NANTES DE Les traces du passé dans l’invention du récit de la ville

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Simon Henry – ENSA Nantes – septembre 2014 Mémoire d’études sous la direction de Gilles Bienvenu Ce travail de mémoire est intimement lié à mon expérience à , où j’ai habité entre septembre 2012 et décembre 2013. J’ai en effet eu NANTESla chance d’étudier pendant un an à la Beuth Hochschule für TechnikDE, dans le cadre du programme Erasmus, puis de prolonger l’expédition par un stage chez S.T.E.R.N., l’agence d’urbanisme qui a pris la relève de l’IBA après 1987 pour poursuivre l’expérience de la rénovation urbaine douce.

J’avais déjà visité Berlin à deux reprises en tant que touriste, mais y rester plus longtemps m’a permis d’appréhender la villeD'AUTEUR de manière complètement différente, de mieux saisir ses contrastes et ses cassures, et de prendre la mesure des débats vigoureux qui l’animent, à propos de l’urbanisme et de son rapport à la stratification historique. Ces découvertes ont fait naître en moi l’envieD' de DROITcomprendre comment la ville avait pu gérer, dans sa forme, l’héritage complexe du XXe siècle, et 3 notamment les traces du IIIe Reich et de laAU RDA. Un débat en particulier, concernant la reconstruction du Château prussien à la place d’un édifice emblématique du régime communiste, a spécialement attiré mon attention et déclenché l’écriture de ce mémoire. SOUMIS Je tiens à remercierSUPERIEURE Gilles Bienvenu, enseignant à l’ENSA Nantes et directeur de mon mémoire, de m’avoir accompagné pendant ces deux ans de travail. Je remercie également Prof. Dr.-Ing. Wolfgang Schäche, enseignant à la Beuth Hochschule, et Dipl.-Ing. Birgit Hunkenschoer, urbaniste chez S.T.E.R.N., qui m’ont permis de voir Berlin sous un autre angle. Un grandDOCUMENT merci à mes parents pour leur soutien, leurs conseils. et leur relecture.NATIONALE Merci enfin à Claudia, François, Gabriela, Léonor, Pierre, Rémi et Rozenn pour les expériences et les découvertes partagées.

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Illustration de couverture : Le Château de toile sur le parvis du Palais, 1993 NANTES DE

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ECOLE Introduction 6

Partie I . L’écriture de la ville 9

Formation par extensions successives 10

Superpositions 20

La ville est aussi une entité symbolique 27 NANTES Partie II. La fabrique du palimpseste ? DE31

L’incidence des stratégies mémorielles sur la trace bâtie 33

Que faire des traces du passé ? 39

La ville comme trace ? D'AUTEUR58

Partie III. Grains de sable D'ARCHITECTUREDROIT 81 Limites de la volonté de normalisationAU 83

Diversité des acteurs et polyphonie 90

Le rôle de l’absence 96 SOUMIS SUPERIEURE

Partie IV. Schloss, Palast, Forum 103

Un lieu majeur de l’histoire de Berlin 105 DOCUMENT LeNATIONALE récit en débat(s) 112

ECOLEConclusion 126

Annexes 128

Bibliographie 134

Crédits iconographiques 136 NANTES DE

(fig. 1)La pose de la première pierre du Humboldtforum.

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D'ARCHITECTUREDROIT 6 Le 12 juin 2013, Joachim Gauck, le présidentAU fédéral allemand, pose à Berlin la première pierre d’un chantier particulier, celui de la reconstruction du Château des Hohenzollern, disparu depuis 1950. Cet événement acte le retour, largement débattu, d’un bâtiment majeur de l’Histoire de Berlin et de l‘Allemagne, lieu de résidence et d’exercice du pouvoir des rois SOUMIS et empereurs prussiensSUPERIEURE depuis le XVe siècle. D’ici quelques années, le château se dressera donc de nouveau au cœur de la ville, reconstituant un paysage urbain dont de moins en moins d’Allemands peuvent se targuer de se souvenir, près de 70 ans après la disparition de l’édifice original. La situation appelle d’autant plus à la réflexion que, pour mener à bien ce projet, il a fallu procéder à la démolition d’un autre bâtiment emblématiqueDOCUMENT : le Palais de la République. Ce dernier avait été construit NATIONALE dans les années 1970 par la RDA à la place du Château — lui même détruit par la conjonction des bombardements alliés et du ressentiment des jeunes autorités communistes face à la monarchie prussienne —, pour ECOLE y accueillir la Chambre du Peuple1 et des équipements culturels, faisant de lui un bâtiment-symbole du régime, mais aussi du mode de vie est- allemand.

Cette succession de destructions et de constructions soulève la question du rapport qu’entretient Berlin avec son passé : pourquoi semble-t-on chercher à effacer ou à reconstituer certaines des traces que l’Histoire a laissées dans la ville ?

Présence visible d’un événement passé, la trace est à la fois une empreinte et un fragment. Le terme renvoie en effet, à l’origine, à la marque laissée sur le sol par le passage d’un homme ou d’un animal aussi

1. La Volkskammer était le parlement est-allemand. bien qu’aux vestiges que leur passage a pu produire2. L’image renvoyée par la trace n’a pas d’existence propre3, elle se définit forcément par rapport à l’événement dont elle est le signe, et ne devient la marque de quelque chose que parce qu’on la considère comme telle. Elle renvoie, dans sa dimension fragmentaire, à la notion de ruine, définie par Sophie Lacroix comme une « forme amoindrie mais point amorphe de la matière et des efforts humains4 », symbolisant à la fois l’expérience de la perte et celle de l’inachevé.

L’exemple de la reconstruction du Château semble mettre en évidence l’existence de mécanismes d’intervention sur les traces, conduisant à la sélection de certaines d’entre-elles au détriment d’autres. Cette sélection est notamment liée à leur absence d’existence propre : leur prise en compte implique en effet un choix, un acte par lequel on reconnaît leur signification particulière. D’une certaine manière, ce processus constitue donc une mise en récit, qui consiste à choisir et mettre dans un certain ordre des faits pour leur donner une cohérence narrative, et dont Paul Ricœur rappelle le caractère « inéluctablement sélectif5 ». NousNANTES entendrons ici le récit comme la manière dont on raconte la mémoire, qui correspond elle-même à la manière dont on se souvient du passé.DE Par leur nature sélective, mémoire et récit impliquent un positionnement face au passé, qui prend une dimension particulière à Berlin, du fait de la spécificité du XXe siècle, marqué par les violences et le totalitarisme, dans l’Histoire de la ville.

L’objectif de ce travail est donc de chercher à déterminerD'AUTEUR le rôle joué par les traces du passé dans la formation du récit de la ville. Comment, en d’autres termes, les traces sont-elles utilisées pour raconter la ville ? Dans quelle mesure cette intervention résulte-t-elle d’un processus conscient et maîtrisé, qui en ferait un acte politiqueD'ARCHITECTURE ? DROITSelon quelles modalités 7 conduit-elle à inscrire la mémoire dans la AUville ? Nous aborderons ces questions à travers l’exemple de Berlin — ville dans laquelle, on vient de le voir, la question des traces se pose d’une manière particulière —, en cherchant notamment à analyser l’attitude actuelle de la puissance publique face auxSOUMIS traces et à la spécificité du XXe siècle. Nous tenterons donc SUPERIEUREdans un premier temps de mettre en évidence les logiques de formation de la ville, en tant qu’entité à la fois physique et symbolique, et d’interroger la notion de palimpseste au sujet de Berlin, avant d’analyser la manière dont les détenteurs du pouvoir déploient des stratégies d’intervention sur les traces du passé, et comment ces stratégies entrentDOCUMENT dans le processus de constitution d’un récit cohérent de la NATIONALEmémoire de la ville. Nous chercherons dans un troisième temps à mettre en évidence que d’autres dynamiques influent également sur le récit et perturbent l’orientation voulue par le pouvoir : en particulier, la persistance de traces en dehors du récit, le rôle d’acteurs autonomes ECOLEvis-à-vis des autorités, et le fait que l’absence même de trace peut-être signifiante. Nous verrons enfin comment le cas de la reconstruction du Château synthétise l’ensemble de ces enjeux.

2. Voir la définition du terme « trace » dans le Dictionnaire de la langue française d’Emile Littré 3. Serres Alexandre, « Quelle(s) problématique(s) de la trace ? », conférence prononcée le 13 décembre 2002 à l’occasion d’un séminaire organisé par le Centre d’Etudes et de Recherche en Sciences de l’Information et de la Communication (Université Rennes 2). Texte disponible à l’adresse suivante : http://hal.archives-ouvertes.fr/docs/00/06/26/00/ PDF/sic_00001397.pdf (consulté le 03/11/2013) 4. Lacroix Sophie, Ruine, Paris : Editions de la Villette, 2008 5. Ricœur Paul, La mémoire, l’histoire, l’oubli, Paris : Editions du Seuil, 2000, p. 579 NANTES DE

D'AUTEUR « Plus que toute autre cité de ma connaissance, Berlin est une ville hantée, et c’est ce trait qui me la rend chère. D’autres métropoles — Rome, Paris — peuvent s’enorgueillir d’une antiquité plus haute et d’un héritage plus riche, mais seul Berlin porte D'ARCHITECTUREaussi DROITprofondément gravée sur son visage la marque des passions et des délires dont notre espèce s’est révélée capable, en particulier depuis un siècle.AU »

Emmanuel Terray (1996, p. 10)

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ECOLE I.A FORMATION PAR EXTENSIONS SUCCESSIVES

« L’eau de la Spree ressemble à de l’huile verte. Berlin est situé dans un désert de sable qui commence un peu au nord-est de Leipzig. Les places ne sont pas toutes pavées, de façon à ce qu’on s’enfonce jusqu’aux chevilles. Le sable rend les environs de la ville triste. Ne poussent que des arbres et ici et là des prés. Je ne comprends pas comment quelqu’un a conçu l’idée d’implanter une ville au milieu de ce sable1 ». C’est par ces mots que Stendhal, en 1806, décrit le site, à priori peu hospitalier, sur lequel s’est construit Berlin. Si la ville ne tire pas sa richesse de son environnement, sa situation géographique, au croisement de deux routes commerciales importantes, menant de la Pologne à Hambourg et de la mer Baltique à la Saxe, est à l’origine de son développement2. Cette vocation commerciale (la ville est membre de la ligue hanséatique entre 1359 et 14513) sera par la suite remplacée par un rôle politique et administratif, qui devientNANTES alors le principal moteur de sa croissance. L’installation de laDE famille des Hohenzollern au XVe siècle, puis son statut de capitale de différentes entités4 ont en effet profondément marqué son évolution. Du fait de l’absence d’un relief marqué ou de rivalités particulières dans la maîtrise de son environnement, la ville a par ailleurs été peu contrainte par ses limites, ce qui lui a permis de croître par extensions successives.

Le travail cartographique réalisé tout au longD'AUTEUR du développement de la ville permet de retracer ces évolutions. André Corboz5, dans Le Territoire comme palimpseste, propose une définition de cet outil usuel de représentation du territoire : « L’idéeD'ARCHITECTURE fondamentaleDROIT d’une carte, c’est 10 la vision simultanée d’un territoire dont la perception est impossible par définition. Réduction du réelAU dans ses dimensions et dans ses composantes, la carte conserve pourtant les relations originales des éléments retenus : dans une large mesure, elle tient lieu de territoire, car les opérations pensées pour lui s’élabore sur elle. Carte et territoire sont en principe convertiblesSOUMIS l’un dans l’autre à tout instant — mais il est évident qu’il s’agitSUPERIEURE là d’une illusion périlleuse, puisque cette réversibilité ne tient compte ni du fait que l’identité des deux objets est seulement postulée ni du phénomène de l’échelle, ou taux de réduction, qui a moins trait aux dimensions de la carte qu’à l’essence même des phénomènes qu’elle dénote et dont la grandeur reste déterminante.6 » DOCUMENT NATIONALESi la carte est un moyen de décrire le territoire, elle a aussi vocation à l’écrire : elle ne représente en effet pas systématiquement une réalité physique existante, mais parfois une réalité projetée. Dans les deux cas, elle porte nécessairement un regard particulier sur le territoire : en tant ECOLE que réduction du réel, elle opère en effet une sélection, mettant en avant certains éléments par rapport à d’autres. Elle constitue ainsi en elle même une trace de l’époque à laquelle elle a été conçue, dans la mesure où elle renseigne sur la manière dont le territoire est perçu à un certain moment.

1. Stendhal, dans une lettre à sa sœur Pauline Beyle, datée du 3 novembre 1806. Cité par Szambien Werner, Berlin, une ville en suspens, Paris : Norma Editions, 2003, p. 32 2. Oudin Bernard, Georges Michèle, Histoires de Berlin, Paris : Perrin, 2000, p. 22 3. Oudin, Georges, 2000, p. 25 4. Berlin est successivement la capitale de la marche de Brandebourg (1415-1701), du Royaume de Prusse (1701-1871), du Reich allemand (1871-1918), de la République de Weimar (1918-1933), du Troisième Reich (1933-1945), de la RDA (1949-1990) et depuis 1990, celle de l’Allemagne réunifiée 5. André Corboz (1929-2012) est un intellectuel et poète suisse. Il était notamment professeur d’histoire de l’urbanisme à l’ETH Zurich. 6. Corboz André, Le Territoire comme palimpseste et autres essais, Besançon : Les éditions de l’Imprimeur, 2001, pp. 218-219 Comme le rappelle Corboz, « représenter le territoire, c’est déjà le saisir. Or cette représentation n’est pas un calque, mais toujours une construction. On dresse la carte pour connaître d’abord, pour agir ensuite. Elle partage avec le territoire d’être processus, produit, projet : et comme elle est forme et sens, on risque même de la prendre pour un sujet. Instituée en modèle, possédant la fascination d’un microcosme, simplification maniable à l’extrême, elle tend à se substituer au réel. La carte est plus pure que le territoire, car elle obéit au prince. Elle s’offre à tout dessein, qu’elle concrétise par anticipation et dont elle paraît démontrer le bien-fondé7 ».

Nous avons donc sélectionné huit « moments », qui marquent de manière caractéristique le développement de Berlin, de l’émergence de la ville à l’acquisition de ses limites actuelles. Ces étapes sont retranscrites dans des documents qui sont la plupart du temps contemporains de l’état de la ville qu’ils décrivent, constituant ainsi en eux-mêmes une trace du passé.

La ville double Berlin-Cölln NANTES DE La métropole berlinoise tire son origine de deux villes jumelles : Cölln, située sur une presqu’île rattachée à la rive gauche de la Spree, et Berlin à proprement parler, de l’autre côté du fleuve. Si on la compare à d’autres métropoles européennes de même envergure, ou même à des villes voisines comme Brandenburg, Magdeburg ou , Berlin est une ville jeune. La première mention de son existence dansD'AUTEUR un acte public remonte en effet à 1237 pour Cölln et 1244 pour Berlin8. Certains autres villages qui ont aujourd’hui été englobés par la ville, comme Spandau (1197) ou Köpenick (1207), sont donc plus anciens. Le plan de Karl-Friedrich von Klöden, réalisé en 1839, montre l’étatD'ARCHITECTURE de laDROIT ville au début du XIIIe siècle. La forme urbaine des deux villages est assez classique, organisée à 11 chaque fois autour d’une place de marché.AU La spécialisation de chacune des entités — Cölln est un village de pêcheurs alors que Berlin est surtout habité par des marchands9 — entraîne une rivalité importante entre les deux rives. SOUMIS SUPERIEURE

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(fig. 2) Plan Klöden montrant l’état de la ville au XIIIe siècle, 1839

7. Corboz, 2001, p. 221 8. Korff Gottfried, Rürup Reinhard, Berlin, Berlin, die Ausstellung zur Geschichte der Stadt, Berlin : Nicolai Verlag, 1987, p. 30 9. Oudin, Georges, 2000, p. 22 NANTES DE

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(fig. 3)Plan Memhardt, 1656 DOCUMENT NATIONALE (fig. 4)Perspective Schultz, 1668

ECOLE Les premiers développements

Dès la fin du XIIIe siècle, Berlin prend l’avantage sur Cölln, coincée sur son île et moins riche que sa voisine marchande10. La ville s’étend au Nord, autour du Neuermarkt (le nouveau marché) et de la Marienkirche (l’église Sainte-Marie). L’installation des Hohenzollern au XVe siècle provoque un changement majeur pour la ville, qui perd ainsi sa liberté11. Elle se traduit par l’édification, entre 1443 et 1453, d’un Château sur la partie Nord de l’île de Cölln, qui devient en 1486 la résidence officielle des nouveaux maîtres de la ville12. Ces évolutions sont visibles dans le Plan des deux villes de résidence princière Berlin et Cölln sur la Spree, réalisé en 1652 par Johann Gregor Memhardt, qui constitue la plus ancienne représentation connue de la ville13. NANTES Le Berlin fortifié et la DorotheenstadtDE

A partir de 1658, et pendant 25 ans, le prince- électeur Friedrich-Wilhelm Ier (dit « le Grand Electeur »), fait construire, d’après des plans conçus par Memhardt, un système de fortifications (Festung Berlin) pour protéger laD'AUTEUR ville14. D’après Werner Szambien15, la justification de telles fortifications se justifie alors par le contexte de la Guerre de Trente Ans, qui s’est achevée sur une victoire contre la SuèdeD'ARCHITECTURE DROITen 1675 à Fehrbellin. Elles auraient également joué un rôle psychologique 13 important, dans uneAU ville qui cherchait à se repeupler. La nouvelle enceinte, visible sur la perspective de Johann Bernhard Schultz (1688) regroupe trois entités distinctes : Berlin et Cölln bien sûr,SOUMIS ainsi qu’un nouveau quartier sur la rive SUPERIEUREgauche, Friedrichswerder , qui accède au statut de communauté municipale (Stadtgemeinde) en 166316. Sous l’impulsion de sa femme Dorothée, le Grand Electeur fait aménager, dès 164517, une promenade DOCUMENTplantée à l’Ouest de la ville, Unter den Linden (sous (fig. 4) PerspectiveNATIONALE Schultz, 1668 les tilleuls). Le terrain situé de part et d’autre de cet axe est loti — ce qui en fait la première extension planifiée de la ville —, et est baptisé Dorotheenstadt en l’honneur de la princesse. Les fortifications ECOLE de cette extension, dessinées par Schultz sur sa perspective, n’ont jamais été réalisées.

10. Oudin, Georges, 2000, p. 23 11. Oudin, Georges, 2000, p. 30 12. Korff, Rurüp, 1987, p. 31 13. Presse- und Informationsamt des Landes Berlin, Berlin Handbuch, der Lexikon der Bundeshauptstadt, Berlin : FAB Verlag, 1992, p. 815 14. Szambien, 2003, p. 61 15. Werner Szambien est un historien de l’art franco-allemand (diplômé de la Freie Universität de Berlin) et un chercheur au CNRS, spécialisé dans l’architecture du XVIIIe au XXe siècle. 16. Szambien, 2003, p. 62 17. Oudin, Georges, 2000, p. 47 La Friedrichstadt

En 1685, le Grand Electeur signe l’Edit de Potsdam, qui permet l’accueil des huguenots français fuyant les guerres de religion18. Une « colonie française » est donc constituée au Sud de la Dorotheenstadt, autour du marché des tilleuls19. Cette nouvelle extension de la ville est rapidement surnommée Friedrichstadt, en référence au souverain. Le Plan Dusableau de 1723 la montre close par un mur à l’Ouest, dont le tracé est aujourd’hui repris par la Mauerstraße, seule irrégularité NANTES au plan orthogonal du quartier. DE

18. Oudin, Georges, 2000, p. 49 19. Le Lindenmarkt devient au début du XVIIIe siècle le Gendarmenmarkt D'AUTEUR (marché des gendarmes), suite à l’installation à proximité d’un régiment de cuirassés, surnommés « gens d’armes » par les Français – D'ARCHITECTUREDROIT 14 Berlin Handbuch, 1992, p. 443 (fig.AU 5) Plan Dusableau, 1723

(fig. 6) Plan Walther, 1738

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Berliner Zollmauer20 SOUMIS SUPERIEUREPour des raisons essentiellement fiscales, le « Roi-Sergent » fait construire21, entre 1734 et 1737, un nouveau mur de ville de six mètres de haut et près de quinze kilomètres de long, qui englobe les nouvelles extensions de la villes ainsi que 22 DOCUMENTcertains faubourgs . Il fait également étendre la NATIONALE Friedrichstadt, qui dispose désormais d’un plan orthogonal autour de la Friedrichstraße, avec deux avenues de biais qui délimitent l’espace à l’Est et à l’Ouest. Trois places d’entrée de villes ECOLE sont en outre réalisées, chacune avec une forme géométrique différente (leQuarré vers l’Ouest, l’Oktogon vers le Sud-Ouest et le Rondell au Sud). Le plan réalisé par Johann Friedrich Walther en 1738 permet de voir ces évolutions.

20. « Le mur d’octroi de Berlin » 21. Oudin, Georges, 2000, p. 75 22. Il s’agit des Köpenicker Vorstadt, Stralauer Vorstadt, Königsvorstadt et Spandauer Vorstadt. NANTES DE

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(fig. 7) Plan Hobrecht, version actualisée de 1863 ECOLE

Le Plan Hobrecht

En 1862, un an après l’incorporation par Berlin d’une partie de ses faubourgs, l’urbaniste James Hobrecht publie le premier plan réglant l’extension de la ville, à la demande des administrations municipales de Berlin et de Charlottenburg23. Sur la version actualisée de 1863, les parties projetées y sont pochées en rouge, mettant en évidence le fait que la ville existante n’est pas concernée par le projet. Le réseau viaire est organisé selon plusieurs trames orthogonales, reliées entre elles par de grandes voies tangentes. Le plan de Hobrecht consacre le modèle des Mietskasernen (lit. : casernes locatives), immeubles de rapport construits

23. Berlin Handbuch, 1992, p. 557 NANTES DE

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de manière très dense, à destination des ouvriers24, et permettant de répondre au contexte d’urbanisation rapide lié à l’industrialisation25 Il s’appuie pour cela sur une loi de 1853 fixant le gabarit des nouveaux bâtiments26, qui imposait notamment un hauteur maximale de 22 mètres et une largeur de cour intérieure d’au moins 5,34 mètres. S’il n’a pas été réalisé dans sa totalité, ce plan est un support majeur de l’urbanisation à partir de cette date, et l’organisation générale des faubourgs berlinois lui est restée très fidèle.

24. Berlin Handbuch, 1992, p. 818 25. Le milieu du XIXe siècle voit ainsi l’essor de certaines grandes entreprises berlinoises, comme AEG, Siemens ou Borsig 26. Szambien, 2003, p. 20 Le chemin de fer

Le développement du transport ferroviaire à la fin du XIXe siècle a des conséquences importantes sur le tissu urbain et l’appréhension de la ville. Le réseau berlinois est composé principalement d’une voie Est-Ouest inaugurée en 188227, la Stadtbahn (voie urbaine), qui occupe dans sa partie centrale l’emprise des fortifications de la ville médiévale, ainsi qu’un anneau ferroviaire, la Ringbahn, construit entre 1871 et 1877, qui enserre la ville existante. Ce « Ring », surnommée Hundekopf (lit. : tête de chien) par les Berlinois, est de nos jours un élément symbolique de délimitation de l’espace central de la ville. Le transport urbain se développe parallèlement, avec la mise en place d’un tramway (à traction hippique, puis électrique) en 186528, puis d’un système de métro à partir de 189629, desservant dans un premier temps les beaux quartiers de l’Ouest, avant de se propager au reste de la ville. La carte de 1897 présentée ci- contre montre en outre le système de gares-terminus, qui servent de tête de ligne des trajets à longue distance. On peut également voir le tracé de la première ligne de métro au Sud de la ville, tandis que les NANTESlimites communales de Berlin sont indiquées par des pointillés. DE 27. Berlin Handbuch, 1992, p. 1126 28. Berlin Handbuch, 1992, p. 1166 29. Berlin Handbuch, 1992, p. 1266 (fig. 9) Proposition de Jensen pour le Grand Berlin, 1910

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ECOLE NANTES (fig. 8)Plan du système ferroviaire berlinois, 1877 DE

Le Groß-Berlin

En 1906, un concours est organisé à l’initiativeD'AUTEUR de l’Association des Architectes Berlinois, dans le but de créer un « plan général d’aménagement urbain » pour Berlin et ses environs30. Le projet lauréat, conçu par HermannD'ARCHITECTUREDROIT Jansen, est désigné en 1910. Il se distingue notamment par la préservation de grandes 19 étendues exemptes d’urbanisationAU : une « grande ceinture de bois et de prairies » doit ainsi être conservée en périphérie, donnant naissance à des « langues d’espaces verts » qui se déploient vers le centre. Les déplacements à l’intérieur de ce large espace sont facilitésSOUMIS par un développement important du métro etSUPERIEURE de la voie ferrée, qui est pensé pour permettre un accès facile aux quartiers en construction en bordure de la ville31. Ce plan aboutit, dix ans plus tard, en 1920, à la création administrative du Groß-Berlin, par incorporation d’une soixantaine de communes environnantes32. S’il n’a, lui non plus, pas été complètement réalisé, les logiques qu’il a mises DOCUMENT NATIONALEen place restent visibles dans le tissu urbain contemporain.

On assiste donc, jusqu’au début du XXe siècle, à un développement principalement radio-concentrique de la ville, ECOLE mettant en évidence le fait que l’accumulation des traces du passé à Berlin se fait d’abord par juxtaposition. Si la ville s’est donc formée autour de son centre médiéval, elle est pourtant devenue au fil du temps très polycentrique, notamment du fait de l’incorporation de villages préexistants33.

30. Voir : Frick Dieter, « Le concours du Grand Berlin, 1910 », in Collectif, La Ville, art et architecture en Europe 1870-1993, Paris : Editions du Centre Pompidou, 1993, pp. 140-143 31. Le début du XXe siècle est en effet l’époque de la construction des Wohnsiedlungen (quartiers d’habitation de Bruno Taut, symboles de l’avènement de l’architecture moderne à Berlin. Il s’agit notamment de la Hufeisensiedlung (1925), de la Onkels-Toms-Hutte (1926-1932) ou de la Carl-Liegen-Wohnstadt (1929-1930). 32. Berlin Handbuch, 1992, p. 460 – Voir aussi Annexe III 33. Szambien, 2003, p. 20 I.B. SUPERPOSITIONS

I.B.1/ Stratification et palimpseste

Du fait de l’absence de contraintes venant entraver son développement, la métropole berlinoise s’est, comme on vient de le voir, constituée principalement par un processus d’extensions successives. Mais cela ne signifie pas pour autant que les espaces les plus anciennement urbanisés soient restés figés dans leur état initial. Au fil du temps, la ville existante a en effet été modifiée par l’évolution des besoins, des modes de vies, des valeurs de ses habitants.

On emploie souvent le terme de stratification historique pour éd crire ce phénomène, en référence à la géologie : de la même manièreNANTES que la sédimentation des roches crée des « couches » de terrain de compositions différentes, les marques laissées par la succession d’habitantsDE sur un territoire s’accumuleraient et se superposeraient. Dans Le Territoire comme palimpseste, André Corboz questionne pourtant la justesse de cette analogie, en montrant que la superposition de nouvelles couches n’entraîne pas seulement une accumulation des traces, mais également la disparition, voulue ou non, de certains éléments « écrits » auparavant. D'AUTEUR Pour lui, la manière dont les hommes habitent et s’approprient un territoire se rapproche donc davantage d’un palimpseste34, sur parchemin sur lequel l’écriture originale a étD'ARCHITECTUREé grattDROITée pour pouvoir y écrire un 20 nouveau texte : « Le concept archéologique de stratification ne fournit pas encore la métaphore la plus appropriAU ée pour décrire ce phénomène d’accumulation. La plupart des couches sont à la fois très minces et largement lacunaires. Surtout, on ne fait pas qu’ajouter : on efface. Certaines traces ont même été supprimées volontairement. Après la 35 damnatio memoriae deSOUMIS Néron, la centuriation romaine d’Orange a été si bien effacée auSUPERIEURE profit d’une autre, orientée différemment, qu’il n’en est rien resté. D’autres nappes de vestiges ont été oblitérées par l’usage. Il se peut que seuls les aménagements les plus récents subsistent. Le territoire, tout surchargé est de traces et de lectures passées en force, ressemble plutôt à un palimpseste. Pour mettre en place les nouveaux équipements, pour exploiter plus rationnellement certaines terres, il est souvent DOCUMENT 36 NATIONALEindispensable d ’en modifier la substance de manière irréversible ». Son raisonnement peut donc être résumé en trois principes : l’installation des hommes sur un territoire entraîne sa modification. Avec le temps, les différentes couches écrites se superposent, conduisant à la disparition de ECOLE certaines traces plus anciennes.

34. Venant du grec palimpsêstos (de palin : à nouveau et psao : gratter), le terme palimpseste signifie selon leDictionnaire de la langue française d’Emile Littré : « Manuscrit sur parchemin d’auteurs anciens que les copistes du moyen âge ont effacé, puis recouvert d’une seconde écriture, sous laquelle l’art des modernes est parvenu à faire reparaître en partie les premiers caractères » (p. 911 de l’édition originale de 1873). Il est intéressant de noter que, selon la définition, le parchemin réécrit ne devient palimpseste qu’à partir du moment où l’on en retrouve les caractères anciens : de la même manière que la trace, il n’acquiert donc son statut que lorsqu’il est considéré comme tel. 35. Terme provenant de la Rome antique, la damnatio memoriæ désigne une condamnation post-mortem à l’oubli prononcée par le Sénat. 36. Corboz, 2001, p. 228 NANTES DE

(fig. 10)Berlin en 1945

I.B.2/ Importance du palimpseste berlinois D'AUTEUR Si le phénomène de palimpseste concerne l’ensemble des espaces habités par l’Homme, il touche néanmoins Berlin d’une manière particulièrement forte. Cette propensionD'ARCHITECTURE de la DROITville à se réécrire semble liée à deux facteurs principaux, inhérents à son statut de capitale. Ce rôle 21 spécifique entraîne ainsi de la part des détenteursAU successifs du pouvoir politique une volonté d’inscrire leur puissance et leurs valeurs dans la physionomie de la ville. En tant que capitale, Berlin a donc une fonction de représentation, visible depuis que les Hohenzollern ont fait de la ville e leur Residenzstadt (ville de résidence)SOUMIS au XV siècle. SUPERIEURE Son statut a également fait d’elle le théâtre d’événements historiques importants, qui ont pu avoir une influence sur son intégrité physique, qu’elle ait été cible d’objectifs miliaires (comme par exemple l’installation de Napoléon à Berlin entre 1806 et 1814, à l’occasion de la campagne de Prusse37) ou lieu de la contestation (la ville a ainsi connu au cours de DOCUMENT son histoireNATIONALE de multiples révoltes et journées révolutionnaires, parfois destructrices).

Ces enjeux peuvent sans doute concerner d’autres villes, mais la ECOLErupture introduite par les événements du XXe siècle fait de Berlin un cas à part. Si Werner Szambien affirme que la ville s’est toujours définie par son hétérogénéité et son morcellement38, l’importance du palimpseste berlinois a complètement changé en l’espace d’un siècle. Ce changement d’échelle du phénomène est avant tout une conséquence de la Seconde Guerre Mondiale et de ses destructions : les bombardements alliés et la prise de la ville par l’Armée Rouge ont en effet conduità des dommages très importants, principalement dans les zones centrales, rendant plus de la moitié des logements de la ville inhabitables39. Mais la succession rapide, pendant la période, de régimes politiques antagonistes est également un

37. Oudin, Georges, 2000, p. 128 38. Szambien, 2003, pp.13-14 39. Forssbohm Ulrike, Kriegs-End-Moränen, Zum Denkmalwert der Trümmerberge in Berlin, Mémoire de master en paysage sous la direction de Gabi Dolff-Bonekämper, Berlin : Technische Universität, 2009, p. 11 facteur d’explication possible. Dans la mesure où chacun d’entre eux s’est construit sur le rejet de la séquence précédente, la volonté d’imposer sa marque sur la ville et de se démarquer du passé n’en a été que plus forte.

L’importance quantitative du palimpseste peut être mise en évidence par une analyse de l’évolution de la masse bâtie. Une série de plans40, publiés en 1999 par la Senatsverwaltung für Stadtentwicklung41 dans le cadre du Planwerk Innenstadt42, et présentés à la biennale de Venise de 2000, permet de retracer cette transformation dans la zone centrale de Berlin. Formant trois séries, ces documents montrent l’évolution du tissu urbain entre 1940 et 2010, ainsi que les destructions (en bleu) et nouvelles constructions (en rouge) pendant cet intervalle.

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(fig. 11)Berlin en 1940

SOUMIS Berlin SUPERIEUREavant-guerre

La première carte montre la situation de la ville en 1940 et met en évidence la densité du tissu urbain, notamment dans le périmètre du Zollmauer (qui correspond à la ville du XVIIIe siècle), à l’Est de la zone étudiée. Les îlots, de grande taille, sont fortement subdivisés, ce qui DOCUMENT NATIONALEcorrespond à la forme urbaine des Mietskasernen et son enchaînement de cours intérieures de petites dimensions, visant à maximiser le potentiel des parcelles construites. L’assemblage de trames de nature et d’orientation différentes rend visible les différentes étapes et modes ECOLE d’extension de la ville. En orange est représenté le projet d’axe Nord/Sud qu’ mettra au point deux ans plus tard. Il met en évidence, par contraste, un changement radical de l’échelle à laquelle est conçue la ville, ainsi qu’une absence totale de prise en compte du tissu urbain existant. Sa mise en œuvre aurait en outre nécessité des destructions massives, notamment au Sud du Tiergarten. Dans les faits, si des expulsions et les premières démolitions ont commencé dès 1942, le projet est rapidement interrompu par la situation de « guerre totale ». (cf. II.C.2)

40. Disponibles sur le site du Sénat de Berlin, à l’adresse suivante : http://www. stadtentwicklung.berlin.de/planen/stadtmodelle/de/innenstadtplaene/sp/index.shtml (consulté le 05/10/2012) 41. Administration sénatoriale pour le développement urbain – voir Annexe IV 42. Le Planwerk Innenstadt (terme que l’on peut traduire par : plan-guide pour le centre- ville) est outil de planification mis en place par le Sénat de Berlin en 1999 pour accompagner la recréation d’un espace central pour la ville réunifiée – voir Annexe II (fig. 12)Destruction de la guerre

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(fig. 13) Berlin en 1953

SOUMIS La ville détruiteSUPERIEURE

En 1945, le centre de Berlin est, on l’a vu très fortement touché par les destructions liées aux bombardements des Alliés et aux combats pour reprendre la ville. A certains endroits, principalement dans les arrondissements43 de Mitte, Kreuzberg, Friedrichshain et Tiergarten, DOCUMENT l’ampleurNATIONALE des destructions est telle que la structure urbaine n’est plus perceptible. Outre les problèmes de relogement que la situation a engendré, la ville est confrontée à la question de la gestion des décombres (cf. III.C.2). Ce Berlin en ruines a été immortalisé par plusieurs cinéastes, ECOLEnotamment Roberto Rossellini dans Allemagne, année zéro44, dernier opus de sa « trilogie de la guerre », ou, sur un mode plus léger, par Billy Wilder dans La Scandaleuse de Berlin45.

43. Voir Annexe I pour la situation des arrondissements 44. Rossellini Roberto, Germania anno zero (Allemagne, année zéro), Italie/Allemagne/ France, 1948, 78 min 45. Wilder Billy, A foreign Affair, (La Scandaleuse de Berlin), Etats-Unis, 1948, 116 min (fig. 14)Destructions entre 1953 et 1989

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(fig. 15) Nouvelles constructions entre 1953 et 1989

SOUMIS La Guerre-FroideSUPERIEURE

Contrairement à ce que l’on pourrait penser, le phénomène de destruction n’a pas cessé à l’issue du conflit. Dans les deux moitiés de la ville se développent en effet rapidement des programmes de reconstruction des quartiers détruits puis de rénovation urbaine, qui DOCUMENT NATIONALEvisent à adapter la structure de la ville à la modernité, dans un contexte de concurrence Est-Ouest46. Ces opérations, qui s’accompagnent elles aussi de destructions, concernant la plupart du temps des quartiers considérés comme insalubres ou obsolètes, ont eu pour conséquence une évolution ECOLE substantielle du tissu urbain, en modifiant le tracé des rues et les formes construites (remise en question de la figure de l’îlot et forte diminution de la densité bâtie, en partie compensée par une augmentation de la hauteur à certains endroits). La carte des nouvelles constructions met également en évidence le tracé du Mur et l’importance de l’espace qu’il occupe au cœur de la ville.

46. Bocquet Denis, « Berlin: histoire de l’urbanisme et enjeux contemporains des politiques urbaines », in Collectif, Berlin, un urbanisme participatif, Saint-Denis : Profession banlieue, 2008, p. 15 (fig. 16)Destructions entre 1989 et 2010

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(fig. 17) Nouvelles constructions entre 1989 et 2010

SOUMIS Depuis la réunificationSUPERIEURE

La fin de la Guerre-Froide et la normalisation de la situation à Berlin, ainsi que son nouveau statut de capitale, sont synonyme d’un énorme chantier de reconstruction Deux grandes logiques se dégagent alors : la reconnexion des deux moitiés de la ville et la densification. Les nouvelles DOCUMENT constructionsNATIONALE ont ainsi en partie pour objet de faire disparaître la coupure physique, le vide laissé par le mur et qui symbolisait la division de la ville47. Ces nouveaux morceaux de ville, idéalement situés, du point de vue symbolique, à l’interface entre l’Est et l’Ouest deviennent les lieux ECOLEprivilégiés de l’installation des lieux de pouvoir de l’Allemagne réunifiée. De manière plus générale, la volonté de redonner une certaine cohérence à la ville se traduit par une densification généralisée, qui s’appuie sur les tracés de la ville du XIXe siècle, en cherchant à reconstituer le principe d’îlots bâtis.

47. Hocquet Marie, Mémoire, oubli et imaginaire urbain, étude de deux hauts-lieux de la mémoire communiste à Berlin-Est : le Palais de la République et le Musée de la Stasi, Thèse en sociologie et anthropologie politique sous la direction de Michel Rautenberg, Saint-Etienne : Université Jean Monnet, 2011, p. 378 (fig. 18)Destructions entre 1940 et 2010

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(fig. 19) Berlin en 2010

SOUMIS EvolutionSUPERIEURE

Sur une période relativement courte au regard de l’Histoire, le visage de la ville s’est donc substantiellement modifié. Comme le montrent les documents ci-dessus, très peu de bâtiments du centre de Berlin ont aujourd’hui plus de 75 ans. Et même si la tendance est depuis les années DOCUMENT NATIONALE1980 à la densification et au retour à l’îlot (cf. II.C.5 et 6), la forme urbaine de 2010 et celle de 1940 divergent fortement, rendant en de nombreux endroits lisibles les différentes « couches » de la ville. Le phénomène de palimpseste, par la force et l’étendue qu’il a prises, semble donc être ECOLE un élément de définition déterminant du Berlin contemporain, mais ces évolutions physionomiques peuvent-elles vraiment, à elles seules et de manière intrinsèque, caractériser la ville ? I.C LA VILLE EST AUSSI UNE ENTITÉ SYMBOLIQUE

Olivier Mongin48 affirme, dansLa Condition urbaine, que « l’expérience urbaine est double, autant mentale que matérielle, spirituelle et physique. Image mentale, la ville est un aventure qui n’en finit pas de se remettre en forme et en scène49 ». Cette idée que la ville est à la fois une entité physique et symbolique renvoie directement à la notion de territoire, qui présente, selon la définition du Dictionnaire de la géographie, de l’espace et des sociétés, des caractéristiques similaires : « Si la matérialité du territoire ne précède pas sa représentation, elle en est constitutive. D’où l’intérêt de considérer, à la manière de Claude Raffestin ou d’Yves Barel, le territoire comme une réalité “bifaciale”, le produit d’une écogénèse par laquelle sont mobilisées dans un système symbolique et informationnel des ressources matérielles. Dans cette perspective, le territoire est à la fois ressource dynamique — le produit d’un “corps à corps” matériel et idéelNANTES 50 écrivait Raffestin (1986) — et figure (la représentation de cette relation)DE ». Le terme « territoire » désignerait ainsi non seulement un espace habité et construit par l’Homme, mais aussi la manière dont on se représente cette entité et la relation que ceux qui l’habitent et la parcourent entretiennent avec elle. Pour Corboz, le territoire acquiert de cette manière un sens, il signifie quelque chose pour ceux qui l’habitent : « Cette nécessité d’un rapport collectif vécu entre une surface topographique etD'AUTEUR la population établie dans ses plis permet de conclure qu’il n’y a pas de territoire sans imaginaire du territoire. […] Etant un projet, le territoire est sémantisé. Il est “discourable”. Il porte un nom. DesD'ARCHITECTURE projectionsDROIT de toute nature s’attachent à lui, qui le transforment en un sujet51 ». 27 AU Cette notion de projection semble essentielle pour expliquer la manière dont se construit notre perception de la ville, en tant qu’individu mais également du point de vue collectif. SOUMIS SUPERIEURE I.C.1/ L’expérience urbaine, corps et forme de la ville

Reprenant la métaphore métaboliste, Mongin souligne la « double- dimension corporelle52 » de la ville, qui peut, pour lui, être assimilée DOCUMENT en elle-mêmeNATIONALE à un corps, mais également à un « tissu de trajectoires corporelles infinies » formé par le parcours des multiples petits corps qui la composent

ECOLEIl s’appuie pour cela sur la notion de « forme de la ville », développée par Julien Gracq53 à propos de Nantes pour décrire son expérience, en tant qu’interne au lycée, de la découverte de la ville. Cette forme correspond pour lui à la manière dont on perçoit la ville lorsqu’on la parcourt, mais également à l’ « image mentale » que l’on en garde, et qui ne correspond par à sa réalité physique : « Habiter une ville, c’est y tisser par ses allées

48. Olivier Mongin (né en 1951) est un écrivain et chercheur français. Il a dirigé la revue Esprit entre 1988 et 2012. 49. Mongin Olivier, La Condition urbaine, Paris : Editions du Seuil, 2005, p. 49 50. Lévy Jacques, Lussault Michel (dir.), « Territoire », in Dictionnaire de la géographie, de l’espace et des sociétés, Paris : Belin, 2003 , p. 911, citant Raffestin Claude,« Ecogenèse territoriale et territorialité », in Auriac Franck, Brunet Roger (dir.), Espaces, jeux et enjeux, Paris : Fayard, 1986, pp. 173-183 51. Corboz, 2001, p. 214 52. Mongin, 2005, p. 32 53. Gracq Julien, La Forme d’une ville, Paris : Librairie José Corti, 1985 et venues journalières un lacis de parcours très généralement articulés autour de quelques axes directeurs. […] Il n’existe nulle coïncidence entre le plan d’une ville dont nous consultons le dépliant et l’image mentale qui surgit en nous, à l’appel de son nom, du sédiment déposé dans la mémoire par nos vagabondages quotidiens54 »

Gracq insiste également sur le fait que la forme de ville ne correspond pas aux quelques monuments emblématiques auxquels on la réduit souvent, et qu’il appelle ironiquement « culture de Guide Bleu55 ». Selon Mongin, elle résulte plutôt d’une « conjonction d’éléments hétérogènes », qui se matérialisent dans l’enchaînement des parcours et qui l’influencent par les mémoires qu’ils renvoient : « la forme de la ville est inséparable de la stratification du temps, d’une mémoire qui se donne au fil des monuments et des noms dans un parcours qui se conjugue au présent56 ». En tant que lieu vécu, la ville devient alors le cadre de souvenir, un support de la mémoire.

