Tour de randonneur Max AUDOUIN et Alain COLLONGUES 30 juin au 23 juillet 2016

C’est au mois de janvier que la question m’a été posée par Alain : « Tu as déjà fait le ? » Et malgré mon palmarès en Diagonales, PBP et autres mille cols, j’ai de suite compris qu’il y avait un trou à boucher, une expérience tentante dans la très longue randonnée. C’était une question comprise tout de suite comme une proposition et quoi de mieux que de le faire avec quelqu’un qui en a l’expérience et avec qui j’ai déjà fait plusieurs Diagonales et autres longs brevets ? OK pour le principe. Restent à accorder nos agendas, choisir le sens et les variantes. Je vais chez Alain le 13 février. L’après-midi nous allons à la réunion de l’U.S. Métro à la Croix de Berny. J’y fais connaissance avec le délégué au TdF Bernard CLAMONT et réalise dans les anecdotes et échanges lors de la remise des carnets de route homologués qu’il y a dans la tête de chacun bien plus d’options que dans le choix randonneur ou touriste. Je retourne voir Alain le 18 mai. Nous choisissons de tourner dans le sens des aiguilles, de partir de Gournay en Bray et pour les variantes d’éviter la grosse affluence estivale de la Côte d’Azur et de la Côte Aquitaine. Le tout matérialisé en quelques traits sur le tracé ci-contre.

Comme nous avons moins d’un mois de libre en commun, nous décidons de partir le 30 juin et devons être rentrés le 28 juillet pour obligations familiales. Mais nous pensons tous les deux que tabler sur 26 jours est raisonnable et nous laisse un délai en cas de pépin. Ayant le même modèle de GPS nous choisissons de nous y fier complètement et de ne pas emporter de cartes. Je me chargerai de faire le tracé sur Openrunner en découpant en tranches de moins de 250 km qui ne correspondront pas forcément aux étapes réelles qui se feront en fonction des conditions. Ainsi, nous n’avons rien réservé et dans l’après-midi lorsque l’objectif logique est choisi je chercherai sur mon téléphone les hôtels disponibles et réserverai. Il nous faudra une seule fois nous détourner légèrement du parcours. Pour les machines pas de problèmes, nous prenons nos Singer qui nous servent en Diagonales en ajustant avec modestie les braquets. Pour Alain son 700 équipé en 48 41 28 et 12-30, et pour moi mon 650 avec 48 40 27 et 13-29.

Au compte-rendu de Max (en noir), Alain a ajouté son grain de sel au fil des étapes (en bleu).

1 Jeudi 30 juin Gournay en Bray - Wissant 191km D+ 1210m Nous avons rendez-vous au café des Sports à Gournay pour partir à 10 heures. Je quitte la maison à 6h05 et comme le vent est plutôt favorable sur ces 72km, je suis en avance, peux prendre un premier café et photographier Alain qui arrive. Les carnets sont tamponnés et les cartes postales expédiées à 10h15. C’est parti avec un bon vent arrière mais une heure de bruine puis un moment de forte pluie avant le casse-croûte à Gamache. Pointage à Saint Valéry sur Somme à 14h30. Après- midi dans la grisaille puis des éclaircies. En passant à Condette je me souviens du premier voyage à vélo fait pour aller voir notre fille aînée en colonie de vacances il y a 40 ans. Arrivée entre les caps Gris Nez et Blanc Nez à Wissant 191km à 19h30.

À vos marques, prêts, partez ! Venu en vélo de Bourg la Reine à la gare Saint-Lazare, puis en train jusqu’à Gisors et de nouveau en vélo de Gisors à Gournay, le « 1997 » retrouve vers 10h le « 1999 » qui l’attendait. Durant cette fastidieuse marche d’approche me trottent dans tête les paroles si justes d’Allain Leprest : « C’est facile d’aller loin, c’est partir qu’est pas rien ». Je confirme. La première étape sera celle de la prise des marques, disons des « bonnes habitudes ». En effet il n’y eut qu’une réunion entre nous, pour décider de la date, du sens de rotation et des variantes. Mais rien sur la manière de rouler, les arrêts, les horaires, les ravitaillements, bref la logistique. C’est qu’entre deux amis qui se connaissent bien, tout repose sur la confiance. Chacun sait que l’autre a le même objectif et le respectera : boucler le Tour de France, en étant capable chaque jour de repartir sans séquelles de la veille. La vitesse de croisière aux alentours de 24 km/h par temps calme et terrain plat s’impose d’elle-même. À 67 et 70 ans on ne joue plus les coursiers. Les arrêts pour ravitaillement ou contrôle seront les plus brefs possible : la première boulangerie ou épicerie sera la bonne, chacun se fera plaisir et ne chipotera pas pour choisir, on mangera sur place sans chercher un cadre fleuri, pas de restaurant dans la journée, réhydratation tant que nécessaire, hôtel et repas sérieux le soir… Pour les départs, ce sera réveil à 5h00 afin de démarrer au lever du jour. Pour les arrivées, on improvisera en fonction des hôtels, mais en moyenne autour de 19h00. Ces fondamentaux s’imposeront d’eux-mêmes, sans qu’il soit besoin d’en débattre. Et la seule règle qui vaille sera finalement : roulez jeunesse !

2 Vendredi 1er juillet Wissant - Trélon 267km D+ 1466m Notre routine se met en place avec réveil à 5h00. Dans la plupart des hôtels nous aurons un plateau de petit-déjeuner avec une thermos de café. Départ à 5h40 après avoir jeté un coup d’œil la collection Citroën à l’abri sous un hangar. Dès le matin du côté de Sangatte et de Calais nous sommes confrontés au quotidien actuel en voyant errer dans les rues ces jeunes hommes qui espèrent partir outre-Manche. Vent arrière jusqu’à Bergues où la carte postale marque notre virage vers le sud-est. Le vent devient de plus en plus défavorable et s’accompagne d’une forte drache comme on dit là-haut. C’est sur les pistes cyclables (?) du nord que je serai victime à l’arrière de ma seule crevaison. Il y a deux fils coupés sur la trame et j’y colle une rustine. Casse-croûte à Carvin 12h25 et contrôle à Saint Amand 14h45. Nous arrivons à Trélon à 19h20.

Pour Trélon, c’est très long La deuxième étape sera l’occasion de mesurer que la distance maximum y est à peu près atteinte. De fait on ne le sait pas encore, mais on ne dépassera jamais ces 267 kilomètres. J’ai bien aimé l’abri dans la forêt de Mormal après le vent du plat pays, mais pour toucher Trélon, ce fut très long (Hi, hi !!!). Dès le lendemain un départ un peu laborieux en témoignera. Le seul hôtel, près de l’atelier-musée du verre, ne sert pas à dîner et la gérante nous envoie en ville, tout en déconseillant le restaurant le plus proche. On se dirige donc vers une lointaine pizzéria de remplacement, mais avec les cales sous les chaussures, la marche qui n’a jamais été mon fort devient une galère. Pire, comme on n’a pas réservé c’est complet et il faut revenir sur le premier restaurant. Tape à l’œil et gastronomique, ce n’est pas l’idéal pour nous, mais on fait avec. Ne pas se bloquer, toujours s’adapter au contexte. C’est le Tour de France, mon p’tit gars, pas un voyage organisé…

3 Samedi 2 juillet Trélon - Pont à Mousson 245km D+ 2314m Temps mitigé en matinée. Nous faisons le plein d’eau à la butte de Stone. Je sais où est le robinet car nous sommes sur un bout de mon parcours quand je vais voir ma fille qui vit dans les Ardennes belges. Au contrôle de Stenay sur la Meuse la vieille ville haute est très calme à 12h45 et nous trouvons juste une charcutière qui va fermer boutique, nous vend deux coquelets grillés et nous donne son restant de pain. Nous nous installons au café voisin et reprenons des forces. Nécessaire car l’après-midi en Woëvre est bien vallonnée jusqu’à Pont à Mousson. Arrivée 19h10.

