LYCÉENS ET APPRENTIS AU CINÉMA ELEPHANT

par Stéphane Delorme ÉDITORIAL

Synopsis 1

Le réalisateur 2 Gus Van Sant

Genèse 3 Document de travail

Chapitrage 4

Analyse du récit 5 Elephant est certainement l’un des films les plus marquants, et les plus discutés, du début de siècle. Parti pris 6 Devant ce sphinx, la pensée hésite : dispositif ou Ouverture pédagogique 1 film, critique d’un système ou volute énigmatique, film à suspense ou contemplation détendue, Interprétation 8 accompagnement empathique ou froide mise à Ouverture pédagogique 2 distance ? Ce dossier essaiera de ne pas gommer la complexité mais de hiérarchiser et de préciser Mise en scène 10 ces idées. Gus Van Sant élit une position fonciè- Définition rement originale : observer, depuis un point après Ouverture pédagogique 3 la catastrophe, la marche vers la mort ; adopter une conscience sursignifiée du malheur à venir ; Analyse de séquence 12 lever la tête sur les lueurs scintillantes d’un monde qui touche à sa fin ; entourer ces Ouverture pédagogique 4 adolescents de tous les égards, y compris les plus meurtriers. Autant de partis pris qui font d’Elephant un événement. 1, 2, 3 14 Ouverture pédagogique 5 Figure 15 Ouverture pédagogique 6 Point technique 16 La coulée sonore Ouverture pédagogique 7 SOMMAIRE Filiations / Ascendances 17 Directeur de publication : Véronique Cayla. Propriété : CNC (12 rue de Lübeck - 75784 Paris Cedex 16 - Tél.: 01 44 34 36 95 - www.cnc.fr). Atelier pédagogique 18 Directeur de collection : Jean Douchet. Rédacteur en chef : Emmanuel Burdeau. Coordination éditoriale : Thierry Lounas. Conception graphique : Thierry Celestine. Iconographie : Eugenio Renzi. Auteur du Lecture critique 19 dossier : Stéphane Delorme. Révision : Pauline Chopin. Rédactrice pédagogique : Ariane Allemandi. Conception et réalisation : Cahiers du cinéma (9, passage de la Boule Blanche - 75012 Paris - Tél.: 01 53 44 75 75 - Fax. : 01 53 44 75 75 - www.cahiersducinema.com). Passage du cinéma 20

Les textes sont la propriété du CNC. Publication septembre 2007. Dossier maître et fiche élève sont à la disposition des Sélection personnes qui participent au dispositif sur : www.lyceensaucinema.org vidéo & bibliographie SYNOPSIS MODE D'EMPLOI

Ce livret est découpé en deux niveaux. Le premier est le texte principal, rédigé par un membre de la rédaction des Cahiers du cinéma. Il se partage entre des parties informatives et d'autres plus strictement analytiques. L'accent y est porté sur la précision des rubriques, dans la pers- pective de dégager à chaque fois des cadres différents pour la réflexion et pour le travail : récit, acteur, séquence… ou en- Des adolescents déambulent dans les couloirs d’un lycée quelques minutes core : enchaînement de plans, archétypes avant que deux élèves ouvrent le feu : il y a John, fils malheureux d’un père de mise en scène, point technique, rap- alcoolique ; Nathan, le joueur de football populaire ; Michelle, le vilain canard ports du cinéma avec les autres arts, souffre-douleur ; Elias, le photographe déjà artiste. Les tueurs, Alex et Eric, ont etc. Variété des vitesses et des angles planifié leur crime. Mais lorsque la veille et le matin même, ils ont joué du d’approche : s’il veille à la cohérence, le piano, regardé la TV et commandé une arme sur Internet, à aucun moment discours ne saurait viser l’unicité. De même, l’éventail de ses registres – cri- ils n’ont mentionné les raisons de leur geste. Le massacre frappera au hasard ; tique, historique, théorique – ne prétend son issue restera suspendue. pas offrir une lecture exhaustive du film, mais propose un ensemble d’entrées à la fois locales et ouvertes, afin que ce livret puisse être pour le professeur un outil disponible à une diversité d’usages. Signalé par les zones grisées, rédigé par un enseignant agrégé, le deuxième niveau concerne la pédagogie proprement dite. Il se découpe lui-même en deux volets. Elephant Interprétation USA, 2003

Scénario, réalisation, montage : Gus Van Sant Alex : Alex Frost Image : Harris Savides Eric : Eric Deulen Son : Leslie Shatz John McFarland : John Robinson Producteur et assistant-réalisateur : Dany Wolf Elias : Elias McConnell Producteurs exécutifs : Diane Keaton et Bill Robinson Jordan : Jordan Taylor Producteurs associés : JT Leroy et Jay Hernandez Carrie : Carrie Finklea Casting : Mali Finn et Danny Stoltz Nicole : Nicole George Direction artistique : Benjamin Hayden Brittany : Brittany Mountain Costumes : Tamy Crooper Acadia : Alicia Miles Opérateur Steadycam : Matias Mesa Michelle : Kristen Hicks Ingénieur du son : Felix Andrew Benny : Bennie Dixon Nathan : Nathan Tyson M. McFraland : Timothy Bottoms M. Luce : Matt Malloy

1 LE RÉALISATEUR

Gus Van Sant Filmographie

1985 Mala Noche 1990 1991 1995 Even Cowgirls Get the Blues 1995 (Prête à tout) Cahiers du cinéma 1998 Will Hunting 1999 Psycho (Psychose)

2001 Un Gus Van Sant versatile Coll. G.V.S. (À la rencontre de Forrester) 2002 Gerry La Palme d’or d’Elephant en 2003 apparaît comme un point d’orgue dans la car- (1997). Les deux acteurs ne sont que des inconnus quand ils proposent au 2003 Elephant rière d’un cinéaste touche-à-tout passant sans heurt des marges de l’indépen- cinéaste de mettre en scène leur scénario, l’histoire d’un génie caché qui entame 2005 Last Days dance au mainstream hollywoodien, et vice-versa. une psychanalyse. Neuf nominations aux Oscars, et Oscar du meilleur scéna- 2007 Paranoid Park Au début, le parcours est pourtant clair. Né à Louisville, Kentucky, en 1952, Gus rio : voilà consolidée la place du cinéaste dans l’industrie. Van Sant obtient un diplôme d’art à la Rhode Island School of Design. C’est la Tête brûlée, il en profite pour embarquer Universal dans un projet conceptuel grande époque du cinéma underground, qu’il s’empresse de découvrir, notam- arty qui n’a que l’apparence du coup commercial : Psychose (1998), remake plan ment à la National Film Archives de Jonas Mekas ; il se lance à son tour dans le par plan, en couleurs, du film d’Alfred Hitchcock. Il se remet en selle avec une court métrage (en Super 8), puis dans le moyen métrage avec Alice in Hollywood commande proche de Will Hunting, À la rencontre de Forrester (2000), mélo écrit (1981). Installé définitivement à Portland, Oregon, il réalise son premier long pour Sean Connery, sur l’amitié entre un homme vieillissant et un jeune Noir. d’après un roman culte, Mala Noche, de Walt Curtis. Filmé en noir et blanc dans Après ces quatre films de studio, le cinéaste reprend sa liberté. Il part dans le les rues de Portland avec des acteurs amateurs « chicanos », Mala Noche (1985) désert avec ses amis Matt Damon et Casey Affleck improviser un scénario qu’ils s’intègre brillamment au renouveau indépendant des années 1980 aux côtés de écrivent au jour le jour. L’histoire de deux garçons nommés « Gerry » qui se per- Spike Lee et Jim Jarmush, mais son sujet homosexuel l’empêche de toucher un dent dans le désert. Fondé sur une succession de longs plans-séquences souvent large public. Déjà perce l’influence du Hollywood classique (film noir, comédie mutiques, Gerry (2002) révolutionne sa manière de penser le cinéma. Il enchaîne musicale) et contemporain (le Coppola maniériste de Rusty James). avec Elephant (2003) et Last Days (2005), d’après les derniers jours de la vie de Le cinéaste entreprend un second film à petit budget, mais l’ambition des pro- Kurt Cobain. Les trois films forment une « trilogie de la mort », partant de faits ducteurs lui donne plus d’ampleur : Drugstore Cowboy (1989), avec Matt Dillon, divers et décrivant les dernières heures avant la catastrophe. Les inventions for- sur la vie quotidienne de junkies, rencontre un beau succès. My Own Private melles, même si elles ne cachent pas leurs influences (Bela Tarr, Frederick Idaho (1991), montage bigarré entre la vie de prostitués dans les rues de Portland Wiseman, Chantal Akerman) font de Gus Van Sant l’un des cinéastes contem- et Henri V de Shakespeare, impose définitivement le cinéaste. Bouleversé par la porains les plus importants. mort de son acteur principal, River Phoenix, Van Sant écrit un roman en son Il prête son nom comme producteur exécutif à des entreprises qu’il affectionne : hommage, Pink (1997), et lui dédie son film suivant, la bizarrerie farcesque Even Kids de Larry Clark (1995), Tarnation de Jonathan Caouette (2003). En 2006, il Cowgirls Get the Blues (1993), avec Uma Thurman, un échec public et critique s’occupe de la réédition de Mala Noche, invisible depuis sa sortie, comme si c’était cinglant. son nouveau film. Dans l’attente de tourner un film de studio (on a longtemps parlé de Starbucks Saved my Life avec Tom Hanks), il revient au festival de Cannes Jeunesse en 2007 avec Paranoid Park (prix du 60e anniversaire) produit par le producteur Mais Gus Van Sant est déjà ailleurs. Avec la satire, brillante, d’une arriviste français MK2, distributeur de ses trois films précédents. De la trilogie, ce portrait (Prête à tout [1995], avec Nicole Kidman), il opère sa mue hollywoodienne. Son d’adolescent conserve le plan-séquence, la narration circulaire et un travail so- cap dans la « cité des anges » restera la jeunesse : Joaquin Phoenix et Casey nore complexe. Mais l’histoire se resserre sur un récit d’initiation et un dilemme Affleck dans Prête à tout, puis Matt Damon et Ben Affleck dans Will Hunting moral plus classique. Avant de retourner à Hollywood ? 2 GENÈSE