NANTES I.C.2/ Le lieu comme support de la mémoire collectiveDE De la même manière que Corboz liait le territoire au groupe qui l’habitait, Mongin rappelle que la ville est un fait collectif : « La ville existe quand des individus parviennent à créer des liens provisoires dans un espace singulier et se considèrent comme des citadins ». Mais si un lieu peut être vécu en tant que groupe, en est-il de même des souvenirs que l’on y projette ? D'AUTEUR

Dans La Mémoire collective, Maurice Halbwachs57 théorise la manière dont on se souvient, en tant queD'ARCHITECTURE groupe,DROIT « des événements et des 28 expériences qui concernent le plus grand nombre de ses membres et qui résultent soit de sa vie propre, soit deAU ses rapports avec les groupes les plus proches, le plus fréquemment en contact avec lui58 ». Ce phénomène dépasse selon lui la simple addition des mémoires individuelles, pour former un ensemble autonome : « La mémoire collective, d’autre part, enveloppe les mémoires SOUMISindividuelles, mais ne se confond pas avec elles. Elle évolue suivantSUPERIEURE ses lois, et si certains souvenirs individuels pénètrent aussi quelques fois en elle, ils changent de figure dès qu’ils sont replacés dans un ensemble qui n’est plus une conscience personnelle59 ».

Halbwachs insiste également sur la dimension spatiale de la définition. Pour lui, la mémoire collective se constitue dans le cadre d’un lieu, qui DOCUMENT NATIONALEinflue sur le groupe comme le groupe influe sur lui : « Ainsi s’explique que les images spatiales jouent un tel rôle dans la mémoire collective. Le lieu occupé par un groupe n’est pas comme un tableau noir sur lequel on écrit puis on efface des chiffres et des figures. […] Le lieu a reçu l’empreinte ECOLE du groupe, et réciproquement. Alors, toutes les démarches du groupe peuvent se traduire en termes spatiaux, et le lieu occupé par lui n’est que la réunion de tous les termes60 ». En tant que facteurs et supports des traces de la vie en collectivité, les lieux seraient donc un médium

54. Gracq, 1985, p. 3 55. Gracq, 1985, p.107 56. Mongin, 2005, p. 45 57. Maurice Halbwachs (1877-1945) est un sociologue français. Il a théorisé le concept de mémoire collective. 58. Halbwachs Maurice, La mémoire collective, Paris : PUF, 1950 ; rééd. critique établie par Gérard Namer, Paris : Albin Michel, 1997, p. 75 59. Halbwachs, 1950, p. 98 60. Halbwachs, 1950, p. 196 privilégié de la mémoire collective61.

Ces éléments mettent en évidence l’importance du rapport symbolique que l’on entretient avec le lieu, tant du point de vue individuel que collectif. La ville, en tant qu’objet bâti, prend ainsi davantage de sens dans les projections qu’elle renvoie, dans les récits qu’elle transmet, que dans sa nature intrinsèque.

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Berlin est donc une ville récente, qui s’est principalement construite au cours du temps par extensions successives. L’existence d’un important phénomène de palimpseste, influençant fortement la manière dont on perçoit la ville, est cependant incontestable. Cette alternance d’effacements et de réécritures semble même, dans une certaine mesure, caractériser la ville, au moins en tant qu’entité physique.

Bien que l’importance des destructions lors des bombardementsNANTES de 1944-1945 ait joué un rôle majeur dans les recompositions visibles aujourd’hui, la volonté des différents régimes qui se sont succédésDE au cours du XXe siècle de se démarquer de leurs prédécesseurs (en d’autres termes, de faire place nette), semble indiquer que le palimpseste est, pour une part au moins, un phénomène conscient. Faut-il en conclure que le pouvoir politique sélectionne sciemment les traces qui sont dignes d’être conservées en fonction de ses objectifs propres ? L’importance du rapport symbolique que l’on entretient avec la ville pose en effetD'AUTEUR la question de l’instrumentalisation possible des traces à des fins politiques. En d’autres termes, on peut se demander quel rôle joue le pouvoir politique dans l’intégration des traces dans le récit mémoriel. D'ARCHITECTUREDROIT 29 AU

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61. Cette relation étroite entre lieux et mémoire sera plus tard reprise et élargie par Pierre Nora. Sa définition des « lieux de mémoire » dépasse en effet les simples lieux physiques : « Il s’agirait des lieux, au sens précis du terme, où une société quelle qu’elle soit, nation, famille, ethnie, partie, consigne volontairement ses souvenirs ou les retrouve comme une partie nécessaire de sa personnalité : lieux topographiques, comme les archives, les bibliothèques et les musées ; lieux symboliques, comme les commémorations, les pèlerinages, les anniversaires ou les emblèmes ; lieux fonctionnels, comme les manuels, les autobiographies ou les associations : ces mémoriaux ont leur histoire. » (Nora Pierre, « Mémoire collective », in Le Goff Jacques (dir.), La nouvelle histoire, Paris : Editions Complexe, 1978, p. 398. « Le Berliner Steinbeisser (lumbricida berlinisis) est une espèce particulière du ver de terre ordinaire répandu en Europe. L’espèce naquit le 9 novembre 1989 d’un surprenant métissage du lumbricida ossisiensisNANTES (ver de l’Est) et du lumbricida wessiniensis (ver de l’Ouest). Contrairement au ver de terre ordinaire, le Berliner Steinbeisser se nourrit DEnon pas de matières organiques mais principalement de toutes sortes de pierres, de mortier et de béton qu’il transforme en grande quantité et très rapidement en poussière. S’il dispose de suffisamment de nourriture, il se reproduit très vite. Le Berliner Steinbeisser est apparu pour la première fois lors de la démolition du mur de Berlin dont la suppression éclair est due essentiellement à son travail. A la suiteD'AUTEUR de ces expériences initiales fructueuses et une fois cette réserve de nourriture consommée, il s’est répandu de manière incontrôlée sur l’ensemble du territoire de la ville de façon à se trouver maintenantD'ARCHITECTUREDROIT dans de nombreux bâtiments berlinois. La façon de procéder du Berliner Steinbeisser se caractérise par des attaques surprises massives sur AUdes objets isolés. Premiers visés, la structure du passage de la Friedrichstraße, déjà commencée par la RDA, et le stade de la Jeunesse mondiale à Prenzlauer Berg. L’ancien ministère des Affaires étrangères de la RDA, au Werderscher Markt ainsi que la Werner-Seelenbinder-Halle sur la Fritz-Riedel-Straße, sont sérieusement SOUMIS atteints. Puisqu’onSUPERIEURE n’a pas encore réussi à contrôler les agissements du Berliner Steinbeisser, son existence est systématiquement contestée par les administrations compétentes pour éviter d’inquiéter la population. On essaie aussi de cette façon d’empêcher les démolisseurs spéculateurs de l’utiliser à leurs propres fins. Les cercles bien informés rapportent que le palais de la République n’est pas fermé à cause de l’amiante, mais suite à une attaqueDOCUMENT du Berliner Steinbeisser. » NATIONALE Berlin Handbuch (1992, p. 113), cité et traduit par Werner Szambien (2003, p. 52-53) ECOLE NANTES DE

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La dimension consciente du palimpseste berlinois et le rôle important qu’ont joué les différents régimes du XXe siècle dans ce phénomène questionnent la relation qu’entretient le pouvoirD'AUTEUR politique avec les traces. Son intervention semble ainsi particulièrement liée à son rapport au passé, ou plus précisément à la manière dont il cherche à en faire la mémoire. Certains exemples, commeD'ARCHITECTUREDROIT le projet de Germania ou la destruction des quartiers jugés insalubres pendant la Guerre-Froide, 32 montrent par ailleurs que cette interventionAU prend place de manière privilégiée dans le cadre des politiques de réaménagement urbain. Après avoir examiné les relations existant entre stratégies mémorielles et traces bâties, nous interrogerons donc les modalités d’intervention des autorités publiques berlinoises sur des traces spécifiques, mais aussi face au tissu SOUMIS urbain “générique”,SUPERIEURE pris en tant que tel comme un témoignage du passé de la ville.

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ECOLE II.A L’INCIDENCE DES STRATÉGIES MÉMORIELLES SUR LA TRACE BÂTIE

II.A.1/ Sélection et patrimoine

Comme nous l’avons déjà évoqué plus haut, un objet, quel qu’il soit, ne devient trace du passé qu’à partir du moment où il est désigné comme tel, c’est-à-dire que l’on reconnaît qu’il occupe une place particulière dans l’Histoire, ce qui le rend digne d’être conservé et commémoré. En d’autres termes, l’existence de la trace est liée à la prise de conscience de sa dimension testimoniale.

Cette attention aux traces du passé s’est cristallisée en Europe à partir du XIIIe siècle et de la Révolution Française, à travers l’émergence de la notion de patrimoine, et de la nécessité de sa préservation. CommeNANTES le rappelle François Choay1, dans l’introduction de L’AllégorieDE du Patrimoine, le terme vient à l’origine du vocabulaire juridique, en tant qu’ensemble des biens que les parents transmettent à leurs enfants. Elle analyse au cours de l’ouvrage le processus de transfert sémantique du mot, et son élargissement, à l’origine par métaphore, aux « biens nationaux ». Le patrimoine, qu’il soit historique ou culturel, national ou universel conserve la notion de transmission liée àD'AUTEUR son acception juridique, mais désigne aujourd’hui « un fonds destiné à la jouissance d’une communauté élargie aux dimensions planétaires et constitué par l’accumulation continue d’une diversité d’objets que rassemble leur commune appartenance au passé : œuvresD'ARCHITECTURE et chefs-d’œuvreDROIT des beaux- arts et des arts-appliqués, travaux et produits de tous les savoirs et savoir- 33 faire humains2 ». Le terme allemand KulturerbeAU , qui signifie littéralement héritage culturel (de même que le terme anglais heritage), contient lui aussi cette référence à la filiation.

Deux paramètres principaux sontSOUMIS à l’œuvre dans les choix patrimoniaux : la sélection et la conservation.SUPERIEURE La sélection est indispensable, dans la mesure où il serait difficile de se souvenir de tout. Comme le rappelle Halbwachs, « l’histoire, en effet, ressemble à un cimetière où l’espace est mesuré, et où il faut, à chaque instant, trouver de la place pour de nouvelles tombes3 ». La mise en valeur n’aurait en outre aucun sens si elle ne procédaitDOCUMENT pas d’un choix : à partir du moment ou tout devient patrimoine,NATIONALE on peut considérer que plus rien ne l’est vraiment. De la même manière, plusieurs choix sont possibles en terme de conservation, plus ou moins fidèles à l’esprit et à la nature de l’objet en question.

ECOLECes orientations relèvent bien sûr de débats d’ordre scientifique. Le rôle des historiens est, à ce titre, primordial, pour déterminer ce qui peut être considéré comme patrimoine, ainsi que les modalités de conservation. Puisqu’il s’agit d’un débat, plusieurs doctrines du patrimoine peuvent ainsi s’affronter, à l’image par exemple de l’opposition entre les positions de John Ruskin et d’Eugène Viollet-le-Duc à propos de la restauration4. De même, les modalités des politiques patrimoniales peuvent, pour diverses raisons varier d’un endroit à l’autre : si elles sont nationales en France, elles sont en Allemagne en grande partie du ressort des Länder (même

1. Françoise Choay (née en 1925) est historienne des théories et des formes architecturales et urbaines. Elle a enseigné aux universités Paris-I et Paris-VIII. 2. Choay Françoise, L’Allégorie du patrimoine, nouvelle édition revue et corrigée, Paris : Editions du Seuil, 1992, rééd. 2007, p. 9 3. Halbwachs, 1950, p. 100 4. Choay, 1992, p. 114 s’il existe des programmes nationaux en terme de subventions et de fiscalité), ce qui entraîne une certaine diversité des principes de sélection et de conservation. Un bâtiment pourra par exemple être classé en raison de son rôle dans l’histoire de l’industrie et des rapports de production en Rhénanie-du-Nord-Westphalie, mais pas à Berlin.

Mais ces choix sont aussi d’ordre éminemment politique : en choisissant certaines références historiques au détriment d’autres, les détenteurs du pouvoir définissent leurs valeurs et ancrent leur légitimité à gouverner, qu’ils contestent ou s’appuient sur leurs prédécesseurs.

II.A.2/ Usages politiques de la mémoire

Le lien que nous avons évoqué entre lieu et mémoire (cf. I.C.2) permet d’affirmer que cette intervention du pouvoir politique sur le patrimoine a des conséquences sur la formation de la mémoire collective. Les traces du passé peuvent ainsi être instrumentalisées pour diriger la mémoireNANTES dans une certaine direction. Dans La Mémoire, l’histoire, DEl’oubli , Paul Ricœur5 analyse ainsi différentes possibilités d’ « abus de mémoire », dont il identifie trois niveaux : la mémoire empêchée, la mémoire manipulée et la mémoire obligée.

La mémoire empêchée6, premier abus évoqué par Ricœur, est dite « pathologique ». Elle correspond à la difficulté de se remémorer un événement dont la force nous submerge. DéfinieD'AUTEUR comme « mémoire blessée », on s’y réfère par des termes issus du vocabulaire médical (traumatisme, blessure, cicatrice…). Cet abus, s’il ne se situe pas vraiment sur un plan politique, peut être dépasséD'ARCHITECTUREDROIT grâce au travail de mémoire7, 34 qui permet de faire émerger une « mémoire apaisée ». Lorsque ce travail n’a pas lieu, et que l’événement tragiqueAU est refoulé, l’abus de mémoire devient abus d’oubli.

Vient ensuite le niveau « pratique » de la mémoire manipulée8. Il s’agit selon Ricœur du principalSOUMIS abus de mémoire, qui consiste à son instrumentalisationSUPERIEURE à des fins idéologiques : « Une place distincte doit être faite […] à des abus, au sens fort du terme, résultant d’une manipulation concertée de la mémoire et de l’oubli par les détenteurs du pouvoir. Je parlerai alors moins de mémoire blessée que de mémoire instrumentalisée. […] C’est à ce plan que l’on peut le plus légitimement parler d’abus de mémoire, lesquels sont aussi des abus d’oubli. Ce qui DOCUMENT NATIONALEfait la spécificité de cette seconde approche, c’est le croisement entre la problématique de la mémoire, et celle de l’identité, tant collective que personnelle9 ». Cette instrumentalisation passe notamment par la mise en récit de la ECOLE mémoire, ce qui suppose sélection et mise en cohérence, et donc l’oubli de certains éléments, occultés par ceux mis en avant : « c’est en raison de la fonction médiatrice du récit que les abus de mémoires se font abus d’oubli. En effet, avant l’abus, il y a l’usage, à savoir le caractère inéluctablement sélectif du récit. Si on ne peut se souvenir de tout, on ne peut pas non plus tout raconter. L’idée de récit exhaustif est une idée performativement impossible. […] L’idéologisation de la mémoire

5. Paul Ricœur (1913-2005) est un philosophe français, auteur de nombreux ouvrages, qui a notamment travaillé sur le sujet et son rapport au temps. 6. Ricœur, 2000, p. 83 7. « A cet égard, la notion de travail — travail de remémoration, travail de deuil — occupe une position stratégique dans la réflexion sur les défaillances de la mémoire. Cette notion suppose que les troubles en question ne sont pas seulement subis, mais que nous en sommes responsables » (Ricœur, 2000, p. 97 8. Ricœur, 2000, p. 97 9. Ricœur, 2000, p. 97 est rendue possible par les ressources de variation qu’offre le travail de configuration narrative. Les stratégies de l’oubli se greffent directement sur ce travail de configuration : on peut toujours raconter autrement, en supprimant, en déplaçant les accents d’importance, en refigurant différemment les protagonistes de l’action en même temps que les contours de l’action10 ». Le risque, qu’il soit ici abus de mémoire ou abus d’oubli, réside alors dans la « dépossession des acteurs sociaux de leur pouvoir originaire de se raconter eux-mêmes11 ».

Ricœur évoque enfin la mémoire obligée12, qui constitue pour lui le niveau « ethico-politique » de l’abus. Ce troisième stade concerne les dérives possibles du devoir de mémoire, injonction qu’il considère néanmoins comme légitime, dans la mesure où elle facilite pour les victimes l’accès à une mémoire apaisée13. La possibilité d’abus est cependant évidente, lorsque le devoir de mémoire entrave l’analyse historique : « L’injonction à se souvenir risque d’être entendue comme une invitation adressée à la mémoire à court-circuiter le travail de l’histoire14 ». NANTES On le voit, l’objectif de cet usage politique de la mémoire réside avant tout dans l’émergence d’un « récit » cohérent, d’une narrationDE de l’histoire de la ville selon un angle qui conforte les valeurs défendues par le pouvoir en place, mettant ainsi en avant sa légitimité à gouverner.

II.A.3/ Les enjeux particuliers du récit à Berlin D'AUTEUR Du fait son histoire particulière, il est intéressant de voir comment Berlin utilise le récit de son passé pour se mettre en scène. Comment, en d’autres termes, la villeD'ARCHITECTURE DROIT tire-t-elle parti de son histoire pour mettre en avant son attractivité, dans un contexteAU de concurrence de plus en plus marquée entre les métropoles ?

La plaquette Berlin aujourd’huiSOUMIS 15, publiée en 2013 (et SUPERIEUREen six langues) par l»Office de presse et d’informations du Land de Berlin16, à la gloire d’une « ville jeune, inventive et vivante, qui fait la part belle à l’innovation, sans rien renier de son héritageDOCUMENT historique » est, à ce titre, Berlin un exempleNATIONALE assez caractéristique des orientations marketing urbain berlinois. aujourd’hui. Outre les arguments habituellement mis en avant pour promouvoir un territoire (fig. 20)La couverture de la plaquette ECOLE(attrait du cadre de vie, dynamisme économique, mais aussi culturel et artistique, intégration dans les réseaux de transports nationaux et internationaux…), des enjeux propres à Berlin sont aussi discernables, et notamment son positionnement face à son passé. Car « l’âme de Berlin, c’est son histoire mouvementée. Il faut la connaître pour connaître la ville ».

10. Ricœur, 2000, p. 579 11. Ricœur, 2000, p. 580 12. Ricœur, 2000, p. 105 13. « L’injonction ne prend sens que par rapport à la difficulté ressentie par la communauté nationale, ou par des parties blessées du corps politique, à faire mémoire de ces événements d’une manière apaisée. » (Ricœur, 2000, p. 105) 14. Ricœur, 2000, p. 106 15. Disponible à l’adresse suivante : http://www.berlin.de/rbmskzl/regierender- buergermeister/berlin-informationen/publikationen/ (consulté le 11/10/2013) 16. Presse- und Informationsamt des Landes Berlin On peut ainsi déterminer trois axes principaux qui structurent le récit à Berlin, qui dépassent bien sûr le marketing urbain, pour toucher de manière plus profonde la manière dont la ville se définit.

Une ville qui accepte son histoire

En tant que capitale de l’Allemagne, Berlin hérite d’un passé lourd, caractérisé non seulement par les blessures des guerres et des totalitarismes, mais aussi par la Schuldfrage, la question de la culpabilité, posée de manière individuelle et collective. Le travail de mémoire effectué par la société allemande à partir de 1945 face aux agissements du régime nazi est habituellement désigné par la notion de Vergangenheitsbewältigung17, que l’on pourrait traduire par “maîtrise du passé”, et qui est marquée par la double nécessité d’apprendre à vivre avec le passé, tout NANTESen s’en démarquant de manièreDE nette. 18

Ce travail de mémoire s’applique également à l’espace urbain : il s’agit en effet de mettre en (fig. 21)Le mémorial des victimes Roms du avant une « mémoire apaisée » régime nazi, 2013 des événementD'AUTEUR du XXe siècle, qui passe par la suppression de l’espace public des symboles renvoyant à l’idéologie du Troisième Reich et du « Régime-SED », mais aussi par la commémoration des victimes de ces régimes et des conflits. La villeD'ARCHITECTURE montreDROIT ainsi qu’elle a appris à vivre 36 avec son passé, malgré les souffrances qui l’ont frappées, et qui font en quelque sorte d’elle une victime. AU

Une ville en chantiers SOUMIS Le deuxième pointSUPERIEURE d’appui du récit consiste en la mise en scène du réaménagement urbain. Fortement endommagée par la Seconde Guerre Mondiale puis confrontée à la division pendant la Guerre Froide, la ville est, on l’a vu, en recomposition depuis les années 1950. Le processus s’est amplifié depuis la réunification, dans l’objectif de rapprocher les deux moitiés de la ville et d’accueillir les fonctions liées à son nouveau statut DOCUMENT NATIONALEde capitale.

Cette concentration exceptionnelle de chantiers (les images montrant les forêts de grues à l’œuvre ont fait le tour du monde), qui est presque ECOLE devenue l’image de marque de Berlin, est mise en avant pour montrer

17. Robin Régine, Berlin Chantiers, Paris : Stock, 2001 – Régine Robin, (née en 1938) est une historienne et sociologue franco-québecoise. Elle est professeur de sociologie à l’Université du Québec à Montréal, et travaille notamment sur l’identité et le rapport entre mémoires collective et individuelle. 18. Selon Régine Robin, ce travail de mémoire aurait essentiellement été mené en Allemagne de l’Ouest, la RDA se construisant sur l’antifascisme et le mythe de la patrie résistante. Dans Berlin Chantiers, elle insiste cependant sur le fait que, jusque dans les années 1960, ce travail de mémoire aurait été freiné en RFA par la politique de réconciliation nationale d’Adenauer, politique qui aurait par la suite été “compensée” par les « grands travaux de la mémoire », qui se traduisent depuis les années 1990 par la construction de mémoriaux pour les victimes. Si certains emploient aujourd’hui le terme de « doppelte Vergangenheitsbewältigung » (double maîtrise du passé), pour désigner le travail de mémoire engagé à la chute de la RDA, cette notion est fortement contestée, dans la mesure où elle met sur le même plan les deux régime, niant de ce fait la spécificité du régime nazi et de l’extermination. le caractère dynamique de la jeune capitale. Cela se traduit notamment par l’installation, à proximité de certains chantiers emblématiques, de structures permettant un point de vue sur les travaux. La première à avoir été mise en place est l’Infobox, pavillon conçu par les architectes de schneider+schumacher, et installé entre 1995 et 200119 à proximité de la Potsdamer Platz, alors en pleine reconstruction. Outre les espaces d’expositions destinés à informer les visiteurs sur le projet, le bâtiment comprenait un café et une grande terrasse offrant une vue plongeante sur les travaux. Un dispositif quasi-similaire, la Humboldtbox, a été mis en place à proximité du chantier de reconstruction du Château. A plus petite échelle, la BVG20 a mis en place, le long du chantier de prolongation de la ligne 5 du NANTES métro, des Infotürme (lit. : tours (fig. 22)En rouge, l’Infobox, 1996 d’information) qui permettent DE elles aussi de jeter un œil sur l’avancement des travaux.

La transformation en événement de la recomposition urbaine vise à faire émerger l’image d’une ville dynamique et positive, une ville tournée vers un avenir meilleur. D'AUTEUR La nouvelle capitale d’un pays réunifié

Le 20 juin 1991, le Bundestag vote, à 338 voixD'ARCHITECTURE contreDROIT 32021 , le déplacement de la capitale fédérale allemande de Bonn vers Berlin. Cette majorité 37 serrée témoigne de la réticence de certainsAU Allemands à ce que Berlin retrouve son statut de capitale. Si de nombreux éléments font débat22 (situation géographique et isolement économique notamment), beaucoup craignent l’ambiguïté de la puissance politique que retrouve ainsi la ville, qui la renvoie d’uneSOUMIS certaine manière au temps où elle était capitale du Reich prussien,SUPERIEURE puis nazi, ou à « Berlin, capitale de la RDA23 ».

Aussi, tout est fait pour se démarquer de ces précédents difficiles à assumer, et pour inscrire dans sa capitale la nature profondément démocratique de la nouvelle Allemagne. Cette position peut être résumée par la notionDOCUMENT de « bescheidene Hauptstadt » (capitale modeste) : « Sur les ruinesNATIONALE du siècle passé, Berlin tente aujourd’hui de s’ériger en capitale allemande, un centre du pouvoir politique et économique, une métropole culturelle, une ville phare de l’Europe, la ville reflet d’une démocratie allemande qui se veut modeste et exemplaire24 ». Cette volonté se traduit ECOLEpar un certain mimétisme des bâtiments qui incarnent le pouvoir aux valeurs qu’il met en avant : la transparence de la coupole du Reichstag de Norman Foster en est un bon exemple, d’autant que le fait qu’elle soit accessible au public permet de « placer symboliquement le citoyen

19. Oudin, Georges, 2000, p. 570 20. Berliner Verkehrsbetriebe AG, l’entreprise qui exploite les transports en communs berlinois 21. Laporte Antoine, De Bonn à Berlin : territoires, mémoires et échelles du politique, Thèse en géographie sous la direction de Claude Grasland et Christian Schulz, Paris : Université Paris-VII et Luxembourg : Université du Luxembourg, 2011, p. 120 22. Laporte, 2011, p. 123 23. Berlin, Hauptstadt der DDR était la dénomination officielle de Berlin-Est en RDA 24. Hocquet, 2011, p. 37 au-dessus de l’élu25 ». De même, l’ambition de « laboratoire de la réunification26 » à laquelle aspire Berlin, est symbolisée par le fait que le Band des Bundes27 franchit symboliquement la frontière Est-Ouest, par une passerelle piétonne qui enjambe la Spree.

Il s’agit donc de faire de Berlin la métaphore de l’Allemagne réunifiée : une capitale qui ne surjoue pas sa puissance, et qui porte en elle ses valeurs fondatrices de démocratie et de transparence.

Les trois visages de la ville ainsi mis en avant — l’apaisement de la ville-martyr, le dynamisme de la ville en reconstruction et la modestie de la ville-capitale — visent tous à montrer que le travail de mémoire a été effectué correctement et que la ville entretient une relation apaisée avec son passé. Plusieurs éléments, au premier rang desquels se trouve la reconstruction du Château, semblent pourtant indiquer que la réalité est plus complexe.

NANTES DE

D'AUTEUR

D'ARCHITECTUREDROIT 38 AU

SOUMIS SUPERIEURE

DOCUMENT NATIONALE

ECOLE

(fig. 23) La Band des Bundes et le Reichstag, 2008

25. Grésillon Boris, Kohler Dorothée, « Quand Berlin s’écrit en lettres capitales, un regard critique », Mappemonde, Vol. 63, Montpellier : Maison de la Géographie de Montpellier, 2001/3, p. 102 26. Hocquet, 2011, p. 378 27. Le « ruban de la fédération », complexe de bâtiments officiels comprenant notamment la Chancellerie fédérale, et les espaces de travail du Bundestag (bureaux des députés, salles de réunion…) II.B. QUE FAIRE DES TRACES DU PASSÉ ?

La question des traces se pose en premier lieu par rapport aux objets, qui, par leur histoire, leur typologie ou leur destination, ont acquis une signification particulière, et qui sont généralement désignés comme “monuments”28. Cette notion désignait à l’origine un édifice servant à transmettre la mémoire d’une personne ou d’un événement : « En ce sens premier, on appellera monument tout artefact édifié par une communauté d’individus pour se remémorer ou faire remémorer à d’autres générations des personnes, des événements, des sacrifices, des rites ou des croyances29 ». Le terme vient du latin moneo (je me souviens), qui, selon Odon Vallet, « revêt deux sens différents, l’un tourné vers le passé, avec l’idée d’une intention sollicitée, et l’autre, dirigé vers l’avenir, qui constitue un avertissement pour les générations futures30 ». Son sens aurait glissé à la fin du XVIIe siècle de la fonction mémorielle vers « desNANTES 31 valeurs esthétiques et prestigieuses », qui ont effacé la première acceptionDE (on doit aujourd’hui préciser lorsqu’un monument est “commémoratif”).

Le terme allemand Denkmal (de denken : penser et Mal : la marque, le signe), conserve lui, au contraire, les deux significations et désigne à la fois, selon le Duden32, un « édifice à la mémoire d’une personne ou d’un événement », et « une œuvre [d’art] qui témoigne d’une culture passée ». La langue allemande est en outre plus précise, et distingue, pourD'AUTEUR la première signification, plusieurs types de monuments, en fonction de l’événement commémoré : Ehrenmal (de Ehren : la gloire, l’honneur), Mahnmal (de Mahnung : le rappel, l’avertissement), ErinnerungsmalD'ARCHITECTUREDROIT (de Erinnerung : le souvenir) ou encore Gedenkstätte, qui signifie littéralement “lieu de 39 commémoration”, et qui s’emploie pour désignerAU les lieux devenus en eux-mêmes objets de mémoire (les camps de concentration par exemple).

Berlin est marqué par ce que Gabi Dolff-Bonekämper33 appelle le « patrimoine inévitable ». Elle désigneSOUMIS par ce terme des traces vues comme indésirables, parce qu’ellesSUPERIEURE renvoient à la question de la culpabilité ou au souvenir du poids de la dictature : « Nous voudrions bien qu’il n’y ait que du beau et du bon dans notre héritage architectural, et avant tout, que la terreur n’ait pas eu lieu. Mais il nous faut faire face à l’Histoire comme elle est. Ce n’est pas plaisant, mais ce petit malaise patrimonial est bien peu de chose comparé aux souffrances et à la douleur des 34 DOCUMENT victimesNATIONALE ! ». A l’inverse, certains édifices, qui sont aujourd’hui considérés comme des éléments essentiels de l’histoire de la ville, ont disparu ou sont endommagées. Cette double-dynamique de présence de traces indésirables et d’absence de traces nécessaires joue un rôle important ECOLEdans l’attitude adoptée par le pouvoir politique face aux traces du XXe

28. Dans sa contribution à L’Abus monumental, François Chaslin met en évidence différentes raisons pour lesquelles une trace peut acquérir le statut de monument : signification historique, intérêt typologique ou volonté des concepteurs. Il parle dans ce dernier cas de « monuments intentionnels », qu’il définit comme « des édifices auxquels leurs auteurs, les ayant délibérément destiné à survivre, avaient conféré, par tel ou tel trait architectural, un caractère monumental. » (Chaslin, in Debray, 1999, p. 383) 29. Choay, 1992, p. 14 30. Vallet, in Debray, 1999, p. 45 31. Choay, 1992, p. 16 32. Le Duden est le dictionnaire allemand de référence. 33. Gabi Dolff-Bonekämper (née en 1952) est une historienne de l’art et une conservatrice du patrimoine allemande. Elle enseigne notamment à l’Institut d’urbanisme de l’Université Technique de Berlin. Elle a par ailleurs contribué, en 1999, à L’Abus monumental ? de Régis Debray. 34. Dolff-Bonekämper Gabi, « Les monuments de l’histoire contemporaine à Berlin : ruptures, contradictions et cicatrices », in Debray Régis, L’Abus monumental, Paris : Editions du Patrimoine, 1999, p. 370 siècle. Du fait même de la spécificité de chacune d’entre-elles, les logiques d’intervention mises en œuvre ne sont pas systématiquement identique : nous avons ainsi pu identifier au moins cinq approches possibles, en dehors du cas du Mur, qui, pour plusieurs raisons, combine plusieurs types d’intervention.

II.B.1/ Superposition des histoires et des mémoires

La démarche qui se rapproche le plus d’un palimpseste littéraire consiste à poursuivre l’utilisation de l’édifice pour une fonction analogue à celle d’origine, après avoir procédé à un “nettoyage” des symboles, insignes, évocations ou références à un passé indésirable. La justification apportée à ce type d’intervention est le plus souvent d’ordre pratique, mettant en avant le fait qu’il serait inutile de remettre en cause un bâtiment qui remplit correctement sa fonction.

De nombreux bâtiments administratifs ont été ainsi “nettoyés”NANTES et accueillent aujourd’hui es services du Land ou de l’Etat Fédéral,DE à l’image des mairies des nouveaux arrondissements créés par la RDA pour accompagner l’urbanisation de la périphérie Est de la ville, ou encore du complexe de bureaux de la Fehrbelliner Platz, construit entre 1934 et 194935, qui accueille aujourd’hui notamment la Senatsverwaltung für Stadtentwicklung und Umwelt.

La superposition concerne néanmoins égalementD'AUTEUR des bâtiments au caractère symbolique plus important. Dans ce cas, le changement d’usager entraîne le plus souvent une modification, intentionnelle ou non, de leur signification dans la ville,D'ARCHITECTURE voireDROIT de leur place dans l’histoire. 40 AU L’aéroport de Tempelhof

Le cas le plus frappant de superposition est sans doute celui de l’ancien aéroport de Tempelhof, carSOUMIS elle y a produit un renversement complet de la charge mémorielleSUPERIEURE du lieu..

DOCUMENT NATIONALE

ECOLE

(fig. 24)L’aérogare vu depuis le Sud, 2013

Le Tempelhofer Feld est à l’origine un terrain militaire situé au sud de la ville36. Utilisé pour l’aviation dès le début du XXe siècle, il devient le Zentralflughafen (aéroport central) de Berlin en 1923. L’aérogare actuelle a été réalisée à partir de 1936 par l’architecte Ernst Sagebiel, dans le cadre des plans de Speer pour le réaménagement de Berlin. Elle matérialise, par son « gigantisme architectural37 », la volonté d’Hitler de domination et de conquête mondiale. Prenant la forme d’un arc

35. Donath Florian, Architekturführer Berlin 1933-1945, Berlin : Lukas Verlag, 2005, p. 71 36. Szambien, 2003, p. 45 37. Szambien, 2003, p. 45 enserrant le terrain d’aviation, et long d’environ 1,3 km38 (ce qui en fait l’une des plus grandes constructions du monde39), le bâtiment devait en outre servir de tribune géante pour les spectacles aériens et autres manifestations du régime : son toit-terrasse était ainsi censé pouvoir accueillir 65.000 spectateurs40. Du fait de son ampleur, une partie du complexe est encore en construction au (fig. 25)Le bâtiment cenral, 1968 début de la guerre, tandis que son aile Est est rapidement utilisée comme usine d’armement, pour faire face à l’effort de guerre.

Le bâtiment, situé en zone NANTES d’occupation américaine, est investi par l’US Air Force dès DE 1945, mais le retournement de la mémoire ne s’opère de quelques années après, lors du blocus de Berlin-Ouest par l’Armée Rouge entre juin 1948 et mai (fig. 26) Les Rosinenbomber sur le tarmac, 1948 1949. L’aéroport devient alors le D'AUTEUR principal point d’arrivée du pont aérien : les avions américains ravitaillant la ville, surnommés Rosinenbomber (lit. : bombardiers à raisins secs) par les habitants, s’y succèdent alors au rythme de un par minute41. De symbole de la mégalomanie et de l’expansionnismeD'ARCHITECTUREDROIT du régime nazi, Tempelhof devient alors celui de la résistance au communisme, et de 41 garant de la liberté des Berlinois de l’Ouest.AU

Ouvert à l’aviation commerciale en 1951, il reste l’aéroport principal de Berlin-Ouest (et donc son lien vital au “monde libre”) jusqu’à l’inauguration de Tegel dans SOUMISles années 1970. Sa fermeture définitive est décidée en 2008. LesSUPERIEURE pistes sont alors transformées en parc urbain, alors que le terminal est utilisé pour des expositions et des défilés de mode. Depuis quelques années, un projet de construction de logements et d’équipements publics, en bordure du terrain, porté par le Sénat de Berlin, suscite un débat intense (cf. III.A.1), qui est en train de provoquer un nouveau déplacementDOCUMENT de la mémoire du lieu. NATIONALE

Le ministère de l’Air du Troisième Reich

ECOLELa Rohwedder-Haus, qui accueille aujourd’hui le Ministère des Finances, est un autre exemple caractéristique de superposition des histoires et des mémoires. Construit entre 1935 et 1936, là encore par Ernst Sagebiel, le bâtiment accueillait à l’origine le Ministère de l’Air (Reichsluftfahrtministerium) de Hermann Göring. Il est un des rares sièges du pouvoir nazi à ne pas avoir été détruit par les bombardements42.

Les autorités soviétiques investissent le bâtiment presque immédiate-

38. Donath, 2005, p. 79 39. Selon les dires du guide touristique de Tempelhof, l’aérogare serait ainsi le troisième plus grand bâtiment du monde par sa superficie, après le palais présidentiel de Ceausescu à Bucarest et le Pentagone américain. Je n’ai pas pu vérifier cette affirmation. 40. Donath, 2005, p. 79 41. Szambien, 2003, p. 44 42. Robin, 2001, p. 147 ment après la prise de la ville, non sans avoir procédé à un “nettoyage” complet du décorum nazi. La fondation de la RDA y est proclamée le 7 octobre 194943, et le nouveau régime l’utilise comme « Maison des ministères ». En 1952, sa façade Nord est décorée d’une mosaïque, réalisée par Max Linger, célébrant la construction du socialisme en Allemagne, et apposant dans le même temps son sceau sur le bâtiment44.

Dans leurs Histoires de Berlin, Bernard Oudin et Michèle Georges racontent45 comment sa signification dans la ville a une nouvelle fois évolué, quand, en 1953, il devient la cible des émeutes ouvrières contre la hausse des normes de productivité dans l’industrie. Le 16 juin, les cortèges d’ouvriers mécontents convergent devant la Maison des Ministères et font le siège du bâtiment pour demander des comptes aux dirigeants. Seul le ministre de l’Industrie ose sortir, mais ne parvient pas à calmer la foule. Le mouvement est réprimé dans le sang par l’Armée Rouge à partir du lendemain, faisant 125 morts et des milliers de blessés. En réaction, le 17 juin devient la fête nationaleNANTES de la RFA jusqu’à la réunification, et la CharlottenburgerDE Chaussee, qui traverse le Tiergarten d’Est en Ouest à partir de la Porte de Brandebourg est renommée Straße der 17. Juni.

De 1991 à D'AUTEUR1994, le bâtiment est le siège de la Treuhand, société charger de privatiser les actifs de (fig. 27)La façade Nord du bâtiment, 1938 la RDA. Il accueille aujourd’hui le D'ARCHITECTUREministèreDROIT des Finances, ce qui a de nouveau entraîné un nettoyage AUdes références au régime précédent, ainsi qu’à l’installation au pied de la mosaïque de Linder, à l’occasion du 40e anniversaire SOUMIS de la révolte du 17 juin 1953, d’une SUPERIEURE photographie géante montrant la révolte des ouvriers.

L’intérêt de cet exemple réside dans la rapidité des réutilisations (fig. 28) La fresque de Max Linger, 2013 DOCUMENT et la multiplication des couches NATIONALE du palimpseste, comme l’exprime Régine Robin : « Le passant peut donc désormais contempler une architecture typique du Troisième ECOLE Reich, une mosaïque exaltant la victoire du socialisme et une photographie rappelant que des ouvriers se sont soulevés en RDA, le tout autour d’un bâtiment qui porte le nom de Detlev Rohwedder46, bâtiment qui est aujourd’hui (fig. 29) Le mémorial aux victimes du 17 juin lors le ministère des Finances de la de son installation, 2000 nouvelle Allemagne47 »

43. Robin, 2001, p. 147 44. Terray Emmanuel, Ombres berlinoises, Paris : Odile Jacob, 1996, p. 12 45. Oudin, Georges, 2000, p. 468-474 46. Directeur de la Treuhand, assassiné en 1991 par la Fraction Armée Rouge 47. Robin, 2001, p. 148 La Neue Wache

Construite entre 1816 et 1818 par Karl-Friedrich Schinkel pour y accueillir la garde royale, la Neue Wache (nouvelle garde) est elle aussi un cas intéressant. Le lieu sert en effet depuis 1918 de mémorial national de l’Allemagne. Si cet usage a traversé les différents régimes politiques qui se sont succédé au XXème siècle, l’objet de la commémoration a lui évolué. (fig. 30)La Neue Wache depuis Unter den Dès la fin de la Première Linden, 2010 Guerre Mondiale et la chute de la monarchie, la jeune République de Weimar transforme la Neue Wache enNANTES monument aux morts national48. Le premier changement de destinationDE du mémorial est effectué par les nazis, qui en font un « sanctuaire du Reich49 » à la mémoire des héros du régime, et un point important des parades militaires. Passablement endommagé par les bombardement, le bâtiment est restauré par la RDA, qui conserve elle aussi l’usage du lieu, mais le destine aux « victimes du fascisme et du militarisme » (Mahnmal den Opfern des Faschismus und Militarismus). Il s’agitD'AUTEUR selon Régine Robin d’un acte important, puisqu’il consacre un bâtiment militaire et dédié aux héros fascistes à la mémoire des victimes de ces deux formes de violence, renversant de manière univoque la signification du lieu50. D'ARCHITECTUREDROIT Depuis 1993, le lieu sert de Zentrale Gedenkstätte der Bundesrepublik 43 Deutschland für die Opfer von Krieg und GewaltherrschaftAU , c’est-à-dire de lieu de commémoration central de la République fédérale d’Allemagne pour les victimes de la guerre et de la tyrannie, touchant ainsi toutes les victimes du XXème siècle51. Cette nouvelle destination a selon Emmanuel Terray et Régine Robin une forteSOUMIS dimension politique, puisqu’elle assimile la nature de la RDA à celleSUPERIEURE du régime nazi, en commémorant de manière indifférenciée les victimes des « deux dictatures ».

