ASSOCIATION DES AMIS DES CABLES SOUS-MARINS

L’Ingénieur en chef Hanff (ex Poolster)

BULLETIN N° 58 – JUIN 2020

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SOMMAIRE

NUMERO 58 – JUIN 2020

Articles Auteurs Pages Le billet du Président. A. van Oudheusden 3 La fibre sous-marine J Chénoy 4 à 9 Fritz Thole G. Bourgoin 10 à 14 Le N C Ingénieur en chef Hanff A Julliard 15 à 17 Arnold Hanff, mort pour la G. Fouchard 18 à 21 La ligne de la mer Rouge B. Burns & S. Ash 22 à 32 Du mont Ampère à l'Atlantide JL Bricout 33 à 37 Le Métier de Capitaine de navire câblier A. Van Oudheusden 38 à 43 Raoul Persil, un exemple de réussite sociale aux PTT G Fouchard 44 à 56

Cahier Supplémentaire en l’honneur de nos disparus Jean-Pierre Ouin Alain Van Oudeusden Gérard Planchon Alain Julliard Serge Pujol Gérard Fouchard Michou Viale Jocelyne Yépes Dominique Cariou Christian Delanis Jean Le Bolloch Michel Lauger-Hache

VOTRE ABONNEMENT AU BULLETIN Vous restez attachés au bulletin de l’Association sous sa forme classique. Nous vous l’offrons au titre de votre abonnement. Par ailleurs, le Bureau publie un bulletin numérique sur son site Internet qui peut être plus complet que sous sa forme papier. Nous espérons que cette solution vous satisfera tous. Consultez le site www.cablesm.fr entièrement rénové depuis le début de l’année 2020. L’Assemblée Générale du 3 février 2020 a également décidé de maintenir la cotisation annuelle à 15 euros et de diffuser deux bulletins annuels dans la mesure où nous bénéficions d’articles qui satisfont le comité d’édition. Toutes les énergies des adhérents sont sollicitées. Enfin nous renouvelons notre appel à tous ceux qui voudraient présenter une communication pour le bulletin ou pour le site en particulier pour le personnel embarqué. Toute production vidéo reçue sera présentée au comité de sélection pour sa publication sur le site.

Gérard Fouchard - Trésorier de l’AACSM 40 Quai Hoche 83500 LA SEYNE SUR MER Site de l’association : www.cablesm.fr

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LE BILLET DU PRESIDENT

Alain Van Oudheusden

Cette année, l’association a rempli toutes ses obligations et le Bureau peut s’estimer satisfait :  MM Dillard et Decugis proposent de construire une synergie entre l’association et Orange Marine.  Le Colloque de La Londe les Maures s’est parfaitement déroulé avec la mobilisation de l’ensemble du Bureau et la présentation de 4 communications dont une de Mr Decugis.  L’Assemblée Générale du 3 février 2020 a reconduit le Bureau à l’unanimité  Le site Internet a été modernisé à l’initiative de Francis Tressières pour vous offrir un service plus rapide et plus convivial. Excellente façon de se tenir au courant des nouvelles concernant le monde si changeant des câbles sous marins.  Saluons au passage la disponibilité des équipages qui assurent leur service contre vents et marées, ce qui est prévisible mais aussi et qui l’était moins : le coronavirus. Sous sa forme numérique, le bulletin n° 57 comporte une innovation qui vous a peut-être échappé car l’article d’Alain Julliard ayant été complété de ses annexes qui listent tous les noms des marins embarqués sur les navires militarisés. Dans les futurs numéros du bulletin, il se peut désormais que le texte d’articles publiés en ligne soit plus complet que le texte du bulletin papier.

Dans ce bulletin 58 de juin 2020, José Chesnoy vous propose l’histoire de fibres optiques sous-marines de façon très pédagogique. Par ailleurs, nos amis britanniques nous ont autorisés à célébrer avec eux le 150 ème anniversaire de la ligne sous-marine reliant Londres à Bombay (Inde) auquel le gouvernement britannique tenait assurément autant, sinon plus que la ligne d’Atlantique Nord. Par ailleurs, nous avons revu certains articles déjà publié sur Fritz Thole, ce responsable des PTT allemands qui sauva quelques équipements français pendant la seconde guerre mondiale sans réussir à protéger l’Ampère 2. Des recherches plus approfondies nous ont permis de mieux découvrir l’action résistante de l’ingénieur en chef Arnold Hanff et le travail du navire câblier qui porte son nom.

Dans le supplément, nous rendons hommage à tous nos disparus, JP Ouin, Gérard Planchon, Mme Viale, Serge Pujol, Dominique Coriou et Jean Le Bolloch. La liste est longue. Nous avons complété ce supplément par quelques images des évènements de l’année.

Cette année marque le quarantième anniversaire de notre association. Si vous consultez le site www.cablesm.fr, vous constaterez que j’assure la présidence de l’association depuis le 17 mai 1996 (bulletin n°1 – juillet 1996). Le premier bulletin était consacré à l’histoire de l’usine de La Seyne, au navire-câblier Alsace et à une poésie culte de Sully Prudhomme sur le câble… Oui ! Le moment est venu de passer la main après ce long chemin et j’invite les marins et collaborateurs d’Orange Marine à reprendre le flambeau.

Juin 2020 Alain van Oudheusden

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LA FIBRE SOUS-MARINE

La plus simple se révèle la meilleure

Par José Chesnoy

1. Introduction

L'invention de la fibre optique de silice par le professeur Kao [référence 1], plus tard prix Nobel, n'a pas été immédiatement perçue comme une percée technique des plus importantes du 20ème siècle. Mais cela s'est révélé plus tard être la pierre angulaire de notre monde numérique. Plus de 2 milliards de kilomètres (km) de fibres de silice ont été déployés dans le monde depuis le début des années 90, tandis que plus de 300 millions de kilomètres sont vendus chaque année depuis 2014 pour toutes les applications aussi bien longue distance que celles de la « Fibre chez l’abonné » (FTTH pour Fiber To The Home). Malgré des longueurs de fibres sous-marines limitées à 10 millions de km déployées depuis l'avènement des câbles sous-marins optiques, on peut souligner qu’au-dessus de toute autre technologie, la fibre optique est devenue la clef de voute de nos câbles sous-marins, et leur a permis de structurer l'Internet. Ce court article vise à rappeler les évolutions successives surprenantes des fibres optiques aboutissant à celles de nos câbles sous-marins actuels.

1 Première bataille technologique : l’atténuation

La silice a été identifiée dans les années 1960 comme le matériau le plus prometteur pour les fibres optiques en raison de sa transparence, de sa robustesse et de sa durabilité. Les premières fibres étaient multimodes (transverses) dans la fenêtre de longueur d'onde de 800 nm (dite 1ère fenêtre), se sont d’abord déplacées vers la deuxième fenêtre de 1300 nm, et sont devenues monomodes ce qui a ouvert la possibilité de transmettre sur plusieurs kilomètres [Figure 1].

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La fenêtre de 1300 nm était à la fois au minimum (relatif) d'atténuation, et proche de la longueur d'onde de dispersion chromatique nulle des fibres monomodes. La fibre monomode dite « à saut d'indice », simple à fabriquer a rapidement été normalisée par l'UIT-T en tant que fibre G652 et appelée fibre «standard».

On a rapidement reconnu que dans la même fibre de silice, la perte pouvait même être optimisée en passant à la troisième fenêtre de longueur d'onde de 1500 nm. Une perte inférieure à 0,2 dB par km a été atteinte très rapidement. Les fibres de silice modernes apparentées à la famille G652 (ou dérivées telles que G657) atteignent typiquement 0,18 dB/km.

Dix ans seulement après la première fibre de silice, Sumitomo a breveté en 1978 [référence 2] et a rapidement démontré la première fibre à cœur de silice pure (PSCF) qui a permis d'obtenir des fibres à faible pertes jamais surpassées depuis. Cela a donné naissance à la norme ITU G654. On peut observer sur la figure 2 que 0,155 dB / km a été atteint dans les laboratoires Sumitomo début 1980 ce qui est obtenu commercialement aujourd'hui, tandis que les meilleurs résultats de laboratoire sont de 0,14dB/km, atteignant la limite théorique.

Aussi bien la fibre standard simple (G652) que celle à cœur de silice pure (PSCF pour Pure Silica Core Fiber ou G654) avaient un profil à saut d'indice le plus basique qui soit [Figure 3]. Lorsque Sumitomo a mis sur le marché la fibre à cœur de silice pure, ils l'ont appelée Z-fibre, un clin d'œil pour exprimer que cette fibre était de leur point de vue la fin de l'histoire, comme la dernière lettre de l'alphabet !

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2. Deuxième bataille technique pour compenser la dispersion chromatique

Ces fibres G652 standard ont une dispersion chromatique élevée approchant 20 ps/nm.km qui était initialement perçue comme un inconvénient difficile car –sans compensation- elles distordaient le signal optique codé qui finalement s’évanouissait par propagation. Ainsi, peu de temps après la fibre G652, la fibre à dispersion décalée (DSF pour Dispersion Shifted Fiber) a été inventée avec une dispersion nulle autour de 1500 nm en ajustant le profil d'indice par un anneau ajouté au saut d’indice. Cette fibre G653 a été très peu déployée (sauf au Japon) et eut une courte durée de vie dans l'histoire de la fibre. La dispersion nulle de la fibre DSF était simplement catastrophique pour la transmission optique car elle faisait exploser les spectres optiques du signal par l'effet non linéaire de « mélange à quatre ondes » (lié à l’effet Kerr optique). L'industrie de la fibre a mis au point immédiatement une fibre à dispersion faible mais non nulle dite « à dispersion décalée » ((NZ DSF pour Non Zero Dispersion Shifted Fiber) qui n'avait pas exactement une dispersion nulle, normalisée comme G655 (puisque G654 avait été pris par la PSCF entre-temps). Le marché pensait avoir atteint l’objectif ultime. Cette fibre occupait plus de 50% du marché mondial de la fibre en 1996, un an après le début de son déploiement commercial [figure 4 de la référence 3]. Mais la gloire des NZDSF G655 ne dura pas, car elles étaient beaucoup plus coûteuses que les fibres standard et la plupart des applications terrestres pouvaient accueillir la fibre standard (G652 ou ses dérivés) en particulier pour le FTTH [Référence 3]. Une très petite production de G655 fut maintenue pour les applications longue distance, diminuant à nouveau avec l'avènement de la communication cohérente (voir ci-dessous).

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3. La fibre sous-marine des premiers câbles sous-marins

Il convient de rappeler que depuis le lancement réussi du premier satellite de télécommunications Intelsat 1 en 1965, le secteur des câbles sous-marins, utilisant toujours l'ancienne technologie coaxiale stagnante, était menacé de mort, craignant d'être remplacé par la nouvelle technologie satellitaire [voir référence 4]. . Cela explique pourquoi l'application de câble sous-marin, pourtant la plus difficile, est devenue pour sa survie très innovante, et a été la première à adopter les technologies optiques, avant la transmission terrestre.

En ouvrant la voie à l'utilisation de techniques monomodes à 1300 nm à 280 Mbits/s, un vaste programme de recherche et développement a été entrepris sur plusieurs années, conduisant au premier démonstrateur de câble optique sous-marin à répéteurs par Alcatel avec France Telecom : la liaison Antibes-Port Grimaud en 1984 | Référence 5], puis au succès de l’installation du premier câble optique transatlantique TAT 8 en service fin 1987, suivi rapidement par le TPC 3 (liaison Trans pacifique) avec la même technologie.

Puis la troisième fenêtre de 1500 nm est devenue accessible, combinant une atténuation optimale des fibres de silice (< 0,2 dB/km à 1500 nm), dans une gamme de longueurs d'onde compatible avec le nouveau laser GaInAsP et la technologie des détecteurs. En conséquence, les systèmes TAT 9 et TPC 5 ont été installés et exploités fin 1989 à 560 Mbit / s par paire de fibre dans cette troisième fenêtre.

Ensuite, l'amplification optique [référence 6] par fibre d'erbium (EDFA pour Erbium Doped Fiber Amplifier) démontrée en 1986 est devenue la troisième pierre angulaire des câbles sous-marins modernes, remplaçant de manière très élégante la régénération électronique effectuée auparavant. C'était un nouveau miracle technologique puisque la fenêtre d'amplification par l’erbium correspond à la troisième fenêtre optique d'atténuation minimale de 1,5 μm, et permet de transporter plus de 100 longueurs d'onde sur une fibre monomode, par multiplexage en longueur d'onde (WDM pour Wavelength Division Multiplexing), chacune transportant un flux de données différent. La fenêtre de 1500 nm reste la bande de longueur d'onde de référence pour les communications optiques à longue distance. La décision a été prise en 1990 de déployer la technologie de l’amplification par fibre optique dopée à l’erbium dans les câbles sous-marins, au vu des démonstrations très prometteuses, amenant à l'appliquer au TAT12-TAT13 déployé en 1996, ainsi qu'au TPC5 peu après. Il est à

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noter que cette décision d’application aux câbles sous-marins avait été prise avant tout déploiement terrestre illustrant à nouveau l’esprit d’innovation du domaine !

Tous les câbles installés depuis cette époque utilisent cette technologie EDFA. Les équipements immergés de la génération amplifiée de câbles sous-marins ont évolué en douceur depuis cette époque, principalement grâce à l'élargissement du gain de l'amplificateur et à l'évolution de la fibre de ligne.

Pendant plus de 10 ans, la fibre de ligne et plus précisément la gestion de la dispersion chromatique des fibres, et dans une moindre mesure l’augmentation de puissance et de bande passante du répéteur, ont été les thèmes principaux des équipes R&D pour améliorer la capacité des câbles sous-marins.

4. Gestion de la dispersion chromatique dans les câbles sous-marins

Lorsque l'EDFA est utilisé en ligne, le signal optique est transmis de bout en bout et donc la transmission longue distance avec EDFA et en particulier la transmission par câble sous-marin transocéanique impose une contrainte assez étrange sur la dispersion chromatique: la dispersion cumulée doit être compensée à zéro de bout en bout tandis que la transmission ne peut tolérer qu’une dispersion strictement non nulle localement en tout point le long de la ligne pour éviter le mélange à quatre ondes mentionné ci-dessus.

Cela a donné naissance à la gestion de la dispersion chromatique en ligne par association de fibres de dispersion positive et négative ayant une dispersion chromatique cumulée ramenée près de zéro.

La gestion de la dispersion a évolué en deux étapes principales [Figure 5]: • Pour les premiers systèmes amplifiés, les cartes de fibres étaient des fibres NZDSF à faible dispersion négative, en fait apparentées aux fibres terrestres à dispersion négative G655, régulièrement compensées à zéro avec des fibres standard G652 ou G654. • Puis, peu de temps après l'invention par NTT en 1998 de la cartographie dite des fibres + D / -D, chaque segment entre répéteur fut composé de fibres à très haute dispersion G654 (fibre + D) se terminant par une fibre à compensation négative à haute dispersion (fibre -D). Une dérive de dispersion devait être maintenue le long de la ligne et nécessitait à la fin une compensation de dispersion optique par longueurs d’onde individuelles assez délicate et coûteuse.

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Pendant 10 ans, les raffinements ont alors été très mineurs, principalement l'augmentation régulière de la surface effective de la fibre de ligne.

La donne a radicalement changé avec l'avènement de la 4e révolution des systèmes optiques: la technologie cohérente, qui a permis non seulement d'introduire une transmission à 100 Gbit/s, mais aussi de simplifier la conception du câble optique.

5. La transmission cohérente simplifiant la ligne optique

Avec la technologie cohérente, la dispersion chromatique est compensée dans le terminal, et la ligne peut être optimisée par une grande dispersion locale éliminant le mélange non linéaire à quatre ondes. Ainsi, la carte de fibre peut être simplifiée par l'utilisation d'un seul type de fibre à haute dispersion, ainsi parfois appelée carte de fibre + D qui est en fait simplement de la fibre PSCF apparentée à la G654 sur toute la longueur du câble.

La première conception d'un câble sous-marin à 100 Gbit/s sur fibre + D, optimisé pour une technologie cohérente à 100 Gbit / s, a été réalisée en 2013 par Alcatel avec AMX-1, un câble pour America Mobil reliant les États-Unis et le Brésil, fournissant du trafic à 7 pays d’Amérique. Les câbles sous-marins de plus grande capacité ont été conçus depuis ce déploiement pionnier, à base de cette fibre homogène simple + D. Plus de détails sur ce sujet peuvent être trouvés dans le livre de référence [Référence 7]. On voit qu'après 25 ans de complexification des fibres sous- marines, les systèmes optimaux est retourné aux premières fibres, les plus simples !

6. Epilogue

Lorsque Sumitomo a inventé le PSCF en 1978 en tant qu’optimisation de la fibre «standard», ils l'ont appelé «fibre Z» parce qu'ils avaient l'intuition que c'était l’amélioration ultime possible dans le domaine des fibres de ligne. Depuis ces 40 dernières années, la transmission terrestre et sous- marine a exploré une variété d'alternatives, mais finalement, le cercle se referme et, étonnamment, la fibre sous-marine optimale est effectivement simplement très proche de la fibre PSCF G654. Le coût optimal peut en fait être obtenu en utilisant des fibres entre les extrêmes PSCF G654 et la famille d’origine G652. Cette dernière est aussi maintenant de loin la fibre la plus déployée du réseau terrestre (avec son avatar G657), et les technologies de transmission cohérentes ont pratiquement convergé entre les deux domaines de la transmission longue distance sous-marine et de la transmission terrestre.