Document de travail

De l’agit-prop à la Palme d’or Elephant de

20 avril 1999 : Lycée Columbine à Littleton, Colorado, deux lycéens, Eric Après une telle expérience, le cinéaste jette le script de Tommy Gun. Davantage Très tôt, Gus Van Sant dessine un croquis Harris et Dylan Klebold, tuent douze personnes et en blessent vingt-quatre avant que sur les deux tueurs, il décide de se concentrer sur l’observation des élèves du lycée pour cerner les déplacements de se suicider. Ce triste record sera dépassé par le massacre de Virginia Tech le le jour du massacre. Il organise un grand casting pour trouver des interprètes, de ses personnages. Les déambulations 16 avril 2007, où Cho Seung-hui tue trente-trois personnes avant de retourner les faire parler et modeler les personnages en fonction. Ainsi John Robinson cotonneuses, fantomatiques, respectent son arme contre lui. Entre 1997 et 1999, huit fusillades (on les appelle les (John) a réellement un père alcoolique et Elias McConnell (Elias) est photo- donc la géographie du lycée de Portland « school shootings ») ont eu lieu. Columbine a occulté et symbolisé toutes les graphe. Chacun a le choix de garder son prénom. Il est à noter que le cinéaste où a été transposé le massacre de autres. La couverture médiatique, énorme, multiplie les responsables : en vrac, a d’abord fait des essais avec des adolescents criminels, avant de se raviser. Columbine. La bibliothèque où éclate la la télévision, internet, les jeux vidéo, la musique gothique (Marilyn Manson), Toujours rétif au scénario, il dessine ensuite un schéma général, puis une carte la vente d’armes (cible du documentaire de Michael Moore, Bowling for Columbine du lieu, d’après un lycée de Portland (cf. Document de travail). Les dialogues fusillade, placée au milieu du plan, est le [2002]). Le sujet est traité sous tous les angles, sauf sous celui de la fiction. en revanche sont improvisés. Une scène aussi importante que celle où Alex joue cœur de ce dessin qui ressemble mysté- Gus Van Sant décide alors de réaliser un téléfilm « dans le style agit-prop », une du piano est inventée la veille lorsque le cinéaste, entre deux prises, entend le rieusement à un éléphant. enquête sur la vie des deux tueurs. Aucune chaîne n’ose se lancer dans sa pro- comédien Alex Frost jouer La Lettre à Elise ; mieux, ce dernier le convainc d’in- Ce document a été publié dans Libération grammation. La comédienne Diane Keaton, attachée au projet comme produc- tégrer La Sonate au clair de lune, morceau indissociable aujourd’hui des déam- le 22 octobre 2003. trice exécutive, organise une rencontre avec la chaîne HBO. Son patron, Colin bulations d’Elephant. Gus Van Sant s’entoure des plus brillants techniciens : Callender, propose à la place de réaliser un film plus abstrait sur la violence, dans Harris Savides à la lumière (récemment Zodiac, de David Fincher) et Leslie la lignée d’Elephant d’Alan Clarke. Ce téléfilm méconnu, réalisé pour la BBC en Shatz à la conception sonore (après ses débuts avec Coppola [Apocalypse Now, 1989, traite de la violence en Irlande du Nord en faisant se succéder des tue- Rusty James], Shatz avait participé à Mala Noche). Il reprend l’opérateur Steadicam ries, sans explication. , scénariste de Kids de Larry Clark et réa- argentin rencontré sur Gerry, Matias Mesa. Économe, il tourne peu et, fait remar- lisateur de , montre le film à Gus Van Sant mais renonce à écrire un script. quable, il monte le film seul. Un premier jet est finalement écrit par l’écrivain J.T. LeRoy1, intitulé Tommy Gun. Son film précédent, Gerry, ayant été refusé au festival de Cannes, Gus Van Sant Pendant ce temps, lassé d’Hollywood, Gus Van Sant réalise Gerry, une tentative paraît anxieux lorsqu’il demande aux Cahiers du cinéma venus l’interviewer : tout à fait nouvelle dans sa filmographie. Il n’est pas exagéré de dire que Gerry «Vous croyez que j’ai une chance d’aller à Cannes ? » Il reçoit des mains de Patrice est la vraie genèse d’Elephant. Perdu dans le désert avec quelques techniciens, Chéreau, président du jury, la Palme d’or et le Prix de la mise en scène. Un Prix il écrit au jour le jour le scénario avec ses deux acteurs, Matt Damon et Casey de l’éducation nationale assez discuté couronne le tout. L’accueil critique et Affleck. Il colle de longs plans filmés au Steadicam sur la marche de ses per- public à sa sortie par MK2 le 22 octobre 2003 en fait un succès sans défaut. sonnages, retrouvant ainsi les sensations qu’il a éprouvées devant les plans- séquences du cinéaste hongrois Béla Tarr. Le pianotage continu (Arvo Pärt), la 1) JT Leroy est crédité comme producteur associé. Derrière cet adolescent androgyne au passé symbolique des costumes (un tee-shirt marqué d’une étoile jaune), plus large- trouble, « auteur » du Livre de Jérémie (adapté au cinéma par Asia Argento en 2004), il s’est avéré ment la création d’un grand bain de sensations, tout annonce Elephant. Le désert que se cachait sa tante, une femme de cinquante ans, ayant inventé ce personnage littéraire pour de Gerry est une table rase, il faut tout reprendre à zéro. séduire les mondanités trash. 3 CHAPITRAGE

Pour des raisons de commodité, notre chapi- pleurer ; une fille (Acadia) lui donne un baiser. culotte verte. Elle se retourne quand elle entend le bruit d’une trage respecte celui de l’édition DVD MK2. 19b. (00:32:00) Alex rentre chez lui ; personne culasse qu’on recharge. Néanmoins, quelques modifications ont été 11. (00:16:02) « Acadia ». L’adolescente rejoint un n’est à la maison. Il boit du lait à la cuisine. apportées afin de respecter la logique des épi- groupe de discussion à l’alliance homos-hétéros. 19c. (00:33:00) : Elias développe ses photos en 30. (00:58:07) Les deux tueurs sont sous la douche. sodes. Certains chapitres ont été rassemblés On s’y demande si on peut deviner que quelqu’un compagnie de deux autres élèves. Derniers préparatifs, ils révisent leur plan, des flash- afin de ne pas briser l’unité d’un épisode ; à l’in- est homosexuel. Ils conviennent que non. forwards nous montrent ce qu’ils ont prévu. verse, d’autres ont été fragmentés. 20. (00:34:50) Elias sort du labo et marche dans Les cartons annonçant les prénoms des per- 12. (00:18:07) Nathan et Carrie quittent le bureau. les couloirs. 31. (01:01:07) Ils montent dans la voiture. sonnages sont indiqués entre guillemets. Nathan invite Carrie à une virée en 4x4. 21. (00:35:58) Elias croise John et le prend en 32. (1:02:04) Ils arrivent au lycée, croisent John 1. Le générique défile pendant que la nuit tombe 13. (00:19:20) Elias croise John et le prend en photo. C’est la même scène qu’en 13 mais selon un dehors (cf.14). Celui-ci prévient les gens de ne en accéléré. Plein jour, une voiture zigzague, un photo. John tape sur son jean au moment du clic. angle différent. Cette fois on reste avec Elias. pas entrer. père ivre en sort et laisse sa place au volant à son On reste avec John qui marche d’un pas lourd. fils, John. « John ». 22. (00:36:57) Elias entre dans la bibliothèque, 33a. (01:03:05) La bombe n’explose pas, les 14. (00:20:25) John sort du lycée, et joue avec un prend un magazine. Michelle s’y trouve et range tueurs passent au plan B. John cherche son père. 2. (00:03:39) « Elias ». Un garçon prend des pho- chien (Boomer). Il croise deux élèves armés, en des livres. Les tueurs entrent dans la bibliothèque. Elias les tos d’un couple de punks dans un parc. treillis (Eric et Alex), qui lui conseillent de rester prend en photo ; ils tirent sur Michelle qui est dehors, avant d’entrer dans l’enceinte. 23-24-25-26. devant eux, puis indifféremment sur les élèves. 3-4. 23. (00:37:24) « Brittany, Jordan et Nicole ». 33b. (01:04:51) La fusillade se poursuit en dehors 3. (00:05:48) John gare la voiture devant son 15a. (00:21:07) « Eric & Alex ». Flash-back. En Retour en arrière. On retrouve les trois filles devant de la bibliothèque. Alex tire sur les trois filles aux lycée. Il téléphone à son frère pour qu’il vienne cours de physique, deux élèves (dont Nathan) jet- lesquelles passait Nathan en 7. toilettes. À l’alliance homos-hétéros, un élève est chercher leur père. Il est convoqué dans le bureau tent sur Alex des boulettes qui se collent à son 24. (00:38:12) Les trois filles marchent jusqu’au blessé à mort par une balle. du proviseur pour son retard. sweat-shirt. Il ne répond pas. Il va se laver. réfectoire. 4. (00:07:28) John et le proviseur se regardent. 25. (00:40:38) Elles voient John et le chien dehors 34-35. 15b. (00:22:22) Au réfectoire, Alex prend des notes (cf.14). 34. (01:05:59) Un élève noir marche seul et va à 5-6-7. sur un carnet. Il semble étudier le lieu. Le son se fait Début 26. (00:43:20) Elles entrent aux toilettes et la rencontre des tueurs. « Benny ». 5. (00:07:45) Des élèves jouent au football sur le plus fort, il regarde en l’air comme affolé. se font vomir. 35. (01:06:51) Benny fait sortir Acadia de sa classe. terrain de sport. Une fille (Michelle) passe en regar- 26a. (00:43:55) Flash-back : Alex joue Beethoven Eric est aux prises avec le proviseur. dant le ciel. Un garçon (Nathan) enfile son sweat- 16. (00:24:13) Elias entre dans le lycée. Il marche au piano, il est rejoint par Eric, qui joue à un jeu shirt rouge marqué « Lifeguard ». jusqu’au labo photo. vidéo (inspiré par Gerry, le précédent film de Gus 36. (01:08:05) John retrouve son père. 6. (00:10:45) Nathan déambule. Van Sant). Ils vont ensuite sur un site d’armes. Plan 7. (00:11:40) Nathan croise trois filles et rejoint sa 17-18. sur des nuages. Bruits d’orage. On les retrouve en 37. copine (Carrie). 17. (00:26:52) « Michelle ». Fin du cours de gym, train de dormir au matin. Petit déjeuner. 37a. (01:08:49) Eric tue Benny, puis le proviseur. la professeur reproche à Michelle de ne pas avoir 26b. (00:51:22) Ils regardent à la TV un docu- 37b. (01:10:10) Alex court et tire au hasard. 8. (00:13:30) « Nathan & Carrie ». Le couple de short. mentaire sur Hitler. On leur livre une arme. Ils l’es- 37c. (01:11:31) Nathan et Carrie cherchent un entre dans le secrétariat. John est à côté, dans le Début 18. (00:27:44) Michelle traverse le gymnase saient dans le garage. endroit où se cacher. Alex, derrière eux, ne les a pas bureau du proviseur. Le proviseur lui dit d’aller en désert. vus ; il s’assoit au réfectoire et tue Eric qui vient à cours. John laisse les clés de la voiture au secréta- 18. (00:28:08) Elias sort de la chambre noire. Il 27-28-29. sa rencontre. Il entend du bruit et débusque Nathan riat pour son frère. fait sécher son négatif. 27. (00:55:47) Michelle marche. et Carrie dans la chambre froide, les met en joue. 28. (00:56:25) Michelle croise Elias qui prend 37d. (01:14:39) Avant qu’il ne tire, plan de nuages. 9. (00:14:45) John se met à déambuler. 19. John en photo. C’est la troisième fois que nous Puis générique (01:15:10). 19a. (00:30:20) Michelle se déshabille dans le voyons la scène. Cette fois on reste avec Michelle. 10. (00:15:01) John se cache dans une pièce pour vestiaire. On se moque d’elle parce qu’elle a une 29. (00:57:09) Celle-ci arrive à la bibliothèque. 4 ANALYSE DE RÉCIT

Le compte à rebours et la boucle

Le récit d’Elephant noue deux logiques. La première est celle, prévisible, fétichisé, comme une vague qui monte à sa crête avant de redescendre. va très vite pour John (le proviseur, le baiser, la photo d’Elias) – un du compte à rebours. Le public connaissant l’issue du fait divers, la La photo de John prise dans le couloir par Elias est ce cran d’arrêt petit quart d’heure –, alors qu’Elias va au labo, développe ses photos, question n’est plus « Que va-t-il se passer ? », mais « Comment ? ». montré sous trois angles, selon les points de vue de John, Elias et papote et se rend à la bibliothèque. On peut parler pour les tueurs de Le récit juxtapose les séquences des dernières heures avant le massacre Michelle. Ce carrefour précède l’entrée dans la bibliothèque et le vrais flash-backs : Alex en cours (avec Nathan d’ailleurs), Alex à la selon un découpage parallèle par chapitres épinglant le prénom des dif- début du massacre. Le clic-clac de l’appareil résonne avec la tape de cafeteria, Alex et Eric enfin jouant du piano ou au jeu vidéo avant de férents personnages (« personnage » est un grand mot pour ces figures John sur son jean et le tapement de pieds de Michelle ; les trois sons se coucher. On est revenu en leur compagnie à la journée précédente. dont nous ne savons presque rien). Le se coordonnent pour marquer d’une borne Quant au massacre, il nous est autant montré que retiré. Le flash-for- compte à rebours est d’ailleurs amplement le pli du récit sur lui-même. ward par lequel les tueurs, le doigt sur leur plan d’attaque, voient à exploité figurativement : la tombée de la Gus Van Sant déplace donc le centre de gra- l’avance la tuerie nous dévoile trop vite les images, afin de ne pas nous nuit au générique, le geste balancé d’Elias vité juste avant le massacre. Le plan du film mettre dans la situation de les désirer. La scène d’action déçoit. Dans qui développe ses photos (chapitre 18), le suit trois approches. Première approche la bibliothèque, on reste collé aux tireurs sans bien voir qui meurt ou tic-tac de l’horloge dans la maison d’Alex (John, Elias, Nathan & Carrie), jusqu’au non. Où passe Elias ? Les meurtres sont suspendus (les trois filles, 33). (19), les trois filles comptant les jours qui premier clic de la photo (13) suivi de l’en- À peine commencé, le massacre est déjà terminé. Alex court seul dans leur restent au lycée (24), la comptine sur trée des tueurs (14, 20e minute). Deuxième les couloirs, Eric s’acharne sur le proviseur (37). Un nouveau per- laquelle le film reste suspendu. approche : parallèle entre les tueurs en sonnage apparaît, Benny (34). Tout le monde est parti. Il n’y a pas de Or cette logique est perturbée par une autre, flash-backs, et les autres (Elias, Michelle, « moment » du massacre, un tel moment n’est qu’un fantasme contradictoire. Le film avance en reculant, mais pas John) jusqu’à 21 (35e minute), macabre. Tout s’effiloche. Alex est renvoyé aux déambulations de la puisque le changement de scène peut être suivi par l’entrée dans la bibliothèque (22). première partie, dont il donne le versant paniqué. Il n’a plus qu’à s’as- l’occasion d’un retour en arrière. Un pas en Troisième approche (Brittany, Jordan & seoir dans la cantine pour boire un verre. avant, deux pas en arrière : le panoptique ne Nicole ; Alex & Eric) jusqu’à 28 (56e minute), Ce refus de filmer le massacre dénote une exigence de réalisme et un laisse aucune zone dans l’ombre, quitte à nous enfermer dans une suivi encore une fois de la bibliothèque, qui se termine par le bruit refus des conventions hollywoodiennes (scènes de foule des films boucle temporelle. La répétition substitue à la surprise la litanie, et au de la culasse (29). On a avancé d’un cran, mais le film repart une der- catastrophe). Dix minutes à la fin d’un film qui paraît d’autant plus suspense la suspension du temps. nière fois en arrière (la douche en 30) pour amorcer le massacre du court (75 minutes). La preuve, après coup, que le centre de gravité point de vue des tueurs. La dernière et quatrième partie commence du big-bang était les minutes d’avant la catastrophe, le moment d’ap- Action, contemplation à cet instant, davantage qu’avec le massacre même. proche toujours différé. Comment concilier une logique de film d’action avec une balade contemplative ? La boucle dans laquelle sont pris les lycéens, un Elastique petit gel de temps, provoque en fait une dramatisation. Repartir en L’élasticité du temps n’est pas la même pour les victimes ou témoins arrière pour mieux revenir, voilà qui aiguise le désir de l’obsession- et pour les tueurs. Le récit est presque comptable en minutes pour les nel. La litanie n’est pas monotone, mais dirigée vers un cran d’arrêt premiers. Même si ce qui semble simultané ne l’est pas tout à fait : cela 5 PARTI PRIS

