Michel Butor Banlieues A 80 ans, l’auteur de « La Modification » Il y a cinq mois, les banlieues de certaines publie les premiers tomes de ses Œuvres villes françaises s’enflammaient. Plusieurs complètes. Improvisation autour de ouvrages tentent de mettre au jour quelques mots qu’il aime. Rencontre. Page 12. les « processus émeutiers ». Dossier. Pages 6 et 7. 0123

DesLivresVendredi 14 avril 2006 Littérature française « Pandémonium », un nouveau roman de Régine Detambel. DOMINIQUE AURY Et aussi : Christian Pernath, Adrien Goetz, Hubert Lucot, LE POUVOIR Marie Billetdoux. Pages 3 et 4. Poches ET LE SECRET Pierre-Robert Leclercq se souvient de ses rencontres avec Marcel Jouhandeau, l’auteur de « Chaminadour ». Et aussi : Patrik Ourednik et Jules Vallès. Page 10

Science-fiction Stephen King, Elizabeth Kostova et Robert Holdstock : les romans d’horreur sont de retour. Et aussi : Richard Paul Russo, Charles Stross et Jean Ray. Page 9.

Marc Fumaroli ph. C. Hélie © Gallimard de l’Académie française Exercices de lecture de Rabelais à Paul Valéry

"Formidable livre. Sous des angles entièrement neufs, toute l'histoire de la Angie David retrace la vie extraordinaire de littérature française. On en sort rajeuni et revigoré." l’auteur d’« Histoire d’O », qui était par ailleurs Claude Lévi-Strauss l’une des éminences grises de la « NRF ». Page 3. Gallimard 0123 2 Vendredi 14 avril 2006 FORUM

Contributions En 1856, paraissait le premier roman de Flaubert dans la « Revue de »

Pierre-Robert Leclercq Collaborateur du « Monde des livres », auteur de nombreux Madame Bovary a 150 ans ouvrages, dont Mes catins (Belles Lettres, 2005), Le Libraire de la rue Poliveau (Belles ensemble ; que le style et que l’art intégrité. Et la publication commence. Peu contrat avec Michel Lévy ; le 27, une lettre Lettres, 2005) et s’enlèvent sur un fond de vulgarité sans après la première livraison dans la Revue, de Du Camp nous apprend que Thérésa, la diva du Yvan Leclerc sublimation ; que la prose prenne la l’autre directeur, Laurent-Pichat, l’instruction est ouverte. ruisseau (Anne densité du vers en conservant les moyens reconnaît que l’auteur révoltera quelques D’où vient cette « beauté de Carrière, 2006). u sauras que je suis de la prose ; que l’ironie plane et que lecteurs, mais que « le début va bien ».La provocation », stigmatisée par l’avocat Il a obtenu le Prix présentement sous la presse. l’obscène se fasse sentir sans qu’on puisse suite va beaucoup moins bien, en Pinard, en des termes mieux sentis que radio 1998 de la Je perds ma virginité d’homme leur assigner une origine ; que la Voix du revanche : dans la cinquième livraison, ceux de la défense moralisatrice assurée Société des auteurs et inédit ce jeudi en huit, le sentiment, sortie des livres romantiques, celle du 1er décembre – où devaient par Senard ? Elle tient surtout à des compositeurs 1er octobre. (…) Je vais pendant et que la vox populi, colporteuse d’idées paraître les six premiers chapitres de la procédés qui révoltent les convenances dramatiques pour troisT mois consécutifs emplir une bonne reçues, s’autodétruisent ; que l’auteur, troisième partie, commençant aux autant qu’ils révolutionnent les l’ensemble de son partie de la Revue de Paris.»Flaubert présent partout, s’absente en tant retrouvailles avec Léon – Du Camp exige conventions romanesques. Sous couvert œuvre de fictions n’est plus tout à fait à un jeune homme – qu’homme, et que l’écrivain mâle se une franche amputation : « Ta scène du d’un roman balzacien, présenté comme radiophoniques. il a déjà 35 ans – lorsque paraît Madame transforme en petite femme souffrante. fiacre est impossible, non pour nous qui « mœurs de province », Flaubert met en Bovary, dans la revue dirigée par Maxime Quand il en achève la rédaction, en nous en moquons, non pour moi qui signe le place des dispositifs de désorientation et André Schiffrin Du Camp, le compagnon du voyage en mars 1856, Flaubert sait qu’il n’en a pas numéro, mais pour la police correctionnelle de démoralisation du public : les regards Editeur, il a été Orient. L’histoire littéraire ne retient encore fini avec son interminable roman. qui nous condamnerait net. » La Revue croisés en focalisation interne, l’emploi pendant trente ans à la d’ordinaire que la date de 1857, l’année du courant le risque de la suppression, fréquent du style indirect libre brouillant tête de Pantheon procès, en janvier-février, et de la Au nom du principe Flaubert accepte le sacrifice de la scène, l’énonciation, l’absence d’un personnage Books, prestigieuse publication en volume chez Michel Lévy, en contrepartie d’une note signée « positif » disant la norme, privent le maison d’édition courant avril. Mais le scandale, moral et d’impersonnalité, l’auteur «M.D.»(Maxime Du Camp), donnant lecteur, et surtout la lectrice, de repères new-yorkaise, où il a littéraire, éclate au dernier trimestre de acte à l’auteur du retranchement d’un stables dans l’ordre des valeurs. Au nom permis la publication 1856. se rend coupable d’une sorte « passage qui ne pouvait convenir à la du principe d’impersonnalité, mis au de Foucault, Sartre, Soit que le sujet lui fût imposé, soit que Revue de Paris ». Au nom de ces mêmes point dans les lettres contemporaines à Chomsky… En 1991, il Flaubert se l’imposât comme antidote à de délit d’abstention. convenances, la Revue impose la Louise Colet, l’auteur se rend coupable fonde The New Press, l’exubérance de sa nature, Madame Bovary Si la justice du Second Empire suppression de trois autres passages dans d’une sorte de délit d’abstention. Si la maison d’édition à but prit cinq années au long desquelles la la dernière livraison, datée du justice du Second Empire lui intente un non lucratif dont il est littérature n’a jamais rimé aussi richement lui intente un procès, c’est qu’il 15 décembre. Mais cette fois, Flaubert est procès, c’est qu’il n’a pas instruit le directeur. Il a publié avec la rature. Au total, 4 500 pages décidé à faire valoir son bon droit préalablement dans son roman le procès L’Edition sans éditeur manuscrites, conservées comme autant de n’a pas instruit préalablement d’auteur, fût-ce au prix d’une action en du vice et de la bêtise. Par là, il bafoue et Le Contrôle de la preuves, pour en faire imprimer 500. Ce dans son roman le procès justice. Quelques semaines avant le procès l’éthique et l’esthétique. Le succès de parole (La Fabrique, n’est pourtant pas que ce premier roman intenté par le ministère public aux scandale qui s’en suivra donne du jour au 1999 et 2005). publié, à la différence des suivants, exigeât du vice et de la bêtise directeurs de la Revue de Paris et à l’auteur lendemain la notoriété à un inconnu, de nombreuses lectures préparatoires ou de Madame Bovary, celui-ci a consulté qui entre en littérature sur un des recherches documentaires poussées : S’ouvre alors une longue période l’avocat Senard en vue de traîner ses malentendu : il disait ne viser qu’à l’art Rectificatifs la Normandie, il y habite ; la vie d’un d’incessants remaniements au gré des propres éditeurs en justice, pour abus de pur dans le silence de sa retraite, et le médecin, il la connaît de famille ; les censures, des résistances, et parfois des pouvoir et manquement à la parole tribunal lui renvoie bruyamment le blâme L’image illustrant notre mœurs de son temps, il les subit ; et il a autocensures. Après un premier avis de donnée. Finalement, une solution de d’une mauvaise action. dossier du 7 avril fait du bourgeois son ennemi le plus Maxime Du Camp, Flaubert allège son compromis est trouvée : dans une note, (« Littératures, états intime. Ce ne sont pas non plus les manuscrit d’une trentaine de pages, l’auteur proteste avec sécheresse contre la Yvan Leclerc est professeur à l’université critiques »), était combinaisons de l’intrigue qui retardent la certaines corrections relevant moins de suppression faite au nom de la morale, et de Rouen. Il est responsable du site du d’Emre Orhun, et non composition : elle est tellement plate et l’esthétique que de la précaution. Mais les décline la responsabilité d’une œuvre ainsi Centre Flaubert : Emre Horun, comme banale, cette histoire d’adultère finissant ciseaux d’Anastasie ne s’arrêtent pas là : à fragmentée. http://www.univ-rouen.fr/flaubert nous l’avons écrit par mal, qu’un suicide comme celui de la seconde lecture, les directeurs de la Cette note de l’auteur, ajoutée à celle de Il vient de faire paraître : Flaubert, Vie et erreur. Delphine Delamarre, l’épouse d’un Revue procèdent à de nouvelles « coupures Maxime Du Camp, en bas de page de travaux du R.P. Cruchard et autres inédits médecin à Ry, près de Rouen, peut, en lui (…) indispensables » : l’auteur récupère deux numéros successifs, a très (Publications des Universités de Rouen et L’éditeur de Meurtre à fournissant le prétexte d’un fait divers, son manuscrit hachuré en plus de probablement attiré l’attention du du Havre, 15 ¤). Isla Negra, d’Estelle rassurer l’auteur quant à l’extrême soixante-dix endroits par des hommes de ministère public, rendu vigilant à l’égard Monbrun (« Le Monde banalité de son sujet. Les difficultés bon goût qui veulent estomper « l’ignoble d’une publication républicaine qui avait Proposer un texte des livres » du 7 avril) viennent d’ailleurs ; elles surgissent à réalité » (par exemple, les « mouches à déjà fait l’objet de deux avertissements pour la page « forum » n’est pas Chemins chaque tour de phrase d’impératifs viande » sont chassées des Bertaux) et qui pour des motifs politiques (elle sera par courriel : nocturnes, mais Viviane contradictoires qui rendent presque censurent les mots interdits : adultère, supprimée en 1858, après l’attentat [email protected] Hamy (qui publie la impossible l’acte d’écrire : que les mots concubine, filles, concupiscence d’Orsini). par la poste : collection « Chemins soient à la fois justes et musicaux ; que les disparaissent sous les biffures. Pour Flaubert, l’année 1856 se termine Le Monde des livres, nocturnes »). détails, se détachant pour eux-mêmes, Par une violente réaction, Flaubert sur deux événements gros de menaces et 80, boulevard Auguste-Blanqui, vaillent comme éléments entrant dans un obtient qu’on rétablisse le texte dans son de promesses : le 24 décembre, il signe le 75707 Paris Cedex 13.

AU FIL DES REVUES LETTRE DE NEW YORK Le printemps Quand les Américains des revues de poésie se mettent à l’heure française

LE FAIT est assez rare pour être pour répondre parfaitement à ce Publiée par l’éditeur nantais DE FAÇON aussi soudaine tion du livre de Philippe Hals- Le seul reproche qu’on pour- signalé : une maison d’édition, le projet. Outre une enquête sur le Joca Seria, Eponyme se veut, elle qu’imprévue, les livres sur la man sur les grimaces de Fernan- rait faire à cette somme est qu’el- Mercure de France, lance une thème du « premier poème », on aussi, « revue d’art et de littératu- France fleurissent aux Etats- del. Le Times aurait pu parler des le ne constitue pas une histoire, revue de poésie, Confluences poé- pourra lire six poètes italiens re ». Luxueusement imprimée et Unis. Cela est dû pour partie à quelques romans ou essais mais une encyclopédie. Une tiques, dont le premier numéro d’aujourd’hui et quelques-unes bien agencée, Eponyme fait une l’intérêt suscité par l’ouvrage de sérieux qui sont occasionnelle- approche chronologique aurait vient de paraître. Quelle est cette des grandes voix du métissage – large place aux artistes, peintres Bernard-Henri Lévy, American ment traduits du français. Mais il permis une meilleure contextuali- « confluence poétique » dont Luis Butor, Métellus, Nichapour, ou photographes. « La ligne édito- Vertigo. Une fois n’est pas coutu- semble que, d’une façon généra- sation. Exemple : on trouve des Mizon, poète d’origine chilienne Nimrod et Stétié. riale (…) sera de compiler des expé- me, ce livre a fait la « une » de la le, cela ne l’intéresse plus. commentaires sur la guerre d’Al- vivant en France et écrivant en riences, convergentes ou contradic- Book Review du New York Times. Raison de plus pour saluer gérie dans les articles sur Camus, espagnol qui dirige cette revue Confluences poétiques, mars, toires, témoignant de la vie et de la Un papier au vitriol, signé de l’impressionnante Histoire de la Bourdieu et de Gaulle, mais on (avec Vénus Khoury-Ghata et Mercure de France, 18,50 ¤. vigueur et du bouillonnement et de l’humoriste Garrison Keillor, qui pensée française au XXe siècle cherche en vain une entrée sur la Jean Portante), dit qu’elle nous la création… », écrivait Eric Pes- attaquait BHL pour son style publiée par Columbia. Véritable guerre elle-même. Résultat, des est « aujourd’hui nécessaire, voire La nouvelle revue Boudoir san, probable responsable de cet- pompeux. Malgré quelques encyclopédie, surtout destinée noms comme celui d’Henri Alleg indispensable, non seulement dans & autres (éd. Ragage) a pour te revue (aucune indication don- piques destinées aux intellectuels aux bibliothèques universitaires, ne figurent pas. Et il n’est pas la vie de la poésie en langue fran- sous titre : « arts et littérature née), dans l’éditorial qui ouvrait français, l’article n’était, à mes ce monument de 790 pages s’im- fait mention de la répression à çaise mais à la vie de la société contemporains ». « Boudoir le premier numéro. Beau som- yeux, pas « francophobe » – il pose déjà comme une référence. Madagascar ou à la Réunion, le contemporaine » ? La violence de s’efforce de représenter l’espace maire : Eric Chevillard (avec le mettait en cause BHL et les fai- Son maître d’œuvre, Lawrence passé colonial étant pourtant en l’histoire, l’exil et les ruptures, (clos sur lui-même) qui condam- personnage qu’il a inventé, blesses de son livre, c’est tout. D. Kritzman, professeur de fran- France, comme on le sait, un l’élargissement des frontières et ne la permanence et l’omnipré- Albert Moindre), des aphorismes Mais un coup de projecteur, çais et de littérature comparée à sujet de plus en plus débattu. Cer- la mondialisation, qui sont les sence de cette expression », écrit de Yannick Haenel, Nicole Cali- même négatif, peut être bénéfi- Dartmouth College, y a passé des taines lacunes se répètent. Ainsi données de notre monde, ren- un peu mystérieusement garis, Marie Darrieussecq (qui que : American Vertigo fit son années et réuni des centaines de Pierre Assouline, traitant de la dent sans doute plus urgente et Mathieu Muss au « chevet » de commente des photos de Pascal apparition dans la liste des best- contributeurs des deux côtés de NRF, passe en quelques lignes désirable cette « confluence » qui ce premier numéro dont le som- Tarraire)… et enfin un étrange et sellers du Times. En bas, et peu l’Atlantique. Son livre ne présen- sur la période de l’Occupation. souligne le « sentiment de la maire, composé surtout de poè- intéressant travail de la plasti- de temps, certes, mais c’était tout te pas seulement les grands Mais il s’agit là d’exceptions valeur unique de l’hospitalité à tes, est particulièrement enga- cienne Françoise Petrovich sur de même la première fois depuis auteurs français ou francopho- dans un volume de haute tenue. double sens ». Le sommaire de ce geant, sans concession à la faci- les relations de l’actualité et de L’Amant de Marguerite Duras. nes, il offre nombre d’analyses Kritzman élève un monument à premier numéro est assez riche lité : Valérie-Catherine Richez l’intimité. Au menu du deuxième Dans la foulée, le Times a pro- sur les principaux courants intel- la pensée française autant qu’à (pour les dessins), Christian numéro : Pierre Autin-Grenier, posé un ensemble « Forget the lectuels. l’intérêt universitaire de l’Améri- Hubin, Petr Kral, Jean-Luc Eric Faye, Christian Garcin… Freedom Fries, all is Forgiven, Ma Peut-être Kritzman a-t-il vou- que pour la France. Espérons ECRIVAINS Parant, Jude Stefan, Jean-Luc Chérie » (« Oublie les frites de la lu toucher un public un peu vas- que les prochaines générations Sarré, David Muss, Cécile Mai- Eponyme, automne 2005, et liberté, Tout est pardonné, ma ché- te en traitant de la déconstruc- lui emboîteront le pas. Peut-être les Editions nardi, Philippe Beck, Pierre printemps 2006, éd. Joca Seria, rie »). « Après trois siècles, la tion jusqu’au surréalisme en pas- même persuaderont-elle le New Chapuis… 20 ¤. “love affair” franco-américaine sant par la mode et la gastrono- York Times de considérer davan- Bénévent « Ses officiants y sont pluriels, continue… », notait le journaliste, mie. Mais il a souvent choisi les tage cette partie du monde dont publient concentrés, & autres, parfois Signalons enfin le riche dossier William Grimes. Malgré cette auteurs idéaux : Pierre Vidal- l’Amérique a trop tenté de nous contradictoires parce qu’on ne de la revue Marginales, intitulé déclaration d’amour, il avait Naquet sur l’Antiquité, Etienne faire croire qu’elle ne valait plus de nouveaux auteurs tient pas sa position en lisant… » « La littérature à la place des manifestement eu du mal à trou- Balibar sur Althusser, Henry la peine que l’on s’y intéresse. a concluait Mathieu Nuss, avec yeux. Jean Giono et Harry ver des ouvrages à critiquer. Rousso sur Vichy, Elisabeth Rou- André Schiffrin Pour vos envois de manuscrits: lucidité, dans sa présentation. Martinson, écrivains du peuple, Etaient réunies trois histoires de dinesco sur la psychanalyse…, se Service ML - 1 rue de Stockholm écrivains contre la guerre », avec France signées par des Anglais, réservant les sujets qu’il connaît The Columbia History of Twentieth 75008 Paris - Tél : 01 44 70 19 21 Boudoir & autres, n˚ 1, éditions des inédits (n˚ 5, printemps, éd. un guide des bistrots parisiens et le mieux et qu’il traite avec habi- Century French Thought, www.editions-benevent.com Ragage, 12, rue Chartran, 92200 Agone, 18 ¤). une étude sur les marchés. Le leté – Michel Foucault, l’antisé- dirigé par Lawrence D. Kritzman, Neuilly, 16 ¤. P. K. seul titre français était une réédi- mitisme… Columbia University Press. 0123 LITTÉRATURES Vendredi 14 avril 2006 3 Dominique Aury, vies secrètes Dans une passionnante biographie – la première du genre – Angie David retrace l’itinéraire de l’auteur d’« Histoire d’O », conquérante et éminence grise de la littérature française

