West Side Story Un film de et de Robert Wise

LYCÉENS SOMMAIRE ET APPRENTIS 1 AU CINÉMA 08/09

Sommaire

Mise en scène 26 Les dossiers pédagogiques et les fiches-élèves de MAQUETTE : BUENAVISTA Écritures l’opération Lycéens et apprentis au cinéma en « La plus grande partition Région Rhône-Alpes sont édités par l’AcrirA et ACRIRA : de comédie musicale l’Université Lumière-Lyon 2 avec le soutien de la Association des cinémas de recherche jamais portée Région Rhône-Alpes. indépendants de la région alpine à l’écran » 159, cours Berriat - 38000 Grenoble RÉDACTEUR EN CHEF : Rémi Fontanel, maître de Téléphone : 04 72 61 17 65 Éclairages et perspectives 36 conférences en « Études cinématographiques et Télécopie : 04 76 21 06 54 Un récit d’apprentissage audiovisuelles » à l’Université Lumière-Lyon 2. Mél. : [email protected] pour jeunes citadins Générique et Synopsis 3 COORDINATEUR ÉDITORIAL : Jean-François Buiré, COORDINATION DES DOSSIERS : Extérieur film 40 cinéaste, critique de cinéma et enseignant en Christine Desrumeaux-Thirion (AcrirA) et Région Avant-propos 4 Extension du domaine Voyez comme on danse « Études cinématographiques et audiovisuelles » à Rhône-Alpes – Direction de la culture, Direction de la scène l’Université Lumière-Lyon 2. de la communication. Cinéastes, films et chorégraphies 5 Mister Robbins et Docteur Wise Documents 42 AUTEURS : Jean-François Buiré, avec le concours Dossier © AcrirA « Un important témoignage de Marie-Noëlle Chatry et de Benjamin Labé. sur l’art américain » Équipe et histoire du film 9 D’Est en Ouest, historique À voir - À lire - À écouter RÉDACTEURS DES « MOTS-CLÉS » ET « ATELIERS » : Marie-Noëlle Chatry et Jean-François Buiré. Personnages / Acteurs 15 Remerciements à Alban Liebl et à Bruno Thévenon, Le récit 19 de l’Institut Lumière. Découpage séquentiel Analyse du récit Mot-clé

Atelier

Avec le concours des Rectorats de Lyon et de Grenoble, de la DRAF Rhône-Alpes,

Ministre de l’Institut Lumière, de Rhône-Alpes Cinéma

CultureCulture et des salles de cinéma.

CommunicationCommunication < LYCÉENS SOMMAIRE ET APPRENTIS 2 < AU CINÉMA 08/09

Générique et Synopsis Générique Synopsis West Side Story … et filles : Susan Oakes (Anybodys), Gina , fin des années 1950. Deux bandes Trikonis (Graziella), Carole d’Andrea (Velma) se disputent un quartier du West Side : les Jets, - les Sharks, garçons : Jose de Vega (Chino), USA, 1961 « natifs », et les Sharks, immigrés portoricains. Jay Norman (Pepe), Gus Trikonis (Indio), Schrank, un policier raciste, tente d’empêcher Eddie Verso (Juano), Jaime Rogers (Loco), Réalisation : Jerome Robbins et Robert Wise Larry Roquemore (Rocco), Robert Thompson leurs rixes. Le leader des Jets, Riff, décide de Chorégraphie : Jerome Robbins (Luis), Nick Covacevich (Toro), Rudy del liquider le conflit en une seule fois. Bien que Scénario : : , d’après le livret du spectacle écrit par Arthur Laurents sur une Campo (Del Campo), Andre Tayir (Chile) Tony, avec lequel il fonda les Jets, travaille et idée de Jerome Robbins, inspirée de Roméo et … et filles : Yvonne Othon (Consuelo), Suzie attende désormais autre chose de la vie, Riff le Juliette de William Shakespeare Kaye (Rosalia), Joanne Miya (Francisca) convainc de venir au bal où il doit annoncer à Musique : Leonard Bernstein Bernardo, le leader des Sharks, ce combat Paroles des chansons : Stephen Sondheim Doublage des chants : décisif. Marni Nixon (Maria), Jimmy Bryant (Tony), Directeur de la photographie : Daniel L. Fapp Tucker Smith (Riff pour la chanson The Jet Au bal se rendent aussi Anita, la fiancée de Ingénieurs du son : Fred Hynes et Gordon Sawyer Song), Betty Wand (Anita pour les chansons Bernardo, et la jeune sœur de celui-ci, Maria, Direction musicale : Johnny Green : Boris Leven A Boy Like That et I Have a Love) fraîchement arrivée de Porto Rico pour épouser Direction artistique Chino, qu’elle n’aime pas. Au milieu des danseurs, Chef décorateur : Victor Gangelin Chef costumière : Irene Sharaff Récompenses aux États-Unis : Maria et Tony ont le coup de foudre, à la fureur (Oscars) 1961 : Effets photographiques : Linwood Dunn de Bernardo. Ayant promis à Maria d’empêcher - Meilleur film Générique de fin et affiche : Saul Bass le combat entre les deux bandes, Tony tente de - Meilleure réalisation : Jerome Robbins Casting : Lynn Stalmaster s’interposer, mais cela tourne mal : Bernardo et Robert Wise Montage image : Thomas Stanford - Meilleur second rôle féminin : Rita Moreno tue Riff et, sous l’empire de la rage, Tony tue Montage son : Gilbert Marchant - Meilleur second rôle masculin : Bernardo. Montage musique : Richard Carruth George Chakiris Tony va chez Maria la supplier de lui pardonner. Durée cinéma : 152 min. (vidéo : 147 min.) - Meilleure photographie en couleurs : Lorsque Anita en deuil découvre qu’ils sont er Daniel L. Fapp Sortie en salle : 18 octobre 1961 (USA), 1 mars devenus amants en cette nuit tragique, elle 1962 (France) - Meilleure direction artistique en couleurs : passe de l’indignation à la compréhension, au Boris Leven (direction artistique) et Victor Données techniques : Format image : Super point d’accepter d’aller à la place de Maria, Gangelin (décors) Panavision 70 (70 mm, ratio 2.20:1), Couleur : retenue par Schrank, prévenir Tony que Chino Technicolor, Son : stéréo six pistes magnétiques - Meilleur son : Fred Hynes et Gordon Sawyer - Meilleure bande son pour un film musical : le cherche pour le tuer. Mais les Jets lui Production : Robert Wise, Saul Chaplin et Walter Mirish pour Mirish Pictures et Seven Saul Chaplin, Johnny Green, Sid Ramin et refusent d’accéder à Tony, et la violentent. Arts Productions Irwin Kostal Excédée, elle délivre un faux message : Chino, - Meilleur montage image : Thomas Stanford Distribution (1961) : United Artists jaloux, aurait tué Maria. Ayant appris cette - Meilleurs costumes pour un film en couleurs : Distribution en France (2008) : Carlotta Films nouvelle mensongère, Tony désespéré erre Irene Sharaff dans les rues, appelant Chino à le tuer aussi. - Prix spécial : Jerome Robbins pour « sa Interprétation : brillante réussite dans l’art de la chorégraphie » Au moment où il voit Maria bien vivante qui Natalie Wood (Maria), Richard Beymer (Tony), vient à lui, Chino surgit et lui tire dessus. Tony Russ Tamblyn (Riff), Rita Moreno (Anita), George Chakiris (Bernardo), Simon Oakland Le film fut également primé à divers titres meurt dans les bras de Maria, qui jette (Schrank), Ned Glass (Doc), William Bramley aux Grammy Awards, aux Laurel Awards, aux l’anathème sur les deux bandes. Au lieu de (Krupke) New York Film Critics Circle Awards, par la s’empoigner de nouveau, Jets et Sharks - les Jets, garçons : Tucker Smith (Ice), Tony Directors Guild of America et par la Writers s’unissent pour emmener le corps du jeune Mordente (Action), David Winters (A-rab), Guild of America en 1961, et aux Golden homme. Eliot Feld (Baby John), Bert Michaels (Snowboy), Globes en 1962. David Bean (Tiger), Robert Banas (Joyboy), Scooter Teague (Big Deal), Harvey Hohnecker

(Mouthpiece), Tommy Abbott (Gee-Tar) < LYCÉENS SOMMAIRE ET APPRENTIS 3 < AU CINÉMA 08/09

Avant-propos Voyez comme on danse

West Side Story présente le Wise, l’audace et la convention, drait-il regarder du côté du paradoxe d’une extraordinaire la langue de Shakespeare et cinéma indien, par exemple conjonction de talents, telle celle du West Side, l’Amérique de Devdas : nous sommes ici que Broadway puis Hollywood et le reste du monde, etc. dans le domaine du spectacle en connurent rarement, qui Mais le « positif du négatif », cinématographique, au sens engendra pourtant une œuvre c’est ce qui subsiste malgré le plus noble de l’expression, de bruit et de fureur où un tout de cette belle communion et, de ce point de vue, seules groupe n’existe que pour s’op- artistique initiale, au-delà du les cinématographies de poser à un autre groupe, et où tragique des amours d’une Bombay et de Hollywood les forces de l’amour, aussi Juliette et d’un Roméo new- peuvent se comparer. À chaque émouvantes soient-elles, yorkais. Quel que soit le fois que le cinéma se pose semblent bien faibles face à jugement que l’on porte sur le avec une exigence réelle la celles de la haine. Une telle film dans son entier, il faut question du spectacle, celle-ci antinomie a pu se constater sans doute remonter tout au perd toute futilité pour rede- ailleurs (tous les grands films début du cinéma sonore, et à venir une donnée cruciale de de guerre en relèvent), mais Hallelujah de , pour l’expérience humaine. Depuis rarement avec une telle retrouver une telle ambition 1961, combien de corps se netteté. Le conflit est en effet et une telle foi collectives sont transcendés aux sons et permanent : entre Sharks et quant au fait de capter et de aux images de West Side Jets bien sûr mais aussi, donner à voir des corps, Story ? justement, entre l’amour et la chantant (et dansant) dans le Jean-François Buiré haine, ou encore entre l’ado- cas du film de Vidor, dansant lescent et l’adulte, le couple et la (et chantant) dans le cas de communauté, le sexe et la West Side Story ; depuis, il romance, le prosaïsme et le n’est pas certain que le cinéma, merveilleux, l’extérieur réel et américain tout du moins, le studio, la scène et l’écran, ait fait preuve d’aspirations

Jerome Robbins et Robert comparables. Peut-être fau- < LYCÉENS SOMMAIRE ET APPRENTIS 4 < AU CINÉMA 08/09

Cinéastes, films et chorégraphies Mister Robbins et Docteur Wise

« Le présent ouvrage est donc , auquel on doit constamment menace de la première analyse d’impor- entre autres Chantons sous la faire tomber le film dans le tance à paraître dans le pluie. Mais si Donen prouva figement de la convention et monde, concernant l’auteur ses talents de cinéaste en de la mièvrerie, aux antipodes de West Side Story. » Ainsi se solo et Kelly se montra peu de cette passion du mouvement clôt le premier paragraphe apte à réaliser seul, Wise qui est au cœur de West Side d’un livre consacré à Robert pour sa part ne réalisa jamais Story, et du processus Wise1. « L’auteur de West Side un film aussi profondément cinématographique. Pour une Story » : la formulation pose cinégénique que West Side scène finale portée par problème car, en dehors Story.«Il faut rendre à l’intensité dramatique de la même des multiples talents Robbins ce qui est de Robbins : situation, combien de moments convoqués par le film2, celui-ci les élans, les danseurs, la plombés par le « métier » de est officiellement cosigné par grâce, la force ; et à Wise ce Wise (cf. séq. 2, 3, 10, 126), Jerome Robbins, chorégraphe qui est de Wise : les élans des contribuant au paradoxe de ce et metteur en scène de for- danseurs coupés, l’absence film que certains voient comme mation3. Et le plus cinéaste d’air autour des gestes, de vie un exemple de jeunesse, de des deux n’est pas celui qu’on autour des cœurs 4. » En effet vitalité et de modernité artis- croit. Robbins, qui fut le concepteur tiques, et d’autres comme un et le maître d’œuvre du spectacle comble d’académisme factice ! L’UN DANSE, L’AUTRE PAS à Broadway5, obtint de tourner Ce qui conforte ces derniers, La coréalisation d’une comédie lui-même toutes les scènes c’est la faible incarnation du musicale avait un précédent dansées. Professionnel de la « jeune premier » par Richard fameux : le duo / profession, Wise se vit confier Beymer, inconsistant face à le reste, c’est-à-dire ce qui l’énergie de Moreno, de Jerome Robbins et Robert Wise

1. Danièle Grivel, Laurent Lacourbe, Robert Wise, Éditions Edilig, Collection « Filmo », p. 9. 2. Cf. texte « « D’Est en Ouest, historique », par Jean-François Buiré, in rubrique « Équipe et histoire du film ». 3. En réalité, Robbins aurait fait ses premières armes de réalisateur en 1956, techniquement conseillé par Stanley Donen, sur le numéro The Small House of Uncle Thomas dans Le Roi et moi, chorégraphié par lui et signé par Walter Lang. 4. « Directed by, 60 + 60 (+1) cinéastes », notule « Wise Robert » rédigée par Pierre-Richard Bré, in Cahiers du cinéma, n°s150-151, décembre 1963/janvier 1964, p. 178. 5. Cf. texte « « D’Est en Ouest, historique », par Jean-François Buiré, in rubrique « Équipe et histoire du film ».

6. Cf. « Découpage séquentiel », par Benjamin Labé, in rubrique « Le récit ». < LYCÉENS SOMMAIRE ET APPRENTIS 5 < AU CINÉMA 08/09

Mister Robbins et Docteur Wise Cinéastes, films et chorégraphies

Chakiris et de Tamblyn ou à Billion Dollar Baby, du Roi et 1940 par le montage, qui l’émotion portée par Wood. moi aux Variations Goldberg, restera toujours un peu trop Or c’est par Wise que le rôle lui de la rigueur classique à l’en- « technicienne » ; pour fut attribué. tertainment, toujours avec la Hollywood, aux côtés de Tout sépare les deux coréali- même exigence de perfection, Stevens, Wyler et Zinnemann, sateurs. Robbins, né Jerome de dynamisme et d’innovation. il est le garant d’un sérieux Wilson Rabinowitz, est homme Robert Wise, formé par l’in- passe-partout aux audaces de dons et d’apprentissages dustrie cinématographique, mesurées, qui préfère délivrer multiples (chimie, danse clas- est tout d’abord monteur ; un « message » dans le cadre sique et moderne, théâtre, d’, il n’est que des genres établis plutôt que piano et violon), artiste raffiné, l’exécutant (pour Citizen Kane) de se livrer à de réelles recher- tourmenté par sa judéité et ou le traître réticent (il participe ches narratives ou formelles. par le fait d’avoir dénoncé en au massacre de La Splendeur D’après divers témoins, Wise 1953 devant la Commission des Amberson). Sa première aurait été d’une grande loyauté Robert Wise dirigeant Natalie Wood des activités anti-américaines réalisation est la piètre suite à l’égard de Robbins lorsque huit de ses collègues en tant d’un chef-d’œuvre du fantas- celui-ci fut mis à pied par la que communistes, de peur tique (La Malédiction des production de West Side Story 7. d’être blacklisté et que sa hommes-chats, en 1944, suite Ce n’est pas à l’aune des vertus bisexualité soit étalée au de La Féline de Jacques ordinaires qu’il faut juger les grand jour. Plus encore que Tourneur), sa quasi dernière deux hommes : Wise avait ses contemporains Michael étant la version cinéma du la réputation d’un homme Kidd, et space opera télévisé Star pondéré, patient et gentil, Bob Fosse, et après George Trek. L’autre succès qu’il Robbins, celle d’un bour- Balanchine (avec lequel il col- réalisera (seul) dans le genre reau, usant ses interprètes à labora) et Agnes de Mille, il musical, c’est La Mélodie du force d’exigence et de manipu- donne un nouveau souffle à la bonheur, colossal strudel lations plus ou moins perver- danse américaine, passant tyrolien. Il est de cette ses, afin d’obtenir ce qu’il sans complexe du New York génération (Robson, Dmytryk, souhaitait artistiquement. La City Ballet à Broadway, de Siegel, Sturges) venue à la pratique artistique ne s’em- Jerome Robbins sous le regard de George Chakiris L’Après-Midi d’un faune à réalisation dans les années barrasse pas toujours des

