A L'ORÉE DE LA RÉ VOLUTION INDUSTRIELLE EN LORRAINE AU XIXE SIÈCLE : la métallurgie du Dorlon et de Buré-Ia-Forge près de Longuyon

A en juger par l'épanouissement de ses vallées industrielles et par la multiplication des puits de mines, la Lorraine a pleinement profité de la révolution industrielle du XlXe siècle. Les richesses en eau, en minerai de fer et en houille semblaient la prédisposer à une rapide mutation. Des chefs d'entreprises dynamiques, tels que les Wendel s'employèrent à valoriser ces atouts locaux et à précipiter la Lorraine dans la grande industrialisation. Rien ne semblait entra­ ver cette marche triomphante. Quelques années suffirent à s'adap­ ter à la nouvelle carte politique engendrée par le partage de 1871. La découverte du procédé Thomas-Gilchrist permettant d'utiliser pour la sidérurgie le minerai phosphoreux local (la minette) mar­ qua à partir de 1876 le point de départ de la grande expansion du pays du fer. Au regard de cette évolution générale, les installations métal­ lurgiques du Dorlon près de Longuyon présentent une double ori­ ginalité. Elles ont celle de l'ancienneté, puisque le haut fourneau du Dorlon, le premier construit dans le Pays-Haut, joue le rôle de pré­ curseur. Il s'agit par ailleurs d'un type de métallurgie complètement en perte de vitesse au XlXe siècle, restée fidèle au combustible végétaWl. Or, en dépit de la révolution industrielle fondée sur la fonte au coke et sur la sidérurgie, il réussit à vivre et battit même des records de longévité, puisqu'il ne s'éteignit définitivement qu'en 1885. Cette entreprise a donc dû composer avec la révolution industrielle pendant toute une partie du XlXe siècle.

* *

* Un petit vallon boisé, un minuscule ruisseau qui descend du plateau de Saint-Pancré, de belles forêts, à l'écart des grands axes de communication, tel apparaît encore aujourd'hui le site de cette métallurgie aux racines fort anciennes. C'est là, qu'en pleine cam­ pagne, entre deux de leurs granges, les moines d'Orval établirent en 1384 leur premier fourneau à fonte avec à côté une forgeC2l. Les cis-

1) Claude PRECHEUR, La Lorraine sidérurgique, Paris, 1959, p. 153 2) L'ingénieur des Mines évoque à plusieurs reprises les origines de la métallurgie du site de Buré-la-Forge avant d'autoriser des transformations. Archives départementales Moselle (ADM), 1 S 498 (Buré) et 1 S 499 (Dorlon).

185 terciens continuèrent de siècle en siècle leurs activités métallur­ giques en cet écart d'Allondrelle qu'ils baptisèrent Buré-la-Forge. Ils reçurent de Louis XlV, en 1691(3), l'autorisation de construire un haut fourneau à quelques centaines de mètres de là en un lieu qui s'appela d'abord Villancy, comme le ruisseau, puis Dorlon. Deux hommes s'affairaient en permanence pour procéder au charge­ ment, l'un avec ses brouettes de charbon de bois, l'autre avec ses brouettes de minerai. Le fourneau mesurait 9 mètres de hauteur pour 7,20 mètres de diamètre. Les gueuses pouvaient être tra­ vaillées sur place à Buré, mais elles partaient aussi en fuseaux de 800 ou 900 kilos vers Orval. La production d'armes paraissait rému­ nératrice. Cependant les moines éprouvaient du mal à se ravitailler en bois, ce qui les conduisit en 1704 à abandonner le site de Buré­ la-Forge. Le Dorlon continua de fumer tout au long du XVIIIe siècle. Il occupait cinq ouvriers et un frère qui avait en outre la charge de tenir la ferme des moines. Ainsi donc, lorsque les moines furent dépossédés de leurs biens au moment de la Révolution, il ne restait que le fourneau du Dorlon qui fut proposé aux enchères comme bien national avec les terres proches le 11 floréal an VI. Tr ois acquéreurs se le partagèrent pour la somme de 1 600 000 francs, qui semble bien inférieure à la valeur réelle de ces biens. Il s'agissait de Jean-François Tr otyanne (père) (1737-1812), un avocat originaire de la région d'Audun-le­ Tiche (Tressange). L'acquisition d'un tel bien par une famille d'avo­ cats n'a rien d'extraordinaire. Les Trotyanne entretenaient déjà quelques liens avec la métallurgie puisque l'un des leurs (Jacques) administrait les forges d'Ottange vers 1760 et il en acquit d'autres en 1799 à Hombourg en s'alliant avec la famille d'Hausen. Jean­ François Trotyanne figurait parmi les députés du tiers état à l'as­ semblée provinciale des Tr ois Evêchés réunie en 1787. Il eut ensuite à souffrir quelques temps de sa fidélité à la monarchie avant de se rallier à Bonaparte et de devenir membre du conseil des Anciens et conseiller général. Son fils François-Marie était le second acqué­ reur et le troisième fut Elisabeth Klopstaine, une habitante de Yutz. La veuve Tr otyanne, née Françoise Julie Daubrée, s'employa à par­ tir de 1812 à mettre en exploitation les installations du Dorlon dont elle finit par devenir seule propriétaire. Elle racheta l'ensemble des parts et acquit en particulier celle de son beau-frère Joseph-Hippo­ lyte Tr otyanne à la suite du décès de celui-ci en 1836. Comme ses fils Jean-François né en 1797 et Joseph-Constant né en 1805 lui ont succédé, on peut associer les noms de Dorlon et de Trotyanne au XIXe siècle et ranger cette famille parmi les maîtres de forge du XIXe siècle.