En passant par la Lorraine Le troisième jour de tous mes voyages en vélo a toujours été le plus éprouvant. Je le crains un peu, mais les côtes de Meuse que Max connaît bien et qu’il me raconte, puis l’entrée dans la Lorraine de mes racines me remontent un moral qui n’était pas tombé bien bas, rassurez-vous. J’ai oublié de dire combien j’étais heureux de partir ainsi un mois sur les routes de France. Mais vous l’aviez compris ! Ce soir mon GPS propose le Campanile de Pont à Mousson et nous y guide. C’est bien les Campanile ; on peut déjeuner très tôt et la formule du buffet nous convient mieux que la nouvelle cuisine pour anorexiques, comme à Trélon. Malheureusement il est fermé et semble même avoir subi quelques outrages. On tergiverse, un jeune homme qui passait essaie de nous aider, on cafouille un peu, avant de se détourner vers le centre-ville. Bref, on perd du temps. Ce sera plusieurs fois le scénario et une heure s’envolera vite. On essaiera de corriger le tir, en téléphonant plus tôt, mais ça restera un point délicat à améliorer. Bien noter que Max possède pourtant une technique très au point, en ne mentionnant lors de l’appel que le souhait d’une chambre avec lits séparés. Les autres points, pourtant importants, comme le rangement des vélos, le départ très matinal, le repas du soir, le petit- déjeuner, ne seront évoqués qu’une fois sur place, avec beaucoup de tact. Tout en douceur, ne pas effrayer, et neuf fois sur dix il y aura une solution. C’est un art !

4 Dimanche 3 juillet Pont à Mousson - Col du Bonhomme 197km D+ 2980m À 6h15 nous rejoignons le quai de la Moselle et c’est parti. Très belle matinée sur des routes calmes qui traversent la Lorraine puis entrent dans les Vosges. Au col du Donon à 13h05 nous nous accordons une pause gourmandise. L’après-midi est chaude et au contrôle de Villé 15h10 il y a une épicerie orientale ouverte, mais on n’y détaille pas les loukoums. Dommage, j’ai soif mais aussi faim. Arrivée à 18h50 au col du Bonhomme dans le bon air des résineux. Beaucoup d’appétit ce soir-là. Repas de spécialités locales et nous dévorerons la « bête des Vosges ».

Que la montagne est belle En partant de Gournay l’avantage de tourner en sens direct est qu’il suffit de quatre jours pour fouler la montagne, tandis qu’en sens rétrograde il en aurait fallu le double. Le Donon par le versant lorrain se monte bien et rassure sur la mécanique. Le petit plateau passe, rien ne craque. Les 17 ou 18 kilos ne sont pas si pesants, à condition d’avancer doucement, voire très doucement. Plus tard dans la vraie montagne, ce sera parfois à la limite de l’équilibre. L’autonomie se paie. Dans le vieux massif vosgien les séquelles de la tempête de 1999 se voient encore par endroits, dénudés ou fraîchement reboisés. C’est dans le Donon qu’en 2004, à l’occasion d’une sortie de vacances, j’avais croisé par hasard Christophe Denêtre qui partait boucler son deuxième Tour de France. Je ne pensais pas à l’époque que l’envie me reprendrait un jour. Pour Christophe ce fut ensuite du lourd avec les USA d’est en ouest, puis en longeant la côte Pacifique et surtout un grand voyage en Alaska dans les années qui suivirent.

5 Lundi 4 juillet Col du Bonhomme - Morteau 202km D+ 2254m À 6h05 nous démarrons sur la route des Crêtes par le col de la Schlucht puis le Grand Ballon à 9h10. Superbe matinée. Redescente sur Cernay et chaude après-midi avec carte postée à Delle où nous cherchons la Poste. Nous suivons le Doubs et atteignons Morteau à 18h45. Quel dommage qu’il y ait tant de poids lourds sur la D437 depuis Sochaux Montbéliard.

Où sont mes lunettes ? Splendide moment que ce cinquième matin sur la route des Crêtes. Enfin j’ai le sentiment d’être immergé dans le Tour de France et de n’avoir plus d’autres préoccupations que d’avancer au rythme de ma bicyclette. C’est comme un déclic intérieur que je connais bien. Autrefois il venait tôt, mais avec l’âge il se manifeste plus tard. Avant le Grand Ballon un besoin urgent m’oblige à un arrêt en voltige. Je repars soulagé, mais en regardant le GPS au bout de trois kilomètres, je le trouve tout brouillé. Mes lunettes, où sont mes lunettes ? Elles se sont volatilisées dans mon strip-tease trop pressé. Demi-tour et bien du mal en tâtonnant pour les retrouver, enfouies sous les herbes. Ouf ! À Morteau on perdra encore beaucoup de temps pour assurer le couchage. Deux hôtels dont un majestueux, mais aucun ne propose le dîner. On optera pour le plus petit, celui des Montagnards. Mauvaise pioche. Le gérant est stressé et rien n’est simple : ranger les vélos, deux lits séparés, petit déjeuner à l’aube. Même le paiement par carte bleue coince. Heureusement la patronne s’en mêle et tout s’arrange. Max impassible ne s’est pas énervé, moi hum… Au bout du compte, c’est une bonne heure de sommeil qui s’est envolée.

6 Mardi 5 juillet Morteau - Annemasse 207km D+ 2158m Partis à 5h55 nous suivons le Doubs dans le brouillard jusqu’au petit-déjeuner à Pontarlier. Dans le parc du Haut-Jura pointage à Saint Laurent en Grandvaux à 10h55 puis à Bellegarde à 15h30 pour quitter le massif jurassien. Grosse chaleur ensuite; j’alterne arrosage de la tête et crème indice 50 sur les jambes; ne pas inverser! La circulation est ensuite plus dense sous Genève et nous arrivons à Annemasse à 18h45 après avoir trouvé des hôtels fermés ou en réfection.

Une étape moyenne Pas trop de souvenirs d’une étape banale du Tour de France, où l’on frôla Genève sans apercevoir le célèbre jet d’eau. Dénivelé moyen, kilométrage moyen, température moyenne, circulation moyenne, vent moyen, tout fut moyen dans cette étape. Y compris l’hôtel d’Annemasse qui ne fit aucun effort pour nous fournir un petit-déjeuner. Comme on avait un peu de temps le soir, je me suis empressé de trouver un épicier encore ouvert et d’y acheter le minimum vital pour ne pas démarrer à vide le lendemain. En particulier j’aime bien avoir toujours un paquet de gâteaux secs en réserve. Et après l’étape, on descend chacun sans mal son litre d’eau pétillante. Ça consomme, deux cyclistes. Le soir on dîne en plein air d’une tartiflette, et on envoie quelques SMS à nos supporters, trop nombreux pour les citer tous. Ils se reconnaîtront, encore un grand merci à eux. J’en profite aussi pour appeler en pleine réunion mensuelle de l’ASPTT et leur dire que demain on entre dans les Alpes. Ça va changer !

7 Mercredi 6 juillet Annemasse - Saint Jean de Maurienne 162km D+ 2680m Quittons Annemasse à 5h45 pour un premier pointage à Bonneville à 6h55 avec un gros petit-déjeuner. La journée promet d’être rude, mais nous devons commencer par un contournement car la route des gorges de l’Arly est toujours fermée suite à des éboulements. Alain a prévu le coup et tracé une variante qui après Saint Jean de Sixt passe par Thônes et rejoint à Ugine. À la sortie la D1212 est une 2x2 voies explicitement interdite aux vélos et une paire de motards de la Gendarmerie arrive pile pour nous montrer la piste cyclable qui va suivre jusqu’à Albertville en faisant quelques sauts de mouton. Très tranquille. Idem pour la N90 qui suit direction Moûtiers et que nous quittons pour attaquer le col de la Madeleine. Alain m’avait dit que c’était le plus dur du Tour dans son souvenir. Quand j’ai vu le premier panneau indiquant 26km j’ai compris ma douleur heureusement atténuée par de nombreux arrêts fontaines. En prime, pas moyen de chasser un nuage de mouches qui me tournent autour. Au col il n’y a plus qu’à plonger pendant 30km jusqu’à Saint Jean de Maurienne où nous arrivons à 18h mais sans courage pour nous farcir la circulation pénible de la Maurienne jusqu’à Saint Michel. Ce sera pour demain à l’aube.