L’évolution de la Neue Wache montre bien la dimension consciente et assumée du palimpseste : à chaque époque, le lieu est ainsi sciemment utilisé en réactionDOCUMENT à son usage précédent, dans un contexte de lutte idéologique.NATIONALE Comme le rappelle Gabi Dolff-Bonekämper, « il faut donc être prudent en choisissant les termes descriptifs que le discours patrimonial a forgés pour les monuments chronologiquement complexes : le modèle des “couches historiques” est erroné, autant que la notion de ECOLE“transformation” ou de “changement” à travers l’histoire, puisqu’il ne s’agit pas de superpositions chronologiques mais de prises de positions intentionnellement opposées qui sont codées et transmises par des moyens esthétiques52 ».

48. Terray, 1996, p. 88 49. Robin Régine, « Berlin : la persistance de l’oubli », in Combe Sonia, Dufrêne Thierry, Robin Régine, Berlin, l’effacement des traces, Paris : FAGE Editions, 2009, p. 36 50. Robin, in Combe, Dufrêne, Robin, 2009, p. 36 51. Robin, in Combe, Dufrêne, Robin, 2009, p. 36 52. Dolff-Bonekämper Gabi, « La Neue Wache à Berlin », Berlin Mémoires. Les temps modernes, août-novembre 2003, n°625, p. 184, cité par Robin, in Combe, Dufrêne, Robin, 2009, p. 36 II.B.2/ Prise de distance

Un autre type d’approche possible consiste à exacerber les différences entre l’époque actuelle et le passé représenté par la trace en question. Il s’agit, comme le montre Régine Robin, de mettre en avant l’horreur ou le ridicule53 de l’époque passée, pour dessiner en creux les valeurs du présent.

La distanciation par l’horreur concerne en premier lieu les éléments les plus caractéristiques de la violence et de l’inhumanité des régimes passés. Elle passe la plupart du temps par la transformation des lieux concernés en musées ou en mémoriaux en l’honneur des victimes, à l’image de l’attitude adoptée face aux camps de concentration et d’extermination dans le reste de l’Europe.

La distanciation par l’ironie concerne, quant-à-elle, avant tout les traces de la RDA54 (pour le Troisième Reich, l’horreur a très clairement supplanté le ridicule). Si elle concerne peu d’exemples bâtis, elleNANTES est un des ressorts essentiels de la considération des modes de vie et de la culture est-allemande55. DE

Le camp de Sachsenhausen à Oranienburg

Situé à une trentaine de kilomètres du centre de Berlin, le camp de concentration de Sachsenhausen à Oranienburg estD'AUTEUR un cas typique de prise de distance par l’horreur. Mis en place à l’été 1936, dans un contexte de rationalisation du système concentrationnaire, jusqu’alors composé de nombreux camps de petite taille,D'ARCHITECTURE il a vu se succéder, entre 1936 et 1945, 204.537 détenus56, dont la mémoire estDROIT aujourd’hui honorée par la 44 requalification du lieu en GedenkstätteAU und Museum Sachsenhausen (lieu de commémoration et musée de Sachsenhausen).

Le camp se distingue néanmoins par le fait d’avoir SOUMIS été successivement utilisé par le SUPERIEURE régime nazi puis par les forces soviétiques. Libéré le 22 avril 1945 par l’Armée Rouge, il est en effet réutilisé dès le 10 août sous le nom de « camp spécial n°7 »57, d’abord DOCUMENT pour y détenir des prisonniers NATIONALE de guerre, puis les adversaires politiques à l’instauration d’un régime politique communiste (fig. 31)La barrière reconstruite du camp, 2010 en Allemagne et les « ennemis ECOLE de classe ». Emmanuel Terray58 raconte, dans Ombres berlinoises59, que malgré des conditions de vie et d’hygiène très dures, la nature de ce deuxième camp diffère de celui d’origine, se rapprochant davantage du fonctionnement d’une prison (les détenus pouvant, par exemple, recevoir

53. Robin, in Combe, Dufrêne, Robin, 2009, p. 39 54. Robin, in Combe, Dufrêne, Robin, 2009, p. 38 55. La scénographie du « DDR-Museum », le musée de la RDA en est un exemple flagrant : l’exposition met systématiquement en regard les deux Allemagne, pour montrer, sur un mode humoristique, le retard et la ringardise de l’Est. On peut ainsi comparer deux jeans, deux salons, deux voitures… 56. Terray, 1996, p. 149 57. Terray, 1996, p. 151 58. Emmanuel Terray (né en 1935) est un philosophe et anthropologue français. Il a résidé trois ans à Berlin dans le cadre de ses recherches pour le Centre d’anthropologie des mondes contemporains. 59. Voir Terray, 1996, p.147-160 de la visite, et n’étant pas forcés à travailler). Le camp soviétique ferme définitivement en 1950 et les détenus restant sont transférés dans des prisons de droit commun, gérées par la RDA.

Les autorités décident alors d’en faire un « Nationale Mahn- und Gedenkstätte », un lieu national de commémoration et d’avertissement, inauguré en avril 1961. Il s’agit du troisième mémorial de ce type en RDA, après Buchenwald et Ravensbrück, alors qu’en Allemagne de l’Ouest, le mémorial de Dachau n’a été ouvert qu’en 1965. Selon l’exposition actuellement présentée à Sachsenhausen, cet intérêt marqué pour les camps permettait à la RDA de faire valoir son anti-fascisme, mais aussi de critiquer le modèle occidental, en insistant sur l’implication de grands groupes capitalistes dans le système concentrationnaire, et sur le profit qu’ils en avaient tiré.

La mise en place de ce premier mémorial se traduit principalement par l’installation au milieu du camp d’un obélisque orné de triangles rouges (ceux des prisonniers politiques), ainsi que celle de quelques statuesNANTES et d’un musée, dans une des baraques, qui ne fait aucune mention de l’utilisation du lieu par les soviétiques60. L’exposition actuelle, inauguréeDE en 1996 après la rénovation complète du site, insiste sur cette vision unilatérale de l’Histoire, et opère, plus généralement, une délégitimation de la manière dont la RDA a fait mémoire de ce lieu, en mettant notamment en évidence l’altération de la vérité historique qui aurait été provoquée par la première restauration. L’objectif est donc de marquer la différence de l’Allemagne démocratique par rapport auxD'AUTEUR deux régimes qui l’ont précédée (ou accompagnée), au risque, dans le cas présent, de les renvoyer dos à dos. D'ARCHITECTUREDROIT Le siège de la Stasi 45 AU Un autre exemple éclairant de prise de distance est celui du devenir de la centrale du Ministerium für Staatssicherheit61 (la Stasi) dans l’arrondissement de Lichtenberg. Créé en février 1950 par les autorités de la RDA62, il emménage dans lesSOUMIS locaux de l’ancien Finanzamt (bureau des finances) de l’arrondissement,SUPERIEURE puis étend progressivement son empriseen confisquant les jardins ouvriers et les bâtiments d’habitations situés aux alentours, ainsi que grâce à la rétrocession par les services secrets soviétiques de certains locaux voisins (un tribunal et une maison d’arrêt). Sont également édifiées de nouvelles constructions, au fur et à mesure des besoins deDOCUMENT l’organisation, qui aboutissent à un noyautage complet de l’îlot. NATIONALEEn 1989, environ 20.000 collaborateurs travaillaient ainsi, en relative autarcie dans ce complexe de 8 Ha63, qui comprenait des logements, une cafétéria et un centre commercial.

ECOLEDès décembre 1989, les lieux64 sont occupés par les militants des droits civiques qui mènent la révolution pacifique. Cette occupation aboutit à une dissolution de l’organisation le 12 janvier 1990. Du fait de la pression de ces mouvements citoyens, il est également décidé de transformer le complexe en « Forschungs- und Gedenkstätte », lieu de recherche et de commémoration sur les agissements de la Stasi65. Le mémorial ouvre ses portes le 7 novembre de la même année, grâce à l’action de plusieurs

60. Terray, 1996, p. 151 61. Ministère de la Sécurité d’Etat 62. Hocquet, 2011, pp. 237-240 63. Oudin, Georges, 2000, p. 525 64. Les autres locaux de la Stasi en RDA sont également concernés par ces occupations – Hocquet, 2011, p. 242 65. Hocquet, 2011, p. 247 mouvements associatifs66. Il est composé d’un musée, le Stasimuseum, et d’un centre de documentation, géré par le BStU67, permettant d’accéder aux “archives de la Stasi”. Outre ces espaces de commémoration, le complexe est aujourd’hui également en partie utilisé par les services de la Deutsche Bahn (la compagnie ferroviaire allemande) et par l’Office du Travail des arrondissements de Friedrichshain et Lichtenberg68.

Le musée en lui-même est organisé autour de quatre thèmes principaux69 : l’histoire et le fonctionnement du lieu et de l’institution, les techniques d’espionnage, les rituels et traditions propres à la Stasi, et l’opposition au régime, qui a conduit à la chute du Mur et à l’ouverture du mémorial70. Il est en outre possible de visiter plusieurs espaces emblématiques du complexe : les salles de réunion et d’interrogatoire, les cellules d’isolement, la cafétéria, ainsi que le bureau et les appartements de Erich Mielke (ministre de la Sécurité d’Etat de 1957 à 1989), qui contrastent par leur confort avec l’austérité ambiante.

L’objectif de cette scénographie est donc de provoquer la mémoireNANTES par une mise en situation qui vise à « éveiller l’effroi du visiteur71 », et de mettre en avant l’image d’une organisation tentant de mettre sous surveillanceDE une population entière. Marie Hocquet72, insiste également sur la double- mémoire du lieu et la mise en regard systématique de la mémoire de l’oppression du régime avec celle de la résistance et des mouvements citoyens qui ont permis la fin de la dictature et la transformation des lieux en mémorial73. Ce mouvement simultané de mise à distance et d’identification permet d’inscrire l’Allemagne réunifiéeD'AUTEUR dans la tradition de cette seconde mémoire.

D'ARCHITECTUREDROIT 46 II.B.3/ Surexposition AU Les traces peuvent également être sujettes à un autre type de prise en compte qui, en cherchant à les transformer en symbole d’un événement ou d’une période historique, conduit à leur surexposition, et à une perte de signification, à la manièreSOUMIS d’une photo trop claire. Conséquence non désirée d’une forteSUPERIEURE mise en avant (notamment médiatique et touristique), cette surexposition conduit à une perte de l’épaisseur historique des traces en question, qui sont réduites à l’état de logo ou de caricature d’elles- mêmes. Leur fort potentiel touristique renforce cette « icônisation » : photogéniques et faciles à interpréter, elles sont ainsi déclinées à l’infini dans les magasins de souvenir. DOCUMENT NATIONALE Checkpoint Charlie

ECOLE Le Checkpoint Charlie est sans doute le cas le plus frappant de surexposition à Berlin, tant il est aujourd’hui devenu emblématique (« ikonisch » en allemand) de la Guerre Froide et du Rideau de Fer. L’expression, qui est liée à l’alphabet radio de l’OTAN (Alpha, Bravo, Charlie…),

66. http://www.stasimuseum.de/geschichte.htm (consulté le 18/08/2014) 67. Le Bundesbeauftragte für die Unterlagen des Staatssicherheitsdienstes der ehemaligen DDR, mandataire fédéral pour la documentation du service de sécurité de l’État de l’ex- RDA 68. Terray, 1996, p. 69 69. http://www.stasi-museum.de/ausstellung.htm (consulté le 18/08/2014) 70. Voir également la description de l’exposition par Marie Hocquet dans sa thèse : Hocquet, 2011, pp. 249-256 71. Hocquet, 2011, p. 258 72. Marie Hocquet est une sociologue et anthropologue française, chercheuse au Centre Max Weber à Saint-Etienne. Sa thèse porte sur la mémoire de la RDA à travers l’analyse de deux édifices emblématiques : l’ancien siège de la Stasi et le Palais de la République. 73. Hocquet, 2011, p. 257 désigne le poste de contrôle allié du Grenzübergang Friedrichstraße, point de passage entre secteurs américain et soviétique, réservé au passage des étrangers, des militaires et des diplomates, ainsi qu’à l’échange de prisonniers74. S’il était loin d’être le seul passage dans le Rideau de Fer (il y avait 14 Grenzübergänge à Berlin), il en est le plus emblématique, popularisé par les films et les romans d’espionnage75. Sa célébrité est notamment due à un épisode d’extrême tension le 22 octobre 1961, deux mois après la fermeture de la frontière, quand les chars des deux camps se sont fait face pendant quatre jours, laissant craindre un troisième conflit mondial76. (fig. 32)Le poste de contrôle allié, 1988 Les postes de contrôles sont NANTES démontés avant même la réunification, en juin 1990, en DE présence des ministères des Affaires Etrangères des deux Allemagne et des quatre puissances occupantes, manifestant la volonté de faire disparaître un lieu qui « évoquait de si mauvais souvenirs77 ». La D'AUTEUR guérite du poste de contrôle occidental n’est cependant pas détruite, mais transportée au D'ARCHITECTURE Musée des Alliés de Berlin- (fig. 33) LeDROIT Checkpoint reconstruit, 2005 Dahlem (Alliiertenmuseum), où 47 elle est encore exposée aujourd’hui78. Dix AUans plus tard, le Checkpoint Charlie réapparaît pourtant dans les rues de Berlin, pour matérialiser une mémoire cherchée en vain par les touristes du monde entier79. Dans la nuit du 13 au 14 août 2000, date anniversaire de la construction du Mur, est en effet installée uneSOUMIS réplique du poste américain de 196180 et d’un panneau indiquantSUPERIEURE le changement de secteur, ainsi qu’un mât sur lequel sont accrochées, dos-à-dos, les photos d’un soldat soviétique et d’un soldat américain.

Le lieu est aujourd’hui l’un des plus visités de Berlin, et le quartier est envahi parDOCUMENT les magasins de souvenirs et les attractions pour les touristesNATIONALE : il est ainsi possible, moyennant finances, de se faire prendre en photo avec un faux soldat américain ou soviétique, voire même de faire tamponner son passeport du sceau de la RDA. L’épaisseur historique du site est donc assez largement occultée par le folklore de l’attraction ECOLEtouristique. Au-delà de cette perte de sens, on peut également relever le traitement différencié des deux postes de contrôle (allié et soviétique), l’un ayant acquis le statut d’icône, alors que l’autre a été complètement effacé.

74. Benyahia-Koudier Odile, « Checkpoint Charlie, qui va là ? », Libération, Paris, 27 juillet 2004 75. Oudin, Georges, 2000, p. 563 76. Benyahia-Koudier, op. cit. 77. Oudin, Georges, 2000, p. 563 78. Voir : http://www.alliiertenmuseum.de/ausstellungen/dauerausstellung/highlights.html (consulté le 18/08/2014) 79. Brennberger Iris, « Der Checkpoint Charlie kommt wieder : Am Sonntag wird der Nachbau eines Kontrollhaüschens enthüllt », Berliner Zeitung, Berlin, 12 août 2000 80. Ce poste ne correspond donc pas à celui exposé au Musée des Alliés ; il avait en effet été remplacé et agrandi à plusieurs reprises Les « Ampelmännchen », symboles de l’Ostalgie

Un autre exemple, peut-être plus anecdotique, de surexposition et « d’icônisation » est celui des Ampelmännchen de Berlin-Est, les bonhommes des feux de signalisation. Ces personnages incarnent l’Ostalgie81éprouvée par certains anciens Allemands de l’Est face à la disparition de leur mode de vie, qui se traduit par une idéalisation des pratiques et du modèle social disparus, ainsi que par la recherche de produits de consommation « made in GDR »82.

Les Ampelmännchen, dessinés par le psychologue des transports Karl Peglau en 1961 et progressivement déployés à Berlin-Est à partir de 196983, étaient déjà un symbole de la culture populaire est-allemande du temps de la RDA, du fait de leur forme particulière bien sûr, mais aussi grâce à leur déclinaison en dessin animé à la télévision. Dans un but d’unificationNANTES et de simplification, ils commencent à être remplacés par DEdes feux de circulations occidentaux lors de la réunification84. Devant les vives protestations85 que suscite cette substitution, le projet est pourtant rapidement abandonné, et en 1997 se produit un renversement de (fig. 34)C’est vert, 2012 D'AUTEUR situation : jugés plus lisibles (et sans doute aussi plus attachants), D'ARCHITECTUREles Ampelmännchen colonisent désormaisDROIT Berlin-Ouest ! Ils ont AUdepuis été adaptés à la modernité, et apparaissent parfois en version féminine, ou conduisant une bicyclette. SOUMIS SUPERIEURE Ils connaissent par ailleurs une destinée commerciale et touristique assez inattendue. En 1995, un Allemand de l’Ouest, (fig. 35) Un magasin Ampelmann Markus Heckhausen, a l’idée de collecter les feux démontés pour les transformer en lampes86. L’initiative connaîtDOCUMENT un grand succès et conduit, un an plus tard, à la création de NATIONALEla Ampelmann GmbH. L’entreprise fabrique depuis toutes sortes d’objets à l’effigie des petits bonshommes verts et rouges, qu’elle commercialise dans six boutiques, toutes situées à des adresses prestigieuses87. Grâce à cette réussite commerciale, l’Ampelmann est devenu un symbole ECOLE incontournable de Berlin, au même titre que l’ours ou la porte de Brandebourg88.

81. Expression formée à partir des mots « Ost » (Est) et « Nostalgie », pour désigner la nostalgie éprouvée par certains anciens Allemands de l’Est, face à la disparition de leur pays. 82. Certains films célèbres, commeGood Bye Lenin! de Wolfgang Becker (2003) ou Sonnenalle de Leander Haußmann (1999) sont emblématiques de ce phénomène 83. Gödecke Christian, « Ampelmännchen aus aller Welt, auf mein Zeichen: los! », Der Spiegel, Hambourg, 4 octobre 2011 84. Combe, Dufrêne, Robin, 2009, p. 102 85. Un comité, « Rettet die Ampelmännchen », Sauvez les Ampelmännchen, est même fondé à l’occasion 86. Gödecke, op. cit. 87. Voir : http://ampelmann.de/html/shops.html (consulté le 18/08/2014) 88. Combe, Dufrêne, Robin, 2009, p. 102 Ce succès peut être vu comme une revanche des Allemands de l’Est face aux velléités d’effacement de leur mode de vie et de leurs valeurs (cf. point suivant et III.A.3), d’autant qu’ils sont assez caractéristique de l’audience, notamment commerciale, que rencontre l’Ostalgie, non seulement chez les Allemands de l’Est, mais aussi auprès des touristes et de certains Allemands de l’Ouest. En accédant à ce statut de symbole, les Ampelmännchen perdent néanmoins une part de leur spécificité et de leur signification historique, puisque l’on peut désormais les trouver indifféremment à l’Est comme à l’Ouest, sur un T-Shirt comme sur un briquet.

II.B.4/ Effacement

L’instrumentalisation des traces peut aussi passer par leur effacement. Cette démarche vise la plupart du temps à faire disparaître de l’espace urbain les événements auxquels elles renvoient. Le terme ainsi est utilisé par l’exposition Berlin, l’effacement des traces : 1989-2009, qui s’est tenueNANTES entre octobre et décembre 2009 à l’Hôtel des Invalides à Paris, pour mettreDE en évidence la volonté de supprimer les références à la RDA dans la ville.

On peut assimiler l’effacement à un abus d’oubli, au sens de Ricœur, qui exprime une mémoire empêchée, s’il est le signe d’un refoulement, ou une mémoire manipulée, s’il procède d’une sélection visant à instrumentaliser le récit (cf. II.A.2). Gabi-Dolff-Bonekämper note ainsi le caractère souvent polémique de la démarche, expliquantD'AUTEUR que, lors de l’ouverture du Mur, on avait dans un premier temps reproché aux « gens des monuments historiques » de freiner sa destruction, avant de les accuser du contraire et de les pousserD'ARCHITECTURE àDROIT en reconstituer certains fragments89 49 AU Outre le cas du Mur (cf. II.B.6), l’effacement a concerné à Berlin aussi bien des traces à fort caractère symbolique que des bâtiments « anonymes », dont la préservation a été considérée comme inutile (et qui se sont donc vu nier leur statut de trace). SOUMISLes accès au Führerbunker, ont ainsi été détruits par les soviétiquesSUPERIEURE presque immédiatement après la prise de la ville, pour éviter qu’il ne serve de sanctuaire à la mémoire d’Hitler. Ce fut aussi le cas, après des débats acharnés, du Palais de la République, sur lequel nous reviendrons plus tard (cf. IV). Mais l’effacement a aussi concerné le paysage symbolique. DOCUMENT NATIONALE La toponymie

Le nom des rue joue un rôle particulier dans notre perception de la ECOLEville, comme le rappelle Julien Gracq dans La Forme d’une ville : « C’est la toponymie, ordonnée comme une litanie, ce sont les enchaînements sonores auxquels procède à partir d’elle la mémoire, qui dessinent sans doute le plus expressivement sur notre écran intérieur l’idée que nous nous faisons, loin d’elle, d’une ville90 ». Il n’est donc pas vraiment étonnant que la toponymie soit un lieu de mémoire particulièrement disputé à Berlin.

Le texte urbain de la ville prussienne est marqué91 par la célébration des victoires militaires et de leurs acteurs (Lothringenstraße ou Bismarkstraße par exemple), ainsi que par les références à la famille

89. Dolff-Bonekämper, 1999, p. 364 90. Gracq, 1985, p. 204 91. Chauliac Marina, « Le nom des rues à Berlin-Est, palimpseste de l’histoire de la RDA », La nouvelle Alternative, vol. 20, n°66-67, Paris, octobre-décembre 2005 royale, liées notamment à leur rôle de bâtisseur. La République de Weimar n’intervient que modérément sur le nom des rues, se contentant d’en dédier un petit nombre aux grands hommes du nouveau régime, à l’image de Friedrich Ebert.

La première réécriture à grande échelle de la toponymie berlinoise a lieu lors de la Gleichschaltung (mise au pas) de la société par les nazis92 : 121 rues sont alors rebaptisées. Les noms liés à la République sont systématiquement effacés, et on célèbre à la place les héros et les martyrs du régime (Hitler bien sûr, mais aussi Herman Göring ou encore Horst Wessel).

En 1945, la dénazification provoque le premier vrai débat idéologique sur le nom des rues93: à ceux qui veulent revenir au texte urbain d’avant- guerre, en supprimant seulement les références explicites au régime déchu, s’oppose une vision plus radicale, promue par les socio-démocrates et les communistes, qui entend supprimer également les références à la tradition militaire prussienne, tenue pour responsable d’avoir conduitNANTES la société allemande au nazisme, pour les remplacer par les noms de résistants antifascistes, de défenseurs d’un ordre social plus juste,DE et plus généralement de ceux qui ont joué un rôle progressiste dans la culture allemande. Si 1795 changements sont proposés (ce qui représente près de 20% des 9.000 rues berlinoises), seulement 291 rues sont effectivement rebaptisées entre 1945 et 1946, ce qui dépasse néanmoins le simple retour à la situation d’avant 1933. D'AUTEUR Avec la mise en place de la Guerre Froide, les choix opérés dans les deux moitiés de la ville divergent progressivement : alors que le rythme des changements diminue rapidement à l’Ouest, la RDA poursuivra, tout au long de son existence, une politiqueD'ARCHITECTURE plusDROIT ambitieuse d’appropriation 50 du texte urbain. Selon Marina Chauliac94, plusieurs types de références marquent ces changements : les pèresAU spirituels du communisme, les pays, les héros et événements forts du mouvement communiste, les victimes du fascisme, la culture humaniste allemande et internationale, puis, de plus en plus, les figures du régime95. SOUMIS Une nouvelle SUPERIEUREmodification d’ampleur a lieu lors de la réunification, uniquement dans le partie Est de la ville96. S’il s’agit officiellement de supprimer les références à la « dictature-SED », Emmanuel Terray remarque que l’effacement s’est aussi parfois étendu au mouvement ouvrier et à la résistance antifasciste, accusés d’avoir lutté contre la démocratieDOCUMENT (Weimar) et d’avoir voulu remplacer une dictature par une NATIONALEautre. Il cite ainsi le rapport de la commission chargée par le Sénat de proposer les changements : « La commission est partie du principe que la deuxième démocratie allemande n’a aucune raison de rendre hommage aux hommes et femmes politiques qui ont coopéré à la destruction de ECOLE la première démocratie. La même chose vaut pour les hommes et les femmes politiques qui, après 1933, ont combattu une dictature totalitaire, celle des national-socialistes, pour la remplacer par une autre dictature totalitaire, celle des communistes97 ».

Certains de ces changements provoquent des réactions importantes de

92. Robin, 2001, p. 201 93. Chauliac, 2005, p. 41 94. Marina Chauliac est une anthropologue française, chercheuse au Centre Edgar-Morin de l’EHESS et au Centre Marc-Bloch de Berlin. Elle a réalisé son DEA sur l’évolution de la toponymie à Berlin, et travaille notamment sur le phénomène de nostalgie de la RDA 95. Voir Chauliac, 2005, pp. 45-54 96. Robin, in Combe, Dufrêne, Robin, 2009, p. 31 97. Terray, 1996, p. 91 la part des habitants98 : des groupes de citoyens se forment ainsi pour défendre, sans succès, Clara Zetkin (militante féministe et spartakiste, députée pendant la République de Weimar), ou encore Lénine. Si les modifications doivent normalement être entérinées par les maires arrondissements, qui refusent les plus polémiques, le sénateur chargé des Transports, Hewig Haase, à qui revient la décision finale, passera systématiquement outre, considérant que les habitants et les administrations de l’Est ne pouvaient être objectifs après 40 ans de propagande.99

L’effacement se révèle donc ici plus complexe qu’une simple volonté de prise de distance avec le passé indésirable : à toutes les époques, la modification du texte urbain se révèle ainsi être un moyen privilégié d’expression de l’idéologie, d’autant qu’il touche fortement les habitants.

La statue de Lénine

Autre élément important du paysage symbolique, les statues ontNANTES également été l’objet de réévaluations lors des changements de régime.DE Si leur sort a bien souvent aussi consisté à un effacement, celui-ci s’est parfois manifesté de manière plus détournée, caractérisée en premier lieu par la disparition de la valeur symbolique du monument : « Il y eut de vraies destructions, mais aussi des formes plus subtiles d’effacement, de dérision, “d’ironisation”, de mise à l’écart sans destruction. Il y eut les badigeonnages, les slogans, les travestissements, détournementsD'AUTEUR des slogans rituels, des jeux de mots assassins. Il y eut aussi les statues et monuments laissés à l’abandon, livrés aux graffitis, aux intempéries, à la végétation. La plupart du temps, les statues sont remplacées par d’autres, la nature symboliqueD'ARCHITECTURE DROITet la mémoire ayant horreur du vide. Aux multiples Lénine, on préfèrera des Pierre le Grand,AU en attendant les contrecoups et retours de balanciers de l’histoire100 ».

De nombreuses statues ontSOUMIS néanmoins été effectivement détruites,SUPERIEURE à l’image de celle de Lénine, qui trônait sur la place du même nom à Friedrichshain, et dont Régine Robin prend l’exemple101 dans Berlin Chantiers. monumentale de 19 mètres de haut, due à l’artiste russe Nikolai DOCUMENTTomski, elle avait été inaugurée en avril NATIONALE1970 à l’occasion du 100e anniversaire de la naissance de Lénine, et servait de point central à la composition de la nouvelle Leninplatz (voir II.C.1). Elle ne résistera pas longtemps à la chute ECOLEde la RDA. (fig. 36)Lénine, rhabillé par Wodiczko, 1990 Si sa force symbolique est, en 1990102, utilisée par Krystof Wodiczko, qui l’habille d’un T-Shirt et l’affuble d’un caddie de supermarché, « sans doute pour fêter ironiquement le passage du monumentalisme idéologique, qui avait fait faillite, à la société de consommation appelée, elle, à un

98. Chauliac, 2005, p. 59 99. Robin, 2001, p. 211 100. Robin, in Combe, Dufrêne, Robin, 2009, p. 32 101. Robin, 2001, pp. 217-222 102. L’œuvre a été réalisée dans le cadre de l’exposition Die Endlichkeit der Freiheit (Les limites de la liberté), qui s’est tenue à Berlin en septembre 1990. Onze artistes internationaux étaient invités à réagir à l’événement de la chute du Mur, en réalisant dans la ville une œuvre pérenne ou temporaire. Voir : http://www.cultd.net/endlichkeit/ (consulté le 29/05/2014) brillant avenir103 », elle est à cette époque déjà menacée de destruction. Avec une très large majorité, la représentation municipale a ainsi voté sa suppression, au nom des dégâts provoqués par le marxisme-léninisme mais aussi car ni lui ni le sculpteur n’étaient Allemands. Mais cette décision provoque d’importantes protestations, à l’Est comme à l’Ouest. Trois principaux arguments sont déployés pour sauver la statue : le rôle joué par le communisme dans l’histoire du pays, importance de la statue dans la composition urbaine de la place, et la nécessité de conserver certains exemples du réalisme-socialiste dans le cadre originel.

Finalement, la statue est malgré tout démantelée par tronçons à partir de novembre 1991, puis enterrée dans la forêt de Köpenick, au sud-est de la ville. Par provocation, le PDS104 et les Verts demandent alors, sans effet, la destruction de la Siegesäule (la colonne de la Victoire), monument emblématique de Berlin105 célébrant les victoires prussiennes du XIXe siècle, et déplacé par Hitler au centre du Tiergarten. La statue de Lénine est pour sa part remplacée par une composition de roches venant de chaque continent, et qui, comme le note Gabi Dolff-Bonekämper,NANTES ne fait pas l’unanimité : « Aujourd’hui, après le remplacement de la haute statue, élément central d’une grande composition urbanistique,DE par un assemblage peu élevé de rochers de couleurs et de provenances diverses, qui symbolise les Nations-Unies — dont la place porte désormais le nom —, on s’aperçoit qu’on n’a pas gagné grand-choseD'AUTEUR au change106 ».

Comme pour la toponymie, le rôle joué par l’idéologie dans D'ARCHITECTUREl’effacementDROIT des statues est 52 indéniable. Ces deux exemples AUmontrent aussi, par les vives réactions qu’ils ont entraînées, (fig. 37)Le monument des Nations-Unies, 2013 l’importance du paysage symbolique dans les esprits. Cette dimension polémique de l’effacement se manifeste également lorsqueSOUMIS les traces menacées sont des bâtiments, comme nous le verronsSUPERIEURE avec le Palais de la République (cf. IV).

II.B.5/ (Re)construction DOCUMENT NATIONALEA l’inverse des démarches évoquées jusqu’ici, qui concernaient toutes des traces physiquement visibles, l’intervention consiste parfois à matérialiser dans l’espace urbain des éléments jugés indispensables pour raconter l’histoire de la ville, et qui pourtant n’y sont pas ou ECOLE plus perceptibles : il peut s’agir d’événements marquants auxquels ne correspondent pas de traces directement identifiables, ou alors de traces détruites ou endommagées. Pour pallier l’absence, on cherche donc parfois à construire un signe qui rappelle l’événement invisible ou à reconstituer la trace disparue. Dans les deux cas, l’objectif est de faire correspondre une forme au souvenir, et ainsi de marquer l’espace urbain de la mémoire en question.

103. Robin, 2001, p. 218 104. Parti du Socialisme Démocratique, issu du SED Est-Allemand. Il fait aujourd’hui partie de Die Linke. 105. Voir notamment Les Ailes du Désir, de Wim Wenders 106. Dolff-Bonekämper, in Debray, 1997, p. 368 Mémoriaux : l’exemple de la mémoire des crimes nazis

La matérialisation intentionnelle de la mémoire est une dynamique importante à Berlin. Elle répond en particulier à la nécessité du devoir de mémoire (cf. II.A.2) face aux crimes du XXe siècle, qui, malgré leur violence, ne se traduisent pas forcément de manière explicite dans le paysage, alors même que le lieu est un support important de la mémoire (cf. I.C.2). Si les nombreux mémoriaux berlinois renvoient dans leur très grande majorité à des actes commis par les deux régimes totalitaires, chacun présente cependant des particularités, liées au contexte de sa mise en place, à ses dimensions, ou encore à sa destination précise.

Certains font ainsi référence à des événements ponctuels et NANTES précis, à l’image de la versunkene Bibliothek107 (la bibliothèque DE (fig. 38)La bibliothèque engloutie, 2010 engloutie), inaugurée en 1995108 sur la Bebelplatz (en face de la bibliothèque de l’Université), en mémoire de l’autodafé du 10 mai 1933. Le monument, réalisé par l’artiste israélienne Micha Ullman, se présente sous la forme d’une petite ouverture vitrée dans le sol de la place. La nuit, elle permet de voir une pièce close, munie seulement d’étagères vides symbolisant la perte engendréeD'AUTEUR par l’autodafé, à l’endroit même où il a eu lieu.

D’autres au contraire s’attachent à commémorerD'ARCHITECTURE les victimes de politiques qui se sont manifestées de manière plusDROIT généralisée, du point de 53 vue spatial comme temporel. C’est notammentAU le cas des trois mémoriaux aux victimes de l’extermination. Regroupés dans un espace allant de la porte de Brandebourg à la Potsdamer Platz, ils ont tous les trois vu le jour ces dix dernières années : le « Mémorial aux Juifs assassinés d’Europe109 » a ainsi été inauguré en 2005, celui aux « homosexuels poursuivis sous le SOUMIS national-socialisme » SUPERIEUREen 2008 et aux « Sintis et Roms d’Europe assassinés sous le national-socialisme » en 2012. Comme les faits qu’ils dénoncent sont généralisés, leur localisation relève d’un choix : dans le cas présent, la disponibilité de terrains de grande taille consécutive à la chute du Mur, ainsi que leur position centrale dans la ville réunifiée, semblent avoir joué un rôle important110. ContrairementDOCUMENT à ce que pourraient laisser penser les dates, Régine RobinNATIONALE explique que le développement exponentiel des mémoriaux ces vingt dernières années n’a pas de corrélation directe avec la chute du Mur, mais correspond plutôt au temps nécessaire à la maturation du travail de mémoire. Dans une conférence111 donnée le lendemain de l’inauguration ECOLEdu mémorial aux Juifs assassinés, elle retrace ainsi les longues années de débats et de confrontation nécessaires à l’émergence d’un tel lieu, portant dans un premier temps sur la pertinence ou non de la construction d’un mémorial, puis sur la forme qu’il devait prendre. En dehors du refus exprimé par certains de la « repentance permanente », beaucoup

107. Officiellement, « Denkmal zur Erinnerung an die Bücherverbrennung », monument en souvenir de l’autodafé 108. Haubrich Rainer, Hoffmann Hans Wolfgang, Meuser Philipp, van Uffelen Chris, Berlin, der Architekturführer, Salenstein (Suisse) : Braun Publishing, 2011, p. 19 109. Denkmal für die ermordeten Juden Europas ; Denkmal für die im Nationalsozialismus verfolgten Homosexuellen ; Denkmal für die im Nationalsozialismus ermordeten Sinti und Roma Europas 110. Robin, 2003, p. 379 111. Conférence donnée le 11 mai 2005, dans le cadre d’un séminaire virtuel de l’EHESS ayant pour titre « Les lieux de mémoire : histoire et mémoire ». La vidéo est disponible à l’adresse suivante : http://vimeo.com/22364285 (consulté le 12/02/2013) craignaient en effet que la mémoire faiblisse une fois que le projet aurait été mené à son terme et que les débats d’occuperaient plus le devant de la scène, ou encore que le mémorial devienne une cible privilégiée d’actes antisémites. Un autre élément récurrent des discussions était l’absence de lien spécifique entre le lieu choisi et l’événement commémoré : un des très nombreux projets proposés112 prévoyait par exemple de faire du site un terminal d’autobus, lesquels mèneraient dans les lieux liés à la Shoah : camps de concentration, gare de Grunewald (d’où partaient les convois), villa de Wannsee (où a été décidée la Solution Finale).

Le mémorial a finalement été (fig. 39)Le mémorial d’Eisenmann, 2008 réalisé par Peter Eisenman.NANTES Il est constitué d’un quadrillage de 2711 stèles113 de béton DEde hauteur inégale, disposées sur un sol irrégulier. L’espace entre deux stèles est insuffisant pour marcher à deux de front. Cette disposition est selon l’auteur114 un moyen d’évoquer laD'AUTEUR désorientation et la solitude. Au sous-sol se trouve un espace de documentation et d’information. La réalisation D'ARCHITECTUREdu DROITmémorial est concomitante (fig. 40) Vue depuis l’intérieur, 2013 à deux autres grands projets commémoratifs : le musée Juif de DanielAU Liebeskind, inauguré en 2001, qui retrace de manière plus large l’histoire de la présence des Juifs en Allemagne, et Topographie des Terrors115, sur les ruines du siège de la Gestapo. SOUMIS La grande diversitéSUPERIEURE des mémoriaux présents à Berlin, au delà des quelques cas que nous venons d’évoquer, met en évidence l’existence de différentes manières d’inscrire la mémoire a posteriori dans la ville, en terme de dimension notamment, mais aussi de rapport avec le lieu dans lequel la construction s’implante. DOCUMENT NATIONALE Reconstruction : l’exemple du Nikolaiviertel

La seconde possibilité de création de traces consiste en la reconstruction ECOLE d’édifices disparus. Cette démarche concerne à Berlin, dans la plupart des cas, des bâtiments détruits lors de la Seconde Guerre Mondiale. Si le phénomène de reconstruction n’est pas spécifique à la capitale allemande, il prend ici souvent une dimension particulière : pour plusieurs raisons, principalement liées à la mise en place de la Guerre Froide, peu de reconstructions ont été entreprises directement à la fin

112. 528 propositions ont été présentées au premier concours en 1995. Le projet évoqué ici est « Bus-Stop. The non-monument » de Renata Stih et Frieder Schnock 113. Haubrich, Hoffmann, Meuser, van Uffelen, 2011, p. 311 114. Voir la description du projet sur le site de l’architecte : http://www.eisenmanarchitects. com (consulté le 14/07/2014) 115. Ce second projet devait à l’origine être un grand musée sur la Gestapo et les SS, qui aurait dû être construit par Peter Zumthor, mais par manque de moyens financiers, il se limite aujourd’hui essentiellement à une exposition extérieure, affichée sur un fragment restant du Mur, ainsi qu’à un espace de documentation. de la Guerre (à l’exception notable du château de Charlottenburg, à l’Ouest, reconstruit dès les années 1950). Aux questions habituelles que soulève cette démarche s’ajoute donc ici celle du temps : le retour à un antérieur est-il encore possible alors même que le site a eu une histoire depuis la destruction, que l’édifice ne fait plus partie du paysage depuis longtemps ? La manifestation la plus frappante de ces questionnements est sans doute la reconstruction du Château des Hohenzollern, sur laquelle nous reviendrons plus loin. Ce projet est cependant loin d’être un cas isolé, comme en témoignent la reconstruction de l’hôtel Adlon sur la Parsier Platz (entre 1995 et 1997) ou encore celle de la Bauakademie de Shinkel (en projet).

Comme dans les autres cas d’intervention sur les traces, la dimension politico-symbolique joue ici un rôle important. La reconstruction du Nikolaiviertel par les autorités de la RDA, à l’occasion du 750e anniversaire de la ville en 1987, en est une illustration intéressante. Ces quelques rues autour de l’église Saint-Nicolas correspondent à l’implantation originelle de Berlin au XIIIe siècle (cf. I.A). Presque entièrement détruites par lesNANTES bombardements, elles sont laissées plus ou moins à l’abandon jusque dans les années 1960116, quand se pose la question de la constructionDE du cœur de la capitale du nouvel Etat.

Le projet de réurbanisation du quartier a dans un premier temps comme seul objectif la prolongation du Rathaus Passage117, une galerie commerciale située de l’autre côté de l’Hôtel de Ville, sans volonté historicisante particulière. Le D'AUTEUR recours à des formes historiques s’installe progressivement pour deux raisons principales118, l’une économique et l’autre politique. Il D'ARCHITECTUREDROIT s’agit en effet en premier lieu de renforcer l’attractivité touristique AU de Berlin-Est, notamment à destination des touristes occidentaux, dans un contexte de difficultés économiques.SOUMIS Mais la reconstructionSUPERIEURE du Berlin “originel” est également vue (fig. 41)La place Saint-Nicolas, 1936 comme un moyen d’ancrer la RDA dans l’histoire allemande pour légitimer son existence, dans la perspective desDOCUMENT célébrations du 750e anniversaireNATIONALE de la ville.