3) Les travaux avaient débuté en 1682.

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Ancienne crassière

Halle à charbon

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1827(5) pour lui suggérer des « modifications » au projet de la veuve Trotyanne. Il avait déjà alerté l'ingénieur des Ponts et Chaussées le 23 avril 1825 en déplorant «le tort irréparable, écrivait-il, que le nouvel établissement ferait à ma fenderie de Vezin dont les forges de Lopigneux et de Longuyon ne peuvent se passer ». Et il aj ou­ tait : « Il en résulterait beaucoup d'inconvénients pour le service des commandes qui me sont faites par le gouverneur. D'Hoffelize

4) ADM, 1 S 505 , 23 septembre 1824. 5) ADM, 1 S 496.

188 ne manquait pas de rappeler qu'il fournissait des armes blanches et des fusils à la monarchie. Cette affaire montre qu'il n'existait alors aucune solidarité entre entrepreneurs voisins, et que la défiance l'emportait. Mais la veuve Trotyanne bénéficia régulièrement de l'appui du sous-préfet de Briey et des ingénieurs des Ponts et Chaussées et des Mines, ce qui explique qu'elle finit par l'emporter, mais avec quel retard ! Outre les ennuis avec son voisin M. d'Hoffelize, elle avait quel­ ques hésitations sur les choix techniques à opérer. Elle s'orienta vers les techniques anglaises les plus modernes, qui présentaient l'avantage de réduire le temps de décarburation de la fonte et de traiter des masses de métal plus considérables. Mais curieusement la solution des fours à réverbères pour lesquels elle avait reçu les autorisations, ne sembla pas la satisfaire. Ils s'adaptaient à des quantités bien plus importantes que celles qu'elle était en mesure de travailler. Très vite, elle partit vers la construction d'un feu d'at­ finerie. Le 4 mars 1830 une ordonnance royale autorisait la veuve Tr otyanne à installer à Buré une usine à feu composée de deux fourneaux à puddler et d'un feu de chaufferie, immédiatement transformé en feu d'affinerieC6J. Le brassage selon les techniques anglaises ne valorisait pas suffisamment les fontes de très haute qualité du Dorlon et donc, la veuve Trotyanne se tournait vers une solution mieux adaptée. En 1833, elle envisagea l'édification d'un second feu d'affinerie et dispersa 80 exemplaires d'une affiche qui décrivait son projet. Ces feux d'affinerie étaient bien plus répandus en Lorraine que les fours à puddler. La gueuse, d'abord exposée à une flamme très vive à l'air, était cinglée avec un marteau, mais cette technique ne s'adaptait qu'à de petites quantités. En choisis­ sant le feu d'affinerie, la veuve Tr otyanne marquait sa volonté de produire une fonte de qualité. Poursuivant sur sa lancée, la veuve Tr otyanne conçut un autre projet d'envergure. Il consistait à rendre ses installations plus fonc­ tionnelles. Elle comptait transférer la scierie établie à Buré-la­

Forge en un point situé à 65 rn en aval le long du même cours d'eau et placer près de la scierieC7l le bocard à crasse qui se trouvait contre le haut fourneau du Dorlon. Ces « déménagements » visaient à mieux utiliser l'arbre de transmission du mouvement. Ensuite, elle désirait développer sa forge avec non plus un mais deux feux d'affinerie avec un marteau. Et, autre innovation, essentielle, en 1839, un nouveau haut fourneau devait être édifié à Buré sur le ban d'Allondrelle, destiné à relayer l'ancien dont il reprendrait

6) ADM, 1 S 496. 7) ADM, 1 S 505, avril 1829, date d'autorisation de la construction de la scierie à 70 rn de la forêt royale de Buré.

189 d'ailleurs le nom. La veuve Trotyanne s'engageait dès lors à ne plus activer l'ancien haut fourneau du Darlan. Parallèlement, en 1837, les feux d'affinerie avaient été couverts(Sl, ce qui assurait une nou­ velle économie d'énergie. Ainsi, un haut fourneau nouveau vit le jour qui porte encore la date de 1838(9)_ Pour mieux contrôler l'en­ treprise, la famille Tr otyanne avait quitté Longwy pour venir rési­ der à Buré dans une solide maison dont la dimension des fenêtres constitue la seule marque d'opulence. Un petit jardin la séparait des bâtiments industriels. Des halles, d'une cinquantaine de mètres de longueur jouxtaient le haut fourneau et on voit encore des traces de quelques habitations d'ouvriers. Les temps paraissaient fastes. L'ordonnance royale du 2 mars 1844 donne la consistance autorisée des installations de Buré-la-Forge : un haut fourneau, deux forges d'affinerie au charbon de bois, un marteau destiné à remplacer les deux fours à puddler et le foyer de chaufferie, un bocard pour le bocardage des crasses et des laitiers et une scierie(lO)_