Madeleine, c’est mon horizon De la maison, avant de partir, j’avais appelé l’Office de Tourisme de Flumet pour savoir comment était la route des gorges de l’Arly, la plus chère de France à cause de coulées de boue de plus en plus fréquentes. Réponse immédiate : « Elle est fermée, mais une déviation est en place par Héry sur Ugine ». Je sais, déjà en 2014 elle était en place et Richard Léon en parlait, pas en bien, dans son émouvant compte-rendu. Alors j’insiste : « Mais en vélo, on passera ». Lui aussi : « Surtout pas, vous allez recevoir une pierre sur la tête ». Ok, j’abandonne et je tracerai sur Openrunner une étape-bis par Thônes pour éviter la route dangereuse et sa déviation qui ne m’inspire pas. Si j’en parle, c’est que ce fut ma seule contribution au traçage du parcours. Tout le reste, un très gros travail, fut signé Max. J’avais gardé du Tour 2003, dans lequel j’avais accompagné mon fils Nicolas jusqu’à Nice, un bien mauvais souvenir du col de la Madeleine. C’est confirmé quand, sans avoir l’air de rien, la petite route champêtre et si sage se redresse sous un panneau « Sommet à 26 km ». Aïe, aïe… Qu’il fut long ce premier obstacle sérieux, qu’il fut lourd ce vélo bâté de ses deux sacoches, qu’elles furent énervantes ces mouches que personne n’avait invitées, mais dans ces moments-là, je pense : « On vient toujours accoster quelque part », et par chance ce fut au sommet, après trois heures d’un chaud et rude labeur. Premiers clients d’une saison qui commence, on pointa à Saint François Longchamp en s’offrant une glace en récompense. Méritée, non ?

8 Jeudi 7 juillet Saint Jean de Maurienne - Guillestre 138km D+ 3396m À 6h00 nous sortons de l’hôtel des Voyageurs. Quel beau nom pour qualifier deux gars qui se font le grand tour du pays! Le Télégraphe à la fraîche et le Galibier en suivant avec pointage au Lautaret à 12h15. Tranquille jusqu’à Briançon et puis enchaîner sur l’Izoard toujours aussi beau. Je n’ose trop laisser filer vers Brunissard. Promis pas plus de 70, ou si peu. Nous sommes à Guillestre à 18h15 mais on ne va pas se lancer dans Vars comme ça, hein? Alors il faut en profiter pour faire une lessive complète et bien se reposer en pensant à demain.

Max abandonne… Superbe col du Télégraphe monté sans forcer, avec au sommet une sculpture en paille d’un cycliste qui enfourche sa bécane et que j’immortaliserai. Ce sera une de mes très rares photos. Un peu plus loin Max lâche dans un souffle : « À Valloire j’abandonne ». Mais qu’est-ce qu’il raconte ? Ça ne m’arrange pas du tout. Et d’ajouter : « J’abandonne mon sweat-shirt au bureau de poste ». Est-ce que c’est de l’humour picard ? Il ne lui fallut que cinq minutes pour emballer, poster et gagner ainsi quelques grammes précieux. J’en profite pour dire deux mots de l’aspect vestimentaire. Je l’ai réduit au strict minimum : un cuissard Assos, un maillot PBP 2015, un sous-vêtement Odlo, une casquette Dalioli et des gants Serfas. Aux pieds socquettes jaunes ASPTT et Sidi à cales Look delta. Dans les sacoches un corsaire et un maillot manches longues qui me servent de tenue de gala pour la soirée et de dépannage éventuel pour rouler, si nécessaire, plus un gilet à mailles, un coupe-vent et un imper. « Et avec ceci ? », comme dit ma boulangère : ce sera tout, ma bonne dame, pas de tenue civile. Max est plus élégant avec un pantalon de toile et un polo de soirée, mais guère plus de pelures pour pédaler. Impensable de passer sous silence l’Izoard, même si tout a été écrit sur sa légende. Tout ? Est-ce si sûr ? Et nous découvrons ébahis qu’un gars et une fille le dévalent aujourd’hui en skateboard à la même vitesse que n’importe quel cycliste. Casqués et gantés, ils se penchent en virage à quelques centimètres du sol, le touchant parfois de la main. Las, le Dauphiné Libéré du lendemain imprimera ces quelques lignes : Un homme de 32 ans a raté un virage alors qu’il descendait dans le col d’Izoard en skateboard. C’était hier vers 17 heures. Victime d’un traumatisme crânien et de fractures aux bras, il a été évacué …

9 Vendredi 8 juillet Guillestre - Saint Martin Vésubie 148km D+ 3562m Quittant Guillestre à 6h05 nous sommes tout de suite dans Vars qui me semble plus dur qu’en 1984. Bizarre non? Sauf que juste avant Vars une voiture arrêtée en face nous fait un appel. Ils sont là, bien couverts, mes amis Éliane et Gérard Rose en semaine cyclo à Vars. Tout se sait au club de Villers, presque nos heures de passage! Des bises et encouragements bien utiles aujourd’hui. Nous pointons au Refuge Napoléon à 8h15. Après la descente vers Jausiers, nous voici dans Restefond et la Bonnette. Je trouve le temps lourd et pénible. Les mouches très énervées font encore un nuage autour de ma tête et par moments j’ai envie de tout envoyer promener. Une petite hypo? Alain m’attend là-haut déjà couvert. J’en fais autant et nous filons sur la vallée de la Tinée. Pointage à Saint Sauveur sur Tinée à 15h30. Pas question de descendre sur Nice car le parcours prend à gauche pour Saint Martin Vésubie en passant le col Saint Martin. Dans la montée Alain trouve qu’il fait trop chaud et me laisse devant un moment. J’avance jusqu’à Saint-Dalmas Valdeblore en compagnie d’un couple de cyclo-campeurs. Je m’arrête au Proxi local pour acheter des fruits, des gâteaux et des boissons. Je suis à la caisse quand arrive Alain lui aussi assoiffé. En sortant je bavarde un peu avec les campeurs qui ont fait leur provision de pain pour la soirée. C’est en revenant au vélo que je vois que mon casque n’est plus sur la sacoche et personne à qui demander. Je repars en tournant tout ça dans ma tête. Fin du col Saint Martin et arrivée à 18h30 à Saint Martin Vésubie.

Les casques ont-ils des ailes ? Je n’aime pas la Bonnette. C’est long, c’est moche, c’est infesté de mouches… Comme je regrette le col d’Allos par lequel j’étais passé en 1974, tellement plus fleuri, plus étroit, plus sauvage ! Toutefois les marmottes sont les mêmes, et celles de la Bonnette ont un joli coup de sifflet. J’ajoute que je n’aime pas non plus le col Saint Martin dont la première marche est bien haute et les autres en plein soleil. Mais alors, qu’est-ce que tu fais, là ? Bonne question, merci de la poser. Max, après son sweat-shirt abandonné, poursuit l’opération délestage, et cette fois c’est le casque qui en fait les frais. Personnellement je n’ai rien vu de l’escamotage pour cause de léger coup de barre à l’arrière et je dois me contenter de son récit. D’ailleurs j’avoue que je devais être un peu éteint, puisqu’il fallut qu’il me dise après qu’on ait repris la route : « Tu n’as rien remarqué ? » Non, même pas vu, et pas vraiment catastrophé, puisqu’ainsi je culpabiliserai moins sous ma vieille casquette jaune sale.

