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DU FOREZ A L'

VERS LE

OMT-DORE

PAR LUCIEN CLAIRET

CHAPITRE II -LE MONT-DORE •

THIERS - Pont St-Jean sur la Durolle Gravure de J. Brugière

'AI terminé le premier chapitre de cette relation a voulu que je revois souvent cette belle vallée, et je à Issoire, le soir d'une mémorable agape, citant me souviens, fort à-propos, qu'il y a dix ans, le di­ le vieux dicton populaire qui affirme «que les manche de Pentecôte 1932, nous avions rendez-vous filles de ce pays sont fort belles à voir ». Et sur la grande place de , à midi précises. Jceci est bien vrai. Le chroniqueur Maurice Prax a Parti de Roanne, le matin même, avant l'aube, dit : « Le bon vin de la leur fait les dents en compagnie de trois camarades, nous devions re­ blanches ; le bon blé de la Limagne leur fait le corps trouver la famille Labbaye, de Clermont, et six robuste et les yeux vifs... » Roannais, amateurs de camping itinérant. A Issoire, dans le temps, au bon vieux temps, Après le pont de l', après la traversée de mais il y a cependant moins d'un siècle, on pouvait dans une campagne aux vergers luxuriants, boire le vin dans les auberges, à deux sou^ de l'heu- nous arrivions à Champeix ; il y avait foule sur la v re. Ceux qui n'étaient point ivrognes pouvaient le place, et tous étaient rigoureusement exacts. On se ' ".fjdevenir ! Par exemple, ajoute le chroniqueur, le bu­ serait cru, ma foi, à une de nos premières concentra­ veur qui s'endormait les deux coudes sur la table, tions régionales et, pour la première fois peut-être, après avoir copieusement honoré le divin jus de la 4 Clermontois, 9 Roannais et 4 Bordelais, qui se trou­ treille, payait pour ses heures de sommeil comme vaient de passage, furent momentanément réunis pour ses heures de libation. On ne disait pas «qui sur la grande place, au pied du Marchidial. dort dîne », mais on disait « qui dort boit » !

Champeix est une grosse bourgade adossée aux Pour continuer dans un bon ordre d'idées, repre­ collines qui encadrent la Couze du Chambon. La ri­ nons la route de Roanne au Mont-Dore où nous vière, descendue de la montagne, traverse le village, l'avions laissée, c'est-à-dire au pont de l'Allier, en­ courant dans son lit de galets. Sur l'un des quais tre Coudes et Montpeyroux. Nous allons remonter bordant la Couze se trouve une petite boutique por­ maintenant la vallée de la Couze jusqu'au Lac tant l'enseigne : épicerie-mercerie. On y servait à Chambon. boire de ce bon vin d'Issolre ; on y servait à manger La route des Dores, dans la vallée de la Couze, du miel, du succulent fromage de Saint-Nectaire... c'est pour moi une vieille connaissance. Il y a dix- Il me semble, en écrivant ces lignes, que je me sept ans que je la suivis pour la première fois, ve­ retrouve à Champeix, attablé sur la petite terrasse nant du Mont-Dore, et allant à Issoire. Le hasard de notre aimable épicière, devant la roche basalti-