l suffit d’avoir croisé quelquefois gements, ses retournements, ses affron- Dominique Aury (1907-1998) à tements. la fin de sa vie, chez Gallimard, Angie David ne juge pas, elle donne à pour savoir qu’elle n’était pas ce voir ce qu’on a souvent voulu occulter, qu’on disait. D’un côté, une peti- pour éviter de chercher à comprendre. te femme sobrement habillée, Notamment l’appartenance, dans l’en- uneI nonne de la littérature – angliciste, tre-deux guerres, à une « droite natio- grande traductrice, grande lectrice –, nale » extrême, violente, d’intellectuels entrée au couvent Gallimard après la et d’artistes, qui se sont employés, après- guerre, grâce à Jean Paulhan, son plus guerre, à être de gauche. Certains, cher amour. D’un autre, sous le nom de comme Dominique Aury et Maurice Pauline Réage, l’auteur d’un chef-d’œu- Blanchot, ont quitté cette extrême droite vre de la littérature érotique du XXe siè- pendant la guerre, entrant dans la cle, Histoire d’O (1954). Elle était beau- Résistance. coup plus que cela. Le propos d’Angie David, en dépit de Tout en elle disait le raffinement, quelques redondances dues à son parti l’ambiguïté, le goût de la dissimulation, pris, thématique plutôt que chronologi- de la clandestinité, de l’influence, la que, est constamment passionnant. Elle volonté d’être à la fois une conquérante s’intéresse d’abord à Pauline Réage et à et une éminence grise – secrétaire de la Histoire d’O, qui, d’emblée, introduit la NRF, elle fut pendant vingt ans la seule figure majeure de Jean Paulhan. Il a déjà De gauche à droite : Marcel Arland, Jean Paulhan et Dominique Aury, en 1953. D.R. COLLECTION PARTICULIÈRE femme membre du comité de lecture de écrit sur Sade et, en préfaçant le roman Gallimard, et, en 1963 entra au jury (on l’a soupçonné d’en être l’auteur alors Pauline Réage s’est expliquée dans nes et féminines, de l’auteur de son his- son pays soit envahi et exècre les collabo- Femina. Si elle avait une certitude, qu’il en était le destinataire), il donne des entretiens avec Régine Deforges en toire. Toutefois, la partie la plus novatri- rateurs. Elle rencontre Jean Paulhan, il c’était celle-ci : la immédiatement à ce texte érotique sa 1975, sans dévoiler son identité. Mais ce de sa biographie ne concerne pas Pau- la publie dès 1943, la fait véritablement DOMINIQUE clé du pouvoir per- dimension intellectuelle. O n’en a pas quand The New Yorker, en 1994, présen- line Réage. C’est le moment qui va de la entrer dans le milieu littéraire, dont il AURY sonnel, c’est le fini de choquer. Des prudes des années ta comme une exclusivité l’aveu de naissance d’ à sa transfor- est un personnage-clé. Elle le soutient d'Angie David. secret. 1950 aux féministes des années 1970 – Dominique Aury, c’était vraiment un mation en Dominique Aury, à la fin des dans ses démêlés, à la Libération, avec C’est cet itinérai- du moins celles qui cachent leur purita- secret de polichinelle. En outre, Domini- années 1930. Les Lettres françaises, dont il fut l’un des Ed. Léo Scheer, re souterrain tra- nisme derrière un prétendu féminisme. que Aury ne faisait dans cet entretien fondateurs, et les partisans de l’épura- 560 p., 25 ¤. versant tout le XXe « Pourtant, constate Angie David, Domi- aucune révélation, et l’interrogation Clandestine farouche tion intellectuelle. De 1947 à sa mort, en siècle que met en nique Aury exprime publiquement une demeure sur la part autobiographique Des études à la Sorbonne, où elle se 1968, il sera l’homme de sa vie – tout en lumière Angie David, dans un travail vérité féminine pour la première fois. L’éro- d’Histoire d’O. Angie David ne se pro- lie à un groupe d’étudiants de la Jeune restant marié. plutôt empathique (bien qu’elle n’ait tisme est un genre misogyne (…). Mais lors- nonce pas sur la similitude des prati- droite. En 1929, elle épouse l’un d’entre Mais la personnalité de Dominique pas connu Dominique Aury : elle a qu’une femme choisit de s’exprimer dans ques érotiques d’O et de Dominique eux, Raymond d’Argila. Elle divorce Aury, séductrice ardente, clandestine 28 ans), très documenté, s’appuyant sur l’érotisme, le genre est détourné de son Aury, mais elle tisse subtilement les rapidement – un acte très courageux à farouche, ne peut se comprendre à tra- des correspondances inédites. Elle fait objet initial. » liens qui relient O aux amours, masculi- cette époque – à cause d’un grand vers l’idée du couple. Plutôt celle du trio, ainsi apparaître une femme libre, « très amour, à partir de 1933, avec Jacques ou du quatuor. Angie David l’éclaire par heureuse d’aimer très tôt et les hommes et Talagrand, qui prit le nom de plume de les portraits de deux femmes, Edith Tho- les femmes », convaincue qu’on peut « Votre douceur me confond » Thierry Maulnier. mas et Janine Aeply. Dominique Aury aimer plusieurs personnes à la fois. Un Une liaison fougueuse, dont témoi- en fut très amoureuse, leur correspon- singulier personnage, dont le premier « Edith, mon chéri, effrayer et de vous femme comme je vous gne une correspondance enflammée, dance le prouve. Mais l’amour avec livre fut une Anthologie de la poésie reli- pardonnez-moi. Je me faire mal. Et que je ne aime, Edith. (…) Je qui conduira celle que Maulnier appelle Edith Thomas ne résiste pas à l’arrivée gieuse française (Gallimard, 1943) et débats depuis si sais plus du tout me n’ai pas beaucoup de Annette à écrire dans des publications de Jean Paulhan, elle n’est pas prête au auquel Jacques Chardonne écrivit en longtemps. maîtriser. Votre scrupules, d’ordinaire. d’extrême droite, en particulier L’Insur- trio – elles resteront cependant toujours 1953 : « Votre intelligence est un ravisse- Pardonnez-moi, je douceur me confond. Il ne m’est pas gé, hebdomadaire lancé par Maulnier en liées. En revanche, avec Janine Aeply, ment pour moi ; elle n’est ni féminine, ni n’en pouvais plus. Je Vous ne savez pas ce jusqu’ici arrivé de 1937, qui se déchaîne contre Léon Blum. femme du peintre Fautrier, se dessine, masculine. » voudrais être encore que c’est que d’être penser d’une fille : , qui aura toujours éphémèrement, le quatuor. Mais le gros livre d’Angie David, qui, près de vous, vous brûlée, et d’avoir sous laisse-la, tu n’as pas avec Dominique Aury « une complicité Jalousies, ruptures, manipulations, par choix, ne comporte ni index ni dire que je vous aime, les lèvres vos mains si le droit. Si je l’ai de frère et sœur », y tient la rubrique de désillusions… En ces 560 pages, au plus cahier photos, n’est pas seulement le vous embrasser. Je douces, ou vos doux pensé de vous, ce politique étrangère. Dominique Aury – près de l’intime, avec, constamment, portrait d’Anne Desclos, devenue Domi- sais que je vous cheveux noirs, ou le n’est pas par devoir ce nom apparaît là pour la première fois l’ombre immense de Jean Paulhan, on nique Aury – prénom qui ne permet pas parais absurde. Et duvet qui est sur vos mais par tendresse. » – publie des chroniques sur l’art. « Elle suit avec curiosité le parcours sinueux d’identifier le sexe – et Pauline Réage aussi que je suis joues, juste au-dessus (Page 401, extrait de est apolitique, mais ses articles expriment de cette femme aux identités multiples. (ce qu’elle ne reconnaîtra explicitement égoïste. Mais je suis de l’oreille. Il y a des la lettre de Dominique une affinité avec les positions de son Pourtant, et on en est heureux, Angie qu’en 1994). C’est une plongée dans le devant vous mois que je m’interdis Aury à Edith Thomas, amant. » David a su laisser à cette fanatique du monde littéraire français du XXe siècle, tremblante, parce que d’y penser. Je n’ai dimanche 27 octobre Tout bascule avec la guerre. Domini- secret sa part de mystère. a à partir des années 1930, avec ses enga- j’ai peur de vous jamais aimé une 1946.) que Aury, patriote, ne supporte pas que Jo. S. Pernath, Goetz et leurs mystères

epuis son premier texte, Dernière presque tous les minuscules secrets du l’histoire, le livre est donc écrit à la visite (Albin Michel, 2002), on sait village. première personne du pluriel. D que Christian Pernath a le don de On n’est pas dans un roman policier, Le premier mystère est l’identité de cet créer des atmosphères mélancoliques, de plutôt dans une chronique villageoise très héritier, Maher. Il a été adopté, à dire des choses graves avec une apparence noire. Bélouard, qui est sans doute un peu l’adolescence, par l’excentrique Laura de légèreté. Bélouard, le héros de son amoureux de Claire, malgré lui, va devenir Bagenfeld, qui eut pour seule amie «la quatrième roman, Un matin de juin comme aussi enquêteur malgré lui, découvrant grande pianiste Clara Haskil ». On murmure les autres, est vétérinaire dans un bourg non avant tout le monde une vérité qu’il tarde à qu’il a passé son enfance en banlieue loin de Nantes. Son passé d’alcoolique a révéler, parce qu’indirectement elle l’atteint parisienne dans une famille d’immigrés porté tort à sa réputation professionnelle. Il et le renvoie à sa solitude. Christian Pernath, tunisiens. Comment est-il devenu, à 26 ans, est désormais sobre et désenchanté, délicatement, de détails en descriptions, de ce « play-boy à l’allure d’escroc » ? D’où lui n’attendant plus rien de l’existence. petites phrases en questions sans réponses, viennent ses compétences, évidentes, dans le On pourrait croire que sa triste routine ne distille le mystère. Bélouard étouffe, et on domaine de l’art ? Et qui, à cette soirée va même pas être perturbée par l’annonce étouffe avec lui, on se retrouve du côté de florentine, enlève sa fiancée, Jeanne ? d’un crime affreux dans une ferme voisine : chez Patricia Highsmith : il ne s’agit pas de Le voyage de noces va se transformer en une famille assassinée à l’arme blanche, un résoudre une énigme, mais de comprendre odyssée-enquête, avec Maher et à son sujet. Marie Didier ph. J. Sassier © Gallimard matin de juin, « encore un peu frais, comment la misère et l’ignorance poussent à Comme toujours chez Adrien Goetz, on est ensoleillé ; rempli d’odeurs de genêts et de la violence extrême. enchanté de déambuler parmi les ombres chèvrefeuille ». Mais l’après-midi même, d’Uccello, Carpaccio, Watteau et bien Dans la nuit Bélouard découvre dans un fossé, le visage d’autres, comme de croiser incidemment les tuméfié, Claire, la femme d’un fermier PARTI PRIS héros de ses précédents romans. C’est ce de Bicêtre connu pour ses violences conjugales. Drôle JOSYANE périple improbable dans le monde entier et de journée. Claire refuse de rentrer chez elle. les secrets de l’art, ses joyaux cachés, ses Bélouard l’héberge. Dans le village envahi SAVIGNEAU collectionneurs fous, ses rivalités, ses de gendarmes et de journalistes, le malaise vengeances, qui sauvent ce livre. Car Adrien "Rares, très rares, s’installe. Tout le monde est interrogé, y C’est aussi avec un mystère, ou plutôt des Goetz a, cette fois, compliqué à l’excès son sont les livres aussi compris Bélouard, qui doit reconnaître mystères, que joue Adrien Goetz dans son intrigue, multipliant les rebondissements et bouleversants que qu’une femme habite chez lui – en tout bien quatrième roman, A bas la nuit ! Mais on est inventant une fin décevante. a tout honneur, mais sûrement pas sans aux antipodes de l’univers du vétérinaire de Dans la nuit de Bicêtre." trouble pour sa vie de vieux garçon Pernath. Chez les riches, et dans le milieu de UN MATIN DE JUIN Franck Nouchi, désabusé. l’art – comme dans les deux précédents COMME LES AUTRES Le Monde des Livres Le pharmacien, amant de la femme livres de Goetz, La Dormeuse de Naples et de Christian Pernath. assassinée, est arrêté. Crime passionnel. Une petite légende dorée (1). Albin Michel, 240 p., 16 ¤. Affaire résolue, en dépit des dénégations Tout commence à Florence, lors d’une de l’accusé. Mais Bélouard a le sentiment fête donnée par l’héritier de la fortune et À BAS LA NUIT !, d’Adrien Goetz. – partagé par un jeune gendarme – de la collection Bagenfeld. Invités par un Grasset, 240 p., 17 ¤. que quelque chose ne colle pas dans cette ami, sont présents deux jeunes histoire. Le gendarme questionne, conservateurs de musée, en voyage de (1) Ed. du Passage, 2004 (en poche, Gallimard Bélouard écoute, et répond, car il connaît noces. Ils vont être les narrateurs de « Points ») et 2005. 0123 4 Vendredi 14 avril 2006 LITTÉRATURES

ZOOM Rencontre « Pandémonium », texte charnière d’une œuvre impressionnante

UN CŒUR DE TROP, de Brina Svit Une Parisienne native de Slovénie part deux jours enterrer son père et se débarrasser de la maison du bord d’un lac donc elle a héritée. Elle avait envie de connaître une histoire d’amour courte et inoubliable, elle la vit Les démons familiers brutalement, par surprise, et tarde à revenir en France tant elle jouit de cette idylle avec un médecin local. Son mari doit revenir la chercher. Le récit mélancolique de Brina Svit mène deux réflexions de front : l’une sur l’amour et le dilemme qui se pose un jour à un homme devant se décider entre deux femmes ou à une femme devant choisir de Régine Detambel entre deux hommes ; l’autre sur le roman, sa vocation à divulguer vérités ou mensonges, sa capacité à révéler d’authentiques états d’âme sous des histoires convenues. La révélation vient à l’héroïne d’un manuscrit laissé par son père, lle a changé, Régine Detambel. file sans cesse de l’explicite à l’effleure. métaphores de l’auteur de La Treille mus- qu’elle lit avec autant de trouble que de réticences et par lequel l’attachante « Vous trouvez ? » Oh, c’est Son apprentissage d’auteur dans L’Ecri- cate. Pont jeté littéraire avec ses séjours Brina Svit se pose autant de questions sur l’amour que sur la littérature. imperceptible. Une manière de vaillon, ses rages au collège dans La Qua- de répit chez ses grands-parents ? Peut- J.-L. D. E sourire un peu plus largement. trième Orange, l’évocation d’un petit frè- être. « Mais ce sont les livres que j’aime, Gallimard, 204 p., 16,90 ¤. D’un peu moins s’effacer. Elle a fait faire re mort-né dans Le Vélin… Permanent insiste-t-elle. Avec eux, il se crée quelque des travaux dans sa maison de Juvignac paradoxe. Ce qu’elle rejette avec tant de chose de soi dont on n’a plus à souffrir. » À CONTRE-JOUR(NAL), de Claire Fourier non loin de Montpellier. Agrandi son détermination lui permet de parler au Chacun a ses étapes intimes et secrètes. Elle a signé un très sensuel Métro Ciel qui fit date, de nombreux textes aussi bureau. Tout est blanc. Le sol, les murs. mieux, au plus près des battements d’en- Apprendre qui l’on est. C’est à croire sensibles, imbibés de vie, qu’insolents, ainsi que des haïkus et, récemment, un Les livres sont rangés par ordre alphabé- fance, des élans de l’adolescence, du qu’il arrive un moment où il devient pos- érotique Saint-Amour, les vignes du rêve sous pseudonyme (mais sa tique. Aucune place pour le désordre. trouble, du désir. Avec Detambel, on sible de porter ses démons comme un bibliographie la dévoile en Béatrice Clairhell). L’indomptable Claire Fourier ne Les documents sanglés dans des chemi- approche les émotions premières. Une fardeau léger. figure toutefois dans aucun gotha et risque de ne pas générer l’automatique ses. Les classeurs alignés. Ici, pas de sou- sauvagerie tendre à l’image de cette recension dont bénéficient les plumes célèbres qui se lancent dans pareille venirs, de bibelots. « Je déteste mon nature que l’on trouve tapie dans le Malaise doux entreprise. Ce serait dommage pourtant de passer à côté du journal qu’elle s’est enfance, dit-elle comme une évidence. Je fouillis des jardins. Les plantes, les De démons, justement, il est beau- astreinte à tenir entre le 1er novembre 2004 et le 31 octobre 2005. Car le me débarrasse du lest. Je n’aime pas le pas- arbres, les bêtes, les bestioles, font pres- coup question dans son dernier roman. tempérament, le bon sens, la culture et l’intelligence de cette Bretonne sont de sé. Pas de passif, pas de mémoire. » Elle que à chaque fois le décor bruissant de Pandémonium est une fable cruelle sur nature à faire réfléchir sur l’état du monde et de la France. Personnel ne racontera pas ses premières années ses textes. Ce sont des mues de lézards les secrets de famille, les silences, les ô combien, tour à tour acide et sucré, sautant de Teilhard de Chardin à Nicolas en Moselle, son adolescence meurtrie, ou de couleuvres trouvées sur la terras- lâchetés. Jusqu’en 1945, Joachim Sarkozy, à l’affût de Nietzsche et du tsunami, Claire Fourier lit, écoute la radio, les deuils impossibles. « J’ai toujours réa- se, des chênes à l’écorce moussante des Wagner, ses frères et leurs épouses ont va au cinéma, papote et commente à sa manière une actualité aussi déroutante gi comme si j’étais abandonnée… » lessives qu’on a fait bouillir à leur pied. dirigé La Gloriette, une maison de sur le plan privé que sur le plan public. Elle parle de tout, sa solitude, Dieu, le Violence et En 1997, Régine Detambel publiait retraite du Midi où il ne faisait pas bon sexe, toujours curieuse, incorrecte, tonique, et son journal est le contraire d’un PANDÉMONIUM nerfs en pelote. Colette, comme une Flore, comme un zoo, être pensionnaire. Extorsion de fonds et « blabla », d’un bout à bout de brèves de comptoir. J.-L. D. de Régine Elle a tout bazar- petit lexique en herbier et bestiaire des brutalités. Poursuivis en justice mais Ed. Jean-Paul Rocher, 374 p., 23 ¤. Detambel. dé. Ne reste que condamnés à pas grand-chose, les l’empreinte. La Wagner se sont retranchés dans la pro- NOIR DEHORS, de Valérie Tuong Cong Gallimard, 192 p., marque en creux, Extrait priété pour le reste de leur existence. Ils Le 14 août 2003, New York est soudain plongée dans le chaos et les ténèbres à 16,90 ¤. profonde. Mais la rebaptisent « Pandémonium », du la suite d’une panne électrique géante. C’est le black-out sur la ville qui ne dort c’est partant de là « Après quinze mois passés sous nom de la capitale des enfers. Pas de jamais. Pour son cinquième roman, Valérie Tuong Cong s’est inspirée de cet qu’elle a fait tous ses livres. Régine le même toit que les démons, la messes noires dans ce huis clos mais des événement pour croiser les destins de trois êtres solitaires : Naomie, « pute à Detambel est un de ces auteurs sauvés jeune Éva avait seulement grenouillages venimeux, qui pèsent lour- crack » retenue prisonnière dans un bar de Brooklyn ; Simon, avocat par l’écriture. Un parcours de survie tra- remarqué que les vieux avaient dement sur les quatre générations enfer- médiatique, las d’une vie qu’il cherche à fuir dans les bras d’une femme cé ligne après ligne. Depuis l’âge de pris l’habitude de regarder le ciel. mées dans la maison. Un étrange acci- virtuelle ; et Canal, orphelin recueilli par un vieux Chinois qui l’exploite. De l’un 11 ans, elle noircit du papier. De petits Joachim possédait une lunette et dent. Un meurtre à l’arsenic. Ça grince, à l’autre, sur un rythme enlevé, nerveux, la romancière fait entendre, à travers romans, des nouvelles, un Bob Morane s’intéressait beaucoup à la lune, on ricane, on frémit. Nicolas, l’arrière- ses voix qui se révèlent à elles-mêmes, les peurs, les incertitudes, les blessures qu’elle réécrit entièrement avec des syno- qui était ancienne ou nouvelle ou petit-fils de 16 ans de Joachim, et Eva, la des ces vies qui, à la faveur de cette nuit singulière, trouveront le chemin de la nymes, des journaux, des poèmes échan- absente. Suzanne s’était initiée à toute jeune garde-malade parviendront rédemption. Ch. R. gés aux copines de lycée contre des ciga- l’aquarelle auprès de la grosse peut-être à rompre le cercle. Régine Grasset, 210 p., 14,90 ¤. rettes. Vocation d’écrivain. Depuis 1990, Olive (…). Athéna prédisait la Detambel a rassemblé dans ce livre en l’année où sortent chez Julliard L’Ampu- pluie. L’un des plus charnière une incroyable puissance LA VÉRITABLE HISTOIRE DE MON PÈRE, de Nicolas Cauchy tation et L’Orchestre et la Semeuse, elle a remarquables traits de son d’imagination et d’évocation. C’est un Dans la nuit, à bord d’une Porsche qu’il a volée, Simon fuit après avoir publié quinze romans, six « textes caractère était l’extrême malaise doux qui fait l’échappée belle. commis l’irréparable. A l’arrière, se trouve le corps enveloppé de sa petite brefs », deux essais, deux recueils de poé- superstition qui l’autorisait à Toute son œuvre s’y concentre. Ses fille, sur lequel il jette un regard aussi bienveillant que terrifiant. Car sie, plus une vingtaine de titres en littéra- tirer de toute chose un présage et obsessions, ses craintes, ses souvenirs l’impensable, c’est elle, cette fillette qu’il a tuée après avoir appris à l’aimer, ture jeunesse et une foule d’articles dans qui lui faisait faire un oracle balayés, sa force d’écrivain. Tout est lié, sur le tard. Trop tard pour apprivoiser un sentiment qu’il n’avait jamais les revues. d’une chenille écrasée ou d’une serré et étonnamment libre. Trois connu, même pour sa fille aînée. Alors qu’il roule vers les montagnes, une « Ecrire est la seule chose qui me garde vieille pomme. Naturellement, années pour l’écrire. La hâte n’est plus voix étrange – que l’on pourrait prendre pour celle de sa conscience – en vie, explique-t-elle. Sans cesse, je pense Eva ignorait que cette faculté la même. Laisser filer le temps, est-ce ressasse une vie construite sur le mensonge, la duplicité, les tromperies et le à ce que je rédigerai ensuite, au prochain s’était encore accrue après le que cela ne change rien ? calcul. Une existence maîtrisée à l’extrême qui va déraper sous le coup d’une bouquin. A l’avenir, en fait. » Et elle va procès, quand Athéna se rendit Xavier Houssin passion trop forte. Aux rives de la folie, on est saisi par ce premier roman de de l’avant, se servant des éclats de son compte qu’en ce monde on vit Nicolas Cauchy qui, entre le trouble et l’effroi, nous fait découvrir une voix passé haï. Tout se retrouve épars. Tout mieux en disant la bonne Signalons aussi Les enfants se défont des plus prometteuses. Ch. R. est vrai à distance. Tout est réinventé. aventure qu’en racontant la par l’oreille, de Régine Detambel, Ed. Robert Laffont, 180 p., 16 ¤. Refait. Repris. Recousu. Rebrodé. On vérité. » éd. Fata Morgana, 48 p., 9 ¤.