7. Cf. texte « D’Est en Ouest, historique », par Jean-François Buiré, in rubrique « Équipe et histoire du film ». < LYCÉENS SOMMAIRE ET APPRENTIS 6 < AU CINÉMA 08/09

Mister Robbins et Docteur Wise Cinéastes, films et chorégraphies

qualités morales qu’exige la Pretty, mais se terminent par strictes consignes ; il y a fort à vie quotidienne, ce en quoi les scènes beaucoup plus parier que c’est Wise qui ne Jerome Robbins ne fait que convenues, voire pompières, put s’empêcher d’y introduire, confirmer une loi établie, en du duo d’amour sur le balcon, du avant que Maria n’apparaisse cinéma, par ces tyrans plus conseil de guerre au drugstore au bal, des effets de scintille- ou moins cruels que furent et du mariage symbolique à ment d’image rien moins Le prologue, splendeur et misère Ford, Lang, Mizoguchi, l’atelier de couture. Les pas- qu’indispensables, faisant suite d’une courtisane Visconti ou Pialat. sages non dansés, a priori les au déjà discutable tournoie- moins assujettis au spectacle ment lumineux de la jeune Objectif : Montrer que l’emphase du prologue entretient 4. Verticalité/horizontalité : gigantisme architectural de Broadway, sont ceux qui fille qui termine la séquence le mythe américain en même temps qu’elle le critique. accentué par la plongée > buildings isolés au milieu SCHIZOPHRÉNIE semblent les plus théâtraux, précédente à l’atelier de couture. Avec DVD. de constructions moins ambitieuses > rétrécissement STYLISTIQUE au mauvais sens du terme Déroulement : généralisé des bâtiments. Revoir le prélude (séq. 0), observer les oppositions dans 5. Couleurs : au départ encore un peu contrastées La schizophrénie qui caractérise (ceux dansés conservant quant La dernière preuve de la diffé- le prologue (séq. 1). (East River, espaces verts) dans la continuité du prélude West Side Story, peu courante à eux quelque chose de scé- rence de « hauteur » artistique 1. Prélude musical : métaphore du salad bowl plutôt que musical, graduellement unifiées, tendant vers le grisâtre. nique qui n’enlève rien à leur entre les deux hommes est du melting pot (thèmes musicaux et couleurs, juxtaposés Prolongement : Une comparaison avec trois autres dans l’histoire du cinéma mais non fusionnés, évoquent la pluralité) ; le motif extraits de films est proposée à cette adresse : (parce que tributaire d’un cinégénie). Même constat pour inversement proportionnelle composé de petites lignes, qui évoque la forme http://www.cinehig.clionautes.org/article.php3? inceste Broadway-Hollywood la séquence du bal (4) : elle à leurs hauteurs spatiales des États-Unis, laisse place à Manhattan : effet id_article=149 qui s’est rarement reproduit débute par les impressionnantes respectives au moment où de rétrécissement, déjà. scènes de danse collective, elle se manifeste, c’est-à-dire 2. Grand/petit : progressivement, à partir de la vue très dans les mêmes termes) et à large sur Manhattan, resserrement des plans (jusqu’au laquelle il fallait faire un sort pour tomber dans les effets chers au début du film. S’y succèdent zoom avant sur les Jets), et découpe de la ville en au début de ce livret pour n’y à Wise tels cette vaseline8 qui le prélude aérien filmé par morceaux. envahit l’image afin de séparer Wise, puis la séquence au sol, 3. Ouvert/fermé : presqu’île de Manhattan accessible plus revenir, pourrait faire (ponts, bateaux) > pont de Brooklyn (circulation fluide) l’objet d’un travail de repérage Maria et Tony du reste de la tournée par Robbins, des et bretelles d’accès, bateaux (ouverture sur le monde) > stylistique avec les lycéens et foule et signifier leur coup de premières escarmouches entre immeubles et circulation plus rares > terrain de jeu telle foudre, et tout l’attirail visuel Jets et Sharks. Dans le prélude, une cour de prison, avec seulement une bicyclette. les apprentis. Elle se fait sentir au sein même de certaines chargé d’exprimer la solitude- il s’agissait pour Wise d’éviter séquences : 5, 6 et 7 com- face-au-monde des amoureux. le cliché visuel consistant à mencent respectivement par Les scènes de danse collective ouvrir le film par des images l’ébouriffante chorégraphie de cette séquence furent de l’East River, du pont de 8. Afin d’obtenir cet effet de flou sur certaines parties de l’image, on étale effectivement par zones de la vaseline sur d’America, l’hilarant Gee, Officer tournées après l’éviction de Brooklyn et de la skyline des

un filtre placé devant l’objectif de la caméra ; en l’occurrence, des « réserves » ont été ménagées pour conserver nets Krupke et le charmant I Feel Robbins, mais selon ses très gratte-ciel, en donnant à voir

Maria et Tony. < LYCÉENS SOMMAIRE ET APPRENTIS 7 < AU CINÉMA 08/09

Mister Robbins et Docteur Wise Cinéastes, films et chorégraphies

New York d’un point de vue surplombant, à partir d’un Films et chorégraphies hélicoptère. Nouveauté, donc, Des quarante films réalisés par Robert De la vaste carrière de chorégraphe de 1962 : A Funny Thing Happened on the qui garde encore aujourd’hui Wise, rappelons les suivants : Jerome Robbins, partagée entre ballets Way to the Forum (chansons de Stephen la « force du premier geste » 1945 : Le Récupérateur de cadavres (« sérieux ») et comédies musicales, Sondheim), adapté en 1966 par Richard (et qui est en outre fort bien (The Body Snatcher) on ne citera ici que les musicals de Lester (Le Forum en folie) conçue), mais à son tour 1949 : Nous avons gagné ce soir Broadway qui ont été adaptés au cinéma : 1964 : Funny Girl, adapté en 1968 devenue un cliché : on ne (The Set-Up) 1944 : On the Town (musique de Leonard par William Wyler (id.) compte plus, depuis, les films 1951 : Le Jour où la Terre s’arrêta Bernstein9), adapté en 1949 1964 : Fiddler on the Roof, adapté américains commençant par (The Day the Earth Stood Still) par Gene Kelly et Stanley Donen en 1971 par Norman Jewison (Un violon des plans aériens d’une grande 1954 : La Tour des ambitieux (Un jour à New York) sur le toit) ville. En revanche, les scènes (Executive Suite) 1951 : The King and I, adapté en 1956 de rue auxquelles ce prélude 1956 : Marqué par la haine par Walter Lang (Le Roi et moi) permet d’accéder restent (Somebody Up There Likes Me) 1954 : The Pajama Game, adapté en uniques : cette suite d’instants 1959 : Le Coup de l’escalier 1957 par Stanley Donen (Pique-nique chorégraphiés en extérieurs (Odds Against Tomorrow) en pyjama) réels compte parmi ce que le 1961 : West Side Story (id.), coréalisé 1956 : Bells Are Ringing, adapté en 1960 film offre de plus euphorisant. avec Jerome Robbins par Vincente Minnelli (Un numéro Dès que la police intervient, 1963 : La Maison du Diable du tonnerre) on revient au train-train de la (The Haunting) 1957 : création de West Side Story réalisation wisienne. En fin de 1965 : La Mélodie du bonheur à Broadway compte, peut-être faut-il voir (The Sound of Music) 1959 : Gypsy : A Musical Fable (livret une sorte de logique dans le 1966 : La Canonnière du Yang-Tse d’Arthur Laurents, chansons de Stephen fait que les scènes « d’ordre » (The Sand Pebbles) Sondheim), adapté en 1962 par Mervyn (ordre policier, ordre narratif 1971 : Le Mystère Andromède LeRoy (Gypsy, Vénus de Broadway, des scènes « à faire » du point (The Andromeda Strain) avec Natalie Wood) de vue affectif ou informationnel) aient été tournées par Wise…

Jean-François Buiré

9. Collaborateurs cités entre parenthèses : cf. texte « D’Est en Ouest, historique », par Jean-François Buiré, in rubrique « Équipe et histoire du film ». < LYCÉENS SOMMAIRE ET APPRENTIS 8 < AU CINÉMA 08/09

Équipe et histoire du film D’Est en Ouest, historique

Au départ, cela devait s’appeler sexualité moralement incorrecte conjugue les talents d’artistes East Side Story… dans l’Amérique de l’époque estampillés « sérieux ». Mais, En 1949, Jerome Robbins, (Laurents est homosexuel, en elle-même, l’histoire pro- chorégraphe au Ballet Theatre Bernstein et Robbins sont posée par Robbins n’enflamme de New York et au New York bisexuels). De telles précisions pas l’imagination du trio. City Ballet, soumet un projet ne sont pas superflues : elles Depuis le XVIIIe siècle, Roméo au dramaturge Arthur Laurents dessinent un imaginaire qui et Juliette a déjà donné lieu à et à Leonard Bernstein, alors déterminera celui de l’œuvre une bonne trentaine d’adapta- assistant du chef du New York à venir. L’alchimie créative qui tions musicales, dont vingt- Philharmonic Orchestra1 : unit ce trio de têtes, auxquelles sept opéras : de quoi éteindre créer une comédie musicale s’ajoute Stephen Sondheim les inspirations les plus qui transposerait la trame (né en 1930, juif et homosexuel), fécondes. de Roméo et Juliette de qui les rejoindra en 1955 pour L’étincelle va jaillir six ans Shakespeare dans le Lower écrire les paroles des chansons plus tard, d’une actualité brû- East Side de Manhattan, où avec l’intelligence et la sensibilité lante. Dans les années 1950, s’opposeraient juifs et catho- requises, s’avérera décisive délinquance juvénile et cultu- liques. Initialement, la moderne pour la réussite de l’entreprise. res de groupe sont sous les Juliette est juive, Roméo restant Pour l’heure, l’homme du feux des médias. En 1955, pour sa part italien. mouvement, celui des notes Albert K. Cohen énonce sa Les trois hommes ont beau- et celui des mots ne parviennent théorie de la « sous-culture », coup en commun : année de pas à développer le projet. Ce fille de la frustration sociale naissance (1918 : leur point de qui les enthousiasme dans ce en milieu urbain, dans son livre vue sur de jeunes personnages dernier, c’est son ambition : Delinquent Boys. À la suite sera donc, in fine, celui de créer un grand spectacle d’un article du quadragénaires), judéité et syncrétique et populaire qui Times sur une guerre des Stephen Sondheim, Leonard Bernstein et Jerome Robbins

1. Dont il prendra la direction en 1957, l’année de la création de la version scénique de West Side Story. < LYCÉENS SOMMAIRE ET APPRENTIS 9 < AU CINÉMA 08/09

D’Est en Ouest, historique Équipe et histoire du film

gangs qui se déroule à commun. Cependant, ses discerner3. » Ou encore : traiter « Hell’s Kitchen », dans le qualités dramaturgiques s’ex- un sujet grave qui se solde, au West Side, entre Américains priment à nu dans la scène où bout de deux heures et demie, « de souche » (c’est-à-dire Maria, entre pietà, Antigone et par la mort de trois jeunes des immigrés de seconde ou Furie, jette l’anathème sur les gens ; rejeter le « formalisme de troisième génération issus deux bandes rivales, après la poétique » comme le « plat de familles irlandaises, italiennes mort de Tony : Bernstein tente reportage » (selon les termes et polonaises) et Portoricains, désespérément de composer de Laurents), le naturalisme Arthur Laurents propose de une aria à la mesure de sa misérabiliste comme la mièvrerie transformer le conflit religieux colère, mais de son propre conventionnelle ; concilier en conflit ethnique. Il met ainsi aveu tout sonne faux, et ce classicisme et modernité, le feu aux poudres : Bernstein, sont finalement les mots que exigence extrême, tant musicale anti-raciste de longue date, Laurents a écrits pour servir que chorégraphique, et séduction saute sur l’idée, de même que de guides au compositeur et spectaculaire ; rassembler, sur Robbins, trop heureux de voir au parolier qui sont seuls scène et dans la fosse d’orchestre, son projet relancé. retenus2. un nombre inusité de danseurs Laurents n’est pas blasé : Chacun des trois comparses a impliqués dans des chorégraphies c’est la première fois qu’il conscience de placer la barre collectives, et de musiciens écrit pour Broadway, et son très haut. « Rester sur la qui doivent passer par tous travail se distingue des livrets mince ligne entre opéra et les registres, du symphonique habituels de musicals par la Broadway, réalisme et poésie, au mambo ; le tout pour un manière dont, d’emblée, il ballet et “simple danse”, spectacle qui, « portant sur intègre leurs différentes com- abstraction et représentation. des enfants, ne saurait posantes (drame, musique, Éviter les “messages”. La dépendre de stars4 », et qui chant, danse) de sorte qu’elles ligne est là, mais elle est très requiert pourtant de ses jeunes ne fassent pas cavalier seul, fine, et il faut parfois beau- interprètes, parfois peu expé- mais participent d’un élan coup regarder autour pour la rimentés dans l’une ou l’autre

2. De cette scène, Laurents écrit d’abord une version plus proche de la fin de Roméo et Juliette : après son monologue 3. Traduction d’un extrait du Journal de West Side Story (A West Side Log) écrit par Leonard Bernstein, consultable à sur la haine, Maria tue Chino puis se tue elle-même, espérant retrouver Tony dans la mort. Les adultes arrivent trop l’adresse suivante : http://www.westsidestory.com/archives_excerpts.php. tard, Anita leur raconte toute l’histoire et Jets et Sharks dépassent leurs différences. Mais le public des avant-premières 4. Leonard Bernstein, ibid.

trouve cette fin un peu trop déprimante… < LYCÉENS SOMMAIRE ET APPRENTIS 10 < AU CINÉMA 08/09

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de ces disciplines, qu’ils de Porto Rico, mais c’est du elle est stupéfaite de l’énergie, sachent à la fois jouer des pur Bernstein. Le mouvement de l’inventivité et de la émotions intenses et exécuter ressemble tantôt au rock, tan- cohésion de l’ensemble du des danses et des chants pour tôt au combat de rue, mais tout spectacle. Celui-ci n’est pas le moins complexes. Le est danse selon Robbins. » d’emblée un grand succès caractère a priori « difficile » Quant à ce dernier, il tient la public : il faut du temps pour du spectacle fait fuir en cours barre contre vents et marées : que les spectateurs de Broadway de route une première pro- celle, murale, du studio de se mettent au diapason de ductrice, et Columbia Records répétition, où il va épuiser son ambition et de sa com- rejette l’idée d’enregistrer la danseurs et assistants, et plexité. West Side Story tient musique de Bernstein, jugée celle, morale et artistique, l’affiche du Winter Garden trop ardue. Avant la première qu’il garde sur le projet de sa Theater pendant presque de New York, Laurents écrit première ébauche jusqu’à deux ans, avant de partir en dans le Herald Tribune : « Nous sa réalisation, scénique puis tournée. Quand l’adaptation voulions atteindre une illusion filmique. Seul Hollywood cinématographique sortira de la réalité exaltée par la parviendra à lui faire lâcher en 1961, ces quatre années musique et par la scène. Dans prise, un temps. auront préparé les conditions l’histoire, j’ai mis en avant les de son retentissement mondial. personnages et les émotions DE BROADWAY plutôt que la précision géo- À HOLLYWOOD C’est à Ernest Lehman, le graphique ou les statistiques Les premières représentations scénariste de La Mort aux sociologiques. Le dialogue, du spectacle ont lieu à trousses d’Alfred Hitchcock, c’est ma traduction théâtrale Washington D.C. puis à que revient la charge d’adapter du parler adolescent de la rue : Philadelphie et enfin à New le livret d’Arthur Laurents. cela peut sonner vrai, mais ça York, le 26 septembre 1957. De la scène à l’écran, ne l’est pas. La musique a le La critique fait parfois la moue quelques termes disparaissent

son du juke-box ou l’accent devant l’histoire d’amour, mais (« sperme », « bâtard », « fils