Le concours organisé en 1979 stipule donc que les propositions ECOLEdevront préserver et restaurer les quelques édifices existants, ainsi que reconstruire certains bâtiments emblématiques du quartier, tout en proposant un (fig. 42) Le quartier détruit, 1973 système permettant de « préserver la structure urbaine du quartier d’origine119». Le projet lauréat, de l’architecte Günter Stahl, consiste à combler les interstices entres les bâtiments existants ou reconstruits par des constructions préfabriquées en béton

116. Urban Florian, The Invention of the historic city, Building the past in East-Berlin, 1970- 1990, Thèse en philosophie et urbanisme sous la direction de Uwe-Jens Walther, Berlin : Technische Üniversität, 2006, p. 283 117. Haubrich, Hoffmann, Meuser, van Uffelen, 2011, p. 226 118. Urban, 2006, p. 291 119. Urban, 2006, p. 297 (Plattenbauten), dont la façade est une réinterprétation des motifs de la ville “traditionnelle” (pignons pointus et arcades voutées notamment). Cette association de formes anciennes et d’une technique moderne de construction créée un contraste particulier, sans doute accentué par la finition cannelée du béton, caractéristique de la construction en série est-allemande.

L’opération se rapproche donc ici davantage du pastiche que d’une véritable reconstruction à l’identique (ce que l’architecte comme les autorités n’ont de toutes façons jamais revendiqué). Elle pose tout de même la question du rapport entre reconstruction et vérité historique. Si, dans le cas présent, beaucoup de libertés ont été prises, il est en effet difficile de reproduire l’authenticité, même quand le résultat est extrêmement fidèle à l’original. On peut donc se demander si les édificesNANTES reconstruits ne sont pas davantage des témoignages de DEl’époque à laquelle ils ont effectivement été réalisés que des traces du passé qu’ils cherchent à reproduire. (fig. 43)Le cœur “médiéval” de Berlin, 2013

II.B.6/ Le cas du Mur D'AUTEUR

Face à des traces complexes, plusieurs approches peuvent se combiner. Le Mur, du fait de ses dimensions etD'ARCHITECTURE de sesDROIT répercussions sur l’histoire et 56 la physionomie de la ville en est un bon exemple : on y retrouve, dans des proportions variables, l’ensembleAU des situations que nous venons d’évoquer. A l’image des autres exemples de patrimoine inévitable, son traitement est marqué par la double-nécessité de refermer la blessure (qui consiste dans le cas présent à “recoller” les deux moitiés de la villes) sans pour autant oublierSOUMIS120. Mais il est intéressant de noter qu’il est devenu, à l’instantSUPERIEURE même de sa chute, un objet de fascination et un aimant touristique, comme en témoignent121 la vente de fragments “certifiés authentiques” ou le fait que toute l’Europe se soit pressée à Berlin en novembre 1989.

Que faire du mur ? Plusieurs possibilités ont été évoquées, allant de sa DOCUMENT NATIONALEdisparition totale à la création d’un parc linéaire sur l’ensemble de son emprise. Finalement, certains tronçons ont été conservés, et une double rangée de pavés marque le tracé du mur “extérieur”, c’est-à-dire côté Berlin-Ouest. En outre, un parcours balisé, le Mauerweg (chemin du Mur), ECOLE réalisé entre 2002 et 2006122, permet de faire le tour de l’enclave occidentale, en suivant au plus près le tracé de la frontière. Cette ambivalence entre blessure et icône est aujourd’hui illustrée par les deux principaux lieux dans lesquels de larges portions du Mur ont été conservées, et qui font mémoire de sa présence dans la ville : la Gedenkstätte Berliner Mauer de la Bernauer Straße, et la East Side Gallery, à Friedrichshain.

Le premier des deux sites est le mémorial officiel du Mur, « en souvenir de la partition de la ville du 13 août 1961 au 9 novembre 1989 et à la mémoire des victimes de la tyrannie communiste123 ». Inauguré le 13 août

120. Dolff-Bonekämper, in Debray, 1999, p. 364 121. Szambien, 2003, p. 54 122. http://www.berlin.de/mauer/mauerweg/index/index.de.php (consulté le 17/02/2014) 123. « In Erinnerung an die Teilung der Stadt vom 13.08.61 bis 09.11.89 und zum Gedenken an die Opfer kommunistischer Gewaltherrschaft », dédicace inscrite sur le mémorial 1998, il est constitué d’une portion de mur restaurée de 70 mètres de long124, fermée de part et d’autre par deux grandes plaques en acier corten. De l’autre côté de la rue, un centre de documentation présente des expositions sur la division de la ville, et une tour d’observation permet de voir les différents dispositifs de sécurité qui composaient le Mur. Cette installation s’accompagne, (fig. 44)Le mémorial du Mur, 2013 depuis 2009, de la mise en place progressive d’une exposition en plein air intégrant des fragments du Mur et diverses installations muséographiques, à la mémoire des victimes (portrait des 136 personnes tuées à cause du Mur, témoignages de survivants, de soldats…) mais aussi des destructions provoquées par sa construction (celle de l’église Sainte-Elisabeth notamment). La situationNANTES particulière de la Bernauer Straße est également commémorée. La frontière passait en effet au niveau des façades du côté sud de laDE rue : si les bâtiments et leurs habitants étaient situés à l’Est, le trottoir devant leur porte était à l’Ouest. Les rez-de-chaussée ont donc rapidement été murés par les autorités, mais de nombreuses évasions ont eu lieu depuis les étages, avant la destruction des maisons lors de la modernisation du Mur dans les années 1970125. Les fondations de ces maisons ont été déblayées et font partie intégrante du mémorial. D'AUTEUR

L’autre facette de la mémoire du Mur prend corps dans la East Side Gallery, une portion de 1,3 km de long bordant la Spree. Ce fragment du mur est le support du travail iconographiqueD'ARCHITECTUREDROIT de 118 artistes internationaux126, réalisé dès 1990, pour célébrer la fin de la division de la 57 ville. Revendiquant le titre de « plus grandeAU galerie d’art en plein air du monde127 », elle a été classée monument historique un an seulement après son inauguration. Devenue l’un des lieux les plus visités à Berlin, ses peintures les plus célèbres,SOUMIS comme le baiser entreSUPERIEURE Honecker et Brejnev de Dimitri Vrubel ou la Trabant traversant le Mur de Birgit Kinder, sont déclinés à l’infini dans les magasins de souvenirs, au côté des fragmentsDOCUMENT “certifiés” que l’on évoquaitNATIONALE plus haut.

Les différentes modalités d’intervention sur le Mur illustrent (fig. 45) Le baiser de Brejnev et Honecker, East- ECOLEbien la diversité des approches Side-Gallery, 2008 possibles face aux traces du passé, entre prise de distance et surexposition, effacement et reconstruction. Deux logiques principales semblent pourtant se dégager des différents exemples que nous venons d’évoquer : on cherche, d’un côté, à maîtriser les traces « inévitables », et de l’autre à inscrire dans la ville et dans le récit de traces qui n’y sont pas visibles.

124. http://www.berliner-mauer-gedenkstaette.de/de/monument-212.html (consulté le 17/02/2014) 125. http://www.berliner-mauer-gedenkstaette.de/de/der-historische-ort-11.html (consulté le 17/02/2014) 126. http://www.eastsidegallery-berlin.de (consulté le 19/02/2014) 127. Szambien, 2003, p. 55 II.C LA VILLE COMME TRACE ?

Nous avons jusqu’à maintenant abordé la question des traces sous l’angle d’exemples spécifiques, d’édifices individuels. Le tissu urbain dans son ensemble constitue pourtant également un témoignage et un support de l’histoire de la ville, en tant résultat de choix et d’événements passés, ainsi que de cadre de la vie du groupe. La question du rapport entre le pouvoir politique et la ville existante mérite donc d’être posée.

Dans L’Allégorie du patrimoine, Françoise Choay retrace ainsi la naissance de la notion de patrimoine urbain en Europe, qui correspond à la prise en considération de la ville existante dans la planification : « Que l’urbanisme s’attache à détruire les ensembles urbains anciens ou qu’il tente de les préserver, c’est bien en devenant un obstacle au déploiement de nouvelles modalités d’organisation de l’espace urbain queNANTES les 128 formations anciennes ont acquis leur identité conceptuelle ».DE Le concept naît selon elle dans trois approches successives de la ville ancienne : une figure mémoriale d’abord, promue par John Ruskin, qui considère la ville entière comme un monument historique intangible, qu’il faudrait continuer à habiter à la manière des Anciens ; une figure historique ensuite, théorisée par Camillo Sitte, qui assume la ville moderne mais considère la ville ancienne comme une source d’enseignement, qui doit donc être préservée comme une œuvre d’art ; la figureD'AUTEURhistoriale enfin, qui dépasse, avec Gustavo Giovannoni, les deux visions précédentes, et « accorde simultanément une valeur d’usage et une valeur historique aux ensembles urbains anciens, enD'ARCHITECTURE les intégrantDROIT dans une conception 58 générale de l’aménagement territorial129 ». AU A Berlin, cette prise en compte semble être marquée, de manière structurelle, par une ambition de « corriger la ville130 », considérée de manière quasi-systématique comme inadaptée aux enjeux et valeurs du présent. Après avoir analysé,SOUMIS à travers plusieurs exemples, l’évolution des stratégies d’interventionSUPERIEURE sur la ville existante au XXe siècle, nous tenterons donc de déterminer comment le tissu urbain est appréhendé depuis la réunification, dans le cadre de la constitution du récit de la ville réunifiée.

DOCUMENT NATIONALE II.C.1/ L’évolution du rapport au patrimoine urbain

ECOLE Prémisses (1860-1933) : le percement de la Kaiser-Wilhelm-Straße

Comme le reste de l’Europe, Berlin est marqué à la fin du XIXème siècle par une industrialisation rapide, qui entraîne un afflux important de population (exode rural et immigration en provenance de l’Est de l’Europe) et se traduit une forte croissance urbaine et le développement d’une nouvelle typologie d’habitat, les Mietskasernen (immeubles de rapport), que nous avons déjà évoquées. Si, en 1862, l’élaboration du plan Hobrecht permet d’organiser l’extension de la ville, cette période est également l’occasion de la première intervention d’ampleur sur le tissu urbain existant : le percement de la Kaiser-Wilhelm-Straße. Ce projet,

128. Choay, 1992, p. 134 129. Choay, 1992, p. 145 130. Grésillon, Kohler, 2001, p. 3 NANTES DE

(fig. 46) Le projet de August Orth, 1871 (fond de plan : 1860)

qui prend place dans un contexte de réaménagement des grandes villes européennes, consiste au percement dans le tissu médiéval d’une rue de « représentation » prolongeant à l’Est l’avenue Unter D'AUTEURden Linden, sur l’autre rive de la Spree. Bien qu’elle soit loin de l’ampleur des percements réalisés à Paris à la même époque, cette intervention revêt pour Berlin une importance particulière, dans la mesure où elle constitue un premier exemple d’opération visant à améliorer D'ARCHITECTUREle fonctionnementDROIT de la ville existante131. 59 AU Comme à Paris, la volonté des autorités est double : s’il s’agit en premier lieu de faciliter la circulation, notamment entre l’Est et l’Ouest de la ville, le projet vise égalementSOUMIS à “résoudre” le problème132 de l’insalubritéSUPERIEURE du Scheunenviertel 133, situé à la limite Nord-Est du centre médiéval. Principalement composé de Mietskasernen, le quartier était ainsi devenu le principal point d’arrivée des immigrés juifs venant de l’Est, décrit par Alfred DöblinDOCUMENT dans Berlin Alexanderplatz (1929)NATIONALE ou dans les écrits de Joseph Roth134 comme l’archétype du quartier insalubre et mal famé, marqué par la prostitution et la délinquance.

ECOLELe percement se déroule en deux phases, (fig. 47) Le Scheunenviertel selon d’après les plans de l’architecte August Orth, Heinrich Zille, 1908

131. Elle a, à ce titre été analysée à l’occasion de l’IBA de 1984 à Berlin-Ouest, dans le cadre d’une étude dirigée par Hans Stimmann et portant sur les différents « processus d’assainissement et de destruction préalables et parallèles à l’IBA ». Les informations non référencées de ce paragraphe sont tirées de cet ouvrage – Voir : Atzen Rainer, Becker Heidede, Bodenschatz Harald, Claussen Hans, Radicke Dieter, Stimmann Hans, Taeger Monika, Stadterneuerung in Berlin, Sanierung und Zerstörung vor und neben der IBA, Berlin : Ästhetik und Kommunikation, 1984 132. Radicke Dieter, « La rénovation de Berlin de 1871 à 1929, La percée de la Kaiser-Wilhelm- Straße », in Collectif, La Ville, art et architecture en Europe 1870-1993, Paris : Editions du Centre Pompidou, 1993, p. 306 133. Le « quartier des granges » doit son nom aux constructions adossées au mur de la ville par les agriculteurs des environs. 134. Voir par exemple A Berlin, recueil d’articles qu’il a publiés dans différents journaux allemands pendant l’entre-deux-guerres : Roth Joseph, A Berlin, Paris : Les Belles Lettres, 2013 réalisés en 1871. La première section consiste à la réalisation d’un franchissement de la Spree au nord du Château et au percement dans son prolongement d’une voie allant jusqu’aux anciens murs de la ville, nécessitant pour cela l’élargissement de rue existantes et le percement de trois îlots. La viabilité économique de l’opération est assurée par la construction et la vente de nouveaux bâtiments de part et d’autre de la rue, qui accueillent principalement des grands magasins. La nouvelle rue est inaugurée en 1882, tandis que les travaux du pont s’achèvent deux ans plus tard. La construction des bâtiments est pour sa part ralentie par le krach boursier de 1873, et il faut attendre 1887 pour voir émerger les premières constructions135. La seconde étape du projet, qui concerne le Scheunenviertel en lui-même, est quant-à-elle relancée en 1902 par la ville136, avec l’acquisition progressive des terrains. Les destructions commencent en 1911, chassant une partie importante des habitants à l’extérieur de la ville, mais le projet est fortement ralenti par l’effort de guerre. Seuls le prolongement d’une ligne de métro entre l’Alexanderplatz et le Ring ferroviaire, ainsi que quelques bâtiments de la nouvelle Bülowplatz, dont la Volksbühne137, sont réalisés avant la NANTESguerre. La rénovation se poursuit ensuite jusqu’au milieu des années 1930. A partir de l’accession des nazis au pouvoir, les travaux s’accompagnentDE de représailles envers les juifs et les militants communistes138.

Ce premier exemple d’intervention sur la ville existante montre que le tissu urbain n’est pas encore perçu comme un enjeu patrimonial : en procédant au percement de la Kaiser-Wilhelm-Straße, la municipalité ne prend pas vraiment position par rapport au D'AUTEURpassé sur lequel elle intervient, ses visées se limitent à l’amélioration du fonctionnement de la ville. En d’autres termes, la ville n’a pas encore accédé au statut de trace. D'ARCHITECTUREDROIT 60 Table rase (1933-1945) : AU « Welthauptstadt Germania »

L’arrivée au pouvoir des nazis marque un tournant important dans le rapport entretenu par leSOUMIS pouvoir avec la ville existante. Cette dernière devient ainsi subitementSUPERIEURE le symbole de la médiocrité des époques passées, incompatible avec les ambitions du IIIe Reich. Berlin est en 1933 dans une situation paradoxale, devenant capitale du régime nazi alors qu’elle a été l’un des derniers foyers de résistance à son accession au pouvoir, et que Hitler voit en elle une ville pervertie, qui « est à ses yeux le symbole de la RépubliqueDOCUMENT de Weimar, la ville cosmopolite et enjuivée, dont les élites NATIONALEintellectuelles lui ont toujours été hostiles139 ». La Gleichschaltung (« mise au pas » de la société) y sera donc particulièrement dure140, de même que la volonté de transformer la ville pour qu’elle exprime la puissance et les visées expansionnistes du nouveau pouvoir. ECOLE Le réaménagement de Berlin est confié en 1936 à Albert Speer141, sous la responsabilité directe de Hitler, court-circuitant ainsi les organes

135. Radicke, 1993, p. 306 136. La destruction, en 1891, du Viktoria-Theater, qui était le point d’aboutissement du plan de Orth entraîne la modification du projet et la création d’une place plus à l’Est 137. Le « théâtre du peuple », construit par l’architecte Oskar Kaufmann 138. Le KPD, parti communiste allemand, installe en effet en 1926 son siège sur la Bülowplatz, dans la « Karl-Liebknecht-Haus » (le bâtiment sera ensuite utilisé par les nazis à partir de 1933, puis par le SED. C’est aujourd’hui le siège de Die Linke) 139. Oudin, Georges, 2000, p. 371 140. Terray Emmanuel, « Berlin : mémoires entrecroisées », Terrain, No. 29, pp. 31-42, Paris : Maison des Sciences de l’Homme, 1997, p. 36 141. Schäche Wolfgang, « Le plan d’urbanisme d’Albert Speer pour la capitale du Reich », in Collectif, La Ville, art et architecture en Europe 1870-1993, Paris : Editions du Centre Pompidou, 1993, p. 357 habituels de l’urbanisme. En tant que Generalbauinspektor (inspecteur général des constructions) l’architecte est chargé de faire de Berlin la Welthauptstadt Germania, capitale mondiale à la hauteur du régime. Son projet est formalisé en 1942, avec la publication d’un plan général d’aménagement organisé autour de deux axes monumentaux, qui se croisent approximativement au niveau de la Porte de Brandebourg.

Le projet, prévu pour être réalisé dans un délai de vingt ans142, est marqué par la volonté d’opérer un changement d’échelle complet, notamment dans la partie centrale de l’Axe Nord/Sud, où devaient être regroupés les bâtiments les plus importants du régime. Le comble de cette grandiloquence NANTES est sans doute le « grand dôme » qui devait être construit dans la DE boucle de la Spree : d’une hauteur de près de 300 mètres (sur 300 mètres de côté) il était prévu qu’il puisse accueillir plus de 150.000 personnes en même temps143. Cette recherche systématique D'AUTEUR de démesure est pour Wolfgang Schäche144 le signe que les (fig. 48)Maquette de l’axe Nord/Sud, avec le destinataires du projet ne sont dôme à l’arrière-plan, 1944 plus les habitants mais le régime D'ARCHITECTUREDROIT en lui-même, et que l’objectif du plan de Speer est avant tout formel, en 61 dehors de toute réflexion sur le fonctionnementAU de la ville : « En tant que capitale du Reich, Berlin devait prendre l’allure d’un gigantesque organe central du pouvoir, anticipant sur la guerre expansionniste qui allait être lancée. Ne comportant aucun projet social, le programme architectural se concentrait essentiellementSOUMIS sur les édifices de l’Etat et du parti. Privilégiant le caractèreSUPERIEURE de mémorial, ils devaient servir de décor aux mises en scènes culturelles du régime fasciste. Les plans d’urbanisme de la capitale du Reich n’étaient donc plus conçus à la mesure de l’individu, mais pour des unités militaires en marche, des masses enrégimentées145 ».

La réalisationDOCUMENT du projet est stoppée en 1943 du fait de l’entrée en « guerre totaleNATIONALE », laissant finalement assez peu de réalisations concrètes (même si quelques démolitions avaient déjà été entreprises, notamment dans l’arrondissement de Tiergarten146). La plus visible est l’aménagement d’une partie de l’axe Est/Ouest, entre la Porte de Brandebourg et la Adolf-Hitler- ECOLEPlatz (aujourd’hui Theodor-Heuss-Platz), dans le quartier de Westend. Ce tronçon, assez simple à réaliser car il s’appuyait sur des rues préexistantes, a en effet été inauguré le 19 avril 1939 (avant même la publication du plan), à l’occasion de l’anniversaire de Hitler147. L’aménagement s’est principalement traduit par un élargissement des voies et le déplacement

142. Larsson, 1978, p. 40 143. Larsson, 1978, p. 71 144. Wolfgang Schäche est un historien allemand de l’architecture. Ses recherches portent notamment sur Berlin et sur la période du national-socialisme. Il enseigne depuis 1988 à la Beuth Hochschule für Technik, et a été mon professeur d’histoire de l’architecture pendant mon année d’échange Erasmus. 145. Schäche, 1993, p. 357 146. Oudin, Georges, 2000, p. 377 147. Larsson Lars Olof, Albert Speer, le plan de Berlin 1937-1943, Bruxelles : Archives d’Architecture Moderne, 1978, p. 50 de la Siegesäule (colonne de la victoire), symbole des victoires militaires prussiennes du XIXe siècle, au centre du Tiergarten.

La vision nazie de la ville est donc principalement marquée par une volonté d’expression de la puissance, qui la conduit à faire table rase du passé « médiocre » incarné par la ville existante. Ce désir d’incarner la « nouvelle Allemagne » dans le tissu urbain acte en outre un paradoxe intéressant avec un conservatisme certain du point de vue architectural, caractérisé par un retour à la monumentalité et aux formes traditionnelles (puisées dans le vocabulaire de l’Antiquité et de l’architecture vernaculaire allemande), face à un fonctionnalisme considéré comme « non-allemand » et « judéo-bolchévique »148.

Affirmation de valeurs nouvelles (années 1950) : Stalinallee vs Interbau

Les Allemands parlent de Stunde Null (heure zéro) pour désigner la chute du Troisième Reich le 8 mai 1945. Cette expression caractériseNANTES bien sûr l’état du pays lors de la capitulation, mais également DEl’idée d’une absence totale de continuité avec la période précédente, d’un désir de repartir sur des bases nouvelles149. L’importance des destru- ctions D'AUTEURà Berlin est ainsi rapidement considérée comme une opportunité de transformer la struc- D'ARCHITECTUREDROITture de la ville, pour l’adapter aux enjeux de la AU modernité et en finir avec le « steinerne Berlin », le (fig. 49)La proposition du collectif Scharoun pour le « Berlin de pierre », marqué centre de Berlin, 1946 par l’archétype de la Mietskaserne, devenues leSOUMIS symbole de l’insalubrité, de la promiscuité et des difficultés SUPERIEUREde la classe ouvrière 150. Dès 1946 par exemple, un « collectif de planification » mené par Hans Scharoun, élabore le « Kollektivplan », à la demande du commandement militaire soviétique. Cette proposition envisage une restructuration complète de la ville pour l’adapter aux principes de la Charte d’Athènes, en s’appuyant sur un quadrillage de la ville DOCUMENTpar de grands axes routiers, avec comme module de base une NATIONALEWohnzelle (littéralement, une cellule d’habitat) prévue pour accueillir 5000 habitants151.

Ces réflexions sur le futur de Berlin sont rapidement influencées par ECOLE la montée des tensions Est-Ouest, et la division de la ville en deux entités en 1948. Chacune des deux “moitiés” va alors chercher à mettre en avant la supériorité de son modèle et de ses valeurs par rapport au camp adverse, tout en prenant soin de se démarquer de l’architecture du Troisième Reich. Les différents projets de reconstruction menés à cette époque sont ainsi marqués de cette volonté d’exemplarité et d’affirmation de valeurs nouvelles

La division des deux zones d’occupation se cristallise à l’issue du blocus

148. Larsson, 1978, p. 8 149. Robin, 2001, p. 88 150. Strobel Roland, « Before the Wall came tumbling down : Urban planning paradigm Shifts in a divided Berlin », Journal of Architectural Education, Vol. 48, pp.25-37, Oxford : Blackwell Publishing, 1994/1, p. 26 151. Bocquet 2008, p. 15 de Berlin par les Soviétiques entre 1948 et 1949. La RDA est fondée en octobre de cette même année, avec Berlin-Est comme capitale. Pour les autorités du jeune Etat, la ville doit incarner la nouvelle République et transcrire dans sa forme les principes du socialisme. Cette ambition, théorisée par le concept de « sozialistischen Neufaufbau152 » (réorganisation socialiste de la ville), se fonde (fig. 50)« Style confiseur », 1955 sur une double justification théorique : il s’agit à la fois de construire la ville socialiste sur les ruines de la ville bourgeoise153 et de traduire dans l’espace urbain la prise de pouvoir et l’émancipation du prolétariat, en construisant des palais pour les ouvriers, afin de « mettre les attributs architecturaux du pouvoir au profit de la nouvelle classe dirigeante, qui était, par définition, la classeNANTES ouvrière154 ». Ces préceptes sont résumés par la formule d’un article programmatique paru à l’époque et cité par Hans Stimmann155DE dans son analyse de la rénovation urbaine à Berlin-Est : « Mietskaserne im Kapitalismus, Wohnpaläste im Sozialismus156 », que l’on pourrait traduire par « Au capitalisme les casernes locatives, au socialisme les palais d’habitation ». Cette critique simultanée de la ville du passé et de celle du modèle adverse permet d’assimiler l’une à l’autre et de s’en démarquer pleinement. D'AUTEUR

Le projet le plus révélateur de cette période est la reconstruction de la Große Frankfurter Straße, rebaptisée Salinallee en 1949, à l’occasion du 70e anniversaire du dirigeant soviétique.D'ARCHITECTURE QualifiéeDROIT par Denis Bocquet d’ « axe de la ville socialiste en devenir157 », elle part de l’Alexanderplatz, 63 point central de la nouvelle capitale. Sa partieAU la plus monumentale est la section allant de la Strausberger Platz à la Frankfurter Tor, première à avoir été réalisée, entre 1951 et 1957, sous la direction d’un groupe d’architectes mené par Hermann Hanselmann. Disposés de manièreSOUMIS symétrique de part etSUPERIEURE d’autre de la rue, les « palais d’habitations » se veulent exemplaires dans la qualité de la construction (caractérisée notamment par l’emploi de faïenceDOCUMENT en façade) et l’équipementNATIONALE des logements158. Le vocabulaire architectural emprunte formes et motifs à l’architecture classique allemande, ECOLEdans l’ordonnancement des (fig. 51) Les coupoles de la Frankfurter Tor, 2006 façades par exemple, ou dans la référence aux clochers des églises jumelles du Gendarmenmarkt pour marquer la Frankfurter Tor. Cette inscription dans une certaine continuité culturelle, rapidement surnommée Zuckerbäckerstil à l’Ouest (littéralement, style confiseur) est caractéristique de la « ligne » promue

152. Stimmann, 1988, p. 8 153. Bocquet, 2008, p. 15 154. Dolff-Bonekämper, 1999, p. 365 155. Hans Stimmann (né en 1948) est un architecte et urbaniste allemand. Il a dirigé, entre 1996 et 2006, l’administration du Sénat de Berlin pour le développement urbain 156. Stimmann Hans, Stadterneuerung in Ost-Berlin, vom „sozialistischen Neuaufbau” zur „komplexen Rekonstruktion”, Berlin : S.T.E.R.N. GmbH, 1988, p. 8 157. Bocquet, 2008, p. 15 158. Stimmann, 1988, p. 8 par Moscou à l’époque : « Elle est l’illustration idéale de l’application à l’Est du mot d’ordre de la politique de Staline selon laquelle les bâtiments dans les Etats satellites de l’URSS devaient être “nationaux dans la forme et socialistes dans le contenu”. Pour Berlin, cela signifiait d’on s’inspirait plus ou moins des œuvres de Schinkel, de Knobelsdorff et Gontard159 ».

A l’Ouest, c’est la reconstruction du Hansaviertel à l’occasion de l’exposition internationale d’architecture Interbau qui caractérise le mieux cette période160. Elle marque la volonté de proposer à la fois une alternative moderne à la ville des Mietskasernen, et une alternative (fig. 52)La Hanspatz en 1930 « libre » à la Stalinallee.NANTES Le Hansaviertel était avant la guerre un quartier assez cossu,DE situé dans une boucle de la Spree, à proximité immédiate du Tiergarten, proche et bien relié au centre commerçant du Kurfürstendamm. Très fortement endommagé par les bombardementsD'AUTEUR de la fin de la Seconde Guerre Mondiale, le quartier n’est toutefois pas totalement détruit : si seulement D'ARCHITECTUREenvironDROIT 12% des bâtiments (fig. 53) La Hansaplatz en 1945 sont encore habitables, les AUinfrastructures (voirie, réseaux souterrains…) sont peu touchées.

En 1953, la Sénat de Berlin SOUMIS organise un concours d’idée pour SUPERIEURE la reconstruction du quartier. La proposition gagnante, soumise par Willy Kreuer, Gerhard Jobst et Wilhelm Schliesser, est marquée par les principes de la Charte DOCUMENT d’Athènes : le quartier projeté est (fig. 54) LaNATIONALE Hansaplatz en 1962 principalement dédié à l’habitat, structuré par deux axes de circulation rapide, et composé de barres disposées de manière libre au milieu d’espaces verts. Deux ans plus tard, un plan directeur des travaux ECOLE est établi sous la direction de l’architecte Otto Bartning. La plupart des orientations définies par les lauréats du concours d’idée sont reprises, et notamment le fait que les voies projetées ne reprennent pas exactement le tracé d’origine, tout en laissant l’emprise des anciennes rues non bâtie, pour ne pas avoir à modifier les réseaux. Par ailleurs, une plus grande diversité typologique est introduite, pour augmenter l’individualité de chaque bâtiment.

Par rapport à la situation d’avant-guerre, le projet prévoit une diminution assez importante de la densité bâtie, avec un rapport plein- vide qui passe de 1 : 1,5 à 1 : 5,5. Malgré l’augmentation assez significative

159. Dolff-Bonekämper, 1999, p. 365 160. Voir à ce sujet : Autzen, Becker, Bodenschatz, Claussen, Radicke, Stimmann, Taeger, 1984, pp. 12-17 de la hauteur des bâtiments, le nombre d’habitants prévu est également inférieur : 3.000 personnes sont attendues en 1958, contre 7000 en 1938. Ce changement de forme urbaine inscrit donc clairement le nouveau quartier dans la critique de la ville ancienne, dont il ne reste ici que peu de traces, à l’exception du nom de certaines rues et de l’emplacement de l’église.

Une cinquantaine d’architectes internationaux est sollicitée dans le cadre de l’exposition, chacun étant chargé de la construction d’un bâtiment. L’objectif de la démarche est double : il s’agit d’une part de montrer l’intégration pleine de Berlin-Ouest au bloc occidental, et de souligner la « solidarité avec la ville prisonnière_ » de la part des pays alliés. D’autre part, la diversité des propositions permet d’affirmer l’individualité de chaque bâtiment, se démarquant ainsi de la ville socialiste, dans laquelle l’uniformité est mise en avant comme symbole de l’égalité.

Ces deux exemples montrent l’importance de l’idéologie dans les choixNANTES urbains qu’ils promeuvent, mais aussi l’absence de prise en compte d’un éventuel patrimoine urbain. Des deux côtés de la ville, les destructionsDE sont d’abord vues comme une opportunité d’inventer un nouveau modèle et d’affirmer la supériorité de ses valeurs, même si la réponse apportée s’avère différente : « Les maîtres d’œuvre et les architectes de la Stalinallee et ceux du quartier de la Hanse voulaient tous tourner le dos au passé immédiat, au nazisme, mais ils empruntèrent pour cela des stratégies inverses : à l’Est, on se penchait sur le “bon passéD'AUTEUR allemand”, à l’Ouest, on se lançait dans le moderne, qui était considéré comme le bien en soi161 ». D'ARCHITECTUREDROIT Recherche d’efficacité (années 1970 et 1980) : 65 Leninplatz vs Brunnenviertel AU

Les années 1960 sont marquées, à l’Est comme à l’Ouest, par l’émergence de deux objectifs principaux162: la volonté de répondre à l’amplification de la pression immobilière163, et cellesSOUMIS d’améliorer les conditions de vie des habitants, marquées parSUPERIEURE l’insalubrité de la ville-centre. Ces deux enjeux se traduisent principalement par un désintérêt pour les espaces centraux (entravés par la construction du Mur en 1961, qui les place en situation de périphérie) et la construction de grands ensembles à l’extérieur de la ville, jugée plus efficace pour répondre à la demande164. Plusieurs raisons poussent cependantDOCUMENT les deux administrations à intervenir ponctuellement sur laNATIONALE ville constituée. Ces interventions se traduisent de part et d’autre par un rejet de la forme urbaine existante (les Mietskasernen), accusée d’insalubrité et de promiscuité.

ECOLEA l’Est, le contexte de déstalinisation et les difficultés économiques conduisent à l’abandon des principes esthétiques qui prévalaient jusqu’alors, au profit d’une industrialisation et une standardisation la plus poussée possible165. L’objectif affiché est de construire mieux, plus vite et moins cher166. La rénovation urbaine de la Landsberger Platz à

161. Dolff-Bonekämper, 1999, p. 366 162. Strobel, 1994, p. 29 163. Cette augmentation est notamment liée à l’exode rural et à l’augmentation de la natalité, ainsi qu’au flux continu de réfugiés des anciens territoires orientaux de l’Allemagne 164. Bocquet, 2008, p. 16 165. Stimmann, 1988, p. 9 166. « Commonly known by the slogan “Better, Cheaper, Quicker Construction”, East German architects turned to prefabrication, sacrificing all architectural ornamentation and variation as cost-saving measures in both the manufacture and assembly processes » (Strobel, 1994, p. 29) Friedrichshain167 est un exemple caractéristique de cette évolution comme du rejet des Mietskasernen.

Ces dernières sont en effet détruites pour laisser place à de nouveaux bâtiments, entièrement préfabriqués et d’échelle beaucoup plus importante168 (les nouvelles constructions sont ainsi hautes de 9 à 25 étages, contre maximum 5 auparavant), entourés d’espaces verts et desservis par des rues plus larges. Walter Ulbricht, le secrétaire général du SED, justifie ce changement d’échelle par une volonté de « correspondre à la dignité de la RDA169 ». Le point central de la composition est la statue monumentale de Lénine que nous avons déjà évoquée (cf. II.B.4), qui donne son NANTESnom à la place, inaugurée à l’occasion (fig. 55) La nouvelle Leninplatz, 1970 du centième anniversaireDE de sa naissance, en avril 1970. Si ce projet est une intervention sur la ville existante, il ne se réfère ni aux alentours, ni au quartier qu’il remplace. La localisation ne la nouvelle Leninplatz ne correspond d’ailleurs pas à celle de la Landsberger Platz d’origine, qui était située environ 300 mètres plus à l’Est. D'AUTEUR La problématique de l’intervention sur la ville existante est plus présente à Berlin-Ouest, du fait de l’espace limité. Rapidement, la nécessité “d’assainir” les quartiers centraux qui n’ont pas été détruits par la guerre s’impose donc. Le premierD'ARCHITECTURE grandDROIT programme de rénovation 66 urbaine170 est mis en place en 1963, préconisant une Kahlschlagsanierung (lit. : assainissement par coupe-rase)AU des quartiers insalubres. Quatre Sanierungsgebiete (zones d’assainissement) sont alors définies, dont celle de Wedding-Brunnenstraße, qui était à l’époque, avec 188 Ha, SOUMIS la plus étendue d’Allemagne. SUPERIEURE Relativement épargné par la guerre171, ce quartier ouvrier se trouve bordé par le Mur sur trois côtés en 1961, ce qui conduit à sa dégradation rapide : DOCUMENT la Brunnenstraße, qui était NATIONALE historiquement une artère commerçante majeure et l’un des principaux accès à la ville depuis le Nord, est ainsi subitement ECOLE coupée du centre et d’une partie de sa clientèle.

Le Sénat organise donc dès 1963, (fig. 56) Le plan d’Eggeling, réalisé seulement le dans le cadre du programme long de la Brunnenstraße, 1964 d’assainissement, un concours d’idée pour le réaménagement du quartier172, remporté par Fritz Eggeling. Sa proposition prévoit une conservation du tracé des rues existantes,

167. Renommée Leninplatz à l’occasion du réaménagement, elle s’appelle depuis 1992 Platz der Vereinigten Nationen (place des Nations-Unies) 168. Strobel, 1994, p. 30 169. Strobel, 1994, p. 30 170. Autzen, Becker, Bodenschatz, Claussen, Radicke, Stimmann, Taeger, 1984, p. 18 171. Autzen, Becker, Bodenschatz, Claussen, Radicke, Stimmann, Taeger, 1984, p. 18 172. Strobel, 1994, p. 30 mais le remplacement des Mietskasernen par de nouvelles constructions moins denses mais plus hautes, et ne reprenant pas la logique de l’îlot bâti. La destruction des immeubles existants commence alors, créant pendant plusieurs année une situation de friche partielle173: les procédures d’expropriation étant longues et complexes, le rythme des destructions est en effet assez lent ; et comme les immeubles projetés ne suivent pas la logique des îlots, il est difficile de procéder à leur construction avant que l’ensemble de leur emprise ne soit disponible.

Du fait de ce long temps de mise en œuvre, le projet va être témoin d’un changement de paradigme dans la manière de considérer la ville existante, sous l’influence notamment de la publication par Aldo Rossi de L’Architettura della Città en 1966174. Alors que les premiers ensembles construits sont conformes au projet de Eggeling, un changement s’opère en effet avec le Block 270, construit par Joseph-Paul Kleihues sur la Vinetaplatz (1975-1977), qui marque un retour de l’alignement à la rue et du respect de la logique du bloc, ainsi qu’une réutilisation de la brique en façade. La suite de la rénovation voit également naître la premièreNANTES tentative de modernisation de bâtiments existants au nord du quartier, sur l’îlot construit autour de l’église Sainte-Afra : la plupart des immeublesDE donnant sur rue est ainsi réhabilitée, tandis que l’intérieur de l’îlot est « dénoyauté » pour laisser place à un jardin175.

D'AUTEUR

D'ARCHITECTUREDROIT 67 AU

(fig. 57)Le bloc 270 de Kleihues, 1975

Si la rénovation du BrunnenviertelSOUMIS ne rencontre que peu de résistance de la part des habitants,SUPERIEURE ce n’est pas le cas des autres zones d’assainissement du programme de 1963, sur lesquelles l’intervention a été plus tardive, et qui ont vu s’organiser des Bürgerinitiativen (initiatives citoyennes) pour lutter contre les destructions176. L’action de ces habitants, qui va de pair avec le regain d’intérêt pour la ville européenne qui s’est manifesté pendant la rénovationDOCUMENT du Brunnenviertel , va conduire à un tournant majeurNATIONALE de l’urbanisme berlinois, des deux côtés du Mur.

Retour à l’existant (années 1980) ECOLE IBA vs « komplexe Rekonstruktion »

La dernière décennie de la Guerre-Froide est marquée, à l’Ouest comme à l’Est, par une redécouverte des qualités de la ville existante et une réhabilitation de la forme urbaine des Mietskasernen. A Berlin-Ouest, ce retournement est principalement lié à l’émergence de mouvements protestataires face aux politiques de rénovation urbaine177, qui réunissent deux formes de contestation : celle des initiatives citoyennes d’occupation d’immeubles vides et de lutte contre les expulsions), et celle des architectes

173. Autzen, Becker, Bodenschatz, Claussen, Radicke, Stimmann, Taeger, 1984, pp. 22-23 174. Information tirée du cours d’histoire de la ville de Wolfgang Schäche à la Beuth Hochschule für Technick 175. Autzen, Becker, Bodenschatz, Claussen, Radicke, Stimmann, Taeger, 1984, p. 23 176. Autzen, Becker, Bodenschatz, Claussen, Radicke, Stimmann, Taeger, 1984, p. 30 177. Bocquet, 2008, p. 17 (fig. 58)Un immeuble occupé (fig. 59)Les cinq terrains d’intervention de l’IBA sur la Klausener Platz à (carte : F-IBA) NANTES Charlottenburg, 1974 DE et des universitaire, qui dénoncent une « zweite Zerstörung178 », une deuxième destruction de la ville. Le principe de démolition-reconstruction est parallèlement critiqué à l’intérieur même de l’administration, à cause de son coût supérieur à celui d’une rénovation, et de la complexité des procédures d’expropriation et de relogement179.

Par ailleurs, l’époque est fortement influencéeD'AUTEUR par les travaux des architectes italiens de la Tendenza, qui prônent une redécouverte de la ville européenne. L’émergence de ces préceptes conduit à Berlin à un éloignement avec le modernisme180,D'ARCHITECTURE jusqu’alorsDROIT considéré comme la seule 68 manière possible de construire dans une démocratie, face à des formes traditionnelles dévoyées par le nazisme.AU

C’est dans se contexte que se tient l’IBA181, entre 1984 et 1987, à l’occasion du 750e anniversaire de la ville. Cette exposition, qui n’est que la nouvelle édition d’une grande traditionSOUMIS allemande 182, a pour thème « Die Innenstadt als Wohnort », laSUPERIEURE ville-centre comme lieu d’habitat183. Elle concerne cinq terrains d’intervention, dont les trois principaux se trouvent à proximité immédiate du Mur, et ont donc été largement délaissés DOCUMENT depuis la division de la ville. Les NATIONALE différents types de contexte urbain de ces terrains donnent naissance à deux démarches, qui conduisent à diviser l’exposition en deux ECOLE entités : d’un côté la Neubau-IBA, dirigée par Joseph-Paul Kleihues, et de l’autre la Altbau-IBA, autour (fig. 60)La contribution de Aldo Rossi, dans la de Hardt-Waltherr Hämer. Kochstraße

178. Strobel, 1994, p. 34 179. Strobel, 1994, p. 35 180. Bocquet, 2010, p. 475 181. Le sigle signifie : « Internationale Bauausstellung », exposition internationale d’architecture 182. Plusieurs grandes expositions de ce type ont en effet déjà eu lieu à Berlin, à l’image de la Weißenhofsiedlung de Stuttgart en 1927, ou d’Interbau à Berlin en 1957 (cf. ci- dessus) 183. Uhlig Günther, « IBA, Exposition internationale d’architecture, Berlin, 1984-1987 », in Collectif, La Ville, art et architecture en Europe 1870-1993, Paris : Editions du Centre Pompidou, 1993, p. 452 La première approche est notamment mise en œuvre dans la partie Sud de la Friedrichstadt184, entièrement détruite par la guerre, et laissée en friche du fait de sa proximité avec la frontière. L’équipe de Kleihues procède à une « reconstruction critique » (kritische Rekonstruktion) du quartier, respectant l’échelle, les voies et le parcellaire de la ville détruite, tout en proposant une architecture contemporaine, marquée par le post- modernisme de l’époque185.