Hubert Lucot et le récit d’une brève incandescence érotique Le retour à la vie de Marie Billetdoux L’œuvre de chair Acte de renaissance

epuis Marcel Proust, il est impos- Plus tard, ce constat du jeune amant : ment, des relations tendues avec Marc, UN PEU DE DÉSIR reculons dans une révérence infinie » (Jeu- sible de raconter sa vie sans « L’adultère n’ajoutait aucun piment au de la vieillesse… C’est surtout le temps SINON JE MEURS ne fille en silence). Puis, dans L’Ouverture D accompagner son récit d’une beau corps et au visage expressif qui me sti- de l’écriture du livre qui rameute et orga- de Marie Billetdoux. des bras de l’homme et dans Prends garde interrogation sur la mémoire et sur le mulaient et dont le sous-sol me rassasiait nise la matière de « l’œuvre Trèfle ». à la douceur des choses (qui sont réédités langage. En fait, cette impossibilité est en ceci que la tristesse post-coïtum se trans- Les chapitres du livre, distribués selon Albin Michel, 270 p., 18,50 ¤. au Seuil), elle se dépeignait en compa- bien plus ancienne, elle est même secrè- formait vite en la joie de recommencer. » un agencement complexe, sont datés du gne potentielle non délivrée de sa pure- tement, à l’insu de l’auteur, fondatrice Ces quelques mois d’incandescence 14 juillet au 2 août 1989. En mai de cette ’est bien elle, et non sa sœur (qui té, croyant à l’éternité, certaine que de tout geste autobiographique : on érotique – Trèfle ne correspond pas au année-là, le narrateur recevait le faire- de toute façon se prénomme Virgi- l’homme qu’elle choisirait, il lui faudrait n’écrit pas sa vie à l’écart, exonéré d’elle, modèle de l’initiatrice, elle a trop de part de décès d’Agnès Noirot. Trois C nie). Raphaële Billetdoux, qui le mériter. Elle confirme aujourd’hui, et et l’écriture, même vouée à la remémora- désir en elle – ne sont pas séparés du dimensions, trois axes, permettent à nous prouve une fois encore qu’elle est de quelle manière, qu’il n’est d’amour tion, fait partie du présent de la vie. temps intime, familial, historique, pas Hubert Lucot de nourrir et de dévelop- de ceux et celles qui « écrivent », s’of- pour elle que « dans la durée et l’abnéga- Hubert Lucot, à la fin de son livre, tan- suspendus au-dessus de per son récit : le temps, l’es- frant à ce propos le luxe et le risque tion », et nie, avec quel panache, que cet- dis qu’il reprend, de façon linéaire, la lui. Il y a un avant et un pace et le langage. A cela d’une grosse colère contre un Goncourt te fidélité, « que le mort même ne saurait matière de ce roman – « l’histoire de son après. Il faut même dire s’ajoute, le sujet même du récent, nous informe qu’elle est morte à rompre », soit une névrose. premier amour » – avance cette remar- davantage. La mémoire livre : « le sexuel », en tant elle-même, même si le carnet du Figaro Entendons-nous : il ne s’agit pas seu- que, prélude à une réflexion sur le n’est pas essentiellement qu’« évidence subtile ». Les a refusé de publier cet acte de décès. Elle lement ici, fût-il admirable, d’une sorte temps : « Notre mémoire ne suit pas l’or- individuelle : « Aucun trait fils se croisent, se nouent, se prénomme désormais Marie, an- de sacrement qui ne souffre aucun dre chronologique, c’est l’intellect qui, s’in- ne constitue un souvenir formant une étonnante nonce faite par un livre, merveilleux en démenti, mais aussi de la façon dont il terrogeant sur elle, croit bon de lui propo- individuel ; au passé simple matière narrative, d’une ce qu’il dit d’elle et de sa vision de est gravé. Ce qui saisit n’est pas seule- ser le rail d’un univers unidimensionnel. » ou composé, le temps substi- exceptionnelle richesse. l’amour, autant qu’en ce qu’il annonce ment le renoncement de la jeune femme Mais profitons de cette reprise pour tue l’imparfait. » Les effets lyriques, le senti- de sa renaissance. pardonnant tout, y compris les infidéli- résumer sommairement Le Centre de la L’avant, « est-ce en 39, mentalisme ou l’érotisme Vive est sa dévotion à Paul Guilbert, tés, choisissant d’être muette en société France. Ce titre désignant à la fois un en 42 ? », l’enfant, assis de pacotille sont absents. l’homme qu’elle aimait et qu’elle enterra plutôt que de jacasser, préférant donner lieu réel, mais où l’on ne parvient pas, et, sur les genoux et la jupe Une sorte de distance il y a peu, vives aussi sont les lettres tout en privé plutôt qu’en public. C’est la métaphoriquement, la géographie char- blanche de sa future aman- constitue le mode opératoi- (dont ce texte) qu’elle envoie à son édi- grandeur d’un écrivain qui, en ne sacri- nelle du plaisir. Hugues Boucot, 18 ans, te, prépare sans le savoir la LE CENTRE re du livre. Il ne faut pas dis- teur, Richard Ducousset, auquel elle fiant rien de sa pudeur, sait ce qu’elle khâgneux, secrétaire de la cellule com- prochaine célébration sen- DE LA FRANCE simuler les efforts qui reproche de l’avoir oubliée, abandonnée. doit livrer d’intime pour arborer ce qui muniste des élèves de Louis-le-Grand, suelle. Le pendant, c’est, d’Hubert Lucot. seront nécessaires au lec- Marie Billetdoux (dieu merci, elle garde était beau en lui, ce qui reste sacré en doté d’un père, d’une mère, et de toute classiquement, « sur le teur pour entrer et circuler ce nom de jeune fille qui symbolise tant elle, et touche à l’universel. une famille, couche (c’est sa première divan en décembre 1953 » : POL, 446 p., 24 ¤. dans ce « poème romanes- le message qu’elle glisse à Paul Guilbert Elle dit la gourmandise avec laquelle aventure) avec Agnès Noirot, mariée « La cérémonie est une nuit que (ou roman par médita- post mortem) dit de son amant (épousé il se jetait sur son corps, pour exhumer avec Marc ; elle a 37 ou 38 ans. de noces consommée en plein jour dans la tion) ». Univers familier et expérience quinze jours avant sa disparition) qu’il ce qu’elle a retenu de la noblesse de cet gloire du soleil blanc. » Le divan de Crois- commune sont ici métamorphosés par la la garda à vie de la déception amou- homme soucieux d’avoir la charge de Amours balbutiantes sy annonçant lui-même une chambre de littérature. Une littérature qui ne se haus- reuse. Elle douta un temps de sa possibi- tout ce que ce corps « exprime par sou- Agnès, sous le nom « de chair » de l’Hôtel Casablanca, dans le 15e arrondis- se pas du col, mais qui se pense constam- lité de continuer à faire face sans lui, pirs ». Elle confesse ce qu’il lui avoua, Trèfle, devient la maîtresse d’Hugues. sement de Paris. ment elle-même, avec une grande probi- ainsi que de son identité. Il y a dans Un malade, preuve d’amour : « Je suis seul à Nous sommes en 1953-1954. Entre les L’après, lui, est pluriel, « comme si té intellectuelle. a peu de désir sinon je meurs un sursaut qui cause de vous. » Elle ne regrette rien, ni Boucot et les Noirot, dans un milieu tout morceau de temps avait le génie tem- Patrick Kéchichian ressemble à une bouteille à la mer. d’avoir souri quand elle avait mal, ni de petit-bourgeois parisien, un peu intellec- porel de se déplacer dans les autres Du temps où Raphaële était son pré- s’être laissée rogner les ailes. Tout cela tuel, un peu artiste, des relations étroites temps ». C’est d’abord celui qui suit Signalons aussi un beau texte d’Hubert nom de plume fragile et où elle attendait dans un style qui la pose en grande existent, qui vont compliquer les amours l’aventure, celui de la rencontre avec Lucot sur Cézanne, Le Noir et le Bleu un mari, Marie Billetdoux racontait amoureuse de la littérature française. a ardentes et balbutiantes du narrateur. Agnès trente ans plus tard, du ressenti- (éd. Argol, 96 p., 18 ¤). qu’elle passerait sa vie à se retirer «à Jean-Luc Douin 0123 LITTÉRATURES Vendredi 14 avril 2006 5

Qui était Lev Nussimbaum, l’auteur du superbe « La Fille de la Corne d’or » ? ZOOM

LA VÉRITE ET SES CONSÉ- QUENCES, Vie et roman de Kurban Saïd d’Alison Lurie Jane LA FILLE DE LA CORNE D’OR S’engage alors le combat que tant de s’interroge : (Das Maedchen vom femmes connaissent – et remportent si « Qui est cet goldene Horn) l’amour vrai les guide – lorsqu’il s’agit homme couché de Kurban Saïd. de corriger un grave défaut du partenai- sur notre divan ? re. Dans les cafés, les hôtels de monta- On l’appelle Traduit de l’allemand gne, les cercles d’amis et jusqu’au bal toujours Alan par Odile Demange, masqué de carnaval, Aziadeh observe Mackenzie, mais ce n’est plus la Buchet Chastel, 318 p., 22 ¤. celui qu’elle aime, pardonne l’accessoi- même personne. Et moi non plus, re, reste inflexible sur l’essentiel, sup- je ne suis plus la même. » Cette L’ORIENTALISTE porte les défaites, célèbre les succès et personne, c’est son mari, ancien (The Orientalist) ne pactise jamais. Pas plus qu’elle ne sportif quasi impotent à la suite de Tom Reiss. pactise dans l’autre campagne qu’elle de douleurs dorsales. Ils ne sont doit mener, au sujet d’un autre homme, plus mari et femme, seulement Traduit de l’anglais (Etats-Unis) un prince du sang parent du calife ren- « ménagère et patron ».Ensa par Françoise Jaouën, versé, chassé lui aussi par Atatürk et qualité d’écrivaine, Delia Delay est Buchet Chastel, 450 p., 25 ¤. ses révolutionnaires. Elle ne l’a jamais invitée en résidence par l’université vu, elle le croit mort, mais elle lui était où Jane et Alan sont fonctionnaires omme beaucoup de jeunes depuis toujours fiancée par sa famille administratifs. Célèbre par sa femmes turques aujourd’hui, et se sent soumise à lui par les obliga- beauté et ses caprices, Delia est Aziadeh vit à Berlin. Mais elle tions les plus sacrées. Le prince, réfugié venue avec son mari, Henry, C n’est pas une immigrée. Nous à New York, est devenu scénariste, et à la fois prévenant et cynique. sommes en 1928 et l’héroïne de ce ivrogne. Aziadeh le retrouve : le Ce quatuor en place, le roman roman subtil et capiteux est plutôt devoir ! Toujours le devoir. La voilà aux n’annonce rien de très neuf, mais réfugiée politique, chassée de chez elle prises avec deux hommes, l’un et créer des situations originales avec par la révolution d’un pays qui ne s’ap- l’autre charmants et dévoyés l’un et des événements prosaïques est tout pelait pas encore la Turquie. Jeune l’autre par l’Occident. De cette situa- l’art du romancier, et Alison Lurie aristocrate, promise naguère à un tion inextricable, elle parviendra à se y excelle. Alternant l’humour harem princier mais obligée désor- sortir par le haut, vers l’amour et le bon- et une subtile analyse des bons mais de surveiller ses dépenses, elle heur. et mauvais côtés de l’amour – étudie la philologie orientale à l’univer- On peut lire cette superbe histoire conjugal ou non – elle démonte sité. La religion, la tradition, la généa- comme un commentaire sur le côtoie- avec talent et finesse les logie règnent sur sa vie berlinoise. Son ment des races et des religions, sur l’ac- mécanismes des brusques père, dignitaire déchu, personnifie ceptation ou le refus de l’autre, voire dérives qui bouleversent les tous ces codes de la Corne d’or avec sur la fragilité des unions mixtes : c’est destins. P.-R. L. une tendre bonhomie et contribue à souligner l’évidente actualité du texte. Traduit de l’anglais (Etats-Unis) par figer l’existence de sa fille, confite Mais Kurban Saïd visait sans doute Virginie Buhl, Rivages, 266 p., 19 ¤. dans les vieux mots, les antiques pro- plus haut en peignant son admirable nonciations et le souvenir ému de sa héroïne. Le thème de la fidélité irrigue L’ÉCRITURE ROMANESQUE ville : Constantinople. ces pages : fidélité au conjoint, mais ET THÉÂTRALE DE GAO Mais les hormones parlent aussi, aussi aux origines, à la religion, et XINGJIAN, sous la direction fort impérieuses, paraît-il, dans le Ber- même à l’histoire. de Noël Dutrait lin des années 1920. L’auteur, Kurban Réunis en colloque à l’université Saïd, ne l’ignore pas, il y vivait : son Souplesse d’anguille de Provence, une quinzaine roman parut à Vienne en 1938. C’est Mais qui est donc Kurban Saïd, cet Lev en guerrier du Caucase. D.R/NEW YORK HERALD TRIBUNE/NEW YORK TIMES COMPANY d’universitaires du monde entier aussi de Vienne qu’arrive le doc- auteur des années 1930 dont on n’a pu ont exploré l’œuvre du Prix Nobel teur Hassa, un otorhino divorcé qui lire en France qu’un autre roman (Ali et Nussimbaum, d’un père milliardaire et naliste de haut vol, notamment à la Lite- de littérature 2000. En voici les soigne Aziadeh et s’éprend d’elle. La Nino, éd. Nil, 2002, J’ai Lu, n0 7959) ? d’une mère qui deviendra bolchevique rarische Welt à laquelle contribuaient actes, qui s’attardent sur ce que très sage jeune fille répondra-t-elle à Un Turc, assurément, un pieux musul- avant de se suicider. La famille est juive. Walter Benjamin ou Thomas Mann. Eta- l’écrivain doit à Nietzsche, sa ses avances ? Un infidèle ? Impensa- man, un Stambouliote surdoué ? La Le père et son jeune fils fuient la révolu- bli à Berlin, il publie de nombreux détermination à se débarrasser des ble ! Mais qui pense lorsque paraît grosse biographie publiée avec ce tion russe vers Istanbul. Le biographe essais et biographies. La montée des « ismes » et de l’obsession de la l’amour avec le désir ? Hassa n’est roman nous éclaire, et ce qu’elle révèle raconte leur errance dans l’Europe de nazis le force à s’installer à Vienne, d’où Chine, ses points communs et d’ailleurs pas tout à fait un chrétien, est si passionnant qu’on la lira avec avi- l’époque avec verve et compétence. Il l’Anschluss le chasse après un voyage différences avec Jorge Semprun un Franc : ses origines sont bosnia- dité, même si le biographe y raconte ses montre comment le jeune Lev s’adapte aux Etats-Unis et un divorce venimeux. dans la description des univers ques, ses ancêtres étaient musul- propres démarches avec une complai- avec une souplesse d’anguille aux C’est à cette époque qu’il publie ses totalitaires, ses thèmes, ses mans… c’est donc à Sarajevo qu’Azia- sance parfois lassante sans toujours bureaucraties du système allemand. Il deux romans sous le pseudonyme de personnages féminins, la façon deh l’emmène en voyage de noces, éclairer certaines obscurités. explique comment, peut-être frappé par Kurban Saïd avant d’aller mourir, à dont il est perçu au Vietnam et au commençant ainsi la croisade amou- Tout commence en 1905, en Azerbaïd- son bref séjour en Turquie, il s’affuble 36 ans, en Italie : une histoire superbe, Japon, son écriture théâtrale. reuse qui devrait ramener le médecin jan, à Bakou, capitale éphémère du d’un nom turc – Essad Bey –, devient un roman délicieux. a J.-L. D. occidentalisé vers ses origines. pétrole, avec la naissance de Lev orientaliste, puis musulman, enfin jour- Jean Soublin Seuil, 286 p., 22 ¤.

Wesley Stace signe un premier roman victorien délicieusement troublant Une longue élégie d’Ermanno Rea La vraie nature de Rose Loveall La fin du rêve industriel

ntre la brume et la nuit, on ne sait Wesley Harding, il a enregistré une mourrai pas avant d’avoir vu votre héri- DÉMANTÈLEMENT petit les échelons, en devenant, en 1994, plus bien faire la part de l’ombre. dizaine d’albums et c’est pour l’un tier. » Un désir tout autant qu’une mena- (La Dimissionne) le responsable du démontage pièce par E Il est tard. Pharaoh a marché trois d’eux, Awake (1997), qu’il crée une chan- ce. L’héritier ? Il le tient. L’héritière plu- d’Ermanno Rea. pièce des coulées continues destinées à heures, traversant Londres comme en son sur un bébé trouvé. « I was found by tôt. Ainsi en a-t-il décidé malgré l’éviden- être transférées en Chine. rêve. Les grands axes, les ruelles de Litt- the richest man in the world/Who brought ce. Le bébé s’appellera Rose. Pour lui Traduit de l’italien par Franck La Brasca, le Dublin, le pilori d’Ash Square. Sinis- me up as a girl » (« J’ai été recueilli par donner une mère, il va épouser la seule Flammarion, 422 p., 23 ¤. Actes d’héroïsme tre. Pour se donner du courage, ce tout l’homme le plus riche de la terre/Qui m’a femme qu’il connaît, Anonyma, la biblio- Par touches successives qui suivent le jeune homme (il a 15 ans à peine) chan- élevé comme une fille »). « Je ne trouvais thécaire du domaine, l’ancienne gouver- e monde ouvrier n’a jamais été va-et-vient de la mémoire, il évoque tour te des refrains qu’il s’invente. Il marche pas d’autre rime à world que girl, raconte nante de Dolores. Enfance dorée et très présent dans la littérature à tour la vie des ouvriers, les luttes syndi- nez en l’air. Il compte les horloges des Wesley Stace. C’est comme ça jolies robes, Rose grandit L italienne contemporaine, en géné- cales, les manœuvres politiques autour clochers. Quand il parviendra à la dou- que tout a commencé. » dans l’ignorance de son ral centrée sur les affres et les contradic- de l’usine, ainsi que les tentatives de la zième, il sera arrivé. Son but est aux Hasard des mots ? Les cou- sexe jusqu’à l’adolescence tions des classes moyennes, les quel- camorra napolitaine pour profiter de la confins, là où la ville se défait dans des plets racontent le destin où le scandale éclate, la ques œuvres de Bernari, Pratolini, ou manne industrielle. Il raconte également cloaques et des monceaux d’ordures. d’un petit garçon abandon- contraignant à la fuite Volponi consacrées à ce sujet n’étant les actes d’héroïsme et les licenciements, C’est là qu’il doit jeter son drôle de né, travesti en fillette par ses dans la culpabilité et le que des exceptions. Le binôme « Littéra- les interminables discussions et les ami- paquet. De quoi s’agit-il ? Il ne sait pas. riches parents adoptifs. dégoût de soi. Que l’on ture et industrie » lancé par Vittorini au tiés, les amours et les trahisons. Avec un Pas très curieux au fond. Il obéit à sa L’histoire va hanter Stace sache juste que là où l’on milieu des années 1960 n’a jamais vrai- réalisme prononcé et beaucoup d’émo- mère, une faiseuse d’anges, un peu, jusqu’à ce qu’il se décide à la pense que tout se renverse ment fait école. Il fallait donc du coura- tion, Rea décrit surtout les différentes beaucoup maquerelle. On lui a juste dit : « terminer ». La chanson et se délite, les fils discrets ge à Ermanno Rea pour consacrer son phases du démantèlement qui jalonnent « Prends ça, Pharaoh. Mets-le sous ta ves- s’appelait Miss Fortune,le d’un inimaginable avenir dernier roman, Démantèlement, à l’uni- l’agonie de ce rêve industriel, une agonie te. Attention, c’est empoisonné. Gare à toi roman deviendra Misfortu- retiennent l’existence en vers ouvrier et à son déclin, à travers qui symbolise la défaite d’une certaine si tu y jettes un coup d’œil. (…) Si des gens ne : L’Infortunée. suspens. l’histoire de l’aciérie Ilva de Bagnoli, idée de la solidarité et de l’éthique du tra- te demandent ce que c’est, dis-leur de se C’est bien un bébé que Androgynie délicieuse et dans la banlieue de Naples. vail. Pour Bonocore et ses camarades, mêler de leurs affaires et décampe. » Pre- Pharaoh jette aux ordures. L’INFORTUNÉE effrayante. Les émois, les Toutefois, pour l’écrivain napolitain, démanteler l’usine signifie surtout «se mier épisode. Le décor est planté. Un chien s’empare du bal- (Misfortune) vertiges, les doutes, l’accep- il ne s’agissait pas d’élever simplement démanteler soi-même ». Mais paradoxale- lot. Il tente de le lui repren- de Wesley Stace. tation… Devient-on ce un hymne rhétorique à la culture ouvriè- ment, afin d’exorciser cette tragédie à la Silences convenus dre. La scène intrigue un Traduit de l’anglais qu’on est vraiment ou ce re, mais plutôt d’écrire une longue élé- foi personnelle et collective, le narrateur Nous sommes dans l’Angleterre de aristocrate qui traverse cette par Philippe que les autres désirent que gie à la mémoire d’un monde disparu s’applique à démonter les coulées conti- 1820 et Wesley Stace pour son premier banlieue sordide. Lord Geof- Giraudon, l’on soit ? Il faut se laisser avec les grandes illusions qu’il avait sus- nues « selon les règles de l’art », façon de livre nous embarque dans une aventure froy Loveall, l’homme le Flammarion, emporter dans cette narra- citées. Surtout à Naples, où l’implanta- se réapproprier de cette dépossession et riche en chausse-trapes et en rebondisse- plus riche d’Angleterre, va 468 p., 21 ¤. tion sinueuse. Wesley Sta- tion de l’usine – « un monstre vomissant ultime sursaut d’orgueil d’un ouvrier qui ments… Un roman victorien, si l’on veut, faire sien ce nouveau-né que ce écrit en références, dans dans la mer 20 millions de litres à l’heure veut tomber la tête haute. ancré dans une époque de silences le ciel lui envoie. A 33 ans, il n’est pas un patchwork d’approches. Réalités et de poisons en tout genre (…) et qui en expé- Rea – qui fêtera en 2007 ses 80 ans et convenus, de demi-sourires de façade, marié. Il vit dans la nostalgie d’une distance. On trouve du Charles Dickens. diait la même quantité jusqu’au ciel sous dont on a déjà lu en France son très secs, tranchants. Il y est question de bon- enfance où il s’est définitivement retiré Du Lewis Carroll, celui de Sylvie et forme de gaz » – avait néanmoins repré- beau Mystère napolitain – confirme à ne ou de mauvaise étoile, d’argent et de depuis la mort de sa jeune sœur Dolo- Bruno. Des touches de My Secret Life. senté le rêve d’une modernisation de la nouveau son talent de narrateur nourri puissance, d’identité et de trouble. Un res, tombée du grand arbre où tous les Plus encore si l’on veut… Ce sont ces ville et l’espoir de s’affranchir de ses de passions politiques et d’observations rien fait basculer l’ordre établi. Et l’on va deux jouaient à attraper les nuages. Elle clairs-obscurs où le trait noir recèle la démons et de ses illégalités. sociales, mais en même temps capable voir comment. avait 5 ans. Il en avait 11. Depuis, il res- fragilité d’une encre à peine diluée. L’In- L’épopée de l’aciérie, à partir de sa d’exprimer avec justesse les sentiments, Wesley Stace est davantage connu des sasse le paradis perdu. Cet enfant va fortunée est un beau livre, délicieuse- création au début du siècle jusqu’à son les réflexions, les peurs, les doutes et les amateurs de folk song ou de pop music. l’aider à remonter le temps. Sa mère, la ment complexe. Celui d’un poète qui a démantèlement définitif pendant les nostalgies qui accompagnent toujours Il a joué avec Joan Baez, Bruce Springs- douairière, de Love Hall, qui y agonise vaincu sa crainte des mots ébauchés. a années 1990, est racontée par Vincenzo les actions humaines. a teen ou Lou Reed. Sous le nom de John depuis des années, l’a prévenu : «Jene X. H. Bonocore, un ouvrier qui a gravi petit à Fabio Gambaro 0123 6 Vendredi 14 avril 2006 DOSSIER