10 Samedi 9 juillet Saint Martin Vésubie - Comps-sur-Artuby 195km D+ 3590m La nuit ne m’a pas porté conseil et j’ai ruminé cette affaire de casque. J’en porte un depuis 1989 l’année de mon accident. J’en ai trois qui m’attendent à la maison et Alain qui ne met que sa casquette … mais c’est moi le responsable et il reste les deux tiers du Tour. Alors? Départ à 5h50 et tout de suite c’est le Turini, gros morceau de la journée. Mal aux jambes de démarrer à froid et je suis en général sur le 27x26. Une fois le col franchi encore à la fraîche, nous descendons quelques kilomètres pour pointer à Peïra Cava. Il est 8h50 et les bars et restaurants sont fermés. Nous tournons en rond un moment. J’ai même le temps de photographier une curiosité locale. Nous descendons un peu plus et Alain me fait signe. L’épicerie d’Alice est ouverte, une habituée du passage des TdF. Elle met sa machine à café en route et nous cède ses pains au chocolat sous blister. La descente vers la vallée du Var se fait en passant une demi-douzaine de petits cols des Préalpes méditerranéennes. Nous postons la carte de contrôle à Vence et maintenant nous prenons la variante sud-est qui permet d’éviter la côte jusqu’à Aigues-Mortes. La remontée vers Gréolières sous la cagna est pénible, juste tempérée un moment dans les gorges du Loup. Je réserve une chambre à Comps-sur-Artuby et une fois de plus on me dit « c’est la dernière »; encore un coup de chance ou un truc d’hôtelier pour mettre la pression? Comme le soleil commence à décliner et que nous sommes dans une large vallée glacière, on ne lâche rien comme disent les footeux. Arrivée à 20h20, juste coincés un moment par la transhumance des moutons.

Une variante, ça use, ça use… Peïra Cava se lève tard. On tourne et retourne pour pointer le carnet, témoin muet de nos recherches. Il fallait juste descendre un peu pour trouver la seule personne accueillante aux cyclistes. Une habituée, qui a pratiquement le monopole du contrôle et ne se fait pas prier. Elle nous recommande la prudence dans la dangereuse descente du Turini. et Thierry Adam diraient qu’elle est « technique ». Variante, variante, tu ne nous fais pas de cadeaux. Certes on évite la Côte d’Azur, ses palaces et ses limousines, ainsi que Marseille, ses quartiers nord et ses voies rapides, mais pas les dénivelés de l’arrière-pays niçois. Et ils sont coriaces, les kilomètres dans la montagne du Cheiron qui mènent à Gréolières. Près des Monts d’Azur on longe une réserve de bisons d’Europe, de chevaux de Przewalski et d’autres espèces menacées. Quant aux dinosaures, ils pédalent toujours et ce sera leur plus tardive étape. L’hôtel sympa nous prend en demi- pension, mais une colonie italienne emplit tout l’espace de ses exclamations sonores. Le silence du Turini me manque déjà.

11 Dimanche 10 juillet Comps-sur-Artuby - Arles 215km D+ 1654m Départ du Grand Hôtel Bain à 5h55 avec en première partie les Gorges du Verdon. Passons les Balcons de la Mescla puis la Corniche Sublime. Toujours aussi beau et exigeant. Des coins sauvages peuplés de marcassins et de chevreuils. Au sortir des Gorges nous en avons plein les yeux mais plus rien dans l’estomac. Nous entrons dans Aiguines, nous installons à une terrasse et petit-déjeunons tranquillement. Déjeuner et contrôle à Rians 12h27. Alain remarque que le tampon de la boulangerie n’a pas le nom de la ville et va faire viser nos carnets au café voisin. Avoir l’œil!! L’après-midi il fait 42°C et à 16h15 nous décidons d’un petit arrêt sieste à l’ombre de 15mn qui nous fait beaucoup de bien. Ça va mieux pour rejoindre Eyguières où nous pointons à 17h10. Pour arriver à Arles il n’y a plus qu’à prendre la longue ligne droite vers Saint Martin de Crau. L’autoroute y est bordée d’un côté par la D113 bien passante et de l’autre par une petite route très tranquille mais qui reçoit elle aussi le vent contraire. Arrivée à l’hôtel Plaza à 19h40. Pas de soucis pour faire sécher notre lessive avec cet air chaud.

Finale de l’Euro Encore moult efforts soutenus dans les gorges du Verdon que l’on quitte au col de la Bigue, par lequel j’étais entré avec Noël Roillet, lors de la Super Randonnée de Sophie. Cette fois c’est terminé pour la partie alpestre. Elle s’est plutôt bien passée, sans imprévus, à part le casque envolé. Le Galibier, que l’on a déverrouillé dans les lacets bien tracés de Plan Lachat, en fut le meilleur moment, mais ce n’est déjà plus qu’une page trop vite tournée. Ce soir de finale de l’Euro, on se contentera de suivre la première mi-temps sur la télé de la chambre en sirotant une SanPé et en se goinfrant de pizza. C’est que l’hôtel Plaza, s’il sait être grandiose pour le petit déjeuner à toute heure et pour abriter les vélos, a quand même un léger défaut, celui de ne pas être restaurant. Alors, comme on a la flemme de repartir à pied en dénicher un dans Arles, j’appellerai l’accueil qui m’enseignera une pizzeria. Elle nous livrera sans problème ce menu de base du supporter franchouillard.

12 Lundi 11 juillet Arles - Rivesaltes 237km D+ 752m À 6h05 nous sortons de l’hôtel et rejoignons la piste cyclable qui franchit le Rhône à l’intérieur du tablier du pont de la N113. Traversée de la Camargue jusqu’à Aigues-Mortes où nous pointons à 8h15 et petit-déjeunons. Le tour du Golfe du Lion n’est pas très drôle car les abords des plages sont très fréquentés. À Sète nous galérons pour contourner le port et trouver une boulangerie à 11h45. Le ciel est lourd et nous envoie quelques grosses gouttes. Un goéland profite d’un instant pour renverser la boisson d’Alain. Cherchait-il à se désaltérer ? L’après-midi est longue par Béziers et Narbonne sur la D6009 encombrée. Nous voici enfin au Campanile de la zone nord de Rivesaltes à 19h00. Et voilà passée la moitié du Tour. Fin du terrain plat car devant nous se profilent les Pyrénées.

Grand jeu de pistes Journée lassante de pistes cyclables introuvables vers Sète et Montpellier. Elles existent c’est sûr, mais qu’il faut déployer de patience pour les suivre. Si l’on n’est pas un habitué, il y a de quoi perdre ses nerfs, d’autant plus que les canaux peuvent rendre un retour sur la vraie route impossible. On gaspille du temps, mais le dénivelé modeste permet de se reposer un peu entre Alpes et Pyrénées. La fin de journée sera classique pour les diagonalistes que nous sommes parfois et qui connaissent bien la route, l’ancienne N9. Max fera quelques courses en pharmacie, puis, juste avant le panneau de Rivesaltes où la 2x2 voies est fermement interdite aux vélos, on échouera au Campanile. Journée de transition, journée sans relief, au propre et au figuré.

13 Mardi 12 juillet Rivesaltes - Ax les Thermes 153km D+ 2958m À 6h10 départ à la fraîche pour une matinée ensoleillée. La montée est très progressive et nous sommes distraits par le train jaune qui emprunte une ancienne ligne. Il va quand même plus vite que nous. À Mont-Louis à 12h30 ravitaillement et expédition des cartes postales. Après Quérigut, en moins d’une heure nous sommes dans le brouillard. La montée du col des Trabesses est difficile, chacun dans sa bulle, et nous voici à 2000m au port de Pailhères sous la pluie et le vent glacial. Dans le refuge abandonné nous enfilons tout ce qui pourra nous protéger dans la longue descente qui suit. En dessous de 1200m il fait bon et c’est sous le soleil que nous arrivons à Ax les Thermes. Le premier hôtel que nous voyons est le bon. Pas un mètre de plus dans cette rude journée.

