CENTRE FRANÇAIS SUR LA POPULATION ET LE DÉVELOPPEMENT Groupement d'intérêt scientifique EHESS-INED-INSEE-IRD-PARIS VI

CONTEXTE ECONOMIQUE ET SOCIO-POLITIQUE DE LA SANTE PUBLIQUE AU : DE 1900 A 1992

Albert-Enéas GAKUSI Michel GARENNE

2 LES DOSSIERS DU CEPED N° 69 PARIS, JANVIER 2002 GAKUSI A.E. et GARENNE M. Contexte économique et socio-politique de la santé publique au Rwanda : de 1900 à 1992. – Paris, Centre français sur la population et le développement, 2002, 83 p ; 24 cm. (Les Dossiers du CEPED, n° 69).

Directeur de la publication : Alain LERY Responsable de la collection : Marc-Antoine PEROUSE DE MONTCLOS Comité de rédaction : Patrick GUBRY Agnès GUILLAUME Marc-Antoine PEROUSE DE MONTCLOS Olivia SAMUEL Appui technique : Séverine Fanon Albert-Enéas GAKUSI Valérie MARY Diffusion : CEPED [email protected]

Les opinions exprimées dans cet article sont celles des auteurs et ne représentent pas nécessairement l'opinion de leur organisme d'appartenance, ni celle du CEPED.

© CEPED 2002 ISBN 2-87762-141-3 ; ISSN 0993-6165 Édité avec le soutien du ministère des Affaires étrangères (DGCID) Remerciements

La réalisation de cette étude a bénéficié du soutien du directeur du CEPED, Monsieur Alain Lery, pour les entretiens avec des personnes ayant une connaissance profonde des faits qui ont marqué l’histoire politique, économique et sociale du Rwanda. Tout en étant seuls responsables de l’interprétation des informations, nous tenons à remercier les personnes suivantes pour leurs renseignements et commentaires :

Marcel Colson : inspecteur de l’enseignement secondaire au Rwanda de 1967 à 1974.

André Guichaoua : professeur de sociologie à Lille et auteur de nombreux articles et livres sur le Rwanda et le Burundi. Il anime le réseau documentaire international sur la région des Grands Lacs.

Bernard Heyllen : frère de la Congrégation des Frères de la Charité de Gand, responsable de la section scientifique du Groupe Scolaire de Butare à partir de 1961, avant de devenir directeur de cet établissement de 1972 à 1994.

Françoise Imbs : professeur de géographie à l’université de Paris VII. Elle a écrit des articles de géographie du Rwanda et enseigné cette matière à l’Université Nationale du Rwanda.

Justin Kalibwami : historien et sociologue, ancien directeur de la revue Kinyamateka et auteur d’articles et de livres d’histoire politique et sociale du Rwanda.

René Lemarchand : professeur de Sciences politiques et auteur de livres et de nombreux articles sur le Rwanda et le Burundi.

John May : spécialiste sénior en population à la Banque mondiale et auteur d’articles et d’une thèse de doctorat sur les politiques de population au Rwanda.

Augustin Mbandahe : abbé et auteur d’un important mémoire sur l’action de l’Église catholique dans le domaine de la santé au Rwanda.

François-Xavier Munyarugerero : auteur d’une thèse de sociologie politique du Rwanda, ancien directeur de la direction de la culture et journaliste à Jeune Afrique.

Sosthène Munyemana : gynécologue et ancien professeur à la faculté de médecine de l’Université Nationale du Rwanda.

Ildefonse Nayigizente : auteur de deux thèses de doctorat et d’un livre sur l’évolution de l'éducation au Rwanda. Il a été député au parlement rwandais de 1989 à 1993.

Augustin Ngayabateranya : auteur d’une thèse de doctorat d’histoire sur le Rwanda et ancien professeur à l’Université Nationale du Rwanda.

Fidèle Nkundabagenzi : politologue, auteur d’articles et d’ouvrages de référence sur la situation politique du Rwanda autour des années 60. Il a été haut fonctionnaire au

3 Rwanda et ambassadeur du Rwanda auprès des Nations Unies, à Washington et à Ottawa avant de devenir professeur à l’Université Nationale du Rwanda et ministre de l’information.

Dismas Nsengiyaremye : docteur vétérinaire et spécialiste du développement rural, ancien secrétaire général du ministère de l’agriculture et ancien Premier ministre du Rwanda de 1992 à 1993.

Sébastien Ntahobari : ancien colonel de l’armée rwandaise, décédé subitement dans la nuit du 9 mai 1999.

Baudouin Paternostre de La Mairieu : conseiller auprès des affaires étrangères des gouvernements de Kayibanda et, jusqu'en 1977, de Habyarimana. Auteur de livres sur l’évolution économique et sociale du Rwanda et de la biographie du Président Kayibanda.

Gustave Questiaux : gynécologue de renom à . Il est arrivé au Rwanda en 1961 et il en est reparti en 1994.

Filip Reynjtens : professeur de droit à l’université d’Anvers. Il est auteur de nombreux articles et livres sur le pouvoir, le droit et la société au Rwanda. Il est responsable du Centre de recherche sur l’Afrique des Grands Lacs.

Frank Vanderick : anatomopathologiste arrivé au Rwanda en 1937 pour repartir en 1981. Il a travaillé à Kabgayi, puis à la direction du ministère de la santé à Kigali avant de devenir Doyen de la faculté de médecine à sa création en 1963 jusqu'en 1981. Il est auteur d’un livre - non encore traduit du néerlandais - sur le Rwanda.

4 SOMMAIRE

SOMMAIRE ...... 5 RWANDA : CARTE ET QUELQUES ÉVÉNEMENTS HISTORIQUES...... 6 RÉSUMÉ ...... 7 SUMMARY...... 9 INTRODUCTION ...... 11 I. LA SITUATION DE LA MORTALITÉ AVANT 1960 ...... 14 1. L'ACTION DES MISSIONNAIRES...... 15 a) Importance de l’action des missionnaires dans le domaine socio-sanitaire...... 16 b) L’évolution de l’accès aux soins ...... 16 2. L’INFLUENCE DE LA HIÉRARCHIE COUTUMIÈRE ...... 20 3. L'ACTION DE L'AUTORITÉ COLONIALE...... 21 a) Dans le domaine agricole ...... 22 b) Dans le domaine de l’enseignement...... 23 c) Dans le domaine de la santé ...... 24 4. LES LIMITES DE L’ACTION DES MISSIONNAIRES ET DE L’AUTORITÉ COLONIALE ...... 26 II. LA PÉRIODE DE 1962 À 1977...... 27 1. LE PROBLÈME DES INÉGALITÉS...... 27 2. LES EFFETS DE LA COLONISATION SUR LES INÉGALITÉS ...... 28 a) L’inégalité socio-politique...... 29 b) L’inégalité d’accès à l’enseignement ...... 32 3. LES EFFETS DE LA RÉVOLUTION RWANDAISE...... 33 a) Les effets sur le système de santé...... 35 b) Les effets sur l'économie...... 37 c) La question de l'insécurité ...... 37 4. L'INDÉPENDANCE ET LA GESTION DE L’ÉTAT...... 39 a) Le problème des infrastructures et du capital humain...... 42 b) Besoins de financement et aide internationale ...... 44 c) La gestion de l’État...... 42 5. L’ÉVOLUTION POLITIQUE ...... 46 III. LA PÉRIODE DE 1977 À 1992 ...... 48 1. L’AVÈNEMENT DE LA DEUXIÈME RÉPUBLIQUE...... 48 a) La stabilité politique...... 48 b) Les ressources politiques...... 51 2. L'ÉVOLUTION ÉCONOMIQUE ET SOCIO-SANITAIRE ...... 52 a) Évolution économique...... 52 b) Évolution socio-sanitaire...... 59 CONCLUSION...... 63 LISTE DES TABLEAUX ET FIGURES ...... 71 RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES ...... 67 ANNEXES STATISTIQUES ...... 72

5 Rwanda : carte et quelques événements historiques

1884 partage de l'Afrique en zones d'influence, le Rwanda est attribué à l'Allemagne 1887 début des accords de Berlin 1894 arrivée des premières troupes allemandes 1900 arrivée des Pères Blancs du Cardinal Lavigerie 1916 les troupes belges chassent les troupes allemandes et occupent le Rwanda et le Burundi (Ruanda-Urundi) 1921 la Société des Nations Unies (SDN) confie à la Belgique le « mandat » sur le « Ruanda-Urundi » 1931 le 12 novembre : destitution du roi Musinga resté réfractaire et foncièrement hostile à « toute idée d’évolution dans le sens des principes de l’Occident ». Il est remplacé (le 16 novembre) par son fils Mutara Rudahigwa plus ouvert à la modernité 1931 introduction de la carte d’identité mentionnant l’ethnie. Cette carte servit à mettre en évidence la situation défavorisée des et des Twa, mais plus tard, elle permit aux milices d’indentifier leurs victimes lorsque se produisit l'attentat contre l'avion qui transportait le Président Habyarimana, le 6 avril 1994 1945 transformation par l’Organisation des Nations Unies du « mandat » en « Tutelle » 1957 24 mars : publication du manifeste des Bahutu réclamant un accès équitable au pouvoir, aux ressources économiques, et à l’enseignement 1959 septembre : création de partis politiques 1960 28 janvier : proclamation de la république par l’opposition hutu et constitution d’une Assemblée législative 1962 1er juillet : proclamation de l’indépendance 1963 massacres et exil de plusieurs milliers de Tutsi à la suite d’une attaque de réfugiés tutsi arrêtée aux portes de Kigali. 1973 février : conflits ethniques et, à nouveau, exil de Tutsi 1973 5 juillet : coup d’Etat militaire par le Général Major Juvénal Habyarimana et avénement de la deuxième république. 1975 5 juillet : fondation du Mouvement Révolutionnaire National pour le Développement par Habyarimana 1980 tentative de coup d’Etat 1990 création de la première association de défense des droits de l’homme (ARDHO) 1990 octobre : attaque du Front Patriotique Rwandais (FPR) composé en très grande majorité de descendants de réfugiés tutsi. 1994 6 avril : attentat contre l’avion du Président Habyarimana, mort de l’équipage y compris les présidents rwandais et burundais début des massacres des opposants politiques et du génocide des Tutsi 1994 juillet : victoire du FPR sur les forces armées rwandaises et exode de la population vers l’est du Zaïre ; formation du gouvernement dominé par le FPR, début d’une grande insécurité et instabilité dans la région des pays des Grands Lacs.