Élégie

Le geste singulier de Gus Van Sant est de se placer d'emblée après la catastrophe, tous. La grandeur d’Elephant est de penser le drame collectivement, et de dis- de filmer ses personnages comme déjà morts, auréolés par les signes avant-cou- tribuer sur les uns et les autres les données du problème. On a pu reprocher au reurs d’un désastre dont ils semblent avoir la prescience. Pourquoi marchent- film, malgré sa splendeur, le grand écart entre « la contemplation béate » et la ils sans fin comme des âmes en peine ? Pourquoi Michelle regarde-t-elle le ciel, « condamnation anticipée », entre « le détail amoureusement élu et la grande fin anxieuse ? Pourquoi John pleure-t-il ? On peut répondre superficiellement : ils dernière au bout du chemin »3. Mais ils sont aimés parce que condamnés, ils sont marchent pour aller en cours ou au labo photo ; elle regarde le ciel parce que contemplés parce que morts. Même les vivants sont morts, même John, le le temps est en train de changer ; il pleure parce que Témoin, qui reste à la lisière, est filmé ainsi. son père est indigne. C’est le fait même d’une posture tragique de regarder Mais ces éléments dessinent un tout autre motif car les choses depuis un point où elles ont disparu. Gus nous connaissons l’issue. Michelle regarde en l’air Van Sant ne fait pas semblant de retrouver une inno- parce qu’elle sent quelque chose venir. « Un an avant cence, comme si un beau matin d’automne, les le tournage, le 11 septembre, j’étais à huit blocs du World lycéens allaient pique-niquer sans savoir ce qui les Trade Center et j’ai vu les tours s’effondrer. (…) Ceux qui attend au détour d’un couloir. Pas question de faire venaient du WTC marchaient simplement, couverts de comme si, ni de susciter un suspense : Qui va tuer ? cendres. J’en ai vu qui pleuraient, qui parlaient entre eux Qui va mourir ? Quand ? On ne se dit pas que John ou qui s’arrêtaient en pleine rue pour regarder le ciel. »2 peut être le criminel ni Elias, parce qu’ils sont déjà fil- Pas de cohue, mais un état de stupeur que l’on retrouve més autrement, comme des parties du désastre. Qu’ils chez Acadia, tétanisée, incapable de sortir de sa salle soient les tueurs ou pas, qu’ils survivent ou non, cela de cours (35). Lever la tête, c’est le geste de Michelle est secondaire. Elias est-il tué ? La silhouette qui s’ef- sur le terrain de sport (5), celui d’Alex aussi dans la fondre dans le flou ne lui ressemble pas (33). Peu cafétéria (15), signe qu’ils appartiennent tous deux au même monde et qu’ils sont importe. Le cinéaste dévoile vite les tueurs (au bout de vingt minutes), pour également victimes de l’événement. Tous, ils marchent couverts de cendres. qu’aucun suspense ne demeure sur leur identité. Et ces tueurs mêmes sont des parties du désastre, des astres dans la constellation de l’événement. Posture tragique Les signes de l’événement sont là. Les costumes commentent ironiquement Quand John pleure, Acadia vient lui déposer un baiser. Baiser gratuit, qui ne dit l’action. Nathan porte un sweat-shirt « Lifeguard », mais il ne pourra assurer la rien de leur relation, mais scelle simplement ce moment d’intimité avant le sécurité de personne et la croix blanche sur fond rouge dans son dos servira plu- désastre, ou de consolation après. Ils sont traversés par quelque chose de plus tôt de cible. Alex porte un tee-shirt « Triomph » claironnant son sinistre coup grand qu’eux, ils sont transfigurés. Ainsi, le regard vide de John, assis dans le d’éclat. Ces signes ne se montrent pas à nous dans le dos des personnages, ils fauteuil face au proviseur (4), se charge de ce que nous savons. Il prend une pro- participent d’une stylisation d’ensemble de l’événement. Le titre allégorique fondeur collective ; il ne regarde pas seulement pour lui-même, mais pour débloque un circuit animalier englobant le tee-shirt tigre (l’emblème du lycée) 6 Ouverture Pédagogique 1

Suicide virginal Un autre film américain récent comporte de nombreux points communs avec Elephant, c’est le premier film de Sofia Coppola, Virgin Suicides (2000). Pour les élèves qui ne l’ont pas vu, le profes- seur peut prévoir des photocopies d’ar- ticles de presse, ou passer en classe les premières séquences. Quels parallèles peut-on faire entre les deux œuvres ? Les de Michelle et le tee-shirt taureau de John. Le premier entre en résonance avec La plainte de l'élégie substitue au suspense et au drame un lyrisme suspendu. thèmes sont proches : il s’agit de parler le félin sur le dessus de lit d’Alex (26) et la comptine finale : « Catch the tiger by Ce temps perdu, il faut le suspendre, quitte à faire tourner le lycée sur lui-même d’un événement terrifiant, apparemment the toe / If he hollers let him go » (« Attrape le tigre par la queue / S’il rugit laisse le comme une mappemonde. Les ralentis détendent le récit (le chien qui saute près partir ») ; le second suscite aussi bien, et contradictoirement, le Minotaure dans de John, Nathan qui croise les trois filles), comme on étire un élastique. Ils inexplicable ; meurtres et suicides pour son dédale qu’une corrida de corridor. immortalisent l’instant comme si c’était le dernier. Le montage parallèle arrête le premier, suicides de cinq sœurs pour un personnage dans son action pour le reprendre plus tard : ainsi le faux arrêt le second. Tout comme Gus Van Sant, Lyrisme sur image de John face au proviseur (4) repris à l’identique (8) comme s’il avait Coppola choisit de ne pas alourdir son Ces adolescents ne mourront pas tous, mais ils sont englobés les uns et les autres été mis en mode « pause ». Les constants retours en arrière enferment les per- film d’une explication claire : le récit est dans un même mouvement élégiaque. L’élégie est une forme lyrique proche de sonnages dans une capsule ; comme en enfer, ils ne cessent de vivre et revivre pris en charge par les anciens amou- la plainte. On pleure les enfants disparus. Et ce n’est pas un hasard si une cho- la même action. reux ; se souvenant, ils demeurent seuls rale accueille Nathan à son entrée dans le lycée (6). Ils sont encore là, mais la Le cours donné par le professeur de physique résonne alors étrangement avec face au mystère. Même enchantement caméra sait qu’ils vont disparaître. Lorsque la caméra reste obstinément fixe le trajet des adolescents (15) : « Lorsqu’on introduit de l’énergie dans l’atome, les nostalgique devant la grâce propre à électrons sont projetés loin du noyau. » Puis : « Quand l’électricité passe dans le tube devant le match de football, avec les pom pom girls au fond, et les joueurs qui l’adolescence, sa pureté et sa douceur : ne cessent de sortir du champ (5), on sent une présence littéralement catastro- d’électrons, ils restent allumés ou sont à court d’énergie ? » Réponse : « Ils restent dans comme John, les cinq sœurs sont tendres, phée, une instance effondrée qui regarde, la tête basse, en sachant ce qu’eux ne cet état d’excitation et puis retombent à nouveau. Quand ils retombent ils émettent de blondes, lumineuses. Quand Van Sant peuvent que pressentir. À cet instant, les premières notes de la Sonate au clair la lumière. » Dans Elephant, quand ils retombent, les adolescents émettent de la de lune résonnent tristement. lumière. esthétise les mouvements, Coppola enve- Les dernières heures défilent comme si le monde entier allait s’effondrer. La loppe ses vierges d’une lumière ouatée, musique de Beethoven venue de la nuit des temps, les trois mappemondes dis- de couleurs pastellisées et de mélodies posées bizarrement à l’entrée de l’école, la galaxie punaisée dans la bibliothèque aériennes (écrites par le groupe français (33), l’insistance sur le ciel, le temps, le climat, semblent dire qu’un monde arri- Air) leur donnant une qualité angélique, ve à sa fin. Le générique initial décrit la tombée de la nuit en accéléré ; le récit, rendue tragique par le titre funeste. la tombée du soleil, depuis les premiers plans solaires jusqu’au ciel gris, les flaques de pluie (33, quand John cherche son père) et enfin cette pluie sonore qui tombe dans le cerveau d’Alex (37). La météorologie replace ce massacre par- ticulier dans l’ordre du monde. Non pour dire que la Nature y est indifférente, mais au contraire qu’elle y participe et risque de disparaître avec lui. Que la Nature participe au mouvement des hommes, on a là un trait romantique, que l’usage de la musique de Beethoven et la citation de Macbeth (« So fool and fair a 2) « Entretien avec Gus Van Sant », entretien par Sandra Benedetti, Cinélive, novembre 2003. day I have not seen », 37) ne font que renforcer. Elephant est une élégie romantique. 3) Emmanuel Burdeau, « Étoile maison », Cahiers du cinéma n° 601, mai 2005. 7 INTERPRÉTATION

Pas de Colombo pour Columbine ? Bowling for Columbine de Michale Moore. Ph : Diaphana