Cinq mois après les émeutes qui avaient suivi la mort, à Clichy-sous-Bois, de deux jeunes garçons, plusieurs ouvrages tentent de comprendre les raisons de ces violences urbaines Banlieues retour de flammes

inq mois se sont écoulés rodée, les « belles âmes » sociologiques se partie, elle a réussi à la terroriser. Com- apport comparable à ce qu’avaient pu depuis que les banlieues de seraient incapables de percevoir les vrais ment expliquer, sinon, la réaction pani- réaliser Stéphane Beau et Michel Pialoux France se sont enflammées. enjeux des crises actuelles : l’islam, la que de quelques sociologues français ? avec leur enquête sur la ZUP de Montbé- Mais tandis qu’à Clichy, Pau polygamie, la haine de la République Au lieu de se préparer à une guerre d’usu- liard dans Violences urbaines, violence ou Vénissieux, les jeunes et/ou de la culture « occidentale », re, et de réinvestir le « terrain » pour met- sociale. Genèse des nouvelles classes dange- insurgés ont cessé le combat, c’est-à-dire de la culture tout court. Pire, tre en chantier des enquêtes au long reuses (Fayard, 2003), pour ne citer que uneC autre guérilla continue de faire rage, leur coupable aveuglement ferait de ces cours, les voilà qui se laissent entraîner ce seul exemple. sur les scènes intellectuelles et médiati- sociologues les principaux responsables dans le champ miné d’une polémique à Où est la voix des émeutiers ? On n’en ques, cette fois : celle de l’interprétation de la barbarie à venir : « Pour la sociolo- courte vue. C’est du moins ce que don- perçoit ici que de vagues échos, hâtive- des faits, qui porte sur la signification gie (nous parlons ici de la sociologie aussi nent à penser les deux volumes parus ment utilisés. Le point de vue des poli- même de ce que les spécialistes nomment déterministe que compassionnelle issue de simultanément aux éditions La Découver- ciers, celui des pompiers ? Faute de des « processus émeutiers ». Bourdieu) servant de base à tous les tra- te : un petit livre publié sous la direction recherches empiriques, beaucoup de tex- A vrai dire, cette bataille-là ne date pas vailleurs sociaux, médiateurs, intervenants de Véronique Le Goaziou et Laurent Muc- tes cèdent à une double facilité : d’un d’hier. Simplement, à chaque nouvel en banlieue, “la” culture n’existe pas ; seu- chielli (Quand les banlieues brûlent… côté, l’énoncé de causalités mille fois res- embrasement, elle franchit, elle aussi, un les existent “les” cultures, toutes légitimes à Retour sur les émeutes de novembre 2005, sassées (pauvreté, discriminations…) ; nouveau seuil de violence. Depuis novem- égalité. A force de marteler que “la” culture « Sur le vif », 160 p., 8,5 ¤) et un numéro de l’autre, la polémique contre la bre 2005, elle s’est encore radicalisée. Et est oppression, élitisme, qu’une pièce de Sha- de la revue Mouvements (« Emeutes, et «doxa» sécuritaire et la « lecture si d’aventure les hostilités devaient ces- kespeare n’a pas plus de valeur qu’une après ? », n˚44, 200 p., 13 ¤). “unique obligatoire” susurrée par les politi- ser, ne serait-ce qu’un instant, on s’aper- chanson, et qu’un vers de Racine ne vaut ques et confirmée par les médias ». cevrait alors qu’un cadavre gît au milieu pas mieux qu’un couscous, comment s’éton- Emballement mimétique Derrière les pétitions de principe du front : celui de la sociologie. Sur les ner qu’on brûle des bibliothèques ? », s’in- Certes, on y trouvera quelques contri- « scientifiques », on distingue les dégâts plateaux de télévision ou dans les colon- terroge ainsi le philosophe Robert Rede- butions intéressantes : celle de Patrick d’un emballement mimétique aussi nes des journaux, en effet, on a tiré à vue ker dans un ouvrage publié sous la direc- Simon, par exemple, intitulée « Discrimi- navrant que périlleux : à force de se sur ces « chers professeurs » qui, là où il tion de Raphaël Draï et Jean-François nations négatives. Pour une politique renier elle-même, une certaine sociolo- faudrait voir les logiques purement cultu- Mattéi (La République brûle-t-elle ? Essai contre le délit de faciès ». Celle de gie « militante » en vient à reproduire le relles ou ethniques à l’œuvre dans ces évé- sur les violences urbaines françaises, Ed. Marwan Mohammed et Laurent Muc- plus paresseux des discours médiati- nements, s’obstinent à y plaquer des cau- Michalon, 208 p., 17 ¤). chielli, aussi, consacrée à l’action policiè- ques. La crise de novembre exige à la salités sociales (chômage, précarité, relé- Offensive virulente, dira-t-on, hasar- re dans les quartiers « sensibles ». Mais fois moins de précipitation et plus gation…), se complaisant ainsi dans une deuse pour la forme, sans nuance sur le dans l’ensemble, la faiblesse de ces publi- d’audace. Elle attend d’autres « tra- impardonnable « culture de l’excuse ». fond. Mais qui n’en a pas moins atteint cations vient de ce qu’elles ne reposent vaux » que ceux-là. a Selon cette rhétorique désormais bien son but : faute d’avoir anéanti son adver- sur aucune investigation réelle, aucun Jean Birnbaum Cité Double-Couronne, Saint-Denis, 200 Jacques Donzelot : « On ne chasse plus les pauvres, on les fuit »

pécialiste reconnu de la vil- ignorait totalement la popula- Peut-on définir les récentes 1960, et depuis englobées dans ville qui se défait selon trois l’espace urbain comme un le contemporaine, le socio- tion immigrée du Maghreb, der- émeutes, pour reprendre une la ville par son développement. directions aussi divergentes ? « problème » à résoudre Slogue Jacques Donzelot a nière arrivée, première licen- formule de l’époque, comme Ces terrains sont précieux pour En France, nous prétendons y plutôt que comme une consacré de nombreux travaux ciée, installée à la hâte dans les une nouvelle « revanche des faire revenir les classes moyen- réussir en imposant la mixité ressource mobilisable pour aux métamorposes de la ques- cités d’habitat social. C’est exilés » ? nes et récupérer ainsi une popu- sociale. Il y a dans ce volontaris- faire vivre la démocratie. Si tion urbaine. Il publie contre cette indifférence que les Au XIXe siècle, on combattait lation forcément reconnais- me une foi républicaine, mais bien que les politiques aujourd’hui Quand la ville se enfants de ces familles ont pro- les émeutes populaires en exi- sante… Quitte à ce que les immi- aussi une tendance à simplifier publiques se déploieraient au défait. Quelle politique face à la testé. Et cette protestation fut lant leurs protagonistes. Ainsi grés présents en ces lieux le problème : on voit bien que la détriment de ce que vous crise des banlieues ? (Seuil « La entendue, relayée par la marche Haussmann refit-il la ville en la depuis trois générations aient le concentration de pauvreté aug- nommez « l’esprit de la couleur des idées », 192 p., des beurs (reçus à l’Elysée en purgeant de fait de la classe sentiment qu’ils ne sont pas mente, et que la population ville ». Que faire ? 16 ¤). 1983), par la création de SOS- ouvrière qui peuplait les ateliers assez bons pour qu’on les garde. vivant dans le logement social y Toute la difficulté vient peut- Vous notez qu’en Racisme… Bref, ce fut le point et les garnis, lesquels furent Entre ces différents reste bloquée. Or les expérimen- être de là, de ce que la ville n’est comparaison des violences de départ d’un mouvement. En démolis pour faire place au nou- territoires, vous affirmez tations conduites à l’étranger pas reconnue comme un méca- qui ont embrasé les banlieues comparaison, les émeutes de vel urbanisme. Actuellement, on qu’il existe désormais de montrent qu’il vaut mieux facili- nisme extraordinaire pour pro- en novembre, les premières novembre expriment la colère ne chasse plus les pauvres, on profonds clivages, voire des ter la mobilité qu’imposer la duire de la société. Un mécanis- émeutes qui éclatèrent au de ne se sentir l’objet que d’une les fuit. Dans les cités HLM des « ruptures quasi mixité. Comment ? En jouant me qui s’est enrayé, certes, mais début des années 1980 (aux suspicion et d’une répression années 1960, il y avait une cer- anthropologiques »… simultanément sur le collectif et qu’il convient de remettre en Minguettes, notamment) permanentes. La nouvelle géné- taine mixité, grâce à l’effet Oui, la ville contemporaine sur l’individuel. ordre de marche plutôt que de apparaissent comme « celles ration, toujours dite « issue de attractif de ces cités en compa- est marquée par une logique de Sur le collectif : en augmen- considérer l’espace urbain com- de l’espoir ». Qu’est-ce à l’immigration récente », se vit raison des logements de centre- séparation. On trouve, d’un tant la capacité de pouvoir des me on le fait des ruines industriel- dire ? comme un problème dont il ville, sans hygiène ni confort. côté, la relégation dans les cités habitants de ces quartiers à l’oc- les. Car ce mécanisme n’est pas C’est le contexte de ces événe- faut se débarrasser. Le plus sou- Puis les classes moyennes, sui- occupées par des minorités eth- casion des rénovations au lieu caduc en lui-même. Il repose sur ments qui leur donna ce sens : vent, elle a acquis la nationalité vies par la classe ouvrière blan- niques, et qui correspond à la qu’ils vivent celles-ci comme une l’institution d’un espace qui per- celui d’une pétition d’existence, française, mais cela ne veut rien che, ont vu dans la formule du mondialisation par le bas. A perte de la faible emprise qu’ils met aux gens de se relier et de se d’une volonté d’être pris en dire : elle reste maghrébine, noi- pavillon la possibilité d’avoir le l’autre extrémité, on peut placer ont sur leur vie. Sur l’individuel : délier pour peu qu’un équilibre compte par une société qui se re, sans travail, disqualifiée même confort, plus un jardin, et les quartiers des grandes villes en augmentant la marge de soit recherché entre les flux et les préoccupait uniquement de d’avance. C’est contre le mépris sans la promiscuité avec plus en cours de « gentryfication », choix des parents quant à la sco- lieux, comme le montre très bien « faire du social » à l’ancienne qu’elle se révolte. Elle manifes- pauvre que soi. Toutefois, on où domine la classe émergente larité de leurs enfants, en accor- Olivier Mongin. Ce qui fait l’es- (horaires de travail, âge de la te en ne respectant manifeste- pourrait trouver un certain écho de la mondialisation. Et puis, dant les marchés publics aux prit de la ville, c’est ce lien entre retraite…). Soit le programme ment plus rien, puisqu’elle des anciennes « déportations » entre les deux, s’étend l’espace entreprises qui emploient les jeu- l’ouvert et le fermé. Ce qui le rui- de la gauche au pouvoir, qui désespère de se voir respectée dans les opérations de du périurbain pavillonnaire, où nes des cités, en fiscalisant le fon- ne, c’est le déséquilibre entre les un jour. démolition/reconstruction ini- se retrouvent ceux qui veulent cier de manière à fluidifier les flux et les lieux : quand les flux Vous rappelez que la politique tiées par la loi Borloo (2003). fuir la population des cités, mais stratégies résidentielles au lieu s’imposent au détriment des urbanistique du baron Nombre d’élus ont vu là l’occa- aussi ceux qui ne peuvent suivre de stocker la population dans le lieux comme avec la périurbani- Haussmann ne fut pas pour sion de se débarrasser de la la montée du foncier dans les logement social, par défaut. sation ; quand les lieux s’impo- LE NOUVEAU rien dans le soulèvement de population qui peuplait les cités grandes villes centres. Com- Par tradition, dites-vous, sent au détriment des flux com- KEITH ABLOW la Commune de Paris. construites dans les années ment « faire société » dans une l’Etat français considère me avec la relégation. a Propos recueillis par J. Bi.

SUICIDAIRE exceptionnel dans une affaire Dans ce bref pamphlet qui Ce dernier trouverait d’ailleurs CHRONIQUES DE ZOOM en cours d’instruction, les prolonge une tribune parue, à son prolongement naturel L’ASPHALTE, avocats des familles des l’origine, dans le quotidien dans un esprit « raciste » qui de Samuel Benchetrit victimes ont décidé de italien Il Manifesto, l’auteur ne saurait tolérer la moindre « Monsieur Stern avait L’AFFAIRE raconter, dans un livre, leur veut procéder à ce qu’il « affirmation sûrement connu le terrain vague CLICHY, de « perception professionnelle, nomme un « examen communautaire ». De là aussi qui existait avant la Jean-Pierre intellectuelle et sensible » de ce ophtalmologique de la l’aveuglement des « prêcheurs construction de la tour. » Mignard et drame. Tout simplement, République ». Selon lui, celle-ci républicains » à l’égard des Ainsi débute le premier Emmanuel expliquent-ils, parce qu’au souffrirait de « daltonisme », récentes émeutes et de leur volume des « chroniques » de Tordjman travers de cette affaire « nous voire d’une véritable « cécité à « réalité racialisée » : en effet, Samuel Benchetrit dans les Le 27 octobre avons découvert une des affaires la couleur ». La cause de cette l’auteur envisage d’abord tours de son enfance. 2005, à le plus prégnantes de notre pathologie ? « La dimension celles-ci comme des « révoltes La famille Bouteillé, le petit Clichy-sous- nation. Un bout de France. Cette coloniale sature encore de jeunes Blacks et Beurs ». Touré, et mille autres Bois, trois France que d’autres affolent l’inconscient théorique et Affirmant prendre leur personnages peuplent ces jeunes garçons affolés, parce qu’ils l’ignorent et la politique des républicains. Et « défense », il proclame la pages dans lesquelles l’auteur poursuivis par la police, se craignent ». Instructif. F. N. cela même chez les historiens portée fondamentalement du Récit d’un branleur et de réfugient dans le périmètre Stock, 180 pages, 14,50 ¤. anticolonialistes », croit pouvoir politique de leur soulèvement : Comédie sur un quai de gare interdit d’un transformateur écrire Yann Moulier Boutang. « c’est le modèle français alterne autobiographie et électrique. Deux mourront LA RÉVOLTE DES D’où « l’allergie » aux d’intégration qui brûlait avec fiction. On attend la suite brûlés vifs. A la suite de ce BANLIEUES OU LES « différences » et la répugnance les émeutes, beaucoup plus que – quatre volumes – avec drame et des émeutes qui s’en HABITS NUS DE LA à l’égard des « minorités » qui quelques carrosseries », écrit-il. impatience. suivirent, le gouvernement RÉPUBLIQUE, caractériseraient J. Bi. F. N. décrétera l’état d’urgence. Fait de Yann Moulier Boutang l’universalisme à la française. Ed. Amsterdam, 112 p., 5 ¤. Julliard, 198 p., 18 ¤. 0123 DOSSIER Vendredi 14 avril 2006 7 Quand la « racaille » fait bande à part

POUR UNE POLITIQUE DE me de « contribuer à l’émergence LA RACAILLE. d’une expression politique et organi- Immigré-e-s, indigènes sée de la colère des populations et jeunes de banlieues, issues de l’immigration ». de Sadri Khiari Sous sa plume, la tâche essen- tielle se résume d’un mot : auto- Textuel « La discorde », nomie. Membre de l’opposition 176 p., 17 ¤. démocratique tunisienne, récem- ment installé en France, l’auteur ancé en janvier 2005, l’ap- puise dans les héritages théori- pel des « indigènes de la ques de Frantz Fanon et de Mal- LRépublique » a donné nais- colm X pour affirmer la nécessai- sance à une galaxie militante aux re auto-organisation de la lutte contours incertains, dont l’hétéro- « indigène ». C’est-à-dire son généité même constitue et la for- émancipation absolue vis-à-vis ce et la faiblesse : « Nous, descen- d’autres combats souvent présen- dants d’esclaves et de déportés afri- tés comme plus « urgents » (syn- cains, filles et fils de colonisés et dicaux, féministes, écologistes…). d’immigrés… », écrivaient les Aussi Khiari procède-t-il à la signataires de ce texte préparatoi- critique impitoyable d’une gau- re à des « assises de l’anticolonialis- che française qui demeurerait me postcolonial ». prisonnière de son « idéologie Sans vouloir se poser en porte- nationale-républicaine » et assi- parole de ce « nous » précaire, milationniste : « Parce qu’elle est Sadri Khiari propose ici quelques le partenaire indispensable des pistes susceptibles de fournir un indigènes, la gauche est leur débouché au mouvement, com- adversaire premier », note-t-il. D’où également la charge contre SOS-Racisme, accusé d’avoir ins- La perplexité trumentalisé la mobilisation des beurs pour la « projeter dans le de François Dubet plan politique blanc ».