6 Résumé

Le contexte économique et socio-politique du Rwanda est analysé en détail, afin d’y mettre en perspective les évolutions sociales et sanitaires au cours d’une grande partie du XXe siècle. En effet, dans ce pays, les changements politiques semblent avoir joué un rôle important dans l’évolution des investissements publics, notamment en matière de santé publique.

Au cours de la période coloniale, ce sont principalement les missions - avec l’appui de l’autorité coloniale - qui ont pris en charge la santé et l’instruction des enfants. On trouve d’ailleurs une forte corrélation entre le nombre de convertis au christianisme, l’utilisation des soins de santé et la scolarisation. Après 1945, on note une nette amélioration de la santé, avec la disparition des grandes famines, la disponibilité d’antibiotiques, l’augmentation du personnel de santé et l'amélioration de l’infrastructure sanitaire, qui s’accompagne d’une baisse de la mortalité, surtout des enfants.

La transition vers l’indépendance proclamée le premier juillet 1962, est marquée par une période de troubles socio-politiques, suite à la "Révolution hutu" de novembre 1959, qui aboutit à la fin de la royauté et au changement des rapports de pouvoir aux dépens des anciens maîtres Tutsi. Les années qui suivent l’indépendance connaissent de nombreuses difficultés : création de nouvelles institutions, constitution d’une nouvelle administration et transfert des services publics de Bujumbura à Kigali (jusque là, Bujumbura était le siège de l'administration du territoire Rwanda-Urundi). Il faut aussi souligner le départ du personnel expatrié qui ne voyait plus d’avenir dans le pays et l’exil de Tutsi qui avaient eu un accès prioritaire à l’enseignement et qui occupaient la plupart des postes dans la santé, l’éducation et l'économie. Il faut enfin noter le problème de l’insécurité aux frontières due à l’attaque des réfugiés tutsi, la faiblesse de l’économie et du budget de l’État en manque d’appui international, alors que tout était à construire. C’est dans ce contexte que s’inscrit l’augmentation de la mortalité des enfants sous la première république dirigée par Grégoire Kayibanda.

Toutefois, le gouvernement de Kayibanda entreprend d’importantes actions de développement dont l’ouverture de l’Université Nationale du Rwanda, où la formation des médecins occupe une place prépondérante. Malgré sa volonté de modernisation économique et sociale et son souci de répartition équitable des ressources économiques, la première République se caractérise par une stagnation des indicateurs économiques et une dégradation d’indicateurs sociaux. Son système politique pluraliste aboutit à un monopartisme de fait et à des dissensions au sein du Mouvement Démocratique Républicain-Parti du Mouvement de l’Émancipation Hutu (MDR-Parmehutu).

Le coup d’État de 1973 fait par le Général Major Juvénal Habyarimana met fin aux conflits politiques et ethniques et installe un nouveau pouvoir. La période de 1973 à 1990 est celle de la paix. La deuxième République bénéficie des investissements faits depuis l’indépendance, notamment en personnel qualifié et en infrastructures. Elle renforce les actions entreprises dans les domaines médical, éducatif et économique. Elle reçoit une aide substantielle qui profite à ces domaines. Les indicateurs économiques s’améliorent jusqu’au début des années 80 où le pays connaît une baisse du niveau de vie. Le système politique mis en place par

7 Habyarimana est contesté à partir de 1989, et une guerre est engagée en octobre 1990, qui aboutit au génocide de 1994. Entre-temps, la couverture médicale s’était considérablement améliorée. Alors qu’en 1963 il y avait 135 000 habitants par médecin, en 1986, il y en avait 25 000. La baisse de la mortalité des enfants entre 1977 et 1992 s’inscrit dans ce contexte.

L’étude fournit de nombreuses données sur la santé publique et de nombreuses références sur le pays et sa structure socio-politique.

MOTS CLÉS : AFRIQUE, RWANDA, POLITIQUE SANITAIRE, POLITIQUE D'ÉDUCATION, DÉVELOPPEMENT ÉCONOMIQUE, GESTION DE L'ÉTAT, MISSIONS CHRÉTIENNES, CRISE POLITIQUE, CONFLITS ETHNIQUES, MORTALITÉ DES ENFANTS.

8 Summary

The economic and socio-political context of Rwanda is analyzed in detail, to put in perspective the changes in social and health conditions in the 20th century. In this country, the political changes seem to have played an important role in the evolution of the public investments, notably in health services.

During the colonial period, it is mainly the christian missions - in support of the colonial authority - that took care of the health and of education of children. We find moreover a strong correlation between the number of converts to Christianity, the use of health care and schooling. After 1945, we note a significant improvement of health indicators, with the disappearance of the major famines, the availability of antibiotics, the increase of the health staff and of the sanitary infrastructure, which induced a decline in mortality, especially for children.

The transition towards independence proclaimed on July first, 1962, was marked by a period of socio-political upheavals, associated with the so called "Hutu Revolution" of November, 1959, which resulted in the end of the monarchy and the Tutsi rule. The years following independence were characterized by numerous difficulties, having to do with the creation of new institutions, the introduction of a new administrative framework, and the transfer of public services from Bujumbura to Kigali (until then Bujumbura was the administrative core of the Trusteeship Territory of Rwanda- Urundi). Compounding these difficulties, most Belgians administrators went home while hundreds of Tutsi elements claiming valuable skills in the health, education and agricultural sectors, were driven into exile. Other problems cropped up: chronic insecurity in the border areas due to armed raids by Tutsi, the extreme weakness of the economy and dearth of financial resources, niggardly assistance from foreign donors, all of which help explain rising rates of infant mortality in the post- independence years.

However, the government of President Kayibanda took important steps towards promoting development, including the opening of the National University of Rwanda, where the training of doctors occupied a dominant place. In spite of its efforts to speed up economic and social modernization and its concern of fair distribution of the economic resources, the first Republic was characterized by a stagnation of the economic indicators and a degradation of social indicators. Its pluralistic political system ended in a monoparty system and internal rivalry within the "Mouvement Démocratique Républicain-Parti du Mouvement de l’Émancipation Hutu (MDR- Parmehutu)".

The 1973 coup by Major General Habyarimana braught an end to political and ethnic conflicts and braught into existence a new power arrangement. The period from 1973 till 1990 was peaceful. The second Republic benefited from investments made since independence, notably in qualified personnel and in infrastructures. It strengthened the actions begun in the medical, educational and economic sectors. It received a substantial international aid. The economic indicators improved until the beginning of the 80s when the country witnessed a decline of its living standards. The political system set up by Habyarimana was disputed from 1989 on, and a war was engaged in October, 1990, which evolved in the genocide of 1994. Meanwhile, the medical coverage had considerably improved. While in 1963 there was one doctor per

9 135 000 inhabitants, in 1986, there was one per 25 000. The decline of the children mortality between 1977 and 1992 can be explained by this new context.

The study supplies numerous data on the health services and numerous references on the country and its socio-political structure.

KEYWORDS : AFRICA, RWANDA, HEALTH POLICY, EDUCATION POLICY, ECONOMIC DEVELOPMENT, STATE MANAGEMENT, CHRISTIAN MISSION, POLITICAL CRISIS, ETHNIC CONFLICTS, CHILD MORTALITY.

10 Introduction

Les indices de mortalité constituent un moyen adéquat pour rendre compte des conditions de vie des populations (Sen, 1981, 1993, 1998). En tant qu'indices du moment, ils sont le reflet de la situation présente. Cependant, celle-ci est elle-même dépendante, dans une certaine mesure, des conditions appartenant au passé plus ou moins récent. C'est en ce sens que l'explication des données sur la mortalité demande que l'on se fonde non seulement sur les conditions de vie du moment, mais aussi sur celles du passé qui ont façonné le présent.

Il est déjà bien connu que l'amélioration des conditions de vie dans les domaines économique, sanitaire, nutritionnel, environnemental et socio-politique font baisser la mortalité générale et celle des enfants en particulier. À l'inverse, dans certaines situations - crises politiques, mauvaise gestion des affaires publiques, épidémies, famines, catastrophes naturelles -, cette baisse de la mortalité peut être ralentie, stoppée ou même inversée, de telle sorte que l'on assiste à une montée de la mortalité. On cite souvent les cas de la Chine lors du Grand Bond en Avant entre 1958 et 1962 (Bannister, 1991), de la Russie depuis 1990 (Shkolnikov et al., 1995 ; Chesnais, 2000) et du Cambodge lors de la crise de 1975 à 1979 (Heuveline, 1997)1. Il y a aussi le cas de la Corée du Nord où depuis 1995, la faim aurait emporté plus de 1,5 millions de personnes2. S'agissant de l'Afrique subsaharienne, Garenne (1997) a identifié et décrit le cas de cinq pays dont l'Ouganda, le Ghana, le Rwanda, Madagascar et le Mozambique, où la mortalité des enfants3 a remonté après les indépendances.

Cette étude vise à décrire le contexte économique et socio-politique de la santé publique au Rwanda de 1900 à 1992. Elle a pour but de rendre compte des facteurs du mouvement à la baisse et à la hausse de la mortalité des enfants au Rwanda. De fait, les données démographiques montrent que la mortalité des enfants au Rwanda avait commencé à baisser avant les années 60. De 1962 à 1977 on assiste à une tendance à la hausse, puis à une tendance à la baisse de 1977 à 1992 (figure 1), deux ans après le début de la guerre dont l'impact sur la mortalité a été énorme mais reste à définir.

L'étude part de l’idée que le mouvement à la baisse ou à la hausse de la mortalité des enfants constitue une bonne mesure de l’impact de diverses actions menées par les pouvoirs publics sur les conditions de vie de la population. L’efficacité de ces actions est elle-même favorisée ou entravée par la nature de ce pouvoir, la qualité de la classe dirigeante et la manière dont la population est associée aux décisions qui la concernent ou en est exclue.

Dans ce sens, on considère que la baisse de la mortalité des enfants avant 1962 est principalement le résultat de l’action conjuguée des missionnaires et de l’autorité coloniale, en dépit du contexte politique caractérisé - pour la grande majorité de la

1 Pour ces références, voir Garenne, "Political Crises and Child Survival: Five Case Studies in sub- Saharan Africa", in IUSSP (1997), Demographic and Political Crisis and Upheavals in the Twenthieth Century, Beijing, 11-17 October. 2 Le Monde du 6 mars 1999 et du 27 avril 1999. 3 Comme pour cette étude, on s’intéresse à la mortalité des enfants de moins de cinq ans.