À quoi pensent les chevaux de Pailhères ? Changement de temps spectaculaire : on entre dans Montlouis en plein été, maillot ouvert, et on en ressort en plein hiver, manches longues et coupe-vent, par le haut plateau du Capcir. Contraste très étonnant en une petite heure. La bruine s’installe, les nuages accourent et le thermomètre s’effondre. Pas surpris que l’on passe près d’un « Espace Nordique » dédié au ski de fond. Après Quérigut et avant d’attaquer le port de Pailhères qui n’est pas spécialement un col facile, on aimerait bien un café, mais l’hôtelière ferme la porte en nous voyant arriver. « Le temps se gâte, j’ai des courses à faire » dit-elle en se précipitant vers sa voiture. La célèbre hospitalité des montagnards ! Elle avait raison la bistrotière, le temps s’est bien gâté et dans Pailhères on est bientôt dans la brume et un vent glacial. En montant ça ne gêne pas trop, mais là-haut c’est différent. Sous le doux regard de dizaines de chevaux sauvages qui occupent la chaussée et la maculent de leur crottin hyper-glissant, je ne fais pas le fier. Dans la brume se découvre soudain une bâtisse abandonnée qui sert de refuge. À l’intérieur c’est à mi-chemin entre le dépôt d’ordures et l’abri bus tagué, mais au moins on est coupé du vent. On se change presque entièrement en enfilant la totalité de nos vêtures disponibles, avant de se lancer prudemment dans une descente beaucoup plus « technique » que le Turini. Autant j’aime tout lâcher quand la route est sèche, autant je suis vite stressé dès qu’elle est mouillée. Max semble plus insensible à ces différences. Accord complet pour stopper l’affaire à Ax les Thermes, où l’autre Tour de France est passé il y a seulement quelques heures.

14 Jeudi 13 juillet Ax les Thermes - Arreau 200km D+ 3197m Départ à 6h10. C’est la journée des trois P. Le col de Port que nous montons sous la pluie et dans le brouillard. Puis nous ravitaillons et pointons à à 9h35. Après une transition de 50km de plat nous attaquons le Portet d’Aspet sous le soleil. Client très sérieux où j’emploie le 27x29 mais les panneaux indiquent qu’il est encore plus dur du côté ouest. Alors… À Luchon à 17h nous ravitaillons et je fais même le plein de poudre à bidons pour le reste du Tour. Il reste encore Peyresourde, mais décidément je me sens mieux à la fraîche et j’ai oublié les deux premiers. Quand les jambes vont seules j’ai le temps de lever le nez et d’admirer le paysage. À 20h nous sommes à Arreau à l’hôtel d’Angleterre que j’ai appelé dans l’après-midi. Juste une petite contrariété: pas d’emplacement couvert pour les vélos qui coucheront à la belle étoile près des grosses voitures.

Peyresourde, mon amour J’ai adoré la montée dans le jour finissant de Peyresourde. Qu’il est beau et sauvage, dans sa partie terminale, débarrassé des constructions qui dans ma mémoire l’enlaidissaient, comme ce transformateur qui en marquait le sommet et que je guetterai en vain. Nous sommes depuis totalement réconciliés, le col et moi ; j’espère bien y revenir. Mais avant ce moment inoubliable, il y eut encore de sérieuses difficultés comme le Portet d’Aspet. Je me souviens que venant dans l’autre sens en 1974 j’y avais couché au village de Saint-Lary. Le môme de 25 ans que j’étais alors a gardé pour toujours le souvenir de la table commune où il avait dîné avec les bergers et les ouvriers. Cette fois-ci on ira juste visiter l’épicerie-boulangerie tenue par une dame qui a dû voir passer René Vietto avant qu’il ne donne son vélo à Antonin Magne. Et pour continuer la légende du Tour, on filera dans la descente ultra-rapide devant le triste monument dédié à Fabio Casartelli.

15 Vendredi 14 juillet Arreau - Laruns 130km D+ 3535m Il est 6h00 quand nous entamons la journée des quatre cols pour la fête nationale. Aspin tout de suite où il fait très frais, 4° au sommet mais un grand ciel bleu qui trompe Alain qui ne se couvre pas assez pour la descente. En attendant son café au lait à Sainte Marie de Campan, il tente d’abord de se réchauffer les mains et je ne peux me retenir de rigoler. Il fait tout de suite plus chaud dans le Tourmalet où Alain me prend encore une fois 10 minutes. Nos efforts sont immortalisés par les paparazzis. Tampon et restauration au col à 11h20. Descente pas trop rapide car un peu de circulation et après Argelès-Gazost l’attaque du Soulor est bien raide. Malgré le temps couvert, la vue sur le cirque du Litor est magnifique; une première pour moi qui suis souvent passé dans le brouillard ou sous la pluie. L’Aubisque ensuite est d’autant plus courte de ce côté que la fin de la montée est faite en compagnie de cyclo- campeuses qui grimpent avec une vitesse de jambes étonnante. Au chalet à 17h30 le barman nous vante son tampon et prépare des chocolats crêmeux et chauds qui font du bien. Il est aussi une mémoire du TdF et échange avec Alain sur certains rapides qui lui demandent le tampon sans descendre de machine. Puis descente jusqu’à Laruns où à 18h30 la place centrale est remplie et bruyante. C’est le bal du 14 juillet qui se prépare et va nous bercer après cette grosse journée.

Comme un parfum de RCP Alors ce jour-là j’ai vraiment eu froid. Comment peut-on se croire expérimenté et se lancer dans la descente d’Aspin sans se couvrir, en se disant qu’elle est courte et que dès Sainte Marie de Campan on va remonter ? Max qui s’est chaudement vêtu rigole de ma mésaventure. On apprend à tout âge, c’est sûr. J’ai moins aimé le Tourmalet, trop urbanisé, presque défiguré du côté de La Mongie, mais il reste « le Tourmalet ». Respect. Pas d’imprudence cette fois et je me couvre pour la descente, d’autant que, par pur plaisir, j’y lâcherai les chevaux jusqu’à des pointes à 80 km/h, mais c’est en montant à moins de 8 km/h que les flashes crépiteront. En passant à Luz, déferle une vague de souvenirs et je revois Roger Baumann et Jean-Pierre Gagneur que j’avais croisés lors de nos Tours de France de 1974. Cette année je n’en aurai vu qu’un seul, trop vite pour s’arrêter, dans le bas de la Bonnette. Il me semble que sa plaque était « 1987 ». Le Soulor a un gros défaut, ses ruptures de pente. Totalement irrégulier, l’animal. Du coup on hésite souvent entre rester petit plateau et remonter sur l’intermédiaire. En fait l’impression de n’avoir jamais le bon braquet domine. Au Soulor pour un croque-monsieur ce fut bien long, et le ton monta d’une octave. À l’hôtel du col d’Aubisque je me souviens que l’on a parlé de Bernard Léseney qui y a ses habitudes, comme d’y consommer un Perrier. Et le patron de me montrer une coupure de journal relatant les exploits du successeur de Patrick. Il est passé il y a quelques jours et achèvera ainsi son 13ième Tour. Ce fut l’étape la plus courte, mais pas la plus facile ; il flottait ce jour-là comme un entêtant parfum

de RCP (Randonnée des Cols Pyrénéens).

16 Samedi 15 juillet Laruns - Sabres 200km D+ 2042m Partis à 5h45, nous commençons par escalader Marie Blanque pas très haut mais pentu comme un col pyrénéen. L’ayant avisé trop tard pour passer le petit plateau, j’ai la flemme de m’arrêter et monte tout en 40x29. Je tourne à 20 tours/minute ce qui me fait sourire en pensant aux grimpeurs d’autrefois. Petite pose au sommet où nous discutons avec un cyclo- campeur qui démarre sa journée après avoir plié son matériel. Il nous dit son plaisir : planter sa tente au sommet des cols. Chacun son truc, nous c’est le Tour de France! Nous déboulons jusqu’à Tardets-Sorholus pour expédier à 9h30 les cartes postales qui marquent notre virage vers le nord et le début de la variante du sud-ouest. Nous avons choisi d’éviter la côte aquitaine, ses longueurs landaises et les encombrements du bassin d’Arcachon. Tout se paie et cash, puisque nous voici dans la Chalosse avec la chaleur en prime. Après les contrôles d’Orthez et Tartas, nous trouvons une auberge dans sa pinède à Sabres. Il n’est que 18h15 mais ça suffit pour aujourd’hui.