Production et consommation du Dorlon et de Buré-la-Forge en 1847(11) hauts fo urneaux consommation de production de fonte en tonnes charbon de bois fonte de fonte fonte forte en milliers de litres moulages métissée vieux Dorlon 5 020 10,2 603,7 331,3 site de Buré 4 017 71,1 699,9 Total 9 037 - 1 716,2 t de fonte fo rges de Buré consommation production de fer fort de à fendre et à laminer charbon en kilolitres fonte forte en kg en kilogrammes 1263 294 980 225 918 ventes fonte fer fort à fendre et à laminer en tonnes en tonnes 1 421,2 225,9

8) Il faut se méfier des autorisations légales, elles ne marquent pas toujours le point de départ d'une nouvelle transformation mais correspondent aussi à la légalisation de cons­ truction existante. C'est le cas pour un feu d'affinerie en 1837 qui n'avait pas d'autorisation. 9) ADM, 1 S 505, l'ordonnance royale du 5 décembre 1843 entérina le transfert du haut fourneau du vieux Dorlon sur le site de Buré. 10) ADM, 1 S 496. L'affiche imprimée à Metz, signée par l'ingénieur ordinaire des mines du département de la Moselle, qui annonce la demande de déménagement du Dorlon porte la date du 12 mars 1838 (ADM, 1 S 518). 11) Tableau établi à partir de statistiques, ADM 1 S 517.

190 Le haut fourneau du Dorlon : état actuel (printemps 1996).

L'ancien haut fourneau n'avait pas été démoli. Profitant d'une conjoncture favorable à la production de fonte, la veuve Trotyanne envisagea en novembre 1846 de remettre en activité l'ancien Dorlon sis sur le ban de Longuyon. L'ordonnance royale du 23 octobre 1848 l'autorisa à procéder à cette réouverture, mais à condition de n'opérer aucune transformation, de tout laisser en l'état actuel. Les deux « Dorlon » se mirent à couler de la fonte, et ce, en dépit de la crise de 1848. En 1853, le vieux Dorlon fit tout de même l'obj et de restauration mais presque aussitôt après, il fut effectivement mis hors feu une première fois en 1860. L'usine de

191 Buré entrait alors dans une période difficile. Malgré tout, les fils de la veuve Trotyanne, devenus maîtres des forges, apportèrent des améliorations. Ils firent preuve de dynamisme, lorsqu'en 1859 ils sollicitèrent l'autorisation du préfet d'établir deux chaudières et deux machines à vapeur dans les usines de Buré-la-Forge. C'est ainsi que furent installées deux machines à vapeur de 12 chevaux chacune pour servir aux machines soufflantes et au marteau pilon<12l.

Ouverture à la base du haut fourneau du Dorlon.

12) Archives départementales Meurthe-et-Moselle (ADMM), 9 M 29 Arrêté préfectoral sur 1er avril 1859.

192 L'entreprise Tr otyanne traversa au début du Second Empire la période la plus brillante de son histoire. Mais à partir de 1858 se firent sentir les premiers effets d'une crise très profonde antérieure à l'établissement du libre-échange. Le vieux Dorlon connut alors une alternance de périodes d'activité et de repos. La crise, trop forte, finit par avoir raison de lui et il s'éteignit, durablement cette fois, en juin 1866. Un feu d'affinerie avait déjà été supprimé le 1er avril 1864(13). En 1867, l'ingénieur des mines mentionne dans son rapport annuel que les quatre machines hydrauliques étaient inac­ tives, que les deux machines à vapeur fonctionnaient faiblement puisque l'usine était hors feu. A côté, l'usine du comte d'Hoffelize à Longuyon était carrément démolie.

Consommation et produits des usines du Dorlon - Buré-la-Forge en 1863(14) Haut fourneau Forge Consommation Production Consommation Production charbon de bois : fonte forte et charbon de bois : fer à laminer 57 660 hectolitres métissée : 20 000 hectolitres et marchand : minerai de fer : 1 049 800 kg fonte forte : 283 900 kg 3 056 tonnes 380 000 kg

Le partage politique de 1871 prolongea de quelques années la survie du site de Buré acheté par une famille d'industriels arden­ nais, Friquet et fils. Le nouveau Dorlon put encore fumer jusqu'en 1885, alimentant la petit métallurgie ardennaise. Comparée à l'in­ dustrie dite «moderne » et qui se mit en place à la fin du xrxe siècle, ce type de métallurgie risquait de passer pour secondaire avec ses « minuscules hauts fourneaux »(15). Vers 1840, l'usine tour­ nait avec une vingtaine d'ouvriers sans compter les mineurs, les voi­ turiers et les charbonniers. Elle en employait une trentaine en 1844. On produisait une ou deux gueuses par jour. Les ouvriers tra­ vaillaient 12 heures par jour pour un salaire de 1 à 3 francs. En 1839, le foyer d'affinerie et le marteau de Buré mobilisèrent 12 ouvriers pendant 290 jours tandis que le Dorlon en employa 9 durant 270 jours auxquels s'ajoutèrent 50 jours au bocard. Gardons-nous d'un propos sans nuance et signalons la présence de plus de 200 ouvriers dans la période faste. A la cinquantaine d'hommes qui s'affairaient au début du Second Empire dans les installations proprement dites

13) ADM, 1 S 521, cette suppression est annoncée pour 1864 dans la statistique de consom­ mation et de productions de l'usine de Buré-la-Forge de l'année 1863. 14) ADM, 1 S 521. 15) Georges HOTIENGER, L'ancienne industrie du fer... , p. 189.