L'auteur remercie Pierre Sansonetti pour ses discussions très utiles sur ce riche sujet.

Références : 1. KC. Kao, GA. Hockham, Dielectric-fibre surface waveguides for optical frequencies, Proc IEE 1966;113(7):1151. 2. S. Shiraishi, K. Fujiwara, and S. Kurosaki, “An optical transmission fiber containing fluorine,” USP 4,082,420 (1978) 3. Lionel Provost, Pierre Sansonetti, Laurent Gasca, Alain Bertaina, Jean-Pierre Bonicel, REE N°1 (2015) 4. Du Morse à l’Internet, R.Salvador, G.Fouchard, Y.Rolland, A.P.Leclerc, Edition Association des Amis des Câbles Sous-Marins, 2006 (book) 5. José Chesnoy, Antibes Port-Grimaud : a world first in optical fiber communication, Subtelforum magazine-89, http://subtelforum.com/STF-89/#?page=76 6. Emmanuel Desurvire, Erbium-doped fiber amplifiers at AT&T Bell Labs: a Paced Odyssey Subtelforum magazine-100, https://issuu.com/subtelforum/docs/subtelforum100 7. Undersea Fiber Communication Systems, Ed.2, José Chesnoy ed., Elsevier/Academic Press ISBN: 978-0-12-804269-4 (book)

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FRITZ THOLE

Directeur du service allemand des câbles sous-marins (1940-1945).

Georges Bourgoin

NDLR – Georges Bourgoin avait rédigé un article pour le bulletin en se fondant sur deux témoignages, celui d’Edouard Bernard, directeur de la station de Déolen pendant la dernière guerre et sur celui du commandant Jean Pelletier qui était commandant de l’Ampère 2 avant sa saisie par l’occupant allemand. Nous avons souhaité compléter cet article pour rendre hommage à un ingénieur cableman qui ne manquait pas d’humanisme.

Le directeur du service des câbles sous-marins allemand en 1940, Fritz Thole, est un homme du métier. Il est entré comme aide-télégraphique en 1904 dans le service des câbles transatlantiques de l'Office des PTT du Reich à Emden. Ensuite, il suit toute la filière de son administration.

En 1920, il est chargé de reconstruire le nouveau Service des Câbles Sous-Marins puisqu’après la Grande Guerre, l’Allemagne au titre de l’Annexe VII du Traité de Versailles a abandonné son réseau et ses navires-câbliers aux vainqueurs au titre des dommages de Guerre. Il participe à de nombreuses campagnes de réparation sur le nouveau réseau allemand reconstitué en partie dans presque tous les pays du Nord et de l'Ouest de l'Europe.

L’action de Fritz Thole après l’Armistice.

Peu après l’Armistice du 22 juin 1940, Fritz Thole visite les lieux d’atterrissement de câbles sous- marins : Calais, Brignogan, Déolen et Brest pour faire un état des lieux et du fonctionnement des câbles français ou des compagnies américaines. Il est précédé des représentants de l’armée allemande comme on peut le lire dans le témoignage de Mr Edouard Bernard sur les visiteurs qui se succèdent à la station de Déolen :

« Le 19 juin 1940, le GQG britannique m'avait d'ailleurs demandé par câble via Irlande, Fayal, New- York (liaison de secours que notre station de Londres utilisait pour ses communications avec New York), Cap Cod, Déolen, des renseignements sur le réembarquement de ses troupes à Brest. J'avais aussitôt téléphoné au capitaine de frégate Ricard, qui m'avait fait savoir que tout s'était bien passé. Je transmettais aussitôt ma réponse en code au GQG anglais par la même voie câble.

Le 20 juin 1940, à 8 heures, une colonne allemande motorisée du génie télégraphique arrivait à Déolen, commandée par un capitaine. Ma compagnie, la CFTC m'avait demandé de ne nous livrer à aucune destruction. Je savais moi-même que les allemands ne pourraient pas se servir de la station, car les anglais qui connaissaient le tracé de nos câbles ne manqueraient pas de couper le câble Brest - Cap Cod, ce qui était leur règle : « Les câbles, on les coupe, les stations du câble, on les détruit. Quant aux stations radio on les laisse émettre, on capte tout, et on déchiffre tout ». Le Brest - Cap Cod était, en effet, le seul câble transatlantique en service qui nous restait à l'arrivée des allemands à Déolen, le Brest - Fayal étant interrompu depuis quelques jours ».

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Quelques jours plus tard, des ingénieurs allemands spécialisés vinrent visiter la station de Déolen, dont Mr Fritz Thole qui fut ultérieurement nommé commandant, chef du service des câbles sous- marins à l'OKW. Ils me demandèrent les cartes et feuilles de route que j'avais enterrées, comme je vous l'ai dit plus haut, dans un jardin. Je répondis qu'elles étaient au siège social à Paris. Je réussis d'ailleurs, quelques mois plus tard, à l'insu des allemands, lors de la réexpédition à Paris du matériel et des formules de télégramme de la compagnie américaine Western Union, qui avait obtenu, les Etats-Unis n'étant pas encore entrés dans le conflit, de reprendre à Déolen ce qui lui appartenait.

Le 30 juin 1940 un officier du haut état-major allemand des transmissions arriva de Paris en jeep et me demanda si le câble Brest - Cap Cod était toujours en état. Je lui répondis : « je n'ai pas pu mettre les pieds dans la station depuis 10 jours. Si vous voulez me permettre de faire des essais en votre présence je vous dirais si le câble n'est pas interrompu Personnellement, j'étais curieux de savoir où les anglais avaient bien pu le couper. Je m'aperçus aux essais que le câble était interrompu à 300 Km à l'est de Cap Cod, par conséquent, côté américain dans les eaux internationales, mais, comme les allemands n'avaient pas la maîtrise des mers, nous n'aurions pas à travailler pour eux durant l'occupation.

Les choses restèrent en l’état plus de deux ans.

Le débarquement d’Afrique du Nord et le sabordage de la Flotte (novembre 1942)

Le commandant Jean Pelletier est à bord de l’Ampère 2 à La Seyne sur Mer et attend l’ordre d’appareiller pour une réparation en Corse. Il note que « Le dimanche 8 novembre 1942 au matin, la radio d'Alger nous informe du débarquement des Alliés en Afrique du Nord. Je compris immédiatement qu'il s'agissait d`un évènement extraordinaire auquel les Allemands allaient faire face, mais qu'il faudrait tout de même un certain délai pour venir occuper les côtes de la Méditerranée ». Il joint au téléphone le directeur René Couderc dont les bureaux sont à Montpellier « et qui bien entendu ne put rien me dire, mais dont l'opinion générale était qu`on allait évacuer au plus tôt. Aussi dès le lendemain, étions-nous à bord dès la première heure. L’ingénieur en chef Mr Michel, fut envoyé sur place comme cela se faisait toujours dans les grandes occasions, et nous primes le chemin de la Préfecture Maritime pour prendre nos instructions. “ Tenez-vous prêts à appareiller dans le moindre délai et attendez les ordres qui vous seront donnés en temps utile ”. Cet ordre ne vint jamais.

Rappelons la suite, Le 27 novembre 1942 les allemands envahissent la zone occupée et le 27 novembre 1942, ils cernent Toulon piégeant la Flotte dans l’Arsenal. Le sabordage de la flotte de Toulon commence. Toute la nuit et les jours suivants l'escadre brûla. Jamais un pareil désastre n`avait eu lieu dans notre histoire. Témoin des évènements, Jean Pelletier ne sait pas quelle conduite à adopter. « Je n'avais aucune instruction pour détruire le navire. Les équipages furent démobilisés et renvoyés dans leurs foyers. Il en fut de même ã bord des pétroliers. Seuls, le Capitaine Prieur, amarré dans le Port de Commerce, et l'Ampère dans la darse de La Seyne restèrent momentanément ignorés des Allemands ».

Le 18 juin 1943, l’Etat-Major de la Marine informe la Direction des intentions allemandes sur l’Ampère 2. L’Ampère pourrait être transformé en chasseur de sous-marins. Ce n’est encore qu’une fausse alerte et le navire poursuit son activité entre Toulon et l’Afrique du Nord.

Le 14 juillet 1942, alors que nous descendions sur Oran en suivant la côte d'Espagne, nous fûmes survolés au cours de la matinée par des avions britanniques qui tournèrent au-dessus de l`Ampère à plusieurs reprises et d`une manière assez inquiétante. Nous avions, selon les conventions admises par les belligérants, le nom du navire inscrit sur la coque, en très grandes lettres. C'est ainsi que devaient se présenter les navires neutres auxquels nous étions assimilés, or je n`avais rien d'autre à faire que de continuer ma navigation sans rien y changer.

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Nouvelle alerte, lorsqu’une délégation allemande se rend à bord du navire pour signifier sa réquisition datée du 28 septembre. Jean Pelletier note dans son rapport daté du 6 octobre que deux ingénieurs mécaniciens accompagnés d’une escorte militaire procèdent immédiatement à l’inspection de la machine. Le chef de la délégation, Fritz Thole, arrive plus tard et informe l’IGC Roudet et le Cdt Pelletier de l’intérêt des autorités allemandes pour le navire mais il ajouta, après le départ des militaires, qu’il s’était déjà opposé à sa réquisition et qu’il plaiderait à nouveau le maintien du navire dans ses fonctions de navire-câblier. Sa mission consistait à contrôler l’usine, le navire et les réserves de câbles. Le calme revint à bord, mais un événement auquel on ne s'attendait pas vint donner une nouvelle tournure ã notre genre de vie. Ce fut le bombardement du 25 novembre 1943 qui avait pour objectif l'Arsenal et qui fit un désastre extraordinaire sur la ville de Toulon. A partir de ce jour-là, les Pouvoirs Publics s`employèrent à faire évacuer la population. Les bombardements se succédèrent, toujours très meurtriers, et d'eux-mêmes mes gens s'organisèrent pour trouver des lieux de repliement à l'intérieur.

La réquisition de l'Ampère par la Marine Allemande eut lieu le 22 décembre 1943. A la suite de nouvelles visites d'officiers allemands en octobre 1945, nous avions commencé à débarquer le câble et tout le matériel spécial, les matières consommables, le linge, la vaisselle et tout ce qui pouvait être enlevé l'avait été. Une partie du charbon put être distribué à l'équipage et au personnel de l'usine, Tout le matériel fut préservé et retrouvé intact à la libération. Il vint à point pour ravitailler les câbliers Arago et Alsace qui, venant d'Afrique du Nord, se trouvaient dépourvus de matériel de rechange. Ce ne fut pas le plus paradoxal de la situation. Le personnel de l'Ampère eut le choix entre le reclassement dans les services de l`Administration des PTT ou la mise en réserve à domicile avec la demi-solde.

Les destructions allemandes liées à la libération du territoire

Sur la fin de la guerre, Fritz Thole a reçu du QG Allemand des instructions sur les destructions en cas de débarquement. Son attachement au « câble » le conduisit à les réduire au minimum. Il fit sauter tous les câbles d'atterrissement, sans toucher à la station ; il préserva nos dépôts de Brest et du Havre. Lors de sa dernière visite à La Seyne sur Mer, il fait enlever les seize têtes de torpilles placées à l`intérieur des 8 cuves, placées là sur instruction de l'officier chargé des destructions en déclarant que tous les câbles qui s'y trouvent n'ont aucune valeur et qu'il tient à avoir après la guerre d`excellentes relations avec l'Administration des PTT. Voilà comment l'usine est préservée d'une destruction totale ainsi que les abords immédiats de la ville. Par contre, il ne pouvait pas intervenir lorsque les forces spéciales allemandes firent sauter le port de la Joliette et les navires en attente le long des quais. Parmi eux, quai Jamet, deux anciens navires-câbliers : L’Ampère 2 et le Giasone 2, le futur d’Arsonval. La décision fut exécutée dans les jours qui précèdent la libération de la ville de Marseille le 25 août 1944. Edouard Bernard raconte que la station de Déolen fût épargnée grâce à sa situation géographique dans le no-mans land entre les deux forces en présence, les Allemands tenant Brest et les forces de libération à l’extérieur de la ville. Il souligne tout l’intérêt de sa présence sur place pendant les combats et des contacts qu’il sut maintenir avec les deux parties.

En conclusion, revenons à Fritz Thole qui a rendu de grands services au Câbles sous-marins et que nous ne devons pas l'oublier. Fritz Thole sera fait prisonnier par les Anglais à la fin de la guerre et libéré en novembre 1945. Après la guerre, il reprend ses activités de cableman jusqu'à sa retraite et se consacre à l`histoire des PTT. C'est un patriote qui a cru longtemps en la victoire de son pays et qui est convaincu que les câbles et le précieux et difficilement remplaçable matériel télégraphique reviendront tout naturellement à son pays comme prévu dans la Commission d'armistice.

Georges BOURGOIN

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LE NAVIRE-CABLIER INGENIEUR EN CHEF HANFF

Alain Julliard1

NDLR : Le navire-câblier Ingénieur en Chef Hanff était une petite unité destinée à l’entretien du réseau côtier de l’Atlantique achetée en 1947. En raison de sa maniabilité et de son faible tirant d’eau, il pouvait intervenir au « ras des cailloux » dans des conditions très efficaces.

Le navire a été construit en 1937 aux chantiers Kremer et fils d’Elmshorn. Il fut basé à Hambourg et baptisé « Elveshorn ». Ce n’était pas seulement un navire câblier mais un cargo caboteur. Sa machine à câbles était amovible et il pouvait être affrété pour des poses et des réparations. Attribué aux Pays Bas par la commission d’armistice le 19 janvier 1946 au titre des réparations de la guerre il prend le nom de « Poolster » et les PTT néerlandais en prennent possession à Hambourg. C’est alors un navire adapté aux travaux de mer du Nord et de la Baltique. Il a peu de route à faire. Il relâche la nuit pour reposer les bordées et travaille le jour

Le NC Elveshorn allemand (1937 – 1946) – Photo KR Haigh

Le navire est long de 36 mètres, large de 6,75 mètres et d’un tonnage brut de 199TX. Il peut atteindre la vitesse de 8,5 nœuds avec son moteur diesel de 200 CV. Il possède 2 cuves de 98 m3 et une machine à câble amovible construite par Hans Seabeck de Bremerhaven.

Les PTT Français l’achète au PTT des Pays Bas en 1947 et le conservent jusqu’en 1953. Ce navire câblier avec son tirant d’eau de seulement 1,95 m est un outil idéal pour des travaux proches des côtes il est basé au Havre où à Morlaix2. Le journal des travaux est ouvert le 18 avril 1947 (sans indiquer le port de prise en charge du navire) et fermé le 20 septembre 1950) à Morlaix.

Les travaux consignés sur le journal commencent le 18 aout 1947 alors que le navire est dans le port de commerce de Lorient et appareille le lendemain pour Concarneau :

 Embarquement de câbles et de matériel du 19 au 20 août 1947.  Rétablissement de Port Jean (Belle-Ile) à Port Maria (20-22 août) – câble 2 conducteurs 1942 posé par les Allemands.

1 - Cet article reprend en partie ceux publiés dans les bulletins 14 et 27 de l’AACSM. 2 - Les Archives Nationales conservent deux dossiers sur le NS IGC Hanff : F 90 20969 et F 90 20970 15

Après la fin des travaux le navire appareille pour Concarneau. En effet, il est prévu un baptême du navire dans ce port au cours d’une visite ministérielle le 28 août. Ce jour-là, Eugène Thomas, ministre des PTT dévoile une plaque à la mémoire de l’Ingénieur en Chef Hanff devant ses 4 enfants et de nombreuses personnalités dont le directeur du service des câbles sous-marins Marcel Bayard et les membres de l’équipage.

L’ingénieur en chef Arnold Hanff est resté peu de temps à la direction des Câbles sous-marins. Nommé à Montpellier en 1940 sous la direction du directeur René Couderc. Il quitte cette ville pour deux ans plus tard pour prendre en charge une unité de la Direction du Matériel des PTT. Il entre dans la résistance mais probablement dénoncé il est emprisonné à la prison de Limoges le 14 mars 1944 .Il est fusillé le 26 mars avec 25 otages à Brantome ()3.

L’Ingénieur en chef Hanff (ex Poolster) amélioré pour le confort du travail en 1947

Après la cérémonie de baptême les travaux câbles reprennent :  Roscoff-Ile de Batz (7 au 11 septembre) – câble micro 1  Ile de Sein – Baie des Trépassés (16 septembre au 14 octobre). On racontait encore 40 ans plus tard que le navire a eu quelques difficultés pour suivre sa route dans le raz de Sein. Les courants y sont importants, les dangers nombreux et l’unique moteur de propulsion du navire ne faisait que 200 CV

Après ces travaux initiaux, le navire rejoint Lorient pour un arrêt technique et de profondes transformations pour le doter de nouvelles cabines.

La seconde partie du journal commence le 15 mars 1949 lorsque le navire part sur le Brest – Casablanca.

 Brest - Casa (15 mars au 27 avril 1949) Cdt Buneau et Inspecteur Dunis (chef de mission)  Voyage Brest – Calais et retour (29 avril au 6 juin).  Arrêt technique à Brest (7 au 15 juin)  Ile de Sein – Baie des Trépassés (16 juin au 26 juin)  Beg Meil – Penfret (20 juin au 3 juillet)  De Brest à Calais puis pose câble d’énergie de l’Ile de Groix (5 au 28 juillet). La pose a lieu le 27 juillet avec 2 remorqueurs le Lézard et le Roitelet. (Client Mr Clavreul, Les Câbles de Lyon)  Récupération de câble sur le cargo « Belfort » à Nantes (29 juillet au 6 août)  Beg Meil – Penfret (du 7 au 10 août). La fin de l’opération est à Camaret où l’Emile Baudot attend le IGC Hanff pour embarquer le câble à bord. Le navire est désarmé à Brest le 10 août 1949.