Adichats Adieu montagnes des Pyrénées et bonjour la remontée plein nord, pour ce Tour de France dont on sait maintenant qu’on le bouclera, disons dans une bonne semaine. Ce sera une étape de plus en plus plate au fil de notre avancée : Marie-Blanque et la fin du Béarn, puis la Soule, ce petit morceau de Pays Basque, puis la Chalosse, et enfin les Landes. Je me souvenais d’Arette, où en 1967 un tremblement de terre avait causé la mort d’une vieille dame. J’étais avec mes parents en vacances à Hendaye et c’est la seule fois de ma vie où j’ai senti un tremblement de terre. Comme on s’y est arrêté pour casser une petite croûte, je branche un autochtone sur la question. Il confirme mais ça ne l’effraie pas, et il nous explique que tout a été reconstruit aux normes anti sismiques, donc « pas de soucis », dirait un de nos copains. Dernier souvenir de cette belle journée à l’hôtel-restaurant du soir, où la patronne a soudain un éclair de lucidité devant notre air dépité face à ses assiettes, régionales certes, mais si peu garnies pour des cyclistes affamés ; elle nous offre alors du rab de purée. Quelques centimètres cubes de carburant en plus pour demain, ça ne se refuse pas. Surtout qu’au sortir des Pyrénées nous n’avons, ni l’un ni l’autre, plus trop de réserves graisseuses.

17 Dimanche 16 juillet Sabres - Pons 207km D+ 1143m Départ à 6h00 mais déception car la recharge de mon GPS n’a été que partielle à cause d’un problème de prise. Je le mets quand même en marche et on verra bien comment gérer quand il s’éteindra. Pour quitter les Landes, il fait très froid dans la forêt juste à l’aube. Premier pointage à 7h55 à Saint Symphorien chez une couturière qui nous indique une boulangerie à l’écart, mais tout y est bon. Ensuite nous franchissons la Garonne puis la Dordogne à 12h45 à Libourne où nous pointons et cassons la croûte. Sortant de la boulangerie, Alain constate que sa casquette a disparu de sa sacoche où elle était posée. Mon voleur de casque nous suit donc à la trace? Non, ce n’était que l’effet d’un coup de vent; il vient du nord-est et nous apporte la chaleur continentale. J’ai branché mon GPS sur un boitier à piles que j’ai emporté pour le cas où. Quelques kilomètres plus loin, sur un coup de cul Alain rétrograde sur le 48x30, son braquet interdit. Sanction immédiate, roue bloquée en travers et chute du côté droit. Au bilan, un peu de peau râpée mais le dérailleur qui fonctionne malgré sa tronche en biais. Rester concentrés! C’est ce qui va me manquer un peu plus loin, à Montendre. Mon GPS s’éteint en ville et je pense que c’est une question de contact. Je trifouille la prise, mais quand je relève le nez Alain n’est plus là. Je redémarre tout droit, sors sur la D730 et ne le voit pas sur la longue ligne droite. Pas de descriptif de parcours pour les variantes, pas de carte, pas de GPS et pas de réponse quand je lui téléphone. Pas de panique! J’affiche la carte sur mon smartphone, retourne jusqu’à un rond-point pour prendre ce qui me semble être la direction générale. C’est bon, je vois Alain presque en haut de la bosse suivante, mais il s’en est fallu de peu. C’est la première et la dernière fois que je pars sans carte sur une grande randonnée. Nous fêtons nos retrouvailles en pointant à la Boulangerie des Familles à 17h30 à Jonzac, puis à cause de ces contretemps nous arrêtons à Pons à 18h45. Petite déception pour une étape de plat où je pensais augmenter notre avance. On verra demain.

Elle est pas belle, ma chute ? Et oui, il fallait bien une chute, pour imiter les pros, et je me fis un devoir de l’accomplir. Donc, « Je ne m’énerve pas, Madeleine, j’explique…», voici l’histoire. D’abord je n’aime pas les dérailleurs à chape longue, qui trahissent trop le cyclo pépère. Premier handicap. Ensuite - et c’est paradoxal pour un soi-disant non-pépère - je monte quand même un plateau de 28 dents. Deuxième handicap. D’où, si je ne veux pas qu’à la manière des chaînes flottantes de Vélocio, la mienne se ballade, je dois un peu la diminuer. Et résultat inéluctable : elle est trop courte pour le croisement interdit, grand plateau et grand pignon (ici 48x30). J’avais tenu 17 jours sans faire la fatale erreur, pas mal non ? Mais il fallait bien que ça s’arrête. Comme en tout il faut positiver, ainsi que l’enseigne le philosophe Max, j’en tire un précieux constat tout à la faveur des cycles Singer : si j’avais eu une patte de dérailleur rapportée en alu, comme tous les vélos d’aujourd’hui, elle serait morte au champ d’honneur, tandis que là, étant en acier et brasée, elle n’a pas bronché. Et comme en plus j’avais des pattes de cadre longues, la roue a simplement glissé et s’est coincée, sans plus de dégâts qu’une chape de dérailleur tordue. La vie est belle !

18 Lundi 17 juillet Pons - Bourgneuf en Retz 258km D+ 1213m Départ à 5h55 après un petit-déjeuner aux pains maison. Premières heures sans vent. Pointage à Surgères à 9h25. Puis le vent se lève ¾ arrière et nous en profitons bien dans le marais poitevin. À Talmont Saint Hilaire à 14h55. Ce contrôle marque la fin de la variante ; nous approchons de la côte, le vent devient défavorable, la température monte à 42°C et la circulation est intense. Contents de se poser à Bourgneuf en Retz à 19h50 après avoir tourné pour trouver l’hôtel à cause de Pages Jaunes mal renseignées. Les outils modernes ne sont pas toujours les meilleurs.

Bonjour Monsieur Clemenceau « Audaces fortuna juvat », se disent deux cyclos quand le vent se lève, fort à modéré de secteur sud. Heureusement ! On ne le sait pas encore, mais dans quelques jours nous aurons confirmation que le sens de rotation choisi était vraiment le bon. Décidément oui : « La chance sourit aux audacieux », et ce fut vrai du premier au dernier jour. L’étape sera un peu longuette, sans saveur particulière, hormis qu’elle me rappela des vacances avec les enfants faisant leurs premiers pas sur les plages vendéennes. Grosse chaleur aujourd’hui, mais ça ne devrait pas durer, il suffit de tenir le choc et après tant d’heures à pédaler, ce n’est plus un problème. On supporte de mieux en mieux, ces petits désagréments. Et puis au pays de Clemenceau, il serait inconvenant de se plaindre pour si peu. Que penserait le Tigre s’il nous entendait gémir ?

19 Mardi 18 juillet Bourgneuf en Retz - Pont-Aven 212km D+ 1545m L’escalade du jour, c’est celle du pont de Saint Nazaire. Nous avons vu hier un panneau non daté de fermeture pour travaux mais il était heureusement obsolète. Pas de problème pour franchir le pont car le vent de côté est encore faible ce matin. Ensuite nous contournons le golfe du Morbihan avec un arrêt à Questembert avant de pointer à Sainte Anne d’Auray à 14h00. Nous traversons plusieurs chantiers routiers sans jamais prendre les déviations préconisées. Je me sens très mou par cette forte chaleur et d’un commun accord nous faisons une petite sieste sur l’herbe à l’ombre de la chapelle de Trescouët, dans un de ces coins tranquilles qu’Alain repère. Maintenant Concarneau semble bien loin et nous nous arrêtons à Pont-Aven à 19h00.