11 population - par l’existence d’une exploitation économique et d’une double oppression politique : celle de la hiérarchie coutumière et celle de l’autorité coloniale. L’augmentation de la mortalité des enfants pour la période allant de 1962 à 1977 correspond, paradoxalement, au contexte politique caractérisé par des velléités démocratiques, une volonté de modernisation économique et sociale, un souci de répartition équitable des ressources économiques par l’élite au pouvoir. Toutefois, cette période a aussi connu deux événements qui ont profondément marqué et affaibli durablement le pays. Il s’agit des suites de la Révolution rwandaise de novembre 1959 et de l’indépendance du pays, le premier juillet 1962. Finalement, la période de 1977 à 1990 est celle de la paix et d’un plus grand dynamisme économique, par opposition au régime politique totalitaire qui l’a caractérisée.

0,350

0,300 T:1962-1977 (+0,9%) 0,250 T: 1950-1962 T:1977-1992 0,200 (-2,9%) (-3,8%)

q(5) 0,150

0,100

0,050

0,000 1950 1955 1960 1965 1970 1975 1980 1985 1990 1995 Année

Source : calcul des auteurs à partir des données de l’enquête mondiale sur la fécondité (EMF 1983) et de l’enquête démographique et de santé (EDS 1992). T signifie le taux de croissance/décroissance annuel moyen ; q(5) signifie mortalité des enfants de moins de 5 ans.

12 Figure 1. Tendance de la mortalité des enfants au Rwanda, 1950-1992 (EMF et EDS)

Tableau 1. Données* de base sur le Rwanda

Géographie Superficie 26 338 km2 Distance de l'océan Atlantique (port de Matadi, Rép. Dém. 2 200km Cong.) 1 200 km Distance de l'Océan Indien (Port de Mombasa, Kenya) 3 650 km Distance du Caire (Égypte) 3 750km Distance du Cap (Afrique du Sud)

Organisation administrative, 1978 : 10 préfectures, 143 communes, 1 489 secteurs, 8 814 cellules Démographie Population totale, 15 août 1991 7 147 215 Population urbaine, 15 août 1991 364 520 Population de Kigali-ville, 15 août 1991 237 782 % de popualtion de 0-14, 1983 49,10 % Densité mi-1993 292 hab./km2 Taux brut de mortalité, 1981 17,7 ‰ Taux brut de natalité, 1981 50,4 ‰ Indice synthétique de fécondité (naissances vivantes par 7,6 (1978) femme) 7,8 (1981) 8,3 (1983) 6,2 (1992) 3,3 % par an Taux d'accroissement naturel, 1981 117 ‰ Taux de mortalité infantile, 1991 50,2 ans Espérance de vie à la naissance,1981

Données socio-économiques Produit National Brut, 1991 US$ 310 par tête Population occupée (1990) dans : Agriculture 92 % Industrie 3 % Services 5 % Taux d'analphabétisme des adultes, 1990 49,8 Calories par jour, 1992 1 821 Population par médecin 1988-91 25 000 Population par infirmière, 1988-91 8 333 Dépenses de santé en % du budget national : 7,18 (1970) 6,33 (1973) 6,97 (1978) Naissances dans les structures sanitaires, 1990 28 % Indice de production alimentaire, 1993 (base 1979- 70 81=100)

Composition ethnique (en %)** 1952 : Hutu : 85,0 ; Tutsi : 14 ; Twa : 1 1978 : Hutu : 89,8 ; Tutsi :9,8 ; Twa : 0,4 1981 : Hutu : 89,9 ; Tutsi : 9,6 ; Twa : 0,4 1991 : Hutu : 91,2 ;Tutsi : 8,2 ; Twa :0,4

13 Sources : Banque mondiale (1997), données sur CD-ROM ; ONAPO (1983), Enquête nationale sur la fécondité, Kigali ; Neesen (1953), "Quelques données démographiques sur la population du Rwanda", Zaïre, Décembre ; PNUD (1997), Rapport sur le développement humain, Paris, Economica ; République rwandaise (1992), Recensement général de la population et de l'habitat au 15 août 1991 ; L'enquête démographique post-censitaire (1987) ; Recensement général de la population et de l'habitat au 15 août 1978 (1984). * Certaines de ces données sont à prendre avec réserve.

** Au Rwanda, la filiation est transmise par le père. Ainsi un enfant né d'un père Hutu et d'une mère Tutsi est considéré comme Hutu. Inversement, un enfant né d'un père Tutsi et d'un mère Hutu est considéré comme Tutsi. C'est sur cette base que l'administration recueillait les statistiques ethnique depuis l'introduction de la carte d'identité mentionnant l'ethnie en 1931 jusqu'en 1997 lorsque cette mention fut abolie. Sur le plan sociologique, l'identité ethnique a été plus ou moins sauvegardée par l'existence d'une endogamie relative consistant à chercher un conjoint de préférence dans sa propre ethnie. Mais la réalité est plus complexe, car, sous la monarchie, un Hutu devenu riche pouvait accéder au statut Tutsi kwihutura, tandis qu'un Tutsi appauvri pouvait descendre au rang de Hutu. De plus, après l'Indépendance, un certain nombre de Tutsi ont cherché à s'identifier aux Hutu pour accéder aux opportunités du pouvoir aux mains de Hutu ou pour échapper aux représailles éventuelles.

Ce travail consiste donc à voir comment ces différents contextes ont influé sur les conditions de vie de la population, en particulier sur la mortalité des enfants. Étant donné la nature multidimensionnelle du sujet, nous avons adopté une approche pluridisciplinaire qui consiste à rechercher des éléments d’explication des tendances observées, dans l’histoire, l’économie, la démographie et la science politique. Par conséquent, l’étude s’appuie sur des travaux faits dans ces différentes disciplines sur le Rwanda ainsi que sur les statistiques disponibles que l’on trouvera en annexe. Cette étude a aussi profité de longs entretiens avec des personnes qui ont connu les trois périodes qu’elle couvre, du fait de leur expérience professionnelle au Rwanda, de par leurs recherches sur ce pays, ou pour les deux raisons.

I. La situation de la mortalité avant 1960

On ne dispose pas encore d'une étude d'ensemble à jour sur l’évolution de la couverture médicale du Rwanda4. Cela ne rend pas aisée l'interprétation des données du mouvement de baisse et de hausse de la mortalité des enfants mis en évidence, de façon concordante, par deux enquêtes indépendantes : l’enquête sur la fécondité de 19835 et l’Enquête Démographique et de Santé de 19926. Si l'étude de la Fondation Baudouin (Janssens, P.G. et al., 1992) montre en détail les actions menées par la Belgique au Congo dans le domaine de la santé de 1885 jusqu'au début des années 90, cette étude reste moins informative pour ce qui est du Rwanda et du Burundi. Il est vrai que les investissements réalisés dans ces deux pays sous le mandat belge ne représentaient qu'une part infime par rapport aux investissements orientés vers le Congo, puisque, pour reprendre les termes de Bezy (1990) : "les deux territoires sous mandat belge n'étaient qu'une annexe du Congo belge".

4 Il faut signaler l’existence d’une importante étude publiée en 1982 : Maheus et al., Santé et maladies au Rwanda, Épidémiologie et Médecine Sociale, Universitaire Instelling Antwerpen, Belgique 5 République Rwandaise (1983), Enquête nationale sur la fécondité, ONAPO, Kigali, Rwanda. 6 République Rwandaise (1994), Enquête Démographique et de Santé 1992, ONAPO, Kigali, Rwanda, Macro International Inc., Maryland, USA,

14 Comme le fait l'étude de la Fondation Baudouin, on peut dater le début de la médecine moderne au Rwanda à l'arrivée des premiers missionnaires au début du XXe siècle. Par la suite, les actions de l'État sont venues compléter celles des missions, et les deux institutions ont travaillé en étroite collaboration. Nous devons à Mbandahe (1990) - qui a étudié l'action des missionnaires dans le domaine de la santé au Rwanda - la plupart des informations de la section suivante qui se fonde largement sur les résultats de ses recherches.

1. L'action des missionnaires

Le système moderne de santé est né avec l'installation des premiers missionnaires Pères Blancs - principalement de nationalité française - arrivés au Rwanda le 2 février 1900. Comme l'avait recommandé le Cardinal Charles Lavigerie, fondateur de la Société des Pères Blancs et des Soeurs Blanches, les Pères Blancs accompagnaient toujours leurs prédications d'actions de développement et formaient les Rwandais - catéchumènes ou convertis - à ces différentes actions. Pour ce faire, les Pères Blancs se formaient eux-mêmes, entre autres métiers, aux métiers d'infirmiers, d'agronomes, de maîtres d'école, avant de partir en Afrique. Les actions des Pères Blancs ont été renforcées par celles des Soeurs Blanches arrivées en 1909. Celles-ci recevaient des leçons de pharmacie et de médecine, couronnées par un brevet d’infirmière, afin de travailler dans les hôpitaux et les dispensaires (F. Renault, 1989)7.

Entre-temps, les missionnaires protestants de la mission de Bethel rattachée à l’Église Évangélique allemande avaient commencé à s’installer8 respectivement à Kilinda en 1906, à Zinga à l’est du pays le 3 août 1907, à Remera dans le Rukoma en 1912, à Rubengera en 1913 et ailleurs. Ils avaient pour mission principale de soigner les maladies, activité dans laquelle ils ont plus investi et mieux excellé que leurs confrères catholiques. Les Protestants avaient un petit nombre de postes de mission mais ils disposaient d'hôpitaux mieux équipés et de médecins laïcs très qualifiés. D’après Overdulve (1965)9, en sept années, le travail missionnaire des Protestants s’était fort développé et de multiples plans étaient en voie de réalisation. Dans ces plans, l’enseignement primaire et le service médical avaient la première place. Suivaient l’enseignement agricole et artisanal et le commerce.

Par la suite, ces missions protestantes aux débuts prometteurs, devaient être soudainement abandonnées à l’occasion de la première guerre mondiale et à la suite de la défaite de l'Allemagne. En 1916, les troupes belges remplacèrent les troupes allemandes et c’est dans ces circonstances que la Société Missionnaire Protestante belge, promettant de consolider l’influence belge au Rwanda au Ministère des Colonies, vint en 1921 occuper certains postes créés auparavant par les pasteurs allemands. Des missions protestantes d'autres nationalités s’installèrent également

7 F. Renault, "Principes missionnaires et action sanitaire des Pères Blancs et des Soeurs Blanches du Cardinal Lavigerie (1868-1960)", communication au Colloque international de Louvain (UCL), Église et santé dans le Tiers-monde hier et aujourd’hui, septembre 1989, p. 2, cité par Augustin Mbandahe (1990). 8 Rapport du Pasteur Anet, Nyanza le 10 juin 1921, dossier S.B.M.P.C., A. 46, 1921-1952, archives de la S.B.M.P.C., Bruxelles, cité par Rumiya (1992 : 202, note 14) 9 C.M. Overdulve, De gereformeerde zending in Rwanda, Rotterdam, 1965, p. 13, cité par P.R. Heremans (1973 : 80).