193 de Buré et du Dorlon s'ajoutaient 160 mineurs, charbonniers et voi­ turiers. Mais, au lieu de continuer leur progression, ces effectifs commencèrent à fondre à partir de 1860 pour finalement se stabili­ ser vers 1865 à une vingtaine d'ouvriers sur place et une cinquan­ taine plus dispersés. Les Friquet tentèrent pendant quelques années encore après 1870 de ne pas tomber plus bas.

La situation industrielle de la forge et des hauts fourneaux de Buré-la-Forge et du Dorlon(16)

Rapports Les installations : Nombre d'ouvriers Commentaire trimestriels 2 hauts fourneaux auxquels s'ajoutent 2 feux d'affinerie 160 mineurs, 3 bocards charbonniers, année trimestre voituriers

1858 4< 51 ouvriers On remarque un ralentissement dans la vente des fers 1860 1er 13 seulement. Cette Le haut fourneau usine occupait de Buré est hors feu encore 40 à 50 pour réparations ouvriers il y a peu Un seul feu d'affi- nerie est encore allumé La vente est presque nulle 2< 29 Fabrication régulière Vente nulle 3< 23 4< 24 1861 1er un seul haut 31 Le Dorlon est éteint fourneau On maintient diffici- lement la production 2e 9 3e un seul haut 11 Les produits s'écou- fourneau lent difficilement 4e un seul établissement 26 La vente est lente

Tout au long de son histoire, le Dorlon est resté tributaire des ressources venant d'un environnement proche. L'essentiel de son ravitaillement en minerai de fer fort provenait au début du XJXe siècle des minières de Saint-Pancré. L'arrêté du 15 pluviôse an XI

16) Tableau établi à partir des rapports trimestriels du sous-préfet de Briey sur la situation industrielle de l'arrondissement. Briey, le 11 janvier 1859 ; Briey, le 28 avril 1860 ; Briey, le 18 juillet 1860 ; Briey, le 2 janvier 1861 ; Briey, le 2 janvier 1862 ... ADM, 262 M2.

194 qui autorisait l'exploitation du site de Saint-Pancré prévoyait que ces minières devaient expédier chaque année 1 500 voitures à Lon­ guyon, 1 500 voitures à Lopigneux, 1 500 voitures au Darion, 1 500 voitures au ministère de la guerre sans parler des 2 300 voitures en partance vers Stenay et l'étranger. Le préfet de la Moselle, Colchen, soulignait au début du xrxe siècle la haute qualité du minerai de Saint-Pancré, limoneux, qui se présentait sous forme de rognons. Il exigeait un lavage minutieux, opéré sur place, avant l'achemine­ ment en voitures à chevaux. La famille Trotyanne conclut égale­ ment des accords pour se procurer du minerai de Cosnes, Gorcy, Ville-Houdlemont et Coulmy. Elle s'engageait à avoir de la régula­ rité dans ses achats et elle achetait ce minerai à un taux tout à fait honnête - 0,12 F le myriagramme. Les forges de Longuyon se ravi­ taillaient alors à 0,14 F le myriagramme et celles de Mouterhouse à 0,23 F. Mais dans une perspective d'expansion il fallut chercher au cours du xrxe siècle d'autres sources d'approvisionnement pour une consommation portée à partir de 1833 à plus de 2 500 tonnes. Des marchés furent conclus à Cussigny, Romain, Allondrelle et la Malmaison, Coulm y, Vezin, Aumetz et Audun-le-Tiche. Bref, il importait de se servir en minerai dans des terrains qui n'avaient pas été concédés aux forges d'Ottange, d'Herserange, d'Hayange, de Moyeuvre et de Villerupt. Cette jeune industrie s'était trop long­ temps contentée de ses approvisionnements traditionnels, sans se lancer dans la bataille des concessions. Elle se trouvait quelque peu paralysée au moment où elle souhaitait à son tour s'étendre. En 1842, elle chercha à se procurer du minerai dans la Meuse (Mangiennes) mais ces minières n'étaient pas très abondantes ... Pouvoir se ravi­ tailler devint une obsession, or les avantages acquis étaient en train de s'effriter. Les mines de Saint-Pancré s'épuisaient rapidement, ce qui se traduisait par une augmentation du coût du prix de revient de la tonne de minerai de fer fort. Il fallait manipuler de plus en plus de terre pour se procurer une tonne de minerai à laver minu­ tieusement.

Prix de revient du minerai(17) 1825-1830 1840-1845

venant de Saint-Pancré 25,25 F 32 F venant de Vezin 17 F 17,25 F

La situation ne fit qu'empirer. Cette difficulté à se ravitailler en minerai et aussi en castine (pierre) eut pour corollaire des prix élevés, qui condamnèrent les Trotyanne à se ravitailler au prix fort<1Sl.