En 1987, le sociologue Spectres coloniaux François Dubet publiait La Car l’auteur n’hésite pas à le Galère : jeunes en survie proclamer : l’urgence, désormais, (Fayard), une enquête serait de dénoncer une société remarquable sur les tout entière « fondée sur les discri- conduites marginales dans minations ethniques », et dominée les cités françaises. Vingt par ce qu’il nomme des « partis ans après, on retrouve sa blancs », comme d’autres disent signature dans un collectif des « partis bourgeois »… 05. ANDRÉ LEJARRE/LE BAR FLOREAL intitulé Banlieues, Depuis les politiques urbaines lendemains de révolte jusqu’à la répression des émeutes (Regards/La Dispute, 160 p., de banlieues, en passant par la 9 ¤). Aujourd’hui, le ton est construction de « l’islam de Fran- plus pessimiste, et la ce », tout l’inconscient étatique Enfants d’immigrés, fils de France perplexité de rigueur : serait donc habité par les spectres « Dénoncer les propos affolés coloniaux : « Le “régime de l’indi- de la droite et les provocations génat” hante continûment institu- LIBERTÉ, ÉGALITÉ, ce de parents marocains, tunisiens, espa- que les parents gardent avec leur pays d’ori- grotesques de l’extrême droite tions, pratiques et idéologies », CARTE D’IDENTITÉ. gnols, portugais et turcs, l’enquête, effec- gine n’empêchent pas une véritable adhé- et de quelques philosophes ne écrit Sadri Khiari. Les jeunes issus de l’immigration tuée en 1995-1996, s’est intéressée aux per- sion à la nation française, et ne constituent doit pas nous consoler d’une Page après page, son texte mar- et l’appartenance nationale. sonnes contraintes par la « loi Méhaigne- donc pas une menace pour l’identité nationa- observation bien plus cruelle : que ainsi la structuration théori- d’Evelyne Ribert rie » d’effectuer une démarche volontaire le. De fait, comme l’ont montré plusieurs étu- nous paraissons démunis et que et la radicalisation militante afin de devenir français. « Occasion idéale » des antérieures menées parmi d’autres popu- comme tétanisés face à ce qui d’un mouvement en rupture avec La Découverte, 276 p., 23 ¤. pour observer les représentations que ces lations, quand l’intégration scolaire, profes- s’est passé », reconnaît l’universalisme de la gauche tradi- jeunes se font de leur appartenance nationa- sionnelle et/ou relationnelle en France est François Dubet dans ce tionnelle, toutes tendances ue représente l’appartenance nationa- le, ce dispositif, voté en 1993 (et aboli en forte, le sentiment d’appartenance ne pâtit livre, où on lira également confondues : « Les indigènes le pour les enfants nés en France de 1998 par le gouvernement Jospin), apparais- nullement d’allégeances variées, de type les textes de la députée de n’ont que faire de la “solidarité Q parents étrangers ? La question qui sait également « emblématique » des débats national, local, ou autre : « Je ne supporte Guyane Christiane Taubira, antiraciste” des Blancs. Nous ne sous-tend l’enquête d’Evelyne Ribert politiques sur l’acquisition de la nationalité. pas la question : “Tu préfères la France ou le des sociologues Stéphane sommes pas sympathiques. Je hais surgit à première vue sur un terrain miné : En contraignant les candidats à renoncer Maroc ?” ; c’est comme si je te demandais : Beau et Michel Pialoux, ou le paternalisme encore plus que la comment prendre pour objet de recherche volontairement à la nationalité de leurs “Tu préfères ton père ou ta mère ?” », témoi- encore de l’architecte Paul haine », conclut-il. a cette fameuse « seconde génération », que parents pour devenir français, la procédure gne, par exemple, une adolescente. Chemetov. J. Bi. les discours politiques ont constituée en devait susciter chez eux une « prise de Enfin, et c’est sans doute la mise en pers- « problème public » au cours des années conscience » et lutter contre les « conflits pective la plus originale de ce travail, même 1980, sans contribuer à entériner « l’assi- identitaires » supposés affaiblir l’identité si elle mériterait d’être confrontée aux gnation à l’origine » que les historiens de nationale. recherches de sciences politiques sur les l’immigration ont identifiée comme l’un des nouvelles formes de nationalisme : si, chez moteurs du racisme contemporain ? Et que « Prise de conscience » les descendants d’immigrés, « la préémi- dire qui n’ait été analysé par les nombreux Les entretiens menés par Evelyne Ribert nence de l’appartenance nationale est récusée Régis Debray travaux relatifs aux résistances de la nation contredisent tous ces présupposés. Premier au profit de formes d’inclusion multiples, par- française à assumer son multiculturalisme ? constat : la « prise de conscience » a rare- tielles et conditionnelles », cette attitude L’apport du travail d’Evelyne Ribert, tiré ment été au rendez-vous, pour la bonne et rejoint la régression du sentiment national Supplique aux nouveaux d’une thèse de doctorat, résulte de son dou- simple raison que les candidats se chez l’ensemble des Français ; paradoxale- e ble positionnement méthodologique. D’un croyaient généralement déjà français, igno- ment, elle témoignerait donc de leur intégra- progressistes du XXI siècle côté, elle refuse de prendre pour acquis rant que la procédure d’acquisition automa- tion, dans un contexte de construction euro- l’idée d’un « affaiblissement » du sentiment tique avait été abolie. Pour eux, la manifes- péenne, de mondialisation et de disparition national par rapport à un idéal mythique- tation de volonté constituait la simple du service militaire. Ainsi, le discours sur ment identifié à la IIIe République. De confirmation juridique d’une évidence l’affaiblissement de l’appartenance natio- l’autre, plutôt que d’explorer les causes vécue ; tant et si bien que l’objet de recher- nale ne serait pas fondamentalement faux. sociologiques dudit « affaiblissement », elle che de la sociologue semblait le plus sou- Mais il se fourvoirait en se focalisant sur les préfère s’intéresser au « point de vue des vent dénué de tout intérêt aux yeux des enfants d’immigrés. Et surtout en confon- intéressés ». principaux « intéressés »… dant cette mise en cause avec la disparition Appuyée sur des entretiens avec cinquan- Deuxième constat : contrairement à cer- de toute forme d’ancrage identitaire. a te adolescents et jeunes adultes nés en Fran- tains discours alarmistes, les liens affectifs Juliette Rennes

BONDY afin d’y raconter « le quotidien Montaigne, club de réflexion L’auteur, d’origine kurde, se BLOG dans un territoire qui semble de l’UMP, prône le recours à retrouve un jour contractuel Des aussi lointain du Paris une véritable action dans un lycée difficile d’une journalistes intra-muros qu’autrefois les volontariste en matière de zone d’éducation prioritaire, suisses colonies ont pu l’être de la discrimination positive. en Seine-Saint-Denis. Il dans le 9.3, métropole ». Pendant des Il propose de nombreuses raconte son expérience. P. K. Comme mois, ces journalistes vont mesures concrètes pour éviter Le Serpent à plumes, l’écrit Serge ainsi se relayer, écrire toute forme de discrimination, 286 p., 18 ¤ Michel dans 270 articles, et accueillir sur en facilitant l’accès à la la préface de un blog près de 1 300 formation, à l’emploi et au Signalons également : € cet ouvrage, « Nous avons été commentaires de lecteurs. logement. Une révolte en toute logique. 5,50 “embedded” à Bondy comme la Bondy Blog en est le condensé. Il recommande Des banlieues en colère, grande presse l’est à F. N. particulièrement la création novembre 2005, collectif Matignon. » Nous ? Quatorze Seuil, 264 p., 15 ¤. d’une charte de la diversité (L’Archipel des pirates, 270 p., journalistes suisses de pour favoriser la mixité 8 ¤), ainsi que deux numéros L’Hebdo, un magazine LES OUBLIÉS DE ethnique et culturelle dans les de la revue Actes de la recherche Contre la traque du nouveau réac, d’information générale créé en L’ÉGALITÉ DES CHANCES, entreprises. L. Du. en sciences sociales, fondée par l’esquisse d’une gauche tragique. 1981 et basé à Lausanne. En de Yazid Sabeg Hachette, « Pluriel », Pierre Bourdieu : Politiques des plein milieu des émeutes de et Laurence Méhaignerie 310 p., 9,20 ¤. espaces urbains et Figures du l’automne 2005, les Ce livre, issu du rapport « Les ghetto, responsables du journal oubliés de l’égalité des PROF DANS UNE ZEP (nº 159, septembre 2005 eurent l’idée d’ouvrir un petit chances », commandé en ORDINAIRE, et nº 160, décembre 2005). Gallimard bureau au cœur de la banlieue janvier 2004 par l’Institut de Fawaz Hussain (Seuil, 14 ¤ chaque). 0123 8 Vendredi 14 avril 2006 ESSAIS

ZOOM En admirateur discret, Jean-Denis Bredin se fait l’avocat de la légendaire meurtrière de Marat

VIOLENCE ET RÉVOLUTION. Essai sur la naissance d’un mythe national, de Jean-Clément Martin Charlotte Corday, beauté fatale On sait la place qu’occupe l’épisode vendéen dans les études entreprises par Jean-Clément Martin. D’un bsente de la toile fameuse de « Sa taille parfaitement prise, quoi- let « la belle et splendide victime dans son celui-là périsse ! »). mémorable Blancs et Bleus dans la David, qui ne veut retenir que le qu’un peu forte, ne manquait pas de manteau rouge » qui sur l’échafaud fon- En route pour Paris, rédigeant les let- Vendée déchirée (Gallimard, martyre de Marat, corps effon- noblesse. Elle s’occupait fort peu de sa de « la religion du poignard ». tres qui l’encouragent et la justifient, « Découvertes », 1986) à A dré sur le rebord de cette bai- parure et ne cherchait nullement à faire On aura bien du mal à percer le mystè- elle cite Voltaire offrant à Brutus l’argu- Contre-Révolution, révolution et gnoire d’où l’Ami du peuple œuvrait à la valoir ses avantages naturels. (…) Elle re de cette jeune femme, descendante de ment suprême (« Mon devoir me suffit, nation, France 1789-1799 (Seuil, défense de la République, Charlotte Cor- était d’une blancheur éblouissante et de la Pierre Corneille et d’une lignée d’aristo- tout le reste n’est rien »), songe sans dou- « Points », 1998), l’historien day est l’héroïne solaire d’une Révolu- plus éclatante fraîcheur. Son teint avait la crates sans le sou, moins exaltée que te à son aïeul Pierre Corneille, dont elle interroge la violence du moment. tion qui ne fit guère de place aux fem- transparence du lait, l’incarnat de la rose déterminée, qui s’effraie du massacre du admire Cinna plus que tout, à Thomas, Lue dès l’événement comme un mes, droit et imagerie mêlés. Un soleil et le velouté de la pêche ; le tis- vicomte de Belsunce dans son frère dont elle cite un vers de la tra- scandale inévitable, indice sanglant, comme l’« auréole du cou- su de sa peau était d’une rare les rues de Caen en gédie Le Comte d’Essex à son père, com- de l’effondrement des valeurs ou chant » qu’évoque Michelet lorsqu’il finesse. On croyait voir circu- août 1789 – il a 21 ans com- me une sobre consolation : « Le crime dérapage circonstanciel, la violence décrit sa marche au supplice. Un por- ler le sang sous un pétale de me elle – mais raille ces jeu- fait la honte, et non pas l’échafaud. » On relève du mythe fondateur. Une fois trait tracé à la hâte le jour de sa mort, de lis. » Quand Casimir-Périer nes nobles qui, comme bien- n’en saura guère plus sur cette moderne encore, Martin tente de donner à la salle d’audience à la cellule où la publie en avril 1862 dans tôt ses deux frères, jouent héroïne de Plutarque, masquée par sa lire la Révolution à la lumière d’une condamnée est reconduite, par un capi- La Revue des deux mondes les héros et émigrent, imi- légende. brutalité héritée de l’Ancien Régime, taine de la Garde nationale, Jean-Jac- ces souvenirs de Madame tant Don Quichotte, et refu- En avocat scrupuleux – et en admira- revisitant deux siècles ques Hauer, ancien élève de David, livre de Maromme, qui fut l’amie se en 1791 de se lever et de teur discret – Jean-Denis Bredin tente d’historiographie pour mieux l’ultime regard du sphinx qu’elle demeu- d’enfance de Charlotte, cel- boire avec les siens à la san- toutefois de défaire l’écheveau, de suivre donner à comprendre que notre re, projection de tous les fantasmes, de le que Lamartine dans son té de Louis XVI, « si bon, si parallèlement la jeune femme et l’hom- lecture dit moins l’histoire que sa la vierge hystérique et criminelle à l’an- Histoire des Girondins appel- vertueux » : « Je le crois ver- me qu’elle va abattre. Avec un sens de la représentation. Ph.-J. C. ge d’innocence confondant le crime, le, conjuguant « les deux tueux, opine-t-elle, mais un dramaturgie qui cède le pas à l’archive Seuil, « L’univers historique », Judith terrassant le nouvel Holopherne. extrêmes de l’admiration et roi faible ne peut être bon ; il nue dès lors que les pièces de l’affaire, 352 p., 23 ¤. de l’horreur dans la langue « ON NE MEURT ne peut empêcher les mal- interrogatoires et procès, donnent à Eteindre la guerre civile des hommes »,l’« ange de QU’UNE FOIS » heurs des peuples. » On ima- entendre la voix si envoûtante de Char- LE JAPON D’EDO, Entrée dans l’histoire le samedi l’assassinat », le crime qui Charlotte Corday gine le malaise et la froi- lotte elle-même. Sa calme dignité, sa de François et Meiko Macé 13 juillet 1793 en accomplissant la « mis- fit sa notoriété est déjà pas- de Jean-Denis deur qui suivent. rigueur sans faille et son scrupuleux sou- On pense communément que le sion » dont elle se sent investie depuis la sé de l’histoire au mythe. Et Bredin. Elle saura agir. Visant ci de n’entraîner personne dans son silla- Japon s’est modernisé sous chute de la Gironde, le 31 mai – éteindre le panthéon humain n’hési- celui pour qui l’insurrection ge – seule instigatrice, elle entend être l’influence occidentale. Ce n’est que la guerre civile et sauver son pays en te plus guère entre la victi- Fayard, 440 p., 23 ¤. populaire est le seul chemin seule coupable : « On ne meurt qu’une partiellement vrai : l’époque Edo frappant « le principal auteur de ce désas- me et l’assassin, Marat, de la Révolution. Marat n’af- fois, et ce qui me rassure contre les hor- (1603-1868), celle du règne des tre » – Charlotte Corday est propulsée hôte éphémère du monument de Souf- firme-t-il pas alors : « Ces hommes qui reurs de notre situation, c’est que personne shoguns Tokugawa, fut un véritable en pleine lumière sans que les zones flot – occis le 13 juillet 1793, il n’est nous oppriment et nous pillent depuis des ne perdra en me perdant » – donnent un incubateur de la modernisation. Le d’ombre d’un parcours de météore per- admis dans le temple dédié aux siècles ne se résoudront pas jamais de bon- tour héroïque à une audience dont elle basculement de l’archipel dans le mettent d’atteindre la dimension humai- « grands hommes » qu’en septem- ne grâce à n’être que nos égaux (…). Pour pensait faire l’économie, sûre d’être monde moderne se fit assurément ne du personnage. Même les témoigna- bre 1794 pour en être exclu cinq mois ne pas être massacrés par eux, il faut les mise en pièces par les monstres qui sou- par le contact avec l’Occident. Mais ges, recueillis a posteriori et non plus tard ! – a cédé le pas devant son exterminer tous, du premier au dernier. » tenaient Marat. Par chance pour l’histo- le Japon ne fit pas que copier : les exempts de parti pris, ne lèvent pas le bourreau. Et la jeune vierge chantée dès Pour élire sa cible, Charlotte n’aura guè- rien, le dossier existe – et Jean-Denis transformations de ces deux siècles voile, sinon pour dire la fatale beauté du l’été 1793 par André Chénier, et excusée re besoin des imprécations des Giron- Bredin livre en annexes un passionnant et demi de quasi-fermeture du pays crime, bien faite pour assurer au fil du presque par ce misogyne de Rétif de la dins réfugiés à Caen en juin 1793 qui corpus. Sans que le mystère de l’ange cri- préparaient cette mutation. XIXe siècle la fortune de l’image de la Bretonne (« et l’enthousiasme égaré ne stigmatisent le Montagnard dont les minel soit dissipé. Intelligemment, ce guide brosse le vierge vengeresse. fut plus »), est déjà devenue pour Miche- attaques ont provoqué la chute (« Que Philippe-Jean Catinchi tableau de cette proto-modernité : des croyances aux sciences en passant par la justice ou la culture populaire urbaine se dessinent une société et une mentalité dans Un petit essai stimulant de Reynald Abad revient sur un étonnant épisode de la Révolution lesquelles s’enracine le Japon contemporain. Ph. P. Les Belles Lettres, « Guides des La carpe et le révolutionnaire civilisations », 316 p., 15 ¤.

JOURNAL D’ASIE LA CONJURATION plus tard, sur une proposition de Bour- berges des étangs : pacage des animaux, confondre allégrement étangs et marais, Chine-Inde-Indochine-Japon CONTRE LES CARPES don de l’Oise, la Convention votait un etc. L’intérêt de ce petit livre se rappor- quitte à user très libéralement de l’arti- 1969-1975, Enquête sur les origines décret ordonnant le dessèchement de tant à un grand sujet est de montrer s’il cle 17 des droits de l’homme et du d’Henri Froment-Meurice du décret de dessèchement l’intégralité des étangs de la République en était encore besoin, à travers une étu- citoyen qui consacre l’inviolabilité de la Ambassadeur de France, Henri des étangs du 14 frimaire an II dans un délai de deux mois. À la fin de de de cas, l’ancrage de la Révolution propriété et à ne pas se poser la question Froment-Meurice a été en poste en de Reynald Abad 1793, la République en guerre a plus dans le XVIIIe siècle des Lumières. de la viabilité économique de l’opéra- Union soviétique, en Allemagne et besoin de blés et de fourrages pour nour- Car tout commence par un concours tion : degré de fertilité des terres assé- en Egypte, mais ce sont les Fayard, 200 p., 20 ¤. rir son armée que de poissons ! lancé dans les années 1770 par l’acadé- chées, manque à gagner des revenus pis- réflexions notées au fil des jours mie de Lyon sur l’utilité des étangs. Tou- cicoles, indemnisation. Mais peu impor- quand il était directeur d’Asie au e saviez-vous ? La carpe aussi est Vestiges honteux tes les questions propres au débat des te, le processus qui aboutit à ce décret de ministère des affaires étrangères un animal politique. D’autant que En dépit des apparences, cette déci- Lumières y sont abordées : l’hygiène et décembre 1793 a surtout le mérite de qu’il livre dans cet ouvrage. On y L cet inoffensif et silencieux pois- sion pour le moins drastique est loin la salubrité publiques, la démographie, confronter la réalité révolutionnaire à trouve des notations sur la son de rivière, dont le héron de la Fable d’être anecdotique. Reynald Abad, qui les mérites économiques comparés de des questions aussi graves et diverses négociation qui mit fin à la guerre lui-même ne voulait pas pour son déjeu- mène l’enquête avec intelligence et l’agriculture et de la pisciculture. Ce que le dirigisme économique, l’intérêt du Vietnam, sur la tragédie ner, fait en Révolution une entrée pour humour, relève qu’il existe pas moins de n’est qu’après 1789 que le débat évolue général, la réinvention « légale » du pro- cambodgienne ou les relations avec le moins fracassante. Le 1er décem- 14 275 étangs en France à cette époque et prend une tournure nettement plus cessus d’expropriation en France. la Chine à la fin du règne de Mao. bre 1793, à la Convention, Danton en sur une surface correspondante d’envi- politique. Tandis que l’on guillotine cer- Ce petit essai stimulant de Reynald On trouve aussi des analyses sur la personne s’en déclare l’adversaire irré- ron 145 000 hectares… et beaucoup plus tains des agronomes distingués qui Abad a donc tous les mérites, et surtout conduite de la politique étrangère ductible et l’élimine des étangs d’une de propriétaires encore, en raison de avaient jusqu’alors doctement – et sage- celui de clarifier les logiques d’affronte- par les présidents de la République phrase assassine qui pour être devenue droits très anciens hérités des particulari- ment – débattu de la question, à Paris, ments révolutionnaires qui font brutale- (Pompidou et Giscard d’Estaing) et célèbre n’en reste pas moins énigmati- tés techniques de l’exploitation piscicole au nom de l’urgence et de la volonté ment basculer un débat jusqu’alors leurs ministres. Une mine pour que : « Nous sommes tous de la conjura- des étangs qui distinguent les posses- générale, la carpe devient vite contre- dominé par la complexité, le raisonne- l’historien, non sans quelques échos tion contre les carpes et nous aimons seurs du sol (l’assec) de ceux de l’eau révolutionnaire et les étangs autant de ment et le doute du côté des certitudes, avec l’actualité du moment. D. V. mieux le règne des moutons. » (l’évolage), sans parler de la complexité vestiges honteux hérités d’une France de l’uniformité et de l’intérêt politique. a L’Harmattan, 490 p., 41 ¤. De quoi s’agit-il au juste ? Deux jours des droits coutumiers et d’usages des féodale obscure et dégénérée. Quitte à Emmanuel de Waresquiel Vertige de la sauvagerie