: S*O OYCLO 136. U MAGAZINE que qui porte l'antique Marchidial, château ruiné gne monumentale est justement fière ! Bâti sur un dont il reste la chapelle et sa tour, fin cylindre de rocher de basalte, l'antique sanctuaire dessine sa pierres couronné par un campanile à l'italienne. silhouette massive et pittoresque, dans l'harmonieux Le touriste qui traverse Champeix doit consa­ cadre de la montagne. crer quelques minutes pour gravir la butte encom­ Saint-Nectaire ! Ce nom sonne pour moi l'envol brée de maisons en ruines, et respirer le grand air des souvenirs. Que de fois j'ai traversé la « ville de la terrasse du Marchidial. De plus, il jouira d'une thermale». En 1928, nous y fîmes étape, venant du agréable vue panoramique sur la petite ville et la Mont-Dore. En 1929, au lendemain du rendez-vous vallée. d'Issoire, nous allions au Mont-Dore et, attardés par On a l'impression de se trouver en Cévenne, quel­ une averse orageuse, nous avions trouvé refuge sous que part dans la Gardonnenque et, cependant, nous un balcon, devant la vitrine d'un magasin exposant sommes presque au cœur de l'Auvergne... Champeix de petits objets pétrifiés comme ceux de la fontaine a un peu l'aspect d'Issoire, avec son Marchidial en Saint-Alyre, de Clermont. Il y avait même des mé­ plus. Il est à remarquer que la plupart des villages daillons portant effigie d'hommes illustres : Vercin- de la Limagne d'Issoire, comme les villages des Li- gétorix, Napoléon, Desaix, etc... et, placés en vis-à- magnes de Brioude et de la vallée de l'Allier, jusqu'à vis : Louis XV, dit le bien-aimé, et Arouet, dit de Langeac, prennent un tantinet d'allure méridionale. Voltaire, qui semblaient se regarder en chiens de Le ciel est bleu, lumineux... L'arborescence, très faïence. vigoureuse, prête son manteau à l'âpre nature, qui Nos réflexions sur la vie et les célébrités du galant épouse déjà la structure cévenole. XVIII" siècle n'allèrent pas sans faire sursauter la dame du premier étage qui, passant la tête par des­ • sus la rampe du balcon, nous pria sèchement d'al­ * * ler discuter ailleurs ! ! ! Par bonheur, la pluie cessait et nous rîmes beau­ Comme dit plus haut, nous allons remonter la coup en reprenant la route du Mont-Dore... Le Mont- pittoresque 496, une des principales Dore, toujours le Mont-Dore ! Ce nom revient sou­ voies d'accès aux hautes montagnes d'Auvergne. vent sous ma plume ! Pour moi, il évoque un site Merveilleux début. Le premier village que l'on merveilleux entre tous que j'aime et j'admire ; un rencontre est Montaigut-le-Blanc, s'étageant à flanc site qui fut le but de mon premier « grand » voyage de coteau, sous les tours ruinées de son château à bicyclette en 1925. On ne va pas qu'une seule fois féodal. au Mont-Dore, on prend toujours plaisir à reve­ Paysages d'Auvergne... Variété infinie de sites et nir vivre dans son ambiance, à en goûter la séduc­ de couleurs ! Plus loin, c'est la Couze torrentueuse, tion et apprécier la majesté de son cadre mon­ grondante, encaissée dans sa gorge, entre des pa­ tagnard. rois envahies d'une végétation sauvage et d'éboulis En attendant, nous n'y sommes pas encore. Une volcaniques. Sur un piton se dresse la Tour de Mau- rampe légère, mais soutenue, sinue au long des pins rifolet. Les hommes d'autrefois l'avaient juchée là- qui bordent le Curançon. Puis, sans transition, nous haut, sans doute pour veiller la passe. passons sur un plateau. En pleine lumière, nous Le lieu présente quelque ressemblance avec les voyons briller les toits de Murols devant une magni­ gorges de , et la route serre le rocher jus­ fique