17) Tableau établi à partir de statistiques, ADM, 1 S 519. 1 8) En 1834, le quintal de fonte produit revenait à 750 F à Hayange et à 820 Fau Dorion.

195 Prix comparés du quintal métrique en 1847(19)

au Dorlon à Hayange minerai 1,60 F 0,80 F castine 1,20 F 0,20 F

Les Tr otyanne n'avaient pourtant pas été imprévoyants(2Dl. Ils avaient cherché à diversifier leur ravitaillement en minerai, bien avant 1865, date de fermeture définitive des minières de Saint­ Pancré. Ils ne dédaignaient pas totalement le minerai oolithique puisque - utilisé comme fondant à la proportion de 1/10e - celui-ci améliorait la qualité du fer fort. D'autre part le fer métissé prove­ nant d'un mélange de minerais semblait ouvrir de nouvelles pers­ pectives. Et le nom de Trotyanne figure sur la liste des dix entrepre­ neurs qui, en 1850, sollicitèrent de l'Administration l'autorisation d'exploiter le minerai à Audun-le-Tiche et à Aumetz. L'entreprise de Buré se trouva en 1852 intégrée dans une association qui regrou­ pait les sites d'Hayange, de Moyeuvre, de Gorcy, d'Audun-le-Tiche, de Villerupt, de Creutzwald ..., et qui était destinée à assurer un ravitaillement régulier depuis Aumetz.

Origine du minerai de fer utilisé au Dorlon-Buré-La-Forge(21)

Année 1863 En tonnes Saint-Pancré et Ruette 1682 (55%) Bochholz et Butte 257 (8,4%) Aumetz et Audun-le-Tiche 643 (21 %) Athus et Guerlange (Belgique) 214 (7%) Co ulmy 260 (8,5%) TOTAL 3056

Le minerai de Vezin avait longtemps servi de fondant au mine­ rai de Saint-Pancré extrêmement fort. L'excellente réputation dont jouissait la métallurgie du Dorlon et de Longuyon s'expliquait en particulier, croyait-on, par la qualité de ce minerai de Saint-Pancré exploité à ciel ouvert et par tranchées. Un dernier sursaut suivit la guerre de 1870. Les installations industrielles d'Allondrelle reçu­ rent pendant quelques années un véritable coup de fouet. Le haut fourneau du Dorlon avait été remis à feu. Une cinquantaine d'ou­ vriers avaient de quoi s'affairer à Buré-la-Forge et au Dorlon durant

19) Tableau établi à partir de statistiques, ADM, 1 S 517. 20) Rappelons que le gouvernement ne délivrait d'autorisation d'ouverture ou de trans­ formation de hauts fourneaux que dans la mesure où leurs propriétaires disposaient de concessions minières. 21) Tableau établi à partir des statistiques, ADM, 1 S 521.

196 le deuxième trimestre 1872(22), dans ces sites que la frontière venait de séparer de la Moselle. Ils jouissaient d'un énorme avantage, celui de ne pas se trouver directement confrontés à des problèmes de commercialisation puisque la totalité de leurs produits partaient vers les usines Friquet de Blagny (Ardennes) qui avaient les mêmes propriétaires ardennais. Les Friquet père et fils produisaient en Lorraine la fonte qu'ils transformaient en tôle dans les Ardennes et en 1874 ils participèrent à l'alliance des producteurs de fonte. Pourtant les horizons s'assombrirent très vite, faute d'écoule­ ment suffisant. Les salaires des ouvriers qui oscillaient au quatriè­ me trimestre de 1872 entre 2,50 F et 4,50 F par jour tombèrent au deuxième trimestre de l'année suivante à 1,75 F. Ils remontèrent pour se stabiliser à 3 F et 4 F par jour à partir du début 1874(23), mais dans l'entretemps le Dorlon avait été éteint. Ne restaient alors à Buré-la-Forge qu'un haut fourneau et deux fours à puddler avec une quinzaine d'ouvriers au fourneau et une vingtaine aux fours. La qualité de la fabrication restait très bonne mais les Ardennes ne parvenaient plus à écouler leurs productions, trop chères. L'agonie s'étala sur une dizaine d'années. Les difficultés se multiplièrent, y compris au plan du ravitaillement en matière première. Le 26 août 1882(24), la société des maîtres des forges associés pour l'exploita­ tion du minerai d'Aumetz se dispersa. Pour le Dorlon et Buré son­ nait alors le glas. L'entreprise n'avait pas les moyens de prendre des parts dans les nouvelles concessions qui s'ouvraient dans le bassin de Longwy. Dès lors, il ne restait plus qu'à tout fermer. .. La fonte au coke avait définitivement gagné et Buré cessa toute activité en 1885. Le Dorlon s'était accroché à la technique du charbon de bois jusqu'au bout. Mais dans un premier temps ce choix n'avait pas signifié archaïsme. Longtemps, fontes au bois et au coke n'avaient pas semblé être vouées à un destin commun. Faire fonctionner un haut fourneau au bois au temps de la Monarchie de Juillet ne passait pas en soi pour un signe d'archaïsme : en 1842 le département de la Moselle comp­ tait 21 fourneaux au bois pour 5 au coke. Mais une inquiétude pla­ nait toujours dans les campagnes du Pays Haut depuis le XVIIIe siècle, celle de connaître une pénurie de bois. Les ingénieurs des Mines s'évertuaient à limiter l'usage du bois local, du moins jus-

22) ADMM, 9 M 11 rapport du 14 septembre 1872 sur la situation industrielle du deuxiè­ me trimestre 1872. 23) ADMM, 9 M 11 rapports trimestriels pour la statistique industrielle sur l'état des éta­ blissements industriels. 24) François de Wendel, Labbé de Gorcy, Boutmy père et fils de Carignan, et les sociétés d'Ars-sur-Moselle et de Villerupt.