15 sous le mandant belge dont les missionnaires anglicans de la "Church Missionnary Society" qui fonda plusieurs chapelles-écoles dans le territoire de Gisaka (actuelle préfecture de Kibungo) en 1922, les Méthodistes libres américains et les Pentecôtistes suédois à partir de 1926 ainsi que les missionnaires américains de la mission des Adventistes du Septième jour déjà établis à Kilinda en 1919 (Heremans, 1973 : 107). a) Importance de l’action des missionnaires dans le domaine socio-sanitaire

L'action des missionnaires dans le domaine socio-sanitaire consistait à lutter contre diverses épidémies en pratiquant la vaccination et en apprenant à la population l'hygiène, la pratique de l'isolement des malades et à brûler tout objet contaminé. L’approche curative des missionnaires était donc accompagnée d’une approche plus préventive qui enseignait la pratique de l’hygiène lors des consultations et lors des visites à domicile par le père chargé du dispensaire, pour encourager les familles à pratiquer l’hygiène. Cette approche préventive était renforcée par l’introduction de l’enseignement de l’hygiène dans le programme d’enseignement de chacune des cinq années de l’école primaire (Mbandahe, 1990 : 79).

Elle consistait aussi à venir en aide à la population au moment de grandes famines en distribuant des vivres, en accueillant des orphelins et en prenant en charge de nombreux adultes nécessiteux. Le nombre de malades soignés a considérablement augmenté passant de 43 847 en 1904 à 911 784 en 1947, ce qui correspond à un taux de croissance annuelle moyen de 7,31 % ou à un doublement tous les dix ans10. Cependant, cette évolution n’a pas été régulière, elle a été fonction de divers événements importants qui ont marqué cette époque dont : la confiance croissante de la population envers les actions des missionnaires, les deux guerres mondiales et la conversion du roi Rudahigwa au catholicisme. b) L’évolution de l’accès aux soins

L’introduction de la médecine moderne a été une véritable innovation dans le système de soins traditionnel. Car, pour soigner ou pour prévenir les maladies, on a introduit de nouveaux procédés comme l’utilisation de médicaments efficaces, la vaccination ou l’adoption de nouvelles mesures d’hygiène. Comme c’est souvent le cas dans le domaine de l’innovation, l’adoption de la médecine moderne a été d’abord lente, puis s’est accélérée par la suite.

10 En considérant un taux de croissance constant r, le temps de doublement t est lié à r par la relation : t = log2 / log(1+r).

16 1 000 000 900 000 800 000 700 000 600 000 500 000 400 000 300 000 200 000 100 000 0 1 900 1 910 1 920 1 930 1 940 1 950

Source : Données collectées par Mbandahe (1990)

Figure 2. Nombre de malades soignés par les missions catholiques

De fait, la figure 2 montre un accès très faible aux soins dispensés par les missions pendant de nombreuses années. Du côté de l’offre de soins, le nombre encore limité de missions restreignait considérablement leur champ d’action. C’est cependant du côté de la demande qu’il faut chercher davantage d’explications de la faiblesse d’accès aux soins modernes. En effet, il a fallu un certain temps pour gagner la confiance de la population et pour la convaincre de l'utilité de se faire soigner auprès des missionnaires. Comme on l’explicitera dans la section suivante, la demande de soins modernes fut d’autant plus lente à se manifester que l’élite dirigeante était hostile aux missions.

On constate une baisse du nombre de malades soignés pendant la première guerre mondiale et une recrudescence après 1920. Cette remontée est particulièrement forte à partir de 1930 du fait de la conversion du roi au catholicisme, et de l’engouement que cet acte a provoqué pour le christianisme et pour plus d’ouverture aux autres actions des missionnaires. La forte baisse du nombre de malades soignés au début des années 40 correspond à la période de la seconde guerre mondiale et à la famine Ruzagayura11. Du fait de ces deux événements, la population rwandaise aurait perdu 18,42 % de son effectif passant de 1,9 à 1,55 millions entre 1940 et 194612. Après cette période, le nombre de malades soignés a repris sa croissance avec plus de vigueur.

11 Famine anéantissante (notre traduction). 12 ONU (1953), La population du Ruanda-Urundi, Ét. Démo. n° 15, STS/SOA Ser. A/, New York, cité par Niyibizi (1982).

17 Pour les missionnaires, les soins médicaux et l'enseignement étaient un moyen pour s'approcher de la population et créer ainsi l'occasion de l'attirer vers le christianisme. Ainsi, observe-t-on sur la figure 3 une corrélation très forte entre le nombre de personnes soignées et celui des personnes baptisées. Les soins médicaux constituaient une œuvre humanitaire en soi, mais aussi un outil efficace pour attirer des adeptes : plus le nombre de personnes soignées était élevé, plus l'était aussi celui de personnes baptisées. On voit aussi sur la même figure une évolution parallèle entre le nombre de personnes soignées et celui des élèves. La figure reflète bien la dynamique sociale et sanitaire créée par l’action des missionnaires.

1 000 000 Personnes soignées 100 000

10 000 Personnes baptisées 1 000 Elèves 100

10

1 1 900 1 905 1 910 1 915 1 920 1 925 1 930 1 935 1 940 1 945 1 950

Source : Données collectées par Mbandahe (1990).

Figure 3. Nombre de malades soignés, de personnes baptisées et d’élèves (l’échelle de l’axe vertical est logarithmique)

Il faut noter par ailleurs que la multiplication des installations médicales et la construction des écoles a été utilisée comme moyen d’une lutte confessionnelle entre les Pères Blancs et les Pasteurs Protestants pour s'attirer le plus grand nombre de fidèles. Cette concurrence entre les confessions a, par conséquent, été bénéfique aux actions de développement, puisque les Pères Blancs multipliaient celles-ci dans le but de barrer la route aux Protestants, et de conserver le monopole de l’influence religieuse. Les Protestants utilisaient d’ailleurs les mêmes moyens pour s'implanter (Mbandahe, 1990 : 56 et plus ; Rumiya : 202).

Cette lutte d’influence confessionnelle était telle que Monseigneur Classe - adversaire avéré des Protestants - gonflait les statistiques qu’il adressait à l’œuvre de la Sainte-Enfance13 pour demander des financements. La surestimation des statistiques portait notamment sur les orphelinats et les asiles dont le nombre était intentionnellement gonflé. Ces financements devaient servir à multiplier les initiatives en faveur des enfants de façon à leur éviter d’être sous l’influence des Protestants

13 La direction générale et le conseil central de cette organisation avait son siège au 44 rue du Cherche - Midi dans le sixième arrondissement de Paris.

18 qu’il considérait comme des hérétiques. Il faut préciser que l’Œuvre de la Sainte- Enfance était un organisme financier sous l’égide de la Sacrée Congrégation de la Propagande de la Foi dont le but était d’aider à la résolution des problèmes de l’enfance sous tous ses aspects. Dans ses actions, elle réservait une importante place à l’enfance en Afrique où elle finançait la construction d’écoles, de dispensaires, d’orphelinats, d’ateliers et d’ouvroirs14 (Mbandahe, 1990 : 56).

40 40

35 Total 35

30 30

25 25

20 20

Sans léproseries ni asiles 15 15

10 10

5 5

0 0 1922-23 1923-24 1924-25 1925-26 1926-27 1927-28 1928-29 1929-30 1931-32 1932-33 1933-34 1934-35 1935-36 1936-37 1937-38 1938-39 1939-40 1941-42 1942-43 1943-44 1944-45 1945-46 1946-47 1948-49 1949-50 1951-52

Source : Données collectées par Mbandahe (1990)

Figure 4. Nombre d’établissements médico-sanitaires

La figure 4 montre un biais statistique systématique jusqu’en 1941 qui serait le reflet de la pratique de Monseigneur Classe. Celui-ci établit tous les rapports avant la guerre de 1940-1945. Il est décédé le 31 janvier 1945 à Bujumbura. Entre-temps, il avait été remplacé par Monseigneur Déprimoz, devenu Evêque en 1943. Celui-ci décida de mettre fin à la pratique de son prédécesseur en mettant beaucoup plus de transparence dans les chiffres des rapports annuels. De fait, on observe sur la figure 4 la disparition du contraste entre les deux séries à partir de 1942 au moment où Monseigneur Déprimoz avait probablement commencé à s'occuper des statistiques15 (Mbandahe, 1990 : 65-69).

14 D’après Mbandahe, un ouvroir était un espace réservé à l’artisanat surtout féminin comme la tresse des nattes, la fabrication de corbeilles ou d’objets décoratifs. 15 D’après Mbandahe (communication personnelle), il est possible que Monseigneur Déprimoz se soit occupé des statistiques à partir de 1942, puisqu’il était l’homme de confiance de Monseigneur Classe.

19 2. L’influence de la hiérarchie coutumière

Les autorités coutumières ont pesé d’un poids très considérable dans l’attitude et le comportement de la population vis-à-vis des actions religieuses et socio-sanitaires des missionnaires. Il importe de rappeler que les débuts de l'implantation des missions ont été lents et difficiles du fait que les notables, la classe dirigeante et le roi en tête, n'en voulaient pas. Ils les considéraient avec mépris et il était strictement interdit à un vrai Mututsi de se faire chrétien. Les Pères étaient considérés comme des ibisimba, bêtes féroces. Dans le sud du pays : "Le Père supérieur de Save déclara, un jour, que dans un très vaste rayon, les catéchistes étaient proclamés des inyangarwanda, ennemis du Rwanda, et abagome, rebelles" (Linden, 1999 : 91 ; Heremans : 77). Dans le Nord-Ouest, l’administrateur de Gisenyi rapporta en date du 23 mai 1923 que16 : "Presque partout régnaient le mépris et la haine des chrétiens qui s’étaient alliés aux Blancs".

Aussi, Linden rappelle que : "Pendant la période allemande, exception faite de quelques Tutsi pauvres, les élèves des écoles missionnaires étaient exclusivement hutu. En 1903, Musinga menaça Von Beringe de changer de capitale si les Tutsi de Nyanza étaient obligés d’aller à l’école". Dans le domaine médical, il s’opposa obstinément à la vaccination des troupeaux de son royaume pendant que la peste bovine anéantissait le gros bétail (Mbandahe, 1990 : 31).