toile de fond, formée par les Dores, neigeux et qu'à la sortie de l'étroit goulet où, dans un décor éblouissants. plus ample, s'amorce la N. 678 qui est la route de Nous sommes au seuil de la haute montagne. Au Besse-en-Chandesse, de Condat-en-Feniers et du Lac seuil de la rude et véritable Auvergne. C'est un au­ Pavin, un des sites les plus réputés d'Auvergne. tre pays qu'il faut voir et connaître, dans son aus­ Longtemps, cette merveille limpide fut maléfique. tère décor de volcans éteints, de forêts et de pâtu­ Les paysans n'approchaient de ses bords qu'avec ter­ rages. Le sol y est d'une pauvreté parfois inconce­ reur et regardaient avec un certain malaise cet vable, la vie y est dure. Nous approchons du Cantal, abîme d'eau glauque et silencieuse. et ce sont de nouveaux paysages, plus hautains, plus Notre ami Marcel Grandjean a dépeint, jadis, violents, plus grandioses que ceux de l'Auvergne des l'agreste caractère de cette région et, plus récem­ ment, Roger Parisse nous entretenait de la traver­ Dômes... sée du Mont-Dore à Notre-Dame-de-Vassivière, et Le Tartaret, chaudière de l'ère quartenaire, s'e- esquissait, d'une façon vivante, la fête de la Déva- crase en bornant le bassin de la Couze. L'ancien lade, curieuse coutume des habitants du vieux vil­ volcan est à la fois proéminent et débonnaire... Il est mort et bien mort, comme tous ses frères au­ lage de Besse. Mais, continuons à remonter la Couze du Cham- vergnats, du moins nous le croyons ! bon. Elle s'évase pour laisser plus d'aise au village Murols a le type curieux des villages de la Haute de Verrières, Sur le bord du torrent, au milieu de la Auvergne, accueillant, sans opulence, vivant et ani­ feuilleraie, on peut voir un dyke de belle proportion. mé. La route thermale y déversait les cars emplis George Sand l'admira jadis... La célèbre voyageuse de touristes, durant les beaux jours d'été. Les esti­ préférait l'Auvergne aux Alpes. « C'est moins terri­ vants séjournent, l'air est salubre, la montagne pro­ ble, écrivait-elle, mais c'est plus beau ! » che Les environs immédiats du village ont un as­ Nous délaisserons un instant la rivière vaga­ pect étrange, une nature extrêmement contrastée. bonde pour gagner Saint-Nectaire-le-Bas, station Mais ce n'est point là l'attraction de Murols... thermale caquette et fréquentée. Les stations ther­ Ce sont bien les formidables ruines de son château male d'Auvergne sont faites pour les vrais mala­ féodal, qui s'élèvent sur un petit mont. des, ceux qui ont le réel besoin de se soigner. Mais Ces vestiges de diverses époques — vus d'en bas on n'a pas oublié qu'il fallait du luxe et de la dis­ produisent un bel effet. Ils s'imposent aux re­ traction aux riches saisonniers, aux estivants... gards, fixent l'attention... On pourrait se contenter Si Saint-Nectaire a des eaux fameuses, il a aussi de les photographier en passant, mais ils méritent un Parc, un Casino, des palaces et des Salons de mieux que çà. Ils méritent une longue visite d'où thé. En un mot, Saint-Nectaire est un nid de ver­ l'on revient émerveillé, surpris... Il faut voir de près dure. La vie semble souriante dans son frais vallon les murailles noires, crénelées et les tours blason- o,ù chante l'eau vive du Curançon... nées et croulantes... Le vieux village s'appelle « le Haut » et, comme à Marchant parmi les pins, il faut faire le tour , il domine les Thermes. J'ai déjà parlé de sa pour admirer à l'aise la forteresse médiévale. Les belle église, merveille de l'art roman, dont l'Auver­ ruines de Murols sont formidables — pas autre- Y C L O c MAGAZIN£_ _137

