Lire La Version Complète De L'histoire Des Éditions Stock
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NORD COMPO — 03.20.41.40.01 — 130 x 185 — 18-12-07 18:57:42 125436CIA - Hachette Stock - La Ronde - Page 147 — Z25436$$$1 — Rev 18.02 Si Pierre-Victor Stock a donné son nom à la maison d’édition à la fin du XIXe siècle, l’histoire a commencé un siècle et demi plus tôt, le 8 mai 1708, lorsque André Cailleau fut reçu libraire. De successions en rachats de fonds, de la librairie du quartier Saint-Jacques jusqu’aux éditions Stock, rue de Fleurus, le fil ne s’est jamais cassé durant trois cents ans. Cette trace, ininterrompue, s’est poursuivie à travers des hommes et des femmes, libraires, éditeurs, traducteurs, mais surtout à travers des livres et des auteurs : la doyenne des maisons d’édition françaises est riche d’un prestigieux catalogue dans les domaines français et étranger. Les trois cents ans de Stock offrent l’occasion de renouer avec son passé, sans nostalgie. Que savons-nous, nous qui travaillons dans cette mai- son, de son histoire, de sa mémoire, de la vie de ceux et celles qui l’ont baˆtie puis consolidée ? Que savons-nous de l’édition au XVIIIe siècle, alors que les supports se déma- térialisent, que l’impression numérique s’impose ? Cette histoire, c’est dans les archives, les livres de souvenirs, les bibliothèques, que nous l’avons cherchée. Exhumant les archives nous avons retrouvé des photos en noir et blanc, des visages aujourd’hui oubliés, des lettres manuscrites, 147 NORD COMPO — 03.20.41.40.01 — 130 x 185 — 18-12-07 18:57:42 125436CIA - Hachette Stock - La Ronde - Page 148 — Z25436$$$1 — Rev 18.02 des contrats signés de Thomas Mann ou de Jean Cocteau. Mais, de successions en déménagements, d’incendie en inondation, ne demeurent que des traces éparses, des frag- ments que nous avons tenté de rassembler ici en un court historique, que nous espérons le plus exact possible. Nous laissons à des chercheurs passionnés le soin d’écrire une autre histoire des éditions Stock. Si les hommes et les femmes ont changé, si les contextes historiques se sont transformés, il nous semble que la même passion demeure, le même goût pour les mots, la transmission des savoirs, la connaissance des cultures. La volonté de défendre la qualité des textes et la liberté des auteurs. De faire entendre la voix du monde et des mondes intérieurs. Cette histoire est celle des livres et des écrivains, de la librairie et de l’imprimerie, de l’édition à Paris, cette his- toire est la nôtre autant que celle de nos lecteurs. NORD COMPO — 03.20.41.40.01 — 130 x 185 — 18-12-07 18:57:42 125436CIA - Hachette Stock - La Ronde - Page 149 — Z25436$$$1 — Rev 18.02 André Cailleau, à l’aube du siècle des Lumières L’histoire des éditions Stock débute à l’aube du siècle des Lumières, le 8 mai 1708, lorsque André Cailleau est reçu libraire à Paris 1. De cette année 1708, Saint-Simon, observant la cour, écrit que, si elle « commença par les graˆces, les fêtes et les plaisirs, on ne verra que trop tôt qu’elle ne continua pas longtemps de même 2 ». Le très long règne de Louis XIV s’achève sans gloire. Le « malheur des armes » frappe alors le royaume de France qui glisse funestement au bord de l’abîme 3. Le pays est engagé dans la guerre de Succession d’Espagne ouverte depuis 1701 et, au cours de l’année 1. Augustin-Martin Lottin, Catalogue chronologique des libraires et des libraires imprimeurs de Paris, depuis l’an 1470 jusqu’à présent, Paris, J.-R. Lottin, 1789. Pour l’identification de la plupart des imprimeurs de l’Ancien Régime et du début du XIXe siècle cités par la suite, cf. Jean-Domi- nique Mellot et E´ lisabeth Queval, Répertoire d’imprimeurs/libraires (vers 1500-vers 1810), Paris, Bibliothèque nationale de France, 2004, ainsi que la base de données BN-Opale Plus de la BnF. 2. Louis de Rouvroy, duc de Saint-Simon, Mémoires, tome VI, chapitre VIII, sur http : //rouvroy.medusis.com. 3. Pierre Goubert, Louis XIV et Vingt Millions de Français, Paris, Fayard, 1966 Paris, Hachette Littératures, « Pluriel », 2005, p. 298. 