La critique s’est félicitée que le cinéaste ne donne aucune explication au mas- est fait part dans l’entretien du DVD : peut-être le temps est-il responsable ? sacre. Mais comment le pourrait-il ? C’est la moindre des honnêtetés que de réta- L’attention à la météo (du soleil à la pluie, du jour à la nuit) révèle qu’il y a ici blir l’événement dans son opacité. L’originalité du geste est de convoquer toutes plus qu’une boutade. les causes possibles et de les disséminer sur les différents personnages (y com- pris les victimes). Quitte à donner le sentiment d’un entassement. Dans l’ordre, Vide ? la démission parentale : la mère d’Alex (26), dont on ne voit pas le visage, est On peut penser que le cinéaste convoque ces causes pour les annuler, comme juste bonne à préparer le petit déjeuner ; elle ne s’inquiète pas de savoir où est une série de signes sans signification. C’est la thèse du philosophe Jacques son fils, s’il va à l’école, elle se contente d’un « Ferme Rancière : « (…) il n’y a pas de raison au crime, sinon la porte derrière toi. » La démission des adultes en le vide même de ses raisons. La mise en scène est la longue général : le proviseur n’a rien à échanger avec John manifestation de ce vide. »5 Comment se fait-il alors que (1); le professeur de physique laisse les élèves se Gus Van Sant cite cette parabole bouddhiste ? « (…) moquer d’Alex (15) ; le livreur ne s’étonne pas que les plusieurs aveugles examinant différentes parties d’un élé- armes soient réceptionnées par des mineurs (26 : phant croient chacun en comprendre la vraie nature. «Vous n’avez pas école ? Vous avez de la chance. »). La Celui qui touche une patte pense être devant un arbre, méchanceté des camarades : Alex est moqué par pour un autre l’oreille est un éventail, pour un troisième Nathan, le garçon populaire qui termine dans la la trompe est un serpent, mais aucun d’entre eux ne peut chambre froide. Enfin, la fascination des Américains percevoir ce qu’est un éléphant dans sa globalité. »6 pour les armes et leur libre accès (cf. Bowling for Citation désarçonnante qui, au lieu d’un « vide », met Columbine, de Michael Moore). en valeur une « globalité ». Chacun des fragments Autant de causes sociales. Ajoutons la cause patho- seul est insuffisant, et donc faux (par exemple accu- logique : Alex se prend la tête entre les mains, dans ser les jeux vidéos). En revanche, il faut le replacer la cafétéria, comme un fou (15). Et les causes fantasmatiques, réactionnaires, autant que faire se peut dans une totalité, à savoir l’éléphant, l’événement. données au moment du massacre de Columbine : le jeu vidéo (le joueur s’iden- Au lieu de les émietter, la figure de l’éléphant rassemble donc les causes dans tifie à un tueur), Internet (le libre accès aux mineurs) et la télévision (le docu- une totalité. Comme si, sur le modèle « 1+1+1+1 », selon la théorie anglo-saxon- mentaire sur Hitler). En revanche le heavy metal est absent et on doit remarquer ne des « petites décisions »7, on pouvait finalement rendre compte rationnelle- le profil calme des deux tueurs, Alex préférant jouer du Beethoven. Les trench- ment d’une aberration. Cause pathologique (un dérèglement ou une trop grande coats noirs de la mafia gothique de Columbine sont donc remplacés par des susceptibilité) + causes sociales + cause matérielle (l’accès aux armes, donc aux treillis. Gus Van Sant ajoute deux causes métaphysiques. L’une, morale, soule- moyens du massacre) = conséquence monstrueuse. Les souris accouchent d’un vée par les références à la chasse et à la Seconde Guerre mondiale : l’homme est éléphant. Les toutes petites causes ont autant d’importance que les grandes ; un loup pour l’homme4, la violence est en lui. L’autre, météorologique, dont il autant de gouttes font déborder le vase (un élève qui bouscule Alex dans la 8 Ouverture Pédagogique 2

Pari pour l’intelligence À l’issue de la projection, certains élèves risquent de réagir à l’unisson du grand pu- blic : perplexité, voire agacement. Quel est donc ce film qui traite un sujet si dou- loureux avec une telle nonchalance ? Michael Moore, lui au moins, a le cou- rage de « se mouiller », de dénoncer, au risque de se faire beaucoup d’ennemis ! Le spectateur semble ainsi confronté à un double scandale. Le premier, celui des faits relatés eux-mêmes : le scandale de la violence aveugle. Le second : le silence d’un cinéaste sadique, coupable d’aban- donner le spectateur à son désarroi. À bien y réfléchir, ce silence n’est-il pas au contraire la marque d’un profond respect pour le public ? Il faudra laisser les élèves arriver eux-mêmes à réviser leur possible premier sentiment. Accepter l’idée d’une

Gerry de Gus Van Sant complexité infinie du réel et de l’enchevê- trement des causes et des effets demande de renoncer au confort du préjugé. Van cafétéria [15], La Lettre à Elise qu’il n’arrive pas à jouer correctement [26]). scénaristes Matt Damon et Casey Affleck, représentait d’abord une erreur, un bug. Surprise. Une fois le dessin achevé, l’ensemble des causes prend le profil du « sys- Le « gerry », c’est littéralement le bug de l’éléphant, quand un adolescent se trouve Sant l’a clairement dit à l’occasion d’un tème ». « L’interprétation que j’aime, c’est d’y voir l’éléphant du système, l’ensemble au point focal exact de l’effondrement d’un système en son entier. D’un monde. entretien : « Je voulais faire quelque chose des causes qui ont entraîné le massacre (…) comme un gigantesque système grisâtre qui essaierait de rendre l’état d’esprit des très oppressif. »8 Retour à la case départ ? Pas si sûr. Le cinéaste confie ainsi qu’il jeunes lycéens à cette époque (…) j’ai ne saurait se contenter d’une saturation de signes digne de l’art conceptuel. Son surtout cherché à présenter une impression film est un dispositif critique. Il avoue, en grand romantique, que son esthétisa- poétique plutôt que de dicter aux specta- tion n’est pas muette ni vide, mais qu’elle innocente les adolescents. teurs ce qui s’est passé et ce qu’il faut en Au fond, les adolescents de Gus Van Sant sont des anges. Ils tournent dans les penser. » couloirs comme une harmonie de sphères aux sentiments variables. Le scandale du mal a beau venir d’eux, on voit bien dans le regard du cinéaste qu’ils n’en sont pas responsables. Le système grisâtre repeint aux jolies couleurs d’un lycée, oui. L’analogie entre les deux tueurs et les deux amis de Gerry (repris dans 4) Émile Breton, « Regarder en face le loup dans l’homme », L’ Humanité, 22 octobre 2003. 5) Jacques Rancière, « Les nouvelles fictions du mal », Cahiers du cinéma n° 590, mai 2004. le jeu vidéo) montre l’affection sans fard du cinéaste. Eric dit au proviseur qu’il 6) Entretien réalisé par Julien Welter, Repérages, sept-oct 2003. ne fallait pas embêter « me and my Gerry » (37). Le baiser sous la douche lie les 7) Thomas Schelling, La Tyrannie des petites décisions. Cf. Sélection bibliographique. deux Gerry et atteste de leur affectivité. Mais un « gerry » dans le dialecte des 8) « Un gigantesque système oppressif », entretien par Michel Cieutat, Positif n° 513, novembre 2003. 9 MISE EN SCÈNE

Définition(s)

“Mise en scène” est une notion ambi- valente, dont l'emploi recouvre généra- lement trois significations complémen- taires mais bien distinctes. La première est tirée de l'origine théâtrale de l'ex- pression : “mise en scène” signifie alors une certaine manière de disposer entrées, sorties, déplacements des corps L’œil de la caméra et la place du mort et organisation des décors dans un espace donné – au théâtre la scène, au S’il fallait définir d’un mot la mise en scène d’Elephant, ce serait : « observation ». en lui. Au contraire, nous en sommes détachés et nous l’observons. Il est telle- cinéma le champ. La seconde est un Non pas au sens où le cinéaste se mettrait en retrait pour s’abolir dans le sujet ment observé que comme par réflexe, le personnage se gratte la nuque (6) ou transfert scénique de cette origine vers filmé. Au contraire, l’observation se double d’une monstration. La caméra ne se baisse les yeux (16). le cinéma seul : la “mise en scène” se- laisse jamais oublier : elle observe et nous signifie qu’elle observe. L’hypervisibilité Le mouvement régulier, rectiligne, impose l’idée d’un accompagnateur bien- rait le langage, l'écriture propre au ciné- de la caméra marque ainsi la reconstitution de la fiction et l’affirmation d’un point veillant, comme un autre personnage, qui se joint et observe. Un phénomène ma – la preuve de son existence en tant de vue, loin de toute prétention à la transparence. purement fictionnel qui éloigne la démarche du cinéaste du regard documen- qu'art. La troisième est un autre dé- Dès les premiers plans saute aux yeux le format choisi par le cinéaste. Format taire, même s’il en reconnaît l’influence (High School de Frederick Wiseman, centrement de cette origine, cette fois carré (1,33), rare dans le cinéma contemporain, qui s’explique de plusieurs 1968). Le mouvement rectiligne peut d’ailleurs s’arrêter et laisser aller le mar- moins vers l'art du cinéma que vers manières. C’est le format télé auquel le film est destiné puisque produit par HBO cheur : la caméra s’arrête aux abords du lycée et laisse filer Nathan (5), comme ses artistes, “mise en scène” désignant (mais le film, sortant en salles, n’était tenu en rien à s’en accommoder) ; c’est un pour montrer que l’observateur a son autonomie. dans ce cas les moyens par lesquels un format scolaire (celui des films en 16mm) qui plaît au cinéaste. Mais c’est un Cette caméra presque subjective est d’autant plus curieuse qu’elle s’approche du cinéaste imprime sa marque aux films choix déjà de mise en scène. D’abord parce que le 1,33 épouse parfaitement la jeu vidéo ou du thriller. Lorsque les trois filles entrent aux toilettes, la caméra géométrie des couloirs du lycée. Ensuite parce que la subjectivité y est plus mar- s’arrête , se poste devant le sigle « dames », comme si un personnage s’arrêtait qu'il tourne – une affirmation de singu- quée : on songe à la caméra vidéo familiale ou à l’écran d’ordinateur (avant qu’il à cet endroit (26). On pense à la caméra subjective d’Halloween de John larité, un effet de signature en somme. ne devienne panoramique) sur lequel le joueur s’identifie à son avatar dans le Carpenter (1977) ou de Blow Out de Brian De Palma (1981), où un serial killer jeu vidéo. Enfin, au même titre que la durée, brève, le format participe d’une s’arrête devant les toilettes avant de s’y engouffrer. Lorsqu’il est de dos, le lycéen exigence économique de concentration et de sécheresse. peut aussi apparaître comme une victime dans la ligne de mire d’un joueur : le cadrage est explicite dans le jeu vidéo auquel joue Eric et dans les flash-forwards L’automate qui annoncent la tuerie (30). Mais il est remarquable qu’un tel cadrage n’appar- Observer prend du temps. La cellule fondamentale de la mise en scène d’Elephant tienne qu’à l’imagination des tueurs fignolant leur plan, sous forme d’image est le plan-séquence. Mais à peine a-t-on cerné la continuité du point de vue mentale, et non à la mise en scène de Gus Van Sant, beaucoup plus subtile. Chez comme qualité principale qu’une autre s’impose à ses côtés : le mouvement. lui, la caméra subjective ne désigne pas un tueur masqué, mais un automate Le plan type, l’emblème d’Elephant, est un plan suivant ou précédant un lycéen omniscient avançant en mettant la main sur l’épaule de ces adolescents hagards. qui déambule longuement dans les couloirs. Ce mouvement d’avancée « colle Il faut donc noter l’hétérogénéité de la mise en scène sous son apparence homo- aux basques » des adolescents. L’étrange dispositif d’un opérateur Steadicam gène. Il y a d’un côté ces longues coulées qui font la singularité extrême monté sur un chariot (cf. Figure) provoque un mouvement régulier, comme une d’Elephant, cet automate qui glisse dans les couloirs comme la Bête suit la Belle mécanique implacable. D’où une impression de fluidité, la caméra semblant cou- dans le film de Cocteau. Et d’un autre côté les emprunts, souvent ironiques, dont ler dans les couloirs comme du sang dans les veines, mais aussi de puissance, le cinéaste a toujours été friand. Ainsi on voit toute la différence entre le mou- comme si une force indépendante suivait le personnage sans faire corps avec lui. vement circulaire à l’alliance homos-hétéros (11), qui renvoie au filmage docu- Nous ne nous identifions pas au personnage, nous ne sommes pas portés à être mentaire d’une discussion de groupe, et le mouvement circulaire dans la 10 Ouverture Pédagogique 3