NANTES DE

D'AUTEUR

D'ARCHITECTUREDROIT AU

(fig. 61) Le « Bloc 103 » à Kreuzberg, emblème de la behutsame Stadterneuerung, 1984

Le deuxième groupe a quant-à-luiSOUMIS en charge la rénovation de l’Est de Kreuzberg, un quartierSUPERIEURE de Mietskasernen peu touché par la guerre mais « dans un état de délabrement avancé186 », et enclavé par le Mur sur trois côtés. En s’appuyant sur les initiatives citoyennes contestataires, Hämer et ses collaborateurs développent le principe de « renouvellement urbain précautionneux187 » (behutsame Stadterneuerung). Basé sur la participationDOCUMENT des habitants et le maintien des structures urbaines et sociales,NATIONALE il prône des interventions réfléchies et à petite échelle, en limitant le plus possible les destructions188. La Altbau-IBA procède donc à une rénovation progressive des différents îlots du quartier, qui consiste principalement189 à transformer les cours intérieures en espaces ECOLEverts, rénover les façades, moderniser les équipements techniques des bâtiments et améliorer le confort des logements, dont la grande majorité ne possédait pas de pièces d’eau privées et se chauffait toujours au charbon. Les quelques dents creuses sont reconstruites, parfois dans le style des Mietskasernen, parfois en faisant appel à des architectes internationaux.

184. Seul le Sud de l’extension baroque du XVIIIe siècle est en effet resté à l’Ouest, coupé de sa majeure partie, qui se trouve de l’autre côté du Mur (cf. I.A) 185. Bocquet, 2008, p. 18 186. Uhlig, 1993, p. 452 187. Le concept est habituellement traduit en français par « rénovation urbaine douce », pourtant plus éloigné de la signification originale behutsam( signifie en effet « prudent ») 188. Uhlig, 1993, p. 452 189. Strobel, 1994, p. 34 L’IBA propose donc deux visions assez divergentes de l’urbanisme, « l’une préconisant la croissance dynamique d’une nouvelle culture architecturale et l’autre la «redécouverte de la lenteur”, donnant priorité à la stabilisation du cadre de vie190 ». Leur émulation dans le cadre de l’exposition a cependant permis l’apparition191 d’une « culture IBA » faisant de la kritische Rekonstruktion et de la behutsame Stadterneuerung les nouveaux mots d’ordre de l’urbanisme berlinois et du rapport à la ville existante.

NANTES DE (fig. 62)Un immeuble reconstruit dans la (fig. 63) Le projet de rénovation de la Jessnerstraße, 1985 Frankfurter Allee

Ce phénomène de regain d’intérêt pour les espaces centraux est également présent de l’autre côté du Mur, même s’il n’a été que peu étudié à l’Ouest à l’époque, à l’exception notable D'AUTEURdes travaux de Hans Stimmann192. Il a surtout été dicté par des contraintes économiques. Le logement constitue en effet le principal problème de politique intérieure de la RDA pendant toute la durée de son existence193, du fait conjugué du rythme insuffisant de la constructionD'ARCHITECTUREDROIT et du mauvais état des 70 bâtiments existants. La question de la réhabilitation de la ville existante finit donc par se poser, conduisantAU à une reconsidération idéologique des Mietskasernen : alors qu’elles étaient le symbole honni de la ville bourgeoise, on voit désormais en elles le cadre de vie du prolétariat sous le capitalisme, qu’une rénovation pourrait permettre de transformer en « résidences socialistes exemplairesSOUMIS194 ». SUPERIEURE Cette « réconciliation avec l’Histoire195 » est amorcée dès le début des années 1970, avec la promesse de Honecker de « résoudre le problème du logement en 1990 » lors du congrès du SED en 1973196. Elle conduit à la théorisation du concept de « reconstruction complexe » (komplexe RekonstructionDOCUMENT), qui comprend à la fois la modernisation des NATIONALEMietskasernen existantes et la construction de nouveaux bâtiments dans les dents creuses ou les îlots non encore reconstruits197. Les opérations de réhabilitation sont assez comparables dans la forme à celles de la Altbau-IBA à l’Ouest, exception faite de la participation des habitants au ECOLE processus198. Les nouvelles constructions s’inspirent pour leur part du tissu urbain existant, tout en proposant un ou deux niveaux supplémentaires (grâce à des hauteurs d’étages plus faibles) et en ayant recours à la

190. Uhlig, 1993, p. 453 191. Bocquet, 2008, p. 18 192. Bocquet, 2008, p. 18 – Voir : Stimmann, 1988 193. Strobel, 1994, p. 31 194. Stimmann, 1988, p. 10 195. Bocquet Denis, « Hans Stimmann et l’urbanisme berlinois (1970-2006), un tournant conservateur de la reconstruction critique ? », Città e Storia, Année V, No. 2, Rome : Università degli studi Roma Tre, CROMA, 2010, p. 475 196. Strobel, 1994, p. 32 197. Stimmann, 1988, p. 11-12 198. Strobel, 1994, p. 32 préfabrication. Elles restent en effet des variantes de la WBS 70199 le modèle standard des immeubles de logement est-allemand. Le résultat produit est donc un hybride, qui s’intègre bien dans la ville existante, tout en conservant certaines spécificités (comme les blocs-balcons ou l’usage de panneaux de béton cannelé en façade) qui attestent de son origine.

Cette période constitue donc le point d’aboutissement de l’émergence à Berlin de la notion de patrimoine urbain et de sa préservation. Les différents exemples que nous avons évoqué confirment en outre le poids de l’idéologie dans l’intervention sur les traces du passé et la manière de considérer la ville existante. La concomitance des changements de paradigme des deux côtés du Mur pendant la Guerre-Froide200 montre cependant que des idéologies opposées ne conduisent pas forcément à des interventions très différentes, laissant penser que d’autres dynamiques, comme les débats théoriques internationaux, la situation socio-économique ou la compétition permanente entre les deux modèles ont également eu une influence importante dans les choix urbains et patrimoniaux des autorités. NANTES DE II.C.2/ Dynamiques actuelles

La chute du Mur en 1989, puis la réunification du pays un an plus tard, représentent un bouleversement majeur pour Berlin, qui conduit, on l’a déjà évoqué, à l’apparition de deux nouveaux enjeux : la nécessité de transcrire dans la physionomie de la ville, marquéeD'AUTEUR par 28 ans de séparation, l’unité retrouvée de la nation allemande, et celle d’affirmer son nouveau rôle de capitale (cf. II.A.3). Cette situation modifie le D'ARCHITECTUREDROIT rapport qu’entretient la ville avec son passé, et influe donc sur la AU manière dont elle se raconte.

La reconstruction deSOUMIS la Potsdamer SUPERIEUREPlatz

L’un des projets les plus médiatisés du nouveau Berlin est dans doute la reconstruction de la Potsdamer Platz. L’ensemble DOCUMENT que formaitNATIONALE ce carrefour avec la Leipziger Platz voisine (l’Oktogon du Roi-Sergent, cf. I.A), était, au début du XXe siècle, un « point ECOLEnévralgique de la vie urbaine201 » berlinoise. C’est ainsi un lieu majeur de mouvement et de croisements, ainsi que l’un des cœurs commerçants de la ville, caractérisé par la présence de nombreux lieux de divertissement. (fig. 64)La Potsdamer Platz, de Ruttmann à Wenders, 1927-1986

199. La Wohnungsbauserie 70 (Série 70 de bâtiments de logement) était en effet le système préfabriqué le plus employé pour la construction des grands ensembles est-allemands, les Plattenbauten (lit. : bâtiments en plaques) 200. Strobel, 1994, p. 35 201. Szambien, 2003, p. 160 – Voir à ce sujet Berlin, la symphonie d’une grande ville, de Ruttmann (Ruttmann Walther. Berlin: Die Sinfonie der Großstadt, Allemagne, 1927, 65 min) Sa proximité avec la gare de Potsdam, une des plus importantes de la ville, en fait l’une des cibles privilégiées des bombardements alliés lors de la Seconde Guerre Mondiale. Coupée en deux par la division de la ville puis la construction du Mur, elle reste pendant plus de 40 ans le terrain vague que montre Wim Wenders dans Les Ailes du Désir202.

La chute du Mur lui fait subitement retrouver sa position centrale en 1989, ce qui aiguise l’appétit des investisseurs. Avant même la réunification, Daimler-Benz achète ainsi, à bas prix une parcelle de près 68.000 mètres carrés203. Le concours204 pour l’aménagement de la place est remporté en 1991 par Hilmer et Sattler, qui proposent, dans la mesure du possible, la reconstitution du réseau viaire préexistant, tout en permettant des constructions bien plus élevées que dans le resteNANTES de la ville (47 mètres au lieu de 22, ainsi que trois tours donnantDE sur la place). Outre Daimler, deux autres grandes entreprises, Sony et A&T, ont également acquis des parcelles. Chaque investisseur réalise alors sa propre opération, en faisant appelD'AUTEUR à des architectes différents (Renzo Piano pour Daimler, Helmut Jahn pour Sony et Giorgio Grassi pour A&T), et D'ARCHITECTUREles DROITtrois nouveaux quartiers, inaugurés entre 2000 et 2001, AUaccueillent désormais de grands groupes allemands et étrangers (la Deutsche Bahn, Mercedes, Sony Europe, PwC, Sanofi…), ainsi des hôtels de luxe, des cinémas, (fig. 65)Manhattan à Berlin ? (2008) SOUMIS SUPERIEURE un grand centre commercial, des cafés et restaurants205. Et si la gare grandes lignes n’a pas été reconstruite, la Potsdamer Platz est redevenue un point de correspondance important des réseaux de transports urbain et régional.

En l’espaceDOCUMENT de seulement dix ans, le no-man’s-land est devenu un petit NATIONALEManhattan, ce qui fait dire à Boris Grésillon et Dorothée Kohler qu’ « on fabrique de la “city” en plein terrain vague, on crée du plein, du solide, du visible, à la place du vide qui donne le vertige et provoque l’angoisse. Quitte à susciter l’amnésie206 ». A l’exception des quelques pans de Mur ECOLE qui trônent au milieu de la place ou de la mise en scène dans le Sony Center des restes de l’hôtel Esplanade, peu de choses en effet rappellent l’histoire du lieu.

A-t-on pour autant retrouvé la ville animée du début du siècle ? La nouvelle Potsdamer Platz est indéniablement redevenue une centralité en terme de commerces et de divertissements, qui culmine chaque année avec la tenue de la Berlinale, le festival international de cinéma.

202. Wenders Wim. Der Himmel uber Berlin, (Les Ailes du desir), Allemagne/France, 1987, 127 min, 116 min 203. Robin, 2001, p. 162 204. Szambien, 2003, p. 161 205. La mixité d’usage était une des règles édictées par le concours, et la surface de bureaux ne pouvait excéder 50% de chaque opération (Oudin, Georges, 2000, p. 570) 206. Grésillon, Kohler, 2001, p. 4 Pourtant, malgré la volonté affichée de mixité d’usages, le faible nombre d’habitations en fait un lieu relativement peu fréquenté la nuit. Et le recours à l’urbanisme privé a contribué à créer trois morceaux de ville autonomes et autocentrés, qui captent l’animation au détriment de la ville en elle même : « au delà cependant de l’aspect séduisant du Sony Center et du quartier Mercedes-Daimler, se posent deux questions : la qualité de place de la place […] et celui d’un espace public laissé non pas à la place publique mais à l’intérieur des îlots destinés à servir de vitrines à de grands groupes207 ». Se voulant le symbole de la réunification de la ville et du retour de la démocratie, la nouvelle Potsdamer Platz exprime donc surtout la domination du pouvoir économique, ainsi que la rapidité avec laquelle les traces du passé peuvent disparaître.

L’installation des lieux du pouvoir politique

Le choix de Berlin comme capitale a offert à la ville une possibilité supplémentaire de matérialiser la réunification. Les nouvelles institutions politiques ont en effet été regroupées à l’Ouest de la Friedrichstadt, deNANTES part et d’autre de l’ancienne frontière, profitant ainsi d’un espaceDE situé en plein centre de la ville, et largement en recomposition du fait de la disparition du Mur. Cette situation permet à la fois de contribuer à la “suture” physique du tissu urbain et à l’unité symbolique, en s’assurant le pouvoir n’était ni uniquement à l’Est ni uniquement à l’Ouest. En juin 1993, un accord208 est donc signé entre l’Etat fédéral et le Land de Berlin pour organiser le transfert D'AUTEUR des institutions dans la nouvelle capitale et un périmètre de 260 Ha est défini comme D'ARCHITECTUREDROIT destinataire du pro- gramme « quartier AU parlementaire et gou- vernemental209 ».

Il est intéressant SOUMIS de constater queSUPERIEURE cette implantation se rapproche de la géo- graphie du pouvoir qui prévalait jusqu’en (fig. 66)Le périmètre du quartier gouvernemental. En rouge, le 1945. Avant même la DOCUMENTtracé du Mur (carte : D.S.K.) fondationNATIONALE du Reich en 1871, de nombreuses institutions du royaume de Prusse siégeaient en effet déjà autour de la Wilhelmstraße, qui est aujourd’hui l’axe nord-sud du nouveau périmètre. Dans sa thèse, consacrée au transfert ECOLEdes institutions allemandes de Bonn vers Berlin, Antoine Laporte montre ainsi le renforcement progressif du rôle politique de ce secteur, qui culmine en avec la construction de la « Neue Reichkanzlerei », la

207. Bocquet, 2008, p. 20 208. Il s’agit de la « Verordnung über die förmliche Festlegung des städtebaulichen Entwicklungsbereiches und der zugehörigen Anpassungsgebiete zur Entwicklungs- maßnahme “Hauptstadt Berlin – Parlaments- und Regierungsviertel” » du 17 juin 1993 (ordonnance sur la détermination de la zone de développement urbain et les domaines d’adaptations correspondants du programme « Berlin-Capitale, quartier parlementaire et gouvernemental ») 209. Un bilan de ce programme a été dressé en 2013, ce qui a conduit à l’édition d’une publication par le ministère fédéral des transports, de la construction et du développement urbain et l’administration sénatoriale pour le développement urbain et l’environnement. Ce document est disponible, au format PDF, à l’adresse suivante : http://www.stadtentwicklung.berlin.de/planen/hauptstadt/entwicklungsmassnahme/ download/20jahre_hauptstadtberlin.pdf (consulté le 20/11/2013) chancellerie d’Hitler210. Il explique également que le lieu a en partie perdu son rôle sous la RDA, du fait de sa proximité immédiate avec le Mur, même si certaines institutions, comme la Maison des Ministères (cf. II.B.1) y restaient installées211.

Cette superposition des lieux de pouvoir a notamment fait débat lorsque s’est posée la question de la réutilisation de bâtiments existants, utilisés auparavant par le régime nazi ou la RDA. Pour des raisons budgétaires, il était en effet impossible de construire des bâtiments neufs pour l’ensemble des nouvelles institutions, et de nombreux édifices ont donc conservé, ou retrouvé une fonction politique. Si la réutilisation du Reichstag n’a pas été un problème particulier (il n’avait que peu été utilisé par la nazis, et la RFA s’en servait déjà ponctuellement), certains autres cas ont davantage posé question, sans néanmoins être remis en cause. La Chancellerie, siège du pouvoir exécutif, a toutefois été installée dans un lieu neutre au bord de la Spree, et bénéficie d’un bâtiment neuf, intégré au Band des Bundes (cf. II.A.C), probablement pour éviter tout amalgame avec les pouvoirs précédents. La réutilisation desNANTES lieux de pouvoir n’est pourtant pas spécifique à Berlin, et de tels exemples existent dans d’autres capitales dans que le parallèle entreDE espace et idéologie n’ait été tiré. Antoine Laporte prend ainsi l’exemple du Kremlin de Moscou212, successivement utilisé par les Tsars, les communistes et le régime actuel, sans jamais être remis en cause. Pour lui, la particularité de Berlin tient d’abord à la jeunesse de la ville et au rythme auquel les régimes se sont succédés, qui ne suffit pas « à donner une maturité telle aux institutions qui permettrait de dissocier leur vocationD'AUTEUR nationale et la nature du régime qui les a construites213 ».

L’installation des nouveaux lieux de pouvoir à Berlin montre donc une certaine ambivalence par rapport auxD'ARCHITECTURE tracesDROIT du passé, affichant d’un côté 74 la volonté de transcrire dans l’espace le renouveau démocratique, tout en réutilisant de manière pragmatique AUles bâtiments existants.

L’extension et l’institutionnalisation des principes de l’IBA SOUMIS La fin de la SUPERIEUREdivision de la ville intervient presque concomitamment avec le changement de paradigme provoqué par l’IBA en terme de prise en compte de la ville existante (cf. II.C.1). Dans un contexte de fusion des administrations municipales qui se résume le plus souvent par une absorption de l’Est par l’Ouest214, c’est donc assez naturellement que les principesDOCUMENT expérimentés depuis une dizaine d’années à Kreuzberg, NATIONALEla kritische Rekonstruktion et la behutsame Stadterneuerung, ont été étendus à l’Est pour la reconstruction de la Friedrichstadt (assez peu investie par la RDA du fait de son enclavement) et la rénovation des quartiers de Mietskasernen. Mais dans les deux cas, la réutilisation ECOLE à grande échelle et l’institutionnalisation des processus ont eu des conséquences sur les modalités de leur mise en œuvre et sur leurs résultats.

Denis Bocquet215, dans un article publié dans la revue Città et Storia (2010), met en évidence l’importance du rôle joué à cette époque par Hans

210. Laporte, 2001, p. 259 211. Laporte, 2001, p. 278 212. Laporte, 2001, p. 249 213. Laporte, 2001, p. 251 214. Bocquet, 2008, p. 18 215. Denis Bocquet est un historien français, chercheur au Laboratoire « Techniques, territoires et sociétés » de l’Ecole des Ponts et Chaussées. Son travail porte notamment sur l’histoire de l’urbanisme en Europe. Il enseigne en outre au « Center for metropolitan studies » de l’Université Technique de Berlin. Stimmann, qui est chargé, entre 1999 et 2006 de la direction opérationnelle de la Senatsverwaltung für Stadtentwicklung216. Ce poste est stratégique car il lui permet de présider à la redéfinition du système normatif de l’urbanisme berlinois, en pleine évolution du fait de la réunification de la ville.

C’est donc sous son impulsion que le concept de kritische Rekonstruktion est réutilisé pour la reconstruction de la Friedrichstadt, avec comme objectif affiché d’établir une continuité entre le Berlin du passé et celui du présent217, dans un contexte de remise en cause de l’adage « verre + acier = liberté218 » et de réappropriation de formes “historicisantes”, jusque là proscrites car considérées comme ayant été dévoyées par le nazisme. Cette volonté de s’ancrer dans le passé de la ville conduit à une lecture plus conservatrice de la kritische Rekonstruktion, qui ne cherche alors plus à retrouver l’échelle de la ville ancienne, mais son “image” (Stadtbild) : « la NANTES réédition de cette stratégie n’est pas la même que celle de l’IBA. Pour répondre aux investisseurs DE qui réclament des terrains de grande taille pour les nouveaux programmes post-industriels, la reconstruction du tissu de la ville wilhelminienne sur la base de petites parcelles est abandonnée. En revanche, la prescription de la “reconstruction critique” se réfère maintenant au dessin des D'AUTEUR façades. Les architectes sont forcés d’habiller leurs projets par des plaques en pierre, disposées selon une régularité visuelle ce qui doit évoquer (fig. 67)Les « forteresses » de la Friedrichstraße, 2008 une stabilité constructive et, enfin, la traditionD'ARCHITECTUREDROIT architecturale locale219 ». Ce déplacement théorique se retrouve dans les 75 règles imposées aux architectes : si certains principes,AU comme le respect du tracé viaire historique ou la hauteur maximale de 22 mètres, étaient déjà de mise lors de l’IBA, les nouvelles exigences s’accumulent : construction totale des limites parcellaires (interdiction des retraits), façades en Sandstein (grès beige) ou encoreSOUMIS alignement des ouvertures sur une trame220. De nombreuxSUPERIEURE architectes ont critiqué ces orientations, ainsi que l’augmentation de l’échelle des opérations. C’est par exemple le cas de Daniel Liebeskind, qui dénonce221 une « enfilade de forteresses » digne d’une « nouvelle Teutonia ». L’espace produit est en effet assez monotone, et les nouveaux bâtiments fonctionnent de manière autonome, davantage tournées versDOCUMENT leur “atrium” que vers l’espace public222. Ce délaissement contrasteNATIONALE avec le fondement même de l’IBA, qui marquait au contraire un retour à la rue.

Les principes de la behutsame Stadterneurung sont également déployés ECOLEà l’Est, pour encadrer la rénovation des quartiers d’habitat dégradés. Alors que ce processus prenait ses racines dans les luttes urbaines contre les expulsions (cf. II.C.1), son extension hors de son périmètre expérimental entraîne son institutionnalisation et sa systématisation. Du fait de

216. Stimmann occupe en effet le poste de Senatsbaudirektor (directeur sénatorial de la construction) et 1991 à 1996, puis de 1999 à 2006. Pendant la mandature de la CDU entre 1996 et 1999, il reste, grâce au jeu des coalitions, secrétaire d’Etat, ce qui lui permet de garder une grande influence dans la planificationB ( ocquet, 2010, p. 477) 217. Robin, 2001, p. 162

218. « Glas-Stahl-wir-sind-so-freiheitlich », interview de Philipp Oswalt dans Fassbender Guido, Stalhut Heinz, Berlin 89/09, Kunst zwischen Spurensuche und Utopie, Berlin : Berlinische Galerie, 2009, p. 144 219. Hertweck, 2010, p. 61 220. Bocquet, 2010, p. 480-481 221. Oudin, Georges, 2000, p. 567 222. Grésillon, Kohler, 2001, p. 5-6 l’ampleur de la tâche, une moins grande attention est en effet accordée à la situation spécifique de chaque bloc. Conséquence ou non, la rénovation entraîne, en particulier dans l’arrondissement de Prenzlauer Berg, un renouvellement important de la population, alors même que la mixité sociale avait été relativement préservée à Kreuzberg : « Traitement des cours intérieures, des façades, des passages, normes pour la rénovation des immeubles, extension des règles de circulation douce, l’ensemble paraît généralement cohérent d’un point de vue formel, si l’on excepte bien sûr l’hypothèque sociale de (fig. 68)Oderberge Straße, un symbole de la la gentrification et l’exclusion gentrification berlinoise, 2013 progressive du marché immobilierNANTES des couches sociales d’habitants de Berlin-Est n’ayant souvent pas retrouvé un accès au marché du travail et restant en masse DEconfinés au statut de chômeurs223 »

La notion d’ « extension des principes de l’IBA » n’est en définitive peut- être pas la plus appropriée pour qualifier les orientations de l’urbanisme berlinois depuis la réunification. Si les termes sont toujours revendiqués, les méthodes comme les attendus ont évolué224, D'AUTEURattachant davantage d’importance à la reconstitution de “l’image de la ville” qu’à celle de ses modes de fonctionnement. D'ARCHITECTUREDROIT 76 Le devenir du « Berliner Mitte » AU Pendant la Guerre-Froide, les deux moitiés de la ville se sont développées de manière autonome, chacune autour de son centre225. La réunification pose donc également la question des centralités au sein du nouvel ensemble : où seSOUMIS trouve le cœur de la ville ? L’interrogation est intéressante, carSUPERIEURE Berlin a toujours été marquée par une certaine dualité, présente dès son origine (Berlin-Cölln), puis incarnée systématiquement dans une rivalité entre Anciens et Modernes226, qui naît dans l’opposition entre la ville DOCUMENT médiévale et la ville baroque au NATIONALE XVIIIe siècle et se poursuit, à partir de la fin du XIXe, par la montée en puissance de l’Ouest de la ville autour du Kurfürstendamm, ECOLE qui devient l’épicentre de la vie culturelle et commerciale.

Comme le montrent les (fig. 69) Le centre oriental en 2009 avec, en exemples que nous avons déjà rouge, le tracé des fortifications de 1690 évoqués, on assiste néanmoins

223. Bocquet, 2010, p. 479 224. Bocquet, 2010, p. 479 225. « Chacun des deux Berlin avait reconstruit son centre à l’écart l’un de l’autre. A l’Ouest, l’animation se concentrait autour du Kurfürstendamm, de l’église du Souvenir et de la gare du Zoo. A l’Est, la Friedrichstraße, trop proche du Mur et butant au sud sur le poste-frontière de Checkpoint Charlie, était devenue l’un des plus tristes décors berlinois. Unter den Linden ne valait guère mieux. Le véritable centre apparaissait avec le Palais de la République construit à la place de l’ancien château et, encore plus loin à l’est, avec Alexanderplatz et la Karl-Marx-Allee. » (Oudin, Georges, 2000, p. 557) 226. Interview de Benedikt Goebel dans Fassbender, Stalhut, 2009, p. 142 à la recomposition d’une centralité principale à l’Est, dans un espace correspondant à la ville du XVIIIe siècle (cf. I.A, plan Walter de 1738) et comprenant la ville médiévale, la partie nord de la Friedrichstadt et la Spandauer Vorstadt227. La « City West », ancien centre de Berlin- Ouest, reste un espace attractif du point de vue du commerce et des divertissements (zoo, cinémas…) mais a perdu ses fonctions politiques et culturelles. Selon Philipp Oswalt228, deux tendances très différentes ont encouragé ce basculement en faveur de l’Est : ceux qu’il nomme les « partisans de la reconstruction », qui sont à la recherche des structures pré-modernes de la ville, et ceux qui sont au contraire attirés par « l’informel, l’artistique ou le modernisme de l’Est », c’est-à-dire par les possibilités d’expérimentation qui découlent de la rencontre des deux systèmes.

Dans ce contexte se pose particulièrement NANTES la question du devenir du Berliner Mitte229, qui est à la fois le cœur originel de la DE ville et le centre du Berlin communiste. On l’a vu, les tendances actuelles de l’urbanisme berlinois visent à reconstituer dans le tissu urbain une continuité avec le passé de la ville, ce qui pousse donc à « redonner une lisibilité » à ce noyau D'AUTEUR originel230, sérieusement endommagé par les bombardements puis transformé pour incarner la RDA. Outre la reconstruction de plusieurs bâtiments emblématiques, et enD'ARCHITECTURE DROIT particulier celle du château, cette volonté passe par la re-densification de cet espace,AU avec comme objectif de retrouver l’échelle de la ville d’avant-guerre mais également sa mixité d’usage (et notamment sa fonction résidentielle, assez anecdotiqueSOUMIS aujourd’hui, dans uneSUPERIEURE ville où les besoins en logement augmentent rapidement). (fig. 70)Le Klosterviertel en 1935 et en 2003 (carte : SenStadtUm) A l’occasion d’une table ronde portant sur ces questions231, Regula Lüscher, Senatsbaudirektorin depuis que Hans Stimmann a pris sa retraite en 2006,DOCUMENT a ainsi insisté sur la notion de Stadtreparatur (lit. : réparationNATIONALE de la ville) pour qualifier l’intervention de son administration sur le Berliner Mitte. Il s’agit selon elle d’apporter une réponse aux trois éléments qui ont modifié la physionomie de la ville au XXe siècle : les bombardements, l’urbanisme communisme et la toute-puissance de la ECOLE

227. Il s’agit du faubourg situé au Nord-Est du vieux Berlin. 228. Philip Oswalt (né en 1964) est un architecte allemand. Il est, depuis 2009, le directeur du Bauhaus de Dessau, et enseigne la théorie de l’architecture à l’université de Kassel. 229. Cette expression est employée dans les documents d’urbanisme pour désigner le Berlin des fortifications (cf. I.A plan Klengel de 1656), c’est-à dire Alt-Berlin, Alt-Cölln et Friedrichswerder. 230. Regula Lüscher, la Senatsbaudirektorin depuis le départ de Stimmann, parle ainsi de la disparition de la Gründungsstein (la pierre fondatrice) de Berlin 231. Table-ronde organisée le 19/11/2013 par la Friedrich-Ebert-Stiftung, en présence de Regula Lüscher (Senatsbaudirektorin), Lars Ernst (président de la WBM, principal bailleur du centre de Berlin), Vanessa Miriam Carlow (représentante de l’association des locataires de la WBM), Manfred Retting (porte-parole de l’association de reconstruction du château), Franziska Nentwig (directrice des musées municipaux) et Christian Hanke (maire de Berlin-Mitte). voiture (autogerechte Stadt)232. L’un des exemples de cette politique est le projet de densification du Klosterviertel, dont la mise en œuvre est prévue entre 2016 et 2019, et qui vise, en limitant les espaces dévolus à la circulation et en s’appuyant sur la logique du réseau viaire historique, à recréer un morceau de ville dont l’échelle correspond à ce qu’était la ville avant 1945. Si ce projet témoigne d’un certain examen critique de l’expérience de la Friedrichstadt (en terme de taille des opérations notamment) le langage architectural projeté reste fortement imprégné des principes édictés par Stimmann, démontrant une fois de plus l’importance accordée à la reconstitution de l’image de la ville ancienne.

NANTES DE

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(fig. 71)Le projet de la Senatsverwaltung für Stadtentwicklung pour le Klosterviertel, 2009

SOUMIS— - — SUPERIEURE Ces dynamiques actuelles, qui vont jusqu’à reconstituer les formes urbaines disparues, constituent donc l’aboutissement du processus de prise en compte d’un patrimoine urbain dans l’intervention sur la ville existante. Elles montrent, en d’autres termes, que le tissu urbain a pleinementDOCUMENT acquis son statut de trace du passé, et qu’il est donc soumis NATIONALEaux mêmes stratégies politiques et mémorielles que celles qui touchent les monuments spécifiques. Il s’agit dans les deux cas de donner corps aux directions qui sous-tendent le marketing urbain (cf. II.A.3) et qui visent à faire de Berlin la métaphore d’une Allemagne réunifiée et apaisée. ECOLE L’attachement persistant à reconstituer “l’image de la ville” ancienne semble procéder de cette même volonté d’apaisement et de “normalisation“ de l’espace urbain, face à un XXe siècle considéré comme extra-ordinaire.

232. A ce titre, Gabi Dolff-Bonekämper remarque que les espaces centraux de Berlin-Est sont touchés par la double-critique du communisme et de l’urbanisme fonctionnaliste : « Encore une ironie de l’histoire : ce sont les bâtiments par lesquels la RDA a cherché à s’intégrer au monde moderne international qui sont le plus en danger, d’une part parce que les adversaires n’y voient rien de spécifique, et d’autre part parce qu’on est en train de soumettre tout l’urbanisme de l’après-guerre à Berlin à une révision générale. Et ce n’est pas par hasard si l’initiative visant à une “densification” du tissu urbain s’est concentré d’abord sur l’Est : la nationalisation de la propriété foncière y avait permis des solutions plus radicales, surtout au centre ville. La même nationalisation facilite maintenant les interventions de l’administration publique, dominée presque exclusivement par des professionnels venus de l’Ouest et animés, bien sûr, des intentions les plus honnêtes. » (Dolff-Bonekämper, 1999, p. 369) NANTES DE (fig. 72)Retour à l’échelle de la ville médiévale ? (réal : SenStadtUm)

En tentant d’établir une continuité avec un passé idéalisé, dont le siècle dernier ne serait qu’une parenthèse douloureuse, Berlin cherche d’une certaine manière à ressembler aux autres métropoles européennes, qui ne sont pas perpétuellement renvoyées à leur travail deD'AUTEUR mémoire. Une double-logique d’intervention apparaît donc face aux traces, caractérisée à la fois par une volonté de maîtrise et de prise de distance de celles du passé récent, et par une recherche de reconstitutionD'ARCHITECTURE de celles relevant d’une histoire plus ancienne. DROIT 79 AU Cette volonté de se détacher du passé récent est, on l’a vu, loin d’être spécifique à l’époque actuelle. Elle matérialise néanmoins l’idée d’une dimension politique du palimpseste. Comme le dit Régine Robin, ce dernier serait même avant tout le résultat des « politiques mémorielles 233 SOUMIS conflictuelles » qui SUPERIEUREse sont succédées au cours du temps, chacune se définissant en contradiction avec la précédente, dans l’objectif de légitimer le pouvoir en place.

DOCUMENT NATIONALE

ECOLE

233. Voir conférence virtuelle de Régine Robin, op. cit. (cf. II.B.5) NANTES DE

« Natürlich gibt es Leute, die in Berlin die preußische Hauptstadt sehen und dann ihren Schinkel, Schlüter und Gilly haben wollen. Dann gibt es diejenigen, die Berlin als die DDR-Hauptstadt sehen. Für wieder andere ist Berlin vor allem das 19. Jahrhundert und die Gründerzeit oder die Stadt der klassischen Moderne oder auch die StadtD'AUTEUR der Kalten Krieges. Wir haben ganz unterschiedliche Sichten auf die Stadt und sollten die Toleranz und Gelassenheit aufbringen, diese Gleichzeitigkeit zu ertragen, und nicht versuchen, das Ganze nach einer Façon zu stricken. » D'ARCHITECTUREDROIT « Il y a bien sûr des gens qui voient Berlin comme la capitale de la Prusse, et qui veulent donc avoir leursAU Schinckel, Schütel et Gilly. Et puis il y a ceux qui voient Berlin comme la capitale de la RDA. Pour d’autres encore, Berlin c’est d’abord le XIXe siècle et le Gründerzeit, ou la ville du mouvement moderne, ou encore celle de la Guerre-Froide. Nous voyons la ville selon des perspectivesSOUMIS très différentes et devrions chercher à accepter cette simultanéitéSUPERIEURE de points de vue divergents, plutôt que de tenter de tout couler dans le même moule. »

Philipp Oswalt, interviewé par Guido Fassbender et Heinz Stahlhut (2009, p. 145) DOCUMENT NATIONALE

ECOLE NANTES DE

D'AUTEUR

D'ARCHITECTUREDROIT AU

SOUMIS SUPERIEURE

DOCUMENT NATIONALE

ECOLE L’intervention du pouvoir politique sur les traces joue donc un rôle important dans la place et le sens qu’elles prennent dans la ville. Dans le cas présent, l’objectif principal semble être, on l’a dit, une normalisation de l’espace urbain, face à un travail de mémoire que l’on estimeNANTES en grande partie accompli, et qui se traduit par un double mouvement d’effacement et de reconstitution. DE

Peut-on pour autant parler de damnatio memoriæ à l’encontre des traces du XXe siècle à Berlin ? Les commissaires d’exposition de Berlin, l’effacement des traces1 reprennent ce terme à propos des traces de la RDA, qui ne subsisteraient que sous une forme muséifiée ou caricaturale. Ils dénoncent notamment une différence de traitementD'AUTEUR avec les traces du Troisième Reich, du point de vue de l’architecture en particulier : les bâtiments incarnant le pouvoir nazi auraient été moins touchés par l’effacement, et sont maintenant D'ARCHITECTUREutilisés par les autorités actuelles (cf. II.B.1). La légitimité de la persistance des tracesDROIT de la RDA semble en effet 82 davantage remise en question, probablementAU du fait de la proximité temporelle du régime2, mais aussi de la volonté d’atténuer les différences entre les deux Allemagne.

Au delà de cette question d’un traitement différencié entre les traces, SOUMIS la notion de damnatioSUPERIEURE memoriæ paraît excessive pour caractériser la relation actuelle avec la mémoire du XXe siècle, parce que d’autres dynamiques entrent en jeu, qui perturbent la mise en place d’un récit cohérent et maîtrisé. L’ensemble des modalités d’intervention sur les traces, même si elles influent sur leur signification, ne correspond pas à un effacement : non seulementDOCUMENT des traces persistent en dehors du récit, mais l’action de NATIONALEd’acteurs autonomes par rapport au pouvoir joue aussi un rôle important. Enfin, l’absence même de trace peut être signifiante et infléchir le récit.

ECOLE

1. Combe, Dufrêne, Robin, 2009 2. Voir l’interview de Benedikt Goebel dans Fassbender, Stalhut, 2009 III.A LIMITES DE LA VOLONTÉ DE NORMALISATION

Si l’élaboration du récit de la ville à partir des traces du passé tend à infléchir la mémoire dans une direction conforme aux valeurs et idéaux défendus par le pouvoir en place, l’aboutissement complet d’un tel processus semble, en tous cas dans le cadre d’une société démocratique, difficile à atteindre. Il existe en effet des points de résistance face à l’intervention sur les traces, de même que persistent dans le paysage certains éléments qui ne correspondent pas totalement au récit déployé.

III.A.1/ Remémoration et résistance

Certaines situations montrent que la tentative d’effacement ou d’altération d’une trace entraîne parfois, en réaction, le renforcement de sa dimension mémorielle. Dans sa thèse, Marie Hocquet évoque ainsiNANTES « l’enclenchement d’un processus intense de remémoration3 » face à la menace de destruction du Palais de la République. L’installation durableDE d’un débat fortement médiatisé par rapport à ce projet a en effet incité les Allemands de l’Est comme de l’Ouest à se positionner face à cet effacement, ce qui a conduit à la réactivation et à la mobilisation de souvenirs en rapport avec le lieu. Comme le remarque Marina Chauliac à propos de l’effacement de la toponymie lors de la réunification, c’est donc « au moment où il y a crise, menace de ruptureD'AUTEUR avec l’objet, élément de représentation de l’espace quotidien devenu élément de la conscience, que le lien entretenu avec ce dernier par le groupe apparaît le plus nettement4 ». Cette réaction par rapportD'ARCHITECTURE DROITau risque de l’effacement entraîne même parfois, comme on va le voir, une « resémantisation » de 83 la trace menacée, qui devient, au-delà de sonAU statut de marque d’un passé déterminé, dépositaire de la mémoire des luttes pour sa préservation, et acquiert ainsi une signification supplémentaire dans l’espace urbain.

SOUMIS La résistanceSUPERIEURE citoyenne aux projets politiques Le processus de remémoration provoque dans certains cas une résistance de la part des citoyens face à l’intervention du pouvoir politique sur les traces du passé. Le Palais de la République, sur lequel nous reviendrons, est à ce titre un exemple éloquent, même si les protestations n’ont finalement DOCUMENTpas abouti à la préservation du bâtiment. Cette tradition contestataireNATIONALE n’est pas nouvelle à Berlin, comme le montre par exemple le phénomène de lutte contre les expulsions et la destruction des quartiers de Mietskasernen dans les années 1970, qui a conduit à la naissance de la ECOLEbehutsame Stadterneuerung (cf. II.C.1). En dehors du Palais de la République, un autre projet suscite depuis quelques années un débat animé : il s’agit du devenir de l ‘ancien aéroport de Tempelhof. Fermé depuis 2008, une partie de son aérogare sert actuellement d’espace pour expositions temporaires et « events » de grandes entreprises5 (le reste des locaux étant partiellement occupé par différentes administrations, ou loué en tant que bureaux), tandis que le terrain d’aviation est devenu depuis 2010 l’un des plus grands parcs

3. Hocquet, 2011, p. 356 4. Chauliac, 2005, p. 60 5. Différents espaces (salle d’enregistrement, restaurants, hangars, espaces de transit, tarmac…) sont ainsi proposés à la location en fonction des besoins. Voir : http:// www.tempelhoferfreiheit.de/thf-eventlocation/eventflaechen-gebaeude/ (consulté le 04/08/2014) de Berlin. Du fait de l’immense espace ”libre” que ce lieu représente en pleine ville (305 Ha), le Sénat de Berlin prévoyait d’utiliser sa périphérie pour y construire des logements, des bureaux et des équipements publics, tout en conservant un parc d’environ 200 Ha dans la partie centrale du terrain, à l’intérieur du taxiway.

Ce projet a suscité une vive contestation citoyenne, s’élevant contre la destruction supposée de l’intégrité de ce lieu majeur de l’histoire de Berlin et de l’Allemagne (cf. II.B.1), mais également (surtout ?) contre la disparition d’espaces verts à l’intérieur de la ville. Cette résistance a entraîné la création en juin 2012 d’un collectif associatif, la « Demokratische Initiative (fig. 73)Un parc apprécié, 2010 NANTES 100% Tempelhofer Feld e.V. », qui a largement médiatisé les revendications et contribuéDE à faire émerger un des débats majeurs de l’urbanisme berlinois, aux côtés de la reconstruction du Château et du projet de nouvel aéroport à Schönefeld. Sous l’impulsion de l’association, un référendum d’initiative populaire a finalement été organisé en mai 2014, aboutissant à l’adoption d’une « loi Tempelhof » (THF-Gesetz) rendant impossible le projet du Sénat. Le texte définit en effet deux zones, auxquelles s’appliquentD'AUTEUR des règles différentes6 : l’intérieur du taxiway doit être conservé dans son état actuel (pas de plantation d’arbres, ou de création de bassins, comme le prévoyait le projet initial), tandis qu’à l’extérieur, seuls des constructions et aménagements temporaires peuventD'ARCHITECTURE êtreDROIT envisagés (potagers, terrains 84 de jeux ou nouveaux chemins par exemple).AU La mémoire du lieu était encore présente dans les esprits du fait du débat relativement récent qui avait abouti à la fermeture définitive de l’aéroport en 2008). Si cette contestation a ravivé cette mémoire, elle a surtout provoqué SOUMISune nouvelle fois sa resémantisation : en plus d’être l’emblèmeSUPERIEURE du pouvoir Nazi, puis de la résistance du monde libre face à l’oppression communiste, Tempelhof est ainsi devenu celui de l’expression de la volonté populaire et de la victoire des citoyens sur des projets vécus comme imposés « d’en haut ».