Une scène de West Side Story à Broadway < LYCÉENS SOMMAIRE ET APPRENTIS 11 < AU CINÉMA 08/09

D’Est en Ouest, historique Équipe et histoire du film

de pute »), et l’ordre des scènes l’attente de Tony, ignorante de et particulièrement dans ce est parfois transformé : le la mort de Bernardo, séq. 10). moment de première éclosion bouffon Gee, Officer Krupke, de la danse, il demande à Arthur qui succédait au combat Les producteurs du film tiennent Laurents de lui écrire un petit dans lequel meurent Riff et à s’adjoindre les services de scénario pour cette séquence, Bernardo, le précède désormais Jerome Robbins, la tête et qu’il suivra de plus ou moins (séq. 6), échangeant sa place (par procuration) les jambes près selon ses besoins. Le avec celle de Cool (séq. 11) ; du spectacle, mais celui-ci tournage du prologue, prévu I Feel Pretty, qui était chanté refuse de n’être que choré- au départ sur deux à trois par Maria et ses amies dans graphe : il obtient de réaliser semaines, prendra finalement sa chambre à coucher juste lui-même les scènes de danse autant de temps que sa avant qu’elle n’apprenne l’issue —ou de mouvements stylisés—, préparation. Une fois à New du combat, prend place dans comme celle du combat sous York, Robbins bouleverse la l’atelier de couture au lendemain le pont d’autoroute. Robert chorégraphie élaborée à de la scène du balcon (séq. 7), Wise, quant à lui, doit s’occuper Hollywood pour cette première avant que le combat n’ait lieu. des scènes purement drama- séquence, au gré des idées Le film y gagne en logique tiques. Avant de commencer à que lui inspire le fait de dramatique et affective mais tourner, Robbins soumet ses travailler sur le motif, dans perd de cette cruelle ironie, danseurs à trois mois de les vraies rues du West Side, lorgnant du côté de Brecht et répétitions intensives, dont en pleine canicule estivale. de Kurt Weill, que suscitait deux rien que pour préparer Canicule, orage : des pluies l’emplacement des « numéros » le prologue (séq. 1), lequel torrentielles s’ajoutent au en question dans la version constitue la première séquence perfectionnisme obsessionnel scénique (cruauté qu’on du plan de travail, et la seule de Robbins pour accroître le retrouve, mais très atténuée, prévue en extérieurs réels. retard d’un tournage qui, au dans les quelques pas de Toujours soucieux d’éviter bout du compte, s’étalera sur danse qu’esquisse Maria dans l’arbitraire chorégraphique six mois, durée exceptionnelle

Leonard Bernstein < LYCÉENS SOMMAIRE ET APPRENTIS 12 < AU CINÉMA 08/09

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pour une comédie musicale. complexes du point de vue signe de défi, devant le bureau Les foudres de la production rythmique (c’est-à-dire, étant de leur tortionnaire. La pro- s’annoncent déjà. donné la musique de Bernstein, duction décide alors de mettre Toute la suite du film sera pratiquement toutes les scènes !), fin à la multiplication incontrôlée tournée sur la côte Ouest, aux elle est présente sur le plateau, des prises de vues et des studios Goldwyn, sous la au piano, permettant aux variantes de mise en scène en direction artistique de Boris danseurs de caler leurs renvoyant Robbins. Leven auquel on doit l’hyper- mouvements malgré le mor- Heureusement, il a eu le temps réalisme poétique des décors, cellement de la chorégraphie de préparer avec les danseurs et cette prédilection pour les par le découpage cinémato- les différentes chorégraphies rouges intenses qui colorent graphique. de la scène du bal avant d’être aussi bien la structure du pont Aux yeux des producteurs de mis à pied, aussi Wise n’a-t-il autoroutier que le gymnase West Side Story, le tournage plus qu’à enregistrer celle-ci. où se déroule le bal (séq. 4). de Cool (séq. 11) constitue Il fait en sorte que Robbins, Son travail chromatique est sans doute l’excès de trop. Par durant dix jours, puisse exercer habilement relayé par un rapport à sa version scénique, son droit au montage du film, autre vétéran de Hollywood, le Robbins change considéra- dix jours qui sont sans doute directeur de la photographie blement la chorégraphie, décisifs pour que ce dernier Daniel L. Fapp : par exemple, menant les danseurs à leurs mette en forme l’énorme lorsqu’il projette les couleurs dernières extrémités physiques. quantité de pellicule par lui bigarrées des carreaux de la Dans l’atmosphère confinée impressionnée. Une autre porte de la chambre de Maria du décor de hangar où la vexation s’exerce à l’issue du sur les murs de celle-ci. Un scène est tournée, les malaises tournage, celle des acteurs apport plus discret et pourtant succèdent aux blessures ; dont la voix est postsynchroni- essentiel est celui de la music lorsque la scène est enfin sée dans les moments chantés, assistant Betty Walberg. Dans « mise en boîte », les martyrs partiellement dans le cas de

les scènes particulièrement brûlent leurs genouillères, en Rita Moreno et de Russ < LYCÉENS SOMMAIRE ET APPRENTIS 13 < AU CINÉMA 08/09

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Tamblyn5, intégralement dans Cependant, en Amérique, seul celui de Natalie Wood et de le succès a le dernier mot. Richard Beymer (seul George Robbins et Wise seront tout Chakiris n’est jamais doublé). sourires pour aller récolter C’est surtout douloureux pour de concert une moisson Natalie Wood, qui contractuel- d’Oscars comme Hollywood lement devait chanter elle- n’en connut qu’à deux ou trois même toutes ses parties. reprises6, et West Side Story, Mais sa voix s’avère insuffisante cette fois, trouvera d’emblée pour les exigences lyriques une immense et enthousiaste bernsteiniennes, et c’est fina- audience, en son pays et partout lement celle de Marni Nixon ailleurs. Le film sera déclaré (qui doublera également Audrey « culturellement exemplaire » Hepburn dans My Fair Lady) (« culturally significant ») par que l’on entend dans le film. la Bibliothèque du Congrès, et Les deux dernières phrases sélectionné pour être conservé de Maria (« Don’t you touch par le Registre national du him ! » et « Te adoro, Anton ») film en 1997. sont en fait dites par celle-ci. Jean-François Buiré Rita Moreno, doublée pour A Boy Like That (séq. 12), considère pour sa part que la voix de Betty Wand ne s’accorde pas à la fureur de son jeu dans la scène en question.

5. Cf. « Doublage des chants », par Jean-François Buiré, in rubrique « Générique et Synopsis ».

6. Cf. « Prix aux États-Unis », par Jean-François Buiré, in rubrique « Générique et Synopsis ». < LYCÉENS SOMMAIRE ET APPRENTIS 14 < AU CINÉMA 08/09

Personnages / Acteurs À la recherche de la star perdue

Malgré sa renommée mon- de West Side Story ne par- sonnages ; mais, au-delà de diale, West Side Story n’a pas viendra pas à ressusciter. cet impératif, les interprètes fait des stars de ses interprè- C’est en fait tout le système envisagés puis retenus pour tes principaux. Au contraire, il hollywoodien des grands le film le sont aussi en raison semblerait que chacun d’eux studios qui est en crise pro- d’une cinégénie propre à la se soit vu figé dans le statut fonde, à commencer par l’un séduction exercée par la star : d’« acteur de West Side Story ». des principes sur lesquels avant Natalie Wood, Audrey Aucun ne retrouva un cinéaste il repose : le star system. Hepburn (trente et un ans en aussi exigeant que Jerome À Broadway, West Side Story 1960) faillit être Maria, et pour Robbins, qui les avait amenés était délibérément dénué de Tony furent entre autres à dépasser leurs propres limites. grands noms, le spectacle envisagés Marlon Brando, Ils avaient tous commencé mettant en scène de très jeunes Anthony Perkins, Warren très jeunes sur scène ou à gens confinés dans un quartier Beatty et Elvis Presley ! En fin l’écran, mais après ce film ils populaire de New York. De la de compte, les acteurs de n’ont souvent joué que dans scène à l’écran ne sont West Side Story ont un air des films oubliables ou impro- conservés que quelques juvénile mais leur âge reste bables1, ou dans de piètres interprètes, souvent dans un plus élevé (vingt-cinq ans en séries télévisées. Même dans rôle différent2. Les acteurs moyenne) que celui qu’on le genre musical, à quelques choisis pour le film le sont, a prête, a priori, à leurs person- exceptions près, ils n’ont plus priori, au nom du pur bon nages, lequel du coup devient eu l’occasion de rallumer les sens : Carol Lawrence et un peu abstrait : sont-ils ado- feux qu’ils avaient embrasés Larry Kert, trentenaires, lescents, post-adolescents, dans le film de Robbins et incarnaient Maria et Tony sur jeunes adultes ? Plutôt que Wise. scène du fait de leurs capacités des jeunes, dans ce film de Il faut dire qu’en ce début des vocales, or le réalisme ciné- groupes, ils représentent la années 1960 le musical est un matographique exige un âge jeunesse : ce fonctionnement genre moribond, que le succès plus proche de celui des per- archétypal, qui ne choque pas Richard Beymer

1. Cf. les « films d’exploitation » interprétés par Russ Tamblyn : Frankenstein’s Monsters : Sanda vs. Gaira, Satan’s Sadists, Dracula vs. Frankenstein, The Female Bunch, etc.

2. Ainsi, David Winters passe de Baby John à A-rab, et Tony Mordente d’A-rab à Action. < LYCÉENS SOMMAIRE ET APPRENTIS 15 < AU CINÉMA 08/09

À la recherche de la star perdue Personnages / Acteurs

sur scène car il participe de danse tout autant qu’« Anita »3 dépourvu. Peut-être, après l’artifice inhérent au théâtre, (en outre, la chorégraphie de tout, eût-il fallu Brando ou est dangereux dans un film où Robbins se singularise pour Perkins pour le rôle de Tony ! il peut être en porte-à-faux chaque acteur/personnage, Cette imprécision de l’âge des avec le réalisme fondamental à la fois en fonction des carac- personnages crée un sentiment du cinéma. téristiques du personnage et d’intemporalité qui redouble C’est par la danse que ce danger des particularités physiques celle du contexte de l’œuvre, à est évité car elle exalte une et techniques du danseur qui la fois très actualisé — la fin jeunesse essentielle des corps, l’interprète). Le phénomène des années 1950, dans un dont le cinéma capte l’ex- de la star permet également quartier précis de New York traordinaire énergie ; grâce à d’effacer cette scission mais (et à ce titre le prologue est le elle, l’idée abstraite de jeunesse de façon plus mystique, moins moment où le film prend prend corps. À un certain concrète. Si le personnage corps topographiquement) — Rita Moreno degré de générosité physique, qui s’avère d’emblée le plus et virtuellement indéterminé même mis en scène et frag- artificiel est Tony, c’est entre — éternel antagonisme des menté par le montage, le autres parce qu’il ne danse conflits collectifs et des corps ne peut mentir, au pas, et ne peut ainsi dépasser amours individuelles4. En une contraire de la fiction. Cette la convention du jeune premier contradiction qui participe vérité corporelle, dont le ciné- ébahi d’amour. Il ne commence peut-être de la tension du ma est particulièrement apte à exister que vers la fin du film, l’interminable casting à saisir l’empreinte, permet film, lorsqu’il est physiquement qui précéda le tournage visait de dépasser la scission mis à mal. Maria danse un l’intemporalité imaginaire acteur/personnage puisque, peu plus (séq. 7 et 10), mais d’un star system, mais à sans briser le pacte narratif ni son déficit chorégraphique est occurrence unique, sans len- l’enchantement du film, on peut surtout compensé par l’intensité demain, et au moment même, avoir pleinement conscience dramatique de Natalie Wood, très précis quant à lui, où les que c’est « Rita Moreno » qui dont Richard Beymer est fondements de ce système George Chakiris

3. Ce n’est pas le cas du chant, tant la postsynchronisation manifeste de la plupart des interprètes les empêche de faire corps avec leur voix. 4. Roméo et Juliette, précisément contextualisé au moins du point de vue géographique, présente une ambivalence comparable ;

on la trouve sans doute dans tout récit dramatique quelque peu ambitieux, mais elle n’est pas toujours aussi affirmée. < LYCÉENS SOMMAIRE ET APPRENTIS 16 < AU CINÉMA 08/09

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étaient en train de s’effondrer. d’ajouter : « C’est un rôle qui vole de même dévolu à une « native », Le star system éphémère la vedette 5. » Née en 1931, grimée pour l’occasion… créé par le film est peut-être Moreno est la plus âgée des Après West Side Story, George une autre expression de la cinq interprètes principaux, Chakiris vit Bernardo lui coller jeunesse, ce moment de la vie mais aussi la plus énergique. aux basques pour le reste de centre de tous les désirs et de Au contraire du Grec George sa carrière. Pourtant, c’est toutes les attentions, mais qui Chakiris et de Natalie Wood, Riff, le leader des Jets, qu’il n’a qu’un temps : effet pervers qui est d’origine russe, elle interprétait dans la version du spectacle qui prendra par est portoricaine, ce qui donne scénique à Londres. Excellent la suite d’autres formes, qu’il d’autant plus de force, dans danseur, avec cette touche soit exposé plus ou moins America (séq. 5), au triste d’androgynie qui rend son cyniquement (la factory d’Andy portrait qu’elle dresse de son agressivité à l’égard d’adver- Warhol) ou exploité sans île natale. Aussi douée pour saires masculins encore plus scrupule (la « télé-réalité » jouer que pour chanter et intense, Chakiris n’eut pas contemporaine). danser, elle se fait remarquer non plus la carrière qu’il en 1956 dans Le Roi et moi, méritait : juste après West UN JET, TROIS SHARKS chorégraphié par Robbins, où Side Story, on s’ingénia à lui elle est une concubine du roi donner des rôles ténébreux Quelques mots sur les autres de Siam au caractère bien de type Bernardo, mais non acteurs, à commencer par l’é- trempé : à son grand dépit, dansés. Seul Jacques Demy le lectrisante Rita Moreno. Si elle a dû longtemps faire avec fit renouer avec la comédie Anita a une ancêtre en opéra, le racisme hollywoodien qui la musicale, et ce fut en 1967 c’est la Carmen de Bizet. cantonnait dans des seconds son deuxième grand succès Arthur Laurents, l’auteur du rôles « ethniques » de squaws dans le rôle d’un des forains livret, le dit tout net : « Anita ou d’Asiatiques. Dans West des Demoiselles de Rochefort : est le rôle le plus efficace. Side Story, son personnage si son personnage est aussi Elle arrive, marque un but vole certes la vedette, mais le léger et insouciant que et s’en va. » Et Rita Moreno rôle principal officiel est tout Bernardo était amer, il fonc- Russ Tamblyn

5. Souvenirs de West Side Story, cf. rubrique « Documents », par Jean-François Buiré. < LYCÉENS SOMMAIRE ET APPRENTIS 17 < AU CINÉMA 08/09

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tionne tout de même comme l’échelle des Jets et des personnage qui n’est quasiment une citation vivante car ces Sharks, ces derniers s’avérant jamais visible), et Deanie, Demoiselles sont marquées plus félins et gracieux que les que les conventions familiales, par le souvenir de West Side « natifs ». sexuelles et sociales manquent Story (que ce soit dans la Natalie Wood, enfin. Sans être de rendre folle dans La Fièvre scène initiale d’éclosion de la une star, elle est la plus dans le sang 10. Petite fille danse, dans la référence connue : ex-enfant vedette, modèle dans ses premiers d’une séquence à la structure elle tourne depuis l’âge de rôles, elle a des relations de fuguée de Tonight (séq. 8) ou cinq ans 7. « Douloureux » est plus en plus complexes ou dans le style chorégraphique le terme qui convient le mieux difficiles avec ses parents, au général). à ses meilleurs rôles : la point que ceux-ci disparais- Au départ, Russ Tamblyn est jeune fille révoltée de La sent carrément de l’écran moins un danseur qu’un Fureur de vivre 8 (film qui, par dans West Side Story. Ses gymnaste, ce qui le servit son travail sur l’écran large et danses, grossières au regard dans l’acrobatique séquence la couleur, le phénomène des de celles de Moreno, Chakiris de la fête villageoise des Sept « bandes de jeunes » et la et Tamblyn, sa voix doublée Femmes de Barberousse6. scène du combat au couteau pour les chants, sa caractéri- Leader des Jets dans West au cours de laquelle James sation ethnique (fond de teint Side Story, il exécute des Dean est traité de « chicken », et accent outrancier) ne l’em- sauts périlleux (séq. 4) ou se anticipe West Side Story), pêchent pas d’émouvoir : qualité juche sur une barre de métal Debbie, enlevée par les Indiens mystérieuse de la star que, en (séq. 1). Son style est délibé- dans La Prisonnière du désert 9 d’autres temps, elle eût été. rément moins élégant, plus (un rôle déjà métissé, et égale- Jean-François Buiré physique que celui de Chakiris, ment présent-absent puisque différence que l’on retrouve à tout tourne autour de son Natalie Wood

6. Seven Brides for Seven Brothers, Stanley Donen, 1954. 8. Rebel Without a Cause, Nicholas Ray, 1955. 7. Elle fut entre autres la fille de Gene Tierney dans L’Aventure de Madame Muir (The Ghost and Mrs Muir), de Joseph 9. The Searchers, John Ford, 1956.