Château de Murols /Photo du Docteur F. Pech) Cliché Cyclotourisme "

ment — pleines de rêves, de visions et de poésies... Avec ses beaux aperçus sur la chaîne du Sancy, le Il fallait payer dix sous pour y pénétrer ! site fait songer au Bourget... Le Lac Chambon est à J'ai toujours aimé visiter les châteaux en ruines. l'Auvergne ce que le Bourget est à la Savoie. Ils s'isolent du monde dans une atmosphère mysté­ Il a de superbes aspects. D'illustres voyageurs rieuse. Les vieilles pierres sculptées d'armoiries, de ont contemplé sa laque miroitante, son écrin griffons, disent des secrets, des leçons d'histoire qui sombre. Mais les grands poètes ne l'ont point vanté £->. s'apprennent dans un silence troublant... Couzan, et les romantiques ont dû l'ignorer... Murols n'a T'A Crussol, Ventadour, et toi, ô Murols, vous restez pas eu de Hugo ; le Chambon n'a pas eu de Lamar­ s— comme les poèmes des temps qui ont passé... tine accordant sa lyre pour chanter comme sur le De la tour restaurée, on embrasse tout l'horizon. rivage du Bourget : On a une vue — en plongée — sur Murols, mais Un soir, t'en souvient-il ? nous voguions en silence ; l'oeil est sans cesse attiré par la nappe argentée du On n'entendait au loin, sur l'onde et sous les dieux, Chambon, enserrée dans les contreforts du Massif Que le bruit des rameurs qui frappaient en cadence des Monts Dores. Le belvédère de Murols est Incom­ Tes flots harmonieux. parable. Il donne la vue de tout un panorama im­ mense et tourmenté, heurté et robuste. C'est l'Au­ J'ai vu le lac en toutes saisons. Dans les prin­ vergne grandiose et triste, telle que je l'ai toujours temps clairs, les étés lumineux, les automnes mor­ aimée. dorés, il change de visage, mais il conserve l'attrait de sa beauté sévère. Je l'ai vu aussi, moiré d'azur En route, nous passons non loin d'une roche et d'argent, ondulé mollement sous la caresse des haute et abrupte, dénommée «le Saut de la Pu- brises, tumultueux et farouche sous la poussée folle celle », par une légende paysanne. des ouragans. Le scénario du film « Le Gaucho », de Douglas * Fairbanks, présentait en son début un point d'ana­ * * logie avec celle de la petite pastresse auvergnate Au bout du lac, nous sommes au pied de la mon­ qui, voulant échapper 4 l'étreinte d'un seigneur, se tagne. Une vingtaine de toits d'ardoises et de chau­ jeta dans le vide pour se relever feans aucun mal ! mes s'assemblent autour d'un clocher pointu. C'est Le folklore des habitants des campagnes d'Auver­ le Chambon... Pauvre village, en vérité ! gne est riche, et les longues veillées d'hiver, fem­ Si nous voulons rallier le Mont-Dore, il faut sor­ mes et enfants, assis en rond autour de l'âtre, écou­ tir de cette cuvette géante, et il reste donc le plus tent avec attention les contes du vieux berger. dur morceau à avaler, en l'occurence le Col de la Voici le Lac Chambon, le plus vaste, le plus sau­ Croix Morand ou le Col de la Croix Saint-Robert, vage du Massif Central. Sa beauté est caractérisée dont les routes sont dures et extrêmement acci­ par les montagnes qui l'encerclent. Ses rives boisées dentées. et pittoresques recèlent une plage de sable fin et Il s'agit avant tout de reprendre des forces, de doré. Il y a des grands parasols, des cabines, des se ravitailler. Il y a une auberge à côté de l'église. pins noueux... La plage du Chambon est gracieuse. Chaque dimanche, les paysans s'y retrouvaient après Elle voit parfois le rendez-vous de bien des élégan­ la messe du matin pour y discuter le coup et boire ces clermontoises. force bouteilles. On peut faire du canotage sur le Lac, mais la Ne vous renseignez jamais auprès d'eux, et s'ils route nous en dispense, car elle longe les flots verts. vous entretiennent, écoutez-les d'une oreille distrai- nYCLO 138. \j MAGAZINE