DOCUMENT NATIONALE

ECOLE

(fig. 74) Le projet du Sénat (fig. 75) « Ne touchez pas à la prairie ! », 2012

6. Ces différentes règles sont résumées sur le site du gestionnaire du lieu : http:// www.tempelhoferfreiheit.de/tempelhofer-feld/thf-gesetz/konsequenzen-des- volksentscheids/ (consulté le 04/08/2014). Le texte complet de la loi est quant-à-lui disponible notamment sur le site du Sénat de Berlin dédié aux élections : https:// www.wahlen-berlin.de/abstimmungen/VB2013_TFeld/Traegerin_und_Wortlaut.pdf (consulté le 04/08/2014) L’émergence d’une « identité protestataire de l’Est »7

Comme nous l’avons déjà évoqué, la persistance de traces de la RDA dans le paysage berlinois est vivement remise en question après la réunification, dans un but affiché de rapprocher les deux modèles, qui s’est en réalité plutôt traduit par une absorption de l’Est par l’Ouest8. Face aux tentatives d’effacement des traces et aux velléités de marginalisation de la culture est-allemande9, s’est donc développée une identité Ossi, qui se définit en contrepoint de celle du Wessi assimilateur.

La réappropriation de cette distinction caricaturale, née à l’Ouest à partir des stéréotypes péjoratifs attribués aux Allemands de l’Est, se fonde bien sûr en partie sur l’Ostalgie (cf. II.B.3), mais dépasse assez largement ce cadre consumériste pour protester contre la négation du vécu est-allemand, et donc celle des lieux de mémoire qui lui sont associés. Le processus de remémoration entraîné par cette peur de la perte a ainsi favorisé les mouvements de contestation, contre la modification du nom NANTES de certaines rues ou encore la démolition de statues ou de DE bâtiments, à l’image du Palais de la République. L’affirmation de cette identité contestataire s’est également traduite par quelques actions emblématiques, comme l’installation en 1992 par le metteur D'AUTEUR en scène Frank Castorf des lettres en néon « OST » (Est) sur le toit de la Volksbühne, dont il venait d’être (fig.D'ARCHITECTURE 76)L’installation des lettres «OST» en 2004 nommé directeur10. On est donc ici DROIT 85 dans le cas d’une résistance généralisée faceAU à une relecture de l’histoire qui l’est tout autant ; et la remémoration consécutive à la menace sur une trace particulière semble par conséquent favorisée par ce climat général.

Ces divers exemples mettent en évidence le rôle du débat public comme SOUMIS catalyseur de mémoire,SUPERIEURE et ses effets potentiels sur l’action du pouvoir politique. Il entre en effet d’une certaine manière en contradiction avec le principe même de l’effacement, dont l’objectif est plutôt de détourner la mémoire collective de la trace en question. Si les réactions face à l’effacement sont sans doute les plus vives, probablement du fait de son caractère définitif, les autres modalités d’intervention sur les traces font aussi parfois polémique,DOCUMENT et peuvent de la même manière être remises en question.NATIONALE La force du débat comme outil de remémoration doit tout de même être relativisée : que la contestation porte ou non ses fruits, il elle ne peut pas durer éternellement, et la question de la persistance dans le ECOLEtemps de la mémoire mobilisée peut donc être posée.

III.A.2/ Persistance de traces en dehors du récit

L’impossibilité de prendre en compte la totalité des traces visibles dans l’espace urbain vient également remettre en question la capacité du pouvoir politique à faire émerger un récit complètement cohérant et maîtrisé. Certains éléments, qui ne correspondent pourtant pas à direction vers laquelle le récit est censé tendre, ne peuvent pas toujours

7. Robin, 2001, p. 242 8. Robin, 2001, p. 241 9. Dufrêne, in Combe, Dufrêne, Robin, 2009, p. 45 10. Robin, 2001, p. 242 être effacés ou vraiment mis à distance, et sont donc laissés plus ou moins en dehors du discours dominant. Plusieurs cas de persistance, malgré les tentatives de relecture, peuvent ainsi être relevés à Berlin. Si ces traces restent présentes dans le paysage, aucun élément ne vient vraiment mettre en évidence leur signification dans la ville actuelle.

Le paysage symbolique « indéboulonnable »

Malgré la volonté tenace de se démarquer du IIIe Reich et de la RDA, toutes les manifestations de leurs valeurs et références n’ont pu être “traitées”, et des traces des stratégies mémorielles et symboliques des deux régimes persistent par endroits, plus ou moins à l’abandon.

Ces persistances sont parfois la conséquence de tentatives d’effacement qui ont échoué, comme par exemple la cloche du stade olympique ou laNANTES statue de Ernst Thälmann àDE Prenzlauer Berg. Le premier cas est assez anecdotique, mais il constitue une métaphore éloquente de la difficulté à vraiment effacer le passé indésirable. La dite cloche a donc été couléeD'AUTEUR à l’occasion des (fig. 77)La cloche de l’Olympiastadion, 2012 jeux olympiques de 1936, organisés par le régime nazi. A la fin de la Seconde Guerre Mondiale, le D'ARCHITECTUREcomplexeDROIT du stade est réutilisé par le commandement Britannique, AUqui procède au nettoyage des symboles les plus liés au nazisme11 (tout en conservant par exemple les statues monumentales à la SOUMIS gloire de l’homme aryen). Le SUPERIEURE clocher, qui avait été détruit par les bombardements, est lui reconstruit dans les années 1960, à l’occasion (fig. 78) Thälmann, le poing levé, 2013 de la première rénovation du stade12. La cloche originelle, fendue par le conflit, est remplacée par une nouvelle,DOCUMENT mais elle est cependant conservée dans l’enceinte du stade, où NATIONALEelle est exposée en tant que trace. Les croix gammées présentes sur son flanc sont alors camouflées en coulant du bronze dans leurs interstices. Ce bronze a aujourd’hui tendance à se détacher de la cloche, faisant réapparaitre, de manière pour l’instant partielle, le symbole nazi. ECOLE Le mémorial à Ernst Thälmann, résistant communiste mort à Buchenwald, à quant-à-lui connu un destin plus médiatisé. Réalisé entre 1981 et 1986 par le sculpteur soviétique Lev Kerbel13, il s’agit d’un buste en bronze de 14 mètres de haut sur 15 de large, montrant Thälmann le poing levé, devant un drapeau rouge. Dans Berlin Chantiers, Régine Robin raconte la tentative d’effacement du monument en 1993, au nom du refus de commémorer ceux qui avaient lutté contre le nazisme pour instaurer le communisme14. Comme dans le cas de la statue de Lénine (cf. II.B.4), le projet de destruction provoque une vive réaction de la part des habitants

11. Donath, 2005, p. 65 12. Une deuxième rénovation a eu lieu en prévision la coupe du monde de football de 2006. Elle a conduit à la couverture des tribunes du stade. 13. Robin, 2001, p. 223 14. Robin, 2001, p. 223 du quartier et d’ailleurs. Cette contestation ne serait cependant pas la raison principale de la survie de la statue (celle de Lénine a d’ailleurs finalement été démontée), et l’abandon de la démolition viendrait plutôt de l’impossibilité de trouver une entreprise capable de s’occuper pour un coût raisonnable de ces 500 tonnes de bronze. La statue est donc aujourd’hui encore debout, sans être toutefois mise en perspective dans le récit berlinois ni vraiment entretenue, « et aujourd’hui on peut y lire : “Emprisonné, assassiné, barbouillé”, ce qui résume la vie de militant de Thälmann, sa fin tragique à Buchenwald et le destin de son monument soumis aux intempéries et aux graffitis15 ».

D’autres raisons expliquent certaines persistances, comme par exemple celle des trois (fig. 79)Le mémorial du Tiergarten, 2013 NANTES mémoriaux construits par l’Armée Rouge pour commémorer et accueillir les dépouilles des soldats soviétiques tuésDE lors de la bataille de Berlin16. Le plus ancien, construit dès novembre 1945, se trouve dans le Tiergarten, à l’emplacement précis où les deux axes monumentaux du projet de Speer devaient se croiser17. Deux autres mémoriaux du même type ont été inauguré en 1949, l’un à Pankow, et l’autre, de taille beaucoup plus importante, dans le parc de Treptow. Pendant la Guerre-Froide, un accord bilatéral entreD'AUTEUR l’URSS et la RDA prévoyait que cette dernière était chargée de l’entretien des sites situés sur son territoire, dans le cadre de la convention de Genève sur les cimetières militaires. Le premier mémorial, qui était situé en secteur britannique, était gardé directement parD'ARCHITECTURE desDROIT soldats soviétiques, et considéré de fait comme une enclave de l’URSS18. Les principes de gestion 87 de ces sites sont régis, depuis la chute duAU Mur, par le traité « Quatre- plus-Deux », signé en mars 1991, qui prévoyait que la nouvelle république allemande s’engagerait à entretenir, en l’échange d’une participation SOUMIS SUPERIEURE

DOCUMENT NATIONALE

ECOLE

(fig. 80) Le mémorial de Treptower Park, 2013

15. Robin, 2001, p. 223 16. Terray, 1996, p. 39 17. Oudin, Georges, 2001, p. 415 18. Oudin, Georges, 2001, p. 415 financière, les cimetières militaires et édifices commémoratifs des anciennes puissances occupantes19. L’effacement ou la réinterprétation de ces traces sont donc ici rendus impossibles.

La démesure du tissu urbain

Les ambitions des deux régimes totalitaires ont produit à certains endroits une structure urbaine surdimensionnée, qui ne correspond plus à la recherche actuelle d’ancrage dans un passé pré-moderne. Si le régime nazi a finalement assez peu modifié l’échelle de la ville (on peut tout de même noter la portion de l’axe Est-Ouest qui traverse le Tiergarten de part en part, ou encore certains complexes de bâtiments aux alentours de l’aéroport de Tempelhof), ce n’est pas le cas de la RDA. L’Est de Berlin reste en effet largement marqué, dans les espaces centraux comme dans les

NANTES DE

D'AUTEUR

(fig. 81)La « Große Stern » du Tiergarten, (fig. 82) La Grünerstraße, entre Alex- réaménagée par Speer, 2008 anderplatz et la Fischerinsel, 2007 D'ARCHITECTUREDROIT 88 quartiers de Plattenbauten, par cet urbanisme presque lâche, caractérisé notamment par de très larges artèresAU dédiées à la circulation automobile et aux manifestations officielles, et par l’importance des étendues vides laissées au pied des bâtiments. Si ces espaces sont aujourd’hui remis en question (cf. II.C.2) et soumis, comme le souligne Gabi Dolff-Benkämper, à une double critique visantSOUMIS à la fois le communisme et l’urbanisme fonctionnaliste20SUPERIEURE, ils restent malgré tout assez présents, rappelant de manière implicite les régimes passés.

La résistance polyforme du Mur DOCUMENT NATIONALEÉlément essentiel de la géographie urbaine pendant 28 ans, le Mur conserve une certaine importance dans la physionomie de la ville, mais également dans les esprits. Malgré la tentative de faire disparaître le plus possible la cicatrice et d’établir une continuité entre les deux parties de ECOLE la ville, le passage de l’ancienne frontière reste ainsi souvent perceptible autrement que par la ligne de pavés qui rappelle son tracé (cf. II.B.6). Il n’est pas rare en effet qu’il s’accompagne d’un changement complet de typologie urbaine, ou que l’espace que prenait le no man’s land soit encore décelable. De la même manière, les réseaux de transport public, qui ont été remis en état pendant la séparation de la ville, restent encore passablement marqués par la division : le tramway circule ainsi presque exclusivement à l’Est, alors que le métro dessert plutôt l’ancien secteur occidental, ce qui rend parfois complexe les liaisons rapides entre les deux côtés de la ville.

Mais la persistance du Mur n’est pas uniquement physique. Outre

19. Terray, 1996, p. 40 20. Dollf-Bonekämper, 1999, p. 369 l’antagonisme Ossi/Wessi que nous avons déjà relevé, certains éléments montrent que la frontière reste parfois présente dans les esprits. Régine Robin cite, à ce titre, une étude réalisée en 2000 et portant sur les trajets quotidiens d’habitants de quatre quartiers en bordure du Mur, qui montre que la pratique comme la connaissance de l’autre moitié de la ville reste assez faible21. Si ces parcours ont probablement quelque peu évolué en près de 15 ans, des différences persistent de part et d’autre, par exemple en terme d’affinités politiques, comme le montrent les résultats des élections législatives de 201322. La persistance de ces différences est d’autant plus étonnante que, dans les espaces centraux, les changements de population ont été assez importants, notamment du fait de la gentrification.

(fig. 83)Le réseau de transport ferré en 2010. Le tramway est représenté en rouge, le métro en bleu, et la S-Bahn (RER) en vert. (carte : SenStadtUm) NANTES DE

D'AUTEUR

D'ARCHITECTUREDROIT 89 AU (fig. 84) Les résultats des élections législatives de 2013. Le SPD est en rouge, Die Linke en violet, les SOUMIS Grünen en vert et la CDU en noir. SUPERIEURE (carte : Berliner Morgenpost)

DOCUMENT NATIONALE

ECOLE

Malgré les stratégies mises en place par les détenteurs du pouvoir pour faire émerger des traces du passé un récit mémoriel conforme aux valeurs qu’ils défendent, on voit donc qu’il est difficile de maîtriser toutes les traces, et que l’intervention n’a pas toujours l’effet escompté. Un écart existe donc entre le récit tel qu’il est mis en avant par le pouvoir et certaines traces qui ne lui correspondent pas totalement, mais restent pourtant visibles dans l’espace urbain.

21. Robin, 2001, p. 140 22. Ces résultats mettent à la fois en évidence la spécificité des périphéries aisées, qui votent plus à droite (CDU) que le reste de la ville, et la persistance d’une différence marquée en Est et Ouest, notamment à gauche (l’Ouest étant plus favorable au SPD, alors que l’Est reste fidèle àDie Linke). Les Verts font eux leurs meilleurs scores à Prenzlauer Berg et Kreuzberg, les deux quartiers les plus touchés par la gentrification. III.B DIVERSITÉ DES ACTEURS ET POLYPHONIE

En plus de l’impossibilité pratique de maîtriser l’intégralité des traces du passé, la pluralité des acteurs et des témoignages vient également contrarier l’élaboration du récit. La mémoire collective, si elle peut être instrumentalisée par le pouvoir politique, ne se constitue en effet pas de manière unilatérale, et des traces de nature autre que physique peuvent également l’influencer.

III.B.1/ Pratiques autonomes, qui échappent aux logiques du pouvoir NANTES Certaines pratiques sociales, alors même qu’elles se développent de manière indépendante voire en contradiction avec le pouvoirDE politique et les valeurs qu’il défend, peuvent ainsi jouer un rôle sur l’élaboration du récit de la ville ou encore la direction prise par le travail de mémoire.

« Berlin ist arm, aber sexy », le rôle du mouvement alternatif D'AUTEUR La culture alternative est un exemple typique de cette influence possible sur l’image de la ville d’acteurs extérieurs aux détenteurs du pouvoir. L’émergence de ce mouvementD'ARCHITECTURE à Berlin est liée à la situation particulière de la partie occidentale de la DROITville pendant la Guerre-Froide. 90 Enclave du monde libre dans le bloc deAU l’Est 23, la « ville-front » est à ce titre fortement subventionnée par la RFA, ce qui se traduit notamment par une politique culturelle ambitieuse, dans un contexte de concurrence entre les modèles. Pour éviter que la ville ne se dépeuple (alors que beaucoup d’entreprises ont déplacé leurs activités en Allemagne de l’Ouest), des SOUMIS SUPERIEURE règles spécifiques sont également mises en place pour attirer les jeunes, comme l’exemption de service militaire ou la création de la Freie Universität (l’université libre de Berlin-Ouest)24. DOCUMENT NATIONALE Ces spécificités vont entraîner le développement d’une « culture du Mur », marquée par l’idéalisme ECOLE et l’anticonformisme, dans un contexte permanent de difficultés économiques. Cette effervescence (fig. 85)Le street-art, un moyen d’expression se matérialise notamment dans privilégié à Berlin, 2012 le mouvement d’occupation d’immeubles à Kreuzberg dans les années 1970 (cf. II.C.1), mais également dans le dynamisme de la Szene musicale et artistique. Loin de disparaître avec la chute du Mur, cette vitalité créatrice se déplace alors à l’Est25, où elle s’appuie sur les nouvelles expérimentations permises par la rencontre des deux modèles26, et sur la naissance de l’identité protestataire (cf. III.A.1).

23. Oudin, Georges, 2000, p. 513 24. Oudin, Georges, 2000, p. 514 25. Voir l’interview de Philip Oswalt dans Fassbender, Stalhut, 2009 26. Cette créativité a notamment été permise par la structure de la propriété en RDA. De nombreux bâtiments nationalisés, restés vides après la réunification le temps de retrouver les propriétaires initiaux, ont ainsi été occupés illégalement. Alors même qu’il s’est développé comme une contre-culture, ce phénomène constitue aujourd’hui une des dimensions essentielles pour caractériser Berlin, mais aussi un des éléments moteurs de son attractivité touristique. Il a d’ailleurs été en partie récupéré par la municipalité, notamment sur l’impulsion de Klaus Wowereit, bourgmestre-gouverneur depuis 2001. Sa formule pour définir la ville, « Berlin ist arm, aber sexy » (Berlin est pauvre mais séduisante), est ainsi devenue une sorte de slogan, permettant à la ville de relativiser ses difficultés économiques. L’intégration du mouvement alternatif dans le récit de la ville illustre donc les inflexions que peuvent apporter certains mouvements autonomes au discours dominant.

Mémoires plurielles

NANTES DE

D'AUTEUR

D'ARCHITECTUREDROIT AU

SOUMIS SUPERIEURE (fig. 86)« Ici habitaient Max et Jenny Prager... », 2013

L’action des citoyens joue également un rôle dans la mise en place et la réalisation du travail de mémoire. Elle est, dans la plupart des cas, le fait de groupesDOCUMENT de pression, qui poussent les détenteurs du pouvoir à faire NATIONALEmémoire de tel ou tel événement (cf. II.B.5). Mais il existe également certains exemples d’initiatives autonomes, réalisées en dehors du cadre de la mémoire officielle.

ECOLELes Stolpersteine27 (mot qui signifie littéralement « pierres d’achoppement ») de l’artiste Gunter Demnig sont un bon exemple de ce type d’intervention, nées sans l’appui des pouvoirs publics, tout en ayant un large impact sur la mémoire collective. Ce projet consiste en l’installation de petits pavés de laiton devant le dernier lieu de résidence de victimes du national-socialisme. Sur chacun d’entre eux sont inscrits le nom de la personne, sa date de naissance, la date de son arrestation, ainsi que le lieu, la date et les conditions de sa mort. Le coût de leur fabrication et de leur installation (environ 120 euros par pierre) est entièrement couvert par des dons.

La première Stolperstein a été posée à le 16 décembre 199228,

27. http://www.stolpersteine.eu/ (consulté le 05/08/2014) 28. http://www.stolpersteine-berlin.de/de/projekt (consulté le 05/08/2014) pour commémorer les victimes Roms et Tziganes de l’extermination, à l’occasion des 50 ans du décret entraînant leur déportation. Elle ne mentionnait pas de nom en particulier, mais reprenait les premières phrases de ce décret. Ce n’est qu’en 1996 que le projet a acquis sa définition actuelle, avec l’installation à Berlin de 50Stolpersteine dans la Oranienstraße, sans l’accord de la municipalité29. L’initiative a depuis pris une certaine ampleur, et on dénombrait en mars 2014 environ 5.000 pavés de laiton à Berlin, sur un total de plus de 46.000, répartis dans plusieurs villes européennes30. Si le projet a été bien accueilli par les autorités berlinoises et dans de nombreuses autres villes, il provoque parfois des réticences, notamment à Munich31. Seulement 19 Stolpersteine ont ainsi été posées dans la capitale bavaroise, qui interdit depuis 2004 leur installation dans l’espace public, au nom du risque de profanation et du « refus de cette forme de commémoration,NANTES foulée quotidiennement aux pieds32 ». Ce refus a entraîné la création d’une association,DE l’Initiative Stolpersteine für München e.V.33, qui se bat pour leur autorisation. Il ternit en outre la volonté de Munich (par ailleurs très forte) de faire mémoire (fig. 87)Une Stolperstein fraîche- de ces événements. ment installée à Neukölln, 2013 Le pouvoir politique doit donc parfois composerD'AUTEUR avec des actions ou des pratiques qui échappent à ses logiques ou à son contrôle, mais qui jouent un rôle potentiellement important dans l’image de la ville et la formation du récit de sa mémoire. Dans les deux cas que nous venons d’évoquer, les autorités berlinoisesD'ARCHITECTURE ont suDROIT s’appuyer sur ces initiatives 92 extérieures, mais l’exemple des Stolpersteine à Munich montre que ce n’est pas systématiquement le cas,AU et que ces actions peuvent venir perturber le récit mémoriel officiel.

SOUMIS III.B.2/ TémoignagesSUPERIEURE et rôle des artistes

Nous nous sommes jusqu’à maintenant attachés à analyser le rôle que jouent, dans la constitution de la mémoire, des traces physiquement présentes dans l’espace urbain. Si les lieux sont un support privilégié de la mémoire collective (cf. I.C.2), ils n’en sont évidemment pas les DOCUMENT NATIONALEseuls vecteurs, et diverses autres formes de traces, matérielles ou non, permettent également de rendre compte du passé (il peut s’agir de documents d’archives, d’images, de récits…). Les artistes jouent, à ce titre, également un rôle dans la récolte mais aussi la création de témoignages ECOLE de ce type. Si elles ne peuvent pas toujours être considérées comme des documents historiques, ces productions donnent parfois un point de vue sur la ville qui peut, lui aussi, influencer la formation de la mémoire et, pour cette raison, venir perturber son instrumentalisation à des fins politiques.

Dans l’ensemble de la production artistique, le cinéma (comme

29. http://www.stolpersteine-berlin.de/de/projekt (consulté le 05/08/2014) 30. http://www.stolpersteine.eu/technik/ (consulté le 05/08/2014) 31. Arnsperger Malte, « Streit um Stolpersteine, Münchens Angst vor den Neonazis », 21 janvier 2013, http://www.stern.de/panorama/streit-um-stolpersteine-muenchens-angst- vor-den-neonazis-1960837.html (consulté le 05/08/2014) 32. « Der Stadtrat will keine Form des Gedenkens, die im Alltag mit Füßen getreten wird », Christan Ude, maire de Munich, cité par Arnsperger, op.cit. 33. http://www.stolpersteine-muenchen.de/initiative/muenchen.php (consulté le 05/08/2014) la photographie) occupe une place particulière en terme de documentation du passé : il constitue en effet à la fois une archive montrant la ville à un moment précis et un point de vue artistique et subjectif sur celle-ci. Certains des films tournés à Berlin au cours du XXe siècle donnent ainsi à voir un moment de l’histoire de la ville, et permettent d’en garder une (fig. 88)La rue berlinoise selon Ruttmann, 1927 trace, même si celle si n’est plus perceptible dans l’espace urbain. Nous avons déjà cité plusieurs œuvres emblématiques, qui ont joué un rôle important dans la manière dont on perçoit la ville : NANTES Berlin, symphonie d’une grande ville, réalisé par Ruttmann en 1927, DE montre ainsi l’effervescence de la ville de l’entre-deux-guerres, qui contraste avec la ville détruite immortalisée par Rossellini en 1948 dans Allemagne, année zéro, (fig. 89) Le Berlin de Rossellini, 1948 tandis que l’on peut voir, dans Les D'AUTEUR Ailes du désir, de Wim Wenders (1987), un Berlin mélancolique et en friche. D'ARCHITECTUREDROIT Le rôle joué par les artistes face à la constitution de la mémoire a AU notamment été exploré dans une exposition34 présentée en 2009 à la Berlinische Galerie sous le titre « Berlin 89/09, l’art entre rechercheSOUMIS des traces et utopieSUPERIEURE ». Elle proposait un panorama de l’état (fig. 90) Les anges Damiel et Cassiel devant le de l’art à Berlin depuis la chute Mur, Wim Wenders, 1987 du Mur, organisé en trois sections distinctes : « Spurensuche », la recherche des traces, « Dokumentation des Wendels »DOCUMENT, la documentation du changement, et enfin « Alternative KonzepteNATIONALE », concepts alternatifs. Cette structuration représentait, selon les commissaires de l’exposition, les différentes positions prises par les artistes face à l’événement particulier de la chute du Mur et de la réunification allemande35. Ces trois démarches sont pour eux ECOLEcomplémentaires, mais également étalées dans le temps, comme trois phases d’un même processus qui se succèdent en se chevauchant.

La section « Spurensuche » présentait par exemple une série de 12 photographies réalisée par Sophie Calle36 en 1996, et portant le titre « Die Entfernung - The Detachment37 ». L’artiste y donne à voir plusieurs lieux de Berlin-Est, dans lesquels des symboles de la RDA ont été “détachés”, mais qui gardent trace de leur présence passé. Sous chaque image est accroché un petit carnet montrant une image du lieu avant le

34. Fassbender Guido, Stalhut Heinz, Berlin 89/09, Kunst zwischen Spurensuche und Utopie, Berlin : Berlinische Galerie, 2009 35. Fassbender, Stalhut, 2009, p. 13 36. Fassbender, Stalhut, 2009, p. 51 37. Cette œuvre a également été présentée dans l’exposition Berlin, l’effacement des traces NANTES DE

(fig. 91)« Die Entfernung – The Detachment » , Sophie Calle, 1996

détachement, ainsi que des extraits d’entretiens réalisés avec des passants lors de la prise de la photographie. Les trois exemplesD'AUTEUR présentées ci-dessus témoignent ainsi respectivement, du remplacement, sur une des façades extérieures du Nikolaiviertel, de la colombe de la paix par un panneau publicitaire, de la suppression de l’emblème de la RDA sur le palais de la République, et de la disparition de D'ARCHITECTUREla statueDROIT de Lénine, remplacée par la 94 composition de rochers dont nous avons déjà parlé (cf. II.B.4). AU Le travail de Michael Wesely38 est assez caractéristique de la deuxième section de l’exposition, « Dokumentation des Wendels ». Il réalise en effet des photographies en utilisant la technique de la pose longue, ce qui lui permet notamment deSOUMIS mettre en évidence les évolutions profondes de l’objet photographié,SUPERIEURE tandis que les détails de la vie quotidienne deviennent flous. Les deux photographies ci-contre ont respectivement nécessité une prise de vue de 1 an et 5 mois pour la première, et de 2 ans et 4 mois pour la seconde. Ce temps long a permis à l’artiste de transcrire les modifications du tissu urbain DOCUMENT en une seule image. On peut donc NATIONALE percevoir ici la reconstruction d’un îlot donnant sur la Senefelder Platz et le processus de déconstruction du Palais de la République. ECOLE La dernière partie de l’exposition, dédiée aux utopies alternatives, est extrêmement diverse, mais on peut tout de même citer le « Sozialpalast » de Michel 39 (fig. 92)« Sozialpalast », Michel Majerus, 2002 Majerus , installation réalisée sur la porte de Brandebourg en 2002. Le monument subissait en effet à l’époque d’importants travaux de restauration, et l’échafaudage qui l’entourait était recouvert d’une bâche de protection servant également de support publicitaire. L’artiste a reproduit sur cette bâche une portion de la façade du « Pallasseum »,

38. Fassbender, Stalhut, 2009, p. 101 39. Fassbender, Stalhut, 2009, p. 125 immeuble d’habitat social construit dans les années 1970 dans l’arrondissement de Schöneberg, questionnant sa destruction envisagée parce qu’il concentrait les problèmes sociaux.

On voit donc que des actions indépendantes de la volonté du pouvoir, qu’il s’agisse de productions artistiques ou d’autres pratiques alternatives, peuvent également jouer un rôle important dans l’émergence de la mémoire collective, mais également dans la manière dont on perçoit la ville. Ces démarches constituent en effet des éléments qui nous permettent de nous représenter la ville, notamment a priori, et qui nous rendent plus attentifs à la recherche de traces du passé lorsque l’on parcourt Berlin. Et si elles sont parfois en partie récupérées par les autorités, il arrive également qu’elles perturbent la tentative d’élaboration du récit, ou qu’elles conduisent à infléchir sa direction.

NANTES DE

D'AUTEUR

D'ARCHITECTUREDROIT 95 AU

SOUMIS SUPERIEURE (fig. 93)« Senefelder Platz, Berlin, [ 9.5.2006 – 16.10.2007 ] » Michael Wesely, 2007

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(fig. 94)« Palast der Republik, Berlin, [ 18.8.2006 – 19.12.2008 ] » Michael Wesely, 2009 III.C LE RÔLE DE L’ABSENCE

La principale source de remise en question du retour à une “normalité” reste cependant l’absence, qui perturbe par nature la recherche de continuité historique. Résultant de la disparition, elle constitue la première étape du palimpseste, le moment où le parchemin a été gratté pour y faire disparaître le texte initial. Elle contient donc en elle une double-mémoire : celle de l’objet qui a disparu, et celle de l’événement qui a conduit à sa disparition.

L’absence revêt à Berlin une dimension particulière, dans la mesure où elle est, plus systématiquement qu’ailleurs, synonyme d’une blessure. De fait, la disparition résulte souvent d’une action ou d’un événement violents, qu’ils soient ou non intentionnels. Nous avons ainsi déjà cité plusieurs cas d’absences, liés notamment aux bombardements de la SecondeNANTES Guerre Mondiale ou à des effacements idéologiques. Cette violenceDE intrinsèque de l’absence la renvoie à la difficulté de faire mémoire du passé lourd. Sa nature spécifique, caractérisée par son immatérialité pose également la question de son inscription dans l’espace urbain et du rôle qu’elle peut jouer dans le récit mémoriel.

D'AUTEUR III.C.1/ Le vide, trace symbolique de l’absence

D'ARCHITECTURELeDROIT vide est le résultat immédiat de la disparition. Puisqu’il ne AUsubsiste rien de l’objet disparu, si ce n’est l’espace dans lequel il s’inscrivait, il est également la seule marque visible de sa présence SOUMIS passée. En tant que traduction la SUPERIEURE plus explicite possible de l’absence, le vide peut donc avoir une grande signification symbolique. Il doit, pour cette raison, être considéré comme une trace, au même titre que des objets physiquement DOCUMENT NATIONALE présents dans l’espace urbain. Cela signifie qu’il peut être soumis aux mêmes types d’intervention que les autres traces pour être mis en ECOLE perspective dans le récit mémoriel de la ville.

Rendre présente l’absence

Du fait même de son immatérialité, le vide n’existe (fig. 95)Le Rathaus-Forum avec, au premier-plan, que par contraste : il ne peut être le Palais de la République en démolition, 2008 défini que par le fait qu’il devait y avoir du plein avant, puisqu’il y a du plein autour. Son rôle évocateur n’est ainsi possible que si sa présence est perceptible par rapport à son contexte. En ce sens, le projet de densification du centre médiéval (cf. II.C.2) pourrait, de manière involontaire, renforcer la puissance signifiante d’espaces laissés vides, comme par exemple le Rathaus Forum, qui, selon les plans actuels40, ne devrait pas être réurbanisé. Cet espace, situé entre la Tour de Télévision et la Spree, doit son nom à la présence du Rotes Rathaus41, l’hôtel de ville de Berlin, sur sa face Sud. Sa superficie correspond approximativement au tiers de la ville de 1650 (cf. I.A). Presque entièrement détruit par les bombardements (cf. I.B.2), à l’exception de l’église Sainte-Marie toujours présente, il est devenu pendant la Guerre-Froide le cœur symbolique de la RDA, sous le nom de Marx-Engels- Platz. Paradoxalement, l’action de normalisation entreprise autour de cet espace renforce donc son caractère spécifique et sa puissance significative, qui renvoie à la fois à la perte irrémédiable de la ville ancienne et à l’expérience de la RDA

Si dans ce cas la signification de NANTES cet espace est tellement évidente qu’elle n’a pas besoin d’être (fig. 96)«La Maison manquante DE», Christian explicitée de manière particulière, Boltanski, 1990 il arrive que le vide ne se suffise pas à lui-même pour expliciter la mémoire qu’il retrace, et qu’une action soit alors nécessaire pour la révéler. On peut à ce titre citer l’exemple du projet « La Maison manquante » de Christian Boltanski, réalisé en 1990 dans le cadre de l’exposition « Die Endlichkeit derD'AUTEUR Freiheit », que nous avons déjà évoquée (cf. II.B.4). L’artiste s’est intéressé à la dent creuse laissée par un bâtiment de la Große Hamburger Straße, détruit par les bombardements et jamais reconstruit. L’absence est ici double, à la fois matérielle et humaine : située dansD'ARCHITECTURE le DROITScheunenviertel , quartier de l’immigration juive de l’Est avant la Seconde Guerre Mondiale (cf. 97 II.C.1), la disparition de la maison est en effetAU aussi une métaphore de la déportation de ses occupants. L’œuvre consiste donc en l’installation sur les murs-pignons des deux bâtiments mitoyens de panneaux avec le nom de ces disparus, accrochés à l’emplacement approximatif des appartements qu’ils occupaient.SOUMIS SUPERIEURE

Combler le vide ?

Tous les espaces qui ont subi une disparition ne peuvent pourtant pas rester vides : dansDOCUMENT le cas de Berlin, rien que les destructions de la Seconde GuerreNATIONALE Mondiale représentaient près de la moitié des bâtiments de la ville, rendant de fait inimaginable une conservation totale de ce vide. De la même manière que pour les autres traces, une sélection s’avère donc nécessaire, et la plupart des espaces vides sont appelés à accueillir de ECOLEnouvelles constructions.

La question de la reconstruction est loin d’être spécifique à Berlin, comme le montrent par exemple les débats qui ont animé de nombreuses villes européennes à l’issue de la Seconde Guerre Mondiale. Elle soulève, en fonction de ses modalités, le problème de la mise en évidence de la disparition par un autre moyen que le vide. Autrement dit, le fait de combler le vide est-il forcément synonyme d’oubli ?

La tentation du retour à un antérieur est, on l’a vu, particulièrement

40. Voir par exemple le Planwerk Innere Stadt, disponible à l’adresse suivante : http://www. stadtentwicklung.berlin.de/planen/planwerke/pix/innere_stadt/download/planwerk_ innere_stadt_2010.jpg (consulté le 07/08/2014) 41. Le bâtiment est couramment appelé Rotes Rathaus (hôtel de ville rouge) car il est construit en briques. présente à Berlin, en lien avec un désir d’apaisement et de normalité. Mais la reconstruction à l’identique n’est-elle pas une négation de la disparition, et donc un abus d’oubli ? Et quel statut donner au temps, parfois long, pendant lequel l’édifice reconstruit a été absent du paysage ? A l’inverse, une reconstruction qui ne tiendrait pas compte de l’état préalable à la disparition acterait l’effacement de manière définitive, empêchant également la mémoire. On voit donc la complexité de la prise en compte de l’absence dans la fabrique de la ville, et la difficulté de trouver un juste milieu permettant de garder trace à la fois de l’objet disparu et de l’événement qui a causé sa disparition : une manifestation de l’ordre de la référence ou de l’allusion serait sans doute plus adaptée qu’une reproduction totale ou une négation complète.

III.C.2/ Les Trümmerberge, topographie de la disparition

Les Trümmerberge (lit. : montagnes de décombres) sont uneNANTES autre manifestation de l’absence, cette fois-ci plus spécifiqueDE à Berlin. Pratiquement les seules élévations de la ville, ils sont constitués des 70 à 90 millions de mètres cubes42 de débris consécutifs aux destructions de la Seconde Guerre Mondiale. Il en existe de nombreux exemples à Berlin, notamment dans la partie occidentale de la ville, où l’absence d’arrière-pays a obligé à traiter les décombres sur place43. Leur présence dans l’espace urbain s’explique néanmoins également par la complexité de leur évacuation, qui était essentiellement assuréeD'AUTEUR à la main.

Pour plusieurs raisons, la grande majorité des Trümmerberge berlinois est implanté dans des parcs. ProchesD'ARCHITECTURE desDROIT destructions sans pour autant 98 être à proximité directe des habitations, ce qui permettait à la fois un transport et un tri facile des décombres,AU ces espaces avaient par ailleurs été passablement endommagés par le conflit, du fait combiné des bombardements et de l’utilisation des arbres comme bois de chauffe, SOUMIS pendant la guerre mais aussi après SUPERIEURE (et notamment lors du blocus de Berlin). Leur réutilisation pour leur usage initial nécessitait donc de toutes manières une intervention, qui était aussi l’occasion de donner aux collines artificielles un aspect DOCUMENT 44 NATIONALE aussi naturel que possible. Ces dernières étaient d’ailleurs constituées pour faciliter la prise de la végétation, les débris étant ECOLE(fig. 97)Le Trümmerberg de Humboldthain en empilés dans un ordre décroissant construction. Il s’appuie sur un Bunker de leur taille.45

Il est intéressant de noter que certains Trümmerberge recouvrent, totalement ou en partie, des constructions préexistantes. Il s’agit la plupart du temps d’ouvrages militaires et notamment de Flakbunker, des abris antiaériens de 5 étages construits pour protéger les civils des bombardements, et qui pouvaient accueillir jusqu’à 2000 personnes46. La destruction de ces édifices aurait demandé des moyens financiers et techniques indisponibles à l’époque, il a donc été jugé préférable

42. Berlin Handbuch, 1992, p. 1261 43. Forssbohm, 2009, p. 18 44. Forssbohm, 2009, p. 25 45. Forssbohm, 2009, p. 26 46. Oudin, Georges, 2000, p. 407 de les ensevelir. Permettant à la fois de traiter les décombres et d’effacer des traces indésirables, les Trümmerberge relatent donc parfois deux absences.

Parmi les multiples montagnes de décombres présentes à Berlin, le Teufelsberg (la montagne du diable) est sans doute la plus célèbre. Si son nom caractéristique est seulement lié à sa proximité (fig. 98)La faculté nazie, recouverte depuis par avec le Teufelsee (lac du diable), les décombres, 1949 il est en effet, et de loin, le plus grand Trümmerberg de la ville. Réalisé entre 1950 et 1972 dans la forêt de Grunewald, en secteur occidental, il culmine à 115 mètres NANTES au-dessus du Normalnull47 (Berlin est en moyenne à 34 mètres), et DE a été constitué de 26 millions de mètres cubes de décombres, alors que la masse moyenne de ses pairs tourne plutôt autour de 1 million48. Mais la taille n’est pas sa seule spécificité. S’il a, comme (fig. 99) Le radar de laD'AUTEUR NSA, juste avant sa d’autres Trümmerberge berlinois, fermeture, 1991 été édifié sur une construction existante, l’effacement concerne ici un bâtiment particulièrement D'ARCHITECTUREDROIT symbolique : le gros-œuvre de la Faculté des techniques militaires AU (Wehrtechnischen Fakultät), qui faisait partie du plan d’Albert Speer pour Germania49. Le sommet de la colline a par ailleurs SOUMISété utilisé50 entre 1972 etSUPERIEURE 1992 par la NSA51, qui y a installé une station d’écoute et un radar, dont les bâtiments, toujours présents (fig. 100) Piste de ski sur les pentes du Teufelsberg, 1980 aujourd’hui, sont plus ou moins laissés à l’abandon.DOCUMENT Le site est depuisNATIONALE quelques années en partie occupé par un groupe d’artistes, qui y organise régulièrement des visites guidées, mettant ECOLEainsi à profit la superposition et l’entrecroisement des mémoires caractéristiques du lieu.

La mémoire des Trümmerberge semble cependant de moins en moins vive. Dans son mémoire, (fig. 101) Vue panoramique sur la ville depuis la consacré à ce sujet, Ulrike plate-forme du radar, 2013 Forßbohm montre ainsi que si

47. Référence altimétrique allemande, basée sur le niveau de la Mer du Nord 48. Forssbohm, 2009, p. 35 49. Forssbohm, 2009, p. 61 50. Berlin Handbuch, 1992, p. 1228 51. National Security Agency, organisme américain chargé du renseignement d’origine électromagnétique. 62% des personnes qu’elle a interrogées disent savoir que ces reliefs sont constitués de décombres, seulement 12% y pensent systématiquement lorsqu’ils les visitent52. De fait, l’usage actuel des Trümmerberge est essentiellement lié aux loisirs — lieux privilégiés de promenade en raison du point de vue qu’ils offrent sur la ville, ils sont en outre régulièrement pourvus de murs d’escalade ou d’une piste de luge —, et leur signification historique n’est pas particulièrement mise en valeur, d’autant qu’ils ne sont pas protégés en tant que monuments historiques53. La métaphore de l’absence que constituent les Trümmerberge pourrait pourtant être un moyen intéressant d’évoquer le phénomène de disparition, qui, malgré son importance symbolique, est difficile à préserver dans l’espace urbain.

— - —

On le voit, différentes dynamiques dépassent donc la volonté de retour à une normalité fantasmée. Même si une forte volonté d’orienter la mémoire de la ville dans cette direction existe, la diversité des acteurs et la résistance de certaines traces produisent de fait un récit à plusieursNANTES voix. Cette polyphonie renvoie à ce que Régine Robin appelle la « fragmentation des conflits de mémoire54 » : selon elle, le paysage berlinois DEest en effet marqué par plusieurs mémoires, provenant d’époques différentes ou d’acteurs différents, qui se côtoient sans forcément être compatibles dans ce qu’elles commémorent.