Mankiewicz, en 1947. 10. Splendor in the Grass, , 1961. < LYCÉENS SOMMAIRE ET APPRENTIS 18 < AU CINÉMA 08/09

Le récit

Découpage séquentiel

Séquence Intitulé Lieu Description Musique, numéros, commentaires H Min' Sec'' (Parallèle Roméo (Mention éventuelle (Les chansons sont précédées d’un astérisque) (Les chansons sont précédées d’un astérisque, et Juliette) du synopsis de Broadway) le time code indique le début du chant) 0 (Mention de la production à 0'19'') Générique. Variations de couleurs Ouverture : instrumentale, thèmes de Tonight et de Balcony 00'00'' à 04'50'' Prélude sur fond graphique, vues aériennes de Manhattan. Scene, Maria, « Mambo ». 1 Exposition : La rue (The Street) Entre Jets et Sharks, rivalités et provocations, jusqu’à bagarre générale. Prologue (thème Jet Song, 04'58'' à 14'36'') : scène dansée, 04'50'' à 22'08'' les gangs 1 (Vues aériennes, Interviennent les policiers Schrank et Krupke qui leur disent d’aller se bribes de paroles sans dialogue (d’abord, sifflements). Puis (Jets) terrains de jeu, rues, battre ailleurs. Les Jets décident d’en finir avec les Sharks lors d’une premiers dialogues. (Prologue et I, 1) terrains vagues) grande bagarre. L’annonce en sera faite au chef adverse le soir même, au bal. * Ils célèbrent le bonheur d’appartenir à une bande. * Jet Song (Riff et Jets, 20' 13'' à 22'08"), court dialogue inséré. 2 Tony La rue (près de Riff convainc Tony, cofondateur des Jets et aujourd’hui rangé, de venir 22'08'' à 27'42'' (I, 2) « chez Doc ») au bal pour le conseil de guerre. (A Back Yard : * Celui-ci attend l’amour : pourquoi pas ce soir ? * Something’s Coming (Tony, 25'25'' à 27'42''). une arrière-cour) 3 Maria L’atelier Anita termine la robe de Maria, sœur de son fiancé Bernardo. Maria, 27'42'' à 30'43'' (I, 3)(A Bridal Shop : qui sort avec Chino sans l’aimer, attend le bal avec impatience : un magasin de sa première soirée de jeune fille américaine… vêtements pour Les deux garçons viennent les chercher. mariage) Fondu enchaîné, effets lumineux et musique (30'19'' à 30'43''). 4 Le bal Le bal The Dance at the Gym, instrumentaux dansés : 30'43'' à 45'01'' (I, 5)(The Gym : a/ Danse générale, jusqu’à l’arrivée des quatre précédents : les clans a/ « Blues » (30'40'' à 32'13''). Puis dialogues. un gymnase) se forment. Les six titres suivants se suivent : b/ L’animateur initie une danse collective, sans franc succès. b/ « Promenade » (34' 39'' à 34'59''), puis « Mambo » (35'01'' à 38'00''). c/ Maria et Tony croisent leurs regards. Ils se rapprochent, se parlent, c/ « Cha-cha » (38'00'' à 39'01''), puis « Meeting Scene » s’embrassent. (Maria, Tony, parlé, 39'01'' à 40'43''). d/ Bernardo les sépare. Il décide avec Riff du rendez-vous du combat. d/ « Jump », non dansé, sous le dialogue (40'43'' à 42'38''). Le bal, puis la rue * Tony quitte le bal, transporté par son nouvel amour. * Maria (Tony, 42'38'' à 45'01''). Fondu enchaîné. 5 Les gangs 2 Immeuble des Bernardo reconduit sa sœur dans sa chambre. Protestations d’Anita Un Shark fait l’introduction aux claves (percussions de bois). 45'01'' à 53'46'' (Sharks) Portoricains contre le comportement autoritaire de son fiancé, puis opposition entre filles et garçons : *elles louent les bienfaits de la vie américaine, * America (Anita, Bernardo, filles, garçons, 47'46'' à 52'16''), 53'46'' à 1h00'34'' Scène (Chambre de Maria, ils la conspuent. Tony rejoint Maria par l’escalier de secours. À mi-voix morceau latino, chanté et dansé (rythme seis modéré sur du balcon escaliers, terrasse du à cause de ses parents, elle évoque les obstacles à leur liaison. l'introduction, puis rythme huapango rapide). (II, 2) toit) Escalier de secours * Ils chantent leur amour, puis se donnent rendez-vous le lendemain, * Balcony Scene (= Tonight) (Maria, Tony, 56'15'' à 1h01'03''). (A Back Alley : une à l’atelier de couture. Long dialogue inséré (58'42'' à 1h00'34'').

ruelle) < LYCÉENS SOMMAIRE ET APPRENTIS 19 < AU CINÉMA 08/09

Le récit

Découpage séquentiel

Séquence Intitulé Lieu Description Musique, numéros, commentaires H Min' Sec'' (Parallèle Roméo (Mention éventuelle (Les chansons sont précédées d’un astérisque) (Les chansons sont précédées d’un astérisque, et Juliette) du synopsis de Broadway) le time code indique le début du chant) 6 Conseil La rue Au rendez-vous, les Jets attendent Tony et les Sharks. Le sergent 1h00'34'' de guerre (devant « chez Doc ») Krupke leur ordonne de rentrer chez eux. Le policier parti, *la bande * Gee, Officer Krupke (Jets, 1h03'52'' à 1h07'36''). à 1h17'51'' (II, 3) fait la satire de la « délinquance juvénile ». Ils entrent dans le bar, Instrumental, thème de Maria (1h17'03'' à 1h17'50''). Chez Doc suivis des Sharks. Tony arrive en plein conseil de guerre, qu’il ne peut Long fondu au noir. (The Drugstore : enrayer : ce sera un duel nocturne, le lendemain. Entre l’inspecteur le drugstore, entre Schrank, pas dupe de l’entente simulée par les bandes. Il expulse les épicerie, bar Sharks du bar et demande aux Jets de tout lui dire du combat ; ils et pharmacie) refusent. Tony avoue à Doc son amour alors qu’ils ferment la boutique. 7 Le mariage L'atelier de Le lendemain. Maria *chante pour ses collègues la joie de se sentir Ouverture au noir. * I Feel Pretty (Maria, trois filles, 1h18'39'' à 1h17'51'' couture belle. Anita lui apprend qu’une bagarre aura lieu ce soir. Tony arrive, Anita 1h21'11''), dansé et chanté (introduction dès l’ouverture au noir). à 1h29'21'' (A Bridal Shop) leur laisse un quart d’heure. Instrumental (1h24'40''), variations mêlées sur Balcony Après que Maria a obtenu de Tony la promesse d’empêcher le combat, Scene, « Cha-cha » et Maria enchaînées avec : ils jouent la comédie des fiançailles puis *se marient symboliquement. * One Hand, One Heart (Maria, Tony, 1h27'50'' à 1h29'21''). 8 Préparatifs The Neighborhood : * Tous se préparent pour la grande soirée : policiers, Jets et Sharks * Tonight (Ensemble) (Maria, Tony, Anita, Riff, Bernardo, 1h29'21'' le voisinage, le quartier pour la bagarre, Anita pour Bernardo, Maria et Tony l’un pour l’autre. chœurs, 1h29'21'' à 1h32'31''), quintette, variations éner- à 1h32'31'' (rues, chambres…) giques du thème Balcony Scene. Fondu enchaîné avec effet. 9 La grande Sous le pont routier Les bandes se retrouvent. Bernardo et Ice commencent le duel à mains Le combat au couteau est dansé, la danse cesse à la mort de 1h32'31'' bagarre (Under the Highway : nues. Tony arrive pour les séparer, la tentative tourne mal et c’est Riff Riff. à 1h40'23'' (III, 1) sous l'autoroute) qui affronte Bernardo au couteau. Riff est tué ; Tony, de rage, tue The Rumble (instrumental, 1h35'53'' à 1h40'23'') commence Bernardo. lorsque Riff frappe Bernardo. Bagarre générale. Sirènes de police, tous se dispersent. Fondu enchaîné rapide (entre la fin de cette séquence et le Tony est le dernier à fuir. début de la suivante, cloches proches qui résonnent). 10 L'amour est - Immeuble des Maria attend sur le toit, ne se doutant de rien. Chino la rejoint et lui Danse de Maria jusqu’à l’arrivée de Chino (thème dominant 1h40'23'' plus fort, 1 Portoricains (terrasse) apprend la nouvelle. de « Cha-cha », 1h40'26'' à 1h41'36''). Reprise de quelques à 1h46'49'' (III, 2) - Chambre de Maria Elle se réfugie dans sa chambre où la rejoint Tony, qui la convainc mesures de The Rumble après la révélation, y compris avec que les rivalités sont seules coupables. Tony. * Ils espèrent pouvoir s’aimer en paix. * Somewhere (Maria, Tony, 1h44'58'' à 1h46'49''). 11 Les Jets se La rue La bande des Jets et quelques filles se retrouvent près d’un parking. 1h46'49'' reprennent (rue, parking) Les esprits s’échauffent. *Ice, le nouveau chef, fait baisser la température. * Cool (Ice, Jets, filles, 1h51'24'' à 1h55'08''), chanté, parlé, à 1h57'48'' Ils apprennent que Chino traque Tony pour le tuer, et partent à la recherche dansé.

de ce dernier. < LYCÉENS SOMMAIRE ET APPRENTIS 20 < AU CINÉMA 08/09

Le récit

Découpage séquentiel

Séquence Intitulé Lieu Description Musique, numéros, commentaires H Min' Sec'' (Parallèle Roméo (Mention éventuelle (Les chansons sont précédées d’un astérisque) (Les chansons sont précédées d’un astérisque, et Juliette) du synopsis de Broadway) le time code indique le début du chant) 12 L’amour Chambre de Maria Au retour d’Anita en deuil, les amants s’éveillent ; Tony donne rendez- Instrumental, thème de Somewhere. 1h57'48'' est plus fort, 2 (A Bedroom) vous à Maria chez Doc et sort par la fenêtre. Anita *reproche à Maria à 2h06'02'' (III, 5) d’aimer un assassin ; *celle-ci la convainc de la pureté de son amour. * A Boy Like That, puis… * I Have a Love (Anita, Maria, 1h59'58'' Schrank arrive pour interroger Maria, qui pousse Anita à aller prévenir à 2h03'50''). Les deux titres sont enchaînés, Tony qu’il est poursuivi. dans lesquels les deux jeunes femmes chantent. 13 Finale Chez Doc Les Jets au bar, et Doc à l’étage, organisent la fuite de Tony, caché en bas. 2h06'02'' (V, 2) (The Drugstore : Lorsque Anita entre en se disant porteuse d’un message à Tony, A Taunting Scene (reprise de « Mambo », puis variations, puis à 2h12'41'' le drugstore, la bande se met à la brutaliser, jusqu’à l’intervention de Doc. Furieuse, citations de America, 2h06'49'' à 2h08'59''). La musique vient voir séq. 6) Anita dit que Chino, par jalousie, a tué Maria. Doc, affligé, rapporte d’un juke-box, commence après l’entrée d’Anita et s’interrompt 2h12'41'' (V, 3) ces propos à Tony caché dans la cave. lorsque Doc intervient. à 2h20'44'' La rue Tony erre dans les rues, suppliant Chino de venir le tuer lui aussi. (rues, terrains de Il se retrouve brièvement face à Maria, mais Chino surgit et tire sur * Finale (Maria seule, 2h15'17'' à 2h15'36''), très brève, jeu) Tony, qui meurt *dans les bras de Maria. Jets et Sharks s’apprêtent a cappella. Maria s’interrompt lorsque Tony expire (sur scène, à s’empoigner autour des amants, mais Maria s’interpose. Les bandes les amants chantent ensemble). emportent ensemble le corps de Tony. Instrumental, thème dominant de Somewhere. Fondu au noir. 14 La rue Générique. Principaux collaborateurs : inscriptions manuscrites sous Instrumental : thèmes de Somewhere, Balcony Scene, I Feel 2h20'44'' forme de graffitis, sur des murs délabrés, portes, vitres, panneaux Pretty, Maria. à 2h25'34'' indicateurs (cartons incrustés pour les autres).

