrir le parc au grand public et de le gérer comme une affaire commer- ciale rentable, tablant sur la reproduction des espèces et la vente des produits dérivés 209. Le succès est fulgurant – la vogue sera tou- tefois éphémère – et dès 1860, le jardin est le point de rencontre incontournable de « l’élite de la population bruxelloise » pendant la belle saison. L’entrée du jardin se payait un franc et donnait droit à déambuler dans les allées plantées de végétation rare et entre les cages, fosses et autres volières peuplées de dizaines d’espè- ces colorées ; elle offrait égalementl’accès aux restaurants du parc, aux concerts donnés dans le kiosque trois fois par semaine ainsi qu’aux concours hippiques. Plusieurs banquiers bruxellois partici- pent à l’entreprise dès l’origine. Une société identique voit le jour à Anvers, avec également à sa tête une délégation importante du monde bancaire anversois 210. Entre 1830 et 1850, les sociétés mondaines foisonnent, tant à Bruxelles qu’en province, avec parfois une durée d’existence très brève. L. et P. Hymans nous renseignent ainsi sur l’activité d’une Société du commerce qui, d’après un journal de l’époque, avait élaboré une liste de candidats patriotes pour les élections de 1831. Ce cercle privé très select, qui se limitait d’après l’auteur à 32 électeurs, comptait dans ses rangs presque tous les grands noms du commerce et de l’industrie bruxellois qui ont joué un rôle à la Société Générale : Basse, Rittweger père, Van Volxem père et fils, Coghen 211. En réalité, à l’exception de Coghen, l’heure d’accéder aux Chambres législatives n’était encore venue pour aucun d’en- tre eux. Tout était cependant question de patience pour ce petit groupe influent de manufacturiers et d’avocats d’affaires qui générèrent par la suite de véritables dynasties politiques.

209 Société Royale de Zoologie, rapport de la commission du 23 mai 1875. L. Hymans, P. Hymans, Bruxelles à travers les âges, t. II, Bruxelles moderne, Bruxelles, c1890, p. 456. J. d’Osta, Le Quartier Léopold, Hier et Aujourd’hui, Anvers, sd. 210 Projet de créer un jardin d’acclimatation et d’expérimentation de plantes et d’ani- maux utiles au Parc de la Boverie à Liège, Liège, 1863. 211 Un autre quotidien défendait par ailleurs la candidature de deux autres person- nalités liées à la banque, Meeus et Barbanson père. L. Hymans, P. Hymans, Bruxelles à travers les âges, t. II, Bruxelles moderne, Bruxelles, c1890, p. 62. 174 www.academieroyale.be

La sociabilité (II)

À d’autres moments de l’histoire politique nationale, des grou- pes de pression se constituent sous forme ou au sein de cercles privés pour peser sur le pouvoir en place. C’était déjà le cas de la Société littéraire de Liège en 1815 dont des représentants furent reçus, au même titre que des membres de la Société d’émulation et de la Société Grétry, par le nouveau souverain en place Guillaume Ier. Ces groupements influents ne s’inscrivent toute- fois pas dans la dichotomie classique catholique-libéral qui prend forme dans la seconde moitié du XIXe siècle. Comme j’y revien- drai ci-dessous, alors que cette division inhérente à l’évolution de la société bourgeoise en Belgique constitue la toile de fond de l’existence des cercles d’agrément, les plus huppés d’entre ceux-ci n’auront de cesse de se démarquer des controverses politiques, en brandissant le drapeau de la neutralité. Ainsi, les cercles d’agrément à vocation artistique, prisés par le public des banquiers, s’efforcent de gommer tout différend phi- losophique au profit d’une unité de classe. Les activités littéraires sont alors fort en vogue dans les cercles artistiques. Les grands bourgeois et les nobles qui taquinent la rime y trouvent l’oppor- tunité de faire connaître leur poésie à l’occasion de lectures publi- ques. La Société de littérature, fondée à Bruxelles dès 1800, est un bon exemple de ce type de sociabilité. Cette société, dont le but est « l’étude et le progrès des lettres », se donne pour mission de publier les textes les plus remarquables de ses membres 212. Toutes les dépenses de la société sont prises en charge par les membres effectifs qui doivent, pour être admis comme sociétaire, présenter à la société au moins deux morceaux de poésie ou de prose. L’âge d’admission et les conditions d’accessibilité de la société sont identiques à ceux des autres cercles d’agrément. Au début du siècle, le noyau de la Société Générale (Basse, Van Volxem père, Engler, Meeus père, Mettenius) figure déjà parmi les membres, avec d’autres notables bruxellois.

Les cercles artistiques et littéraires créés au milieu du XIXe siècle Descendants en droite ligne de ce modèle précurseur, une série de sociétés voient le jour vers le milieu du XIXe siècle. À Anvers, deux associations promises à un avenir prestigieux naissent à bref intervalle : en 1841, la Société royale d’encouragement des beaux-arts et en 1852, le Cercle royal artistique, littéraire et scien-

212 E. Mailly, La Société de Bruxelles (1800-1823), Bruxelles, 1888, p. 23. 175 www.academieroyale.be

Les grands banquiers belges (1830-1935) tifique d’Anvers. Suite au désintérêt témoigné à l’égard de ses concours littéraires et musicaux, la Société des beaux-arts concen- tre rapidement ses activités sur la promotion des arts plastiques. Elle organise dès l’origine une exposition triennale qui remporte un vif succès auprès de l’élite négociante de la ville. La société joue les traits d’union entre les artistes et le monde du négoce et fait œuvre de mécénat puisqu’à l’issue de chaque exposition, les peintures et sculptures des artistes vivants sont distribuées par tirage au sort entre les souscripteurs de l’exposition. Le premier président de la société est le banquier de Caters. Les banquiers seront par tradition très investis dans son fonctionnement 213. Le Cercle royal artistique, littéraire et scientifique d’Anvers est fondé sous le patronage du bourgmestre libéral Loos. Parmi ses membres-fondateurs, figurent des gros négociants et des person- nalités politiques. Comme d’autres sociétés analogues, le cercle littéraire refuse les étiquettes politiques et s’affiche comme un espace multiconfessionnel de rencontre de la high-life anversoise. Certes, plusieurs personnalités libérales occupent les premières loges à la fondation. Le cercle s’associe néanmoins avec la société gantoise des Mélomanes qui est représentée par le futur député catholique Kervyn. Symboliquement, la première conférence du cercle est confiée à un enfant du pays, l’avocat F. Schollaert, pro- fesseur à la faculté de droit de l’Université de Louvain et député catholique de 1863 à 1879. Entre cinq et huit activités sont pré- vues par mois. Des expositions ont lieu à intervalles réguliers pendant toute l’année, où les riches mécènes peuvent se donner à voir. L’hiver est plutôt prétexte à de multiples conférences (his- toriques, scientifiques, littéraires, philosophiques, etc.) données dans la chaleur des intérieurs bourgeois. Le printemps sonne le retour des concerts en plein air, à l’occasion desquels les corps de musique de l’armée ou de la garde civique font résonner parcs et places 214. Quelques années plus tôt naissait à Bruxelles un autre cercle artistique. Emanant du Cercle des arts en activité depuis au moins 1844, il adopte sa dénomination définitive de Cercle artis- tique et littéraire de Bruxelles en 1847. Le Cercle des arts était

213 Séance publique de la commission administrative de la Société Royale d’encoura- gement des Beaux-Arts à Anvers, Anvers, 1855. Antwerpen 1860-1960, Antwerpen, 1960, p. 361. 214 Annales du Cercle artistique, littéraire et scientifique d’Anvers, Anvers, 1868, 1871. Le Cercle artistique, littéraire et scientifique d’Anvers, règlement général, Anvers, 1875. 176 www.academieroyale.be

La sociabilité (II) présidé par le Prince de Chimay. Sa gestion financière était aux mains du banquier J. R. Bischoffsheim qui faisait office de tréso- rier. Club avant tout récréatif composé de 250 membres, son but était de « former un centre de réunion pour les amis des Arts et des Lettres » et il se fixait comme objectif annuel quatre concerts, quatre représentations dramatiques, quatre soirées littéraires et des assemblées tous les quinze jours. Les dames sociétaires étaient admises aux réunions de la société, moyennant un abonnement annuel de 20 francs. La cotisation annuelle pour les hommes était de 60 francs. Les membres étaient élus par cooptation. La préoccupation philanthropique était présente dans l’esprit des fondateurs puisque les statuts stipulent que dix pour cent des recettes extraordinaires sont prélevées au profit « d’artistes et de littérateurs malheureux » 215. Le Cercle artistique et littéraire de Bruxelles se range dans la lignée de ces cercles d’agrément pour notables qui se réunissent à des fins apparemment socialement utiles et altruistes – la promo- tion de l’art – mais qui répondent en réalité au désir plus circons- crit et pragmatique de profiter d’un environnement récréatif – l’occupation du temps libre en bonne compagnie –. M. Michaux, dans son analyse des grands cercles artistiques en Belgique, admet d’ailleurs que « la dimension récréative constitue un élément capi- tal de la vie de l’association, comme en témoigne, par exemple, l’importance prise par le jeu au sein de la société ». L’auteur pré- cise même que dans les locaux du Cercle artistique et littéraire au Waux-Hall du Parc de Bruxelles, trois salles sur sept sont réser- vées exclusivement au jeu 216. Cette dimension annexe du cercle ne freine d’ailleurs en rien son dynamisme artistique. Fonction- nant sur le même schéma que son équivalent anversois, le cercle organise expositions, concerts et conférences et devient vite incontournable dans la vie mondaine de la capitale, au point d’absorber certaines sociétés concurrentes 217. Les relations privilégiées du Cercle artistique et littéraire avec le pouvoir étatique qui le subventionne et l’aide financièrement à

215 Cercle des arts de Bruxelles, Bruxelles, 1844. 216 M. Michaux, Entre politique et littérature : les écrivains belges du réel (1850- 1880), t. I, doctorat en philosophie et lettres, ULB, Bruxelles, 1997-1998, p. 149. 217 D’autres sociétés recrutant dans des strates sociales moins fortunées se sont constituées, mais aucune n’est parvenue à faire de l’ombre au Cercle artistique et littéraire. Pour un exemple de société de ce type, voir les Statuts de la société artistique Union et Progrès, Bruxelles, 1854. 177 www.academieroyale.be

Les grands banquiers belges (1830-1935) plusieurs reprises, son caractère quasi-officiel dans la mise sur pied d’activités culturelles d’envergure, sont deux signes tangi- bles de l’influence de ses membres dans la société de leur temps. Ses membres sont d’ailleurs issus directement des classes diri- geantes et possédantes. La composition sociale et la répartition professionnelle des membres prouvent en effet le caractère élitiste du cercle dont font partie bon nombre de représentants éminents du monde bancaire et industriel. Ce type d’association conser- vera son succès auprès des banquiers étudiés jusqu’au début du XXe siècle : en 1904, par exemple, les directeurs d’âge avancé de la Société Générale, comme F. Despret, J. Quairier ou V. Stoclet, ou ceux d’autres banques, comme de R. Bauer, F. Bischoffsheim, S. Wiener ou Philippson père y côtoient les jeunes générations qui s’apprêtent à prendre leur relève, tels H. Le Bœuf, G. Bar- banson ou Philipsson fils qui n’ont pas 30 ans 218. Pour certains banquiers en phase de mobilité sociale, ces cercles peuvent jouer un rôle de liaison non négligeable. En 1904, le juriste H. Mon- nom (44 ans) n’est encore que sous-directeur – très actif – à la Banque de Bruxelles, tandis que, comme membre du Cercle artis- tique et littéraire, il a l’occasion de fréquenter les plus grandes figures du monde bancaire de l’époque. Mais ne brûlons pas les étapes.

La philanthropie La main tendue aux classes les plus pauvres, qu’on l’appelle bien- faisance publique, charité chrétienne ou philanthropie privée, a pris les formes les plus variées à travers le XIXe siècle. Dans un bilan statistique des institutions de bienfaisance de 1852, E. Duc- pétiaux subdivisait la charité en deux grandes branches, l’une publique et l’autre privée. À l’intersection de ces deux pôles, l’his- torienne S. Dupont-Bouchat précise qu’il existait en Belgique un troisième modèle de philanthropie, mixte celui-là, en vertu duquel l’initiative privée bénéficiait de l’appui des autorités publiques 219.

218 Tout-Bruxelles 1903-1904, Annuaire mondain de la société bruxelloise, Bruxelles, 1904. Cercle artistique et littéraire, statuts, Bruxelles, 1848. Cercle artistique et littéraire de Bruxelles. Statuts, règlement et liste des membres effectifs, Bruxelles, 1872. 219 Ce modèle s’inscrit d’ailleurs dans une longue tradition de la bienfaisance qui remonte jusqu’au XVIe siècle. S. Dupont-Bouchat, « Entre charité privée et bienfaisance publique : la philanthropie en Belgique au XIXe siècle », in Philanthropies et politiques sociales en Europe (XVIIIe-XXe siècles), textes réunis par C. Bel, C. Duprat, J.N. Luc et J.G. Petit, Paris, 1994, p. 29. 178 www.academieroyale.be

La sociabilité (II)

Ces approches plurielles de l’acte de redistribution donnent naissance à des institutions de bienfaisance aux destins contras- tés. Il m’est impossible de cerner ici l’ensemble des initiatives pri- vées émanant des banquiers. Ainsi, beaucoup d’industriels ont agi au niveau local en mettant en place, avec plus ou moins de succès, des structures d’entraide. Ces initiatives ponctuelles et individuelles relevaient bien souvent d’objectifs pragmatiques et circonscrits. Elles ne seront épinglées ici que quand elles s’enca- drent dans un mouvement plus général. La description qui suit vise plutôt à mettre en lumière une sélec- tion d’institutions de bienfaisance parmi les plus populaires auprès de l’échantillon des banquiers. En nous attardant sur le mode de fonctionnement de ces institutions, de précieuses indications appa- raissent sur le groupe social qui les dirige et dont les banquiers for- ment une part non négligeable. Comme beaucoup de facettes de la vie privée de la classe dirigeante, les institutions philanthropiques se sont avérées être un moyen efficace de consolider tant le pouvoir symbolique de l’élite que ses réseaux relationnels informels. La question qui sous-tend l’analyse peut d’ailleurs se formuler à peu près de la manière suivante : comment et dans quelle mesure la bienfaisance organisée a-t-elle pu servir ceux-là mêmes qui pen- saient s’y consacrer par pure générosité ?

L’assistance publique Depuis le régime français (1796-1797), l’assistance publique s’or- ganise autour de deux institutions distinctes et complémentai- res qui sont mises en place dans chaque arrondissement commu- nal ou cantonal : « les hospices civils, réunissant tous les hospices et maisons de charité, et les bureaux de bienfaisance comprenant les aumôneries, tables des pauvres et bureaux de secours. […] Chaque collège de bourgmestre et échevins doit veiller à la créa- tion d’un bureau de bienfaisance dont la surveillance lui incombe comme d’ailleurs celle des hospices ». La dualité bureau de bien- faisance-hospice civil subsistera pendant tout le XIXe siècle et le premier quart du XXe siècle 220. « Parallèlement, la charité privée subsiste et doit même être encouragée, estiment certains, en raison de sa plus grand souplesse ». Tout au long du XIXe siècle, des institutions charitables et des établissements hospitaliers sont édifiés en nombre.

220 L’assistance publique à travers les âges, Charleroi, 1962, p. 26-27. 179 www.academieroyale.be

Les grands banquiers belges (1830-1935)

Les bureaux de bienfaisance et les hospices civils étaient enca- drés par les notables locaux. En règle générale, au milieu du XIXe siècle, catholiques et libéraux s’entendaient parfaitement pour gérer ces institutions en « bons pères de famille ». Dans les années 1840 par exemple, le bourgmestre catholique, le Comte Philippe Vilain XIIII, dirigeait l’hospice civil de sa commune Basel ; à la même période, le libéral Gustave Sabatier adminis- trait le Bureau de Bienfaisance de Monceau-sur-Sambre. À l’épo- que, la classe possédante se retrouve, dans son ensemble, aux avant-postes des institutions philanthropiques publiques ; la cohésion de classe l’emporte encore sur les fractures idéologi- ques. Certaines oppositions pouvaient d’ailleurs exister au sein d’une même tendance. Ainsi, comme l’a montré A. J. Vermeersch, en 1849, tandis que l’évêque de Bruges J. B. Malou, frère du directeur de la Société Générale, reprochait aux quotidiens catho- liques de ne pas suffisamment défendre la bienfaisance privée, certains curés, présidents ou vice-présidents de bureaux de bien- faisance, critiquaient cette même presse qui ne se montrait pas assez favorable aux institutions communales 221. Un observateur a estimé le montant des libéralités accordées aux bureaux de bienfaisance et aux hospices civils au XIXe siècle à un chiffre annuel variant entre 464 000 et 1 222 000 francs 222. En 1857, la question de la gestion de ces donations provoque d’ailleurs une intense crise politique, catholiques et libéraux ne s’entendant pas sur les modalités d’utilisation des fortes sommes absorbées dans le processus philanthropique. Mais malgré les dissensions, les catholiques continuent à faire confiance aux ins- titutions publiques dans la seconde moitié du XIXe siècle. Gus- tave Francotte, député liégeois de 1900 à 1912 et ministre de l’In- dustrie et du Travail de 1902 à 1907, assume son devoir de grand bourgeois catholique en présidant la fabrique d’église de sa paroisse, tout en s’impliquant par ailleurs dans le bureau de bien- faisance de sa ville. À sa mort en 1859, l’ancien député catholi- que J. J. Keppenne légua une somme de 17.365 francs au Bureau de Bienfaisance de Liège, « destinée à augmenter le revenu de cet

221 A.J. Vermeersch, « Un incident bruxellois de la querelle idéologique des fonda- tions charitables en 1847-1848. La presse bruxelloise devant le problème », in Annales de la Société Belge d’Histoire des Hopitaux, 1964, no II, p. 61. 222 L’assistance publique à travers les âges, Charleroi, 1962, p. 28. 180 www.academieroyale.be

La sociabilité (II)

établissement » 223. De manière symétrique, les libéraux n’aban- donnent nullement la tradition de la charité privée, comme nous allons le voir dans les exemples qui suivent. Pour bien comprendre le fonctionnement complexe de l’acte philanthropique, qui ne marque pas seulement l’appartenance d’un individu à une idéologie mais aussi à un groupe social net- tement identifié, marquons un bref temps d’arrêt sur deux insti- tutions prestigieuses de la bienfaisance bruxelloise, qui relèvent toutes deux de la charité privée ou plus précisément, de la philan­ thropie mixte.

Le Refuge des vieillards des Ursulines Le Refuge des vieillards des Ursulines voit le jour à Bruxelles en 1805 et accueille dès l’origine 32 vieillards infirmes ou aveugles ainsi que 600 enfants indigents dans une école chrétienne annexée 224. Le tout premier conseil d’administration du refuge est composé des plus hautes personnalités de la ville – dont l’autorité supérieure, le bourgmestre –. Parmi les premiers pro- tecteurs de l’œuvre figure notamment Frans Meeus, négociant et président du Tribunal de Commerce en 1809, père du futur gou- verneur de la Société Générale Ferdinand de Meeus. Il est rejoint en 1812 par le gros négociant J. Engler, un autre pionnier de la Société Générale. Le rôle d’Engler et Meeus au sein de l’associa- tion charitable n’est pas négligeable. À partir de 1815, ils intè- grent tous deux un conseil général d’administration réduit à 8 membres et appelé à seconder la commission administrative qui s’occupe de la gestion courante. À partir de 1818, le conseil d’ad- ministration est étendu à une trentaine de membres et se fixe désormais une réunion mensuelle obligatoire (sous peine d’une amende de 30 cents). Ce conseil étendu ne rassemble que du beau monde et est composé pour moitié de représentants de l’aristo- cratie. Engler et Meeus en font partie jusqu’en 1822. À travers l’ensemble du XIXe siècle, occuper un poste d’admi- nistrateur au Refuge des Ursulines constituera pour la haute

223 Un arrêté royal du 3 août 1859 a autorisé l’acceptation de cette somme. La même année, G. Nagelmackers, décédé lui-aussi, léguait la somme considérable de 60 000 francs au même Bureau de bienfaisance. U. Capitaine, Nécrologe, Liège, 1859, p. 57 et 74. 224 Les informations au sujet de cette association proviennent de R. Van Malder- ghem, Le refuge des Vieillards aux Ursulines à Bruxelles, 1805-1905, Bruxelles, 1909. 181 www.academieroyale.be

Les grands banquiers belges (1830-1935) société bruxelloise une preuve de notabilité dont bon nombre de banquiers en vue ne se priveront pas. Ferdinand de Meeus, récemment promu gouverneur de la Société Générale, y entre au conseil d’administration en 1832 à la suite de son père. Frédéric Fortamps, qui fera une grande carrière à la Banque de Belgique, en est désigné trésorier-adjoint en 1836, à l’âge précoce de 25 ans. Ce privilège, il le doit à la position prééminente de son père, un des plus gros négociants de la place et un des principaux dona- teurs de l’œuvre, qui joue un rôle actif dans la gestion du Refuge des Ursulines depuis 1828, quand il est appelé à siéger dans la commission administrative. L’originalité de ces conseils de notables est de rassembler autour d’une même table – ou dans un même salon – des hommes parfois adversaires dans le monde des affaires. Au milieu des années 1830, la réunion mensuelle du conseil d’administration met côte à côte de Meeus et le banquier d’origine allemande J. G. Mettenius, qui vient d’abandonner la puissante Société Générale pour s’associer à la création de sa rivale annoncée, la Banque de Belgique. Au milieu des années 1850, les banquiers sont présents en masse et tous ne sont pas alliés en affaires : outre Fortamps, qui y siégera pendant plus de quarante ans, épinglons C. Gréban, T. de Rodes, L. Emerique, F. De Pouhon, F. Bis- choffsheim, E. Brugmann, A. Oppenheim-Emden, E. Prévinaire. Les grands noms de banquiers continueront à s’y succéder durant la deuxième moitié du siècle. Un deuxième trait caractérise le groupe de notables à la tête du Refuge des Ursulines : tous ces hommes ne partagent pas les mêmes fondements philosophiques. Le fait est frappant en ce qui concerne le monde bancaire. La finance juive est représentée au conseil par F. Bischoffsheim et A. Oppenheim, puis plus tard par J. Montefiore-Levi. La famille Brugmann, dynastie protestante dont le nom reste associé à la philanthropie belge vu le grand rôle qu’elle y a joué, compte plusieurs membres actifs aux Ursu- lines, et ce pendant plus d’un demi-siècle. Les Fortamps repré- sentent le groupe de grands bourgeois acquis au libéralisme mais fortement empreints des valeurs catholiques. Parmi le groupe de banquiers appartenant à l’échantillon, le nombre de libéraux sié- geant au conseil entre 1805 et 1905 dépasse d’ailleurs le nombre de catholiques. L’œuvre est pourtant d’inspiration chrétienne. Confiée à des religieuses, le Refuge des Ursulines fait appel aux bienfaits de la religion pour régir et sanctifier les consciences des malheureux à

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La sociabilité (II) qui elle s’adresse. Ainsi, une commission administrative d’octo- bre 1834 rappelle le caractère obligatoire de la prière du soir pour tous les pensionnaires du refuge. « Tous ceux qui sont présents, à l’exclusion des infirmes, se mettront à genoux et demeureront dans cette attitude respectueuse vis-à-vis de l’image du Seigneur pendant tout le temps de la prière ». Ceux qui arrivent en retard à la prière sont punis, ceux qui refusent d’y assister sans « raison légitime » sont congédiés. La commission décide néanmoins de réduire la prière à un gros quart d’heure « pour pallier la relative désaffection ». Comme le note S. Dupont-Bouchat, avec le Concordat – qui rétablit le pouvoir des autorités religieuses –, la charité chrétienne va reprendre peu à peu sa place et rétablir son monopole sous le régime hollandais et après l’Indépendance belge 225. Dans une œuvre comme celle des Ursulines, cette main- mise s’opère sous l’œil bienveillant de toutes les fractions de la classe possédante qui se retrouvent dans les valeurs traditionnel- les de la charité chrétienne 226. Une œuvre comme celle des Ursulines permet aux nobles et aux grands bourgeois qui le désirent de garder un contact avec la population précarisée qui bénéficie de leur générosité. Ainsi, les membres de la commission administrative, qui se réunissent au moins une fois par semaine, se relayent pour visiter quotidienne- ment le refuge et ses pensionnaires. Ils ont en charge la gestion des distributions des biens et services ainsi que la surveillance de l’exécution du règlement. Ce sont eux qui font rapport au conseil d’administration sur les personnes qui souhaitent être admises au refuge. Ils ont de la sorte une bonne connaissance des problèmes spécifiques des pensionnaires et sont bien renseignés sur l’état de pauvreté des couches de populations fragilisées à Bruxelles. Il n’est pas rare que les membres du conseil d’administration se préoccupent plus particulièrement d’un cas individuel avec lequel ils créent des liens plus intimes : ils deviennent dès lors les « pro- tecteurs » de vieillards dont ils sont les bienfaiteurs directs. Par ailleurs, les noms des donateurs les plus généreux sont officiellement associés à l’œuvre. Inscrits ostensiblement surle

225 S. Dupont-Bouchat, « Entre charité privée et bienfaisance publique : la philan­ thropie en Belgique au XIXe siècle », in Philanthropies et politiques sociales en Europe (XVIIIe-XXe siècles), textes réunis par C. Bel, C. Duprat, J. N. Luc et J. G. Petit, Paris, 1994, p. 36. 226 Pour un coup d’œil sur les fondements de cette tradition de la charité chré- tienne, voir par exemple P. Grell, L’organisation de l’assistance publique, Bruxelles, 1976, p. 50 et ss. 183 www.academieroyale.be

Les grands banquiers belges (1830-1935) papier ou sur la brique, ces hommes deviennent ainsi la bonté personnifiée tant aux yeux des pensionnaires qu’à ceux des autres notables. Ils ne peuvent que susciter le respect de tous. Apposer un nom et un visage sur l’acte philanthropique apparaît comme une nécessité pour la grande bourgeoisie, qui rivalise d’ingénio- sité pour personnaliser les enjeux. En 1883, les descendants du célèbre banquier J. R. Bischoffsheim lèguent une somme de 10 000 francs au refuge, expressément affectée à la fondation d’un lit qui portera le nom du banquier. À l’occasion d’un anni- versaire, G. Washer, ancien commissaire de la Banque de Belgi- que, offre aux pensionnaires un banquet dont il est le centre d’at- traction. Sur les plaques commémoratives gravées sur les murs du Refuge des Ursulines s’exposent, aux yeux de tous, les noms respectables des familles les plus charitables. Si la bienfaisance privée remplit indéniablement une fonction symbolique (elle met un patronyme derrière un don) et psycho- sociale (elle met un visage derrière un acte) par rapport à la société dans son ensemble, elle joue également un rôle concret et directement perceptible auprès de la classe possédante. Elle res- treint le cercle des nantis à un petit nombre d’élus qui seul a accès aux meilleurs postes, c’est-à-dire aux institutions philanth- ropiques les plus prestigieuses. Qui retrouve-t-on généralement aux commandes de ces associations ? Les individus les plus riches, dont les institutions dépendent pour leur survie financière ; les individus les plus nobles (au sens large de réputés), dont elles dépendent pour leur survie symbolique ; les individus les plus diligents, dont elles dépendent pour leur survie pratique. Cette règle de trois vaut également pour notre échantillon de banquiers. Seuls les banquiers les plus en vue, à savoir une proportion non négligeable de l’ensemble puisque les banquiers représentent un échelon élevé de la classe possédante, accèdent aux postes hono- rifiques de ces associations philanthropiques. Les banquiers qui ont atteint le sommet de la pyramide sociale remplissent d’ailleurs les trois conditions d’accessibilité : des hommes comme Raoul Warocqué ou Georges Brugmann sont à la fois riches, nobles (au sens large) et particulièrement actifs dans le domaine philanthro- pique. La constitution de ces cercles fermés et particulièrement diffi- ciles à pénétrer renforce dans l’esprit de leurs membres le senti- ment d’appartenance à une même caste, même si des divergences peuvent apparaître entre associés sur des objets philosophiques. Comme dans d’autres cercles élitistes, les adhésions fonctionnent

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La sociabilité (II) par cooptation, bien que le système soit moins formel et explicite que dans les grands cercles d’agrément. Pour être admis membre agréé du Refuge des Ursulines, il faut être reconnu par ses sem- blables digne de représenter la haute notabilité. Aux Ursulines, comme dans les autres cercles fermés de la sociabilité, l’héritage familial joue un grand rôle dans la reproduction des élites. Ici aussi, des liens peuvent s’établir entre lignées, qui dépassent les générations. Meeus, Fortamps, Warocqué, Brugmann sont autant de familles célèbres dont plusieurs représentants siègent au conseil des Ursulines. Les héritiers, comme dans les cercles d’agrément, entrent dans le cénacle des notables à un âge nettement inférieur à celui des autres membres. Ernest Brugmann entre au conseil à 30 ans, à la mort de son père ; Ferdinand de Meeus a juste la trentaine lors- qu’il est nommé gouverneur de la Société Générale et entre aux Ursulines ; Frédéric Fortamps a 25 ans, Raoul Warocqué 22 ans. D’autres banquiers, qui représentent la première génération arri- vée au sommet à Bruxelles, ne sont pas aussi précoces. J. G. Met- tenius a presque 60 ans quand il intègre le conseil, J. R. Bis- choffsheim 45 ans, J. Delloye 59 ans, F. De Pouhon 64 ans.

La Société royale de philanthropie Cette description des modes de transmission vaut également pour une seconde institution sociale incontournable de la high-life bruxelloise, la Société royale de philanthropie. Fondée en 1828 par un avocat, R. Pauwels-Devis, elle ne se destinait à l’origine qu’aux vieillards atteints de cécité. Elle complétait en quelque sorte l’action du Refuge des Ursulines qui accueillait les vieillards vaillants. Au milieu du siècle, la Société de philanthropie a pleine- ment conquis ses lettres de noblesse et largement étendu ses acti- vités. L’hospice compte alors une cinquantaine de pensionnaires des deux sexes ; une crèche nouvellement créée – qui se targue d’être la première à Bruxelles – accueille une moyenne journa- lière de 55 enfants ; enfin, la société opère des avances et des prêts aux pensionnés dans le besoin. Le mode de fonctionnement de la société ressemble à celui des Ursulines : une direction se rassemble une fois par semaine ; des visiteurs des pauvres vont à la rencontre de la population sur le terrain et examinent la position des « pétitionnaires » ; en outre, un comité de dames patronnesses, épouses ou parentes de mem- bres, seconde la direction. Ce sont elles, par exemple, qui super- 185 www.academieroyale.be

Les grands banquiers belges (1830-1935) visent la crèche. Les sociétaires souscrivent une rétribution annuelle et reçoivent un tiers de leur souscription sous la forme de cartes de houille et de pain qui sont redistribuées aux indi- gents. Comme aux Ursulines, des représentants influents des dif- férentes communautés religieuses s’associent à l’initiative. Comme aux Ursulines, l’inspiration sous-jacente de l’œuvre reste chré- tienne : à la Société de philanthropie comme ailleurs, la messe quotidienne est obligatoire pour les pensionnaires de l’hospice des vieillards. À la création, la société bénéficiait de l’aide de 300 souscrip- teurs. En 1853, le nombre de souscripteurs dépasse le millier. À l’instar du Refuge des Ursulines 227, le système de bienfaisance peut être qualifié de mixte dans la mesure où la ville de Bruxelles et l’État contribuent à financer la société : en 1853, le subside du gouvernement pour l’hospice s’élève à 2 000 francs et celui de la ville à 700 francs 228. La ventilation des souscriptions montre néanmoins que la société dépend largement des largesses des par- ticuliers. Pour la même année 1853, les donations royales se montent à 2.879 francs, la rétribution annuelle des sociétaires – 12 francs minimum par membre – dépasse les 12 000 francs. Les autres donations sont le produit des activités de la société. La grande particularité de la Société de philanthropie est d’oc- cuper une place à part dans la vie mondaine bruxelloise durant les décennies qui suivent l’Indépendance. Comme dans les cercles d’agrément où l’on encourage les membres à faire preuve de générosité au profit des moins nantis, la Société de philanthropie mêle plaisir et charité en aménageant chaque année un pro- gramme d’activités riche en événements mondains. D’une cer- taine manière, par le biais de la Société de philanthropie, les diver- tissements de la classe possédante de la société sont en quelque sorte « taxés » avec son consentement. Les surplus de sa vie luxueuse sont ainsi directement redistribués aux classes les plus pauvres dans un acte social quasi-rédempteur puisque l’amuse- ment des uns trouve ici sa justification à travers le soulagement de la pauvreté des autres. Au milieu du siècle, la Société de philanthropie organise, comme d’autres cercles de sociabilité, des matinées musicales (avec le concours de la garde civique et des régiments en garnison dans la capitale), des tombolas et des expositions dont les béné-

227 Subsidié par la ville à hauteur de 2000 francs annuels. 228 La ville verse 1000 francs supplémentaires à la crèche. 186 www.academieroyale.be

La sociabilité (II) fices sont versés dans les caisses de l’œuvre. En outre, quatre bals égayent les nuits hivernales de la capitale, dont un, le plus fas- tueux, est traditionnellement honoré de la présence de la famille royale. En 1852-53, l’exposition produit un bénéfice de 2.938 francs ; les bals de leur côté rapportent à la société la somme de 3.794 francs. Une série de représentations théâtrales et d’événe- ments mondains de moindre importance enrichissent encore les caisses de la société de quelques centaines de francs supplémen- taires.

Générosité privée et subsides publics À la Société de philanthropie comme au Refuge des Ursulines, les plus grosses sociétés anonymes apportent leur contribution par un chèque annuel et des versements exceptionnels. Dès 1828, le gouverneur de la Société Générale fait un versement de 750 flo- rins au Refuge. En 1846, la Société de Commerce, liée à la Société Générale, transmet au Refuge des Ursulines une donation de 7.192 francs provenant du bal qu’elle a organisé à l’Hôtel de Ville. En 1853, la Compagnie Belge des Rentiers Réunis du jeune A. Langrand-Dumonceau – qui en est encore à ses débuts dans le monde des affaires – verse la modeste souscription de 80 francs. Cette largesse se voit récompensée par une mention spéciale dans le rapport annuel de la société. En 1863, parmi les associations privées qui aident la société, la Banque Nationale, la Banque de Belgique et la Société Générale offrent ensemble 500 francs. La Société philharmonique, grand cercle de sociabilité, effectue une donation de 100 francs, produit d’une collecte faite lors d’une représentation au Théâtre Royal. La grande perméabilité entre le monde culturel, le monde phi- lanthropique et le monde des affaires s’explique aisément par le fait que les acteurs principaux de ces trois sphères sont les mêmes. À la Société royale de philanthropie, tant le gouverneur de la Société Générale C. Liedts que le directeur de la Banque de Bel- gique V. Pirson font partie du Conseil général au début des années 1860. Auparavant, la société avait été présidée par J. G. Mettenius, entouré par de grandes figures du monde du négoce et de la banque comme J. Engler, A. Oppenheim-Emden, H. Schu- macher, H. Tiberghien ou J. G. Le Grelle à la banque duquel les fonds de la société sont placés en compte courant. Parmi les dames patronnesses de la première heure, relevons la Comtesse Coghen et l’épouse du négociant F. Rittweger, ou encore, un peu plus tard, la femme du ministre et administrateur de sociétés 187 www.academieroyale.be

Les grands banquiers belges (1830-1935)

Jules Vanderstichelen. L’administration de la Société de philan­ thropie, comme son comité des dames patronnesses, sont compo- sés pour moitié de patronymes connus de l’aristocratie, tandis que son Conseil général rassemble les grandes figures politiques, aristocratiques, intellectuelles et économiques de la capitale 229. Il n’est pas étonnant dès lors que ces sociétés philanthropiques jouissent de l’aide généreuse de l’État puisque ces institutions bénéficient des appuis les plus solides au pouvoir, tant au collège des échevins et bourgmestre de la ville qu’auprès du gouverne- ment national. Ainsi, lorsque l’État supprime les subsides versés aux établissements de bienfaisance en 1850, une délégation offi- cielle du Refuge des Ursulines a tôt fait de faire valoir auprès du ministère le caractère irremplaçable de cette institution et de récupérer les 2 000 francs annuels qui lui étaient versés.

Les communautés religieuses

Si les banquiers ont, en tant que représentants de la haute bour- geoisie, de multiples occasions de fréquenter des personnes d’opi- nions philosophiques et politiques divergentes, ils se ménagent néanmoins des lieux où ils peuvent côtoyer ceux dont ils parta- gent les convictions religieuses ou politiques. Dans le chapitre suivant, je montre que la genèse d’une banque peut s’expliquer en partie par l’existence de réseaux de personnes de même obé- dience politique. Le noyau fondateur de la Banque Liégeoise est issu de la tendance politique catholique qui commence à s’orga- niser à Liège ; la Banque Centrale Anversoise doit beaucoup au dynamisme d’une poignée de personnalités libérales gravitant au sein ou autour de l’Association libérale d’Anvers. De manière analogue, les complicités philosophiques et le partage d’une même conviction religieuse peuvent expliquer la constitution de liens forts qui auront des retombées sur le plan professionnel.

La communauté protestante Quatre personnalités marquantes du monde financier bruxellois du début du XIXe siècle ont ainsi tissé ou renforcé des liens par l’intermédiaire de l’Église évangélique française-allemande de

229 Tous ces renseignements proviennent de : Société Royale de Philanthropie, rapports annuels de 1845, 1853, 1862, 1863. La Société Royale de Philanthropie, son origine et ses œuvres, Bruxelles, 1898. Société Royale de Philanthropie de Bruxelles, règlements, Bruxelles, 1866. Société Royale de Philanthropie de Bruxelles, 1828-1928, slnd. 188 www.academieroyale.be

La sociabilité (II)

Bruxelles et du Consistoire de l’Église protestante de Bruxelles : ce sont les banquiers et industriels J. Engler, F. Basse, H. Schuma- cher (Société Générale) et F. Brugmann (Banque de Belgique) 230. Chefs de file du monde industriel de leur temps, ils seront les premières figures dirigeantes de l’Église protestante à Bruxel- les 231. La religion n’est d’ailleurs pas le seul point commun qui réunit ces quatre hommes. Tous sont immigrés originaires d’Al- lemagne, tous sont nés à la même période et tous débutent leur carrière comme négociant-industriel dans le textile. Par ailleurs, Schumacher et Engler sont apparentés. Engler et Brugmann sont parents et associés d’affaires depuis la fin du XVIIIe siècle. Durant la seconde moitié du XIXe siècle, de nouvelles dynasties protes- tantes de négociants-banquiers voient le jour dans la métropole anversoise 232. À Bruxelles, hormis les familles Brugmann et Anspach qui continuent d’avoir pignon sur rue, la communauté protestante se fait moins visible dans le monde des affaires de la seconde moitié du XIXe siècle. Comme l’a déjà noté H. R. Boudin, la présence des représentants de l’Église réformée dans le monde de la finance reste pourtant hors de proportion vis-à-vis de la situation mino- ritaire du protestantisme en Belgique 233. Ainsi que cette analyse le suggère, cette présence est majoritairement le fait d’immigrés déjà fortunés, dont la première vague est venue s’installer à Bruxelles, suivie d’une autre à Anvers. La réussite profession- nelle ne se cantonne d’ailleurs pas à la génération arrivante, mais se perpétue parfois sur plus d’un siècle comme l’illustre parfaite- ment l’épopée de la famille Kreglinger. Rappelons que, dans l’échantillon restreint, 5 % de l’ensemble appartiennent à l’Église réformée (voir Tableau 25 du Cha- pitre 2).

230 On peut encore mentionner J. G. Mettenius, banquier dont l’influence fut considérable, mais dont la biographie reste à écrire. À la constitution de la Société Générale en octobre 1822, 7 parmi les 36 personnalités fondatrices étaient protestantes. E.M. Braekman, Histoire du protestantisme en Belgique au XIXe siècle, première partie 1795-1865, Flavion-Florennes, 1988, p. 301. 231 L’Église évangélique française-allemande est officiellement fondée à Bruxelles le 18 avril 1816. Au moment de l’Indépendance, c’est Jacques Engler qui était président laïc du consistoire de l’Église protestante de Bruxelles. 232 Pour ne citer que quelques familles célèbres, les Fuhrman, Good, Kreglinger, Lemmé, Marsily, … Liste établie sur base de H. R. Boudin, Bibliographie du protestantisme belge 1781-1996, Bruxelles, 1999. 233 Voir la rubrique « financiers protestants » dans H. Hasquin (dir), Dictionnaire d’histoire de Belgique, Les hommes, les institutions, les faits, le Congo-Belge et le Rwanda-Urundi, 2e édition, Namur, 2000, p. 276. 189 www.academieroyale.be

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La communauté israélite La proportion d’israélites présents dans l’échantillon des ban- quiers est de même ordre que celle des protestants : ils forment 6 % de l’échantillon restreint 234. Il s’agit surtout de lignées basées à Bruxelles et dans une moindre mesure à Anvers, appartenant à la haute banque internationale, tout en jouant également un rôle fondamental dans la création et le fonctionnement des banques par actions. C’est un truisme de souligner que ces richissimes banquiers et négociants seront les figures de proue de leur com- munauté religieuse en Belgique. Il n’est pourtant pas inutile de présenter quelques données chiffrées de leur influence diffuse. Avant 1850, trois des présidents du Consistoire central israélite de Belgique étaient banquiers ou ont eu des intérêts bancaires 235. À partir des années 1840, la liste des membres du Consistoire israélite compte au minimum deux grands noms de la finance. Au milieu des années 70, sous la présidence de Joseph Oppenheim (le fils d’Adolphe), on n’enregistre pas moins de quatre banquiers de renom 236. Au début du XXe siècle, l’emprise des banquiers sur le Consistoire reste évidente : L. Lambert, F. Philippson et J. May s’y succèdent à la présidence entre 1899 et 1935. Le grand spécialiste de l’histoire des juifs en Belgique au XIXe siècle, J. P. Schreiber, donne quelques exemples concrets du soutien exceptionnel de certains banquiers à leur communauté religieuse. Ainsi, le jeune J. R. Bischoffsheim (24 ans), alors tout juste débarqué à Anvers, supportait seul les frais du culte israé- lite dans la métropole au début des années 1830, en l’absence temporaire de subside gouvernemental. La somme dépensée s’élevait alors à 1 000 florins par an. À l’origine de la fondation de la Société de patronage d’apprentis et d’ouvriers israélites en 1846, qui visait à encourager une politique sociale d’intégration (et de contrôle), basée sur la régénération par le travail, on retrouve les dirigeants consistoriaux les plus versés dans le monde des affaires, les susnommés Bischoffsheim, Oppenheim et ­Schuster. Comme l’a justement indiqué Schreiber, « les réseaux phi- lanthropiques et caritatifs mis en place dans le cadre de la politi-

234 Pour un aperçu synthétique du rôle des financiers juifs en Belgique au XIXe siècle, J. P. Schreiber, L’immigration juive en Belgique du Moyen-Âge à la Première Guerre mondiale, Bruxelles, 1996, p. 116, 132, 150, 206. 235 Adolphe Oppenheim-Emden, Jonathan Raphaël Bischoffsheim, Henri ­Schuster. 236 J. Oppenheim, J. Errera, R. de Bauer et J. Cassel. 190 www.academieroyale.be

La sociabilité (II) que communautaire tiraient leur origine à la fois de la tradition juive d’assistance et de charité et des modèles véhiculés par l’idéo- logie paternaliste et de contrôle social du XIXe siècle. Par leur forme, leur réglementation et leurs publications, les œuvres phi- lanthropiques juives étaient conformes aux œuvres catholiques, protestantes ou libérales. Comme ailleurs, la philanthropie parti- cipait de la valorisation de la notabilité communautaire : elle fut un symbole supplémentaire de la hiérarchie sociale imposée dans la communauté et la marque du bénéfice social que les élites tiraient de leur prodigalité » 237. Cela n’empêche pas les élites de la communauté juive, comme souligné déjà, de jouer parallèlement un rôle en vue dans quantité d’associations non-juives (politiques, sociales) et de contribuer dans une large mesure à l’effort philanthropique collectif, affir- mant de la sorte leur indiscutable intégration dans la société bour- geoise et le niveau élevé de leur position dans la hiérarchie sociale.

Paroisses catholiques et fabriques d’église À leur tour, les élites catholiques associent à leurs activités cari- tatives auprès des bureaux de bienfaisance et des hospices civils publics, d’une part, leur engagement dans la philanthropie mixte au sein des institutions renommées, et d’autre part, leur soutien à la charité communautaire et locale (privée, celle-là) par l’inter- médiaire des fabriques d’églises. Les fabriques d’église ont pour mission de prendre en charge le bon fonctionnement et l’entretien des bâtiments et des autres biens paroissiaux. Mais elles veillent également à édifier des fon- dations pour les pauvres et à recueillir les donations pour les redistribuer auprès des paroissiens indigents. Les fabriques sont gérées par les fidèlesles plus fortunés ; les conseils constitués pour leur administration sont présidés, dans les paroisses les plus importantes, par les plus grandes et les plus célèbres familles catholiques. Dans les grandes villes, les conseils de certaines fabriques d’église deviennent un point de rencontre et un lieu d’échange fréquentés par les plus grands notables. À Bruxelles, la Collégiale Saints Michel et Gudule dans la première moitié du XIXe siècle revêt indéniablement cette dimension. En 1822 déjà, le jeune F. de Meeus est Maître des pauvres de la Paroisse Saints- Michel et Gudule, dans le quartier où son père vient juste d’ac-

237 J. P. Schreiber, Politique et religion. Le Consistoire central israélite de Belgique au XIXe siècle, Bruxelles, 1995, p. 270. 191 www.academieroyale.be

Les grands banquiers belges (1830-1935) quérir un splendide hôtel. En 1848, lorsque C. De Brouckère devient bourgmestre de Bruxelles, outre la présidence du Mont- de-Piété de la ville, le premier magistrat se ménage une place de membre au Conseil de fabrique d’église Saints-Michel et Gudule. À Liège, C’est au Conseil de fabrique d’église Saint-Jacques que se croisent pendant plusieurs décennies une série de notables, dont H. de Meeus, A. Ancion, L. Collinet, G. Francotte. Cette tradition participative au sein des conseils de fabriques d’église se maintiendra jusque la fin de l’époque étudiée auprès de la fraction catholique des banquiers.

Foi et franc-maçonnerie Notons enfin, pour clôturer cette brève incursion dans la nébu- leuse des organisations religieuses, que c’est durant cette pre- mière période encore très pénétrée de catholicisme que l’on recense le plus de banquiers francs-maçons dans l’échantillon : à peu près 40 % des banquiers dont on connaît l’appartenance à la franc-maçonnerie sont en activité avant 1840 238. Comme l’a décrit G. Kurgan-van Hentenryk dans sa biographie du gouver- neur de la Société Générale C. Liedts, ces banquiers font partie d’une génération dont les représentants n’ont « pas de difficulté à concilier leur croyance avec leur appartenance à la franc-maçon- nerie » 239. Rappelons que les maçons de la première moitié du XIXe siècle n’étaient nullement antireligieux et se référaient à Dieu dans leur invocation au Grand Architecte de l’Univers. À l’instar de T. Verhaegen, beaucoup de maçons remplissaient d’ailleurs leurs devoirs religieux et proclamaient sans nulle honte leur foi catholique 240. Il semblerait – une étude systématique dans les archives maçonniques permettrait de confirmer cette observation – que les grands banquiers se soient progressivement détournés de la franc-

238 Pour une liste complète de noms, se reporter à ma thèse. S. Tilman, Portrait collectif de grands banquiers belges Bruxelles-Liège-Anvers (1830-1935), Contri- bution à une histoire des élites, Thèse de doctorat en Philosophie et Lettres, ULB, 2003-2004, volume 1, p. 159, note 50. 239 G.K.-v.H., « Charles Liedts », in G. Kurgan, S. Jaumain, V. Montens, Dictionnaire des patrons en Belgique, Bruxelles, 1996, p. 433. 240 R. Desmed, « La franc-maçonnerie en Belgique au XIXe siècle 1796-1840 », in Un siècle de franc-maçonnerie dans nos régions 1740-1840, Bruxelles, 1983, p. 54. Comme le rappelle Bartier, entre la dévotion et l’irreligion, il existait toute une série de positions intermédiaires. J. Bartier, « L’évolution sociale de la franc-maçonnerie », in J. Bartier (G. Cambier (ed)), Franc-maçonnerie et laïcité, Bruxelles, 1981, p. 330. 192 www.academieroyale.be

La sociabilité (II) maçonnerie dans la seconde moitié du XIXe siècle, à mesure que le combat anticlérical évolua en lutte antireligieuse 241. Il y eut toutefois quelques exceptions remarquables à cette désaffection relative constatée dans l’échantillon. Ainsi, le grand bourgeois Hippolyte Lippens fut Vénérable du Septentrion à Gand entre 1882 et 1888. Citons encore le cas de Xavier Olin, un maçon des plus actifs auprès des Amis philanthropes entre 1877 et 1899. J. P. Schreiber a souligné que la communauté juive est restée lar- gement fidèle aux principes maçonniques dans la seconde moitié du siècle. Aussi n’est-il pas étonnant que des banquiers juifs comme L. et S. Wiener ou encore I. Stern sont répertoriés dans la littérature comme francs-maçons. Au total, 6 % de l’échan- tillon est composé de francs-maçons.

Les usages mondains. Autres lieux de sociabilité

Une société de divertissement Les sociétés (groupes politiques, cercles d’agrément, associations philanthropiques, organisations religieuses) ne détiennent pas à elles seules l’exclusivité de l’agenda mondain de l’establishment. Le bourgeois doit également à son initiative propre, une partie de son emploi du temps puisqu’il est lui-même metteur en scène de la société de divertissement de son époque. Ainsi, les villes se mettent progressivement à l’heure du salon privé dans une forme inédite qui rend possible désormais la ren- contre entre des membres de la haute société que des origines sociales distinctes ont longtemps maintenus en vase clos. À ce sujet, écoutons plutôt un contemporain de l’Indépendance à qui L. et P. Hymans ont donné la parole : « […] nous commençons à avoir à Bruxelles ce qu’on appelle des salons, c’est-à-dire qu’il y a des centres de réunions, des endroits privilégiés, où l’on est sûr de rencontrer, à jour donné, une société élégante et distinguée, brillante et instructive, agréable et amu- sante suivant les goûts de chacun ; et dans ces salons on rencontre souvent des gens dont les opinions sont loin d’être homogènes, qui causent, discutent, sourient et ne croient pas qu’on soit un être à part dans la civilisation parce qu’on a le malheur de n’être pas de leur avis. »

241 M. Nefontaine, « L’Église catholique et la franc-maçonnerie en Belgique de 1830 à nos jours », in J. Lemaire (ed.), Franc-Maçonnerie et religions, Bruxelles, 1996, p. 50. A. Miroir, « Libéralisme et anticléricalisme belges dans les années 1840 », in A. Miroir (dir), Laïcité et classes sociales 1789-1945, Bruxelles, 1992, p. 195-208. 193 www.academieroyale.be

Les grands banquiers belges (1830-1935)

Les mêmes observateurs se réjouissaient en outre de la renais- sance de la ville au lendemain des troubles de la révolution : « […] nous voyons avec une véritable satisfaction la capitale reprendre de l’activité et de la gaîté et [que] nous contemplons la renaissance des fêtes, des soirées ; […] on y rencontre et des équi- pages, et de nombreux promeneurs, [qu’]il y a du monde et des toilettes au spectacle et dans les réunions particulières […]. […]. Voyez quelle foule et quelle variété d’amusements : les bals et les concerts de la cour, ceux du Ministère de la Guerre, les réunions de toute espèce, les soirées de nos familles les plus recommanda- bles dans la noblesse, l’industrie, le commerce ou les fonctions publiques, les fêtes des sociétés particulières […]. 242 » A. Daumard, sur base de l’exemple français qu’elle a étudié en profondeur, rappelle que ces salons, mais également les cercles d’agrément dont il a été question ci-dessus, n’avaient pas pour seule vocation le délassement. La qualité de l’auditoire pouvait faire dévier les conversations sur quelque question d’actualité très terre-à-terre. Il arrivait alors que les hommes d’affaires pro- fitent de ces assemblées, en principe dédiées aux loisirs, pour ras- sembler des informations, prendre connaissance de problèmes neufs ou s’entretenir d’affaires en cours. Parfois même, précise l’auteur, des décisions y étaient prises « séance tenante », lorsque les principaux intéressés d’une affaire se retrouvaient autour de la même table. Daumard fait ainsi remarquer que « dans la bour- geoisie, la vie de société avait pris un caractère utilitaire, beau- coup plus marqué, avec des formes comparables, que dans la société aristocratique de l’Ancien Régime 243 ». Le bal est un autre de ces joyeux prétextes de se retrouver entre personnes « recommandables », aplanissant le temps d’un soir de fête les jalousies et les rivalités qui peuvent naître dans la sphère professionnelle. Par le travail fouillé de M. Van den Eynde, nous savons que Madame Abel Warocqué avait pris l’habitude, depuis 1841, de quitter sa province pour venir passer quatre mois à Bruxelles après les fêtes de Noël et du Nouvel An. Son mari venait d’ailleurs la rejoindre trois jours par semaine. Outre les sorties théâtrales qu’elle s’offrait grâce à son abonnement au Grand Théâtre, l’agenda de ses distractions prévues pour le mois de février 1841 était noté comme suit : le 11, mariage de Mademoiselle Matthieu ;

242 L. Hymans, P. Hymans, Bruxelles à travers les âges, t. II, Bruxelles moderne, Bruxelles, c1890, p. 40-42. 243 A. Daumard, Les bourgeois et la bourgeoisie en France, Paris, 1987, p. 222. 194 www.academieroyale.be

La sociabilité (II) le 12, bal à la Cour ; le 13, bal chez Cossée ; le 16, bal t’Kint ; le 17, soirée Maskens ; le 20, bal Van der Elst ; le 22, bal Willems ; le 24, bal Van Volxem ; le 26, bal à la Cour ; le 27, bal Engler 244. Ce qui frappe dans l’emploi du temps de Madame Warocqué, c’est la fréquence des événements mondains qui se succèdent à un rythme effréné en période hivernale et qui drainent un public semblable. Les noms des familles qui invitent sont en effet des patronymes prestigieux du monde des affaires dont le couple Warocqué est à l’époque l’un des chefs de file. Beaucoup d’entre eux sont d’ailleurs des piliers de la Société Générale : Matthieu, Van der Elst, Van Volxem (apparenté aux Warocqué), Engler et Willems sont tous actionnaires de la banque, les quatre premiers détenant en outre un poste de directeur. Les dîners sont d’autres occasions pour les familles de nota- bles d’inviter la haute société. Certains, exceptionnels, rassem- blent un nombre imposant de convives et se programment long- temps à l’avance, à l’instar d’un bal, d’un concert ou d’une conférence de haut vol. D’autres, plus intimes et donc moins convenus, ne s’adressent qu’aux amis les plus proches, avec les- quels on partage en seconde partie de soirée une partie de billard ou de cartes. Quelle qu’en soit la dimension, les dîners font éga- lement partie, dans les conventions sociales de l’époque, de ce que A. Nyssens qualifie de « devoir de position » 245. Dans les campagnes, les parties de chasse rassemblent groupes d’amis et de connaissances autour de sorties champêtres et de banquets gastronomiques. Si le Comte de Flandre peut être de la partie, comme à certaines grandes occasions chez les Warocqué, les battues n’en seront que plus réussies. Avec les amis les plus proches, on part en excursion ou en voyage, dans des contrées toujours plus éloignées à mesure que les moyens de transport évoluent. Les Warocqué affectionnent Paris ; la Suisse et l’Angleterre sont deux autres de leurs destina- tions privilégiées. À cette époque déjà, Spa offre ses charmes reposants à la haute société. Et Bruxelles reste, pendant les mois d’hiver, la reine du divertissement pour les provinciaux qui dis-

244 Comme le note l’auteur, « elle ne précise pas si elle est allée partout ni si elle a organisé elle-même un dîner ou un bal. C’est pourtant très probable, car l’un et l’autre font partie des signes extérieurs de richesse […] ». M. Van Den Eynde, La vie quotidienne de grands bourgeois au XIXe siècle. Les Warocqué, Morlanwez, 1989, p. 59. 245 A. Nyssens, Eudore Pirmez, Bruxelles, 1893, p. 361. 195 www.academieroyale.be

Les grands banquiers belges (1830-1935) posent de temps libre ou pour ceux appelés à la ville dans le cadre de hautes fonctions officielles. Le train facilite désormais les voyages entre la province et la capitale. Mais les déplacements restent coûteux et particulièrement longs lorsque les localités de départ ne sont pas desservies par les nouvelles lignes ferroviaires. Certains notables, malgré un portefeuille bien doté, hésitent d’ailleurs parfois à la dépense et aux embarras lorsqu’il s’agit de déplacer une famille entière ou simplement une élégante et sa lourde panoplie de malles 246.

Fonctions politiques et mondanités Certaines fonctions officielles au service de l’État offrent le grand avantage d’être de toutes les occasions lorsqu’il s’agit d’étoffer son carnet d’adresses. La fonction la plus prestigieuse, celle qui prodigue à son titulaire un pouvoir d’attraction sans égal – mais qui le charge par ailleurs d’une somme d’obligations presque insurmontable –, c’est celle de ministre. Le chapitre 6 montre que les banques ont privilégié le recrutement de leurs dirigeants dans le vivier ministériel. Un passage remarqué par le gouvernement suffit à placer l’individu au sommet de la hiérarchie symbolique ; il continuera à fréquenter les plus hautes personnalités du pays, à travers les différents relais mis en évidence ci-dessus et ce, jus- qu’à la fin de sa carrière. La fonction de gouverneur de province, qui comporte peu de pouvoir réel pour beaucoup d’honneur et d’apparat, est égale- ment une charge hautement appréciée dans la carrière d’un nota- ble pour ce qu’elle offre de rencontres officielles et officieuses. La plus haute personnalité de la province ne manquant aucune céré- monie publique d’importance, il n’est pas étonnant que sa liste de connaissances s’enrichisse, en quelques années de service, de précieuses relations. Celles-ci s’avèrent d’autant plus profitables que les gouverneurs ne sont pas toujours originaires de la pro- vince où ils sont nommés. Le recrutement par les banques de ces personnalités particu- lièrement bien introduites s’est présenté à intervalles irréguliers dans le courant du siècle. L’exemple le plus significatif de notable appelé à de hautes fonc- tions financières à la faveur d’un épais carnet de relations est

246 Voir par exemple N. Caulier-Mathy, « Louis de Laminne (1789-1858), 1re partie De Liège à Ampsin », in Annales du Cercle Hutois des sciences et beaux-arts, tome XXXV, 106e année, 1981, p. 35. 196 www.academieroyale.be

La sociabilité (II)

le député libéral Victor Pirson qui a cumulé, dans sa carrière d’homme du monde, le prestige de l’officier à celui de dignitaire de l’État. Victor Pirson a fait carrière comme officier d’artillerie entre 1830 et 1848. À ce titre, il est en poste avec son régiment à Liège à la fin des années 1830. Comme officier étranger àla ville, il est admis à la Société littéraire de Liège où il a l’occasion de côtoyer d’autres jeunes de sa génération, Frédéric Braconier, Victor Terwangne, Edouard Nagelmackers, ainsi que Charles Visschers, le parent de Charles De Brouckère, qui devient admi- nistrateur de la Banque de Belgique une année avant que Pirson s’empare de la direction. En décembre 1851, à 42 ans à peine, Victor Pirson jouit d’un réseau de connaissances exceptionnel : grand notable originaire de Dinant, bien introduit dans la haute société liégeoise, il est gouverneur de la Province de Namur pen- dant trois ans entre 1848 et 1851 où il se mêle aux mondanités locales. Il a par ailleurs passé une année à Constantinople et une année aux États-Unis comme chargé de mission pour l’armée au début des années 1840. Jusqu’à la Première Guerre mondiale, une autre fonction a le don d’ouvrir bien grandes les portes des salons : la charge de bourgmestre. Dans les zones urbaines, le plus haut dignitaire local est appelé à multiplier les dîners officiels, les discours de gala, les remises de récompense, les réceptions mondaines. Lors- que le bourgmestre a la chance de conserver son écharpe maïo- rale pendant une période assez longue, il devient un personnage incontournable de la haute société et son vaste tissu de relations peut être mis à profit par le monde des affaires. Le meilleur exemple du bourgmestre versé en affaires fut sans doute Gérard Le Grelle. Sa biographe nous apprend qu’au sein de la banque familiale, il aurait « joué un rôle relativement passif » et que la gestion courante de la firme était aux mains de son frère Henri. C’est à la politique et à la fonction publique que Gérard Le Grelle semble avoir consacré le plus clair de son temps. En 1816, à 23 ans, G. Le Grelle était déjà membre de la Commis- sion administrative du Bureau de Bienfaisance d’Anvers. Depuis cette date, il cumule les fonctions et les honneurs jusqu’à se faire élire au Congrès National pour Anvers en 1830 et à la Chambre des Représentants l’année suivante. Il est nommé bourgmestre de sa ville en 1832. Cette fonction le propulse à la présidence de la Commission administrative du Bureau de bienfaisance, du Mont de Piété, de la Société royale pour l’encouragement des beaux-arts ; en 1838, il est par ailleurs vice-président de l’Académie royale des beaux-arts, administrateur de la Société de charité chrétienne, tré- sorier de la Société royale des sciences, lettres et arts, membre de 197 www.academieroyale.be

Les grands banquiers belges (1830-1935)

l’École primaire modèle du gouvernement. En 1847, alors qu’il arrive en fin de mandat, il est toujours actif auprès des différen- tes associations citées ; il préside en outre l’École de navigation. Ajoutons à cela son adhésion de membre à la Fabrique d’église Saint-André, à la Commission des Prisons de la Ville et de la Province d’Anvers, à la Commission pour la colonie de Wortel 247 ; il est enfin membre-fondateur du Bureau des œuvres pontificales à Anvers. Dans ses souvenirs d’enfance, L. Hymans évoque cette image d’un Gérard Le Grelle bourgmestre, homme de terrain, venant tous les ans à l’école primaire que l’auteur fréquentait avec les autres enfants de la bonne bourgeoisie « distribuer aux écoliers les prix « décernés au mérite » comme il était écrit en lettres d’or sur les volumes richement reliés » 248. Le Grelle aura l’occasion de côtoyer, au sein des commissions diverses dont il est membre, de nombreuses personnalités anver- soises appelées à un destin national, comme son adversaire poli- tique, le futur directeur de la Société Générale Laurent Veydt qui siège avec lui dans cinq comités d’associations anversoises en 1838. Pendant ce temps, à Bruxelles où il s’est domicilié, son frère Joseph représente les intérêts familiaux aux premières assemblées générales de la Société Générale en tant que gros actionnaire et il figure au collège des commissaires de la Banque de Belgique à sa création en 1835. Chez les Le Grelle, les rôles sont soigneuse- ment répartis entre les aînés, au profit d’un réseau de sociabilité consciencieusement élaboré.

Entre 1850 et 1875

Durant ce quart de siècle s’amorcent, dans le mode de sociabilité des classes dirigeantes, des tendances et des évolutions qui préfi- gurent les grands changements d’avant la Première Guerre mon- diale. D’une part, plutôt que d’en être elles-mêmes le maître d’œuvre, les élites bancaires s’adaptent à la séparation croissante entre les mondes catholique et libéral que l’on perçoit surtout dans le domaine politique. Jusqu’alors, le champ politique n’a encore exercé que fort peu d’influence dans la constitution des réseaux, qui reposaient avant tout sur une conscience de classe commune. Après 1850, les associations politiques plus structu- rées exercent leur pouvoir d’attraction sur les élites et suscitent la

247 Le double guide commercial, ou livre d’adresses de la ville d’Anvers, Anvers, 1838 et 1847. 248 L. Hymans, Types et silhouettes, Bruxelles, 1887, p. 47. 198 www.academieroyale.be

La sociabilité (II) formation de nouveaux réseaux dont les banquiers ne demeurent pas totalement étrangers. Toutefois, les réseaux politiques ne vont pas remplacer les autres formes de sociabilité qui continuent à se développer, comme c’est le cas des cercles d’agrément. D’autre part, les élites tentent désormais de répondre sur un mode plus structuré, et de manière moins ponctuelle et indivi- duelle, au phénomène de la pauvreté et à la réalité des inégalités, dans le contexte menaçant d’un mouvement international nais- sant d’émancipation ouvrière. Pour ce faire, la philanthropie est plus que jamais l’arme commune contre les menaces d’instabili- tés sociales. Enfin, les élites commencent à prendre conscience de l’utilité de se rassembler à grande échelle (nationale et internationale), pour faire front aux contre-pouvoirs qui germent aux niveaux politique et social et pour coordonner leurs efforts sur le plan économique. C’est le début des groupements d’intérêts économi- ques et des ententes patronales.

Les associations politiques

Rares sont les banquiers réellement politisés, autrement dit inves- tis dans un projet politique clair. Plus rares encore sont ceux qui ont joué un rôle décisif dans l’histoire des avancées politiques. Cela ne signifie pas que les grands financiers se tiennent à l’écart de la chose publique. Au contraire, comme nous allons le voir, les banquiers ne dédaignent pas, en tant que notables, d’occuper un mandat politique – avec une préférence marquée pour les Chambres législatives –. Réciproquement, on rencontre aussi quelques grands formats politiques se reconvertissant dans le monde de la finance. Les banquiers incarnent en réalité la classe possédante dans tout ce qu’elle comporte de conservatisme : nul- lement à la pointe du combat pour le changement social, ils veillent plutôt à ce que les transformations nécessaires, suggérées par d’autres, s’inscrivent dans une structure dont ils garderaient le contrôle.

Distance prudente vis-à-vis des groupes politiques Ainsi, lors de la genèse des formations politiques nationales, les banquiers restent largement étrangers au terreau politique de base et ne constituent pas le ferment des associations de partis, ni dans le monde catholique, ni dans le monde libéral. De la 199 www.academieroyale.be

Les grands banquiers belges (1830-1935) sorte, ils préservent leur indépendance et marquent leurs distan- ces avec les positions trop peu consensuelles qu’auraient pu leur imposer un parti ou un groupement politique structuré. Déjà avant 1850, les rares banquiers émergeant comme ténors politi- ques étaient des électrons libres, à l’image de l’Anversois J. J. R. Osy, libéral jusqu’en 1852, puis passé dans les rangs catho- liques. Bien entendu, quelques-uns ont contribué au développe- ment des groupements politiques en gestation, tout en restant cependant en marge des opérations. François Anspach fait partie des fondateurs de l’Association libérale de Bruxelles en 1846, mais ce sont ses descendants qui recueilleront les fruits politiques de l’attachement familial au libéralisme. À Liège, le groupe fonda- teur de la Banque Liégeoise est un petit noyau de l’opinion conservatrice qui tente de s’organiser dans la Cité ardente. Mais d’une part, les tentatives d’union du catholicisme échouent, d’autre part, l’accès de ces personnalités catholiques au conseil d’administration de la banque va mettre une sourdine à leurs activités politiques. À partir de 1850, à quelques exceptions près 249, les cadres des partis naissants et ceux des associations politiques locales sont des notables que les banquiers fréquentent, appuient même, mais à qui ils ne veulent pas être assimilés. Le phénomène est particu- lièrement visible pour les financiers qui ont atteint l’apogée de leur carrière. Pour ceux qui débutent, le combat politique et idéo- logique peut toutefois être admis comme une parenthèse de jeu- nesse, menant à la sphère plus policée de l’élite industrielle. Arrivé dans la fleur de l’âge, l’arène politique représente bien souvent pour le financier l’endroit où l’on défend vigoureusement ses intérêts économiques propres et ceux de la classe capitaliste au sens large. L’Association libérale et constitutionnelle d’Anvers est animée dans les années 1850 et 60 par un groupe de jeunes négociants et industriels dont font partie A. Cornelis, E. De Gottal, F. Del- vaux et A. De Roubaix. F. Grisar, un autre négociant important, fondateur de la Banque Centrale Anversoise, préside l’Associa- tion libérale d’Anvers au début des années 1860. Il est alors âgé de 50 ans et est l’aîné de cette génération de banquiers libéraux. Ceux d’entre eux qui persévéreront en politique représenteront

249 Jules Malou fait partie de ces exceptions, lui qui jette les bases du Comité central conservateur au début de l’année 1852. J. L. Soete, Structures et organi- sations de base du parti catholique en Belgique 1863-1884, Louvain, 1996, p. 14. 200 www.academieroyale.be

La sociabilité (II) les vues du négoce et de l’industrie auprès des Chambres législa- tives. De la même manière, F. Braconier se fait le représentant du monde de la grande industrie à l’Association libérale de Liège à une époque où les intérêts de ce monde sont directement mena- cés par le conseil communal (1856). Lorsqu’il sera élu à la prési- dence de l’association en 1873, ce sera comme élément fédérateur de la grande bourgeoisie contre les menaces du radicalisme.

Analyse d’un cas : la Société d’émulation de Bruxelles À la croisée du cercle d’agrément et de l’association politique, la Société d’émulation de Bruxelles, fondée en 1862, propose une physionomie originale au sein de l’establishment des années 1860, dans la lignée des cercles catholiques qui commencent à voir le jour dans plusieurs villes du pays 250. Composée d’à peu près tous les ténors et futurs ténors du monde catholique bruxellois, cette société se structure sous la forme d’un grand cercle socioculturel, sans toutefois parvenir à voiler son dessein politique ou à tout le moins philosophico-religieux. Le but avoué de la société est en effet la « formation d’une jeunesse chrétienne ». C. Woeste aura beau rappeler dans un discours inaugural que l’association se défend de faire de la propagande et réfuter son caractère mili- tant, il ne peut s’empêcher de convenir que « la politique, de nos jours, se mêle à tout, s’identifie avec toutes les questions vitales qui agitent la société » 251. La Société d’émulation est destinée à soutenir la grande bourgeoisie catholique dans sa tentative d’uni- fication des forces conservatrices, à une époque où les luttes poli- tiques s’intensifient. La société est conçue comme un grand forum d’idées où se manifestent les différents tenants de l’opinion catholique. Centre de réunion mettant à disposition de ses membres un cabinet de lecture, la société organise régulièrement des conférences à l’oc- casion desquelles sont discutées « les questions de philosophie sociale, d’art et de littérature ». De nombreux orateurs y présen- tent les résultats de leurs travaux historiques, politiques ou reli- gieux, discutant des problèmes d’actualité et débattant des ques- tions politiques soumises au Parlement.

250 J. L. Soete, Structures et organisations de base du parti catholique en Belgique 1863-1884, Louvain, 1996, p. 109. J. E. de Biolley est à l’origine du Cercle catholique de Verviers en 1863. 251 Rapport d’activité à l’AG de décembre 1868 pour l’exercice 67-68, Bruxelles, 1868. 201 www.academieroyale.be

Les grands banquiers belges (1830-1935)

Comme l’écrivait Delmer en 1914 : « Elle [la Société d’émulation] arrivait à son heure pour tirer l’opinion conservatrice […] du marasme où l’avaient plongée les événements de 1857 et réconcilier les hautes classes avec les devoirs de la vie publique ; elle fut bientôt le centre où les nota- bilités catholiques de la capitale venaient se communiquer leurs impressions et échanger leurs idées. 252 » Avec la Société d’émulation de Bruxelles, les catholiques n’en étaient pas à leur coup d’essai dans leurs tentatives de convertir les cercles d’agrément en associations politiques. J. L. Soete a éclairé l’évolution de la Société l’espoir, à la fin des années 1830. À l’origine, cette dernière était « un club à l’anglaise, un cercle littéraire et non politique regroupant la haute bourgeoisie de la capitale » 253. Des membres de comités catholiques bruxellois et liégeois l’infiltrèrent en nombre et la transformèrent en« cercle catholique destiné à coordonner l’action politique des comités électoraux locaux ». Ils veillèrent d’ailleurs à ne pas en modifier les statuts pour conserver l’illusion de neutralité. Ces sociétés hybrides apparaissent, dans l’histoire politique du pays, comme une réponse de la fraction politique catholique aux avancées du monde politique libéral déjà partiellement structuré dans l’orbite de la franc-maçonnerie, puis plus tard à travers les associations libérales qui essaiment dans les villes 254. Le droit d’entrée à la Société d’émulation est peu élevé, à peine 15 francs, ce qui prouve la volonté de l’association de ratisser large – et jeune, comme elle se plaît à insister –. Autre originalité décelable dans les statuts : « la commission [qui la dirige] ballotte spontanément les personnes qu’elle croit pouvoir appeler à faire partie de la société ». La famille de Meeus occupe les premières loges de la société avec pas moins de cinq membres au moment de la fondation, à savoir toute la descendance du gouverneur de la Générale Ferdinand de Meeus. Ils épaulent une liste de per- sonnalités qui font ou feront les beaux jours de la tendance catholique : C. Woeste, A. Dechamps, les deux Nothomb, … Des frères Malou, c’est étonnamment Victor Malou-Moermans et

252 Cité dans J. L. Soete, Structures et organisations de base du parti catholique en Belgique 1863-1884, Louvain, 1996, p. 91. 253 Elle avait été étudiée auparavant par J. Bartier dans J. Bartier, « Théodore Verhaegen, la franc-maçonnerie et les sociétés politiques », in J. Bartier (G. Cambier (ed)), Franc-maçonnerie et laïcité, Bruxelles, 1981, p. 84. 254 J. L. Soete, Structures et organisations de base du parti catholique en Belgique 1863-1884, Louvain, 1996, p. 5. 202 www.academieroyale.be

La sociabilité (II) non le sénateur et directeur de la Société Générale Jules Malou qui représente la famille 255. Le nombre de membres ne dépasse pas la centaine durant les deux premières années, puis atteint les 260 à la fin de 1865. Comme dans d’autres associations de nature politique, les banquiers ne sont que peu représentés dans les listes de membres. J. Quairier, à l’époque avocat à la Cour de Cassation, fait partie de la commission de direction, à la fondation de la société. Agé alors de 41 ans, il se prépare à prendre la succession de son beau- père Victor Drugman à la direction de la Société Générale, en 1868. Son entrée dans les affaires coïncide avec sa disparition des listes de la Société d’émulation, et l’abandon apparent de ses acti- vités politiques. À 25 ans, Eugène Van Overloop rejoint son oncle, le député catholique Isidore Van Overloop, qui fait partie des fondateurs de la société. Jeune avocat, il n’y reste que quel- ques années ; lorsqu’il obtient la gérance de la maison de banque de son beau-père J. Delloye-Tiberghien (puis, quelques années plus tard, un mandat d’administrateur à la Banque de Bruxelles), il résilie son affiliation à la société. Cela ne l’empêchera d’ailleurs pas de siéger au Sénat comme Indépendant à la fin des années 1880. D’autres, comme J. Devolder ou plus tard V. Fris (tous deux avocats), sont des piliers de la Société d’émulation, et pour cause : à l’époque, ils ont le regard fixé sur la politique et ne se destinent pas encore au monde des affaires 256.