te, car ils ne manqueront pas de vous induire en s'attendre à tout, aux mauvaises routes, aux côtes erreur ou de vous conter des anecdotes terrifiantes, interminables, aux descentes atroces et surtout à des histoires de montagne, des faits peut-être véri- cet imprévu que j'ai toujours considéré comme l'un diques, où se mêlent, naturellement, l'irréel et le des principaux attraits du voyage à bicyclette. fantasque... L'élévation est d'abord insignifiante en remon­ Il semble impossible aux braves habitants du tant le torrent qui va porter son tribut au Lac Chambon que des cyclistes puissent franchir, à la Chambon. Au fur et à mesure que l'on avance dans Pentecôte, le Col de la Croix Saint-Robert... J'en ap­ la vallée, le paysage s'embellit. La montagne se dres­ pelle à ceux qui ont entendu comme moi la ritour­ se, hautaine, farouche. On a l'impression de ramper nelle écoutée déjà par ailleurs : « Vous ne monte­ à ses pieds... Cependant, la route s'engage dans les rez pas ; il y a encore deux mètres de neige là-haut ! escarpements et, en quatre virages secs et hardis, Les automobiles ne peuvent passer, puisqu'elles re­ elle atteint son premier palier. Une cascade brille^, descendent !... Un vent déchaîné y renverse les chars les éboulis s'amoncellent, le décor s'amplifie et de­ de foin !... La route a été emportée par l'orage !... » vient grandiose. Nous pénétrons alors dans cet ex­ C'est sur cette dernière affirmation que l'on re­ traordinaire cirque de Chaudefour, merveille natu­ monte en selle, pendant que la litanie continue sur relle de l'Auvergne méconnue... les mêmes accents... Le garde-champêtre et le fac­ Le chemin est envahi d'herbe, d'eau, de cailloux ; teur de la montagne sont entrés également dans la les ornières le creusent. Il faut se cramponner... Cela conversation, mais ils sont plus raisonnables, plus dure et cela va durer ! concis dans leurs explications, et lorsque l'on quitte Par dessus le manteau des sapins, des roches le Chambon, on sait pertinemment que l'on va abor­ abruptes surgissent, menaçantes. Il y a là la Crête der une rampe de 13 kilomètres abominablement du Coq, la Roche Percée, le Rocher de la Rancune dure et caillouteuse. effilé comme la lame d'un poignard, et combien Qu'importe ! Bien que je me sois trouvé au pied d'autres aiguilles monstrueuses qui hérissent ce de la Croix Saint-Robert en période de surentraîne­ paysage lunaire. ment, ou en état d'infériorité marquée, C'est tou­ Un tel spectacle tient du prodige. Derrière les jours avec courage que j'ai repris le collier. pyramides et les tours de basaltes, les pentes bru­ Comme dit plus haut, nous sommes au pied de la nes du Sancy sont en partie recouvertes de traînées montagne. « C'est là qu'on voit les hommes ! » disait de neige... Symphonie du noir et du blanc, muette un ami, et lorsque l'on est au Chambon, ce n'est mais plus ardente encore qu'un poème ; image qu'il plus le moment de s'émouvoir ni de tergiverser. Pas faut admirer et comprendre, emplir ses yeux, avant davantage de dire : « Ah ! si j'avais su ! ». Lorsque de quitter les abords du cirque. l'on veut faire du cyclotourisme en montagne, il faut Les dômes feuillus d'une épaisse châtaigneraie font une parure à quelques chalets nichés dans le fond de la combe. On a découvert, là, des sources d'une inestimable qualité, mais on -ne les exploite point. On ne songe pas davantage à améliorer et rendre normalement carrossable la route du Cham­ bon au Mont-Dore ainsi que celle qui pénètre plus POURQUOI PAS avant dans la vallée. Dans deux ans, cinq ans, peut-être plus, les grands offices touristiques s'apercevront que la pres­ VOUS..! tigieuse vallée de Chaudefour existe quelque part en Auvergne et qu'elle renferme des eaux précieu­ ses ! Un large virage, suivi d'une ligne droite et c'est Monaux, Connaissez-vous Monaux, aux abords de la vallée de Chaudefour, avec ses toits rugueux et pointus ? C'est peut-être le hameau le plus triste, le plus pauvre de tous les Monts d'Auvergne... Par dessus ses masures sordides, on voit la blancheur des neiges du Sancy. Son paysage est de ceux qui étreignent le coeur. Il est émouvant, dramatique. Sa poésie, d'une indéfinissable mélancolie, me donne toujours à songer à l'une des meilleures toiles du Maître clermontois Maurice Busset, ce « Berger de Chaudefour » dont le visage ridé et pathétique se détache sur le fond de la vallée neigeuse.