NOTA : les indications horaires correspondent au visionnement du DVD du film sans son interlude musical (choix proposé au menu du DVD : « Original intermission walk, ON ou OFF »). < LYCÉENS SOMMAIRE ET APPRENTIS 21 < AU CINÉMA 08/09

Le récit Analyse du récit

Si le film ne renvoie pas expli- l’amour sur son versant une véritable structure narrative citement à la pièce de passionné qui déploie ses commune : dans la comédie Shakespeare, les premières puissances, à la fois idéal musicale américaine, l’histoire notes de travail de Bernstein spirituel et désir des corps ; est tout entière portée par mentionnent, dès 1949, une mais cet amour est d’emblée le couple, sa formation et ses adaptation de Roméo et Juliette. contrarié par l’opposition des difficultés, et à la dualité Les amours contrariées et à clans. Cette contestation de la originelle homme/femme se l’issue fatale due à un contre- légitimité amoureuse contient superpose une série d’oppo- temps de deux jeunes gens en fait trois traits importants : sitions secondes (sociale, nés de clans opposés : ainsi elle est double, ne privilégiant psychologique…) qu’il s’agit formulée, la trame emprunte dans un rejet symétrique de concilier. Mais West Side à un mythe qui a déjà bien aucune des parties ; elle est Story, typique par certains circulé lorsque le dramaturge antérieure à l’histoire d’amour, aspects, est aussi un étonnant anglais le cristallise1. La lon- et rend donc la relation concentré de paradoxes. gévité d’un mythe artistique problématique a priori ; elle se mesure certes à la qualité porte enfin une opposition ROMÉO ET JULIETTE, des œuvres qui le portent entre volonté individuelle et NEW-YORKAIS au plus haut, mais surtout à pression collective, faisant West Side Story resserre la l’universalité de thèmes et de ainsi de l’entrave clanique structure narrative de la pièce composantes narratives, dont —famille ou communauté— de Shakespeare (de cinq à la plasticité passe les siècles : un conflit plus large et davantage deux jours, en été) et la simplifie, intemporels par-dessus tout, universel. Cette trame de en en conservant les scènes-clés. l’amour et la mort. C’est base est en soi, bien plus Ainsi l’exposition des rivalités d’abord, soudain et incoercible, qu’un sujet possible de musical, claniques ouvre-t-elle le récit,

1. C’est un sujet plus vieux qu’Ovide, dont le « Pyrame et Thisbé » (Métamorphoses, Ier siècle) est connu de Shakespeare, qui le met en abîme dans Le Songe d’une nuit d’été. Bandello avait écrit l’histoire des Amants de Vérone (1554), adaptée en français

par Boistuau (Histoires tragiques, 1559) puis mise en vers anglais par Arthur Brooke (1562). < LYCÉENS SOMMAIRE ET APPRENTIS 22 < AU CINÉMA 08/09

Analyse du récit Le récit

accentuant le cadre conflictuel trouve des citations discrètes l’adaptation scénique — puis (I, 12). C’est également un bal, de la matière poétique originale : le film — préfère à l’hécatombe lieu de plaisir contrarié par la chanson Maria 3 en écho au des amants une survivante l’atmosphère tendue, qui dialogue amoureux sur les qui, sublime dans sa douleur, accueille le coup de foudre noms (II, 2), le serment de montre aux gangs la voie de la réciproque (I, 5), entretenu Tony et Riff, citant un monologue concorde (séq. 13) : sans elle, par des escaliers de secours de Laurence 4… ils auraient volontiers poursuivi remplaçant le fameux balcon les massacres, alors que les (II, 2). Le duel et le double TRAGÉDIE MUSICALE familles shakespeariennes se meurtre marquent le rebon- Plus intéressantes sont les réconcilient spontanément dissement dramatique (III, 1), divergences, surtout dans le sur les corps encore chauds et le dénouement douloureux dénouement : chez Shakespeare des enfants. Une volonté de se mue en réconciliation (et depuis Ovide), le double suicide (sur deux) et la fausse affligée (V, 3), etc. On peut dès suicide des amants est une mort sont toutefois conservées, lors dégager de nombreux composante narrative primor- qui précipitent le dénouement, parallèles : équivalences évi- diale, et chaque amant doit se mais deux changements dentes entre personnages (par tuer parce qu’il a perdu l’autre, majeurs apparaissent. D’abord, exemple les auxiliaires frère dans une symétrie glorifiant au lieu d’un contretemps Laurence/Doc et la Nourrice/ leur amour et affligeant tombé du ciel (le décret de Anita) ou correspondances chaque famille. West Side peste qui bloque le messager), plus discrètes (Laurence her- Story avait dû s’adapter aux c’est le conflit ethnique, via la boriste devient Doc du drug- exigences de Broadway : bien brutalité des Jets, qui provoque store). Enfin, s’il s’agit bien plus violente et sombre que la fausse déclaration d’Anita 6 d’une transposition et non d’une les joyeuses productions (séq. 13). Ensuite, la détermi- adaptation (les dialogues ne habituelles, dans lesquelles nation suicidaire devient doivent rien à la pièce), on la mort avait peu sa place 5, meurtre effectif qui, accentuant

2. Sont citées entre parenthèses dans ce paragraphe les références à la pièce. (« La terre, qui est la mère des créatures, est aussi leur tombe / Leur sépulcre est sa matrice même », II, 3). La traduction 3. La chanson tout entière est une rêverie sur la magie du prénom de l’aimée, par exemple : « All the beautiful sounds of the citée ici est celle de François-Victor Hugo. world in a single word ». 5. Bernstein : « Deux morts sur scène dès la fin du premier acte (…), pour Broadway, c’était inconcevable. » 4. Riff : « Womb to tomb ! » (« De la matrice à la tombe ! ») ; Tony : « Birth to earth ! » (« De la naissance à la terre ! »). 6. Cette trouvaille est celle dont Arthur Laurents, auteur du livret de la version scénique, se déclare le plus fier. Si l’on veut

Frère Laurence : « The earth, that’s nature’s mother, is her tomb / What is her burying grave, that is her womb » remonter en amont, le contretemps est provoqué par le zèle abusif de Schrank, qui oblige Maria à envoyer Anita chez Doc (séq. 12). < LYCÉENS SOMMAIRE ET APPRENTIS 23 < AU CINÉMA 08/09

Analyse du récit Le récit

l’escalade de la violence, UN MUSICAL POLITIQUE parce qu’il ne s’agit plus d’une achève de désigner le conflit Aucun prêtre — sauf à Las opposition ancestrale entre comme cause immanente de Vegas — ne bénirait leur union familles nobles formant une tous les problèmes. Car, chez si vite, parce que c’est surtout, même société, mais d’une Shakespeare, la dimension entre la pièce et le film, la rivalité inscrite dans le tissu tragique relève d’une puissance définition même du pouvoir et même d’une Amérique en transcendante qui manipule de l’autorité qui est modifiée. développement : une Amérique les personnages, fatalité dans Les auxiliaires shakespeariens, qui rêve d’un melting pot la version de Roméo ou décret contrairement à Doc et Anita, idéal, mais engendre concrè- divin dans celle du Prince : le supposent que l’union des tement inégalités et racisme. ciel punit les familles par le amants pourra apaiser les Les amants, contre tous, ne biais de l’amour 7. Certes, le clans (par exemple frère peuvent compter pratiquement christianisme demeure très Laurence, II, 3), parce qu’un que sur eux-mêmes : les présent dans le film, mais véritable pouvoir politique (le conseillers et adjuvants de la c’est tout autant par couleur Prince) arbitre la querelle. Au pièce deviennent de simples locale, spiritualisation de contraire, la police du film confidents, dont l’aide concrète l’amour et respect de la n’est qu’une figure négative est sans effet (Doc) ou désas- morale à l’américaine : Maria de régulation (et non, positive, treuse (Anita). Aussi peut-on et Tony ont besoin, pour que de règlement : Schrank deman- voir dans le « maître de céré- leur nuit d’amour soit de de aux bandes de se battre monie » du bal la seule autorité noces, d’un mariage, fût-il sur hors de son district, séq. 1), politique positive, bouffon béat un mode théâtral, c’est-à-dire qui de plus se révèle vite igno- qui s’efforce, comédie musicale un peu symbolique et très blement partisane. La seule oblige, de faire danser ensemble figuratif 8 (séq. 7). autorité est celle des gangs, les clans 9 (séq. 4).

7. Dès le prologue, le chœur met en exergue « les terribles péripéties de leur fatal amour ». Roméo : « Mon âme pressent 8. Juliette et Roméo, bien entendu, doivent aussi se marier, même en cachette de tous (par frère Laurence, II, 6). qu’une amère catastrophe encore suspendue à mon étoile, aura pour date funeste cette nuit de fête, et terminera la méprisable 9. Cf. texte « Un récit d’apprentissage pour jeunes citadins », par Marie-Noëlle Chatry, in rubrique « Éclairages existence contenue dans mon sein par le coup sinistre d’une mort prématurée », I, 4. Le Prince Escalus : « Voyez par quel et perspectives ».

fléau le ciel châtie votre haine : pour tuer vos joies il se sert de l’amour ! », V, 3. < LYCÉENS SOMMAIRE ET APPRENTIS 24 < AU CINÉMA 08/09

Analyse du récit Le récit

OPÉRA-BALLET URBAIN dans l’avancée de l’histoire tout cinématographique génère West Side Story avait déjà été, exprimant l’humeur (souvent une grande densité narrative, sur scène, perçu comme une joyeuse, parfois nostalgique) qui semble resserrer encore révolution, par une alchimie du personnage, mais où danse davantage les unités relatives nouvelle du drame, de la et musique participent du de temps (à peine un jour et danse et de la musique, qui récit, soit comme exposition11, demi, pour un nombre de substituait à l’alternance facile soit comme expression lyrique séquences très réduit par des tableaux et des intermèdes et caractérisation psycholo- rapport à la durée du film) et musicaux une continuité gique12, soit comme action13. d’espace (un quartier, avec un nombre restreint de lieux-clés). L’épilogue, entre tradition et modernité théâtrale totale. Cette osmose Les duos d’amour sont plus La construction narrative rejoignait dans un sens la conventionnels, mais leur épouse ainsi la logique urbaine Objectif : Montrer que la reprise de certaines conven- des effets (Tony tué au moment même où il retrouve volonté ambiguë des trois réussite musicale et la fluidité de découpage par blocs, mettant tions théâtrales n’altère en rien la force de la scène. Maria) font le lit du pathos (il meurt dans ses bras), créateurs de travailler en de leur insertion dans l’action Avec DVD. la dramatisation étant en fin de compte moins chargée et le dialogue assurent là en valeur la rue comme lieu Déroulement : (un mort au lieu de trois) ; réconciliation différée (regard direction de l’opéra, c’est-à- 14 principal du film : a priori non- On proposera un repérage des conventions théâtrales interrogateur de Maria, d’abord vain puis suivi d’effet), dire vers une forme synthétique encore une grande continuité . lieu car espace de transition, à la fin de Roméo et Juliette (V, 3), qu’on comparera justifiée par la nécessité (porter le corps) et pas de spectacle de tradition On notera aussi que deux avec l’épilogue du film (séq. 13, 2'12''41 à 2'15''36). forcément définitive. mais seul territoire que peuvent européenne10, certes moins chansons sont de véritables 1. Points communs : fausse mort de l’héroïne (accélération Prolongement : On observera la stylisation propre revendiquer les jeunes que de l’action), vraie mort (dramatisation : catastrophe au à la comédie musicale, à l’œuvre ici de façon atténuée : légère, mais surtout artisti- confrontations dialoguées15, et la société délaisse, et, pour sens théâtral du terme), présence de tous les personnages chant interrompu par la mort (une berceuse adressée quement plus ambitieuse. Le surtout que la critique politique sur scène et réconciliation finale (résolution). au mourant, dont l’accompagnement musical est différé les amants, vrai théâtre des film s’inscrit dans le sillage de est pleinement portée par 2. Conventions revisitées : accélération renforcée après celle-ci), et constitution progressive du cortège « terribles péripéties de leur (on s’attend à une confrontation entre Tony/Roméo et mortuaire, discrètement chorégraphiée. ce renouvellement de la comédie deux étonnantes chansons amour 17» . Chino/Paris mais surgit Maria/Juliette) et concentration musicale, où les numéros ne chorales16. Cette fusion des constituent plus des parenthèses composants théâtraux en un Benjamin Labé

10. Cf. texte « La plus grande partition de comédie musicale jamais portée à l’écran », par Benjamin Labé, in rubrique 14. Balcony Scene, One Hand, One Heart, et Somewhere. « Mise en scène ». 15. America (séq. 5) et A Boy Like That / I Have a Love (séq. 12). 11. Prologue (séq. 1), et Tonight (séq. 8). 16. America (séq. 5) et Gee, Officer Krupke (séq. 6). 12. Jet Song (séq. 1), Something’s Coming (séq. 2), Maria (séq. 4), America (séq. 5), Gee, Officer Krupke (séq. 6) 17. William Shakespeare, Roméo et Juliette, Prologue (Chœur). et I Feel Pretty (séq. 7). 13. Les six morceaux de The Dance at the Gym (séq. 4), ainsi que The Rumble (séq. 9), Cool (séq. 11),

One Hand, One Heart (séq. 7) et la double chanson A Boy Like That / I Have a Love (séq. 12). < LYCÉENS SOMMAIRE ET APPRENTIS 25 < AU CINÉMA 08/09

Mise en scène Écritures

Dans « chorégraphie » comme comme en rappel de l’affiche fin est l’œuvre de Saul Bass, dans « cinématographie », il y du spectacle de Broadway qui se fit connaître avec les a… graphie, c’est-à-dire écri- qui lègue son titre au film. génériques qu’il créa à partir ture. Du mouvement, dans les Quelque chose est déjà écrit de 1955 pour les films d’Otto deux cas, et le suspense — la version scénique préexistante, Preminger, et surtout d’Alfred esthétique de toute comédie conjuguant la partition de Hitchcock. À propos des films musicale pourrait se résumer Bernstein et la chorégraphie que Hitchcock réalisa à cette ainsi : comment le cinéma va- de Robbins pour Broadway — époque1, le critique Louis t-il « écrire » ce mouvement qu’il va s’agir de récrire sous Skorecki a parfois parlé de particulier qui est celui de la une autre forme. À la version « surlignage postmoderne ». danse ? La réponse de West scénique préexistait déjà une L’expression pourrait s’appli- Side Story sera : en insistant écriture, celle de Shakespeare, quer à West Side Story dont le sur le graphique, autant que mais elle aussi avait été pensée design est beaucoup plus sur le cinétique. pour la scène. Or, de la scène consciemment décliné qu’il Aux premières images de à l’écran, il y va d’une tout n’était alors de mise2, à West Side Story, au lieu de autre retranscription. commencer par celui de son l’habituel générique inscrivant Le générique ne s’éclipse ici affiche, également conçue par à l’écran les contributions qui que pour mieux prendre à la Bass. Toute de lettrage et de sont à l’origine du film, de fin du film une importance lignes noires sur fond rouge, pures couleurs se succèdent inusitée (en 1961), à la mesu- elle n’est presque pas figurative, (séq. 0) qui en fin de compte re de l’énorme travail collectif résumant les multiples corps font place à une mention écrite, auquel West Side Story donna du film par deux petites laquelle ainsi acquiert un lieu. Y règne l’inscription : silhouettes graphiquement relief dont eût été privée sa graffiti, panneaux indicateurs simplifiées, et le décor lui- banale citation au cours d’un et lettrages divers rivalisent même (l’escalier de service générique : « West Side Story » afin d’indiquer les différents où a lieu la « scène du balcon », entre triomphalement dans participants du « vaste dessein » séq. 5) par une série de l’image par le bas de celle-ci, de Robbins. Ce générique de lettres, des « Z » superposés. 1. Principalement, de 1958 à 1960 : Vertigo, La Mort aux trousses et Psychose. 2. En cela, à l’instar des films en question de Hitchcock, West Side Story annonce l’importance croissante que prendra le designing (voire le concept designing) à partir de 1960. Pas de film américain actuel dont le look visuel et sonore n’ait été

méticuleusement pré-vu et entendu, et cela aussi bien chez les « auteurs » que dans les produits de série. < LYCÉENS SOMMAIRE ET APPRENTIS 26 < AU CINÉMA 08/09

Mise en scène Écritures

Fin de l’alphabet, fin de l’écri- son langage, ses lieux et ses sous forme de lignes verticales ture qui correspondrait à cette rites), le couple d’amoureux de tailles diverses dessine tout « end of the street » lisible sur formant une entité spécifique d’abord un motif indescriptible, le panneau qui clôt le géné- (Laurents et Sondheim firent qui s’oublie dans les variations rique ? Dead End, « Rue sans en sorte que Maria et Tony, chromatiques successives et issue », s’intitulait déjà en dans leurs actes, dans leurs n’accède à la lisibilité que 1937 un film avec Humphrey mots et dans leur mode de lorsque la presqu’île et sa Bogart, qui mettait en scène présence ou d’absence au forêt de gratte-ciel apparaissent un gang d’adolescents au récit et à la danse, soient coupés effectivement à l’image. Le bord de l’East River. Si le motif du reste des personnages). La réel surgit de la stylisation géométrique de l’escalier de dramaturgie est délibérément graphique, il faut passer par service était omniprésent primaire, ne faisant rien pour elle pour y accéder : la suite dans les films de gangsters rendre imprévisible le scénario du film, où l’on est « Shark » des années 1930, c’est celui shakespearien, mais le film s’en ou « Jet » avant d’être homme de la grille qui domine le avère d’autant plus émouvant : (avec tous les signes de début et la fin de West Side « C’était écrit », pense-t-on reconnaissance que cela sup- Story, imprimant sur l’écran devant l’issue tragique : écrit pose), ne démentira pas cet le fin mot visuel d’une com- dans le décor, dans les corps axiome. Alliées à la succession partimentation ethnique et des personnages et dans des thèmes de la musique de sociale. Reflet de celle-ci, la celui du récit. Bernstein, ces petites lignes structure du récit se morcelle noires ont été comparées aux en blocs narratifs grossièrement KINOPANORAMA perforations d’un rouleau pour juxtaposés, comme la ville, vue Revenons au début. Avant piano mécanique. On peut de haut, apparaît quadrillée en même que le titre du film ne également voir dans l’ensemble artères, places et blocs archi- fasse son entrée, la primauté « lignes / thèmes musicaux tecturaux. La caractérisation du graphique est posée, mais successifs / couleurs chan- des personnages est à l’avenant ne devient sensible qu’après geantes » un souvenir du