3 - Voir article consacré à Arnold Hanff dans ce même bulletin. 16

Le navire est réarmé un an plus tard et débute ses premiers essais le 11 août 1950 à Brest aux chantiers Dubigeon après visite du moteur, de la machine à câbles, de divers travaux et de l’expérience de stabilité (Ingénieur Drapier). Le commandant Mattei prend son commandement le lendemain .La commission de visite de l’inscription maritime se présente le 18 août 1950 et le navire est déclaré apte mais le Commandant fait exécuter quelques travaux supplémentaires aux chantiers et l’appareillage est reporté au 22 août 1950.  Port Maria – Belle Ile (du 22 août au 6 septembre 1950). Retour à Brest le 6 septembre.  Arcouest – Bréhat (du 7 au 18 septembre)  Roscoff – Ile de Batz (du 18 au 20 septembre). A quai à Morlaix le 20 septembre 1950.

Le navire à Morlaix, devant la manufacture de tabac, après la création du château habitable en 1948 (Photo AACSM)

La seconde vie du navire « L’ingénieur en chef Hanff » est revendu en 1953 à un petit armement breton « Emeraude Maritime » qui le transforme en cargo caboteur et le place en gérance dans l’Agence Maritime de l’Ouest .Cette société de Paimpol appartient à Georges Garnier qui est aussi le propriétaire - armateur de la Société Bretonne de Cabotage.

Le navire garde le même nom mais sa coque est repeinte en vert clair comme tous les navires AMO. Son port en lourd est de 250 Tonnes. C’est modeste, mais cela lui permet de fréquenter les plus petits ports comme par exemple Pontrieux (après allègement à Paimpol), Landerneau etc. A cette époque le cabotage national ne subit pas encore la concurrence du transport routier et se porte bien. L’ingénieur en chef Hanff transporte du charbon, des clinkers, ou du ciment, parfois des légumes primeurs vers l’Angleterre, du granit rose de l’Ile Grande etc… Il est fiable et économique. Il est armé par un équipage de 7 hommes. Il naviguera ainsi d’août 1953 jusqu’à janvier 1964 puis sera revendu à un armement de Madagascar qui le renommera « Majungais ».

Sources :  Revue des PTT de France – 3ème année n° 1 – janvier – février 1948  Journal des travaux du navire IGC Hanff d’août 1947 à septembre 1950 (Base marine de La Seyne sur Mer)  Cableships and Submarine Cables de KR Haigh  Journal « Le Marin »

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ARNOLD HANFF, MORT POUR LA FRANCE

G. Fouchard4

NDLR : Arnold Hanff est l’une des rares personnalités des câbles sous-marins avec Marcel Bayard à avoir donné son nom à un navire câblier. Or, sa carrière aux câbles sous-marins est courte puisqu’il rejoint la Direction des Câbles sous-marins à Montpellier en 1940-41 et se réfugie dans le Limousin en 1942/43 pour échapper à l’occupant et pour protéger sa famille.

Arnold Hanff est né le 17 octobre 1898 à Paris. Il est élève à l’Ecole Polytechnique (X17). Il est mobilisé, participe aux batailles de la Somme, du Chemin des Dames avec le grade d’aspirant puis de sous-lieutenant. À la fin de la guerre, il reprend ses études à l’Ecole supérieure d’électricité et à l’Ecole supérieure des postes. Il est affecté comme ingénieur à la Direction des Services téléphoniques de Paris, puis à Strasbourg. Il est nommé ingénieur en Chef en 1931. Ingénieur en chef, officier de la Légion d’honneur, Croix de guerre 1914-18, il est affecté à la Direction des Câbles sous-marins (DCSM) en 1938/39. La DCSM déménage de la rue Saint Dominique - Paris 7ème à Montpellier (Hérault) au moment de l’invasion allemande (mai 1940) où elle s’installe 27 bis Cours Gambetta. Le directeur de l’époque était René Couderc.

Arnold Hanff seul et avec sa famille à La Souterraine (source 1)

Il se sent menacé par les autorités allemandes et la Milice et Georges Maratrat, l’indispensable homme de service de la DCSM se souvient l’avoir déménagé à plusieurs reprises dans la ville de Montpellier. Il quitte cette ville pour se réfugier en 1942 dans sa famille à La Souterraine (Creuse). En fait, il installe sa famille dans la Creuse, dans la maison de vacances de Marc Bloch, son beau-frère, à Fougères, commune du Bourg d’Hem. Sa fille aînée, Laure, reste à Limoges, où elle s’occupe avec Pauline Gaudefroy, de la dispersion, du placement clandestin et du suivi dans la région des enfants juifs menacés, dans le cadre du réseau Garel, branche clandestine de l’OSE.

Arnold Hanff, réintègre son administration à Limoges où se trouvait une annexe du Dépôt central du matériel PTT, installée au Mas Loubier (une ancienne usine de porcelaine vendue par la

4 - La biographie d’Arnold Hanff a été publiée dans le bulletin 14 (article sur le NC IGC Hanff) où les deux dernières phrases sont erronées et dans le bulletin 27, page 29 (article de Gérard Fouchard sur les Câbles sous-marins pendant la guerre 1939 – 1945). 18

maison Haviland et acquise par les PTT après la première guerre mondiale5. Il est chargé de la Direction des Recherches et du Contrôle technique des PTT mais décide rapidement de rejoindre le maquis.

Deux documents du Musée de la résistance de Caen extraits du dossier d’Arnold Hanff.

L’attestation du 26 juin 1946 du Directeur Général des Postes Jacques Dumas-Primbault (à gauche) et l’extrait de mariage (à droite).

C’est alors qu’il prend la tête de la Résistance des PTT de la région. Il est aussi l’un des dirigeants des M.U.R. (Mouvements Unis de la Résistance). Entré dans une semi-clandestinité, Arnold Hanff devint chef du service du Noyautage des Administrations publiques (NAP) des MUR. Organisateur des transmissions pour la Résistance, il fut chargé de préparer à l’échelon régional du Limousin, le "Plan Violet" qui visait au sabotage des lignes souterraines à grande distance au moment du débarquement. Sans doute dénoncé, il fut arrêté par la Sipo-SD le 14 mars 1944 dans sa cache du Mas Loubier puis incarcéré à la prison de Limoges.

Son destin bascule après la mort de 3 officiers du général Walter Brehmer6. En représailles, l’occupant exécute 25 détenus de la prison de Limoges (des résistants ou des juifs), (Arnold Hanff étant l’un et l’autre. L’exécution a lieu à Brantôme (Dordogne) où l’occupant ajoute un domestique de ferme saisi sur les lieux. C’est donc vingt-six personnes qui furent exécutées le 26 mars 1944 dans

5 - « que Monsieur Arnold Hanff, Ingénieur en Chef des PTT affecté durant l’occupation allemande au Service du Dépôt Central du Matériel au Mas Loubier à Limoges, s’est mis dès le début de cette occupation au service de la Résistance. En contact avec les responsables locaux des mouvements de résistance, il a participé au noyautage des Administrations publiques (NAP) et a organisé avec succès la Résistance PTT dans la région, notamment en ce qui concerne la destruction des liaisons allemandes ». 6 - Témoignage de Alphonse Puybarraud dit Marius né le 19 août 1922 à Thiviers et chef du groupe Daniel Lager. Ce témoignage apparaît pour la première fois dans l’ouvrage de Jean Freire Les Maquis au Combat imprimé en 1970, puis publié à plusieurs reprises par la suite. Marius a fait ce témoignage quelques jours avant de décéder des suites d’un accident (il fut renversé par une voiture) survenu à Bordeaux, en décembre 1969. 19

une ancienne carrière désaffectée des environs de Brantôme, au lieu-dit les Besses de Courrières7.

Arnold Hanff était marié, père de quatre enfants. Son épouse est également arrêtée le 14 mars 1944, alors qu’elle venait de la Creuse rendre visite à son mari. Elle fut transférée à Drancy le 7 avril puis déportée le 13 avril à Auschwitz8.

Le monument aux 26 fusillés de Brantôme le 26 mars 1944 (source 3)

Leurs quatre enfants furent épargnés. Après l’arrestation d’Arnold Hanff et de son épouse le 14 mars 1944. Jacques Dumas-Primbault (directeur régional des PTT, lui-même polytechnicien et résistant, ami d’Arnold Hanff) et sa femme prirent en charge Laure Hanff et assurèrent sa protection et son transfert vers un refuge dans la Drôme où elle put rejoindre ses frères et sœurs, ce qui leur permit d’échapper aux persécutions antisémites du nazisme. Ce fut Jacques Dumas- Primbault, qui dut, en l’absence de toute famille, reconnaître le corps d’Arnold Hanff et qui se chargea de rassembler ses papiers et biens dispersés.

En juillet 1946, Jacques-Dumas-Primbault, Directeur des Services Télégraphiques et Téléphoniques de la Région de Limoges9, atteste les activités de résistance d’Arnold Hanff (document ci-dessus). Ce polytechnicien, résistant et ami du couple Hanff, se chargea de la protection des quatre enfants et les fit transférer dans la Drôme pour éviter les persécutions des nazis contre les Juifs.

Le Chef régional des M.U.R. Monsieur Léonie, en juillet 1946, a fourni aux enfants d’Arnold Hanff une attestation indiquant « qu’il fut un des militants les plus actifs de la Résistance durant la période clandestine. Dès la constitution des Mouvements Unis de la Résistance, il prit la direction dans la région de Limoges du noyautage des administrations publiques et particulièrement des PTT. Son travail consistait notamment à fournir au gouvernement d’ALGER tous les renseignements concernant le réseau téléphonique de l’ennemi ». Le nom d’Arnold Hanff figure sur le monument commémoratif de Brantôme et sur celui situé dans la cour du Ministère de la Recherche, 21 rue Descartes anciennement École Polytechnique - "A la gloire des polytechniciens morts pour la France". Un navire de service allemand équipé d’une

7 - Outre Arnold Hanff, Georges Dumas, le père de Roland Dumas ministre des Affaires Etrangères des gouvernements socialistes d’Alexandre Mitterrand, est fusillé. A l'époque, son fils, le futur avocat et homme politique Roland Dumas n'a que 21 ans. 8 - La Revue des PTT de France, janvier-février 1948 indique que Mme Hanff futt déportée à Dora mais des sources plus récentes précisées ci-après précisent qu’elle fut déportée le 13 avril 1944 à Auschwitz (convoi 71) où elle décéda le 31 mai 1944. 9 - Jacques Dumas-Primbault né en 1905 dans l’Allier, décédé en 2005, est ingénieur des télécommunications promotion 1930. Résistant en Haute-Vienne. Directeur régional des télécommunications à Limoges

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machine à câbles amovible basé à Hambourg, "L’Elveshorn", sera remis en mai 1946 au gouvernement néerlandais qui, un an après, le vendra à l’administration française des PTT. Cette dernière le renommera : "Ingénieur en Chef Hanff".

Le journal des travaux du navire précise que le baptême du navire se déroula à Concarneau le 28 août 1947 en présence de nombreuses autorités dont Eugène Thomas, ministre des PTT et Marcel Bayard, directeur des câbles sous-marins et qu’à cette occasion le ministre dévoila une plaque commémorative installée sur le navire à la mémoire de l’Ingénieur en chef Hanff.

Listes des sources reprises dans l’article ci-dessus :

1. Archives de « Libération Nationale PTT » : document et photo parution dans le n° 100 de la revue « Postes et Télécommunications » sans date. Dossier Ministère des Armées DAVCC Caen. http://www.libeptt.org/res%20Arnold%20Hanff.htm 2. Le Maitron – Dictionnaire biographique des guillotinés, fusillés, executés massacrés 1940- 1945.http://maitron-fusilles-40-44.univ-paris1.fr/spip.php?article170826 3. Résistance française (Brantôme 25/26 mars 1944). https://resistancefrancaise.blogspot.com/2012/04/brantome-du-25-au-26-mars-1944.html. 4. Revue des PTT de France – 3ème année n°1 (janvier-février 1948) page 43. 5. Journal des travaux du NC Ingénieur en chef Hanff commencé le 18 avril 1947 – terminé le 21 septembre 1950.

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LA LIGNE DES INDES PAR LA MER ROUGE

Installation du câble 1870 reliant l'Angleterre à l'Inde

Par Bill Burns (1) & Stewart Ash (2)

(Traduction libre de Gérard Fouchard)

NDLR - Le bureau de l’association des amis des câbles sous-marins tient à remercier chaleureusement nos deux amis britanniques Bill Burns et Stewart Ash qui, par leur travail d’historien mettent bénévolement leur travail bénévole et leur compétence à la disposition de la communauté mondiale des amis des câbles sous-marins.

Il y a 150 ans cet été, le 6 juin 1870, la dernière section du premier câble sous-marin reliant l'Angleterre à l'Inde, connue sous le nom de « Red sea Line » soit la ligne de la mer Rouge, atterrit dans la baie de Porthcurnow (Cornouailles). Utilisée depuis comme site d'atterrissage privilégié de câbles, c'est également la « Maison du musée des communications mondiales » de Porthcurno, pkporthcurno.com. En 2020, ce haut lieu des télécommunications célèbre l'anniversaire de la mise en service de cette liaison avec de nombreux événements comémoratifs.

L’origine de ce projet se situe en décembre 1866, peu de temps après la réussite de la pose des deux câbles transatlantiques en septembre de la même année. La « Telegraph Construction & Maintenance Company » (Telcon) propose au secrétaire d'État pour l'Inde « Que la ligne télégraphique de Suse à Suez soit poursuivie de Suez à Bombay (Mumbai) par un câble sous-marin de Suez, ou autre point de la mer Rouge à Aden, d'Aden à Kooria Mooria, et de là, en ligne directe, à Bombay ».

Le gouvernement britannique est peu disposé à financer cette proposition, mais en 1868, John Figure 1 : John Pender en 1870 Pender (1816-1896), qui avait largement contribué à l'organisation de Telcon pour poser les câbles de l'Atlantique, qui était devenu président des deux compagnies Telcon et Anglo-American Télégraph Company, démissionne de Telcon en faveur de son ami proche Sir Daniel Gooch (1816-1889). Il commence à former des sociétés pour gérer les différentes parties de la route vers l'Inde. Il conserve une importante participation dans le capital de Telcon, qui entreprend de fabriquer et de poser les câbles des nouvelles compagnies à des conditions qui leur imposent une part importante de la responsabilité financière. 22

Ce fut le début de l'empire du câble de Pender, qui en 1902 deviendra les « Eastern & Associated Telegraph Companies » (EATC). Dès l’origine, il diversifie son risque financier en confiant la gestion et le risque financier de chaque projet de liaison à une compagnie différente. Après la mise en service, il procède à des fusions de compagnies. Toutes ces sociétés étant finalement placées sous la tutelle de l'EATC.

Pour le câble vers l'Inde, l'itinéraire était divisé en quatre parties, la Anglo-Mediterranean Telegraph Company qui relie l'Italie, Malte et l'Égypte, la British-Indian Submarine Telegraph Company qui relie Bombay à Aden puis à Suez, la Marseilles-Algiers Telegraph Company qui relie Marseille à Bone et Malte et le Telegraph de Falmouth, Gibraltar et Malte, cette compagnie complète la liaison vers l'Angleterre. L'itinéraire complet est illustré dans la figure 2.

Figure 2 : Carte montrant l'itinéraire complet de Porthcurno à Bombay

Le chargement du câble Malte - Alexandrie, fabriqué par Telcon, commence le 26 septembre 1868 à partir de Malte. Le NC Scanderia, transporte un total de 890 milles nautiques (MN) de câble. Le NC Chiltern transporte 55 MN de câbles supplémentaires pour achever la pose jusqu’à Alexandrie le 3 octobre. Le câble est composé de sept fils de cuivre isolés par trois couches de gutta percha, et complété par une couche de chanvre qui sert de protection des 18 fils d'armure. La longueur totale du système installé est de 943 MN.

Le tronçon principal de l'itinéraire, de Bombay à Aden et jusqu'à Suez, est la partie la plus longue et la plus complexe, et la compagnie chargée du projet affrète le Great Eastern, qui venait d’installer les deux câbles transatlantiques atlantiques de 1865 et 1866 et le premier câble transatlantique français achevé en août 1869. Pour compléter cette section, le navire est assisté de quatre autres navires dont les descriptions détaillées sont indiquées ci-après. J .C Parkinson qui naviguait sur le Great Eastern a tenu un journal de l'expédition publié en 1870 dans l’ouvrage intitulé "The Ocean Telegraph to India".

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Le 6 novembre 1869, le Great Eastern quitte le port de Portland, Angleterre à destination de Bombay, transportant 2.375 milles nautiques de câble. Ses navires assistant sont les NC Hibernia, Chiltern et Hawk, qui embarquent 1.225 MN supplémentaires, soit un total de 3.600 MN (soit environ 6.670 Kilomètres). Le Great Eastern seul transporte 5.512 tonnes de câbles, 3.824 tonnes de carburant, 6.499 tonnes de charbon et du matériel divers, représentant un fret total de 21.000 tonnes et, y compris le navire, d’une valeur totale d'environ 2 millions de livres sterling.