Les cercles d’agrément Durant leurs temps libres, les banquiers continuent à fréquenter les cercles artistiques et littéraires mondains qui pouvaient être étiquetés libéraux (parce que ces derniers y étaient majoritaires comme d’ailleurs dans la vie politique locale), mais qui, pour- tant, s’avéraient ouverts aux débats et tolérants sur le plan reli- gieux. Preuve que ces cercles n’ont jamais basculé dans l’exclu- sive, certains hommes politiques catholiques ont continué à les fréquenter malgré le contexte politique tendu. Leurs membres se recrutaient d’ailleurs toujours dans la grande bourgeoisie acquise au catholicisme.

255 Jules Malou en fera partie au milieu des années 70 quand il aura abandonné son poste à la Société Générale et repris la fonction de ministre au sein du gouvernement catholique. 256 Société d’émulation, Statuts, Bruxelles, 1865. Société d’Émulation, rapport de la commission, Bruxelles, 1866, 1872, 1876. 203 www.academieroyale.be

Les grands banquiers belges (1830-1935)

Libéraux et catholiques dans les mêmes cercles artistiques À Liège, comme cela a déjà été souligné, la Société littéraire, qui n’avait d’ailleurs de littéraire que le nom, continue à recruter dans toutes les fractions de la haute société, malgré la politisation crois- sante du contexte. Des grandes figures catholiques, voire mili­ tantes, partagent leurs loisirs avec des libéraux de marque. Henri de Meeus, le fils de Ferdinand, installé à Liège après son mariage avec une Potesta, futur administrateur du Crédit Géné- ral Liégeois, est un élément moteur dans l’organisation de la philanthropie catholique et, plus largement, dans la structura- tion et la consolidation de l’ossature politique à la base du parti catholique, puisqu’il se fait membre de la Société d’émulation de Bruxelles. Il adhère à la Société littéraire de Liège en 1859. De cette époque datent l’adhésion de l’industriel Léon d’Andrimont (1857), futur député libéral, fondateur de la Banque populaire de Liège avec A. Poulet, membre de la Ligue de l’enseignement (dont son frère, Julien d’Andrimont, préside l’aile liégeoise), ou encore celle d’Alfred Magis (1862), pion essentiel du libéralisme liégeois de la fin du siècle. Notons d’ailleurs que c’est le libéral Frédéric Braconier qui présidera la société au début du XXe siècle, à l’âge de 75 ans. À Bruxelles, il semblerait que la Société artistique et littéraire ait plus franchement penché vers le libéralisme durant ces décen- nies politiques agitées. En effet, M. Michaux a pu montrer que les cinq premiers présidents de la société appartenaient nettement à la mouvance libérale : trois d’entre eux étaient d’ailleurs direc- tement des élus du parti libéral. Toutefois, la société ne se dépar- tira jamais d’un neutralisme revendiqué tant dans le choix de ses sujets de conférence que dans celui de ses membres. En réalité, la Société artistique et littéraire véhiculait les idées de la bourgeoisie dominante, que M. Michaux a qualifiées de doctrinaires mais qui sans doute débordent cette catégorie politique trop étroite et cor- respondraient plutôt à un courant conservateur qui transcende le clivage idéologique. Cette société constitue l’axe bien-pensant des classes possédantes autour duquel naissent d’autres cercles littéraires et politiques, tant sur son aile gauche que sur son aile droite 257.

257 M. Michaux, Entre politique et littérature : les écrivains belges du réel (1850- 1880), t. I, doctorat en philosophie et lettres, ULB, Bruxelles, 1997-1998, p. 149- 156. Voir aussi S. De Bodt, « Le labyrinthe bruxellois des sociétés d’artistes », in Bruxelles, colonie d’artistes. Peintres hollandais 1850-1890. 204 www.academieroyale.be

La sociabilité (II)

Le Cercle du parc et le Cercle de l’union De son côté, l’aristocratie, qui n’a jamais cessé de vivre partielle- ment en marge des mondanités urbaines bourgeoises 258, même lorsque ses familles les plus en vue se sont ménagé des relais tant dans la sphère économique que dans les autres réseaux bour- geois, a souhaité fonder ses propres cercles de sociabilité. Vers le milieu du siècle, ceux-ci peuvent voir le jour sans susciter trop d’animosité dans la mesure où l’Ancien Régime et ses privilèges semblent désormais définitivement classés au rang de l’His- toire 259. Dès sa création en 1842, le Cercle du parc s’adresse exclusivement à la noblesse de sang. Son droit d’admission est nettement plus élevé que celui d’autres cercles mondains, soit une souscription annuelle de 200 francs pour les membres dits fonda- teurs. Pour devenir membre fondateur, il faut détenir au moins une part dans la société, à savoir une action de 2 000 francs. Seuls les membres fondateurs ont accès au ballottage et trente d’entre eux doivent être réunis pour que l’élection d’un candidat parrainé par deux membres fondateurs soit valable. Le cercle compte donc 350 membres triés sur le volet, dont le président d’honneur est le Comte de Flandre. Inutile de préciser que, selon les statuts, « toute réunion pour objet politique est interdite ». Une adhésion au Cercle du parc n’est pas synonyme d’enfer- mement social ni incompatible avec une participation active dans le monde des affaires. Au contraire, le comité du cercle dans les années 1870 se compose de patronymes liés au monde de la finance, comme Osy de Zegwaart (trésorier du cercle) et de Baillet (Banque d’Anvers et Société Générale), mais aussi des familles nobles de souches plus anciennes, comme les de Rodes (Banque de Belgique), de Limburg-Stirum (Crédit Général Liégeois) ou d’Ursel (Société Générale) 260. En l’absence de synthèse sur le sujet, nous ne pouvons que postuler que, à l’image des cercles aristocratiques qui ont existé en France, les discussions d’affaires n’étaient pas totalement évacuées de ces réunions aristocratiques, même si les familles dont il est question ne jouent encore – à

258 G. H. Dumont, La vie quotidienne en Belgique sous le règne de Léopold II (1865-1909), Bruxelles, 1996, 2e édition, p. 54. 259 P. Janssens, L’évolution de la noblesse belge depuis la fin du Moyen-Âge, Bruxelles, 1998, p. 331. 260 Club-Almanach, annuaire des cercles et du sport, 1883, Paris. Tout Bruxelles, 1903-1904, Bruxelles, 1904. Règlement du cercle du Parc, Bruxelles, 1909. 205 www.academieroyale.be

Les grands banquiers belges (1830-1935) quelques exceptions près – qu’un rôle secondaire dans les milieux d’affaires. Moins exclusif mais presque aussi sélectif, le Cercle de l’union, fondé juste avant l’Indépendance mais baptisé de son nom défi- nitif au milieu du siècle, rassemble l’aristocratie de sang et d’ar- gent 261. Il limite ses inscriptions à 400 membres. Le droit d’en- trée est de 100 francs et la souscription annuelle s’élève à 125 francs. Au tournant du siècle, les banquiers qui en font partie sont au sommet de leur carrière et ont tous un âge déjà avancé, à l’exception de quelques héritiers des plus grandes familles comme Josse Allard ou Edouard Balser. Le cercle présente la particularité de réunir les représentants les plus éminents de la haute banque avec les plus hauts dirigeants des grandes banques par actions. Dans le comité de direction, c’est néanmoins l’aris- tocratie de sang qui garde les commandes 262. Le Cercle de l’union réalise une alliance unique en son genre entre une part impor- tante de la noblesse belge et les plus grands financiers que compte le pays. Il y a fort à parier qu’une étude en profondeur de ces deux grands cercles d’agrément pourrait éclairer une facette encore peu explorée de l’histoire de la noblesse en Belgique, à savoir le rapport de cette classe sociale au monde capitaliste et au profit.

La philanthropie

La création d’une troisième grande institution de philanthropie mixte à Bruxelles Les grandes institutions philanthropiques mixtes sont plus floris- santes que jamais à Bruxelles. La Société royale de philanthropie compte 2.765 membres en 1878, l’année où elle fête ses cinquante années d’existence. Cette année-là, elle investit près de 50 000 francs dans l’hospice pour vieillards et plus de 60 000 francs en distribution de pain et de combustibles, en secours en espèce (bons spéciaux pour couvertures, vêtements, lunettes, appareils orthopédiques, instruments de travail) ainsi qu’en attribution de pensions – fixes ou temporaires – allouées aux pauvres. Plus que jamais, à cette époque, la société jette un pont solide entre diri-

261 D’après le journal l’Éventail, les origines du cercle remontent à 1828. L’Éven- tail, le 23 mars 1890. 262 Club-Almanach, annuaire des cercles et du sport, 1883, Première année, Paris. Tout Bruxelles, 1903-1904, Bruxelles, 1904. 206 www.academieroyale.be

La sociabilité (II) geants et indigents. Ainsi, la société effectue des « enquêtes auprès des malheureux pour le compte de la royauté » et signale aux souverains le cas de ceux qui méritent leurs largesses 263. La Société de philanthropie continue à souligner systématique- ment, à travers ses rapports annuels, son indépendance et sa neu- tralité. Lorsqu’elle remercie la presse, elle précise que cette der- nière, « de toute nuance », « n’a jamais négligé aucune occasion de nous témoigner sa bienveillance » et « a toujours été largement acquise à nos travaux ». L’analyse de la liste des membres prouve qu’il ne s’agit pas simplement de tournures rhétoriques consen- suelles pour rassurer le bourgeois dans les publications officielles. Le public cotisant pour la société se compose de personnalités aux opinions philosophiques diverses, de même qu’est équilibrée la composition du Conseil général. Les banquiers restent les fers de lance de cette association. Comme souvent dans le domaine philanthropique où un noyau d’individus très actifs cumule les responsabilités, ce sont les mêmes personnalités, à quelques nuances près, qui gravitent autour de l’Association pour secourir les pauvres honteux créée en 1853 dans une mouture assez semblable à celle de la Société de philanthropie. L’association reçoit l’aide et la sollicitude du bourgmestre de la ville, Charles De Brouckère. Sans surprise, la société rassemble « des citoyens honorables, sans distinction de culte et de parti, appréciant toute la portée du but de l’œuvre » 264. À l’image de la Société de philanthropie, l’Association pour secou- rir les pauvres honteux organise des événements mondains (tom- bolas, représentations théâtrales, …) pour solliciter la générosité de ses membres. Comme dans les autres organisations, des visi- teurs des pauvres vont directement sur le terrain faire le point sur la situation. Au départ, les fondateurs projetaient l’organisation d’une modeste tombola au profit des pauvres honteux. Devant le succès de l’initiative, ils optent pour la mise sur pied d’une œuvre per- manente qui se charge de venir en aide, entre autres, à l’Hospice des vieillards de Sainte-Gertrude fondé à Bruxelles en 1801. L’as- sociation est plus humble que la vénérable Société de philanthro­ pie : à titre d’exemple, les dépenses pour 1878 sont estimées à

263 Société Royale de Philanthropie de Bruxelles, Rapport pour 1877, Bruxelles, 1878. 264 H. Van Holsbeek, Histoire de l’Hospice des vieillards de Sainte-Gertrude de Bruxelles, Bruxelles, sd (c1863), p. 78. 207 www.academieroyale.be

Les grands banquiers belges (1830-1935) environ 20 000 francs. L’association compte toutefois plus de 1000 membres en 1860, et s’entoure des conseils des plus hautes personnalités bruxelloises. Louis Emerique, commissaire de la Banque de Belgique et directeur de l’Union du Crédit, en est vice-président au milieu des années 1860. J. R. Bischoffsheim, qui en est un des plus gros bienfaiteurs, administre l’association depuis 1873 265.

Un réseau serré et complexe autour de la philanthropie mixte Un regard croisé sur les directions des trois principales associa- tions bruxelloises (Refuge des Ursulines, Société de philanthropie et Pauvres honteux) à cette époque est riche d’enseignement : toutes ont en commun au moins un banquier qui peut servir d’in- termédiaire entre les comités de direction. J. R. Bischoffsheim, G. Brugmann, J. Oppenheim et G. Van Volxem opèrent simultanément au Refuge des Ursulines et à la Société de philanthropie. L. Emerique sert de trait d’union entre le Refuge des Ursulines et les Pauvres honteux. J. R. Bischoffsheim joue le même rôle entre les Pauvres Honteux et la Société de philan­ thropie. On notera qu’à la fin de sa vie, Bischoffsheim est présent en même temps dans les trois conseils – sans mentionner quantité d’œuvres israélites qu’il chapeaute par ailleurs –. Notons que les passerelles jetées par ces hommes entre les associations rendent à peine plus aisée une réelle collaboration – pourtant tant souhaitée par les intéressés – entre les différentes organisations charitables. Bien évidemment, les liens d’amitié tissés à l’occasion d’asso- ciations d’affaires ne sont pas étrangers à la constitution des réseaux philanthropiques qui se dessinent à cette époque. Pour ne citer qu’un exemple, rappelons que L. Emerique et J. R. Bis- choffsheim sont en relation au moins depuis la création de l’Union du Crédit de Bruxelles, qui voit le jour en juin 1848 sous l’œil vigilant du premier et avec l’appui financier du second. Tous deux sont également collègues à la Banque de Belgique dont ils sont actionnaires, commissaires – et administrateur en ce qui concerne Bischoffsheim –. Quand Emerique prend la tête de l’As- sociation des pauvres honteux, c’est tout naturellement qu’il fait

265 Rapport de l’Association pour secourir les pauvres honteux, 1859-1860, 1866- 1867, 1877-1878, 1882-1883. H. Van Holsbeek, Histoire de l’Hospice des vieillards de Sainte-Gertrude de Bruxelles, Bruxelles, sd (c1863). 208 www.academieroyale.be

La sociabilité (II) appel au philanthrope réputé qu’est Bischoffsheim pour lui donner un coup de main. S’il est possible de démontrer sans peine l’existence de liens personnels précédant la constitution des comités de bienfaisance, il est nettement moins évident de prouver que des activités phi- lanthropiques ont pu être à la base d’alliances financières. Les traces éparses que les sociétés philanthropiques ont laissées der- rière elles condamnent l’historien au dangereux exercice de l’hy- pothèse et le contraignent aux suppositions. Quoi qu’il en soit, au vu de l’intensité et de la fréquence des contacts générés dans ces réseaux de sociabilité, aux mailles fort serrées, il est raisonna- ble de penser que les associations philanthropiques ont permis aux banquiers, au même titre que d’autres cercles de relations, d’étoffer et de diversifier leurs réseaux de connaissances. Il n’est pas anodin que seuls les grands banquiers siègent dans les socié- tés philanthropiques prestigieuses. Par ailleurs les jeunes héritiers des grandes familles locales, qui n’ont pas encore déployé toute leur envergure sociale et professionnelle quand ils sont cooptés dans les comités de bienfaisance, prennent systématiquement leur envol une fois la maturité acquise et s’avèrent de dignes légatai- res du patrimoine familial. Les sociétés philanthropiques relevant du modèle mixte de bienfaisance, au sein desquelles les banquiers sont particulière- ment bien représentés, posent au chercheur un problème d’inter- prétation car le schéma traditionnel catholique-libéral ne s’y applique pas en tant que tel. Si elles sont héritières de la tradition chrétienne de l’assistance aux pauvres (préconisant l’obligation morale faite au riche de servir le pauvre) et ancrées dans une époque (la première moitié du XIXe siècle) où la charité chré- tienne a reconquis son monopole, elles n’en sont pas moins pétries du libéralisme ambiant postulant la non-intervention de l’État. Elles sont dirigées par un groupe de notables aux opinions philosophiques divergentes certes, mais unis dans une même vision libérale du rôle des pouvoirs publics et dans un même paternalisme omniprésent 266. Ces sociétés peuvent donc être considérées comme porteuses d’une pensée libérale, au sens de la philosophie économique. Le

266 Pour les libéraux, je cite, « un curé vaut mieux que quarante gendarmes ». S. Dupont-Bouchat, « Entre charité privée et bienfaisance publique : la philan­ thropie en Belgique au XIXe siècle », in Philanthropies et politiques sociales en Europe (XVIIIe-XXe siècles), textes réunis par C. Bel, C. Duprat, J.N. Luc et J.G. Petit, Paris, 1994, p. 39 et 42. 209 www.academieroyale.be

Les grands banquiers belges (1830-1935) champ politique n’entre pas en considération dans leur structu- ration. Paradoxe d’autant plus subtil que ces sociétés de philan­ thropie mixte sont chapeautées par des hommes dont on brandit les titres officiels et les étiquettes politiques et qu’elles comptent une majorité de personnalités politiques libérales, reflétant de la sorte le rapport de force entre tendances à Bruxelles. Ces institu- tions bien-pensantes incarnent la fusion entre l’ancien et le nou- veau monde, entre la tradition et la modernité, ce juste-milieu de compromis (la religion à petite dose comme hygiène sociale) qui rassure les classes possédantes dont font partie les grands ban- quiers. Lorsqu’il ne s’agit plus simplement de soulager la misère phy- sique mais que l’esprit (ou l’âme) devient le principal objet de l’attention charitable, peuvent alors surgir d’insurmontables divergences, au sein même des classes possédantes. Ainsi, la ques- tion de l’éducation des masses indigentes – principalement les jeunes et les ouvriers – divise catholiques et libéraux sur la nature des réponses à y apporter. Les premiers préconisent la mainmise de l’Église et les secours de la religion en matières éducatives. Les seconds veulent en exclure la participation de l’Église, ou à tout le moins la limiter considérablement. Ces dissensions vont, par périodes, opposer les projets charitables des deux camps, bien que ceux-ci continuent à s’inspirer d’une idéologie paternaliste commune.

La Société de Saint-Vincent de Paul, œuvre de référence de la charité catholique La clé de voûte de l’organisation de la charité catholique, la véri- table colonne vertébrale de l’œuvre chrétienne est la Société de Saint-Vincent de Paul, une association d’origine française aux ramifications multiples. Arrivée sur le sol belge au milieu du siècle, elle voit ses premiers groupements se constituer à Bruxel- les en 1842, à Anvers et à Liège en 1846, mais ne prend véritable- ment son envol que dans les années 1850. Outre les visites des pauvres à domicile qui constituent l’objet central de l’œuvre, la société met sur pied des patronages d’écoliers, d’apprentis (et, avec moins de succès, de militaires) et organise des écoles du soir 267.

267 Société de Saint-Vincent de Paul, conférences d’Anvers, rapport sur les œuvres de l’année 1854, Anvers, 1855. 210 www.academieroyale.be

La sociabilité (II)

La société est dirigée par des laïcs appartenant aux milieux sociaux aisés. Ce sont ces fils de « bonnes familles » qui condui- sent chaque dimanche les jeux, organisent des promenades, don- nent l’instruction religieuse, enseignent les bienfaits de l’épargne et de l’ordre. Les sociétés ouvrières comme la Société ouvrière de Saint-Joseph permettent de poursuivre l’éducation donnée à ­l’intérieur du patronage auprès des jeunes ouvriers devenus ­adultes 268. La Société de Saint-Vincent de Paul patronne dans les années 1850 les bibliothèques catholiques, dites « bibliothèques de bons livres », pour que, comme l’exprimait le chanoine de Haerne, « la lecture qui doit être la nourriture de l’âme » ne devienne pas « un poison » 269. Les libéraux, de leur côté, répon- dent à ces initiatives catholiques en fondant leurs propres biblio- thèques populaires dans les années 1860. La Société de Saint-Vincent de Paul acquiert rapidement une ampleur considérable : le chanoine de Haerne estime la somme totale annuelle des dons distribués dans le pays au milieu des années 1850 à 500 000 francs. En 1879, le conseil particulier de Bruxelles estime qu’il « a été distribué en pain, viande, légumes, vêtements, literies, charbon et argent des secours » pour une valeur de 53.522 francs, soit presque autant que la Société royale de philanthropie à la même époque 270. Au milieu du XIXe siècle, les œuvres catholiques ne se position- nent pas encore de front dans une lutte vis-à-vis des institutions publiques ou libérales. À l’origine, la Société de Saint-Vincent de Paul se fixe comme but de « conjurer par de bonnes œuvres le châ- timent de Dieu » et de « raffermir l’ordre social » en « consolant et moralisant le pauvre ». « C’est là le double but que poursuit la Société de Saint-Vincent de Paul, et qu’elle poursuit en dehors de toute préoccupation étrangère à la charité, en dehors de tout sys- tème politique, de toute opinion, de tout parti quel qu’il soit. 271 »

268 P. Gerin, « Aspects éducatifs de l’action de sociétés ouvrières catholiques avant 1914 », in Revue Belge d’Histoire Contemporaine, X, 1979, 1-2, p. 190-195. 269 Chanoine de Haerne, Tableau de la charité chrétienne en Belgique, ou relevé des œuvres de bienfaisance dues principalement à l’usage des libertés inscrites dans la Constitution belge de 1831, Louvain, 1858, p. 93. B. Liesen, Bibliothè- ques populaires et bibliothèques publiques en Belgique (1860-1914). L’action de la Ligue de l’enseignement et le réseau de la Ville de Bruxelles, Liège, 1990, p. 61- 67. 270 Société de Saint Vincent de Paul, conseil particulier de Bruxelles, rapport sur les œuvres en 1879, Bruxelles, 1880. 271 Société de Saint Vincent de Paul, catalogue de l’exposition de tableaux, Bruxelles, 1855. 211 www.academieroyale.be

Les grands banquiers belges (1830-1935)

Nous sommes encore à ce moment dans l’esprit de la « noble émulation » défendue par Joseph Demarteau, directeur du jour- nal catholique La Gazette de Liège et ami proche de plusieurs banquiers liégeois, selon laquelle la « charité » catholique est censée tracer la voie à la « philanthropie » (non-catholique), appe- lée à la surpasser. 272 Ultérieurement, lorsque l’appareil libéral aura, de son côté, multiplié les initiatives philanthropiques et que les altercations concernant l’éducation se feront plus rudes dans l’arène politi- que, le discours des philanthropes catholiques prendra des accents plus combatifs, plus vindicatifs ou simplement plus compétitifs. Eugène de Meeus, président de la Société civile de la charité créée un quart de siècle auparavant par son père, Ferdinand de Meeus, et qui se charge principalement de soutenir financièrement l’en- seignement catholique 273, prononce ces mots aigres devant l’as- semblée générale de 1881 : « À la fondation de notre œuvre, il a été dit que si elle était bien comprise, elle sauverait le pays ; il aurait fallu évidemment d’autres résultats pour lutter efficacement contre l’invasion de doctrines anti-sociales et anti-religieuses, dont le développement a été si grand pendant cette période de 25 ans. Mais n’avez-vous pas le droit de dire, Messieurs, vous tous qui avez soutenu et pris part à notre œuvre, que votre résistance n’a pas été inutile, et que vous avez été des premiers à vous préparer à cette lutte sans merci faite, plus particulièrement de nos jours, à l’Église sur le terrain de l’enseignement et de l’éducation du peuple. 274 » En cette période marquée par la vivacité des luttes scolaires autour de la création du premier Ministère de l’Instruction publi- que, à l’initiative du gouvernement libéral (1878-1884), la rivalité exacerbée entre sympathisants catholiques et libéraux s’exprime par des conflits incessants dont on peut mesurer les conséquences concrètes sur le terrain. Le conseil de Bruxelles de la Société de Saint-Vincent de Paul note par exemple en 1880 que « pour dédommager les familles dont les secours sont supprimés à cause de l’envoi de leurs enfants aux écoles catholiques, diverses confé- rences, entre autres celles de Ste Marie, St Boniface et Ste Gudule,

272 Cité dans A. Cordewiener, Organisations politiques et milieux de presse en régime censitaire. L’expérience liégeoise de 1830 à 1848, Paris, 1978, p. 278. 273 J. Thonissen, Vie du Comte Ferdinand de Meeus, Louvain, 1863, p. 148-156. 274 Société civile du crédit de la charité, Rapports lus à l’assemblée générale des actionnaires en mars 1881, Bruxelles, 1881. 212 www.academieroyale.be

La sociabilité (II) ont établi des vestiaires à l’effet de distribuer des effets d’habille- ment à ces écoliers. 275 »

Le cas du catholicisme social à Liège Toutefois, l’analyse fouillée que P. Gerin a consacrée aux élites catholiques liégeoises montre précisément qu’avant 1875, la frac- ture entre libéraux et catholiques n’a jamais été définitive et que les joutes que se livrent les partisans des deux camps finissent toutes immanquablement dans un sage repli de classe où chacun privilégie le consensus, en mettant de côté pour un temps ses divergences philosophiques. Comme l’écrit l’auteur, vers 1850, le catholicisme social à Liège est encore une « tactique capitaliste, pour les conservateurs catholiques et pour les conservateurs libé- raux », destinée à faire front contre un péril commun, « le socia- lisme ». La protection accordée par des libéraux à certaines asso- ciations charitables catholiques cesse en 1865 quand prend forme le programme politique des catholiques. Pourtant, suite à l’installation de la Fédération liégeoise de l’Internationale en 1869, puis aux rumeurs catastrophistes venus de Paris au lendemain de la Commune (1871), capitalistes libé- raux et catholiques tentent à nouveau de se réunir sous la ban- nière de la Ligue nationale belge, favorisant la religion catholique « pour atteindre le but de moralisation et de conservation ». La ligue est une caisse centrale qui aide pécuniairement la création de nouvelles sociétés ouvrières ou soutient des sociétés existantes. Une fois la menace ouvrière sensiblement apaisée, la religion vient à nouveau dresser l’un contre l’autre les deux camps. Mais ce rapprochement spontané prouve, selon P. Gerin, « combien était grand le lien qui unissait les intérêts des patrons catholiques et des patrons libéraux » 276. Désormais définitivement adversai- res dans le champ politique lorsque les idéologies séparent les camps, catholiques et libéraux resteront encore généralement alliés sur les questions économiques et sociales. C’est à Liège que les banquiers de l’échantillon vont le plus intensément s’investir dans le mouvement des œuvres catholiques après 1850. Ils contribuent à la création de plusieurs ligues patro- nales catholiques liégeoises à la fin du XIXe siècle. Ainsi, la Société de Saint-Vincent de Paul et d’autres variantes de la mou-

275 Société de Saint Vincent de Paul, conseil particulier de Bruxelles, rapport sur les œuvres en 1879, Bruxelles, 1880. 276 P. Gerin, Catholiques liégeois et questions sociales 1830-1914, Bruxelles, 1959. 213 www.academieroyale.be

Les grands banquiers belges (1830-1935) vance catholique pourront compter, vers 1865, sur l’arrivée d’une nouvelle génération de meneurs que l’on a déjà décrite, composée en partie de futures personnalités du monde bancaire comme Collinet, Doreye, Ancion et Francotte. Ils prennent la suite d’une génération de banquiers qui s’était impliquée dans la fondation du mouvement. Comme on le perçoit dans le cas particulier de Liège, les acti- vités des banquiers au sein des conférences paroissiales de Saint- Vincent de Paul et des œuvres associées relèvent du choix indivi- duel. Parmi les dirigeants de la Société de Saint-Vincent de Paul, les banquiers ne semblent pas avoir convoité les plus hauts postes de responsabilité ni cherché à établir de vastes réseaux de socia- bilité. Comme dans le cas des fabriques d’églises, l’onde d’acti- vité des conférences Saint-Vincent de Paul se cantonne souvent à la dimension paroissiale. Par leur activité déployée auprès des associations catholiques, les banquiers s’inscrivent dans une soli- darité de voisinage et raffermissent les points d’ancrage locaux de la grande bourgeoisie catholique. Dans les rapports que j’ai eu l’occasion de consulter apparaît un petit groupe de personnalités qui se tient à la proue du mou- vement et représente les conférences paroissiales dans les réu- nions régionales ; ce ne sont presque jamais, ni à Bruxelles, ni à Anvers, ni même à Liège, de grands financiers appartenant à l’échantillon. On ne peut pas en déduire que les banquiers actifs en zones urbaines aient gardé leur distance avec la Société de Saint-Vincent. Au contraire, en tant que catholiques pratiquants, il était de leur devoir de supporter l’initiative. Mais leur aide concrète se limite à la sphère locale, ou à des apports pécuniaires à l’occasion de grands événements mondains, conformément à la pratique de l’ensemble de la haute société catholique.

Le cas de l’éducation populaire libérale Du côté libéral, l’origine du mouvement d’éducation populaire à Bruxelles date de 1862. À l’époque, la Baronne de Crombrugghe, l’inspiratrice d’une série d’institutions de bienfaisance, émet l’idée de mettre en place diverses activités destinées aux moins nantis. Cette suggestion débouche rapidement sur la naissance, à partir de janvier 1863, des soirées populaires de St-Josse, qui sont absorbées en 1866 par le cercle bruxellois de la Ligue de l’ensei- gnement qui organise dès lors lui-même des « réunions populai- 214 www.academieroyale.be

La sociabilité (II) res » 277. Cette fameuse Ligue de l’enseignement, fondée en 1864 et dont le but était « la propagation et le perfectionnement de l’édu- cation et de l’instruction en Belgique » « dans un esprit anticléri- cal et libre-penseur », n’a trouvé que fort peu de soutien auprès des banquiers 278. Il y eut bien J. R. Bischoffsheim qui y consacra une partie de son énergie dans les années 1860-1870, mais son cas fait plutôt figure d’exception 279. La ligue était enracinée dans un milieu bourgeois libre-penseur et progressiste, semble-t-il fort peu fré- quenté par l’élite bancaire. Le noyau fondateur de l’association – puis son conseil général –, constitué principalement d’hommes de lettres, de juristes et d’hommes politiques n’a que peu de points communs avec le monde des affaires. Certaines grandes figures industrielles ou commerciales ont sans nul doute supporté la ligue – entre 1865 et 1880, le nombre de membres de l’associa- tion oscille entre 2 000 et 4 000- 280, mais en observant toujours une prudente distance avec l’institution puisqu’on ne les y retrouve pas aux avant-postes. De la même époque (1865) date une autre initiative libérale, la Société Franklin de Liège, qui pour sa part poursuit le but unique de l’éducation populaire – à la différence de la Ligue de l’ensei- gnement pour qui l’éducation populaire représente l’un des élé- ments d’un vaste et ambitieux programme. Pour la jeunesse libé- rale progressiste liégeoise, la Société Franklin était l’occasion de joindre l’utile à l’agréable. C’est elle, en effet, qui prend en charge, bénévolement, l’animation des séances musicales et littéraires et de cours libres qu’elle destine « à des esprits de modeste culture ». Comme le note lucidement un spécialiste de la société, « un autre côté pratique de ces séances a été de permettre à nombre de jeunes gens débutant soit dans une profession libérale, soit dans la vie artistique, de s’initier et de se perfectionner tant dans l’art de parler en public que dans le chant, la danse, la musique, la

277 J. Lory, « Les sociétés d’éducation populaire de tendance libérale », in Revue Belge d’Histoire Contemporaine, X, 1979, 1-2, p. 220. M. De Vroede, De Vlaamse Beweging in 1855-1856. Bijdrage tot een meer verantwoorde kennis van haar evolutie, Bruxelles, 1960, p. 151. 278 Histoire de la Ligue de l’Enseignement 1864-1989, Bruxelles, 1990, p. 15 et p. 22. 279 On sait aussi que Xavier Olin en fut membre. 280 Histoire de la Ligue de l’Enseignement 1864-1989, Bruxelles, 1990, p. 14. 215 www.academieroyale.be

Les grands banquiers belges (1830-1935) comédie » 281. La Société Franklin patronne également la création de bibliothèques populaires à Liège dans les années 1870. Un petit groupe d’industriels libéraux dont font partie le ban- quier étiqueté progressiste Alban Poulet et son ami Léon d’An- drimont s’associent au mouvement, sous l’œil bienveillant de quelques membres d’honneur appartenant à la mouvance doctri- naire – comme Walthère Frère-Orban –. Hormis Poulet, les autres banquiers tardent quelque peu à prendre le train en marche. Les Ancion, Braconier-Lamarche, Laloux, Magis, Nagelmackers, Rossius ne rejoignent le groupe des membres pro- tecteurs qu’après plusieurs années d’existence de la société. Après eux, ce sera dans les années 1890 les Digneffe et Van Hoegaer- den-Braconier, bref l’ensemble de la famille libérale doctrinaire des deux banques liégeoises qui se joignent à la liste des protec- teurs. La Société Franklin publie un almanach destiné à la popu- lation ouvrière tirant à pas moins de 15 000 exemplaires en 1880. Dans cette publication, la liste des membres-donateurs est systé- matiquement reprise en fin d’ouvrage. En outre, au milieu des « contes moraux » et autres « renseignements pratiques », l’alma- nach offre aux lecteurs une série de biographies de « bienfaiteurs de l’humanité » qui sont bien souvent les industriels eux-mêmes – ou leurs pairs – dont elles vantent les mérites sans vergo- gne 282. Si les banquiers ne jouèrent un rôle de meneurs ni à la Ligue de l’enseignement, ni à la Société Franklin, ils ne furent pas tota- lement absents du Denier des écoles à la tête duquel figure, à l’origine (1872), un petit groupe de financiers, collègues de tra- vail, L. Emerique, J. R. Bischoffsheim et G. Washer. Marchant quelque peu sur les plates-bandes de la Ligue de l’enseignement qu’elle désire assister, l’œuvre du Denier des écoles, conçue en partie à Anvers mais basée à Bruxelles, se fixe pour but « l’éta- blissement dans le pays tout entier d’écoles libres et exclusive- ment laïques ». Il fallait donc pour les fondateurs « se mettre en rapport avec les libéraux de province, afin de favoriser l’organi- sation, dans les principales villes, de comités particuliers » et recueillir les souscriptions nécessaires à l’établissement des écoles

281 Les cent ans de la Société Franklin, 1865-1965, Liège, 1966, p. 23. 282 Les cent ans de la Société Franklin, 1865-1965, Liège, 1966. Almanach Fran- klin, 1867, 1879, 1898. J. Lory, « Les sociétés d’éducation populaire de tendance libérale », in Revue Belge d’Histoire Contemporaine, X, 1979, 1-2, p. 222. 216 www.academieroyale.be

La sociabilité (II) laïques 283. L’idée avait déjà effleuré la Ligue de l’enseignement en 1867 de fonder un « Denier de l’instruction » à l’aide de quêtes et de placements de troncs. Cette initiative fut un échec, mais son esprit présida, cinq années plus tard, à la mise sur pied du Denier des écoles qui rencontra alors le succès espéré 284. « Placement de troncs, collectes, organisation de manifestations diverses (soirées théâtrales, fêtes de gymnastique, tombolas, concerts, … ainsi que des cortèges carnavalesques à Bruxelles), tout fut bon pour recueillir des fonds destinés à soutenir les écoles laïques […] » 285. Une fois encore, les banquiers étaient associés à ce qu’ils fai- saient le mieux : l’organisation de souscriptions, la mise sur pied d’événements socioculturels, la collecte et la gestion de fonds. Dans toutes ces associations marquées par une tendance phi- losophique affirmée, ce n’est plus seulement le grand bourgeois – le représentant de sa classe – mais l’homme de conviction qui agit. Cet engagement de type philosophique qui relève de la démarche individuelle (selon le principe de liberté cher à l’opi- nion libérale), même s’il ne semble pas systématique dans le groupe de banquiers étudié, s’accompagne automatiquement de gestes concrets, plus consensuels et communautaires, à travers l’accomplissement du devoir de bienfaisance. Ainsi, le biographe de Léon Van der Rest (Crédit général Liégeois, Banque Natio- nale) associe la « foi profonde et agissante » de l’intéressé à son action au sein de la Société de Saint-Vincent de Paul : « membre de la Conférence Saint Vincent de Paul de Notre-Dame du Sablon depuis 1876, il [Léon van der Rest] en devint après la guerre 1914-1918 vice-président et le resta jusqu’en 1929. Ses forces déclinant à ce moment – il avait 83 ans – il donna sa démission en même temps que celle de membre du conseil de fabrique de sa paroisse ». Le même biographe indique que van der Rest s’était dévoué à l’institution charitable catholique mais également à plusieurs grandes œuvres de la philanthropie mixte, « notamment la Conférence de Saint Vincent de Paul de Notre- Dame du Sablon, la Société Royale de Philanthropie, l’Hospice

283 J. Lory, Libéralisme et instruction primaire 1842-1879. Introduction à l’étude de la lutte scolaire en Belgique, t. II, Louvain, 1979, p. 524. 284 E. de Moreau, « Histoire de l’Église catholique en Belgique », in Histoire de la Belgique contemporaine 1830-1914, t. II, Bruxelles, 1929. Œuvre du Denier de Saint-Pierre, rapport de l’année 1883-1884, Malines, 1884. 285 Histoire de la Ligue de l’Enseignement 1864-1989, Bruxelles, 1990, p. 19. 217 www.academieroyale.be

Les grands banquiers belges (1830-1935) des Aveugles, le Refuge des Ursulines », bref un itinéraire très consensuel pour ce catholique fervent 286. L’exemple de J. R. Bischoffsheim, quelques décennies plus tôt, n’est pas moins éclairant. En décidant de soutenir la création de la Ligue de l’enseignement et du Denier des Écoles, en aidant financièrement la Société Franklin de Liège, Bischoffsheim choi- sissait clairement le camp anticlérical, tout en démontrant par ses actes qu’un projet de société basé sur la laïcité n’est pas incom- patible avec les convictions d’un grand-bourgeois croyant. Il était un des plus gros bienfaiteurs de la communauté israélite. Ses opi- nions personnelles et sa foi le conduiront à être l’un des piliers les plus inébranlables de la philanthropie mixte et de renforcer, de la sorte, son appartenance à l’élite des notables. De même, comme des dizaines d’autres bourgeois catholiques ou libéraux, Xavier Olin, membre de la Ligue de l’enseignement et animateur du mou- vement de rénovation du parti libéral dans les années 1860, verse consciencieusement sa quote-part annuelle à la Société de philan­ thropie et à l’Association des pauvres honteux durant cette époque.

Les groupements d’intérêts économiques

Les chambres de commerce Pour les hauts dirigeants de l’industrie et du commerce, la cham- bre de commerce demeure pendant longtemps la seule structure patronale reconnue et constitue l’unique véritable opportunité de s’associer, d’être consultés sur le plan politique et de jouer un rôle de groupe de pression. L’origine des chambres de commerce, qui étaient – rappelons-le – des organes officiels de l’État, remonte à l’Ancien Régime. Le mode de nomination de ces cellules pro- fessionnelles, en vigueur au moment de l’Indépendance, avait été déterminé par le Roi Guillaume Ier sous le régime hollandais et provoquait un certain immobilisme social. Chaque année, le Roi renouvelait un tiers des membres des chambres sur base d’une liste triple établie par les chambres de commerce elles-mêmes. Les membres sortants étant rééligibles et généralement premiers candidats à leur remplacement, certains d’entre eux restaient en poste pendant plusieurs décennies. Le recrutement des chambres

286 Baron Van Der Rest, « La famille van der Rest et ses alliances », in Genealo- gicum belgicum, no 6, Bruxelles, 1967, p. 65. 218 www.academieroyale.be

La sociabilité (II) se restreignait généralement à un nombre très limité de personnes « qui entrent, sortent et se remplacent les unes par les autres » 287. La double mission dévolue aux chambres de commerce a été parfaitement résumée par G. Vanthemsche. Elles devaient four- nir aux autorités publiques (gouvernement, Parlement, provin- ces, villes) les renseignements et les avis que ceux-ci leur deman- daient. Néanmoins, elles pouvaient également, de leur propre mouvement, « présenter [...] leurs vues sur les moyens d’accroître la prospérité industrielle, commerciale et maritime du pays [et] faire connaître [...] les causes qui arrêtent les progrès industriels, commerciaux et maritimes ». Les chambres agissaient donc à la fois comme interlocuteur officiel des autorités et comme porte- parole des commerçants et des industriels. Comme le note l’auteur, un « relevé rapide des personnes ayant fait partie de ces institutions ressemble fort au Gotha du monde des affaires de l’époque », « une infime élite économique et sociale ». Les riches industriels et négociants prospères qui animent les établissements bancaires jusqu’à la fin du XIXe siècle remplissent précisément le profil-type du candidat idéal pour les chambres de commerce. Leurs atouts sont évidents et se résument en trois points : un rôle en vue dans les affaires, des attaches familiales avec les plus importantes dynasties industrielles et commerciales, parfois un poste d’administrateur de banque de surcroît. Une proportion importante des banquiers liégeois, anversois et bruxel- lois issus de l’industrie ou du commerce se retrouvent donc à un moment ou à un autre de leur carrière membre de la chambre de commerce de leur ville (Liège, Verviers, Anvers, Bruxelles). Nous verrons au chapitre 6 combien le milieu dirigeant de la Société Générale est enraciné dans la Chambre de commerce de Bruxelles, à la fondation : plus de la moitié de la direction de la banque en activité entre 1831 et 1850 a été membre de l’institu- tion bruxelloise, soit pas moins de 9 banquiers. La longévité de ces hommes au sein de la chambre est étonnante : près de 25 ans d’activité en moyenne par personne. Tous sont d’ailleurs mem- bres de la chambre de commerce avant d’obtenir un poste de direction à la banque, et tous cumulent à un moment donné les

287 Voir la synthèse à paraître de G. Vanthemsche : G. Vanthemsche, « Intérêts patronaux entre sphère publique et sphère privée : la suppression des Cham- bres de Commerce officielles en Belgique (1875) », article inédit. En remerciant l’auteur pour son accord d’y faire référence. 219 www.academieroyale.be

Les grands banquiers belges (1830-1935) deux responsabilités. Par ailleurs, 7 directeurs sur les 9 sont conseillers communaux ou échevins à la même époque, et 2 sont par ailleurs élus au Parlement. La concentration des pouvoirs peut difficilement être plus grande. Quarante ans plus tard, les membres fondateurs de la Banque Centrale Anversoise présentent un profil fort proche des premiers directeurs bruxellois de la Société Générale. Eux aussi entretien- nent des liens – certes plus distendus – avec le conseil communal de leur ville. Mais surtout, deux tiers des administrateurs anver- sois de la banque sont issus de la Chambre de commerce d’Anvers. À Liège, le trait n’est pas moins frappant : au début des années 1870, le fondateur du Crédit Général Liégeois A. Poulet est vice- président de la Chambre de commerce de Liège tandis que J. E. de Biolley, son jeune collaborateur, est juge au Tribunal de Com- merce de Verviers. Avant eux, les deux fondateurs de la Banque Liégeoise (1835) G. T. Nagelmackers et J. H. Demonceau sont des membres actifs de la chambre de commerce liégeoise, Nagel- mackers présidant même l’institution pendant de nombreuses années. Son successeur à la présidence, le négociant V. Bellefroid, devient administrateur de la Banque Liégeoise à l’époque de sa nomination à la tête de la chambre de commerce. D’une manière générale, près de la moitié des banquiers issus du monde industriel ou du négoce 288 font un passage par une chambre de commerce dans le courant du XIXe siècle (ou, plus rarement, officient seulement comme juge dans un Tribunal de Commerce de la ville). Il n’est d’ailleurs pas rare qu’un même individu cumule à un moment donné un poste d’administrateur dans un établissement bancaire, une position à la chambre de commerce et un mandat législatif au Parlement 289. Ces person- nalités à cheval entre l’industrie, le commerce, la finance et la politique deviennent alors des interlocuteurs privilégiés dans les débats économiques et sociaux qui se présentent tout au long du siècle. Elles ont été des promoteurs efficaces du libre-échange, soutenus en cela par les autres membres des chambres de com- merce. Elles ont été les éléments moteurs dans la propagation de moyens de transport performants, dans l’adoption de législations financières et commerciales appropriées. Elles se sont exprimées

288 43 sur 98. 289 C’est le cas de H. Schumacher, J. J. R. Osy, G. Sabatier, E. Cogels, J. Engler, F. Fortamps, A. Jamar, J. B. Smits, V. Tercelin, P. Van Hoegaerden, F. Braco- nier. 220 www.academieroyale.be

La sociabilité (II)

à diverses reprises sur les sujets d’ordres sociaux (interdiction des coalitions, travail des enfants, …), jetant un pont entre l’opinion du milieu d’affaires local et les organes de décision nationaux. Elles ont joué le rôle de porte-parole privilégié des hauts diri- geants de l’industrie et du commerce et ont ainsi constitué des baromètres fiables de l’état économique du pays. Toutefois, vers le milieu du XIXe siècle, émerge auprès du grand patronat le besoin de pouvoir disposer d’une tribune natio- nale qui permettrait de confronter les requêtes locales des diri- geants de l’industrie et du négoce, pour les faire converger en un discours unique et des prises de position communes gagnant en crédibilité auprès des instances gouvernementales. Des organes de réflexion et de diffusion d’idées sont ainsi mis en place, regrou- pant théoriciens et praticiens dans une réflexion commune. Dans le domaine commercial, A. Le Hardy de Beaulieu fonde en 1846 l’Association belge pour la liberté commerciale qui, dès l’année suivante, réunit un congrès d’économistes internationaux char- gés de discuter des modalités pratiques du libre-échange. La délé- gation belge était présidée par l’ancien directeur de la Banque de Belgique Charles De Brouckère et composée de plusieurs person- nalités liées à cet établissement, comme l’administrateur J. R. Bis- choffsheim ou le commissaire J. Arrivabene 290. Le congrès, même s’il ne fut pas réitéré 291, fut un premier pas décisif dans le sens de la défense de la libre-circulation des biens et l’amorce originale d’un mouvement d’échange international du savoir qui se répercutera, entre autres, dans l’organisation des expositions universelles. L’année 1855 voit la fondation de la Société d’économie politique de Belgique qui est appelée à connaî- tre un grand développement dans l’entre-deux-guerres et qui, dans l’immédiat, se présente comme un instrument de propa- gande en faveur du libre-échangisme et des conceptions économi- ques libérales 292. Vers la fin des années 1850, c’est le très actif

290 M. Suetens, Histoire de la politique commerciale de la Belgique depuis 1830 jusqu’à nos jours, Bruxelles, 1955, p. 49. 291 La biographe de C. De Brouckère évoque toutefois une seconde session égale- ment présidée par De Brouckère en 1856. T. Juste, Charles de Brouckère (1796-1860), Bruxelles, 1867, p. 72. 292 M. Mayne, « Les lieux de rencontre des milieux économiques, politiques et universitaires. La Société belge d’économie politique, la Société d’études et d’expansion, la Société royale belge des ingénieurs et industriels », in G. Kurgan-Van Hentenryk, Laboratoires et réseaux de diffusion des idées en Belgique (XIXe-XXe siècles), Bruxelles, 1994, p. 119. 221 www.academieroyale.be

Les grands banquiers belges (1830-1935)

C. De Brouckère qui dirige cette société. Celle-ci connaîtra une phase de déclin dans la dernière partie du siècle, lorsque ses idées se seront imposées à l’ensemble des classes dominantes. Une étape supplémentaire est franchie lorsqu’en septembre 1857, des délégués de toutes les chambres de commerce du pays se réunissent spontanément, sur proposition de la Chambre de commerce d’Anvers, pour réclamer du gouvernement « la centra- lisation des sections administratives ou ministérielles auxquelles ressortissent les affaires du Commerce, de l’Industrie et même de l’Agriculture », bref l’instauration d’un « Ministère du Com- merce ». Cette initiative aurait pu mener à la mise sur pied d’une « chambre de commerce nationale ». Cependant, le gouvernement s’y opposa, de peur que l’existence d’une telle institution puisse porter préjudice aux pouvoirs publics – notamment à cause de conflits entre le commerce constitué en corps et le gouvernement –. Tout ce remue-ménage patronal déboucha toutefois, en mars 1859, sur l’instauration officielle d’un Conseil supérieur de l’indus- trie et du commerce, organe consultatif national composé de représentants des chambres de commerce dont les pouvoirs publics garderaient le contrôle 293.

Le Conseil supérieur de l’industrie et du commerce À l’intersection du lobby privé et des pouvoirs publics 294, le Conseil supérieur de l’industrie et du commerce, qui connaît une longue phase de léthargie avant sa restructuration en 1890, est peuplé, entre autres, de personnalités éminentes du monde ban- caire. C. Liedts, ancien député, ancien gouverneur des provinces de Hainaut et de Brabant, est désigné président du conseil en 1861, l’année même où il est promu gouverneur de la Société Générale. Liedts restera président du conseil jusqu’en 1876. Il y côtoiera le Liégeois Ernest Nagelmackers (1869-1876), gérant de la banque familiale, industriel, futur député ; l’industriel carolorégien Gus- tave Sabatier (1872-1876), président de la Chambre de commerce de Charleroi, député, administrateur de la Banque de Belgique ; le

293 G. Vanthemsche, « Intérêts patronaux entre sphère publique et sphère privée : la suppression des Chambres de Commerce officielles en Belgique (1875) », article inédit. 294 Certains négociants se plaignent d’ailleurs qu’il n’est en définitive qu’une « commission formée par et pour le gouvernement ». G. Vanthemsche, « Inté- rêts patronaux entre sphère publique et sphère privée : la suppression des Chambres de Commerce officielles en Belgique (1875) », article inédit. 222 www.academieroyale.be

La sociabilité (II)

président de la Chambre de commerce d’Anvers Adolphe Nyssens, industriel et négociant, futur administrateur de l’Union du Crédit de Bruxelles et de la Caisse Générale de Reports et de Dépôts. Restructuré et réactivé en 1890 par le ministre des Finances Beernaert, le Conseil supérieur fera à nouveau le plein de fortes personnalités du monde industriel, commercial et bancaire 295. Ce qui frappe une fois encore, c’est le cumul des fonctions : les banquiers sont habituellement en activité quand ils deviennent membres du Conseil supérieur de l’industrie et du commerce. Beaucoup sont par ailleurs simultanément titulaires d’un mandat législatif. Relais irremplaçable entre le commerce et l’industrie et les pouvoirs publics, ils peuvent tout à la fois faire valoir les inté- rêts des milieux d’affaires auprès des dirigeants politiques ainsi que les décisions des autorités gouvernementales auprès des milieux concernés, jouant en quelque sorte les agents doubles. Ils sont des transmetteurs inestimables d’informations pour les conseils d’administration des grandes banques qui disposent, par leur entremise, d’un pied dans le monde professionnel et d’un autre dans la sphère des pouvoirs publics. Le rayonnement de leur autorité, et c’est la grande nouveauté qu’apporte cette insti- tution, est désormais national. L’organe sera d’ailleurs promis à un bel avenir, après sa renaissance en 1890. En effet, le Conseil supérieur continuera à rassembler les plus hautes personnalités après la Première Guerre mondiale. Les chambres de commerce vont pour leur part connaître un bouleversement d’importance au milieu des années 1870. Leur système de cooptation non-démocratique est soumis à une criti- que de plus en plus vive dans la seconde moitié du siècle. Le déséquilibre idéologico-politique palpable dans certaines cham- bres de commerce devient de moins en moins défendable dans un contexte de politisation croissante. Ainsi, la Chambre de com- merce d’Anvers est un bastion libéral reconnu dans le courant des années 1860, comme d’ailleurs les chambres de beaucoup d’autres localités. Lors du retour au pouvoir des catholiques au début des années 1870, ces derniers tentent de renverser l’hégémonie libé- rale en procédant à des nominations politiques, comme celle d’écarter l’ancien commissaire de la Banque de Belgique et minis- tre libéral A. Jamar de la Chambre de commerce de Bruxelles. C’est dans ce contexte de rivalité, comme l’a décrit G. Van- themsche, que le gouvernement catholique prend la décision de

295 A. Ancion, G. Cooreman, P. Van Hoegaerden, G. de Lhoneux, etc. 223 www.academieroyale.be

Les grands banquiers belges (1830-1935) supprimer les chambres de commerce officielles, en 1875, contre l’avis de la commission parlementaire qu’il a instituée (présidée par le gouverneur de la Banque de Belgique Frédéric Fortamps) et malgré la levée de boucliers généralisée que la décision provo- que 296. Dans le point suivant, nous allons voir quelles sont les conséquences de cette suppression et quelles sont les institutions prenant le relais des chambres de commerce officielles. J’envisa- gerai aussi ci-dessous l’organisation sectorielle du patronat qui n’en est encore qu’à ses balbutiements, avant 1875.

De 1875 à 1914

Sur le plan patronal, la fin du long XIXe siècle amorce le phéno- mène de fusion nationale dont les effets seront particulièrement sensibles durant l’entre-deux-guerres. Les divisions politiques et les particularismes régionaux, toujours présents, ne viennent plus réellement entraver le mouvement de centralisation clairement perceptible au niveau des groupements d’intérêts économiques, des activités de loisirs ainsi que des nouveaux modes de sociabi- lité. Bruxelles confirme son statut de capitale économique. Le phénomène a déjà été évoqué au Chapitre 2 lorsque nous avons abordé les mariages exogames de plus en plus fréquents entre lignées provinciales et dynasties bruxelloises, à la fin du XIXe siècle.

Les groupements sectoriels patronaux et autres associations d’intérêts économiques

L’aspect sectoriel commence à peser de plus en plus sur la struc- turation des associations d’intérêts économiques du dernier quart du XIXe siècle. Les chambres de commerce, constituant des orga- nes interprofessionnels, ne mettent l’accent sur aucun secteur en particulier. La prédominance des intérêts représentés en son sein dépend simplement de la répartition des secteurs d’activités par région, chaque chambre plaidant en priorité pour les branches

296 La suppression est votée majorité catholique contre opposition libérale. A. Simonis, futur administrateur de la Banque d’Outremer, industriel catho- lique de Verviers dont la famille est de longue date implantée dans la Chambre de commerce de Verviers, refuse de voter contre ses intérêts et décide de ne pas suivre son parti. 224 www.academieroyale.be

La sociabilité (II) industrielles et commerciales qui lui sont propres. Des organisa- tions sectorielles commencent à voir le jour, à l’échelon local, dans le deuxième quart du XIXe. Comme le précise G. Van- themsche, elles tissent souvent des liens étroits avec les chambres de commerce avec lesquelles elles entretiennent une relation de complémentarité. Les premiers groupements sectoriels actifs au niveau national datent du troisième quart du XIXe siècle : les brasseurs, les maîtres verriers, l’industrie charbonnière se syndi- quent à l’échelle nationale 297. Certains administrateurs de banque, dont l’activité comme industriels est concentrée dans un secteur prioritaire, font partie de ces associations locales ou nationales. Ils sont rares, toutefois, et font figures d’exceptions. Relevons l’exemple déjà cité à de nombreuses reprises de Fré- déric Braconier, qui s’affilie à’Association l charbonnière fondée par J. d’Andrimont en 1883. Le même Braconier fonde, avec son gendre P. Van Hoegaerden, le Syndicat des charbonnages liégeois où il sera actif entre 1897 et 1912. Ce laps de temps de quinze ans correspond à la période pendant laquelle il préside le Crédit Général Liégeois, dont il était devenu administrateur l’année de la création de l’Association charbonnière. Louis Zurstrassen, dirigeant de l’entreprise de filature fami- liale Hauzeur-Gérard et administrateur de la Banque Générale Belge (1912), est membre, puis président du comité exécutif de la Fédération patronale de l’industrie textile à la veille de la Première Guerre mondiale. Il est en outre membre, puis vice-président du Conseil supérieur de l’industrie et du commerce.

Le Comité central du travail industriel S’ils n’ont pas été les moteurs du développement des groupe- ments patronaux sectoriels, les banquiers n’apparaissent pas non plus comme les chevilles ouvrières de la première organisation intersectorielle et nationale du patronat industriel, le Comité cen- tral du travail industriel (1895). Ils semblent être restés en retrait de cette association, composée à la base de huit syndicats indus- triels représentant principalement l’industrie lourde. Les trois premiers présidents du comité (E. Hardy, A. Greiner et J. Car- lier), industriels de premier ordre, n’ont pas de lien avec les grands groupes bancaires. Il faudra attendre la fin de la Première Guerre mondiale pour voir se développer des synergies entre le

297 R. Brion, P. Hatry, J. L. Moreau, T. Peeters, 100 ans pour l’entreprise, Fédé- ration des Entreprises de Belgique (1895-1995), Bruxelles, 1995, p. 17. 225 www.academieroyale.be

Les grands banquiers belges (1830-1935) monde de la finance et le Comité central, à travers l’organisation d’un Comité pour le relèvement de l’industrie et du commerce pré- sidé par le gouverneur de la Société Générale Jean Jadot. L’évolution du Comité central industriel (nouvelle dénomina- tion adoptée juste avant la Première Guerre mondiale) ira dans le sens de la rationalisation plus poussée de l’organisation des secteurs et d’un dépassement des particularismes régionaux. A part l’une ou l’autre exception, comme le grand patron de l’in- dustrie textile Louis Zurstrassen – cité ci-dessus – qui cumule les responsabilités patronales comme peu d’autres l’ont fait, les financiers ne se retrouvent pas dans le bureau exécutif de ce grou- pement patronal. Rappelons que la proportion d’industriels dans l’échantillon ne dépasse pas les 25 % à cette époque. La portion de propriétaires d’entreprise y est encore plus basse (voir Tableau 13 au Chapitre 2). Si la division entre les mondes indus- triel et bancaire n’est pas aussi marquée en Belgique qu’à la City de Londres, une certaine distance semble bel et bien exister entre ceux-ci. Cette séparation est perceptible dans la composition du Comité central industriel (CCI).

Nouvelles associations économiques locales Suite à la dissolution des chambres de commerce officielles en 1875, de nouvelles associations libres vont essaimer à l’échelon local, en tentant de combler le vide causé par la loi. À Bruxelles, dès octobre 1875, une Union syndicale voit le jour à l’initiative d’Antoine Dansaert. Quelques mois après la suppression de la Chambre de commerce de Verviers (officielle), une association homonyme (privée) est fondée par l’élite économique de la place. Les protagonistes de l’ancienne Chambre de commerce de Liège constituent la Chambre de commerce de Liège, Huy et Waremme. À Anvers, la Société commerciale, industrielle et maritime d’An- vers qui avait été établie en 1871 hérite des prérogatives de l’an- cienne chambre. Elle prend le nom de Chambre de commerce d’Anvers en 1887. Ces mutations n’éloignent pas les élites économiques des grou- pements d’intérêts locaux établis dans les villes de province. À Anvers, par exemple, la – nouvelle – Chambre de commerce d’Anvers continue à rassembler tous les grands patronymes du négoce anversois qui prendront des participations dans les ban- ques importantes de la métropole. Si l’on jette un œil dans les bureaux des sections des années 1920, on distingue 9 banquiers, 226 www.academieroyale.be

La sociabilité (II) dont plusieurs sont d’ailleurs président de leur section : 5 sont administrateurs à la Banque Générale Belge, 3 à la Banque Cen- trale Anversoise et 1 au Crédit Anversois 298. À Bruxelles, la situation paraît moins claire. La finance bruxel- loise se compose de plus en plus de personnalités venues de pro- vinces. Par ailleurs, les natifs de la capitale actifs dans les grands établissements bancaires sont des avocats d’affaires, des ingé- nieurs, des administrateurs de société, des financiers. Les liens avec la chambre de commerce se distendent donc progressive- ment jusqu’à la Première Guerre mondiale. Toutefois, comme le souligne F. Baudhuin, la Chambre de commerce de Bruxelles res- tera pendant l’entre-deux-guerres une tribune où seront exposées les grandes idées économiques du temps, à l’instar de la Chambre de commerce d’Anvers 299.

La Société belge des ingénieurs et des industriels À l’échelon national, les banquiers ne sont certes pas les fers de lance des groupements patronaux sectoriels. Ils n’en sont pas moins des plus entreprenants dans les nouveaux organismes informels qui se mettent en place dans le dernier quart du XIXe siècle et qui sont non seulement des groupes de réflexion, d’information et de circulation des idées, mais aussi, à l’occasion, d’efficaces groupes de pression. La Société belge des ingénieurs et des industriels, la plus importante de ces sociétés, naît en 1885 d’une convergence d’intérêts entre différents groupements exis- tants. La société trace rapidement un trait d’union entre des « sociétés scientifiques », des « groupements régionaux » telle l’As- sociation des ingénieurs sortis de l’École de Liège, fondée en 1847, des « syndicats spéciaux » (sectoriels) et les « bourses réunissant les industriels » (chambres de commerce et associations libres locales) 300. À l’origine, la Société belge des ingénieurs et des indus- triels est créée dans le giron de la Bourse des métaux et charbons, mais son assise s’élargit rapidement : le nombre de membres varie entre 600 et 800 durant la première décennie, puis passe à 1200

298 Annuaire de la Chambre de Commerce d’Anvers 1871-1926, Anvers, 1927. 299 F. Baudhuin, Histoire économique de la Belgique 1914-1939, t. II, Évolution des principaux facteurs, 2e édition, Bruxelles, 1946. 300 Société belge des Ingénieurs et des Industriels, Compte-rendu des cérémonies commémoratives du cinquantième anniversaire de la Fondation de la Société 1885-1935, Bruxelles, 1935, p. 725. 227 www.academieroyale.be

Les grands banquiers belges (1830-1935) avant la Première Guerre mondiale, pour atteindre les 3 000 à la veille de la Seconde Guerre. L’influence de la Société des ingénieurs devient telle qu’à partir du milieu des années 1890, le gouvernement lui commande des études sur les projets de réglementation du travail, ou sollicite ses avis sur des questions économiques et commerciales brûlantes (traité avec l’étranger, reprise du Congo par l’État, …). Fonc- tionnant comme d’autres associations d’ingénieurs sous forme de comités (comité scientifique, conférences et expositions, excur- sions et concours, fêtes, publications), elle prône à l’instar d’autres organismes propres aux élites une stricte neutralité politique et philosophique. Comme dans les cercles d’agrément, un contexte de détente et de loisir contribue à faire prévaloir une commu- nauté de valeurs. L’objectif d’unité est décrit comme suit dans une publication officielle de la société datant de l’entre-deux- guerres : Le comité des fêtes, par l’organisation toujours appréciée de soi- rées, de bals, de concerts, de spectacles, auxquels assistent les familles et les amis de nos membres, a donné aux industriels et aux ingénieurs par leurs rencontres dans ces réunions familiales, des occasions de se mieux connaître et de nouer des relations plus intimes, dont se sont trouvées bannies les questions qui, dans le passé, les avaient divisés souvent jusque dans leur foyer. 301 D’après M. Mayné, qui a étudié en détail sa composition sur près d’un siècle d’existence, la Société belge des ingénieurs et des industriels recrute 90 % de ses membres parmi les ingénieurs sortis des différentes écoles nationales. Les 10 % de non-ingénieurs sont également liés au monde de l’entreprise 302. Tous les ingénieurs qui comptent ou vont compter dans l’industrie nationale font donc partie de la société, a fortiori ceux qui sont attachés à un grand établissement bancaire. Dès la fondation, Edouard Des- pret (Société Générale) et Arthur Dubois (futur administrateur de la Banque de Bruxelles), par exemple, en sont des membres actifs. Peu après, ils président chacun l’association des ingénieurs

301 Société belge des Ingénieurs et des Industriels, Compte-rendu des cérémonies commémoratives du cinquantième anniversaire de la Fondation de la Société 1885-1935, Bruxelles, 1935, p. 728. 302 M. Mayne, « Les lieux de rencontre des milieux économiques, politiques et universitaires. La Société belge d’économie politique, la Société d’études et d’expansion, la Société royale belge des ingénieurs et industriels », in G. Kurgan-Van Hentenryk, Laboratoires et réseaux de diffusion des idées en Belgique (XIXe-XXe siècles), Bruxelles, 1994, p. 122. 228 www.academieroyale.be

La sociabilité (II) de leur école respective, à savoir Liège et Gand. Notons que l’af- filiation à la Société des ingénieurs précède généralement l’accès à un poste d’administrateur de banque. De grandes personnalités du monde industriel qui ne sont pas nécessairement ingénieurs de formation participent également à la vie de la société. Ainsi, , industriel, ancien ministre et directeur de la Société générale en est membre d’honneur. Le grand ingénieur et homme d’État est déjà membre d’honneur de la société lorsqu’il rejoint, pour une brève période, l’équipe diri- geante de la Société Générale au milieu de l’entre-deux-guerres. La trajectoire peu commune de Léon Greindl, président du comité d’études de la société en 1919, puis administrateur en 1924, est intéressante à plus d’un titre. Officier de carrière jusqu’à son entrée dans la finance à plus de cinquante ans, il profite de la Société des ingénieurs, ainsi que d’autres associations scientifi- ques comme la Société belge de géologie, pour se constituer un précieux réseau de relations qui facilitera son entrée dans les affaires. En outre, il bénéficie de l’héritage d’un capital social assez exceptionnel, puisque son père est un diplomate célèbre et son beau-père est pendant longtemps procureur général près de la Cour de Cassation. L. Greindl compte ainsi dans ses amis inti- mes M. Despret, président de la Banque de Bruxelles, qui sug- gère son nom pour remplacer le poste laissé vacant par la mort de G. De Laveleye au début des années 1920. Selon toute vrai- semblance, il aura également pu bénéficier du soutien de C. de Burlet, récente recrue de la Banque de Bruxelles, collègue de Greindl à la Société belge des ingénieurs et des industriels dont il a été le vice-président.

Le Cercle royal africain Un des objectifs que se fixe la Société belge des ingénieurs et des industriels, à la fondation, est de promouvoir l’œuvre coloniale naissante. Ainsi, la société a donné une impulsion décisive à la constitution de la Compagnie du Congo pour le Commerce et l’Industrie en décembre 1886, la première grande société com- merciale coloniale, qui voit le jour « en ses locaux et à son inter- vention », selon une formule mise en avant dans une rétrospec- tive officielle de la société 303. Un noyau dynamique saisit l’usage

303 Société belge des Ingénieurs et des Industriels, Compte-rendu des cérémonies commémoratives du cinquantième anniversaire de la Fondation de la Société 1885-1935, Bruxelles, 1935, p. 730. 229 www.academieroyale.be

Les grands banquiers belges (1830-1935) qu’il peut faire de la société pour promouvoir un champ d’acti- vités qui est encore loin de faire l’unanimité et qui nécessite une vaste publicité : le développement et l’exploitation économique de la colonie. Dès décembre 1889, ce petit groupe d’ambitieux précurseurs se sent les reins suffisamment solides pour constituer une société propre, le Cercle royal africain, présidé par un admi- nistrateur de la Société belge des ingénieurs et des industriels, l’of- ficier et homme d’affaires Albert Thys. Ce cercle n’est pas spéci- fiquement un groupement d’intérêts économiques, mais plutôt le lieu de constitution d’un groupe de pression. La première assemblée est tenue en janvier 1890 sous la direc- tion de Thys et sous l’œil bienveillant d’un autre pionnier de la Société belge des ingénieurs, l’Anversois d’adoption A. De Rou- baix. Entre 1890 et 1894, le cercle se contente d’accueillir les colo- niaux rentrant d’Afrique. Son objectif est alors « de provoquer et faciliter les entrevues, les échanges d’idées, les négociations, encou- rager les projets, orienter les études » pour ouvrir la voie à « l’ex- ploitation raisonnée de notre colonie ». Œuvre de caractère fami- lial et philanthropique dans un premier temps, le Cercle africain éprouve bientôt le besoin d’élargir son rôle. À partir de novembre 1894, des causeries sont données le soir. En 1895, le cercle décide de créer en son sein une commission de propagande et de rensei- gnements dont le président est le Major Thys (bientôt fondateur de la Banque d’Outremer) et le vice-président Georges De Laveleye (Banque de Bruxelles). Comme secrétaire-adjoint de la commis- sion, on retrouve Félicien Cattier, avocat près de la Cour d’Appel de Bruxelles (futur dirigeant de la Société Générale) et Auguste De Laveleye, le frère de Georges. Suite aux succès de quelques sociétés financières au Congo, la commission de propagande réussit à inté- resser l’opinion publique. En 1903, une fédération pour « la défense des intérêts coloniaux de la Belgique » se constitue à l’initiative du Cercle royal africain, groupant une série de clubs, de sociétés et de cercles fréquentés par l’establishment des centres économiques du pays, dont les presti- gieuses Société de géographie et Société de géologie de Bruxelles et d’Anvers ou encore la Société d’études coloniales de Belgique. Peu après, cet ensemble d’associations d’intérêts jusqu’alors purement coloniaux se fédère sous le nom Fédération des sociétés belges pour l’expansion et la défense des intérêts nationaux à l’étranger, sous la houlette de celle que l’on pourrait qualifier de société-mère, la Société belge des ingénieurs et industriels. En 1905, toujours dans le but de parfaire l’efficacité de la propagande coloniale, le président

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La sociabilité (II) du Cercle africain prend l’initiative de créer une fédération de tous les cercles coloniaux de Belgique. Cette vaste opération de persua- sion en faveur de l’entreprise coloniale parvient à sensibiliser, en un peu plus d’une décennie, l’ensemble de la classe dirigeante, même la fraction la plus réfractaire au projet. Cette constellation d’associations constitue un exemple de lobby économique et professionnel. Elle illustre le rôle premier de la Société belge des ingénieurs et des industriels dans la diffu- sion des informations décisives pour l’œuvre coloniale. Cette société, à la pointe du savoir scientifique et technique par ses contacts multiples avec les sociétés spécialisées, et regroupant un nombre croissant de décideurs du monde des affaires, répercute l’information aux diverses associations satellites par le biais de membres affiliés communs 304. À l’intersection des différents grou- pements, quelques personnalités-clés aiguillent les informations de haut en bas et de bas en haut, d’où l’importance de ne pas négliger l’étude de ce que l’on pourrait qualifier d’ « interlocking memberships ». Car s’il est nécessaire que certains messages de propagande économique descendent jusqu’à la base (des classes possédantes, cela s’entend), il ne faut pas négliger pour autant les découvertes et les innovations qui doivent remonter de la base jusqu’au sommet afin d’en assurer une vaste répercussion. Dans le cas de la propagande congolaise, les banquiers ou futurs banquiers font clairement partie des passeurs les plus dynamiques. Outre Thys, De Laveleye, Cattier et De Roubaix actifs au Cercle africain à l’origine, il faut également pointer le rôle d’A. Del- commune, de L. Goffin (tous deux futurs administrateurs dela Banque d’Outremer), puis après la Première Guerre mondiale, de E. Sengier (futur directeur de la Société Générale), J. Van Hulst (Banque de Reports) et G. Périer (gendre d’A. Thys, administra- teur de la Banque d’Outremer). Parmi les membres protecteurs du cercle recensés en 1939, à savoir les bienfaiteurs qui ont fait une donation supérieure à 1 000 francs, près d’un quart fait partie de l’échantillon des ban- quiers 305.

304 Société belge des Ingénieurs et des Industriels, Compte-rendu des cérémonies commémoratives du cinquantième anniversaire de la Fondation de la Société 1885-1935, Bruxelles, 1935, p. 742. 305 Arthur Bemelmans, Félicien Cattier, Jules Cousin, Willy Friling, Lambert Jadot, Comte M. Lippens, Gaston Périer, Edgard Sengier, Firmin Van Brée (9 sur 41). 231 www.academieroyale.be

Les grands banquiers belges (1830-1935)

Durant l’entre-deux-guerres, la mission de propagande de l’association s’affaiblit, le cercle transforme ses statuts et s’oriente vers la forme du club anglo-saxon, un lieu de rencontre ouvert chaque soir aux membres effectifs (ceux qui sont partis dans la colonie) et adhérents (ceux qui s’intéressent à la colonie). Dans la tradition des cercles de notabilité du siècle précédent, « le cercle royal africain ne faillit pas à sa mission philanthropique » et organise des événements mondains tels que galas théâtraux et « bals des coloniaux ». Des déjeuners saisonniers attirent réguliè- rement la haute société et même, à l’occasion, les autorités diplo- matiques des puissances coloniales voisines. Cette reconversion en douceur n’entache pas la popularité du cercle, dont le nombre de membres passe de 72 en 1889, à près de 500 en 1905, et plus de 600 en 1938, après un passage à vide au lendemain de la Pre- mière Guerre.

Les expositions internationales Je ne peux clore ce point consacré aux groupements d’intérêts économiques sans souligner le rôle qu’a pu jouer l’organisation des expositions internationales, d’une part dans la consolidation d’un sentiment d’appartenance à une communauté d’intérêts, et d’autre part dans la mise en place de réseaux internationaux d’in- formation. L’engouement extraordinaire que connaissent d’em- blée ces expositions universelles industrielles, dont la première eut lieu à Londres en 1851, tient, comme l’a joliment décrit A. Mattelart, à l’utopie unificatrice en vogue auprès des élites européennes 306. Dès sa première édition, l’exposition universelle se présente, à travers les congrès et les conférences qui s’y déroulent, comme un lieu de concertation internationale où les nations envoient leurs plus prestigieux ambassadeurs. C’est Charles De Brouckère, rap- pelons-le, qui représenta la Belgique en tant que président de la commission belge de l’exposition, lors de sa première édition à Londres. À cette époque commence d’ailleurs à poindre, parallèlement à ces grands événements internationaux, un phénomène qui tendra à s’accentuer à mesure que l’on s’achemine vers la fin du XIXe siècle : l’apparition d’ententes et d’associations internatio- nales. La Belgique aussi sera touchée par cette lame de fond.