encontrer un enfant sauvage capacités essentiellement humaines, nudité, peau sombre, agressivité, le docteur Jean Itard consacre des parlant-pensant. Sans doute y a-t-il exigeait autrefois des comme l’apprentissage de la langue, nourritures crues. Plus instructive années à observer le fameux Victor de moins de possibilités pour de telles R circonstances exceptionnelles. semblent perdues faute d’avoir été encore est l’évolution de cette l’Aveyron. De ce sujet d’observation aventures. La sauvagerie, dans la Guerres, massacres, cataclysmes, activées. représentation de la sauvagerie. sans pareil, il attend des clés pour nature, se réduit. Peut-être devient-elle épidémies, naufrages, contrées Il existe une multitude de récits L’intérêt majeur du beau travail de comprendre la civilisation, le langage, aussi bien plus proche, et plus désertes… au minimum. Il fallait aussi traitant de ces êtres des confins. On en Lucienne Strivay réside en effet dans la l’esprit humain, les mécanismes intérieure. Car les monstruosités des animaux secourables, capables de dénombre plus d’une centaine, depuis mise en lumière du changement essentiels de ce que nous sommes. massives du XXe siècle ont montré que recueillir un petit d’homme à la première mention, au VIe siècle de affectant l’attention portée aux enfants Lucienne Strivay s’attache à ce moment le bestial et l’inhumain ne sont pas des l’abandon, et lui permettant de notre ère, d’un enfant élevé par une sauvages. Renaissance et Age classique où le regard change, sous l’effet d’une raretés improbables. On les voit, au survivre. On signale des chèvres, loups, chèvre pendant les invasions barbares ne voient dans ces trouvailles étranges profonde et souterraine réorganisation contraire, surgir de la banalité la plus ours, singes, mais aussi des porcs et en Italie jusqu’à la découverte, en 2001, de l’ensemble des savoirs. civilisée. Nous avons désormais ce des chiens, entre autres. La suite d’un garçon recueilli durant deux ans L’entreprise évoque, en ce sens, celle terrible savoir : n’importe qui, ou demeure une énigme : un être vivant par des chiens dans la montagne CHRONIQUE de Michel Foucault. Elle s’en éloigne presque, peut franchir les limites de survit, grandit, apprend à chasser, à chilienne. Entre-temps, le périple ROGER-POL pourtant par une tonalité plus rêveuse, l’humanité sans difficulté apparente. s’enfuir, à se cacher, qui n’est ni tout à chemine notamment par la Saxe du empreinte d’un charme particulier. Il y Aucune circonstance extraordinaire fait humain ni entièrement animal. XIIIe siècle, la Norvège, le Danemark, DROIT a dans les meilleures pages comme une n’est plus impérativement requise. Quand on le découvre, par hasard, l’Inde ou Tahiti. Aux cas d’enfants poésie estompée, une aquarelle Nous sommes tous, désormais, des après des années d’errance et de élevés par des animaux peuvent rien d’autre que curiosités et exceptions descriptive très singulière. Comme si enfants sauvages en puissance. Très bestialité quotidiennes, ses s’ajouter d’autres figures monstrueuses. Elles effraient et ces êtres dits sauvages, toujours à la peu nous sépare de ce dehors comportements semblent presque sans d’ensauvagement : garçons ou filles fascinent à la fois, échappant aux limite (des bois, du monde humain, du au-dedans de nous-même. Et la rapport avec les nôtres. Dans cet cloîtrés, grandissant coupés du monde, normes, touchant au domaine du représentable) étaient aussi au bord du fragilité de la frontière donne le humain qui n’a pu devenir notre adultes naufragés, survivant seuls des démoniaque ou du magique. Mais nul dicible, fugitivement dépeints, aussitôt vertige. a semblable, nous percevons notre image années et perdant figure humaine. Du ne songe à les interroger enfuis. comme de biais, révélée et déformée à moins, d’après ce qu’on en dit. Car ce systématiquement pour y découvrir les Aujourd’hui, sans doute voyons-nous ENFANTS SAUVAGES la fois. Ses facultés sont différentes, les qui intéresse l’anthropologue est moins ressorts de la nature humaine et les autrement cette figure de l’enfant Approches anthropologiques unes exacerbées (flair, vision nocturne), la réalité, inaccessible, que mystères de l’origine. Il faut attendre sauvage. Il y a longtemps que nous ne de Lucienne Strivay. les autres inhibées (sensibilité au froid l’organisation de l’imaginaire. Des les Lumières pour voir s’organiser un la scrutons plus comme si elle recelait Gallimard, « Bibliothèque des sciences et au chaud). Surtout, certaines constantes marquent ces descriptions : tel projet. Sous le Directoire et l’Empire, tous les secrets de l’animal humaines », 460 p., 25 ¤. 0123 SCIENCE-FICTION Vendredi 14 avril 2006 9

Zombies, vampires et maisons hantées… Le roman d’horreur est de retour Variations sur l’effroi

CELLULAIRE contexte éminemment contemporain. Elizabeth Kostova se livre également (Cell) La contemporanéité s’exprime ici par le à une véritable performance en repre- de Stephen King. biais du téléphone portable. C’est en nant, après bien d’autres, le personnage effet l’objet utilisé par d’énigmatiques de Dracula et en nous faisant la brillante Traduit de l’anglais (Etats-Unis) (ils le resteront jusqu’au mot fin) « ter- démonstration qu’il y a des manières iné- par William Olivier Desmond, roristes » pour transformer une part de dites de l’aborder, de le revisiter. Pour Albin Michel, 406 p., 22 ¤. la population américaine en zombies. cela, elle s’est appuyée sur le personnage Stephen King utilise la métaphore du historique de Vlad Tepes l’empaleur, qui L’HISTORIENNE ET DRAKULA disque dur de l’ordinateur pour expli- a donné naissance à la légende de Dracu- (The Historian) quer les conséquences de ce phénomène la, et sur les superstitions locales concer- d’Elizabeth Kostova. mystérieux, qu’on a appelé « l’Impul- nant la figure du vampire. Mais, dès le sion », et qui a affecté tous ceux qui début du roman, elle fait déclarer à l’un Traduit de l’anglais (Etats-Unis) étaient au téléphone quand il s’est pro- de ses personnages, un professeur d’uni- par Evelyne Jouve, duit… Le héros de Cellulaire est un dessi- versité qu’on ne peut guère suspecter de Ed. XO, deux tomes, 492 p. et 508 p., nateur de BD qui se trouve à Boston, raconter n’importe quoi, que dans les 14,90 ¤ chaque. loin de chez lui, quand l’Impulsion années 1930, époque à laquelle il menait déchaîne une épidémie de folie et de à Istanbul certaines recherches, il avait NÉCROMANCIEN massacres. Il n’a plus dès lors qu’une acquis la certitude que Dracula était (Necromancer) seule idée : rejoindre son fils et le mettre vivant… de Robert Holdstock. à l’abri de cette explosion de violence. Va S’ensuit alors le récit d’une longue alors débuter, pour lui et les compa- enquête, menée sur les traces de ce pro- Traduit de l’anglais par gnons qui choisiront de l’accompagner, fesseur, qui a disparu dans des circons- Sandra Kazourian, Mnémos « Icares », une longue pérégrination semée de tances étranges. Enquête qui amènera 448 p., 23 ¤. périls, face aux pouvoirs grandissants de un homme à faire la connaissance de cel- ceux qu’on appelle désormais les « pho- le qui allait être la mère de sa fille, une es hasards de l’édition font que nistes » et dont le leader mérite bien son jeune Roumaine au caractère bien trem- le lecteur pourrait croire au surnom de « Dépenaillé »… pé, qui le conduira à Istanbul, puis dans STANISLAS BOUVIER retour en force du roman d’hor- plusieurs pays du bloc communiste, par L reur, suite à la sortie de plu- Science du récit le biais d’une sorte de jeu de piste. Le (il date de 1978), traduit pour la premiè- moins par une idée « folle », un archéo- sieurs ouvrages relevant de ce genre On est frappé, une fois encore, par la roman d’Elizabeth Kostova, fascinant re fois en France, qui aborde sur le regis- logue fasciné par le secret des mégali- assez polymorphe. A tout seigneur, tout science du récit de Stephen King. Saisis d’érudition dispensée sans qu’elle ne se tre du roman d’horreur un thème qui thes, une entité maléfique emprisonnée honneur : il convient de commencer par l’irruption brutale de la catastrophe fasse jamais trop pesante, est d’une cer- visiblement obsède l’auteur et qu’il a qui ne demande qu’à s’évader. Tels sont par le nouveau roman de Stephen King, dans les toutes premières pages, il nous taine complexité. Mais le lecteur ne perd déjà traité par d’autres biais : la réma- les ingrédients de ce thriller occulte qui, qui répond parfaitement aux critères de est impossible d’abandonner les person- jamais le fil de la narration, qui conduit nence d’un passé lointain jusqu’à l’épo- s’il n’est pas le meilleur roman de définition du genre : l’utilisation d’un nages avant la fin, d’ailleurs ouverte, de à une confrontation explosive. que actuelle, conjuguée d’ailleurs au Robert Holdstock, n’en est pas moins thème classique du fantastique – celui ce roman haletant au goût prononcé Quant à Nécromancien, c’est un pouvoir des signes. Une église en ruine une œuvre intéressante. a des zombies – renouvelée par un d’apocalypse. roman déjà ancien de Robert Holdstock hantée, une femme qui ne l’est pas Jacques Baudou

Deux titres emblématiques du « Nouveau Space Opera » Les mémoires d’éditeur de Jacques Sadoul Les nouveaux extraterrestres Un pionnier de la SF française

LA NEF DES FOUS C’est incontestablement le cas Curieux parce que l’auteur, Char- C’EST DANS LA POCHE ! suites de romans parus au “Rayon que ceux-ci soient amenés à nous (Ship Of Fouls) dans La Nef des fous, de Richard les Stross, greffe sur le thème de Jacques Sadoul. fantastique” qui étaient restées iné- considérer comme des concur- de Richard Paul Russo. Paul Russo, qui a obtenu le prix d’une invasion non pas extrater- dites : les suites du Fondation rents… » Philip K. Dick en 2001 et qui trai- restre mais extrahumaine – le Ed. Bragelonne 208 p., 17 ¤. d’Asimov, celle des Armureries C’est au sein de cette collec- Traduit de l’anglais (Etats-Unis) te le thème du contact avec peuple, ou plutôt la civilisation, d’Isher de Van Vogt, Les Fabri- tion de SF que Jacques Bergier a par Patrick Dusoulier, l’alien de manière biaisée et origi- qui s’y livre répond au nom inso- acques Sadoul, qui fut long- cants d’armes, etc. J’ai convaincu fait paraître une série d’antholo- éd. du Bélial 416 p., 22 ¤. nale. Après avoir découvert sur la lite de Le Festival –, celui de la temps le directeur littéraire Maurice Renault, le directeur d’Op- gies. « J’avais acquis la collection planète Antioche des colonies préparation d’une guerre inters- J de J’ai lu, vient de publier ta, de les publier dans des volumes de “pulps” de Georges Gallet et j’ai CRÉPUSCULE D’ACIER dévastées, l’équipage d’une arche tellaire qui se conclut par une sous ce titre allègre ses analogues au CLP. Le succès a été pensé qu’il serait intéressant de fai- (Singularity Sky) stellaire, l’Argonos, croise la route déroute, ainsi que la description mémoires d’éditeur, et accessoire- immédiat. » re connaître au public français le de Charles Stross. d’un gigantesque vaisseau spa- d’un empire galactique inspiré ment d’auteur. L’incipit : «Je meilleur de ces textes. J’ai effectué tial extraterrestre qui semble tota- de l’empire austro-hongrois. suis né en octobre 1956 à l’âge de Titres inédits la sélection à partir de trois sour- Traduit de l’anglais lement désert, et en entreprend Un parfum d’uchronie baigne 22 ans », affiche assez bien la Jacques Sadoul a été aussi le ces : les nouvelles préférées des lec- par Xavier Spinat, l’exploration. Jusqu’à ce qu’une l’intrigue, qui fait la part belle à tonalité générale des souvenirs premier éditeur à publier de la teurs de ces revues indiquées dans éd. Mnémos, « Icares SF », vieille femme, survivante des deux agents secrets servant deux égrenés : il s’agit d’une évocation SF dans une collection de poche. les référendums organisés systéma- 420 p., 22,50 ¤. massacres d’Antioche, soit retrou- puissances différentes. L’une amusée d’une carrière fertile en « J’ai persuadé Frédéric Ditis tiquement par ces dernières, les vée dans un recoin du navire et d’elles, le mystérieux Eschaton, rencontres, qui vaut tout autant qu’on pouvait vendre de la SF chez nouvelles que mon ami Jacques ans Science-fiction 2006, ramenée sur l’Argonos. Mais Bar- est, nous dit Dunyach, une singu- par les anecdotes rapportées que J’ai lu en me fondant sur le fait Bergier me signalait car elles l’anthologie annuelle des tolomeo Aguilera, le responsable larité « des plus radicales », une par le regard distancié porté sur que lui-même en avait publié dans étaient restées gravées dans son D éditions Bragelonne, qui des équipes d’exploration, va fai- « divinité » engendrée par l’hu- le métier d’éditeur. sa collection “La Chouette”, et que souvenir et celles que je repérais contient quelques nouvelles de la re une découverte qui éclairera manité : elle conserve à l’issue Le lecteur de science-fiction ces titres s’étaient aussi bien ven- moi-même, attiré par le nom de plus belle eau – « Continuum », d’un jour cruel les intentions de du roman un caractère énigmati- s’y plongera avec délices, car Jac- dus que les romans policiers avec l’auteur, un petit résumé ou une de James Lovegrove, « Les ces énigmatiques extraterrestres. que qu’une suite à paraître ques Sadoul a été l’un des plus qui ils voisinaient… Il a alors accep- illustration. » Rémoras » de Robert Reed, ou Cette passionnante confronta- devrait dissiper. Quoiqu’il en importants éditeurs du genre en té l’expérience. Dès la première Quand on lui parle des temps « Le Front de l’humanité », de tion d’un groupe humain à une soit, ce Crépuscule d’acier confir- France. Il fut à l’initiative de la année, je lui ai signalé que certains héroïques de la Balance, librairie Ken MacLeod – Jean-Claude race indéchiffrable se double me, après Le bureau des atroci- collection du « Club du livre d’an- ouvrages importants du genre autour de laquelle s’est constitué Dunyach signe un essai sur le d’une réflexion subtile. tés où se décelait le même goût ticipation », le CLA. « Aux édi- n’avaient pas été traduits. Il a le premier « noyau dur » de la « Nouveau Space Opera » ou pour les fastes troubles de l’es- tions Opta, qui publiaient Fiction, accepté, si la collection marchait SF française, il rétorque que les NSO, dont il détaille ce qui le dif- Guerre interstellaire pionnage, que Charles Stross est Mystère magazine et Hitchcock convenablement, qu’on y glisse vrais pionniers ont été Georges férencie du space opera classi- Dunyach affirme aussi que le un auteur de première importan- magazine, existait déjà le Club du quelques titres inédits. Mais en Gallet ou Stephen Spriel, et rap- que. L’une des caractéristiques, NSO fait souvent usage du ce, adepte d’une science-fiction livre policier, une collection vendue s’abstenant de faire de la publicité porte ce mot de Gallet : « Vous écrit-il, est que « les extraterres- concept de « singularité ».Un composite, originale et d’une par correspondance et vivant de à ce sujet : nous fonctionnions en habitez la maison que j’ai tres sont différents. Ils sont souvent exemple probant est donné par redoutable efficacité. a manière très honorable. J’avais reprenant des titres des grands édi- bâtie… » a incompréhensibles ». le très curieux Crépuscule d’acier. Jacques Baudou par ailleurs le désir de publier les teurs français et il ne fallait pas Jacques Baudou

n’en applaudira donc que plus ADIEUX ET l’univers des « Aventuriers de la ZOOM le travail effectué par l’Amicale RETROUVAILLES mer » qui vaut à elle seule Jean Ray, association de Robin Hobb l’achat du livre, mais écrase internationale. Après un Avec ce volume s’achève le littéralement tous les autres MALPER- roman policier resté inédit, deuxième cycle de L’Assassin textes du volume. TUIS La Malédiction des vieilles royal. Quand commence ce J. Ba. de Jean Ray demeures, l’Amicale vient de volume, la femme pâle est Traduit de l’anglais (Etats-Unis) L’heureuse publier un volumineux recueil vaincue et Glasfeu, le dragon par Arnaud Mousnier-Lompré, réédition, des textes parus dans le prisonnier des glaces, s’est Pygmalion 316 p., 21,50 ¤. chez Labor, Journal de Gand : nouvelles, envolé : le temps fort de de ce chef- chroniques qui dévoilent des l’intrigue est passé. Après la LE PAIN ÉTERNEL PAR LES AUTEURS d’œuvre du centres d’intérêt d’une grande bataille, il faut le temps que les d’Alexandre Belaiev DE LA BIBLE roman variété. Les chroniques choses reprennent leur cours Belaiev fut l’un des grands DÉVOILÉE fantastique méritent tout particulièrement normal. Mais Fitzchevalerie ne auteurs de la SF soviétique des oblige à poser une question attention. Jean Ray y peut rester dans l’incertitude années 1920-1930. On peut le cruciale. Comment se fait-il démontre son goût pour les quant au sort de son ami le Fou, vérifier dans ce joli volume, qui que l’œuvre de celui qui est littératures de l’imaginaire, et c’est seul qu’il partira à sa regroupe quatre nouvelles. La sans conteste le plus grand avoue son attachement pour recherche. Puis viendra enfin première, qui donne son titre au écrivain fantastique de langue les contes de fées et Sherlock pour lui le temps de recueil, est un conte française du XXe siècle ne soit Holmes, qualifie Gaspard des l’apaisement et des retrouvailles, philosophique très réussi, dans pas accessible, sinon dans sa montagnes de « plus joli roman qu’il lui faudra négocier laquelle l’invention totalité, du moins avec d’amour et d’aventures » et prudemment. Rien d’épique science-fictive joue le rôle d’un 24 u l’ensemble de ses fleurons, des célèbre à propos d’H. H. Ewers dans ce dernier tome, et cruel révélateur. Dans la Contes du whisky aux Contes le « culte de la peur ». pourtant sa lecture passionne… quatrième, l’auteur jongle de Israël FINKELSTEIN et Neil SILBERMAN noirs du golf, au lecteur de (Contact : Arnaud Huftier, Robin Hobb est également au façon presque burlesque avec le 2006 ? Ceux qui ont connu la 45, rue de la Citadelle, sommaire de l’anthologie temps. Pour goûter une S-F Les rois sacrés de la Bible merveilleuse floraison des Valenciennes, 59 300). J. Ba. Légendes de la fantasy II différente… J. Ba. À la recherche de David et Salomon « Marabout fantastique » ne Labor, « Espace Nord », (Pygmalion) avec une nouvelle, Langues et mondes, peuvent que le regretter. On 288 p., 9 ¤. « Retour au pays », située dans « Bilingues », 316 p., 16 ¤. 0123 10 Vendredi 14 avril 2006 LIVRES DE POCHE

ZOOM Une « comédie humaine » née d’un microcosme, témoignage unique sur la vie provinciale au XXe siècle