Figure 3 : Le NC Scanderia posant le câble Malte-Alexandrie

La route vers l'Inde passe par Madère, Saint-Vincent, Le Cap, l'île de l'Assomption, et par les Seychelles jusqu'à Bombai. Les navires de l'expédition arrivent le 26 janvier 1870 après un voyage de près de trois mois. Pendant la route le navire consomme en moyenne 200 tonnes de charbon par jour, et doit ravitailler au Cap 3.000 tonnes supplémentaires.

Figure 4 : Great Eastern peint en blanc, quittant le port de Portland avec le câble indien britannique

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Lors de sa précédente expédition, le Great Eastern avait été peint en blanc pour réduire la chaleur du câble stocké dans les trois cuves. La température est abaissée de 8 degrés Fahrenheit soit 4 à 5 degrés Celsius). Le commandant Robert Halpin (1836-94) donne l’instruction de renouveler la peinture avant l’arrivée à Bombay

Comme souvent, de nombreuses personnes veulent visiter le Great Eastern, et le capitaine Halpin annonce dans la presse locale les jours de visite prévus. Les visiteurs doivent acquitter des billets achetés pour une somme modique et l’argent recueilli est partagé entre la compagnie télégraphique et l’armateur du Great Eastern. À Bombay, le navire embarque 8 000 tonnes de charbon supplémentaires et Parkinson décrit sur trois pages les effets néfastes de l’opération de chargement. Par exemple :

" Nous avons tous remarqué, lorsque le Great Eastern est arrivé à Bombay, que le navire n'avait jamais été aussi beau, aussi agréable ni aussi propre depuis le début de l’opération. Or, qu’est-il devenu maintenant - un bloc de charbon flottant sur l’océan-. La blancheur de ses flancs est devenue une couleur sale comme le visage d'un meunier remontant le conduit d’une cheminée"

Le chroniqueur se plaint des vapeurs sulfureuses générées par la combinaison de silice et de brai minéral recouvrant l'extérieur du câble pour décourager le teredo navalis (en français taret10) de percer le revêtement de chanvre et l'isolant de gutta percha et de compromettre l'intégrité de l'isolation dans le câble. Le « ruban teredo » (ruban anti-taret) en laiton fin enroulé en spirale n’existe pas encore. Il ne sera inventé que dix ans plus tard.

Figure 5 : Schéma et coupe transversale du câble d'extrémité du rivage

Le 7 février 1870, le NC Chiltern pose l’atterrissement de Bombay. Un remorqueur à vapeur fourni par les autorités locales remorque une barge qui transporte environ 2,5 MN de câble lourd à double armure pour le poser entre le point d'atterrissement et les faibles fonds. Dès son arrivée sur la plage, le câble est trainé à terre par des machines et installé dans une tranchée menant à la guérite d’extrémité, puis testé à nouveau vers le navire et s’avère bon. Parkinson fournit la description de la machinerie de Chiltern :

" Le câble avait été passé à travers tous les énormes guides ou gouttières qui guident le trajet du câble entre la cuve avant et le davier de l'arrière. Il passe ici sous une première roue, là, au- dessus d’une seconde roue, qui le redresse et le dirige, de peur qu'il ne s’échappe. Il est ensuite enroulé trois fois autour du tambour qui contrôle le déroulement, tandis qu'un homme se tient prêt

10 - Le taret est un mollusque qui attaque sous l’eau les matières végétales (bois, chanvre, jute et gutta percha). L’âme des câbles d’atterrissement et intermédiaires posés dans les faibles fonds est recouverte d’un ruban de cuivre ou de laiton dénommé le ruban « anti-taret ». 25

à intervenir derrière un volant qui, après quelques tours rapides, permet de revenir au point mort si un incident menace de survenir. Au-dessus de la cuve, huit hommes surveillent le déroulement du câble, surveillant le bon déroulement du câble en cuve et qu’aucune love ne sorte emmêlée. Sur le pont, des hommes sont espacés le long du chemin de câble entre la cuve et le davier arrière, surveillant le bon déroulement de chaque section de câble au moment de son passage, prêt à donner l’alarme en cas d’incident au moyen de téléphones par tubes acoustiques installés sur les NC Chiltern et Great Eastern. Depuis le pont principal, les instructions de sécurité peuvent être transmises instantanément à la passerelle ou à la salle des machines. De plus, la personne qui supervise le déroulement du câble peut, si cela est nécessaire, communiquer directement avec la salle des machines par les mêmes moyens, et commander l’arrêt d’urgence ou l’inversion immédiate des moteurs bien avant que le message soit transmis par la procédure habituelle.

Le 14 février, Great Eastern termine son avitaillement en charbon et se prépare à épisser le câble posé jusqu'à l'extrémité du rivage : " Il était prévu d'effectuer l'épissure sur le Chiltern, le câble étant relié à la bouée d'extrémité, à environ 200 mètres à l'arrière, et l'opération délicate se poursuivit aussitôt. Après le relevage de la bouée par l’e Great Eastern, et qu'une partie du câble à bord soit basculée du navire sur le NC Chiltern, les deux extrémités du câble sont préparées pour l’épissure des fils de cuivre, leur jointage et la reconstitution de la gutta-percha à la main, une application du composé de Chatterton, et la fermeture et la mise en place de l'armure. L’opération a duré quelques heures, et il était 16 h 45, avant que M. London ne déclare l'épissure terminée. Le chef du personnel électrique de la Telegraph Construction Company à bord du Great Eastern, M. Laws, a envoyé des messages des deux côtés de la ligne avant et après la soudure des fils de cuivre"

Après cinq heures de l'après-midi, le NC Great Eastern accompagné du NC Chiltern s’éloigne de Bombay et, après avoir déroulé encore 9 MN de câble d'atterrissement a posé la transition puis du câble de type intermédiaire (type E). Après la pose de 96 MN de ce câble, une nouvelle transition et le navire pose du câble intermédiaire de type B, puis enfin la section de grands fonds. La ligne vers Aden est longue de 2.375 MN, posée avec un mou moyen de 10%. Comme d'habitude, le personnel électricien qui se trouve à bord du navire est en contact régulier avec le personnel du centre de Bombay, effectuant des tests réguliers pour s'assurer que le câble fonctionne parfaitement pendant sa pose.

Le passage d'une cuve à câble à la suivante (qui est aujourd'hui une pratique courante) est une source d'anxiété à cette époque. On comprend facilement que le câble sortant de la cuve pratiquement vide doit provenir d’une autre cuve et que la boucle permettant le passage d’une cuve à la suivante doit être rapidement passée au travers de l’œil de bœuf et sans perturber le bon déroulement de la pose. La procédure de passage de la boucle s’effectue en ralentissant la vitesse du navire, en arrêtant la machine de propulsion tout en continuant la pose. Comme le câble est entrainé par son propre poids, il est freiné à l’aide de bosses proches les unes des autres et frappées sur le câble avec la plus grande attention. Ces bosses sont des filins de chanvre robustes et tressées, et capable de franchir tous les obstacles configurant le chemin de câble entre les cuves et la machine de pose sans les accrocher. Elles sont frappées sur le câble par une clé simple sur un manchon de protection pour ne pas risquer de l’endommager.

Ces bosses sont destinées à accompagner la boucle, lorsque l’œil de bœuf est ouvert, chaque bosse étant tenue par un homme se tenant alternativement de part et d’autre du chemin de câble pour bien guider le câble sur sa goulotte entre la cuve et la retenue arrière de la machine de pose. La rapidité de l’opération dépend du tour de main des membres de l’équipage. Le freinage des retenues arrière est actionné mais il serait dangereux de se fier uniquement aux machines et c’est à la main que les hommes assurent le freinage avec les bosses jusqu’au moment où le câble est parfaitement disposé sur le chemin de câble. La vitesse de pose du câble est vérifiée avec la plus grande attention par le commandant Halpin, accroupi sous la machine de pose et surveillant la sortie de la cuve. Pendant ce temps, le câble se déroule lentement et, à trois tours de la fin, le navire bat en arrière, pour l’arrêter. On bascule les trois loves pour procéder alors au changement de cuve.

Les protections des bosses permettant de basculer la boucle en cuve sont alors retirés ainsi que toutes les autres obstructions. C'est le moment suprême, la boucle passe doucement de main en main, chaque homme juché sur la structure télescopique faisant sa part pour empêcher qu’elle ne 26

s’engage sur un obstacle. Il est impossible d'imaginer ce qui pourrait se passer si un seul maillon de cette chaîne complexe s’avérait défaillant. Supposons que l'un des freins de la retenue cède, que les hommes aux bosses se méprennent sur l’ordre de passage, que les moteurs du navire soient mis en route trop tôt, qu’une torsion survienne sur une love emmêlée, que le câble soit accroché, que l’isolement électrique chute et, au mieux, la pose doit être arrêtée, le câble coupé et réparé avec une épissure.

En l'état, le câble poursuit doucement sa route le long de son tracé, de la cuve avant vers la mer, et sans retard. Les bosses et les freins sont remis quelques minutes plus tard pour une prochaine opération moins complexe. Il faut changer le « couteau » du grand tambour de la machine de pose. Le "couteau" du grand tambour maintient le câble en place dans l’axe du chemin de câble et est partiellement usé par le frottement, il faut le changer. Le navire est arrêté à nouveau, le changement est effectué et la pose reprend vingt minutes plus tard. Le nouveau "couteau" qui comme son nom l'indique n'en n'est pas réellement un, est une pièce de métal lourd semblable à une section de jante de roue de locomotive. Il est fixé sur le côté du tambour, dans le double but de protéger celui-ci pour qu’il reste dans l’axe et pour empêcher les tours du câble de se chevaucher. Lorsque le travail est terminé, que tout est vérifié la pose continue toujours aussi régulièrement ». On peut noter qu’à cause de la difficulté du passage d’une cuve à l’autre, le NC Great Eastern vide chaque cuve complétement avant de changer de cuve. Aujourd’hui, on change plus souvent de cuve pour équilibrer l’assiette du navire en équilibrant la répartition des charges pour réduire les contraintes sur la coque et améliorer la stabilité du navire.

Une fois la première cuve du NC Great Eastern vidée de son câble à poser, il reste le câble de réserve au fond de la cuve. La cuve est remplie d’eau jusqu’au niveau du câble pour éviter que le brais se dégrade en s’asséchant. Cela n'arriverait pas aujourd'hui, car la carène liquide provenant d'une cuve à câbles inondée diminue dangereusement la stabilité du navire

Le 27 février, le NC Great Eastern a rendez-vous avec le NC Chiltern au large d'Aden, où l'extrémité du câble posé doit être épissée à la section d’atterrissement en câble plus lourd pose par le NC Chiltern. Or, le NC Chiltern cumule les incidents. En raison du mauvais temps, la pose de l'atterrissement a dû être retardée et reportée au lendemain. Le câble s'est alors détaché de ses bouées et il est tombé au fond de l'eau. Après environ sept heures de drague le 28 février, le câble est finalement récupéré, mais il doit de nouveau être mis sur bouée car il se fait tard dans la soirée pour commencer l’opération. Le 1er mars, la section de câble est posée. On peut vérifier les deux sections. Entre le navire et Bombay, la mesure est électriquement parfaite. Le 2 mars, les opérations terrestres étant terminées, un navire se charge de la dernière épissure pour constituer une liaison reliant les stations d'Aden et de Bombay. Les messages de félicitations peuvent alors être transmis par le câble.

Figure 6 : Atterrissage du câble d'extrémité du rivage d'Aden

Le NC Chiltern peut entreprendre la pose de l'atterrissement du câble Aden – Suez mais l’opération se déroule mal. Après la pose de l’atterrissement, au moment du départ en pose, une 27

boucle de câble sort de la cuve et se bloque sous deux loves inférieures, et en un instant les trois loves sont emmêlées en un nœud inextricable. Cet enchevêtrement, appelé « chignon » heurte l’entrée évasée du chemin de câble et la structure en bois des goulottes, la salle d'essai signale simultanément une perte de continuité sur le câble.

Il faut réparer, supprimer les parties endommagées et refaire l’épissure sur le câble. Les électriciens constatent que, si le câble à bord du navire offre une bonne continuité, il y a une perte totale d’isolement vers la terre. Ils en cherchent la cause, mais une chaloupe venant du rivage leur remet ce message : À 07 h 55 du matin. (Greenwich), le câble a soudainement quitté la guérite d’extrémité avant de disparaitre. [Notez que les journaux de bord ont été maintenus en GMT tout au long du voyage]. Avant de pouvoir arrêter le Chiltern, la grande augmentation de la tension avait entraîné la sortie du câble de sa guérite. Une chaloupe et des hommes ont été envoyés sur le rivage, et, en creusant à trois pieds de profondeur dans le sable vers la mer, ils ont découvert l'extrémité manquante à soixante pieds de la guérite. Heureusement, le câble n'était pas encore fixé aux appareils de transmission ni aux instruments de mesure. Il n'y a aucun dommage, l’équipe de terre a nettoyé l’extrémité, bouchonné le câble. Tout est prêt pour que la longueur manquante soit remplacée par une section de réserve qui complétera la liaison.

Le NC Chiltern termine la pose de l'atterrissement depuis le rivage jusqu’à 9 MN au large puis passe le câble aux navires d’assistance du NC Great Eastern pour commencer la pose principale vers Suez. La pose commence trois jours plus tard, le 6 mars. Cette section est constituée d’un câble spécial adapté aux eaux peu profondes de la mer Rouge. Dans cette région, Parkinson décrit le type de câble comme « moins semblable à un câble qu'à un de fer à repasser. Son diamètre est légèrement inférieur à celui du câble de grands fonds, mais l’armure est constituée par des fils galvanisés, sur lesquels se trouve une seule couverture de jute et un revêtement de composé de composé Clark. Son poids est de 3,75 tonnes au mille, tandis que celui du câble de grands fonds vers Bombay n'est que 1,75 tonnes. Ce travail constitue la dernière pose du NC Great Eastern, du personnel du navire et du capitaine Halpin, qui commande globalement l'expédition. A la fin de la pose en mer Rouge, l’extrémité est transférée au NC Hibernia qui pose encore 600 MN de câble de grand fond standard, stocké dans les deux cuves à câbles, tandis que le Great Eastern part pour Aden se ravitailler en charbon pour le long voyage de retour vers Angleterre via le cap de Bonne-Espérance.

Figure 7 : L'itinéraire du câble Suez-Bombay montrant la date et la position des navires câbliers

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La vie à bord du NC Hibernia n’est pas la même qu'à bord du Great Eastern : Le NC Hibernia est complet, chaque cabine est occupée, son pont principal, déjà petit, est réduit pour y disposer une cuve supplémentaire. Son local des sanitaires est rempli de glace, une denrée utile pour abaisser la température des câbles pendant la réalisation des joints. La glace a été fabriquée et fournie au NC Hibernia par le Great Eastern le matin où nous l'avons rejoint. La nuit, tous les canapés disponibles dans le salon sont pris par les électriciens et les ingénieurs fatigués, dormant profondément pendant leur repos de quatre heures.

Après la pose de 600 MN de câble, le NC Hibernia doit confier au NC Chiltern la suite de la pose (250 MN). Les navires doivent retrouver les NC Hawk et William Cory, qui transportent du câble venant d'Angleterre via le canal de Suez récemment ouvert. Parkinson écrit quelques réflexions philosophiques sur les navires câbliers :

Dimanche 13 mars. - Un navire câblier, en travaux câble est très fiable et tient un registre précis sinon très minutieux, de son propre travail. Les tambours et les roues tournent sans interruption et la cloche tinte sans cesse pour marquer le travail effectué. Les mots « marque de mille » ou « épissure » sont criés à intervalles réguliers par le personnel de surveillance, et le serpent de fer se déroule sans fin en continuant de disparaitre dans les flots. Le dynamomètre enregistre chaque variation de tension - le tout sans interruption. Ce n'est que lorsque vous regardez vers le fonds de la cuve pour voir le câble que vous découvrez des mains guidant le câble. Au fond de ce puits profond et sans eau, inutile de se baisser pour éviter de heurter la tête contre le pont. C’est en regardant par la « fenêtre » de votre cabine, que vous constatez l’importance de la dégradation de l'état du navire rentrant au port d’attache.

Le 13 mars, le personnel est transféré sur le NC Chiltern qui est prêt pour la dernière étape de cette partie de la pose. Le lendemain, il reçoit un message par câble transmis d'Aden "Ligne ouverte aujourd'hui au public d'Aden à Bombay". Lorsque NC Chiltern termine son chargement et place l’extrémité du câble sur bouée.

Le NC Chiltern transfère son personnel sur le NC Hibernia pour se rendre à Suez et retrouver les deux autres navires pour embarquer la fin de pose, la poser jusqu’à la fin de la pose du Chiltern resté sur place. Mais changement de programme, à 110 milles de Suez, il rencontre le NC William Cory en pose accompagné de Hawk. Le Hawk avait déjà posé l’atterrissement de Suez et, n’ayant pas de nouvelles du Chiltern et de l’Hibernia, ils décident que le NC William Cory pose l’atterrissement et commence à poser son câble. Après discussion, la pose reprend vers la position du NC Chiltern et de la bouée câble de la pose principale.