197 qu'en 1848. Le comte d'Hoffelize n'avait pas manqué d'utiliser cet argument pour s'opposer à l'extension du Dorlon, puisque la consommation de bois allait s'accroître, le coût du stère aussi par raréfaction. La veuve Tr otyanne fut obligée de rassurer les popula­ tions et de garantir qu'elle ne chercherait pas à s'emparer des affouages. A chaque transformation, elle décrit dans les rapports ses modes d'approvisionnement en bois. Le haut fourneau du Dorlon consommait 15 000 à 16 000 stères de bois par an en provenance des arrondissements de Briey et de Montmédy (Meuse). Elle avait pris la précaution d'acheter des forêts. Elle cherchait aussi à réduire les consommations de combustible, par exemple en faisant insuffler de l'air chaud dans le haut fourneau à partir de 1833, ce qui aug­ mentait son rendement. Buré se situe près de la frontière et donc il est aisé de se procurer du bois à l'étranger. Mais le prix de revient de la fonte au coke continuait de baisser au moment où celui de la fonte au bois continuait de grimper à cause du coût du combustible. En 1848, le quintal de fonte de bois revenait à 14 F et celui de fonte au coke belge, à 9,50 F. Mais la consommation dépassait les prévi­ sions à cause du bois blanc utilisé, de mauvaise qualité. Cette situation n'émut pas immédiatement les maîtres de forges. Ils étaient persuadés que leurs productions étaient de qualité supé­ rieure, ce qui justifiait la différence de coût. Mais en 1847-1848 les prix de vente s'effondrèrent(25). Le choc fut d'autant plus violent que le prix du bois restait élevé et que les industriels pour se garan­ tir la consommation en avaient stocké une grande quantité, acquise au prix fort. Cette situation critique éclata au grand jour en 1848. Pour la première fois, les maîtres des forges des arrondissements de Briey et de Thionville eurent l'idée de travailler de concert au lieu de se méfier les uns des autr.es. Jean-François Tr otyanne (fils) par­ ticipa à la réunion organisée à Metz, le 30 août 1848, pour déceler les causes du malaise. Le prix de vente de la fonte au fer était tombé de 220/250 Fla tonne en 1840 à 140/145 Fen 1848. Il fallait 260 kg de minette pour une tonne, ce qui faisait 74,00 F avec les frais. Res­ taient 66 F pour le charbon, or il en fallait 1 200 kg ... Tr otyanne prit la parole pour réclamer l'établissement de droits de douane. Il fut entendu, ce qui ménagea un répit jusqu'au traité de libre-échange de 1860(26). La solution aurait consisté à abandonner au plus vite 1e com­ bustible végétal au profit du combustible minéral. Mais il restait persuadé que les deux modes de production ne se valaient pas. D'ailleurs on continuait à Hayange de mélanger de la fonte au bois

25) ADM, 1 S 516. 26) Le prix de la tonne de fonte passa de 93 Fen 1859 à 63 Fen 1866.

198 à la fonte au coke pour lui donner de la qualité ... Un changement d'orientation devint ensuite impossible : lancés dans la fabrication de l'acier, les « grands » comme de Wendel avaient acquis des conces­ sions de mines de charbon qu'ils défendaient jalousement. Les nou­ velles découvertes de mines de fer s'opérèrent un peu plus loin vers Longwy, et non sous leurs terres. La nouvelle ligne de chemin de fer Charleville-Longwy réalisée en 1863 ignorait totalement la vallée du Dorlon. Les Tr otyanne s'étaient certes hissés au rang de nota­ bles locaux. Jean-François Tr otyanne devint conseiller d'arrondis­ sement sous le Second Empire, tout en renouvelant régulièrement son mandat de maire d'Allondrelle. Mais ils ne jouirent pas de solides appuis politiques au plan national. Pas de député dans la famille, comparable à François de Wendel, pour défendre leurs intérêts. Aussi la voie ferrée construite à Longwy ne leur profita-t­ elle pas et accentua leur situation d'isolement. Le mariage de Marie-Laure Tr otyanne avec Gabriel Daubrée (1814-1894) ingé­ nieur des Mines ne sembla pas avoir d'incidence sur la vie de l'en­ treprise. Il est vrai que celui-ci préféra faire carrière honorable en devenant président de l'Académie des Sciences, à Paris ...