306 A. Mattelart, L’invention de la communication, Paris, 1994, p. 132. 232 www.academieroyale.be

La sociabilité (II)

Preuve en est le succès recueilli dans notre pays par l’Institut colonial international, fondé au milieu des années 1890, dont A. Thys était un des membres fondateurs. Ses membres, dont le nombre ne pouvait dépasser 200, étaient « choisis parmi les citoyens des États possédant des colonies ou colonisant leur propre territoire, et qui se sont distingués, soit dans la politique coloniale, soit dans le service colonial de chaque nation, soit par des études sur les problèmes coloniaux. » À la fin des années 1930, les plus grands banquiers belges font encore partie de ce cercle très « select » 307. La Belgique accueille plusieurs expositions internationales sur son sol 308. L’événement est à chaque fois l’occasion de souder les élites autour de valeurs partagées et de les rallier à un objectif commun : la mise en valeur, dans les meilleures conditions, de leur ville et de leur cadre de vie, de leur savoir-faire et des pro- duits de leur travail, en un mot de la prospérité de leur nation. C’est pourquoi, ce sont généralement les plus hautes autorités industrielles qui dirigent la manœuvre, indépendamment des dis- sensions qui peuvent exister entre elles par ailleurs. La mise en œuvre de l’Exposition universelle de Liège de 1905 en est le meilleur exemple. L’idée de mettre sur pied une exposition universelle dans la cité ardente est déjà dans l’air au milieu des années 1890. Un comité promoteur s’empare de la suggestion et prend l’initiative à son compte. Par l’intermédiaire de quelques hommes politiques liégeois, il sollicite l’aide des pouvoirs publics et du gouverne- ment. Rapidement, l’ensemble de l’establishment liégeois se mobilise autour de l’événement. Une société est constituée en vue de patronner l’énorme chantier qu’une telle manifestation occa- sionne. Dans cette société, l’on retrouve un noyau de banquiers liégeois dont le savoir-faire est reconnu par l’actionnariat local. Les autres banquiers s’associent à l’événement en assumant des responsabilités diverses au sein des comités organisateurs. Aussi, dans l’aventure, la vieille génération se lie aux plus jeunes, les libéraux s’associent aux catholiques. Dans les comités, l’équilibre entre libéraux et catholiques est parfaitement respecté, de même que la répartition entre les représentants des deux ban- ques. Les plus anciens sont plutôt liés au Crédit Général Liégeois (hormis E. Nagelmackers de la Banque Liégeoise), la jeune géné-

307 Institut Colonial International, Statuts et règlement, Bruxelles, sd. 308 Notamment en 1885 (Anvers), 1897 (Bruxelles), 1905 (Liège), etc. 233 www.academieroyale.be

Les grands banquiers belges (1830-1935) ration à la Banque Liégeoise (à l’exception de P. Van Hoegaer- den – libéral –, vice-président du comité exécutif, président du comité de propagande, administrateur du Crédit Général Lié- geois). Les comités organisateurs des expositions universelles ne peu- vent être considérés comme des groupements d’intérêts économi- ques en tant que tels. Mais on ne peut nier l’influence qu’ils ont souvent exercée de facto comme ententes patronales régionales – certes éphémères –, tant face aux pouvoirs publics dont ils sol- licitent la contribution, que par rapport aux délégations étran- gères pour qui ils représentent l’industrie nationale. Les élites bancaires font montre d’une grande cohésion dans ces organisa- tions provisoires dont elles savent apprécier à leur juste valeur les retombées tant sur le plan personnel que sur le plan collectif 309. L’Exposition universelle de Bruxelles de 1910, présidée par le directeur de la Société Générale Léon Janssen, en est un autre témoignage. L’expérience de l’exposition liégeoise est d’autant plus remar- quable que les grands banquiers qui chapeautent l’événement sont des acteurs politiques de tout premier plan – et rivaux – à l’époque de la mise sur pied du projet. Cette période de nette séparation sur le plan politique coïncide, à Liège, avec une phase d’intense coopération sur le plan économique. Non seulement, les représentants des deux camps politiques mettent la main à la pâte dans la réalisation de l’exposition universelle, mais la coha- bitation n’a jamais été aussi poussée aux conseils d’administra- tion des deux banques qui accueillent des éléments des deux partis politiques. Dans un contexte social de plus en plus bouillon- nant, la multiplication des groupements d’intérêts économiques, souvent constitués en dehors des partis et des groupes d’opinion, nous indique que derrière la scission politique qui s’intensifie à la fin du XIXe siècle prévaut la quête d’unité autour d’un éventail de valeurs et d’intérêts communs.

À l’intersection des groupements d’intérêts économiques La chronologie des carrières professionnelles montre qu’un rôle en vue dans un groupement économique, tant national que local, tel que le Conseil supérieur de commerce et d’industrie ou une chambre de commerce ou d’industrie locale peut souvent se révé-

309 Pour l’Exposition universelle d’Anvers de 1885, des banquiers et négociants comme Arthur van den Nest sont membres du comité organisateur. 234 www.academieroyale.be

La sociabilité (II) ler un atout d’importance lors du choix des administrateurs de banque et une plus-value sociale considérable pour le patron actif à Liège ou à Anvers. Réciproquement, les groupements éco- nomiques, à l’exception peut-être du Comité central industriel, n’hésitent pas à puiser, de leur côté, dans le réservoir des diri- geants bancaires pour alimenter leurs équipes de direction. Le cas de l’ingénieur et administrateur de banque Armand Stouls illustre ainsi la concentration extrême des pouvoirs patro- naux puisqu’il est à l’intersection des différents canaux d’infor- mation disponibles, sans jamais être projeté dans la lumière. Il reste en quelque sorte un travailleur de l’ombre tout en disposant d’un pouvoir d’influence considérable. À la fin de sa vie, Stouls est membre du Conseil supérieur de l’industrie et du travail (organe officiel) ; il est également membre du Comité central industriel (organe patronal), président de l’Association des ingénieurs sortis de l’École de Liège, président de la Bourse industrielle de Liège, vice-président du Cercle d’études sociales des industriels liégeois, ancien administrateur de la Société royale belge des ingénieurs et des industriels. Auparavant, il avait été administrateur dans la Société de l’Exposition de Liège. Bref, il est un homme de réseaux et un grand notable régional que la Banque Liégeoise n’hésite pas à recruter au milieu des années 1920 alors qu’il a déjà plus de 60 ans. Michel Mourlon présente un profil original qui n’est pas sans intérêt pour le monde bancaire. Il est pour sa part le prototype du pont jeté entre le monde patronal, les sociétés scientifiques et le milieu des ingénieurs. Mourlon est le petit-fils d’une grande figure de l’Indépendance belge, Alexandre Gendebien, et le neveu de l’administrateur de la banque de Belgique, Félix Gendebien. Docteur en sciences naturelles et géologue de formation, il est attaché au service géologie de l’Administration des Mines comme secrétaire, directeur, puis inspecteur général. Peut-être en raison de ses liens familiaux, il entre au conseil d’administration de la Caisse Générale de Reports et de Dépôts en 1887. Administra- teur d’un nombre limité de sociétés, il conservera son mandat bancaire jusqu’à sa mort en 1915. Il est, par ailleurs, membre de sociétés géologiques en Angleterre, en France, au Luxembourg et en Belgique, et participe aux activités de la Société royale belge de géographie. Pour couronner le tout, il était membre de la Société royale belge des ingénieurs et des industriels.

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La philanthropie

De grands bouleversements politiques et sociaux (la formation d’un Parti Ouvrier Belge en 1885, la percée du syndicalisme, les moyens de pression plus radicaux mis en œuvre par la classe ouvrière pour faire valoir ses revendications, le vote des premiè- res lois sociales à la fin des années 1880, l’abolition du suffrage censitaire en 1893) tracent désormais le cadre à l’émergence d’une nouvelle forme de philanthropie et d’une catégorie moderne de bienfaiteurs, que S. Dupont-Bouchat a qualifié de « nouveaux philanthropes ». Progressivement, comme l’écrit cet auteur, « tous les secteurs qui appartenaient depuis cinquante ans au champ de la philanthropie privée, depuis la moralisation, l’instruction, les bonnes mœurs, l’alcoolisme, le logement social, commencent à faire l’objet de législation protectrices, paternalistes », sous l’im- pulsion de ces « nouveaux philanthropes ». Ces derniers sont principalement recrutés dans la mouvance socialiste, libérale- progressiste ou catholique-sociale 310. C’est pourquoi, les ban- quiers sont rares à en faire partie. Les champs philanthropiques investis par l’aristocratie finan- cière de l’époque sont doubles : ils s’inscrivent d’une part dans la poursuite de la philanthropie mixte et d’autre part, dans la fon- dation de nouvelles œuvres privées plus ciblées, auxquelles s’as- socient les plus grands noms de l’industrie. Ces diverses associa- tions doivent être considérées comme des canaux de transferts d’informations d’autant plus efficaces qu’ils se composent de familles d’affaires d’origines diverses.

L’Œuvre de l’hospitalité Dans le domaine de la philanthropie mixte, les anciennes institu- tions de la capitale comme la Société royale de philanthropie ou le Refuge des Ursulines comptent toujours parmi leurs gestion- naires les financiers-philanthropes les plus célèbres de la capitale. Personnalités catholiques et libérales continuent à s’y répartir les tâches. Dans la droite ligne de ces deux institutions vénérables, notons la création en 1886 de l’Œuvre de l’hospitalité, conçue pour com-

310 S. Dupont-Bouchat, « Entre charité privée et bienfaisance publique : la philan­ thropie en Belgique au XIXe siècle », in Philanthropies et politiques sociales en Europe (XVIIIe-XXe siècles), textes réunis par C. Bel, C. Duprat, J.N. Luc et J.G. Petit, Paris, 1994, p. 43. 236 www.academieroyale.be

La sociabilité (II) bler un manque manifeste dans l’éventail de services offerts par la charité privée de la capitale : la création d’asiles de nuit. L’œu- vre est neutre tant sur le plan politique que religieux. D’ailleurs, à la différence du Refuge des Ursulines qui demeure confié aux Sœurs de la Charité, l’asile Baudouin est entièrement pris en charge par un personnel peu nombreux de 7 laïcs. Cette neutra- lité est strictement respectée au sein de l’équipe dirigeante. On trouve au comité (composé de 32 membres) et au bureau (7 mem- bres choisis au sein du comité) des représentants de toutes les tendances politiques traditionnelles et de toutes les religions : membres conservateurs et progressistes des partis catholique et libéral ; francs-maçons, catholiques, juifs et protestants mêlés. Le dépouillement systématique des procès-verbaux du bureau a permis à C. Marissal de montrer que ses membres, dont font partie quelques-uns parmi les plus grands banquiers, se réunis- sent consciencieusement au moins une fois par semaine 311, prou- vant de la sorte qu’ils sont bien plus que de simples bienfaiteurs sur papier.

Coopérations protestantes et juives Le trait le plus marquant dans la composition des comités de l’Œuvre de l’hospitalité à cette époque est la coopération intense, au sein de son bureau, de représentants de la haute banque pro- testante et juive. Cette collaboration s’inscrit dans le cadre d’un rapprochement sans précédent entre une poignée de membres des deux communautés, à travers l’enchevêtrement de relations d’af- faires et de sociabilité. Ainsi, Georges Brugmann collabore avec la plupart des grands noms de la finance juive auprès de diverses associations philanth- ropiques bruxelloises. Ce noyau de financiers, déjà partenaires dans plusieurs affaires nationales, partagera les balbutiements de l’aventure coloniale auprès du Roi Léopold II. Il est en effet à la base de la constitution de plusieurs sociétés coloniales, parmi les- quelles la Compagnie du Congo pour le Commerce et l’Industrie (1886) dont feront partie Léon Lambert et Georges Brugmann ou encore sa filiale la Compagnie du Chemin de Fer du Congo

311 L’auteur ne se prononce pas sur l’assiduité des membres du comité qui était moins systématique. Marissal C., L’Œuvre de l’hospitalité de Bruxelles. Un siècle d’histoire 1886-1986, mémoire en histoire, Faculté de philosophie et lettres, Université Libre de Bruxelles, 1990-1991. 237 www.academieroyale.be

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(1889) où siègent Charles Balser, Raphaël de Bauer et Georges Brugmann. Cette fusion exceptionnelle entre la haute banque juive et pro- testante culmine dans le mariage assez insolite entre l’héritière du richissime Maurice de Hirsch, Lucienne de Prémélic Hirsch, et le fils et héritier de Charles Balser, Edouard. Comment donc l’héritière sans doute la plus riche et certainement la plus convoi- tée de Belgique au début du XXe siècle aboutit-elle dans les bras du fortuné banquier protestant ? En réalité, Lucienne de Hirsch avait perdu son père à l’âge de 2 ans, et son grand-père, Mau- rice, alors qu’elle était adolescente. C’est pourquoi, elle est prise en charge par sa grande-tante, Hortense Bischoffsheim, mariée à Georges Montefiore-Levi. Ce dernier, comme tuteur, désapprou- vait l’alliance que sa pupille appelait de ses vœux. Certes, le parti n’était pas mauvais et la famille de l’époux pouvait tenir le rang. Mais le mariage, fait difficilement admissible dans le milieu de la haute banque juive que Montefiore représente par l’alliance qu’il a contractée avec les Bischoffsheim, implique un époux qui ne fait pas partie de la communauté israélite. Le vieil homme se résolut toutefois à s’en accommoder. Sans doute Montefiore-Levi est-il le premier responsable de cette « union librement choisie » par la jeune fiancée. L’élu de son cœur n’est-il pas le fils d’un collègue et ami de son tuteur depuis plus de vingt ans, un jeune homme qu’un journal anglophone de l’époque décrit comme « the friend of her childhood » 312 ?

L’évolution de l’implication des dirigeants des banques par actions Concernant la composition des institutions philanthropiques bruxelloises prestigieuses dont quelques membres de la haute banque sont les animateurs, je ne peux passer sous silence l’évolu- tion de l’implication des dirigeants des banques par actions. Alors que jusqu’ici, les banquiers les plus en vue de la Société Générale et de la Banque de Belgique y étaient actifs aux côtés des grands patronymes de la haute banque, les premiers cités ne collaborent plus du tout aux institutions philanthropiques mixtes durant le dernier quart de siècle. Certes la Banque de Belgique disparaît à la fin des années 1870. Mais les directeurs de la Société Générale désinvestissent également ces lieux hautement symboliques. En 1892, l’établissement bancaire se contente par exemple de verser

312 Archives Générales du Royaume, Fonds des archives des séquestres VIII, Famille Balser-Montefiore Levy, I Edouard Balser, 7. Voir K. Carrein, T. Lambrecht, Inventaris van het archief van de commanditaire vennootschap Balser & Cie (1844-1912), Edouard Balser en Lucienne de Hirsch (1830-1931) en Georges Montefiore Levy (1862-1931), Bruxelles, 2001. 238 www.academieroyale.be

La sociabilité (II)

100 francs à la Société royale de philanthropie – soit cinq fois moins que la participation personnelle d’Ernest Brugmann –. Les direc- teurs de la Société Générale sont membres de la Société royale de philanthropie au même titre que la plupart des notables bruxelloise. Mais aucun des ces directeurs ne sollicite un poste, pas plus d’ailleurs qu’au Refuge des Ursulines ou à l’Œuvre de l’hospitalité. De la Banque de Bruxelles, seul Léo Errera, le fils du fondateur Jacques Errera, suit la tradition : il devient membre des Ursulines en 1893. Après la mort du banquier bruxellois J. Delloye, on ne trouve plus de représentant de la Banque de Bruxelles dans ces trois grandes sociétés philanthropiques. À la fin du XIXe siècle, les personnalités qui dirigent les banques par actions sont de plus en plus souvent originaires de villes de pro- vince. Or, ce sont les grandes familles bruxelloises qui sont tradi- tionnellement les principaux animateurs de ces institutions phi- lanthropiques. Le vieil industriel bruxellois A. Jamar, un temps attaché à la Banque de Belgique, reste fidèle jusqu’au crépuscule de sa vie à la Société royale de Philanthropique où il fut un visiteur des pauvres assidu. De même, un autre représentant de la Banque de Belgique, le négociant G. Washer, est un pilier du Refuge des Ursu- lines jusqu’à sa mort. Il y a certes des exceptions : celle du liégeois G. Montefiore qui s’inscrit dans les usages de sa belle-famille Bis- choffsheim, ou celle de l’immigré allemand C. Balser qui, selon le schéma classique, profite de la bienfaisance pour s’intégrer dans sa ville d’adoption. Ce sont toutefois des cas isolés « d’étrangers » actifs dans la philanthropie bruxelloise. Précisons aussi que les Bruxellois qui entrent à la Société Générale à cette époque ne sont pas tous issus du monde des affaires de la capitale ; certains sont originaires de milieux plus humbles, à l’instar de F. Baeyens ou J. Devolder, fils de bouti- quier et commerçant. Notons encore que l’aspect générationnel a pu jouer. N’étant pas héritiers de familles traditionnellement attachées à ces institutions philanthropiques, la nouvelle généra- tion n’éprouve sans doutes plus l’avantage symbolique à siéger dans ces comités qui réservaient auparavant systématiquement un siège pour les représentants des grands établissements bancai- res. Toujours est-il qu’une césure apparaît entre les représentants de la haute banque qui perpétuent la tradition, et les administra- teurs des grandes banques par actions qui s’en détachent.

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Une kyrielle d’initiatives privées Les notables bruxellois ne limitent pas leur contribution phi- lanthropique aux associations prestigieuses. Une kyrielle d’initia- tives circonscrites voit le jour grâce à l’appui des banquiers et industriels fortunés, qui se retrouvent parfois directement à la source de certaines œuvres de bienfaisance privées. Si l’on se réfère à la taxinomie arrêtée par L. Saint-Vincent à la fin du XIXe siècle 313, classant les œuvres de charité selon qu’elles s’adressent aux nouveaux-nés, à l’enfance, la jeunesse, la vieillesse, qu’elles s’occupent de secours, qu’elles soient médicales ou socia- les, etc, force est de constater que l’action philanthropique des banquiers touche à l’ensemble des secteurs de l’acte charitable. Ce qui prévaut généralement dans le choix des œuvres philanth- ropiques pour lesquelles les banquiers choisissent de s’investir personnellement, c’est une grande visibilité, une prise directe sur la réalité et la priorité donnée à la moralisation. L’entreprise phi- lanthropique est vue principalement comme une arme sociale plutôt que politique ou idéologique. Les grands philanthropes du moment, comme R. Warocqué, E. Empain, S. Wiener, F. Phi- lippson, L. Janssen, pour n’en citer que quelques-uns, ne ména- gent pas leur soutien à des initiatives touchant à tous les domaines et provenant de cercles divers. Ainsi, le libéral S. Wiener associe son nom à la création de la Société Anonyme La Bienfaisance (1906), dont la liste des mem- bres-actionnaires comprend un florilège d’hommes politiques principalement catholiques. La société est d’ailleurs présidée par l’incontournable Comtesse John d’Oultremont, dame d’honneur de la reine, dont la biographie reste à faire 314. Le projet qui sous- tend la création de cette société commerciale est de redistribuer les bénéfices du Salon des Arts et Métiers de manière équitable entre différentes œuvres privées, neutres, libérales et catholiques. À côté de cela, Wiener est à la même époque membre du comité du Brabant de la Ligue nationale belge contre la tuberculose (dont le trésorier est le Baron L. Lambert) et gros donateur du Sanato- rium populaire de la Hulpe-Waterloo (1905), fondé par Adolphe Stoclet à la mort de son père Victor et géré par une majorité de personnalités du clan libéral. Sam Wiener a indéniablement ses entrées dans les sphères catholiques et libérales, et compte parmi ses connaissances tant des représentants de la haute banque que des banquiers d’établissement par actions. Je reviendrai sur le

313 L. Saint-Vincent, Belgique charitable-Bruxelles, Bruxelles, 1893 314 La Bienfaisance, Rapports du Conseil d’administration présentés à l’Assemblée Générale du 16 avril 1907, Bruxelles, 1907. 240 www.academieroyale.be

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rayonnement mondain hors du commun de cette personnalité quand j’aborderai les autres réseaux de sociabilité. Raoul Warocqué constitue un exemple intéressant. Il est, quant à lui, clairement étiqueté anticlérical. À l’instar des héri- tiers de Meeus qui s’affirment nettement comme catholiques militants et se positionnent à la pointe du combat conservateur, Warocqué peut se permettre de faire des écarts par rapport au « juste-milieu » idéologique, eu égard à sa position sociale et au pouvoir tant économique que symbolique qu’il détient 315. Ses dons multiples et considérables aux bénéfices d’œuvres luttant ouvertement sur le terrain idéologique (fondation d’écoles et appui à l’enseignement laïque, soutien au parti libéral, etc.) ne sont pas en mesure d’annihiler la renommée familiale que tous gardent à l’esprit. Sa famille est catholique et sa mère juge avec sévérité cette prise de distance avec les convenances de la religion. Légataire de l’œuvre philanthropique de ses ancêtres, conforme au catholicisme de son milieu, c’est aux religieuses oblates qu’il confie la crèche qu’il bâtit au début du XXe siècle à Morlanwez. Il fait en outre, conformément à la tradition familiale, des dons réguliers aux paroisses de La Hestre et de Morlanwez. Ses libéra- lités envers le Refuge des Ursulines, dont il est membre au même titre que plusieurs de ses parents avant lui, se chiffrent en mil- liers de francs ; il lègue d’ailleurs au refuge 50 000 francs à son décès 316. Comme Wiener ou d’autres grands bourgeois libéraux, il a de multiples occasions de se lier avec des partisans de « l’autre bord » à travers ses relations mondaines et philanthropiques. À l’instar de Warocqué, d’autres banquiers n’hésitent pas à soutenir financièrement des initiatives anticléricales. Ainsi, àla fin du XIXe siècle, L. Cassel, R. de Bauer, G. Brugmann, G. Mon- tefiore et la veuve Oppenheim font des dons réguliers au Cercle le progrès dont l’objectif central est « le développement d’un enseignement laïque, obligatoire et gratuit », et qui organise éga- lement des colonies et des soupes scolaires au profit des enfants de la capitale 317. Parmi ces grands bourgeois, aucun ne fait tou- tefois partie du comité, et tous font par ailleurs des donations à leur communauté religieuse respective de même qu’à de nom- breuses autres associations 318.

315 Il avait d’ailleurs pris des libertés avec les convenances dans sa vie amoureuse, sans que cela porte à conséquence sur sa carrière professionnelle. 316 M. Van Den Eynde, Raoul Warocqué, Seigneur de Mariemont. 1870-1917, Mariemont, 1970, p. 163-182. 317 Cercle Le Progrès (Écoles laïques), rapport des années 1885 à 1899, Bruxelles, 1885-1899. 318 L. Frank, « La bienfaisance israélite à Bruxelles », in Revue de Belgique, t. LVIII, 20e année, 1888, p. 387. 241 www.academieroyale.be

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L’offensive sociale des dames Dans le milieu qui nous occupe, les femmes prennent une part grandissante dans l’organisation des œuvres. Les comités de femmes liés aux associations de bienfaisance ne sont pas neufs ; ils ont existé à travers l’ensemble du XIXe siècle. Le rôle central joué, par exemple, par la Comtesse Coghen (l’épouse du ministre des Finances et commissaire de la Société Générale) au sein du Comité des dames de charité de la Société royale de philanthropie dans la première moitié du XIXe siècle mériterait à lui seul une étude approfondie. On peut également épingler l’attachement de Marie Errera-Oppenheim, la femme du fondateur de la Banque de Bruxelles, à la Société des secours efficaces dont elle préside le conseil d’administration à partir de 1864. Cette société, fondée en 1852 par des dames israélites, assurait des prêts sans intérêts aux commerçants et aux petits industriels. Marie Errera rejoint l’équipe dirigeante en 1858, alors qu’elle a juste 20 ans, et en fera partie pendant plus de cinquante ans 319. Il faut toutefois attendre le dernier quart du siècle, que les femmes sortent de l’ombre, quittent la sphère privée et investis- sent franchement l’espace public pour pouvoir déceler de vérita- bles réseaux de femmes de banquiers, dont l’existence laisse désormais des traces à l’historien. Avec l’émergence, à la fin du XIXe siècle, de comités philanthropiques féminins effectifs et non plus seulement honorifiques, auprès d’associations d’utilité géné- rale et non plus étroitement circonscrites, les femmes passent à l’offensive sociale dans la mesure où elles commencent à obtenir des responsabilités, prendre des initiatives et assurer des fonc- tions en vue. Cette évolution s’inscrit dans un environnement désormais propice à une prise de parole des femmes. Le nombre de femmes de banquier arrivant à l’avant-scène dans ce contexte est sans précédent. Dans l’échantillon, avant 1880, elles ne sont qu’une poignée – comme l’aristocrate Coghen ou la grande bourgeoise H. Richard-Lamarche – dont on men- tionne l’existence à l’occasion de l’un ou l’autre acte de généro- sité remarquable. À la fin du siècle, un réseau d’épouses de ban- quiers s’est déployé sur le terrain de la bienfaisance. Passons rapidement sur les réseaux de femmes constitués dans le cas des comités de patronage et mis en évidence par S. Dupont-

319 P. Falek, La philanthropie juive au féminin : entre intégration et communauta- risme ? Étude de cas bruxellois, mémoire en histoire, faculté de philosophie et lettres, ULB, 2002-2003, p. 31. 242 www.academieroyale.be

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Bouchat 320. Ce n’est pas dans le milieu novateur des congrès internationaux relatifs aux patronages et à la protection de l’en- fance que l’on retrouve les femmes de banquier actives, même si certaines anversoises qui y sont représentées sont issues de familles liées à la banque telles Mme Edouard de Caters ou la Baronne Osy de Zegwaart. Concentrons-nous plutôt sur l’exemple bruxellois pour y per- cevoir les nouvelles collaborations. Le réseau des femmes phi- lanthropes israélites, épouses de banquier, a déjà été étudié 321. Son existence ne surprend nullement lorsque l’on considère la fréquence élevée des relations d’affaires qu’entretiennent les ban- quiers juifs dans le domaine professionnel, leur implication dans la hiérarchie consistoriale et surtout les liens de parenté croisés qui rapprochent un nombre très limité de familles bruxelloises attachées à la haute banque juive. Toutefois, ces femmes ne limi- tent pas leur investissement aux seules œuvres israélites. D’autres associations font également l’objet de leur préoccupation. C’est dans ces associations, regroupant le haut du panier de la bour- geoise d’affaires et de l’aristocratie de sang, que se constituent des alliances originales entre femmes de banquiers et autres femmes du monde. Au début du XXe siècle, Mmes F. et M. Philippson côtoient Mme A. Stoclet (son mari est fils de directeur et lui-même futur directeur de la Société Générale) et Mme M. Despret (dont le mari est administrateur de la Banque de Bruxelles) au sein du comité des dames patronnesses du Sanatorium populaire de La Hulpe-Waterloo. Les rapports entre les femmes du comité sem- blent d’ailleurs avoir été fréquents. Outre le divertissement des malades dont il a la charge, le comité s’attache à trouver des moyens efficaces pour récolter de l’argent (vente de cahiers porte- bonheur, de médailles, etc.) et organise chaque hiver conférences, concerts et « projections lumineuses » qui rassemblent pension- naires et bienfaiteurs lors d’occasions exceptionnelles 322.

320 M. Dupont-Bouchat, « Femmes philanthropes. Les femmes dans la protec- tion de l’enfance en Belgique (1890-1914) », in Sextant, 13/14, Bruxelles, 2000, p. 81-117. 321 P. Falek, La philanthropie juive au féminin : entre intégration et communauta- risme ? Étude de cas bruxellois, mémoire en histoire, faculté de philosophie et lettres, ULB, 2002-2003, p. 65-78. 322 Voir par exemple Sanatorium Populaire de La Hulpe-Waterloo, rapport sur le septième exercice, Bruxelles, 1912. 243 www.academieroyale.be

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Autre spécialité considérée comme féminine à l’époque, les œuvres destinées à la petite enfance se consacrent de plus en plus fréquemment à l’organisation de séjours pour jeunes enfants sous la forme de colonie de convalescence ou de vacances. L’Œuvre du grand air pour les petits (neutre), fondée par le couple Carlier à la fin du XIXe siècle, par exemple, nécessite une administration relativement importante : ses souscriptions annuelles au début du XXe siècle avoisinent les 50 000 francs et l’association a des rami- fications dans toute la Belgique. Les Carlier s’entourent donc d’une poignée de philanthropes de grand renom. Le comité de l’œuvre est mixte (hommes et femmes) et la présidence en est confiée au fondateur, l’industriel J. Carlier (bientôt président du Comité central industriel, l’orga- nisation centrale du patronat belge). La femme du banquier Sam Wiener en fait partie. Elle y collabore entre autres avec Mme A. Solvay, qui met à la disposition de l’association sa pro- priété à La Hulpe où elle accueille personnellement les petits « colons », ou encore avec le député Henry Carton de Wiart, un adversaire politique de son mari 323. Mme F. Philippson dote personnellement de nombreuses œuvres philanthropiques, tout comme d’autres femmes israélites telles les Errera ou Mme L. Lambert. Au sein d’associations neu- tres comme la Ligue nationale belge contre la tuberculose ou l’Œuvre de l’assistance par le travail, ces femmes issues du monde de la haute banque juive ont l’occasion de croiser à de nombreu- ses reprises d’autres personnalités. Parmi celles-ci les deux dames Le Bœuf (l’épouse de H. Le Bœuf, administrateur de la Banque d’Outremer et futur directeur de la Société Générale et celle du docteur L. Le Bœuf, son frère, méde- cin du Roi), Mme S. Wiener (dont le mari est sénateur libéral et administrateur de la Banque de Bruxelles), Mme L. de Lantsheere, née Kerckx (épouse du député catholique et administrateur de la Banque Internationale), Mme A. de Lantsheere, née Baeyens (belle-sœur de la précédente, épouse de l’administrateur de socié- tés et fille du gouverneur de la Générale F. Baeyens) et leur belle- mère Mme T. de Lantsheere (épouse du gouverneur de la Banque Nationale), ainsi que de célèbres aristocrates comme les Com- tesses de Mérode, de Borchgrave d’Altena et de Liedekerke. Ces dernières, issues de lignées aristocratiques très anciennes, repré- sentent le renouveau de la noblesse, incarné par un des fers de

323 Œuvre du Grand Air pour les petits, rapports sur l’année 1904, 1905, 1906, 1908, Bruxelles, 1905-8. 244 www.academieroyale.be

La sociabilité (II)

lance de la philanthropie féminine, la Comtesse John d’Oultre- mont de Presle. Dame d’honneur de la Reine Marie-Henriette (épouse de Léo- pold II), femme du grand-maréchal du Roi, Mme John d’Oultre- mont née de Mérode scelle par son mariage l’alliance entre deux des maisons les plus anciennes et les plus respectables du pays. La famille de son mari est très fortunée : Octave d’Oultremont, le cousin de son mari, fait partie du fameux « club des seize » hommes les plus opulents de Belgique à la Belle Époque, comme décrit avec de savoureux détails par E. Meuwissen 324. Les d’Oul- tremont sont les intimes du couple royal. Ils jouent le rôle de collaborateur et de conseiller. C’est à ce titre que l’on retrouve la Comtesse d’Oultremont dans un grand nombre d’associations de bienfaisance, bien souvent aux places d’honneur : elle préside le comité des dames patronnesses de la Ligue contre la tuberculose, elle fonde et préside la Société Anonyme La Bienfaisance pour ne citer que deux associations déjà mentionnées plus haut. Adrien d’Oultremont, le frère de John, est député du Parti Indépendant (au même titre que plusieurs autres banquiers comme C. Simons ou E. Van Overloop), organisateur de l’Expo- sition universelle de Bruxelles en 1897, administrateur de sociétés. Il se singularise par son bref mariage avec la fille d’un des barons de l’aristocratie financière et politique, le roturier Jules Malou. Celle-ci décédant prématurément, Adrien s’en remet à des valeurs plus conventionnelles pour son second mariage qu’il contracte avec la Baronne de Woelmont. Désireux de ne pas rester en retrait du monde des affaires, tant Adrien que John d’Oultre- mont détiennent plusieurs mandats de société. Moins versé en affaires que son frère, John n’en est pas moins commissaire à la Société Générale dont il est actionnaire. La Comtesse John d’Oultremont partage ses activités phi- lanthropiques avec deux autres épouses d’aristocrates ayant, eux aussi, répondu aux attraits du monde capitaliste. Les Comtesses Adrien de Borchgrave et Jacques de Liedekerke portent en effet des patronymes associés au milieu des affaires. Leurs maris sont entre autres administrateurs de la Société des Mines de Dobra que préside Adrien d’Oultremont. Mais surtout, leurs ancêtres ont attaché leur nom et leur statut social aux deux plus grandes banques du pays : le député F. de Borchgrave d’Altena comme

324 E. Meuwissen, Richesse oblige. La Belle Époque des grandes fortunes, Bruxelles, 1999. 245 www.academieroyale.be

Les grands banquiers belges (1830-1935) commissaire de la Banque de Belgique (1873-1876) ; le député A. de Liedekerke Beaufort comme commissaire de la Société Générale (1854-1870). La symbiose entre la haute noblesse et la grande bourgeoisie s’intensifie donc à travers les contacts noués dans les comités d’associations philanthropiques renommées où l’aristocratie de sang non seulement côtoie, mais aussi collabore activement avec l’élite financière. Dans ce rapprochement évident, le rôle des femmes est incontournable, bien qu’il doive encore être cerné avec plus de précision. Des signes de cette symbiose étaient déjà perceptibles au sein d’institutions plus anciennes comme la Société royale de philan­ thropie. Dans son conseil général, les Engler, Le Grelle, Mettenius, Basse, Oppenheim-Emden côtoient le Duc d’Arenberg ou le Baron d’Hooghvorst, général de la garde civique dans les années 1840. Deux décennies plus tard, ce sont Bischoffsheim, Deswert, Pirson, Oppenheim-Emden, Liedts qui fréquentent le Comte H. de Lie- dekerke, le Comte L. de Mérode, le Comte O. d’Oultremont de Duras et même le Duc et la Duchesse de Brabant. Le Comité des dames de charité de la Société royale de philan­ thropie est, au milieu du XIXe siècle, nettement plus aristocrati- que que le Conseil général masculin. Quelques femmes de négo- ciants, d’industriels ou de ministres s’y font malgré tout admettre : l’épouse du directeur de la Générale F. Rittweger, en compagnie de la Comtesse Coghen dont le mari est un gros actionnaire de la banque ; plus tard, la femme du ministre des Travaux publics J. Vander Stichelen, qui présidera brièvement la Banque de Bel- gique. Il s’agit encore d’exceptions, les représentantes de la noblesse composant la grande majorité des dames de charité. Les épouses des banquiers israélites n’ont par ailleurs jamais fait partie de ces comités féminins, bien que leurs maris aient été omniprésents dans le fonctionnement de l’association pendant tout le XIXe siècle. Au tournant du siècle, les femmes philanth- ropes juives s’orienteront vers de nouvelles associations telles que l’Œuvre de l’assistance par le travail ou la Ligue nationale belge contre la tuberculose.

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La sociabilité (II)

Cercles et autres lieux de sociabilité

La garde civique Avant d’aller plus avant dans l’analyse des nouveaux modes de sociabilité, marquons un bref temps d’arrêt sur une institution qui date de l’Indépendance du pays et dont je n’ai pas encore souligné le rôle. La garde civique est instituée par le Congrès National pour faire contrepoids à l’armée régulière dont le congrès semble se défier. Composée de civils suffisamment fortu- nés pour subvenir seuls aux dépenses de l’uniforme, elle dépend non pas du ministre de la Guerre mais directement du ministre de l’Intérieur. Dans les grandes villes, comme le note F. Van Kalken dans un article synthétique sur la question, la garde civi- que s’apparente souvent à « l’armée du maïeur », préoccupée avant tout par « la conservation des propriétés et la sûreté des habitants » 325. Pendant les périodes d’agitation sociale du dernier quart du XIXe siècle, la garde joue pleinement sa fonction de milice bour- geoise. Les socialistes ne se trompent pas en dénonçant « l’instru- ment de classe » que symbolise la garde civique par certaines de ses interventions. Elle fut aussi, à d’autres moments, un contre- pouvoir efficace aux mains de bourgmestres libéraux soucieux de préserver une certaine marge de liberté vis-à-vis des gouverne- ments catholiques. Quoi qu’il en soit, elle fut dans tous les cas un lieu de rassemblement attirant de jeunes notables, réunis tant par le sens du devoir que par le goût des festivités viriles et le prestige de la fonction d’officier. Car, outre les entraînements, qu’il est possible d’éviter moyen- nant une sévère amende 326, et les rares missions sur le terrain, le rôle de l’officier de la garde civique consiste avant tout à parader élégamment et à déployer les signes fastes du pouvoir symboli- que de la classe possédante. La garde défile cérémonieusement aux grandes occasions, sa fanfare égaye fréquemment les événe- ments mondains de la saison, ses officiers sont conviés aux Bals de la Cour. Dans le milieu de notables qui nous occupe, il est

325 F. Van Kalken, « Ce que fut la garde civique belge », in Revue Internationale d’Histoire Militaire, no 20, 1959, p. 548-558. 326 Edouard Balser, qui n’était pas un assidu, était sommé de régler une amende de 10 francs pour absence aux prises d’armes. Archives Générales du Royaume, Fonds des archives des séquestres VIII, Famille Balser-Montefiore Levy, I Edouard Balser, 1. 247 www.academieroyale.be

Les grands banquiers belges (1830-1935) courant d’envisager une fonction de gradé dans la garde civi- que. Parmi les banquiers de l’échantillon, 10 % – répartis équitable- ment entre les trois grandes villes commerciales – ont assuré pen- dant un temps une charge d’officier dans la garde civique. Tous font partie des familles les plus en vue de leur ville, indépendam- ment de leur appartenance politique. Cette proportion pourrait s’avérer sensiblement plus élevée car, dans beaucoup de cas, il n’est pas aisé de reconstituer avec précision la carrière de jeu- nesse. Or, les notables entrent généralement en service dans la garde civique alors qu’ils ont entre 20 et 30 ans. Certains y res- tent en fonction jusqu’au-delà des 50 ans. Le prestige de la garde civique ne faiblit pas jusqu’à sa disparition, lors de la Première Guerre mondiale. Ainsi, à Bruxelles, les banquiers de la généra- tion née au milieu des années 1870, les Gaston Périer, Maurice Philippson, Edouard Balser, Auguste de Lantsheere, se trouvent enrôlés en nombre dans la garde civique 327. Les souvenirs de jeunesse de Paul Dresse, petit-fils d’Armand, un des banquiers liégeois de l’échantillon, évoquent la splendeur de ce corps civil au tournant du siècle : « Plus jeune, je l’ai dit, mon Père avait été garde-à-cheval. Il appartenait à cet escadron qui représentait aux yeux des Liégeois la fine fleur de la garde-civique. Avec son colback, son uniforme vert foncé et son grand sabre de cavalerie, il m’impressionnait fort quand, botté, éperonné, il marchait vers la monture qu’on lui avait amenée dans le jardin du quai de Fragnée. […]. Il allait ainsi rejoindre ses camarades qui défilaient par rang de deux le long de la Meuse, faisant battre bien des cœurs féminins. En revanche, ils n’étaient guère prisés du peuple, qui voyait en eux des briseurs de grève auxiliaires. 328 » Dans la grande bourgeoisie dont sont issus les dirigeants ban- caires, la garde civique, parfois dénoncée pour ses prises de posi- tion partisanes, demeure jusqu’à la guerre un facteur de cohésion sociale.

Les cercles d’agrément Les banquiers continuent par ailleurs à fréquenter les lieux de sociabilité en vogue et à y tisser des liens durables. Parmi les cer-

327 À Anvers, ce sont des individus comme W. Friling ou F. Good. 328 P. Dresse, Le seigneur de Lébioles (Essai sur mon Père), Bruxelles, 1981, p. 31. 248 www.academieroyale.be

La sociabilité (II) cles d’agrément selects existant dans les grandes villes, le Cercle de l’union recueille toujours les faveurs du milieu bancaire bruxel- lois, réunissant noblesse et grande bourgeoisie autour de parties de whist, de discussions légères ou dans le silence studieux de la bibliothèque. On retrouve la plupart des grands philanthropes bruxellois parmi les membres du cercle : les Brugmann y côtoient les Balser, Georges Warocqué, Léon Lambert, Raphaël de Bauer. Ajoutons à ceux-ci trois autres familles qui, à l’instar des Waroc- qué, ont acquis une dimension aristocratique – sans prétendre pour autant au titre nobiliaire – en parvenant à se maintenir au sommet du pouvoir économique pendant plusieurs générations : les Orban, les Allard et les Barbanson, eux aussi philanthropes avérés. Les liens entretenus entre toutes ces familles sont très intenses. En témoignent les messages de félicitation adressés à Georges Montefiore-Levi à l’occasion du mariage de sa pupille ou encore la correspondance d’Edouard Balser rassemblée dans un fond spécial aux Archives Générales du Royaume 329. Le Cercle de l’union rassemble une « aristocratie économique », à savoir, en ce qui nous concerne, un groupe de riches banquiers qui tous peuvent se prévaloir d’appartenir à une lignée et qui combinent la respectabilité de la naissance et l’autorité de la réussite professionnelle. Avant eux, il y eut déjà les Meeus, Rit- tweger, Fortamps ou Van Volxem qui fréquentaient les cercles huppés de leur temps. Cette notion d’inscription dans la durée, de lignée, rapproche cette « aristocratie économique » à l’aristo- cratie de sang – la noblesse – qui, de son côté, tente parfois de s’inscrire dans la société de son temps à travers l’exercice d’une fonction politique, voire commerciale, et se mêle à « l’aristocratie économique » par le biais de ces cercles d’agrément 330. Par contre, la haute aristocratie préfère toujours la compagnie du Cercle du parc et les réunions entre individus dont la naissance ne souffre aucun doute. Au tournant du siècle, leCercle du parc est essentiellement, si ce n’est uniquement réservé à l’aristocratie de sang. Un nombre important de représentants de la haute noblesse

329 Fonds des archives des séquestres, archief van de commanditaire vennootschap Balser & Cie (1844-1912), Edouard Balser en Lucienne de Hirsch (1830-1931) en Georges Montefiore Levy (1862-1931), 1-4008, AGR. 330 Cette fusion relative et circonscrite s’exprime d’ailleurs par une série d’alliances matrimoniales. 249 www.academieroyale.be

Les grands banquiers belges (1830-1935) en fait partie, ce qui n’est pas le cas au Cercle de l’union 331. Alfred Brugmann est l’une des rares exceptions à être acceptées au Cercle du Parc sans avoir le sang bleu. Toutefois, son statut social privilé- gié conjugué à sa réputation élogieuse, due à l’extrême libéralité de sa famille, l’associe aux lignées nobles les plus anciennes qu’il fré- quente d’ailleurs à l’occasion de nombreux dîners officiels, comme semble l’indiquer le dépouillement du journal mondain l’Éventail. Ainsi, lorsque la haute noblesse organise des soirées de bienfai- sance au Concert noble, aucun patronyme prestigieux ne manque à l’appel. Nombre de diplomates et quelques ministres amateurs de mondanités comme le couple Beernaert ou les de Smet de Naeyer sont de l’assistance, à laquelle se joint aussi généralement l’un ou l’autre Brugmann ou Balser. À Anvers, c’est le nouveau Cercle de la concorde (créé vers 1880) qui recueille les suffrages des générations nées après 1850. En 1900, l’Éventail, qui renseigne régulièrement ses lecteurs sur les activités du cercle, précise que ce dernier « réunit toutes les notabilités de la noblesse et de la haute bourgeoisie anver- soise » 332. Comme toute société d’agrément qui se respecte, les sympathies politiques et les croyances religieuses des notables ne sont pas prises en considération dans le choix des membres. Les Good, libéraux protestants, peuvent y commercer avec les Le Grelle, catholiques, ou avec Alphonse Ullens de Schooten, bourgmestre de Schooten et député catholique suppléant d’An- vers. On y trouve des représentants de la Banque Centrale Anver- soise, de la Banque de Reports, de la Banque Générale Belge, qui tous atteindront le sommet de leurs activités durant le premier tiers du XXe siècle. À Liège, la survivance des grandes lignées familiales et le renou- vellement moindre qu’ailleurs des élites économiques et bancaires durant le XIXe siècle expliquent sans doute le succès persistant – bien que ponctué par des hauts et des bas – de la Société littéraire et de la Société libre d’émulation 333. Le paradoxe de ces vieilles familles liégeoises est de se livrer des combats sans merci sur les plans politique et religieux, tout en cultivant des liens de très forte proximité, hérités souvent de générations antérieures. Ainsi, la

331 Tout Bruxelles, 1903-1904, Bruxelles, 1904. Règlement du cercle du Parc, Bruxelles, 1909. Club-Almanach, annuaire des cercles et du sport, 1883, Première année, Paris. 332 L’Éventail, le 2 décembre 1900. 333 R. Malherbe, Société Libre d’Emulation, Liber Memorialis, 1779-1879, Liège, 1879. 250 www.academieroyale.be

La sociabilité (II) jeune génération qui s’affronte sur le terrain idéologique à la fin du siècle, les Collinet-Doreye-Van Zuylen (catholiques) contre les Digneffe-Laloux-Baar (libéraux), fréquentent tous, dès leur plus tendre jeunesse, selon le schéma familial classique, la Société libre d’émulation ou la Société littéraire – souvent les deux –, et ce à une période où le fossé se creuse entre la gauche et la droite politiques. Comme à Liège, les sociétés artistiques et littéraires ont tou- jours la cote auprès des familles de banquiers bruxelloises et anversoises. Beaux-arts, musique, sciences, les vertus de l’art et du savoir sont partagées pareillement par la haute société qui se retrouve, en dehors des salons littéraires et musicaux organisés par des privés, aux grands événements artistiques ou aux confé- rences scientifiques mis sur pied par une poignée de sociétés spé- cialisées. Constatons, par exemple, qu’une série de banquiers et d’hommes d’affaires anversois fréquentent les mêmes sociétés à la même époque. Ce sont précisément ceux que l’on a repérés auprès du Cercle de la concorde qui animent également la Société royale d’harmonie d’Anvers, le Cercle royal artistique, littéraire et scientifique, la Société royale de zoologie d’Anvers. Cette vie mon- daine rythmée à l’unisson ponctue une grande proximité sur le plan des affaires.

Le mécénat artistique Parmi les grands animateurs de la vie culturelle et mondaine bruxelloises, pointons deux personnalités déjà mises en exergue dans le paragraphe consacré à la philanthropie : Sam Wiener et le Baron Léon Lambert. Ce dernier, intime du Roi et membre des cercles aristocratiques les plus fermés, est vice-président du Cercle artistique bruxellois au début du XXe siècle, dont font également partie deux direc- teurs de la Société Générale, E. Despret et J. Quairier. À ce titre, Lambert supervise et contribue à financer nombre d’expositions et de concerts. En outre, lors de ses fréquentes sorties au Théâtre du Parc, il rencontre dans les travées (notamment, à l’occasion de soirées thématiques organisées dans le cadre des « jeudis litté- raires ») les Urban, Cassel, de Bauer, Errera, Crabbe, Stern, De Laveleye, Périer, Brugmann, Carton de Wiart, Castermans, van Eetvelde, Orban, Allard, Cattier, pour la plupart grands ama- teurs d’art dramatique et de mondanités 334.

334 Voir par exemple l’Éventail, le 4 novembre 1900. Egalement aperçus au théâtre à cette époque les Jamar, A. De Brouckère, les Van Hoegaerden, A. Nyssens. 251 www.academieroyale.be

Les grands banquiers belges (1830-1935)

Il est de tradition chez les notables mélomanes ou esthètes, et les banquiers ne faillissent pas à la règle, d’obtenir un siège au conservatoire ou à l’académie de leur ville. En 1884, Wiener obtient ainsi un siège d’administrateur au Conservatoire royal de Bruxelles à l’âge de 33 ans. Mais là ne se limitent pas ses activités de mécène et d’amoureux des arts. Il est un des animateurs les plus en vue de la Société royale des beaux-arts de Bruxelles. Cette société, fondée en 1893, est composée de 50 membres effectifs artistes et 50 membres effectifs non artistes. Parmi ces derniers, près d’un tiers sont des banquiers de l’échantillon 335. La commis- sion administrative, limitée à 15 membres, procède d’un juste équilibre entre catholiques et libéraux. Le Baron Lambert en est le trésorier, tandis que S. Wiener et F. Philippson en font égale- ment partie. La société, forte du soutien de l’ensemble de la haute société bruxelloise, organise un salon d’exposition annuel, par- rainé par la famille royale qui en préside solennellement l’ouver- ture et y effectue généralement plusieurs visites.

Les zones d’influence du politique Le tableau harmonieux et consensuel qui vient d’être dessiné ne signifie pas pour autant que le milieu de la finance soit resté étranger aux ondes de choc qui secouent le monde politique ou, plus généralement, le monde des idées. Si catholiques et libéraux se ménagent des terrains d’entente dans les sphères profession- nelles, philanthropiques et culturelles, prouvant de la sorte que les milieux dirigeants n’ont jamais connu de rupture irrévocable au XIXe siècle, des signes témoignent cependant de la division partielle des classes possédantes. Les associations et autres cer- cles politiques sont toujours fréquentés assidument par les jeunes gens qui désirent se lancer en politique. Et, comme je le montre au Chapitre 6, plus d’un quart des banquiers ont obtenu un mandat représentatif, à l’échelon local ou national, sur l’ensem- ble de la période. À Liège, dont on a vu combien elle cultivait les extrêmes, certains banquiers comme L. Collinet ou F. Braconier font même partie des chefs de file de l’aile conservatrice de leur parti respectif. La politique et la religion ont des répercussions sur l’organi- sation de la bienfaisance privée qui se structure en quatre champs distincts : les associations neutres, catholiques, libérales,

335 La société royale des Beaux-Arts, statuts – rapport – liste des membres, Bruxelles, 1908. 252 www.academieroyale.be

La sociabilité (II) et celles des minorités religieuses. L’espace de la neutralité est occupée par les grandes sociétés philanthropiques que j’ai décri- tes plus haut et qui connaissent toujours beaucoup de succès auprès de la population étudiée ; parallèlement, quantité d’asso- ciations catholiques ou libérales bénéficient des libéralités des banquiers, auxquelles s’ajoutent des structures s’adressant spéci- fiquement aux minorités religieuses et recevant un soutien tout particulier de ces riches bourgeois – ou anoblis – que sont les représentants du monde bancaire.

Les salons, dîners, parties de chasse. Le compte-rendu minutieux des dîners mondains, des bals et autres sauteries plus ou moins travesties que donne, à partir de 1888, l’hebdomadaire « théâtral et mondain » l’Éventail permet de situer certaines lignes de partage dans l’espace quotidien. Le journal ne contient que peu d’éléments concernant les salons privés sur lesquels plane toujours un voile de mystère. Le salon de la deuxième moitié du XIXe semble se décliner au pluriel : sa forme dépend beaucoup de la personnalité de la « salonnière » ou de l’hôte principal. Ses caractéristiques évoluent d’ailleurs sensi- blement dans le temps. Ses pratiques varient selon les catégories sociales. Le salon est une forme de sociabilité à mi-chemin entre l’inti- mité des « five o’clock tea » – qui prendront de l’extension durant l’entre-deux-guerres – et les activités sélectes des cercles d’agré- ment où il arrive fréquemment que le notable se donne en spec- tacle à ses pairs. Les formes de salon les plus fréquentes au XIXe siècle sont les rencontres littéraires ou musicales 336. Les modes d’expression mis en scène à cette occasion (concert, lec- ture de textes, représentation théâtrale) sont prétextes à des échanges mondains qui peuvent laisser place à des joutes intellec- tuelles lorsque la salonnière oriente son salon dans cette voie. Vraisemblablement devaient coexister à Bruxelles des salons aux dominantes idéologiques diverses qu’il est d’autant moins aisé de cerner que la réputation du salon dépend d’une subtile

336 En ce qui concerne l’intérieur bourgeois de l’époque, et plus particulièrement celui des salons, voir V. Heymans, Architecture et habitants. Les intérieurs privés de la bourgeoisie à la fin du eXIX siècle (Bruxelles, Quartier Léopold, extension nord-est), doctorat en philosophie et lettres, ULB, Bruxelles, 1993- 1994, p. 212-216. 253 www.academieroyale.be

Les grands banquiers belges (1830-1935) alchimie entre le profil de l’hôte et les opinions de ses invités 337. À l’intersection des champs politique, artistique et, dans une moindre mesure, économique, les salons poursuivent au moins une triple utilité : l’émergence et la diffusion d’idées philosophi- ques, de convictions politiques voire de certaines conceptions artistiques ; la constitution ou le renforcement de réseaux de pou- voir surtout perceptibles dans les champs artistique et politique ; le positionnement social de l’animateur central du salon. La consolidation ou la ramification de réseaux d’affaires a dû sans doute emprunter les voies des salons – surtout ceux fréquentés par la grande bourgeoisie d’affaires –, mais il est impossible de vérifier cette hypothèse dans le cadre de cette recherche. Les dîners balisent la vie mondaine de la haute société : ils constituent en quelque sorte le fil rouge entre les différentes formes de sociabilité que sont les salons, les réceptions officielles, les solennités festives, les repas en petits comités, etc. Les règles des dîners sont rigoureusement définies, et les plans de tables savamment équilibrés 338. Un dîner peut se restreindre à un petit nombre de convives triés sur le volet à l’occasion, par exemple, d’une crémaillère 339. Il peut aussi être, à l’instar d’un bal, un évé- nement exceptionnel, parfois unique dans l’année : il prend alors la forme d’une dépense de prestige, d’une démonstration de savoir-vivre. Nous avons bon nombre d’informations sur la tenue des dîners mondains grâce aux compte-rendus qu’en a faits l’Éventail dans une rubrique consacrée aux urbanités de la haute société. Épinglons quelques exemples représentatifs. Quand les Grisar d’Anvers (gros actionnaires de la Banque Centrale Anversoise) décident d’inviter à dîner en ce mois de jan- vier 1897, ils ne lésinent pas sur les moyens. Les deux salons de réception du rez-de-chaussée de leur vaste hôtel sont convertis en salle à manger. Dix tables y sont disposées, garnies par la fleu- riste bruxelloise De Backer qui fournit la Reine et la plus haute noblesse de la capitale. Un tel étalage de confort est jugé utile par M et Mme Ernest Grisar puisque pas moins de 85 convives sont

337 G. H. Dumont, Bruxelles, 1000 ans de vie quotidienne, Bruxelles, 1979. M. Michaux, Entre politique et littérature : les écrivains belges du réel (1850- 1880), t. I, doctorat en philosophie et lettres, ULB, Bruxelles, 1997-1998. 338 Pour ceux qui ne sont pas à la page, les convenances sont régulièrement décrites ou rappelées dans l’Éventail. Voir par exemple, L’Éventail, le 30 octobre 1892. 339 En avril 1893, M et Mme G. Warocqué sont installés dans leur nouvel hôtel boulevard du Régent. Ils y convient leurs amis proches, dont les Vander Stichelen et les Mesdach de ter Kiele. L’Éventail, le 30 avril 1893. 254 www.academieroyale.be

La sociabilité (II) attendus. Beaucoup sont des parents de la famille. Tous sont des hommes d’affaires incontournables de la métropole. N’oublions pas que l’arbre généalogique des Grisar d’Anvers constitue en soi une démonstration de réussite sociale tant les alliances matrimo- niales impliquent les patronymes les plus importants du com- merce anversois. Et répondent à l’appel les Havenith, de Bary, Bracht et consorts. D’après les dénominations des invités dont l’Éventail fait mention dans sa publication hebdomadaire, l’as- semblée semble plutôt de tendance libérale, rehaussée par quel- ques chefs de file de’Association l libérale d’Anvers tels Eugène Kreglinger ou Frédéric Delvaux, qui sont en outre apparentés à la famille. À Bruxelles aussi, dans le dernier quart du XIXe siècle, des cercles de relations appartenant à la mouvance libérale se conso- lident par l’intermédiaire de dîners mondains. Ainsi, le sénateur libéral J. Tournay-Detilleux et sa femme prennent l’habitude de recevoir chez eux un petit groupe d’amis parmi lesquels l’échevin libéral De Mot, les personnalités libérales P. Hymans, E. Ans- pach, C. Graux accompagnés de leurs épouses, ainsi que les industriels M et Mme Solvay, et les futurs administrateurs de la Banque de Bruxelles M et Mme Maurice Despret (apparenté aux Graux), M et Mme Jules Descamps. Du côté catholique, la vie mondaine consolide à cette époque les liens entre la famille Simons, descendante du directeur de la Société Générale, les van der Rest qui associent leur nom à la Banque Nationale et les t’Kint, actionnaires de la Société Générale. Gaston Périer, encore très jeune et futur gendre du colonial Albert Thys, fréquente ces cercles de relations. Il est également régulièrement « remarqué » chez les Coppée. Il sera bientôt collègue de G. van der Rest à la Banque d’Outremer. Ces cercles restreints de familiers se retrouvent en automne dans d’épiques parties de chasse organisées à la « campagne » de l’un ou l’autre de ces nouveaux châtelains. Ce sont ainsi les plus grandes familles d’affaires qui se donnent rendez-vous chez les Warocqué à la fin du siècle. En ce jour d’octobre 1892 par exemple 340, les Braconier-van Hoegaerden (Crédit Général Lié- geois – Banque Nationale), à la fois collègues et parents des Warocqué, s’y rendent en famille, deux générations poursuivant « lapins, faisans, lièvres et bécasses ». Malgré son âge avancé, le

340 Voir le tableau de chasse publié dans M. Van Den Eynde, La vie quotidienne de grands bourgeois au XIXe siècle. Les Warocqué, Morlanwez, 1989, p. 222. 255 www.academieroyale.be

Les grands banquiers belges (1830-1935) beau-père Braconier est toujours amateur de promenades et de détentes champêtres. Le cousin Drugman, descendant du direc- teur de la Société Générale, est un grand amateur de chasse et un excellent fusil. Drugman est à cette époque un des grands sei- gneurs de la mondanité bruxelloise : animateur de l’aristocrati- que Cercle du parc, membre fondateur du Cercle des patineurs de Paris, membre de l’International gun and polo club à Brighton, fondateur et trésorier du tir aux pigeons du Bois de la Cambre, futur président du Royal golf club de Belgique et vice-président du Jockey-Club. Lors de cette chasse mémorable se retrouvent également, à l’assaut de la faune de Mariemont, quelques représentants du clan Orban-Bemelmans. Le vieux vice-gouverneur liégeois de la Société Générale Léon Orban est absent, mais son frère Michel se place en bon ordre dans le tableau des trophées. Son gendre, l’ingénieur d’âge mûr Eugène Bemelmans, est probablement meilleur industriel que bon tireur, vu le maigre butin rapporté. Son mandat d’administrateur de la Caisse Générale de Reports et de Dépôts et sa fonction d’inspecteur de direction honoraire des Chemins de Fer de l’État lui laissent malgré tout le loisir de se joindre à la fête des Warocqué. D’autres bons fusils font encore partie de la battue : Jules Matthieu, le célèbre banquier privé bruxellois, fils d’un des fondateurs de la Société Générale ; le Baron F. de Macar, de la célèbre famille liégeoise liée aux de Meeus, un des fondateurs de la Banque Internationale de Bruxel- les en 1899. Raoul Warocqué est de loin le benjamin de la bande – composée d’une vingtaine de convives –. Ce n’est alors qu’un jeune homme malhabile de 22 ans qui, s’il tire à peine mieux que l’aïeul Braconier, assume déjà avec éclat ses responsabilités d’homme du monde. Cette scène de chasse d’octobre 1892 pré- sente un tableau de trophées exceptionnels, avec sa panoplie de hauts représentants des milieux bancaires bruxellois et liégeois. La force d’attraction des Warocqué dans le monde des affaires est, en cette fin de siècle, quasiment inégalée.

Deux nouveaux clubs de tendance libérale N. Brasseur a mis à jour, dans le cadre de son mémoire de licence, l’existence de sociétés regroupant un nombre restreint de grands bourgeois libéraux, entourées d’une relative confidentialité et essentiellement consacrées aux loisirs (dîners, excursions). ­Plusieurs banquiers gravitant dans l’orbite de la Banque de 256 www.academieroyale.be

La sociabilité (II)

Bruxelles ou de la Mutuelle Solvay ont fait partie des deux clubs libéraux le Half pint club (fondé en 1874) et la Société de la table ronde (datant de la fin du XIXe siècle). Le libéralisme défendu par cette nouvelle génération d’hom- mes d’affaires est plus progressiste que celui prêché par la vieille garde doctrinaire : il se place dans la lignée des idées défendues par un Ernest Solvay ou un Gustave Boel. Ce dernier est d’ailleurs membre du Half pint Club avec Florimond Hankar, directeur de la Caisse Générale d’Epargne et de Retraite puis de la Banque Nationale, et avec Omer Lepreux, vice-gouverneur de la Banque Nationale et président de l’Association belge des ingénieurs et des industriels. Notons que les descendants d’Hankar et Boel se lie- ront à la famille Solvay par des alliances matrimoniales. Robert Hankar et René Boël deviendront deux chevilles ouvrières de la Mutuelle Solvay durant l’entre-deux-guerres. C’est dans la tradition libérale progressiste qu’il faut égale- ment rechercher l’origine probable de la Société de la table ronde. Il s’agit d’un progressisme modéré, paternaliste et grand bour- geois, incarné par l’ancien ministre et administrateur de sociétés Xavier Olin, qui est membre de la société à la fin du XIXe siècle au même titre que l’ingénieur Jules Descamps, futur administra- teur de la Banque de Bruxelles. Ce club de sociabilité, qui s’adresse spécifiquement à la « bourgeoisie libérale de Bruxelles », selon les propres statuts de la Société de la table ronde, compren- dra encore au moins deux autres administrateurs de la Banque de Bruxelles au début du XXe siècle : le grand banquier William Thys, fils du fondateur de la Banque d’Outremer Albert Thys ; le diplomate et administrateur de sociétés Pierre Orts, un proche de Paul Hymans, qui faisait également partie du Half pint 341. Ces milieux libéraux se caractérisent par des valeurs bourgeoises laï- ques encore peu répandues dans la classe possédante de l’époque. Beaucoup des membres repérés ici sont par ailleurs proches de l’Université de Bruxelles. Lepreux et Olin sont francs-maçons à la loge des Amis philanthropes. Bref, il s’agit là d’une aile originale du libéralisme composée de quelques grandes figures du monde des affaires – mais également du milieu judiciaire, car les avocats y sont légions –, défendant une idéologie plus anticléricale que le

341 N. Brasseur, L’éventail, journal théâtral et mondain. Étude de la grande bour- geoisie et de la noblesse belge de 1888 à la fin de l’entre-deux-guerres. Valeurs, usages et représentations, mémoire en histoire, faculté de philosophie et lettres, ULB, 2002-2003, p. 137-139. 257 www.academieroyale.be

Les grands banquiers belges (1830-1935) libéralisme généralement véhiculé dans les milieux conserva- teurs.

Les bals et les fêtes Comme plus tôt dans le siècle, les élites accordent une grande importance à l’organisation de soirées dansantes. Les bals d’hi- ver, comme les grands dîners mondains, drainent souvent une assistance fort large. L’opulence et le statut de l’hôte se mesurent tant dans la pertinence de ses choix de convives que dans sa capacité à les inviter en grand nombre. Lorsque Jacques Wiener organise un grand bal travesti en décembre 1888, ce sont les Wiener, Errera, Stern, Speyer, Cassel qui se prêtent au jeu du déguisement et débarquent en « Bulgare authentique », en « Suis- sesse », en « vieillard » ou en « marquise Louis XVI ». L’assemblée compte également quelques connaissances non-israélites de la famille Wiener, comme par exemple les De Laveleye. A deux ou trois noms près, c’est le conseil d’administration de la Banque de Bruxelles qui s’est donné rendez-vous chez les Wiener, ce soir- là 342. À Anvers, Edouard Bunge donne en décembre 1913 un dîner exceptionnel, suivi d’un bal « brillant » en l’honneur de l’entrée dans le monde de sa fille cadette Eva Bunge. La chronique de l’Éventail qualifie l’événement de somptueux. La fête a pour cadre la salle des marbres et la grande salle de concert de la Société royale de zoologie. Le dîner est servi par petites tables dans la salle des marbres tandis que la salle de concert, transfor- mée selon la mode de l’époque en « grand parc », fait office de salle de bal. La très forte cohésion du milieu financier anversois s’affiche dans l’énumération des convives. Le conseil d’adminis- tration de la Banque Centrale Anversoise est présent quasiment au grand complet – quelques-uns parmi les invités s’apprêtent à y entrer –, tandis que plusieurs administrateurs de la Banque Générale Belge sont également remarqués dans la foule 343. La composition du parterre d’invités à l’occasion d’un mariage n’a pas la même signification que l’agencement d’un dîner plus intime. Le cercle des proches, ces habitués que l’on côtoie fré- quemment dans les fêtes en petits comités, figure en première place dans les assemblées de mariage. S’y ajoutent les connais- sances que les convenances dictent de joindre à la liste des convi-

342 L’Éventail, le 29 décembre 1888. 343 L’Éventail, le 28 décembre 1913. 258 www.academieroyale.be

La sociabilité (II) ves. Cette dernière, partiellement dévoilée par l’Éventail dans ses chroniques mondaines, peut donc être lue comme un indice du statut social de la famille qui invite. Au mariage de Mina de Bauer, la fille du banquier Raphaël de Bauer, en avril 1889, le cortège nuptial – le cercle de la famille et des intimes – est composé, entre autres, de M et Mme Lambert-de Rothschild, des Cahen d’Anvers, des Bamberger. L’assemblée est particulièrement composite et formée par les plus hauts représen- tants des différents corps sociaux. Parmi les invités, aux côtés « du corps diplomatique » et de la « foule de notabilités de la poli- tique, de la finance et du monde », signalons G. Warocqué, M. Des- pret (qui s’est marié récemment avec la fille de Charles Graux), les Allard, Barbanson, Beernaert, Bemelmans, Mesdach de ter Kiele, van Nuffel d’Heynsbroek. La belle unité des comités phi- lanthropiques ou des cercles d’agrément décrite plus haut se reforme lors de ces événements mondains exceptionnels 344.

La vogue des sports : l’attrait de la nouveauté En marge des mondanités traditionnelles se développe rapide- ment, au sein des élites européennes, une nouvelle forme structu- rée de sociabilité liée à la pratique sportive. Avec la vogue nais- sante pour les sports organisés, dans le dernier tiers du XIXe siècle, se forment de nouveaux réseaux de « sportsmen » amateurs (pour utiliser une expression fréquente de l’époque, inspirée de l’anglo- manie en usage dans la haute société), qui dépassent tant les cli- vages idéologiques que les frontières des États. Les rendez-vous mondains attachés à l’exercice d’un sport ou d’un effort physique ne sont pas totalement nouveaux. La chasse à courre et les courses hippiques, que les contemporains de la Belle Époque considéraient comme des sports à part entière, étaient déjà pratiquées dans la première partie du siècle. Le pre- mier gouverneur de l’ère « belge » de la Société Générale, Ferdi- nand de Meeus, possédait d’ailleurs une écurie de choix et s’était porté candidat pour le poste de trésorier de la Société d’encoura- gement pour l’amélioration des races de chevaux et le développe- ment des courses en Belgique, société à laquelle appartenaient également des personnalités en vue comme J. R. Bischoffsheim ou J. Vander Stichelen.

344 Toutes les familles citées ici ont par ailleurs des intérêts considérables dans les plus grosses banques de la capitale. L’Éventail, le 14 avril 1889. 259 www.academieroyale.be

Les grands banquiers belges (1830-1935)

Les courses hippiques À Bruxelles, les courses se déroulent d’abord du côté de l’aristo- cratique Allée Verte, au Nord-Est de la capitale. L. et P. Hymans rappellent les débuts solennels de ce sport dans la ville : « Au-delà du pont de s’étendait la vaste plaine de Monplaisir, séparée des jardins du palais par le canal et sillon- née par le chemin de fer d’Anvers. C’est là qu’avaient lieu les courses de chevaux. Au siècle précédent, des particuliers avaient organisé des courses à l’Allée-Verte. En 1835, une société d’en- couragement pour l’amélioration de la race chevaline, à la tête de laquelle figuraient les premières notabilités de la société bruxel- loise, se constitua et inaugura sa création, au mois de juillet, par des courses à la plaine de Monplaisir. 345 » Avec le développement fulgurant du quartier Léopold et de la rue de la Loi, l’hippodrome est transféré vers le milieu du siècle au Sud de cette prestigieuse artère, au fameux Champ des Manœuvres 346. Suite à la croissance des « beaux-quartiers » vers le Sud de la ville, le long de la récente avenue Louise, un nouveau champ de course est ensuite installé derrière le Bois de la Cambre (1875). L’hippodrome de Boitsfort, près duquel quelques-uns parmi les turfeurs avaient acquis de belles propriétés, devient rapidement un must des après-midi bruxelloises dans le dernier tiers du XIXe siècle. D’après X. Duquenne, le retour des courses en fin d’après midi attire la grande foule dans le Bois dela Cambre où l’on peut admirer « un passage continu de voitures élégantes de tout genre – victoria, phaéton, break, mail-coach ou huit-ressorts attelé à la daumont – venues surtout du quartier Léopold 347. » Le Bois de la Cambre bruxellois, si distingué à la Belle Époque et si bien décrit par les auteurs cités, a vécu, sous ses frondaisons, l’évolution presque complète de la vogue sportive qui touche alors l’ensemble du pays : une plaine y est destinée aux tirs aux pigeons (1877) ; une pelouse est consacrée au lawn tennis, impor- tation anglaise qui fait fureur dans la haute société belge ; en

345 On y avait tracé une piste et fait construire des tribunes en bois pour les specta- teurs. L. Hymans, P. Hymans, Bruxelles à travers les âges, T. III, Bruxelles moderne, Bruxelles (c1890), p. 139. 346 E. Cattier, « Les mœurs et les coutumes », in La Patrie Belge (1830-1905), Bruxelles, 1905, p. 281. 347 X. Duquenne, Le Bois de la Cambre, Bruxelles, 1989, p. 112. C. Temmerman, T. D’huart, 1897-1997, Les 100 ans de l’avenue de Tervueren, Bruxelles, 1997, p. 59. 260 www.academieroyale.be

La sociabilité (II)

1893, on inaugure un premier vélodrome, puis un second, dont l’Éventail se fera le chantre 348 ; au tournant du siècle, la prome- nade du parc est envahie par une nouvelle invention révolution- naire, l’automobile, dont il faut réglementer la circulation. Si l’on ajoute à ces loisirs distingués le golf et le polo qui connaissent d’emblée un succès remarquable, ainsi que les sports d’eau comme le « yachting » et le « rowing », on possède un aperçu à peu près complet des nouvelles occupations récréatives de l’élite bruxel- loise.

Le tir aux pigeons Ces inventions s’accompagnent d’une kyrielle de nouveaux cer- cles de sociabilité, dits « sportiques », fréquentés par l’élite de la bonne société, fort prompte à s’enthousiasmer pour les innova- tions de l’époque. La société de tir aux pigeons du Bois de la Cambre rassemble les meilleurs fusils de la capitale autour de compétitions hebdomadaires qui se déroulent, chaque samedi, dans le parc bruxellois. À la fin de l’année, un prix d’excellence est décerné aux plus fines gâchettes qui, d’après un annuaire mondain international de l’époque, sont nombreuses dans le pays. Le tir est ouvert en semaine pour les plus assidus, et des compétitions internationales viennent couronner les activités de la société, organisées par l’International gun and polo club de Bri- ghton ou par le Cercle des patineurs de Paris dont plusieurs ban- quiers belges sont membres. L’internationalisation des réseaux par le biais des activités sportives s’insère dans le mouvement général d’échanges trans- frontaliers souligné déjà à propos des expositions internationales et universelles et à propos des associations professionnelles ou scientifiques internationales. Les cercles d’agrément des grands pays européens comptaient parmi leurs membres au milieu du XIXe siècle quelques belges ou résidents belges : surtout des diplomates en poste dans les gran- des capitales, ainsi que les principaux banquiers privés comme les Bischoffsheim ou les Oppenheim et quelques représentants des plus vieilles maisons aristocratiques. Dans le dernier tiers du XIXe siècle, alors que des contacts plus réguliers entre nations sont facilités par le développement des communications, les cer- cles d’agrément étrangers s’ouvrent à de nouvelles familles d’af-

348 L’Éventail, le 14 mai 1893. 261 www.academieroyale.be

Les grands banquiers belges (1830-1935) faires. Si le très select Cercle de la rue Royale de Paris n’accepte dans ses salons qu’une poignée de familles belges de la haute banque (Bischoffsheim, Brugmann, Lambert, Stern) 349, le Cercle artistique et littéraire de la Ville-Lumière touche des personnali- tés comme Lucien Guinotte ou Julien d’Andrimont. Les Orban, Drugman, Peltzer, Anspach, Nagelmackers, pour ne citer que quelques exemples de célèbres familles, dont le nom est associé à l’industrie belge du XIXe siècle, entrent à cette époque dans des réseaux sportifs et mondains, dépassant largement les frontières du plat pays.

