Dans Le Sillage Du Roman Noir
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DANS LE SILLAGE DU ROMAN NOIR CHEZ JAMES ELLROY, SHANE STEVENS, BONG JOON-HO, ET KIM JEE-WOON. MEMOIRE POUR LE MASTER DE LETTRES MODERNES SOUS LA DIRECTION DE FREDERIC SOUNAC PAR OLIVIER MALBREIL Université Toulouse 2 – Jean Jaurès UFR de Lettres, Philosophie et Musique Section Lettres Modernes 2017 1 Remerciements : Monsieur Frédéric Sounac, pour sa grande patience et sa bienveillance, Arno, Vincent, Céline, ma famille, E. et M.-H. 2 SOMMAIRE 1 - Introduction 2 - Partie I : Des romans noirs ? 3 - Partie II : La figure du tueur en série 4 - Partie III : L’ombre du Mal 5 - Conclusion 6 - Bibliographie 7 - Annexes 8 - Table des matières 3 4 INTRODUCTION Le roman noir, branche du roman policier, a depuis longtemps sa forme propre. Ses personnages, le détective misanthrope, la femme fatale, le tueur en série, sont des figures que l’on retrouve désormais dans les livres d’aventure, de Science-Fiction, comme dans l’ensemble du cinéma hollywoodien, au risque qu’elles ne s’épuisent. La figure du tueur en série est pourtant celle qui semble avoir le mieux résisté au temps, et surtout, celle qui sied à notre époque. Au cinéma, il n’est même plus question d’une énigme ou d’une enquête, mais du simple parcours de tueurs en puissance, vus comme des citoyens lambda. Notre temps apparaît désormais comme fini, l’avenir, entre transhumanisme et désastre écologique n’a jamais été aussi objectivement noir, il n’est plus question de croyance millénariste en un avenir qui ne nous appartiendrait pas, mais de crises effectives, montrant que notre civilisation pourrait bien toucher à sa fin. Le tueur en série catalyse cela, il allégorise l’absence de remise en question qui hante nos sociétés par son absence de morale, et la condition de l’Homme moderne par son comportement jusqu’au-boutiste qui le mène toujours à l’autodestruction. Le film Nightcrawler de Dan Gilroy sorti en 2015 est l’exemple même de cette adaptabilité du tueur en série. Dans ce film, un homme ayant intégré toute la rhétorique du capitalisme américain veut s’enrichir à tout prix. Il est le produit des changements initiés par Reagan et Thatcher qui ont fait naître le capitalisme financier dans les années 1980 sur les ruines du capitalisme industriel. Avec le démantèlement des syndicats, la fin de l’état-providence, et la déréglementation du système financier, l’écart entre les classes sociales s’est renforcé au fil des années, et la classe ouvrière est devenue envieuse des privilèges de la classe aisée ; qui de son côté excuse ses travers en vendant le mythe du self made man et du droit à la « freedom ». Lou Bloom représente cette classe populaire et rêve de bâtir sa propre fortune, peu importe ce qu’il lui en coûtera. Il s’improvise donc caméraman amateur et court à la poursuite d’images chocs qu’il pourra revendre aux chaînes de télévision de Los Angeles. L’homme n’éprouve aucune empathie pour les accidentés qu’il filme, il déplace les corps, met en scène certains crimes, et par deux fois attente à la vie de ses confrères (et laisse volontairement un massacre se faire) quand ceux-ci lui font de l’ombre. Il finit par tuer son équipier Rick car celui-ci, qu’il sous-payait, avait exigé une augmentation. Alors qu’il agonise, Lou Bloom lui explique cela : « Je ne peux pas risquer le succès de mon entreprise pour garder un employé qui n’est pas 5 fiable. Tu as pris mon pouvoir de négociation, Rick (…) Tu aurais recommencé. Admets- le. » Ce personnage a tous les traits du tueur en série, il est sans empathie aucune, ne voyant les gens que selon les intérêts qu’il pourrait en retirer, souriant toujours froidement, solitaire, intelligent, l’air d’être hors du monde, et ultra violent. Lorsque Rick, peu avant sa mise à mort, lui dit qu’il ne traite pas les gens de façon normale, qu’il ne les comprend pas, Lou lui répond « ce n’est pas peut-être pas que je ne comprends pas les gens, mais plutôt que je ne les aime pas…Et si je devais te faire mal à cause de ça ? Physiquement je veux dire ». Menaçant ainsi son partenaire, avouant une misanthropie absolue, le personnage de Lou Bloom incarne la figure du tueur en série qu’a initié le roman noir, il en est la modernité qui s’adapte à n’importe quel pan de la société. Par ailleurs nombreux sont les films qui, abordant la politique, effleurent également cette figure quand ils décrivent tel ou tel politicien, les rapprochant de l’assassin compulsif. Par exemple le film The Ghost Writer (2010) de Polanski dans lequel Ewan McGregor doit enquêter sur son client, le ministre Lang, soupçonné de crime de guerre dans un film au bord du thriller, mais aussi le film Il Divo (2008) de Sorrentino, avec