* ...et à la prochaine • * Des pâturages verdissent au bas des Puys pelés tranche de la et rébarbatifs. On les dépasse en quittant Monaux, où la route dessine un virage prononcé en s'enga- geant vers les hautes landes. Et il va falloir de nouveau négocier avec la côte, LOTERIE car il n'y a pas de col sans côtes, pas de roses sans épines. J'ai soutenu plusieurs fois que la Croix Saint-Robert avait l'allure et la structure d'un grand NATIONALE Col alpin, et je soutiendrai encore cette compa­ raison ! TIRÉE AU PROFIT DU La route s'en va, dans un étrange défilé fait de deux murs de basaltes éboulés, crevassés, puis elle SECOURS NATIONALS s'élance à flanc de la montagne en lacets larges et caillouteux. L'état du sol est indescriptible et l'on est condamné à s'élever dans une sorte de steppe p Y C L O U MAGAZINE -139

rocheuse et dénudée. Là-haut, c'est l'échancrure délicieux, toute la suave poésie des pâturages d'Au­ béante, entre les Puys. Là-haut ! Ce point de mire vergne... Bressouleille ! approche trop lentement et laisse le temps de con­ Simple hameau perdu dans l'immensité claire, templer une dernière fois la gigantesque cuvette où Il s'éveille au printemps avec l'herbe des prés, miroite l'onde verte du Chambon, et où Murols Quand les fleurs de montagne aux calices diaprés trône en suzerain orgueilleux. La vallée de Chaude- S'ouvrent aux papillons affolés de lumière... four s'enfonce et disparaît. Puis la route sinueuse gravit l'étagement des pla­ A 1.426 mètres d'altitude, le Col de la Croix Saint- teaux, et après la traversée d'un bois de sapins, elle Robert, battu par les vents, ouvre à nos regards un entreprend l'assaut du Col. La dépression est nette­ horizon cahotique. ment marquée, entre deux pitons. On dirait des py­ Comme ils sont beaux, les panoramas immenses ramides enfoncées qui régnent sur l'immense déva- que l'on peut contempler de l'échancrure d'un Col, lement labouré de ravines. après une ascension souvent pénible ! Le Col de Dyane est une porte qui semble ouverte On a la satisfaction d'avoir réussi, d'être arrivé sur l'infini du ciel. Malgré la présence d'une laiterie, là par ses propres moyens, pour son propre plaisir. à côté de la route, on retrouve là, l'âpre solitude du C'est le triomphe même du vrai cyclotourisme, qui Col de la Croix Saint-Robert. est le plus beau des sports : celui de l'effort libre­ Et là-haut, parmi les monts, par dessus les cris ment consenti. A la joie visuelle s'ajoute une joie des bergers et les. frêles sonnailles des troupeaux profonde, intime, et l'en est ému malgré soi. blancs et roux, on entend la chanson du vent passer Lorsqu'on peut dire que l'on est cyclotouriste dans sur la montagne. l'âme, c'est que ces émotions, ces sentiments, ces joies nous ont pénétré de leur vigoureuse caresse... Il arrive parfois que l'effarant silence des grands Dans le sens de la déclivité, le sol est innomma­ cols est troublé par la voix de la tempête. Le 18 ble et rappelle en plus d'un point, par son état gé­ Septembre 1927, veille d'une fête de l'Américan-Le- néral, la plongée du Tunnel à la Cabanne du grand gion, à 4 heures de l'après-midi, le Col de Dyane Parpaillcn. Chaque hiver, les névés et les glaces qui était mué en un décor de tragédie. stationnent plusieurs mois défoncent la route, la Avec deux amis honorablement connus dans le fonte des neiges fait le reste et la transforme en un monde cyclotouriste de Roanne, nous rallions le lit de torrent desséché. Mont-Dore. Bien en forme par les 140 kilomètres par­ Il ne s'agit pas de s'emballer... C'est la descente courus, de Roanne