Or, le Cardinal Lavigerie recommandait aux missionnaires qui partaient en Afrique de convertir d'abord les chefs du pays afin de favoriser une diffusion rapide du christianisme. Un tel souhait sera exaucé au-delà de toute espérance lorsque, en 1931, fut intronisé le roi Mutara III Rudahigwa converti au catholicisme, à la place de son père Musinga, destitué par l'autorité de Tutelle avec le concours de Monseigneur Classe, Vicaire apostolique de Kabgayi17. Il lui était reproché d'être "contre le Gouvernement, contre les missions, contre tout progrès, contre la civilisation".

Cet événement fut suivi d'un mouvement de conversions en masse dans toutes les classes de la société. Le mouvement reçut le nom de "tornade" en référence au numéro de la revue missionnaire Grands Lacs de 1935 consacré au Rwanda dont l'intitulé était : "Où l'Esprit saint souffle en tornade". Comme le dit Kalibwami (1991 : 262), pour la rumeur publique, la conversion du roi était devenue comme un ordre "ilivuzumwami" pour le reste de la population. Il s'ensuivit que, du point de vue de l'accès aux soins donnés par les missions catholiques, on observe une très forte croissance du nombre de personnes soignées en relation avec la conversion du roi. Celle-ci constitua un signal fort non seulement pour les actions des missionnaires en ce qui concerne la religion mais aussi pour la santé et l'éducation.

Par ailleurs, le début du règne de Mutara III Rudahigwa coïncida avec une campagne intense et systématique par l’autorité de Tutelle pour éradiquer le pian ibinyoro. Cette campagne aboutit à une forte baisse du nombre de cas. Elle eut d’autant plus de

16 Historique et chronologie du Rwanda (1975 : 22). 17 Le roi Musinga fut destitué le 12 novembre 1931 par le gouvernement belge par l'intermédiaire du gouverneur Voisin. Diaire (compte-rendu quotidien des faits significatifs) de Rwamagana, 14 novembre 1931. Son fils Rudahigwa fut proclamé roi deux jours après et intronisé le 16 novembre 1931 par le même gouverneur belge au Rwanda (J. Rumiya. 1992 : 169-189).

20 succès qu’elle fut obligatoire18. La lutte contre le pian se faisait par l’administration d’un médicament à base d’arsenic. L’utilisation de ce produit comportait un certain danger du fait qu’il était cancérigène. Il fut remplacé par la pénicilline après la seconde guerre mondiale. L’introduction de cet antibiotique fit baisser fortement la mortalité des enfants à partir de 1946. L’importance du pian dans la pathologie totale, qui était de 30 à 50 % entre 1925 et 1934, n’était plus que de 5 à 10 % entre 1955 et 1959 (Meheus, 1982 : 474-480).

3. L'action de l'autorité coloniale

L'autorité coloniale a joué un rôle important dans plusieurs aspects de l’évolution économique et sociale comme la lutte contre les famines, le développement de la couverture sanitaire, l'éducation, la construction des routes, la multiplication des centres commerciaux et de négoce, et l’organisation politico-administrative. Les réalisations dans tous ces domaines eurent une influence positive sur les conditions de vie de la population et, par conséquent, participèrent à la baisse de la mortalité.

Selon Jean Paul-Harroy (1984) - Vice-Gouverneur du Ruanda-Urundi à partir de 1955, puis Résident Général en 1962 - lorsque les Belges acquirent la gestion du territoire du Rwanda et du Burundi en 1916, les Allemands n'avaient pas entrepris d'actions significatives dans ces différents domaines. La lutte contre les famines devint la priorité de l'administration belge19. a) Dans le domaine agricole

Parmi diverses actions, il faut noter les actions suivantes20 :

• l’obligation faite au roi Musinga dès 1917 de prescrire le doublement de la superficie agricole autorisée à chaque foyer hutu, par la mise en culture notamment des vallées jusque là réservées au bétail des pasteurs (Paternostre, 1994 : 33).

• l'amélioration des techniques de l'agriculture et de l’élevage et la généralisation de quelques cultures comme le manioc - plante résistante aux intempéries et qui se garde jusqu'à trois ans dans le sol - la pomme de terre et la patate douce.

• la campagne de promotion d'une intensification agricole et l'usage de la coercition pour provoquer une extension des superficies cultivées.

• l'ordonnance-loi n° 52 du 7 novembre 1924 sur le régime des "cultures vivrières obligatoires" qui imposait la détention d'un minimum de superficie sous culture vivrière par rwandais adulte marié.

18 Cette information nous a été donnée par le Dr Vanderick (communication personnelle). 19 Le pays a connu sept famines entre 1897 et 1918 : 1900, 1902-1903, 1905, 1906, 1916-17, 1917- 18. La Tutelle belge en a connu cinq dont les deux dernières se produisirent an 1930 et pendant la guerre en 1942-44. Cité par Harroy (1984 : 97). 20 Harroy (1984).

21 • l’introduction des cultures de rente dont l’objet n’était pas la lutte contre les famines mais qui pouvaient procurer des revenus monétaires : le café introduit par les Allemands et devenu une culture obligatoire en 1925, le pyrèthre imposé par les Américains en 1942, le thé et d’autres cultures de moindre importance : le quinquina, l’arachide, le tabac et le coton.

• le décret du 19 juillet 1926 encourageant à l'émigration vers les régions de moindre densité démographique à l’intérieur du pays et vers les pays limitrophes.

• la substitution de l'ordonnance-loi de 1924 par celle du 20 novembre 1944 qui étendait le pouvoir de réglementation des résidants notamment à la lutte anti-érosive, au boisement, à l'interdiction de vendre les semences sélectionnées, à l'entreposage amélioré des vivres dans les silos en employant les insecticides.

• la mise en place, dès la fin des années 20, d'une veille agronomique pour renseigner l'autorité sur les risques locaux de disettes dès les premiers signes avant- coureurs.

• la promotion de la construction de routes en notant, à partir du début des années trente, les administrateurs territoriaux en fonction du nombre de kilomètres de nouvelles pistes inaugurées dans l'année. Cela permit l’existence d’un réseau routier de plus en plus étendu grâce auquel les échanges et les communications entre les habitants de tout le pays pouvaient se multiplier.

En somme, ces différentes réalisations, relevant du domaine agricole, ont permis d’améliorer les conditions de vie de la population, en diminuant les risques d’occurrence des famines, par une plus grande disponibilité alimentaire. Celle-ci résultait d’un meilleur accès aux terres de culture, d’une plus grande distribution spatiale des vivres rendue possible grâce à la construction de routes, d’une meilleure information agricole et d’un meilleur aménagement rural, ainsi que d’une plus grande capacité de stockage et de conservation des vivres. b) Dans le domaine de l’enseignement

Le rôle de l’autorité coloniale fut aussi considérable en ce qui concerne l’enseignement, domaine dans lequel, elle collabora en bonne entente avec les missionnaires. Il y avait, en effet, un intérêt réciproque à cette collaboration. Les missionnaires avaient besoin de moyens financiers pour lancer et entretenir d’importantes infrastructures dans le pays et asseoir leur influence sur la population. L’autorité coloniale voulait profiter du capital de sympathie et de respect dont jouissaient les missionnaires pour étendre son emprise administrative. Elle comptait, entre autres, profiter de l’enseignement de l’Église sur l’obéissance à l’autorité civile en ce qui concerne notamment le paiement de l’impôt et l’accomplissement de diverses obligations administratives (Rumiya, 1992 : 211).

Dans le domaine de l’enseignement, la Belgique se déchargea sur les missions chrétiennes moyennant des subsides par élève. Ces subsides ne concernaient que les missions belges jusqu’en 1948, date à laquelle elles furent étendues aux écoles de missions protestantes d’autres nationalités répondant aux critères convenus. Les deux écoles primaires officielles créées en 1919 furent abandonnées aux missions

22 du fait de leur coût élevé. Elles furent reprises en 1929 par le Groupe Scolaire d’Astrida, créé en substitution de l’école des fils de chefs fondée par les Allemands en 1907, pour former des cadres administratifs et techniques. La réalisation et la gestion de cet établissement fut confiée aux Frères de la Charité de Gand. Les missions de cet établissement étaient les suivantes21:

• pourvoir d’éléments bien formés les cadres indigènes de l’administration ; • former, avec la collaboration de fonctionnaires du gouvernement, des assistants agricoles, médicaux, vétérinaires et administratifs ; • fournir aux communautés indigènes un cadre de chefs et de sous-chefs conscients de leurs responsabilités et de leurs devoirs.

Les années 50 ont été marquées par l’introduction de l’enseignement moyen pour les filles. L’autorité de Tutelle créa la première école secondaire pour accoucheuses à Kabgayi qui servira de modèle pour la création de nouvelles écoles dans le pays.

Les subsides accordés par l’autorité coloniale aux missions sont vite devenus pesants à partir du moment où l’école était devenue valorisante et où l’accroissement démographique créait une forte demande scolaire après la deuxième guerre mondiale. Le poids financier était d’autant plus ressenti qu’en vertu de l’application de l’accord passé entre l’État et les missions en 1948, celles-ci pouvaient ouvrir de nouvelles classes sans restriction. C’est ainsi que dans les années 50, la part du budget total consacré à l'enseignement - surtout de niveau primaire22 - dépassait facilement les 20 %. À cette époque le Rwanda comme le Burundi produisait 10 000 sortants de l'école primaire dont seulement un millier pouvait entrer à l'école secondaire23.

Une telle situation créa dès cette époque un déséquilibre entre le nombre d'enfants scolarisés aspirant à l'emploi non agricole et au mode de vie urbain alors que les opportunités d'emploi en dehors du secteur agricole étaient quasi inexistantes. Ce déséquilibre entre scolarisation et structures économiques du pays devait s’accroître. Il devint, à partir des années 80, d'autant plus critique que les terres agricoles étaient devenues rares. Il est par ailleurs l'un des facteurs de la tragédie rwandaise de 1994, car c’est au sein de la jeunesse désœuvrée que se recrutèrent les milices dont on sait la responsabilité dans le génocide des Tutsi, les massacres d'opposants politiques et les pillages.