Qui regarde ? La caméra placée derrière un personnage, en amorce ou de dos au premier plan, est une figure de style bien connue du lan- gage cinématographique. Faisons le point sur les définitions : – Un plan en caméra subjective donne à voir ce qu’un personnage est censé voir, Blow Out de Brian de Palma comme si la caméra était son œil. Exemple dans Elephant : le gros plan sur l’écran du chambre d’Alex (26) : la chambre y est observée attentivement, et lorsque la traces spectaculaires dans les plans d’ensemble : le gymnase déformé par le grand jeu vidéo, la vision d’Eric lorsqu’il joue. caméra se fixe sur le crâne d’Alex au piano, c’est comme pour regarder à l’inté- angle (18) ou, juste après, le salon d’Alex (19). On pense à Stanley Kubrick, qui Cas célèbre : la vision vertigineuse qui rieur de sa tête. creuse l’espace et écrase les personnages (Orange mécanique). Le panoptique rend De la même manière, le plan-séquence qui suit les trois filles dans le réfectoire tout net. déforme l’espace en accentuant la pro- tourne au pastiche. L’objectif n’est pas de les accompagner solennellement Or, à cette netteté abusive et décorative s’oppose le massacre final qui dilue l’es- fondeur, dans Vertigo (1958) de Alfred comme les adolescents dans les couloirs, mais plutôt de rendre compte vulgai- pace dans le flou. La scène de la bibliothèque, tant retardée, ne donne presque Hitchcock. rement de leur vie quotidienne. La continuité tient davantage d’un plan-séquen- rien à voir. Nous restons collés à Alex, et des corps anonymes s’effondrent, flous, – On parle de caméra semi-subjective ce à la Brian De Palma, la dramaturgie virtuose menant à une pointe finale bien dans le fond du champ. Au moment où, sous l’influence de Clarke et Kubrick, lorsque nous sommes très proches du per- sentie. Il faut filmer d’un seul mouvement la nourriture choisie sur l’étalage, le Gus Van Sant aurait pu jouir d’un maximum de stylisation, il décide de retirer sonnage, et donc de ses propres yeux. On repas picoré, la parlote, pour que tout se termine dans la cuvette des toilettes. toute visibilité. Même la vision de la mort du proviseur au tout premier plan, parle aussi de « vision avec ». En terme de Ce tour de force est un moment de détente. Rien à voir avec l’accompagnement grimaçant (37), est empêchée par une trop grande proximité. Et le très long plan focalisation, on peut alors parler de foca- sans but ni drame, la traversée (y compris sonore) que l’automate autorise. final maintient longtemps Alex dans le flou, comme absorbé dans la dilution lisation interne : le narrateur- caméra n’est générale, y compris celle du regard. pas neutre, il épouse le point de vue de L’œil La mise en scène fabrique donc un œil singulier : accompagnateur mais sur- celui qu’il filme. Quand, attablé à la mai- Les plans fixes sont rares. Tremblants sous l’équilibre vacillant du Steadicam, faus- plombant, avec mais à côté, en empathie mais extérieur. Quelqu’un, une ins- sement fixes, ils donnent encore le sentiment d’une présence. En regardant Elias tance, qui regarderait cela depuis un point situé après la mort de tous les son, Alex occupe le centre du cadre et prendre ses photos (2), en regardant des garçons jouer au football (5), la camé- personnages, et qui (re)ferait avec eux le chemin. Un ange gardien peut-être, qui que la caméra n’élargit pas pour capter ra bouge sur elle-même, disponible, prête à coller n’importe quel mouvement serait inefficace. Le destin, mais complice et consolateur. Le temps d’un cligne- entièrement la mère qui cuisine derrière À de rares instants, la caméra se fige en se désolidarisant des comédiens. C’est ment de paupières, il semble s’être révélé à Alex lorsque Elias le prend en photo lui, le spectateur voit à la fois Alex et le le plan parfaitement fixe sur le reportage TV (26), qui fabrique une image à part, avant de disparaître (33). Au tout dernier plan, si long, qui débute sur Nathan monde à travers les yeux d’Alex : la tête purement réflexive, qui donne moins à observer qu’à penser, avec Hitler au pre- et Carrie cherchant une cachette, et enchaîne sur Alex flou, la pause-café, le maternelle est coupée, c’est-à-dire insi- mier plan et la livraison d’armes au second (cf. 1,2,3). Ce sont surtout les fortes meurtre du compagnon et la chambre froide, la caméra ostensiblement finit par gnifiante, ou à abattre. plongées, qui révèlent un œil surplombant. Le plan sur la voiture titubante (1) reculer devant un meurtre qu’elle ne saurait filmer. L’automate se retire parce que est filmé en plongée depuis une plate-forme, comme regardé par un œil domi- la boucle est bouclée : on est arrivé au bout du chemin. nant. Le baiser d’Acadia (10) est filmé sans raison comme depuis une caméra de surveillance. Même si dans les plans en mouvement on reste à hauteur d’homme, quand il le peut, le cinéaste reprend de la hauteur. Un œil omniscient se penche sur les malheurs d’ici-bas. Ces vues en plongée s’allient systématiquement à la profondeur de champ. Le film devait d’abord être intégralement tourné en courte focale. Il en reste des 11 ANALYSE DE SÉQUENCE

Adultes indignes, ados témoins

Du chapitre 1 après le générique (00:01:11) jusqu’au chapitre 4 La mise en perspective soudaine entre la situation présente (le mas- à son frère Paul, on apprend que leur père est « encore ivre », qu’ils compris (00:07:44). sacre de Columbine), la chasse et la guerre trouve un point culminant ont l’habitude de se prendre en main seuls. John a confisqué les clés avec la parole insensée de John : « J’y étais. » Où ? Sur les îles Truk ? de la voiture que Paul doit venir chercher ; il se comporte en res- 1. Le générique a marqué la tombée progressive de la nuit. Le récit com- Pendant la Seconde Guerre mondiale ? Il est affirmatif et le père ne ponsable. Une autre figure paternelle prend le relais : M. Luce, le pro- mence sur un plan de plein jour. Le ciel est bleu, le soleil perce les bronche pas. À cet instant, Gus Van Sant signale qu’il n’a aucune visée viseur. Apparaissant dans le fond du plan, appelant John « M. feuilles jaunies par l’automne. Nature splendide, belle journée, été réaliste dans sa mise en fiction de Columbine. Les personnages n’au- McFarland », il est une pure figure d’autorité, opposée au père, mais indien qui s’avèrera illusoire. Le travelling sur les arbres est filmé depuis ront aucun contenu psychologique, ils seront des figures : des figures qui semble tout autant sans conscience. Sourd à l’excuse de John, il une plate-forme, la caméra semble haute, très près des branchages. plastiques, au sens de silhouettes de cartoons ou de gravures de lui demande de passer dans son bureau. 2. Effectivement la caméra, placée très haut, surplombe la scène. mode (ici, le garçon aux cheveux décolorés en tee-shirt jaune) ; des 7e. John va dans le bureau, s’assoit, et le mouvement provoque un C’est la première des vues en plongée qui parcourent le film, comme figures symboliques surtout, incarnant une ou plusieurs idées. John nouveau basculement magnifique du flou au net. John s’arrête en appartenant à un observateur lointain. La voiture zigzague, arrache un était en 1945 sur les îles Truk, il est aussi aujourd’hui à Columbine. regardant droit devant lui, sans qu’on sache quoi. rétroviseur. Le temps a changé, le ciel est gris. La route est déformée C’est la figure du Témoin avec une majuscule. 8. John regardait en fait le proviseur, qui apparaît dans un contre- par la profondeur de champ qui produit une grande ligne de fuite au Le fils enfonce le clou, il demande à son père : « Et toi, t’y étais ? » Le père champ inattendu. C’est l’un des deux champs-contrechamps du film. milieu du cadre. Le plan est savamment orchestré, un vélo déboule, répond : « Non. » Deuxième signe de l’abandon des pères, de leur indi- Le proviseur, de biais, absolument immobile, rend son regard à John. la voiture pile de justesse ; et reprend sa route chaotique. gnité. Il n’y était pas, de même que plus tard il disparaîtra devant le lycée Il le rend au sens où il est face à lui comme un miroir, incapable 3. Carton « John ». en plein massacre, jusqu’à ce que son fils lui demande : « Tu étais où ? » d’échanger un regard avec lui. C’est pourquoi le regard de John sem- 4a. John sort de la voiture ; le soleil est revenu. Il est blond avec un 5. Carton « Elias ». blait sans objet, comme s’il n’avait personne en face de lui. Par delà tee-shirt jaune et les joues rouges, camaïeu harmonieux avec les 6a. Un garçon s’avance au milieu des arbres jusqu’à un couple de le mur qui sépare le champ du contrechamp, l’adolescent de l’adulte, feuilles jaunies au-dessus de lui. Il contourne la voiture, prend les clés punks en balade. Il leur propose de les prendre en photo, ils accep- il n’y a pas de dialogue possible. Les deux restent silencieux longue- et demande à son père de sortir. Le père, ivre, obtempère. Il est joué tent et défilent pour lui. Elias semble aussi sûr de lui que John. Il ment, et Gus Van Sant coupe. par Timothy Bottoms, acteur des années 1970 influencé par l’Actors prend les choses en main, tout cela semble naturel. Ce plan détendu, En quelques minutes les adultes sont disqualifiés : le père, ivre, ner- Studio (Johnny s’en va-t-en guerre, La Dernière Séance). Son jeu, plein léger (les punks s’inquiètent de savoir s’ils doivent poser nus en plein veux, agité, est incapable de prendre soin de son fils ; le proviseur, à de « trucs » « tics », jure avec celui des comédiens amateurs trouvés air), contraste avec le plan très dense qui a précédé. La scène est réa- l’inverse impassible, muet, mécanique, est incapable de prendre soin par le cinéaste. Il renifle plusieurs fois, se gratte le visage, le menton, lisée en un plan, à base de panoramiques, la caméra pivotant à par- de son élève. Les figures parentales jetées aux orties, le récit va pou- multiplie les gestes inutiles. Il joue l’ivresse. Le fossé entre parents et tir d’un point près de l’arbre (6b.). Ce plan apparemment anodin est voir commencer. Deux adolescents restent en lice, qui postulent pour enfants est ainsi accentué par la différence de jeu entre professionnels comme vu par quelqu’un qui se tiendrait près de l’arbre, se tourne- la figure du Témoin : le témoin absolu que semble être John, et le et amateurs. Le père est le seul « parent » du film, il est là pour tous, rait à droite puis à gauche, quelqu’un de légèrement surélevé et en témoin objectif qu’est Elias, armé de son appareil photo. John, après et il est défaillant. Le passage de relais est symbolique : le père laisse retrait. Placée sur une bute, la caméra est surélevée comme en 1 et 2. avoir croisé les tueurs armés entrant dans le lycée, restera à l’extérieur, la place à son fils qui prend le volant. C’est la première explication Elle laisse monter ou s’enfoncer les personnages dans le plan (6c.). Le priant les autres de ne pas entrer et sauvant peut-être des vies. Elias possible au massacre : la démission des adultes. tremblement du cadre qui semble affecter un certain amateurisme ren- photographiera le tueur juste avant la tuerie. Ce sera le second champ- 4b. La conversation commence. Le père propose d’aller à la chasse, force l’effet. Cet œil singulier annonce que la caméra aura un rôle contrechamp du film, la photo renvoyant en miroir à Alex ce qu’il est, ce qu’on peut lire à deux niveaux : la volonté de se rapprocher de son (voyant) d’observateur. comme une prise de conscience vive mais aussitôt étouffée. Alex se fils à un moment où il est défaillant ; la volonté d’annoncer la chasse 7a. John gare la voiture devant l’école. Il repousse son père. détourne ; Elias, écarté du massacre, disparaît de l’image comme le à l’homme qui se prépare. La proposition prend une tournure étran- Commence un long plan, l’un des plus beaux plastiquement : le photographe de Blow Up (Michelangelo Antonioni, 1966). ge : le fusil dont ils vont se servir a été ramené des îles Truk pendant soleil frappe l’objectif, provocant de petites auréoles ; la caméra la Seconde Guerre mondiale et le père cite « l’amiral Halsey », « la accompagne pour la première fois un lycéen dans sa marche. guerre du Pacifique ». Étrange connotation historique : le même fusil Photogénie : le soleil dans les cheveux, la peinture jaune (7b.) puis traverse le temps, tue à la guerre et à la chasse. Comme pour faire l’ar- rouge (7c.) du bâtiment, le reflet du sapin dans la glace, puis le cou- chéologie d’une même violence à l’œuvre : la Deuxième Guerre mon- rant d’air qui soulève la mèche de John. diale reviendra d’ailleurs plus tard avec le documentaire sur le nazisme 7d. John s’arrête pour téléphoner. Il remue sa tête pour remettre ses diffusé dans le salon d’Alex. cheveux. Lorsqu’il se relève, son visage flou devient net. De son appel 12 Ouverture Pédagogique 4

Cinéphilie poétique Cette séquence inaugurale en deux par- ties (John ; Elias) cite explicitement deux films, Shining (1980) de Stanley Kubrick et Blow Up (1966) de Michelangelo 1 2 3 4a Antonioni. Quels rapports avec Elephant ? Le travelling à la grue, en plongée sur les zigzags de la voiture du père de John, évoque la voiture de Jack Torrance ser- pentant sur des lacets montagneux, dans une lumière d’été indien signalant la fin d’une période ensoleillée. Les choses tourneront mal la neige venant, dans Shining, comme le drame arrive ici avec l’orage. De plus, le mal vient du dérè- glement paternel et s’acharne sur le fils 4b 5 6a 6b innocent. Dès le départ, John semble subir le déséquilibre du père, qui le met en danger, puis en faute vis-à-vis du lycée. Les deux films font peser un même soupçon sur la cellule familiale améri- caine prétendument « normale », creuset potentiel de tous les dangers. La promenade d’Elias dans le parc, à la recherche de couples à photographier, rejoue celle du dandy de Blow Up (avec 6c 7a 7b 7c une variation : le couple accepte de poser); les arbres bruissent doucement, comme à Londres, dans une atmosphère mysté- rieuse. Les deux films déroulent égale- ment une méditation autour du visible et de l’invisible, de la vérité insaisissable à l’œil nu.