L’escrime L’escrime qui, à la différence des autres activités sportives, se pratiquait en intérieur, dans des salles d’arme spécialement conçues pour les jouteurs, commence à jouir d’un certain succès vers le milieu des années 1880. La jeunesse libérale est la pre- mière séduite par un exercice que la garde civique bruxelloise s’empresse d’adopter 350. La moyenne d’âge des banquiers mem- bres du Cercle d’escrime au début du XXe siècle avoisine la tren- taine, avec quelques « anciens » comme E. Francqui, J. Descamps (la quarantaine) ou A. Thys et L. Lambert (la cinquantaine). On y retrouve les fils de Bauer, Philippson, Wiener, Errera côtoyant plusieurs membres de la famille Solvay, le gendre d’Albert Thys (Gaston Périer), plusieurs – futurs – collègues de la Banque de Bruxelles (L. Guinotte, G. Barbanson). D’après les rapports qu’en fait le journal l’Éventail, l’escrime semble perdre de son lustre durant l’entre-deux-guerres. Elle en est pas moins une pra- tique très à la mode à la fin de la Belle Époque.

L’automobile L’engouement pour l’automobile qui, au tournant du siècle, saisit une part croissante de la haute société comprenant à la fois des grands bourgeois et des aristocrates de vieilles souches, n’épar- gne pas la catégorie des banquiers 351. Rapidement, les banquiers se portent acquéreurs de ces nouveaux moyens de transport oné- reux qui permettent de se dispenser de la traction chevaline. À

349 L’Éventail, le 23 juin 1889. 350 L’Éventail, le 8 décembre 1888. 351 T. Wirth, L’automobile à la Belle Époque, Bruxelles, 1975. G. Renoy, L’auto- mobile au temps des teufs-teufs, Bruxelles, 1976, p. 11. 262 www.academieroyale.be

La sociabilité (II) l’instar des cercles artistiques et littéraires un peu plus tôt dans le siècle, qui ont débuté modestement autour d’un petit noyau de personnes, un cercle restreint d’amateurs, férus de sport mécani- que, se rassemblent dans chaque ville pour former une associa- tion d’automobilistes, dans un premier temps de manière infor- melle et intime, dans l’arrière-salle d’un café 352. Le premier local du Royal automobile club d’Anvers, fondé par « deux douzaines » de propriétaires de voitures en 1898 353, sera le Garage van den Broeck, puis le Café du Théâtre. Ces amateurs éclairés et bien nantis organisent non seulement des excursions à la campagne (chaque départ s’apparentant à une expédition), mais également des compétitions de vitesse. Comme pour l’ensemble des sports en vogue à cette époque, cer- tains individus se font remarquer pour leurs aptitudes exception- nelles 354. Ils deviennent alors les ambassadeurs du club dans les compétitions internationales : c’est un membre du club anversois, par exemple, qui, en 1906, gagne la course internationale la plus prestigieuse de l’époque, le Coupe Gordon-Benet. Il faut atten- dre l’entre-deux-guerres pour que ces clubs automobiles prennent toute leur ampleur. À titre illustratif, le Royal automobile club d’Anvers dont fait partie la moitié du conseil d’administration de la Banque Centrale Anversoise au début du XXe siècle, dépasse le cap des 500 membres en 1922. À cette époque, ces associations d’automobilistes sont encore des cercles restreints, patronnés par les plus grands noms de la noblesse. Le Royal automobile club de Belgique, dont font partie des hommes comme Joseph Quairier (Société Générale) ou Auguste de Lantsheere (Banque Générale Belge), reçoit le soutien des plus éminents représentants de l’aris- tocratie parmi lesquels les d’Oultremont, de Hemricourt de Grunne ou de Beeckman, ainsi que l’inusable Baron L. Lam- bert 355.

352 A titre de comparaison, le prix d’un double phaéton (voiture tractée par des chevaux) est de 4500 francs en 1906. Une voiture Pannard 50HP, par contre, coûte 28 000 francs en 1908. 353 Bulletin du Royal Automobile Club Anversois, 15 décembre 1938, p. 487. 354 Pierre de Caters, de la famille des banquiers de Caters d’Anvers, gagne le kilo- mètre-lancé en 1901 à la vitesse prodigieuse de 87 km/h. 355 Bulletin Officiel du Royal Automobile Club de Belgique, no 7, 13 avril 1921, p. 113. Bulletin du Royal Automobile Club Anversois, 15 décembre 1938, p. 487. 263 www.academieroyale.be

Les grands banquiers belges (1830-1935)

Le golf Non contents de se fréquenter dans le cadre de clubs automobi- les, de cercles d’escrime, de tirs aux pigeons, les « sportsmen » adoptent en outre avec enthousiasme un nouveau loisir sportif importé d’outre-manche : le golf. La vogue pour cette nouvelle discipline, plus encore que l’engouement pour le tennis qui exige un certain degré de dextérité et d’efforts physiques, s’empare sou- dainement de la couche supérieure de la population dans son ensemble. En témoigne la liste des membres du Royal golf club de Belgique, publiée seulement deux ans après sa constitution en 1906. Tout le gratin bruxellois s’y retrouve, ainsi que bon nombre de notables de province. Plus qu’un sport, le golf, tel un trait d’union entre la grande bourgeoisie et l’aristocratie, associe à sa pratique un ensemble de valeurs représentatives du savoir-vivre dont se prévalait la haute société de l’époque. La mise en place d’un club de golf en Belgique au début du XXe siècle se voit facilitée par un fameux coup de pouce de Léo- pold II, qui concède à l’État des terrains personnels en vue d’y établir les parcours réglementaires, nécessaires à l’établissement d’un club 356. Le Roi est en effet parmi les premiers adeptes de ce sport qui connaît alors, le monarque ne s’y était pas trompé, une expansion croissante dans les capitales et villes d’eaux d’Europe. Ce patronage appuyé du souverain pour l’opération de propa- gande n’a pas été sans répercussion sur la composition des mem- bres du club. Les caractéristiques du (très) Royal golf club de Belgique, selon les statuts publiés en 1908, semblent calquées sur celles des grands cercles d’agrément du XIXe siècle : admission par ballottage, cotisation annuelle élevée (entre 100 et 150 francs pour les messieurs qui sont joueurs), brassage des générations, neutralité d’usage. Ce dernier point est particulièrement mis en évidence dans les statuts, l’article 24 refusant explicitement la tenue de « toute réunion ayant pour objet la politique » dans les locaux du club où il est par ailleurs interdit d’afficher quoi que ce soit sans l’approbation du comité. Le secrétaire du club est Maurice Despret et le trésorier est le Baron Léon Lambert, deux personnalités bien connues du « high life » bruxellois. Parmi les 15 membres du comité, figure en bonne

356 Un parcours est créé au Coq en 1903, un autre deux ans plus tard au Ravens- tein près de Tervuren, puis un troisième « auprès de l’hôtel de grand luxe installé dans le château royal d’Ardenne ». Royal Golf Club de Belgique 1906- 1956, Bruxelles, 1956, p. 28. 264 www.academieroyale.be

La sociabilité (II) place, auprès des Goffinet (un intime de Léopold II) et autres de Borchgrave d’Altena ou Peltzer, le jeune Henri Lambert (fils du précédent) qui, à peine âgé de 20 ans, fait son entrée dans le monde. En 1908, le liste des 300 membres du club ne compte pas moins de 17 banquiers de l’échantillon, la plupart inscrits avec leur femme. Une autre originalité des nouveaux réseaux de sociabilité liés à la pratique sportive, à côté de leur dimension partiellement internationale 357, réside dans la présence plus prononcée de l’élé- ment féminin aux rencontres mondaines. Tout comme pour les matchs de tennis mixtes ou uniquement féminins, de plus en plus fréquents, les femmes sont autorisées à jouer au golf. Le prix de leur inscription annuelle (entre 80 et 120 francs) est d’ailleurs presqu’aussi élevé que celui des hommes. Nous sommes donc loin, ici, des « tickets de dame » en vigueur dans les cercles de sociabilité du XIXe siècle qui permettaient aux hommes, à l’occa- sion d’événements exceptionnels, d’inviter femmes et enfants à partager leurs moments de détente. Notons toutefois que le comité du Royal golf club demeure, quant à lui, exclusivement masculin.

Les séjours à Spa et à Ostende L’évolution rapide des usages mondains liée à l’irruption de nou- velles pratiques sportives est encore accentuée par la popularité sans cesse accrue des deux destinations de villégiature les plus recherchées en Belgique, Spa et Ostende. Le 30 avril 1893, l’Éven- tail résume les points d’orgue d’une saison estivale spadoise à venir. On y perçoit une formule originale mêlant des éléments festifs traditionnels aux nouveaux loisirs en vogue : « La saison de Spa recommencera le 1er mai. Le programme des fêtes comprendra outre les courses et les tirs aux pigeons, des régates internationales, un concours hippique, des concours inter- nationaux de lawn-tennis du 1er juillet à fin septembre, une expo- sition de chiens, une bataille de fleurs avec corso, des concerts, des représentations extraordinaires, des bals masqués, des bals d’enfants, des fêtes de nuit, une fête vénitienne, etc. 358 » Pour les familles de banquier, il est difficile à cette époque de ne pas programmer ne fût-ce qu’un bref passage par Spa ou Ostende pendant les mois d’été. Certes, tous ne s’y rendent pas :

357 Royal Golf Club de Belgique 1906-1956, Bruxelles, 1956, p. 30. 358 L’Éventail, le 30 avril 1893. 265 www.academieroyale.be

Les grands banquiers belges (1830-1935) rares sont, par exemple, les directeurs de la Société Générale repérés à Spa ou à Ostende par les chroniqueurs de l’Éventail. Toutefois, ceux qui décident d’y séjourner ne semblent pas uni- quement en quête d’un moment de détente. La foule cosmopolite qui fréquente la ville d’eaux et la cité balnéaire, composée de nationalités diverses, mais aussi d’Anversois, de Liégeois et de Bruxellois éminents, est celle-là même qui anime les salons et la vie culturelle des cités commerciales du pays. Spa et Ostende constituent donc une étape importante de la saison mondaine, d’autant plus précieuse qu’elle met en contact des personnalités qui n’ont que peu d’occasion de frayer ensemble pendant le reste de l’année.

Coup de projecteur sur des cas remarquables de sociabilité Le partage de la sociabilité entre frères ou entre époux – Exemples Comme le formidable exemple de la famille Rothschild en témoi- gne sur le plan international, l’efficacité des réseaux familiaux d’affaires peut parfois se voir démultipliée par l’action conjointe de fratries. Le cas des trois frères Brugmann illustre parfaitement ce principe, d’autant plus que cette fratrie s’est soigneusement réparti les fonctions sociales et professionnelles entre membres. Le représentant sans doute le plus connu de la famille est Georges Brugmann, qui est passé à la postérité par ses libéralités exceptionnelles aux institutions charitables de la capitale. Geor- ges est un homme d’affaires hors pair et un philanthrope dont la générosité n’est jamais prise en défaut. Par ailleurs, l’homme est célibataire, solitaire et peu versé dans l’art du commerce mon- dain. Voilà, par exemple, comment le chroniqueur mondain du journal L’Éventail décrit sa personnalité dans une notice nécro- logique : « M. Georges Brugmann était originaire de Verviers. Il avait soixante et onze ans. Il n’a jamais été mêlé au mouvement mon- dain de la capitale. Il était réfléchi, solitaire, n’aimant pas le bruit et la notoriété. Il assistait aux bals de la Cour. On le voyait assez souvent au théâtre de la Monnaie, où il était un des plus anciens abonnés du balcon. L’été et les premiers mois d’automne, il les passait en famille dans le merveilleux château de Walzin, qui s’élève sur les bords de la Lesse, dans le site romantique que tous les touristes connaissent. 359 »

359 L’Éventail, le 2 décembre 1900. 266 www.academieroyale.be

La sociabilité (II)

Georges est le banquier de la famille. Dans les listes mondai- nes officielles, c’est comme tel qu’il se définit, tandis que ses frères s’affichent comme propriétaire ou rentier. Esprit pratique, préoc- cupé avant tout par les affaires, il peut se permettre de négliger jusqu’à un certain point les devoirs de sociabilité. Trois autres de ses frères officient en effet à ses côtés. Son frère aîné, Frédéric, décède à l’âge précoce de 35 ans. Ses deux autres frères, Ernest et Alfred, font de longues carrières, complémentaires à celle de Georges. Dans le domaine philanthropique, Ernest, le puîné, rejoint à 30 ans le conseil du Refuge des Ursulines avec des per- sonnalités comme J. R. Bischoffsheim ou L. Emerique ; Georges lui-même, le troisième fils, s’engage au même âge auprès de l’As- sociation pour secourir les pauvres honteux ; Alfred, le cadet, est admis peu après à la Société royale de philanthropie de Bruxelles. Vers la fin du siècle, ils opèrent simultanément dans les trois associations. À cette époque, Georges est membre du Cercle de l’union, Alfred intègre un peu plus tard le Cercle du parc tandis qu’Ernest est membre du Cercle de la rue Royale à Paris avec d’autres bruxellois de la trempe de L. Lambert-de Rothschild ou F. Bis- choffsheim. Sur le plan mondain, c’est sans nul doute Ernest qui se trouve être le plus souvent sollicité. Son mariage avec une de Waha lui ouvre grand les portes de l’aristocratie. Sa femme le représente très souvent aux galas de charité, salons artistiques et littéraires, concours hippiques, comités philanthropiques ou honorifiques de dames 360. En tant que consul général de Suède et de Norvège et ban- quier privé, Georges, pour sa part, participe à des dîners réservés aux plus hauts dignitaires diplomatiques en poste à Bruxelles. Dans ces soirées sélectes, Brugmann côtoie d’autres promoteurs de l’exploitation de la colonie tel E. van Eetvelde, ainsi que les ministres de tous les grands pays alliés à la Belgique. Notons que le nombre de banquiers investis d’une charge consulaire est en nette croissance dans la seconde moitié du XIXe siècle, principa- lement dans les milieux bruxellois et anversois. Dans l’échan- tillon, onze banquiers – au minimum – actifs à cette époque asso- cient une fonction diplomatique à leur rôle d’homme d’affaires, soit que leur famille soit originaire du pays dont ils deviennent le représentant en Belgique, soit qu’ils aient des liens professionnels privilégiés avec ces pays.

360 Sa femme tient salon, et ce même après la mort de son mari. 267 www.academieroyale.be

Les grands banquiers belges (1830-1935)

Pour remplir les obligations mondaines liées aux fonctions officielles, le rôle de l’épouse du banquier apparaît décisif. Dans le domaine de la sociabilité, la femme déploie une énergie au moins aussi considérable que l’homme. Les publications de l’Éventail, datant de la fin du eXIX siècle, offrent un éclairage inédit sur la « valse » des réceptions et dîners officiels ou privés auxquels sont conviés les différents corps de la société en activité dans la capitale. Ainsi, la fonction de ministre revêt toute sa dimension mondaine, comme c’est le cas pour le couple P. de Smet de Naeyer 361. L’intéressé, ministre des Finances (1894- 1907), un temps chef du gouvernement, ne rechigne en effet jamais à la dépense de prestige. Par ailleurs, Mme P. de Smet de Naeyer, née Morel de Westga- ver, en tant qu’épouse d’industriel et d’homme politique, prend sa double fonction d’aristocrate et de « première dame » très au sérieux. Elle assure une présence régulière aux mariages du gotha bruxellois ; elle ne manque aucun jubilé d’importance ; elle veille au faste des dîners du Ministère des Finances auxquels sont conviées les plus hautes personnalités ; elle affectionne les galas de charité très aristocratiques ; elle accompagne son mari aux dîners diplomatiques ; elle réserve ses tenues les plus distinguées pour le Bal de la Cour et pour la Garden Party de la Reine en son château de Laeken, après-midi réservée à la plus haute noblesse et aux personnalités les plus proches du Palais. Dans la mesure du possible, le comte accompagne son épouse dans son agenda mondain. En 1907, P. de Smet de Naeyer rejoint les rangs de la Société Générale, après une carrière politique bien remplie. Avec cette recrue, la prestigieuse banque bruxelloise s’adjoint non seulement un homme politique et un industriel aguerri aux affaires de son temps, mais aussi une grande figure du « high life » de la capi- tale.

Les efforts de sociabilité des nouveaux-venus – Exemples Pour clore cette période, il reste à toucher un mot de la sociabi- lité des personnalités en trajectoire ascendante et des banquiers liés au phénomène de professionnalisation qui touche timidement le métier en cette fin de siècle. En 1900, les banquiers sortis du rang se comptent encore sur les doigts de la main. De même,

361 Le père de Paul accède à la noblesse en 1886. Paul sera créé comte par lettre patente datée de 1900. 268 www.academieroyale.be

La sociabilité (II) comme souligné ailleurs, les banquiers se situant dans des lignées familiales en phase sociale ascendante sont des exceptions. Edouard Empain fait partie de cette dernière catégorie. Sa réussite en courbe ascendante presque inégalée dans le monde des affaires coïncide avec une insertion assez rapide dans le monde associatif. La création de sa banque, la Banque Empain, en 1881 (à moins de 30 ans), coïncide avec son apparition dans la liste des membres de la Société royale de philanthropie. Les premiers succès de A. Langrand-Dumonceau, on s’en souvient, furent également ponctués par les premières donations de pres- tige. Si l’on en croit les instruments d’évaluation utilisés jus- qu’ici 362, il faut toutefois attendre le début du XXe siècle pour voir figurer Empain, devenu entretemps, selon la formule consa- crée, un quinquagénaire « riche et célèbre », dans les comités d’honneur d’associations de prestige aux côtés des plus grands noms de l’industrie belge. Autre modèle de mobilité sociale, Joseph Devolder doit sa réussite à un cursus universitaire brillant et une carrière politique rectiligne qui le mène au portefeuille de la Justice à 42 ans. Petit- fils de cultivateur et fils de commerçant, Devolder participe acti- vement, dans le courant des années 1870, à la Société d’émula- tion, véritable vivier de la droite bruxelloise – il est alors jeune trentenaire- : ce sera son tremplin vers le monde politique. Son accession au gouvernement scellera son entrée dans le monde. Nommé ensuite ministre d’État et recruté par la Société Géné- rale, il consacrera l’essentiel de son temps et de son énergie à l’administration des sociétés dont il a la charge. Comme Empain, il se fait relativement discret sur la scène mondaine. Tel est aussi le cas de Ferdinand Baeyens. Fils d’un couple de boutiquiers, entré dans la vie professionnelle à l’âge de 14 ans, il doit son succès à une série de promotions internes à la Société Générale où il a été embauché comme simple commis. Bien avant son anoblissement qui date du début du XXe siècle 363, Baeyens jouit de son statut privilégié, acquis à la faveur d’un avancement exceptionnel au sein de la Société Générale, et entre dans le monde bruxellois par la passion des courses de chevaux. Sa nomination au poste envié de gouverneur fait de lui un homme puissant. Pour autant, il demeure très discret sur la scène publi-

362 Dépouillement de l’Éventail, publication des listes et rapports officiels de cercles et d’associations philanthropiques, répertoire mondain. 363 Edouard Empain est également anobli à la même époque. 269 www.academieroyale.be

Les grands banquiers belges (1830-1935) que : tout au plus l’Éventail le repère-t-il de temps à autre à l’hip- podrome de Boitsfort ou mentionne-t-il le mariage de ses enfants. Il semblerait qu’à l’exception de la Société royale hippique – où il figure en bonne compagnie –, Baeyens n’ait fait partie d’aucun cercle de sociabilité et soit resté relativement retiré des remous mondains de la haute société. Focalisé sur la réussite professionnelle, les nouveaux-venus arrivés au sommet de la hiérarchie du monde des affaires ne diversifient visiblement pas autant leurs entrées dans la monda- nité que les héritiers. L’explication de ce phénomène peut tenir à plusieurs éléments : d’une part, les nouveaux décideurs ne sont pas légataires d’une tradition familiale comme les lignées bour- geoises et nobles plus anciennes ; d’autre part, ils adoptent comme valeur-refuge la priorité du travail, qui se trouve être la raison et la source mêmes de leur réussite et qui se concilie difficilement avec l’aspect oisif que peut revêtir la sphère mondaine au sens large ; peut-être, enfin, sont-ils victimes de leur déficit initial en capital social et symbolique, par rapport aux héritiers des gran- des familles bourgeoises ou nobles. N’oublions pas que l’utilité la plus tangible des cercles de notables se situe au moment de l’en- trée dans le monde du jeune ambitieux. Toujours est-il que cette catégorie récente de banquiers inves- tit nettement moins dans les réseaux associatifs et mondains que ne le font les représentants de la haute banque ou les héritiers de grandes familles d’affaires. Ce sont leurs descendants qui récolte- ront souvent les fruits de la réussite paternelle, en s’affiliant aux cercles que le fondateur de la dynastie lui-même a négligés, ou en obtenant un titre de noblesse 364. Peut-être ce phénomène expli- que-t-il en partie le retrait relatif de la direction de la Société Générale de la vie associative bruxelloise que nous avons observé. La Société Générale se trouve être, à cette époque, la seule banque belge à avoir franchement adopté le recrutement par pro- motion interne ; de plus, elle dépend alors en partie de personna- lités originaires de villes de province : cette double particularité expliquerait la discrétion de sa direction de l’époque sur la scène publique, à l’exception des recrues purement politiques que sont les anciens ministres.

364 À cet égard, une étude de la dynastie Solvay serait très éclairante. 270 www.academieroyale.be

La sociabilité (II)

Une sociabilité atypique liée à l’ascension sociale – Le cas d’Émile Francqui Émile Francqui est une personnalité en pleine ascension sociale qui symbolise la transition entre la Belle Époque et l’entre-deux- guerres. Avant la Première Guerre mondiale, Francqui semble occuper une place assez effacée dans le « monde » bruxellois. Sa trajectoire personnelle peu conventionnelle – militaire en Afri- que, puis consul et homme d’affaires en Chine –, qui l’éloigne régulièrement de la Belgique, n’est pas étrangère à cet état de fait. La situation économique et sociale de sa famille ne le ratta- che pas à l’élite de la notabilité. Son père est avoué, son oncle professeur de chimie à l’Université de Bruxelles, mais une succes- sion d’infortunes de jeunesse le prive d’un enseignement supé- rieur pourtant nécessaire à celui qui veut tenir son rang. La posi- tion de plus en plus éminente de Francqui dans le champ professionnel à l’aube du premier conflit mondial, jointe à sa prodigieuse activité durant la guerre dans le cadre, notamment, du Comité national de secours et d’alimentation (CNSA), le pro- pulse alors à l’avant-scène du « high life » bruxellois qu’il ne quit- tera plus ensuite 365. Voyons à présent quelle fonction remplit le CNSA dans la trajectoire des banquiers durant la quatrième période.

La Première Guerre mondiale et l’entre-deux guerres

On ne peut sous-estimer la portée des circonstances de guerre sur le rapprochement de certains représentants des milieux financiers et politiques en Belgique, et sur l’émergence d’une nouvelle géné- ration de décideurs. D’autres ont déjà pu mettre en évidence, dans le cadre de recherches spécifiques et ciblées, l’un ou l’autre élément déterminant en ce sens. Un rapide tableau d’ensemble semble néanmoins utile pour mesurer l’amplitude du phénomène de coopération observé pendant l’occupation allemande de la Belgique. La réaction spontanée et instantanée des banquiers et indus- triels lors de l’entrée en guerre de la Belgique en 1914 fut de deux

365 Son activité philanthropique se concentre surtout dans le domaine de l’éduca- tion et plus spécifiquement l’enseignement supérieur. Mais il est également membre de la Fondation nationale du cancer avec des collègues comme F. Cattier ou A.E. Janssen. 271 www.academieroyale.be

Les grands banquiers belges (1830-1935) ordres. Sur le plan purement technique, il fallait que les diri- geants des établissements bancaires parent, par une intervention rapide, à la menace d’une panique financière incontrôlable que les événements faisaient peser. Un consortium de vingt banques est ainsi constitué le 3 août 1914, à l’initiative des plus grandes personnalités financières de l’époque : le gouverneur de la Société Générale Jean Jadot, son lieutenant à la banque Émile Francqui, le président-fondateur de la Caisse de Reports Paul Dansette, le président de la Banque de Bruxelles Georges De Laveleye et son lieutenant Maurice Despret, et les trois principaux banquiers privés bruxellois Léon Lambert, Franz Philippson et Edouard Empain. La mission de ce consortium dépasse rapidement les objectifs prévus initialement par ses fondateurs. D’organe consti- tué en vue de faciliter les opérations d’escompte entre les ban- ques commerciales et la Banque Nationale, le Consortium des banques, sous l’impulsion principale des dirigeants de la Société Générale, devient rapidement l’interlocuteur privilégié des occu- pants dans la question des réparations de guerre et des problè- mes monétaires liés à la crise 366.

La création et le mode de fonctionnement du Comité national de secours et d’alimentation

Sur le plan pratique, il fallait assurer le ravitaillement en alimen- tation et en biens de première nécessité à la population la plus lourdement touchée par le déclenchement des hostilités et l’occu- pation de la Belgique par les troupes ennemies. C’est dans cette optique que se constitue, autour d’Ernest Solvay et d’un noyau de personnalités – parmi lesquelles la plupart des banquiers ci- dessus cités –, le Comité national de secours et d’alimentation (CNSA), dont la première réunion du comité exécutif se tient le 3 septembre 1914 367. Des comités provinciaux sont bientôt mis en place, envoyant chacun quelques délégués au Comité central qui se réunit de manière hebdomadaire dans la capitale 368. Le rôle assigné au CNSA est de faire parvenir, dans l’ensemble du pays, les aides pécuniaires et matérielles nécessaires à l’approvi-

366 G. Kurgan-Van Hentenryk, « La Société Générale 1850-1934 », in H. Van Der Wee (co), La Générale de Banque 1822-1997, Bruxelles, 1997. 367 À propos de la genèse du CNSA, voir L. Ranieri, Émile Francqui ou l’intelli- gence créative 1863-1935, Paris, Gembloux, 1985, p. 116-129. 368 Des Bruxellois de souche représentent également les provinces, à l’image d’Henri Le Bœuf pour Liège ou Maurice Despret pour le Brabant. 272 www.academieroyale.be

La sociabilité (II) sionnement minimum de la population. Son mode ingénieux d’organisation en étoile, partant du centre décisionnel situé à Bruxelles vers les régions les plus reculées du pays par le biais de comités locaux, assure un relais efficace entre la base et le sommet. Institution humanitaire d’unité nationale, l’association mènera à bien pendant les quatre années de guerre un projet de bienfaisance d’une ampleur et d’un coût jusqu’alors inégalés 369. Tout (ou quasi-tout) ce que l’échantillon de banquiers compte de forces vives au moment des hostilités se mobilise pour le CNSA. Au total, pas moins de 33 banquiers repris dans l’échan- tillon s’engagent dans le processus à l’un ou l’autre niveau de l’organisation. Ils constituent d’ailleurs la colonne vertébrale de l’association. La première liste de membres du CNSA comprend ainsi 20 noms, dont 12 figurent dans la base de données, les autres étant des personnalités officielles comme le bourgmestre de la ville de Bruxelles A. Max ou le grand maréchal de la Cour J. de Mérode 370. Plus de la moitié du comité exécutif est égale- ment constitué de grands banquiers. Près de 50 % de l’ensemble des membres du CNSA appartiennent à l’échantillon. Les autres sont principalement des députés et sénateurs, à l’instar de d’Huart, Franck ou Ruzette. Si l’on exclut les personnalités poli- tiques et diplomatiques du CNSA, pour ne retenir que les indus- triels et les banquiers, on atteint même 75 % de représentants de l’échantillon parmi ceux-ci. Les autres grands banquiers repris dans l’échantillon sont actifs à l’échelon provincial, à Liège et Anvers, mais aussi à Namur ou dans le Hainaut. Au total, trois quarts au moins des 20 banquiers ayant occupé la présidence d’une des grandes banques du pays durant l’entre-deux guerres ont fait partie du CNSA. C’est le cas de tous les présidents des banques bruxelloises. À la lecture de ces données, on ne peut s’empêcher de penser que les banquiers ont été non seulement les initiateurs, mais aussi les principales chevilles ouvrières, bref l’âme du CNSA. On retrouve d’ailleurs dans le projet de société mis en œuvre par l’as- sociation certaines thématiques chères aux grands hommes d’af- faires de l’époque. Premièrement, les autorités du CNSA se bat-

369 Un rapport publié après la guerre estime le montant des secours distribués au 31 décembre 1918 à 1.300 millions de francs. Le montant des vivres facturés pour la Belgique s’élève pour sa part à 2 400 millions. 370 Liste citée dans Rapport général sur le fonctionnement et les opérations du Comité national de secours et d’alimentation. Première partie. Le Comité National, sa fondation, son statut, son fonctionnement, Bruxelles, 1919. 273 www.academieroyale.be

Les grands banquiers belges (1830-1935) tent pour garantir la neutralité de l’institution, à tous les niveaux de décision. L’objectif n’est pas évident à une époque tiraillée par les luttes partisanes. Mais il en va de la crédibilité et de la survie d’une entreprise qui se revendique d’une dimension patriotique. Cette méfiance instinctive vis-à-vis des directives de partis restera de mise lorsque quelques techniciens extraparlementaires d’en- vergure (E. Francqui, G. Theunis, C. Gutt, et M. L. Gérard dans une certaine mesure) seront appelés à animer les gouvernements d’entre-deux-guerres. Une seconde tendance émergente dans les milieux d’affaires se voit amplifiée par les événements de guerre et le rapprochement national qu’ils occasionnent : la lutte contre les tendances centri- fuges et contre le penchant régionaliste des provinces belges. L’esprit de centralisation, fort perceptible au sein du CNSA et de son mode de fonctionnement, présidera également à la restructu- ration par fusions du secteur financier et à l’intensification crois- sante des politiques bancaires d’ancrages locaux par des banques affiliées aux deux grandes banques bruxelloises ou patronnées par elles.

Les retombées du CNSA

Au niveau symbolique, l’épisode du CNSA marque les esprits à plusieurs égards. D’une part, ses dirigeants, qui ont pu prouver leur grande aptitude de gestion, indépendamment des fractures partisanes ou régionales, réussissent de la sorte à incarner un patriotisme national et désintéressé et, partant, réhabilitent la position privilégiée de l’homme d’affaires et du financier dans la sphère publique. D’autre part, la Société Générale réaffirme haut et fort sa position de leader incontestable du monde économique – qui occupe les devants de la scène dans l’administration de la Belgique sous Occupation –, tant à travers l’activité déployée par ses directeurs dans le pays et à l’étranger que par l’utilisation de ses locaux comme plaque tournante des principales instances dirigeantes basées à Bruxelles en temps de guerre 371. Au point de vue des réseaux de relations, l’intensification des transactions professionnelles entre une série de personnalités-clés de la période de guerre et d’immédiat après-guerre déterminera

371 Le Comité national, la Commission for Relief in Belgium, le Consortium des Banques. D’autres établissements bancaires mirent également des bureaux et du personnel au service de CNSA. 274 www.academieroyale.be

La sociabilité (II) certaines alliances commerciales de l’entre-deux-guerres et influencera le phénomène de convergence perceptible dans le sec- teur financier, de même que le rapprochement entre la sphère financière et politique 372. Pour une personnalité comme Georges Theunis, les activités de guerre auprès de la Commission belge du ravitaillement en territoire britannique, puis comme délégué belge à la Commission des réparations sont riches en rencontres décisi- ves : il se lie par exemple avec , alors secrétaire de la Commission for relief in Belgium, qui sera le futur ministre (extra- parlementaire) des Finances dans le gouvernement Theunis (34- 35) ou encore avec Arthur Bemelmans, délégué adjoint à la Com- mission des réparations, qui deviendra bientôt administrateur de la Banque d’Outremer. E. Francqui, la cheville ouvrière et le maître d’œuvre du CNSA, profite de la période de guerre pour asseoir définitivement son influence dans le secteur financier, ce qui fera également de lui une figure incontournable du monde politique de l’entre-deux-guerres. Outre ces deux cas bien connus, de multiples collaborations auront des prolongements concrets dans l’immédiat après-guerre. À nouveau, il serait inutile d’aligner ici l’ensemble des occurren- ces. Contentons-nous de quelques exemples parlants de person- nalités originaires de province. E. Bunge est l’un des hommes d’affaires les plus actifs d’Anvers au début du XXe siècle. Gros négociant (ivoire, caoutchouc, café, cacao, blé), colonial de la première heure, il répartit ses intérêts dans plusieurs grandes banques de la place et de la capitale : d’abord commissaire de la Banque Centrale Anversoise (1894), commissaire de la Banque Internationale de Bruxelles (1899), puis administrateur de la Banque Sino-Belge (1906) administra- teur de la Banque du Congo Belge (1911), président de la Banque de l’Union Anversoise (1911) il présidera la Banque de Reports pendant la guerre (devenu Crédit Mobilier de Belgique). Il est également censeur à la Banque Nationale depuis 1906. Il repré- sente la province d’Anvers au CNSA, et siège à ce titre au Comité national aux côtés des plus hautes personnalités financières du pays. En 1914, Bunge a déjà 63 ans, et son activité au CNSA (dont il est par ailleurs un des plus gros mécènes) lui a permis de consolider ses réseaux avec la capitale. Dans l’après-guerre, Bunge atteint le sommet de sa carrière financière : il ajoute alors à son palmarès déjà si fourni un poste de vice-président à la Banque d’Anvers, ainsi que la présidence de la Banque Générale Belge.

372 A. Henry, L’œuvre du Comité National de Secours et d’Alimentation pendant la guerre, Bruxelles, 1920, p. 73. 275 www.academieroyale.be

Les grands banquiers belges (1830-1935)

L’ancienne génération, représentée par Bunge, côtoie la relève incarnée par Maurice Houtart ou Charles Fabri. Ces derniers profiteront des circonstances de guerre pour imposer leur nom dans la capitale alors qu’ils ne sont encore des hommes d’affaires importants qu’à l’échelle locale. Notables de province, associés chacun à la banque paternelle, ils se font repérer, la quarantaine à peine entamée, dans le cadre de leur activité au CNSA. Fabri consacrera sa carrière d’après-guerre essentiellement à la finance. Houtart ajoutera à son arc la corde politique : il est élu député catholique pour la première fois au sortir de la guerre ; il sera ensuite ministre des Finances de 1925 à 1932. Dans le cadre du CNSA, ces deux personnalités collaborent à de fréquentes occa- sions avec E. Francqui et également avec Louis Franck, futur gouverneur de la Banque Nationale (nommé par le gouverne- ment Francqui-Houtart), alors président du Comité provincial de secours et d’alimentation de la province d’Anvers (et à ce titre, membre du Comité national), avocat et député anversois ; ou encore avec l’homme politique et futur Premier ministre , membre du CNSA comme représentant de l’Œuvre de l’enfance 373. La génération qui prend les rênes du pouvoir économique durant l’entre-deux-guerres est, à une ou deux exceptions près 374, attachée aux mœurs de la Belle Époque pendant laquelle ses représentants ont entamé leur carrière professionnelle. Encore fort imprégnée des modes de sociabilité en vigueur durant cette période de relative insouciance, elle doit toutefois s’adapter aux instabilités économiques résultant de la Grande Guerre, à l’en- trée en force de l’État comme acteur de la vie sociale et au par- tage du pouvoir politique avec de nouvelles couches de la popu- lation, porteuses de nouvelles revendications.

Les groupements d’intérêts économiques

La situation économique et financière préoccupante de la Belgi- que pendant l’entre-deux-guerres incite les dirigeants politiques – dont on verra qu’ils se composaient partiellement, à partir du milieu des années 1920, de personnes issues des milieux d’affaires

373 Rapport général sur le fonctionnement et les opérations du Comité national de secours et d’alimentation. Première partie. Le Comité National, sa fondation, son statut, son fonctionnement, Bruxelles, 1919, p. 40. 374 Comme le jeune René Boël qui naît en 1899. 276 www.academieroyale.be

La sociabilité (II)

– à constituer des organes parastataux s’intéressant à la gestion économique. Un petit noyau de banquiers joue un rôle détermi- nant dans le Comité consultatif financier, le Conseil du fonds d’amortissement et le Comité du Trésor mis en place en 1926 (voir Chapitre 6). En 1930, un nouvel arrêté royal crée le Conseil économique, au sein duquel l’élément industriel est prédominant et dont la fonc- tion centrale est de seconder le gouvernement dans sa mission de redressement économique. Parmi les 31 membres du Conseil éco- nomique, début 1931, réuni sous la présidence de Georges Theu- nis, 8 sont de grands banquiers, rompus aux réalités des affaires et appartenant aux groupes les plus importants 375. Selon un observateur de l’époque, le Conseil économique parvint certes à rassembler, par le biais d’enquêtes destinées aux entreprises, « un nombre de documents intéressants, mais son action sur la politi- que gouvernementale demeura extrêmement faible » 376. Suite aux dissensions internes et aux réticences du gouvernement à son égard, le Conseil économique n’eut qu’une existence éphémère : il fut dissous en juillet 1931. À côté de l’énorme influence qu’une poignée de personnalités (principalement E. Francqui, A. van de Vyvere et G. Theunis) acquiert au sein même des structures étatiques et parastatales, de puissants groupes de pression continuent à agir en dehors des organes officiels 377. Dépeignons l’évolution d’un des groupes les plus caractéristiques de l’époque, la Ligue de l’intérêt public (1926), qui se situe à l’intersection des groupements économiques passés en revue ci-dessus. Maurice Despret est président de la Banque de Bruxelles et fraîchement coopté sénateur catholique quand le gouvernement bi-partite Poullet-Vandervelde (1925-1926) accède au pouvoir. Rapidement, le sénateur désapprouve la politique de ce gouver- nement progressiste. Il décide dès lors de soutenir son travail

375 G. Theunis et A. Galopin pour la Société Générale, W. Thys pour la Banque de Bruxelles, A. Simonis ex-Banque d’Outremer, J. Ingenbleek pour le Crédit Anversois, un membre de la famille Kreglinger pour la Banque Centrale Anver- soise, E. Janssen pour la Mutuelle Solvay, J. Van Zuylen pour le Crédit Général Liégeois et la Banque Liégeoise réunis. 376 F. Baudhuin, Histoire économique de la Belgique 1914-1939, t. I, Grandeurs et misères d’un quart de siècle, 2e édition, Bruxelles, 1946, p. 295. 377 Pour une définition du « groupe de pression », P. H. Claeys, Groupes de pres- sion en Belgique. Les groupes intermédiaires socio-économiques (contribution à l’analyse comparative), Bruxelles, 1973, p. 65. 277 www.academieroyale.be

Les grands banquiers belges (1830-1935) d’opposition parlementaire contre la politique gouvernementale par la création d’une Ligue de l’intérêt public. Le puissant appa- reil de propagande que constitue cette ligue, comptant dès mars 1926 plus de 200 000 membres recrutés, entre autres, auprès de groupements économiques établis (tels le Comité central indus- triel, les chambres de commerce ou la Société belge des ingénieurs et des industriels), viendra à bout de l’alliance inédite (par ailleurs fortement critiquée) socialistes-démocrates chrétiens qui, dans sa chute, mettra pour un temps les rêves de pouvoir de la gauche socialiste en suspend. L’épisode très circonscrit de l’action de la Ligue de l’intérêt public est exemplaire des canaux de transmission existant entre les différentes associations d’intérêts économiques héritées des périodes antérieures. En l’occurrence, l’objet de divergence entre les milieux capitalistes et le gouvernement concerne les chances de succès de la politique financière et monétaire de l’équipe diri- geante. La source du mouvement de grogne se situe dans le giron de la Banque de Bruxelles : Maurice Despret, l’instigateur, est président de la banque et président de la Ligue de l’intérêt public. Maurice Houtart, administrateur de la Banque de Bruxelles, pré- side la commission d’études financières de la ligue. Emile Digneffe, alors président de la Banque Liégeoise mais bientôt administra- teur de la Banque de Bruxelles, préside la deuxième des trois commissions de la ligue, consacrée aux matières administratives. Nombreuses sont les tribunes qui s’ouvrent d’emblée au chef de file du mouvement pour faire entendre son vigoureux plaidoyer. Ainsi que le décrit Vanthemsche, M. Despret organise des confé- rences au Comité central industriel (CCI), au Jeune Barreau de Bruxelles, dans les chambres de commerce, … Le mouvement d’opinion est entamé par Despret à la fin de l’année 1925. Le gouvernement jettera le gant début mai 1926. L’action n’aura duré que quelques mois, riches en conflits amplifiés par l’intensité de la crise financière 378. Il n’est pas anodin qu’une personnalité comme Maurice Des- pret ait pu échafauder une campagne de propagande d’une telle envergure. Héritier – dans le sens le plus large du terme – du directeur de la Générale Edouard Despret, Maurice est déjà, avant-guerre, au centre d’un vaste réseau de sociabilité touchant

378 G. Vanthemsche, « De val van de regering Poullet-Vandervelde : een « samen- zwering der bankiers » ? », in Revue Belge d’Histoire Contemporaine, IX, 1978, 1-2, p. 180-185. 278 www.academieroyale.be

La sociabilité (II) le champ politique, culturel, les cercles « sportiques », les associa- tions de bienfaisance, les groupements professionnels. Par sa sta- ture de notable héritée de la Belle Époque, Despret incarne mieux que quiconque l’ennemi déclaré d’un gouvernement se réclamant de la mouvance progressiste. Grâce à son héritage familial et à sa situation personnelle, il possède une marge d’action considérable que seul un petit nombre de personnalités éminentes est en mesure de lui disputer. Parmi les groupes de pression permanents, le Comité central industriel commence à « prendre une grande importance après la Première Guerre mondiale », selon les propres mots de l’observa- teur averti qu’est F. Baudhuin 379. Quelques chiffres illustrent cette progression. En 1937, le CCI compte pas moins de 179 groupements affiliés. À la veille de la Seconde Guerre mondiale, la population ouvrière occupée par les groupements affiliés s’élève à environ 1.100 000 personnes. En 1930, à la fin du long mandat de J. Carlier à la présidence de l’association, le CCI fait appel, pour le remplacer, à des personnalités plus proches des milieux financiers. Son successeur, Jean-Baptiste de Hemptinne, est un grand industriel du coton originaire de la région gantoise, par ailleurs administrateur du Crédit Général de Belgique. Il est rem- placé en 1934 par Léon Guinotte, administrateur de la Banque de Bruxelles depuis la guerre. Deux ans plus tard, c’est au tour de Lucien Graux de prendre la relève : technicien fort actif dans les groupements d’anciens ingénieurs, Graux est depuis 1925 le beau-père de l’homme d’affaires coloniales et ancien administra- teur de la Banque d’Outremer Gaston Périer. Enfin, celui que Baudhuin qualifie de « chef effectif » de l’organisation à cette époque, l’administrateur général et porte-parole, n’est autre que Gustave-Léo Gérard, le frère jumeau de Max-Léo, ministre et futur président de la Banque de Bruxelles. Il semblerait toutefois – mais la composition restreinte de l’échantillon ne nous permet pas d’arrêter un jugement définitif à ce sujet – que le CCI et le monde de la finance s’interpénètrent assez peu malgré la présence encore importante des industriels dans les conseils d’administration des grands établissements ban- caires. Toutefois, les liens familiaux décrits dans la première partie de ce travail assurent aux patrons du monde bancaire une présence indirecte au CCI par le biais de parents proches. À l’ins-

379 F. Baudhuin, Histoire économique de la Belgique 1914-1939, t. II, Évolution des principaux facteurs, 2e édition, Bruxelles, 1946, p. 371. 279 www.academieroyale.be

Les grands banquiers belges (1830-1935) tar des relations entre banque et organisations politiques avant- guerre, les liens entre sphère financière et groupements d’intérêts économiques peuvent prendre des voies détournées qui n’en sont pas moins efficaces. Une prosopographie des dirigeants du CCI permettrait de tester l’hypothèse. La mouvance patronale catholique, pour sa part, s’appuie sur deux grands formats du monde financier. Georges Theunis fait partie des membres fondateurs, en 1920, de l’Union d’action sociale chrétienne – devenue en 1933 l’Association des patrons et ingénieurs chrétiens (APIC) –, au départ un simple « cercle de réflexion et de débats sur l’action sociale du chef d’entreprise » selon les « principes de justice et de charité que [lui] dictaient [ses] convictions religieuses » 380. En 1933, dans la droite ligne de ces premières fondations, les patrons catholiques francophones (issus de l’APIC) et flamands créent une Fédération des patrons catho- liques, présidée par le ministre d’État Theunis. En tant que membre actif de l’APIC, Alexandre Galopin, le futur gouverneur de la Société Générale, contribue également à l’émergence de ce groupement patronal catholique structuré. Durant l’entre-deux-guerres, les ententes patronales et écono- miques européennes et internationales connaissent un développe- ment important. Contribuent au processus, un petit nombre de financiers belges au carnet d’adresses outre-frontières bien garni, le plus souvent à la faveur d’une activité considérable déployée dans les commissions et comités internationaux de l’époque. Ainsi, l’incontournable G. Theunis, dont on connaît l’influence majeure dans la politique belge relative aux réparations de guerre, préside la Chambre internationale de commerce à Paris entre 1929 et 1931. Après lui, un autre financier qui avait mis ses compéten- ces au service du gouvernement, A.E. Janssen, occupera la vice- présidence de cette chambre internationale. En outre, M. Des- pret et G. Theunis présideront tour à tour la délégation belge à la Chambre internationale de commerce, de la fin des années 1920 jusqu’à 1950. Après la Seconde Guerre mondiale, Theunis sera le co-fondateur et président d’honneur de l’Association belgo-amé- ricaine, tandis que L. Janssen et R. Boël animeront la Ligue euro- péenne de coopération économique. Dans le domaine colonial, la fonction centralisatrice qu’a pu jouer l’Institut colonial international, dont faisaient partie tous les

380 R. Brion, P. Hatry, J. L. Moreau, T. Peeters, 100 ans pour l’entreprise, Fédé- ration des Entreprises de Belgique (1895-1995), Bruxelles, 1995, p. 29-30. 280 www.academieroyale.be

La sociabilité (II) grands banquiers belges de l’époque, a déjà été soulignée ci- dessus. L’étude des réseaux internationaux dépasse toutefois le cadre de cette recherche. Les exemples cités ici ne sont que des indices pour celui ou celle qui voudrait approfondir l’exploration de la question. À l’échelon national, il me faut encore indiquer la fondation de l’Association belge des banques en 1936 381. Cette tribune spé- cifiquement réservée aux acteurs du secteur bancaire voit le jour assez tardivement si on place sa création dans la perspective des fondations de groupements économiques sectoriels. Elle est une réponse de la profession aux nouvelles règles du jeu auxquelles le secteur bancaire doit se plier suite à la promulgation des arrêtés royaux de 1934-35 concernant la scission des banques mixtes et le contrôle bancaire. Ces arrêtés instituent la séparation entre les banques de dépôts et les holdings financiers et imposent un contrôle régulier des activités bancaires par l’entremise d’une commission bancaire 382. Le bureau réduit de l’Association belge des banques sera composé des personnalités les plus éminentes du secteur bancaire, issues des principales banques privées et ban- ques par actions.

L’évolution des autres lieux de sociabilité

La mise en place progressive de l’interventionnisme social de l’État et les nouveaux rôles qui lui sont désormais dévolus ont des conséquences sur la constitution de nouveaux réseaux phi- lanthropiques et sur l’essoufflement relatif des canaux plus anciens. À Bruxelles, la désaffection par les banquiers à l’égard des anciennes institutions de bienfaisance traditionnelles est per- ceptible, bien que ténue. À la Société royale de philanthropie de Bruxelles, on retrouve encore parmi les membres du conseil d’ad- ministration et du conseil général en poste l’année du centenaire de l’association (1928), outre quelques légataires de familles phi- lanthropes comme Frédéric Brugmann ou Joseph May-de Bauer, des notables du nom d’Edmond Carton de Wiart (Société Géné- rale), Jules Descamps-Puissant (Banque de Bruxelles), Léon Van der Rest (ex Crédit Général Liégeois, gouverneur honoraire de la Banque Nationale). Edmond Carton de Wiart, secrétaire hono-

381 L’Association belge des Banques 1936-1986, Bruxelles, 1987. 382 Voir G. Vanthemsche, « L’élaboration de l’arrêté royal sur le contrôle bancaire (1935) », in Revue Belge d’Histoire Contemporaine, XI, 1980, 3, p. 389-435. 281 www.academieroyale.be

Les grands banquiers belges (1830-1935) raire du Roi, est par ailleurs le seul banquier de l’échantillon à rejoindre l’Œuvre de l’hospitalité durant l’entre-deux-guerres, après la disparition de la génération des banquiers-fondateurs. Dans ces associations vénérables, la traditionnelle neutralité philosophique et politique reste de mise. Elle doit toutefois s’adapter aux conditions sociales de l’entre-deux-guerres. À la Société de philanthropie, on crée des œuvres d’assistance ou de prophylaxie destinées, entre autres, à combattre le nouveau fléau de la tuberculose. Auprès de l’Œuvre de l’hospitalité, on tente désormais d’insérer l’hébergé dans un processus de réadaptation sociale assez complet. Parmi les nouvelles associations, les socié- tés actives dans le domaine médical ou dans le domaine de l’en- fance reçoivent les faveurs des banquiers influents durant l’entre- deux-guerres. La Ligue nationale belge contre la tuberculose mobilise les éner- gies des Good, Allard, de Lantsheere, Janssen et Le Bœuf. Char- les Good, Georges Theunis et Emmanuel Janssen exerceront de hautes responsabilités auprès de l’Œuvre nationale de l’enfance 383. À la Fondation nationale du cancer collaborent A. E. Janssen et les directeurs de la Générale E. Francqui, F. Van Brée et F. Cat- tier. Autour de la Croix-Rouge du Congo, présidée par l’adminis- trateur de la Banque de Bruxelles Pierre Orts entre 1926 et 1952, se regroupe un petit cercle de « coloniaux » – dont F. Van Brée et G. Périer – également membres du Cercle royal africain et de l’Institut colonial international. Sur le plan culturel, les modes de sociabilité n’évoluent guère et les structures en place avant-guerre se maintiennent. La ten- dance marquante de l’entre-deux-guerres concerne le mécénat particulièrement développé des banquiers de l’échantillon envers les grandes institutions muséales. Ainsi, deux générations de ban- quiers issus de tous les horizons se mobilisent activement autour des musées royaux de Bruxelles. Les Musées Royaux d’Art et d’Histoire reçoivent le soutien des Van Overloop, Despret, Stoclet puis Theunis. La destinée des Musées Royaux des Beaux-Arts suscite la sollicitude de Léon Lambert, Léon Janssen, Franz Philippson, Léon Cassel, Maurice Despret, Gaston Périer, Emile Tournay, René Boël, par l’inter- médiaire du Comité de patronage, de l’Association des amis des musées royaux des beaux-arts ou de la Commission administrative.

383 Instituée en 1919, elle a pour attributions d’encourager et développer la protec- tion de l’enfance. Elle est subsidiée annuellement par le Trésor public. Œuvre Nationale de l’Enfance, règlement, Bruxelles, 1923. 282 www.academieroyale.be

La sociabilité (II)

Notons également la forte activité des banquiers auprès de la Com- mission royale des monuments et sites, où l’on recense Edouard de Meeus, Edmond Carton de Wiart, Gustave Francotte, Maurice Despret, Charles Dietrich. Une analyse en profondeur des insti- tutions citées pourrait venir affiner ces observations. Adversaires dans la sphère professionnelle, partenaires en dehors, les banquiers en activité à Bruxelles gravitent dans des cercles dont les contours mouvants ne peuvent être délimités en termes conventionnels. Comme la biographie fouillée du grand mécène et banquier Henri Le Bœuf le démontre pour l’époque 384, c’est une conjonction de critères, des affinités philosophiques aux sympathiques esthétiques, de la cohésion de classe aux collabora- tions d’affaires, du devoir familial à l’ambition personnelle, qui déterminent les réseaux majeurs dans lesquels le banquier déci- dera d’évoluer. Comme facteur de cohésion, la vie culturelle autour des musées royaux joue un rôle important durant l’entre- deux-guerres, au même titre qu’une adhésion aux grands cercles d’agrément ou qu’une passion pour un des sports en vogue.

384 V. Montens, Le palais des Beaux-Arts. La création d’un haut lieu de culture à Bruxelles (1928-1945), Bruxelles, 2000, principalement p. 34-44. 283 www.academieroyale.be www.academieroyale.be

Chapitre VI

Banque et politique

Dès la création des institutions politiques de la Belgique, les milieux d’affaires y sont représentés en nombre. Non seulement l’échelon communal mais aussi les deux chambres parlementaires comprennent d’emblée de nombreux élus issus de la grande industrie, du négoce et de la finance. Leur présence au sein des organes dirigeants de la nation ne faiblira pas pendant le premier siècle d’existence du pays. Milieux politiques et milieux d’affaires ne constituent pas, en réalité, deux sphères distinctes et autonomes dont l’historien aurait à faire ressortir les points de convergence. Affaires et poli- tique sont deux dimensions intimement liées dans la vie des clas- ses dirigeantes au XIXe siècle 385. Dans le grand bourgeois du XIXe se combinent, à des degrés divers selon les personnalités étudiées, ces deux facettes qui se recouvrent fortement : l’homme politique, qui ne perd jamais de vue ses intérêts privés et l’homme d’affaires, qui est tenu de composer avec les intérêts collectifs. L’activité politique des banquiers peut se concevoir comme un aspect parmi d’autres de leur vie sociale et, à ce titre, ce chapitre pourrait s’intégrer dans l’analyse des réseaux de sociabilité du chapitre précédent. Les associations et les cercles politiques sus- citent et renforcent des liens idéologiques et affectifs qui ont des retombées professionnelles. Toutefois, l’étude des activités politi- ques des banquiers dépasse le cadre de ces réseaux sociaux. Elle illustre également de manière spécifique le rapport au pouvoir de la catégorie sociale étudiée. Dans quelle proportion les banquiers

385 Voir à ce sujet le rôle politique des régents de la Banque de France décrit par Plessis dans A. Plessis, Régents et gouverneurs de la Banque de France sous le Second Empire, Genève, 1985, p. 159.

285 www.academieroyale.be

Les grands banquiers belges (1830-1935) se sont-ils investis en politique, et à quelles fins ? Quelle est leur influence tangible sur les décisions politiques et dans quelle mesure ont-ils agi comme représentants du monde bancaire ? Quelle est la frontière entre finance et politique ? Ces questions méritent un traitement séparé.

Le poids de la fonction politique

Nombre d’éligibles

Jusqu’en 1893, la Belgique vit sous le régime électoral censitaire : la politique, envisagée comme un devoir (une responsabilité) et non comme un droit, est aux mains d’une minorité de nantis qui en contrôlent tous les rouages, à la fois comme électeurs et comme éligibles. Jusqu’en 1846, le nombre des électeurs pour les deux chambres parlementaires ne dépasse pas 50 000 personnes pour une population d’environ 4 millions d’habitants. Un peu moins restrictive pour les élections provinciales et communales, la législation n’en exclut pas moins l’immense majorité de la population. À la veille de la modification électorale de 1893, il n’y a encore que 136.775 électeurs « généraux » appelés à élire les représentants de la nation aux législatives. Le suffrage universel masculin tempéré par le vote plural, voté en septembre 1893, ne modifie pas complètement la donne : la proportion d’électeurs par habitants passe de 2 à 22 %, mais les leviers politiques, tant sur le plan local que sur le plan national, restent actionnés par une minorité dirigeante qui se partage entre les deux plus anciens partis, les libéraux et les catholiques 386. Avec l’émergence du progressisme et du radicalisme, de la démocratie chrétienne, du socialisme, du mouvement flamand, d’autres voix commencent à se faire entendre, d’autres revendi- cations demandent à être entendues. La « classe dirigeante », comme elle se nomme elle-même au XIXe siècle, doit commencer à prendre en considération les intérêts nouveaux de couches de la société jusqu’alors muselées. Les héritiers de cette « classe diri- geante », les fils et petits-fils des grands bourgeois du XIXe siècle, sont encore aux commandes après la Première Guerre mondiale. Mais ils ne sont plus seuls. Le parti socialiste accède au pouvoir en temps de crise. Les partis, du côté catholique comme du côté libéral, sont tiraillés entre leurs extrémités conservatrice et réfor-

386 P. Delwit, J.-M. De Waele, P. Magnette, Gouverner la Belgique. Clivages et compromis dans une société composite, Paris, 1999, p. 34. 286 www.academieroyale.be

Banque et politique miste. Comme le note G. Vanthemsche, « les associations de toutes sortes foisonnent : organisations paysannes, syndicales, patronales et de classes moyennes sont créées à la fin du XIXe siècle et au début du XXe siècle. Petit à petit, elles vont être associées à l’exercice du pouvoir politique 387. » Sur le plan politique, l’entre- deux-guerres est une période de transition, d’intégration de nou- velles couches de la société dans les organes dirigeants. Les banquiers appartiennent à la classe possédante qui domine le paysage politique du XIXe siècle. 120 d’entre eux sont directe- ment éligibles au Sénat (et appartiennent donc aux 4.183 nota- bles les plus imposés du royaume) 388. Parmi ces 120 éligibles, 95 le sont à cens complet (sur un total de 2.277), 25 sont éligibles complémentaires (payant moins de 2.116 francs d’impôt, c’est-à- dire la limite inférieure fixée par la Constitution). À ces 120, s’ajoutent 70 banquiers issus de familles dont un membre au moins remplit les conditions d’éligibilité. Sur les 458 individus de l’échantillon complet élargi aux commissaires, 190 proviennent donc des familles les plus fortunées du pays. Par ailleurs, l’éligi- bilité repose sur des critères de fortune qui ne prennent pas en compte les nouvelles formes d’enrichissement : les cinq impôts directs intervenant pour le calcul du cens sont la contribution foncière, la contribution personnelle, le droit de patente, la rede- vance sur les mines et le droit de débit de boissons et de tabac. Les nouvelles dynasties d’hommes d’affaires qui émergent au XIXe siècle n’ont pas toutes le souci d’asseoir leur fortune nou- vellement acquise sur une assise foncière 389. Or, comme le note J. Stengers, « pour atteindre le cens d’éligibilité, il faut, en géné- ral, payer une importante contribution foncière » 390. Le patri- moine mobilier n’entre pas en compte dans le calcul d’imposi- tion. Pourtant, beaucoup de fortunes récentes se bâtissent sur l’acquisition d’actions de sociétés.

387 G. Vanthemsche, Les paradoxes de l’État. L’État face à l’économie de marché, XIXe et XXe siècles, Bruxelles, 1997, p. 46. 388 En considérant que, dans de nombreux cas, une même famille compte plusieurs éligibles, les membres de l’échantillon et leur famille constituent plus d’un dixième des éligibles au Sénat (un peu plus de 420 noms). J. Stengers (dir), J.‑L. De Paepe, M. Gruman, H. Schoeters, G. Kurgan-Van Hentenryk (coll), Index des éligibles au Sénat (1831-1893), Bruxelles, 1975, p. 67-68. 389 Le gouverneur de la Société Générale Ferdinand Baeyens, qui a connu une ascension sociale hors du commun, n’a jamais été éligible. Deux de ses héritiers se retrouvent pourtant dans l’échantillon : Fernand Puissant Baeyens (son petit-fils) et Marcel Baeyens (son fils). 390 J. Stengers (dir), Index des éligibles au Sénat (1831-1893), Bruxelles, 1975, p. 36. 287 www.academieroyale.be

Les grands banquiers belges (1830-1935)

G. Kurgan a souligné que les directeurs de la Société Générale (la première banque du pays) ne sont pas tous éligibles au Sénat au cours du XIXe 391. Jusqu’en 1885, seule la moitié des adminis- trateurs des deux grandes banques bruxelloises est éligible 392. De nombreuses personnalités éminentes de la finance et notables en vue ne sont pas répertoriées dans la liste des éligibles. Ainsi, par exemple, le banquier J. G. Mettenius, né à Francfort en 1777, vivant à Bruxelles depuis 1797, conseiller communal de la ville, négociant de premier ordre, commissaire de la Société Générale à sa création, administrateur de la Banque de Belgi- que jusqu’en 1845 393, banquier privé de Guillaume Ier et de Léopold Ier, n’est pas repris dans la liste des éligibles. Les Bis- choffsheim sont éligibles, tandis que les Oppenheim, Wiener, Stern n’ont aucun membre inscrit dans les listes à Bruxelles, pas plus que les Demonceau, à Liège. Jean-Henri Demonceau (1791- 1856), fils de négociant, administrateur-fondateur et directeur de la Banque Liégeoise, échevin des finances de sa ville, commis- saire de district, fondateur dès 1833 du Lion Belge (société d’as- surance), est pourtant une personnalité clé de la région. Son frère Grégoire sera d’ailleurs député de 1835 à 1854. Soulignons que le fait même de siéger au conseil d’administra- tion d’une grande banque du pays, et donc d’être propriétaire d’une part plus au moins importante de son capital, tendrait à indi- quer, même pour les banquiers dont on ne connaît pas précisément la fortune, que les membres de l’échantillon en âge de voter sous le régime censitaire (pour autant qu’ils aient la nationalité belge) sont tous électeurs et peuvent facilement s’acquitter du cens maximum prévu par la Constitution, à savoir 100 florins.

Nombre de mandats locaux ou nationaux

Une proportion considérable des banquiers a occupé une charge politique. Sur les 458 individus de l’échantillon complet, 95 ont été parlementaires, 59 conseillers communaux, 36 conseillers provin- ciaux, 33 bourgmestres, 33 ministres. Par ailleurs, 7 ont été gou- verneurs de provinces, et 23 ministres d’État. Beaucoup ont

391 G. Kurgan-Van Hentenryk, Gouverner la Générale de Belgique. Essai de biographie collective, Bruxelles, 1996. 392 15 sur 28 pour la Banque de Belgique ; 15 sur 30 pour la Société Générale. 393 Le rôle important tenu par Mettenius dans la finance des deux premières décennies de l’État belge est perceptible dans les lettres publiées par G. Gilles, Lettres adressées à la Maison Rothschild de Paris par son représentant à Bruxelles, 2 tomes, Louvain-Paris 1961 et 1963. 288 www.academieroyale.be

Banque et politique cumulé plusieurs fonctions au fil de leur carrière politique. Sur l’ensemble, 127 banquiers ont obtenu un mandat public, soit 28 % de l’échantillon (sans compter E. Francqui, le seul ministre extra- parlementaire de l’échantillon n’ayant jamais siégé au Sénat ou à la Chambre 394). Un quart d’entre eux – soit 32 banquiers – a joué un rôle à l’échelon communal ou provincial sans avoir détenu de mandat national. La même proportion – soit 33 banquiers – a été exclusivement parlementaire. La moitié des banquiers impliqués en politique, soit 62 individus, ont cumulé ou enchaîné responsa- bilités locales et nationales. Soulignons encore que parmi les 59 conseillers communaux, 47 le sont dans les grandes villes du pays : 19 à Bruxelles, 11 à Anvers, 8 à Liège, 5 à Gand et 4 à Verviers.

Tableau 31. – Proportion des banquiers ayant exercé un mandat politique (local ou national) (en %)

Un mandat national ou local 28% Parlementaire : 21% Conseiller communal 13% Conseiller provincial 8% Bourgmestre 7% Ministre 7%

Tableau 32. – Proportion des banquiers ayant détenu un mandat politique (local ou national) (en %)

Banquiers nés avant 1820 36% Banquiers nés entre 1820 et 1849 33% Banquiers nés entre 1850 et 1879 23% Ensemble 28%

Ces statistiques recoupent partiellement les données compilées par D. L. Augustine dans sa recherche consacrée aux hommes d’affaires allemands les plus fortunés à la fin du XIXe siècle et au début du XXe siècle. Dans l’étude d’Augustine, un quart des hommes d’affaires détient un mandat public, dont 59 % sur le plan local ou à l’échelle du district. Par comparaison à l’étude allemande, la proportion de ban- quiers actifs à l’échelon national en Belgique à la fin du XIXe siècle

394 G. Theunis, A. Janssen et J. Ingenbleek, ministres extraparlementaires, ont tous trois été sénateurs. 289 www.academieroyale.be

Les grands banquiers belges (1830-1935) est cependant nettement plus élevée. 25 % des banquiers belges détiennent un mandat national au début du XXe siècle, pour seu- lement 10 % des hommes d’affaires allemands les plus riches à la même époque. Augustine ne compte d’ailleurs que 11 individus de son échantillon (sur 484 au total) parmi les représentants au Reichstag. Cet auteur constate en outre une diminution de l’in- vestissement politique pour les générations nées après 1850. Parmi les industriels actifs en 1907 en Allemagne, seul 1/7 des individus détient un mandat politique. Comme l’indique le tableau 32, on se situe encore au-dessus des 20 % chez les ban- quiers belges nés entre 1850 et 1879 395. Durant l’entre-deux-guerres, les banquiers belges sont encore bien présents en politique, tant au Parlement que dans plusieurs gouvernements de crise. 18 % des banquiers en fonction après 1918 ont ainsi détenu une responsabilité politique, que ce soit à l’échelon national ou, plus rarement, au niveau communal exclu- sivement. En Allemagne et en France, la présence des grands hommes d’affaires au Parlement se fait rare après la Première Guerre mondiale. En Angleterre, par contre, l’attraction des ins- titutions politiques demeure relativement vivace auprès des clas- ses capitalistes. Une étude de Giddens et Stanworth consacrée aux administrateurs des plus grandes sociétés anglaises durant les trois premiers quart du XXe siècle montre que 17 % des « chairmen » anglais sont politiquement actifs à l’échelon natio- nal ou local. Les auteurs distinguent toutefois des variations importantes selon les secteurs : ainsi, les proportions passent de 41 % pour les administrateurs de sociétés de chemins de fer à 0 % dans le cas de l’industrie pétrolière pour laquelle les auteurs n’ont relevé aucune occurrence. Précisons que cette forte présence de banquiers belges en politique ne présume en rien du comporte- ment politique des autres catégories de capitalistes belges. Les scandales de collusions politico-industrielles qui ont secoué le pays durant l’entre-deux-guerres laissent malgré tout penser que les liens entre la politique et le monde des affaires a largement dépassé le cercle restreint des banquiers de l’échantillon.

Enjeux matériels et symboliques du mandat politique

L’accès massif des banquiers au Parlement et leur présence nom- breuse au sein des conseils communaux des grandes villes au

395 D. L. Augustine, Patricians and parvenus, Wealth and High Society in Wilhelmine Germany, Oxford-Providence, 1994, p. 48. 290 www.academieroyale.be

Banque et politique

XIXe siècle, sont deux signes tangibles de la position dominante du milieu étudié. Comme ailleurs en Europe, la détention d’un mandat parlementaire, l’obtention d’une charge ministérielle ou l’exercice de responsabilités communales, bref les canaux d’in- fluence que B. W. Mach et W. Wesolowski ont défini comme le capital politique 396, font partie d’un ensemble d’acquis, au même titre que le capital économique et culturel, qui positionnent le notable au sommet de la pyramide sociale et lui offrent le moyen d’accumuler les pouvoirs et de convertir ses ressources d’une forme de capital en une autre (en capital financier, par exemple). Les intérêts matériels directs, régionaux et sectoriels, que les hommes d’affaires sont amenés à défendre dans l’arène politique ne justifient pas à eux seuls leur engagement dans la vie publique. Des enjeux moins directement palpables entrent aussi en considé- ration dans leur choix : le renforcement symbolique de leur appar- tenance à l’élite (ou pour les individus en phase d’ascension sociale, le signe de leur réussite), la facilitation de leur accès aux sommets hiérarchiques des espaces de sociabilité (les associations philanth- ropiques et charitables, les rassemblements culturels, les groupes de loisirs) et, partant, un élargissement des réseaux d’influence et un meilleur positionnement dans les réseaux d’information. Raoul Warocqué, le « Seigneur de Mariemont » décrit par M. Van den Eynde, à qui le destin avait tout offert dès le plus jeune âge (fortune, rang social, large tissu de relations) et qui ne fut jamais un politicien assidu, ne boudait jamais son plai- sir aux lendemains de ses victoires électorales : il les fêtait par de bruyants et grandioses feux d’artifice, signifiant l’importance symbolique de son triomphe 397. Quel que soit le domaine de pouvoir que le notable est appelé à intégrer, les répercussions bénéfiques de son avancement s’en ressentent dans chacun des autres domaines où il est actif et sa position symbolique au sein de l’élite en est fortement consolidée. Une promotion en occasionne généralement une autre. En schématisant un peu, c’est le juge au Tribunal de Com- merce et membre de la Chambre de commerce de Bruxelles, Fré- déric Fortamps, par ailleurs trésorier et membre du conseil du Refuge des Ursulines (poste hérité de son père), qui est désigné administrateur de la Banque de Belgique en 1858. C’est l’admi-

396 B.W. Mach, W. Wesolowski, Social Mobility and Social Structure, London- New-York, 1986, p. 85. 397 M. Van Den Eynde, Raoul Warocqué, seigneur de Mariemont, 1870-1917, Mariemont, 1970, p. 121. 291 www.academieroyale.be

Les grands banquiers belges (1830-1935) nistrateur Fortamps qui est élu au Sénat en 1859. C’est le séna- teur et administrateur Fortamps qui obtient encore la présidence du Tribunal de Commerce, cette année-là. Les exemples de la sorte peuvent être multipliés à l’envi, prouvant s’il le fallait encore la nécessaire diversité des fonctions d’influence dans un environ- nement social qui valorise le prestige lié à certaines occupations privilégiées. Un poste de responsabilité ou une charge en vue, quel qu’en soit le domaine, est une étiquette de respectabilité comme le sont une récompense ou une décoration 398. Les titres que les notables aiment apposer aux côtés de leur nom dans les listes officielles prouvent l’importance du cumul des preuves de réussites. Consul, officier d’ordonnance du Roi, professeur à l’université, officier de la garde civique, président d’un cercle de sociabilité ou d’une association philanthropique sont des occupations connexes qu’il est de bon ton de faire mentionner dans les annuaires mon- dains 399. Au sommet de la hiérarchie symbolique des signes de notabilité se trouve incontestablement la fonction politique à l’échelon national : députés, sénateurs ou ministres ne manquent aucune occasion de le signifier de manière démonstrative.

Les réseaux politiques à la fondation des banques

Je ne m’attarderai pas plus longtemps sur les aspects symboli- ques liés aux fonctions politiques. Je n’analyserai pas non plus ici les trajectoires individuelles qui, par comparaison entre elles, peuvent nous donner des renseignements précieux sur les raisons variées des engagements politiques de banquiers. Mon propos est de me centrer plutôt sur les implications concrètes de la forte présence des banquiers en politique afin de tenter de décrire les rapports ambigus que le monde des affaires a pu entretenir avec l’État. Il s’agit, dans un premier temps, de cerner les contextes au sein desquels les grandes banques étudiées ont vu le jour, et les milieux qui ont présidé à ces fondations.

398 A. Giddens, « Élites in the British class structure », in P. Stanworth, A. Giddens, Elites and Power in British Society, Cambridge, 1974, p. 24. S. Eldersveld, Political Élites in Modern Societies, Empirical Research and Democratic Theory, Ann Arbor, 1993, (4e éd), p. XIII. 399 Voir par exemple Tout Bruxelles 1903-1904, Bruxelles, 1904. L’analyse des faire-part de décès fournit également de précieux renseignements à ce propos. 292 www.academieroyale.be

Banque et politique

À l’exception de la Banque de Belgique, qui intègre d’emblée des représentants de tous bords (bruxellois, anversois et liégeois, catholiques et libéraux, bourgeois et nobles) afin, sans doutes, d’associer un éventail le plus large possible de capitalistes à ce projet ambitieux et risqué, toutes les autres banques du XIXe siècle plongent leurs racines dans un terreau socialement assez cohé- rent lors de leur création.

La Société Générale La Société Générale des années 1830 a un ancrage nettement bruxellois qui a déjà été mis en évidence dans des études antérieu- res : largement présents au conseil communal bruxellois, forte- ment implantés à la chambre du commerce, les directeurs, malgré des différences significatives d’origines sociales et d’opinions phi- losophiques, ont tous tissé des relations étroites avec la capitale et noué des alliances matrimoniales (parfois multiples) entre eux 400.

Tableau 33. – Direction de la Société Générale entre 1830 et 1848

Conseiller Conseiller Chambre Date communal communal de d’entrée avant 1830 après 1830 Commerce F. de Meeus 1830 X F. Basse 1825 X X L. Delvaux de Saive 1823 X X F. Opdenbergh 1823 X F. Rittweger-Sauvage 1823 X X J. Engler 1831 X X H. de Baillet 1833 Député des États Provinciaux F. Drugman 1840 J. B. VanVolxem 1841 X F. de Munck 1841 X X J. Sarens 1848 H. Schumacher 1848 X X J.P. Matthieu 1848 X F. Van der Elst 1848 X L. Veydt 1848 Député, ministre des Finances J. Malou 1848 Député, gouverneur, puis ministre des Finances

400 G. Kurgan-Van Hentenryk, Gouverner la Générale de Belgique. Essai de biographie collective, Bruxelles, 1996, p. 32-34. 293 www.academieroyale.be

Les grands banquiers belges (1830-1935)

La Banque Liégeoise

La Banque Liégeoise est née dans un milieu encore plus étroit. Comme pour la Société Générale, les fondateurs sont pour la plupart des personnalités très fortunées. Les familles Nagelmac- kers, Francotte, Grisar, Terwangne, de Villenfagne, de Sauvage- Vercourt à l’origine de la banque ont toutes au moins un repré- sentant parmi la liste des 83 notables de l’arrondissement de Liège « appelés à émettre leurs vœux sur le projet de constitu- tion » lors de la mise en place du régime hollandais en 1815 401. Parmi les 13 personnalités-fondatrices de la Banque Liégeoise qui y occupent une fonction, 9 sont liées aux différents comités électoraux catholiques liégeois 402.