Notre page culturelle Dans cette journée encore très chaude, pour s’occuper l’esprit et faire défiler plus vite les kilomètres, on se pose des questions fondamentales comme celle-ci. Faut-il écrire « déchetterie » ou « déchèterie » ? Ce n’est pas que l’on songe à y déposer nos bécanes, mais juste une curiosité, disons intellectuelle. Impossible de trancher, tant on trouve les deux orthographes sur les panneaux indicateurs. Vaste débat dont la réponse ne nous apparaîtra qu’une fois rentrés, sur Wikipédia : c’est « déchèterie », selon l’Académie Française, mais « déchetterie », qui est un nom déposé, finira peut-être pas s’imposer. Comme l’écrivait Henri Desgrange, il faut la tête et les jambes, pour faire un bon cycliste. À Questembert on pose les vélos et on part, l’un après l’autre, faire les courses dans une grande surface. Quand je reviens un gars examine nos machines et leurs plaques de Tour de France. Mais on se connait ! C’est Michel Leray (dit Petit Bus), l’ancien organisateur de la Bourse aux Vélos de Vélizy, qui demeure ici. À Pont-Aven, autre rencontre : dans cette grande pièce sous les toits, sommes-nous dans la chambre de Gauguin ? En 1894 lors de son dernier séjour à Pont-Aven, l’hôtel des Ajoncs d’Or où nous sommes, qui s’appelait l’hôtel Glouannec, le revendique. Possible, mais difficile d’être sûr. Alors autant rêver à des bretonnes en coiffe et à des tahitiennes sur le sable.

20 Mercredi 19 juillet Pont-Aven - Tréglonou 191km D+ 2159m Partis à 6h00 nous marquons un premier arrêt à 8h15 à Pont l’Abbé pour un second petit-déjeuner. En plus du coup de tampon, le patron a le coup d’œil sur nos machines et pose les bonnes questions. Pas de doute, nous sommes en Bretagne. Petite étape jusqu’à Douarnenez où nous envoyons nos dernières cartes de contrôle. Il commence à faire chaud et quand nous faisons halte casse-croûte à Plonévez-Porzay j’en profite pour aller me rafraîchir aux toilettes municipales. Repartis sur des routes bien connues à partir de Daoulas, je fais faire à Alain un arrêt photo sur le pont Albert Louppé à 16h00. Il s’y prête mais me glisse que nous n’avons pas choisi l’option « touristes ». C’est vrai que depuis le col d’Aspin ça fait beaucoup d’arrêts photo... Nous n’entrons pas dans Brest et le contournement prévu est agréable jusqu’à ce que nous devions prendre la route de Guipavas pleine des gens qui quittent le travail et ne veulent pas perdre une seconde. Et voilà notre contrôle le plus à l’ouest à Ploudalmézeau. Le sympathique barman me trouve un hôtel à Tréglonou, précisément au manoir de Trouzilit. Nous arrivons au milieu d’une fête locale et des préparatifs pour un concert. Quelle chance nous avons, dit la propriétaire! Après diner à la crêperie du manoir, nous nous endormons plus ou moins bercés par la musique et les chants. Alain m’assurera que c’était fini à 22h30, mais avec mes bouchons d’oreilles j’avais manqué la fin du concert.

Mort d’un pneu voyageur Tréglonou a marqué la mort de mon pneu arrière : il est parti sans souffrir, très dignement. Je n’avais rien vu, rien senti, mais Max avait remarqué comme une tache bizarre quand il était derrière moi. Alors en fin d’étape, et comme pour une fois on avait un peu de temps, j’ai pris la peine d’y regarder de plus près. La chape est tellement usée que l’on voit les fils, mais le pneu n’est pas déstructuré et la chambre tient le choc. Après 4000 bornes, mon Pariba Révolution sans kevlar, acheté chez Rudi Altig il y a quelques années, a bien mérité du Tour de France. Comme je trimballe son remplaçant depuis le départ, je fais le changement. C’est d’un pneu neuf que je coiffe ma belle roue Shimano Durace C24, mais mon vélo est si sale qu’en le montant il est déjà tout taché. Difficile de croire qu’il est neuf ! Là j’avoue qu’à la différence de Max, qui sort souvent un kleenex pour essuyer sa machine, j’ai décidé de n’y pas toucher jusqu’à l’arrivée. J’accepterai quand même l’huile qu’il me proposera, mais pas plus. Les stigmates de la route se respectent, et d’ailleurs une fois l’aventure achevée je mettrai deux semaines à les enlever. Comme disent les japonais pétrifiés devant la boutique Singer : « C’est la poussière de l’Histoire ». Peut-être est-ce aussi le moment de préciser ce qui était neuf au départ sur nos bécanes. C’est à peu près pareil pour les deux : les pneus, les chambres à air, les câbles, les patins de frein, les plateaux, la cassette, la chaîne, plus pour moi la guidoline, les cales et les gants. À mon avis c’est le minimum, sauf à aimer les mauvaises surprises.

21 Jeudi 20 juillet Tréglonou - Pléneuf Val André 217km D+ 2082m Partis à 5h55 nous sommes à Saint Pol de Léon à 8h25. Encore un café habitué à voir passer les TdF. Puis parcours vallonné près de la côte avec pointages à12h45 à Tréguier et 16h20 à Saint Brieuc. Le vent qui a un peu tourné à l’ouest nous aide gentiment mais pas moyen de trouver place dans un hôtel sur le parcours. Nous choisissons de nous rapprocher de la côte où il y en a beaucoup et trouvons de la place à Pléneuf Val André où nous arrivons à 18h40. En prime, un dîner moules et frites nous fait enfin goûter aux coquillages. Sans mentir, on peut voir la mer de la chambre au dernier étage, enfin juste un bout entre deux toitures, et ça nous suffit.

Faut clore le folklore La nuit n’a pas été fameuse, troublée par la musique folklorique. Encore un truc que je n’apprécie guère, comme les langues régionales, les signes religieux, le chauvinisme sportif, et tout ce qui renforce des communautarismes qui ne demandent qu’à prospérer. Bon, passons, ce n’est pas vraiment le sujet. La journée commence durement, avec même un passage à 17% dans La Forêt Fouesnant. Et je n’ose plus imposer à mon pauvre dérailleur tordu de se hisser sur le 30 dents. Mon frère François demeure à côté et vers Paimpol c’est une belle-sœur de Max. Mais il faut choisir, visiter la famille et les amis, ou rester concentrés sur le Tour de France. Encore un point sur lequel on est d’accord. Ce sera pour une autre fois, et qu’ils ne se formalisent surtout pas, ceux qui lisant ces lignes se demanderont pourquoi l’on n’a pas fait un arrêt chez eux. Écoutez l’appel de la route, messieurs-dames : « Toujours rester roulant ! » On se restaurera ce soir au restaurant voisin, spécialiste des moules-frites et des blagues à deux balles, pires que les miennes. Ne se nomme-t-il pas « Le plein des sens » avec une pompe en armoirie ?

22 Vendredi 21 juillet Pléneuf Val André - Barneville-Carterets 232km D+ 1824m Départ à la lumière à 5h32 pour rejoindre le parcours à 6h après 5km. À Hénanbihen et Matignon nous passons devant les deux hôtels qui m’ont répondu complet, le second ayant donné l’occasion de quelque trait d’humour à Alain. Il fallait meubler hier après-midi. Un peu avant Saint Malo nous sommes bloqués un moment par le passage d’un bateau sous la partie mobile du pont de l’usine marémotrice de la Rance. Au redémarrage c’est tout un flot de voitures qui nous double sur la montée étroite. Il faudrait si peu pour nous protéger sur une bande ou une piste. Et puis cette départementale en 2x2 voies limitée à 110 mais autorisée aux vélos sera le seul endroit vraiment désagréable sur notre parcours. Nous petit-déjeunons enfin à Cancale; à 9h15 c’est tard, et c’est long une matinée sans café. Après avoir franchi le Couesnon, je demande encore un arrêt photo avec le Mont Saint Michel en fond. Il faut bien alimenter notre copain Victor qui permet à nos amis de suivre en ligne notre progression. Encore une boulangerie-pâtisserie à 12h50 à Avranches. Dans cette après-midi chaude nous décidons encore d’une petite sieste près d’une rivière. Mais quand je couche mon vélo, je vois l’état du pneu arrière où la coupure s’élargit. Me voici occupé à démonter et mettre un emplâtre. Je n’ai plus envie de dormir, c’est magique. À 19h00 nous sommes à l’hôtel trouvé à Barneville- Carteret. La jeune femme qui s’en occupe nous impressionne. Elle fait tout: les réservations, le service au bar, le service des repas qu’elle a préparés. Ça me semble plus dur que de faire du vélo.