Le Dorlon souffrit d'un autre handicap, celui du manque d'eau. Toute installation métallurgique nécessitait une force hydraulique. Or le ruisseau était bien maigre. L'étiage d'été empêchait les roues de tourner et le chômage saisonnier lié à la rareté de l'eau était fait coutumier. Le comte d'Hoffelize était très inquiet en 1824 : la forge de Buré allait priver d'eau son étang situé juste à côté. Il prétendait avoir un droit de propriété sur l'eau qu'il justifiait par l'ancienneté de ses pratiques. L'idée de construction d'une retenue d'eau irritait d'Hoffelize installé en aval qui rappelait que ses fours à réverbères étaient très longs à chauffer. Quelques années plus tard, l'ingénieur ordinaire des Mines écrivit quelques commentaires en marge de son état statistique pour l'année 1837. Il expliquait notamment pourquoi la veuve Tr otyanné prenait idée de « déménager » le haut fourneau du Dorlon à Buré. «La position de ce haut fourneau était très mauvaise quoique la chute du ruisseau de Villancy fût en cet endroit assez considérable, la faiblesse du cours d'eau était telle que la production de ce haut fourneau était peu considérable et la consommation en combustible assez forte. Ce haut fourneau va être transporté à la forge de Buré »(27). La situation à Buré n'était guère plus brillante, mais le ruisseau de Villancy y prenait un peu plus de vigueur ayant reçu dans l'intervalle l'Allondrelle. Le premier Dorlon n'avait jamais eu d'étang, tandis que la veuve Tr otyanne reçut le droit d'établir une digue à Buré qui constituait une petite

27) ADM, 1 S 518.

199 retenue d'eau, encore visible dans le paysage actuellement. Mais le niveau des eaux était très surveillé : il ne devait pas dépasser 1,59 rn au-dessous de la halle du haut fourneau. Le site s'avérait être natu­ rellement défavorable ... ce qui explique peut-être que les Trotyanne n'aient pas cherché à franchir le pas et aller vers la fonte au coke, ils se savaient limités en eau. Ainsi donc pour des raisons géographiques, le site industriel de Buré-la-Forge/le Darlan était-il voué à la modestie. On ne faisait guère que 3 à 4 coulées par 48 heures.

Le ruisseau à côté du Dorlon (printemps 1996).

200 Les ouvriers de Buré-Ia-Forge en 1865(28) (sans les bûcherons et les voituriers)

2 fondeurs 3 casseurs de minerai 2 chargeurs 8 manœuvres 1 argueur, qui étire le fer 3 domestiques 1 bocardier TOTAL : 20

Le site de Buré resta spécialisé dans la production de fonte. le haut fourneau alimenté par du fer fort produisit de la fonte forte de bocage et de la fonte brute très forte. Les Trotyanne ne s'aventurè­ rent pas vers la métallurgie de transformation pourtant adaptée à leurs faibles productions. Les trois débouchés du Dodon et de nou­ veau Dodon varièrent peu.

La production de Buré en 1863(29) Production de gueuse au haut fourneau du Dorlon Haut fourneau Forge fonte forte et Fer à laminer et 1806 1827 métissée fer marchand 250 000 kg 600 000 kg 1 049 800 kg 283 900 kg

Une partie de la fonte était traitée par le martinet de Buré pour lequel elle constituait le seul mode d'approvisionnement et le fer marchand pouvait se vendre aux arsenaux puis aux sociétés de chemin de fer. Une autre partie allait vers d'autres sites de Moselle, Hayange en particulier. Cette reine de la révolution industrielle avait recours au Dodon pour faire des mélanges de fontes. Le cir­ cuit ardennais existait également : ce fer fort de grande qualité ser­ vait aux produits moulés ardennais et ce débouché fut celui qui se maintint le plus longtemps, même après le triomphe de la fonte au coke. Le prix de la tonne de fonte n'avait fait que chuter entre 1859 et 1866, tombant de 93 F en 1859 à 63 F en 1866. Or les frais enga­ gés à Buré étaient incompressibles et les nuances entre qualités de fonte de moins en moins reconnues. Les grandes entreprises, spé­ cialisées dans la production de masse étaient en train de conquérir l'ensemble des marchés au lieu de se cantonner à certains. Aussi la production de Buré chuta-t-elle brutalement après 1860.

28) ADM, 1 S 521. 29) Fonte forte : à base de minerai alluvionnaire très riche. Fonte métissée : mélange de fonte forte et de fonte obtenue à partir de minette.

201 La production de fonte forte et métissée(30) de Buré-la-Forge

année 1865 1866 1867 1868 tonnes 1162 483 0 0 (mise hors feu du haut fourneau le 7 juin 1866)