Tableau 34. – Administrateurs et commissaires de la Banque Liégeoise (1835-1857)

Chambre Date Famille Association Conseiller de d’entrée notable catholique communal commerce J. H. Demonceau 1835 X X G. Nagelmackers 1835 X XX C. Verdbois 1835 XX D. Beyne 1835 X X F. Robert 1835 C. Francotte 1835 X X L. Grisar 1835 X J. Keppenne 1835 X H. Richard-Lamarche 1835 XX L. de Villenfagne 1835 X X F. de Sauvage 1835 X X H. Lavalleye 1835 C. Terwangne 1848 X X V. Bellefroid 1857 X X J. Demonceau 1857 Source : les familles notables sont répertoriées dans le recensement de F.G.C. Beterams, The High Society Belgo-Luxembourgeoise au début du gouvernement de Guillaume Ier Roi des Pays-Bas (1814-1815), Wetteren, 1973.

401 F.G.C. Beterams, The High Society Belgo-Luxembourgeoise au début du gouvernement de Guillaume Ier Roi des Pays-Bas (1814-1815), Wetteren, 1973. 402 A. Cordewiener, Organisations politiques et milieux de presse en régime censi- taire. L’expérience liégeoise de 1830 à 1848, Paris, 1978, p. 252. 294 www.academieroyale.be

Banque et politique

La Banque Centrale Anversoise

La Banque Centrale Anversoise naît en 1871 d’un noyau de jeunes libéraux très actifs auprès de la Chambre de commerce d’Anvers. Début des années 60, F. Grisar et E. Bruynseraede, négociants, futurs administrateurs fondateurs de la banque, sont conseillers communaux aux côtés de J. P. F. Delvaux. Ce dernier, échevin, est le père de F. Delvaux, un des premiers administrateurs de la banque. Le réseau fondateur se constitue dans le courant de la décennie. En 1862, F. Grisar devient président de l’Association libérale pour un an. Ensuite, il en reste membre au sein du comité central, avec les jeunes Delvaux (fils) et E. de Gottal. H. Kreglin- ger, un autre banquier du noyau fondateur, négociant en produits coloniaux, représentant d’une des plus importantes familles de la place, devient conseiller communal au début des années 70. Il est, avec le négociant et gros importateur de pétrole A. Maquinay, un des piliers de la Chambre de commerce d’Anvers : Maquinay en occupe la présidence à plusieurs reprises et Kreglinger en est vice-président durant les années 70, avant sa mort prématurée. F. Delvaux entre lui aussi à la Chambre de commerce d’An- vers : en sa qualité de jeune avocat d’affaires actif dans l’Asso- ciation libérale, il postule au poste rémunérateur – 4000 francs par an – de secrétaire de la chambre en 1865, la même année que E. de Gottal, avocat, jeune député libéral qui abandonne la carrière politique pour les affaires. A. De Roubaix, fabricant de bougies, originaire de Tournai, est membre de l’Association libé- rale et candidat malheureux aux législatives en 1864.

Tableau 35. – Administrateurs de la Banque Centrale Anver- soise résidant à Anvers (1871-1877)

Année Conseiller Association Chambre de d’entrée communal libérale commerce E. Bruynseraede 1871 X X F. Delvaux 1871 X X A. De Roubaix 1871 X X F. Grisar 1871 X X H. Kreglinger 1871 X X L. C. Lemmé 1871 X J. Von der Becke 1877 X X X E. de Gottal 1877 X X A. Maquinay 1877 X

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Les grands banquiers belges (1830-1935)

La Banque de Bruxelles

De la même époque datent les créations de la Banque de Bruxel- les (1871) et du Crédit Général Liégeois 403. A. M. Dutrieue a parfaitement décrit le conseil d’administration de la première Banque de Bruxelles (1871-1877) sur lequel je ne m’attarderai donc pas. Elle note d’une part, une forte présence de personnali- tés étrangères mobilisées notamment par le biais des réseaux familiaux et d’autre part, une délégation belge (majoritaire, selon les statuts) résultant plutôt de relations d’affaires et brassant des personnalités de plusieurs origines régionales. À propos de ces administrateurs-fondateurs belges, l’auteur souligne qu’ils « ont en commun des conceptions libérales » et que « la moitié détient des fonctions politiques, le plus souvent au niveau local » 404.

Le Crédit Général Liégeois

Le Crédit Général Liégeois, prolongement de la commandite Alban Poulet et Cie, marque une phase de transition dans l’his- toire bancaire puisque le premier conseil d’administration pré- sente déjà une grande ouverture à la diversité, à la différence des banques précédemment créées.

Tableau 36. – Administrateurs du Crédit Général Liégeois (1865-1889)

Association Association Date d’entrée catholique libérale J. Fraipont 1865 J. E. de Biolley 1865 X A. Poulet 1874 X A. de Lhoneux 1878 H. de Meeus 1878 X F. Braconier 1883 X L. Collinet 1883 X E. de Laminne 1885 X A. Ancion 1889 X

403 Alban-Poulet et Cie en 1875, la Société Anonyme du Crédit Général Liégeois qui lui fait suite en 1885. Alban Poulet et Cie fait suite à la commandite Joseph Fraipont formée en 1865. 404 A. M. Dutrieue, « La Banque de Bruxelles au miroir de son conseil d’adminis- tration de 1871 à 1914 », in Études et documents, IV, 1992, p. 179-193. 296 www.academieroyale.be

Banque et politique

À majorité catholique, mais intégrant deux poids lourds de l’Association libérale 405, le conseil d’administration fait montre d’un équilibre des tendances qui tendrait à prouver qu’il corres- pond déjà à une composition dictée par les intérêts, indépendam- ment des milieux d’origine et des convictions politiques et philo- sophiques, plutôt qu’à une réunion de notables gravitant dans les mêmes cercles et guidés par des objectifs communs. Cette évolu- tion dans la constitution des conseils d’administration (les liens inter-personnels y sont moins évidents, les intérêts professionnels et financiers priment), préfigure l’aspect général des organes déci- sionnels des banques au tournant du siècle.

Les « circonstances de rapprochement »

En soulignant les attaches familiales, idéologiques et profession- nelles qui lient les fondateurs entre eux, en cherchant à dévoiler les lignes de force qui poussent un groupe d’hommes à se rassem- bler et à présider aux destinées d’un établissement financier durant les trois premiers quarts du XIXe siècle, le risque est de suggérer que les banques seraient nées de milieux parfaitement circonscrits et homogènes où la cooptation entre pairs est de mise. Derrière les éléments qui les rassemblent (des relations communes, une sociabilité partagée, un ensemble d’expériences professionnelles semblables, une vision conjointe des affaires) demeure pourtant en filigrane une réelle diversité des opinions philosophiques et politiques. Le fait est évident dans le cas de la Banque de Belgique où, dès l’origine, l’on retrouve une collabo- ration entre catholiques et libéraux. À la Société Générale, les opinions philosophiques divergent : de fervents catholiques, des protestants pratiquants et plusieurs francs-maçons s’y côtoient. À la Banque Liégeoise, c’est un libé- ral modéré qui s’entoure de négociants catholiques pour donner vie à la troisième grande banque mixte du pays. Sous la période de l’unionisme, politique et religion interfèrent en réalité très peu avec les affaires : les divergences de points de vue se fondent dans une stratégie du compromis dont sort vainqueur l’enthousiasme partagé pour un système capitaliste en gestation 406. Dans la

405 F. Braconier présidera d’ailleurs la banque dans les années 90, succédant ainsi à A. Poulet, un libéral en remplaçant un autre. 406 X. Mabille, Histoire politique de la Belgique. Facteurs et acteurs de change- ment, 4e édition, Bruxelles, 2000, p. 137. 297 www.academieroyale.be

Les grands banquiers belges (1830-1935) seconde moitié du XIXe siècle, lorsque l’opposition des partis prendra toute son acuité, la défense commune des acquis de la révolution industrielle (profitant largement à un petit nombre) permettra encore de transcender les différences d’opinion. Ainsi, les liens politiques à l’échelle régionale énoncés ci-dessus (conseils communaux, associations politiques locales) consti- tuent, dans le cadre professionnel des conseils d’administration, ce que je qualifierais de « circonstances de rapprochement », au même titre que les liens familiaux, les groupes d’intérêts écono- miques (chambres et tribunaux de commerce), les réseaux nés des convergences religieuses et philosophiques (les consistoires israé- lite et protestant à Bruxelles, les loges, les fabriques d’églises). Les circonstances de rapprochement dépendent de l’ensemble des réseaux que les élites mobilisent, consciemment ou inconsciem- ment. Et les affinités politiques, si elles ont pu peser dans la constitution des conseils d’administration, n’orientent jamais seules les visées d’un l’établissement. L’épopée André Langrand-Dumonceau, telle qu’elle nous a été contée par le professeur G. Jacquemyns, est à ce propos très révélatrice. Si le dessein avoué de Langrand-Dumonceau était « la promo- tion d’une puissance financière universelle catholique », lui qui n’a « cessé de placer ses entreprises sous le signe de la politique et de la religion » 407, une analyse fine de ses agissements ne permet ­toutefois pas de trancher la part de sincérité et la part d’oppor- tunisme de sa démarche. La grande force de son système a été de capter, en plaçant l’opération sous la bannière catholique, une vaste part de capitaux dormants auprès de populations nationales et étrangères peu familières avec les subtilités du nouveau capita- lisme industriel et peu enclines à faire confiance à ce dernier. Pour arriver à ses fins, Langrand n’a toutefois pas pu négliger la réalité de la société de son temps : il a sollicité le concours de nombreuses personnalités qui ne cadraient pas avec l’orientation idéologique qu’il voulait donner à ses sociétés. Obligé de pactiser avec « l’en- nemi », la haute finance juive, il a pu compter pendant longtemps sur le soutien du jeune Maurice de Hirsch, l’un de ses plus proches associés dans plusieurs sociétés, ainsi que celui de son beau-père et associé, le célèbre banquier J. R. Bischoffsheim 408.

407 G. Jacquemyns, Langrand-Dumonceau, promoteur d’une puissance financière catholique, t. V, Bruxelles, 1965, p. 342. 408 Comme le notait lucidement E. Mercier en 1860 dans une lettre à Langrand : « […] il faut s’appuyer sur les catholiques, c’est vrai, mais le Pape lui-même ne dédaigne pas l’appui des Juifs ». G. Jacquemyns, Langrand-Dumonceau, promoteur d’une puissance financière catholique, t. I, Bruxelles, 1960, p. 199. 298 www.academieroyale.be

Banque et politique

Maurice de Hirsch n’a pas semblé se formaliser outre-mesure de l’orientation du projet de Langrand ; il a attendu pour prendre ses distances avec Langrand que le navire prenne l’eau de toute part. Prosper Crabbe, agent de change et banquier libéral, rédac- teur financier influent, est un fidèle et proche collaborateur de Langrand bien que les convictions politiques des deux hommes s’opposent. Il en va de même pour le banquier J. Delloye-Tiber- ghien, un collaborateur de la première heure qui s’associera ensuite au giron libéral à la base de la Banque de Bruxelles. F. Fortamps, G. Sabatier, L. Orban, pour ne citer que quelques libéraux en vue, souscrivent par ailleurs des actions dans les sociétés Lan- grand 409. Charles Liedts, ministre d’État libéral et futur gouver- neur de la Société Générale, n’hésite pas à lui offrir ses conseils à propos d’opérations d’achat et de revente de grandes proprié- tés dans la province du Luxembourg 410. La presse financière des deux camps, dont la vénalité n’est plus à démontrer, a pendant longtemps largement soutenu Langrand qui ne recule pas à la dépense quand il s’agit de faire taire une feuille impertinente. Dans son étude, Jacquemyns n’a pas manqué de souligner l’ambiguïté de la position de Langrand : « Langrand est trop habile pour vouloir échapper aux nécessités de l’époque. Malgré ses attaques contre la haute banque juive et protestante, il n’a cessé d’avoir des relations d’affaires avec un grand nombre de financiers israélites et protestants qui ont même siégé dans les conseils d’administration de ses sociétés – ou ont pris des actions de ses fondations –, l’ont conseillé en maintes circonstances et ne lui ont pas ménagé leurs introductions et recommandations ; certains même lui écrivent amicalement 411. » Dans le cas des entreprises Langrand comme dans l’ensemble des grosses opérations financières du XIXe siècle, le profit, les lois du marché financier et les alliances opportunistes refoulent souvent les convictions politiques et religieuses au second plan, surtout lorsque les affaires prennent de l’importance et que les cercles restreints de relations n’y suffisent plus. Les circonstances de rapprochement, décrites plus haut pour expliquer la formation des premiers conseils d’administration bancaire, sont largement enracinées dans une économie locale et régionale. L’épisode Langrand apparaît comme un cas d’excep- tion dans l’histoire financière du pays. Le poids de ces circons-

409 G. Jacquemyns, Langrand-Dumonceau, promoteur d’une puissance financière catholique, t. I, p. 268. 410 G. Jacquemyns, Langrand-Dumonceau, promoteur d’une puissance financière catholique, t. II, p. 202. 411 G. Jacquemyns, Langrand-Dumonceau, promoteur d’une puissance financière catholique, t. III, p. 495. 299 www.academieroyale.be

Les grands banquiers belges (1830-1935) tances de rapprochement dans l’équilibre des conseils va décliner peu à peu au profit d’intérêts purement économiques et pragmatiques, qui mobilisent de nouveaux modes de recrute- ment. C’est l’époque de la timide professionnalisation du métier de banquier et de l’intensification des convergences interrégiona- les grâce aux progrès des moyens de communication : progressi- vement, la formation des banquiers, les groupes d’investisseurs plus dispersés qu’ils représentent, les secteurs économiques qu’ils souhaitent privilégier entrent en ligne de compte dans la consti- tution des conseils d’administration. Les liens que ces conseils entretiendront avec la politique illustrent alors un désir plus concerté de se ménager des relais auprès des instances de décision dans un contexte politique de plus en plus complexe où les enjeux se situent désormais à l’échelon national. Des hommes politiques entreront dans les conseils des banques en leur qualité première de ténors de parti. Mais n’anticipons pas. Analysons plus en pro- fondeur les profils politiques des banquiers de l’échantillon afin de préciser cette évolution.

Les mandats communaux – Évolution

Les relations entre banques et conseils communaux connaissent deux temps distincts. Entre 1830 et 1850, les banquiers sont pré- sents en nombre au conseil de leurs villes ; après 1850, ils relâ- chent leur ancrage communal, tout en renforçant leur présence à l’échelon national. À Bruxelles, les liens que les deux grandes banques entretiennent avec le conseil communal se distendent nettement au milieu du XIXe siècle. Entre 1830 et 1850, la Banque de Belgique compte quatre conseillers communaux dans son conseil d’administration : L. Deswert, J. G. Mettenius, F. Anspach et J. R. Bischoffsheim (auxquels s’ajoute le commissaire E. de la Coste). Le retrait de Bischoffsheim du conseil d’administration de la banque marque la fin des liens directs entre la politique communale et l’établisse- ment bancaire : aucun des administrateurs de la deuxième moitié du siècle ne siégera au conseil communal de la ville. Le cas de la Société Générale est fort semblable : après la démission collé- giale du conseil d’administration en 1848, dont plusieurs membres avaient été conseillers communaux (L. Delvaux de Saive, F. de Munck, J. B. Van Volxem, F. Basse, en compagnie des commissai- res J. van der Linden d’Hooghvorst et H. Schumacher), la banque n’engage plus d’administrateurs liés au conseil de la ville. 300 www.academieroyale.be

Banque et politique

À quelques exceptions près 412, les banques belges n’ont plus de représentants directs au conseil communal des trois centres économiques, durant la seconde moitié du siècle. Trois quarts des 37 conseillers communaux répertoriés pour la période postérieure à 1850 ont quitté leurs fonctions politiques locales au moment où ils entrent aux conseils d’administration des grandes banques. Pour tous ces banquiers, le passage au conseil communal de leur ville d’origine ne constitue que la pre- mière étape d’un cursus politique souvent prolongé à l’échelon national mais aussi, parfois, interrompu. De ces observations, il semble possible de déduire qu’après 1850, les banques ne cherchent plus à établir systématiquement des relais stables auprès des assemblées communales. La présence de mandataires ou d’ex-mandataires communaux au sein des conseils d’administration n’est que le signe d’une tradition qui perdure tout au long de la période : les élites étudiées demeurent engagées dans la politique locale, surtout durant la première partie de leur vie active. L’âge moyen d’accession aux mandats communaux et provin- ciaux semble indiquer la précocité relative des individus de mon panel. Selon l’étude de A. Zumkir, l’âge moyen de la première élection au conseil communal de Verviers entre 1830 et 1893 est de 40 ans. Dans la région de Verviers toujours, seuls 10 conseillers sur 119 sont élus avant les 30 ans. L’âge moyen de la première élection au conseil provincial dépasse les 40 ans pour l’ensemble des cantons, à l’exception de celui de Herve (37,6 ans) 413. En ce qui concerne l’ensemble de la période couverte par notre étude, les banquiers sont élus pour la première fois au conseil provincial en moyenne à l’âge de 34 ans. Un tiers d’entre eux ont moins de 30 ans quand ils entrent en fonction. L’âge moyen d’ac- cès au conseil communal est légèrement plus élevé, à cause d’un petit nombre de banquiers qui se lancent dans la politique com- munale durant la seconde partie de leur vie. L’âge moyen du premier mandat communal des banquiers de l’échantillon se situe aux alentours de 38 ans. Un sixième des banquiers deviennent conseiller communal avant d’avoir fêté leurs 30 ans.

412 A. Poulet et E. Digneffe à Liège. J. Von der Becke et H. Kreglinger à Anvers. 413 A. Zumkir, La genèse des partis politiques dans l’arrondissement de Vevriers à l’époque du suffrage censitaire (1831-1893), t. IV, les hommes, Liège 1997, p. 31 et p. 143. K. Devolder, De Gentse gemeenteraad en haar leden 1830-1914, Gent, 1994. 301 www.academieroyale.be

Les grands banquiers belges (1830-1935)

L’activité du jeune industriel F. Braconier au conseil commu- nal liégeois au milieu des années 1850, décrite par N. Caulier- Mathy, illustre le fait que les « capitalistes » ont encore des inté- rêts directs à défendre auprès des assemblées communales dans la seconde moitié du siècle 414. Si les banques n’y sont plus systé- matiquement représentées, elles y gardent cependant une entrée : les familles notables s’organisent pour y faire élire certains de leurs membres. Après 1850, les banques conservent donc des relais au moins indirects avec les conseils communaux. Les ban- ques peuvent ainsi y faire valoir leur position par un parent ou une relation, lorsque l’utilité s’en fait sentir. Bien que la politique tende vers une centralisation croissante, ces relais locaux conti- nuent à prouver leur efficacité. Citons un exemple parlant. En 1856, la Société de la Vieille-Montagne est menacée par le conseil communal de devoir fermer l’usine à zinc qu’elle exploite dans le quartier Saint-Léonard, suite aux plaintes d’habitants concernant la pollution atmosphérique et la dégradation de l’en- vironnement. Les industriels répliqueront d’une part, par une série d’articles parus dans La Meuse, journal auquel collabore Jules Nagelmackers, et d’autre part, par une campagne menée par Edmond Nagelmackers, le demi-frère de Jules, au sein du conseil communal. Cette polémique fera grand bruit, d’autant plus que les industriels obtiennent gain de cause au niveau natio- nal. En effet, un arrêté royal de mai 1857 autorise le maintien de l’usine tout en prescrivant des mesures destinées à en atténuer les incommodités 415. Cette décision du gouvernement, nous le ver- rons, sera vivement critiquée par V. Tesch quelques années plus tard, en réaction à la remise en question de sa propre probité de ministre à cause de son cumul de responsabilités. Entre 1830 et 1850, par contre, l’influence des banques et la défense de leurs intérêts passent par l’entremise directe des ban- quiers élus à l’échelon communal. Telle est du moins mon hypo- thèse. Dans le cadre de cette étude, je ne peux malheureusement pas vérifier par un dépouillement systématique des archives com- munales la fréquence et l’efficacité des pressions qu’ont vraisem- blablement exercées les banquiers dans le cadre de leur charge communale. L’exemple relaté dans l’étude fouillée de E. Witte consacrée à l’épisode du projet de construction d’un nouveau palais de jus-

414 N. Caulier-Mathy, « Industrie et politique au pays de Liège. Frédéric Braco- nier (1826-1912) », in Revue Belge d’Histoire Contemporaine, 1981, 1-2, p. 20. 415 J. Stienon (dir), Histoire de Liège, Toulouse, 1991, p. 214. 302 www.academieroyale.be

Banque et politique tice à Bruxelles en 1840 permet toutefois d’esquisser les moyens mis en œuvre par les premiers capitalistes pour arriver à leurs fins : impression de pamphlets et d’articles de presse, mise en cir- culation de pétitions, tactique d’exclusion, intervention du gou- vernement. Dans son article, l’auteur montre que le « parti banquiste », à savoir le groupe de la Société Générale, dans son projet de bâtir un nouveau palais de justice extra-muros, sur un terrain récem- ment acquis au Quartier Léopold, s’est heurté à l’opposition d’un autre groupe de pression composé, en partie, de représentants de la Banque de Belgique. Les électeurs n’ont d’ailleurs pas manqué de relever les conflits d’intérêts émaillant la position du « parti banquiste » et ont fait payer à F. de Meeus et aux siens leur trop grande ambition dans ce projet préfigurant l’expansion inélucta- ble de la capitale 416. Adversaires dans ce dossier particulier, les banquiers n’ont probablement pas manqué de conjuguer leurs efforts dans d’autres débats, quand les intérêts communs de la profession, et plus largement ceux des « spéculateurs », étaient en jeu, et quand le gâteau était partagé au goût de tous. L’analyse de l’activité des banquiers au Parlement permet de mettre en lumière les phéno- mènes de concurrence et de collusion d’intérêts se manifestant à l’échelle nationale.

L’ancrage politique national – Les relais familiaux

Avec la centralisation affichée de ses institutions, la Belgique nou- vellement créée, héritière d’anciennes traditions privilégiant le pouvoir communal, local et régional, contraint ses élites à s’adap- ter à une culture politique neuve, faisant de Bruxelles le pôle prin- cipal de décision 417. Il s’avère alors nécessaire, pour l’ensemble des notables de province, de disposer rapidement de représentants

416 E. Witte, « De Société Générale als drukkingsgroep. Een concreet voorbeeld : de grondspeculaties rondom het Brusselse justitiepaleis (1838-1840) », in Revue Belge d’Histoire Contemporaine, 1969, I, 1, p. 6-45. Ce débat aura des répercus- sions jusque dans l’enceinte du Sénat où interviendront des partisans des deux camps (H. de Baillet et J. B. Van Volxem d’un côté, H. Vilain XIIII de l’autre). L. Hymans, Histoire parlementaire de la Belgique de 1831 à 1880, Bruxelles, 1878, vol 2, p. 149. 417 J. Meynaud, J. Ladriere, F. Perin (dir), La décision politique en Belgique. Le pouvoir et les groupes, Paris, 1965, p. 20. 303 www.academieroyale.be

Les grands banquiers belges (1830-1935) fiables capables de défendre leurs intérêts au Parlement. Les grou- pes présents dans l’arène parlementaire au XIXe siècle peuvent schématiquement se résumer à cinq catégories, définies selon une nomenclature utilisée par les parlementaires eux-mêmes lors du débat de 1848 sur les incompatibilités : les fonctionnaires (que le Parlement viendra à exclure), les industriels au sens large, les grands propriétaires, les avocats et le clergé. Ces groupes, origi- naires des quatre coins de la Belgique, se mobilisent autour de la défense d’intérêts tantôt de groupes, tantôt de partis, tantôt de classes mais aussi, bien souvent, d’intérêts régionaux. Chaque débat, chaque question parlementaire met en exergue l’une ou l’autre de ces lignes de partage, qui se combinent parfois entre elles. Comme nous le verrons, les banquiers siégeant au Parlement privilégieront presque systématiquement les intérêts de groupes et de classes, en ne s’engageant qu’exceptionnellement sur le terrain glissant des polémiques de partis. Pour le notable-banquier, le meilleur moyen de défendre l’en- semble de ses « intérêts » – combinaison subtile alliant desiderata personnels et besoins collectifs – consiste à se faire élire person- nellement à la Chambre ou au Sénat. Néanmoins, ne perdons pas de vue que les classes dirigeantes disposent d’autres relais efficaces pour faire passer leurs idées dans les hautes sphères de décision. L’étude sur Le Monde des parlementaires liégeois de N. Cau- lier-Mathy, mine inestimable d’informations pour le chercheur qui se spécialise dans l’histoire des élites, met en évidence les courroies de transmission existant entre les notables liégeois et le Parlement à Bruxelles 418. Ainsi, les alliances matrimoniales assu- rent à bon nombre de grandes familles liégeoises une représenta- tion indirecte au Parlement, par le biais de mandats conquis par des parents plus ou moins proches. Par voie directe ou indirecte, certaines familles parviennent à conserver un pied dans l’enceinte parlementaire pendant plusieurs décennies. Frédéric Braconier, administrateur (1883-1893) puis président (1893-1912) du Crédit Général Liégeois, député de 1861 à 1872, sénateur de 1872 à 1900, est apparenté, par une série d’allian- ces datant de sa génération (il a trois frères et sœurs), avec les familles David Fischbach-Malacord, Mouton, de Macar et de Meeus, Lamarche, de Rossius, Orban, Jamar, toutes impliquées

418 N. Caulier-Mathy, Le monde des parlementaires liégeois 1831-1893. Essai de socio-biographies, Histoire quantitative et développement de la Belgique au XIXe siècle, 1re série, tome VII, vol 1, Bruxelles, 1996. 304 www.academieroyale.be

Banque et politique

dans la vie parlementaire. Son gendre et héritier Paul Van Hoe- gaerden (fils du gouverneur de la Banque Nationale Victor Van Hoegaerden), lui aussi administrateur du Crédit Général Liégeois de 1901 à 1908, est député de 1892 à 1894 et ministre d’État de 1914 à 1922. À Anvers, le cas des familles de Baillet et Osy est frappant. Deux frères du directeur de la Société Générale Henri de Baillet sont au Parlement : Hyacinthe à la Chambre, Joseph au Sénat. Cette famille nombreuse (quatorze frères et sœurs), par ailleurs remarquable par la diversité des occupations de ses membres (propriétaires, diplomates, officiers, gouverneur, banquiers) est liée aux Cogels depuis le XVIIIe siècle. Le mariage de Joseph avec une Osy associe les Baillet à une autre famille noble émi- nente de la place, originaire de Hollande. Le beau-frère de Joseph de Baillet, J. J. R. Osy, est lui-même banquier, fils et héritier du négociant et trésorier général de Belgique Corneille Osy. J. J. R. Osy est député dès 1831, puis sénateur jusqu’en 1866. Il comp- tera un fils, un gendre (Cogels) et un petit-fils au Parlement. La famille au sens large est ainsi représentée au sein des assemblées législatives jusqu’en 1920. Aussi n’est-il pas si étonnant de ne pas voir figurer de par- lementaires au conseil d’administration de la Banque Liégeoise avant le début du XXe siècle lorsque G. Francotte et A. Magis intègrent l’établissement. À l’origine, les intérêts de la Banque Liégeoise ont été défendus par J. J. Keppenne, commissaire-fon- dateur, député de 1835 à 1839, puis par Grégoire Demonceau, le frère de l’administrateur Jean-Henri, député jusqu’en 1843. L’administrateur L. de Villenfagne de Vogelzanck, dont la mère est une Potesta de Waleffe, gravite dans l’hémisphère politique grâce à ses nombreuses relations familiales (son oncle, J. M. L. de Potesta de Waleffe est sénateur jusqu’en 1851). Il en va de même pour C. Terwangne, un autre administrateur, dont le beau-frère L. H. de Hasse est sénateur de 1866 à 1872. V. Bellefroid, admi- nistrateur également, est très actif au sein des milieux catholiques liégeois, dans lesquels il aura certainement pu compter quelques appuis politiques. Quant à Adolphe Laloux, administrateur en 1881, son cousin, Alfred Ancion, par ailleurs administrateur du Crédit Général Liégeois entre 1885 et 1912, conservera son siège à la Chambre de 1886 à 1898 avant de devenir sénateur de 1900 à 1921. À travers tout le siècle, il est donc possible de retracer des liens forts 419 entre les administrateurs de la Banque Liégeoise et

419 C’est pourquoi nous pouvons parler de réseaux dans le sens explicité par Lemieux de « transmission de ressources en des structures fortement connexes ». Ici, la connexité est forte puisque l’échange de ressources s’effectue dans les deux sens. V. Lemieux, Les réseaux d’acteurs sociaux, Paris, 1999, p. 11-21. 305 www.academieroyale.be

Les grands banquiers belges (1830-1935) les parlementaires belges, sans pour autant que ces liens impli- quent une présence effective des banquiers au Parlement. Cette observation que nous ne pousserons pas plus loin est sans doute valable pour l’ensemble des banques et des banquiers étudiés, qui disposent de réseaux familiaux particulièrement étoffés. Attelons- nous à présent à l’étude de la participation personnelle effective des banquiers aux débats parlementaires.

Les mandats parlementaires – Évolution

À la différence de la Banque Liégeoise, les deux banques bruxel- loises entretiennent à travers l’ensemble du XIXe siècle des liens directs presque constants avec le Parlement. Si l’on ne prend en considération que les périodes où des banquiers (administrateurs et commissaires) siégent simultanément sur les bancs d’une assemblée législative et au conseil d’administration (ou collège de surveillance) de leur banque, en excluant donc les parlementaires ex-banquiers et les banquiers ex-parlementaires, la Société Géné- rale est directement représentée au Sénat, de 1831 à 1846 et de 1862 à 1900, et à la Chambre des Représentants jusqu’en 1892 (avec une brève interruption entre 1845 et 1848). La Société Générale y comptera même deux, voire trois représentants directs jusqu’en 1870. La Banque de Belgique n’est pas moins représentée au Parle- ment. Au Sénat, elle bénéficie d’au moins une voix, entre 1835 et 1839, puis entre 1848 et 1851 et entre 1854 et 1877. La présence massive d’administrateurs de la Banque de Belgique à la Cham- bre lui assure une participation ininterrompue jusqu’en 1876, avec un sommet de cinq députés au lendemain de la crise de 1838 : E. Cogels, E. Desmet, L. Zoude, trois commissaires, ainsi que L. Desmaisières et J. B. Smits, administrateurs. Dans la première moitié du XXe siècle, la Société Générale n’est plus que périodiquement représentée au Parlement, par J. Devolder au Sénat et par P. de Smet de Naeyer et G. Coore- man à la Chambre. G. Kurgan a résumé le phénomène de la sorte : « the power of Parliament had been scaled down during the thirty years of catholic government and the need for a majority of par- liamentarians on bank’s boards had correspondingly declined. Politics were non longer a determining factor in recruiting bank’s managers. The liberalization of the Belgian economy since the 306 www.academieroyale.be

Banque et politique

last third of the 19th century had been responsible for that evo- lution, as well as the close links of many Catholic and Liberal politicians with influent family and business networks 420. » Il faut noter, comme je le préciserai plus loin, que malgré les apparences, la Société Générale ne s’éloignera pas du pouvoir politique durant l’entre-deux-guerres. Elle remplacera ses relais au Parlement par une présence renforcée au niveau exécutif, en marquant plusieurs gouvernements de son empreinte. La prise de distance du monde des affaires vis-à-vis de la chose publique et sa désaffection progressive des parlements nationaux sont un phénomène que l’on peut observer chez les trois grandes puissances économiques d’Europe. Si l’on en croit certaines don- nées avancées par Y. Cassis dans une synthèse consacrée à la question, la proportion d’hommes d’affaires actifs au Parlement passe, en France, de 25 % sous le Second Empire à 14 % en 1871 et 12,7 % en 1893. Au Reichstag allemand de même qu’au Parle- ment anglais, la diminution est clairement perceptible au tour- nant du siècle. La tendance est sensible, par exemple, auprès des banquiers de la City, qui ne sont plus que 22 % à être députés au début du XXe siècle alors qu’ils étaient encore 44 % quinze ans plus tôt 421. Comme le suggère l’exemple de la Société Générale, cette ten- dance à la désaffection se fait également ressentir auprès des ban- quiers belges. Elle touche les banquiers actifs durant l’entre-deux- guerres (nés entre 1880 et 1890) mais est d’ampleur relativement limitée. Elle se rapproche de la désaffection politique progressive observée par Giddens et Stanworth à propos des administrateurs des plus grosses sociétés anglaises. L’échantillon pris en compte par ces auteurs est composé de « 199 industrial corporations and banks (amongst which 23 clearing banks and 26 merchant banks) ».

420 G. Kurgan-Van Hentenryk, « Bankers and Politics in Belgium in the 20th century », in T. Gourvish (ed), Business and Politics in Europe 1900-1970, Essays in Honour of Alice Teichova, Cambridge, 2003. 421 Y. Cassis, « Monde des affaires et bourgeoisie en Europe de l’Ouest », in J. Kocka (dir), Les bourgeoisies européennes au XXe siècle, Paris, 1996, p. 69. Comme l’auteur l’indique dans une étude récente, il est difficile de distinguer entre la proportion de leaders économiques investis en politique, et la propor- tion de représentants du monde économique dans les parlements. Y. Cassis, Big Business. The European Experience in the Twentieth Century, Oxford, 1997, p. 207. 307 www.academieroyale.be

Les grands banquiers belges (1830-1935)

Tableau 37. – Proportion de parlementaires parmi les admi- nistrateurs de sociétés en Angleterre, selon la période de nais- sance

Chairmen born between Member of Parliament

1820 and 1839 36% 1840 and 1859 26% 1860 and 1879 19% 1880 and 1899 8% 1900 and 1919 4%

Source : P. Stanworth, A. Giddens, « an economic elite : a demographic profile of com- pany chairmen », in P. Stanworth, A. Giddens, Elites and Power in British Society, Cam- bridge, 1974, p. 90.

Tableau 38 : Proportion de parlementaires parmi les ban- quiers en Belgique, selon la période de naissance

Banquiers nés Avant 1800 37% Entre 1800 et 1819 28% Entre 1820 et 1839 27% Entre 1840 et 1859 26% Entre 1860 et 1879 20% Entre 1880 et 1900 11%

En France et en Allemagne, il semblerait que le phénomène de désaffection ait commencé plus tôt. La proportion des principaux hommes d’affaires ayant détenu un mandat parlementaire est déjà descendue à 17 % en France et à 4 % en Allemagne pour les indivi- dus actifs en 1907, alors qu’elle est encore de 22 % en Angleterre. Le Parlement belge, et le monde politique belge dans son ensemble, paraissent pour leur part encore fort marqués par l’emprise des financiers durant l’entre-deux-guerres. 15 % des banquiers actifs entre 1918 et 1935 demeurent détenteurs d’un mandat parlementaire : cette proportion, proche de celle obser- vée en Angleterre, est assez élevée en comparaison avec les constatations faites dans les autres pays européens. En outre, la génération née entre 1860 et 1879 – celle qui exercera une grande influence sur la politique de l’entre-deux guerres avec des figures comme M. Despret, M. Houtart, M. Lippens, G. Theunis, J. Ingenbleek, E. Francqui (ce dernier n’ayant pas siégé au Par- 308 www.academieroyale.be

Banque et politique lement) – envoie encore un individu sur cinq siéger au Parlement. Et, à la différence du cas anglais où beaucoup des hommes d’af- faires actifs durant l’entre-deux guerres ont leur carrière politi- que derrière eux 422, la génération des banquiers nés entre 1860 et 1879 atteint à cette époque, en Belgique, le sommet de ses activi- tés politiques. Si la Société Générale se détourne du Parlement, les banques de moindre importance, par contre, n’abandonnent pas les assem- blées législatives. En 1900, sur l’ensemble de l’échantillon, on ne compte pas moins de 12 banquiers en activité au Sénat ; ils seront encore 6 en 1925. La dernière génération des banquiers, née après 1880, semble bel et bien amorcer un réel changement d’attitude envers la car- rière politique. Les individus nés après 1880 sont toutefois peu nombreux dans la sélection qui nous occupe : pour se faire une idée précise de l’évolution des mentalités et pour confirmer cet assez brusque changement de stratégie, il faudrait prendre en considéra- tion l’ensemble des banquiers en activité après la Seconde Guerre mondiale. On pourrait dès lors confirmer si, dans ce domaine comme dans celui du recrutement, la Société Générale a été pré- curseur de nouveaux modes de fonctionnement. En prenant en compte la totalité de la période étudiée (1830- 1935), plusieurs phénomènes méritent d’être soulignés à propos du Parlement belge. Tout d’abord, avant 1880, les banquiers en activité sont plus nombreux à la Chambre (24) qu’au Sénat (9). Ce net déséquilibre s’explique par les principes mêmes qui ont présidé à la constitution de la seconde chambre législative belge. Comme le résume L. François, « le Congrès national a donné aux deux chambres législatives des compétences en principe identiques, […] les seules différences prévues par la constitution n’ayant trait qu’à la composition des chambres, à l’âge minimal et au nombre de membres. […]. Cependant, il peut se déduire implicitement des deux règlements que l’on accordait plus d’importance à l’avis de la Chambre, que celle-ci était considérée comme l’organe principal du système bicaméral et que le Sénat faisait d’avantage office de contrôle et de ratification 423. »

422 Y. Cassis, Big Business. The European Experience in the Twentieth Century, Oxford, 1997, p. 223. 423 V. Laureys, M. Van Den Wijngaert, L. Francois, E. Gerard, J.-P. Nandrin, J. Stengers, L’histoire du Sénat en Belgique de 1831 à 1995, Bruxelles, 1999, p. 51. 309 www.academieroyale.be

Les grands banquiers belges (1830-1935)

Pour autant, avant 1880, le Sénat n’est pas complètement délaissé du monde des affaires, puisque quelques banquiers de renom comme J. Engler, F. Fortamps ou J. Malou y déploieront une intense activité. Des financiers comme F. Fortamps ou J. R. Bischoffsheim ne siégeront d’ailleurs jamais sur les bancs de la Chambre des Représentants. Après 1880, la tendance s’inverse nettement, au moment de l’entrée au Parlement de nombreux banquiers issus de banques récemment créées. Entre 1880 et 1930, on compte 16 banquiers en activité à la Chambre, pour 27 banquiers au Sénat. Sans doute peut-on expliquer cette évolution par l’intensification des activi- tés professionnelles des banquiers-parlementaires, que les longs débats à la Chambre rebutent et qui, lorsqu’ils sont originaires de province, ne peuvent se permettre des séjours prolongés à la capitale. Ce sont les mêmes raisons qui dissuadaient déjà les industriels à se lancer en politique dans la première moitié du XIXe siècle 424 et qui justifiaient vraisemblablement la présence au Sénat – plutôt qu’à la Chambre – de grands « capitalistes » comme Bischoffsheim et Fortamps. Un siège au Sénat offre aux hommes d’affaires une position prestigieuse et somme toute influente 425, compatible avec un mode de vie toujours plus inten- sément voué à la production.

Les portefeuilles ministériels – Enjeux et évolution

Interdépendance entre charges ministérielles et monde bancaire

Une preuve encore plus parlante de l’interdépendance entre finance et politique en Belgique est révélée par l’analyse des char- ges ministérielles entre 1830 et 1935. Parmi les 30 ministres qui se sont succédé aux Finances pendant le premier siècle d’existence de la Belgique, 15, soit la moitié, ont détenu un mandat dans une des banques de l’échantillon. La durée d’activité au ministère des Finances de ces administrateurs de banque dépasse même les

424 Annales parlementaires, Chambre, séances des 19 et 20 mai 1848, p. 1736 et p. 1772. 425 Voir par exemple les réticences des sénateurs par rapport à l’adoption de mesures sociales dans les années 70 à 80. V. Laureys, M. Van Den Wijngaert, L. Francois, E. Gerard, J.P. Nandrin, J. Stengers, l’histoire du Sénat en Belgique de 1831 à 1995, Bruxelles, 1999, p. 84. 310 www.academieroyale.be

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60 % de la durée totale de la période. Parmi les 22 ministres des Travaux publics, 7, soit près d’un tiers, font partie de mon échan- tillon (et leur durée d’activité auprès de ce ministère représente également un tiers de la durée totale). Parmi les 15 ministres des Finances qui n’appartiennent pas à l’échantillon, 6 au moins ont été administrateurs dans une ou plusieurs autres banques belges 426. Parmi les 15 ministres des Travaux publics qui n’ap- partiennent pas à l’échantillon, on en compte encore 7 qui ont administré d’autres banques. Durant l’entre deux-guerres, la grande majorité des ministres des Finances ont assumé des res- ponsabilités dans l’un des grands établissements financiers du pays, signe que les liens ne sont pas rompus, au contraire, entre politique et monde des affaires après 1918. À la différence d’une charge parlementaire qui peut être cumu- lée avec des responsabilités bancaires, la position de ministre est restée longtemps considérée, conventionnellement, incompatible avec des fonctions financières. Les deux tiers des 33 ministres répertoriés dans l’échantillon, soit 22 d’entre eux, ont d’abord assumé une charge publique avant d’accepter une position ban- caire. Ces anciens ministres recrutés par les grandes banques offrent une plus-value non négligeable aux conseils qu’ils accep- tent de rejoindre. Grâce à leur expérience politique, ils bénéfi- cient d’une très bonne expérience de la réalité économique du pays, d’un carnet d’adresses précieux en Belgique et de connexions utiles avec l’étranger, trois atouts essentiels à la bonne marche d’un établissement financier aux visées ambitieuses. La constitution en série des sociétés Langrand durant les années 1860 met en lumière le rôle actif des anciens ministres dans la gestion des affaires. L’extraordinaire documentation dont G. Jacquemyns a pu disposer met en lumière la grande diversité des services qu’un homme politique peut rendre aux sociétés pri- vées du XIXe siècle. L’existence même d’une société dépend de l’appui dont ses futurs dirigeants disposent auprès des pouvoirs publics en place : n’oublions pas que, jusqu’en 1873 427, le statut

426 Voir le Recueil Financier et J. L. De Paepe, C. Raindorf-Gerard, Le parle- ment Belge, 1831-1894 : données biographiques, Bruxelles, 1996. 427 J. Neuville, « 18 mai 1873 : un centenaire ; celui de la « Libération » des Sociétés Anonymes », in Courrier Hebdomadaire du C.R.I.S.P., no 594, 2 mars 1973, p. 2-27. 311 www.academieroyale.be

Les grands banquiers belges (1830-1935) juridique de l’anonymat n’est accordé aux compagnies qu’après approbation des ministères concernés 428. Ainsi, E. Mercier, ancien commissaire de la Banque de Belgi- que, ancien ministre des Finances, allié à A. Langrand-Dumon- ceau dès l’origine 429, frappe à de nombreuses portes pour obtenir l’approbation des statuts de la Banque Hypothécaire Belge au printemps 1860. À cette époque, ce sont les libéraux qui sont au pouvoir et le porte-feuille des Finances a été confié au célèbre homme d’État W. Frère-Orban. Voilà comment Jacquemyns rapporte l’épisode : « Dès que le projet de statuts a été déposé, Mercier organise le siège du ministère des Finances. La tâche lui est facilitée au Département par beaucoup de fonctionnaires supérieurs, ses créatures : neveux, cousins, amis politiques, etc. Le népotisme de Mercier est bien connu. Il y a aussi parmi le haut personnel admi- nistratif de Frère-Orban des actionnaires des sociétés Langrand. Les démarches vont se multiplier auprès de tous ceux à qui le ministre a confié l’examen de la question 430. » Barthélemy Dumortier, parlant de son ami politique, le minis- tre A. Dechamps, qui se trouvait enferré dans les affaires Langrand en 1868, alla jusqu’à écrire rétrospectivement à son propos : « vous n’ignorez pas que tous nos malheurs en 1864 proviennent de ce que Dechamps voulait alors former un Ministère, non en vue du parti, mais en vue de la Société Langrand, pour lui faire obtenir l’anonymat que Frère avait toujours refusé 431. » Au moment des discussions concernant les réformes relatives au régime légal des sociétés anonymes, qui sont restées subor- données à l’autorisation gouvernementale jusqu’en 1873, les pourfendeurs de l’ancien régime légal n’hésitaient d’ailleurs pas à stigmatiser la culture du favoritisme que ce régime encourageait. Comme le rappelle B. S. Chlepner,

428 G. Kurgan, Rail, Finance et politique : les entreprises Philippart (1865-1890), Bruxelles, 1982, p. 37. B. S. Chlepner, Le marché financier belge depuis cent ans, Bruxelles, 1930, p. 49. G. Vanthemsche, « Du carcan à la débauche. L’évolution de la réglementation au XIXe siècle », in G. De Clercq (dir.), À la bourse, Histoire des valeurs en Belgique de 1300 à 1990, Bruxelles, 1992, p. 217. 429 Pour une courte biographie de Mercier, voir G. Jacquemyns, Langrand- Dumonceau, promoteur d’une puissance financière catholique, t. I, p. 77. 430 G. Jacquemyns, Langrand-Dumonceau, promoteur d’une puissance financière catholique, t. II, p. 90. 431 G. Jacquemyns, Langrand-Dumonceau, promoteur d’une puissance financière catholique, t. IV, p. 339. 312 www.academieroyale.be

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« on soutenait, et on citait des exemples avec noms à l’appui, que très souvent les initiateurs de sociétés faisaient entrer des hommes politiques dans les conseils d’administration exclusivement pour se ménager des appuis auprès du Ministère 432. » Un pied au gouvernement, un œil sur ses intérêts personnels et familiaux : dans la deuxième moitié du XIXe siècle, rares sont les élites politiques qui demeurent totalement étrangères au pro- cessus d’industrialisation du pays et qui peuvent prétendre à une réelle indépendance de jugement lorsque les questions économi- ques et financières sont posées sur la table des négociations 433. Outre les menus services que les ex-ministres exerçant comme banquiers ou industriels peuvent solliciter auprès de leurs anciens ministères, leur grand prestige national et parfois international ouvre des portes qui demeureraient closes sans la marque de res- pectabilité attachée à leurs noms. Ainsi, des voyages d’affaires organisés par certaines sociétés regroupent fréquemment des per- sonnalités du capitalisme national, si possible auréolées de titres d’anciennes hautes fonctions politiques, pour prospecter de nou- veaux marchés à l’étranger. Un ex-ministre s’avère un diplomate hors-pair dans les rela- tions d’affaires avec les pays voisins, où les classes dirigeantes négocient plus volontiers avec des représentants de leur bord. Sur le plan du marché national, le meilleur moyen de se tenir au courant de ses soubresauts et de ne pas manquer de nouvelles affaires profitables est de mettre sur pied un réseau de récolte d’informations aux ramifications multiples, bien implanté dans les cabinets ministériels.

432 B. S. Chlepner, Le marché financier belge depuis cent ans, Bruxelles, 1930, p. 48. 433 Dans la seconde moitié du XIXe siècle, rares étaient les membres du gouverne- ment qui ne possédaient pas d’intérêts dans une société anonyme. J. L. De Paepe, C. Raindorf-Gerard, Le parlement Belge, 1831-1894 : données biogra- phiques, Bruxelles, 1996. D’après un calcul de Jacquemyns sur base des publi- cations de Demeur, en 1865, sur les 116 membres de la Chambre, 46 (soit 39 %) ont un mandat dans une société anonyme. La même année, 19 sénateurs sur un total de 58 (soit 32 %) sont administrateurs ou commissaires. G. Jacquemyns, Langrand-Dumonceau, promoteur d’une puissance financière catholique, t. III, p. 54. 313 www.academieroyale.be

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Passages entre postes ministériel et bancaire

Le passage d’un côté à l’autre de la barrière – de la politique à la banque – peut s’effectuer très rapidement, brouillant un peu plus les frontières entre le monde des affaires et le monde politique. En 1848, le nouveau conseil d’administration de la Société Géné- rale accueille deux anciens ministres des Finances, l’un catholi- que, J. Malou, l’autre libéral, L. Veydt. En 1890, J. Devolder, ministre de la Justice, puis ministre de l’Intérieur, rejoint directe- ment les rangs de la Société Générale, comme le fera 17 ans plus tard un autre catholique, P. de Smet de Naeyer, ex-ministre des Finances et des Travaux publics. La reconversion de plus en plus fréquente de ministres influents dans le monde bancaire et la finance, où plus encore qu’ailleurs l’accès à l’information est un atout essentiel, est le résultat logi- que du cloisonnement peu étanche qui sépare le monde des affai- res des cadres politiques en Belgique. Les mêmes personnalités partagent ainsi les avant-postes des deux mondes sans susciter de critiques de la part de classes dirigeantes toujours plus investies dans les affaires. Un seul et même petit groupe d’hommes entre- prenants est donc au gouvernail de l’économie belge, les uns en cabine qui dirigent l’opération (l’élite politique), les autres sur le pont qui affrontent les éléments (l’élite financière) : chaque quart voit s’alterner les équipes, ce qui permet d’entretenir l’esprit de groupe de l’équipage, tout en respectant néanmoins la séparation théorique des tâches. Parallèlement, le passage en sens inverse – de la banque à la politique – se vérifie aussi. Les gouvernements n’ont jamais manqué de faire appel à des spécialistes rompus aux réalités éco- nomiques du terrain pour diriger le pays 434. J. B. Smits et L. Desmaisières, respectivement ministres des Finances et des Travaux publics en 1841, sont issus de la Banque de Belgique, tout comme C. d’Hoffschmidt, ministre des Travaux publics en 1845. Fin des années 60, ce sont E. Pirmez – par ailleurs déjà parlementaire aguerri – et A. Jamar qui quittent leur poste à la Banque de Belgique pour entrer au gouvernement. Après eux, le futur chef de la droite et ancien commissaire de la banque A. Beernaert prend les rênes du pouvoir.

434 Le gouverneur de la Générale Ferdinand de Meeus lui-même aurait, selon son biographe, été pressenti pour obtenir le portefeuille des Finances, mais la combinaison dans laquelle il devait entrer échoua. J. Thonissen, Vie du Comte Ferdinand de Meeus, Louvain, 1863, p. 58. 314 www.academieroyale.be

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Ici aussi, les reconversions peuvent être rapides : les six ban- quiers cités ci-dessus abandonnent leur fonction à la banque pour un poste au gouvernement. Si les liens directs avec le monde bancaire sont rompus en théorie puisque les ministres démission- nent, il est illusoire de croire que les ministres nouvellement promus se coupent définitivement du milieu dans lequel ils ont été actifs auparavant 435. Les trajectoires de personnalités comme E. Mercier et J. Malou illustrent d’ailleurs la perméabilité des fonctions. D’abord minis- tre, puis commissaire à la Banque de Belgique, puis ministre à nouveau, E. Mercier achèvera sa carrière dans les affaires aux côtés de A. Langrand-Dumonceau. La carrière de J. Malou connaîtra trois temps : la politique d’abord, les affaires ensuite, et enfin un retour aux premières amours 436. Un homme comme G. Theunis connaîtra une trajectoire aux étapes similaires durant l’entre-deux-guerres. La période 1918-1940 est marquée par l’apparition d’un che- vauchement entre fonctions ministérielles et financières considé- rées jusqu’alors comme incompatibles, en principe tout au moins. Dès le début du XXe siècle, les nouvelles banques recrutent, pour renforcer leurs équipes dirigeantes, des ministres qui viennent juste d’abandonner leur fonction politique. En 1908, la Banque Liégeoise fait ainsi appel à l’ancien ministre du Travail G. Francotte. En 1912, la Banque Internationale de Bruxelles s’offre les services de L. de Lantsheere, ex-ministre de la Justice, fils du gouverneur de la Banque Nationale. En 1917, c’est au tour de M. Levie d’entrer dans le monde bancaire et d’obte- nir la présidence de la Caisse Générale de Reports et de Dépôts. Levie est alors une des figures de proue de la démocratie chré- tienne. Homme d’affaires expérimenté, il avait pu faire la preuve de ses compétences techniques comme ministre des Finances avant guerre. Notons encore en 1919, le passage de Paul Segers de la charge de ministre des Postes, Télégraphe et Chemins de fer au poste d’administrateur du Crédit Anversois. Après-guerre, le passage direct du cénacle politique aux milieux d’affaires devient monnaie courante alors qu’auparavant,

435 Ainsi, J. B. Smits fut remplacé à la Banque de Belgique par un président ad interim pendant son passage au gouvernement. Il fut tenté de reprendre ses fonctions à la banque par la suite, avant de quitter définitivement l’établisse- ment, 436 G. Kurgan-Van Hentenryk, « Finance et politique : le « purgatoire » de Jules Malou à la Société Générale », in J. Art, L. Francois (ed), Liber amicorum Romain Van Eenoo, Gand, 1999, vol 2, p. 1065-1082. 315 www.academieroyale.be

Les grands banquiers belges (1830-1935) la reconversion immédiate n’était pas systématique comme le prouvent les cas de G. Van Volxem et C. Liedts, ministres durant les années 1840 et 1850, directeur et gouverneur de la Société Générale dans les années 1860, ou encore celui de J. Vandersti- chelen, gouverneur de la Banque de Belgique en 1878, près de dix années après avoir abandonné ses fonctions à l’exécutif. Après la Première Guerre mondiale, les aller et retours entre sphère publi- que et sphère privée sont banalisés. C’est pourquoi sans doute des personnalités comme A. van de Vyvere, E. Francqui, M. Hou- tart ou M. Lippens ne jugeront même plus nécessaire de démis- sionner de leurs mandats bancaires quand ils accéderont au gou- vernement 437. Leur choix pragmatique – et sans doute moins hypocrite – occasionnera une flambée de critiques qui culmine- ront lors des débats sur les incompatibilités de 1931.

L’activité politique dans les commissions et sections centrales du Parlement

Indéniablement, les banquiers ont joué un rôle marquant dans la politique économique de la Belgique. Grands spécialistes des questions économiques, ils ont dirigé les débats dans quantité de sujets touchant à la vie des industries nationales et du commerce avec l’étranger. Le fait le plus marquant est leur intense activité dans les commissions et les sections centrales. Si l’on envisage les carrières parlementaires des banquiers de l’échantillon dans leur entièreté (et non seulement pendant le laps de temps où ils sont actifs dans un établissement bancaire) et si l’on répertorie les commissions auxquelles ils ont participé, on peut constater avec étonnement la continuité de leur présence tout au long du siècle. À la Chambre, jusqu’en 1895, on trouve au moins un banquier de l’échantillon dans la commission des Finances (hormis durant un bref intervalle de 1838 à 1844). Entre 1850 et 1870, on en compte même régulièrement quatre. Au Sénat, les banquiers se succèdent à la commission des Finance de 1848 jusqu’en 1912, sans interruption. Quelques-uns limiteront d’ailleurs leur travail parlementaire aux activités de ces commissions qui semblent être la justification prin-

437 G. Kurgan-Van Hentenryk, « Bankers and Politics in Belgium in the 20th century », in T. Gourvish (ed), Business and Politics in Europe 1900-1970, Essays in Honour of Alice Teichova, Cambridge, 2003. 316 www.academieroyale.be

Banque et politique

cipale de leur utilité au Parlement. Après avoir accepté son poste de direction à la Société Générale au milieu des années 1860, Léon Orban n’intervient quasiment plus à la Chambre mais reste actif auprès de la commission des Finances. De même, la deuxième partie de la carrière parlementaire de G. Sabatier (qui coïncide avec sa charge à la Banque de Belgique) se fait plus discrète, mais il garde la présidence de la commission de l’Industrie, à la Cham- bre. Une bonne partie des grands noms du monde des affaires conservent ainsi leur mandat de député ou de sénateur sans plus jouer de rôle majeur au sein des débats des assemblées 438. Très fréquemment aussi, les banquiers sont rapporteurs des sections centrales auprès des chambres : budget, traités de com- merce, concessions de péages, pétitions, douanes et accises, pen- sions et traitements, matières financières, chemins de fer, moyens de communication, les banquiers y embrassent tous les domaines économiques. Et ce sont eux qui, régulièrement, viennent défen- dre les projets de loi qu’ils ont élaborés avec d’autres spécialistes. Ils sont choisis en fonction de leur compétence, de leur formation ou de leurs activités particulières. Certains se font remarquer par leur travail parlementaire et rejoignent les établissements bancai- res comme experts (avocats d’affaire, hauts fonctionnaires…). D’autres font profiter les commissions de leur expérience de ter- rain (industriels, banquiers…). Dans le milieu économique au sens large, la mobilité professionnelle des individus est la règle au XIXe siècle ; elle confère dynamisme et souplesse aux structures capitalistes. Citons un exemple de mobilité parmi d’autres. J. B. Smits com- mence sa carrière comme fonctionnaire. Il dirige le Département du Commerce et de l’Industrie au Ministère de l’Intérieur de 1832 à 1839. À ce titre, il est actif au sein de la commission de l’Indus- trie à la Chambre dès 1836. Appelé à la direction de la Banque de Belgique en 1839, il démissionne rapidement de ses fonctions à la banque pour entrer au gouvernement de 1841, comme minis- tre des Finances. Il ne retournera jamais vraiment à la Banque de Belgique (où L. Deswert lui succédera), mais continuera à lui rendre des services.

L’intervention des banquiers dans les débats parlementaires

À l’exception de quelques hommes politiques de premier plan, comme J. Malou, E. Pirmez, J.R. Osy, V. Tesch ou C. Liedts, qui

438 Comme V. Tesch, A. Jamar, G. de Lhoneux, etc. 317 www.academieroyale.be

Les grands banquiers belges (1830-1935) s’illustrent dans des domaines variés, les banquiers font partie de la catégorie des parlementaires qui réservent leurs prises de parole aux matières qu’ils connaissent le mieux, à savoir les questions économiques. Comme notables, il arrive qu’ils montent au cré- neau pour défendre les intérêts de leur région, dans les débats qui mettent en concurrence les provinces comme, par exemple, ceux concernant la construction de routes, de canaux et de chemins de fer ou l’installation des télégraphes et l’amélioration des services postaux. Il arrive également qu’ils expriment le point de vue de leurs électeurs dans des problématiques purement régionales comme la citadelle d’Anvers, la construction de collèges, etc. Mais la principale raison d’être de leur présence au Parlement est la défense des intérêts économiques sectoriels ou, plus largement, d’une certaine vision de l’économie. Ainsi, ils prennent position à propos de l’ouverture ou de la fermeture des frontières, se pen- chent sur l’amélioration des moyens de payement, élaborent les traités de commerce avec les pays limitrophes, conçoivent les aides à la production par l’ouverture de crédits particuliers, pro- posent des mesures de fiscalité, etc. La politique économique des deux premières décennies du pays doit beaucoup au dynamisme des banquiers ou futurs ban- quiers. À cette époque, les spécialistes en matières industrielles sont encore rares et les chambres législatives s’en remettent lar- gement à une poignée de capitalistes qui s’attellent à la mise en place des infrastructures économiques dont la Belgique jouira dans la seconde moitié du siècle Le choix des options à prendre en matière économique peut diviser les capitalistes qui ne s’entendent pas toujours sur les moyens à mettre en œuvre. Ainsi, les deux collègues J. B. Smits et L. Desmaisières ne s’accordent pas sur la politique commerciale que le pays doit mener, le premier étant un partisan de la « liberté commerciale », le second de la « prohibition ». De même, les riva- lités entre les personnes et entre les établissements qu’ils défen- dent ne sont pas absentes des prises de position des banquiers dans les débats parlementaires 439. Mais le souci essentiel commun demeure l’aide à l’industrie et, dans la plupart des débats, les banquiers s’entendent sur les décisions à prendre qui sont géné- ralement votées à une grande majorité.

439 Avant même la création de la Banque de Belgique à laquelle il contribuera, G. Le Grelle s’emploie à critiquer à plusieurs reprises les agissements de la Société Générale durant l’été 1833. L. Hymans, Histoire parlementaire de la Belgique, Bruxelles, 1877-1880, t. I, p. 150-152. 318 www.academieroyale.be

Banque et politique

Après 1860, lorsque les critiques à l’encontre de la Banque Nationale se sont calmées au Parlement et que la vision « pater- naliste » du rôle de surveillance de l’État a cédé le pas à une conception totalement libérale de l’économie, la voix des ban- quiers commence à se fondre dans l’ensemble des revendications émanant du monde industriel. Ils continueront à dominer les débats techniques grâce à leur connaissance aiguisée de l’appareil économique belge et à leur grande maîtrise des notions théori- ques, mais ils partageront désormais la tribune avec des hommes nouveaux rompus aux arcanes du monde capitaliste. Leur opi- nion reste néanmoins déterminante dans plusieurs problémati- ques centrales : les négociations relatives aux traités de commerce avec l’étranger 440, la refonte du système monétaire 441, l’expan- sion du télégraphe, ... Les banquiers appuient largement la libéralisation grandis- sante de l’économie belge. Dès le mois de janvier 1863, G. Saba- tier réclame une législation plus libérale en matière de sociétés anonymes 442. Le mois précédent, le même homme avait eu l’oc- casion d’exprimer ses vues extrêmement libérales dans une dis- cussion consacrée au travail des enfants 443. L’avis des banquiers a eu une grande incidence dans la naissance des idées libre-échan- gistes et leur propagation dans le seconde moitié du XIXe siècle. Au fameux Congrès International d’Economistes du 16 sep­ tembre 1847 dont le retentissement fut important, comme je l’ai souligné au chapitre 5, l’assemblée compte un grand nombre de personnalités liées au monde de la finance belge 444. Dans d’autres matières économiques cependant, les banquiers se font plutôt discrets au Parlement. Ainsi, en ce qui concerne la longue discus- sion à la Chambre relative à la révision du code de commerce, au milieu des années 1860, les députés-banquiers ne sont pas plus impliqués que d’autres membres de la Chambre.

440 L. Hymans, Histoire parlementaire de la Belgique, Bruxelles, 1877-1880, t. IV, p. 141. 441 L. Hymans, Histoire parlementaire de la Belgique, Bruxelles, 1877-1880, t. IV, p. 30 et p. 180. 442 L. Hymans, Histoire parlementaire de la Belgique, Bruxelles, 1877-1880, t. IV, p. 145. 443 L. Hymans, Histoire parlementaire de la Belgique, Bruxelles, 1877-1880, t. IV, p. 164. 444 Pour en citer quelques-unes : C. De Brouckère, J. Arrivabene, F. Anspach, J. R. Bischoffsheim. 319 www.academieroyale.be

Les grands banquiers belges (1830-1935)

Lorsque, dans les années 80, le retour au protectionnisme s’impose suite au repli des autres nations commerciales, certains banquiers comme G. Sabatier n’hésitent pas à renier leurs prin- cipes libres-échangistes pour s’adapter à la nouvelle donne éco- nomique 445. Dans les années 1890, les deux ministres des Finan- ces catholiques A. Beernaert et P. de Smet de Naeyer s’opposent sur les principes à adopter en matières douanières, le premier défendant une relative liberté, le second, issu du sérail industriel, exigeant un certain nombre de mesures protectrices 446. Les sti- mulants à l’économie sous forme de primes étatiques ont d’ailleurs été encouragés ou critiqués selon les périodes, les banquiers étant prompts à adapter leurs convictions aux circonstances. L’analyse du comportement des banquiers au Parlement confirme l’obser- vation de G. Vanthemsche : « les politiciens du XIXe siècle se lais- sent guider, avant tout, par le pragmatisme. Cette attitude assez terre à terre est à l’origine des premières « interventions » de l’État. » Vanthemsche note que l’action régulatrice des pouvoirs publics s’inspire « principalement des désirs exprimés par les cou- ches dirigeantes du grand capital » 447.

Le clivage catholique-libéral chez les banquiers parlementaires

Très présents sur le terrain de l’économie, les banquiers font montre d’une prudente discrétion dans les débats de société qui « fâchent » et divisent l’opinion. Défenseurs d’une vision conser- vatrice des rapports de classe, ils veulent en règle générale préser- ver les privilèges de la classe possédante et se montrent très réti- cents à l’immixtion de l’État dans les rapports entre patronat et monde ouvrier 448. Dans les discussions relatives à la réglementa- tion du travail des femmes et des enfants des années 1880, les banquiers les plus en vue adoptent des positions nettement

445 L. Hymans, Histoire parlementaire de la Belgique. Deuxième série 1880-1890, Bruxelles, 1906, p. 105. 446 M. Suetens, Histoire de la politique commerciale de la Belgique depuis 1830 jusqu’à nos jours, Bruxelles, 1955, p. 120-126. 447 G. Vanthemsche, Les paradoxes de l’État. L’État face à l’économie de marché XIXe et XXe siècles, Bruxelles, 1997, p. 59 et p. 70. 448 « Globalement, au XIXe siècle, l’intérêt du Sénat pour les affaires sociales fut particulièrement limité ». Cette conclusion s’applique également à la Chambre. V. Laureys, M. Van Den Wijngaert, L. Francois, E. Gerard, J.P. Nandrin, J. Stengers, L’histoire du Sénat en Belgique de 1831 à 1995, Bruxelles, 1999, p. 87. 320 www.academieroyale.be

Banque et politique conservatrices, favorables à la liberté du travail et aux privilèges patronaux et ce, par un réflexe de classe affranchi de toute appar- tenance à un parti 449. En 1884, l’insouciance du monde patronal s’exprime d’ailleurs dans cette phrase laconique du député Eudore Pirmez, maintes fois citée depuis : « nulle plainte du côté du tra- vail » 450. Les générations de patrons qui suivent sont forcées de consta- ter les limites du « non-interventionnisme social » et de s’adapter bon gré mal gré au rôle social nouveau dévolu à l’État. Mais comme Vanthemsche le souligne, au tournant du siècle, les patrons subissent les réformes sociales plutôt qu’ils ne les encou- ragent, et l’intervention étatique n’est tolérée que conçue comme instrument « conservateur » : l’intervention « est censée maintenir (et non pas changer) les fondements de la société capitaliste » 451. Il faudra attendre la chute du conservateur P. de Smet de Naeyer (futur directeur de la Société Générale), provoquée par les démo- crates chrétiens, pour que soit décidée la première intervention de l’État dans ce qu’on appelait alors « la liberté du travail ». Quelques lois sociales d’importance, régulant le travail des femmes et des enfants, et limitant le temps de travail dans la mine sont votées, juste avant le déclenchement de la Première Guerre mondiale 452. Tant que leurs privilèges ne sont pas remis en cause, les ban- quiers évitent autant que possible les controverses autour des questions de société impliquant des dissensions idéologiques. Ils réduisent leur rôle au Parlement à une position d’observateur. Ainsi, rares ont été ceux qui se sont impliqués dans les luttes de parti lorsque celles-ci ont commencé à occuper l’avant-scène politique. Dans les discussions relatives à l’enseignement, à la liberté de culte, aux fraudes électorales, dans tous ces débats

449 E. Pirmez et G. Sabatier s’activent à la Chambre, F. Braconier, P. Crabbe et G. de Lhoneux s’expriment au Sénat. La position commune adoptée par les fractions catholiques et libérales de la bourgeoisie a été explicitée en détail dans P. Delfosse, Les fractions de la bourgeoisie catholique et libérale belge face aux revendications sociales du mouvement ouvrier 1830-1914, Louvain-la-Neuve, sd, p. 20-22 et p. 52-54. 450 A. Nyssens, Eudore Pirmez, Bruxelles, 1893, p. 219. 451 G. Vanthemsche, Les paradoxes de l’État. L’État face à l’économie de marché XIXe et XXe siècles, Bruxelles, 1997, p. 74. 452 E. Witte, J. Craeybeckx, La Belgique politique de 1830 à nos jours. Les tensions d’une démocratie bourgeoise, 2e édition, Bruxelles, 1987, p. 124. P. Delfosse, Les fractions de la bourgeoisie catholique et libérale belge face aux revendica- tions sociales du mouvement ouvrier 1830-1914, Louvain-la-Neuve, sd, p. 32. 321 www.academieroyale.be

Les grands banquiers belges (1830-1935) animés que l’histoire politique a retenus du XIXe siècle, les ban- quiers ont fait montre d’une discrétion caractéristique de la place centrale qu’ils occupent dans le champ patronal. En mars 1843, la Chambre débat des méthodes à adopter pour mettre fin aux fraudes électorales qui commencent à se générali- ser. Les points de vue opposent déjà nettement catholiques et libéraux, chaque camp reprochant à l’autre ses pratiques électo- ralistes. Les banquiers refusent de s’embarquer dans les luttes de personnes, et même J. Malou (le seul – futur – banquier actif dans la discussion) joue un rôle modérateur et tente d’empêcher que le débat ne s’envenime. Dans les échanges de vue tendus qui précèdent le vote de la première loi organique de l’enseignement primaire de septembre 1842, on ne trouve le nom d’aucun ban- quier. Les financiers ne s’investissent pas plus dans les luttes poli- tiques ultérieures relatives aux divergences idéologiques liées à l’instruction publique. En juin 1862, la problématique des cime- tières fait son apparition à l’assemblée. À nouveau, les banquiers refusent d’entrer dans la polémique, à l’exception de E. Pirmez qui défend une position modérée 453. Une autre question épineuse est celle des bourses d’études, en novembre 1862. Une proposi- tion de loi à ce sujet émane du ministre de la Justice V. Tesch. Cette fois encore, les banquiers-parlementaires se font plus que discrets. Les années 60 et 70 dans leur ensemble sont caractéri- sées par l’extrême distance des banquiers-parlementaires envers tous les dossiers délicats qui provoquent des altercations de partis. Même lorsque la guerre scolaire fait rage en 1881 et en 1882, les banquiers s’abstiennent dans les débats tendus relatifs à l’instruction publique, à l’exception de X. Olin qui est régulière- ment rapporteur de la section centrale à la Chambre, et de J. Malou qui se trouve embarqué notamment dans une vive alter- cation avec W. Frère-Orban et J. Bara 454. Des ministres comme V. Tesch, J. Malou ou E. Pirmez appa- raissent comme les chefs de file de leurs formations politiques. Mais ils représentent une génération où les conjonctions d’inté- rêts de la classe dirigeante priment sur les divergences entre partis. À la différence de Malou qui a incarné l’intransigeance de

453 L. Hymans, Histoire parlementaire de la Belgique, Bruxelles, 1877-1880, t. IV, p. 91. 454 L. Hymans, Histoire parlementaire de la Belgique. Deuxième série 1880-1890, Bruxelles, 1906, p. 135. 322 www.academieroyale.be

Banque et politique son parti dans plusieurs débats de nature idéologique 455, Tesch et Pirmez se sont montrés plutôt circonspects lorsqu’il s’est agi d’aborder les désaccords philosophiques qui divisent le pays en deux camps. Pirmez a laissé de son œuvre politique le souvenir d’une action de conciliation que son biographe et adversaire politique, le catholique A. Nyssens, n’a pas manqué de souli- gner 456. Et Tesch, le doctrinaire, qui n’a jamais hésité à défendre les vues du parti libéral dans les grands débats de son temps 457, est un homme respecté de ses opposants politiques. Le député catholique J. Jacobs a bien exprimé en novembre 1865 la nuance qui, à ses yeux, distinguait un Tesch d’un J. Bara. Selon lui, c’est ce dernier qui incarne le véritable ennemi politi- que : « l’opinion publique s’est émue en voyant M. Bara remplacer M. Tesch [au poste de ministre de la Justice]. L’opinion conser- vatrice a rencontré dans M. Tesch un adversaire opiniâtre, mais observateur des formes et des convenances parlementaires, dis- cutant toujours sur le terrain de la froide et calme raison ; au contraire, M. Bara, depuis son arrivée à la chambre, y a pris le rôle de détracteur passionné de toute la hiérarchie catholique, depuis le sommet jusqu’à la base. Il s’est fait un rôle à part ; il a repris en quelque sorte la succession de M. Verhaegen 458. » Début des années 80, le libéral progressiste X. Olin, professeur à l’Université de Bruxelles, fait figure de député turbulent, prompt à la polémique. Dans une question particulièrement discutée en 1882, il ira jusqu’à provoquer le député G. Cooreman en duel 459. L’entrée à la Banque de Bruxelles en 1891 de l’éligible X. Olin et sa position éminente dans le monde des affaires lui imposeront de prendre quelque distance avec ses idéaux de jeunesse et d’adop-

455 Rappelons tout de même que cette personnalité catholique, qui comptait parmi les membres du comité libéral « beaucoup d’amis et d’obligés », a été sollicitée comme candidat du comité libéral lors des élections de juin 1848, Baron de Trannoy, Jules Malou 1810 à 1870, Bruxelles, 1905, p. 192. 456 A. Nyssens, Eudore Pirmez, Bruxelles, 1893. 457 Voir par exemple sa position dans le débat relatif à la « Loi des couvents » en 1857, L. Hymans, Histoire parlementaire de la Belgique de 1831 à 1880, Bruxelles, 1877-1880, t. II, p. 378. Sur le rôle politique de Tesch, voir G. Kurgan-Van Hentenryk, Gouverner la Générale de Belgique. Essai de biographie collective, Bruxelles, 1996, p. 60. 458 L. Hymans, Histoire parlementaire de la Belgique de 1831 à 1880, Bruxelles, 1877-1880, t. 4, p. 347. 459 L. Hymans, Histoire parlementaire de la Belgique. Deuxième série 1880-1890, Bruxelles, 1906, p. 132. 323 www.academieroyale.be

Les grands banquiers belges (1830-1935) ter une attitude beaucoup plus conciliante vis-à-vis de ses adver- saires politiques. Il dirigera l’établissement bancaire avec des grands bourgeois bien établis tels que G. De Laveleye. Certains de ses collègues ne partagent d’ailleurs pas ses convictions politi- ques, à l’image de l’indépendant E. Van Overloop. Notons en passant que sur l’ensemble de l’échantillon, seuls deux libéraux (X. Olin et A. Poulet) ont appartenu à la tendance progressiste, les autres adhérant à l’aile conservatrice du parti libéral 460. Du côté catholique, les deux seuls démocrates-chrétiens repérés dans les conseils des banques (M. Levie, L. de Lantsheere) sont des personnalités politiques de première importance sollicitées par le monde des affaires durant l’entre-deux guerres, au moment où se banalise le recrutement d’hommes politiques dans les affaires. Sans être de véritables protagonistes des divisions entre partis, les banquiers n’en demeurent pas moins sympathisants de l’une ou l’autre formation politique. Dans les débats « politisés » qui exigent des parlementaires une prise de position tranchée, les votes des banquiers traduisent habituellement les opinions de la catégorie de population dont ils sont les représentants. En bons adhérents, ils se retranchent derrière les positions officielles des partis et participent, de la sorte, à la formation des clivages. Mais l’expression des désaccords idéologiques au sein des assemblées législatives ne doit jamais venir entacher les relations profession- nelles que les notables peuvent entretenir par ailleurs. L’adver- saire politique reste un précieux allié économique quand il par- tage les mêmes préoccupations et les mêmes intérêts. Comme le faisait remarquer avec ironie le socialiste J. Wauters en 1935, « nous savons très bien que les gens de droite savent parfaitement se servir de l’obstacle confessionnel pour diviser les travailleurs, mais qu’ils ne s’y arrêtent pas quand il s’agit de travailler avec des capitalistes qui ne partagent pas leurs convictions philoso- phiques » 461. J. Malou ne pensait pas différemment quand il aurait dit, soixante ans plus tôt : « la politique, c’est une affaire d’argent » ; « le clérical et le libéral, c’est bon pour les imbéci- les » 462.