au Chambcn-du-Lac, nous absor­ dans le gouffre, incertaine, rapide. Mais l'attrac­ bions les 1.339 mètres du Col de Dyane. tion du paysage est d'une sauvage majesté. Les A l'horizon des Dores, des nuages d'encre pas­ Monts Dores, dentelés, neigeux, brillent dans le ciel. saient à une vitesse vertigineuse. Nous sentions que Il faut avoir vu cette féerie pour aimer la sublime la partie était compromise, mais personne ne parlait Auvergne. d'abandonner ; Les sapins craquaient. La forêt en­ Près d'une carrière de , il y a une maison tière semblait peuplée de fantômes et de râles, que abandonnée. Déposons là nos machines, un instant le vent emportait dans son sinistre crescendo. seulement... Le temps de nous pencher sur l'abîme, Nous avancions péniblement, déployant nos ef­ à travers les feuillages. Celui qui n'est pas averti forts. Bientôt, il ne fallut plus songer à monter à poussé un petit cri d'admiration et de surprise... Il »vélo... La gamme de nos dérailleurs d'alors fut bien a soifs les yeux un apïc d'au moins 200 mètres, une vite épuisée, et nous avancions, face à la tempête vision aérienne sur les toits noirs et luisants du qui déferlait sur la montagne. Mont-Dore qui semble tombé dans un trou. Le Col était proche, tout de même, mais la bour­ * • * rasque, de plus en plus violente, nous cassait en Bien que je vous en ai entretenu dans « Quinze deux. Alors, il se produisit un fait surprenant : ans de Cyclotourisme », je commettrai un crime de l'un de nous voulut s'arrêter pour endosser son im­ lèse-beauté si je laissais sous silence l'admirable perméable ; l'autre en fit de même et tenta de re­ Col de Dyane, ou de la Croix Morand. Mes amis monter en selle. Les dépassant à ce moment, je me d'Auvergne n'admettraient point cet oubli ! Et ils trouvais en tête, et j'eus l'impression qu'un ouragan auraient, en ce sens, parfaitement raison. plus fort allait passer... Je n'eus que le temps de me Devant l'église du Chambon, à la cote 880, se blottir dans une encoignure de rocher pour écouter dresse un petit calvaire ouvragé par les naïfs scul­ le hurlement du vent. Pendant quelques secondes je pteurs du Moyen-Age. C'est en face — précisément fus abasourdi... — que s'amorce la route du Col de Dyane. Lorsque je sortis de mon abri minuscule, ce fut Moins terrible que sa sœur escaladant les Monts, pour voir mes deux camarades qui se relevaient. La à la Croix Saint-Robert, cette route est cependant violence de la rafale les avait projetés sur le sol ! très belle. Elle laisse une impression plus discrète, Absolument frigorifié, aphone, engourdi, j'arrivais, peut-être, mais aussi vivace, et reflète toute l'indici­ ce soir-là, au Mont-Dore, venant d'un autre monde ! ble mélancolie des hauts passages de la Montagne. L'Auvergne m'a laissé ce puissant souvenir, com­ L'élévation est fort irrégulière. Des séries de vi­ me elle en laisse tant à ceux qui l'ont connue, à rages serrés se succèdent dans la gorge du Surin ceux qui l'ont aimée... encaissée entre les parois basaltiques tapissées d'un (à suivre) Lucien CLAIRET. frais manteau de sapins. La rampe à 10 % nous arrache lentement de la faille, puis, en balcon, surplombe le clocher du Chambon à une grande hauteur. A Bressouleille, nous entrons dans le domaine LES ACCESSOIRES des prairies d'altitude. Des combles de chaume coiffent les maisons bas­ ses. Le village, d'apparence guillerette, jette dans le POUR CYCLES plateau ondulé et gris, la note vive de son rustique attrait. Jean FISCHER Bressouleille, ce nom tinte comme le doux caril­ lon d'une clochette ! 18 26, Rue St-Agnan, LYON