Le 17 mars, les deux navires retrouvent Le NC Chiltern. Le matin du 18 mars, le capitaine Halpin et une partie du personnel du câble quittent le NC Hibernia pour le William Cory qui se prépare à faire l'épissure. Par gros temps, le NC William Cory récupère l'extrémité du câble d'Aden et commence à disposer pour l’épissure finale, mais le mauvais temps s'aggrave et, il perd le câble. Il faut attendre que le mauvais temps se calme. Le câble est saisi et relevé dans la soirée du 20 mars.

Les essais électriques démontrent que la ligne est bonne vers Aden cette nuit-là et l'épissure est achevée le lendemain matin. Les trois navires rejoignent Aden pendant que le NC William Cory mouille l’épissure finale. Dans l'après-midi du 22 mars, après les travaux réalisés avec difficulté en raison des vents et des courants, la pose était terminée. Parkinson conclut son récit comme suit : Je peux ajouter que le câble a été ouvert au public à six heures du matin, le matin du 26 mars, soit quatre jours après l'épissure finale dans le golfe de Suez, et que de nombreux messages ont été transmis de chaque côté - à savoir, de Londres et de Bombay, lorsque j'ai appelé au Alexandria Telegraph Office à dix heures du matin le même jour.

Une fois la pose de cette section principale de la liaison sur l'Inde terminée, il ne restait plus qu'à Falmouth, Gibraltar et Malta Telegraph Company qu’à poser le liaison Malte à Porthcurnow via Gibraltar et Carcavelos (près de Lisbonne, Portugal).

Telcon a de nouveau obtenu le contrat de fabrication et de pose. Pour respecter les délais promis, une grande partie de la fabrication des câbles est sous traitée à W.T. Henley, mais en se réservant la pose. Les travaux ont commencé à Malte le 14 mai 1870 avec les navires câbliers Hawk, Édimbourg et Scanderia posant le câble à 1.150 MN à Gibraltar. Les NC Scanderia et Investigator ont ensuite posé le câble de 366 MN de Gibraltar à Carcavelos, Portugal. La dernière section, Carcavelos - Porthcurno, Cornwall, 824 MN est posée par le NC Hibernia, à partir de Carcavelos le 2 juin 1870 et terminant à Porthcurno six jours plus tard.

Le 6 juin, Les extrémités terrestres du premier câble atterrissant à Porthcurno sont terminées. L'épissure finale du câble est immergée par le NC Hibernia le 8 juin. 29

Il ne reste plus qu’à offrir un service entre l’Angleterre et l’Inde. Georges Pender fixe la date du 23 juin 1870. On ne peut qu’être surpris par le « pressing » mis sur les ingénieurs en charge de la pose de la liaison Aden – Bombay avec deux navires pour transporter le câble fabriqué par un sous-traitant, WT Henley, et par la mobilisation de 5 navires de pose (Great Eastern, Hibernia, Chiltern, William Cory et Hawk).

Au cours de la même période, le gouvernement Thiers de la Troisième République renégocie le contrat signé avec le constructeur britannique Indian Rubber and Gutta-Percha Telegraph Works pour réaliser un feston reliant Gravelines – Cherbourg et Brest entre novembre 1870 et Janvier 1871. Après la signature du traité de Francfort (10 mai 1871), le service télégraphique renégocie immédiatement le contrat pour affecter son montant à la réalisation d’une ligne Marseille – Alger. L’accord est signé le 4 mai 1871 et le NC International de la compagnie anglaise pose le câble le 1 juillet 1871.

Georges Pender n’utilise pas la liaison télégraphique qui relie Londres – Calais et Marseille à travers la France, négociée avec le gouvernement français pour relier Malte qui sera mise en service le … 1 août 1870. Elle sera sous-traitée au constructeur WT Henley et posée par deux navires câbliers, les NC Wiliam Cory (Marseilles – Bone) et NC La Plata (Bone – Malte).

Figure 8 : Câble d'atterrissage à Porthcurnow Bay Le service télégraphique entre en service commercial avec l’Inde le 23 juin. Entre cette date et l’ouverture du service transatlantique de l'Anglo-Mediterranean Telegraph Co, il s’est écoulé un peu plus de deux ans. C'est une réalisation incroyable, même en comparaison des réalisations actuelles qui a été rendue grâce aux efforts, aux compétences et au sens des affaires de John Pender. Ce soir-là, pour célébrer son remarquable succès, John Pender organise une soirée à Londres, 18 Arlington Street pour marquer l(ouverture du service télégraphique entre Londres à l'Inde.

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Figure 9 : Soirée télégraphique de John Pender Son Altesse Royale Albert Edward, prince de Galles est l’invité d’honneur et sa présence avait été organisée par la femme de Pender, Emma. Le divertissement comprenait des démonstrations de télégraphie moderne par Cromwell Fleetwood Varley, où les invités sont invités à transmettre des messages télégraphiques à Bombay, Calcutta (Kolkata) ou New York, d’où ils reçoivent des réponses dans les quinze minutes.

Figure 10 : Carte du système de l’ Eastern Telegraph Company, 1901 Comme sujet de discussion, on avait suspendu au-dessus de la tête des invités le grappin qui avait été utilisé pour récupérer le câble transatlantique de 1865. La liste des invités comprenait plus d'une centaine de dignitaires et l'ensemble de l'événement est consigné dans un livret souvenir de 68 pages. Une semaine plus tard, l'Illustrated London News couvre l’évènement dans un article qui comprend une illustration détaillant l’évènement qui se tient dans la grande salle de réception principale de Georges Pender. Après ce triomphe, G. Pender continue d'étendre son réseau dont la station principale est Porthcurno, qui est également devenu le centre de formation des câblo-opérateurs et des opérateurs. En 1872, il fusionne les 4 sociétés :

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 Anglo-Mediterranean Telegraph Company (fondée le 18 mai 1868) qui relie l'Italie, Malte et l'Égypte.  British-Indian Submarine Telegraph Company (fondée en octobre 1869) qui relie Bombay à Aden puis à Suez.  Marseilles-Algiers Telegraph Company (fondée en 1969) qui relie Marseille à Bone et Malte.  Telegraph de Falmouth, Gibraltar et Malte (fondée le 16 juin 1869), cette compagnie permet une liaison sous-marine directe entre l'Angleterre et l’Egypte. G. Pender décède en 1896. Cinq ans plus tard, en 1901, ses nombreuses sociétés sont regroupées dans l'EATC, dont le réseau est détaillé dans la figure 10. En 1928, l'EATC fusionne avec Marconi Wireless Telegraph Company et d'autres compagnies qui forment Imperial & International Communications Ltd. En 1934, L’Impérial devient Cable & Wireless. Quatre générations de la famille Pender ont dirigé l'entreprise jusqu'en 1965, même après 1946 et sa nationalisation par le gouvernement travailliste. Porthcurno a continué d'être l'une des plus grandes stations de câblodistribution mondiales, un important centre de communications et un centre de formation, jusqu'à la fermeture de la station en 1970 et du collège d'ingénieurs en 1983. Cette année, en célébrant son 150ème anniversaire, PK Porthcurno est un musée et un centre d’archives des communications d’intérêt mondial.

(1) BILL BURNS est un ingénieur en électronique anglais qui a travaillé pour la BBC à Londres après l'obtention de son diplôme avant de déménager à New York en 1971. Là, il a passé une dizaine d'années dans l'industrie audio haut de gamme, pendant laquelle il écrit des œuvres audio, des revues de vidéo et de matériel informatique ainsi que des articles de magazines sur des sujets aussi différents que les instruments de musique électroniques et l'histoire de l'informatique. Ses recherches pour ces articles ont suscité un intérêt général pour les premières technologies, et dans les années 1980, il a commencé à collectionner des instruments et des artefacts des lois de l'électricité et des communications. En 1994, la découverte fortuite d'une section du câble de l'Atlantique de 1857 a suscité un intérêt particulier pour l'histoire des câbles sous-marins et, bientôt, il a créé la première version du site Web du câble transatlantique : http://atlantic-cable.com qui a maintenant plus de mille pages sur tous les aspects des communications sous-marines de 1850 à nos jours. L'intérêt de Bill pour l'histoire du câble l'a amené dans toutes les stations télégraphiques dans le monde entier, ainsi que dans les Archives et Musées d'Amérique du Nord et d'Europe. Il a présenté des articles sur l'histoire des câbles sous-marins dans de nombreuses conférences, et en 2008, il a incité et aidé à organiser la célébration du 150ème anniversaire du câble télégraphique transatlantique de 1865 à la New-York Historical Society. Plus récemment, en 2016, il a été associé aux célébrations de Londres, d'Irlande et de Terre-Neuve pour marquer le 150e anniversaire du câble de l'Atlantique de 1866.

(2) STEWART ASH après avoir obtenu son diplôme d’ingénieur en 1970, a passé toute sa carrière dans l'industrie des câbles sous-marins. Il a rejoint STC Submarine Systems en tant qu'ingénieur de développement, travaillant sur les équipements de transmission coaxiale et la conception de répéteurs sous-marins. Il en a transféré l'ingénierie sur le terrain, installant des systèmes coaxiaux sous-marins dans le monde entier. En 1986, mise en place d'une nouvelle installation de diffusion pour une optique intégrale les systèmes sous-marins. En 1993, il rejoint Cable & Wireless Marine, en tant que directeur du développement commercial puis passe à un poste de directeur exécutif au sein de la société mère, C&W, puis de Cable Wireless Marine qui devient Global Marine Systems Ltd en 1999. Il est nommé directeur général de la division d'ingénierie, responsable des tests du système, de la technologie et l’exploitation des engins sous-marins. Dans le cadre de ce rôle, il est le président du Consortium « Joint Universel ». Il quitte Global Marine en 2005 pour devenir consultant indépendant, aidant les fournisseurs et les propriétaires de systèmes dans tous les aspects de l'approvisionnement, des opérations, de la maintenance et des réparations du système. L'intérêt de Stewart pour l'histoire des câbles sous-marins a commencé en 2000, le projet a été géré lors d'une célébration de 150ème anniversaire de l'industrie des câbles sous-marins. Dans le cadre du projet, il a copublié et édité "e" Elektron. Ensuite, il a rédigé et présenté de nombreuses conférences sur l'histoire de l'industrie du câble sous-marin. De Mars 2009 à novembre 2015, il rédige les articles Back Reflection sur le forum Subtel. En 2013, il a été invité à contribuer au chapitre d’ouverture du manuel de droit et de politique sur les câbles sous- marins, sur le développement de l'industrie des câbles sous-marins. Il a également soutenu la campagne visant à sauver Enderby House, un bâtiment classé et éviter sa démolition, en 2015. Il a rédigé deux ouvrages sur l'histoire du site et une biographie de Sir John Pender CCM G Hue Cable King éditée par Amazon en avril 2018.

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DU MONT AMPERE A L’ATLANTIDE Un découvreur du service des câbles sous-marins Jean-Louis Bricout

Les marins des navires-câbliers et des navires de pêche ont été les premiers à travailler à la mer après quelques navires hydrographiques de la Marine Nationales. Ils arrivaient à découvrir outre la faune et la flore, la géologie marine découvrant des terres, des bancs ou des failles inconnues. C’est ainsi qu’il existe un banc de l’Ampère non loin du banc de la Seine dans l’océan Atlantique et la faille de l’Emile Baudot en Méditerranée.

La découverte de la faille de l’Emile Baudot et du banc de l’Ampère.

Ainsi, l’Emile Baudot, second navire du service basé à La Seyne sur Mer a son nom porté sur les cartes marines. Il s’agit d’une faille située au Sud de Majorque en Méditerranée. Ces escarpements étaient franchis par tous les câbles reliant Marseille à Oran et cette traversée était la cause de nombreux dérangements. Qui a souhaité associer le nom d’Emile Baudot à cette curiosité géologique ? On pourrait rechercher dans les comptes rendus des séances de l’Académie des Sciences des années 1930 pour découvrir cet auteur.

On connait mieux l’histoire du banc de l’Ampère. Jean Danton, ingénieur et chef de mission sur l’Ampère 2 était chargé de réparer le câble télégraphique Brest – Casablanca lorsqu’il constate au cours de la réparation une irrégularité des profondeurs de la zone de travail sur son sondeur Langevin-Florisson à enregistreur Marti. Une montagne sous-marine plantée sur les profondeurs abyssales de 4.000 mètres culmine à 60 mètres de profondeur. Le tracé du câble semblait ignorer cet obstacle planté en travers de la route, ce qui explique le défaut survenu à cause de suspensions sur les pentes de cette montagne mal placée.

Banc de l'Ampère Faille de l'Emile Baudot Banc de l'Ampère

Une fois la réparation terminée, Jean Danton décide de poursuivre les travaux et de réaliser un relevé des contours de la zone de travail pour mettre en évidence cette montagne isolée. A son retour, il rapporte à René Couderc, son directeur qui décide d’adresser une étude à l’Académie des Sciences en proposant de nommer cette montagne sous-marine du nom Ampère.

D’ailleurs, nos deux ingénieurs remarquent que plusieurs montagnes sous-marines se situent dans la zone. L’une d’elle est appelée Seine, du nom d’un navire câblier de Cables and Wireless, le navire ayant réparé un câble télégraphique britannique reliant Lisbonne à Madère ou à l’Amérique

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du Sud car les câbles sont nombreux dans la zone et posés en s’aidant des repères astronomiques.

Ils proposent leur rapport à l’Académie des Sciences lors de la séance du 8 avril 1935, ce qui nous permet de remarquer le mont Ampère sur les cartes marines du monde entier.

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A la recherche de l’Atlantide

À plusieurs reprises (1976, 1977, et 1979) des expéditions océanographiques soviétiques mirent en évidence des vestiges étranges, vraisemblablement des restes d'anciens murs et de dallages- dans le voisinage du mont Ampère, situé à quelque 400 km au sud-ouest de Lisbonne. En 1976, à 80 m de profondeur, le plongeur Nicolaï Reznikov reconnut sur un haut-fond des traces de maçonnerie et des dalles taillées, apparemment ultimes restes de constructions en ruines.

Dans le courant de 1977, Vladimir Marakuyev, un océanologue soviétique, naviguait sur le bateau de recherche Moskowsky Université, une caméra sous-marine fut employée au cours d’une recherche de routine. Un groupe de photographies, apparemment inattendues, furent prises alors mais ne furent développées et étudiées qu’un an plus tard, sans doute à cause d’un surcroît de travail.

Ce qui apparaissait être un mur et un escalier de pierre fut localisé à une profondeur de 60 mètres. En fait, il y avait huit pierres dont quatre étaient carrées et quatre rondes. Elles étaient longues d’un mètre environ. Une autre photographie montrait trois pierres régulièrement espacées qui semblaient former une partie d’escalier. Un savant soviétique réputé, le Dr Aksyonov, directeur de l’Institut d’océanographie de l’Académie des Sciences d’URSS, prétendit lors d'une interview qui se déroula à Moscou et fut publiée le 21 mai 1978 dans le New York Times, que les photographies n’avaient pas été prises sérieusement. Aksyonov ne prit pas position quant à l’origine atlante des ruines, il n’en déclara pas moins : « Je crois que les objets qui apparaissent sur les clichés se trouvaient autrefois à la surface ». Les Soviétiques avaient tenu à ce que l’endroit exact de ces découvertes soit tenu secrète, en raison des patrouilles de sous-marins atomiques soviétiques à la recherche de cache et d’abri en cas de guerre nucléaire.

D’autres savants, non identifiés par le New York Times qui raconta l’histoire, soutinrent que les structures étaient bien le fait de la main de l’homme et constituaient de parfaits exemples d’une ancienne maçonnerie « L’escalier en pierre, qui est parfaitement distinct, a visiblement été taillé dans la falaise, Il doit y avoir beaucoup plus de marches que la photographie ne l’indique. Il y avait probablement une volée de 100 marches minimum sur cette falaise, un escalier dangereux à monter et à descendre comme sur les pyramides mayas ou aztèques. Un autre cliché montre une plate-forme en pierre, qui constituait sous doute un palier menant à un autre escalier, comme dans les pyramides à paliers. »

L'expédition de l'année 1979 recueillit des données géologiques prouvant que les plateaux supérieurs et le sommet du mont Ampère se trouvait à l'air libre dans un passé récent. Malheureusement, les Russes ne purent revenir sur les lieux, les autorités portugaises de Funchal (Madère) leur en interdirent l'accès, pour des raisons de sécurité militaire.

Dans le courant des années 1977-1981, de nouvelles insolites concernant certains fonds de l'océan Atlantique défrayèrent la presse moscovite. Les journaux annoncèrent la découverte de vestiges d'anciennes constructions sur les pentes supérieures d'une montagne sous-marine située à environ 400 km au large des côtes portugaises sur l'élévation du banc Ampère, un important mont sous-marin découvert par des chercheurs français. Il s'agissait d'un banc dont le sommet, de faibles dimensions, se trouvait à seulement 60 m au-dessous du niveau de l'océan. Il fut découvert le 4 mars 1935 par Jean Danton, ingénieur du service des câbles sous-marins, par 35° 34' latitude nord et 12° 54' longitude est. Ledit banc se trouve dans une région de fonds particulièrement tourmentés comprenant le socle des îles Madère, Déserta et Porto Santo, les bancs de la Seyne (- 148 m), Joséphine (-150 M) et Gorringe (-42 m).

Sources et Liens complémentaires.

Jon, D. Singer, La filière égyptienne aux sources de l'Atlantide de Platon (1980) in magazine Khadath n°62 pp.43-44 (kadath.be/pdf/kadath_62.pdf)

Pierre CARNAC, L'Atlantide, autopsie d'un mythe. Éditions du Rocher, 2001 pp.76-77

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Note : Après quelques recherches, les diverses photos semblent introuvables sur internet ou autres domaines publics.