Opération « No road map » On quitte la Bretagne où la circulation, en cette période de vacances est bien chargée, pour les routes plus calmes du Cotentin. D’Avranches à Coutances, c’est du scenic-railway, comme avait écrit autrefois Roger Baumann, à propos du fameux tronçon de N12, Guingamp-Morlaix de Paris-Brest 1971. Que c’est loin ! Autrement, rien à signaler. Deux mots quand même du pari hardi que nous avons topé au départ, en adoptant une solution « No road map », autrement dit « Tout au GPS ». C’est tout à fait possible de naviguer ainsi, sans la moindre carte, et nous l’avons prouvé, mais il a fallu un tracé très soigneux avant de partir et un minimum de pratique du Garmin. Le principal inconvénient a été l’absence de la vue globale, et si l’on n’a pas non plus une feuille de route avec les principales villes traversées et le kilométrage, comme ce fut le cas sur les variantes, il devient difficile de répondre à une question aussi simple que « Quelle distance jusqu’à la prochaine ville pour se ravitailler ? » Donc ne pas se priver d’une feuille de route, même succincte. Pour les cartes, c’est un choix personnel : une quinzaine de cartes encombrantes qui aggraveront encore l’excès pondéral du vélo, ou un peu d’inconfort dans la navigation ? Personnellement mon choix est fait.

23 Samedi 22 juillet Barneville-Carterets - Touques 232km D+ 1656m La patronne est déjà en cuisine; nous petit-déjeunons et partons à 5h50. Alain qui est du coin par alliance m’a prévenu: il pleut toujours à Cherbourg. Pas de parapluie aujourd’hui mais juste du brouillard en arrivant à Cherbourg à 7h35. Nous rejoignons ensuite le bord de mer à Quettehou et passons en revue les plages du Débarquement en roulant un moment avec un ancien coureur qui nous montre qu’il est encore en jambes à plus de 80 ans. Nous pointons à la boulangerie de Grandcamp-Maisy à 12h45, nous installons pour manger et tout serait parfait si un poids-lourd ne venait s’installer moteur tournant juste devant nous. Alors que nous suivons la côte de Nacre, nous sommes bloqués à Pegasus Bridge en attendant que le pont mobile se rabaisse. Encore un contrôle prétexte à un rafraîchissement. Nous suivons encore la côte et nous arrêtons coucher à Touques à 18h40, craignant de ne pas trouver place à Honfleur en cette saison. Combien ça coûte ? Ça commence à sentir l’écurie. Je suis heureux de rouler sur des routes que je connais bien, et après Cherbourg de filer vers Utah Beach. Il fait un temps idéal encore aujourd’hui et nous déroulons sans forcer. Le beau tampon de Pegasus Bridge sur le carnet se paye au prix fort : 7,20 euros les deux diabolos citron. Un record, me semble-t-il. Prix citron aussi pour l’hébergement de ce soir à Touques : le plus cher et le moins sympathique de tous. Mais c’est la côte normande et Deauville n’est pas loin. À ce propos nous n’avons pas beaucoup regardé à la dépense. Nous ne referons sans doute jamais le Tour de France, et nous n’avions ni le goût, ni la capacité d’adopter une solution à la manière de ceux qui dorment à la belle étoile. Je les respecte et les admire, Bernard Léseney, Guillaume Leloup, et tous les autres, mais les deux papys que nous sommes ont fait un autre choix. Pourquoi ? Le risque était surtout de mal récupérer. Personnellement j’ai fini trop de grands brevets avec un mal de dos infernal et une lamentable position penchée sur le côté. Je craignais beaucoup que ça ne se reproduise. Les sept heures de sommeil, une alimentation sérieuse, la douche chaque soir et le lavage quasi quotidien du cuissard et du maillot m’ont totalement évité tous les ennuis, qui peuvent gâcher les plus belles randonnées. Qu’en aurait-il été en tirant sur la ficelle ? Je préfère ne pas le savoir.

24 Dimanche 23 juillet Touques - Gournay en Bray 159km D+ 1309m (Creil 230km) C’est la seule nuit où nos vélos ont couché dans la rue. Il ne s’est rien passé mais nous n’avons pas aimé le peu d’empressement de l’hôtelier et surtout de sa cheftaine. Pas de petit- déjeuner et pas une miette dans la chambre! C’est donc légers que nous attaquons à 5h40 la côte de Touques qui remonte sur le plateau en trois bons kilomètres. À Honfleur, pas un café ni une boulangerie ouverte si tôt et Alain fait pointer par la veilleuse d’un hôtel à 6h30. Nous reprenons la route ventre presque creux. J’ai attaqué la dernière barre de ma sacoche pour commencer la variante qui nous ramènera à Gournay en Bray. C’est à la Rivière Saint Sauveur que nous dévalisons la première boulangerie ouverte. Et en plus ils ont le sourire. Rien de particulier dans cette matinée où nous empruntons une partie du trajet retour de feu Levallois-Honfleur. À Pont-Audemer nous prenons enfin le café du matin, mais ensuite une 2x2 voies a été déclarée interdite aux vélos et nous oblige à zigzaguer pour la contourner. Que nous sommes respectueux le dernier jour! Nous sommes à Louviers à 11h40 pour notre dernier contrôle boulangerie et c’est jour de marché. Du coup nous devons aussi répondre aux questions de quelques curieux à propos de nos machines et de ce qu’on est en train de faire avec. Nous devons rompre et par les Andelys rejoindre Gournay en Bray à 15h15. Je laisse à Alain le plaisir d’aller poster les cartes tamponnées par le barman qui nous a pris en photo pour notre dernier diabolo citron, la boisson la plus consommée durant ces 24 jours.

Sur mon carnet, j’écris le mot FIN Et voilà, c’est déjà bouclé. La photo finish de Gournay et nos sourires en disent plus qu’un long discours.

Jour Date Départ à Arrivée à Km D+ 1 30/6 Gournay en Bray 10h15 Wissant 19h30 191 1210 2 1/7 Wissant 5h40 Trélon 19h20 267 1466 3 2/7 Trélon 6h05 Pont à Mousson 19h10 245 2314 4 3/7 Pont à Mousson 6h15 Col du Bonhomme 19h00 197 2980 5 4/7 Col du Bonhomme 6h05 Morteau 18h45 202 2254 6 5/7 Morteau 5h55 Annemasse 18h45 207 2158 7 6/7 Annemasse 5h45 Saint Jean de Maurienne 18h05 162 2680 8 7/7 Saint Jean de Maurienne 6h00 Guillestre 18h30 138 3396 9 8/7 Guillestre 6h05 Saint Martin de Vésubie 18h30 148 3562 10 9/7 Saint Martin de Vésubie 5h50 Comps sur Artuby 20h20 195 3590 11 10/7 Comps sur Artuby 5h55 Arles 19h30 215 1654 12 11/7 Arles 6h05 Rivesaltes 19h00 237 752 13 12/7 Rivesaltes 6h10 Ax les Thermes 18h30 153 2958 14 13/7 Ax les Thermes 6h10 Arreau 20h00 200 3197 15 14/7 Arreau 6h00 Laruns 18h30 130 3535 16 15/7 Laruns 5h45 Sabres 18h15 200 2042 17 16/7 Sabres 6h00 Pons 18h45 207 1143 18 17/7 Pons 5h55 Bourgneuf en Retz 19h50 258 1213 19 18/7 Bourgneuf en Retz 6h00 Pont Aven 19h00 212 1545 20 19/7 Pont Aven 6h00 Tréglonou 18h30 191 2159 21 20/7 Tréglonou 5h55 Pléneuf Val André 18h45 217 2082 22 21/7 Pléneuf Val André 5h35 Barneville Carteret 19h00 232 1824 23 22/7 Barneville Carteret 5h50 Touques 18h40 232 1656 24 23/7 Touques 5h40 Gournay en Bray 15h15 159 1309 Total 4795 52679