Si la volonté de normalisation peut dans une certaine mesure se comprendre, dans sa recherche d’apaisement et d’affirmationD'AUTEUR des valeurs de la république réunifiée, elle contribue donc à détruire la diversité qui fait la spécificité et l’attrait de Berlin. Au-delà du cas particulier de Berlin, l’identité d’une ville est forcément multiple et faite de cassures. Le fait de vouloir en sélectionner uneD'ARCHITECTURE seuleDROIT est donc forcément réducteur, 100 comme le rappelle Philipp Oswalt, à propos de la reconstruction du Château, que nous allons maintenantAU aborder : « L’obsession de vouloir préserver une identité unique pendant plus de 700 ans est complètement ridicule du point de vue historique, alors même que chacun a aujourd’hui constamment plusieurs conceptions contradictoires de l’identité et de la construction de soi. NousSOUMIS devons donc être plus sereins et permettre à différentes conceptionsSUPERIEURE de notre identité d’exister simultanément55 ».

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52. Forssbohm, 2009, Annexe 4 53. Forssbohm, 2009, p. 83 54. Voir conférence virtuelle de Régine Robin, op. cit. (cf. II.B.5) 55. « Historisch ist natürlich die einzige und fixe Idee, eine Identitätüber 700 Jahre aufrecht erhalten zu wollen, völlig irrwitzig, denn in modernen Zeiten hat man stets mehrere widerstreitende Identitätsvorstellungen und Konstrukte. Insofern müssen wir etwas mehr gelassenheit und Bereitschaft aufbringen, unterschiedliche Identitätsvorstellungen zuzulassen » – Interview de Philipp Oswalt dans Fassbender, Stalhut, 2009, p. 145 NANTES DE

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« Nous autres, Allemands, nous nous souvenons, non pas de ce qui a été, mais exclusivement de ce qui sera. En d’autres termes,D'AUTEUR nous transportons chacune des sombres époques du passé dans un avenir lumineux, et plus l’époque est longue, plus elle a d’avenir dans notre mémoire. Les Hohenzollern sont maintenant assez anciens pour retrouver un avenir parmi nous. Nous avons donc besoinD'ARCHITECTURE deDROIT leur Château, pour garder au moins d’eux un souvenir architectural. Quand la tribu de Honecker aura été enfouie suffisamment longtempsAU sous les pelouses de l’histoire, nous pourrons l’exhumer à son tour. Alors rien ne nous empêchera d’enduire le Château de nouvelles couches d’amiante afin de le détruire, et de reconstruire un palais de la République désormais assaini par le temps. » SOUMIS Peter Ensikat, citéSUPERIEURE par Emmanuel Terray (1996, p. 119)

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ECOLE La question de l’inscription de la mémoire collective dans la ville et de l’élaboration du récit soulève à Berlin des débats récurrents. Mais le cas qui fait le plus polémique ces dernières années, et qui concentre le plus les enjeux que nous avons évoqués jusqu’ici, est sans doute leNANTES projet de reconstruction partielle du Château des Hohenzollern sur l’île de la Spree, connu également sous le nom de Humboldtforum. Il s’agitDE en effet d’un exemple éloquent de la récurrence du palimpseste et du rapport qu’entretiennent les traces du passé avec la construction de la mémoire collective.

Le château originel, construit à partir du XVe siècle, était le siège du pouvoir royal prussien puis allemand. AlorsD'AUTEUR qu’il est fortement endommagé par les bombardements de la Seconde Guerre Mondiale, la jeune RDA décide de sa destruction complète en 19511. Il sera remplacé, quelques années plus tard, par le PalastD'ARCHITECTURE der Republik, bâtiment servant à la fois de siège de la Chambre du Peuple (l’organeDROIT législatif de la RDA) et 104 de lieu de divertissement. DésaffectéAU à la chute du Mur, le Palais est lui même détruit entre 2006 et 20082, pour laisser place à la reconstruction du Schloss prussien.

Cette alternance est donc marquée par un double palimpseste, opéré SOUMIS à chaque fois deSUPERIEURE manière intentionnelle, avec comme objectif récurrent de se démarquer des valeurs et de l’image du pouvoir précédent. Dans sa logique de retour à un antérieur, la deuxième intervention est également emblématique des orientations actuelles de l’élaboration du récit mémoriel. Nous chercherons donc à déterminer pourquoi ce lieu a acquis une telle importance symbolique au cours du temps, et comment les débatsDOCUMENT sur le devenir du Palast, nés à la chute du Mur, ont finalement NATIONALEabouti au projet actuel.

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1. Holfelder Moritz, Palast der Republik, Aufstieg und Fall eines symbolischen Gebäudes, Berlin : Christoph Links Verlag, 2008, 2008, p. 21 2. Holfelder, 2008, p. 102 IV.A UN LIEU MAJEUR DE L’HISTOIRE DE BERLIN

« Le château ne se trouvait pas à Berlin, Berlin était le château3 ». Depuis la prise de pouvoir de la famille Hohenzollern au XVe siècle, le site du château a joué un rôle majeur dans l’histoire de la ville, en tant que lieu de pouvoir à différentes époques, mais également en tant que support privilégié de l’écriture du récit.

IV.A.1/ Entre affirmation du pouvoir et contestation populaire

Le site du château est un lieu majeur de l’incarnation du pouvoir politique à Berlin. La construction du bâtiment, à partir de 14434, acte ainsiNANTES la fin de l’indépendance politique de la ville (cf. IV.A.2) et son nouveau statut de résidence permanente des princes-électeurs (ResidenzstadtDE ). Ce rôle deviendra d’autant plus important à partir de 1701, quand Berlin devient capitale de la Prusse au détriment de Königsberg : le château est alors à la fois le lieu de résidence du roi, puis de l’empereur, et le lieu de l’exercice du pouvoir. Il est ainsi, de par sa fonction, à plusieurs reprises le cadre d’événements marquants, comme l’installation symbolique de Napoléon dans ses murs entre 1806 et 1808 à l’occasion D'AUTEURde l’occupation française de la ville pendant la campagne de Prusse5, ou la déclaration de guerre6 du Kaiser D'ARCHITECTUREDROIT en 1914, au balcon du portail Nord, qui marque le début de la AU Première Guerre Mondiale.

La fondation de la République de Weimar en 1918 fait perdreSOUMIS au Château son rôleSUPERIEURE officiel, et il accueille alors le musée des Arts Décoratifs7. A partir de 1933, les autorités du IIIe Reich ne (fig. 102)Le Kaiser Wilhelm II devant le Château modifient pas cette nouvelle pour le défilé du Nouvel-An, 1912 destination, mais transforment le DOCUMENT LustgartenNATIONALE (le jardin d’agrément) en place d’armes, prévue pour accueillir défilés et manifestations de masse8. Mais ce n’est qu’avec la ECOLERDA que le nord de l’île de la Spree retrouve vraiment une importance dans le paysage symbolique berlinois. L’espace laissé par la destruction des restes du château en 1951 est ainsi dans un premier temps dévolu aux manifestations officielles du nouveau régime (fig. 103) Le onzième Congrès du SED en 1986

3. « Das Schloss lag nicht in Berlin, Berlin das Schloss » Wolf Jobst Siedler, cite par Holfelder, 2008, p. 85 4. Terray, 1996, p. 102 5. Oudin, Georges, 2000, p. 128 6. Terray, 1996, p. 103 7. Terray, 1996, p. 104 8. Berlin Handbuch, 1992, p. 789 (discours, grands rassemblements, parades…), puis, Avec la construction du Palais de la République en 1976, il redevient un lieu emblématique de l’exercice du pouvoir, accueillant la Chambre du Peuple (Volkskammer) et les congrès annuels du SED. La réunification, votée à l’intérieur même du Palais par la Chambre du Peuple le 23 août 1990, marque une nouvelle fois la fin de son rôle de lieu du pouvoir.

Le rôle historique du Château-Palais ne se limite pourtant pas à cette incarnation du pouvoir politique : le site est en effet également, depuis ses origines, un lieu important de contestation et de remise en cause de l’ordre établi. Cette dimension protestataire naît dès la construction du château par le magrave Friedrich II « Einsenzahn » (dent de fer) au milieu du XVe siècle. Perçue comme un symbole de la vassalisation de la ville et synonyme d’expropriations et de fortes hausses d’impôts, elle provoque une vive opposition9 de la part des habitants, restée célèbre sous le nom de Berliner Unwille (mécontentement berlinois). Le conflit connaît son apogée en 1448, quand les berlinois font sauter les écluses de la Spree et inondent le chantier. Si le château est finalement achevéNANTES en 1451, le site reste marqué par cette double affirmation du pouvoir et de la résistance populaire. DE

Le château est une nouvelle fois le théâtre de la contestation du pouvoir en 184810, à l’occasion de la révolution de mars (Märzrevolution). Depuis le début de l’année, le mécontentement gronde à Berlin contre les excès du pouvoir royal. Le 18 mars, un cortège réclamant l’octroi d’une constitution,D'AUTEUR la garantie des libertés fondamentales et l’élection d’une assemblée populaire converge vers le château. D'ARCHITECTURELa DROITrévolte est réprimée dans le sang, mais elle donne lieu, pour AUun temps11, à quelques avancées démocratiques.

Le dernier épisode de SOUMIS contestation resté célèbre se SUPERIEURE déroule à l’épilogue de la Première (fig. 104)Liebknecht au balcon du Château, 1918 Guerre Mondiale. Le 9 novembre 1918, Kaiser Wilhelm II, qui a perdu le soutien de l’armée, abdique, et la République est proclamée au Reichstag12. Au même moment, le château est envahi par les ouvriers, et Karl DOCUMENTLiebknecht proclame la naissance de la République Socialiste NATIONALEAllemande depuis le même balcon que celui duquel Wilhelm II avait déclaré la guerre quatre ans plus tôt. Cet épisode déclenche la révolution de novembre (Novemberrevolution), qui verra s’affronter les spartakistes, partisans d’une révolution communiste, et les tenants d’une république ECOLE parlementaire.

En tant que symbole du pouvoir, le château a ainsi été la cible récurrente de la contestation populaire. Sa mémoire reste donc marquée par cette double dynamique de domination et de résistance.

9. Holfelder, 2008, p. 15 – Holfelder montre ainsi que l’opposition au château dépasse la rivalité entre les habitants des deux rives (les pêcheurs de Cölln et les marchands de Berlin). 10. Voir Terray, 1996, p. 103 et Oudin, Georges, 2000, pp. 165-176 11. La montée des tensions entre les bourgeois et le prolétariat, qui avaient mené ensemble la révolution, permet en effet au roi de reprendre la main dès la fin de l’année 1848 (Oudin, Georges, 2000, p. 173) 12. Oudin, Georges, 2000, p. 260 IV.A.2/ Support de l’écriture du récit

Du fait de son rôle politique important, le site du château a été, à plusieurs reprises, un support privilégié de l’affirmation des valeurs et de la légitimité du pouvoir en place. Il occupe à ce titre une place majeure dans les récits mis en place par les régimes successifs.

La prise de pouvoir des Hohenzollern

En 1411, le burgrave de Nuremberg, Friedrich von Hohenzollern est envoyé par l’empereur Sigismond pour rétablir l’ordre dans la marche de Brandebourg, secouée par les brigandages et les luttes féodales. En remerciement de ses services, il est nommé, quatre ans plus tard, prince- électeur et magrave héréditaire du Brandebourg13.

La construction d’un château marque la volonté de son fils Friedrich II « Eisenzahn » (dent de fer) d’affirmer sa puissance sur la ville. CommeNANTES nous l’avons déjà évoqué, elle constitue en effet le symbole de la soumission de Berlin à ses seigneurs, ainsi que la perte de son statutDE de ville libre, qui se traduit également par sa sortie de la ligue hanséatique14, dont elle était membre depuis 1359. Le château est le nouveau cœur de la ville, et la source de son développement futur, qui se déplace de la puissance économique vers la puissance politique.

D'AUTEUR L’ancrage de Berlin dans la Renaissance européenne

Si le château médiéval connaît au cours des siècles quelques transformations, sa véritable métamorphoseD'ARCHITECTURE aDROIT lieu au début du XVIIIe siècle, sous l’impulsion de Friedrich III15, qui devient roi de Prusse en 1701 107 sous le nom de Friedrich Ier. Alors que la PrusseAU de l’époque est dénigrée à travers l’Europe pour son manque de culture et de raffinement16, le nouveau roi a l’ambition de faire rivaliser sa demeure avec celles des souverains voisins, Hampton Court ou Versailles par exempleSOUMIS17. SUPERIEURE Il fait donc appel à Andreas Schlüter, surnommé le « Michel- Ange du Nord18 », qui avait déjà réalisé l’Arsenal quelques années 19 auparavant , DOCUMENTpour la rénovation du château.NATIONALE Son projet prévoit une extension vers l’Ouest, caractérisée par l’aménagement d’une cour intérieure (aujourd’hui appelée ECOLE “cour Schlüter”) et de trois façades (fig. 105)La façade occidentale du Château, 1902 baroques, tandis que la partie orientale du bâtiment, donnant sur la Spree, conserverait son caractère médiéval20. L’architecte tombe cependant en disgrâce avant la fin des travaux, à cause de l’effondrement d’une autre de ses réalisations, la Tour de la Monnaie (Münzturm), inspirée du campanile de la place Saint-Marc à Venise. Le chantier du château est donc confié à un autre architecte,

13. Oudin, Georges, 2000, p. 27 14. Oudin, Georges, 2000, p. 31 15. Terray, 1996, p. 102 16. Szambien, 2003, p. 34 17. Terray, 1996, p. 102 18. Terray, 1996, p. 102 19. Oudin, Georges, 2000, p. 67 20. Oudin, Georges, 2000, p. 68 Eosander von Göthe, qui reprend les plans de Schlüter et s’attribue la paternité du bâtiment21.

La transformation du château est donc elle aussi avant tout un acte symbolique, qui vise à hisser la Prusse au rang de ses voisins en terme culturel et architectural. A ce titre, il est intéressant de noter que seules les parties du bâtiments construites à cette époque sont aujourd’hui concernées par le projet de reconstruction.

La victoire contre la domination bourgeoise

Le château sort fortement endommagé de la Seconde Guerre Mondiale et des bombardements alliés. Il a souvent été dit qu’il était presque entièrement détruit, mais, dès 1946, des expositions sont organisées à l’intérieur (notamment sur la peinture française moderne), ce qui, selon Emmanuel Terray, donne une idée de son état effectif : « On est en droit de penser que les conservateurs de musée français n’auraient pas confié leur trésors à un bâtiment sur le point de s’effondrer22 ». NANTES DE Rapidement émerge cependant la question de l’opportunité d’une restauration du bâtiment. D’un côté, les partisans d’une remise en état, menés par Hans Scharoun23, plaident pourD'AUTEUR la protection du patrimoine national, s’appuyant pour cela sur les précédents des révolutions française et russe, qui D'ARCHITECTUREontDROIT conservé le Louvre, Versailles et le Kremlin24. De l’autre, les AU (fig. 106)Après les bombardements, 1947 adversaires développent un double-argumentaire, à la fois économique et politique25 : ils mettent ainsi en avant le coût SOUMIS important d’une restauration, alors SUPERIEURE que la ville est détruite et qu’il faut reloger la population ; ils insistent parallèlement sur l’opportunité de se libérer d’un symbole de l’oppression du prolétariat et du DOCUMENT militarisme prussien, qui aurait NATIONALE conduit au nazisme.

(fig. 107) Destruction du Château, 1950 La montée des tensions entre l’Est et l’Ouest provoque la scission ECOLE des municipalités berlinoises en 1948. Le château, comme le reste du centre historique, se trouve dans la partie orientale de la ville. Après plusieurs semaines de discussions au sein du Parti et le voyage d’une délégation du ministère de la construction dans les capitales de l’Est26, Walter Ulbricht, alors secrétaire général du comité central du SED, décide finalement de faire dynamiter les restes du château, qui est officiellement considéré

21. Oudin, Georges, 2000, p. 68 22. Terray, 1996, p. 105 23. Il est intéressant de remarquer la différence de point de vue de Scharoun par rapport à sa volonté, dans le Kollektivplan de 1946, de faire table-rase du tissu urbain existant (cf. II.C.1). 24. Terray, 1996, p. 108 25. Holfelder, 2008, p. 21 26. Terray, 1996, p. 108 comme irréparable, et donc détruit par les bombardements occidentaux27. Malgré les protestations internationales, le bâtiment est donc détruit entre septembre et décembre 1950, après le retrait des statues et la prise d’environ 5.000 photographies28.

Si le jeune Etat communiste refuse la filiation avec le pouvoir prussien, il s’inscrit dans la tradition protestataire du lieu : le portail comprenant le balcon sur lequel Karl Liebknecht avait proclamé la République Socialiste d’Allemagne en 1918 (cf. IV.A.1) est en effet soigneusement démonté et conservé29. Il sera par la suite intégré au Staatsratsgebäude, le bâtiment du Conseil d’Etat de la (fig. 108)Le Staatsratsgebäude avec le portail RDA, construit en 1964 sur le côté éclairé, 2013 NANTES méridional de la Schlossplatz. DE L’affirmation de la supériorité du modèle communiste

Les années 1970 sont marquées par une certaine détente entre les deux Allemagne, liée à la mise en place de l’Ostpolitik, sous l’impulsion de 30 Willy Brandt, et au début de la reconnaissance internationaleD'AUTEUR de la RDA . Sur le plan intérieur, elles sont également une période de renouvellement politique à l’Est, avec l’accession d’Erich Honecker au pouvoir et le départ de Walter Ulbricht. Du point de vue politique, ces évolutions se traduisent par une recherche accrue de rayonnementD'ARCHITECTURE internationalDROIT et d’affirmation de la supériorité du modèle communiste, ainsi que par une réorientation 109 de la politique intérieure vers « l’accomplissementAU d’objectifs socio- économiques »31.

C’est dans ce contexte qu’est conduite la réflexion sur l’évolution du centre de Berlin-Est, pour en faireSOUMIS l’incarnation de la nouvelle république communiste. En 1971 estSUPERIEURE ainsi publié un plan d’urbanisme32, réalisé par Herman Henselmann, pour régler le réaménagement. Ce plan prévoit notamment la construction, à la place du château, d’un bâtiment accueillant à la fois des activités politiquesDOCUMENT et culturelle, et quiNATIONALE « devra témoigner dans sa conception même des performances techniques et artistiques de la RDA33 ». ECOLE Le Palais de la République est donc construit entre 1973 et 1976, sous la direction d’un collectif d’architectes mené par (fig. 109) Le Palais dans les années 1980 Heinz Graffunder. Dans Ombres

27. « Les journalistes de Berlin-Ouest dissimulent le fait que le Château a été détruit par l’aviation américaine. Si protestation il doit y avoir, elle doit être dirigée contre ceux qui ont démoli le Château avec leurs bombardements de terreur », Walter Ulbricht, cité par Terray, 1996, p. 108 28. Holfelder, 2008, p. 21 29. Szambien, 2003, p. 133 30. La RFA et les RDA sont ainsi admises conjointement à l’ONU le 18 septembre 1973 31. Hocquet, 2011, p. 305 32. Holfelder, 2008, p. 28 33. Terray, 1996, p. 111 berlinoises, Emmanuel Terray décrit l’édifice de la manière suivante : « Les guides de Berlin publiés du temps de la RDA décrivent le Palais au moyen d’inventaires à la manière de Prévert. Il compte un millier de salles ; la plus grande d’entres elles est modulable ; dans sa variante maximale, elle contient quelque cinq mille fauteuils, tous munis d’écouteurs permettant des traductions simultanées en douze langues. La salle des séances de la Chambre du peuple possède pour sa part huit cents places, et le “théâtre au Palais” deux cent cinquante. Cinq mille vêtements peuvent être déposés dans les vestiaires. L’immeuble est aéré par deux cent climatiseurs, capables de renouveler en une heure deux (fig. 110)Le foyer et ses fleurs de verre. A l’arrière-plan l’exposition millions et demi de mètresNANTES cubes d’air. Au plafond du hall d’entrée sont suspendues un DEmillier de lampes. Seize escaliers conduisent au premier étage ; on y trouve un foyer semé de fleurs de verre hautes de cinq mètres ; on accède ensuite à une galerie baptisée “Quand les communistesD'AUTEUR rêvent”, où sont exposées les œuvres de seize artistes parmi les plus renommés du pays. Le Palais abrite en outre D'ARCHITECTUREtreizeDROIT restaurants susceptibles (fig. 111) La Volkskammer d’accueillir au total quinze cent AUclients, un sauna de quatre-vingt- dix places, un bowling, une discothèque, un bureau de poste, plusieurs bars et de nombreux points de vente où l’on peut acheter livres, journaux, billets de spectacle, bibelots et souvenirs34 ». L’objectif est donc clairement de mettre en évidence uneSOUMIS image dynamique et opulente de la RDA, de montrer sa supérioritéSUPERIEURE et les performances de son modèle.

Le Palais a simultanément une fonction politique et une fonction culturelle. Il est ainsi en premier lieu le siège du parlement est- allemand et le cadre des grandes manifestations du Parti, ainsi qu’un lieu importantDOCUMENT de représentation et d’incarnation de l’Etat Est-allemand : NATIONALEc’est par exemple dans ses murs que se déroulent les visites officielles de chefs d’Etat étrangers. Mais le bâtiment est également un vaste complexe de divertissements et de loisirs. Comme le sous-entend la description d’Emmanuel Terray, ce deuxième usage prend assez largement le pas ECOLE sur ses fonctions politiques et officielles, qui n’y prennent place que de manière intermittente. L’édifice a en effet été défini35 par ses concepteurs comme une « maison du peuple » (Volkshaus) s’inscrivant dans la tradition de celles des travaillistes allemands du XIXe siècle. Selon Claire Colomb, il s ‘agit plutôt d’une « combinaison hybride » entre ce modèle et celui des « palais de la culture » soviétiques : « Entre 1945 et 1989, la RDA encouragea le développement d’un dense réseau de Maisons du Peuple et de Maison de la Culture à travers l’Allemagne de l’Est – entre 600 et 2700 lieux spécifiques sous différents patronages. Toutefois, dès lors que ces institutions étaient contrôlées par l’Etat, en accord avec le modèle soviétique du « Palais de la Culture », l’idée d’un développement de soi culturel autonome de la classe ouvrière à travers les « Maisons du peuple

34. Terray, 1996, pp. 111-112 35. Hocquet, 2001, p. 305 » était perdue. Le Palast der Republik était une combinaison hybride de ces deux traditions opposées : l’idée d’une Maison du Peuple autogérée en vue d’un développement culturel de la classe des travailleurs, et le Palais de la Culture de style soviétique simplement contrôlé par l’Etat36 »

Du point de vue symbolique, le nouveau bâtiment joue un double- rôle, tourné à la fois vers l’intérieur et l’extérieur. Pensé comme un emblème de la RDA à destination de l’étranger37, il cherche aussi à éblouir les ressortissants est-allemands en leur proposant notamment une offre culturelle variée (et internationale), qui leur était normalement inaccessible du fait de la fermeture du pays38. En cherchant à incarner le régime et à diriger le récit urbain dans une direction qui lui est favorable, le Palais s’inscrit donc dans une certaine continuité par rapport au passé du site sur lequel il a été construit, alors même que sa forme architecturale diffère complètement. Et si le château a disparu, le lieu a conservé un rôle majeur dans l’histoire de la ville.

NANTES DE

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D'ARCHITECTUREDROIT 111 AU

SOUMIS SUPERIEURE

DOCUMENT NATIONALE

ECOLE

36. Colomb Claire, « Requiem for a lost Palast ; “Revanchist urban planning” and “burdened landscapes” of the German Democratic Republic in the new Berlin », Planning Perspectives 22-3, 2007, p. 309, cité par Hocquet, 2011, p. 305 37. Holfelder, 2008, p. 57 38. Terray, 1996, p. 112 IV.B LE RÉCIT EN DÉBAT(S)

La genèse du projet actuel de reconstruction partielle du Château a été longue et complexe. Du fait de son caractère hautement symbolique, ce processus, qui s’est aussi traduit par la destruction du Palais de la République, a en effet été la source d’un vif débat, qui a pendant plusieurs années mobilisé une part importante de la société.

IV.B.1/ Comment l’idée d’une reconstruction du Château s’est-elle imposée ?

A la fin de la Guerre-Froide, la reconstruction du Château n’apparaît pas comme évidente. Le bâtiment a en effet disparu du paysageNANTES urbain depuis 40 ans, et le terrain sur lequel il se trouvait est occupé. Cependant, une succession d’événements et de prises de position a conduitDE à la disqualification progressive du Palais de la République et à l’émergence de l’idée d’une reconstruction

Le problème de l’amiante D'AUTEUR Les premiers mois suivant la chute du Mur sont une période d’effervescence pour le Palais, dont le programme doit s’adapter à la nouvelle concurrence de l’offreD'ARCHITECTURE culturelle et récréative de l’Ouest. Ils sont donc marqués par un regain deDROIT créativité et la mise en place 112 d’expérimentations diverses pour continuerAU à attirer le public39. Mais le Palais va rapidement être rattrapé par le Berliner Steinbeisser (voir citation p. 30).

Il est pourtant le lieu dans lequel se déroulent plusieurs étapes SOUMIS40 essentielles de laSUPERIEURE réunification . Le 18 mars 1990, et effet, ont lieu les premières élections libres en RDA, qui conduisent à une large victoire de la CDU et à l’élection de Lothar de Maizière. Le Palais, qui accueille les journalistes internationaux et duquel sont proclamés les résultats, est le centre névralgique de cet « Abend der Demokratie » (soirée de la démocratie). Le 23 août, la nouvelle Chambre du Peuple, vote dans ses murs, laDOCUMENT réunification avec la RFA. NATIONALE Moins d’un mois après, le 19 septembre, les autorités est-allemandes décident de fermer le Palais, à cause de la présence d’amiante dans sa 41 ECOLE structure. La mesure prend effet le jour même . Elle est officiellement la conséquence d’une expertise commandée quelques semaines plus tôt à un bureau d’étude, chargé d’évaluer la dangerosité du bâtiment et d’établir un protocole d’assainissement. Mais la présence d’amiante est-elle vraiment l’unique raison de la fermeture du palais ? Non seulement aucun cas de maladie lié à l’amiante n’avait été détecté parmi les employés ou les visiteurs42 (c’est encore le cas aujourd’hui), mais de nombreux autres bâtiments berlinois, notamment à l’Ouest, étaient aussi concernés par ce problème, sans pour autant avoir été menacés de fermeture ou de destruction43. Moritz Holfelder remarque ainsi que la

39. Holfelder, 2008, p. 75 40. Hocquet, 2011, p. 309 41. Holfelder, 2008, p. 80 42. Holfelder, 2008, p. 81 43. Terray, 1996, p. 116 décision de fermer le palais a été prise dans un climat de défiance envers le bâtiment, notamment en RFA : « La totalité du Palais était subitement frappée par l’interdiction “Ne pas entrer ! Danger pour la santé”. Tels étaient les mots du bulletin officiel. L’atmosphère générale avait pourtant annoncé la fermeture. Relativement peu de temps après la chute du Mur, certains hommes politiques de l’Ouest s’étaient ainsi déjà exprimés, dans des cercles restreints, en défaveur du Palais, et posaient la question du futur du bâtiment. La teneur générale de leurs propos était claire : la “boîte à frime” du SED devait être démolie… une souillure au milieu de Berlin… un crime dans la composition urbaine historique44 ». L’argument de l’amiante est pourtant l’unique raison invoquée pour justifier la fermeture du Palais, et jouera aussi un rôle important dans la décision de la détruire.

La mémoire du Palais en question

Le Palais est dénigré par une partie de la classe politique ouest- allemande, qui voit en lui un symbole de la « dictature-SED ». Il est vraiNANTES qu’il est un symbole incontestable de l’autocélébration du régime etDE qu’il reste marqué par les nombreuses manifestations officielles qui se sont déroulées dans ses murs. Cette vision n’est pourtant pas celle qui prévaut chez les Allemands de l’Est, qui mettent plutôt en avant les aspects liés à leur pratique D'AUTEUR quotidienne du bâtiment45. Selon Emmanuel Terray, cette relation entretenue entre le Palais et son public était ainsi « à la fois D'ARCHITECTUREDROIT ironique et pragmatique46 ». AU Les témoignages récoltés par Moritz Holfelder (2008) et Marie (fig. 112)La discothèque du Palais Hocquet (2011) montrent en effet que l’offre culturelle et récréativeSOUMIS du bâtiment étaitSUPERIEURE appréciée pour sa qualité, de même que les nombreux cafés et restaurants, qui étaient fréquentés au quotidien. Le Palais était aussi un des rares lieux d’ouverture surDOCUMENT le monde de la RDA, NATIONALEdu fait de la programmation de nombreux artistes et spectacles internationaux, alors même que les restrictions de voyages ECOLEà l’étranger étaient très fortes. (fig. 113) Le ballet du Deutsche Staatsoper, 1984 Les possibilités offertes par le bâtiment en faisaient également un support de souvenirs personnels forts : de nombreux Allemands de l’Est, au delà des seuls Berlinois, se sont ainsi mariés au Palais ou y ont fêté un anniversaire, au restaurant ou dans les salles que l’on pouvait louer pour les occasions de ce type.

44. « Für den gesamten Palast galt plötzlich das Verbot „Nicht betreten ! Gesundheits- gefahr“. So lautete das offizielle Bulletin. Doch die Schließung hatte sich atmosphärisch angekündigt. Schon relativ kurz nach dem Fall der Mauer äußerten sich einige West- Politiker in kleinem Kreise abwertend über den Palast der Republik und stellten die Zukunft des Gebäude in Frage. Der generelle Tenor war eindeutig: Die Protzkiste der SED gehörte abgerissen. Ein Schandfleck in der Mitte . Ein Verbrechen in der historischen Stadtensemble », Holfelder, 2008, p. 77 45. Hocquet, 2008, p. 310 46. Terray, 2008, p. 112 Beaucoup gardent également le souvenir de sorties en famille et entre amis, ou de rendez-vous galants.

Dans le même temps, le Palais est moqué pour sa grandiloquence, comme en témoignent les nombreux surnoms dont il a rapidement été affublé47, dont les plus connus sont Erichs Lampenladen (le magasin de lampes d’Erich Honecker), en référence aux nombreux luminaires qui ornent les différentes pièces, Palazzo di Prozzo (protzen signifie frimer) ou encoreBallast der Republik (le poids de la République). Les défauts du Palais sont également tournés en ridicule, et notamment les temps d’attente extrêmement longs pour profiter de certaines activités, qui sont aussi, à leur manière, assez caractéristiques de la RDA48. NANTES Marie Hocquet montre49 que cette relation ambivalente s’est poursuivie, après laDE fermeture (fig. 114)Les fameuses lampes du Palais, par une « mémoire parodique » du lieu, qu’elle renvoie à la distance critique avec laquelle les anciens Allemands de l’Est considèrent leur pays. Ils gardent ainsi une mémoire du Palais marquée par la richesse des possibilités qu’offrait le lieu ainsi que l’importance des souvenirs individuels, sans pour autant être dupes de ses limites et du message politique qu’il portait. D'AUTEUR

Face à l’abandon du bâtiment, puis la menace de sa destruction, les aspects les plus positifs de cette mémoire sont remobilisés (cf. III.A.1), et le Palais devient le symbole d’un modeD'ARCHITECTURE deDROIT vie et de pratiques menacées 114 par la réunification : « Sous son toit était réunie la réalité de la RDA avec toutes ses contradictions, le quotidienAU des gens avec leurs joies et leurs peines privées aussi bien que les manifestations protocolaires de la politique […]. Cette maison appartient d’une manière ou d’une autre à notre vie, et assurément d’une manière très différente selon les individus. Mais il y a aujourd’hui desSOUMIS gens qui veulent faire de nous des êtres sans passé ; c’est pourquoiSUPERIEURE ils veulent le détruire. Simplement, ils le disent avec d’autres mots50 ». Cette incarnation du mode de vie est-allemand va ainsi remettre en question la légitimité du bâtiment à se trouver au cœur de l’Allemagne réunifiée et conduire à la disqualification de sa mémoire.

DOCUMENT NATIONALEL’émergence de la solution “Château”

A l’occasion du transfert de la capitale allemande de Bonn vers Berlin, le Sénat de Berlin et le gouvernement fédéral forment, dans le cadre ECOLE de leur accord régissant l’installation des nouveaux lieux de pouvoir (cf. II.C.2), une commission chargée d’expertiser les possibilités foncières et immobilières de la ville. Elle prescrit dans son rapport, remis en septembre 1993, la destruction du Palais, ce qui entraîne manifestations et pétitions pour sauver le bâtiment51.

Cette recommandation intervient en même temps que l’organisation

47. Robin, 2003, p. 145 48. Une des personnes que Marie Hocquet a rencontrées ironise ainsi sur le fait qu’il ne fallait “que” 9 mois d’attente pour réserver une piste de bowling pendant une heure, alors que le délai d’obtention d’une voiture était plutôt de 15 ans. (Hocquet, 2011, p. 313) 49. Hocquet, 2011, p. 312 50. Rainer Kerndl, journaliste et écrivain, cité par Terray, 1996, p. 117 51. Holfelder, 2008, p. 83 d’un concours international, le Wettbewerb Spreeinsel, dont le programme prévoyait, sur un site comprenant l’île de la Spree et Friedrichswerder, l’implantation des ministères de l’Intérieur et des Affaires Etrangères, ainsi que la création d’une bibliothèque et d’un centre de congrès52. Si le projet lauréat, présenté par l’architecte Bernd Niebuhr, prévoit la destruction du Palais (qui serait remplacé par un édifice accueillant à la fois la bibliothèque et le centre de congrès), 4 des 12 propositions primées conservent le bâtiment, et aucune n’envisage la reconstruction à l’identique du Château53.

NANTES DE

D'AUTEUR

D'ARCHITECTUREDROIT AU

(fig. 115) Le Château Potemkine, 1993 SOUMIS Le retournement deSUPERIEURE situation en faveur de la demeure impériale est notamment lié à l’action spectaculaire54 du Förderverein Berliner Schloss (Association de promotion du Château de Berlin), un groupe de pression alors peu connu, fondé un an plus tôt par l’homme d’affaires hambourgeois Wilhelm von Boddien. Grâce au soutien de mécènes privés, l’associationDOCUMENT procède au cours de l’été 1993 à l’édification d’une sorte NATIONALEde château Potemkine sur le parvis du Palais : sur un échafaudage reprenant le gabarit du Château est accrochée une toile peinte représentant fidèlement les façades de l’édifice. « L’effet est saisissant : pour le promeneur qui vient de la porte de Brandebourg, le Palais disparaît ECOLEcomplètement ; il est masqué à la fois par la façade de toile et par de gigantesques miroirs qui la prolongent sur les côtés et dans lesquels elle se reflète à l’infini. A l’intérieur, plusieurs salles d’expositions sont aménagées ; des photos et des maquettes abondamment commentées retracent l’histoire du Château, d’autres panneaux exposent les raisons qui pèsent en faveur de sa reconstruction55 ». L’opération, qui se prolonge pendant environ 18 mois, rencontre un énorme succès médiatique56, qui permet de déplacer le débat vers la question de la reconstruction.

52. Holfelder, 2008, p. 84 53. Hocquet, 2011, p. 323 54. Terray, 1996, p. 101 55. Terray, 1996, p. 115 56. Whitney Craig R., « A Berlin Palace stirs in its grave », The New York Times, New York, 12 juillet 1993 La focalisation des débats sur l’opposition Palais/Château

A partir de cet événement emblématique, l’opposition entre le Palais et le Château va progressivement phagocyter le débat sur le devenir du site, comme le souligne Philipp Oswalt : « Le problème incroyable de ce débat est qu’il est mené uniquement dans une mentalité de Guerre-Froide : le Palais de la République contre le Château. Aucune autre question n’est posée publiquement, si bien que l’on ne discute même pas de la manière dont on voudrait reconstruire. […] Je trouve accablant que le problème ait été soulevé d’une manière si superficielle, sans arriver à dépasser cette opposition “tu es le partisan du Roi” et “tu es le partisan de Honecker”57 ». Marie Hocquet analyse58 dans sa thèse l’argumentaire que chaque “camp” va alors déployer pour faire valoir sa position.

Menés par le Förderverein Berliner Schloss, les partisans de la reconstruction du Château comptent la plus grande partie de la classe politique ouest-allemande et beaucoup de ses électeurs, ainsi que aussi certains Allemands de l’Est, dont quelques dissidents célèbres59. NANTES

Outre la justificationDE politique, qui disqualifie le Palais car il est le symbole d’une dictature, un des principaux arguments qu’ils déploient est d’ordre historique et urbain. La disparition du Château perturberaitD'AUTEUR ainsi la compréhension de l’histoire comme celle de la composition D'ARCHITECTUREurbaine. En effet, non seulement le ChâteauDROIT a joué un rôle majeur (fig. 116) C’était mieux avant ? La maquette AUdans l’histoire de Berlin, mais, de Berlin en 1900, dans l’exposition de la en tant que cœur de la ville, de Humoldtbox, 2013 nombreux bâtiments ont été conçus et construits par rapport à lui (on peut penser par exemple à l’axe d’Unter den Linden, qui SOUMIS aboutissait symboliquementSUPERIEURE sur le Château – cf. I.A). Sa reconstruction est donc vue comme un moyen de réparer cette perte de sens et de retrouver une lisibilité à la fois historique et physique. Les partisans du Château mettent également en avant la prédominance à Berlin de l’architecture moderne et défendent l’idée d’un « rééquilibrage » entre Moderne et Ancien. Il s’agit donc essentiellement de retrouver “l’image urbaine” de Berlin,DOCUMENT qui aurait été endommagée par l’histoire récente. En cela, la NATIONALEposition du Förderverein n’est pas si éloignée des orientations prises par le Sénat de Berlin en matière d’urbanisme (cf. II.C.2).

Les défenseurs du Palais sont, pour leur part, principalement ECOLE représentés par la Bündnis für den Palast (l’Alliance pour le Palais) qui regroupe des personnes attachées au lieu, ainsi que des architectes et des urbanistes. Leur point de vue, qui correspond à celui de la majorité des

57. « So unglaublich problematisch an diesem Diskurs ist, dass er in diesem Kalter-Krieg- Mentalität geführt wird : nur Palast der Republik versus Schloss. Irgendwelche anderen Fragen gibt es offenbar gar nicht mehr, so dass man gar nicht mehr dazu kommt, eine Diskussion über die Frage zu führen, wie man rekonstruieren will. […] Es ist niederschmetternd, dass diese Diskussion so dermaßen flach geführt wird, dass man über diese reine Bildebene und über dieses “Du bist der Vertreter des Königs, und Du bist der Vertreter von Honecker! » gar nicht hinaus kommt. », interview de Philipp Oswalt dans Fassbender, Stalhut, 2009, p. 147 58. Hocquet, 2011, pp. 334-346 59. Holfelder, 2008, p. 90 Berlinois60 de l’Est comme de l’Ouest, est également défendu par certains hommes politiques (membres des Verts et du PDS, puis de Die Linke) et des intellectuels allemands et étrangers61.

Le principal argument qu’ils mettent en avant est économique : alors que la ville est en quasi-faillite, ils entendent démontrer, à travers plusieurs études, que le coût d’une destruction-reconstruction est bien supérieur à celui d’une rénovation du Palais. Ils insistent aussi sur l’importance historique du bâtiment, qui constitue pour eux à la fois un signe de la stratification et un marqueur de la spécificité est-allemande. Par extension, est également invoquée la question du respect envers les concitoyens originaires de l’ex-RDA, dont la mémoire serait menacée par la « mentalité d’occupants62 » de certains Allemands de l’Ouest (cf. III.A.3) : la destruction du Palais reviendrait à nier l’expérience collective et les mémoires individuelles qui y sont attachées. Certains rappellent aussi la valeur intrinsèque du bâtiment, à l’image de l’architecte Oswald Mathias Ungers, qui avait participé au Wettbewerb Spreeinsel, et pour qui le Palais s‘inscrit dans l’utopie des Maisons du peuple : « Le Palais de la RépubliqueNANTES fait partie de l’histoire allemande et du souvenir collectif, mais il est aussi une Maison du peuple – telle que Bruno Taut, Hans Scharoun et d’autresDE architectes renommés des années 1920 l’avait imaginée. Le Palais en est l’un des premiers exemples bâtis – peut-être avec une attitude contestable –, et les adeptes de la théorie radicale de la démolition ne peuvent pas simplement dissimuler ce fait63 ».

Une partie de l’argumentaire déployé par les défenseursD'AUTEUR du Palais est partagé plus largement par tous ceux qui s’opposent à la reconstruction du Château, sans forcément se mobiliser particulièrement en faveur du Palais. La critique la plus partagée contre le projet du Förderverein Berliner Schloss concerne la « falsificationD'ARCHITECTUREDROIT de l’histoire 64 » induite par la reconstruction d’un bâtiment qui n’aurait ni l’authenticité de 117 l’original, ni sa patine. Les autres argumentsAU sont d’ordre plus politique. Le Château restaure ainsi pour certains (notamment Daniel Liebeskind) une « architecture nationale65 », à l’heure où l’Allemagne se cherche une identité post-nationale, alors que d’autres questionnent la démarche de reconstruction par une démocratieSOUMIS du symbole d’un pouvoir autoritaire66. SUPERIEURE

IV.B.2/ Un débat dont s’est emparé la société civile

Une des particularités du débat sur le devenir de la Schlossplatz tient DOCUMENT à l’interventionNATIONALE et l’influence de protagonistes indépendants des acteurs institutionnels traditionnels. Du fait de cette implication et de sa forte dimension symbolique il est ainsi devenu un véritable débat de société, particulièrement visible dans l’espace public. ECOLE

60. Les sondages réalisés au cours du débat montre ainsi qu’entre 60 et 80% des Berlinois étaient favorables à la préservation du Palais – voir Terray, 1996, p. 116 et Holfelder, 2008, p. 106 61. Hocquet, 2011, p. 342 62. Hocquet, 2011, p. 344 63. « Der Palast der Republik ist Teil der deutschen Geschichte, er ist auch ein Teil der kollektiven Erinnerung, und er ist ein Haus des Volkes – so wie es Bruno Taut, Hans Scharoun und andere berühmte Architekten der zwanziger Jahre erdacht haben. Mit dem Palast der Republik ist zum erstenmal – vielleicht mit einer falschen Attitüde – ein solches Haus des Volkes gebaut worden, und das darf von den Anhängern der Radikaltheorie mit dem Abriss nicht einfach beseitigt werden », Oswald Mathias Ungers, cité par Holfelder, 2008, p. 84 64. Hocquet, 2011, p. 345 65. Hocquet, 2011, p. 346 66. Interview de Philipp Oswalt dans Fassbender, Stalhut, 2009, p. 143 Le rôle décisif de groupes de pression privés

Comme on vient de le voir, le Förderverein Berliner Schloss a joué un rôle déterminant dans l’émergence de la “solution” Château face au “problème” Palais. Fondée en 1992 par Wilhelm von Boddien, homme d’affaire hambourgeois qui a fait fortune dans le commerce de machines agricoles, l’association mène une action efficace de lobbying envers le monde politique et économique67 pour promouvoir l’idée d’une reconstruction du Château, ce qui lui a permis de recevoir un large soutien au sein du Bundestag et auprès de grands mécènes privés, comme Siemens, Thyssen ou BMW68. Elle est également à l’origine d’un certain nombre de publications à destination du grand public, et notamment le Berliner Extrablatt, journal d’information sur l’évolution du projet, édité depuis 1998 et largement distribué à Berlin69.