(à chaque groupe son accent, coup : la stylisation de Manhattan diorama, cette attraction qui < LYCÉENS SOMMAIRE ET APPRENTIS 27 < AU CINÉMA 08/09

Mise en scène Écritures

consistait à animer une peintu- télévision, la Twentieth Century format permet aussi de mieux re monumentale au moyen de Fox lance le CinemaScope, qui isoler un ou deux personnages variations de lumière. Ce sont permet d’obtenir, en conservant pris par le sentiment amoureux en fait trois grands procédés la pellicule standard 35 mm, un (Tony et Maria, séq. 4, Maria, scéniques, ou plutôt témoi- rapport d’image (largeur sur séq. 10) ou dans la tragédie gnant au XVIIIe et au XIXe siècle hauteur de celle-ci) de 2,35. individuelle (Tony, fin séq. 9 et de l’évolution d’un imaginaire Huit ans plus tard, West Side séq. 13). Dans un entretien, de spectacle scénique (ou Story est filmé en format large Rita Moreno remarque toutefois forain) vers un imaginaire de mais recourt à un nouveau que la séquence du bal à l’in- spectacle cinématographique, procédé, la Super Panavision térieur du gymnase (choré- qu’il est pertinentd’évoquer 70, dont la pellicule 70 mm graphiée par Robbins, mais ici : le panorama, le diorama permet d’obtenir une excellente filmée par Wise après la mise et le cyclorama. qualité visuelle. Le format à pied de celui-ci), avec ses Le panorama se caractérise large, idéal pour le western ou deux clans qui refusent de se par sa largeur : c’était une les superproductions à grande mélanger, ne parvint pas à peinture si ample que, vue figuration, n’a pas toujours s’inscrire dans le cadre du dans un espace circulaire ou réussi à la comédie musicale : format large ; c’est particuliè- semi-circulaire, elle donnait seuls Brigadoon, Les Sept rement vrai dans les grands l’illusion à ses spectateurs de Femmes de Barberousse et plans d’ensemble, où l’espace se trouver au cœur de la réalité Beau fixe sur New York 3 au-dessus des danseurs qu’elle représentait. Jusqu’en l’ont utilisé de manière réduit ceux-ci à une mince 1953, à quelques rares excep- convaincante et non superfi- bande en bas de l’image. En tions près, l’image cinémato- cielle. Dans West Side Story, revanche, des scènes à ciel graphique reste assez peu le format large semble requis, ouvert (America) ou au large, mais en 1953, afin tant le film est voué aux scènes contraire avec plafond très d’apporter un supplément de de danse collective, alignant bas (Cool) sont en parfaite spectacle qui permette de latéralement un grand nombre adéquation avec ce format. Si contrer la concurrence de la de danseurs. À l’inverse, ce le film ne joue pas seulement

3. Respectivement : Brigadoon (1954), de Vincente Minnelli, Seven Brides for Seven Brothers (1954), de Stanley Donen,

et It’s Always Fair Weather (1955), de Stanley Donen et Gene Kelly. < LYCÉENS SOMMAIRE ET APPRENTIS 28 < AU CINÉMA 08/09

Mise en scène Écritures

la latéralité mais aussi la l’extrémité des pieds et des expressif, peinture jaune jetée profondeur de champ, travaillant mains projetés aussi loin que en jets sur ces yellow5 de Jets Mot-clé graphiquement l’espace (et le possible, dans toutes les (séq. 1), pourpre qui imprègne décor construit à cet effet) à la directions, définissant tel un l’image jusqu’à l’engorger (cf. Profondeur de champ fois dans sa perspective et compas l’empan de l’emprise séq. 8 et le premier plan dans sa planéité (séq. 9 et 11), corporelle exercée sur lui (cf., « embrasé » de la séq. 9). Profondeur spatiale qui apparaît nette à l’écran : il reste que l’horizontalité du en particulier, séq. 1)4. Maria l’a bien compris, qui elle dépend à la fois des réglages à la prise de format large est particulièrement L’autre procédé pré-cinéma- veut qu’on teigne en rouge sa vues et de l’éloignement des différents éléments face à la caméra. apte à rendre non seulement tographique qu’évoquent les robe virginale… Dans cette les moments de danse à forte premières images de West veine expressionniste, quitte à densité numérique mais éga- Side Story, c’est donc le diorama choisir une teinte, autant élire lement la linéarité mélodique tel qu’on l’a défini plus haut. le rouge, couleur de passion, de l’écriture de Bernstein (dont Les variations de lumière sont de colère, d’hymen déchiré et Le combat, entre street fighting la musique est aussi mélodique ici remplacées par des chan- de sang versé ; toutes les autres — « horizontale » — qu’har- gements chromatiques, chaque n’en seront que les contrepoints, et danse de mort monique — « verticale »). couleur différente remplissant ou les complémentaires. Enfin, le format large est tout successivement le format large Quant au cyclorama, il revêt simplement un plus vaste espa- de l’écran. Ce travail de la ici un sens particulier : celui Objectif : Montrer que ce qui est chorégraphié ne fait étroitement, cf. leurs « points de rencontre » : sortie ce d’écriture qui confère à ce couleur par grandes surfaces qu’il prend dans la scène de pas forcément danse pour le spectateur, tout en des couteaux, mouvements de défi, de recul et d’avancée qui aurait pu n’apparaître que uniformes est en phase avec l’attraction foraine de Lettre différant à ses yeux d’une représentation naturaliste. des duellistes, coup fatal porté à Riff puis à Bernardo, etc. 6 Avec DVD. 3. La mort de Bernardo chamboule cette logique : malgré comme une « petite comédie ce qui se fait de plus moderne d’une inconnue où un paysage Déroulement : la musique, la bagarre généralisée est peu chorégraphiée ; musicale » les dimensions dans le cinéma de l’époque — peint sur une toile défilant Revoir le combat sous l’autoroute (séq. 9) et étudier c’est lorsqu’elle s’arrête au son des sirènes de police d’une épopée, dans laquelle qu’on pense aux films de cycliquement, vu à travers la sa progression chorégraphique. que d’ultimes mouvements stylisés apparaissent : têtes 1. Avant la musique : mise en scène précise (arrivée qui se redressent, derniers coups portés à l’adversaire les mouvements des dan- Jean-Luc Godard dans les fenêtre d’un faux train, donne des deux groupes, préparation du combat, intervention au sol. seurs s’inscrivent avec plus années 1960. Triomphe du l’illusion que celui-ci se déplace, de Tony), gestes étudiés, mais on ne peut encore parler Prolongement : On étudiera la scène où Anita est violentée d’amplitude. Le monde est graphisme, encore une fois : de même que semblent défiler de chorégraphie. (début séq. 13) : elle n’est pas perçue comme vraiment 2. Irruption de la musique, au coup de poing de Riff dansée car, là aussi, cela nuirait à sa brutalité, mais en une scène mais la rue la couleur est moins ici éma- devant nous, virtuellement à Bernardo. À partir de là, pour le spectateur, il ne s’agit même temps le fait qu’elle soit chorégraphiée la rend est un espace à conquérir, nation du monde qu’élément sans fin, les couleurs du pas encore de danse (la stylisation devrait faire jeu plus équivoque : jeu stupide, tentative de viol, mouvement égal avec la représentation naturaliste) mais gestes, incontrôlé qui pourrait mal tourner ? 4. Cf. également texte « Un récit d’apprentissage pour jeunes citadins », par Marie-Noëlle Chatry, in rubrique « Éclairages et mouvements, musique et montage s’associent perspectives ». 5. « Trouillards ».

6. Letter from an Unknown Woman (1948), de Max Ophuls. < LYCÉENS SOMMAIRE ET APPRENTIS 29 < AU CINÉMA 08/09

Mise en scène Écritures

début de West Side Story. sur Action, tous claquant 10. travelling d’accompagne- Après l’espace et la couleur, des doigts ment serré sur les Jets de voici donc le mouvement, 4. 1er raccord dans l’axe trois quarts dos, marchant donnée que Robbins chérit découvrant, en plus des dans la rue en toisant entre toutes et dont l’écran trois précédents, Baby John l’espace autour d’eux paraît constamment animé : et A-rab 11. élargissement du champ : mouvement des danseurs, 5. 2e raccord dans l’axe, travelling latéral droite- bien sûr, et celui, conjoint, découvrant encore deux gauche accompagnant le Mots-clés d’une caméra Super Panavision autres Jets groupe cadré en pied qui que sa lourdeur n’entrave 6. 3e raccord dans l’axe, élar- marche sur le trottoir, jamais. Prenons le passage, gissant le champ pour qu’y continuant de claquer des Zoom Travelling au début du film, qui va de la entre un jeune homme, doigts et venant peu à peu Objectif à focale variable qui permet de resserrer Déplacement de la caméra, généralement découverte des Jets à celle de penaud d’avoir jeté une à la danse > le groupe ou d’élargir le champ filmé sans déplacer la exécuté à l’aide d’un chariot posé sur rails ; Bernardo, pour souligner le balle en direction des Jets bifurque pour traverser la caméra. Par extension, on parle de zoom pour selon le sens du mouvement effectué, on parle déploiement cinétique dont il 7. travelling latéral droite- rue, faisant face à la désigner un travelling avant ou arrière obtenu de travelling avant, arrière ou latéral. On parle par voie optique. L’effet produit est différent, de travelling d’accompagnement lorsqu’on fait preuve d’emblée, d’un gauche, à travers une grille, caméra qui passe alors en visuellement et émotionnellement, de celui maintient dans le champ un objet en mouvement. plan à l’autre ou à l’intérieur accompagnant le groupe travelling arrière qu’on obtient avec un déplacement de la caméra. du plan (chaque numéro cor- qui s’est mis en marche 12. le groupe est cadré en pied, respond à un nouveau plan) : 8. plongée : les Jets contournent accompagné en travelling 1. plan d’ensemble en plongée un jeu d’enfant dessiné sur de trois quarts face Raccords entre deux plans successifs (A et B) sur le terrain de jeu le sol 13. plongée sur un énorme 2. resserrement du cadre sur 9. autre position de caméra, « JET » inscrit à même - Dans l’axe : de A à B, on conserve (plus ou moins strictement) l’axe de prise de vues tout en éloignant ou la zone où se tiennent les autre plongée sur les Jets l’asphalte, sur lequel le en rapprochant la caméra de l’objet filmé (plutôt qu’en zoomant en arrière ou en avant). - De mouvement : le mouvement d’un objet filmé commence en A et se continue en B, le champ filmé en B Jets, puis rapide zoom avant qui s’emparent d’un ballon groupe saute et se met à n’ayant rien en commun avec celui de A (par excellence, à la faveur d’un déplacement de l’objet filmé). sur ceux-ci de basket > mouvement danser - Dans le mouvement : le mouvement d’un objet filmé commence en A et se continue en B, 3. plan de Riff de profil / reca- de grue descendant qui 14. plan de 3/4 dos : se B partageant au moins avec A la partie du champ filmé où se trouve l’objet en question. drage vers la droite sur Ice vient les cadrer à hauteur retournant soudain, le

/ recadrage vers la droite d’homme, quittant le champ groupe tombe sur Bernardo. < LYCÉENS SOMMAIRE ET APPRENTIS 30 < AU CINÉMA 08/09

Mise en scène Écritures

Difficile, déjà, de résumer nage, au moment du montage. les moyens du cinéma (qui l’extrême richesse de ce pas- Plus que la maîtrise, c’est la s’en trouve, en retour, avivé) : sage qui dure pourtant moins conjonction de tous les éléments mouvements dans le plan et de deux minutes : contentons- (d’autant plus impressionnante d’un plan à l’autre, valeurs de nous de quelques constats, qu’elle intègre et absorbe des plans (plus ou moins larges valables pour l’ensemble du aspérités ponctuelles, telles ou serrés), angles de prises film. D’un plan à l’autre ou à que des ellipses spatiales de vues, raccord de plan à l’intérieur du plan, la caméra dans la continuité temporelle) plan (dans l’axe, de mouvement, est constamment mobile, ainsi qui est recherchée, pour mieux dans le mouvement, etc.). Ce que les personnages, du simple exprimer son contraire à savoir faisant, ce néophyte enthousiaste claquement de doigt à la le conflit, latent ou effectif. Dans invente comme sous nos yeux, danse conquérante. Tout est cette totalité vient également se pas à pas, saut à saut, plan à fait pour que les mouvements loger la musique, en fonction plan, ce qu’on peut pour une du corps et de la caméra de laquelle s’ordonnent préci- fois appeler sans excès de finissent par se fondre dans sément toutes les ruptures de langage une écriture cinéma- le sentiment d’un grand plans, de rythme, de mouvement, tographique. mouvement commun, et quitte à ce que Robbins place Jean-François Buiré indissociable. Les raccords délibérément certains mou- de plan à plan ne sont jamais vements des danseurs sur des laissés au hasard, mais il est contretemps de la partition, là encore impossible d’affirmer comme il aime à le faire pour lesquels ont été pensés avant surprendre le spectateur. le tournage des plans destinés Ce court passage est exemplaire à se succéder (ou au moment de la façon dont Robbins de celui-ci), et lesquels sont potentialise l’énergie cinétique

une pure création après tour- de la danse en jouant de tous < LYCÉENS SOMMAIRE ET APPRENTIS 31 < AU CINÉMA 08/09

Mise en scène « La plus grande partition de comédie musicale jamais portée à l’écran1»

Sifflements sur fond noir ; catesse sur la ligne fine qui par sa structure et ses airs : puis une image graphique, sépare l’opéra et Broadway ». une musique accessible et dont seule variera la couleur, mélodieuse, mais enrichie accueille un prélude sympho- « IL FALLAIT BIEN par « une énorme subtilité et nique mêlant trois des thè- QUE QUELQU’UN FASSE variété rythmique 4 ». Ce sont mes de la bande son : pen- QUELQUE CHOSE ces variations délicates qui dant presque cinq minutes, POUR LA MUSIQUE donnent aux parties instru- West Side Story se consacre à AMÉRICAINE mentales leur hardiesse : la la musique. Cette véritable À BROADWAY ! 3 » musique pour les scènes ouverture d’opéra — absente Si l’opéra est bien un specta- dansées repose souvent sur de la version scénique — semble cle théâtral dans lequel la des mesures singulières et en contradiction avec les musique a une véritable fonc- alternées, qui sont autant premières intentions des trois tion narrative (exposition, d’obstacles rythmiques que créateurs, qui s’étaient entendu caractérisation…), il faut les chorégraphies doivent à pour « raconter une histoire reconnaître autant la dimen- la fois adoucir et exposer5. tragique en utilisant uniquement sion opératique de la partition Exemplaire de la double des techniques de comédie que la réussite éclatante de ce volonté populaire et ambitieuse musicale, sans jamais tomber pari de l’entre-deux. L’opéra de West Side Story, la chanson dans le piège de l’opéra 2 ». n’étant pas à sa place à Something’s Coming est Mais, plus précisément, le Broadway, scène populaire d’abord conçue « dans la grande défi que se fixait Bernstein, au par excellence, Bernstein veut tradition », sur une structure vu de la gravité inhabituelle composer une grande œuvre simple, mais Bernstein confie de l’histoire qui exigeait que la pour tous, musique d’opéra l’avoir « déglinguée », notamment partition gagnât en sérieux, par sa fonction et sa richesse, avec des variations rythmiques. était de « marcher avec déli- mais de comédie musicale Cependant, les chansons ont