Il est probable que le mythe de l’Atlantide ait été remis à l’ordre du jour de l’actualité par les américains et les soviétiques pour justifier des recherches bathymétriques dans l’océan Atlantique et s’assurer que les sous-marins nucléaires des uns et des autres évolueraient en toute sécurité. Dans ce cas, la découverte de l’Atlantide ne serait qu’une « fake news » dirions-nous aujourd’hui.

Et l’Ingénieur général Danton réapparait ….

Notre « découvreur » du banc de l’Ampère devenu ingénieur général (ER) a terminé sa carrière et passe une retraite paisible à Antibes dans les années 1980. Il se signale à « Nice Matin » pour rappeler qu’il est le véritable découvreur de l’Atlantide !

Et de rappeler sa réparation et la communication faite à l’Académie des Sciences en 1935.

Pourquoi le banc de l’Ampère ne serait-il ce fabuleux continent disparu ? Pourquoi pas en effet !

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LE MÉTIER DE CAPITAINE DE NAVIRE-CÂBLIER

Alain Van Oudheusden

1 - Le métier de capitaine de navire-câblier. Le capitaine d’un navire est le directeur technique de l’expédition, il doit mener le navire à bon port il est donc chargé de la navigation. Il doit être titulaire d’un brevet de commandement officiel. Un navire-câblier travaille en mer comme un navire de pêche. Le capitaine est responsable de la manœuvre sur travaux. Un capitaine a également des obligations légales :  Être constamment à bord (à l’entrée et la sortie des ports)  Tenir les livres de bord  Déposer son rapport de mer en fin de voyage  Assurer la discipline (selon le code disciplinaire et pénal de la Marine marchande)  Diriger l’équipage  Remplir les documents administratifs, douaniers et sanitaires  Suivre le règlement pour prévenir les abordages  Respecter le code des transports et navigation maritime  Il doit porter assistance aux naufragés (même ennemis) et suivre les instructions de la Marine Nationale et les usages internationaux protocolaires voire diplomatiques  Il fait fonction de juge d’instruction et officier d’état civil (là ou aucune autorité publique ne peut intervenir).  Il apporte sa contribution aux services météo (s’il est un navire sélectionné, notamment dans les zones peu fréquentées). Enfin, (pour ce qui est prévu par le code de Droit Maritime) le capitaine est le représentant légal de l’armateur qui sur les premiers navires-câbliers était l’Etat et qui maintenant sont des sociétés de différents statuts comme Orange Marine ou Alda Marine. La vie de Gabriel Cueff montre qu’hier comme aujourd’hui, le métier de capitaine est l’aboutissement d’une longue carrière et d’un processus de formation en alternance entre des embarquements et les écoles. Gabriel Cueff a navigué comme mousse sur des navires de la Marine Nationale avant de la quitter pour embarquer comme lieutenant, puis second capitaine et enfin commandant de navire-câblier. Les travaux d’un navire câblier consistent en plusieurs opérations successives.

2 - Les travaux d’un navire câblier

 1ère étape : Le sondage du tracé envisagé. : Le commandant doit maitriser le positionnement du navire en pleine mer. A cette époque, il est basé sur les observations astronomiques. Aux étoiles observables et au soleil on peut aussi utiliser la lune et Venus. Avec le sextant type Fleuriais, on peut aussi se passer d’horizon. En cas de brume persistante on peut attendre tranquillement le retour de la visibilité avant de reprendre les opérations. C’est toujours une décision difficile une fois « en pose » mais assumée au nom d’un principe assumé : Le travail du câble est une école de patience. A l’époque du télégraphique, le sondage était réalisé, entre autres méthodes, à l’aide du plomb perdu à distances régulières. Plus « moderne », le sondeur « Marti » activé avec un fusil type Lebel, permet de rapprocher les points de mesure. Ces outils faisaient partie de la dotation du navire-câblier.

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Après la seconde guerre mondiale, les sondeurs à ultra-sons enregistrent en continu la profondeur sur la bande de papier d’un enregistreur. Les campagnes « de sondages » permettent de mieux appréhender les tracés des liaisons coaxiales et donc de placer les répéteurs et les égaliseurs sur des terrains favorables.

Le sondage du tracé des câbles sous-marins au cours des âges (Images AACSM)

Les sondeurs multifaisceaux équipent les navires océanographiques à la fin des années 1980. Développés pour la marine américaine, le NO Jean Charcot est le premier navire civil à recevoir un équipement en 1984 et recherche un tracé pour le câble Sea-Me-We au Nord de Sumatra. Peu à peu, la spécification d’un sondage se perfectionne au point de définir deux opérations successives :  Une campagne de bathymétrie sur le « corridor » prévu.  Une étude d’analyse des sols en prévision de l’ensouillage du câble jusqu’à la chute des fonds (en fait la limite de la pêche au chalut).   2ème étape : La pose proprement dite.  Pendant la pose, le navire doit suivre au plus près le tracé déterminé après étude du sondage précédent. A l’époque du télégraphique, on ne dispose que des moyens de positionnement astronomiques. C’est-à-dire, dans des conditions favorables, un point toutes les six heures environ. On ajoute cependant des précautions supplémentaires. Un navire auxiliaire (souvent un second navire-câblier) est attaché à l’opération et éventuellement sera pré positionné pour servir de repère. On pratique également le balisage avec des bouées. Par exemple la pose du Hollande Danemark en juin 1956 par l’Ampère a nécessité pas moins de 23 bouées disposées auparavant le long du tracé par l’Emile Baudot. Il faut dire que la présence des mines encore actives à cette époque ne tolérait aucun écart par rapport au tracé. D’autre part la mesure du câble posé donne une idée du chemin parcouru, bien qu’à l époque on avait quelquefois 30% de mou !

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Certains câbliers comme le Faraday de 1874 avaient déjà une machine à fil sans mou 11.Dans ce cas et c’est vraiment un appareil spécifique aux câbliers, le chemin parcouru (en régime établi) devient parfaitement connu. On constate d’ailleurs après coup que les câbles télégraphiques ont peu d’écart part rapport au tracé prévu, ce qui est dû à la maitrise des moyens de l’époque par les officiers en charge de la navigation.

 3ème étape : La réparation d’un câble  Les données du problème : La position du défaut est donnée par les mesures effectuées par les stations à terre. Autant dire que cette position est approximative car tributaire des mesures à courant continu d’un fil immergé dans de l’eau de mer. L’imprécision de la pose s’ajoute à celle de la localisation. Malgré tout, avec l’expérience, on arrive toujours à retrouver un câble et son défaut. Une fois sur place, le câblier évoluant à faible vitesse, la dérive est un élément déterminant. La dérive est la composante de trois vecteurs dus au vent, à la houle et au courant. Le vent et la houle ayant pour effet de mettre le navire « en travers ». Sur travaux la position relativement stable est face au vent avec quelques tours d’hélice. Le vent ayant la plupart du temps une influence prépondérante. Il se trouve donc au davier une manche à vent style terrain d’atterrissage d’aéroclub que l’on surveille en permanence. Le déplacement latéral s’effectuera grâce à la pression du vent d’un bord ou de l’autre en changeant légèrement de cap. Dés son arrivée sur la zone de travaux, i .e … à l’endroit où le câble est présumé fautif on mouille une bouée » marque »sur une position dite estimée, compte tenu des données du moment. On peut commencer tout de suite à draguer perpendiculairement au câble à fin de le relever.

Principe d’une réparation :

L’astuce est de noter les positions du navire par rapport à la bouée « marque », sur un calque dit « araignée ». Le temps de dérouler le filin de drague, crocher le câble, le remonter au davier, le couper, tester la distance du défaut, mouiller une bouée câble, aller chercher l’autre bout du câble, etc...

11 - La machine à fil sans mou était un dispositif comprenant une bobine de fil d’acier genre corde à piano que l’on déroule en tension pendant la pose donc « sans mou » Ce qui donne la référence pour dérouler exactement le câble avec le pourcentage de mou désiré. 40

On a du temps pour peaufiner la position géographique de cette bouée « marque ». A la fin des travaux il suffira de déplacer le calque pour faire coïncider la bouée marque avec sa position retraitée pour « recadrer « d’un coup toutes les opérations et en tirer une carte des travaux la plus exacte possible. Si le relèvement de la bouée est simple avec une alidade fixée au compas dit de relèvement, la distance se faisait au télémètre, ce qui demande un certain entrainement. Télémètres installés à la passerelle supérieure ou télémètre portatif. Avec un peu de houle cela devient vite de l’acrobatie pure. Possible aussi, la mesure au sextant de l’angle flottaison de la bouée/horizon. Les tables de Friocourt (fleuron de la navigation « traditionnelle ») donnants la distance correspondante.

Manœuvre pour mouiller et relever une bouée.

L’ancrage de la bouée ayant atteint le fond, on fait abattre le navire de telle façon que la bouée se trouve suspendue, le long du bord au vent, l’orin rappelle, alors, perpendiculairement à l’axe du navire. Il suffit, ensuite, à l’instant où l’on mouille la bouée de battre en arrière toute du bord sous le vent, pour que la bouée s’écarte du navire. Le navire s’étant éloigné en culant, d’une centaine de mètres de la bouée, on attend la stabilisation de la bouée. On procède à une observation de sa position et de la direction de la « queue flottante». (Filin équipé de flotteurs, qui servira à récupérer la bouée le long du bord, ultérieurement). Ce qui nous donnera une bonne indication de la direction du courant de surface. Bien utile pour la suite des travaux.

Ci-dessus, » aux premiers temps du télégraphique « …

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L’utilisation des bouées au cours des âges. A droite, la recherche de la bouée (images AACSM – dessins C. Mertz et A V O)

Bossage du câble au davier. Le câble ayant été dragué au fond est remonté en double en surface. Le mou est en général insuffisant pour le récupérer directement sur le pont. La tension monte très vite à ce moment et il faut éviter une rupture car tout serait à recommencer. D’autant que les réas étroits des daviers de l’époque sont un obstacle supplémentaire. Il faut par conséquent envoyer par-dessus l’étrave un matelot sur chaise volante fixer une chaine « queue de rat » sur chaque brin du câble. Opération risquée car le câble est plié en deux au niveau du grappin, ce qui diminue sa résistance mécanique. La houle peut également « mouiller » le matelot occupé à la mise en place de ses » barbouquets ». Bref, il faut être plutôt dégourdi et sans peur pour ce genre d’exercice. Une fois les deux bouts bien amarrés on coupe le câble pour le « tester ». Le coté « bon » sera mis sur bouée câble et l’on relève l’autre bout jusqu’au « défaut ». Si le câble est rompu à cet endroit, il faudra draguer une seconde fois, avant de « joindre » les deux bouts avec du câble stocké en cuve. La difficulté étant de poser le câble en ligne droite, donc pratiquement de marcher en crabe pour tenir compte de la dérive et de récupérer la bouée câble en terminant face au vent. A ce moment on est prêt pour l’épissure finale qu’on allongera ensuite délicatement sur le fond. Pendant le jointage le navire ne doit pas dériver. L’officier de quart est sur la plage avant et surveille, à vue, le plan formé par les deux brins du câble. Ce plan doit rester vertical. Il agira pour ce faire, sur les tours d’hélices et sur le cap par rapport au vent, s’il faut se déplacer latéralement.

LaLe drague bossage d’un du câble. câble au davier et les différents types de grappins (dessins C. Mertz)

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Draguer un câble pour le remonter à la surface oblige par grande profondeur à le couper au préalable. Plusieurs types de dragues existent à bord des navires câbliers Les grappins les plus usuels, utilisables dans tous les terrains sont les Deniels, formé de 10 éléments articulés (version française) alors que les britanniques préfèrent le Rennie. Dans les zones où le câble est ensouillé, le Rouillard est généralement bien adapté (2 versions relevant ou coupant) mais si le câble est bien ensouillé on utilisera le Détrencheur de nos voisins britanniques. L’ensouillage du câble de plus en plus profond a bien compliqué la récupération du câble. Maintenant on utilise des engins télécommandés adaptés à cet usage (ROV type Hector)

Je termine cet exposé en citant deux spécialistes des câbles sous marins :

« En soi, il n’y a pas d’opérations de câbles sous marins qui ne présentent potentiellement de risques » d’après R. Gallas ex commandant du Vercors

« La navigation est un art, sinon, il suffirait d’être polytechnicien pour commander un navire, d’après Mr Vivet Chef de Mission, Directeur départemental adjoint.

Et je remercie mon collègue Louis-Christophe Mertz, commandant de l’Alsace à la fin de sa carrière. Magnifique dessinateur, j’ai emprunté quelques-uns de ses dessins. On lui doit un ouvrage sur « La manœuvre du navire câblier » qui n’anticipait pas sur les techniques utilisées actuellement, le GPS et le positionnement dynamique qui relativisent l’Art de la Navigation.

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RAOUL PERSIL (4 août 1870 - 29 juin 1961)

Par Gérard Fouchard

Le Colloque Historique de La Londe les Maures (19-22 juin 2019) était dédié aux métiers de la Poste et des Télécommunications. Alain van Oudheusden et Jean-Louis Bricout ont choisi de présenter leur métier. Pour ma part, j’ai préféré souligner les possibilités de promotion sociale offertes par l’Administration des PTT. Après la seconde Guerre Mondiale, lorsque les administrations recrutent leur personnel par concours, elles doivent assurer la formation de leurs agents. Les PTT sont un important employeur de personnel et la formation professionnelle est une priorité.

La réussite à un concours d’admission donne accès à un grade et à un cours de formation. On intégre une catégorie d’emploi dans l’un des cadres C (agents & ouvriers), B (contrôleurs & techniciens) ou A (cadres & cadres supérieurs). Des concours internes permettent la promotion des titulaires d’un niveau hiérarchique vers le niveau supérieur. L’enseignement professionnel est sévèrement noté et le choix des affectations dépend de la notation pendant le cours.

Avec une telle émulation, de nombreux titulaires entrés comme agents sont promus contrôleurs ou techniciens, puis inspecteurs voire inspecteurs principaux, administrateurs ou ingénieurs. C’est l’époque des trente glorieuses, du plein emploi et de la réussite sociale. Un exemple, un jeune technicien des télécommunications par ailleurs syndicaliste CFTC, Christian Poncelet est élu député en 1962, puis conseiller général, président du Conseil général des Vosges, plusieurs fois ministre, puis sénateur et enfin président du Sénat. C’est un cas exceptionnel qui eut un précédent sous la troisième République, Raoul Persil.

1 - Un jeune calcissien décidé à réussir (1870-1887).

Raoul Persill nait en 1870 à Chouzy sur Cisse (Loir et Cher) de parents aubergistes. Il n’y a pas encore d’école publique à Chouzy sur Cisse ; elle sera construite après les lois . Le jeune Raoul fréquente l’école religieuse dont l’instituteur est Mr Vaslet. Outre ses fonctions d’instituteur, Mr Vaslet est chargé de la bonne éducation de ses élèves, de leur surveillance pendant les offices religieux, d’organiser des chœurs parmi les élèves de sa classe. En plus de son salaire, il reçoit une prime pour jouer de l’ophicléide12 à tous les offices qui se déroulent dans l’église les dimanches et jours de fêtes. Il est toujours disponible pour ses élèves et les édiles locaux. S’il s’absente hors de la commune, l’instituteur doit demander une double autorisation au maire et au curé. Cet instituteur dévoué arrive à Chouzy en 1865, embauché par le curé Landau, un célèbre prédicateur à la cathédrale de Blois avant d’être affecté à Chouzy sur Cisse pour rénover l’église de la commune.

Les grands pères de Raoul Persil sont deux notables de la commune. Adrien Persil et Jacques Gombault sont marguilliers, c’est-à-dire membres du Conseil de la Fabrique. Adrien Persil en est le trésorier jusqu’à son décès en 1865. Jacques Gombault est conseiller municipal et adjoint de deux maires successifs : Denis Hannot (1872-1875) et Gaston de Brisoult (1875-1878). En 1874 les parents de Raoul Persil quittent

12 - L'ophicléide est un instrument de musique à vent de la famille des cuivres. L'étymologie du mot provient du grec ophis qui signifie « serpent » et de kleis, kleidos qui signifie « clé ». Ce qui donne : « serpent à clés ». En effet, l'ophicléide, instrument métallique, a remplacé, au 19ème, l'ancien serpent, à usage religieux mais aussi militaire. Très différent de cet instrument né au XVe siècle, l'ophicléide a d'emblée été muni de clés. À l'église, il a été en usage de 1820 à 1880 environ. Il eut également sa place dans l’orchestre symphonique dans les musiques militaires et les orchestres d'harmonie. Selon le dictionnaire Le Robert, le mot remonte à 1811. On dit aussi que l'ophicléide est inventé en 1817 et breveté en 1821 par le facteur français Jean Hilaire Asté. Il tient une place importante parmi les cuivres de l'orchestre dans les opéras romantiques. Il possède neuf clés à l'origine pour, par la suite, en avoir jusqu'à douze. 44

l’auberge pour s’établir agriculteurs comme l’était le grand-père Adrien Persil, gérant des terres de la propriété de la Justinière13 pour le compte de Mr le Vicomte de Saint Roman.

Raoul est un élève vif, curieux et intelligent. Le curé Landau et Mr Vaslet s’intéressent à cet élève doué et ambitieux, différent de ses frères. A 17 ans, le 1 avril 1887, Raoul est embauché à la poste principale de Blois et peut s’y rendre par le train chaque jour. Le 16 janvier 1888, il demande sa mutation à Paris. Il décide de quitter sa famille, sa commune et sa région pour s’établir dans la capitale où il ne dispose d’aucune relation.