Depuis la décision du Bundestag de démolir le Palais en 2002 et la concrétisation consécutive du projet de reconstruction partielle du Château, le Förderverein est également fortement impliqué dansNANTES sa réalisation, tout en continuant à jouer un rôle important dans sa médiatisation. Il est en effet chargé depuis 2004 de lever DEles fonds et collecter les dons nécessaires au financement des façades et de la coupole, qui ne sont pas financés par l’argent public70 (l’association s’est engagée à lever au minimum 80 millions d’euros). Les entreprises et les particuliers sont ainsi invités à “acheter” divers éléments de composition ou d’ornementation du bâtiment71 (dont le prix peut être très variable : si les piliers de la balustrade supérieure ne coûtentD'AUTEUR que 150 € l’unité, certains chapiteaux de colonnes peuvent atteindre près de 180.000 €, ou près de 700.000 € pour la grille d’entrée du portail principal). 72 L’association s’occupe également deD'ARCHITECTURE l’exposition sur le projet présente dans la Humboldtbox, présente tout au longDROIT du chantier (cf. IV.B.3). Elle 118 73 est enfin la seule organisation nonAU institutionnelle représentée au conseil d’administration de la Stiftung Berliner Schloss – Humboldtforum (fondation Château de Berlin – Humboldtforum), le maître d’ouvrage et futur propriétaire de la reconstruction, qui regroupe le gouvernement fédéral, le Bundestag, le Sénat de Berlin, l’université Humboldt et la SOUMIS Bibliothèque duSUPERIEURE Land.

Zwischen(palast)nutzung74

Un autre rôle important dans le débat est celui joué par les acteurs culturels,DOCUMENT qui se sont pour leur part mobilisés en faveur de la préservation NATIONALEdu Palais. A la fin des années 1990, le gouvernement met en place un programme d’économies qui promeut la réutilisation de bâtiments existants plutôt que la construction de nouveaux édifices75. A cette époque, le sort du Palais n’est pas encore tranché de manière définitive, ECOLE et il est donc décidé de procéder à son désamiantage et à sa mise aux normes76. Les travaux sont effectués entre 1998 et 2002, ce qui ouvre la voie à sa réutilisation temporaire.

67. Hocquet, 2011, p. 323 68. Terray, 1996, p. 115 69. http://berliner-schloss.de/aktuelle-infos/notre-journal-berliner-extrablatt?lang=fr (consulté le 15/08/2014) 70. Holfelder, 2008, p. 94 71. http://berliner-schloss.de/donate-now-2/spenden-fassadenauswahl/?lang=fr (consulté le 15/08/2014) 72. http://www.humboldt-box.com/schloss-bau/foerderverein-berliner-schloss-ev.html (consulté le 15/08/2014) 73. http://www.sbs-humboldtforum.de/Stiftung/Kuratorium/ (consulté le 15/08/2014) 74. Signifie littéralement : « utilisation interstitielle (du Palais) » 75. Hocquet, 2011, p. 346 76. Holfelder, 2008, p. 86 Une initiative77 soutenue par plusieurs grandes institutions culturelles berlinoises78, la Zwischen(palast)nutzung, est alors mise en place, et le Palais ré-ouvre une première fois en septembre 2003 pour une série de représentations de Wagner (Wagnerkomplex). Le point d’orgue de cette période de réutilisation du Palais est probablement le festival Volkspalast (Palais du peuple), qui s’est déroulé entre août et novembre 2004, proposant expositions, conférences, performances et concerts divers. Certaines interventions questionnent le réaménagement urbain berlinois, comme par exemple le projet Fassadenrepublik (la république des façades), proposé par les architectes de raumlabor et Peanutz79, et dont l’objectif était de NANTES faire s’exprimer les visiteurs et de (fig. 117)Le festival Volkspalast, 2004 questionner la manière de faire DE la ville aujourd’hui : « Nous avons inondé le Palais de la République et invité les berlinois à façonner eux-mêmes leur environnement républicain, en concevant les façades d’une ville sur l’eau. On D'AUTEUR pouvait seulement se déplacer au moyen de canots gonflables. Chacun pouvait participer à la mise en place de l’image de la ville D'ARCHITECTUREDROIT dans un jeu de rôles qui simulait AU les débats architecturaux et (fig. 118) « Fassadenrepublik », le Palais innondé, 80 urbains actuels ». 2004

Les événements se succèdent jusqu’à la fermeture définitive du lieu en 2005, accueillant en tout plusSOUMIS de 600.000 visiteurs81 et le remettant au centre de la vie culturelleSUPERIEURE berlinoise 82. Cet épisode de réutilisation conduit également à rajouter une nouvelle “couche” de mémoire au Palais, tout en participant activement aux débats urbains et mémoriels.

GrandeDOCUMENT visibilité dans l’espace public NATIONALE Outre le fait que des acteurs extérieurs aux décideurs habituels se soient mobilisés et aient largement contribué à influencer les décisions officielles, l’implication de la société civile se lit également dans ECOLEl’importante visibilité du débat dans l’espace public. Le sujet est ainsi largement évoqué dans les journaux, locaux comme nationaux, qui relaient les prises de positions successives et prennent régulièrement parti en faveur de l’un des camps.

77. Hocquet, 2011, p. 346 78. Les principaux soutiens du projet sont la Sophiensaele (un théâtre privé), le Staatsoper Unter den Linden (l’opéra de Berlin) et le Musée Technique de Berlin – voir : http://www. zwischenpalastnutzung.de (consulté le 15/08/2014) 79. Holfelder, 2008, p. 98 80. Description du projet sur le site de raumlabor : « Wir haben den Palast der Republik geflutet, die Berliner aufgefordert, ihre republikanische Umwelt selbst zu gestalten und Fassaden für eine Wasserstadt zu entwerfen. Fortbewegung war nur mit dem Schlauchboot möglich. Jeder konnte das Aussehen der Stadt mitgestalten, in einem Rollenspiel, dessen Regeln auf einer Simulation des Architektur- und Planungsdiskurses basierten. », voir : http://raumlabor.net/fassadenrepublik/ (consulté le 15/08/2014) 81. Hocquet, 2011, p. 348 82. Holfelder, 2008, p. 99 Cette large visibilité est également liée à une occupation fréquente de l’espace public, avec pour but de questionner les berlinois et de les convaincre de la pertinence de la position défendue. Nous avons déjà évoqué la construction, sur la Schlossplatz, d’un château Potemkine par la Förderverein Berliner Schloss, mais les défenseurs du Palais ont également investi les lieux à plusieurs reprises, la plupart du temps dans le cadre d’interventions artistiques, dont deux au moins sont restées célèbres.

La première est l’installation83 par les artistes Filomeno Fusco et Victor Kegli, d’une centaine de « machines à laver le linge de l’Histoire » sur le parvis du Palais, entre le 2 septembre et le 3 octobre 200084. Les machines, entourées de cordes à linge qui dessinent le gabarit du Château, sont laissées à la libre disposition des berlinois. Ces derniers sont invités à venir « laver leur linge sale en public » et à discuter du « lessivage de l’HistoireNANTES ». L’initiative rencontre un succès important85 et permet DEd’ouvrir un espace de discussion et de débat entre citoyens.

La seconde intervention emblématique des défenseurs du Palais dans l’espace public (fig. 119)Le doute, 2005 D'AUTEUR prend place dans le cadre de la Zwischen(palast)nutzung : en janvier 2005, l’artiste norvégien Lars Ramberg installe86, sur le toit du Palais, des lettres métalliques rétro- éclairées de 6 mètres de haut, formantD'ARCHITECTURE leDROIT mot « ZWEIFEL » (qui signifie 120 « doute »). Aucune explication n’est donnée aux passants, laissant parler seule la juxtaposition du mot avec leAU Palais menacé. L’installation reste visible jusqu’en mai, et le Palais ferme définitivement ses portes à la fin de cette même année. SOUMIS SUPERIEURE IV.B.3/ L’inscription du projet dans le récit berlinois

A partir de la deuxième fermeture du Palais, le processus connaît une accélération importante, qui conduit à la pose, le 12 juin 2013 de la première pierre du Humboldtforum87. Il s’agit d’une reconstruction DOCUMENT NATIONALEpartielle du Château, aboutissant à un bâtiment hybride, construit avec une structure en béton, mais reprenant le volume de l’original, ainsi ses façades baroques, fidèlement reconstruites à partir des photos de 1945 (cf. IV.A.2). La façade de l’aile orientale, qui avait conservé un caractère ECOLE médiéval, est quant-à-elle remplacée par une réinterprétation moderne du rythme des façades baroques.

La démolition du Palais de la République

La construction du Humboldtforum a bien sûr nécessité la

83. Robin, 2003, p.143 84. Régine Robin relève le choix symbolique des dates de l’installation : le 2 septembre 1870 est en effet la date de la première unité allemande, tandis que le 3 octobre 1990 est celle de la réunification. 85. Millot Lorraine, « Décrassage historique », Libération, Paris, 9 septembre 2000 86. Holfelder, 2008, p. 99 87. « Le Forum Humboldt » – Le nouveau bâtiment est nommé de cette manière en raison de sa proximité immédiate avec la Humboldt Universität, plus ancienne université de la ville, qui finance en partie le projet et doit utiliser une partie des locaux. « déconstruction88 » du Palais, qui est intervenue très rapidement après sa fermeture. La commission d’experts mise en place en novembre 2000 avait en effet déjà conclu en avril 2002 dans son arbitrage89 que le Palais devait être détruit et remplacé par une reconstruction partielle du Château, suivant les modalités que nous venons d’évoquer : seules les trois façades baroques et celles de la cour Schlüter doivent être reconstituées, et s’intégrer dans un bâtiment de facture moderne.

L’avis de la commission est entériné en juillet de la même année au Bundestag, par 384 voix contre 13390, mais les défenseurs du Palais parviennent, au moyen de plusieurs recours administratifs et judiciaires, à différer le début des opérations. L’ultime recours est rejeté par le Bundestag le 19 janvier 200691, ce qui ouvre la voie à la démolition, qui démarre moins d’un mois plus tard, pour s’achever en décembre 2008. Le chantier de démolition est accompagné d’une exposition organisée conjointement par la Senatsvervaltung für Stadtentwicklung et le Förderverein Berliner Schoss, que Marie Hocquet analyse dans sa thèse92. Intitulée « Eine demokratische Entscheidung » (une décisionNANTES démocratique), cette exposition retrace l’histoire du site depuis la construction du Château au XVe siècle (à l’exception notable de l’épisodeDE de la Zwischennutzung), et met en avant le caractère démocratique du processus qui a abouti à la décision finale du Bundestag.

La destruction du Palais fait pourtant facilement écho à celle du Château en 1945, et il est frappant de constater que les adversaires du Palais ont eu recours à une démarche comparable à celle duD'AUTEUR jeune régime communiste face au Château. Dans les deux cas, la justification est à la fois technique et idéologique : alors que le Château était soi- D'ARCHITECTUREDROIT disant impossible à réparer à cause des dommages causés par AU les bombardements alliés, le Palais est lui condamné par l’amiante ; mais les deux édifices sont principalement disqualifiés carSOUMIS ce qu’ils représentaient n’estSUPERIEURE pas jugé digne de se trouver au cœur de la nouvelle capitale (est-)allemande. (fig. 120)La démolition, 2008

Le DOCUMENTchoix du projet et la justification des modalités de NATIONALEreconstruction

Le concours pour la construction du Humboldtforum est organisé en 2008, sous l’égide de la Stiftung Berliner Schloss – Humboldtforum (cf. ECOLEpoint précédent). Le programme du nouvel ensemble, qui se base sur les recommandations de la commission d’experts93, inclut un espace muséal, qui soit accueillir les collections du musée de Dahlem (art extra- européen) et celle de l’université Humboldt (sciences), ainsi qu’une médiathèque, un centre de recherche, un espace dédié aux expositions temporaires et aux conférences, des restaurants, des cafés94. Si l’on fait

88. Une section de l’exposition présentée aux abords du chantier est ainsi intituée « Demontage statt Abriss » (un démontage aet non une démolition), mettant en avant le recyclage quasi-intégral des matériaux récupérés – Hocquet, 2011, p. 334 89. Holfelder, 2008, p. 95 90. Hocquet, 2011, p. 325 91. Holfelder, 2008, p. 102 92. Hocquet, 2011, pp. 325-334 93. Holfelder, 2008, pp. 92-96 94. http://www.stadtentwicklung.berlin.de/bauen/palast_rueckbau/de/humboldtforum. shtml (consulté le 15/08/2014) abstraction de la fonction politique, on constate que ce programme est assez similaire à ce que proposait le Palais de la République. C’est le projet de l’architecte italien Franco Stella qui remporte le concours. Sa proposition, qui répond très fidèlement au programme, fait notamment le choix de couvrir la cour occidentale du bâtiment, qui devient un grand espace d’accueil et de distribution, et de transformer l’aile centrale en un passage, directement inspiré de la galerie des Offices à Florence, censé apporter de la porosité à l’ensemble. Le projet sera amendé au cours des travaux d’excavation, pour y intégrer les sous-sols d’origine du Château, qui avaient été préservés sous le parvis du Palais.

Nous avons déjà évoqué le fait que le débat entre le Palais et le Château avait occulté tous les autres questionnements liés au projet (cf. IV.B.1) et notamment celui de la reconstruction : « on fait comme si la reconstruction n’était qu’un procédé technique, comme s’il suffisait de prendre ces photos, de les digitaliser, de les transformer en pierre […] et de les coller sur le bâtiment. Mais la reconstruction est en définitive un processus culturel, si l’on veut retrouver la complexité de l’original.NANTES La principale question est : comment dois-je m’inscrire par rapport à l’Histoire ?95 ». Malgré cette absence relative de débat, les modalités choisiesDE pour la reconstruction du Château posent ainsi un certain nombre de questions.

La première d’entre-elles est celle de la valeur de l’ancien (Altwert) et du rapport à la vérité. Dans une conférence donnée le 20 novembre 2013 à la Beuth Hochschule für Technik96, Franco Stella a développé deux arguments justifiant selon lui la reconstruction,D'AUTEUR au regard de cette question. Il considère ainsi d’une part l’architecte comme étant avant tout un planificateur : si ses plans ont été exécutés une fois, parfois sans son intervention ou longtemps après son travail, pourquoi ne pas les exécuter une nouvelle fois ? D’autreD'ARCHITECTURE part, laDROIT reconstruction peut, pour lui, 122 être comparée à une opération accélérée de protection du patrimoine. De nombreux bâtiments sont ainsi régulièrementAU entretenus au titre de la protection du patrimoine, qui consiste parfois à remplacer des éléments endommagés. La reconstruction ne serait qu’une version complète de ce processus, et ne constituerait donc pas davantage un mensonge. Cette vision ne répond cependantSOUMIS pas au risque d’altération de la vérité historique : si leSUPERIEURE bâtiment reconstruit témoigne de l’architecture de l’édifice originel, il occulte les faits qui ont conduit à la disparition de ce dernier, ainsi que la période pendant laquelle il est resté absent.

DOCUMENT NATIONALE

ECOLE

(fig. 121)La maquette du projet. La Humboldt- (fig. 122) Prototype à proximité du box, au premier plan, doit être démontée à la chantier, 2013 fin du chantier, 2013 95. « Man tut so, als ob Rekonstruktion bloß ein technischer Vorgang sei, als müsse man bloß diese Fotos nehmen, digitalisieren, dann […] in Stein umsetzen un dran kleben. Aber letztendlich ist Rekonstruktion — wenn wir jetzt wieder die Komplexität zulassen — ein kultureller Vorgang. Die Frage ist : Wie setze ich mich mit der Geschichte ins Verhältnis ? », Interview de Philipp Oswalt dans Fassbender, Stalhut, 2009, p. 147 96. Conférence donnée dans le cadre d’un cycle organisé par les étudiants : chaque mercredi pendant l’année scolaire, un architecte est invité à venir présenter son travail et sa vision du métier La seconde question est celle de la manière dont il faut reconstruire. Pour Stella, seul un bâtiment ayant une « signification importante dans la ville » peut être reconstruit, s’il a été détruit par une « catastrophe ». On ne peut en outre parler de reconstruction que si le bâtiment en question est reconstruit sur le même lieu et de la même manière. Son projet remplit l’ensemble de ces conditions si l’on considère qu’il s’agit de la construction d’un bâtiment neuf, accompagné de la reconstruction à l’identique des façades baroques. Le but affiché est bien sûr de retrouver “l’image urbaine” d’avant-guerre, mais on peut se demander si la « signification importante » du Château était uniquement liée à ses façades. Le projet opère par ailleurs un choix dans les NANTES parties à reconstruire (la période baroque), sans tenir compte des DE éléments plus anciens, qui étaient toujours visibles après le XVIIIe siècle. Cette idéalisation du passé renvoie elle aussi à la question du mensonge : dans la mesure où l’on s’inscrit dans une reconstruction D'AUTEUR « à l’identique », est-il vraiment légitime de procéder à des modifications ou améliorations D'ARCHITECTURE du bâtiment d’origine ? DROIT (fig. 123)Le projet de Stella, façades Est et Ouest AU Un projet caractéristique du récit berlinois

Plusieurs éléments dans la mise en œuvre de ce projet de reconstruction en font un concentré des dynamiquesSOUMIS que nous avons relevées jusqu’ici. Le premier d’entre euxSUPERIEURE est la dialectique entre une volonté d’ancrage dans un passé lointain et l’inscription de Berlin dans la mondialisation culturelle contemporaine et la compétition territoriale. Le programme du futur bâtiment, et notamment ses deux musées (dédiés à l’art extra- européen et aux sciences), ont ainsi pour objectif de montrer l’ouverture de l’AllemagneDOCUMENT sur le monde, dans le décor d’un Château mettant en avantNATIONALE ses racines profondes. Citant le rapport de la commission d’experts, Marie Hocquet met ainsi en évidence que « la future réplique du château, de par sa fonction culturelle, serait inscrite dans le contexte de la mondialisation et constituerait la preuve tangible de “l’investissement ECOLEde l’Allemagne pour participer à la culture mondiale” (Weltkultur). Lieu de représentation de la diversité des cultures, de recherche scientifique, et lieu d’expression du politique et du social, le Humboldtforum aurait ainsi la vocation de “favoriser le dialogue entre les peuples”, et, plus simplement, entre les citoyens amenés à visiter l’endroit. Cette vision du Humboldtforum fait de Berlin et de son centre un carrefour des différentes cultures, elle en appelle aux traditions cosmopolites de la ville, à son rôle dans le développement des sciences et des arts97 ». En recherchant la continuité historique et en se comparant aux autres métropoles européennes et mondiales, le nouveau bâtiment s’inscrit donc pleinement dans la volonté de normalisation du récit et de l’espace urbain.

97. Hocquet, 2011, p. 335 Un autre élément caractéristique est l’importante mise en scène du chantier. Elle s’est déroulée en deux phases successives, reprenant le modèle de l’Infobox de la (cf. II.A.3). Dans le cadre de l’exposition « Eine demokratische Entscheidung » (cf. ci-dessus), une structure surélevée, la Palastschaustelle98 a ainsi été installée pour donner une vue imprenable sur les travaux de démolition du Palais de la République99. Le principe est reconduit depuis 2011, avec la mise en place de la Humboldtbox, bâtiment temporaire d’une trentaine de mètres de haut dressé à proximité du chantier, donnant directement sur Unter den Linden. Outre le restaurant situé au dernier étage, qui offre une vue panoramique sur les travaux, le bâtiment accueille des expositions organisées par les futurs occupants de lieux (donnant un aperçu de ce que l’on pourra y trouver), ainsi qu’un espace dédié à l’histoire du site et à la présentation du projet, animé par le Förderverein Berliner Schloss. Ces installations transforment le chantier en un événement, mettant une nouvelle fois en scène la capacité de Berlin à se réinventer.

NANTES DE

D'AUTEUR

D'ARCHITECTUREDROIT AU

SOUMIS (fig. 124) Webcam montrant laSUPERIEURE Humboldtbox et l’avancement du chantier. Etat au 02/08/2014 – http://www.humboldt-box.com

Enfin, l’importance accordée aux façades et à la reconstitution de “l’image” pré-moderne de la ville (Stadtbild) doit également être relevée. Elle montreDOCUMENT que la volonté d’ancrage dans le passé relève davantage NATIONALEd’une démarche communicationnelle que réellement patrimoniale. C’est la raison pour laquelle Philipp Oswalt considère que la reconstruction du Château n’est pas un acte conservateur100. Au contraire, le nouvel édifice est, selon lui, très contemporain, puisqu’il acte la naissance d’une ECOLE architecture fondée et destinée à l’image : non seulement la reconstruction se base sur une série de photographies, faisant du média une matière première de la construction, mais le produit généré a pour seules raisons d’être l’image qu’il émet dans la ville, et celles qu’il provoque (les photos des touristes et les reportages de la télévision).

— - —

On est donc ici face à un exemple frappant de sélection des traces, dans le but de construire un récit mémoriel qui serve les ambitions de

98. Il s’agit d’un jeu de mot entre le terme « Baustelle », qui signifie « chantier » et le verbe « schauen » qui signifie « regarder » 99. Holfelder, 2008, p. 95 100. Interview de Philipp Oswalt dans Fassbender, Stalhut, 2009, p. 147 la métropole. Et si le projet a connu une longue maturation (le Palais de la République a fermé en 1990) et l’intervention critique d’acteurs divers, il s’inscrit en définitive pleinement dans les orientations de l’urbanisme berlinois face aux traces du passé, recherchant avant tout une normalisation de l’espace urbain qui serait la traduction physique de l’apaisement de la mémoire. Il serait intéressant par la suite d’enquêter plus précisément sur le terrain pour tenter de mesurer combien les débats et la contestation ont été en mesure d’entretenir le souvenir du Palais et d’infléchir le sens du récit dominant.

La reconstruction du Château n’est bien sûr pas un cas isolé, et elle s’inscrit dans un objectif plus large de reconstitution du centre “historique”, couvert par plusieurs autres reconstructions, déjà effectuées, comme la Kommandentenhaus101, ou en projet, comme la Bauakademie de Schinkel102. En outre, d’autres exemples du même type existent ailleurs en Europe, à l’initiative de personnes privées ou du pouvoir en place.

On peut citer par exemple le projet de reconstruction du Palais desNANTES Tuileries à Paris103, défendu par le « Centre national pour la reconstruction des Tuileries », une association fondée en 2002104. Son objectif DEest de reconstruire l’aile disparue du Palais du Louvre, entre les pavillons de Flore et de Marsan, pour y accueillir, là encore, un usage culturel (l’extension du musée des Arts Décoratifs notamment). A la grande différence du projet berlinois, cette initiative ne rencontre pas, à l’heure actuelle, de résonnance particulière, ni auprès de l’opinion publique, ni auprès des autorités, peut-être parce que Paris ne manqueD'AUTEUR pas de témoins de l’architecture classique ou de symboles de la monarchie.

Un autre exemple, plus politique, est celui de la reconstruction des casernes ottomanes de Taksim à IstanbulD'ARCHITECTURE105, DROITà l’initiative du premier ministre turc Recep Tayyip Erdoğan, ancien maire d’Istanbul (et 125 élu président de la république le 10 aoûtAU 2014). Son projet consiste à reconstruire l’ensemble détruit en 1939, à l’occasion du réaménagement de la ville d’après les plans de Henri Prost, pour laisser place au parc Gezi, marquant ainsi la volonté d’Atatürk de se rapprocher du monde occidental. Si le nouveau bâtimentSOUMIS doit accueillir un centre commercial (un programme assezSUPERIEURE banal), il représente cependant un fort enjeu idéologique, dans la mesure où il acte une volonté du pouvoir politique de réaffirmation de l’identité ottomane de la Turquie. Il rencontre ainsi une forte opposition citoyenne, qui est un facteur d’explication des manifestations du printemps 2013106. DOCUMENT NATIONALE

ECOLE

101. Voir : Hoffman-Axthelm Dieter, « Das neue Kommandantenhaus », Bauwelt, n°1-2, Berlin : Bauverlag, 2004, pp. 10-17 102. Voir le site de la Internationale Bauakademie Berlin e.V., : http://www.internationale- bauakademie.com (consulté le 18/08/2014) 103. Conreur Gérard, « Patrimoine, reconstruire les Tuileries ou Saint-Cloud ? », franceculture. fr, 14 septembre 2010, article disponible à l’adresse suivante : http://www.franceculture. fr/2010-09-14-patrimoine-reconstruire-les-tuileries-ou-saint-cloud.html (consulté le 14/01/2013) 104. Voir le site internet de l’association : http://www.tuileries.org (consulté le 10/03/2014) 105. Voir : Perouse Jean-François, « Le parc Gezi : dessous d’une transformation très politique », in Métroppolitiques.eu, 24 juin 2013, disponible à l’adresse suivante : http:// www.metropolitiques.eu/Le-parc-Gezi-dessous-d-une.html (consulté le 10/03/2014) 106. Göle Nilüfer, « Le jardin Gezi occupé voit refleurir la liberté », Le Monde, Paris, 6 juin 2013 La question des traces revêt à Berlin une importance particulière, du fait conjugué de l’ampleur du phénomène de palimpseste et du poids du « patrimoine inévitable ». A travers ce travail, nous avons donc cherché à déterminer le rôle que jouent ces traces dans le récit de la ville, c’est- à-dire dans la manière dont elle se raconte. Les différents exemples que nous avons abordés mettent en évidence une recherche de mise en perspective des traces, qui s’intègre dans le processus de formation de la mémoire collective, visant à faire de l’espace urbain à la fois le support et le reflet du souvenir.

Nous avons également pu mesurer l’influence du pouvoir politique dans cette sémantisation : son intervention sur les traces, dansNANTES le cadre des politiques urbaines ou patrimoniales, a en effet, de manière consciente ou non, des conséquences importantes sur leurDE place dans la ville et dans la mémoire. Et sans même parler d’instrumentalisation à son avantage, le récit qui en découle est forcément imprégné de ses valeurs. La multiplicité des acteurs et des dynamiques indépendantes du pouvoir tend cependant à tempérer ce phénomène, perturbant de cette manière la recherche d’unicité et de cohérence du récit institutionnel. La tentative berlinoise de « normalisation », qui pousseD'AUTEUR à un ancrage dans un passé lointain idéalisé au détriment des traces du XXe siècle, reste ainsi largement incomplète, en dépit de certains exemples emblématiques, comme l’effacement du Palais de la République, dont la contestation n’entretiendra pas forcément le souvenirD'ARCHITECTUREDROIT — une étude spécifique de 126 terrain permettrait peut-être d’en évaluer la portée. Ailleurs dans la ville, la multiplicité des traces, la polyphonieAU du récit ou la signification même de certaines absences dans Berlin permettent de fait d’écarter l’hypothèse de la « dépossession des acteurs sociaux de leur pouvoir originaire de se raconter eux-mêmes1 », qui constitue, selon Paul Ricœur, l’aboutissement de l’abus de mémoire. SOUMIS SUPERIEURE Le besoin de distanciation face au passé indésirable est bien sûr nécessaire et salutaire, mais l’effacement politique pose tout de même question : la disparition complète est-elle forcément la réponse appropriée ? Si la place Adolf-Hitler ne pouvait par exemple bien évidemmentDOCUMENT pas garder son nom après 1945, matérialiser dans le paysage NATIONALEqu’elle s’était un jour appelé de cette manière aurait pourtant pu avoir un intérêt. Régine Robin, dans Berlin Chantiers, proposait par exemple d’indiquer sur les plaques de rue l’ensemble des noms qu’elle a portés au cours de l’Histoire2, rendant ainsi lisible le palimpseste. ECOLE A l’inverse, la prise en compte des traces ne doit pas conduire à une conservation fanatique, qui empêcherait de vivre au présent. La position d’André Corboz est à ce titre éclairante : « Une prise en compte si attentive des traces et des mutations ne signifie à leur égard aucune attitude fétichiste. Il n’est pas question de les entourer d’un mur pour leur conférer une dignité hors de propos, mais seulement de les utiliser comme des éléments, des points d’appui, des accents, des stimulants de notre propre planification. Un “lieu” n’est pas une donnée, mais le résultat d’une condensation. Dans les contrées où l’homme s’est installé depuis des générations, a fortiori depuis des millénaires, tous les accidents du territoire se mettent à signifier. Les comprendre, c’est se donner la chance

1. Ricœur, 2000, p. 580 2. Robin, 2001, p. 211 d’une intervention plus intelligente3 ». Le phénomène de palimpseste est donc normal et nécessaire, mais sa mémoire peut servir de point d’appui. Dès lors, la problématique de la trace interroge l’urbanisme en lui même, puisqu’il est impossible d’intervenir sur la ville existante sans conséquences sur les traces. Les positions développées à l’occasion de l’IBA en 1987 — qui consistaient à s’appuyer sur la structure urbaine et sociale existante pour inventer une réponse architecturale novatrice — semblent être une voie intéressante, sortant de la dichotomie entre table- rase et passéisme béat.

Si le sujet du rapport au passé est particulièrement débattu à Berlin, on peut supposer que des dynamiques similaires sont observables dans d’autres contextes, à chaque fois que se pose la question de l’intervention sur les traces, ou celle de l’inscription de la mémoire dans l’espace urbain. L’exemple stambouliote notamment semble aller dans cette même direction. Une comparaison plus poussée avec d’autres villes permettrait néanmoins de déterminer plus précisément les éléments spécifiques au cas berlinois par rapport à des facteurs plus largement partagés. NANTES DE

D'AUTEUR

D'ARCHITECTUREDROIT 127 AU

SOUMIS SUPERIEURE

DOCUMENT NATIONALE

ECOLE

3. Corboz, 2001, p. 228 NANTES DE

D'AUTEUR Annexe I. Les arrondissements berlinois 129

Annexe I. Le Planwerk Innere StadtD'ARCHITECTURE 2010DROIT 130 128 Annexe III. L’évolution de la municipalitéAU de Berlin 132

Annexe IV. L’organisation politique berlinoise 133

SOUMIS SUPERIEURE

DOCUMENT NATIONALE

ECOLE Annexe I LES ARRONDISSEMENTS BERLINOIS

NANTES DE

D'AUTEUR

D'ARCHITECTUREDROIT Les arrondissements avant 2001, avec le tracé du Mur 129 (source : wikimedia.org) AU

SOUMIS SUPERIEURE

DOCUMENT NATIONALE

ECOLE

Les arrondissements depuis la réforme de 2001 (source : wikimedia.org) Annexe II LE PLANWERK INNERE STADT 2010

NANTES DE

D'AUTEUR

D'ARCHITECTUREDROIT 130 AU

SOUMIS SUPERIEURE

DOCUMENT NATIONALE

ECOLE

(source : Senatsverwaltung für Stadtentwicklung und Umwelt) NANTES DE

D'AUTEUR

D'ARCHITECTUREDROIT 131 AU

SOUMIS SUPERIEURE

DOCUMENT NATIONALE

ECOLE Annexe III L’ÉVOLUTION DE LA MUNICIPALITÉ DE BERLIN

NANTES DE

D'AUTEUR

D'ARCHITECTUREDROIT 132 AU

SOUMIS SUPERIEURE

DOCUMENT NATIONALE

ECOLE

(source : Landesbildstelle Berlin – Upstall Kreuzberg e.V.) Annexe IV L’ORGANISATION POLITIQUE BERLINOISE

« Les deux instances qui composent le gouvernement local sont le Sénat et la chambre des députés. Le berliner Senat constitue l’organe exécutif du gouvernement local. Il se compose du bourgmestre régnant (regierender Bürgermeister) et de huit sénateurs. L’Abgeordnetenhaus (chambre des députés) est l’organe législatif du gouvernement local.NANTES Elle se compose de 130 députés, élus tous les 5 ans, au moyen d’un scrutin partiellement majoritaire d’arrondissement et partiellementDE proportionnel. La chambre des députés élit le bourgmestre règnant à la tête de l’exécutif. Ce dernier, ainsi que les autres membres du Sénat, doivent répondre de leurs orientations devant la chambre des députés. Depuis 2006, le maire de Berlin a le pouvoir de nommer et de révoquer les huit membres de son gouvernement, à savoir les huit sénateurs à la tête des différents services sénatoriaux chargés d’administrerD'AUTEUR la ville qui, jusqu’alors, étaient élus par la chambre des députés. Les services de l’administration sénatoriale correspondent aux compétences du Land en matière de politique publique. Ainsi, les D'ARCHITECTUREprérogatives du Land de Berlin s’étendent-elles sur des domaines tels que l’éducation,DROIT l’économie, la 133 justice, l’environnement, la culture, la planificationAU urbaine, l’aide sociale et les transports.

La ville est elle-même divisée en circonscriptions (Bezirke), dont le nombre est passé de 23 à 12 en 2001 dans le cadre des réformes SOUMIS de décentralisation SUPERIEUREterritoriale et de renforcement des structures administratives des circonscriptions (voir annexe n°21). Les Bezirke sont dirigées par un conseil élu au suffrage universel direct avec à sa tête un maire et un exécutif de cinq membres. En tant que « lieu d’expression de l’auto-administration locale » (Selbstverwaltung), les circonscriptions ont une réelle légitimité politique et peuvent faire montre d’un pouvoir de contestation faceDOCUMENT aux projets d’aménagement urbain qui concernent leur territoireNATIONALE (notamment lorsque ceux-ci représentent une atteinte à leur autonomie ou à leur identité). »

ECOLEsource : Hocquet, 2011, p. 379-380 Ouvrages théoriques

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Catalogues d’exposition

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Collectif, La Ville, art et architecture en Europe 1870-1993, Paris : Editions du Centre Pompidou, 1993, 467 p.

Combe Sonia, Dufrêne Thierry, Robin Régine, Berlin, l’effacement des traces, Paris : FAGE Editions, 2009, 127 p.

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Forssbohm Ulrike, Kriegs-End-Moränen, Zum Denkmalwert der Trümmerberge in Berlin, Mémoire de master en paysage sous la direction de Gabi Dolff-Bonekämper, Berlin : Technische Universität, 2009, 96 p.

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Laporte Antoine, De Bonn à Berlin : territoires, mémoires et échelles du politique, Thèse en géographie sous la direction de Claude Grasland et Christian Schulz, Paris : Université Paris-VII et Luxembourg : Université du Luxembourg, 2011, 394 p.

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SOUMIS SUPERIEURE

DOCUMENT NATIONALE

ECOLE (couv) Robert Engelhardt Berlin 1964 (fig. 1) Berliner Zeitung, Getty (fig. 48) Bundesarchiv Images (fig. 49) Landesarchiv Berlin (fig. 2) Verlag von W. Pauli’s (fig. 50) Bundesarchiv (photo : Hans Nachfahren Günter) (fig. 3) Verein für die Geschichte (fig. 51) « Gryffindor » (wikimedia.org) Berlins (fig. 52) Ullstein Bilderdienst (fig. 4) Staatsbibliothek Berlin (fig. 53) Ullstein Bilderdienst (fig. 5) Zentral- und (fig. 54) Ullstein Bilderdienst Landesbibliothek Berlin (fig. 55) Bundesarchiv (photo : Ludwig (fig. 6) Bibliothèque nationale de Jürgen) France (fig. 56) Landesbildstelle Berlin (fig. 7) Landesarchiv Berlin (fig. 57) Kleihues+Kleihues (fig. 8) Verkehrsatlas von Europa, J. Architeckten NANTES J. Arnd, Leipzig, 1887 (fig. 58) Büro Hardt-Waltherr Hämer (fig. 9) TU Berlin, Architekturmuseum (fig. 59) Forschungsinitiative IBADE 87 (fig. 10) Berlinische Galerie (photo : (fig. 60) architectureinberlin Georgi Petrussov) (fig. 61) IBA GmbH (fig. 11) SenStadtUm (fig. 62) S.T.E.R.N. GmbH (fig. 12) SenStadtUm (fig. 63) S.T.E.R.N. GmbH (fig. 13) SenStadtUm (fig. 64) Filmmuseum Berlin – Stiftung (fig. 14) SenStadtUm Deutsche Kinemathek (fig. 15) SenStadtUm (fig. 65) DOM PublisherD'AUTEUR (photo : (fig. 16) SenStadtUm Philipp Meuser) (fig. 17) SenStadtUm (fig. 66) Deutsche Stadt- und (fig. 18) SenStadtUm D'ARCHITECTUREGrundstücksentwicklungs-DROIT (fig. 19) SenStadtUm gesellschaft (D.S.K.) 137 (fig. 20) Presse- und Informationsamt (fig. AU67) DOM Publisher (photo : des Landes Berlin Philipp Meuser) (fig. 21) Photographie personnelle (fig. 68) Photographie personnelle (fig. 22) Brian Rose (fig. 69) SenStadtUm (fig. 23) DOM Publisher (photo : (fig. 70) SenStadtUm Philipp Meuser) SOUMIS(fig. 71) SenStadtUm (fig. 24) SenStadtUm SUPERIEURE(fig. 72) SenStadtUm (fig. 25) Landesdenkmalamt Berlin (fig. 73) Robert Aehnelt (fig. 26) Landesarchiv Berlin (wikimedia.org) (fig. 27) Bundesarchiv (photo : Otto (fig. 74) Tempelhofer Projekt GmbH Hagemann) (fig. 75) BaL (fig. 28) Photographie personnelle (fig. 76) Rudolf Denner (fig. 29) BaunetzDOCUMENT (photo : Hans Pieler) (fig. 77) Photographie personnelle (fig. 30)NATIONALE Lemonpage.info (fig. 78) Photographie personnelle (fig. 31) Denis Appel (fig. 79) Photographie personnelle (fig. 32) Bundesarchiv (fig. 80) Photographie personnelle (fig. 33) Adrian Purser (fig. 81) DOM Publisher (photo : ECOLE(fig. 34) Merijn Voorwinden Philipp Meuser) (fig. 35) Ampelmann GmbH (fig. 82) SenStadtUm (fig. 36) Krzysztof Wodiczko (fig. 83) SenStadtUm (fig. 37) Photographie personnelle (fig. 84) Berliner Morgenpost (fig. 38) Berliner Institut für (fig. 85) Street Art in Berlin Faschismus-Forschung (fig. 86) « Berolino » (flickr.com) (fig. 39) DOM Publisher (photo : (fig. 87) Kiezradio Neukölln Philipp Meuser) (fig. 88) Filmmuseum Berlin – Stiftung (fig. 40) Photographie personnelle Deutsche Kinemathek (fig. 41) Landesarchiv Berlin (fig. 89) Filmmuseum Berlin – Stiftung (fig. 42) « mboe » (panoramio.com) Deutsche Kinemathek (fig. 43) Photographie personnelle (fig. 90) Filmmuseum Berlin – Stiftung (fig. 44) Photographie personnelle Deutsche Kinemathek (fig. 45) dpa-Zentralbild (fig. 91) Arndt Gallery (fig. 46) TU Berlin, Architekturmuseum (fig. 92) Wolfgang Günzel, courtesy (fig. 47) Nagel Otto, Heinrich Zille, neugerriemschneider, Berlin (fig. 93) Michael Wesely (fig. 107) Landesarchiv Berlin (fig. 94) Michael Wesely (fig. 108) Photographie personnelle (fig. 95) DOM Publisher (photo : (fig. 109) Lutz Schramm Philipp Meuser) (fig. 110) Deutsches Historisches (fig. 96) Christian Boltanski Museum (fig. 97) OMNIS Verlag (fig. 111) Mittedeutschland Zeitung (fig. 98) Landesarchiv (fig. 112) Mirko Knopp (fig. 99) Landesarchiv (photo : (fig. 113) Gabriele Senft Wolfgang Albrecht) (fig. 114) dpa-Zentralbild (fig. 100) Landesarchiv (photo : Barbara (fig. 115) AKG Images Esch-Marowski) (fig. 116) Photographie personnelle (fig. 101) Photographie personnelle (fig. 117) Urban Catalysts (fig. 102) General Photography Agency (fig. 118) raumlabor berlin – Getty Immages (fig. 119) Lars Ramberg (fig. 103) Gabriele Senft (fig. 120) « Sir James » (wikimedia.org) (fig. 104) Landesarchiv Berlin (fig. 121) Photographie personnelle (fig. 105) Landesarchiv Berlin (photo : (fig. 122) Photographie personnelle Waldemar Titzenthaler) (fig. 123) SBS-Humboldtforum (fig. 106) Luisenstädtischer (fig. 124) Megaposter GmbH Bildungsverein NANTES DE

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