460 M. Mayne, « Les bons enfants du peuple. Doctrinaires et progressistes au temps de Frère-Orban », in A. Despy-Meyer (dir), La Belgique au temps de Frère-Orban, Bruxelles, 1996, p. 87. 461 Annales parlementaires, Sénat, séance du 12 mars 1935, p. 248. 462 Cité par Caulier-Mathy dans N. Caulier-Mathy, « Industrie et politique au pays de Liège. Frédéric Braconier (1826-1912) », in Revue Belge d’Histoire Contemporaine, 1981, 1-2, p. 48. 324 www.academieroyale.be

Banque et politique

Effectivement, aborder la politique du XIXe siècle au travers de l’activité des élites financières du pays permet de nuancer le phénomène de pilarisation qui aurait scindé le pays en deux clans distincts (catholiques et laïques, ou plus subtilement cléricaux et anticléricaux) 463. Cette dichotomisation n’offre qu’une vision simplificatrice des divisions qui ont pu exister au sein des élites bourgeoises 464. Le milieu des banquiers liégeois offre ainsi une perspective originale sur l’importance relative des convictions politiques et, partant, philosophiques, dans la structuration du champ patronal. Dans la haute-bourgeoisie liégeoise de la seconde moitié du XIXe siècle, les divergences philosophiques et politi- ques semblent s’effacer au profit d’une cohésion de classe qui tend à se renforcer au fur et à mesure que croissent les menaces pesant sur ses privilèges de la part de groupes concurrents en train de se structurer 465. L’analyse de la carrière politique de Frédéric Braconier, admi- nistrateur puis président du Crédit Général Liégeois, montre les nombreux liens que ce grand patron libéral entretient avec le milieu catholique. Marié à Joséphine Lamarche, il associe ainsi son nom à une des grandes familles catholiques de la région. Préoccupé de défendre les intérêts d’une élite industrielle, il essaye par ailleurs de toucher un large électorat et bénéficie de la relative bienveillance d’une presse catholique reconnaissant que « F. Braconier répond aux préoccupations de larges couches du corps électoral qu’il soit de gauche ou de droite » 466. Comme c’est le cas pour les alliances familiales de Braconier, d’une manière générale, les étiquettes politiques uniques convien- nent mal aux structures familiales liégeoises fort complexes.

463 Deux réflexions récentes à ce propos : J. Tyssens, « Laïcité et pilarisation », in A. Miroir (dir), Laïcité et classes sociales 1789-1945, Bruxelles, 1992. D L. Zeiler, « Un État entre importation et implosion : consociativité, partito- cratie et lotissement dans la sphère publique en Belgique », in P. Delwit, J M. De Waele, P. Magnette, Gouverner la Belgique. Clivages et compromis dans une société complexe, Paris, 1999. 464 J. Bartier, « anticléricalisme, laïcité et rationalisme en Belgique au XIXe siècle », in G. Carlier (ed), Libéralisme et Socialisme au XIXe siècle, Bruxelles, 1981, p. 234. 465 Paradoxalement, c’est lorsque la division entre les tendances catholique et libé- rale est la plus nette, au milieu des années 1880, que les processus d’autodé- fense entre membres de la droite et de la gauche sont les plus similaires. 466 N. Caulier-Mathy, « Industrie et politique au pays de Liège. Frédéric Braco- nier (1826-1912) », in Revue Belge d’Histoire Contemporaine, 1981, 1-2, p. 40. 325 www.academieroyale.be

Les grands banquiers belges (1830-1935)

La famille de Macar, de tendance plutôt libérale, n’hésite pas à contracter des alliances avec des familles catholiques comme les de Meeus. Les industriels et fabricants d’armes Laloux-Ancion- Dresse-Magis forment un large réseau familial, actif en politique à la fois sous la bannière catholique et sous la bannière libérale. Durant les années 80, la crainte du radicalisme rapproche Braconier et les banquiers liégeois libéraux de leurs collègues catholiques conservateurs 467. Au niveau local, les capitalistes se mobilisent pour contenir le mécontentement croissant des ouvriers et éviter l’interférence d’un État dont ils se méfient. Bra- conier dirige la Caisse de prévoyance des ouvriers mineurs tandis qu’il maintient l’usage des livrets ouvriers dans ses charbonna- ges. Du côté catholique, les banquiers ou futurs banquiers s’ins- crivent dans la tendance du « catholicisme social » tel que défini par P. Gérin : « rejetant l’intervention de l’État au profit de l’initiative privée, ils ont établi des œuvres : conférences de Saint-Vincent-de-Paul, patronages, cercles ouvriers qui leur ont permis d’exercer à la fois leur charité et leur pouvoir sur les ouvriers ». « Avec l’encyclique Rerum Novarum (1891), les catholiques sociaux admettent que l’État peut intervenir mais là seulement où l’abus ne peut être supprimé que par son intervention. Son intervention consiste sur- tout à favoriser par ses encouragements la création et l’extension des œuvres utiles fondées par l’initiative privée » 468. Les convergences entre Braconier et le reste des administra- teurs catholiques du Crédit Général Liégeois sont probablement plus fortes que celles qui le lient au fondateur de la banque à qui il va succéder, le progressiste anticlérical A. Poulet. Bataillant chacun dans des sphères relativement indépendantes et séparées, catholiques et libéraux conservateurs mènent en fait un combat commun avec des armes distinctes mais analogues. Leur vision libérale du rôle de l’État, leur approche pragmatique de l’écono-

467 C’est aussi l’époque (1883) où les catholiques se rassemblent en une Union nationale pour le redressement des griefs aux accents très conservateurs, et où l’aile libérale doctrinaire se détache de l’anticléricalisme militant auquel elle attribue la défaite électorale de 1884, E. Witte, J. Craeybeckx, La Belgique politique de 1830 à nos jours. Les tensions d’une démocratie bourgeoise, 2e édition, Bruxelles, 1987, p. 90. 468 Beaucoup vont se rassembler sous le vocable Ligue pour la défense de l’industrie et de la propriété ou Ligue antisocialiste (que d’autres appelleront le « parti des coffres-forts »). P. Gerin, Catholiques liégeois et questions sociales 1830-1914, Bruxelles, 1959, p. 318 et p. 390. 326 www.academieroyale.be

Banque et politique mie font du banquier catholique et du banquier libéral liégeois les deux faces d’une même médaille. La première moitié du XXe siècle, traversée par les clivages poli- tiques et philosophiques hérités du XIXe, ne connaît pas de modi- fication sensible du profil des milieux de la haute-finance. La coha- bitation entre catholiques et libéraux reste l’usage au sein des conseils d’administration 469. Dans toutes les banques de l’échan- tillon fondées à partir de 1890, des représentants des deux bords se retrouvent autour des tables de négociations. Par ailleurs, les ban- ques plus anciennes dont la composition du conseil à l’origine relève nettement de l’une ou de l’autre tendance politique (la Banque Liégeoise plutôt catholique et la Banque Centrale Anver- soise plutôt libérale) rééquilibrent ensuite leur direction en y fai- sant entrer des administrateurs de l’autre bord 470. Comme l’a montré G. Kurgan à propos de la Société Générale 471, le long pas- sage des catholiques au gouvernement de 1884 à 1914 favorise le recrutement par les banques d’hommes politiques catholiques, pour les mêmes motifs que ceux qui avaient encouragé la Banque de Belgique et la Société Générale à enrôler des libéraux lors de la domination libérale au gouvernement entre 1852 et 1870. L’objec- tif des banques est avant tout d’établir des liens directs avec les représentants du pouvoir politique en place.

Tableau 39. – Tendances politiques des banquiers parlemen- taires selon la période de naissance (en %)

Toute la Avant 1820 1820-1850 Après 1850 période Catholiques 41% 41% 54% 44% Libéraux 51% 53% 37,5% 48% Autres 8% 6% 8,5% 8% Total Parlementaires 37 34 24 95 (= 100 %)

469 Même au sein d’une banque « familiale » comme la Mutuelle Solvay, les diver- gences philosophiques entre administrateurs sont patentes, mais l’on a aucun mal à faire triompher les intérêts familiaux. 470 La Banque de Bruxelles, libérale à l’origine, mettra un petit peu plus de temps à intégrer l’élément catholique puisque son conseil ne sera réellement équilibré que durant l’entre-deux-guerres. 471 G. Kurgan-Van Hentenryk, Gouverner la Générale de Belgique. Essai de biographie collective, Bruxelles, 1996. 327 www.academieroyale.be

Les grands banquiers belges (1830-1935)

Tableau 40. – Tendance politique des banquiers dont l’opi- nion est connue (en %)

Catholique 45% Libéral 52% Autre 3%

Le dosage subtil entre catholiques et libéraux au sein des conseils d’administration se reflète dans les chiffres. Pour l’en- semble des 95 parlementaires de l’échantillon répertoriés entre 1830 et 1935, on dénombre 42 catholiques, 46 libéraux, 3 indé- pendants, 2 unionistes et 2 qui ont appartenu aux deux grands partis. Si l’on prend en compte la totalité des banquiers dont on connaît la tendance politique (165 personnes), la proportion varie à peine, avec 75 catholiques, 85 libéraux, 2 indépendants et 2 unionistes. À aucun moment, la finance belge n’apparaît comme franchement libérale ou catholique. L’équilibre entre les deux tendances prévaut ainsi que le compromis autour de valeurs conservatrices. Un certain nombre de personnalités incarnent cette position de compromis à travers leur approche pragmati- que de la politique. Ainsi, E. Pirmez et A. Beernaert sont indubi- tablement positionnés au centre de l’échiquier politique. D’autres hommes d’affaires comme J.R. Osy dans les années 1850 et G. de Lhoneux dans les années 1870 n’ont pas hésité à changer de parti, le premier rejoignant les rangs du parti catholique, le second abandonnant la droite pour le libéralisme. Dans les années 1880, le courant éphémère des indépendants qui souhaite marquer ses distances avec la vieille droite incarnée par C. Woeste, tout en réaffirmant sa méfiance envers le socia- lisme, a compté dans ses rangs durant sa courte vie plusieurs financiers, négociants et industriels, dont les banquiers V. Allard, C. Simons et E. Van Overloop. L’analyse des appartenances politiques des banquiers de l’échantillon ne semble pas corrobo- rer l’observation de E. Witte et J. Craeybeckx selon laquelle, à la fin du XIXe siècle, « la majorité du grand capital appartenait au camp catholique conservateur ». Si un rapprochement entre la haute bourgeoisie et la noblesse catholique s’est bien produit à cette période, les conseils d’administration des banques ne sont pas beaucoup plus catholiques que lors de la période précédente : la Banque de Bruxelles reste un bastion libéral, les libéraux lié- geois entrent dans les deux grandes banques de la place, les ban- ques anversoises conservent une légère majorité libérale. Rappe- lons cependant que l’establishment libéral reste majoritairement

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Banque et politique attaché à la religion catholique et que la proportion de libres- penseurs répertoriés dans l’échantillon demeure négligeable 472. Durant l’entre-deux-guerres, les hommes en place dans les conseils d’administration des banques véhiculent une vision de la politique héritée des banquiers-parlementaires du siècle précé- dent. Pour ces notables ou fils de notables, « business must remain first ». Les clivages existant sur la scène politique n’interfèrent pas dans la conduite des affaires. Face aux remous économiques et sociaux de l’après-guerre, la recherche de l’entente et du consensus prime et les réponses à apporter doivent recueillir l’as- sentiment le plus large. Ainsi, à Liège, le rapprochement entre catholiques et libéraux s’accomplit harmonieusement. Une série de libéraux doctrinaires comme A. Magis, E. Digneffe, P. Van Hoegaerden et C. de Rossius, actifs eu sein de l’Association libé- rale de la ville durant les années 1880 et 1890, intégreront les conseils d’administration des deux banques au tournant du siècle et leur empreinte s’y maintiendra jusqu’à la fin des années 1920 473. Simultanément, les héritiers du catholicisme conservateur de ces mêmes années (J. Van Zuylen, L. Dallemagne, H. de Laminne, H. de Meeus, G. Francotte) resteront influents dans les banques liégeoises jusque dans les années 1930. Le milieu bancaire liégeois de l’entre-deux-guerres est donc l’héritier en droite ligne des pra- tiques politiques et des valeurs paternalistes en vigueur à la fin du XIXe siècle. Il se compose d’une élite conservatrice recrutée direc- tement dans les lignées patronales qui ont dominé la région depuis la révolution industrielle 474.

Incompatibilités entre finance et politique

Tout au long du siècle étudié, affaire et politique font bon ménage. Comme en témoignent les nombreux exemples évoqués,

472 Que ce soit dans le camp catholique ou libéral, les banquiers impliqués en poli- tique représentent la fraction la plus conservatrice. E. Witte, J. Craeybeckx, La Belgique politique de 1830 à nos jours. Les tensions d’une démocratie bour- geoise, 2e édition, Bruxelles, 1987, p. 131. 473 M. Dechesne, Le Parti Libéral à Liège 1848-1899, in Cahiers du Centre Interu- niversitaire d’Histoire Contemporaine, no 76, Leuven, 1974. 474 Les héritiers sont également majoritaires dans des banques anversoises comme la Banque Centrale Anversoise où l’on retrouve, durant l’entre-deux-guerres, des grands noms comme Good, Fuhrmann, Marsily, Bracht, Grisar, Le Grelle, Kreglinger. 329 www.academieroyale.be

Les grands banquiers belges (1830-1935) sitôt engagée dans la vie professionnelle, la haute-bourgeoisie baigne dans l’une et l’autre. La frontière départageant l’homme politique de l’homme d’affaires varie donc au cas par cas. Aux deux pôles opposés, on trouve, d’un côté, l’homme d’État totale- ment extérieur aux affaires et, de l’autre, l’homme d’affaires par- faitement étranger à la politique. Ces deux profils sont plutôt rares, la majorité des grands bourgeois – et des nobles versés en affaires – se situant quelque part entre ces deux extrêmes, ne fût- ce que par leurs liens familiaux. Nous avons vu comment l’élé- ment politique a pu influencer les affaires, à la fois comme cir- constance génératrice de réseaux à la fondation de banques, et comme principe régulateur d’équilibre au sein des conseils d’ad- ministration. J’ai indiqué également quels bénéfices symboliques et matériels les banquiers pouvaient retirer de leur investissement en politique. Tout cela n’empêche pas que, depuis la création de l’État belge, les dirigeants ont tenté de dissocier sphère publique et sphère privée dans le but d’éviter tous risques de conflits d’inté- rêts entre profits collectifs et profits personnels. Il faut toutefois attendre l’entre-deux-guerres pour que la problématique de l’in- compatibilité entre fonctions financières et charges politiques ne soit concrètement posée, à une époque où les excès étaient patents. Jusqu’à cette période, les capitalistes se sont employés à occulter les difficultés inhérentes au cumul des fonctions en prô- nant l’éthique personnelle comme seule garantie contre d’éven- tuels excès. Ainsi, lors du débat sur les incompatibilités parlementaires de 1848, les chambres se contentent d’exclure certaines catégories de fonctionnaires mais refusent d’envisager les hauts dirigeants de la Société Générale (qui joue encore le rôle de caissier de l’État) comme faisant partie des serviteurs de l’État. Après cette date, les deux camps politiques vont fréquemment se voir reprocher des collusions suspectes : des personnalités comme V. Tesch, J. Malou sont mises sur la sellette pour l’emprise importante qu’ils conquièrent dans les sphères politique et financière. Toute- fois, aucune grosse affaire ni aucun scandale financier au XIXe siècle ne débouche sur une réelle volonté politique de légi- férer en la matière. Au lendemain de la première guerre mondiale, le monde des affaires et la classe politique s’interpénètrent à un degré non égalé jusqu’alors. Signe de cette confusion des rôles, les financiers se voient associés directement au gouvernement. Jusqu’à cette

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Banque et politique période, ils prenaient soin de démissionner de leurs fonctions financières avant d’entrer dans l’exécutif. Après la guerre, des figures célèbres comme E. Francqui, M. Houtart ou même M. Lippens ne prennent plus la peine de quitter leurs fonctions d’administrateur durant leur passage au gouvernement. Cette évolution généralisée vers la concentration des pouvoirs ramè- nera la problématique des incompatibilités à l’avant-plan des préoccupations politiques : une proposition de loi sur les incom- patibilités parlementaires et ministérielles est soumise au Parle- ment en 1926. Elle ne sera sérieusement débattue dans les cham- bres qu’en mars 1931, mais ne sera jamais adoptée, les partis politiques préférant réglementer la nouvelle morale politique au sein de leurs propres institutions 475. Pour mettre fin aux excès indéniables de la surchauffe capita- liste du pays, et aux pratiques condamnables liées au cumul des fonctions, le monde politique aura préféré mettre de l’ordre au sein du secteur privé lui-même, par le biais d’incompatibilités touchant exclusivement les dirigeants financiers dans l’exercice de leur métier. Il s’agit des incompatibilités stipulées dans les arrêtés royaux régissant le système bancaire belge et mettant fin au régime de la banque mixte en Belgique 476. Elles verront les banquiers interdits de mandats industriels mais n’empêcheront pas une nouvelle catégorie de financiers, attachés désormais à des holdings puissants, de voir le jour 477.

475 Ainsi, l’Union Catholique adopte, le 12 février 1936, un règlement forçant les parlementaires catholiques d’abandonner tous leurs mandats financiers. 476 G. Vanthemsche, « L’élaboration de l’Arrêté royal sur le contrôle bancaire (1935) », in Revue Belge d’Histoire Contemporaine, XI, 1980, 3, p. 419. G. Vanthemsche, « De politieke en economische context van de Belgische bankwetgevingen van 1934 en 1935 », in La Banque en Belgique 1830-1980, Revue de la Banque, sept. 1980, cahier 8/9, p. 31-50. L. Hommel, F. Smets, Le statut légal des banques et des banquiers en Belgique, Bruxelles, 1935. F. De Voghel, A. Grégoire, Le statut légal des banques et le régime des émissions, Bruxelles, 1949. 477 Pour un compte-rendu détaillé de l’ensemble de la problématique des incompa- tibilités, voir l’article que je lui ai consacré dans S. Tilman, « Les banquiers et la politique : incompatibilités ? Le cas de la Belgique (XIXe-XXe siècles) », in S. Jaumain, K. Bertrams, Patrons, gens d’affaires et banquiers, Bruxelles, 2004, p. 357-380. 331 www.academieroyale.be www.academieroyale.be

Chapitre VII

Les réseaux de banquiers dans l’économie

Une histoire à écrire

Le bilan chiffré et commenté de la contribution du système ban- caire belge au développement économique de la Belgique reste à écrire 478 : telle n’est évidemment pas mon ambition dans ce cha- pitre synthétique. Mes visées sont plus limitées. Elles s’articulent autour d’une question simple qui constitue la toile de fond de mon raisonnement : quel pourrait être l’apport de l’histoire sociale à l’approche économique du long XIXe siècle et quels sont, à cet égard, les enseignements que l’on est en droit de tirer de l’analyse d’un groupe d’acteurs économiques, en l’occurrence un échantillon de banquiers ? Je me contenterai, dans ce chapitre, d’établir des parallèles entre l’évolution du groupe social telle qu’elle a été esquissée dans les points précédents, et quelques phases marquantes du développement du système bancaire. Pour apporter des éléments de réponses à cette vaste interroga- tion, je devrai, faute de pouvoir reconstituer l’évolution indivi- duelle de chacune des banques étudiées, baser ma réflexion sur les synthèses d’histoire économique et bancaire existantes. Il est évi- dent que ces ouvrages font la part belle aux établissements domi- nants : la Société Générale, d’abord et avant tout, dont on connaît avec pas mal de précisions les stratégies de croissance grâce à plu-

478 R. Durviaux l’avait déjà appelé de ses vœux en 1947 dans R. Durviaux, La banque mixte. Origine et soutien de l’expansion économique de la Belgique, Bruxelles, 1947, p. 87. La recherche a beaucoup progressé depuis, mais le rôle des banques de taille plus réduite n’a jamais été parfaitement cerné.

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Les grands banquiers belges (1830-1935) sieurs études de référence qui lui ont été consacrées 479 ; la Banque de Belgique, dont il n’existe aucune monographie, mais qui est abondamment citée dans les ouvrages d’histoire économique 480 ; la Banque de Bruxelles, qui deviendra durant l’entre-deux-guerres la principale rivale de la Société Générale et dont plusieurs cher- cheurs ont souligné les caractéristiques principales 481. Pour les autres établissements, il me faudra faire référence à des études relativement vieillies mais qui demeurent des écrits de référence dans le domaine 482. Autant que je le peux, je puiserai des informations dans des synthèses d’histoire économique plus récentes consacrées à des facettes moins directement rattachées à l’histoire bancaire, bien que complémentaires.

1830-1850

Les premières sociétés anonymes

La première période, qui lie l’Indépendance de 1830 à la créa- tion de la Banque Nationale en 1850, peut être qualifiée de phase de transition entre une économie locale centrée sur la cellule fami- liale et les relations d’affaires de proximité et une économie moins compartimentée où les sociétés anonymes commencent à jouer un rôle de plus en plus prépondérant. Sur le plan industriel, durant

479 Entre autres : R. Brion, J. L. Moreau, La Société Générale de Belgique, 1822- 1997, Anvers, 1998. X. Mabille, C.X. Tulkens, A. Vincent, La Société Géné- rale de Belgique 1822-1997, Le pouvoir d’un groupe à travers l’histoire, Bruxelles, 1997. H. Van Der Wee, « La politique d’investissement de la Société Générale de Belgique, 1822-1913 », in Histoire, Economie et Société, 1982, p. 603-619. G. Kurgan-Van Hentenryk, « La Société Générale de Belgique et le finance- ment de l’industrie 1870-1950 », in P. Marguerat, L. Tissot, Y. Froidevaux (eds), Banques et entreprises en Europe de l’Ouest, XIXe-XXe siècles : aspects nationaux et régionaux, Neufchâtel, 2000, p. 199-221. H. Van Der Wee (coor) La Générale de Banque 1822-1997, Bruxelles, 1997. 480 Voir par exemple P. Lebrun, M. Bruwier, J. Dhondt, G. Hansotte, Essai sur la révolution industrielle en Belgique 1770-1847, Histoire Quantitative et Développement de la Belgique, Tome II, vol I, Bruxelles, 1981. 481 A. M. Dutrieue, « La Banque de Bruxelles au miroir de son conseil d’adminis- tration », in Histoire économique et financière de la France. Études et documents, IV, Paris, 1992, p. 179-223. J.M. Moitroux, Une banque dans l’histoire : de la Banque de Bruxelles et de la Banque Lambert à la B.B.L. (1871-1996), Bruxelles, 1996. 482 L’ouvrage classique de Chlepner reste par exemple une référence : B. S. Chlepner, Le marché financier belge depuis cent ans, Bruxelles, 1930. 334 www.academieroyale.be

Les réseaux de banquiers dans l’économie cette période, les premières formes de société anonyme portent encore les marques, apparentes dans la structure des conseils d’ad- ministration, de l’aspect familial de l’économie locale. Ainsi, le rôle des banquiers dans les premières constitutions de sociétés ano- nymes met en évidence la fonction encore prégnante des liens fami- liaux et locaux dans les relations d’af­aires. Selon J. Laureyssens, 35 % des 140 sociétés anonymes consti- tuées au cours de la première décennie de l’Indépendance belge avaient comme activité les secteurs du charbon (30 entreprises) et de la métallurgie (19 entreprises) 483. Le rôle central des deux grandes banques bruxelloises dans la constitution des premières sociétés anonymes a été souligné par H. Van der Wee et M. Goo- sens. Ces auteurs ont noté que, sur les 288,5 millions de francs investis dans les sociétés anonymes entre 1833 et 1838, la Société Générale a pris à sa charge 102 millions, soit 35 %, et la Banque de Belgique 54 millions, soit 18 % 484. La Société Générale a concentré ses investissements dans les charbonnages et la métal- lurgie du Hainaut. La Banque de Belgique, pour sa part, a prin- cipalement porté son attention sur l’industrie lourde de la région liégeoise. Les raisons de ces spécificités doivent en partie être recherchées dans les biographies des principaux acteurs de cette première période de fondations.

Les réseaux régionaux de la Société Générale et de la Banque de Belgique

À la Société Générale, le groupe d’actionnaires le plus fort à la création de la banque en 1822, hormis le cercle de Bruxellois de souche, sont les banquiers, négociants, industriels et propriétai- res de la région de Mons 485. On retrouve par exemple six mon- tois parmi les soixante actionnaires-fondateurs les plus impor- tants. La plupart de ces personnalités, dont L. Hennekinne-Briart,

483 J. Laureyssens, « Les actionnaires deviennent anonymes. La société anonyme et l’esprit d’association », in G. De Clercq (dir.), À la bourse, Histoire des valeurs en Belgique de 1300 à 1990, Bruxelles, 1992, p. 160. 484 Les participations industrielles des banques ont pris deux formes : la prise d’ac- tions et les prêts à long terme. H. Van Der Wee, M. Goosens, « Belgium », in R. Cameron, V.I. Bovykin (eds), International Banking 1870-1914, Oxford, 1991, p. 115. 485 L. Francois, « De reacties van de aandeelhouders van de Société Générale op de revolutiegolf van 1830 », in Revue Belge d’Histoire Contemporaine, XII, 3, 1981, p. 442-477. 335 www.academieroyale.be

Les grands banquiers belges (1830-1935)

P. Capouillet, I. Warocqué, P. J. Fontaine-Spitaels et A. Terce- lin-Sigart, ont été minutieusement décrites par J. Lebrun dans un volume qu’elle a consacré aux banques privées en Hainaut pen- dant la révolution industrielle 486. Cette vivante prosopographie prouve, s’il le fallait encore, que les banquiers montois n’ont pas attendu la transformation des charbonnages en sociétés anony- mes pour s’y intéresser. Par une politique dynamique d’escompte et d’avances aux firmes particulières, ils permettaient une bonne circulation des effets, facilitée par l’escompte de la Société Géné- rale après sa création 487. À l’origine de cette présence massive de montois auprès de l’établissement bruxellois, épinglons au moins un individu dont plusieurs éléments laissent à penser qu’il est au centre du réseau d’alliances : Jean-Joseph Capouillet. Celui-ci est admis comme « bourgeois de Mons » en 1779. Raffineur de sucre montois au début du XIXe siècle, il exerce, au moment de la fondation de la Société Générale, une activité analogue à Bruxelles en associa- tion avec Henri G. H. Matthieu sous la raison « Capouillet et Matthieu ». À cette époque, les Capouillet sont apparentés à Augustin Tercelin suite au mariage de ce-dernier avec Thérèse Adelaïde Sigart en 1822. En outre, le banquier Hennekinne- Briart est un proche : il est le témoin de la mariée à ce mariage. Ces trois familles, intégrées dans un réseau local d’affaires très intense, figurent naturellement parmi les fondateurs de la Société Générale, dont la famille Capouillet a été une des initiatrices. En effet, parmi les 24 comparants ou « fondateurs réels » de la Société Générale, réunis devant notaire à l’hôtel de ville de Bruxelles le 16 décembre 1822, on peut noter la présence du négociant « Judocus Petrus Matthieu » et du négociant « Petrus Capouillet ». Ils figurenten bonne compagnie au milieu des futurs dirigeants de l’établissement bruxellois 488. Ces deux négociants sont en réalité les fils des associés Matthieu et Capouillet. La

486 J. Lebrun, Banques et crédit en Hainaut pendant la révolution industrielle belge, Histoire quantitative et développement de la Belgique au XIXe et XXe siècles, tome II, vol 4a, Bruxelles, 1999. 487 J. Laureyssens, « Le crédit industriel et la Société Générale des Pays-Bas pendant le régime hollandais (1815-1830) », in Revue Belge d’Histoire Contem- poraine, 1972, III, 1-2, p. 133. Voir aussi à ce sujet J. Rassel-Lebrun, « La faillite d’Isidore Warocqué, banquier montois du début du XIXe siècle », in Revue Belge d’Histoire Contemporaine, 1973, IV, 3-4. 488 H. Houtman-De Smedt, « La Société Générale de 1822 à 1848. Évolution de la “banque foncière” à la “banque mixte” », in H. Van Der Wee (coor), La Géné- rale de Banque 1822-1997, Bruxelles, 1997, p. 25. 336 www.academieroyale.be

Les réseaux de banquiers dans l’économie famille Matthieu, dont Josse-Pierre sera le représentant le plus éminent, est une lignée très en vue sur la place bruxelloise, appa- rentée à de grands patronymes de la capitale. Pierre Capouillet, le fils de Jean-Joseph, est l’aîné d’une génération de jeunes hommes d’affaires originaires de Mons qui n’hésitent pas àse lancer dans la fondation des premières sociétés anonymes. Si Capouillet a déjà 48 ans en 1823, les banquiers privés Tercelin- Sigart et Hennekinne-Briart ont à peine 30 ans lorsqu’ils souscri- vent au capital de l’établissement bancaire bruxellois. Ces jeunes montois, représentant la deuxième ou troisième génération de familles enrichies dans le négoce et l’industrie locale, constituent dès lors un trait d’union essentiel entre l’éta- blissement bruxellois et les entrepreneurs hennuyers, dont cer- tains leur sont apparentés. Ils figureront au conseil d’administra- tion de diverses sociétés hennuyères fondées par la Société Générale. Le réseau montois s’articulant autour de la Société Générale va par ailleurs rapidement s’étendre. Citons, pour infor- mation, d’autres entrepreneurs de la région qui s’associent avec la Société Générale : A. Legrand-Gossart, vendeur de charbon, F. Spitaels, de la Maison Fontaine-Spitaels, V. Dessigny, com- merçant en charbon et banquier, J. B. Gendebien, directeur du Charbonnage du Gouffre. À la Banque de Belgique, les relations privilégiées que l’éta- blissement tisse avec la région liégeoise tiennent en partie à la position d’intermédiaire qu’a pu jouer la famille De Brouckère. J’ai déjà pu souligner les liens de Charles De Brouckère avec Maastricht et le banquier Visschers dont il épouse la fille, Marie. Charles Visschers devient ainsi son cousin par alliance. Ce der- nier est apparenté aux Dubois de Liège. Les liens entre la famille Visschers et la famille Dubois, de la maison de banque liégeoise du même nom 489, remontent à plusieurs décennies avant la fon- dation de la Banque de Belgique en 1835. Charles Visschers, dont la mère est une Dubois, épouse en 1826 une fille de Charles Dubois et renforce de la sorte l’alliance entre les deux places. Les liens entre Visschers, De Brouckère et les milieux d’affaires de Maastricht expliquent sans doute la présence des frères Behr dans les premières affaires liégeoises de la Banque de Belgique.

489 Dubois joue un rôle important dans les affaires industrielles avant l’indépen- dance. A titre d’exemple, en 1823, Lebrun et al. estiment les prêts à court terme concédés aux Cockerill par Dubois à environ 50 000-75 000 florins. P. Lebrun, M. Bruwier, J. Dhondt, G. Hansotte, Essai sur la révolution industrielle en Belgique 1770-1847, Histoire Quantitative et Développement de la Belgique, Tome II, vol I, Bruxelles, 1981, p. 274. 337 www.academieroyale.be

Les grands banquiers belges (1830-1935)

De son côté, Henri De Brouckère, le frère de Charles, qui avait choisi la carrière politique, n’est pas étranger aux intérêts de la famille et siège dans plusieurs sociétés liées à la Banque de Bel- gique. Docteur en droit de l’Université de Liège en 1820, il était sorti diplômé la même année que deux noms réputés de la place liégeoise, associés à la création de la Banque de Liège : Charles Verdbois, administrateur-fondateur et Grégoire Demonceau, député de 1835 à 1843 et frère du très dynamique Jean-Henri Demonceau, administrateur-directeur de l’établissement liégeois. Ces relations datant de l’époque universitaire renforcent encore les liens privilégiés entre la Banque de Belgique et le milieu d’af- faires liégeois. La zone d’influence liégeoise de la Banque de Belgique s’étend encore un peu lorsque l’on sait que Jules Nagelmackers devient le gendre de Charles De Brouckère suite à son mariage avec sa fille Elisabeth Marie Charlotte De Brouckère. G. F. Davignon, industriel originaire de Herve et administrateur de la banque en 1835, jette un pont supplémentaire avec l’industrie textile de la région. Le banquier Charles Dubois, allié à la Banque de Belgi- que dans plusieurs affaires, beau-père, nous l’avons vu, du pre- mier secrétaire de l’établissement Charles Visschers, est marié à Jeanne Elisabeth Desoer. Celle-ci est la cousine de Clémentine Desoer, qui épouse Hyacinthe Delloye. Et voilà citée une autre famille clé de l’essor du capitalisme belge du XIXe siècle, d’abord à Huy et Liège, puis à Bruxelles où le neveu d’Hyacinthe, Jules Delloye, va s’installer et ouvrir une banque privée qui se taillera une belle réputation. Le fondateur de la lignée Delloye est Nicolas Aimée Antoine Delloye (1755-1818), ferblantier à Huy, maire de Huy entre 1810 et 1816. Les alliances matrimoniales associent ses descen- dants avec plusieurs familles de parlementaires, dont les familles Lebeau, Dautrebande et Desoer. Son fils Hyacinthe Charles Del- loye, fabricant, est administrateur de la S.A. des Haut-fourneau et Fonderie de Vennes, fondée en 1835 à Liège avec l’appui de la Banque de Belgique. Le frère aîné de ce dernier, Clément Delloye est banquier à Huy. Jules Delloye, sans doute le représentant le plus éminent de la lignée, est le fils de celui-ci. Il s’installera à Bruxelles au milieu du siècle après une alliance avec la famille Tiberghien 490. Je reviendrai à Jules Delloye dans le point sui- vant. Les affaires du groupe Delloye sont très prospères. Les frères Hyacinthe et Clément Delloye démontrent leur dynamisme excep- tionnel lorsqu’ils transforment, sans apport extérieur, les affaires

490 Sur Pierre-François Tiberghien, voir L. Bergeron, Banquiers, négociants et manufacturiers parisiens du Directoire à l’Empire, Paris, 1978, p. 81. Voir aussi R. Demoulin, Guillaume Ier et la transformation économique des Provinces Belges (1815-1830), Paris-Liège, 1938, p. 245. 338 www.academieroyale.be

Les réseaux de banquiers dans l’économie

familiales en Société anonyme en 1837, date de fondation de la Fabrique de fer du Hoyoux au capital d’un million deux cents mille francs 491. Cette association locale et familiale où François Dautrebande, administrateur de la société, est le beau-frère de Ferdinand Delloye – frère cadet de Hyacinthe et Clément Del- loye –, débouche sur des nouvelles alliances matrimoniales qui ne sont pas sans conséquences sur l’évolution du monde bancaire en Belgique. Théophile Dautrebande, le fils de l’administrateur François, se marie en 1839 avec Louise Detru, et devient ainsi le beau-frère d’un autre administrateur du Hoyoux, Hyacinthe Lhonneux-Detru. Cette dernière famille de Huy engendre plu- sieurs générations de banquiers, dont le plus célèbre est sans doute Gustave de Lhoneux, le fils d’Hyacinthe. Notons encore que l’on retrouve un Tiberghien dans le collège des commissaires de la société. Ces différentes lignées vont continuer à jouer un rôle dans l’industrie et dans les banques par action jusqu’à la fin du XIXe siècle.

Les relations entre élites économiques locales

Comme j’ai pu le montrer, les villes sont à cette époque encore fort repliées sur elles-mêmes. Les élites, dont le nombre est limité, se côtoient à de multiples occasions et les associations urbaines consolident les liens locaux entre lignées. Les banquiers n’accor- dent alors que peu d’importance aux divergences idéologiques et politiques. Le parcours universitaire, les rapports de voisinage géographique, les activités régulières proposées par les cercles d’agrément renforcent un tissu social aux maillons fort serrés. Par ailleurs, le milieu bancaire est en formation : les banquiers sont encore à près de 50 % fils de négociant ou d’industriel et à seule- ment 9 % fils de banquiers eux-mêmes. Beaucoup de banquiers provinciaux du Hainaut ou de Liège décident en effet de se consa- crer exclusivement ou prioritairement au métier de banquier durant cette période charnière. Le niveau équivalent de fortune, la participation conjointe à la politique locale ou plus généralement aux cercles de notabilités, quelles que soient les activités profes- sionnelles principales des banquiers, sont des facteurs de cohésion qui unifient les premiers entrepreneurs sur le plan local. Les élites économiques belges de cette époque forment un milieu hybride mais néanmoins fermé, fort attaché à ses terres d’origine.

491 Clément Delloye prend seul 395 actions à 1000 francs. J. Laureyssens, Indu- striële naamloze venootschappen in België 1819-1857, CIHC 78, Louvain-Paris, 1975, p. 223. 339 www.academieroyale.be

Les grands banquiers belges (1830-1935)

En 1830, les déplacements professionnels sont encore rares. Les voyages sont toujours longs et fatigants. Les changements de lieux de résidence sont dès lors peu fréquents durant la période qui nous occupe. Toutefois, lorsque l’intégration au milieu d’accueil est réussie comme dans le cas de Jean-Joseph Capouillet, les consé- quences peuvent être très importantes sur le plan économique. Car les collaborations sont encore fortement conditionnées par les déplacements des personnes. C. De Brouckère a résidé à Maas- tricht. J. J. Capouillet s’installe à Bruxelles. C. Visschers commence sa carrière comme fonctionnaire à Bruxelles. C. Gréban, qui a habité à Gand, fait profiter la Société Générale de ses relations avec la capitale du textile. Les individus qui s’intègrent dans les milieux qu’ils pénètrent deviennent en effet des personnes ressour- ces et des liens entre les différentes places qui ne sont pas encore bien pourvues en moyens de communication. Ce n’est pas un hasard si les Rothschild décident d’envoyer un représentant à Bruxelles, Louis Richtenberger, juste après l’Indépendance : s’ils veulent profiter des affaires belges, ils doivent s’y faire représenter en personne. Richtenberger tient ses patrons au courant des moin- dres faits et gestes des personnalités financières bruxelloises, parti- culièrement quand celles-ci s’absentent de la capitale 492. Le vecteur de mobilité le plus important de l’époque est sans nul doute la vie politique, centralisée dans la capitale administra- tive et financière (depuis la fondation de la Société Générale). La politique déplace les décideurs, les détenteurs d’informations, les propriétaires et les bailleurs de fonds. Ainsi, le Congrès National et la première décennie d’activités parlementaires mettent en contact diverses personnalités étrangères à la capitale et proprié- taires d’affaires industrielles. Lorsque les charbonnages sont transformés en sociétés anonymes, il n’est pas rare que leurs anciens propriétaires, entrant au conseil d’administration, soient des acteurs éminents d’une des deux chambres représentatives. Dans quelle mesure ne peut-on pas expliquer, par exemple, cer- taines participations de la Banque de Belgique dans l’industrie du Hainaut, entre autres, par les relations forgées à Bruxelles entre les sénateurs P. Vilain XIIII, administrateur de la banque, M. Lefebvre-Meuret, propriétaire de charbonnage, L. Lefebvre,

492 À la Société Générale, C. Gréban joue souvent les informateurs au service de Rothschild. À la Banque de Belgique, J. R. Bischoffsheim, partagé entre ses affaires personnelles et les intérêts de l’établissement, est en contact fréquent avec la maison Rothschild. 340 www.academieroyale.be

Les réseaux de banquiers dans l’économie directeur de la manufacture de tapis « Lefebvre-Delescolle » à Tournai et A. Dumon-Dumortier ? Seule une recherche plus poussée pourrait répondre à nos interrogations. Notons qu’à cette époque plus qu’à toutes autres, les limites apparaissent mal dessinées entre le pouvoir politique exécutif et la haute finance bruxelloise. Aussi n’est-il pas étonnant de lire par exemple, sous la plume du représentant des Rothschild dans la capitale belge, des conseils intéressés qui témoignent de la confusion existant à l’époque entre les pouvoirs. Richtenberger suggère ainsi à son patron en janvier 1839 de donner un coup de pouce à « M. Bénard [sic], directeur de la Société nationale » parce qu’il est « l’ami intime de M. Coghen, qui, je crois, a beau- coup de chances à redevenir bientôt ministre des finances ; à ce titre, et pour cette seule raison, je verrai avec plaisir que vous puissiez faire cette affaire 493 ». Pour Rothschild, il est plus utile d’avoir une connaissance au gouvernement qu’un homme d’État qu’il faut apprendre à apprivoiser. Anvers, pour sa part, vit indéniablement en retrait du déve- loppement des premières sociétés anonymes industrielles. Ses banques sont commerciales avant tout et s’articulent autour du développement des activités portuaires. Seules quelques person- nalités anversoises acceptent de se lancer timidement dans des affaires éloignées de leurs préoccupations directes. J. J. R. Osy, président de la Banque d’Anvers, est commissaire de la Société linière de La Lys en 1838 494 ; le banquier privé P.J. de Caters, fondateur des assurances Securitas en 1819, s’intéresse à un âge déjà avancé aux Charbonnages des grands et petits tas à Warquignies en 1838 ; T. De Cock, administrateur de la Banque Commerciale d’Anvers, apparenté aux Le Grelle, est administra- teur à 30 ans à peine du Charbonnage Sacré-Madame en 1838. Comme le note K. Veraghtert, « des 218 personnes qui firent partie, entre 1823 et 1843, des soixante principaux actionnaires de la Société Générale, on n’en comptait que cinq domiciliées à Anvers » 495.

493 B. Gille, Lettres adressées à la Maison Rothschild de Paris par son représentant à Bruxelles, II, (L’époque des susceptibilités) (1843-1853), Louvain-Paris, 1963, p. 118. 494 Sa maison de banque prend 200 actions de 1000 francs dans la société. M. Levy-Leboyer, Les banques européennes et l’industrialisation internationale dans la première moitié du XIXe siècle, Paris, 1964, p. 11. 495 K. Veraghtert, « Bruxelles éclipse Anvers. Le centre boursier belge se déplace, 1800-1840 », in G. De Clercq (dir.), À la bourse, Histoire des valeurs en Belgique de 1300 à 1990, Bruxelles, 1992, p. 178. 341 www.academieroyale.be

Les grands banquiers belges (1830-1935)

Même lorsque les premières concessions de chemins de fer pour voyageurs sont cédées à des entreprises privées au milieu des années 1840, Anvers fait preuve de beaucoup de réticence à participer aux affaires ferroviaires. S. Lambert, alors correspon- dant des Rothschild sur la place d’Anvers, fait part de la spécifi- cité de la métropole en termes explicites : « j’ai appris confiden- tiellement que Cahen avait essayé près du baron Osy à le faire entrer dans l’affaire du chemin de fer d’Anvers à Gand, sans pouvoir y réussir. Comme l’on connaît les idées de la place qui ne sont nullement pour ces affaires là, l’on avait désiré avoir un nom, espérant que son influence pourrait y amener des ama- teurs 496 ».

Les acteurs principaux

Le marché des capitaux, s’articulant autour de la bourse d’An- vers et de Bruxelles 497, est animé par une poignée d’individus amplement décrits dans la correspondance de Lambert et Rich- tenberger aux Rothschild : J. J. R. Osy (dont la maison-mère est à Amsterdam), E. Cogels, C. Lemmé pour Anvers ; J. G. Mette- nius, F. de Meeus, C. De Brouckère, J. R. Bischoffsheim, A. Oppenheim à Bruxelles, pour ne citer que les plus éminents. À la différence de beaucoup d’autres, ces personnalités sont mobiles et n’hésitent pas, pour raison d’affaires, à couvrir les dis- tances entre les principales places financières belges, mais aussi étrangères quand ils en ont l’occasion. D’après Veraghtert, les actions des entreprises commanditées par les deux grandes banques bruxelloises se vendaient presque uniquement à Bruxelles. À Anvers, on préférait les placements en fonds publics, à taux fixe 498. Les tractations relatives aux grands emprunts publics étaient menées par un nombre restreint de hautes personnalités financières : les présidents des deux établis- sements bancaires bruxellois d’une part, un petit nombre de ban-

496 B. Gille, Lettres adressées à la Maison Rothschild de Paris par son représentant à Bruxelles, II, (L’époque des susceptibilités) (1843-1853), Louvain-Paris, 1963, p. 150. 497 La bourse de Bruxelles est créée en date du 23 messidor an IX ; celle d’Anvers le 19 messidor an IX. B. S. Chlepner, Le marché financier belge depuis cent ans, Bruxelles, 1930, p. 12. 498 K. Veraghtert, « Bruxelles éclipse Anvers. Le centre boursier belge se déplace, 1800-1840 », in G. De Clercq (dir.), À la bourse, Histoire des valeurs en Belgique de 1300 à 1990, Bruxelles, 1992, p. 170 et p. 178. 342 www.academieroyale.be

Les réseaux de banquiers dans l’économie quiers privés d’autre part, qu’une grande fortune et des relations suivies avec l’étranger dont ils venaient d’émigrer rendaient incontournables dans les négociations. J. R. Bischoffsheim est de ceux qui prendront toute leur enver- gure à cette époque. Bischoffsheim est le gendre de H.S. Golds- chmidt, de Francfort-sur-Mein d’où il est natif et le beau-frère d’Auguste Bamberger et Meyer Cahen-d’Anvers. Lorsqu’il s’ins- talle à Bruxelles, Bischoffsheim a déjà des contacts nourris avec Amsterdam, où s’était installé son frère en 1820 et Anvers, où il réside depuis 1827. Son frère Louis ouvrira une agence à Londres en 1840, pour enfin se tourner vers Paris en 1848. Les frères Louis et Jonathan-Raphaël Bischoffsheim semblent avoir tracé la voie à une constellation de banquiers originaires de Francfort et de Mayence (la ville d’origine de leur père) qui vien- nent progressivement s’installer en Belgique. Germain Cassel, qui leur est apparenté, serait arrivé en Belgique juste après l’In- dépendance. Il fonde une firme sous la raison Banque Cassel et cie en avril 1839 499 après un séjour à Londres. C’est surtout dans la seconde moitié du XIXe siècle que se succèdent les arrivées de parents : Isaac Stern (Grevenbroich) en 1854, Benedict Goldsch- midt (Mayence) en 1867, Hermann Goldschmidt (Francfort) en 1882. Toutes ces familles ont tissé entre elles des alliances matri- moniales solides, remontant parfois au siècle précédent et savam- ment reproduites, qu’il serait trop long de démonter ici 500. Après 1850, leur zone d’influence s’étendra aux places les plus impor- tantes d’Europe et elles seront particulièrement bien implantées à Londres, Paris et Francfort. Maurice de Hirsch, né pour sa part dans la ville de Munich, enrichira cette toile solide de contacts européens. Installé en Belgique dès 1851 à l’âge de 20 ans, il devient le gendre de J. R. Bischoffsheim lorsqu’il épouse sa fille Clara en 1855. Servant d’intermédiaire entre la place de Francfort et la Belgi- que, signalons aussi les frères J. L. et L. C. Lemmé, qui créent en 1814 une filiale anversoise à la maison de commerce et de banque de leur oncle à Francfort. C’est aux Lemmé, par exemple, que les Rothschild, dont le berceau originel se trouve à Francfort, confie

499 La banque est commanditée par J. R. Bischoffsheim. 500 Pour avoir une bonne idée de leurs rapports sur la place de Paris, on peut consulter le très utile ouvrage N. Stoskopf, Les patrons du Second Empire. Banquiers et financiers parisiens, Paris, 2002. 343 www.academieroyale.be

Les grands banquiers belges (1830-1935) l’émission de l’emprunt de Bade en mars 1845 501. J. G. Mette- nius, fixé à Bruxelles à l’âge de 20 ans en 1797, est également originaire de Francfort : les informations à son sujet sont toute- fois trop éparses pour pouvoir affirmer qu’il aurait gardé contact avec sa ville d’origine. Par l’intermédiaire d’Adolphe Oppenheim, né à Francfort en 1793 et débarqué à Bruxelles en 1809, c’est la maison Salomon Oppenheim de Cologne qui entrera sur la place bruxelloise après l’indépendance. Les contacts se maintiendront à travers le siècle puisque Salomon Oppenheim de Cologne souscrira au capital de la Banque Centrale Anversoise (1871) et de la Banque Interna- tionale de Bruxelles (1899), par l’intermédiaire d’E. Oppenheim qui entre au conseil d’administration du premier établissement. Egalement lié à Adolphe Oppenheim, Benoît Fould-Oppenheim, gendre de Salomon Oppenheim, est issu d’une famille juive ins- tallée à Paris depuis 1787 502. En 1845, la banque Fould souscrira à l’augmentation de capital de la société de la Vieille Monta- gne 503. Ce qui semble évident pour ces banquiers privés, dont le pro- cessus de développement repose largement sur une politique bien pensée d’alliances matrimoniales, l’est dans une large mesure également pour les autres animateurs du secteur bancaire : les liens familiaux comptent lourdement dans la réussite d’une car- rière financière à cette époque. Sur l’ensemble des banquiers actifs entre 1830 et 1850, 38 % ont un frère, un beau-frère ou un cousin germain qui exerce une activité bancaire au moins à temps partiel. 38 % supplémentaire ont au moins un frère, un beau-frère ou un cousin qui occupe une position éminente dans les affaires. Seul 4 % des banquiers de l’échantillon n’ont pas bénéficié de l’aide d’un parent proche durant cette période. Notons que le nombre d’inconnues s’élève à 20 %, pour lesquels les informa- tions familiales sont insuffisantes.

501 D’après B. Gille, les Lemmé sembleraient être devenus les opposants des Rothschild dans les années 1850. Ils figurent parmi les actionnaires belges du Crédit mobilier des Pereire. B. Gille, « Les Belges et la vie économique fran- çaise à l’époque du roi Léopold Ier », in Bulletin des séances, Académie Royale des Sciences d’Outre-Mer, 2, 1965, p. 283. 502 N. Stoskopf, Les patrons du Second Empire. Banquiers et financiers parisiens, Paris, 2002, p. 170. 503 J. Laureyssens, Industriële naamloze venootschappen in België 1819-1857, CIHC 78, Louvain-Paris, 1975, p. 230. 344 www.academieroyale.be

Les réseaux de banquiers dans l’économie

1850-1875

Les sociétés de transports comme vecteur de développement

La période suivant les troubles de 1848 se caractérise par une accélération de l’activité économique et un développement rapide de la production industrielle et agricole. Cette croissance est accompagnée d’une libéralisation graduelle de l’économie qui culminera dans l’abandon du régime de contrôle des sociétés anonymes en 1873. Durant cette période, les chemins de fer représentent le pôle dominant de l’économie. Ils sont ainsi le véritable fer de lance de la politique de développement de la Société Générale. En une décennie, entre 1850 et 1860, les parti- cipations de l’établissement dans le secteur des chemins de fer passent de 4,2 % à 25,9 % du portefeuille 504. Entre 1851 et 1873, G. Kurgan a estimé que le secteur « transports et constructions » de la banque comptait pour plus de 40 % de son portefeuille industriel, contre 31,6 % au secteur charbonnages. Comme le note l’auteur, « par le développement de ses intérêts dans les che- mins de fer, la banque stimulait ses opérations de crédit et son activité d’intermédiaire en faveur des banques patronnées [en province] 505 ». Janssens et Van Dooren ont évalué que, parmi les 533 sociétés anonymes qui sont recensées jusqu’en 1873, le sec- teur des chemins de fer est celui qui a nécessité le capital le plus considérable, soit 31 % de l’ensemble du capital initial des socié- tés anonymes 506. Les banquiers belges ne sont pas étrangers au développement de ce nouveau secteur. En 1832, F. de Meeus, gouverneur de la Société Générale, entouré d’un petit groupe de capitalistes, fai- sait déjà pression sur le gouvernement pour obtenir la concession de la ligne entre Anvers et Liège 507. Toutefois, l’État décide de

504 H. Van Der Wee, M. Goosens, « Belgium », in R. Cameron, V.I. Bovykin (eds), International Banking 1870-1914, Oxford, 1991, p. 118. 505 G. Kurgan-Van Hentenryk, Gouverner la Générale de Belgique. Essai de biographie collective, Bruxelles, 1996, p. 52. 506 Notons que la plupart des travaux ne prennent généralement en compte dans leur calcul que les sociétés anonymes. Or, une estimation évalue le nombre de sociétés anonymes en activité en 1860 à 260, pour 2381 sociétés en nom collectif et 499 commandites. Chiffres cités dans M. Dumoulin, Les relations économi- ques italo-belges (1861-1914), Bruxelles, 1990, p. 113. 507 B. Van Der Herten, M. Van Meerten, G. Verbeurgt (dir), Le temps du train, 175 ans de chemin de fer en Belgique. 75e anniversaire de la SNCB, Louvain, 2001, p. 52. 345 www.academieroyale.be

Les grands banquiers belges (1830-1935) prendre lui-même en charge la mise sur pied du réseau ferré : la première ligne Bruxelles-Malines est inaugurée le 5 mai 1835. Les banques ne se retirent pas complètement des affaires ferroviaires pour autant. La Société Générale fonde en 1835 la Société des Chemins de fer du Haut et du Bas Flénu, en vue de transporter le charbon par traction chevaline. L’année suivante, la Banque de Belgique s’intéresse à la Société du Chemin de fer de la Sambre à la Meuse, au conseil d’administration de laquelle entrent H. De Brouckère et F. Anspach. En 1845, la première ligne pour voya- geurs concédée à des particuliers, la Compagnie du Chemin de fer d’Anvers à Gand, par Saint-Nicolas et Lokeren, voit le jour à l’initiative de personnalités bien connues du secteur bancaire : P. Vilain XIIII, J. Oppenheim et C. d’Hoffschmidt en sont admi- nistrateurs, tandis qu’A. Oppenheim, le frère (et le beau-père !) de J. Oppenheim, est nommé commissaire. Par après, les lignes furent concédées à des entrepreneurs anglais. Entre 1845 et 1846, pas moins de neuf lignes sont ainsi cédées à des intérêts anglais 508. La construction de chemins de fer donne lieu à la naissance, tant dans le secteur public que dans le secteur privé, à ce que Laffut a appelé de véritables « gestionnaires » 509. J. Vanderstiche- len fut un bel exemple de « gestionnaire » des chemins de fer, lors de son long passage au ministère des travaux publics entre 1859 et 1868. Plus tard, il obtiendra la présidence de la Banque de Belgique après sa reconstitution à la fin des années 1870. À la Société Générale, J. Malou, un juriste et éminent homme politi- que, présida à la fusion des lignes qui assuraient la liaison entre le bassin industriel de Charleroi et les centres métallurgiques de Lorraine et du Nord de la France (S.A. de l’Est belge en 1859) et fut le maître d’œuvre de la fusion menant à la création du Grand- Central belge en 1864 510. En 1870, 1/5 de l’ensemble du réseau ferroviaire, soit 605 kilomètres de lignes, sont aux mains du

508 G. Kurgan-Van Hentenryk, Rail, finance et politique : les entreprises Philip- part (1865-1890), Bruxelles, 1982, p. 9. 509 M. Laffut, Les chemins de fer belges 1830-1913. Genèse d’un réseau et présen- tation critique des données statistiques, Histoire quantitative et développement de la Belgique aux XIXe et XXe siècles, t. VIII, vol. 1a, Bruxelles, 1985-1995, p. 236. 510 G. Kurgan-Van Hentenryk, Rail, finance et politique : les entreprises Philip- part (1865-1890), Bruxelles, 1982, p. 11. G. Kurgan-Van Hentenryk, « Finance et politique : le « purgatoire » de Jules Malou à la Société Générale », in J. Art, L. Francois (ed), Liber amicorum Romain Van Eenoo, Gent, 1999, vol.2, p. 1072. 346 www.academieroyale.be

Les réseaux de banquiers dans l’économie

Grand Central belge et de la Société Générale. À la même date, la Société des chemins de fer des Bassins Houillers du Hainaut, fondée à l’initiative de S. Philippart et financée jusqu’en 1868 par la Banque de Belgique, contrôle plus d’un quart du réseau belge, soit presque autant que l’État 511. Outre sa contribution essentielle au développement économi- que, la mise en place d’un réseau de chemins de fer en Belgique contribue à modifier profondément les habitudes de déplacement des élites. Dès 1838, Anvers, Bruxelles et Liège sont reliés par voies ferrées. À partir de ce moment, les voyages entre Anvers et Liège et entre Liège et Bruxelles ne dépassent plus trois heures et demi, alors que la durée moyenne par messagerie excède encore largement les dix heures 512. La durée du voyage entre Anvers et Bruxelles en 1841 est à peine d’une heure et demi : par l’entremise du chemin de fer, les deux places financières sont désormais voi- sines. Ce grand changement est accompagné de nets progrès dans les techniques de communication. Les premiers systèmes de télégra- phie optique dataient de l’époque française, mais entre 1830 et 1845, seuls quelques spéculateurs en avaient usage pour faire cir- culer des informations entre les bourses d’Anvers et de Bruxelles. C’est en 1846 que la première ligne de télégraphie électrique est édifiée le long de la voie ferrée Anvers-Bruxelles. En 1850, les autorités belges décident de faire installer des lignes le long de toutes les voies de chemins de fer du pays. Parallèlement, la poste connaît à cette époque une amélioration sensible de son fonc- tionnement. Sur le plan international, les élites économiques bénéficient également du raccordement télégraphique qui unit bientôt les capitales européennes, puis mondiales : aux environs de 1870, l’ensemble du monde est relié au réseau télégraphi- que 513. En outre, les hommes d’affaires, principaux bénéficiaires de ces avancées technologiques, profitent également des progrès

511 B. Van Der Herten, M. Van Meerten, G. Verbeurgt (dir), Le temps du train, 175 ans de chemin de fer en Belgique. 75e anniversaire de la SNCB, Louvain, 2001, p. 123. Sur le désengagement de la Banque de Belgique, G. Kurgan-Van Hentenryk, Rail, finance et politique : les entreprises Philip- part (1865-1890), Bruxelles, 1982, p. 69. 512 Sans compter le prix du voyage qui diminue de moitié. B. Van Der Herten, M. Van Meerten, G. Verbeurgt (dir), Le temps du train, 175 ans de chemin de fer en Belgique. 75e anniversaire de la SNCB, Louvain, 2001, p. 38. 513 B. Van Der Herten, « Krachtlijnen in de ontwikkeling van de Belgische (tele)communicatiesector (1830-1913) », in Studia Historica Oeconomica, Liber alumnorum Herman van der Wee, Leuven, 1993, p. 395 et ss. 347 www.academieroyale.be

Les grands banquiers belges (1830-1935) d’un genre nouveau de journalisme politique et économique : le développement des agences de presse qui couvrent rapidement une bonne partie du globe terrestre 514.

L’ouverture vers l’étranger

À partir du milieu du XIXe siècle, la Belgique commence à se tourner vers le monde. Au départ, les initiatives d’ouverture pro- viennent de ceux qui bénéficient d’un réseau déjà étoffé à l’étran- ger : au Congrès d’Economistes, colloque international organisé à Bruxelles en 1846, la présidence est assurée par Charles De Brouckère, qui avait déjà eu l’occasion de voyager à de multiples reprises dans le cadre de missions économiques officielles et qui collabore avec les Rothschild depuis l’indépendance. C’est lui qui préside également la délégation belge à la première exposition internationale tenue à Londres en 1851. Les banquiers privés comme J. R. Bischoffsheim, A. Oppenheim et bientôt S. Lambert sont les premiers à encourager le rapprochement entre nations industrielles. En 1851, J. Oppenheim emmène toute sa famille visiter l’exposition internationale au Crystal Palace, ce qui ne manquera pas d’émerveiller durablement sa fille Marie – la future Madame Jacques Errera – alors âgée de 14 ans. Le fait est certes anecdotique, mais il résume parfaitement l’état d’esprit du moment et l’énorme espoir qu’investissent ces hommes d’affaires dans les progrès de l’industrie et l’effacement des barrières physi- ques. Les liens que ces banquiers privés entretiennent avec l’élite des capitales européennes se voient d’ailleurs renforcés à cette époque par leur fréquentation des grands cercles privés qui s’in- ternationalisent et auxquels ils ont leur entrée grâce à des parents résidant sur les places européennes. Comme l’a bien résumé B. S. Chlepner, c’est déjà à partir des années 1840 que les capitalistes étrangers vont faire leur entrée dans le secteur industriel : les Français se déploient principale- ment dans les secteurs du charbonnage et de la métallurgie 515 ; les Anglais se concentrent, nous l’avons évoqué, dans la construc- tion des chemins de fer. Toutefois, on ne peut pas encore parler

514 P. Griset, Les révolutions de la communication XIX-XXe siècle, Paris, 1991, p. 85. 515 K. Veraghtert, « Les participations françaises aux sociétés anonymes belges (1830-1870) », in Revue du Nord, tome LVII, no 224, janvier-mars 1979, p. 47 et ss. 348 www.academieroyale.be

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à l’époque d’une politique systématique d’investissements et il s’agissait bien souvent de stratégies spéculatives 516. L’axe Bruxelles-Paris s’étoffe considérablement dans le cou- rant des années 1850. Jusque là, il était organisé principalement autour du tandem Rothschild-Richtenberger 517, et dans une moindre mesure orienté sur la parentèle Fould-Oppenheim puis sur les frères Bischoffsheim 518. Dans les années 1850, le nombre de banquiers parisiens investissant dans des sociétés industrielles belges augmente considérablement, comme en témoigne l’analyse des administrateurs français au conseil de sociétés belges. On retrouve ainsi bon nombre de noms devenus célèbres comme A. Thurneyssen (un collaborateur des Pereire), F. A. Seillère, C. Mallet, C. et J. Périer, A. de Waru. Une des premières sociétés belges d’envergure tournées vers l’étranger, la Compagnie Royale Asturienne des Mines pour la production de zinc en Espagne, est créée à Bruxelles en 1853 sous la supervision de J. R. Bischoffsheim et avec l’aide des Pereire. Au conseil d’administration, on retrouve le célèbre banquier français Emile Pereire, mais aussi Charles Visschers, le parent de C. De Brouckère. À cette époque, les Pereire étaient alliés à Benoît Fould-Oppenheim au Crédit Mobi- lier qui venait d’être fondé. En matière bancaire, la famille n’est jamais loin… Les liens entre la Belgique et l’Allemagne vont se renforcer par l’arrivée de forces vives dont les alliances ou les collabora- tions avec leur pays d’origine renforceront les maisons de souche allemande en activité à Bruxelles et à Anvers. Dans le courant des années 50, J. R. Bischoffsheim trouve un digne successeur en la personne de M. de Hirsch, son gendre, originaire de Bavière et issu d’une lignée de « juifs de cour ». Du côté Oppenheim, Joseph Oppenheim, le frère cadet d’Adolphe, contracte des mariages réussis pour ses filles. L’une d’entre elles épouse le fils d’un riche banquier vénitien, Jacques Errera, et voilà que la famille s’ouvre des perspectives en Italie 519. L’autre ren- force les rapports avec Francfort en épousant un banquier de la place, Jules May, dirigeant de la Banque Sulzbach frères. Un peu plus tard, un jeune surdoué de la finance, appelé à une brillante

516 H. Van Der Wee, M. Goosens, « Belgium », in R. Cameron, V.I. Bovykin (eds), International Banking 1870-1914, Oxford, 1991, p. 118. 517 Avec l’aide des Rothschild, les emprunts de l’État belge ont transité par la place parisienne à quatre reprises entre 1831 et 1844. 518 Louis Bischoffsheim s’installe à Paris en 1846. 519 M. Dumoulin, Les relations économiques italo-belges (1861-1914), Bruxelles, 1990, p. 96. 349 www.academieroyale.be

Les grands banquiers belges (1830-1935)

carrière et originaire de Magdebourg, Franz Philippson, fera ses classes dans la banque Errera-Oppenheim. L’axe allemand va prouver toute son efficacité dans le secteur financier. Ainsi, la nébuleuse familiale Oppenheim, à laquelle on peut rajouter les frères Stern et, à travers eux, la famille Wiener, est à l’origine de la création de la Banque de Bruxelles en 1871, avec l’aide de ban- quiers amis et parents de leurs pays d’origine et la collaboration de quelques maisons importantes en Belgique. On retrouve égale- ment les Oppenheim à l’origine de la Banque Centrale Anversoise la même année, associés cette fois à la famille Brugmann qui était devenue leurs alliés dans plusieurs affaires de chemin de fer. Toujours en cette année faste de 1871 – Bruxelles devenait un refuge sûr pour les capitaux étrangers ébranlés par la situation internationale instable – Franz Philippson constitue, à l’âge de 20 ans, une commandite sous l’aile protectrice de Jacques Errera. Auprès des maisons amies en Allemagne, dont la Deutsche Bank, Errera fait connaître d’emblée son patronage de la nouvelle commandite, la Banque Leubsdorff, Philippson et Compagnie. En 1875, la commandite ouvre en outre une succursale à Paris dont Leubsdorff prend la direction 520. La démence qui s’empare d’Errera et son retrait des affaires en 1878 modifiera quelque peu les nouveaux rapports de force. Philippson réorganisera sa com- mandite avec l’aide de Jules et Arthur May et s’affranchira de l’influence directe de J. Oppenheim qui arrive en fin de carrière. Une nouvelle génération prend ainsi le relais. À Anvers également, la communauté germanique commence à occuper une place de choix dans le secteur financier. J. Fuchs, débarqué de Francfort-sur-Mein en 1818 et gros négociant de la métropole, devient administrateur de la Banque d’Anvers au milieu du XIXe siècle. Son compatriote C. Lemmé, arrivé de Francfort à la même époque, dirigeant d’une des plus puissantes maisons anversoises et correspondant occasionnel des Rothschild, en est commissaire. Son gendre, E. Osterrieth, lui aussi francfor- tois d’origine et héritier de ses affaires, en sera administrateur dans le dernier quart du XIXe siècle. Le fils de Chrétien Lemmé, Louis-Chrétien, figure parmi les fondateurs de la Banque Cen- trale Anversoise, auprès de comparants de Francfort mais égale- ment de Cologne. Les contacts avec Cologne sont assurés par la maison Oppenheim de Cologne, mais aussi par un fidèle collabo- rateur des Oppenheim depuis la fondation de la Compagnie des Mines et Fonderies du Bleyberg en 1846, le consul de Belgique à Cologne et banquier Adolphe Rautenstrauch 521. Les liens entre la famille Kreglinger, également à l’origine de la Banque Centrale

520 C. Allegre, Franz Philippson, banquier 1871-1914, mémoire en histoire, faculté de philosophie et lettres, ULB, 1997-1998, p. 12. 521 Notons que la famille Rautenstrauch s’associera aux Osterrieth dans la firme C. Schmid et Cie. 350 www.academieroyale.be

Les réseaux de banquiers dans l’économie

Anversoise, et la banque Bethmann de Francfort, datent semble- t-il de la fin du XVIIIe siècle quand Georg Kreglinger, fonda- teur de la lignée anversoise avec son frère Christian, y fait un stage avant de s’établir à Anvers vers 1795. Toujours est-il que le baron Simon-Maurice de Bethmann figure parmi les fondateurs de l’établissement bancaire anversois. La multiplication des affaires industrielles dans les années 50 et 60, combinée aux facilités croissantes de transport, laissent en outre la voie libre à une nouvelle catégorie d’hommes capables de constituer un réseau d’affaires international malgré un net déficit familial en la matière. Inévitablement, les chemins de ces « hommes nouveaux » croisent celui des quelques personnalités emblématiques de la finance bruxelloise, qui demeurent au milieu du XIXe siècle une fenêtre quasi obligatoire vers l’extérieur. A. Langrand-Dumonceau est le prototype parfait de ce nouveau profil d’entrepreneur qui met méthodiquement en place un réseau d’affaires internationales. Sa conquête des marchés étrangers est planifiée comme l’avait été son entrée dans le High-Life bruxel- lois. Ses activités dans la société d’assurances La Concorde lui avait d’abord permis d’entrer en contact avec les plus hautes per- sonnalités belges. Ensuite, son insatiable ambition lui laisse miroiter de plantureux profits outre-frontières. Longtemps, pour- tant, il ne peut se passer de la collaboration de J. R. Bischoffsheim et M. de Hirsch pour se déployer à l’étranger 522. Notons que les affaires ferroviaires en Belgique et à l’étranger accélèrent le mouvement de rapprochement transfrontalier, per- ceptible non seulement entre banquiers belges et financiers alle- mands et français, mais également entre entrepreneurs belges et hommes d’affaires anglais. Ce nouveau secteur d’activité occa- sionne ainsi des voyages collectifs de prospection et nécessite des montages financiers dont les risques sont répartis le plus large- ment possible. Chlepner a d’ailleurs souligné la nette augmenta- tion, à cette époque, des placements belges en valeurs étrangères, corollaire du développement industriel global et du succès des entreprises de chemins de fer en particulier. Par ailleurs, les ban- ques belges soutiennent les sociétés étrangères qui passent com- mande en Belgique, soit en prenant un paquet d’actions ou d’obligations de cette société pour les placer en Belgique, soit en organisant des émissions publiques des obligations de sociétés

522 G. Jacquemyns, Langrand-Dumonceau, promoteur d’une puissance financière catholique. T. I, Années obscures – Montée, Bruxelles, 1960, p. 199. 351 www.academieroyale.be

Les grands banquiers belges (1830-1935)

étrangères, acceptée par les firmes industrielles belges comme moyen de paiement venant de l’étranger 523.

Les premiers signes de centralisation dans une structure encore très divisée

Un mot doit être dit à présent sur le développement du tissu ban- caire à l’intérieur du pays. Tout d’abord, sur le plan régional, un grand nombre de banques provinciales voient le jour entre 1850 et 1870. Certaines d’entre elles s’engagent dans le développement industriel en accordant des prêts à long terme aux firmes locales. La plupart de ces établissements se concentrent sur les secteurs d’activité négligés par les grandes banques bruxelloises : le sucre, le verre, etc. 524. Ils apportent également leur contribution au financement des entreprises sidérurgiques auxquelles ils sont tra- ditionnellement liés 525. Les familles Delloye et de Lhoneux de Huy fondent ainsi une série d’établissements bancaires qui, à la différence de beaucoup d’autres, ne seront pas balayés durant la période de récession entre 1875-1880 526. J. Delloye-Tiberghien vient s’installer dans la capitale pour fonder une maison qui occupera une situation en vue sur la place. Dès son établissement en 1853, la banque E. Tiberghien, Delloye et Cie offre son appui aux affaires Langrand avec d’autres grands capitalistes résidant à Bruxelles. En outre, J. Delloye devient en 1853 administrateur du Chemin de fer du Centre, fondé avec des capitaux en majorité français. C’est vraisemblablement Delloye qui entraînera E. Godin, un industriel de sa région natale, et avec lui les frères Urban qui étaient des connaissances d’enfance, dans l’aventure de la Banque de Bruxelles en 1871. L’intégration de Delloye dans le milieu bruxellois sera d’ailleurs reconnue au niveau symboli-

523 B. S. Chlepner, Le marché financier belge depuis cent ans, Bruxelles, 1930, p. 51. 524 H. Van Der Wee, M. Goosens, « Belgium », in R. Cameron, V.I. Bovykin (eds), International Banking 1870-1914, Oxford, 1991, p. 121. 525 J.-M. Wautelet, Structures industrielles et reproduction élargie du capital en Belgique (1850-1914), Louvain-la-Neuve, 1995, p. 175. 526 Pour la famille Delloye, notons la Caisse Commerciale de Bruxelles (1854), la Caisse Industrielle et Commerciale du Hainaut (1860), la Banque de Mons qui reprend les activités de la maison Tercelin-Monjot en 1873, la Banque de Huy. Du côté des de Lhoneux, notons la création de la banque de Lhoneux, Linon et Cie en 1859. Elle deviendra la Banque Générale Belge en 1901. 352 www.academieroyale.be

Les réseaux de banquiers dans l’économie que par son accession, l’année suivante, au bureau directeur du Refuge des Ursulines aux côtés d’autres notables de la ville. Toutefois, cet exemple d’intégration dans la capitale est encore rare. Les mariages exogames, rappelons-le, sont toujours excep- tionnels à l’époque. En réalité, beaucoup des banquiers provin- ciaux qui siègent aux conseils des deux grandes banques bruxel- loises restent fidèles à leur région d’origine. Ils profitent généralement de leur séjour dans la capitale pour régler leurs affaires et, le cas échéant, assumer leurs responsabilités politiques au Parlement. Celui-ci demeure en effet un vivier de recrutement pour la Banque de Belgique et la Société Générale. Beaucoup d’hommes d’affaires arrivent dans la capitale comme représen- tant politique d’intérêts locaux et en repartent administrateur de sociétés suite à leur recrutement par les établissements ban­ caires 527. Ce mouvement centripète est accentué par la création du Conseil supérieur de l’industrie et du commerce, un premier organe patronal national – consultatif – créé en 1859, dont feront partie plusieurs des banquiers provinciaux étudiés. Ernest Nagel- mackers, de la célèbre banque privée liégeoise, y fait par exemple son entrée en 1869. Comme auparavant, la politique apparaît toujours comme un élément fédérateur des élites économiques nationales. Même au niveau régional, la gestation des divisions politiques entre frac- tions libérale et catholique ne semble avoir pesé qu’accessoire- ment sur la constitution du secteur bancaire. Tant que les orga- nisations politiques sont utilisées comme des leviers institutionnels pour accéder au pouvoir et y défendre les intérêts de l’industrie et du négoce, elles sont valorisées par les banquiers. À l’image des principes acceptés dans le monde des affaires, elles relèvent de la saine concurrence entre acteurs partageant des règles du jeu communes et convenues. Par contre, quand les organisations politiques deviennent un instrument de lutte et une tribune qui pourrait diviser le monde patronal, les banquiers s’en détournent naturellement. Dans le groupe d’entrepreneurs qui nous occupe, les combats idéologiques doivent avant tout se concentrer dans la sphère privée et plus discrète de la philanthropie, où les diver- gences d’opinion entre notables sont plus facilement tolérées.