1 & 2 - La maison natale de R Persil était située route de l’Eglise, face aux deux personnes posant pour le photographe. A gauche, la biographie de Millerand écrite par R Persil en 1949.

Nous ne trouvons pas de traces d’études secondaires à Blois, ni au collège public (Augustin Thierry), ni au collège privé (ND des Aydes de Blois).

A-t-il obtenu son baccalauréat ? Nous n’avons pas de réponse à cette question.14

13 - Le Château de La Justinière est une propriété agricole située à la limite des communes de Chouzy sur Cisse et de Blois entre la Loire et la forêt de Blois. 14 - Les archives du lycée Augustin-Thierry concernant la période 1870-1890 ont été, soit brulées pendant la seconde guerre mondiale, soit détruites par un proviseur zélé plus récemment. On ne trouve pas trace de Raoul Persil dans les premières promotions de l’Ecole ND des Aydes qui ouvre en 1869. 45

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3 & 4 - La carrière de fonctionnaire de Raoul Persil dans son dossier administratif et dans son dossier de46 la Légion d’Honneur (Documents AN).

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2 – Raoul Persil à la conquête de Paris (1888-1899)

En demandant sa mutation à Paris, Raoul souhaite devenir Surnuméraire, grade qui ouvre l’accès à une carrière de cadre qui est l’ambition du jeune Raoul. Dès son arrivée, il est nommé au bureau de poste de Paris 16 ; Raoul s’attache alors à apprendre. Ensuite, pl est nommé dans plusieurs bureaux de la capitale puis au ministère des PTT.

L’état de Surnuméraire (1892-1893) constitue une période professionnelle probatoire, la promesse d’un avenir meilleur car sa réussite permet d’envisager une carrière longue dans la fonction publique. Pour postuler, il faut avoir 17 ans révolus et moins de 25 ans. Il faut surtout réussir le concours. Devant un jury de trois personnes, l’inspecteur et le directeur départemental des Postes étant membres de droit, le postulant doit se soumettre aux épreuves de la dictée courte, du recopiage, de la rédaction sur un sujet donné, de la confection de tableaux, du calcul des quatre règles arithmétiques et des questions de géographie ; il doit faire savoir de surcroît s’il parle des langues étrangères, l’idiome ou le dialecte particulier de certaines régions françaises15. Le surnumérariat est un noviciat professionnel d’une année au cours de laquelle l’impétrant se forme aux diverses pratiques du travail au guichet. Raoul Persil est nommé le 25 juillet 1892. Le 7 novembre 1895, la carrière de Commis s’ouvre à lui. A l’époque, les P&T emploient 2.000 Commis sur l’ensemble du territoire. Le Commis su ministère est un gratte-papier, exécutant des tâches administratives diverses.

Le grade de Rédacteur est plus élevé puisqu’il est en charge de l’écriture des circulaires et autres textes officiels de l’administration (il suffit de consulter les énormes bulletins mensuels pour s’en rendre compte). Ces productions sont rédigées par des rédacteurs regroupés au sein d’une sous-cellule d’exécution d’une grande direction ou d’un service majeur du ministère. Un sous-chef de bureau lui-même sous l’autorité d’un chef de bureau a la charge de contrôler très rigoureusement les textes.

Selon ses états de services, Raoul Persil est nommé Rédacteur à la direction du Personnel (2ème Bureau) le 22 juin 1900 puis sous-chef de bureau le 1er novembre 1903. En fait, il est détaché pendant cette période au cabinet du ministre du Commerce, de l’Industrie et des P & T depuis le 28 juin 1899. C’est une chance dans sa carrière administrative qui s’explique par la proximité des relations qu’il entretient avec le ministre . Pendant son détachement au cabinet, il sera nommé officier d’Académie le 1er février 1900.

Au début de sa carrière, Raoul Persil habite au 6 rue F. d’Orsel à Paris 18ème, au pied de la Butte Montmartre et non loin du domicile d’. Plus tard, il s’établira au 236 Bd Saint Germain, Paris 7ème. En fin de carrière, il choisit une résidence tranquille et luxueuse 4 rue Pierre Cherest à Neuilly sur Seine, près de la porte des Ternes. Raoul Persil a laissé peu de traces écrites16. Dans sa biographie d’Alexandre Millerand (1850-1943) publiée en 194917, il rappelle son activité politique aux côtés de Millerand, sans préciser ses relations ni se confier sur sa vie privée.

3 – Raoul Persil aux côtés d’Alexandre Millerand (1899 - 1919).

Ce jeune agent sympathique noue de nombreuses relations. A Montmartre, il fréquente de nouveaux milieux : le monde du théâtre et des cabarets, les milieux artistiques ainsi que les milieux politiques, en particulier les cercles politiques socialistes. C’est une découverte pour le jeune calcicien. Aux élections législatives de 1889, il soutient les candidats socialistes du quartier Picpus - Quinze-Vingt. A celles de 1893, le candidat du secteur est Alexandre Millerand. Apparemment, le contact passe entre eux puisqu’il écrit plus tard qu’il devient alors le collaborateur et le confident (Alexandre Millerand) dont il partage la vie politique, les déceptions et les succès pendant plus de 30 ans18. Il signale également que ses liens étroits avec le futur président de la République se situent dans la période 1889-1919. Le 30 mai 1896, en assistant à la grande réunion socialiste de Saint Mandé, Raoul Persil est subjugué par le discours-programme d’Alexandre Millerand. Le tribun définit une voie sociale et nationaliste que certains socialistes ne partagent pas. Jules Guesde, Jean Jaurès et Edouard Vaillant sont résolument pacifistes. Georges Clémenceau, Aristide Briand et René Viviani partagent beaucoup d’idées de Millerand. A cette époque, les socialistes sont aux portes du pouvoir, certains ont déjà des responsabilités municipales comme maire de Marseille (Flayssières) ou de Lille (Delory) mais aucun socialiste n’a encore participé à un gouvernement. Alexandre Millerand est alors un jeune parlementaire, rapporteur du budget des PTT et s’oppose avec vigueur à la politique du gouvernement Freycinet et de son ministre Jules Roche soutenu par le lobby colonial. Le rapporteur Millerand s’oppose au ministre Ribot qui propose que les câbles Marseille-Alger et Marseille- Tunis soient fabriqués par l’usine privée de la SGE de Calais. Il propose une fabrication par l’usine de La

15 - Information de Sébastien Richez du Comité Historique de la Poste. 16 - On ne trouve pas de traces d’une scolarité au collège privé Notre Dame des Aydes de Blois (annuaire de 1887). En l’absence d’archives du lycée Augustin Thierry, le recoupement n’est pas possible. 17 - R. Persil – Alexandre Millerand (10 février 1850 - 7 avril 1943) – Biographie (192 pages) – Paris (1949). 18 - R Persil - Alexandre Millerand – Avant-propos - page 7. 48

Seyne sur Mer. Le débat du 1 juillet 1891 permet aux partisans du secteur public de s’opposer à ceux du secteur privé. En 1893, le gouvernement décide que la ligne reliant la Nouvelle – Calédonie à l’Australie soit concédée à la SFTSM (Société Française de Télégraphie sous-marine), une filiale de la Société Générale des Téléphones.

Mais le secteur concédé rencontre des difficultés : l’autre compagnie fondée et présidée par Pouyer Quertier (PQ) est au bord de la liquidation. Dans son long procès contre la société britannique Anglo-Américan Tg C° défendue par Maître Barboux de l’Académie Française, elle est défendue par Waldeck-Rousseau, un avocat réputé. La procédure se déroule de 1887 à 189419 devant le tribunal de la Seine, la Cour d’Appel et le Conseil d’Etat. Waldeck-Rousseau et Alexandre Millerand s’échangent leurs informations et l’avocat réussit à conserver le capital de la compagnie sous le pavillon tricolore.

6 - Du socialiste au ministre 5 - Le gouvernement d’Union Nationale inaugurant l’Exposition Universelle (Millerand-Waldeck-Rousseau-Galifet)

Or, en 1895, le gouvernement souhaite concéder un réseau reliant Madagascar, la Réunion, Maurice au réseau britannique. Les deux compagnies télégraphiques françaises, la PQ ou la SFTSM sont bien incapables de trouver les fonds nécessaires et le gouvernement doit s’en charger lui-même.

L’Etat décide alors de fusionner les avoirs des deux compagnies moribondes (la PQ et la SCTSM) et de former la CFCT le 1er janvier 1895. Dans la corbeille de mariage, la convention du 2 juillet 1895 l’Etat verse une confortable subvention publique. Le cahier des charges de la convention impose des objectifs précis à la CFCT : doubler la ligne transatlantique existante, relier les réseaux des Caraïbes aux liaisons transatlantiques par un câble Haïti – New York et construire un second câblier pour maitriser l’entretien de l’ensemble du réseau. La CFCT est lancée sur des bases saines. Si la CFCT héritait également du premier câble colonial posé entre l’Australie et la Nouvelle Calédonie, elle n’a pas les moyens de poser le réseau de Madagascar – La Réunion et Maurice au moment où l’armée française s’enlise dans la grande île en 1895. L’affaire Dreyfus et la crise de Fachoda font tomber les ministères et ouvrent la porte du pouvoir aux socialistes. La France n’a pas les moyens de se heurter à la Grande Bretagne sur les questions coloniales et le président Loubet cherche un rassembleur capable de constituer un gouvernement d’Union Nationale. Il s’agit de Pierre Waldeck-Rousseau, le brillant avocat de la compagnie Pouyer-Quertier, pourtant retiré de la politique.

Souhaitant former un gouvernement d’Union Nationale, le chef de gouvernement se tourne vers les socialistes. Il choisit Alexandre Millerand qui négocie sa participation avec le parti socialiste ; il obtient le soutien de Jean Jaurès mais essuie les refus de Jules Guesde et de Pierre Renaudel et sera exclus du parti.

19 - Du Morse à l’Internet – Les compagnies françaises dans la tourmente de l’Atlantique Nord (pages 52 et suivantes) 49

Qui pouvait prévoir que la carrière d’un fonctionnaire du ministère des PTT bascule le 22 juin 1899 avec l’appel du socialiste Millerand au cabinet de Waldeck-Rousseau.

7 - Le banquet des Maires est organisé en marge de l’Exposition universelle de 1900. Il permet à Waldeck-Rousseau et au président Emile Loubet de soigner leur image. Pour Millerand, l’Exposition lui permet de se rapprocher du monde du Commerce et de l’Industrie.

Millerand, ministre du cabinet Waldeck-Rousseau (22 juin 1899 – 3 juin 1902).

Millerand s’attache les services d’Aimé Lavy comme directeur de son cabinet. Il est secondé par Eugène Petit, directeur adjoint. Il désigne Maurice Violette comme son chef de cabinet particulier. Le 22 juin 1899, il détache à son cabinet le fonctionnaire Raoul Persil qu’il connait très bien comme animateur de sa campagne électorale dans sa circonscription, sans doute pour contrôler Léon Mougeot, inamovible secrétaire d’Etat aux P & T depuis 1891. Enfin, il nomme Arthur Fontaine, un polytechnicien de 40 ans à la nouvelle direction du Travail. Tous resteront fidèles du « patron »20 après la chute. Le ministère du Commerce dispose de larges compétences sur la législation douanière, la marine marchande, l’industrie, le commerce, les expositions (Exposition de 1900), l’enseignement technique, industriel et commercial. Aux P & T, qui constituent l’une des plus importantes administrations de l’Etat (68.000 employés), Millerand se voit adjoint un sous- secrétaire d’’Etat radical, Léon Mougeot, en poste depuis 1891. Il est le populaire promoteur de la boite aux lettres qu’on trouve dans toutes les communes françaises : la « mougeotte ».

Millerand impose aux directeurs du ministère une réunion hebdomadaire dans son bureau Il restructure le ministère des P. et des T en créant deux grandes directions de l’exploitation postale et de l’exploitation électrique, celle-ci étant divisée en deux sous-directions : télégraphe et téléphone. Il demande à Léon Mougeot de rédiger un rapport au président Emile Loubet sur les conditions de fonctionnement de l’administration des P. et des T. et sur les crédits nécessaires à son amélioration. Ce volumineux rapport est remis le 1 mai 1900, chiffre les investissements à 29,5 millions de francs et les frais annuels d’exploitation à 47,6 millions de francs. Raoul Persil veille à l’exécution des instructions du ministre.

Millerand constate que le réseau des câbles sous-marins coloniaux ne correspond pas aux besoins de la sécurité nationale. La CFCT est toujours à la merci de ses créanciers et un plan de sauvetage est en cours. Son projet d’acquérir une ligne d’Oran à Saint Louis du Sénégal et la société anglaise qui possède la ligne

20 - JL Rizzo (page 103 & 104) - A. Lavy (1850-1921), conseiller municipal et député de Paris. Il a toujours suivi le sillage de Millerand. Eugène Petit (1871-1938) avocat et journaliste politique, sera pendant la révolution russe le chef de la mission française à Petrograd puis en 1920 secrétaire de la Présidence de la République. Quant à l’avocat Maurice Violette (1870-1960), il devient député d’Eure et Loir en 1902 et joue un rôle politique important comme parlementaire, ministre et même Gouverneur Général de l’Algérie (1925- 1927). 50

Dakar – Recife avec un financement par des obligations d’Etat permettrait d’être indépendant des compagnies anglaises mais les députés n’accordent pas de crédits. Millerand et Waldeck-Rousseau connaissent bien le dossier, et le ministre réussit à obtenir l’accord de la chambre sur la loi du 25 juillet 1901 qui accorde des crédits permettant l’achat d’une société britannique. La délibération est placée sous le sceau du secret, il s’agit de la South American Cable Company qui possède la liaison Dakar – Fernando – Recife (Brésil). Il ne reste plus qu’à construire un réseau français en Indochine pour s’affranchir du câble Britannique en reliant la colonie au réseau danois, américain et allemand. La tâche sera accomplie en 1905.

Le ministre crée l’Association générale des travailleurs et des dames des Postes et Télécommunications le 5 novembre 1901. La loi du 1er juillet 1901 mise en place par Waldeck-Rousseau, également ministre de l’Intérieur et des Cultes et le décret du 16 août 1901 permettent de fonder une organisation professionnelle de la fonction publique sur un statut associatif. L’objet de l’association est revendicatif et elle tient sa première assemblée générale le 15 novembre devant 1500 personnes. Il s’agit du premier syndicat de fonctionnaires (non encore autorisé) puisque la loi Waldeck-Rousseau de 1884 ne s’applique pas à la fonction publique.

Le renouvellement de la chambre a lieu le 27 avril et le 11 mai 1902. R. Persil à 32 ans, il fréquente la haute société parisienne mais aussi les milieux artistiques de la Belle Epoque. Dans l’immédiat, Millerand lui confie l’organisation des opérations électorales des socialistes du quartier du 12ème. La mission n’est pas aisée. Millerand est réélu au deuxième tour avec 263 voix d’avance sur près de 20.000 électeurs21 . R. Persil, homme à tout faire, reçoit le témoignage de sympathie de Waldeck-Rousseau pour la part prise dans la campagne. Or, pendant la période électorale, le 8 mai 1902 à 07h50, l’éruption de la Montagne Pelée cause la destruction de la ville de Saint Pierre de la Martinique, la mort de ses 26.000 habitants ainsi que la destruction du réseau des câbles sous-marins de la Martinique et de deux navires-câbliers britanniques, le Grapler et le Roddam.

La compagnie télégraphique CFCT toujours aussi fragile financièrement, se montre incapable d’assurer la permanence du trafic télégraphique de la Martinique. Le gouvernement demande à Férié de déménager son matériel radio de laboratoire entre les îles de la Martinique et de la Guadeloupe pour assurer la continuité du service public. Il réussit et Millerand est l’un des premiers hommes politiques à prendre conscience que la radio peut permettre à la France de s’affranchir de la dépendance des compagnies télégraphiques britanniques.

21 - Persil (A Millerand page 44) - Pour G Persil, chargé de la campagne, les opposants dépensent plus de 200.000 francs-or à combattre Millerand en affichant jour et nuit dans le quartier. Millerand est réélu au second tour face à une coalition par une marge de 263 voix. 51

8 & 9 - On reconnait Raoul Persil à droite du barreur de proue de la barque sur laquelle

sont embarqués le Président Fallières, A Briand, A Millerand, le préfet Lépine et le maire d’Ivry, le socialiste Coutant et au premier plan l’organisateur Raoul Persil.

Rousseau souffre d’une longue et cruelle maladie et démissionne. Le président Loubet appelle Emile Combes (7 juin 1902-18 janvier 1905) qui écarte Millerand du gouvernement. Persil retourne au ministère des PTT poursuivre sa carrière administrative et conclut dans la biographie de Millerand « son étroite collaboration amorcée avec Millerand en 1889 se prolongera jusqu'en 1920 avec son élection à la présidence de la République ».

Millerand, ministre des Travaux Publics et des PTT (24 juillet 1909 au 3 novembre 1910).