149 NORD COMPO — 03.20.41.40.01 — 130 x 185 — 18-12-07 18:57:42 125436CIA - Hachette Stock - La Ronde - Page 150 — Z25436$$$1 — Rev 18.02 1708, les armées françaises, à bout de forces, sont repous- sées de toutes parts. « Le royaume entièrement épuisé, les troupes point payées, et rebutées d’être toujours mal conduites [...] ; les finances sans ressource, [...] la France ressemble à une arche chancelante et prête à tomber 1.» En janvier 1709 le froid qui s’abat menace de la mettre définitivement à terre : le pays connaît un « grand hyver » si terrible qu’on dit que l’eau et même le vin se figent dans les verres avant que d’être bus, que tous les arbres frui- tiers, noyers, oliviers et vignes, périssent. A` Paris, la Seine se transforme en serpent de glace, et, comme ses conci- toyens, André Cailleau, qui vit au cœur de la ville, sur la rive gauche du fleuve, du côté de la rue Saint-Jacques, souffre du ravitaillement rendu impossible pendant trois mois, puis de la débaˆcle de la Seine qui inonde les quais. Le dégel du grand hiver, qui s’accompagne de famines et d’épidémies, laisse vingt-quatre mille morts dans la capi- tale et plus d’un million dans le royaume. On meurt dans les villes et les villages, dans les jardins et sur les chemins, à même les pavés. En août, une émeute de la faim est vio- lemment réprimée à Paris. Dans cette France affaiblie, menacée sur ses frontières, mais point encore révoltée, le commerce se porte mal, et assurément celui des livres. En 1686 Colbert a limité à trente-six le nombre d’imprimeries à Paris, et la produc- tion éditoriale est ralentie. Autour de 1700 le climat litté- raire est morose, même si restent en mémoire les éclats de la querelle des Anciens et des Modernes qui a enflammé la littérature à la fin du siècle précédent, jetant dans la bataille Bossuet, Racine, Boileau ou La Fontaine contre 1. Louis de Rouvroy, duc de Saint-Simon, Mémoires, tome VII, chapitre VII, op. cit. 150 NORD COMPO — 03.20.41.40.01 — 130 x 185 — 18-12-07 18:57:42 125436CIA - Hachette Stock - La Ronde - Page 151 — Z25436$$$1 — Rev 18.02 Perrault ou Fontenelle. Avec la mort de Boileau en 1711, puis les disparitions de Fénelon et Malebranche en 1715, s’achèvera la littérature française du XVIIe siècle, baroque et classique, et sonnera celle du XVIIIe, préfigurée par Fon- tenelle et Bayle : bientôt les lumières perceront les ténèbres. En 1708 Montesquieu a près de vingt ans, le jeune Voltaire étudie à Louis-le-Grand ; Rousseau et Diderot naîtront dans les cinq ans à venir. En 1715, lors- que Louis XIV meurt, l’avènement de Louis XV annonce un XVIIIe siècle éclairé ou` vont triompher le rationalisme philosophique et le progrès des sciences, une critique de l’ordre social et de l’ordre religieux. De 1715 à sa mort en 1751, André Cailleau est l’acteur et le spectateur d’un « premier » siècle des Lumières phi- losophe : Les Lettres persanes, Zadig, L’Esprit des lois, bientôt le Discours sur l’origine de l’inégalité. Si la fabrica- tion des livres n’évolue guère sous l’« Ancien Régime typographique », le libraire constitue une figure majeure de la vie littéraire et un diffuseur des idées nouvelles, dans un Paris devenu capitale culturelle et intellectuelle de l’Europe. A` l’heure ou` Cailleau ouvre sa boutique, dans les pre- mières lueurs du XVIIIe siècle, Paris présente déjà un nou- veau visage. Même si durant le règne de Louis XIV, la Cour, et toute la vie politique, était localisée à Versailles, la ville s’est largement développée, intégrant les faubourgs Saint-Antoine, du Temple, Montmartre, Saint-Marcel et Saint-Jacques, et les quartiers du Luxembourg et de Saint- Germain-des-Prés. Dans un souci d’ordre et de clarté, selon l’esprit classique, on y a construit des places et des monuments, nettoyé les rues et créé une surveillance de police. 151 NORD COMPO — 03.20.41.40.01 — 130 x 185 — 18-12-07 18:57:42 125436CIA - Hachette Stock - La Ronde - Page 152 — Z25436$$$1 — Rev 18.02 Cependant il faut imaginer une ville pleine de bruits et de fureur, jusque dans ses ruelles, ou` surgissent et se mêlent vie, misère et mort. Les visiteurs étrangers relatent dans leurs récits de voyage la brutalité de cette capitale 1 : les va-et-vient incessants de la foule, les dangers de la cir- culation, les activités menaçantes des détrousseurs, le bruit assourdissant des vendeurs criant ou jurant, des charrettes et des fers des chevaux fracassant les pavés, la saleté malo- dorante des rues empuanties d’une boue si crasse qu’elle oblige les femmes à relever leur robe. La Seine elle-même est une rue, sale et agitée. Couverte de bateaux, de grèves et de ports, elle assure le ravitaillement de toute la popula- tion. On voit des lavandières et des pêcheurs à la ligne sur ses berges boueuses, et des joutes de bateleurs. Il faut imaginer des rues sans nom, éclairées aux chan- delles, et des enseignes coiffant les façades : bottes géantes, cafetières immenses, images de saints. Dans la rue Saint- Jacques, les enseignes des libraires et des imprimeurs se nomment A` la Bible d’or, A` la Lanterne, Au Compas, A` la Longue Allée ou Au Pélican.