527 Eudore Pirmez, Emile Van Hoorebeke, Gustave Sabatier pour la Banque de Belgique. Laurent Veydt, Léon Orban et Victor Tesch à la Société Générale. Charles Liedts et Jules Malou sont des avocats et hommes politiques recrutés par le secteur bancaire. 353 www.academieroyale.be

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D’autant que malgré les désaccords sur les moyens, les banquiers s’accordent sur le diagnostic social et partagent grosso modo une analyse similaire de la pauvreté et de ses origines. Des associations fédératrices et unificatrices existent toujours au niveau local. Les cercles d’agrément renforcent les liens de proximité et absorbent les hommes d’affaires étrangers après un changement de domicile. Les cercles commencent par ailleurs à tisser des relations régulières entre centres urbains. Les cercles artistiques et littéraires, dans lesquels certains banquiers occu- pent des postes de responsabilité, font ainsi circuler les idées et les gens avec de plus en plus d’intensité. Anvers, Liège et même Bruxelles restent toutefois encore, dans une large mesure, repliées sur elles-mêmes. À Liège, la faculté de droit de l’université de la ville devient un des bastions du parti- cularisme régional et ne rencontre plus le succès qu’elle a connu auparavant auprès des élites bancaires étrangères à la localité. À Bruxelles, l’athénée, l’université et le barreau préparent l’intégra- tion d’une nouvelle génération de décideurs économiques, aux origines géographiques variées, que l’on ne retrouvera aux pre- mières loges de la politique et de l’économie qu’après 1870. Le rapprochement progressif des différentes places est cepen- dant sensible dans la composition de l’actionnariat et des conseils d’administration des grands établissements bancaires nés au début des années 1870. À la création de la Banque Centrale Anversoise en 1871, outre plusieurs représentants de banques étrangères, on trouve au conseil d’administration le nom de Georges Brugmann qui y représente la finance bruxelloise. Quelques années plus tard, en 1876, A. Frank, de la maison bruxelloise Frank, Model et cie, se joindra à l’équipe dirigeante. La Caisse Générale de Reports et de Dépôts est pour sa part mise sur pied en 1874 avec l’aide d’une grande variété de détenteurs de capitaux. En dehors des banques suisses et françaises et des banquiers privés bruxellois, on repère un groupe de la Banque de Belgique, un autre de la Société Générale, un troisième de la Banque des Travaux Publics. Ajoutons encore une multitude d’agents de change bruxellois et des groupes de capitalistes bruxellois, anversois et liégeois 528.

528 Annexes au moniteur belge du 8 novembre 1874, p. 569. Annexes au moniteur belge du 7-8 janvier 1889, p. 154. 354 www.academieroyale.be

Les réseaux de banquiers dans l’économie

1875-1900

La Société Générale, première banque du pays

Après 1875, l’économie belge entre dans une phase de ralentisse- ment de sa croissance, liée à la conjoncture économique interna- tionale et à la fermeture des débouchés traditionnels. Une crise financière frappe le pays en 1876, puis une seconde en 1885 qui signe l’arrêt de mort de plusieurs établissements bancaires, dont la Banque de Belgique qui disparaît définitivement de la scène. La Société Générale, pour sa part, fait preuve d’une grande pru- dence durant cette période et traverse cette période secouée sans encombre. Jusque vers 1895, elle ne s’engage qu’avec parcimonie dans le financement des industries traditionnelles. Ainsi, on observe une certaine stagnation des investissements dans les charbonnages, tandis que dans la sidérurgie, les intérêts de la banque en 1895 ne représentent plus que 5 % de la valeur de son portefeuille actions. Comme le note G. Kurgan, « pour lutter contre la dépression, c’est au secteur des transports et au développement de ses inté- rêts bancaires que la Société Générale consacre l’essentiel de ses efforts. Ce faisant, elle n’entreprend pas une politique novatrice mais approfondit des pistes ouvertes avant la crise » 529. À la dif- férence des autres banques mixtes, l’établissement se concentre sur les chemins de fer à voie normale plutôt que les tramways et les chemins de fer à voie étroite. Par l’intermédiaire du holding qu’elle fonde en 1865, la Société Belge des Chemins de Fer, elle participe à de nombreuses entreprises de transport à l’étran- ger 530. Quand le marché international des chemins de fer arrive à saturation dans le courant des années 1890, la Société Générale se redéploie dans le secteur financier international en participant, avec d’autres, à la constitution de la Banque Russo-Chinoise (1896), l’Anglo-Argentine Bank (1897), la Banque Française du Brésil (1899) et la Banque Sino-Belge (1902) qui devient la Banque Belge pour l’Étranger en 1913. En parallèle, elle continue

529 G. Kurgan-Van Hentenryk, Gouverner la Générale de Belgique. Essai de biographie collective, Bruxelles, 1996, p. 85. 530 Entre 1877 et 1883, elle obtient des concessions en France, Allemagne, Autriche, Italie, Espagne, Hollande, Russie, Chine, en Amérique centrale et en Amérique Latine. H. Van Der Wee, M. Goosens, « Belgium », in R. Cameron, V.I. Bovykin (eds), International Banking 1870-1914, Oxford, 1991, p. 123. 355 www.academieroyale.be

Les grands banquiers belges (1830-1935) sa conquête de l’épargne nationale : en 1913, le nombre de ban- ques régionales patronnées par l’établissement bruxellois s’élève à 18, avec pas moins de 61 agences dans le pays. Notons encore que l’internationalisation de ses engagements au tournant du siècle est aussi perceptible dans l’industrie lourde et le secteur minier. Suite à la disparition de la Banque de Belgique, la Société Générale fait désormais figure de citadelle imprenable dans le paysage bancaire belge. À titre d’exemple, avant la Première Guerre mondiale, son portefeuille d’engagements industriels à long terme dépasse celui combiné des quatre plus grandes ban- ques par actions à sa suite, à savoir le Crédit Général Liégeois (1865), la Banque de Bruxelles (1871), la Banque d’Outremer (1899) et la Banque Générale Belge (1901) 531.

Les spécificités des banques émergentes

Cette disproportion des forces en présence n’empêche pas la Banque de Bruxelles et le Crédit Général Liégeois de prendre l’initiative dans la fondation des puissants holdings industriels et de transport, des « centres de décision uniques » dont les activités vont rapidement s’étendre à l’étranger. Le Crédit Général Liégeois était déjà impliqué dans la Compa- gnie Générale des Conduites d’Eau, créée en 1865, un « véritable groupe industriel pour la construction et la gestion de sociétés de distribution d’eau », comme l’a qualifié J. M. Wautelet 532 . La Banque de Bruxelles est, avec la maison Errera-Oppenheim, la Banque Belge de Commerce et d’Industrie et quelques maisons de banques privées amies (Cassel et Brugmann), à l’origine de la Société Générale de Tramways en 1874, un « trust financier dans le secteur des tramways ». En 1882, ses affaires sont reprises par la Société Générale des Chemins de fer Economiques, fondé deux ans plus tôt par le même groupe de banquiers, la maison Fratelli Poma de Turin et la Banque de Paris et des Pays-Bas. Le Crédit Général Liégeois s’associe également à la Banque Liégeoise dans l’Engetra (Entreprise Générale de Travaux), fondée en 1879 et passée sous le contrôle total des deux banques en 1883. Notons encore la fondation de la Compagnie Générale des Chemins de fer Secondaires, où F. Philippson semble être la figure de proue,

531 H. Van Der Wee, M. Goosens, « Belgium », in R. Cameron, V.I. Bovykin (eds), International Banking 1870-1914, Oxford, 1991, p. 125. 532 J.-M. Wautelet, Structures industrielles et reproduction élargie du capital en Belgique (1850-1914), Louvain-la-Neuve, 1995, p. 169. 356 www.academieroyale.be

Les réseaux de banquiers dans l’économie

en compagnie de banques alliées, la Banque Centrale Anversoise, la Mitteldeutsche Creditbank, la maison Sulzbach et le groupe Empain. À la différence d’autres établissements bancaires de l’époque, les ingénieurs sont d’emblée en position de force dans la Banque de Bruxelles et le Crédit Général Liégeois. Ce dernier est dirigé par Alban Poulet, un banquier qui a pu faire ses classes comme ingénieur au Chemin de fer liégeois-lim- bourgeois dès 1864, tout en devenant directeur-général de la Compagnie des Conduites d’Eau. À la Banque de Bruxelles, Jules Urban peut se prévaloir d’une grande expérience des chemins de fer puisqu’il s’était occupé de la direction du Grand Central belge. Poulet et Urban représentent la première vague d’une nou- velle génération d’ingénieurs qui arrive au sommet de la hié- rarchie économique à la fin du développement du tissu ferro- viaire national et au début de l’extension des entreprises belges de chemins de fer à l’étranger. Les éléments moteurs de cette nouvelle génération sont également à l’origine de la Société belge des ingénieurs et des industriels en 1885, dont j’ai déjà souligné l’importance unificatrice et centralisatrice dans un chapitre pré- cédent. Longtemps, les banques avaient dépendu exclusivement, pour superviser leurs intérêts ferroviaires, de juristes-gestionnaires formés à l’administration des sociétés de chemins de fer. Ces der- niers ne disparaissent pas complètement, comme en témoignent à cette époque l’intense activité de H. Lavallée (Banque de Bruxelles) ou J. Vanderstichelen et E. Van Hoorebeke (Banque de Belgique).

La perpétuation des banques privées

En grossissant légèrement le trait, on peut considérer que, dans l’expansion des sociétés de tramways à l’étranger, le sérail indus- triel belge a fourni son lot d’experts par le biais d’ingénieurs formés sur le terrain. De son côté, la haute banque, dont les acteurs ne sont, à l’époque, pas encore munis d’un diplôme uni- versitaire, s’est chargée des montages financiers et a mis à la disposition des groupes industriels ses réseaux de contacts avec l’étranger. Vers 1880, les banquiers privés et leurs relations internationales restent en effet un passeport efficace vers l’étran- ger. 357 www.academieroyale.be

Les grands banquiers belges (1830-1935)

Les figures dominantes de la banque privée internationale, dans le dernier quart du XIXe siècle, découlent en droite ligne des cinq principaux fondateurs de lignée : J. R. Bischoffsheim, J. Oppenheim, F. Brugmann, S. Lambert et G. Cassel. Comme j’ai déjà pu le souligner, les deux dernières décennies du XIXe siècle scellent le rapprochement sans précédent de la haute-banque protestante et juive, amorcé dès le milieu du siècle par les relations d’affaires entre les Oppenheim et les Brugmann. Dans les associations philanthropiques de la capitale, les Brug- mann, les Montefiore, les Bischoffsheim collaborent ainsi active- ment et fondent même leur propre association, l’œuvre de l’Hos- pitalité en 1886. Un nouveau venu se greffe à ce réseau relationnel déjà bien installé. C. Balser, banquier protestant originaire d’Al- lemagne et collègue de R. de Bauer à la Banque de Paris et des Pays-Bas, s’installe à Bruxelles en 1874 après un séjour à Paris. Il a 34 ans et s’intègre rapidement dans les différents clubs et cer- cles mondains bruxellois, où il fréquente intensément G. Brug- mann 533. Brugmann, Balser, mais également la haute banque israélite par l’intermédiaire de plusieurs de ses représentants, sont parmi les tout premiers à encourager Léopold II dans ses rêves de grandeur au Congo. La fusion des deux mondes, protestants et catholiques, atteint son apogée en 1904, l’année du mariage d’Edouard Balser, le fils de Charles, avec Lucienne M. I. de Hirsch, la petite fille du richissime banquier Maurice de Hirsch.

Évolution dans les habitudes des banquiers

Entre 1875 et 1900, de grands changements s’opèrent dans les habitudes sociales des banquiers. Premièrement, le nombre d’hé- ritiers-banquiers accédant aux conseils d’administrations des banques commence à augmenter. Près d’un administrateur sur cinq est à cette époque fils de banquier ou d’administrateur de banque, sans compter ceux pour qui la transmission s’opère par la belle-famille. Les lignées de banquiers s’affirment, tant dans les banques privées locales et internationales, que dans les banques mixtes où le phénomène de transmission est identique à celui qui a pu présider, par exemple, à la reproduction des élites politi-

533 À propos des Balser, voir l’introduction de K. Carrein, T. Lambrecht, Inven- taris van het archief van de Commanditaire Vennootschap Balser & Cir (1844- 1912), Edouard Balser en Lucienne de Hirsch (1830-1931) en Georges Monte- fiore Levy (1862-1931), Bruxelles, 2001. 358 www.academieroyale.be

Les réseaux de banquiers dans l’économie ques. En outre, alors que les établissements bancaires récemment créés font leur début sur la scène économique, de nouvelles lignées de banquiers voient le jour, dont les descendants seront au pouvoir durant l’entre-deux-guerres. On observe une tendance à la spécialisation des banquiers et une répartition sectorielle plus systématique des mandats industriels au sein des banques. Cer- tains héritiers comme H. de Meeus, qui s’intègre dans des milieux d’affaires dissociés de ceux de son père, ne rompent pas entière- ment les ponts avec les réseaux professionnels mis en place par les générations précédentes. Ils deviennent ainsi des vecteurs de transmission entre cercles d’affaires distincts 534. À travers la per- sonne de H. de Meeus, ce sont quelques personnalités liégeoises et bruxelloises qui sont ainsi amenées à entrer en relation. L’expansion croissante des affaires à l’étranger occasionne un rapprochement géographique des élites bancaires, particulière- ment entre Bruxelles et Liège qui collaborent dans plusieurs gran- des affaires industrielles. Bruxelles devient le centre névralgique des affaires et s’affirme comme tel. Les provinciaux n’y viennent plus systématiquement parce qu’ils sont mandatés d’une mission politique nationale ou parce qu’ils veulent y faire carrière au bar- reau ou dans les grands corps de l’État. Certains ingénieurs et ban- quiers de la Société Générale ou de la Banque de Bruxelles s’y ins- tallent pour raison d’affaires uniquement, sans chercher à faire carrière en politique. Toutefois, la politique continue à jouer un rôle prépondérant dans la centralisation des affaires à Bruxelles, comme en témoigne l’arrivée soudaine d’une série de notables par- lementaires dans les conseils d’administration des nouvelles ban- ques créées au tournant du siècle. La présence du gouvernement, du palais royal et des grands corps diplomatiques assure à Bruxel- les une visibilité internationale qu’Anvers ou Liège ne possèdent pas. Anvers reste certes la capitale du négoce international et Liège développe des liens privilégiés avec la Russie 535, mais Bruxelles devient le centre de décision incontesté en matière d’expansion industrielle outre-frontières. Sa position de carrefour financier s’affirme par ailleurs : outre la Société Générale qui y réside depuis déjà près d’un siècle, toutes les banques privées d’envergure ont établi leur quartier général dans la capitale.

534 Ce sera aussi le cas des lignées Thys et Lippens durant l’entre-deux-guerres. 535 R. Leboutte, J. Puissant, D. Scuto, Un siècle d’histoire industrielle, Belgique, Luxembourg, Pays-Bas, Industrialisation et sociétés, 1873-1973, Paris, 1998, p. 73. 359 www.academieroyale.be

Les grands banquiers belges (1830-1935)

Ces changements sont sensibles dans les chiffres des mariages. Les nouvelles générations, nées après 1850, ne se marient plus autant qu’avant dans leur région d’origine. Après 1880, les trois quarts des mariages exogames constatés associent d’ailleurs une famille bruxelloise avec une famille de province. Il faudra toute- fois attendre le début du XXe siècle pour constater une réelle intégration des banquiers provinciaux dans la vie bruxelloise. À la fin du XIXe siècle, les cercles d’agrément et les associations philanthropiques mixtes sont encore principalement animés par les Bruxellois de souche et par les grands noms de la haute banque qui s’intègrent avec une étonnante rapidité dans leur milieu d’accueil. Anvers cultive ses spécificités liées au négoce international et les banquiers de la Banque Centrale Anversoise restent sensiblement en marge de la grande course de l’industrie belge vers l’étranger. Notons toutefois que le monde bancaire anversois ne se limite pas aux quelques individus repris dans notre échantillon. Une étude plus poussée comprenant l’ensemble des banques commerciales anversoises permettrait de se faire une idée plus claire de la margi- nalité réelle du monde bancaire de la métropole 536.

1900-1918

Au tournant du siècle, les participations croisées entre banques belges rendent plus complexe une analyse en profondeur des forces en présence dans le secteur bancaire. En outre, la démulti- plication des sociétés de holding et des trusts financiers (souvent mis sur pied avec l’aide de capitaux étrangers) fait en sorte qu’une vue d’ensemble des processus de financement industriel devienne malaisée. La constitution d’une chronologie détaillée de l’émer- gence des nouveaux secteurs de développement économique au début du XXe siècle et l’évaluation de l’apport du secteur ban- caire à cet égard exigeraient un minutieux travail de décryptage que je ne peux entamer dans le cadre de cette étude. À l’aide des informations recueillies dans les chapitres précédents, quelques tendances peuvent toutefois être esquissées ici.

536 À propos des relations entre la Chambre de commerce et le Congo, voir G. Devos, I. Van Damme, In de ban van Mercurius. Twee eeuwen Kamer van Koophandel en Nijverheid van Antwerpen-Waasland, 1802-2002, Tielt, 2002, p. 130. 360 www.academieroyale.be

Les réseaux de banquiers dans l’économie

Deux secteurs récents d’expansion et leurs animateurs

Le milieu bancaire tarde à s’intéresser au secteur de l’électricité. L’initiative bancaire émane en 1895 de la Banque de Bruxelles (à la tête de laquelle les ingénieurs sont particulièrement bien repré- sentés) qui fonde, avec l’aide de la Banque Allard et la Banque Cassel et Cie, la Société Générale Belge d’Entreprises Electri- ques. La Société Financière de Transports et d’Entreprises Indus- trielles (la SOFINA), constituée en 1898 reçoit, outre l’apport de capitaux étrangers, le soutien financier de Cassel et Cie, Josse Allard, Jules Matthieu et fils 537. La Banque Liégeoise souscrit pour 1 millions de francs, soit un dixième du capital d’origine de la société, et y est représentée par Charles del Marmol, un héri- tier formé aux matières juridiques mais dont le début de carrière est effectué dans l’industrie, auprès des sociétés de sa belle-famille (Lamarche). Le profil de Charles del Marmol prouve que les juristes, gestionnaires d’affaires industrielles dans des secteurs émergents, n’ont pas encore disparu du paysage bancaire au début du XXe siècle. Dans le domaine de l’électricité, signalons encore que l’implication d’Edouard Empain, nouveau-venu spé- cialisé dans les entreprises de transport, date également du début du XXe siècle. Il faudra attendre 1905 pour voir la Société Géné- rale emboîter le pas dans ce secteur 538. Dans les investissements pétroliers (un secteur qui ne consti- tue pas plus de 2 % du total des investissements belges dans le monde entre 1896 et 1911) les groupes anversois Waterkeyn – Banque de Reports, de Fonds Publics et de Dépôts (qui s’asso- cient dans le Crédit National Industriel en 1901) jouent un rôle moteur 539. Les spécificités des acteurs principaux de ces deux groupes méritent d’être soulignés ici. Ils sont en effet issus du milieu des agents de change de la métropole. J. Waterkeyn, E. Thys, F. Jacobs fils, L. Van den Bosch, E. Vanderlinden

537 M. Dumoulin, Les relations économiques italo-belges (1861-1914), Bruxelles, 1990, p. 260. 538 G. Kurgan-Van Hentenryk, « The Economic Organization of the Belgian Electrical Industry since the End of the 19th Century », in H. Van Der Wee, J. Blomme (eds), The Economic Development of Belgium since 1870, Chel- tenham, 1997, p. 239. 539 B. Nizet, « Le début des investissements pétroliers belges en Europe orientale, 1895-1914 », in M. Dumoulin, E. Stols (dir), La Belgique et l’étranger aux XIXe et XXe siècles, Louvain-la-Neuve-Bruxelles, 1987, p. 66. M. Dumoulin, Pétrofina. Un groupe pétrolier international et la gestion de l’incertitude, Tome 1 (1920-1979), Louvain-la-Neuve, 1997. 361 www.academieroyale.be

Les grands banquiers belges (1830-1935) constituent, au début du XXe siècle, une jeune génération, dont l’aîné n’a pas quarante ans. Cette génération, n’émanant pas du monde du négoce anversois (creuset pourtant traditionnel du milieu bancaire jusqu’au dernier quart du XIXe siècle) n’hésite pas à investir dans l’expansion belge outremer alors que celle-ci prend de l’expansion à la veille de la guerre 1914-1918 540. Cette nouvelle catégorie de financier se rajoute à celles de l’ingénieur et du gestionnaire formé aux matières juridiques. Contrairement à ce que l’on pourrait croire, il ne s’agit pas de nouveaux-venus mais de bourgeois en phase de mobilités ascendantes qui profi- tent des nouvelles perspectives économiques pour établir leurs propres réseaux d’affaires.

L’héritage des migrations d’affaires du XIXe siècle

L’influence des migrations d’affaires du milieu du XIXe siècle se fait ressentir au début du XXe siècle. J’ai souligné, dans le cha- pitre 2, les alliances qui associent désormais des lignées familiales d’origines géographiques différentes : le phénomène de fusion réussi, par exemple, par la famille Peltzer au tournant du siècle, est avant-coureur de la concentration du secteur bancaire et du rapprochement du Crédit Général Liégeois avec la Banque de Bruxelles et de la Banque Générale Belge avec le groupe Solvay durant l’entre-deux-guerres. Sur le plan international également, les mouvements de per- sonnes observés dans le courant du XIXe siècle ont des répercus- sions sur l’économie du début du XXe siècle. Depuis la fin du XVIIIe siècle, la Belgique a accueilli, à intervalles réguliers, des hommes d’affaires originaires d’Allemagne, qui se sont illustrés dans le domaine bancaire et dans le monde du négoce anversois. Dans l’échantillon, en comparaison des autres nationalités, les immigrés d’origine allemande se singularisent d’une part par leur forte présence, d’autre part par leurs facultés d’intégration et de perpétuation en lignées. Par contre, les immigrés français instal- lés sur le sol belge et actifs dans le secteur bancaire sont très rares et, à l’exception de Joseph Gay 541 dont le patronyme est associé

540 Voir par exemple le rôle de E. Thys dans la Sino-Belge dans G. Kurgan-Van Hentenryk, Léopold II et les groupes financiers belges en Chine. La politique royale et ses prolongements (1895-1914), Bruxelles, 1972, p. 579. 541 Un des premiers exemples français d’inspecteur des finances entré dans le monde des banquiers. H. Bonin, Le monde des banquiers français au XXe siècle, Bruxelles, 2000, p. 179. 362 www.academieroyale.be

Les réseaux de banquiers dans l’économie au clan Peltzer à la fin du siècle, aucun n’a laissé d’héritiers. En réalité, à la différence des banquiers allemands, la plupart des administrateurs français repérés dans les banques belges résident dans leur pays d’origine. L’afflux des capitaux allemands entre 1870 et 1914, que M. T. Bitsch a minutieusement décrit, doit beaucoup aux allian- ces familiales qui remontent parfois à la première moitié du XIXe siècle. Sur ces réseaux traditionnels, d’autres groupes alle- mands et français viennent se greffer, tant lors de la constitution de banques de droit belge que dans la fondation de sociétés finan- cières se spécialisant dans l’électricité, ainsi que dans le dévelop- pement des anciens holdings de transport qui se convertissent dans le secteur de l’électricité 542. La guerre 1914-1918 entrave considérablement cette alliance de longue date entre les milieux bancaires belges et allemands. Ainsi, les activités de la Banque Internationale de Bruxelles sont reprises par la Banque de Bruxelles en décembre 1916 après que la faillite de l’établissement ait été déclarée. Certains financiers allemands d’envergure, tels H.A. de Bary ou W. von Mallinc- krodt, sont par ailleurs vivement critiqués pour leur attitude ambiguë pendant la guerre 543. Le premier choisit même l’exil et ses biens sont mis sous séquestre par l’État belge après l’Armis- tice. L’entre-deux-guerres se caractérisera par le développement des banques étrangères, principalement anglaises et américaines. Celles-ci joueront un rôle considérable dans l’économie belge de la période, tant par leurs prêts et avances à l’économie et au sec- teur bancaire national, leurs opérations d’escompte que leurs prêts au pouvoir publics 544.

542 Pour une description détaillée à ce sujet, voir M.T. Bitsch, La Belgique entre la France et l’Allemagne 1905-1914, Paris, 1994, p. 184 et ss. 543 À propos des agissements de ces deux personnalités, voir la Revue Belge des Livres et Documents Relatifs à la 1ère Guerre mondiale, t. VI, avril-juin 1930, p. 326. 544 A. Mommen, The Belgian Economy in the Twentieth Century, London-New York, 1994. 363 www.academieroyale.be

Les grands banquiers belges (1830-1935)

1918-1935

La centralisation bancaire et la place des héritiers

Avant la guerre, l’organisation bancaire était essentiellement décentralisée. Comme nous l’avons vu, seule la Société Générale possédait des filiales en province 545. C’est durant l’entre-deux- guerres que la concentration s’opère dans le secteur et donne naissance à deux pôles bancaires nationaux, constitués de la Société Générale et de la Banque de Bruxelles 546, auxquels se greffe un troisième groupe composé d’intérêts flamands. En matière d’expansion bancaire, la Société Générale renforce sa position à Anvers et poursuit avec succès sa pénétration en Flandre et en région liégeoise. Elle crée un organe officieux, l’Union des banques patronnées (UPA), dont l’objectif est de mobiliser les ressources collectées dans les régions agricoles pour les mettre à la disposition des banques patronnées établies dans les centres industriels. Très rapidement, l’UPA devient la banque des banques du groupe en jouant un rôle de clearing entre ses membres avec le soutien de la Société Générale. Au milieu des années 1920, les opérations d’escompte au sein du groupe de la Générale dépassent de loin en volume et en valeur celles de la banque centrale. L’existence de l’UPA est officialisée en 1928, l’année de l’absorption de la Banque d’Outremer, assurant ainsi à la Société Générale le contrôle de 80 % de l’économie coloniale. La centralisation extrême des opérations des banques patron- nées, l’interdiction qui leur est faite de détenir des actions de sociétés industrielles, les consignes très strictes pour la préserva- tion de leur liquidité ont pour conséquence de diviser de fait l’ac- tivité de banque et celle de trust 547. Pour sa part, la Banque de Bruxelles connaît une croissance considérable durant cette période. Dès 1914, son processus de développement est amorcé : elle augmente son capital et s’allie avec les groupes industriels Coppée et Warocqué 548. De la sorte,

545 R. Durviaux, La banque mixte. Origine et soutien de l’expansion économique de la Belgique, Bruxelles, 1947, p. 106. 546 Ces deux banques possèdent, au 31 décembre 1930, près de la moitié des moyens d’action de l’ensemble des banques belges. 547 G. Kurgan-Van Hentenryk, « La Société Générale 1850-1934 », in H. Van Der Wee (co), La Générale de Banque 1822-1997, Bruxelles, 1997, p. 223-238. 548 B. S. Chlepner, « La concentration bancaire en Belgique », in Revue d’Eco- nomie Politique, vol 43, 1929, p. 1091. 364 www.academieroyale.be

Les réseaux de banquiers dans l’économie elle s’adjoint les services de deux héritiers de lignées industrielles bien connues, E. Coppée et R. Warocqué, qui entrent au conseil d’administration de la banque. Après l’absorption de la Banque Internationale de Bruxelles en 1917, la Banque de Bruxelles choi- sit de lutter contre l’hégémonie de la Société Générale en bâtis- sant, en quelques années, un réseau de banques affiliées grâce à des prises de participations dans d’importantes banques locales et régionales comme la Banque Liégeoise d’abord, puis la Banque Centrale Anversoise, la Banque de Liège ou le Crédit Général Liégeois. Grâce à ses contacts avec les milieux d’affaires et les banquiers locaux, elle crée également de nouvelles banques affi- liées, stimulant ainsi le développement des agences des banques de province ainsi que la concentration de celles-ci. À la différence du réseau des banques patronnées de la Société Générale, les liens de la banque bruxelloise avec les banques affiliées sont plus lâches. Soit sa participation directe dans la banque affiliée est minoritaire, soit elle l’a acquise par l’intermédiaire d’un syndicat constitué avec le concours de banques affiliées. La constitution du deuxième groupe bancaire le plus puissant du pays doit beaucoup à l’initiative d’un petit groupe actif d’hé- ritiers. Le maître d’œuvre de cette expansion n’est autre que William Thys, porteur d’un patronyme bien connu des milieux financiers belges puisque son père, Albert Thys, est le fondateur de la Banque d’Outremer. À cette époque, les personnalités les plus influentes de la Banque de Bruxelles sont, outre Thys, M. Des- pret qui préside l’établissement et M. Houtart qui lui succèdera à la présidence 549. Ils sont tous trois héritiers-banquiers, selon les critères définis dans le second chapitre. La rivalité entre la Banque de Bruxelles et la Société Générale est d’autant plus vive à cette époque que deux de ces trois héritiers, à savoir William Thys et Maurice Despret, avaient des raisons personnelles d’en vouloir au groupe de la Générale : le premier s’était opposé en vain au rapprochement entre la Banque d’Outremer, fondée par son père, et la Société Générale ; le second avait été évincé par J. Jadot de la direction de la Société Générale dont avait fait partie son père pendant plus de vingt ans 550.

549 J. M. Moitroux et al, Une banque dans l’histoire : de la Banque de Bruxelles et de la Banque Lambert à la BBL (1871-1996), Bruxelles, 1995, p. 89. 550 G. Kurgan-Van Hentenryk, Gouverner la Générale de Belgique. Essai de biographie collective, Bruxelles, 1996, p. 141. 365 www.academieroyale.be

Les grands banquiers belges (1830-1935)

Suite à l’absorption en 1928 du Crédit Général Liégeois par la Banque de Bruxelles, puis à la fusion de cette dernière avec ses banques affiliées en 1931, le conseil d’administration de la banque bruxelloise intègre une nouvelle vague d’héritiers comme P. David, J. Descamps ou H. W. Marsilly 551. Les grandes banques de pro- vince restent en effet traditionnellement dirigées par des repré- sentants de vieilles lignées d’affaires. Le cas de la Banque de Bruxelles est donc particulièrement symptomatique de l’influence intacte des héritiers dans le secteur bancaire belge durant l’entre- deux-guerres et avec eux d’une approche de l’économie encore fort axée sur les alliances traditionnelles et familiales. Preuve que le changement tarde à venir, les banquiers privés, héritiers des grandes familles décrites dans ce chapitre, conti- nuent à jouer un rôle en vue dans les grandes banques mixtes, selon une tradition en vigueur depuis la création des deux princi- pales banques bruxelloises au début du XIXe siècle 552. Ces ban- quiers privés obtiennent une représentation suite aux participa- tions que leur maison prend dans les nouvelles banques par actions, ainsi qu’ils le font par ailleurs dans d’autres établisse- ments bancaires liés, entre autres, à l’expansion outre-mer.

Les différents groupes de banquiers et leur implication dans la vie associative

Les plus éminents banquiers, qui avaient tendance à se spéciali- ser dans l’un ou l’autre secteur avant la guerre, diversifient à nouveau leurs activités après 1918. On peut toutefois diviser sommairement les plus gros détenteurs de mandats de sociétés (parmi lesquels beaucoup collaborent, à un titre ou à un autre, avec les pouvoirs publics de l’entre-deux-guerres) en trois catégo- ries. Certains banquiers basent leur carrière sur l’expansion belge outremer : il y a les « coloniaux » de la Société Générale décrits par G. Kurgan, dont font partie J. Jadot, F. Van Brée. Mais il

551 O. Vanderick, La Banque de Bruxelles. Évolution et perspectives de 1916 à 1935, mémoire en histoire, faculté de philosophie et lettres, ULB, 1999-2000. J.-M. Moitroux e.a., Une banque dans l’histoire. De la Banque de Bruxelles et de la Banque Lambert à la BBL (1871-1996), Bruxelles, 1995, p. 65-85. 552 Léon Cassel est administrateur de la Banque Internationale de Bruxelles, Charles Balser et Léon Lambert de la Banque d’Outremer. Durant l’entre- deux-guerres, Jules Philippson obtient un mandat à la Banque Générale Belge et à la Société Belge de Banque et Josse Allard préside le Crédit Anversois. 366 www.academieroyale.be

Les réseaux de banquiers dans l’économie faut également citer d’autres grands coloniaux : G. Périer, A. Bemelmans et A. Marchal à la Banque d’Outremer, ainsi que P. Orts à la Banque de Bruxelles. Ces personnalités ont l’occa- sion de se fréquenter dans plusieurs conseils d’administration, mais également à l’occasion de réunions de sociabilité tenus à l’Institut colonial international, au Cercle royal africain ou à la Croix rouge du Congo. Il y a d’autre part les banquiers purs : la Société Générale en compte plusieurs (A. Callens, J. Bagage, W. de Munck puis C. Fabri). À la Banque de Bruxelles, W. Thys répond aux critè- res de cette catégorie vu son rôle joué auprès des banques affi- liées. Il a cependant diversifié ses intérêts dans plusieurs secteurs, ce qui l’apparenterait aux financiers, décrits dans le paragraphe suivant. Les banquiers purs, à l’image de Callens, Fabri ou Thys, sont fréquemment sollicités par le monde politique comme experts dans l’une ou l’autre commission. La dernière catégorie, celle des financiers, est la plus vaste et la plus difficile à cerner. Elle regroupe l’ensemble des administra- teurs de société personnellement impliqués dans une variété de secteurs industriels. Les spécialisations, à l’intérieur de la catégo- rie, sont plus ou moins prononcées. Ainsi, des hommes d’affaires comme G. Blaise ou A. van de Vyvere se sont tournés en priorité vers des secteurs industriels récents. D’autres ont bâti leur for- tune et leur réputation sur l’expansion économique à l’étranger, sans pour autant se spécialiser dans les pays coloniaux, et en conciliant généralement leurs mandats étrangers avec des intérêts dans l’industrie nationale. Les banquiers privés L. Cassel, J. Allard et F. Philippson entrent dans cette catégorie. Ces der- niers exercent d’ailleurs une influence considérable sur les milieux financiers et représentent souvent la profession dans ses négocia- tions avec le pouvoir politique. Un petit nombre, à l’instar de M. Despret, G. Theunis ou E. Francqui, ont été de véritables touche-à-tout dont il difficile de faire ressortir les caractéristiques principales. Ils ont joué un rôle politique considérable, le premier au Parlement et en dehors des Chambres, les deux derniers au sein et en dehors du gouvernement. Hormis quelques exceptions, ce groupe de dirigeants influents se compose entièrement de personnes ayant fait des études uni- versitaires. Aucune des catégories définies ci-dessus n’a toutefois requis un profil universitaire particulier. Parmi les coloniaux, il y a des ingénieurs (A. Marchal et J. Jadot) mais aussi des juristes (P. Orts, 367 www.academieroyale.be

Les grands banquiers belges (1830-1935)

G. Périer). Les grands financiers sont plutôt des juristes, bien que quelques ingénieurs s’illustrent également (G. Blaise et G. Theu- nis). Léon Cassel et Josse Allard, pour leur part, incarnent la première génération de banquiers privés formée à l’université. Soulignons enfin que, depuis le début du XXe siècle, les ban- quiers originaires de province commencent à s’intégrer dans la capitale. Leur présence croissante dans les associations de philan­ thropie et de mécénat, dans les cercles d’agrément et dans les organisations d’activités sportives basés dans la capitale illustre l’émergence d’une nouvelle sociabilité centrée sur Bruxelles, qui accompagne le mouvement de centralisation industrielle et ban- caire en marche à cette période. Dans l’esprit des dirigeants ban- caires, la Première Guerre mondiale affirme définitivement le caractère incontournable de Bruxelles dans la nouvelle physiono- mie nationale héritée des mutations économiques de la fin du XIXe siècle. On a vu quelle influence a pu avoir, pendant la guerre, une association comme le Comité national de secours et d’alimentation, tant dans l’affirmation d’une identité collective des classes dirigeantes que dans la consolidation d’un réflexe de centralisation.

Conservatisme économique et lent renouvellement des élites bancaires

R. L. Hogg a souligné l’excessive prudence et le conservatisme des banques belges dans leur politique d’investissement indus- triel. Selon cet auteur, le secteur bancaire, tout comme les orga- nisations financières parastatales telle que la Société Nationale de Crédit à l’Industrie (dirigée par les mêmes acteurs) n’auraient pas joué leur rôle d’incitant au développement économique et aurait freiné le renouvellement de l’industrie 553. Pour autant que ces observations reflètent la réalité d’un monde bancaire peu homogène (une analyse systématique per- mettrait, par exemple, de mettre en exergue le rôle joué par les établissements de moindre envergure), ce constat interpelle par les analogies que l’on peut y voir avec les résultats de notre étude prosopographique. Y aurait-t-il un lien entre le conservatisme économique supposé des banquiers et leurs origines sociales ?

553 R.L. Hogg, Structural Rigidities and Policy Inertia in Inter-War Belgium, ­Bruxelles, 1986, p. 154. A. Mommen, The Belgian Economy in the Twentieth Century, London-New York, 1994, p. 59. 368 www.academieroyale.be

Les réseaux de banquiers dans l’économie

Est-on en droit de tirer un parallèle entre le renouvellement très lent des élites bancaires à cette époque et les politiques prudentes qu’elles ont préconisées ? S’il est prématuré de répondre à cette question par l’affirmative, une partie de la classe dirigeante de l’entre-deux-guerres (principalement la finance flamande en for- mation et les banquiers étrangers) n’ayant pas fait l’objet de cette étude, il est tentant de mettre en exergue quelques corrélations troublantes entre les aspects économique et social du problème. Plusieurs constatations méritent réflexion. D’une part, les spé- cificités régionales et l’enracinement local des élites bancaires belges, alliés à la mobilité tardive de leurs plus éminents repré- sentants, ont vraisemblablement retardé le phénomène de concen- tration bancaire en Belgique. D’autre part, la grande flexibilité dont a fait preuve le monde des affaires dans sa reconversion aux nouvelles formes de l’économie durant le XIXe siècle a empêché l’émergence d’une nouvelle catégorie de dirigeants bancaires et a freiné la professionnalisation du métier. Comme nous l’avons vu, rares sont en effet les banquiers issus du rang ou qui émergent d’un milieu modeste par des compétences particulières acquises aux études et/ou sur le terrain. Même aux postes de gestion tels que ceux de directeur ou administrateur-délégué, ce sont encore les héritiers que l’on retrouve en priorité dans les banques mixtes belges. Enfin, le système de banques mixtes, combiné au nombre important d’interlocking directories existant entre les banques et les sociétés industrielles, a renforcé les liens parfois anciens que les banquiers entretiennent avec les industries traditionnelles. La génération aux commandes durant l’entre-deux-guerres est dès lors héritière, en grande partie, de vieilles lignées familiales, fort influentes sur le plan local et détentrices des formes tradi- tionnelles du pouvoir : le pouvoir économique avant tout, mais aussi pour certains le pouvoir politique. Après 1918, le sommet de la hiérarchie économique absorbe les rares nouveaux-venus sans mettre en cause ses fondements traditionnels, encore large- ment basés sur les liens familiaux et une approche « clanique » de l’économie, où la propriété et le pouvoir de décision ne sont pas nettement distincts. Cette observation s’applique à l’ensemble des banques étudiées, à l’exception de la Société Générale qui avait déjà amorcé sa transition vers la professionnalisation à la fin du XIXe siècle. En règle générale, il faudra attendre les crises économiques et politiques des années 1930 et la fin du régiona- lisme économique pour observer un questionnement collectif sur la légitimité d’une structure sociale où les pouvoirs peuvent être 369 www.academieroyale.be

Les grands banquiers belges (1830-1935) concentrés dans un nombre si limité de mains. Avant cela, la force de la tradition et l’absence d’un contre-modèle social à celui des élites économiques traditionnelles (contre-modèle qui aurait pu naître de l’émergence d’une nouvelle catégorie technocratique d’élite bancaire) expliqueraient la fusion des pouvoirs, depuis longtemps particulièrement élevée dans le milieu bancaire de notre pays. D’où l’hypothèse qu’en absence de sang neuf et de véritable contestation, l’élite au pouvoir n’a pas pu faire preuve du dynamisme que l’état de l’économie aurait dû susciter à cette période.

Conclusion : les principaux profils des banquiers entre 1830 et 1935

Comme nous venons de le voir, le système de la banque mixte n’a cessé de produire des profils particuliers d’administrateur de sociétés. Avant 1850, c’est l’entrepreneur qui domine, l’homme d’affaires qui diversifie ses compétences et ses responsabilités dans une multitude de sociétés naissantes 554. Dans la seconde moitié du XIXe siècle se côtoient les gestionnaires et les ingé- nieurs. La première catégorie apparaît vers 1850 et se compose de juristes spécialisés dans les affaires ferroviaires, formés au bar- reau et bénéficiant généralement d’une expérience acquise dans la sphère politique. Les seconds, formés dans une des nouvelles écoles d’ingénieur du pays, atteignent le sommet du monde ban- caire dans le courant des années 1870, à la faveur d’un parcours brillant dans les sociétés de chemins de fer de l’État, à la direc- tion de sociétés industrielles importantes ou plus tard dans l’ex- pansion belge à l’étranger. Vers cette même époque se dessine le profil du banquier pur : à la Société Générale, le banquier pur supervise l’implantation de la banque bruxelloise en province et la gestion quotidienne de l’établissement tandis que dans les banques privées, le banquier pur échafaude les combinaisons financières, toujours plus com- plexes dans le cadre de la spécialisation de l’économie. Après 1885 se profile la figure du colonial, à savoir le banquier privé ou l’administrateur de banque qui se spécialise dans les investisse-

554 R. Cameron, « Bankers as entrepreneurs », in P. Klep, E. Van Cauwenberghe (eds), Entrepreneurship and the Transformation of the Economy (10th-20th centu- ries), Essays in Honour of Herman Van der Wee, Leuven, 1994. 370 www.academieroyale.be

Les réseaux de banquiers dans l’économie ments outremer. Durant l’entre-deux guerres cohabitent donc l’ingénieur, qui s’est reconverti dans les secteurs de la seconde révolution industrielle, le colonial, qui continue à récolter de plantureux profits de l’étranger, le banquier, qui surveille la cen- tralisation de l’appareil bancaire et le financier, version moderne de l’entrepreneur de la première moitié du XIXe siècle, adaptée toutefois au contexte économique nettement plus compartimenté de l’entre-deux-guerres dans lequel un certain degré de spéciali- sation s’impose. Du côté des banques privées, l’éclectisme est le modèle qui prévaut auprès des principaux acteurs et la tendance est à la diversification des intérêts jusqu’à la Seconde Guerre mondiale. Plusieurs traits essentiels caractérisent ainsi les banquiers privés actifs sur les places belges entre 1830 et 1935. Ils ont joué dès l’origine un rôle prépondérant dans l’expansion économique vers l’étranger ; d’abord par leurs contacts personnels dans les gran- des villes européennes ; ensuite par leur contribution personnelle à l’expansion belge outremer. Les banquiers privés, à la diffé- rence de beaucoup de dirigeants de banques par actions, ont en effet fait preuve d’un goût avéré pour les secteurs à risque et ont été des moteurs non négligeables du renouvellement économique. Leur nombre limité sur la place de Bruxelles et leurs rapports permanents avec les banques par actions – à l’existence desquel- les ils contribuent – situent la plupart des banquiers privés aux côtés des grands noms de la banque mixte parmi les acteurs éco- nomiques les plus puissants de leur temps. Que ce soit auprès des banques privées ou auprès des banques par actions, chaque génération (ou catégorie) nouvelle de ban- quiers vient naturellement se greffer aux générations (ou catégo- ries) plus anciennes, avec lesquelles elle collabore avec d’autant plus de facilité que les unes et les autres ont des origines sociales similaires et véhiculent, tant dans la sphère professionnelles que dans la sphère privée, des valeurs communes. Cette cohésion sociale n’empêche évidemment pas les rivalités personnelles et professionnelles d’émailler l’ensemble de la période de conflits parfois aigus. Ces luttes opposent tant les établissements bancai- res rivaux que les dirigeants d’une même banque qui ne s’enten- dent pas sur les objectifs à suivre. Ces frictions internes au groupe social ne mettent toutefois jamais les intérêts collectifs du groupe en péril.

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Conclusions

La Société Générale : un modèle atypique de dirigeants

Depuis plusieurs décennies, l’historiographie belge a privilégié les directeurs de la Société Générale, au détriment de fortes person- nalités du monde financier qui n’ont jamais appartenu à l’établis- sement bruxellois. Pour cette raison, les caractéristiques du corps dirigeant de la Société Générale ont parfois pu être perçues comme représentatives de l’ensemble des banquiers et financiers belges ou, même, comme emblématique du comportement de l’élite du monde des affaires. Sur base d’éléments connus du fonctionnement interne du grand établissement bruxellois et de l’évolution des profils-types des dirigeants, on peut être tenté, par exemple, de gloser sur la séparation progressive, depuis la fin du XIXe siècle, entre la propriété et le pouvoir de décision dans les banques, ou sur la montée en puissance des managers et la pro- fessionnalisation des banques belges. On pourrait également pos- tuler un désengagement politique (ou une mise à l’écart des struc- tures parlementaires) supposé des hommes d’affaires durant l’entre-deux-guerres. Cette étude propose un tableau plus nuancé des élites bancai- res, qui replace la Société Générale à sa véritable place. Jusqu’à la Seconde Guerre Mondiale, celle-ci occupe en effet une position atypique dans le paysage financier. Atypique par le gigantisme de ses moyens d’action ; atypique par la prudence de sa gestion et la pérennité de son existence ; atypique par le modernisme de son mode de recrutement.

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Les grands banquiers belges (1830-1935)

En effet, même si ce dernier reste tributaire des traditions en vigueur dans le monde des affaires jusqu’en 1935 555, il présente des caractéristiques nettement en avance sur son temps. Comme nous l’avons vu, la Société Générale se montre avant tout pion- nière de la promotion interne, dès le dernier quart du XIXe siècle. Elle ne sera suivie que tardivement et timidement par les autres banques. Mais la Société Générale se distingue également sur d’autres tableaux. À partir de 1880, elle intègre conjointement des représentants de vieilles lignées d’affaires et des personnalités dotées d’un héritage social moindre mais détenteur d’expériences professionnelles dans des secteurs professionnels porteurs. En raison de la variété des intérêts qu’elle embrasse, elle stimule à la même époque la spécialisation de ses dirigeants et la répartition des tâches au sein de la direction. Enfin, dès sa fondation, elle tisse des liens continus avec le pouvoir politique exécutif à tra- vers le recrutement d’éminentes personnalités politiques. Elle parvient ainsi à anticiper la baisse d’influence du Parlement dans la première moitié du XXe siècle. Tout en s’assurant des relais directs au gouvernement, elle œuvre à la mise en place de lobbies économiques influents, dans lesquels elle occupera une position dominante. Ainsi, à l’instar de la Banque de Belgique, qui disparaît toute- fois prématurément de la scène sans avoir accompli sa mutation, la Société Générale parvient progressivement à se dégager de l’emprise encore forte des familles sur l’économie capitaliste. Comparées aux pratiques en place dans les établissements ban- caires de province ou ceux de plus petite envergure, les logiques de fonctionnement de la Société Générale sont moins tributaires des intérêts privés des personnes qui la dirigent et s’inscrivent plus nettement dans le cadre de stratégies à long terme. Evidem- ment, la Société Générale est une institution de son temps et ne peut se détacher de certaines traditions bien ancrées durant cette période : les héritiers des lignées dirigeantes demeurent sans nul doute favorisés dans les recrutements ; les dirigeants restent par ailleurs influencés par le régionalisme ambiant. Toutefois, la direction de la Société Générale est disparate et ne présente pas le même niveau de cohésion sociale que celui qui

555 G. Kurgan le rappelait dans G. Kurgan-Van Hentenryk, « Finance and Society. Social and Personal Aspects of Financial Networks », in P. Cottrell, J. Reis (eds), Finance and the making of the modern capitalist world, Congrès de Séville, 24 au 28 août 1998, Leicester, 2000, p. 77. 374 www.academieroyale.be

Conclusions peut présider à la structuration d’autres conseils d’administra- tion. La taille de l’établissement bancaire et son caractère natio- nal font de lui un cas à part dans l’économie du XIXe siècle, encore fortement imprégnée de logiques régionales et d’alliances familiales et amicales. À la Société Générale, les origines géogra- phiques et sociales des dirigeants sont variées, leurs réseaux de sociabilité moins homogènes, leurs cercles de connaissances se recoupent moins nettement. Le rayonnement de ses dirigeants touche ainsi un nombre très considérable de réseaux économi- ques, politiques et sociaux. Au sein des autres banques, les dirigeants sont moins large- ment répandus dans les différentes sphères d’influence de leur temps et leur rayonnement se limite généralement à l’échelle locale. Paradoxalement, à partir de 1870 et jusqu’à la Seconde Guerre Mondiale, les signes d’appartenance aux divers cercles de sociabilité urbains sont plus fréquents chez ces banquiers d’insti- tutions de seconde importance qu’auprès des dirigeants de la Société Générale. Ces derniers semblent choisir méthodiquement les cercles qu’ils fréquentent et s’empêchent, de la sorte, d’empié- ter sur les terrains de la sociabilité de leurs collègues. Pour ces puissants hommes d’affaires conquis aux bienfaits du labeur, la majorité du temps doit être voué à la carrière professionnelle. Leur position au sommet de la hiérarchie économique et le pres- tige qu’ils en retirent semblent suffire à l’exercice de leurs fonc- tions et à la réussite symbolique et matérielle qu’ils en retirent. Leurs enfants s’intègrent pourtant aisément dans la notabilité en contractant de savantes alliances dans la noblesse et dans la bourgeoisie d’affaires. En ce sens, leurs pratiques s’apparentent à celles des descendants des autres administrateurs de banques : sur l’ensemble de la période, le taux d’anoblissement des familles étudiées, à la génération du banquier ou aux deux générations suivantes, dépasse les 25 %. À la différence de la Société Générale, les autres banques sont dirigées par des notables qui demeurent fidèles, jusqu’au milieu du XXe siècle, aux valeurs et aux comportements économiques hérités de la première Révolution Industrielle 556. Ceci s’explique par le nombre important d’héritiers-banquiers que l’on retrouve

556 À l’exception, peut-être, du Crédit Anversois dont les dirigeants nous sont moins bien connus et qui a peut-être favorisé également la professionnalisa- tion. 375 www.academieroyale.be

Les grands banquiers belges (1830-1935) dans les banques mixtes et commerciales de province 557. Ces banquiers sont les représentants de lignées d’affaires performan- tes, qui sont parvenues à se maintenir au sommet du pouvoir économique (entre autres par le biais de formations universitai- res adaptées) et qui gardent la main-mise sur leurs secteurs tradi- tionnels d’influence (au niveau économique, politique et social) jusque durant l’entre-deux-guerres. Le phénomène de concentra- tion bancaire leur offrira la possibilité de former, à l’échelle nationale, un contre-pouvoir à la force financière disproportion- née que constitue la Société Générale à la veille de la Première Guerre Mondiale. Ainsi, le groupe de la Banque de Bruxelles, deuxième force bancaire du pays, se singularise de celui de la Société Générale par le caractère moins « moderne » de ses diri- geants : plusieurs administrateurs sont encore actifs au Sénat ; la plupart sont issus de la haute-bourgeoisie ; on y trouve bon nombre de « propriétaires » dont l’inventaire des intérêts fami- liaux cumulés couvre un large spectre du champ économique.

Le triomphe du notable

L’apparition de la banque mixte en Belgique au milieu des années 1830 marque le point de départ d’une mutation de l’écono- mie perceptible dans la création des premières sociétés anony- mes. Désormais, les sociétés ne reposent plus, comme les formes antérieures d’association, sur une logique de propriété privée mais sur un modèle de propriété collective, qui deviendra pro- gressivement le moule dominant de l’économie capitaliste. Malgré ces prémices d’une transformation en profondeur, l’économie du second quart du XIXe siècle demeure charpentée par la mentalité de l’époque, qui articule son agencement du réel autour de l’en- tité familiale et qui impose la prépondérance des liens de sang à toute forme de pouvoir. L’influence de la famille et les principes d’hérédité qui en découlent, ne sont pas seulement sensibles, à l’échelle locale, dans le champ économique, mais aussi dans les sphères sociales et politiques. Avec les débuts de la banque mixte – et les premières formes de sociétés anonymes qui en découlent – naît par ailleurs un nou-

557 Le fait avait déjà été souligné par Kurgan dans G. Kurgan-Van Hentenryk, « Mythe et réalité du self-made man au sein du patronat belge », in Bulletin de la Classe des Lettres, Académie Royale de Belgique, tome X, 1-6, 1999, p. 89. 376 www.academieroyale.be

Conclusions veau type d’entrepreneur : l’administrateur de sociétés. Celui-ci se distingue des autres profils patronaux par le nombre d’emblée très important de mandats de société qu’il parvient à obtenir, en vertu du fonctionnement interne des banques mixtes qui pren- nent des participations directes dans les sociétés qu’elles fon- dent. Dès l’origine, le banquier-administrateur se meut dans un milieu professionnel socialement hybride, composé en priorité d’hommes d’affaires issus du monde du négoce, mais également de fils d’industriels ou de représentants de lignées nouvellement acquises au monde capitaliste. La première vague de banquiers se compose en outre d’une proportion non négligeable d’étran- gers en voie d’intégration. Derrière la diversité du milieu fondateur pointent pourtant les caractéristiques principales d’un modèle d’élite, l’archétype du notable, qui se répercutera, en s’adaptant aux contextes chan- geants, jusqu’à la Seconde Guerre mondiale (limite terminale de cette étude). Le notable se caractérise par la conjonction des formes de capital (au sens sociologique du terme 558) que la lignée à laquelle il appartient est parvenue à réaliser. Les familles du notable, en obtenant une haute position financière par son inter- médiaire, s’arrogent non seulement un pouvoir économique important, mais renforcent dans le même temps leur capital social et symbolique, ce qui leur facilite l’accès au pouvoir poli- tique. Tant à Bruxelles qu’à Liège et à Anvers, c’est le notable que l’on retrouve à la tête des grands établissements bancaires au milieu du XIXe siècle. Son influence se voit consolidée, à l’épo- que, par des cercles très fermés de sociabilité, régis eux aussi par des logiques d’hérédité. Les institutions scolaires et universitaires offrent, quant à elles, les conditions de reproduction de la nota- bilité. Insistons sur le rôle particulièrement précoce et crucial de l’université dans la consolidation des réseaux de banquiers en Belgique : la proportion de banquiers universitaires dans l’échan- tillon à l’étude dépasse de loin ce qu’on peut observer chez les élites à l’étranger, particulièrement celles exerçant dans les ­affaires. Dans la seconde moitié du XIXe siècle, les évolutions écono- miques, politiques et sociales ne ralentissent que timidement la montée en puissance des nouvelles lignées de notable que l’on

558 M. De Saint Martin, L’espace de la noblesse, Paris, 1993, p. 25. 377 www.academieroyale.be

Les grands banquiers belges (1830-1935) trouve au sommet du monde bancaire. La banalisation de la forme anonyme de société ne détruit pas la primauté du familial dans les stratégies économiques des banquiers. Les divergences politiques et idéologiques n’altèrent pas le sentiment d’apparte- nance à un même groupe social, qui exprime ses valeurs commu- nes à l’occasion d’activités culturelles et mondaines collectives et qui partage un code de l’honneur identique lui permettant une cohabitation harmonieuse sur le plan professionnel. Chez les banquiers, on essaye d’éviter d’exprimer ses convictions idéologi- ques sur la place publique et on les réserve à la sphère plus intime de la philanthropie. Il existe à ce sujet deux types distincts de philanthropie : celle, mixte, qui répond aux devoirs du groupe social, qui est consen- suelle et qui renforce le sentiment de cohésion ; celle, privée, qui répond à des aspirations plus personnelles, qui est plus ciblée et qui détermine les affinités plus profondes. La fin du régime cen- sitaire, la démocratisation de la société et les nouvelles questions sociales rappellent d’ailleurs aux élites économiques qu’elles ris- quent de se trouver dans une position instable si elles ne veillent pas à se serrer les coudes. Jusqu’au début du XXe siècle, malgré la centralisation et la rationalisation de l’appareil économique en cours, les solidarités régionales demeurent très intenses et les lignées locales gardent la haute main sur les structures régionales de pouvoir. Par ailleurs, en réponse à la complexification des processus économiques (via, entre autres, la multiplication des affaires de transport), les lignées de banquiers parviennent, dans l’ensemble, à trouver la parade en s’adaptant aux savoirs industriels et en tirant profit de la tradition universitaire en vigueur dans notre pays. Les ingé- nieurs liégeois que l’on retrouve dans les banques, formés à l’uni- versité locale, sont dans l’ensemble des fils de notable et exercent eux-mêmes des responsabilités conformes à leur rang. À la Banque de Bruxelles, c’est également des ingénieurs-notables, par ailleurs gros propriétaires de valeurs mobilières, que l’on retrouve aux avant-postes lors de la fondation en 1871. Même à la Société Générale, les premiers ingénieurs recrutés répondent aux caractéristiques de l’héritier. L’adaptation aux nouvelles formes de l’économie est parfaitement négociée par les familles les plus en vue, qui ne se sont pas laissés aveugler par la réussite temporaire de leurs affaires privées. Comme nous l’avons vu, l’université a surtout joué un rôle auprès des familles liées à l’in- dustrie, tandis que les milieux de la banque et du négoce sont

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Conclusions restés plus longtemps réticents à une institution dont ils dépen- daient moins directement, ne fût-ce que sur le plan purement pratique. Au tournant du siècle, la fusion nationale des élites s’amorce : les premières alliances matrimoniales entre lignées exogames sur le plan géographiques sont célébrées à Bruxelles, suite aux pres- sions unificatrices de la politique nationale et aux premiers dépla- cements professionnels des banquiers datant déjà du milieu du siècle. Les premiers groupements d’intérêt économique à voca- tion nationale voient le jour. Les habitudes mondaines changent, suite entre autres à l’engouement pour les nouvelles pratiques sportives de nature aristocratique. Au début du XXe siècle, la centralisation est encore accélérée par le rôle déterminant que joue la capitale dans l’exploitation économique outremer et la création des nouveaux holdings spécialisés dans les secteurs émer- gents. Toutefois, les banquiers de province ne s’intègrent pas encore complètement dans la société bruxelloise et restent sou- vent fidèles aux cercles de sociabilité de leur région d’origine. La première brèche dans le modèle dominant de la transmis- sion héréditaire et de la primauté de la propriété est décelable, dans le dernier quart du XIXe siècle, à la Société Générale qui compte en 1874 un premier cas de promotion par le rang, celui bien connu de F. Baeyens. Celui-ci est pourtant tout à fait atypi- que et il faudra attendre le début du siècle suivant pour voir un tel événement se reproduire dans d’autres établissements et encore, à d’exceptionnelles occasions. Jusqu’à la Première Guerre mondiale, les élites bancaires belges peuvent être ainsi présentées comme un groupe d’élite assez, voire très fermé (au niveau du « recrutement »), dont les représentants partagent des idées et des valeurs très proches (un haut degré « d’intégration morale »), mais sont divisés par moment sur le plan social selon les lignes de fracture idéologiques classiques de la société belge 559 ainsi que sur le plan professionnel où la compétition prévaut (ce qui cor- respondrait à un degré moyen « d’intégration sociale », selon la classification des élites élaborée par Giddens 560). Ce groupe d’élite bénéficie d’un pouvoir effectif assez, voire très impor- tant. Il fait montre, jusqu’en 1914, d’une mobilité géographique

559 Les croyances philosophiques, les convictions politiques, l’esprit régionaliste et le sentiment de supériorité aristocratique lié à l’inscription dans le temps. 560 A. Giddens, « Élites in the British Class Structure », in P. Stanworth, A. Giddens, Elites and Power in British Society, Cambridge, 1974, p. 5. 379 www.academieroyale.be

Les grands banquiers belges (1830-1935) assez rare et d’une souplesse d’adaptation précieuse face aux transformations économiques. Les élites bancaires parviennent dès lors à se reproduire et à reproduire les conditions de leur maintien au sommet de la hié- rarchie sociale. Leur position dominante n’est pas remise en cause, sinon timidement au début du XXe siècle par des jeunes représentants de familles en phase de mobilité ascendante qui arrivent au sommet de la pyramide à la faveur de compétences professionnelles exceptionnelles (E. Francqui ou J. Jadot à la Société Générale) et parfois un sens inné des affaires (E. Thys ou les Vanderlinden à la Banque de Reports). Ces nouveaux venus auront tôt fait de s’intégrer et adhérer aux valeurs héritées de la notabilité du XIXe siècle. Ils sont par ailleurs bien trop peu nom- breux pour mettre en place un contre-pouvoir ou constituer un contre-modèle aux modes traditionnels de transmission, encore fort attachés à la propriété. L’entre-deux-guerres verra la Société Générale rajeunir, moderniser et professionnaliser sa direction. Mais elle n’est pas ou peu suivie en ce sens par les autres banques qui continuent à être dominées par les lignées engendrées au XIXe siècle. La période de guerre, entre autres à travers l’action d’une structure comme le Comité national de secours et d’alimentation, a d’ailleurs renforcé le pouvoir symbolique de ces élites économiques enri- chies pendant le siècle faste suivant la Révolution Industrielle. Pendant la guerre, les grands patrons font preuve, avec brio, de leur capacité à pallier l’insuffisance du politique et à gérer le pays en période de crise. Ce rapport de force entre champ politique et économique, à l’avantage de ce dernier, se reproduira à plusieurs reprises après la guerre suite aux crises économiques et financiè- res qui secouent le pays et au cours desquelles les banquiers sont appelés à la rescousse. Notons que ceux-ci ne se désengagent jamais vraiment de la politique : la proportion de banquiers au Parlement reste plus importante en Belgique que dans les autres grands pays d’Europe ; comme ailleurs en Europe, leur pouvoir d’influence en matières techniques et financières est énorme ; le secteur bancaire est en outre représenté au gouvernement à diver- ses reprises, ce qui le distingue nettement de celui des pays limi- trophes 561.

561 Voir la synthèse de Daunton dans M. J. Daunton, « Finance and politics : comments », in Y. Cassis (ed), Finance and Financiers in European History 1880-1960, Cambridge-Paris, 1992, p. 284 et ss. 380 www.academieroyale.be

Conclusions

La rémanence du modèle de notable après la Première Guerre, combinée aux particularités de la banque mixte, met en place les conditions d’une confusion des fonctions et donc d’une centrali- sation rarement égalée des pouvoirs dans les mains de quelques- uns 562. Remarquons d’ailleurs que les « dangers » d’une telle évo- lution ne sont jamais réellement pris en considération, tant le binôme politique-économique (homme politique-administrateur de sociétés) est enraciné dans les mœurs des élites, quel que soit leur degré d’ancienneté 563. Ainsi, des personnalités comme G. Theunis ou E. Francqui, qui ne sont pas héritiers-notables en tant que tels bien qu’ils proviennent de la bonne bourgeoisie, caractérisent l’essence même du notable et de la fusion des pou- voirs durant l’entre-deux-guerres, à la seule différence avec la période antérieure que leur action politique ne s’étend pas à la sphère parlementaire mais se limite à celle gouvernementale et que leur « fief » n’est pas régional mais qu’ils construisent leur carrière dans la capitale. Ces nouveaux notables, peu nombreux, collaborent aisément avec les anciens, incarnés par les Houtart, Despret, Digneffe, Fabri, etc. avec qui ils forment l’ossature d’un monde bancaire qui a attendu jusqu’en 1936 et la fondation de l’Association belge des banques pour se constituer en groupe d’in- térêts 564. À la lumière de tout ce qui précède, il y a lieu de se demander si la combinaison des particularités de la banque mixte, de l’exi- guïté du marché national et de la forte expansion économique à l’étranger, ainsi que la proportion élevée d’héritiers parmi les dirigeants bancaires ne peut pas expliquer, au moins en partie, les difficultés qu’a éprouvées le monde économique à rajeunir ses cadres et ses structures durant l’entre-deux-guerres.

562 Kurgan qualifie la période de l’entre-deux-guerres comme « the climax of banking influence ». G. Kurgan-Van Hentenryk, « Bankers and Politics in Belgium in the 20th century », in T. Gourvish (ed), Business and Politics in Europe 1900-1970, Essays in Honour of Alice Teichova, Cambridge, 2003, p. 90. 563 Il serait d’ailleurs utile d’étudier les dirigeants des structures capitalistes nées de la mouvance socialiste. 564 À titre d’exemple, différents syndicats de banquiers ont existé en France dans le courant du XIXe siècle. H. Bonin, « The political influence of bankers and financiers in France in the years 1850-1960 », in Y. Cassis (ed), Finance and Financiers in European History 1880-1960, Cambridge-Paris, 1992, p. 219. 381 www.academieroyale.be

Les grands banquiers belges (1830-1935)

Un modèle à tester

Au final, ce tableau d’ensemble pose, comme on pouvait s’y attendre, plus de questions qu’il n’apporte de réponses. Le danger est en effet de prétendre que le groupe social décrit dans cette étude est parfaitement homogène et emblématique du champ économique dans son ensemble. Il n’en est évidemment rien. D’une part, j’ai montré qu’au sein même du groupe des ban- quiers existaient des différences régionales (entre les places finan- cières) ou sociales (entre les catégories professionnelles) qu’il ne faut jamais perdre de vue. Des études plus ciblées pourront affi- ner les grandes tendances suggérées ici et enrichir de la sorte nos connaissances encore réduites sur la grande bourgeoisie en Bel­ gique. D’autre part, l’échantillon passe complètement sous silence l’émergence du patronat flamand dans la première moitié du XXe siècle. Un coup de projecteur sur les élites financières de l’Algemeene Bankvereeniging pourrait enrichir et peut-être nuan- cer certaines observations de ce travail. Une analyse systématique de l’actionnariat des banques per- mettrait par ailleurs de préciser l’ampleur de la dilution de la propriété à mesure que l’on se rapproche de la Seconde Guerre mondiale et quantifier l’emprise persistante des lignées sur l’éco- nomie. Enfin, la fusion des pouvoirs constatée auprès des lignées ban- caires n’est peut-être pas caractéristique des élites belges dans leur ensemble. Il serait dès lors particulièrement utile de s’atteler à une recherche prosopographique d’autres groupes d’élites, axée par exemple sur le milieu parlementaire, les dirigeants du Comité central industriel, le monde du négoce anversois, l’industrie lié- geoise ou hennuyère. Ces éléments comparatifs pourraient alors préciser les résultats avancés dans cette synthèse. Ainsi, le rôle avéré de l’université dans la constitution d’une élite bancaire est- il exceptionnel, comme des chiffres très récents relatifs au degré d’enseignement du patronat le laisseraient penser ou s’agit-il d’un trait caractéristique de la bourgeoisie d’affaires dans son ensem- ble ? La professionnalisation des milieux dirigeants de l’industrie a-t-elle été aussi tardive que dans le monde bancaire ? L’entrée dans l’aristocratie des héritiers est-il aussi fréquent dans le reste de la grande bourgeoisie ? Par effet d’entraînement, l’univers des banquiers et ses multi- ples ramifications provoquent en fin de compte un flot de ques-

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Conclusions tions qui prouvent, s’il le fallait encore, l’existence d’un formida- ble terrain d’investigation pour celui ou celle que l’histoire des élites passionne. De nombreux indices laissés en friche dans ce travail dégagent ainsi de belles perspectives de recherche, dans le domaine de l’histoire des mentalités ou de la vie quotidienne par exemple.

Une injustice réparée

Osons, pour conclure, une interprétation plus macro-sociologi- que du milieu étudié. Ce groupe de banquiers, si soucieux d’ac- croître son pouvoir économique, social et politique et constituant un monde fermé composé de relations réticulaires extrêmement denses, non seulement défend ses intérêts en tant que groupe social, mais cherche à marquer son temps. En effet, ses représen- tants occupent les places de direction de tous les lieux sociaux et économiques qui comptent et s’y montrent particulièrement actifs. Ils sont aux leviers de l’économie, on l’a dit. Par leur pré- sence active dans les sphères de la politique, ils créent les cadres du développement économique qui non seulement conditionnent leurs affaires propres, mais déterminent la vie de tous les conci- toyens. Ils tiennent en main les lieux de la charité et de la philan­ thropie, entendant par là répondre, du moins durant le XIXe siècle, à la question sociale. Ils créent enfin, animent ou soutiennent des cercles de loisirs, des lieux culturels qui perdureront, pour cer- tains, jusqu’à aujourd’hui. Ils contribuent ainsi à créer les normes de la distinction sociale. La logique de leurs stratégies comme groupe social d’élite les a conduit à marquer en profondeur leur époque. Après des décennies passées dans l’ombre de l’histoire 565, il était donc temps de ramener ces « hommes d’affaires », ces grands notables capitalistes, au centre du débat sur le pouvoir et à l’avant-scène de la recherche historique.

565 Sur 5730 notices de la Biographie Nationale publiées entre 1866 et 1920, 30 seulement sont explicitement consacrées à des entrepreneurs et hommes d’af- faires. G. Kurgan-Van Hentenryk, « Mythe et réalité du self-made man au sein du patronat belge », in Bulletin de la Classe des Lettres, Académie Royale de Belgique, tome X, 1-6, 1999, p. 82. 383 www.academieroyale.be www.academieroyale.be

Annexe

Composition de l’échantillon

1. Les banques retenues sont :

1. Société Générale de Belgique (1822) 2. Banque de Belgique (1835) 3. Banque Liégeoise (1835) 4. Banque Générale Belge (SA 1901) (origine : Banque Namuroise et Verviétoise et Comptoir Anversois – de Lhoneux, Linon et Cie – (1857)) 5. Crédit Général Liégeois (SA 1885) (origine : Joseph Fraipont et Cie (1865), Alban Poulet et Cie (1875)) 6. Banque de Bruxelles (1871) 7. Banque Centrale Anversoise (1871) 8. Caisse Générale de Reports et de Dépôts (1874) 9. Banque Internationale de Bruxelles (1898) 10. Crédit Anversois (1898) 11. Banque d’Outremer (1899) 12. Banque de Reports, de Fonds Publics et de Dépôts (1900) (devient Crédit Mobilier de Belgique en 1914) 13. Mutuelle Solvay (1927) (origine Mutuelle Mobilière et Immobilière (1914) 14. Société Belge de Banque (1931) (fusion de la Banque Générale Belge et d’une partie des activités de la Mutuelle Solvay)

Dans l’échantillon figurent les trois premières banques par actions du pays (no 1 à 3) 566. À celles-ci s’ajoutent les huit banques possédant les

566 La Société Générale en 1822, la Banque de Belgique en 1835 et la Banque Liégeoise en 1835.

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Les grands banquiers belges (1830-1935) fonds propres les plus importants en 1900 et 1910 (no 5 à 12) 567 : celles-ci sont fondées entre 1865 et 1900 à Liège, Bruxelles et Anvers. La liste est complétée enfin par les deux établissements les plus importants (toujours selon la quantité de fonds propres) qui émergent entre 1910 et 1930 : l’un est très ancien et date du milieu du XIXe siècle (no 4) 568, l’autre est de constitution récente (1914) et connaît un développement très important durant l’entre-deux-guerres (no 13) 569. Ces deux établissements fusionne- ront leurs activités en 1931 dans une dernière société retenue pour consti- tuer l’échantillon (no 14) 570. Toutefois, avant 1871, seuls les milieux liégeois et bruxellois sont pris en compte dans une sélection qui ne comprend pas encore de banque anversoise. C’est pourquoi, je fais référence ici et là, à titre comparatif, aux administrateurs de la Banque d’Anvers, bien que ceux-ci n’apparais- sent pas dans l’échantillon en raison des liens de l’établissement anver- sois avec la Société Générale dont il est une filiale. Après la création de la Banque Centrale Anversoise en 1871, les milieux bancaires anversois, bruxellois et liégeois sont tous représentés dans l’échantillon, et ce jus- qu’à la fin de la période de cette étude.