7d 7e 8 13 1, 2, 3

Ouverture Pédagogique 5

« Lock the door » Avant cette séquence qui s’achève par la manipulation des armes, dans une mai- son désertée par les parents, on vient juste d’entendre une recommandation 1 2 3 lancée rapidement par la mère avant de sortir : « Lock the door !» Traduction : « Ferme la porte à clef ». En quoi cette Nature morte demande résonne-t-elle avec nos trois plans, en une sorte d’ironie tragique ? Cette dernière phrase lâchée en guise Chapitre 26. La mère d’Alex vient de partir au tra- aucune connaissance idéologique, c’est juste le fensive, qui vient livrer des armes. On a, d’un côté, vail en demandant à son fils de bien fermer la porte. swastika qui intéresse (vaguement) le garçon. La l’étendard du mal, une imagerie nazie insignifiante d’au revoir est cruelle à plusieurs égards. Au lieu d’aller au lycée, Eric et Alex regardent la télé. réponse du taciturne Alex montre clairement que pour les deux adolescents qui servira aux médias à Elle l’est d’abord, d’une manière éviden- Ils attendent en fait le colis qu’ils ont commandé la cela n’a rien à voir avec leurs affaires et qu’eux ne expliquer le mal. Et de l’autre, la vérité du mal (pas te, comme point d’orgue d’un dialogue veille sur le site Internet Guns in America. Les trois le sont pas, fous. la seule) : des armes acquises en toute liberté par des glacial qui trahit une haine sournoise, images sont tirées d’un même plan-séquence insi- mineurs sur Internet. Les garçons se désintéressent ordinaire. Les seuls signaux qu’envoie la nuant des effets de montage dans le plan. 3. Dans le fond du plan le camion de livraison vient d’ailleurs du documentaire et se jettent sur le fusil. mère relèvent, comme les « bêtes », d’une se garer devant la maison. La conflagration entre Cet exemple montre que les signes disséminés par sphère extra-linguistique : elle « sent » 1. Le plan commence sur Alex, affalé dans le fau- l’intérieur et l’extérieur, le premier plan – le nazis- Gus Van Sant pour expliquer le massacre ne se valent (sous-entendu mauvais) ! De plus, elle teuil. Il regarde fixement, le visage appuyé contre sa me –, et le deuxième – la vente d’armes –, est ver- pas tous. L’arrivée apparemment anecdotique du répond à la remarque insolente d’Eric, main. La caméra tourne harmonieusement autour tigineuse. De même que le début du film jette un camion – il reste dans le flou – la dramatise d’autant non par un rappel des règles de courtoi- de lui, s’éloigne et cadre la télévision de face, au pont entre la guerre du Pacifique et aujourd’hui plus. C’est ce qu’il faut voir dans le plan. Est-ce sie dues à l’adulte, mais par une suren- centre. (cf. Analyse de séquence), ici une continuité histo- tout ce qu’il faut voir ? Entre les deux, entre le docu- rique est assurée via la continuité même du plan- mentaire historique et la réalité d’aujourd’hui, l’ac- chère dans l’indifférence : « Il y a d’autres 2. Le plan s’immobilise, contrairement aux nom- séquence. Le passé dedans, le présent dehors. Une tualité, une nature morte fait la jonction. Citrouilles, restaurants dehors… » Enfin, sa préoc- breux plans faussement fixes affectés par les légers même violence à l’œuvre. Et, de manière extraor- calebasses et coloquintes sont disposées savamment cupation sécuritaire peut sembler à la mouvements du Steadicam. Un cadre fixe face à un dinaire, le swastika entre en écho avec le sigle des- sur le meuble TV. Que font-elles là, à part préciser fois contestée et ironiquement confirmée cadre fixe, une caméra face à un écran de télévision, siné sur le camion qui commence par deux traits le camaïeu marron du plan ? Elles sont là comme des par l’ouverture de la porte au livreur redoublé par le meuble imposant dans lequel il est droits, eux-mêmes perpendiculaires au montant de vanités commentant muettement l’agitation du d’armes. encastré. la porte-fenêtre. Hasard ou pas, l’avancée du camion monde. La violence du monde ne change pas. Vanité À l’écran, un documentaire sur Hitler. On sait que dans le plan se double à la TV d’un mouvement de des vanités. Mais par contrecoup, et l’arrêt sur image les tueurs de Columbine ont été accusés de fascina- panoramique descendant sur le symbole nazi, un aidant, Alex avachi, la tête contre la main, ressemble tion pour le nazisme. Or, ici, ils ne semblent pas double mouvement qui achève de rendre équivalent soudain à un mélancolique. connaître. Eric : « Qu’est-ce que c’est ? » Alex : « Je ne l’intérieur et l’extérieur. sais pas. » La compréhension vient peu à peu : « C’est Mais cette interprétation ne satisfait pas. Alors en Allemagne, non ? » Puis : « C’est Hitler, non ? » La même que les deux garçons ont vidé de tout conte- série d’interrogatives démontre qu’ils ne connaissent nu idéologique le nazisme pour le réduire à des que vaguement le nazisme. Eric : « On peut acheter signes et des drapeaux apparaît de l’autre côté de la des drapeaux nazis ? – Oui, si t’es dingue. » Il n’y a vitre un camion, inoffensif, dans une banlieue inof-

14 FIGURE

Ouverture Pédagogique 6

Traverser le vide Quels sont les choix de filmage les plus marquants ? Ce sont ces travellings fluides qui nous entraînent dans le sillage mono- tone des lycéens. Quelques plans se dis- tinguent cependant, bien qu’ils dévoilent toujours des corps en mouvement. Les La marche élèves se les rappellent-ils ? Sommes-nous Keane de Lodge Kerrigan. PH : ARP Canal+Cinéma L'Arche russe de Alexandre Sokourov alors en focalisation interne ? Deux plans fixes. Au début, le plan d’en- Comment filmer la marche ? Gus Van Sant s’était monde), poussé par sa passion pour la photogra- de l’héroïne. Le film a eu une influence considérable semble du terrain de sport. Entrées et déjà posé la question dans son film précédent, phie (le labo, la bibliothèque) ; Michelle rase les en Europe et aux Etats-Unis (l’exemple le plus sorties de champ alternent, aléatoires. Gerry, errance funeste de deux jeunes hommes per- murs, les yeux au sol, et lorsqu’elle court, elle le fait extrême étant Keane, de Lodge Kerrigan [2004], Bien souvent, c’est le vide qui domine, les dus dans le désert. Pour la première fois le cinéaste bizarrement ; Benny, le faux espoir, avance très len- recherche infatigable d’un père qui a perdu son élèves étant perdus dans l’arrière-plan ou utilisait le Steadicam, caméra stabilisée portée par tement d’un pas chaloupé. Enfin, Alex court plus enfant). Dans ces films fiévreux, vifs, chaotiques, bord cadre. Michelle traverse cette un technicien muni d’un harnais. Le désert caillou- qu’il ne marche, poussé par sa fébrilité. l’effet est exactement inverse à la distance glacée immensité, s’arrête devant la caméra, teux ne permettant pas toujours de placer la camé- d’Elephant. On fait corps avec des personnages ner- ra sur des rails, ce procédé inventé dans les années Dos, face veux et agités davantage qu’on ne les observe ; le regarde le ciel et repart en courant. 1970 permettait de suivre sans heurts le pas, mal Deux figures se détachent. La marche de dos, quand montage, ajoutant encore de la vitesse et du chaos, Nathan vient récupérer son sweat-shirt assuré, des marcheurs. la caméra suit l’acteur (cf. Mise en scène) et le mar- obéit à une syntaxe bien différente (faux raccords, posé au pied de l’appareil. A ce moment, Pour Elephant, le cinéaste se sert de son expérience cheur de face, figure tout aussi remarquable, parce sautes, ellipses). la présence matérielle de la caméra est du Steadicam, mais comme les distances sont qu’Elias (16) comme Michelle (17) baissent les yeux Le seul exemple proche d’Elephant serait L’Arche russe évidente, mais comme simple dispositif longues et le sol du lycée plat, il y ajoute l’usage au sol, pris d’une certaine gêne. Pour Michelle, cela d’Alexandre Sokourov (2002), film en un seul plan « désubjectivé ». d’un chariot (Dolly) sur lequel le porteur de résonne avec sa timidité ; pour Elias en revanche, on qui suit, au Steadicam, les déambulations d’un De même, un autre plan fixe cadré très Steadicam peut se tenir. Ce cumul rare Dolly + atteint un point limite, celui où le comédien amateur homme dans le Musée de l’Ermitage à Saint- large, en légère plongée, saisit l’immen- Steadicam, en permettant plusieurs mouvements se sent observé de si près et pendant si longtemps Petersbourg. Mais l’enjeu y est historique : il s’agit de sité d’un lieu vide : Michelle, minuscule, simultanés (latéraux, verticaux, horizontaux), pro- qu’on lit sur son visage le reflet de la caméra. Point marcher dans l’Histoire, de traverser les époques, traverse un gymnase désert. Comme si voque l’état particulier de flottement qui accom- limite, car le rôle d’observateur de la caméra devient pour in fine construire l’Arche de la Russie éternelle. une caméra de vidéo-surveillance enre- pagne les marcheurs. La fluidité de ce ballet donne si voyant (voyeur ?) qu’il révèle le dispositif et abo- l’impression que la marche glisse. lit le personnage au profit de l’acteur mal à l’aise. gistrait froidement la solitude d’une Contrairement à Gerry, même si les lycéens « errent » Cet accompagnement fluide des lycéens est d’autant lycéenne. Solitude absolue d’un être filmé dans les couloirs, le lieu est quadrillé, connu et ar- plus saisissant que le cinéma contemporain est riche par un œil sans regard. penté avec l’assurance de celui qui ne regarde même en séquences de marche filmées caméra à l’épaule pas où il marche. Et pourtant, l’overdose de marche (35mm) ou à la main (vidéo). Ce sont surtout les donne le sentiment que ces adolescents tournent en frères Dardenne, avec Rosetta, autre Palme d’or à rond. Il faudrait détailler les marcheurs : John Cannes (1999), qui ont lancé la mode de la caméra marche d’un pas lourd, sans but, et entravé par son dite « portée ». Ils suivaient les péripéties d’une jeune pantalon tombant ; Elias avance décidé, la tête dans fille dans un style très volontaire, la caméra collée à sa sa rêverie (le saxo sur la bande son l’isole du nuque, épousant chaque mouvement (désordonné)