1. Michel Chion, La Comédie musicale, Éditions Cahiers du cinéma/SCEREN-CNDP, Collection « Les petits Cahiers », Paris, 3. Leonard Bernstein, Le Partage de la musique, Éditions Belfond, 1993, p. 41. 2002, p. 56. 4. David Patrick Stearns, « À mi-chemin entre Broadway et l’opéra », in livret de West Side Story, op. cit., p. 69. 2. Leonard Bernstein, « Journal de bord », in livret de West Side Story, direction de Leonard Bernstein, Éditions Deutsche 5. Dans le documentaire West Side Memories (inclus dans l’« Edition Collector » du DVD du film), Rita Moreno dit n’avoir

Grammophon, 1984, p. 54. jamais dansé sur des mesures aussi étranges et changeantes. < LYCÉENS SOMMAIRE ET APPRENTIS 32 < AU CINÉMA 08/09

« La plus grande partition de comédie musicale jamais portée à l’écran » Mise en scène

bien ce charme spécial qui fait qu’un compositeur « normal » diffusions médiatiques est les tunes (les tubes) des de Broadway n’aurait jamais tenu, Tea For Two en tête, par musicals, et qui marque pu écrire, car ils nécessitent une des standards enregistrés immédiatement l’auditeur, solide formation académique. entre 1909 et 1946 ! Juste malgré leurs grandes difficul- Même les airs de jazz doivent retour des choses : après la tés d’interprétation : Rita plus à l’avant-garde de l’époque sortie du film, plusieurs titres Moreno rappelle, par exemple, qu’à ses standards : les mélodies seront abondamment repris qu’un titre comme A Boy Like sinueuses du Prologue, par par des musiciens de jazz. That (séq. 12) commence dans exemple, évoquent davantage un registre très grave, assez les compositions de George « UN INCROYABLE inhabituel pour une voix fémi- Russell 7 que le mouvement MELTING POT nine6. Alors que la comédie cool, en vogue depuis le début STYLISTIQUE 8 » musicale traditionnelle doit des années cinquante, ou Du jazz, son matériau de pré- séduire vite (mélodies et même le fougueux hard bop dilection, Bernstein retient structures simples, rythmes émergeant tout juste au milieu également un principe de communs, emprunts identi- de la décennie. Pour mesurer métissage : aux imitations trop fiables), West Side Story est West Side Story à l’aune de la nettes, il préfère un tressage au contraire d’une virtuosité musique de son temps, il est mêlant au jazz l’esprit latino d’écriture certes discrète mais encore plus inutile d’évoquer et la pensée symphonique surtout inédite à Broadway. les hits jazzy d’alors que rabâ- (par exemple l’étonnant Cool, De ce point de vue, l’exception chent radios et télévisions, sur rythme swing, avec dans est le quintette Tonight (séq. 8), chansons très belles mais la partie instrumentale une dont les entrelacs vocaux sont très antiques (remontant parfois fugue classique aux accents d’une complexité ostensible jusqu’au ragtime) : en 1954 latino). La complexité musicale qui sonne vraiment opéra, et par exemple, le top ten des est tout entière investie dans

6. Pour cette seule scène (donc les deux chansons A Boy Like That et I Have a Love), Rita Moreno est doublée. 7. Compositeur intransigeant et théoricien influent, George Russell sort en 1956 The Jazz Workshop,etNew York, NY en 1959.

8. Michel Chion, La Comédie musicale, op. cit., p. 56. < LYCÉENS SOMMAIRE ET APPRENTIS 33 < AU CINÉMA 08/09

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ce mélange et dans ses variations typiquement américain, mais hollywoodienne d’alors. Comme rythmiques, mais il s’agit il faut bien entendre que l’avaient en effet remarqué moins d’une fusion des éléments Bernstein s’inspire aussi du Adorno et Eisler dès 1947, musicaux que d’une sorte de goût du collage et des mélanges Hollywood avait déjà assimilé dialogue entre leurs différences. inattendus cher à deux de ses ce procédé en le simplifiant : Cette esthétique du métissage compositeurs préférés, Mahler cette « wagnérisation » de la est ici parfaitement à sa place, et Stravinski. De ce dernier, musique de cinéma, souvent puisqu’elle se met au service West Side Story prolonge schématique, associe une de tous les conflits narratifs, également un certain traitement mélodie à un personnage ou à non seulement entre les rythmique, tout en décalage et un sentiment, puis fonctionne gangs, mais aussi entre les en puissance, avec notamment par simples citations, alors Le quintette, un moment de stylisation deux mondes culturels, et une utilisation percussive que chez Wagner les thèmes entre ces mondes et les variée des différentes sections sont cités et déclinés les uns dramatique amants. L’hétérogénéité, comme (Prologue, The Rumble). dans les autres, donnant lieu confrontation de styles qui se à des implications et des contaminent mutuellement INTÉGRATION MUSICALE variations plus complexes 9. Objectif : Montrer comment musique, mise en scène et sur eux) et les Sharks de gauche (1er plan sur le toit), montage concourent ici. Avec DVD. au contraire de ce qui se passe à la fin : l’arbitraire sans synthèse propre, est en Mais une telle hétérogénéité Dans West Side Story, par Déroulement : Visionnement de l’extrait (séq. 8) de leur opposition n’en est que mieux souligné. fait typique du compositeur, exige, sous peine d’une trop exemple — sans évoquer les et repérage des procédés de dramatisation. B) Encadrement de la séquence par des images fixes 1. Montage alterné et accéléré : les plans des deux rouge sang (toits / grillage). hanté pendant toute sa carrière grande dispersion qui pourrait reprises évidentes —, l’intro- gangs en route pour le combat, de plus en plus rapides, 3. Musique : deux chants (amants vs. bandes, par la question du métissage, nuire au récit, quelques duction de Something’s alternent avec ceux d’Anita, de Tony et de Maria, plus Anita chantant la partition des garçons) ont un mot depuis son mémoire de fin menus éléments unificateurs. Coming comprend quelques lents jusqu’à ce qu’un pont musical (à l’image, Schrank pour unique dénominateur commun, « Tonight » (destins regarde sa montre) marque une transition : à partir de là, liés), et génèrent une polyphonie parfois discordante d’étude sur « l’absorption des C’est d’abord la variation des notes de Jet Song, qui souligne tous les plans vont s’accélérer et s’entrechoquer. (disparité d’intérêts) ; d’abord alternés, ils finissent éléments ethniques dans la mélodies qui crée l’homogé- l’appartenance de Tony à la 2. Symétrie et enfermement : par se superposer et se fondre dans ce seul mot. musique américaine » (1939) néité, par continuité sans bande ; Balcony Scene émerge A) À la fin, la vectorisation du mouvement de chacun Prolongement : On étudiera dans d’autres films la façon des groupes s’oppose : gauche-droite pour les Jets, dont, en rapport étroit avec les autres moyens filmiques, jusqu’à ses dernières œuvres répétition : la circulation des en partie de Maria, mais l’inverse pour les Sharks. Mais, au début, la musique crée des moments de dramatisation. (comme Jubilee Games, 1989). leitmotive est d’une richesse se conclut sur les accords soit les déplacements sont frontaux, soit les Jets Bien sûr, l’idée d’un art ainsi plus proche du modèle « tragiques » qui donneront e e arrivent plutôt de droite (cf. début du 3 et du 4 plan métissé a quelque chose de wagnérien que la production Somewhere ; lorsque culmine

9. Adorno et Eisler, La Musique de cinéma, Éditions de L’Arche, 1972 (première édition : 1947). < LYCÉENS SOMMAIRE ET APPRENTIS 34 < AU CINÉMA 08/09

« La plus grande partition de comédie musicale jamais portée à l’écran » Mise en scène

l’agression d’Anita par les tie l’œuvre, et innerve les airs ses compatriotes et modèles Jets, le mambo du juke-box de son charme tordu 10. C’est George Gershwin et Aaron cite America, exprimant l’envers lui qui inquiète le sifflement Copland) : c’est sur cette ligne violent du rêve américain, etc. initial des Jets, puis attise ses tracée entre sérieux et popu- Mais c’est un élément mélodique déclinaisons (Prologue, Jet laire qu’il se tient, là où se et harmonique, plus subtil, qui Song, The Rumble) ; lui qui dresse le film, cette même parachève l’unité par sa très fait virevolter le stressant Cool ligne qui caractérise une large grande présence : l’intervalle et déséquilibre Gee, Officer part des grandes œuvres de quarte augmentée. Également Krupke ; lui enfin qui embrase appelé triton, car comprenant puis calme les airs sensuels américaines, à commencer trois tons pleins (par exemple de Tony — même si, dans par le meilleur du jazz et de ré-sol# ou sol-do#) soit une Something’s Coming et Maria, Hollywood. Ici la musique, moitié d’octave, cet intervalle la quarte augmentée est brasier métis inouï, assemble de notes est harmoniquement présente comme appoggiature, des influences diverses tout très instable, à tel point qu’il c’est-à-dire comme dissonance en en exaltant les beautés Des chansons qu’on croit connaître fut longtemps — jusqu’en gros rapidement résolue, créant singulières. Ce qui pourrait la seconde moitié du XIXe siècle ainsi la tension amoureuse et aussi être une bonne définition 11 où il fait quelques apparitions — l’apaisant aussitôt . du rêve américain. considéré comme une erreur Exigeante et accessible, la Objectif : Souligner l’intérêt et la singularité des non tributaire de l’intrigue (America, I Feel Pretty). chansons dans le film. Ici, attendant les Sharks dans la rue, les Jets se font et ainsi surnommé « diabolus in partition est ainsi au diapason Benjamin Labé Déroulement : Établir avec les élèves la liste des houspiller par Krupke puis « improvisent » cette satire musica ». Le triton, assez inha- du film. L’idée d’un opéra qui chansons, et revenir plus particulièrement sur Gee, sociale. Officer Krupke (séq. 6). Avec DVD. 3. Montée en puissance : plusieurs chansons bituel car étrange et disso- serait typiquement américain 1. Richesse et singularité expressive : certaines (Something’s Coming, Tonight lors du quintette, nant, structure en grande par- a hanté Bernstein (comme chansons « légères » ne semblent là que pour conforter Somewhere) expriment une sève, un élan juvéniles : l’étiquette « comédie musicale » d’un film plutôt espoir, désir, colère, impatience, etc. Ici, l’exaspération tragique. En fait, elles expriment toutes un sentiment, croissante face aux préjugés concernant la « délinquance un état ou une situation bien spécifiques : affirmation juvénile » est traduite par l’augmentation d’un demi-ton 10. Cf. Renaud Machart, Leonard Bernstein, op. cit., pp. 50-51 ; David Patrick Stearns, « À mi-chemin entre Broadway et l’opéra », d’identité (Jet Song), positions politiques opposées de chaque nouveau couplet. article cité, p. 69. (America), euphorie amoureuse (I Feel Pretty) ; Prolongement : On pourra entre autres étudier ce que 11. Par exemple, dans les premières mesures de Something’s Coming, le « who knows » est chanté sur ré-sol#-la, le premier ici, l’insolence en rempart contre les clichés sociaux. chacune des sept « chansons d’amour » exprime intervalle formant un triton (ré-sol#), le sol# étant l’appoggiature (et devenant donc immédiatement un la). 2. Intervention dans un « moment faible » du récit : de particulier quant à ce sentiment. De même, dans la seconde partie de Maria, le prénom est chanté avec un triton en appoggiature : « Ma [mib]-ri [la]-a [sib] les chansons ont parfois leur moment propre, (I’ve just met a girl…) ». Ici la quarte augmentée, étrangère à la gamme, permet la modulation (changement de tonalité)

entre la première partie lente et la seconde animée (le premier mi bémol est en fait un ré dièse). < LYCÉENS SOMMAIRE ET APPRENTIS 35 < AU CINÉMA 08/09

Éclairages et perspectives Un récit d’apprentissage pour jeunes citadins

On pourrait certes se contenter moralisateur, ce récit per- Anybody qui ne peut intégrer de regarder West Side Story mettra à chacun de mesurer le gang, ni comme garçon comme la réécriture moderne le rôle qu’il choisit d’incarner (c’est une fille), ni comme fille d’une haine viscérale dont dans la vaste comédie humaine (ses attributs sont insuffisants), chacun connaît le caractère qui se joue chaque jour dans et erre seule à l’affût d’une dévastateur. Déroulant sa nos villes. occasion qui lui permettra machine infernale, où toute d’être enfin acceptée. tentative positive s’avère non CRISE IDENTITAIRE D’un côté les Jets, caractérisés seulement vaine, mais lourde ET CONFLIT par leur origine européenne, de conséquences tragiques, Si la brutalité individuelle arborent (exception faite de sans qu’aucun deus ex machina s’exprime en ville bien volon- Action 1) un profil caucasien ne vienne miraculeusement tiers : « il suffit d’un guichet de et des costumes dans les tons arrêter la mécanique, le film poste encombré pour le vérifier », d’automne. De l’autre les réactualise la formidable folie on pense pourtant davantage Sharks se distinguent par une des hommes, qui s’obstinent aux phénomènes de groupes peau ensoleillée, une sensua- à faire la guerre quand la lorsqu’on évoque la violence lité corporelle indéniable, et conciliation semblait envisa- urbaine. Or les adolescents, une alliance de rouge (ou geable. Il serait dommage de en quête d’identité, cherchent rose) et noir dans le vêtement. ne pas offrir aux élèves, généralement à intégrer une Ils croient dès lors partager confrontés eux-mêmes à une bande dans laquelle ils fusion- une identité commune — les promiscuité imposée par une nent, adoptant un langage, uns sont des « natifs », les urbanisation croissante, de une mode vestimentaire et autres des Portoricains — et s’interroger sur l’évolution de des comportements communs, appartenir à une famille, ce nos sociétés multiculturelles. signes tangibles de leur que réaffirme Riff à Tony : Construit comme une parabole appartenance au groupe. Pas « Sans la bande, tu es orphelin. de la violence urbaine dont le d’identité sans le groupe, Avec la bande (…), la famille manichéisme est ici utilement c’est le destin de la pauvre ne manque pas. » Si Tony

1. Dans le groupe des Jets, chargés pourtant de représenter un modèle d’américanisation homogène, quelques membres se distinguent par un détail qui en dénonce le caractère illusoire : Anybody (pour les raisons qu’on sait), Tony (il s’est émancipé du groupe) et Baby John qui, trop sensible, détonne sans arrêt. Action, par son côté latin au sang chaud, révèle quant à lui ce

qu’il y a de contraint dans cet idéal d’assimilation. < LYCÉENS SOMMAIRE ET APPRENTIS 36 < AU CINÉMA 08/09

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reste distant, c’est sans doute ils la font à leurs femmes et UNE GUERRE parce qu’il ne partage pas ce forment, contre elles, une DE TERRITOIRE 2 besoin de combler une absen- communauté de sexe (séq. 5) . Dans ce rapport de pouvoir ce : on apprend qu’il vit chez À l’inverse, le tiers révèle entre les Jets et les Sharks, la sa mère (séq. 2). Du côté des la fraternité possible. question du territoire occupe Portoricains, Maria aussi est Qu’intervienne la police, et les évidemment sa place essen- entourée de ses parents. membres des deux gangs tielle : « Une bande qui n’est Évoqués une première fois s’entendent temporairement : pas maîtresse d’une rue n’est par Bernardo, on les devine salut symétrique d’un groupe rien », dit Action. Chacun présents hors champ dans la après l’autre aux policiers, rire s’approprie alors ce qu’il croit scène des escaliers. Et ce qui approbateur des Jets quand peut paraître un détail permet être son territoire et le marque Bernardo ironise, silences aux amants de s’individualiser au besoin en le salissant. Le complices et accolades feintes. autour de désirs personnels. tag rappelle sans cesse ce Seul compte alors ce qui est Car, dans la bande, nulle place geste primitif d’appropriation, de tous, dans un groupe qui n’est accordée à l’individu : en particulier dans la première même si elle le veut, Maria ne s’efforce de gommer les diffé- séquence : sur les murs, sur peut pas danser avec Tony ; rences et fait disparaître les portes, sur le sol, voire quant à Baby John, il doit l’individuel. « Tu as vu leur comme une signature sous sécher ses larmes et taire ses figure ? » demande Baby John les pieds des danseurs sentiments, faute de quoi un à A-rab, à propos des défunts. (08'15''). La peinture devient conflit s’engage (séq. 11). Oui, il a vu. Parce qu’ils sont dès lors une arme de combat Toute différence entre les morts à présent et qu’ils comme en témoigne le geste protagonistes, si infime soit- échappent désormais à la de Baby John, qui l’entraîne elle, est en réalité facteur de bande, Riff et Nardo peuvent plus loin qu’il ne l’aurait voulu conflit. Quand les Sharks ne enfin être identifiés. (13'26''). Peindre le mur font pas la guerre aux Jets, revient à agresser l’adversaire,