21 Cité par Harroy (1984 : 107). 22 Jusqu'en 1930, l'enseignement se limitait à l'école primaire. À partir de cette date, on ouvrit des écoles artisanales et ménagères, des centres d'apprentissage pédagogique, des écoles de moniteurs et monitrices et l'école de formation des cadres administratifs et techniques du Groupe Scolaire créé en 1929 (Harroy : 108). Selon le Dr Vanderick, cela omet l’existence de petits séminaires et d'un grand séminaire avant 1930. 23 On avait ainsi un taux de 10 % de passage de l’école primaire à l’école secondaire dans les années 50. Ce taux ne dépassait guère 8 % dans les années 60 et 70 d’après les statistiques tenues par Marcel Colson. Nous avons consulté ces statistiques chez lui à Namur le lundi 8 février 1999. Colson, fut inspecteur de l’enseignement secondaire au Rwanda de 1967 à 1974. À ce titre, il était responsable des admissions de l’école primaire à l’école secondaire pour la période indiquée. Les statistiques dont il disposait nous ont paru fiables.

23 c) Dans le domaine de la santé

Dans le domaine de la santé, l'autorité de Tutelle a également soutenu financièrement les actions des missionnaires et a fourni des produits médicaux comme les vaccins. Toutefois, elle réalisa aussi elle-même diverses actions d’envergure dont on peut citer celles-ci (Harroy, 1984 : 186-187 ; Janssens, 1992 : 97) :

• l’aménagement des sources d’eau et l’adduction de l’eau vers des centres importants.

• les campagnes de lutte contre la maladie du sommeil qui aboutirent, en 1957, à l'éradication de la trypanosomiase humaine.

• les campagnes de lutte contre le pian déjà citées plus haut et dont les résultats furent concluants en diminuant significativement le nombre de cas.

• la construction d'un sanatorium à Rwamagana inauguré en avril 1955 et la réalisation de campagnes de dépistage et de traitement de masse de la tuberculose. À partir de 1959, le service médical territorial était capable de réaliser annuellement 800 000 vaccinations au BCG.

• à partir de 1950, l'application des mesures antipaludiques de l'OMS qui consistaient en des travaux d'assainissement et de pulvérisations au DDT pour toutes les huttes en dessous de 2 000 mètres d'altitude. Ces opérations firent tomber rapidement le nombre de cas de paludisme et permirent d'abaisser fortement la mortalité infantile. Néanmoins, par rapport à l’objectif d’éradiquer le paludisme en Afrique, la campagne fut un échec, la maladie restant la plus grande cause de mortalité (Bloom et Sachs, 1998 : 231).

Dans une optique de plus long terme, le gouvernement belge entreprit des actions en direction de la médecine préventive et en faveur des soins à la mère et à l'enfant. Plus important encore, elle favorisa - au sein du Groupe Scolaire d'Astrida - la formation d'assistants médicaux de très bon niveau. La section d'assistants médicaux, introduite en 1936, recrutait parmi les meilleurs élèves ayant réussi l'examen d'entrée à l'école secondaire. Cette pratique était justifiée par le fait qu’à la fin de la formation, les assistants médicaux devaient assumer d'importantes responsabilités. Il fallait donc recruter des élèves capables de comprendre les notions scientifiques indispensables pour atteindre un niveau de formation technique suffisant afin de pouvoir poser des diagnostics, donner des soins médicaux curatifs et faire des recommandations appropriées aux malades sur le plan de la prévention. Les assistants médicaux vont donc devenir le pilier de l'organisation sanitaire en assumant des responsabilités de véritables médecins praticiens dans les dispensaires, les hôpitaux et les maternités.

Ils seront chargés de traiter les maladies dites sociales - les endémies et les maladies transmissibles les plus courantes - d'administrer les soins, de pratiquer des interventions chirurgicales mineures, de déterminer les malades à transférer ou à présenter au médecin, de veiller à faire circuler les informations épidémiologiques et nosologiques de la région, d'organiser des consultations préventives pour les

24 femmes et les enfants (Jenssens, P.G. 1992 : 168). Cette formation ne concernait que des petits effectifs d'étudiants. Cinquante ans après son ouverture, l’école avait formé 273 assistants médicaux, ce qui revient à peu près à 5 diplômés par an (Jennens et al., 1992 : 98). De ces assistants médicaux 80 devinrent, par la suite, docteurs en médecine de diverses facultés (Vanderick, 1982).

On peut ainsi voir dans les tableaux 2 et 3, qu'en 1956 - vingt ans après l'ouverture de ladite section médicale - le Rwanda et le Burundi ne disposaient ensemble que de 91 assistants médicaux. De façon générale, les données de ces tableaux permettent de se faire une idée sur la couverture médicale qui était encore très faible malgré les efforts des missionnaires et du gouvernement belge.

Néanmoins, il faut se rendre à l'évidence que ces différentes actions dans le domaine de la santé, conjuguées aux différentes mesures agricoles, ont produit des effets considérables sur les conditions de vie de la population. C’est ainsi que l’on comprend le fort taux de croissance démographique qui était déjà proche de 3 % après la deuxième guerre mondiale, du fait de la baisse de la mortalité, plus particulièrement de celle des enfants.

Tableau 2. Établissements de soins, lits d'hôpitaux et personnel médical au Ruanda- Urundi en 1956

Établissements Nombre lits Hôpitaux et - 18 324 - missions et 15 962 Sociétés 3 245 Dispensaires- - 87 671 - missions et 25 222 - 14 104 Formations lépreux, tuberculeux, 3 110 Nombre de lits pour 1000 1,4

25 PERSONNEL MEDICAL Gouvernements et Missions et Praticien organismes organismes Société s paraétatiques philanthropiques s privés Médecins 44 12 5 9 Pharmaciens 1 Assistants médicaux 91 3 Dentistes 1 3 Infirmières et 12 66 2 accoucheuses Infirmiers locaux 178 Aides-infirmiers 358 Aides-accoucheuses 98 Source : Janssens et al. (1992 : 141)

4. Limites de l’action des missionnaires et de l’autorité coloniale

En dépit du manque de données sur la mortalité, on peut dire que pendant les quatre premières décennies de ce siècle, un nombre considérable de décès ont pu être évités grâce à l’action des missionnaires et de l’autorité coloniale. Cette action était, certes, encore de portée limitée du fait de la faible couverture médicale de la population et de la multitude des affections à soigner24. Parmi celles-ci, on peut citer la variole, la dysenterie, la méningite cérébro-spinale, la grippe, la lèpre, les plaies profondes et infectieuses, les parasites intestinaux, la malaria, la rougeole, la tuberculose ainsi que de nombreuses maladies de la peau. Ces affections emportaient quantité de vies humaines, plus particulièrement aux premiers âges. La population était soumise à de fréquentes épidémies et à des famines, l'économie étant fortement dépendante des conditions climatiques. Une sécheresse prolongée ou une pluie torrentielle pouvait provoquer une pénurie de nourriture ou une famine très meurtrière comme ce fut le cas à plusieurs reprises25 De fait, la nourriture était en quantité et en qualité insuffisantes. Les carences en graisses et protéines constituaient des facteurs de risque aux maladies notamment chez les jeunes enfants (Harroy : 24).

Cependant, les pénuries de nourriture et les famines ne provenaient pas que des conditions climatiques. La mobilisation, les taxes et réquisitions de denrées imposées à la population par les armées en conflit - l’armée allemande contre les armées

24 Voir Durant (1960), Les plantes bienfaisantes du Rwanda et du Burundi, Astrida. Cité par Mbandahe (1990 : 34). 25 Selon le document Historique et Chronologie du Rwanda (1975 : 12), les dates des famines connues sont les suivantes (territoires entre parenthèses) : 1890 : Muhatigicumuro (Astrida), 1895 : Kijugunya, 1902-1903 : Ruyaga, 1904-1905 : Rwakabaga, 1917-1918 : Rumanurimbaba, 1924- 1925 : Gakwege, applelée aussi Ntunyanjweho (Byumba), 1928-1929 : Rwakayihura, 1943-1944 : famine nommée selon les territoires, Ruzagayura (Nyanza, Kibungo, Astrida), Matemane (Byumba et Kigali), Gahoro (Kisenyi et Kibuye) Rudakangw’imishanana (Ruhengeri). Le document précise aussi que le territoire de Shangugu fut toujours épargné par les famines et qu’il attira une forte immigration d’affamés d’autres territoires. Il y eut aussi, en 1907, la famine Kiramwaramara qui n’est pas citée par le document.

26 anglaise et belge - expliquent en grande partie la sévérité de la famine Rumanurimbaba dont on dit qu’elle a emporté la moitié de la population entre 1914 et 191726. Certaines pénuries ou famines ont été également le résultat d'actions punitives de l'autorité coloniale - d'abord allemande, puis belge - pour soumettre les chefs rebelles à son autorité ou à celle du roi rwandais.

En outre, comme il a été vu plus haut, pendant les trois premières décennies de la colonisation, une forte mortalité se maintenait en raison de l’attitude et des décisions du roi et de son entourage à l’encontre des actions des missionnaires. Cette attitude et ces décisions dissuadaient la population de recourir aux soins modernes dispensés par les missionnaires. On sait aussi que le roi Musinga s’opposa obstinément à la vaccination des troupeaux de son royaume pendant que la peste bovine anéantissait le gros bétail (Mbandahe, 1990 : 31). C’est, par ailleurs, à la suite de son comportement jugé rétrograde et irresponsable que Musinga sera destitué par le gouvernement belge en 193127. Cette décision constitue l’une des actions du gouvernement belge qui ont eu d’importantes répercussions sur la société rwandaise et sur son évolution vers la révolution de 1959.

Comme pour d’autres pays africains, l’introduction de la médecine moderne au Rwanda eut un impact particulièrement considérable dans la baisse de la mortalité des enfants du fait de la disponibilité de médicaments antimicrobiens efficaces dans le traitement des maladies infectieuses. La baisse de la mortalité fut plus spectaculaire après la deuxième guerre mondiale quand les produits comme la chloroquine, les sulfamides, les antibiotiques (la pénicilline et la streptomycine), ainsi que le DDT furent disponibles (Bloom et Sachs, 1998 : 243).C’est ce qui explique la forte croissance démographique à partir de cette période et, en conséquence, la structure par âge très jeune observée par la suite.

II. La période de 1962 à 1977

Certaines explications de la montée de la mortalité des enfants durant cette période proviennent des changements institutionnels occasionnés par l’accession à l’indépendance en 1962 et, auparavant, par la révolution rwandaise de 1959. Afin de comprendre comment cet événement majeur a eu des répercussions sur les conditions de vie de la population, il importe de revenir sur l’organisation socio- politique d’avant 1960, fondée sur un système d’inégalités institutionnalisées.