15 POINT TECHNIQUE

La coulée sonore

Le travail sonore sur Elephant est très particulier. On sur les plans de marche10 ; deux morceaux plus la cafétéria, Alex se prend la tête à deux mains parce pense d’abord que le cinéaste joue la carte de l’hy- sombres, aux titres évocateurs, sont utilisés pendant que la rumeur du monde devient intolérable. perréalisme en prêtant attention aux différents sons le massacre : Beneath the Forest Floor de Westerkamp Il faut néanmoins remarquer que le mille-feuille captés dans la traversée des espaces. La marche de et Walk through Resonant Landscape #2 de Frances est coupé par des sons brusques d’une netteté impa- Nathan en plan-séquence (5-6-7) saisit au vol des White. Alex, perdu dans les couloirs, semble en rable. Le sound designer Leslie Shatz amène bruta- sons qui disparaissent dans son dos : une guitare, une effet « marcher à travers un paysage qui résonne » : lement les bruits d’armes, comme des secousses chorale, des bruits de couloir, le cours d’un profes- les cris d’oiseaux et les divers écoulements d’eau qui nous font sursauter. Le bruit du chargeur dans seur. Or on s’aperçoit vite que le son se décolle de transforment l’intérieur en extérieur. la bibliothèque avant le massacre sur lequel Gus Van l’image : le grincement de la porte ne raccorde pas ; La troisième couche sonore est la musique. Ce peut Sant coupe (29), et le bruit, très fort, des détona- il évoque davantage le crissement de rails, et donc les être une stratification, mélange de musique élec- tions. L’entraînement dans le garage sert à nous couloirs d’un métro. Soudain, les pleurs d’un enfant tronique et de saxo lorsque Elias avance, entière- montrer que ce sont de vraies armes : le son, lourd, nous réveillent de notre torpeur. Ces sons sont bel et ment pris dans sa rêverie comme s’il avait un porte la lourdeur même du fusil. Dans le garage bien extérieurs au lycée, mais le cinéaste les a choi- walkman (16). Mais on retient surtout le pianotage comme dans les couloirs déserts, le son résonne. Le sis assez proches de l’image pour donner l’illusion continu de Beethoven. Là encore, l’art du collage est mixage le plus stupéfiant a lieu lorsque Alex tue qu’ils appartiennent au lieu traversé. très culotté. Comment oser reprendre le « tube » usé Eric : la détonation puissante résonne juste après le Pour produire cet effet, Gus Van Sant a combiné plu- de la Sonate au clair de lune ? Pour la tonalité lugubre gazouillis aigu d’un oiseau (37) ; la coulée sonore sieurs sons. Un son stéréo avec deux micros placés du morceau, certes, pour sa popularité aussi (et son est faite d’une hétérogénéité miroitante. dans deux directions opposées privilégient les sons côté « scolaire »), mais aussi pour sa durée d’ac- 9) Musique composée à partir de bruits, dont le Français d’ambiance. Le son est d’abord environnemental et compagnement : les notes de piano dégringolent Pierre Schaeffer fut l’inventeur dans les années 1950. non centré sur la voix. Le bain sensitif peut aller jus- sur les pas des marcheurs et se mêlent à l’espace 10) La compositrice hollandaise est connue pour son concept de « soundwalking » : marcher dans le son, belle définition de qu’à la désorientation. Ainsi, lorsque Michelle passe qu’ils traversent. En 5-6-7, ce n’est presque plus de la traversée sonore dans Elephant. dans le dos d’Elias et John (28), les voix des garçons la musique, davantage un bruissement qui se mêle 11) Michel Chion, Un art sonore, le cinéma, Éd. Cahiers du sonnent à l’envers, celui de gauche dans le haut-par- aux autres bruits. cinéma, 2003. leur de droite, celui de droite à gauche. Les conven- On pourrait dire enfin qu’il y a une quatrième tions réalistes sont flouées. couche, originelle au sens où le critique et théori- D’autre part, une grande partie des sons d’ambiance cien Michel Chion parle de « bruit fondamental »11. appartient à des morceaux de « musique concrète »9 Ce bruit feuilleté que l’on entend sur les deux géné- qui existent préalablement au film. The Doors of riques et qui semble faire fond aux autres sons : Perception d’Hildegard Westerkamp est ainsi utilisé quelque chose comme la rumeur du monde. Dans

16 FILIATIONS / ASCENDANCES

Un éléphant dans le salon

Lorsque Gus Van Sant vient voir Colin Callender, le patron de HBO, vous habituerez, vous apprendrez à le contourner et à vivre avec lui. pour qu’il produise son projet sur Columbine, celui-ci lui propose de L’éléphant, c’est bien sûr le problème de l’Irlande du Nord, que s’inspirer d’Elephant (1989). Ce film méconnu a été réalisé par un l’Angleterre des années 1980 veut occulter. cinéaste méconnu, Alan Clarke, qui a passé la majeure partie de sa car- Il ne faut pas surestimer l’influence formelle du premier Elephant sur rière à travailler pour la BBC en Angleterre. En toute liberté, et avec une le second. Filmer la marche en long plans-séquences mutiques, voilà complicité qui laisse rêveur, il a bâti une œuvre prenant pour cible le un parti pris que l’expérience de Gerry a permis. Les marches sont système social : le chômage (, 1987), les maisons de redressement d’ailleurs opposées : gracieuse, lente et flottante chez Gus Van Sant, ( en 1997, en 1982), les hôpitaux (, rapide, enragée, effrénée chez Alan Clarke. Idem pour l’usage extra- 1975), le hooliganisme (The Firm, 1988), etc. Un travail de dissection ordinaire du Steadicam chez Clarke, que Van Sant ne connaissait pas proche de celui du documentariste Fred Wiseman, mais à chaque fois, à l’époque de Gerry. En revanche, Clarke joint la profondeur de la déconstruction des institutions s’accompagne d’une rage peu com- champ au Steadicam, ce qui creuse l’espace de manière démesurée et mune, qui nécessitait la fiction pour s’épanouir. Elephant, son film le plus déforme les personnages réduits à leurs enjambées. Van Sant a d’abord abstrait, est le dernier. Le cinéaste meurt à 54 ans en 1990. pensé user de ce procédé ; est-ce sous l’influence de Clarke ? Ou sous L’édition en DVD permet enfin de comprendre son importance. Ce celle de Kubrick (qui vivait en Angleterre et a forcément vu les films film de trente-cinq minutes enchaîne les crimes les uns après les de la BBC) ? Mais il s’est vite ravisé devant un tel expressionnisme, pré- autres, sans explication. Les personnages sont des silhouettes ano- férant consacrer la profondeur de champ aux plans fixes et ne pas nymes qui apparaissent le temps d’un meurtre. Le cérémonial est le rendre cauchemardesques les couloirs du lycée. même : on suit un homme marchant à vive allure, il traverse un Il n’en reste pas moins que les deux films ont un air de famille. Le for- Elephant de Alan Clarke espace désert, tue et un plan s’attarde sur le cadavre. Ce rituel déréa- mat carré, commandé par la télé, la stylisation, la sérialité qui prend lise la violence hyperréaliste qui éclate à chaque coup de feu : le le pas sur le récit, et bien sûr la violence irraisonnée frappant au cadavre à terre se tord dans des positions discrètement invraisem- hasard. Le titre éclaire le film de Gus Van Sant, même si le cinéaste amé- blables qui redoublent l’artifice chorégraphique des marcheurs au pas ricain dit avoir pris connaissance de cette interprétation après-coup. de charge. L’éléphant que personne ne veut voir est la violence à l’école, et plus À l’origine, Elephant est une commande de la BBC sur les attentats en largement le malaise de la jeunesse. Les fusillades dans les écoles se suc- Irlande du Nord. Le degré d’abstraction empêche toute compréhen- cèdent au JT comme les attentats de l’IRA. On se plaint, on s’indigne, sion aujourd’hui, mais dans l’Angleterre de l’époque, nul besoin d’in- mais finalement on laisse faire. La comptine finale prend un sens dication supplémentaire. La succession des crimes n’est que le miroir macabre. Lorsque Alex récite : « Eenie meenie minie mo ! / Catch the tiger des attentats annoncés chaque soir à la TV. Le titre d’ailleurs suffit. Il by the toe / If he hollars let him go », cela signifie qu’il faut « prendre le renvoie à l’expression « avoir un éléphant dans le salon » selon la para- tigre par la queue ». Ou bien jeter l’éléphant hors du living-room. Au bole suivante : si un éléphant entre dans votre salon, peu à peu vous bout du compte ces deux films s’en prennent à la lâcheté. 17 ATELIER PÉDAGOGIQUE

Le complexe du homard

Abstrait, poétique, ouvert à une multiplicité d’interprétations, le film de Gus Van Sant n’en est pas moins extrêmement précis, dans son acuité à saisir et à dévoiler l’essence de l’Adolescence. En cela, il offre une aide précieuse à l’adulte démuni face à l’incompréhensible « scan- dale » des tueries gratuites. Portraitiste amoureux de son sujet, Van Sant rappelle une donnée fondamentale : l’adolescence est le pire âge de la vie, celui des tourments les plus violents, des drames intimes les plus intenses et les plus secrets. La société des adultes, si elle l’oublie et néglige d’encadrer ou soutenir l’adolescent « romantique » dans sa mue vers l’âge « réaliste », se rend complice des drames qui provo- quent son effroi. Si on fait bien attention, on découvrira que tous les adolescents du film sont confrontés de près ou de loin à un risque de mort, pour les garçons ; et à la difficulté de vivre avec un corps encombrant et mal connu, pour les filles. Détaillons avec les élèves : propre corps. Enfin, les trois copines partagent un secret honteux douloureux de l’existence : « Un adolescent, c’est un homard pendant la - John risque l’accident de voiture tant que son père est au volant ; (l’une réclame la discrétion) : vomir pour ne pas grossir, confession qui mue : sans carapace, obligé d’en fabriquer une autre, et en attendant Nathan porte un sweat « Lifeguard » ; Benny marche vers l’origine des fait rentrer dans le terrible cercle boulimie / anorexie, pathologie grave. confronté à tous les dangers. » Dans le même volume, on lira également coups de feu, comme attiré par la mort qui l’attend ; Alex et Eric Les problèmes s’additionnent : l’une des trois anorexiques semble des textes écrits par des jeunes gens de 14 à 17 ans, cris de révolte deviennent meurtriers. Seul Elias se distingue, sans doute sauvé par conduire dangereusement, si l’on en croit ses amies ; elles ont des avec ou sans objet, appels à l’aide fougueux, réflexions belles et une passion artistique qui lui confère le statut privilégié de spectateur mères paranoïaques (alors que la mère du tueur est absente)... Soi- graves sur le désir et le désespoir. Ainsi Karine, 17 ans : « L’adolescence distant, donc préservé. disant sauveur, Nathan est en fait irresponsable, incapable de proposer ressemble au vide. Avec qui parler, où trouver le livre qui définirait les - Michelle est le personnage féminin principal, si l’on considère la à son amie inquiète autre chose qu’une virée en 4/4. Même Elias pâtit notions de puberté, de liberté, de violence, d’expression, de raisons ou pas scène clé de la photo dans le couloir : elle est vue selon Elias, John puis de la bêtise des adultes : sans raison apparente, ses parents lui inter- de vivre et d’exister ? Comment nous faire entendre par tous les murs qui elle. Le grand nombre de lieux où elle apparaît, et sa triste première disent de se rendre à un concert. Aucun personnage ne semble donc nous entourent ? (…) J’ai 17 ans, j’étouffe. » place dans la liste des tués le confirment. Or Michelle a tout de la jeune épargné par les embûches qui parsèment la route de l’apprenti adulte. Un des mérites d’Elephant est d’avoir esquissé délicatement le coeur fille honteuse de son corps : elle refuse de montrer ses jambes nues, Tous peuvent avoir des raisons de pleurer le soir, en secret. de la tragédie : la mue de l’adolescence est une terrible épreuve, qui et se met à courir quand elle croise des garçons (John et Elias). Pour On pourrait discuter ensuite avec les élèves en s’appuyant sur le peut se renverser en tempête destructrice si la société des adultes ne pas risquer d’être vue ? La jolie Carrie est peut-être tombée enceinte texte de la psychanalyste Françoise Dolto, Paroles pour adolescents néglige de se le rappeler, c’est-à-dire de penser les moyens de l’ac- après une nuit sous la tente, indice qu’elle n’est pas maîtresse de son (Gallimard Jeunesse), dans lequel elle définit parfaitement ce moment compagner judicieusement.

18 LECTURE CRITIQUE

Généalogie et nuages

« Première puissance d’Elephant : sa nationalité n’est pas un riant : la folie sur la raison, le crime sur la loi. Mais le sens ? Elephant a reçu un accueil excellent. Les critiques ont insisté sur l’ab- nationalisme. Il fait plutôt l’effet d’une plate-forme de forage au Accident de circulation sur la terre, carambolages de nuages sence de réponse donnée au massacre et sur l’invention formelle de la milieu d’un désert océanique, hors de toutes eaux territoriales. dans le ciel. Coup de feu dans le réfectoire, coup de tonnerre mise en scène. Le texte de Gérard Lefort, peut-être le plus inspiré, part Sous le blindage d’une société singulière (les États-Unis), par-delà dans l’azur. C’est le même univers. Un univers en écho dont le du même constat que toute tentative d’explication mène à une impasse, le microcosme d’une journée vaseuse dans un lycée quelconque, criminel comme la victime, suspendant un instant leur déambu- que « chaque point de vue ouvre sur un contraire contrariant ». L’originalité est ici de ne pas s’en tenir à un discours sociologique. Gus Van Sant creuse jusqu’à atteindre des strates immémoriales. lation fantomatique, semblent parfois humer la rumeur. » Dès la première phrase, il nie la « nationalité » d’Elephant et son an- De ce magma matriciel, c’est de l’énergie fossile qui jaillit. Il ne crage historique pour le mettre en relation avec un « immémorial ». s’agit pas d’arracher les racines du mal mais d’en faire la Gérard Lefort, Libération, 22 octobre 2003 Gus Van Sant ne fait pas de critique sociale (« arracher les racines du généalogie. (…) mal »), il fait la généalogie du mal. Avec ce terme nietzschéen, Lefort sug- Elephant est un film qui, sans cesse, se rapporte à lui-même dans gère que le film est une remontée aux sources illusoires du mal : on perce, sa manière archéologique de procéder : se faufiler dans les cou- on tourne en rond, comme s’il s’agissait de trouver un trésor perdu. loirs, visiter tous les recoins, même les plus organiques. Découvrir La démarche du cinéaste est donc analogue à la marche des lycéens. sur le sol d’autres empreintes que les siennes et, sur les parois La démonstration se double d’un style imagé très généreux qui fait de l’espace du film une métaphore du film lui-même. « Plate-forme de du film, dans le faisceau de la caméra, des fresques abstraites, forage », puis « magma matriciel », le lycée est judicieusement comparé des hiéroglyphes. (…) Revenir sur ses pas, tourner en rond. à une pyramide : les hiéroglyphes font référence aux fresques qui pei- Réaliser, infatigable, qu’au fond de chaque impasse le mur gnent les couloirs du lycée : le tombeau à la chambre froide où Nathan sonne creux. On perce. De l’autre côté, une nouvelle pièce, et Carrie se cachent en vain. Or, au cœur du labyrinthe, il n’y a rien. déserte. Et ainsi de suite jusqu’au massacre terminal, le cimetière, La question du sens s’égare dans ce forage archéologique ; à l’inverse, un tombeau, vide aussi. (…) en remontant vers des images célestes, Lefort montre que le sens n’a Ce qui est sidérant dans ces exercices de contemplation, c’est rien d’humain. Inutile de faire une généalogie, puisque les accidents que les mouvements de l’image sont ceux de la pensée : sur ces de voiture sont aussi arbitraires que des « carambolages de nuages ». L’ homme n’est qu’une partie de l’univers, Michelle regarde le ciel, histoires emmêlées, les géométries s’entrecroisent (un cercle en « hume la rumeur », parce que tout cela nous dépasse. La météoro- dents de scie) et toutes sortes de géographies se superposent. (…) logie se substitue finalement à la généalogie. Cette multiplication des points de vue indique non seulement que, sur une pareille " affaire ", il n’y a pas de point de vue dominant, mais que chaque point de vue ouvre sur son contraire contra-