2. Les banquiers privés retenus sont :

Allard (Victor, Josse, Josse-Louis) Balser (Charles) Bischoffsheim (Jonathan Raphaël, Ferdinand) Brugmann (Frédéric et Georges) Cassel (Germain, Jacques et Léon) de Hirsch (Maurice) de Lhoneux (Léon et Gustave)

567 Dans l’ordre d’importance des fonds propres, la Caisse Générale de Reports et de Dépôts, la Banque d’Outremer, le Crédit Général Liégeois, la Banque de Bruxelles, la Banque Internationale de Bruxelles, la Banque Centrale Anver- soise, la Banque de Reports, de Fonds Publics et de Dépôts et le Crédit Anver- sois. En haut de ce classement compilé par Durviaux, on trouve également la Société Générale et la Banque Liégeoise. La Banque de Belgique disparaît de la scène au début des années 1880. La Banque d’Anvers, agence (1823) puis filiale de la Société Générale (1826), transformée en Société Anonyme en 1870, n’est pas reprise dans la sélection en raison de ses liens avec la Société Générale. Toutefois, allusion y sera faite dans certaines parties de la recherche car ses dirigeants sont issus du monde des affaires anversois et à ce titre, peuvent nous éclairer sur ses particularités. R. Durviaux, La banque mixte. Origine et soutien de l’expansion économique de la Belgique, Bruxelles, 1947, p. 249 et ss 568 La Banque Générale Belge ne devient une société anonyme qu’en 1901. Aupa- ravant, elle fonctionnait sous forme de société en commandites. 569 La Mutuelle Mobilière et Immobilière (1914) prend la dénomination de Mutuelle Solvay en 1927. 570 La Société Belge de Banque, qui absorbe une partie des activités de la Mutuelle Solvay et l’ensemble de celles de la Banque Générale Belge. 386 www.academieroyale.be

Annexe

Fran(c)k (Adolphe) Lambert (Léon et Henri) Le Grelle (Joseph Guillaume, Emile et Oscar) Nagelmackers (Gérard, Jules Gérard, Ernest et Jules) Oppenheim (Adolphe et Joseph) Philippson (Franz, Maurice et Jules) 571

571 La liste complète des administrateurs de banques et la période de leurs mandats dans les banques de l’échantillon sont à consulter dans ma thèse. Les banquiers cités dans le texte sont repris dans l’index, où leurs dates de naissance et de mort sont indiquées quand elles sont connues. S. Tilman, Portrait collectif de grands banquiers belges Bruxelles-Liège-Anvers (1830-1935), Contribution à une histoire des élites, Thèse de doctorat en Philosophie et Lettres, ULB, 2003- 2004, volume second, annexe A. 387 www.academieroyale.be www.academieroyale.be

Sources et bibliographie

Sources inédites

Base de données

Pour un relevé détaillé des archives consultées à la constitution des dos- siers biographiques, se reporter à la Base de données, Groupe d’Histoire du Patronat, Université Libre de Bruxelles (classification par banquier).

Autres archives

Archives générales du Royaume Papiers Carton de Wiart (I 223) – 1-3 : souvenirs famille – 52-64 : Edmond Carton de Wiart Papiers Fabri (I 262) – 906 : Coupures de presse Papiers Orts (I 184) – 320-373 (dont J.P. Barbanson, C. De Brouckère, etc) Fonds des archives des séquestres VIII, Balser, de Hirsch, Montefiore- Levy (Inventaire 305) – 3-267 : vie familiale – 268-290 : Lucienne de Hirsch, vie privée – 330 : Charles Balser, vie quotidienne – 453-494 : Georges Montefiore-Levy, charité Papiers De Brouckère (microfilms 2761-2762) – 5-22 : Charles De Brouckère – 76-85 : Alfred De Brouckère

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Les grands banquiers belges (1830-1935)

Archives de l’Université Libre de Bruxelles Papiers personnels, Papiers Chlepner, PP 201

Sources imprimées

Documents contemporains

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Sources et bibliographie

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Principales publications périodiques

Les Annales Parlementaires L’Avenir Bulletin de la Société belge des ingénieurs et des industriels Le Courrier du Soir Le Courrier de la Vesdre L’Escaut L’Éventail Gazet van Atwerpen La Gazette de Huy La Gazette de Liège High Life de Belgique Le Journal de Liège Le Journal de Huy Lloyd Anversois La Libre Belgique Le Matin La Métropole La Meuse Le Moniteur Belge Le Nouveau Précurseur Nouvelliste de Verviers Le Patriote Le Peuple Pourquoi Pas ? Le Précurseur Le Soir L’Union commerciale

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Travaux

Principaux outils biographiques

Almanach royal de Belgique, Bruxelles, 1840-1939. L’Annuaire de la Noblesse, Bruxelles, 1847-1950 (intitulé La Noblesse belge depuis 1889). Association des ingénieurs sortis de l’École de Liège, Mémorial du 75e anniver- saire, 1847-1922, Liège, 1925. Association des ingénieurs sortis de l’École de Liège, Mémorial du Cinquante- naire, 1847-1897, Liège, 1898. Banque Nationale Belge. Notices biographiques 1850-1960, slnd. Beeteme G., Anvers, métropole du commerce et des arts, tome II, Louvain, 1888. Beterams G., The High Society belgo-luxembourgeoise avec celle des arron- dissements de Breda, de Maestricht et de Ruremonde, au début du gouver- nement de Guillaume Ier, roi des Pays-Bas, 1814-1815, Wetteren, 1973. Biographie Belge d’Outremer, Académie Royale des Sciences d’Outremer, Bruxelles, 1968, àp tome VI. Biographie Coloniale Belge, Institut Royal Colonial Belge, Bruxelles, 1948- 1958, tome I à V. Biographie Nationale, Académie Royale des Sciences, des Lettres et des Beaux-Arts, Bruxelles, 1866-1986, 44 vol. Boudin H.R., Bibliographie du protestantisme belge 1781-1996, Bruxelles, 1999. Capitaine U., Nécrologe Liégeois, Liège, 1852-1870, 5 vol. Caulier-Mathy N., Le monde des parlementaires liégeois 1831-1893. Essai de socio-biographies, Histoire quantitative et développement de la Belgique au XIXe siècle, 1re série, tome VII, vol 1, Bruxelles, 1996. Dechesne M., Le Parti Libéral à Liège 1848-1899, Cahiers du Centre Interu- niversitaire d’Histoire Contemporaine, no 76, Leuven, 1974. De Haulleville P., Portraits et silhouettes, Bruxelles, 1892-1893, 2 vol. De Hemptine G., Coomans De Braechene O., État présent de la noblesse du Royaume de Belgique, 1960-1970 (22 tomes). De Lichtervelde L., Le Congrès national de 1830. Études et portraits, Bruxelles, 1922. Demarteau J., Liégeois d’il y a cent ans, Liège, 1956. Demeur A., Les sociétés anonymes de Belgique (de 1857 à 1873), Bruxelles, 1859-1875, 4 vol. De Paepe J.-L., Raindorf-Gerard C., Le parlement Belge, 1831-1894 : don- nées biographiques, Bruxelles, 1996. De Ryckman De Betz Baron, Armorial général de la Noblesse belge, Liège, 1957 (2e édition). Du Bus De Warnaffe C., Le Congrès National. Biographies des membres du Congrès National et du Gouvernement Provisoire, 1830-1831, Bruxelles- Paris, 1930. Errera-Bourla M., Une histoire juive. Les Errera. Parcours d’une assimila- tion, Bruxelles, 2000. Gason L., Biographies verviétoises, Verviers, 1949. 392 www.academieroyale.be

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Travaux généraux

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Index des noms propres

Pour les banquiers répertoriés dans notre échantillon de référence, le prénom est indiqué in extenso et les dates de naissance et de mort sont précisées lorsqu’elles sont connues.

A B

Agie, C. 118 Baar, Armand (1875-1942) 136 Agulhon, M. 49 Baar, famille 251 Albert Ier 102 Bacot, L. 92 Aldenhoven, C. 123 Baeyens, famille 93, 244 Allard, famille 70, 104, 145, 249, 251, Baeyens, Ferdinand (1837-1914) 23, 259, 282 25, 39, 55, 75, 81, 91, 123, 124, Allard, Josse (1868-1931) 24, 26, 84, 239, 244, 269, 270, 287, 379 130, 131, 206, 361, 366, 367, 368, Baeyens, Marcel (1870-1954) 287 386 Bagage, Jules (1880-1958) 367 Allard, Josse-Louis (1903-1939) 386 Balser, Charles (1842-1914) 16, 23, Allard, Victor (1840-1912) 386 238, 239, 358, 366, 386 Ancion, Alfred (1839-1923) 23, 90, Balser, E. 206, 238, 247, 248, 249, 358 91, 155, 156, 162, 164, 192, 223, Balser, famille 70, 249, 250, 358 296, 305 Bamberger, A. 343 Ancion, D. 156 Bamberger, famille 259 Ancion, famille 156, 214, 216, 326 Bara, J. 322, 323 Ancion, J. 155, 156, 162 Barbanson, famille 87, 102, 104, 135, Anspach, E. 255 174, 249, 259 Anspach, famille 93, 189, 262 Barbanson, Gaston (1876-1946) 94, Anspach, François (1784-1858) 63, 178, 262 91, 200, 300, 319, 346 Barbanson, Jean-Pierre (1797-1883) Anspach, M. 92 91, 102 Arenberg, famille 246 Barbanson, Léon (1843-1912) 102, Arrivabene, Jean (1787-1881) 221, 128 319 Bartier, J. 202 Audent, Jules (1834-1910) 144, 149, Basse, famille 174, 175, 246 158, 159 Basse, Frédéric (1785-1848) 189, 293, Augustine, D. L. 54, 68, 101, 115, 300 289, 290 Baudhuin, F. 40, 41, 56, 227, 279

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Les grands banquiers belges (1830-1935)

Bauer, famille 262 Braconier-Lamarche, famille 216 Bauer, G. 92 Braconier-van Hoegaerden, famille Beernaert, Auguste (1829-1912) 159, 255 160, 162, 223, 314, 320, 328 Braconier père, F. 172 Beernaert, famille 250, 259 Brasseur, N. 256 Bellefroid, Victor (1805-1889) 124, Brugmann, A. 59, 250, 267 125, 155, 156, 220, 294 Brugmann, Ernest (1823-1898) 59, Bemelmans, Arthur (1881-1952) 24, 182, 185, 239, 267 26, 130, 231, 275, 367 Brugmann, famille 70, 182, 185, 189, Bemelmans, Eugène (1836-1912) 249, 250, 251, 262, 266, 356, 358 256 Brugmann, Frédéric (1779-1952) 63, Bemelmans, famille 133, 259 84, 91, 189, 267, 281, 358, 386 Bénard, famille 341 Brugmann, Georges (1829-1900) 23, Bertrams, K. 113 25, 59, 146, 163, 184, 208, 237, Beyne, D. 294 238, 241, 266, 267, 354, 358, 386 Biré, Louis (1795- ) 32 Bruynseraede, E. 295 Bischoffsheim, C. 343 Bunge, E. 258 Bischoffsheim, famille 91, 121, 238, Bunge, Edouard (1851-1927) 24, 25, 239, 261, 262, 288, 349, 358 91, 119, 122, 258, 275, 276 Bischoffsheim, Ferdinand (1837- Bunge, famille 111 1909) 178, 182, 267, 386 Busino, G. 12 Bischoffsheim, H. 238 Bischoffsheim, Jonathan-Raphaël (1808-1883) 23, 25, 30, 63, 69, 80, C 177, 184, 185, 190, 208, 209, 215, 216, 218, 221, 246, 259, 267, 298, Cahen, famille 342 300, 310, 319, 340, 342, 343, 348, Cahen-d’Anvers, M. 343 349, 351, 358 Cahen d’Anvers, famille 259 Bischoffsheim, L. 343, 349 Callens, Auguste (1877-1952) 367 Bitsch, M. T. 363 Cameron, R. 30 Blaise, Gaston (1880-1964) 24, 26, Capouillet, famille 336 130, 367, 368 Capouillet, J.-J. 336, 337, 340 Boel, famille 257 Capouillet, Pierre (1775-1850) 336, Boël, famille 104 337 Boel, G. 257 Carlier, famille 120, 244 Boël, René (1899-1990) 104, 257, Carlier, J. 225, 244, 279 276, 280, 282 Carton de Wiart, Edmond (1876- Boudin, H. R. 189 1959) 149, 151, 152, 281, 283 Bourdieu, P. 48 Carton de Wiart, famille 251 Brabant, Duc de 246 Carton de Wiart, H. 151, 152, 153, Brabant, Duchesse de 246 154, 159, 244 Bracht, Edouard (1885- ) 122 Cassel, famille 70, 251, 258, 356 Bracht, famille 111, 255, 329 Cassel, Germain (1807-1869) 343, Bracht, Victor (1883-1962) 122 358, 386 Braconier, famille 85, 90, 117, 137, Cassel, Jacques (1847-1930) 190, 172, 256 386 Braconier, Frédéric (1826-1912) 23, Cassel, Léon (1853-1930) 24, 26, 241, 25, 65, 91, 129, 172, 173, 197, 201, 282, 366, 367, 368, 386 204, 220, 225, 252, 256, 296, 297, Cassis, Y. 68, 69, 72, 75, 76, 77, 78, 302, 304, 321, 325, 326 113, 114, 116, 307 416 www.academieroyale.be

Index des noms propres

Castermans, famille 87, 251 d’Andrimont, J. 204, 225, 262 Castermans, Léon (1860-1915) 134 d’Andrimont, L. 128, 173, 204, 216 Cattier, famille 251 Dansaert, A. 226 Cattier, Félicien (1869-1946) 27, 56, Dansette, Paul (1845-1917) 28, 272 81, 138, 161, 230, 231, 271, 282 Daumard, A. 44, 48, 50, 51, 52, 95, Caulier-Mathy, N. 38, 302, 304, 324 194 Charle, C. 47, 48, 49, 54, 68, 83, 94, Daunton, M. J. 380 95, 96, 97, 114 Dautrebande, F. 339 Chlepner, B. S. 33, 70, 312, 348, 351 Dautrebande, famille 338 Clochereux, Henri (1828-1907) 135, Dautrebande, T. 339 159 David, famille 90 Cockerill, famille 337 David, Pierre (1872-1948) 90, 136, Cogels, Edouard (1793-1868) 220, 145, 366 306, 342 David Fischbach-Malacord, famille Cogels, famille 305 304 Coghen, Comte Jacques (1791-1858) Davignon, famille 86 173 Davignon, Gilles-François (1780- Coghen, Comtesse 187, 242, 246 1859) 338 Coghen, famille 174 De Backer, famille 254 Coghen, M. 341 de Baillet, famille 171, 205, 305 Collinet, famille 156, 214, 251 de Baillet, H. 305 Collinet, Léon (1842-1908) 23, 84, de Baillet, Henri (1785-1869) 293, 87, 91, 155, 156, 192, 252, 296 303, 305 Collinet jr, Léon (1871-1951) 84 de Baillet, J. 305 Cooreman, Gérard (1852-1926) 24, de Bary, famille 111, 255 25, 223, 306, 323 de Bary, H. A. 363 Coppée, Evence (1882-1945) 111, de Bauer, famille 251 365 de Bauer, M. 259 Coppée, famille 364 de Bauer, Raphaël (1843-1916) 23, Cornelis, Auguste (1822-1900) 200 25, 122, 178, 190, 238, 241, 249, Cornelis-Lysen, A. 118 259, 358 Cossée, famille 195 de Beeckman, famille 263 Coumont, Rodolphe (1828-1898) 23, de Bethmann, S.-M. 351 28, 81, 120 de Biolley, Jules Emmanuel (1829- Cousin, Jean (1843-1926) 128, 149 1892) 84, 201, 220, 296 Cousin, J. 231 de Borchgrave, Comtesse A. 245 Cousin-Jadot, famille 133 de Borchgrave d’Altena, Comtesse Crabbe, famille 251 244 Crabbe, Prosper (1827-1889) 120, de Borchgrave d’Altena, F. 245 299 de Borchgrave d’Altena, famille 265 Craeybeckx, J. 328 de Braconier, famille 325 De Brouckère, Alfred (1827-1908) 148, 149, 150, 251 D De Brouckère, Charles (1796-1860) 23, 25, 80, 85, 91, 146, 148, 155, d’Alkemade, V. 102 171, 192, 197, 207, 221, 222, 232, Dallemagne, famille 87, 133 319, 337, 338, 340, 342, 348, 349 Dallemagne, Jules (1840-1922) 87, De Brouckère, E. M. C. 338 162 De Brouckère, famille 86, 155, 337 Dallemagne, L. 329 De Brouckère, H. 155, 338, 346 417 www.academieroyale.be

Les grands banquiers belges (1830-1935) de Burlet, Constantin (1846-1925) de Liedekerke, famille 104 149, 162, 229 de Liedekerke Beaufort, Hadelin de Caters, famille 176, 263 (1816-1890) 104, 246 de Caters, Madame E. 243 de Liedekerke de Pailhe, Pierre (1869- de Caters, P. 263 1943) 104 Dechamps, A. 202, 312 de Ligne, famille 173 de Chimay, famille 177 de Limburg-Stirum, famille 205 de Crombrugghe, Baronne 214 Delloye, C. 338, 339 De Gottal, Emile (1831-1909) 79, Delloye, F. 339 125, 200, 295 Delloye, famille 70, 104, 338, 352 De Gottal, famille 117 Delloye, H. 338, 339 de Haerne, chanoine 211 Delloye, H. C. 338 de Hemptinne, J.-B. 279 Delloye, Jules (1813-1897) 41, 70, 91, de Hemricourt de Grunne, famille 148, 185, 203, 239, 299, 338, 352 263 Delloye, N. A. A. 338 de Hirsch, L. 238, 249, 358 del Marmol, Charles (1830-1906) de Hirsch, Maurice (1831-1896) 80, 361 238, 298, 299, 343, 349, 351, 358, del Marmol, famille 134 386 Delruelle-Vosswinkel, N. 50 de la Coste, Edmond (1788-1870) Delvaux, A. 87 300 Delvaux, famille 87 de Laminne, Adolphe (1825-1908) Delvaux, fils 295 91, 129, 136 Delvaux, Frédéric (1834-1916) 87, de Laminne, E. 296 91, 125, 149, 200, 255, 295 de Laminne, famille 117, 137, 172 Delvaux, J. P. F. 295 de Laminne, Henri (1854-1914) 136, Delvaux de Saive, Laurent (1772- 329 1861) 293, 300 de Laminne, L. 111 de Macar, famille 304, 326 de Lantsheere, Auguste (1870-1932) de Macar, Ferdinand (1830-1913) 23, 130, 248, 263 25, 256 de Lantsheere, famille 39, 93, 282 Demarteau, J. 155, 212 de Lantsheere, Léon (1862-1912) de Meeus, E. 212 315, 324 de Meeus, Edouard (1874-1944) 84, de Lantsheere, Mme A. 244 111, 283 de Lantsheere, Mme L. 244 de Meeus, famille 71, 202, 241, 304, de Lantsheere, Mme T. 244 326 de Lantsheere, T. 93, 158 de Meeus, Ferdinand (1798-1861) 80, de Launoit, P. 104 85, 90, 91, 151, 171, 181, 182, 185, De Laveleye, A. 230 202, 204, 212, 259, 314 De Laveleye, famille 251, 258 de Meeus, H. 85 De Laveleye, Georges (1847-1921) de Meeus, Henri (1826-1913) 85, 173, 23, 25, 229, 230, 231, 272, 324 192, 204, 296, 329, 359 Delcommune, A. 122, 231 de Meeus, J. 23, 25, 191, 293, 303, de le Hoye, famille 134 342, 345 de Lhoneux, A. 296 de Mérode, Comtesse 244 de Lhoneux, famille 16, 352 de Mérode, famille 173, 245 de Lhoneux, Gustave (1839-1901) 70, de Mérode, J. 273 91, 223, 317, 321, 328, 339, 386 de Mérode, L. 246 de Lhoneux, Léon (1869-1949) 386 Demonceau, famille 71, 124, 155, de Liedekerke, Comtesse J. 244, 245 288 418 www.academieroyale.be

Index des noms propres

Demonceau, G. 124, 155, 156, 288, 243, 255, 259, 264, 272, 277, 278, 305, 338 279, 280, 282, 283, 308, 365, 367 Demonceau, Jean-Henri (1791-1856) Dessigny, V. 337 91, 108, 124, 155, 220, 288, 294, Deswert, Louis (1795-1864) 63, 91, 305, 338 300, 317 Demonceau, Jules (1830-1881) 84, Deswert-Anspach, famille 86 173, 294 Detru, L. 339 Demonceau Jr, J. 125 de Villenfagne, famille 294 de Munck, François (1780-1856) 23, de Villenfagne de Vogelsanck, Louis 91, 293, 300 (1798-1868) 45, 121, 294, 305 de Munck, Willy (1879-1959) 367 Devolder, Joseph (1842-1919) 55, de Potesta, A. 85 138, 151, 152, 160, 161, 203, 239, de Potesta de Waleffe,J. M. L. 305 269, 306 De Pouhon, F. 37, 38, 120, 182, 185 Devolder, K. 81 De Pouhon, N. 38 de Wael Vermoelen, famille 171 de Prémélic Hirsch, L. 238 de Waha, famille 267 de Rodes, Charles (1790-1868) 76, Dewandre, famille 133 173 de Waru, A. 349 de Rodes, Théodule (1815-1883) 182 De Wilde, B. 113, 138 de Rossius, famille 172, 304 de Woelmont, Baronne 245 de Rossius d’Humain, Charles (1863- d’Hoffschmidt, Constantin (1805- 1946) 134, 162, 172, 329 1873) 314, 346 de Rossius d’Humain, famille 92 d’Hooghvorst, famille 246 de Rossius d’Humain, F. 93, 134 d’Huart, famille 273 De Roubaix, Adolphe (1829-1893) Dietrich, Charles (1865-1939) 120, 29, 200, 230, 231, 295 283 De Roubaix, famille 87 Digneffe, Emile (1858-1937) 24, 148, de Sauvage, famille 172 278, 301, 329 de Sauvage, Frédéric (1792-1865) Digneffe, famille 172, 216, 251, 381 294 Dolez, H. 159 de Sauvage-Vercourt, famille 294 Doreye, famille 134, 156, 214, 251 Descamps, famille 133 Doreye, M. 156 Descamps, Jules (1857-1943) 86, 255, Doreye, Maximilien (1841-1903) 155, 257, 262, 281, 366 156 Desmaisières, Léandre (1794-1864) Doreye-Collinet, famille 156 111, 128, 146, 306, 314, 318 d’Oultremont, A. 245 Desmet, Eugène (1787-1872) 306 d’Oultremont, Comtesse John 240, de Smet de Naeyer, famille 250 245 de Smet de Naeyer, Paul (1843-1913) d’Oultremont, famille 104, 245, 263 23, 25, 229, 268, 306, 314, 320, d’Oultremont, J. 240, 245 321 d’Oultremont, O. 245 Desoer, famille 338 d’Oultremont de Duras, O. 246 Desoer, J. E. 338 Dresse, Armand (1841-1912) 91, 155, Despret, Edouard (1833-1906) 23, 156, 248 25, 45, 91, 92, 128, 129, 149, 164, Dresse, famille 156, 326 228, 251, 278 Dresse, O. 156 Despret, F. 178 Dresse, P. 248 Despret, famille 282, 381 Drugman, famille 256, 262 Despret, Maurice (1861-1933) 24, 26, Drugman, Ferdinand (1801-1841) 40, 92, 93, 94, 135, 137, 160, 229, 91, 171, 293 419 www.academieroyale.be

Les grands banquiers belges (1830-1935)

Dubois, Arthur (1838-1913) 128, Fontaine-Spitaels, P. J. 336 162, 228 Fortamps, famille 117, 182, 185, 249 Dubois, Ch. 86, 337, 338 Fortamps, Frédéric (1811-1898) 23, Dubois, Ch. 86 150, 151, 182, 185, 220, 224, 291, Dubois, famille 86, 337 292, 299, 310 Dubois, J. T. C. 86 Fould, famille 344 du Chastel de la Howarderie, famille Fould-Oppenheim, B. 344, 349 104 Fould-Oppenheim, famille 349 Ducpétiaux, E. 178 Fraipont, J. 108, 296 Dumon-Dumortier, A. 341 Fran(c)k, Adolphe (1833-1916) 16, Dumortier, B. 312 70, 79, 354, 387 Dupont-Bouchat, S. 170, 178, 183, Franck, famille 273 236, 242 Franck, L. 276 Duquenne, famille 97 François, L. 309 Duquenne, X. 260 Francotte, Clément (1785-1874) 294 d’Ursel, famille 205 Francotte, famille 172, 214, 294 Durviaux, R. 16, 17, 29, 333, 386 Francotte, Gustave (1852-1925) 180, Duvivier, F. 171 192, 283, 305, 315, 329 Francotte, P. 172 Francqui, Émile (1863-1935) 24, 26, E 27, 42, 81, 122, 132, 136, 262, 271, 272, 274, 276, 277, 282, 289, 308, Eloy, L. 136 316, 331, 367, 380, 381 Elsen, famille 171 Frère-Orban, W. 154, 155, 216, 312, Emerique, famille 121 322 Emerique, Louis (1814- ) 182, 208, Friling, Willy (1875-1956) 118, 231, 216, 267 248 Empain, Edouard (1852-1929) 16, Fris, Victor (1843-1913) 23, 25, 203 24, 25, 123, 136, 160, 164, 240, Fuchs, famille 171 269, 272, 361 Fuchs, J. 118, 350 Empain, famille 357 Fuhrman, famille 189 Engler, famille 175, 195, 246 Fuhrmann, famille 329 Engler, Jacques (1769-1846) 59, 146, 171, 181, 187, 189, 220, 293, 310 Ernst, A. 158 G Errera, famille 251, 258, 262 Errera, Jacques (1834-1880) 80, 148, Galopin, Alexandre (1879-1944) 46, 190, 239, 348, 349, 350 277, 280 Errera, L. 239 Ganshof van der Meersch, Georges Errera, M. 242 (1898-1973) 135 Errera-Oppenheim, famille 356 Ganshof van der Meersch, W.-J. 92 Everard-Goffin, A. 171 Gaus, H. 42, 43 Gay, J. 362 Gendebien, A. 235 F Gendebien, F. 235 Gendebien, J. B. 337 Fabri, Charles (1873-1938) 27, 56, Gérard, famille 133 79, 137, 276, 367 Gérard, G.-L. 279 Fabri, famille 91, 381 Gérard, M. L. 274, 279 Flandre, Comte de 195 Gérard-Libois, J. 46 420 www.academieroyale.be

Index des noms propres

Gerin, P. 213 H Giddens, A. 114, 290, 307, 379 Gille, B. 344 Hankar, F. 257 Gillieaux, Henri (1869-1953) 136 Hankar, famille 257 Goblet, A. 158 Hankar, Robert (1892-1963) 257 Godin, Eugène (1824-1886) 128, 148, Hardy, E. 225 163, 352 Hauzeur, famille 86, 162 Goffin, Albert (1877-1958) 121 Havenith, famille 255 Goffinet, famille 265 Havenith van Geetruyen, famille Goldschmidt, B. 343 171 Goldschmidt, H. 343 Hennekinne-Briart, famille 336, 337 Goldschmidt, H. S. 343 Hennekinne-Briart, L. 335 Good, Charles (1860-1929) 29, 118, Hirsch, famille 121 119, 282 Hogg, R. L. 368 Good, famille 189, 250, 282, 329 Horn-Feist, Carl (1848- ) 27 Good, Frédéric (1886-1960) 118, Houtart, famille 104, 381 248 Houtart, Maurice (1866-1939) 50, Good, W. 118 158, 276, 278, 308, 316, 331, 365 Goosens, M. 335 Hulin, M. 135 Gotovitch, J. 46 Hymans, L. 141, 174, 193, 198, 260 Graux, C. 93, 160, 255, 259 Hymans, P. 174, 193, 255, 260 Graux, famille 86, 92 Graux, L. 93, 164, 279 Gréban, famille 87 I Gréban de Saint-Germain, C. 91, 125 Ingenbleek, Jules (1876-1953) 130, Gréban de Saint-Germain, Charles 277, 289, 308 (1813-1871), 125, 149, 158, 182, 340 Greindl, famille 87 J Greindl, Léon (1867-1944) 10, 135, 229 Jacobs, famille 108 Greiner, A. 225 Jacobs, Frédéric (1836-1914) 23, 25, Grisar, Emile (1862-1948) 29, 87, 29, 120 125 Jacobs, Frédéric-L.-J. (1866-1946) Grisar, E. 254 91, 361 Grisar, famille 87, 107, 111, 254, 255, Jacobs, J. 323 294, 329 Jacquemyns, G. 32, 80, 298, 299, Grisar, Félix (1811-1887) 29, 87, 200, 311 295 Jadot, Jean (1862-1932) 24, 39, 150, Grisar, L. 294 226, 272, 365, 366, 367, 380 Grisar, M. 86 Jadot, Lambert (1875-1967) 128, Grodent, Hyacinthe ( -1906) 121 150, 162, 231 Guillaume Ier 45, 145, 175, 218, 288 Jamar, Alexandre (1821-1888) 220, Guinotte, L. 147, 262 223, 314, 317 Guinotte, Léon (1870-1950) 135, 147, Jamar, famille 251, 304 262, 279 Janssen, Albert-Edouard (1883-1966) Gunther, O. 118 135, 271, 280, 282, 289 Gutt, C. 274 Janssen, E. 135, 277 421 www.academieroyale.be

Les grands banquiers belges (1830-1935)

Janssen, Emmanuel (1879-1955) 111, 249, 251, 252, 262, 263, 264, 267, 282 272, 282, 366, 387 Janssen, famille 282 Lambert, S. 342, 348, 358 Janssen, Léon (1849-1923) 126, 234, Lambert-de Rothschild, famille 259 240, 280, 282 Laminne, famille 85 Janssen, M. 92 Langrand-Dumonceau, A. 18, 28, Janssens, P. 73 57, 80, 187, 269, 298, 299, 311, Jeidels, O. 21 312, 315, 351, 352 Juste, T. 37 Laureyssens, J. 24, 335 Lavallée, Henri ( -1883) 357 Lavalleye, H. 294 K Lebeau, famille 338 Le Bœuf, famille 244, 282 Kaelble, H. 115 Le Bœuf, Henri 24, 56, 160, 178, 244, Keppenne, J. J. 180, 305 283 Keppenne, Jérôme (1768-1859) 294 Le Bœuf, Henry 90, 104 Kerckx, famille 244 Le Bœuf, L. 244 Knight, famille 171 Lebrun, J. 70, 71, 336 Kocka, J. 81, 116 Lebrun, P. 337 Kok, Jean-Pierre (1788-1879) 18, 79 Lefebvre, L. 340 Kreglinger, E. 86, 255 Lefebvre-Meuret, M. 340 Le Grelle, Emile (1852-1935) 24, 29, Kreglinger, famille 87, 91, 107, 189, 387 277, 329, 350 Le Grelle, famille 16, 70, 198, 246, Kreglinger, G. 351 250, 329 Kreglinger, Herman (1827-1874) 29, Le Grelle, G. 91, 197, 198, 318 86, 295, 301 Le Grelle, H. 197 Kreglinger, Paul ( -1916) 29 Le Grelle, Joseph Guillaume (1795- Kurgan-van Hentenryk, G. 9, 12, 19, 1880) 187, 387 33, 34, 40, 121, 123, 124, 127, 192, Le Grelle, Oscar (1861-1927) 387 288, 306, 327, 355, 366, 374, 376, Le Hardy de Beaulieu, A. 221 381 Lemmé, C. 342, 350 Lemmé, famille 107, 171, 189, 343, 344 L Lemmé, J. L. 343 Lemmé, Louis-Chrétien (1833- Lagache, Léon (1884-1968) 149, 162 1890(c)) 295, 343, 350 Laloux, Adolphe (1834-1919) 23, 91, Léopold Ier 102, 288 156, 305 Léopold II 26, 102, 129, 160, 237, Laloux, famille 156, 216, 251, 326 245, 264, 265, 358 Laloux, Henri (1862-1931) 156 Léopold III 102 Lamarche, famille 304 Lepreux, O. 257 Lamarche, G.-A. 172 Leubsdorff, famille 350 Lamarche, J. 325 Levie, Michel (1851-1939) 145, 315, Lambeau, F. 120 324 Lambert, famille 69, 262, 342 Lhoneux, famille 70, 352 Lambert, Henri (1887-1933) 130, Lhonneux-Detru, H. 339 137, 265, 387 Liedts, Charles (1802-1878) 23, 149, Lambert, Léon (1851-1919) 24, 25, 187, 192, 222, 299, 316, 317, 353 75, 80, 91, 122, 190, 237, 240, 244, Liedts, famille 246 422 www.academieroyale.be

Index des noms propres

Linon, Victor (1843(c)-1924(c)) 84, Meeus, F. 181 148 Meeus, famille 39, 85, 90, 174, 175, Lippens, famille 86, 145, 359 185, 249 Lippens, Hippolyte (1847-1906) 91, Meeus, L. 119 111, 150, 193 Meeus-Macar, famille 85 Lippens, Maurice (1875-1956) 50, Mercier, Edouard (1799-1870) 298, 135, 150, 231, 308, 316, 331 312, 315 Lippens, Paul (1876-1915) 135, 149 Mesdach de ter Kiele, Albert (1861- Loos, famille 176 1942) 87 Mesdach de ter Kiele, famille 87, 104, 134, 254, 259 M Mettenius, famille 175, 246 Mettenius, Jean-Guillaume (1777- Mach, B. W. 291 1850) 182, 185, 189, 288, 300, Magis, Alfred (1840-1921) 91, 155, 342, 344 156, 204, 305, 329 Meuwissen, E. 104, 245 Magis, famille 216, 326 Meynaud, J. 9 Mallet, C. 349 Michaux, M. 177, 204 Malou, famille 202 Misonne, famille 134 Malou, J. B. 180 Monnom, Hector (1860-1913) 178 Malou, Jules (1810-1886) 23, 104, Montefiore, famille 358 145, 149, 153, 154, 155, 158, 159, Montefiore, G. 164, 238, 239, 241, 200, 203, 245, 293, 310, 314, 315, 249 317, 322, 324, 330, 346, 353 Montefiore-Levi, Joseph (1820(c)- Malou-Moermans, V. 202 1876) 182 Maquinay, Alfred (1821-1885(c)) Montens, V. 160 295 Morel de Westgaver, famille 268 Marchal, Albert (1879-1963) 24, 26, Mosselman, E. 171 126, 130, 367 Mourlon, Michel (1845-1915) 235 Marie-Henriette, Reine 245 Mouton, famille 304 Marissal, C. 237 Marsilly, H. W. 366 Marsily, famille 189, 329 N Maskens, famille 195 Masquelin, famille 134 Nagelmackers, E. 197 Masquelin, François (1811-1886) 28 Nagelmackers, Ed. 302 Massaux, Léon (1883-1955) 136 Nagelmackers, Ernest (1834-1905) Mattelart, A. 232 23, 25, 222, 233, 353, 387 Matthieu, famille 70, 194, 195, 336, Nagelmackers, famille 16, 41, 70, 337 172, 216, 262, 294 Matthieu, H. G. H. 336 Nagelmackers, G. T. 86, 220 Matthieu, J. 256, 361 Nagelmackers, Gérard (1777-1859) Matthieu, Josse-Pierre (1785-1863) 70, 91, 121, 124, 181, 294, 387 23, 293, 336, 337 Nagelmackers, Jules (1855-1914) 86, Max, A. 273, 350 302, 338, 387 May, Jules (1826-1890) 190, 349, Nagelmackers, Jules Gérard (1804- 350 1873) 387 May-de Bauer, Joseph (1870-1935) Nothomb, famille 202 281 Nyssens, Adolphe (1820-1901) 195, Mayné, M. 228 223, 251, 323 423 www.academieroyale.be

Les grands banquiers belges (1830-1935)

O Périer, Gaston (1875-1946) 24, 26, 90, 231, 248, 255, 262, 279, 282, Olin, A. 157 367, 368 Olin, Xavier (1836-1899) 136, 157, Périer, J. 349 193, 215, 218, 257, 322, 323, 324 Philippart, S. 347 Opdenbergh, F. 293 Philippson, famille 262 Oppenheim, Adolphe (1793-1870) Philippson, Franz (1851-1929) 24, 91, 182, 187, 190, 342, 344, 346, 25, 26, 75, 178, 190, 240, 243, 244, 348, 349, 387 252, 272, 282, 350, 356, 367, 387 Oppenheim, E. 27, 344 Philippson, Jules (1881-1961) 69, Oppenheim, famille 27, 121, 261, 130, 131, 387 288, 349, 350, 358 Philippson, Maurice (1877-1938) Oppenheim, Joseph (1810-1884) 148, 131, 243, 248, 387 190, 208, 346, 348, 349, 350, 358, Picard, E. 157, 161 387 Pirmez, Eudore (1830-1890) 195, 314, Oppenheim, M. 348 317, 321, 322, 323, 328, 353 Oppenheim, S. 27, 344 Pirmez, famille 117, 134 Oppenheim, veuve 241 Pirson, Victor (1809-1867) 23, 111, Oppenheim-Emden, famille 246 187, 197 Orban, famille 86, 249, 251, 262, 304 Plessis, A. 20, 55 Orban, H. J. 172 Plissart, J. 87 Orban, Léon (1822-1905) 23, 91, 128, Poncelet, famille 97 256, 299, 317, 353 Poswick, Jules (1837-1905) 128, 136 Orban, M. 256 Potesta, famille 85, 204 Orban-Bemelmans, famille 256 Potesta de Waleffe, famille 305 Orts, A. 93 Poulet, Alban (1835-1893) 84, 87, 91, Orts, famille 86, 92, 134 97, 108, 128, 134, 204, 216, 220, Orts, L. 93 296, 297, 301, 324, 326, 357 Orts, P. 92, 257, 282, 367 Poulet, A. jr 134 Osterrieth, E. 350 Prévinaire, E. 182 Osterrieth, famille 350 Puissant, A. 86 Osy, C. 305 Puissant, famille 39, 93 Osy, famille 171, 305 Puissant-Anspach, famille 93 Osy, Jean Joseph Reinier (1792-1866) Puissant-Baeyens, Fernand 287 16, 107, 200, 220, 305, 317, 328, 341, 342 Osy de Zegwaart, famille 205, 243 Q

Quairier, Joseph (1820-1907) 19, 178, P 203, 251

Pauwels-Devis, R. 185 Pelgrims, famille 171 R Peltzer, A. 92, 93 Peltzer, famille 86, 93, 262, 265, 362, Ranscelot, Léopold (1864-1936) 28, 363 145 Pereire, E. 349 Rautenstrauch, A. 350 Pereire, famille 344, 349 Rautenstrauch, famille 350 Périer, C. 349 Richard-Lamarche, Hyacinthe (1792- Périer, famille 251 1878) 172, 294

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Index des noms propres

Richard-Lamarche, R. 242 Solvay, famille 92, 122, 255, 257, 262, Richtenberger, famille 342 270 Rittweger, famille 174, 249 Speyer, famille 258 Rittweger-Sauvage, François (1767- Stanworth, P. 114, 290, 307 1848) 187, 246, 293 Stengers, J. 287 Robert, F. 294 Stern, famille 70, 251, 258, 262, 288, Rossius, famille 216 350 Rothschild, famille 130, 266, 340, Stern, Herman (1850-1910) 23, 25 341, 342, 343, 344, 348, 349, 350 Stern, Isaac (1835-1895) 91, 193, 343 Rothschild-Richtenberger, famille Stoclet, Adolphe (1871-1949) 56, 349 240, 243 Ruzette, famille 273 Stoclet, famille 133, 282 Stoclet, Victor (1843-1904) 128, 178, 240 S Stoskopf, N. 14, 68 Stouls, Armand (1858-1930) 162, Sabatier, famille 117 235 Sabatier, Gustave (1819-1894) 23, Stouls, famille 133 128, 180, 220, 222, 299, 317, 319, Swolfs, Clément (1871-1944) 118 320, 321, 353 Saint-Vincent, L. 240 Sarens, Jean (1785- ) 293 T Schollaert, F. 176 Schreiber, J. P. 190, 193 Tercelin-Monjot, Victor (1824-1891) Schumacher, Henri (1790-1856) 171, 70, 220 187, 189, 220, 293, 300 Tercelin-Sigart, A. 336 Schuster, Henri (1794-1862) 190 Tercelin-Sigart, famille 337 Segers, Paul (1870-1946) 120, 145, Terlinden, famille 97 315 Terwangne, César (1806-1875) 155, Seillère, F. A. 349 294 Semet, famille 133, 162 Semet, Jean-Louis (1903- ) 162 Terwangne, famille 172, 294 Sengier, Edgard (1879-1963) 231 Terwangne, Victor 197 Sepulchre fils, François (1858-1929) Tesch, famille 87 135, 159 Tesch, M. 323 Sepulchre père, F. 159 Tesch, Victor (1812-1892) 23, 125, Sigart, T. A. 336 154, 302, 317, 322, 330, 353 Simonis, Alfred (1842-1931) 224, Theunis, famille 282 277 Theunis, Georges (1873-1966) 24, 26, Simonis, famille 128 130, 229, 274, 275, 277, 280, 282, Simons, Charles (1823-1890) 160, 289, 308, 315, 367, 368, 381 245, 328 Thurneyssen, A. 349 Smith, B. G. 83 Thys, Albert (1849-1915) 23, 25, 27, Smits, Jean-Baptiste (1792-1857) 146, 56, 81, 90, 91, 126, 129, 164, 230, 220, 306, 314, 315, 317, 318 231, 233, 255, 257, 262, 365 Soesman, Maurice (1885-1952) 123 Thys, Edouard (1868-1914) 24, 25, Soete, J. L. 202 29, 38, 39, 80, 120, 361, 362, 380 Solvay, A. 91 Thys, famille 108, 117, 161, 359 Solvay, E. 257, 272 Thys, H. 119 425 www.academieroyale.be

Les grands banquiers belges (1830-1935)

Thys, William (1886-1935) 24, 26, 56, Van der Rest, Gustave (1847-1931) 75, 80, 90, 94, 129, 149, 257, 277, 146, 151, 255 365, 367 Van der Rest, J. 146, 151 Tiberghien, famille 338, 339 Van der Rest, L. 151, 217, 281 Tiberghien, H. 187 Vander Stichelen, famille 254 Tiberghien, Pierre (1806-1868) 338 Vanderstichelen, Jules (1822-1880) t’Kint, famille 195, 255 188, 246, 259, 346, 357 Tournay, Emile (1878-1958) 282 Van der Straeten, Jean (1822-1882) Tournay-Detilleux, J. 255 91, 125 Toussaint, Y. 123 Van der Wee, H. 335 Tudesq, A. J. 48, 84 van de Vyvere, Aloys (1871-1961) 277, 316, 367 van Eetvelde, Edmond (1852-1925) U 118, 267 van Eetvelde, famille 251 Ullens de Schooten, Alphonse (1857- Van Hoegaerden, famille 251 1944) 250 Van Hoegaerden, Paul (1858-1922) Urban, Ernest (1827-1909) 41, 128 24, 25, 65, 220, 223, 225, 234, 305, 329 Urban, F. 23, 25, 128 Van Hoegaerden, V. 305 Urban, famille 134, 148, 163, 251, Van Hoegaerden-Braconier, famille 352 216 Urban, Henry (1880-1951) 130 Van Hoorebeke, Emile (1816-1864) Urban, Jules (1826-1901) 41, 91, 357 149, 150, 353, 357 Van Hulst, Jules (1860- ) 231 Van Kalken, F. 247 V van Nuffel d’Heynsbroek, famille 87, 134, 259 Van Brée, Firmin (1880-1960) 150, Van Overloop, Eugène (1847-1926) 231, 282, 366 41, 151, 203, 245, 324, 328 Van den Bosch, Léon (1862-1923) Van Overloop, famille 282 361 Van Overloop, I. 151, 203 Van den Branden, Jean (1868-1939) Van Roy, François (1887-1952) 123 123 Vanthemsche, G. 219, 223, 225, 278, Van den Eynde, M. 147, 150, 194, 287, 320, 321 291 Van Volxem, famille 174, 175, 195, van den Nest, Arthur (1843-1913) 249 118, 234 Van Volxem, Guillaume (1791-1868) Van den Nest, famille 87 171, 208, 316 Van der Elst, famille 195 Van Volxem, Jean-Baptiste (1760- Van der Elst, François (1800-1861) 1850) 53, 91, 293, 300, 303 293 Van Zuylen, famille 251 Van der Linden, E. 38 Van Zuylen, Joseph (1871-1962) 277, Vanderlinden, Ernest (1859-1936) 329 361 Vapart, famille 87 Vanderlinden, famille 108, 120, 380 Vapart, Léopold ( -1898) 87 van der Linden d’Hooghvorst, Joseph Veraghtert, K. 342 (1782-1846) 171, 300 Verdbois, Charles (1799-1871) 124, van der Noot d’Assche, famille 104 155, 294, 338 Van der Rest, famille 84, 117 Verdbois, famille 155 426 www.academieroyale.be

Index des noms propres

Verhaegen, M. 323 Warocqué, Raoul (1870-1917) 111, Verhaegen, T. 192 135, 145, 147, 150, 184, 185, 240, Vermeersch, A. J. 180 241, 256, 291, 365 Verwilghen, famille 134 Washer, G. 184, 216, 239 Veydt, J. 198 Waterkeyn, famille 361 Veydt, Laurent (1800-1877) 125, 149, Waterkeyn, Joseph (1865-1963) 120, 198, 293, 314, 353 361 Vilain XIIII, Hippolyte (1796-1863) Wautelet, J. M. 356 303 Wauters, J. 324 Vilain XIIII, Philippe (1778-1856) Wesolowski, W. 291 23, 76, 180, 340, 346 Wiener, Edouard (1850-1930) 92 Visschers, Charles (1807-1889) 86, Wiener, famille 91, 92, 258, 262, 288, 197, 337, 338, 340, 349 350 Visschers, famille 86, 337 Wiener, J. 92, 258 Visschers, M. 85 Wiener, Léopold (1823-1891) 92, Von der Becke, Jules (1825-1895) 193 295, 301 Wiener, Sam (1851-1914) 26, 92, 160, von Mallinckrodt, W. 122, 363 178, 193, 240, 241, 244, 251, 252 Willems, famille 195 Witte, E. 302, 328 W Woeste, C. 201, 202, 328

Warocqué, A. 173 Warocqué, famille 145, 147, 185, 195, Z 249, 255, 256, 364 Warocqué, G. 249, 254, 259 Zumkir, A. 301 Warocqué, I. 336 Zurstrassen, famille 86 Warocqué, Madame A. 145, 194, Zurstrassen, J. 92 195 Zurstrassen, Louis (1862-1945) 128, 136, 162, 225, 226

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Index des entreprises, institutions et associations

A Association libérale de Bruxelles 200 Académie militaire de Breda 111 Association libérale de Liège 201, Académie royale des beaux-arts 197 297, 329 Aciéries d’Angleur 162 Athénée royal d’Anvers 144 Alban Poulet et Cie 296, 385 Athénée royal d’Ixelles 129, 145 Algemeene Bankvereeniging 15, 382 Athénée royal de Bruxelles 143, 144, Amis philanthropes 170, 193 145, 163 Anglo-Argentine Bank 355 Athénée royal de Liège 144 APIC 280 Archives Générales du Royaume 33, 249 B Association belge des banques 281, 381 Banque Allard 361 Banque Belge de Commerce et d’In- Association belge des ingénieurs et dustrie 356 des industriels 257 Banque Belge pour l’Étranger 355 Association belge pour la liberté com- banque Bethmann de Francfort 351 merciale 221 Banque Cassel et Cie 343, 361 Association belgo-américaine 280 Banque Centrale Anversoise 17, 27, Association charbonnière 225 29, 56, 64, 70, 77, 78, 79, 86, 87, Association des amis des musées 107, 118, 119, 125, 131, 188, 200, royaux des beaux-arts 282 220, 227, 250, 254, 258, 263, 275, Association des ingénieurs sortis de 277, 295, 327, 329, 344, 350, 354, l’École de Liège 162, 163, 164, 357, 360, 365, 385, 386 227, 235 Banque Commerciale d’Anvers 341 Association des patrons et ingénieurs Banque d’Anvers 29, 87, 107, 110, chrétiens (APIC) 280 118, 125, 171, 205, 275, 341, 350, Association des pauvres honteux 386 207, 208, 218, 267 Banque d’Outremer 56, 69, 70, 78, Association libérale d’Anvers 188, 92, 109, 122, 123, 127, 128, 129, 200, 255, 295 131, 161, 224, 230, 231, 244, 255,

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Les grands banquiers belges (1830-1935)

257, 277, 279, 365, 366, 367, 385, 127, 256, 275, 315, 344, 363, 365, 386 366, 385, 386 Banque de Belgique 14, 25, 30, 32, 34, Banque Leubsdorff, Philippson et 55, 63, 69, 70, 77, 79, 80, 86, 109, Compagnie 350 120, 126, 146, 155, 173, 182, 184, Banque Liégeoise 14, 27, 28, 32, 45, 187, 189, 197, 198, 205, 208, 221, 55, 63, 70, 77, 84, 86, 108, 109, 222, 223, 224, 238, 239, 246, 288, 121, 124, 125, 126, 127, 128, 131, 291, 293, 297, 300, 303, 306, 312, 155, 156, 172, 188, 200, 220, 233, 314, 315, 316, 317, 318, 327, 334, 234, 235, 277, 278, 288, 294, 297, 335, 337, 338, 340, 346, 347, 353, 305, 306, 315, 327, 356, 361, 365, 354, 355, 356, 357, 374, 385, 386 385, 386 Banque de Bruxelles 26, 41, 55, 70, Banque Namuroise et Verviétoise et 78, 80, 86, 87, 92, 94, 107, 109, Comptoir Anversois 385 121, 122, 123, 126, 128, 131, 147, Banque Nationale 38, 86, 120, 151, 148, 151, 159, 160, 178, 203, 228, 154, 158, 187, 217, 244, 255, 257, 229, 230, 239, 242, 243, 244, 255, 272, 275, 276, 281, 305, 334 256, 257, 258, 262, 272, 277, 278, Banque populaire de Liège 204 279, 281, 282, 296, 299, 323, 327, Banque Russo-Chinoise 355 328, 334, 350, 352, 356, 357, 359, Banque Sino-Belge 275, 362 361, 362, 363, 364, 365, 366, 367, Banque Sulzbach frères 349 376, 378, 385, 386 Bourse des métaux et charbons 227 Bourse industrielle de Liège 235 Banque de Flandres 15 Bureau des œuvres pontificales 198 Banque de France 54, 79, 82, 95, 114, 285 Banque de Huy 352 C Banque de l’Union Anversoise 275 Banque de Lhoneux, Linon et Cie C. Schmid et Cie 350 352, 385 Caisse Commerciale de Bruxelles 87, Banque de Mons 352 352 Banque de Paris et des Pays-Bas 356, Caisse de prévoyance des ouvriers 358 mineurs 326 Banque de Reports, de Fonds Publics Caisse Générale d’Epargne et de et de Dépôts 29, 38, 77, 107, 108, Retraite 257 119, 120, 125, 231, 250, 361, 380, Caisse Générale de Reports et de 385, 386 Dépôts 17, 28, 29, 77, 79, 87, 109, Banque des Travaux Publics 354 120, 122, 223, 235, 256, 272, 315, Banque E. Tiberghien, Delloye et Cie 354, 385, 386 352 Caisse Industrielle et Commerciale Banque Empain 269 du Hainaut 352 banque Errera-Oppenheim 350 Cercle africain 230, 231 Banque Française du Brésil 355 Cercle artistique et littéraire de Banque Générale Belge 64, 69, 70, Bruxelles 176, 177, 178, 251, 262 87, 109, 127, 128, 225, 227, 250, Cercle d’escrime 262 258, 263, 275, 352, 356, 362, 366, Cercle d’études sociales des indus- 385, 386 triels liégeois 235 Banque Générale du Centre 162 Cercle de l’Union 205, 206, 249, 267 Banque Hypothécaire Belge 312 Cercle de la Concorde 250, 251 Banque Internationale de Bruxelles Cercle de la rue Royale 262, 267 27, 28, 70, 77, 87, 109, 122, 123, Cercle des arts 176 430 www.academieroyale.be

Index des entreprises, institutions et associations

Cercle des patineurs 256, 261 Commission belge du ravitaillement Cercle du parc 205, 249, 250, 256, 275 267 Commission des réparations 275 Cercle le progrès 241 Commission for Relief in Belgium Cercle royal africain 230, 282, 367 274 Cercle royal artistique, littéraire et Commission pour la colonie de scientifique d’Anvers 175, 176, Wortel 198 251 Commission royale des monuments Chambre de commerce d’Anvers 220, et sites 283 222, 223, 226, 227, 295 Compagnie Belge des Rentiers Réunis Chambre de commerce de Bruxelles 187 223, 227, 291 Compagnie de Congo pour l’Indus- Chambre de commerce de Charleroi trie 29 222 Compagnie des Conduites d’Eau Chambre de commerce de Liège 125, 357 220, 226 Compagnie des Mines et Fonderies Chambre de commerce de Verviers du Bleyberg 350 224, 226 Compagnie du Chemin de fer d’An- Chambre internationale de commerce vers à Gand 346 280 Compagnie du Chemin de Fer du Charbonnage du Gouffre 337 Congo 237 Charbonnage Sacré-Madame 341 Compagnie du Congo pour le Com- Charbonnages des grands et petits tas merce et l’Industrie 229, 237 à Warquignies 341 Compagnie Générale des Chemins de Chemin de fer liégeois-limbourgeois fer Secondaires 356 357 Concert noble 250 Chemins de Fer de l’État 162, 256 Concordia 170, 171 Chemins de fer du Haut et du Bas Conseil de fabrique d’église Saint- Flénu 346 City 68, 69, 72, 75, 76, 78, 113, 115, Jacques 192 226, 307 Conseil de fabrique d’église Saints- Collège jésuite de Saint-Acheul 145 Michel et Gudule 192 Collège Notre-Dame de la Paix 145 Conseil du fonds d’amortissement Collège Saint-Jean Berchmans 144 277 Collège Saint-Michel 143, 144, 146, Conseil économique 277 151, 163 Conseil supérieur de l’industrie et du Collège Saint-Servais 144 commerce 222, 223, 225, 234 Comité central conservateur 200 Conseil supérieur de l’industrie et du Comité central du travail industriel travail 235 225 Conservatoire royal de Bruxelles Comité central industriel 93, 226, 252 235, 244, 278, 279, 280, 382 Consistoire central israélite de Belgi- Comité consultatif financier 277 que 190 Comité de patronage 282 Consistoire de l’Église protestante de Comité du Trésor 277 Bruxelles 189 Comité national de secours et d’ali- Consortium des banques 272, 274 mentation (CNSA) 271, 272, 273, Crédit Anversois 17, 29, 87, 104, 108, 274, 275, 276, 368, 380 119, 120, 159, 277, 315, 366, 385, Comité pour le relèvement de l’indus- 386 trie et du commerce 226 Crédit Général de Belgique 279 431 www.academieroyale.be

Les grands banquiers belges (1830-1935)

Crédit Général Liégeois 28, 56, 86, Facultés jésuites de Namur 151 87, 90, 92, 108, 121, 127, 134, 151, Fédération des patrons catholiques 156, 159, 164, 172, 204, 205, 217, 280 220, 225, 233, 234, 255, 277, 281, Fédération des sociétés belges pour 296, 304, 305, 325, 326, 356, 357, l’expansion et la défense des inté- 362, 365, 366, 385, 386 rêts nationaux à l’étranger 230 Crédit Mobilier (ex-Banque de Fédération liégeoise de l’Internatio- Reports) 120, 349, 385 nale 213 Crédit National Industriel 361 Fédération patronale de l’industrie Croix-Rouge du Congo 282 textile 225 Fondation nationale du cancer 271 D Frank, Model et cie 354

Denier des écoles 216, 217 Deutsche Bank 350 G

Grand Central belge 128, 160, 346, E 347, 357

École centrale de commerce et d’in- dustrie 146, 148 H École centrale des Arts et Manufac- tures 128 Half pint club 257 École de commerce Solvay 131 Hauzeur-Gérard 225 École de navigation 198 Hospice des Aveugles 217 École des mines 149 Hospice des vieillards de Sainte-Ger- École du génie de l’Université de trude 207 Gand 162 École polytechnique de l’Université de Bruxelles 129 I École Polytechnique de Paris 111, 124, 128 Institut colonial international 233, École primaire modèle 198 280, 282, 367 École royale militaire 128, 129, 130, Institut de commerce 119 150 Institut Montefiore 111, 129, 130, École spéciale de l’Université de Lou- 149 vain 129 Institut Saint-Ignace 146 École spéciale d’ingénieurs de Liège 129, 135 Institut Saint-Louis 151 Engetra (Entreprise Générale de Tra- Institut supérieur de commerce d’An- vaux) 356 vers 118, 146, 163 International gun and polo club 256, 261 F

Fabrique d’église Saint-André 198 J Fabrique de fer d’Ougrée 155 Fabrique de fer de Charleroi 162 Jockey-Club 256 Faculté de Saint-Louis 152 Joseph Fraipont et Cie 385 432 www.academieroyale.be

Index des entreprises, institutions et associations

L P

Lefebvre-Delescolle 341 Parti Ouvrier Belge 236 Ligue antisocialiste 326 Propriétaires Réunis 104 Ligue contre la tuberculose 245 Ligue de l’enseignement 204, 214, 215, 216, 217, 218 R Ligue de l’intérêt public 277, 278 Ligue européenne de coopération Refuge des Ursulines 181, 182, 184, 185, 186, 187, 188, 208, 218, 236, économique 280 237, 239, 241, 267, 291, 353 Ligue nationale belge contre la tuber- Royal automobile club d’Anvers culose 213, 240, 244, 246, 282 263 Ligue pour la défense de l’industrie et Royal automobile club de Belgique de la propriété 326 263 Lion Belge 288 Royal golf club de Belgique 256, 264, Lycée Louis Le Grand 111 265

M S

Maison Fontaine-Spitaels 337 Saint-Michel 145 Maison Fratelli Poma 356 Saint-Servais 145 Maison Sulzbach 357 Salomon Oppenheim junior et cie 27 Maison Tercelin-Monjot 352 Securitas 341 Mitteldeutsche Creditbank 357 Septentrion 193 Montignies-sur-Sambre 148 Société Anonyme de l’Est belge 346 Musées Royaux d’Art et d’Histoire Société Anonyme La Bienfaisance 282 240, 245 Mutuelle Mobilière et Immobilière Société Belge de Banque 366, 386 (future Mutuelle Solvay) 109, Société belge de géologie 229 386 Société Belge des Chemins de Fer Mutuelle Solvay 77, 78, 109, 122, 355 Société belge des ingénieurs et des 123, 162, 257, 277, 327, 385, 386 industriels 164, 165, 227, 228, Mutuelle Solvay-Société Belge de 229, 230, 231, 278, 357 Banque 122 Société civile de la charité 212 Société commerciale, industrielle et maritime d’Anvers 226 O Société de charité chrétienne 197 Société de Commerce 187 Œuvre de l’assistance par le travail Société d’économie politique de Bel- 244, 246 gique 221 Œuvre de l’enfance 276 Société de la loyauté 171 Œuvre de l’hospitalité 236, 237, 239, Société de la table ronde 257 282, 358 Société de la Vieille-Montagne 146, Œuvre du grand air pour les petits 302, 344 244 Société de l’Exposition de Liège 235 Œuvre nationale de l’enfance 282 Société d’émulation de Bruxelles 151, Oxbridge 113, 114, 116 170, 175, 201, 202, 203, 204, 269 433 www.academieroyale.be

Les grands banquiers belges (1830-1935)

Société de patronage d’apprentis et Société littéraire 170, 173, 204, 250, d’ouvriers israélites 190 251 Société de philanthropie 185, 186, Société littéraire de Liège 170, 172, 187, 188, 207, 208, 218, 282 173, 175, 197, 204 Société de Saint-Vincent de Paul 210, Société Nationale de Crédit à l’Indus- 211, 212, 213, 214, 217 trie 368 Société des beaux-arts 173, 176 Société nationale des Chemins de Fer Société des Mines de Dobra 245 vicinaux 162 Société des secours efficaces 242 Société ouvrière de Saint-Joseph 211 Société d’études coloniales de Belgi- Société philharmonique d’Anvers que 230 170, 171, 187 Société du cercle 171 Société royale belge de géographie Société du Chemin de fer de la Sambre 230, 235 à la Meuse 346 Société royale belge des ingénieurs et Société du commerce 174 des industriels 228, 229, 235 Société du grand-concert 171 Société royale d’encouragement des Société Financière de Transports beaux-arts 175 et d’Entreprises Industrielles Société royale d’harmonie d’Anvers (SOFINA) 361 251 Société Franklin 215, 216 Société royale de philanthropie 185, société gantoise des mélomanes 176 187, 206, 211, 217, 236, 239, 242, Société Générale 14, 18, 19, 25, 28, 246, 267, 269, 281 30, 32, 39, 40, 45, 46, 53, 55, 56, Société royale des beaux-arts de 59, 63, 64, 71, 77, 78, 79, 80, 87, Bruxelles 252 90, 92, 93, 94, 104, 109, 110, 121, Société royale des sciences, lettres et 122, 123, 124, 125, 126, 128, 131, arts 197 146, 150, 151, 154, 158, 159, 160, Société royale de zoologie d’Anvers 164, 171, 173, 174, 175, 178, 180, 251, 258 181, 182, 185, 187, 189, 192, 195, Société royale de zoologie et d’horti- 198, 202, 203, 205, 219, 220, 222, culture de Bruxelles 173 228, 229, 230, 231, 234, 238, 239, Société royale hippique 270 242, 243, 244, 245, 246, 251, 255, Société royale pour l’encouragement 256, 259, 263, 266, 268, 269, 270, des beaux-arts 197 272, 274, 277, 278, 280, 281, 288, 293, 294, 297, 299, 300, 303, 305, 306, 307, 309, 314, 316, 317, 318, T 321, 327, 330, 333, 334, 335, 336, 337, 340, 341, 345, 346, 347, 353, Technische Hochschule d’Aix-la- 354, 355, 356, 359, 361, 364, 365, Chapelle 148 366, 367, 369, 370, 373, 374, 375, Thys et Van der Linden 38 376, 378, 379, 380, 385, 386 Société Générale Belge d’Entreprises Electriques 361 U Société Générale des Chemins de fer Economiques 356 Union Catholique 331 Société Générale de Tramways 356 Union d’action sociale chrétienne Société Grétry 175 280 Société l’espoir 202 Union des anciens élèves de l’École Société libre d’émulation 250, 251 centrale de commerce et d’indus- Société linière de La Lys 341 trie 163

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Index des entreprises, institutions et associations

Union des banques patronnées Université de Gand 129, 149, 150, (UPA) 364 162 Union du Crédit de Bruxelles 208, Université de la Sorbonne 149 223 Université de Liège 119, 121, 129, Union Libérale de Liège 93 148, 149, 153, 154, 155, 156, 158, Union nationale pour le redressement 159, 338 des griefs 326 Université de Louvain 129, 136, 149, Union syndicale 226 150, 152, 158, 159, 176 Université de Bruxelles 33, 129, 136, 149, 150, 151, 152, 153, 154, 157, 161, 257, 271, 323

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Table des matières

Remerciements ...... 7

Introduction ...... 9 Qu’entend-on par patronat bancaire ? ...... 10 Un groupe d’élite ...... 11

Chapitre I. – Méthodologie et terminologie ...... 13 De la biographie à la prosopographie ...... 13 L’objet de l’étude ...... 14 Les banques par actions ...... 15 Les banques privées ...... 15 Les catégories des banques retenues ...... 16 Les administrateurs de banque ...... 17 Banquiers privés et représentants de la haute banque 19 Les « interlocking directories » et la situation économique belge ...... 21 Les plus gros détenteurs de mandats de sociétés . . . . . 22 Liste des banquiers belges ...... 23 Présidents, administrateurs-délégués, directeurs . . . 27 Spécificités des banques de dépôts et des banques d’affaires ...... 28 Les profils des banquiers entre 1830 et 1935 ...... 30 Les échantillons de travail ...... 31 Les données biographiques et leur utilisation . . . . . 33 Le traitement des données ...... 34 437 www.academieroyale.be

Les grands banquiers belges (1830-1935)

Chapitre II. – Héritage familial et transmissions . . . . 37 L’origine sociale des banquiers ...... 37 Les « fils de leurs œuvres » ...... 37 Les héritiers ...... 41 Les notables ...... 44 Élite de la notabilité et autres notables ...... 50 Héritiers et nouveaux-venus dans les différentes banques belges ...... 55 Le statut professionnel – L’étiquette sociale ...... 56 Les racines familiales des banquiers ...... 59 L’activité professionnelle des pères des banquiers . . 59 L’activité professionnelle des beaux-pères des banquiers – exo- et endogamie ...... 65 La spécificité de l’origine sociale des banquiers belges 68 Caractéristiques professionnelles des banquiers ...... 73 L’activité professionnelle principale des banquiers . . . 73 L’âge d’entrée en fonction des banquiers . . . . . 77 Stratégies familiales des banquiers ...... 81 Les alliances matrimoniales ...... 81 Les lignées de banquiers ...... 88 La descendance des banquiers ...... 94 La transmission aux enfants ...... 98 Les alliances avec la noblesse ...... 100 Une première photographie des banquiers ...... 104

Chapitre III. – La formation des banquiers ...... 107 Les banques au XIXe siècle et leurs fondateurs ...... 107 À Anvers ...... 107 À Liège ...... 108 À Bruxelles ...... 109 Le tableau d’ensemble ...... 109 Les limites de la base de données ...... 110 Une population diplômée, en Belgique ...... 112 Comparaison avec l’étranger ...... 113 Leçons d’une spécificité belge ...... 115 Les spécificités locales dans les niveaux d’études des banquiers ...... 117 Le cas d’Anvers ...... 117 À Liège et à Bruxelles ...... 121 Les études suivies ...... 124 Les études de droit, largement dominantes avant 1880 124 438 www.academieroyale.be

Table des matières

Les études d’ingénieurs, en croissance après 1880 . . 126 L’équilibre entre juristes et ingénieurs durant l’entre-deux-guerres ...... 130 Études supérieures et origines sociales ...... 132 Diplômes et secteurs d’activité ...... 132 Lignées de diplômés et mobilité dans la formation . 133 L’importance des études pour les banquiers ...... 136 Conclusion : héritiers et université ...... 137

Chapitre IV. – La sociabilité (I) ...... 139 Les réseaux d’études et de jeunesse ...... 139 Une expérience forte, hors du giron familial . . . . . 141 Les études secondaires ...... 142 Le choix de l’établissement ...... 142 Quelques exemples de liens tissés à l’adolescence . . . . 147 Les études universitaires ...... 148 Le choix de l’université ...... 149 Les liens tissés dans les milieux estudiantins ...... 153 Les réseaux post-universitaires ...... 157 Du côté des juristes ...... 157 Du côté des ingénieurs ...... 161

Chapitre V. – La sociabilité (II) ...... 167 Les réseaux extraprofessionnels des banquiers adultes . . 167 Avant 1850 ...... 168 Les cercles d’agrément ...... 169 La philanthropie ...... 178 Les communautés religieuses ...... 188 Les usages mondains. Autres lieux de sociabilité . . 193 Entre 1850 et 1875 ...... 198 Les associations politiques ...... 199 Les cercles d’agrément ...... 203 La philanthropie ...... 206 Les groupements d’intérêts économiques . . . . . 218 De 1875 à 1914 ...... 224 Les groupements sectoriels patronaux et autres associations d’intérêts économiques ...... 224 La philanthropie ...... 236 Cercles et autres lieux de sociabilité ...... 247 Coup de projecteur sur des cas remarquables de sociabilité ...... 266 439 www.academieroyale.be

Les grands banquiers belges (1830-1935)

La Première Guerre mondiale et l’entre-deux guerres . . . 271 La création et le mode de fonctionnement du Comité national de secours et d’alimentation ...... 272 Les retombées du CNSA ...... 274 Les groupements d’intérêts économiques . . . . . 276 L’évolution des autres lieux de sociabilité . . . . . 281

Chapitre VI. – Banque et politique ...... 285 Le poids de la fonction politique ...... 286 Nombre d’éligibles ...... 286 Nombre de mandats locaux ou nationaux . . . . . 288 Enjeux matériels et symboliques du mandat politique 290 Les réseaux politiques à la fondation des banques . . . 292 La Société Générale ...... 293 La Banque Liégeoise ...... 294 La Banque Centrale Anversoise ...... 295 La Banque de Bruxelles ...... 296 Le Crédit Général Liégeois ...... 296 Les « circonstances de rapprochement » ...... 297 Les mandats communaux – Évolution ...... 300 L’ancrage politique national – Les relais familiaux . . . . . 303 Les mandats parlementaires – Évolution ...... 306 Les portefeuilles ministériels – Enjeux et évolution . . . . . 310 Interdépendance entre charges ministérielles et monde bancaire ...... 310 Passages entre postes ministériel et bancaire ...... 314 L’activité politique dans les commissions et sections centrales du Parlement ...... 316 L’intervention des banquiers dans les débats parlementaires ...... 317 Le clivage catholique-libéral chez les banquiers parlementaires ...... 320 Incompatibilités entre finance et politique ...... 329

Chapitre VII. – Les réseaux de banquiers dans l’économie 333 Une histoire à écrire ...... 333 1830-1850 ...... 334 Les premières sociétés anonymes ...... 334 Les réseaux régionaux de la Société Générale et de la Banque de Belgique ...... 335 Les relations entre élites économiques locales ...... 339 440 www.academieroyale.be

Table des matières

Les acteurs principaux ...... 342 1850-1875 ...... 345 Les sociétés de transports comme vecteur de développement ...... 345 L’ouverture vers l’étranger ...... 348 Les premiers signes de centralisation dans une structure encore très divisée ...... 352 1875-1900 ...... 355 La Société Générale, première banque du pays . . . 355 Les spécificités des banques émergentes ...... 356 La perpétuation des banques privées ...... 357 Évolution dans les habitudes des banquiers . . . . 358 1900-1918 ...... 360 Deux secteurs récents d’expansion et leurs animateurs 361 L’héritage des migrations d’affaires du XIXe siècle . 362 1918-1935 ...... 364 La centralisation bancaire et la place des héritiers . . . 364 Les différents groupes de banquiers et leur implication dans la vie associative ...... 366 Conservatisme économique et lent renouvellement des élites bancaires ...... 368 Conclusion : les principaux profils des banquiers entre 1830 et 1935 ...... 370

Conclusions ...... 373 La Société Générale : un modèle atypique de dirigeants . 373 Le triomphe du notable ...... 376 Un modèle à tester ...... 382 Une injustice réparée ...... 383

Annexes ...... 385

Sources et Bibliographie ...... 389

Index des noms propres ...... 415

Index des entreprises, institutions et associations . . . . . 429

Table des matières ...... 437

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Les grands banquiers belges (1830-1935) Portrait collectif d'une élite Samuel Tilman

Samuel Tilman est docteur en Si l’actualité politique et internationale place la question des Histoire (2004) de l’Université réseaux et les relations entre élites à l’avant-plan des préoccu- Libre de Bruxelles. Il a consacré pations contemporaines, cette problématique n’est pourtant son mémoire de fin d’études à pas neuve, et resurgit à chaque étude consacrée aux milieux l’histoire du scoutisme au Congo dirigeants. et à la formation des élites dans En Belgique, pourtant, les spécificités sociales, culturelles et un contexte colonial. En tant politiques du patronat n’ont pas encore fait l’objet d’une véri- Les grands que réalisateur, il est l’auteur table synthèse historique. Cet ouvrage, consacré aux banquiers d’un film documentaire (L’oncle en activité entre 1830 et 1935, est une première tentative de missionnaire, 2003) retraçant la réponse à ce vide historiographique. présence missionnaire dans le En tentant de discerner les caractéristiques communes de

Bas-Congo à travers le portrait l’échelon supérieur du monde capitaliste que sont les ban- Samuel Tilman du plus vieux Jésuite belge quiers, c’est le profil cohérent et nuancé d’un groupe d’élite qui encore en activité dans le pays. prend forme. Les particularités de ce groupe seront soulignées, banquiers Les grands banquiers belges et intégrées dans une approche quantitative et comparative qui (1830-1935) est la publication les confrontera à celles des couches supérieures de monde capi- remaniée de sa thèse de doctorat, taliste d’autres pays européens, et en priorité avec celles des dont a déjà été extrait l'article banquiers d’Angleterre et de France. Cette démarche compa- « Les banquiers et la politique : rative mettra ainsi en exergue le modèle spécifique de banquier incompatibilités ? Le cas de généré par le système de banque mixte en vigueur en Belgique. e Mais elle nous interrogera aussi, dans un second temps, sur belges la Belgique (XIX -début du XXe siècle) » dans S. J et l’originalité des milieux d’élite belges (au sens large) en regard K. B (dir.), Patrons, gens des autres modèles européens. d’affaires et banques, Bruxelles, (1830 -1935 ) 2004. Portrait collectif d’une élite Les grands banquiers belges (1830 -1935 ) -1935 Les grands banquiers belges (1830

Photos de jaquette : Portrait photographique d’Alfred Ancion (1839-1923) ; J.-M. N, Portrait de Ferdinant de Macar ; J. S. S, Franz Philippson (1851-1929), collection privée, photo E. de Theux ; Portrait photographique de Classe des Lettres ISSN 0373-7893 Maurice Houtart (1866-1939) ; Portrait photographique ISBN 2-8031-0226-9 de Jules Urban (1876-1901) ; Portrait photographioque de Prix : 40 € Georges Janssens (1892-1941). ACADÉMIE ROYALE DE BELGIQUE

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