1. Le problème des inégalités

En plus de leur densité démographique parmi les plus élevées du monde, le Rwanda comme le Burundi sont connus pour leurs conflits politico-ethniques très meurtriers depuis le début des années 60. Ces conflits proviennent essentiellement de l’organisation socio-politique et économique fortement inégalitaire entre les deux ethnies hutu et tutsi. S’il est évident que les clivages ethniques sont préexistants à la

26 La population rwandaise était estimée à 1 100 000 personnes en 1914 (Mbandahe, 1990 : 33). Pour une description sur les ravages faits par les armées allemandes et belge, voir Rumiya (1992 : chapitre 3). 27 Postiaux, "Compte rendu des entrevues du 9-10 août 1929 avec le Mwami Musinga et sa mère Nyirayuhi", C.P./7/1. Cité par Rumiya (1992 : 174).

27 colonisation, on reconnaît communément que celle-ci les a aggravés et a renforcé les inégalités.

2. Les effets de la colonisation sur les inégalités

Sous la colonisation, les Allemands, puis les Belges se sont appuyés sur la hiérarchie politique existante pour diriger le pays28. Le fait de s’appuyer sur la hiérarchie coutumière eut pour effet l’extension et le renforcement de la pratique des abus commis par cette hiérarchie dans les zones de l’Ouest et du Nord qui y avaient jusqu'alors échappé.

À leur départ, les Allemands laissèrent un pays fonctionnant selon le modèle coutumier. Celui-ci se caractérisait par l’existence d’un roi tutsi qui assumait le contrôle politique du pays à travers une triple hiérarchie de chefs : le chef des pâturages, le chef du sol et le chef de l’armée. La population dépendait à la fois de chacun de ces trois chefs plus un quatrième dans le cadre d’un contrat de type féodal entre un shebuja patron et un umugaragu client29. Dans cette relation de dépendance, la population hutu était astreinte aux travaux les plus durs. Ce système assez complexe présentait l’avantage d’être souple puisque la population ne dépendait pas de l’autorité d’un seul chef et qu’elle pouvait être défendue dans le cadre de cette quadruple fonction par l’un ou l’autre de ces chefs (Reyntjens, 1985 ; Rumiya, 1992 : 217). Il y avait, en effet, une certaine concurrence entre les chefs qui devaient faire attention à l’opinion de la population quant à leur réputation de peur d'être démis.

Dans le but de rendre plus efficace cette administration indirecte, la triple hiérarchie fut abolie en 1926 et fusionnée entre les mains d’un seul chef, le plus souvent le chef de l’armée qui était toujours tutsi. Cela a eu pour autre effet pervers de déséquilibrer davantage les rapports de force en faveur de la classe dirigeante tutsi, et de privilégier les éleveurs, principalement tutsi au dépens des agriculteurs, en grande majorité hutu. Par ailleurs, l’ouverture, en 1907, de l’école des fils de chefs de Nyanza par les Allemands, reprise par les Belges, eut pour effet le renforcement de l’élite politique tutsi et la monopolisation du pouvoir par celle-ci. Une telle exacerbation de l’inégalité d’accès au pouvoir, aux ressources économiques et culturelles par l’autorité de Tutelle était, par ailleurs, en contradiction avec beaucoup d’autres décisions et interventions juridiques. Ces différentes mesures, prises le plus souvent à l’incitation de la Société des Nations, puis du Conseil de Tutelle de l'ONU, ont fini par saper les sources de la légitimité du pouvoir royal.

Pour ne citer que deux exemples, le décret du 14 juillet 1952 créait des conseils consultatifs à différents niveaux de l’administration et instaurait des élections au

28 En réalité, contrairement aux Allemands qui s’en remettaient au roi pour l’exécution de certaines tâches, les Belges intervenaient jusque dans les moindres détails de l’exécution des ordres. Ce qui fit dire à l’administrateur de Nyanza que la politique de la Tutelle belge était "la politique directe, la plus directe qu’il soit possible d’imaginer". R/R.U n° 7 (89), Territoire de Nyanza, rapport annuel 1930, cité par Rumiya (1992 : 228). 29 Dans ce contrat un shebuja cédait, en usufruit, une ou plusieurs vaches à un umugaragu à qui il promettait aussi d’assurer sa protection contre prestations en vivres, en services domestiques et en disponibilité pour l’accompagner dans ses voyages ou expéditions militaires.

28 Conseil Supérieur du pays présidé par le roi. Ce décret visait, entre autres objectifs, à l’atténuation des injustices et à la préparation de l’indépendance. Les élections eurent lieu en 1953 et le 30 septembre 1956. Le système d’élections était cooptatif et n’était donc pas démocratique30. Un seul Hutu fut élu, sur les 33 membres du Conseil Supérieur du pays. En dépit de leur non-représentativité, ces élections créèrent déjà l’idée d’un chef élu et formèrent, de ce fait, le peuple à l’idée de démocratie.

Par ailleurs, les arrêtés de 1954 ordonnèrent la suppression de l’ubuhake - bail à cheptel - et le partage des vaches entre les shebuja et les bagaragu. Cela diminua le poids de la domination des premiers. Après l’application du décret du 14 juillet 1952 et des arrêtés de 1954, le peuple se mit à réclamer le partage des terres, la réglementation du régime foncier, l’accès à l’enseignement dans des conditions égales pour tous, la répression des abus dans les tribunaux, la nomination des chefs et sous-chefs selon des critères méritocratiques. Avec ces interventions législatives le système socio-politique coutumier était en pleine désintégration (Gakusi et Nkundabagenzi, 1989). Ce contexte favorisa l’émergence de l’élite hutu qui devait s’attaquer formellement aux inégalités dans un document devenu célèbre : le manifeste des Bahutu, publié le 24 mars 1957. a) L’inégalité socio-politique

Grâce aux travaux réalisés sur la période précédant la révolution rwandaise et ceux portant sur la période 1959-1962, on dispose d’informations précises sur le système des inégalités de l’époque. On doit à Munyangaju (1959) une étude précise sur L’actualité politique au Rwanda dont les statisques montrent, de façon détaillée, l’accès inégalitaire au pouvoir, à la fonction administrative et à l’enseignement.

Alors que les Tutsi ne représentaient que 11 % de la population du Ruanda-Urundi, le roi ainsi que les chefs de toutes les chefferies étaient choisis dans cette ethnie. On trouve une seule exception au Burundi où un Hutu occupait un poste de chef de province. De façon générale, les données permettent de constater que plus la fonction était élevée, plus l'exclusion des Hutu était forte jusqu'à devenir totale pour ce qui concerne la fonction de roi et celle de chef, et ce malgré leur poids démographique. Ce n’est qu’à l’échelon inférieur que cette ethnie représentait 33 % des auxiliaires de l'administration.

30 Pour le mode d’élection utilisé, voir Fidèle Nkundabagenzi (1961), Évolution de la structure politique du Rwanda, mémoire de licence en Sciences Politiques, Université Catholique de Louvain, 47-57.

29 Tableau 3. Représentation hutu-tutsi aux divers organes du pouvoir en 1959

Population du Ruanda-Urundi Chefs de chefferie par ethnies au Rwanda

Ethnies Effectifs % Effectif % Hutu 4 000 000 88,2 0 0 Tutsi 600 000 10,8 45 100 Twa 50 000 1 0 0

Mandats publics Tutsi % Hutu % Total Chefs chefferie 81 98,8 1(Ur.) 1,2 82 Sous-chefs 1 050 95,5 50 4,5 1 100 Cons. Gén. du R.-U. 12 94,0 2 14,2 14 Cons.Sup. Ruanda 31 91,0 2 6,0 33 Cons.Sup. Urundi 30 80,7 3 9,0 33 Cons. Terr. Ruanda 125 81,7 30 19,3 155 Cons. Terr. Urundi 112 80,1 26 18,8 138 Auxiliaires de l'Administration 284 67,0 122 33,0 406 (1956)

Total 1 725 88,0 236 12,0 1 961

Source : Aloys Munyangaju (1959)

Ces inégalités d’accès au pouvoir particulièrement fortes entre les ethnies (inégalités horizontales), l’étaient également à l’intérieur de l’ethnie tutsi (inégalités verticales). Ainsi, le clan des Banyiginya représentait à lui seul une proportion de 68,9 % du nombre de chefs de chefferies au Rwanda. Au sein même de ce clan, la famille des Bahindiro sur un total de 7 familles en représente 28,9 %. Cette situation s’explique non seulement par le fait que le clan des Banyiginya constituait la dynastie régnante, mais aussi parce que, dès les années 40, le roi Rudahigwa adopta une politique explicite en faveur des personnes de son clan, plus particulièrement celles de la famille des Bahindiro31.

31 La position privilégiée du clan des Bega s’explique aussi par le fait que ce clan était le pourvoyeur de femmes des rois.

30 Tableau 4. Répartition des chefs par clans et par familles au Rwanda en 1959

Clans Effectifs % 1. Banyiginya 31 68,9 2. Bega 5 11,2 3. Basinga 3 6,7 4. Bazigaba 2 4,4 5. Bacyaba 2 4,4 6. Bagesera 1 2,2 7. Vacant 1 2,2

Clans Familles Effectifs %

1. Banyiginya 1. Bahindiro 13 28,9 2. Bagunga 5 11,12 3. Bashambo* 5 11,12 4. Batsobe* 3 6,7 5. Bakobwa 1 2,2 6. Benemunyiga 1 2,2 7. Baryinyonza 1 2,2 8. Baka 1 2,2 9. Bahanya 1 2,2

2. Bega 1. Bakagara 2 4,5 2. Bakongori 1 2,2 3. Bakiza 1 2,2 4. Bahanya 1 2,2

3. Basinga Bacumbi 3 4,4 4. Bazigaba Barenzi 2 2,2 5. Bacyaba Babogo 1 2,2 ? 1 2,2 6. Bagesera ? 1 2,2 7. Vacant Indéterminé 1 2,2

Total 18 45 100,0 Source : Aloys Munyangaju (1959) * Selon Kalibwami (communication personnelle), les familles Bashambo at Batsobe formaient un clan à part, proche de celui des Banyiginya.

31 b) L’inégalité d’accès à l’enseignement

Comme pour le pouvoir, les inégalités entre les deux ethnies étaient flagrantes en ce qui concerne l’enseignement32. Et ces inégalités étaient d’autant plus fortes que le niveau d’études était plus élevé. Ainsi, alors que la proportion de Hutu était de 67,7 % à l'école primaire, ce pourcentage n'était plus que de 39,1 % à l’école secondaire. Au sein de l’école secondaire même, les inégalités variaient selon le niveau et les établissements, comme le montrent les données du Ruanda-Urundi pour l’année scolaire 1957-58.