DIS PAS ÇA de Lydie Salvayre et Serge Ce diable de Jouhandeau Teyssot- Gay Salvayre e titre que Richard Millet don- phie aux mille personnages, et une auto- poursuit ne à sa préface, « Une figure biographie. L’auteur transparaît sous les l’aventure de l’Enfer », me remet en mé- traits de Théophile, l’enfant qui aime «à entamée en L moire la réflexion d’un ami : se rêver lui-même dans un livre de l’histoi- 2002 avec « Jouhandeau ? C’est Satan cet homme- re future », de Juste Binche, l’adolescent Contre : joindre littérature et là ! » Il le disait avec un tel mélange qui supporte « mal que le nombre infini musique. A l’invitation de France d’admiration pour l’écrivain et de des “possibles” lui soit refusé »,de Culture, elle donna en juillet 2004 défiance pour l’homme que j’écrivis à Godeau, qui professe que « Dieu est le en Avignon un « concert-lecture » Satan. Qui me répond. « Si un jour, plus parfait jouet d’un homme d’esprit, – qui fut repris en France et à vous avez le désir de me voir, appelez qui le prend et le laisse, quand il veut ». l’étranger. C’est accompagnée par 967 22 56 et je vous indiquerai de vive Serge Teyssot-Gay (voix et voix l’itinéraire du pèlerinage. » J’appel- « Troupeau de rêves » guitare), Jean-Paul Roy (clavier, le. Et j’arrive. Cœur de l’œuvre et lieu où, comme samples) et Marc Sens (guitare) Vêtu de noir, debout près d’une Binche, Jouhandeau promena «çàet qu’elle a lu ce nouveau cri volumineuse édition de la Bible, une là son troupeau de rêves », Chamina- d’insurrection, dix paysages colombe venant vers lui, c’est ma pre- dour, en transfigurant un chef-lieu de sonores sur le pouvoir des vrais mière image de Belzébuth. J’ai peu département, est devenu un monu- mots, la vie de chien qu’on nous parlé, beaucoup écouté, deux heures ment littéraire fait de contes, de légen- fait mener, les actes de foi factices, sont passées. Plus ou moins espacé, des, de nouvelles, d’aphorismes, un les peurs qu’on nous inculque. l’échange de lettres marquant des ensemble qui n’a d’hétéroclite que « Pour lire un CD, il fallait un jalons, les pèlerinages se succèdent. l’apparence. On ne peut qu’admirer lecteur. C’est encore plus vrai Elise, que j’ai peine à imaginer en dan- l’unité qui ressort de tant de sujets dis- aujourd’hui », dit malicieusement seuse Caryathis, m’ouvre la porte, à la parates marqués du même sceau. l’éditeur Bernard Wallet, qui joint fois aimable et revêche, me dit deux L’apparition de Chaminadour dans au livre sa version sonore. J.-L. D. mots sur ses poules. Au premier éta- la littérature avec La Jeunesse de Théo- Verticales/ Phase 2, « Minimales », ge, poignée de mains, ma place près phile, laisserait à penser que Jouhan- 58 p., 14,50 ¤. de la fenêtre, d’emblée la conversation deau, né en 1888, a commencé son qu’interrompt une pause musicale immense fresque vers l’âge de 30 ans, DU MONDE ENTIER AU CŒUR quand, à l’harmonium, il joue Bach. mais il en a tout juste 18 et prépare DU MONDE. Poésies C’est bientôt un rituel. D’année en son baccalauréat au lycée de Guéret, complètes, de Blaise Cendrars année, tout fait thème. Léonora ou les quand il commence à accumuler des Freddy Sauser est né écrivain sous dangers de la ver- notes sur les habitants de sa ville. Ils le nom de Blaise Cendrars dans la CHAMINADOUR tu, montée par n’en seront pas toujours flattés, ce qui déréliction des « Pâques à New de Marcel Raymond Gérô- lui fera dire, avec sa malignité plus York » de 1912. Cet enchanteur Jouhandeau. me au Théâtre amusée que perfide : « Si mes person- protéiforme d’une réalité des Mathurins, nages ressemblent tellement à leurs subjuguée « a voulu être celui par Dirigé et préfacé un échec – «si modèles que ces derniers s’en fâchent qui la modernité arrive – comme par Richard Millet, on ne m’applau- (…) le reproche qu’on me fait ne s’adres- un scandale permanent », relève Gallimard, dit pas, je m’ap- serait qu’à Dieu. » Reste que s’il est Claude Leroy. Adepte de la devise « Quarto », plaudis moi- délicat paysagiste pour décrire la cam- nervalienne, « Je suis l’autre », 1 540 p., 29,90 ¤. même » ; mon pagne creusoise avec douceur et ten- Cendrars entendait « vivre la mariage, le dresse dans le vocabulaire, le portrai- poésie avant de l’écrire ». sien ; les éditeurs et les débutants – tiste peint le plus souvent au couteau 1912-1924, douze ans d’intenses « Plon se mord les doigts d’avoir refusé et, malgré les noms qu’il leur invente, pérégrinations sur les fronts de la mon premier écrit » ; éloges pour cer- les modèles, bien que devenus person- modernité. Lyrisme écorché vif et tains confrères, coups de griffes pour nages comme d’un roman, n’ont guè- désolé des « Pâques » ; fresque d’autres, cible privilégiée, Mauriac, re de mal à se reconnaître. mouvante de la « Prose du « cette vipère qui a fait sa première com- Au-delà des années et des acrimo- transsibérien » ; désarticulation munion et dont je me réjouis d’écraser nies, les voici réunis en un volume, des « Poèmes élastiques » ; la queue » ; les amours de Céline, sa Marcel Jouhandeau (1973). EDOUARD BOUBAT/RAPHO. invitation à un voyage exceptionnel minimalisme des « Feuilles de fille adoptive, et son mariage « avec dans l’espace et le temps. Une œuvre route »… Ce volume reproduit la un garçon merveilleux (…) il fait son ser- sins de la boucherie natale… dans la sissant ce patronyme pour Guéret, la de cette ampleur ne peut susciter dernière édition revue par l’auteur vice militaire. Il a déjeuné à la maison petite pièce de Rueil, je suis à Chami- ville prend place. l’émerveillement à chaque paragra- en 1957, augmentée de plusieurs aujourd’hui. Dans le civil, il est éleveur nadour. De La Jeunesse de Théophile (1921) à phe, mais le talent y est en permanen- poèmes retrouvés. Val. C. de chevaux » ; le souvenir d’un ami Elle est dans le même pensionnat Descente aux Enfers (1963) l’œuvre de ce avec, le plus souvent, des pépites de Edition établie et introduite par tué aux Eparges en 1914 – et je sens que Jeanne, la sœur de Marcel Jouhan- Jouhandeau fait d’un microcosme le cen- génie, tant dans l’art de l’observation Claude Leroy, préface de Paul qu’il préfère parler de 14-18 plutôt deau, elle a pour prénom Joséphine et tre d’une « Comédie humaine » qui est que dans la maîtrise d’une écriture Morand. Gallimard, « Poésie », que de 39-45 ; des anecdotes dont les son nom, Chaminadour, entre dans aussi un témoignage unique sur la vie qui garde sa force et son charme. a 432 p., 8,50 ¤. acteurs sont sa mère, son père, des voi- l’histoire de la littérature quand, choi- de province au XXe siècle, une biogra- Pierre-Robert Leclercq

Patrik Ourednik brosse une fable drôle et acerbe sur l’utopie libertaire Les trois romans autobiographiques de Jules Vallès Fraternité chérie La révolte et la vérité

près le succès de son premier ne résistera guère à la pratique ! Très jamais communs avec ceux des autres grou- L’ENFANT. LE BACHELIER. furent tyrannisés par leurs maîtres ou livre, Europeana, une loufoque et vite, en effet, une série de maladies bien pes d’intérêts ». En outre, les groupes à L’INSURGÉ rossés par leurs parents, je dédie ce A brillantissime histoire du XXe siè- connues vont s’abattre sur « la colonie Fraternitas changent tous les jours, car de Jules Vallès. livre. » Le ton est donné. cle publiée chez Allia il y a deux ans et Fraternitas » : suspension des libertés, dès que deux personnes commencent à Le texte va bien plus loin. Jules Val- déjà vendue dans une vingtaine de pays, jalousie, espionnage, alcoolisme, vols, dire du mal d’une troisième, cela forme Préface de Michel Ragon, lès déroule la fresque de ses premières Patrik Ourednik s’est imposé à 50 ans etc. Maniant de main de maître le même un nouveau groupe d’intérêts… Omnibus, 784 p., 25 ¤. années entre une mère qui le torture et comme un écrivain aussi original que humour dévastateur que dans Europea- Rien, toutefois, comparé aux clivages un père qui lui fait payer ses lâchetés talentueux. Né à Prague, exilé à Paris na, l’auteur décrit dès lors la façon dont renaissants entre Slaves et Hongrois, les a ressemble à ces eaux bloquées et sa médiocrité. Pas une page qui ne depuis 1984, il était jusque-là reconnu les compagnons et compagnonnes de premiers s’évertuant à expliquer « qu’ils par les barrages. Sous la surface bouleverse. pour ses traductions – la dernière, celle cette cité idéale vont peu à peu recréer ne sont pas des Magyars, mais des Slova- Ç lisse, le flux est aboli. Mais ce qui du journal de Jan Zabrana, l’ensemble des conformis- ques, et que les Magyars ne sont pas des est contenu attend la cataracte. Rébellion mise en actes Toute une vie (Allia, 2005), mes et des préjugés de la Slaves, mais des usurpateurs »…Et Des années de lézardes. La pression On n’est pourtant pas dans le feuille- ayant fait découvrir au lec- société qu’ils rejettent. Dieu ? Les uns disent que « l’être suprê- ouvre une brèche. Tout sera balayé. ton qui tire la larme. Si depuis qu’il est teur français un chef-d’œu- Première complication : me est un gros pâté dans le cahier de ceux Quand Jules Vallès publie L’Enfant en petit, Jacques Vingtras est soumis, s’il se vre de la littérature tchè- « Gorand a dit que le com- qui n’ont pas appris à penser ». Argu- 1879, il a 47 ans. Sa révolte a depuis débat à peine, il nourrit une rage dans que. Avec Instant propice, munisme c’est l’amour, mais ment ou métaphore ? On pencherait plu- longtemps emporté et libéré sa vie. Mais son enfer et se prépare l’avenir qui saura 1855, Patrik Ourednik nous pas comme l’entendent les tôt du côté de Decio qui admet que seul il lui a fallu une volonté patiente. Et une lui ressembler. Rébellion mise en actes. plonge cette fois au cœur Italiens et les anarchistes. » le « li » le tente dans la religion, à condi- incroyable envie d’exister. A quel prix… C’est, dans Le Bachelier, l’avancée par des utopies libertaires du Or à Fraternitas, la plupart tion qu’on y ajoute un « t »… Humiliations et châtiments physiques. étapes vers l’engagement politique com- XIXe siècle. des Italiens sont des anar- La morale de cette réjouissante satire L’ambition sociale de ses parents le me une leçon de cette souffrance qui ne Cette fable drôle et acer- chistes et la plupart des qui ne cesse en vérité de nous parler du conduisait vers une carrière morne. Il doit pas se répéter pour les autres. be s’ouvre ainsi sur la lettre Français des communistes, monde contemporain ? Elle tient sans est devenu journaliste. On l’a emprison- Jamais. L’Insurgé voit Vingtras sous la d’un anarchiste qui, après si bien qu’ils passent leur doute dans cette remarque – à méditer né plusieurs fois pour ses idées. Commune. Emporté dans l’immense des études de philosophie temps à convoquer des réu- – selon laquelle « les gens qui se croient Ce premier volume de son autobiogra- fédération des douleurs. en Europe, raconte com- nions. Mais il y a aussi ceux libre ne tombent jamais d’accord entre phie romancée, qui se poursuit avec Le Le Bachelier sera édité en 1881, peu ment il fonda au Brésil une INSTANT qui les boycottent, convain- eux, alors que les gens qui ne se croient Bachelier et L’Insurgé, est paru en feuille- après le retour de Vallès en France, per- communauté expérimenta- PROPICE, 1855 cus que le communisme pas libre tombent presque toujours d’ac- ton l’année précédente dans Le Siècle, mis par la loi d’amnistie. L’Insurgé paraî- le où devait s’épanouir la (Prihodna chvile, « cherche seulement à com- cord sur tout ». Un bel hommage à l’uto- sous pseudonyme. Car Vallès, élu de la tra en 1886, un an après sa mort. Les société parfaite. En théorie, 1855) mander les gens tout le pie libertaire malgré tout. Ou quand un Commune, est proscrit depuis bientôt livres ne seront pas bien accueillis à un projet grandiose. Parmi De Patrik Ourednik. temps ». Et encore serait-ce récit de 158 pages vaut de loin autant huit ans. Condamné à mort par contu- l’époque. Ils mettent à bas trop d’idées ses très judicieux princi- sans compter avec les « éga- de traités de science politique sur le mace. Resté jusqu’au bout alors que les convenues : l’amour maternel, la pes : redonner d’urgence la Traduit du tchèque litaristes »… D’où des même thème. a Versaillais s’emparaient de la capitale, il famille, les études. La Commune est liberté aux femmes. «Sije par Marianne débats sans fin pour savoir Alexandra Laignel-Lavastine est parvenu à fuir la répression sanglan- encore agitée pour faire peur aux braves pouvais débarrasser l’huma- Canavaggio, s’il faut ou non intégrer les te. Il vit maintenant à Londres. C’est à gens. Il faudra notamment la clairvoyan- nité d’une seule de ses cala- Allia, 158 p., 6,10 ¤. « nègres humiliés » et À NOS LECTEURS son ami Hector Malot, l’auteur de Sans ce critique d’un Paul Bourget, pourtant mités, sauterelles, religion, autres discussions non La liste des parutions des livres famille, qu’il a confié le manuscrit de diamétralement opposé aux idées de Val- choléra, peste, propriété privée, guerres, moins byzantines sur la meilleure maniè- au format poche du mois d’avril L’Enfant, écrit en 1876. Le roman s’ap- lès, pour que sa voix puisse être vrai- gouvernements, parlements ou éveilleurs re de réaliser un ordre juste, monsieur est disponible sur le site pelle encore Vingtras, du nom du narra- ment entendue. Aujourd’hui, son écritu- de la nation, je choisirais le mariage – Mangin étant d’avis que « tout cela rap- www.lemonde.fr/livres : teur qui lui ressemble comme un frère. re de vérité continue de fouiller dans l’in- source d’asservissement, d’hypocrisie et de pelle plutôt l’âge de pierre où les gens se cliquer sur pratique, ensuite « A tous ceux qui crevèrent d’ennui au time. Elle nous étreint. La révolte a fait bêtise », s’exclame le narrateur. Une bel- groupaient en fonction d’intérêts com- Livres et dans Catalogue collège ou qu’on fit pleurer dans leurs de Jules Vallès un très grand écrivain. a le promesse qui, comme on s’en doute, muns, sauf que ces intérêts n’étaient cliquer sur Livraisons poches. familles. Qui, pendant leur enfance X. H. 0123 ACTUALITÉ Vendredi 14 avril 2006 11 Les vingt ans des éditions Jérôme Millon Les travaux d’écriture Henri Bremond, historien des « prétendants »

mesure qu’approche la date de livres de Dominique Strauss-Kahn du sentiment religieux, ressuscité la prochaine élection présiden- (365 jours, Grasset, le 30 mai) et de Fran- tielle, les candidats probables – çois Hollande (Devoirs de vérité, dialogue Aceux qu’Alain Duhamel appelle avec Edwy Plenel, Stock, 3 mai) ne vont es éditions Jérôme Millon, fon- ment religieux en France, depuis la fin des en Bremond une « authentique conscien- « les prétendants » – fourbissent leurs pas tarder. En revanche, celui, très atten- dées en 1985 et installées à Greno- guerres de religion jusqu’à nos jours.Le ce historique », et François Trémolières, programmes par livre interposé. Passa- du, de Ségolène Royal (Désirs d’avenir, ble, fêtent leur vingt années projet était d’une ambition sans doute au cours d’un colloque récent sur le ge en revue. en collaboration avec Pascale Amaudric, Ld’existence avec quelques mois démesurée et Bremond ne put mener à modernisme (Pontigny, 24-25 mars), a Du côté de Philippe de Villiers (Les Flammarion) est prévu pour septembre. de retard mais en grande pompe. Pas de bien que la première partie de son pro- estimé que Bremond avait découvert Mosquées de Roissy, Albin Michel, sortie De même pour le livre d’Arnaud Monte- fêtes parisiennes, mais un livre, ce qui gramme : de 1916 à 1933, parurent seule- dans le XVIIe siècle français « quelque le 26 avril), et de Marine Le Pen (A bourg au titre encore incertain – il a est, somme toute, assez logique pour ment onze volumes consacrés au chose de la modernité ». Contre-flot, Grancher, le 25 avril), on est envisagé Extension du domaine de la gau- une maison d’édition qui s’intéresse plus XVIIe siècle… De fait, lorsqu’on se plonge dans cette fin prêts. Corinne Lepage, qui a opté che –, lui aussi chez Flammarion. à la mystique, à la philosophie et à l’ar- Spécialiste de Bremond, Emile Goi- extraordinaire galerie de portraits d’épo- pour le docu-fiction, publie Et si c’était Deux anciens très proches de Jacques chéologie qu’à l’actualité littéraire. Mais chot, universitaire à Strasbourg, avait que (des grandes figures comme saint elle…, chez Michalon, le 11 mai. Pour Chirac, Marie-France Garaud (La Fête plus qu’un livre, il s’agit en fait d’un préparé cette nouvelle édition, avant son François de Sales, Fénelon, Bossuet ou leur part, Christine Boutin, François des fous, Qui a tué la Ve République ?, monument, qui couronne logiquement décès brutal en 2003. Un volume, publié le cardinal Pierre de Bérulle à la foule Bayrou et Nicolas Dupont-Aignan en Plon, le 15 mai) et Michel Roussin (Le un catalogue d’une exceptionnelle cohé- par les mêmes éditions Jérôme Millon et des personnalités plus cachées, comme sont encore au stade de l’écriture. Gendarme de Chirac, Albin Michel, le rence et richesse, notamment grâce à la présenté par François Trémolières, ras- Jean-Pierre Camus, sainte Jeanne de Chez les socialistes, les livres ne vont 4 mai), seront eux aussi de la fête. grande collection « Atopia », dirigée par semble d’ailleurs les études les plus Chantal, les Pères de Condren et Ollier, pas manquer non plus. Jack Lang a déjà Reste le « candidat masqué », Cathe- Claude-Louis Combet. importantes de Goichot sur Bremond Sœur Jeanne des Anges, Jean-Joseph publié Changer (Plon), Vaincre le chôma- rine Médicis, qui avait déjà publié J’arri- Le nom d’Henri Bremond (Henri Bremond, historien de la « faim de Surin…), lorsqu’on prend connaissance ge (Grasset) et L’Immigration positive ve, en octobre 2005. Il récidive avec On (1865-1933), prêtre, jésuite (jusqu’en Dieu », 360 p., 26 ¤). François Trémoliè- des péripéties, débats et querelles (sur le (Odile Jacob, en collaboration avec Her- efface tout et on recommence, toujours 1904), historien et académicien français res (avec Jacques Le Brun, Sophie Hou- « pur amour » par exemple) qui ont vé Le Bras). Même chose pour Martine chez Michalon, sous le même pseudony- (à partir de 1923), ne parle plus beau- dard, Dominique Salin, Pierre-Antoine marqué ce grand siècle de spiritualité, Aubry (Immigration, Comprendre, me. Sortie prévue le 28 avril. a coup à la mémoire. Fabre, puis Alain Cantillon, Patrick Gou- on prend conscience que l’expérience Construire, aux Editions de l’Aube). Les Laure Ducos Proche de l’Ecole d’Oxford et admira- jon et François Marxer) a donc mené à religieuse rejoint ou croise les questions teur du cardinal Newman, compromis son terme cette entreprise. Cinq volumes et les intuitions de la psychologie. dans la crise du modernisme, notam- entièrement recomposés, reliés et grand Mais l’œuvre de Bremond est aussi, ment en raison de son amitié avec l’abbé format (dont un d’index, tables, biblio- peut-être surtout un hommage à la litté- L’ÉDITION Loisy (mis à l’index puis excommunié en graphies et traduction des citations) rature – car les deux adjectifs du titre, 1908), Bremond est l’auteur d’une sous emboîtage, près de 5 000 pages, « religieux » et « littéraire », ont une LA FOIRE DE LONDRES est l’objet de Kane, de l’agence anglaise MBA. Il œuvre abondante. Plus réformiste et pru- des études thématiques sur l’œuvre en importance égale. Bremond, non sans critiques de plus en plus nombreuses. accueillera agents, scouts et éditeurs dent que Loisy, il ne s’exposa pas aux guise de préface, les illustrations d’origi- préciosité parfois, s’enchante et nous Après la lettre adressée au Times par de tous pays. « Sur 60 tables condamnations du Vatican et de la hié- ne, des textes parallèles de Bremond en enchante de la surprenante liberté d’ex- une douzaine d’écrivains dénonçant disponibles, 50 ont déjà été vendues pour rarchie catholique. Ni philosophe ni théo- annexe : ainsi se présente ce qui est plus pression de ces mystiques qui savaient l’implication de l’organisateur, Reed la Foire 2007 », indique Stella Kane. logien, sa grande affaire était l’expres- et mieux qu’une simple réédition (1). témoigner de leurs expériences avec une Elsevier, dans le commerce de sion littéraire du sentiment religieux – Malgré l’aide du Centre national du langue souvent admirable. Il y a, parmi l’armement, les agents littéraires font PRIX. Le prix Edmée de La cette notion de « sentiment » étant livre, l’entreprise est héroïque. eux, d’immenses écrivains, parfaitement part de leur mécontentement. Irrités Rochefoucauld a été attribué à regardée avec suspicion par les autorités inconnus. a par le nouvel emplacement de la Foire, Blandine Le Callet, pour Une pièce théologiques… Dans les années 1920, il Surprenante liberté d’expression P. K. excentrée à Excel, à l’est de Londres, montée (Stock). Le prix international eut un débat avec Paul Valéry autour de A la différence de Sainte-Beuve, qui et par sa mauvaise organisation, ils Union latine de littératures la « poésie pure » et des rapports de la avait fait l’histoire de Port-Royal au (1) Editions Jérôme Millon, 3, place ont créé un Salon du refus. Situé au romanes a été décerné à prière et de la poésie. milieu du XIXe siècle, Bremond déplace Vaucanson, 38 000 Grenoble coeur de la capitale, au Arts Club – Frankétienne (éd. Vents d’ailleurs). Mais le maître livre du Père Bremond, le centre de gravité du siècle et démontre (www.millon.com). Prix de lancement qui fut l’ancien quartier général de Le prix Kafka a été remis à Haruki celui que réédite justement Jérôme que le jansénisme n’occupe pas fatale- jusqu’au 31 octobre : 200 ¤, 250 ¤ Dickens et Kipling –, ce « centre de Murakami, pour Kafka sur le rivage Millon, c’est l’Histoire littéraire du senti- ment ce centre. Michel de Certeau voyait ensuite. droits alternatifs » est lancé par Stella (Belfond).