Lorsqu’en juillet 1909, Aristide Briand est appelé à former son ministère, il appelle 2 socialistes indépendants (René Viviani et Alexandre Millerand) au sein du cabinet. Briand est souple, ondoyant mais brouillon, Millerand est sec, cassant et organisé, Viviani rassembleur. Millerand aurait souhaité le Quai d’Orsay mais Briand lui propose la Justice qu’il refuse par éthique. Les deux personnalités s’accordent sur les Travaux Publics à condition d’ajouter les PTT aux attributions du ministre. Celui-ci offre la direction du cabinet à René Waldeck-Rousseau, neveu de l’ancien président, conseillé d’appel à la Cour de Paris. Raoul Persil est nommé au cabinet le 25 juillet 1909, et sera promus à sa direction en janvier 1910.

Alexandre Millerand accomplit une tâche considérable aux travaux Publics, les Chemins de fer, la Marine Marchande, les Ports et les P&T. Il fait face :  Aux inondations de 1910 à Paris.  Au régime des Concessions de l’Etat au Secteur Privé.  A l’affaire de la Liquidation des Biens des Congrégations.  A la grande grève des chemins de fer d’octobre 1910.

Après son détachement, Raoul Persil démissionne de son grade de sous-chef de Bureau des P&T appointé 5.500 francs pour occuper l’emploi de percepteur à Boulogne Billancourt avec effet du 19 septembre 1909. Il intègre donc un emploi de comptable au ministère des Finances qui lui permet de bénéficier d’une prime confortable en plus de ses émoluments. R. Persil démontre toute son efficacité à la direction du cabinet du ministre après la démission de René Waldeck-Rousseau. Le 15 juillet, Millerand offre à Persil la Légion d’Honneur qui lui sera remise le 2 décembre 1910 après le remaniement du gouvernement lorsque Briand se sépare de Viviani et de Millerand (3 novembre 1910). Millerand soutient également des projets sociaux personnels comme la procédure d’arbitrage dans les conflits sociaux dans les chemins de fer. Il défend la proportionnelle aux élections législatives. Raoul Persil fonde la revue « Le Parlement et l’opinion »22 en 1910 qui offre une large place à son patron, député de la Seine. Le cabinet Briand tombe le 2 mars 1911, remplacé par Ernest Monis puis par Joseph Caillaux (27 juin 1911 au 14 janvier 1912). Enfin, Armand Fallières appelle Raymond Poincaré pour former un gouvernement où

22 - JL Rizzo – A.M. page 179. 52

l’on retrouve Aristide Briand et Alexandre Millerand, sans Viviani. Ce gouvernement est chargé de préparer la guerre qui s’annonce.

Millerand, ministre de la Guerre du cabinet Poincaré 1 (15 janvier 1912 – 12 janvier 1913).

Lorsque Raymond Poincaré appelle Millerand au ministère de la Guerre, les deux hommes se connaissent bien. Ils ont effectué leurs études de droit puis leur formation d’avocat ensemble et Poincaré est sorti le major de sa promotion. En nommant Millerand à la Guerre le 15 janvier 191223, Poincaré choisit un patriote convaincu. Millerand comme à son habitude se met immédiatement au travail et forme deux cabinets :  Le général Bourderiat (qui dirigeait l’école de Saumur), est nommé chef du cabinet militaire, assisté du lieutenant-colonel Gramat (infanterie) et du lieutenant-colonel Buat (artillerie). Ce dernier s’entend parfaitement avec le ministre et deviendra chef d’Etat-Major en 1920.  Le fidèle Persil est directeur du cabinet civil24 qui supervise les aspects politiques du cabinet avec deux collaborateurs. Il « protège son ministre des importuns ».

Le ministre de la Guerre dispose d’un secrétariat général créé par la loi des finances du 16 décembre 1911. Millerand confie sa direction à un Conseiller d’Etat, Emmanuel Rousseau. Comme toujours, Millerand met en place un conseil des directeurs tous les lundis. Il simplifie le commandement de l’Armée en fusionnant les deux fonctions de Major Général et de Chef de l’Etat-major de l’Armée. Il confirme Joffre comme chef des Armées et propose au Conseil des Ministres de nommer Lyautey gouverneur général du Maroc. Il s’attache également à mieux préparer la gestion des troupes coloniales en créant une direction des troupes coloniales, ce que salue Clauzel, Gouverneur Général de l’AOF. Enfin, il fait voter la loi des 3 ans de service militaire. En quelques mois, il prépare la guerre qui s’annonce avec l’Allemagne. Fragilisé par l’affaire du Paty de Clam, il démissionne le 12 janvier 1913 pour permettre à Poincaré d’être élu à la présidence de la République…

Dix-huit mois séparent la chute de ce ministère de la déclaration de la guerre et Millerand reprend sa robe d’avocat et sa fonction de parlementaire. Il assiste à la chute de plusieurs gouvernements avant que son ami Viviani ne soit appelé par le président Poincaré le 13 juin 1914. Il apprécie la politique menée par Delcassé qui se repose entièrement sur la Grande Bretagne pour mener le combat sur mer et dans les colonies et assurer la permanence et la sécurité de ses communications. Il est moins satisfait de l’action d’Aristide Briand dans ses relations avec l’Allemagne.

10 et 11 - En 1912, Millerand prépare la guerre avec l’Allemagne en confiant les Armées à Joffre et en nommant Lyautey gouverneur au Maroc.

Le départ de Messiny, démissionnaire, permet un remaniement le 26 août au moment de l’invasion allemande en Belgique et en France. René Viviani forme un gouvernement d’Union Nationale, maintient Delcassé aux Affaires étrangères et appelle Millerand à la Guerre et Briand à la Justice. Millerand25 désigné le 26 août 191426 forme deux cabinets : un cabinet militaire confié au lieutenant colonel Buat qu’il avait déjà

23 - JL Rizzo – A.M. page 214. 24 - A Persil – A.M. page 74 25 - JL Rizzo – A.M. page 238

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nommé en 191227 et un cabinet civil confié à Raoul Persil. Une dizaine de militaires constituent le cabinet. D’autres proches de Millerand sont nommés dans son cabinet particulier dont Eugène Petit et Jacques Bompard. Le premier geste de Millerand est d’exprimer sa confiance à Joffre. Les deux hommes s’apprécient et se rencontrent le 28 août avant la bataille de la Marne. Persil note que le ministre rentre confiant et mobilise ses directeurs pour prendre des décisions rapides. Le commandement militaire de Paris est confié au général Gallieni.

Les armées françaises reculent devant les armées allemandes et entament une retraite sur la Marne (27 août – 2 septembre). Le 2 septembre 1914 le gouvernement français quitte Paris pour s'installer à Bordeaux à la demande de Joffre et de Gallieni. Les qualités de Millerand sont connues (énergie, autorité et grosse capacité de travail) et font merveille d’autant qu’il prépare le déménagement du ministère à Bordeaux. Le ministère s’installe dans la caserne du 18ème CA à Bordeaux dans « un minimum de pagaille » selon Persil. Peu à peu, le ministère de la Guerre devient le point sensible du gouvernement. Toutes les sollicitations convergent vers le ministère : les interventions des parlementaires, les exigences de la presse, les tensions et les ambitions gouvernementales. Millerand couvre Joffre et se fait discret pour travailler en silence. Il multiplie les déplacements sur le front et chez les industriels. Après la Marne, l’Armée souffre d’une crise d’armement (canons, fusils, obus et munitions manquent).

Les cabinets de Persil et de Buat « gèrent » les demandes de Poincaré, des ministres et des parlementaires. Cela concerne aussi bien le déplacement des œuvres du musée de Saint-Quentin pendant la bataille de Guise, que le changement de chauffeur de Jules Guesde, ministre socialiste sans portefeuille. Le 23 octobre, Persil note28 que le capitaine Bazaine (en Espagne) veut reprendre du service et sollicite Poincaré, Delcassé puis Persil. Non dit simplement Millerand. Le lendemain, Joseph Caillaux veut partir le soir même prendre ses fonctions de lieutenant colonel (payeur aux Armées) à l’armée de Brugère et interpelle tous les ministres (Malvy, Ribot) y compris Viviani. Millerand calme tout le monde, etc.…Le cabinet gère, se contentant de rendre compte au ministre qui approuve. Joffre et Millerand reste sereins. Certains députés encouragent Persil tel Albert de Mun qui passe l’après-midi à discuter avec Persil dans son bureau pour respirer l’atmosphère et l’encourager..

12 - Le gouvernement Viviani 2.

26- Le front Russe s’effondre à Tannenberg (26 au 29 août 1914). Les forces allemandes pénètrent en France. Le communiqué allemand du 27 août est éloquent : « Les armées allemandes sont entrées en France, de Cambrai aux Vosges après une série de combats continuellement victorieux. L'ennemi, en pleine retraite, n'est plus capable d'offrir une résistance sérieuse. » 27 - Le LC Buat polytechnicien, professeur à l’école de guerre est nommé colonel en 1915. Dans ses mémoires, il exprime une haute opinion de son ministre contrairement à Poincaré et de Viviani. 28 - A Persil – A.M. page 84 54

En octobre 1914, Millerand reçoit les généraux relevés de fonction par Joffre avant leur départ pour Limoges ou ailleurs. Le gouvernement revient à Paris le 8 décembre et la routine de la guerre s’installe après la bataille des frontières. Persil s’attache à parer les coups fourrés des ministres Briand, Malvy et Ribot. Aristide Briand (à la Justice) complote auprès de Poincaré pour remplacer Viviani et pour nommer Gallieni à la place de Millerand ou de Joffre. Lorsque Millerand se déplace sur le front, Briand est chargé de l’intérim. R Persil essaie de protéger son patron au mieux. Poincaré et Viviani protègent également leur ministre en nommant un nouveau sous-secrétaire d’Etat après chaque crise. Millerand voit arriver successivement des secrétaires d’Etat :  Chargé de l'Artillerie et de l'équipement militaire : Albert Thomas le 18 mai 1915 (SFIO).  Chargé du Ravitaillement et de l'intendance militaire : Joseph Thierry le 1er juillet 1915 (FR).  Chargé du Service de Santé militaire : Justin Godard le 1er Juillet 1915 (PRS).  Chargé de l'Aéronautique militaire : René Besnard le 14 septembre 1915 (PRS). En s’enlisant dans la guerre, l’opinion publique réclame l’offensive. Or, Millerand et Joffre constatent que la guerre des tranchées défavorise l’attaquant et épuisent les forces alliées.

Théophile Delcassé remet sa démission le 15 octobre 1915 lorsque la Bulgarie entre dans la guerre aux côtés de l’Allemagne. Millerand démissionne le 29 octobre entraînant la chute du gouvernement Viviani. Ils auront eu le temps de négocier avec leurs homologues britanniques le détournement des ex-câbles allemands pour doubler le câble Brest – Dakar par des liaisons Brest – Casablanca et Casablanca – Dakar. Cette opération est décidée contre l’avis de Thomson et des services des PTT.

Aristide Briand succède à Viviani le jour même (29 octobre 1915 - 12 décembre 1916 puis au 17 mars 1917). Il conserve les Affaires Etrangères et « use » 4 ministres de la Guerre : 3 généraux (Gallieni, Roques, Lyautey) et 1 amiral (Lacaze). C’est l’époque des batailles de la Somme, de Verdun et des offensives de Fayolle. Après deux courts gouvernements Ribot et Painlevé qui conservent le portefeuille de la Guerre, Georges Clémenceau est chargé par Poincaré du gouvernement de la victoire (16 novembre 1917-18 janvier 1920). Clemenceau conserve le portefeuille de la Guerre et gère le ministère avec la même rigueur que Millerand vis-à-vis de la presse et du parlement sur le style : « Rien dire, rien voir et rien entendre ! L’ennemi nous écoute » ou « Je fais la guerre, moi ».

Le député Millerand et son assistant parlementaire Persil soutiennent tous les gouvernements dans leur effort de guerre, en particulier Clémenceau. En homme de dialogue et d’influence, Persil se tient souvent dans la salle des Colonnes du Palais Bourbon. L’audience de Millerand est en hausse et Clémenceau pense à lui pour réintégrer les provinces d’Alsace et de la Lorraine dans le giron de la République. Le décret du 21 mars 1919 nomme Millerand Haut - Commissaire d’Alsace-Lorraine de la République. Millerand saura adapter les lois-phares de la République comme les lois scolaires et la loi de séparation des églises et de l’Etat beaucoup mieux que le fonctionnaire Maringer. Il s’installe à Strasbourg et fait de nombreux déplacements à Metz pour montrer que la Lorraine n’est pas négligée.

Lorsque Clémenceau se retire de la politique après l’élection de Paul Deschanel (17 janvier 1920), Poincaré fait appel à Millerand pour former le dernier gouvernement de la mandature (20 janvier au 18 février 1920). Il est reconduit par Paul Deschanel (18 février au 23 septembre 1920). Vaincu par la maladie, Deschanel démissionne après une chute de train près de Migennes en mai 1920, laissant le champ libre à Millerand qui est élu président le 23 septembre 1920 obtenant 695 suffrages sur 892 voix. Raoul Persil, alors député est à ses côtés le jour de son triomphe à Versailles.

4 – Raoul Persil et le retour au pays à Paris (1918-1919)

Raoul Persil est naturellement sollicité par Alexandre Millerand pour l’accompagner à Strasbourg. Il décline pour des raisons familiales mais il reste en liaison quotidienne avec le Haut - Commissaire29 et le tient au courant de la vie politique parisienne. Lorsque des journalistes souhaitent rencontrer Millerand, celui-ci n’en voit jamais l’intérêt et s’en remet à son assistant. Raoul Persil établit le carnet des rendez-vous du Haut- Commissaire en fin de semaine à Paris. Il est également sur le point de devenir le maire de son village natal, cédant aux sollicitations de ses nombreux amis de Chouzy sur Cisse qui cherchent un remplaçant à Jean- Baptiste Gillard décédé en octobre 1918.

Les élections législatives sont fixées au 16 novembre 1919. Raoul Persil active les séances du Comité républicain socialiste de la première section du 12ème dont Millerand est l’élu depuis 30 ans. Il représente Millerand en son absence et constitue la liste sur les instructions du gouverneur de Strasbourg. Alors que Mandel souhaitait une liste d’Union Républicaine Nationale, Millerand lui propose une liste d’Union Républicaine Sociale et Nationale et exige 3 noms : Maurice Barrès le syndicaliste, le syndicaliste Jean Allemane (qui est remplacé par Hippenheimer) et Millerand. C’est Persil qui doit trouver les autres noms :

29 - R Persil – A.M. page 115 55

Puech, Petitjean, Marcel Brossé (RS), l’amiral Bienaimé, Faillot, Galli (nationalistes) et Igance (ancien combattant, clémanciste). Les radicaux acceptent une liste commune dans ce secteur. Cette liste Millerand obtiendra finalement 9 élus sur 12, les trois autres élus d’opposition étant Léon Blum, Paul-Boncour 30 et le frère de Jaurès.

A partir de 1920, Millerand et Persil suivent leur propre chemin, l’un est président de la République et l’autre est député du Loir et Cher à la faveur des élections partielles de 1920. Jusqu’en 1924 ils sont au sommet de leur carrière et chutent simultanément. Millerand, mal inspiré, démissionne en 1924 alors qu’il n’y était pas obligé et Persil rate de peu son second mandat de député du Loir et Cher sous la pression d’un Préfet hostile. Tout se passe comme si leur complémentarité et leur complicité avait manqué pour poursuivre leur carrière politique.

Après 1924, Millerand sera élu et réélu sénateur jusqu’à 1939 et Persil restera maire de sa commune de naissance puis conseiller municipal jusqu’en 1945 mais aucun ne reviendra au sommet.

G Fouchard Mai 2020

Bibliographie Lesage Charles – Les câbles sous-marins allemands – Plon (1915). Raoul Persil – Alexandre Millerand (10 février 1850 - 7 avril 1943) – Editions SEFI Paris – (1949). Jean-Louis Rizzo – Alexandre Millerand – Socialiste discuté, ministre contesté et président déchu (1859- 1943 – Editions L’Harmattan - Paris -2013 Edouard Bigot – Les Parlementaires du Loir et Cher depuis 1789 – Editions Labarrière – Imprimé le 31 mars 1982 par Tardy Quercy SA.

Sources Base Léonore sur les décorés de la Légion d’Honneur. Archives nationales de Pierrefitte-sur-Seine Archives départementales du Loir et Cher (AD41) Archives communales de Chouzy sur Cisse Bibliothèque de l’Abbé Grégoire de Blois.

Illustrations

1 – Le café de l’Eglise de Chouzy sur Cisse Carte Postale 2 – Biographie d’Alexandre Millerand (1859-1843) Coll Particulière 3 – Etat des services de Raoul Persil dans les PTT Archives Nationales 4 – Copie de l’état des services de R Persil (Légion d’Honneur) Base Léonore 5 – Le gouvernement Waldeck-Rousseau d’Union Nationale L’Illustration 6 – Le socialiste A. Millerand inaugurant l’exposition universelle L’Illustration 7 – Le banquet des Maires de l’Exposition de 1900 L’Illustration 8 – Carte des inondations de Paris en 1910 Carte Postale 9 – Inspection des inondations de Paris par les autorités Carte Postale 10 – Joseph Joffre (1852-1931) Wikipédia 11 – Hubert Lyautey (1854-1934) Wikipédia 12 – Le ministère de Guerre Viviani (2) Wikipédia

30 - Paul-Boncour, avocat s’annonce comme l’un des meilleurs tribuns de la Chambre pendant l’entre-deux guerres. Le maire de Saint Aignan (Loir et Cher), inamovible député et sénateur radical du Loir et Cher deviendra ministre et premier ministre ruinant la carrière politique future de Raoul Persil ignoré dans le Loir et Cher. 56