19 PASSAGES DU CINÉMA

Shining, Oregon

La relation entre Elephant et Shining tient d’abord à une ressemblance refuse une certaine dramatisation et une trop grande violence, mais manifeste. Les deux films sont des déambulations fatales dans un il ne rejette pas les effets de film d’horreur (autre exemple, l’appari- grand lieu clos et désert. Le lycée de Portland est autant coupé du reste tion floue d’Alex [37]). Ici, Shining est visé : Jack récite avec ironie la du monde que l’hôtel Overlook où Jack Torrance (Jack Nicholson) et fable des trois petits cochons avant de défoncer la porte qui protège sa famille s’enferment pour l’hiver. Les marches des lycéens dans les sa femme, Wendy. Par ailleurs, la chambre froide rappelle le cellier couloirs évoquent les déambulations de Jack ou les pédalages du dans lequel Wendy enferme Jack. La chambre froide, le seul espace petit Danny sur son vélo. L’espace se transforme en un labyrinthe énig- sans sortie de ce grand lycée troué comme un gruyère, est bel et bien matique qui laisse derrière lui une traînée de mystère. le cœur du labyrinthe. C’est un cœur glacial, résultat logique du Gus Van Sant a toujours dit son admiration pour Stanley Kubrick, et vo- refroidissement progressif de l’été indien initial, de même que la fin de lontiers cité Orange mécanique (1971) pour la préparation d’Elephant12. Shining fige Jack dans un rictus de mort, congelé au milieu du dédale. Shining (1980) s’impose plus précisément parce que c’est, en un sens, Si on revient au début du film, il faut noter que le plan ensoleillé en l’acte créateur du Steadicam. Kubrick et son opérateur, Garrett Brown, forte plongée sur la voiture titubante résonne avec les plans d’héli- l’inventeur du procédé, expérimentent ensemble : escalier, labyrinthe coptère qui, sur fond de ciel bleu, épousent les routes sinueuses de enneigé, détours de couloir, il n’y a plus nulle part où la caméra ne montagne au générique de Shining. Hasard, peut-être. Et lorsque peut aller. Michelle débouche d’un couloir baignée de rouge, après que les tueurs À y regarder de près, le lien est encore plus fort. L’indice principal est ont essayé leur arme dans le garage, comment ne pas penser aux flots le personnage de Benny, le lycéen noir qui, à rebours de la panique de sang déversés dans le couloir de Shining par la « red room » évo- générale, remonte le courant jusqu’aux tueurs et se fait tuer. Ce per- quée par Danny (« redrum », « murder ») ? Hasard encore, peut être. Shining de Stanley Kubrick sonnage est un décalque du cuisinier noir Hallorann (Scatman On peut aussi dire qu’il n’y a pas de hasard, et qu’un lien entre deux Crothers) dans le film de Kubrick. Hallorann est doué du don de films, à partir du moment où il est tissé, continue à se serrer comme voyance (« the shining »), comme Danny, et, alerté par une vision, il par magie. Ainsi, au sujet du barman fantôme, Jack dit qu’il est « le retourne à l’hôtel Overlook pour porter secours. Il fonctionne comme meilleur barman de Tombouctou à Portland, Maine », puis se reprend : un espoir, de même que Benny, et cet espoir est cruellement déçu. Jack « Portland, Oregon ». Voir Shining aujourd’hui, après Elephant, creuse surgit de derrière une colonne pour asséner un coup de hache fatal la scène d’un vertige inattendu, irrationnel, mais pourtant bien pré- à Hallorann ; Eric se retourne brusquement et abat Benny. sent. Comment Jack Torrance peut-il bien, dans ce carambolage tem- La fin d’Elephant propose un autre écho très net. Alex rejoint Nathan porel, avoir la prescience de cet autre massacre ? et Carrie dans la chambre froide, au milieu des quartiers de viande, et, avant de les abattre, récite une comptine. Cette récitation sadique détonne avec le reste du film et renvoie clairement à un suspense de 12) Pour la relation entre Shining et Last Days de Gus Van Sant, voir Cyril Neyrat, film de genre ; à mesure que le massacre avance, Gus Van Sant, certes, Shining, Lycéens au cinéma, Cahiers du cinéma / CNC, 2005. 20 SÉLECTION VIDÉO & BIBLIOGRAPHIE

Sélection Bibliographique Julien Welter, « Rencontre avec Gus Van Sant », yeux son amie vit avec ce poids sur la conscience. Repérages sept-oct 2003. Dans le deuxième, le jeune époux d’une victime Articles sur Elephant : Alexis Bernier et Didier Péron, « Je veux tout tente de réapprendre à vivre, mais disparaît dans la Jean-Michel Frodon, « Méditation sur un cau- déconstruire », Libération, 22 octobre 2003. nature plusieurs années plus tard ; le récit suit plu- chemar américain », Le Monde, 19 mai 2003. Michel Cieutat, « Un gigantesque système oppres- sieurs points de vue, dont celui de la lycéenne Olivier Joyard et Jean-Marc Lalanne, « Trompe le sif », Positif n° 513, novembre 2003. décédée qui parle d’outre-tombe. monde », Cahiers du cinéma n° 580, juin 2003. Sandra Benedetti, « Entretien avec Gus Van Sant », Défaits décrit la vie chaotique d’un adolescent en Patrice Blouin, « Plume d’éléphant », Cahiers du Cinélive, novembre 2003. mal d’identité ; à la dernière page, un de ses amis, cinéma n° 583, octobre 2003. Emmanuel Burdeau et Stéphane Delorme, « Au fil membre d’un groupuscule nazi, fasciné par Harris Gérard Lefort, « L’effet Elephant », Libération, 22 du temps », Cahiers du cinéma n° 616, octobre 2006. et Klebold, les tueurs de Columbine, finit par tirer octobre 2003. sur la foule à coups de revolver dans son lycée. Émile Breton, « Regarder en face le loup dans Perspectives théoriques : Seul Projet X prend pour sujet le massacre. On y l’homme », L’Humanité, 22 octobre 2003. - Michel Chion, Un art sonore, le cinéma, Éd. suit la vie quotidienne des deux tueurs, leurs pré- Philippe Rouyer, « Marche funèbre », Positif n° 513, Cahiers du cinéma, 2003. paratifs et la tuerie, l’un des deux garçons reculant novembre 2003. Histoire, esthétique, poétique : somme indispen- avant de passer à l’acte. Aux dernières pages, on Cyril Béghin, « Cut-up en plein ciel », Vertigo n° 27, sable sur le son, par le spécialiste de la question. y croise l’affiche d’un éléphant sur un ballon de mars 2005. Les analyses sur le Dolby Stéréo, la polyrythmie et plage : « Au-dessus de l’éléphant, ça dit : Dans la vie, le « bruit fondamental » peuvent être utiles. tout est question d’équilibre. » Autres articles : - Thomas Schelling, La Tyrannie des petites décisions Jean-Marc Lalanne, « Gus Van Sant : localisation (1978), PUF, 1980. DVD zéro », Cahiers du cinéma n° 577, mars 2003. Étude de sociologie par un économiste américain Parcours de l’œuvre. Comment le cinéaste touche- spécialiste de la théorie des jeux. Critique du pos- Films de Gus Van Sant : à-tout redéfinit la notion d’auteur. tulat selon lequel l’addition de bonnes décisions – Elephant (MK2). Le film d’Alan Clarke est Stéphane Delorme, « Compagnie », Cahiers du individuelles peut produire un résultat optimal : proposé en bonus. cinéma n° 588, mars 2004. Critique de Gerry et théorie intéressante pour Elephant, où l’agrégat – Coffret Gus Van Sant : Gerry, Elephant, Last Days comparaison avec Elephant. d’éléments autonomes crée un effet pervers élé- (MK2). Jacques Rancière, « Les nouvelles fictions du phantesque. – Mala Noche (MK2) mal », Cahiers du cinéma n° 590, mai 2004. - « Le steadicam a-t-il une âme ? », Vertigo, n° 24, Tous les films de Gus Vant par ailleurs disponibles Comparaison entre Mystic River (Clint Eastwood), 2003. Numéro spécial sur l’histoire et l’esthétique en DVD zone 2. Dogville (Lars Von Trier) et Elephant, sur le thème de la caméra Steadicam. de l’Amérique et le mal. INTERNET / CD-ROM Stéphane Delorme, « Back to Clarke », Cahiers du Romans inspirés du massacre de Columbine : http://en.wikipedia.org/wiki/Columbine_High_ cinéma n° 594, octobre 2004. Analyse de l’œuvre Dennis Cooper, Défaits (2001), P.O.L, 2003. School_massacre_in_modern_culture d’Alan Clarke selon trois entrées : « système », Laura Kasischke, La Vie devant ses yeux (2002), Pour tout savoir sur l’influence du massacre de « rage », « affect ». Christian Bourgois, 2002. Columbine sur la culture américaine. Emmanuel Burdeau, « Étoile maison », Cahiers du Douglas Coupland, Hey Nostradamus ! (2003), CD-ROM « À propos d’Elephant », édité par cinéma n° 601, mai 2005. Critique de Last Days Au diable vauvert, 2006. l’Éducation nationale avec le CRDP de l’académie qui revient sur Elephant. Jim Shepard, Projet X (2003), Liana Levi, 2004. de Nice en 2003. Analyses, entretiens, fiches Quatre romans anglo-saxons écrits avant ou en pédagogiques. Entretiens avec Gus Van Sant : même temps que la production d’Elephant, par des Olivier Joyard et Jean-Marc Lalanne, « Je suis écrivains de renom. La Vie devant ses yeux et Hey comme Colombo, je fais semblant de ne pas Nostradamus ! commencent par un chapitre sur le savoir », Cahiers du cinéma n° 579, mai 2003. massacre et décrivent la vie après. Dans le premier, Long entretien sur l’œuvre. une adolescente qui a laissé mourir devant ses RÉDACTEUR EN CHEF Emmanuel Burdeau COORDINATION ÉDITORIALE Thierry Lounas RÉDACTEUR DU DOSSIER Stéphane Delorme est membre du comité de rédaction des Cahiers du cinéma, où il a publié plusieurs articles consacrés à Gus Van Sant. Il a rédigé le dossier Vertigo pour Lycéens au cinéma en 2005 et est l’auteur d’un ouvrage sur Francis Ford Coppola à paraître dans «L’Encyclopédie du cinéma » éditée par Les Cahiers du cinéma/Le Monde. Il est par ailleurs membre du comité de sélection de la Quinzaine des réalisateurs au Festival de Cannes depuis 2004. RÉDACTRICE PÉDAGOGIQUE Ariane Allemandi est professeur de philoso- phie. Elle enseigne aussi le Cinéma-audiovisuel en série Littéraire au lycée Bellevue du Mans. Elle est titulaire d'une maîtrise de Lettres et Cinéma à la Sorbonne nouvelle sur le Fantastique. ICONOGRAPHIE Eugenio Renzi CONCEPTION GRAPHIQUE Thierry Célestine