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L'aventure du Dorlon au XIXe siècle prouve que l'industriali­ sation s'est opérée par touches successives. Les Trotyanne ont édi­ fié un véritable complexe industriel fonctionnel et mécanisé. Il par­ ticipe à un type de métallurgie dûment représenté en Moselle : le département ne comptait en 1842 que 5 hauts fourneaux au coke pour 21 brûlant du bois. Le site de Buré-la-Forge occupe sous le Second Empire une place tout à fait honorable dans les paysages industriels de Moselle. Il pouvait même se glorifier en 1866 d'être, parmi tous les centres de production de fonte au bois de ce dépar­ tement(31) celui qui avait les meilleurs rendements. Faut-il rappeler qu'en 1866 un site comme Hayange figurait encore sur la liste des usines travaillant de la fonte au bois ? Il réussit à traverser toute une série de crises, en particulier celle de 1847-1848(32) qui vit les prix de vente s'effondrer et celle qui suivit en 1860, née de la concurrence des produits étrangers après l'établissement du libre-échange. Le fer fort disparaissait par épui­ sement et pourtant la fermeture définitive des minières de Saint­ Pancré ne sonna pas encore le glas du Dorlon. La sidérurgie lorraine, née de la révolution industrielle, n'est pas ici fille de l'ancienne métallurgie à laquelle appartient Buré. Les cheminements ont été différents au cours du XIXe siècle. Les quantités traitées n'avaient plus rien de comparable à la fin du Second Empire entre ces deux métallurgies. La production annuelle de fonte de bois du Dorlon était de 1 162 tonnes en 1865 et la même année celle de fonte de coke au Prieuré près de Longwy, de 11 000 tonnes projetées. Mais longtemps la fonte au coke eut besoin de la fonte au bois pour affirmer sa qualité. Le basculement irrémédiable en faveur de la fonte au coke s'opéra tard. Les industriels de Buré-la-Forge, en

30) Tableau établi à partir des statistiques, ADM, 1 S 521. 31) 45 hauts fourneaux fumaient en Moselle en 1845. 32) Les hauts fourneaux éteints dans le département des Vosges ne furent eux jamais ral­ lumés.

202 outre, n'eurent pas la chance de découvrir dans le sol de leurs forêts du minerai oolithique à l'heure où le minerai de fer alluvionnaire tarissait. Les fils Tr otyanne étaient déjà âgés lorsqu'ils prirent en main l'entreprise. A quelques kilomètres de chez eux était en train de naître une nouvelle génération de maîtres des forges, tels le baron O. d'Adelsward à Longwy qui pouvait déclarer à l'Expo­ sition Universelle de 1867 : « Il y aura trois ans seulement au mois de juillet prochain, je débutais dans l'industrie »(33). Ces nouveaux maîtres des forges, ouverts à la spéculation et au capitalisme tournaient le dos au monde rural et ce même proprié­ taire des hauts fourneaux du Prieuré à Longwy pouvait proclamer non sans fierté : «J'ai pris pour type de mes usines les premiers établissements de Cleveland »(34). Les Tr otyanne, eux, ne s'étaient jamais vraiment enrichis et les revenus annuels de Jean-François Tr otyanne ont stagné à 15 000 F durant toute la période 1840- 1860(35). « La ligne rouge des hauts fourneaux »(36) du Pays Haut ne pas­ sait pas par la vallée du Dorlon ... Les ruines d'un haut fourneau de pierre, aujourd'hui enfouies sous des monceaux de feuilles, ont été classées monument historique en 1982. Laurette MICHAUX

Sources et bibliographie Archives départementales de la Meurthe-et-Moselle (ADMM) : série M: Administration générale et économie : 9 M 1, situation du départe­ ment de la Meurthe, 1869-1875 ; 9 M 12 à 9 M 15, situation industrielle du département de Meurthe-et-Moselle, 1876-1883. Archives départementales de la Moselle (ADM) : série M : administration générale et économie : 48 M 3 ; 262 M 2 à 262 M 5 séries S : travaux publics et transports : 1 S 496, 1 S 505, 1 S 506, 1 S 516, 1 S 517, 1 S 518, 1 S 519, 1 S 521 ; Statistiques des forges ; Statistiques des mines et usines de l'an IX à 1870. BAUDIN (François), Histoire économique et sociale de la Lorraine, Nancy, P.U.N., Metz, Editions Serpenoise, 1992, 3 vol. BOUR (René) (sous la dir. de), Encyclopédie illustrée de la Lorraine. Histoire des Sciences et Techniques. L'ép opée industrielle, Nancy, P.U.N., Metz, Editions Serpenoise, 1995.

33) ADM, 1 S 506. 34) ADM, 1 S 506. 35) Jean-Marie MOINE rappelle que la succession de Charles de Wendel en 1870 dépas­ sait 2,2 millions de marks, dans Les barons du fer, p. 286. 36) Serge BONNET et R. HUMBERT, La ligne rouge des hauts fo urneaux, Paris, 1987.

203 HOTIENGER (Georges), Les anciennes mtmeres de fe r fo rt, Saint­ Pancré et Aumetz, Bulletin de la société industrielle de l'Est, Nancy, Berger­ Levrault, 1923, no 167 et 168, 37 p. HOTIENGER (Georges), L'ancienne industrie du fe r en Lorraine, Paris­ Nancy, Berger-Levrault, s.d. [] MANGIN (Pierre), Histoire du pays de Briey, S. O.S. Pays-Haut, Verdun, 1985. JACOPS (Marie-), Images du patrimoine, Le pays de Longwy, Metz, Editions Serpenoise, 1991. MOINE (Jean-Marie), Les barons du fe r; les maîtresde fo rges en Lorraine du milieu du siècle aux années trente. Histoire sociale d'un patronat fran­ XJXe çais, Metz, Editions Serpenoise, 1989. PRECHE UR (Claude), La Lorraine sidérurgique, Paris, S.A.B.R.I., 1959.

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