Le 500e volume de « Sources chrétiennes » Une collection prestigieuse au bord de l’asphyxie « C'est bien la Viviane Forrester passionnée, passionnante que l'on retrouve dans ces portraits ources chrétiennes » a L’objectif des fondateurs, don- taient le soufre, comme Origène. nes » s’imposait comme un outil publié le 24 mars son ner accès aux Pères grecs pour Elle ne s’effaça que progressive- au service des historiens, des phi- d'artistes. Vous y reconnaîtrez 500e volume. Evénement les clercs et laïcs chrétiens, paraît ment, jusqu’à ce que Vatican II, lologues, des philosophes autant sa pensée en alerte, son coeur Ssymbolique pour lequel a anodin aujourd’hui, mais susci- adepte d’un pluralisme tempéré, que des théologiens ou exégètes tremblant devant l'état été choisi le très œcuménique tait les craintes de la hiérarchie reconnaisse la validité du retour catholiques. traité de Cyprien de Carthage, catholique. D’ailleurs, au sortir aux sources pour mettre en Parallèlement, le CNRS vali- du monde, sa plume acérée, L’Unité de l’Eglise, qui donne de la guerre, la collection valeur la diversité des approches dait l’entreprise en recrutant l’occasion de mesurer la portée n’échappa que de justesse à une théologiques et favoriser un Claude Mondésert comme cher- son humour, sa colère. » intellectuelle d’une aventure condamnation pour hétérodoxie, renouveau de la pensée chrétien- cheur, puis en accordant à l’Insti- exemplaire. car la mise en avant des Pères ne. « Sources chrétiennes », tut des sources chrétiennes le sta- Catherine David, Le Nouvel Observateur L’idée lancée à la fin des grecs paraissait remettre en pont entre culture religieuse et tut d’équipe de recherche (1976) années 1930 à Lyon par Victor cause l’enseignement tradition- culture profane, avait fourni les et un soutien financier. Car le suc- Fontoynont de publier les Pères nel de l’Eglise et notamment la bases scientifiques de ce renou- cès commercial relatif (jusqu’à grecs suscita la méfiance de l’Egli- scholastique thomiste sur laquel- veau. 4 000 exemplaires, 2 500 en se au point que le projet fut aban- le il se fondait. Donner à lire les moyenne) ne pouvait faire vivre Viviane donné à la veille de la guerre. Pères grecs, latins et orientaux, Au service des chercheurs l’équipe. Aujourd’hui intégré à la Pourtant, en novembre 1942, inquiétait puisque cela aboutis- Après l’éloignement des fonda- Maison de l’Orient de Lyon-II, parut le premier volume des sait à souligner la variété des teurs, ce fut un autre jésuite, témoignant d’une activité sans « Sources chrétiennes », la Vie de interprétations anciennes et invi- Claude Mondésert, qui assura la faiblesse (100 volumes en dou- Moïse, de Grégoire de Nysse, tait au pluralisme doctrinal. La direction véritable, de 1949 à ze ans), « Sources chrétiennes » Forrester dans une traduction de Jean méfiance resta tenace, comme en 1984, et qui fit prendre à la col- est au bord de l’asphyxie financiè- Daniélou. Curieusement, les témoigne une allusion à peine lection les virages qui l’ont re. Celle que les étrangers nom- désordres de la guerre avaient dis- voilée de l’Encyclique Humani conduite à devenir la référence ment la « prestigieuse collection » pensé les fondateurs des démar- generis du 12 août 1950 dirigée dans ce domaine. D’abord en – épithète quasi homérique – se ches qui avaient conduit à l’échec contre ceux qui négligent les élargissant le champ d’activité à trouve au bord du dépôt de d’avant-guerre. A l’origine de cet- Encycliques des souverains pon- l’ensemble des auteurs chrétiens bilan ! Paradoxe insupportable, te relance, les jésuites Henri de tifes « dans le but de faire préva- (latins, orientaux, médiévaux). comme si l’excellence de la Lubac à Lyon et Jean Daniélou à loir un concept vague qu’ils disent Ensuite en améliorant sans cesse recherche et le dévouement des Paris. Et un partenaire inattendu, pris aux anciens Pères, spéciale- la qualité des volumes qui devin- chercheurs dispensaient l’Etat les Editions du Cerf, fleuron de ment aux Grecs » ; méfiance rent bilingues comme la célèbre d’accorder les moyens indispen- l’activité des dominicains, rivaux accrue par le fait que l’on « Budé », point de référence sables. a légendaires des jésuites. publiait aussi des auteurs qui sen- explicite. « Sources chrétien- Maurice Sartre

AGENDA

LE 18 AVRIL. François Négret et Lara Bruhl LE 24 AVRIL. cycle François-René de BOVE. A Caen, à l’abbaye (à 19 heures le mercredi, BERGOUNIOUX. A Paris, Chateaubriand, Eric Ruf, de la d’Ardenne, l’IMEC propose 20 h 30 le jeudi, vendredi, l’association Textes & Voix, les Comédie-Française, lira des une soirée autour d’Emmanuel samedi, et 17 heures le éditions Verdier et Argol extraits d’Itinéraire de Paris à Bove, en présence de son dimanche ; salle organisent une lecture de Jérusalem (à 20 h 30, accès par biographe Jean-Luc Bitton, de Lautréamont ; entrée 15 ¤ ; Carnets de notes 1980-1990 et la Pyramide et les galeries du Claude Burgelin et Jean-Pierre rens. et rés. : 01-44-54-53-00). B-17G de Pierre Bergounioux, Carrousel ; réservations: Darroussin (à 19 h 30, entrée par Alain Libolt, en présence 01-40-20-55-00). libre, mais réservation LE 20 AVRIL. de l’auteur (à 20 heures, à Reid conseillée au 02-31-29-52-46). LISBONNE. A Paris, au Centre Hall, 4, rue de Chevreuse, JUSQU’AU 13 JUILLET. Calouste Gulbenkian, table 75006 (entrée 10 ¤. Billetterie à GENET. A Tours (37), au DU 19 AVRIL AU 21 MAI. ronde sur « Le massacre de la librairie Tschann, Musée des beaux-arts, SCHÉHADÉ. A Paris,au Lisbonne d’avril 1506 », avec 125, boulevard du l’exposition « Jean Genet et Théâtre Molière-Maison de la Carsten L. Wilke, Jean Letrouit Montparnasse. Rens. : l’art », organisée pour le poésie, mise en scène et et Jean-François Viegas, en www.textes-et-voix.asso.fr). 20e anniversaire de la mort de Les Inventeurs du Réel – Paris montage du dernier recueil de collaboration avec la Société l’écrivain, par la ville de Tours poésies de Georges Schéhadé des études juives (à 18 h 30, 51, LE 24 AVRIL. et l’IMEC, mettra l’accent sur (1905-1989) : Le Nageur d’un avenue d’Iéna, 75016 ; rens. : CHATEAUBRIAND. A Paris, les écrits sur l’art de l’auteur seul amour, par Lara Bruhl et 01-53-23-93-93 ou dans le cadre des lectures de entre 1950 et 1960 (rens. : fayard Albert Dichy. Interprété par www.gulbenkian-paris.org). l’auditorium du Louvre et du 02-47-05-68-73). 0123 12 Vendredi 14 avril 2006 RENCONTRE Michel Butor « Traverser les frontières m’aide à voir »

A bientôt 80 ans, l’auteur de « La Modification » voit paraître les deux premiers tomes de ses œuvres complètes. L’occasion de revisiter un parcours littéraire de plus d’un demi-siècle, atypique et foisonnant

roblème : sachant que les deux Milan, (1954) ou d’autres, plus anciens enco- premiers volumes de ses œuvres re, dans le premier tome de Répertoire. J’y complètes font 2 352 pages, soit trouve des indices historiques mais, dans l’en- environ 6 millions de caractères, semble, tout ça m’apparaît plus « daté » que que l’entreprise comptera au vieilli. Les problèmes de l’éducation, des vil- moins 14 tomes, que l’écrivain a les, du basculement culturel de la planète res- Michel Butor mars 2006. PHILIPPE GROLLIER/TEMPS MACHINE Pdébuté sa carrière en 1954 et qu’il fêtera cette tent très actuels. Ce qui a changé, c’est ma année ses 80 ans, calculez le débit journalier façon d’écrire. J’ai beaucoup produit, beau- que j’avais publiés avant, c’était ambigu. Les « Il faut être viens de mon premier livre avec Alechinsky. de l’inclassable graphomane qu’est Michel coup voyagé, ça vous change. Je serais incapa- gens ne comprenaient pas, mais ils respec- Cinq eaux fortes à partir desquelles a surgi Butor. Romans, essais, poèmes, collages, col- ble, aujourd’hui, de réécrire ces livres-là. Ça taient. Ils sentaient qu’il y avait beaucoup de attentif à la un récit de rêves inventés, Le Rêve de l’amoni- laborations à quatre mains avec peintres, pho- tombe bien, puisqu’ils ont déjà été écrits. travail, que j’étais un garçon sérieux. Ils me surface du te. Quand Alechinsky a vu mon texte en page, tographes, musiciens… : son œuvre étend faisaient confiance. Mais pour Mobile, ils ne il a fait des commentaires autour, dans les ses tentacules dans toutes les directions. Epreuves comprenaient plus rien. A l’exception de quel- texte, l’explorer prédelles. Puis il a repris ses premières eaux L’auteur de La Modification,deBoomerang et Ces 2 300 pages, j’ai dû m’y plonger avec ques-uns qui avaient lu Apollinaire, Mallar- très fort, se fortes pour les mettre dans de plus grandes. de 6 810 000 litres d’eau par seconde, se un type d’attention particulier. Il faut être mé ou les poètes américains. Aux autres, j’ins- concentrer sur Magnifique. Cette coopération est une façon réjouit de « faire le désespoir des esprits routi- attentif à la surface du texte, l’explorer très pirais une espèce de terreur. On m’accusait nette de surmonter ma frustration de peintre niers ». Il a toujours été « à l’écart » – ce qui fort, se concentrer sur une virgule, épousse- de vouloir détruire la langue française. J’ai une virgule, rentré. Ecrire à l’intérieur de l’œuvre pictura- est d’ailleurs le nom de l’ancienne salle ter l’original comme un archéologue souffle été obligé de m’expliquer. Donc j’ai écrit des épousseter le, c’est devenir peintre soi-même. La place paroissiale où il s’est retiré, à Lucinges, en sur la poussière. On perçoit des aspérités, des essais – plus je publiais des romans, plus je des mots est cruciale, elle change leur poids, Haute-Savoie. Un lieu où, après ses plongées difficultés de passage. S’enclenche alors un produisais des essais pour tenter d’éclairer l’original leur sens. Et puis il y a autre chose : en Occi- dans l’agitation du monde, il aime rentrer voyage dans le temps avec, quoi qu’on fasse, les romans et plus mon œuvre enflait. Je vou- comme un dent, les œuvres d’art sont très protégées. « se terrer dans le calme ». Butor y reçoit dans des souvenirs qui se mettent à tourbillonner. lais leur dire : « Vous savez, ce que je fais n’est archéologue D’où l’importance du cadre qui les détache son grenier, royal capharnaüm donnant sur Corriger ses épreuves est une épreuve. Quasi pas tellement scandaleux : untel et untel l’ont de leur environnement et même de la forme le plateau des Glières et la chaîne des Aravis. initiatique. Il s’agit de voir si on va tenir le déjà fait. Des auteurs qu’en principe vous admi- souffle sur la rectangulaire qui, elle aussi, est un vestige du Salopette légendaire. Barbe blanche. Faux coup dans ce combat avec soi-même. rez. » Alors, il y a eu cette double réaction : poussière. sacré. Pénétrer ce rectangle, c’est faire intru- airs de Marx ou de Verdi. Il parle plus volon- « Non seulement ce qu’il fait est très mauvais sion dans un espace réservé. Une transgres- tiers du Nouveau-Mexique que du Nouveau Sang mais en plus ce n’est même pas nouveau ! » (...) Corriger sion folle. J’ai le sentiment de briser un inter- Roman dont il fut l’une des figures de proue. Je n’arrive pas à croire que j’ai écrit autant. ses épreuves dit qui a ses raisons mais que j’ai raison, moi Voyages, peinture, écriture… : improvisation Plus de 1 000 livres. Voyant cette œuvre Peau est une aussi, de briser. Et ça, c’est vertigineux. autour de quelques mots clés auxquels il a débordante, les gens croient que ça vient tout Je suis un écorché vif. Les attaques m’ont bien voulu « accrocher ses tissus de phrases ». seul. Au contraire ! Ecrire a toujours été un blessé. Mais la littérature vous fabrique une épreuve. Quasi Voyages énorme effort. Pour ces romans, L’Emploi du nouvelle peau. On peut comparer les phrases initiatique. Il Certains ont été décisifs. L’Egypte, les Anniversaire temps, La Modification, Portrait de l’artiste en au fil de la chenille. L’œuvre est le cocon qui Etats-Unis… Tous mes romans ont d’ailleurs N’anticipons pas. J’aurai 80 ans le 14 sep- jeune singe… j’ai eu besoin de quantité de pré- va la protéger et la transformer en papillon. s’agit de voir si été écrits entre l’Egypte et les Etats-Unis. tembre. Il paraît que ça se fête, d’où ces paratifs, de schémas. J’ai écrit, réécrit, retapé Chez Proust, c’est tout à fait clair. Chez moi, on va tenir le Depuis que je connais le Japon, je ne peux œuvres complètes, un colloque à l’automne certaines pages cinquante fois. Raymond ce doit être aussi l’une des raisons des lon- coup dans ce plus regarder une touffe d’herbe de la même et une exposition à la Bibliothèque nationale Roussel disait : « Je saigne sur chaque phra- gues phrases de mes premiers livres. Elles façon. Je voudrais aller en Inde. C’est une de qui commence le 19 juin. Le vernissage était se. » Je pourrais en dire autant. J’espère seule- sont un fil avec lequel je tisse cette membra- combat avec mes grosses lacunes. J’ai le sentiment que prévu le 20, mais le musée Chirac [le musée ment que ce sang sacrificiel sera bénéfique. ne qui va recouvrir la peau qui saigne. Dans soi-même. » quelque chose me manque pour comprendre des arts premiers, quai Branly] ouvre ce jour- les Essais de Montaigne, on voit bien cette toute une partie de la réalité. Quant à l’Egyp- là. On m’a donc avancé au 19. Un lundi. Drô- Couleurs image du cocon protecteur et exploratoire. te… Quand j’ai échoué à l’agrégation de philo- le de jour pour un vernissage. Enfin, je serai Pour écrire ce que j’ai écrit, il fallait avoir le On se protège pour pouvoir explorer et on sophie, j’avais besoin de prendre du champ. content d’aller y jeter un œil à son musée… goût du risque. J’en ai vu de toutes les cou- explore pour protéger au mieux celui que l’on Pour développer l’enseignement du français, leurs. Le livre qui a suscité le plus grand tollé, devient. L’étonnant, c’est que cette enveloppe le gouvernement égyptien faisait venir de jeu- Huitante c’est Mobile. A cause de sa disposition typo- nouvelle multiplie la sensibilité. On entend nes profs. Je me suis retrouvé enseignant En français, il y a cette bizarrerie avec le graphique et de toute la nature de l’ouvrage. de mieux en mieux, on perçoit de mieux en dans la vallée du Nil. J’ai découvert Thot, le chiffre 80. On ne devrait pas dire quatre- La critique a été scandalisée. Pour les livres mieux. Et même si le corps devient sourd et dieu de l’écriture, représenté comme un ibis vingts mais octante comme les Belges ou hui- que les yeux ont des problèmes, on peut s’ar- et comme un singe. Il joue un grand rôle tante comme certains Suisses. Mais non, à ranger pour que le texte écoute et voie. dans mon Portrait de l’artiste en jeune singe. quatre-vingts, tout change. Cette étrange Michel Butor Métaphoriquement, l’écrivain est un singe, façon de compter nous est spécifique : aucu- Frontières un imitateur qui cherche à reproduire la natu- ne autre langue romane ne la pratique. Elle Né le 14 septembre 1926, Michel J’ai toujours eu envie de regarder ce qui est re dans sa profondeur. L’an prochain, je provient des Celtes qui, aussi attentifs à leurs Butor, après des études de lettres et à côté de ce qu’on me montre. Dans un retournerai peut-être en Egypte. J’ai l’impres- pieds qu’à leurs mains, comptaient sur leurs de philosophie, devient secrétaire de musée, j’observe ce qui est à l’intérieur des sion que quelque chose m’attend encore dans orteils. Il en reste d’autres traces comme l’hô- Jean Wahl pour le Collège de cadres, mais aussi le cadre lui-même et le ce pays, ne serait-ce que mon propre fantôme pital des Quinze-Vingts. Ou ce passage de philosophie. Par l’intermédiaire de mur à côté du cadre. J’aimerais retourner le cherchant les chemins de sa survie. a Bossuet dans le Discours sur l’histoire univer- Georges Lambrichs, il publie ses tableau pour voir ce qui est de l’autre côté, ce propos recueillis par Florence Noiville selle : Bossuet raconte que des explorateurs, premiers romans aux éditions de qui n’est évidemment pas recommandé. Il dans la vallée du Nil, ont découvert un tem- Minuit, dont la fameuse Modification m’a toujours paru important de regarder ce ple immense avec « six-vingts colonnes ».Il (prix Renaudot 1957), qui le situe qu’on ne vous montre pas. Henri Cartier- veut sans doute parler de la grande salle parmi les protagonistes du Nouveau Bresson était comme moi. Un jour, il m’a dit : LE CHOIX DU « MONDE DES LIVRES » hypostyle du temple de Louxor. Vous voyez Roman. Bientôt, il explore d’autres « Quand je voyage, je regarde ce qu’on me mon- où ça nous mène, ce chiffre 80. Quant à genres, inventant des formes tre et je photographie à côté. » C’est pour cela LITTÉRATURE savoir ce que ça me fait, à moi, d’être octogé- textuelles comme dans Mobile (1962), aussi que j’aime vivre à côté d’une frontière. Dans la nuit de Bicêtre, de Marie Didier (Gallimard). naire… Disons que je préfère me considérer collaborant avec des artistes, Ici, je suis à deux pas de la Suisse où je vais Œuvres, de Vassili Grossman (éd. Robert Laffont, « Bouquins »). encore quelque temps comme un jeune poè- improvisant même sur lui (Michel faire mes courses et non loin de l’Italie par le Déjanté, d’Hugo Hamilton (Phébus, « Rayon noir »). te, tout en étant bien conscient de mon appar- Butor par Michel Butor, Seghers, tunnel du Mont-Blanc. Traverser les frontiè- Une saison sur la terre, de Marc Lambron (Grasset). tenance au siècle passé, plutôt que comme un 2003) et parcourant le monde. res m’aide à voir. Le Retour du professeur de danse, vieux classique. Sous la direction de Mireille d’Henning Mankell (Seuil, « Policiers »). Calle-Gruber, la Différence publie les Vertige L’Etoile du diable, de Jo Nesbo (Gallimard, « Série noire »). Œuvres complètes deux premiers tomes de ses œuvres Autrefois, je dessinais sans arrêt. Mon père Avec les pires intentions, d’Alessandro Piperno (éd. Liana Levi). Il y a longtemps qu’il en était question, je complètes, Romans (1 272 p., 49 ¤) et était dans l’administration des chemins de vous avoue que j’y croyais peu. L’entreprise Répertoire 1 (1 080 p., 49 ¤). fer, mais passait tous ses loisirs à faire de ESSAIS m’impressionne évidemment par sa masse. Paraissent également Seize Lustres l’aquarelle ou de la gravure sur bois. Je rêvais Le Village métamorphosé, de Pascal Dibie (Plon). On m’avait demandé un plan général, j’avais (Gallimard, 280 p., 18,50 ¤), de devenir ce peintre que mon père n’avait Journal sous la terreur, de Zinaïda Hippius (Anatolia/Le Rocher). prévu 14 tomes mais j’ai vu trop juste. Le pre- Octogénaire (éd. des Vanneaux, 186 p., pas pu être. Je jouais aussi du violon, j’aurais L’Adieu à la littérature, de William Marx (éd. de Minuit). mier volume fait déjà un parpaing. Si des étu- 18 ¤) et Dialogue avec Rembrandt Van aimé aussi être musicien. Ça faisait beau- Histoire de la France littéraire, diants fâchés vous lancent un truc comme ça Rijn sur Samson et Dalila (ed. coup. Finalement, la littérature l’a emporté, sous la direction de Michel Prigent (PUF). à travers la fenêtre, ça risque d’être dange- Abstème & Bobance, 5, rue Lalande, mais il y a dans tout ce que je fais une nostal- Guerres justes et injustes, reux, surtout en ce moment. Quant à moi, 75014 Paris, 48 p., 22 ¤). Du 19 juin gie de la peinture et de la musique. Je suis de Michael Walzer (Gallimard, « Folio-essais »). j’étais inquiet de l’effet que ça me ferait. Il y a au 3 septembre, la BNF lui consacrera plus à l’aise avec les peintres qu’avec les écri- L’Ile aux cannibales, de Nicolas Werth (Perrin). beaucoup de textes que je n’avais pas relus une exposition regroupant manuscrits vains. Beaucoup de textes n’auraient jamais La Marionnette et le Nain. Le christianisme entre perversion et depuis cinquante ans, comme Passage de lettres autographes, livres d’artistes… été écrits sans leur sollicitation. Je me sou- subversion, de Slavoj Zizek (Seuil).