2. Le film propose ici un changement majeur par rapport à la version originelle puisque seules s’opposaient sur scène Anita et les autres filles. A noter aussi que le texte de America a été remanié et devient plus politique à l’écran : on passe d’une

confrontation de points de vue (vie aux USA ou à Porto Rico) à un affrontement filles-garçons à propos du rêve américain. < LYCÉENS SOMMAIRE ET APPRENTIS 37 < AU CINÉMA 08/09

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l’un et l’autre pouvant procéder vaine conquête d’un Ouest qui DES MODÈLES d’un seul mouvement (12'55''). est ici à l’inverse du mythe PEU ENVIABLES Ce qu’expriment Riff et ses originel : pas de grands espaces L’image que le film donne des compagnons, c’est finalement ni de promesse d’essor ou de adultes, on le voit, n’est pas l’exiguïté des lieux : « Je dis famille prospère, rien que des des plus glorifiantes. D’une que ce coin est petit mais c’est murs, des murs, des grillages part les figures d’autorité sont tout ce que nous avons. » Car et des portes fermées sur le rares (le sergent Krupke, Jets et Sharks sont les néant. Dès lors, comme une l’inspecteur Schrank, Doc, un enfants de la rue. Excepté peste impossible à enrayer, la animateur de bal et un voisin Maria, en effet, aucun d’entre violence va pouvoir se répandre. eux n’est montré chez lui. furieux), de l’autre elles se Elle est à la ville comme chez Comme si la rue constituait révèlent incapables d’assumer elle et se nourrit de la promis- en soi le lieu d’une vie. Alors leur mission médiatrice. Bien cuité : appartements exigus, on se l’approprie, on cherche au contraire, elles sont imma- mal isolés, métros bondés. à en exclure ceux qui défendent, tures et alimentent le conflit : hélas au même endroit, leur On s’entend. On se touche. On Schrank affirme avec force place existentielle, ce que se sent, aussi. Parfum trop qu’il s’agit là de son secteur, traduisent les corps puissam- fort. Transpiration. De là à et propose aux Jets une forme ment conquérants : avancées « ne plus pouvoir se sentir », il de collaboration discrimina- rapides à travers les rues, n’y a qu’un pas, que franchit toire. Doc pèche par défaut de occupation des lieux (trottoir, l’inspecteur Schrank : « Bon discernement : il transmet à plan ou piste de danse), bras sang, comme si ce quartier Tony une information aussi tendus, latéralement, vertica- n’était pas assez moche », erronée que fatale. C’est lement, sauts et acrobaties « ils font de cette ville une pourquoi ces enfants de la

ascensionnelles… Tragique et porcherie puante » (séq. 1 et 6). ville se proclament, dans un < LYCÉENS SOMMAIRE ET APPRENTIS 38 < AU CINÉMA 08/09

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moment de parodie décapante, américain, il propose quelques porteurs de tous les symptômes valeurs tangibles : Maria et dont on afflige communément Tony ont ceci de commun la jeunesse (séq. 6). Ils se qu’ils ont à la fois des parents reconnaissent héritiers d’un présents et un travail. Au malaise qui les précède et travers de ce dernier, Tony dont ils ne sont en réalité que acquiert l’indépendance au le révélateur. Aussi renvoient- sens le plus noble du terme et ils, avec humour, tous les peut, enfin, espérer « quelque représentants officiels de chose » (séq. 2). Mais il voit là l’autorité à leur impuissance : un « miracle » dont il ne police, parents, juges, psy- prend pas la responsabilité, chanalystes et assistantes ce qui le laisse impuissant par sociales qui se déchargent en la suite malgré une bonne chaîne d’une jeunesse qui les volonté évidente. Plus mature 3 dérange. dans ses désirs est Maria qui En quelque deux heures et lui survit, et met fin au conflit demie, West Side Story rend devenu paroxystique, laissant au melting pot sa valeur d’utopie : désormais sans voix le repré- celui-ci s’avère, finalement, un sentant d’une autorité abusive. mode d’intégration à sens Marie-Noëlle Chatry unique, générateur de conflits. Le film est-il désespéré pour autant ? Pas tout à fait car, s’il remet en question le rêve

3. On peut imaginer ce qu’il en aurait été du scénario si Maria, elle-même, était allée arrêter la bagarre : elle aurait alors probablement joué un rôle de tiers véritable et, en tant qu’intruse, aurait empêché par sa présence son bon déroulement.

De même, chez Doc, elle n’aurait pas incarné, comme Anita, une ennemie aux yeux des Jets. < LYCÉENS SOMMAIRE ET APPRENTIS 39 < AU CINÉMA 08/09

Extérieur film Extension du domaine de la scène

Dès le milieu des années différence notable, toutefois : de rejet radical de ce type de 1950, la comédie musicale d’habitude, ce ne sont pas les « mise en scène » et de retour américaine bat de l’aile. Le créateurs de la version scé- à cette tradition, à un moment déclin du genre accompagne nique qui la transposent au où elle a déjà été sérieusement celui des grands studios cinéma, et le fait que ce soit le ébranlée par certains films de hollywoodiens. Même les cas ici inscrit le film dans une Donen : dès 1949, il tournait productions de l’unité d’Arthur continuité de vue et d’exigences dans de véritables lieux de Freed qui, de 1940 à 1955, artistiques toute particulière. New York plusieurs moments donna naissance au sein de la Une des manifestations de de On the Town, adaptation MGM aux grands films de l’origine scénique de West d’un musical de Robbins et Busby Berkeley, de Vincente Side Story est l’adresse frontale Bernstein qui raconte la virée Minnelli, de Stanley Donen et à la caméra que l’on remarque dans la Grosse Pomme de de Gene Kelly, ne font plus de temps à autre, de la part trois marins en permission. recette. Un tel contexte des Jets ou des Sharks, équi- Dans le prologue de West Side constitue sans doute l’une des valent de l’adresse directe des Story, Robbins reprend cette raisons pour lesquelles West comédiens au public (séq. 1 et gageure (pour le citer : Side Story peut se permettre surtout 8). Dans les comédies « associer un cadre urbain de trancher avec la tonalité musicales des années 1930- new-yorkais réaliste à des le plus souvent joyeuse et 1940, il arrivait fréquemment chorégraphies stylisées, et le optimiste de ces films. que cette origine se traduise faire accepter au public ») et il À l’exception de plusieurs par des numéros se déroulant la pousse plus loin que ne réalisations de Stanley Donen1, effectivement sur une scène l’avait fait aucun autre avant les comédies musicales sont ou dans un décor approchant lui, mais il tourne toute la la plupart du temps des (night-club ou autre), et surtout suite du film en studio, plusieurs adaptations de succès de par le fait de tourner intégra- moments présentant une Broadway, et West Side Story lement en studio. West Side apparence scénique manifeste ne déroge pas à la règle. Une Story est un curieux mélange (le bal, America, Gee, Officer

1. Chantons sous la pluie (Singin’ in the Rain, 1952), Les Sept Femmes de Barberousse (Seven Brides for Seven Brothers, 1954), Beau fixe sur New York (It’s Always Fair Weather, 1955) et Drôle de frimousse (Funny Face, 1957) sont tous réalisés

à partir de scénarios originaux. < LYCÉENS SOMMAIRE ET APPRENTIS 40 < AU CINÉMA 08/09

Extension du domaine de la scène Extérieur film

Krupke, Cool, la danse de doit pas y avoir de mort sur besoin, par le fait que Jackson Maria sur le toit…). Cependant, scène !), Drôle de frimousse se réfère d’évidence à la à bien y regarder, on constate (où une jeune libraire méprise scène du combat de West qu’en réalité le prologue lui- la haute couture au nom de la Side Story dans son clip de même divise le West Side philosophie existentialiste) Beat It (1983), et à Cool dans en une multitude de petites et La Belle de Moscou3 (où celui de Bad (1987). Dans tous scènes, successives et à ciel une agente soviétique hyper- les cas, on finit par retrouver ouvert ! sérieuse abhorre le mode de cette règle : pour juger de ce À noter que l’ambition de vie occidental). que peut un corps, il faut éviter West Side Story, consistant à Ce qui évite à West Side Story de trop constamment le morceler rendre populaire une œuvre de pontifier, c’est le fait que, (comme on le fait dans les issue de formes artistiques de toute façon, la comédie mauvais clips), mais au contraire « majeures » (l’opéra, le ballet), musicale s’inscrit dans tout le filmer parfois en pied, dans semble résoudre l’opposition un pan du cinéma spontanément son intégralité. Ce qui permet entre le populaire et le sérieux populaire car très basiquement en outre, dans West Side qui est au cœur de plusieurs fondé sur le corps et ses pos- Story, de capter ces moments des comédies musicales que, sibilités, qui commencerait par où les pieds des danseurs d’une certaine façon, il contribue le cinéma burlesque, continuerait décollent du sol pour tutoyer à enterrer : dans Chantons sous par elle, se prolongerait dans le ciel. la pluie (où le personnage de certains films d’arts martiaux Debbie Reynolds fait mine de (en particulier ceux de King Jean-François Buiré mépriser le cinéma, en tant Hu et de ) et aboutirait qu’art « mineur »), Tous en aux clips vidéo de Michael scène 2 (où un metteur en scène Jackson : l’appartenance du prétentieux manque ruiner un film de Robbins et Wise à cette musical en tentant d’adapter « famille cinématographique » Faust, et où il est dit qu’il ne est confirmée, s’il en est

2. The Bandwagon (1953), de Vincente Minnelli. C’est dans ce film qu’on entend la fameuse chanson That’s Entertainment.

3. Silk Stockings (1957), de Rouben Mamoulian, remake musical du Ninotchka de (1939). < LYCÉENS SOMMAIRE ET APPRENTIS 41 < AU CINÉMA 08/09

Documents « Un important témoignage sur l’art américain »

Avant de devenir écrivain, West Side Story sera américain, ma. (…). Mais la présence de François Weyergans (qui au moment où l’Amérique Robbins fait de ce film un réalisa en 1961 un film sur déserte le cinéma américain, important témoignage sur Maurice Béjart) fut critique comme l’Orphée de Béjart (…) l’art américain. Robbins n’est aux Cahiers du cinéma. Voici aurait été méditerranéen, pas le seul responsable, puis- deux extraits de textes qu’il c’est-à-dire en appuyant qu’on sent un travail d’équipe écrivit sur West Side Story, chaque mouvement sur une et la présence silencieuse de au moment de sa réalisation façon de sentir le monde, toutes sortes de gens intelli- puis lors de sa sortie en libre et ouverte. L’euphorie du gents, style Ben Shahn ou France : mouvement gouverne les « Robert Wise tourne actuel- danseurs dans les plus beaux Dave Brubeck, qui ont dû lement un film tiré de West moments de West Side Story, mettre les pieds sur le plateau Side Story et dont la mise en et on voit comment cette pendant le tournage, ou avant. scène sera cosignée par euphorie pourrait se ramasser C’est pourquoi il n’est pas du Jerome Robbins lui-même. dans le cadre cinématogra- tout interdit de penser, pendant Le film risque de décevoir : phique. Filmer la danse, une la projection, à Rothko, Tobey, Wise n’est pas Welles, et c’est danse qui préexiste au film, Pound, Calder (…). La choré- Welles qu’il aurait fallu. Voici ce n’est pas se poser des graphie de Robbins filmée par cependant pourquoi il devrait questions de découpage (…) lui-même avec un grand soin nous combler : sur l’argument, mais c’est chercher le point des couleurs, des raccords et où cette danse conciliera le qui est une sorte de portrait du rythme, fait confiance au de l’Amérique, sur la choré- temps dans lequel elle se fait mouvement même : c’est le graphie, et surtout sur la avec le cadre1 (…). » corps qui est premier, et le fusion de ces deux éléments, « West Side Story (le film) se qui n’intervenait pas assez présente un peu comme un cinéma nous a rarement montré souvent dans la comédie documentaire sur West Side une existence aussi physique musicale. Robbins est le plus Story (le spectacle). Ce qui des gestes2. » grand chorégraphe actuel était très bien sur scène Textes choisis par avec Maurice Béjart, aussi devient excellent à l’écran, ce Jean-François Buiré 1. Cahiers du cinéma, n°122, août 1961, p. 44. profondément américain que qui ennuyait sur scène ennuie

2. Cahiers du cinéma, n°132, juin 1962, pp. 38-39. celui-ci est méditerranéen. soixante-dix fois plus au ciné- < LYCÉENS SOMMAIRE ET APPRENTIS 42 < AU CINÉMA 08/09

Documents À voir - À lire - À écouter

À voir en DVD pp. 83-106 : ce texte propose une approche Dans l’« Edition Collector » deux disques très critique du film, le décrivant non pas de West Side Story (MGM), le documentaire comme humaniste, mais comme raciste et Souvenirs de West Side Story, qui rassemble colonialiste ! en 2003 les témoignages de personnes impli- quées dans la genèse du spectacle et du film. À écouter en CD Une large part de l’œuvre de Leonard - « Délinquance juvénile », années 1950 : Bernstein est éditée en CD dont, en ce qui La Fureur de vivre (Rebel Without a Cause, concerne plus particulièrement West Side 1955), de Nicholas Ray, avec Natalie Wood. Story, des versions instrumentale (Symphonic Graine de violence (Blackboard Jungle, Dances), ou bien opératique : ainsi celle dirigée 1955), de Richard Brooks. par Bernstein en 1985, avec Kiri Te Kanawa et - Le duo Bernstein/Robbins avant West Side Jose Carreras dans les rôles de Maria et Tony, Story : Un jour à New York (On the Town, intéressante à comparer aux partis pris 1949), de Gene Kelly et Stanley Donen. vocaux de la version cinématographique3, - Avant West Side Story, une comédie que l’on pourra écouter dans la bande musicale en format large et scope couleurs, musicale originale intégrale éditée en 2004. aux spectaculaires scènes de danse collective : Les Sept Femmes de Barberousse À consulter sur le Web (Seven Brides for Seven Brothers, 1954), de - http://www.westsidestory.com/ : The Official Stanley Donen, avec Russ Tamblyn. West Side Story Web Site, mine d’informations - Une comédie musicale française avec et de témoignages, surtout sur la genèse du George Chakiris, souvent inspirée de West spectacle de Broadway (site en anglais). Side Story : Les Demoiselles de Rochefort - http://www.leonardbernstein.com/ : (1967), de Jacques Demy. The Official Leonard Bernstein Web Site, pour - Un clip de Michael Jackson très inspiré de approfondir sa connaissance du compositeur Cool : Bad (1987, réalisé par Martin de West Side Story (site en anglais). Scorsese), in Michael Jackson Video - http://www.cinehig.clionautes.org/article.php3 Greatest Hits. ?id_article=188 : page du site Cinéhig intitulée À lire « Images et réalités du modèle américain - Rick Altman, La Comédie musicale dans West Side Story » qui propose hollywoodienne, Éditions Armand Colin, une analyse comparée des paroles d’America Paris, 1992. dans les versions scénique et filmique 3. Cf. texte « La plus grande partition de comédie musicale jamais portée à l’écran », par Benjamin Labé, (page en français). in rubrique « Mise en scène ». - Frances Negron-Muntaner, « Feeling Pretty : West Side Story and Puerto Rican Identity

Discourses », in Social Text, n°63, 2000, < LYCÉENS SOMMAIRE ET APPRENTIS 43 < AU CINÉMA 08/09