le politique Andreotti soupçonné du meurtre du journaliste Nino Pecorelli, ou encore la série House of Cards dans laquelle les politiques s’entretuent littéralement pour accéder au pouvoir. Ellroy et Stevens travaillent tous deux, et de façon de différente, cette figure-là. On suit ce tueur plus que le policier qui le poursuit, on décrit ses meurtres chirurgicalement, on essaie de comprendre pourquoi, et comment. Et le fait que les deux écrivains aient pris une même figure au cours d’une même période, se plaçant, par leur esthétique du crime, dans la continuité d’un courant littéraire puis cinématographique, le polar noir, montre une constante historique et culturelle dont il s’agira de voir si elle s’est exportée en Corée du Sud, ou si la Corée l’a initié d’elle-même. Dans ce siècle où l’Amérique a fortement influencé le monde, de la France au Japon en passant même par la Russie, il nous faudra comprendre si la Corée du Sud a été investie culturellement par les Etats-Unis et, ce qui en découlera, quelle influence le roman noir a eu sur nos deux œuvres cinématographiques. Mais, avant toute chose, il est nécessaire de justifier l’approche comparative opérée dans cette étude, en portant un rapide regard sur l’influence géopolitique que les Etats-Unis ont eu sur la péninsule. A la fin du XIXe siècle, les grandes puissances investissent la Corée par intérêt politico- économique (Chine, France, Russie, Etats-Unis, Japon, Grande-Bretagne), et devant le pillage qu’ils opèrent à tous les niveaux, des révoltes paysannes naîtront face à des politiciens 6 progressistes qui souhaitent ouvrir complètement les frontières. Une fois la guerre avec le Japon terminée, après que la capitulation de ce dernier en 1945, les Etats-Unis délimitent leur sphère d’influence en Corée selon le 38e parallèle et la coupent en deux avec l’aide de l’URSS. La Corée du Sud allait connaître, avec l’aide des Etats-Unis, au sortir de la guerre de Corée en 1953, une croissance économique d’une intensité rarement observée. A l’aide de ses chaebols (groupes industrialo-financiers aux secteurs d’activité très étendus, tel Samsung ou Hyundai) et des investisseurs étrangers, le pays va diversifier ses activités et exporter partout dans le monde ses services et produits, particulièrement vers les Etats-Unis. Mais, comme l’écrit Antoine Coppola, entre 1996 et 1997, date d’une crise économique qui frappa toute l’Asie, « le F.M.I. et l’O.M.C. ont montré leur pouvoir sur l’économie du pays »1, les capitaux se retirent, comme une sanction, et prolétarisent le pays. Car le pays est longtemps resté fermé aux exportations, ce sont les Etats-Unis qui l’ont fait entrer dans l’économie moderne, non sans créer un bouleversement social avec de fortes inégalités de richesse, exode rural, et perte de l’identité culturelle. Ce changement des mentalités se retrouve dans la première nouvelle vague sud-coréenne des années 1980, qui adhérait complètement aux thèses capitalistes2. La génération des années 1990 sera nettement plus critique, la violence extrême du cinéma sud- coréen répondant toujours à celle sociale, comme dans les films de Park Chan-wook (et particulièrement Sympathy for Mister Vengeance qui aborde de front la question du trafic d’organes dans son pays). En plus de son influence sur l’économie sud-coréenne, les Etats- Unis agissent sur l’identité culturelle du pays. Parmi nombre d’exemples, nous pouvons citer l’état actuel de la religion en Corée du Sud. Refusant tout prosélytisme et se voyant épargné des guerres de religions, le fait religieux n’a jamais été un problème de premier ordre en Corée. La Corée est par exemple l’unique pays à s’être ouvert au christianisme par lui-même, sans avoir reçu de missionnaire sur ses terres : « L’Histoire du christianisme en Corée est unique en son genre. Contrairement aux autres ‘terres de mission’, ce sont les Coréens eux- mêmes qui, convertis spontanément, ont demandé des prêtres au Saint-Siège »3. Pourtant, l’évangélisme américain met désormais cet équilibre en danger, développant coups de communication, prosélytisme agressif et pression sur les autres religions (ses contacts avec le pouvoir pro-américain lui permettant de tels écarts, Lee Myung-bak, le président sortant, 1 Antoine Coppola, Le Cinéma sud-coréen : du confucianisme à l'avant-garde, L'Harmattan, coll. Images plurielles, 1997, p. 412. 2 Adriano Apra, Le Cinéma coréen, Paris, Editions de la BPI/Centre Pompidou, coll. Cinéma Pluriel, 1993, p. 80-81. 3 Gauthier Vaillant, « L’histoire du christianisme en Corée en cinq dates », in la-croix.com, http://www.la-croix.com/Religion/Actualite/L-histoire-du-christianisme-en-Coree-en-cinq-dates-2014-08-15-1192451 (Page consultée le 8 mars 2015).