Tableau 5. Répartition ethnique en matière d'éducation en 1957-1958

Au niveau du Rwanda

Écoles primaires Écoles secondaires

Effectifs % Effectifs %

Ethnies Tutsi 14 211 32,1 1 740 60,9 Hutu 29 953 67,7 1 116 39,1 Twa 32 0,2 - - Total 44 196 100 2 856 100

Au niveau du Ruanda-Urundi

Ets de l'école secondaire Tutsi % Hutu % Total

1.Collège Interracial Usumbura 135 66,9 67 33,1 202 Rhétorique et sec.1958 39 84,8 7 15,2 46 2. Athénée Royal d'Usumbura 57 82,7 12 17,3 69 3. Groupe Scolaire d'Astrida 279 66,0 143 34,0 422 4. Ecole Prof. Usumbura 1956 235 64,9 117 36,0 352 5. Ecoles Infirmières Usumbura 52 65,9 27 34,1 79

Total 797 68,1 373 31,9 1 170

Source : Aloys, Munyangaju (1959)

1. Au niveau du Rwanda : statistiques fournies à la Commision Scolaire du Conseil Supérieur du pays par 29 établissements d'enseignement primaire sur 114 et par établissementds 29 d'enseignement secondaire sur 47. 2. Au niveau du Ruanda-Urundi : statistiques des établissements secondaires fréquentés par des élèves venus du Rwanda et de l'Urundi.

Bien que l’inégalité d’accès à l’enseignement fût encore excessivement forte dans les années 50, elle avait commencé à diminuer. En se fondant sur les données du Groupe Scolaire d’Astrida pour lequel on dispose d’une série chronologique de répartition ethnique des étudiants provenant du Rwanda, du Burundi et du Congo, et sur celles du tableau précédent, on remarque que la proportion de Tutsi est passée de 78 % en 1953 à 66 % en 1957-58.

32 Rappelons au passage qu’au début, c’était les enfants hutu qui fréquentaient l’école primaire, puisqu’il était mal considéré de fréquenter les missions. Ce n’est que par la suite que les Hutu furent évincés de l’enseignement, lorsqu’il était devenu évident que l’enseignement conférait une position sociale élevée (Harroy : 83).

32 Les statistiques du tableau suivant ont été recueillies par René Lemarchand au Groupe scolaire même dans les années 60. Le tableau original ne comporte ni la somme des étudiants tutsi et hutu ni le pourcentage des Tutsi. Les données de ces deux variables ont été dérivées du tableau d’origine. Ce tableau ne précise pas si le nombre d’étudiants tutsi provient du seul Rwanda ou s’il comprend aussi ceux du Burundi. Étant donné que le Groupe Scolaire recevait les étudiants venant de ces deux pays, plus les enfants de chefs venant de la région du Kivu (Congo), on considère que le nombre de Tutsi comprend les étudiants rwandais et burundais. Le pourcentage a été calculé sur cette base.

Tableau 6. Répartition ethnique des étudiants du Groupe Scolaire d'Astrida (1932-1954)

Années Hutu Hutu Total Hutu Tutsi Congolais Tutsi+Hutu % Tutsi Rwanda Burundi 1932 - - 9* 45 14 54 83 1933 - - - 21 - - - 1934 - - 13* 26 - 39 67 1935 - - 11* 41 - 52 79 1945 - 3 - 46 - - - 1946 1 8 9 44 - 53 83 1947 2 10 12 44 - 56 79 1948 2 11 13 85 2 98 87 1949 5 9 14 85 - 99 86 1953 3 16 19 68 - 87 78 1954 3 16 19 63 3 82 77 * Origine géographique non mentionnée. Source : enrolment Records, Groupe scolaire, Astrida (actuelle ville de Butare), statistiques citées par René Lemarchand (1970 : 138). Selon Lemarchand les données de 1936-44 et de 1950-52 n'étaient pas disponibles.

C’est, en définitive, au moment où les inégalités baissaient que les revendications des Hutu sur l’égalité de traitement dans tous les domaines sont devenues plus vigoureuses, pour déboucher à la révolution de novembre 1959. Après cette date, ce processus va s’accélérer et ce n’est qu’à partir de 1964 que le nombre d’étudiants tutsi et hutu aurait commencé à être équilibré33.

3. Les effets de la révolution rwandaise

On reconnaît généralement à la révolution rwandaise le mérite d'avoir mis un terme au système monarchique dont on vient de souligner la gravité des inégalités, et d'avoir tenté d'introduire, du moins au début des années 1960, un système de partage du pouvoir, à travers les partis politiques représentés à l'assemblée nationale. Toutefois, à côté de ses effets positifs, la révolution a été l'occasion de

33 Communication avec le Frère Bernard, arrivé au Groupe Scolaire de Butare en 1961 où il fut aussitôt responsable de la section scientifique avant de devenir Directeur de cet établissement de 1972 à 1994.

33 troubles socio-politiques qui ont eu des effets négatifs inattendus sur les conditions de vie des Rwandais. La montée de la mortalité des enfants en est un exemple frappant. Ce phénomène ne semble pas avoir retenu l'attention des spécialistes du Rwanda jusqu'ici. a) Les effets sur le système de santé

L'un des changements majeurs de la révolution rwandaise a été le passage du pouvoir des mains de l'élite de l'ethnie minoritaire tutsi à celles de l'élite de l'ethnie majoritaire hutu. Ce changement a eu des conséquences négatives certaines sur l'organisation du système de santé.

Il importe de rappeler qu'avant 1960, les Tutsi avaient eu un accès prioritaire à l'enseignement. Par conséquent, c'était principalement eux qui exerçaient des fonctions politiques, administratives et techniques, y compris dans le secteur sanitaire. De ce fait, la révolution rwandaise eut pour conséquence immédiate le départ à l'étranger d'une bonne partie du personnel tutsi. Pour l'élite tutsi, ce départ était motivé par le refus du changement ou la crainte d'être tué. Cette crainte était d'autant plus motivée qu'il s'agissait de personnes qui avaient profité de leur position sociale pour commettre des abus à l'égard de la population hutu et qui craignaient que cette dernière ne se venge. Par ailleurs, l'exil était un signe de solidarité à l'égard du roi en fuite qui, on l'espérait, avec l'aide de certains pays et organisations, pourrait reprendre le pouvoir.

Il est difficile de donner des chiffres exacts du nombre de Tutsi victimes de ces troubles politiques. On estime qu'entre le 1er et le 12 novembre 1959, il y eut 2 000 habitations incendiées et environ 300 victimes34. Entre novembre 1959 et septembre 1961, les massacres et l'insécurité ont généré des dizaines de milliers de réfugiés - aussi bien tutsi que hutu au départ, puis presque exclusivement tutsi - à l'intérieur et à l'extérieur du pays. Le nombre de personnes déplacées atteignait 300 000 personnes dont 120 000 à l'extérieur (Guichaoua, 1997). Les massacres de fin 1963, à la suite d'une tentative de reprise du pouvoir par les réfugiés à partir de l'Ouganda et du Burundi, auraient fait 20 000 victimes tutsi et un exil d'environ 100 000 personnes (Manikas, P.M. and K. Kumar, 1997). On estime ainsi qu'entre 40 et 70 % des Tutsi auraient quitté le Rwanda entre 1959 et 196435.

Il s'ensuit que la révolution a mis dans un état de grave dysfonctionnement le système médical par le fait qu'une bonne partie du personnel qualifié - assistants médicaux, infirmiers et infirmières - venait de quitter le pays. De plus, une partie du personnel médical tutsi qui était restée dans le pays n'était plus dans un contexte socio-politique lui permettant d'exercer son métier dans des conditions psychologiquement favorables. À la suite de la défaite de la monarchie et des

34 Ce chiffre est cité par la Mission d’information commune de l’Assemblée nationale française, Enquête sur la tragédie rwandaise, Tome I (1998 : 58). 35 Erny (1994 : 140) parle de 10 à 20 000 le nombre de Tutsi qui ont péri pendant la révolution et les années qui ont suivi, Imbs (1994) de 10 000 victimes pour 1963 et de 20 000 celles de toute la période 1959-1967. À vrai dire, comme pour le génocide et les autres massacres perprétrés à partir de 1990, on ne connaît pas avec exactitude le nombre de victimes. Dans ces circonstances, il arrive que les chiffres soient gonflés ou sous-estimés selon la thèse que l'on veut défendre.

34 attaques menées aux frontières du pays par les réfugiés tutsi à partir des pays limitrophes du Rwanda, les Tutsi restés à l'intérieur du pays évoluaient dans un climat de grande insécurité. Dans son adresse aux Rwandais émigrés ou réfugiés, le Président Kayibanda décrit, en mars 1964, cette atmosphère de la façon suivante : "Les Tutsi restés au pays qui ont peur d'une fureur populaire que font naître vos incursions sont-ils heureux de vos comportements ?"

Le dysfonctionnement du système de santé a été d'autant plus important que parmi le peu de Hutu qualifiés pour exercer le métier médical, certains avaient opté pour la recherche de postes politiques ou administratifs offrant plus de prestige social et davantage de moyens matériels. Le Dr Vanderick (1982) décrit la situation en ces termes :"Ce pays, peut-être le moins bien préparé de tous : pas de villes, peu ou presque pas de cadres, mais une grande volonté de réussir malgré les péripéties parfois angoissantes de la révolution qui absorbent énormément d’énergies. Partir de zéro, par exemple, en ce qui concerne le service médical : créer un ministère de la santé, sans archives au départ, dans des locaux provisoires, à la hâte, bref, une infrastructure administrative inexistante".

Il faudra donc attendre au moins une dizaine d'années pour renouveler le stock de personnel médical, étant donné que la seule formation d'assistants médicaux au Groupe Scolaire de Butare et quelques écoles d'infirmiers ne présentaient que de très faibles effectifs de sortants, en dessous de 10 par an pour chaque école. Pendant ce temps, l’organisation du système de santé a été affaiblie par le manque de personnel qualifié. En même temps, l'expansion démographique battait son plein. Dans un tel contexte, les conditions de survie, particulièrement celles des enfants pouvaient facilement se détériorer. Cette détérioration trouve également d'autres explications liées elles aussi à la révolution. b) Les effets sur l'économie

De façon générale, la période qui a suivi la révolution rwandaise a été marquée par une stagnation dans les domaines économique et social. Dans le domaine agricole, la révolution a produit au moins deux effets contradictoires.

D'une part, le système foncier de type féodal qui a caractérisé le Rwanda sous la monarchie tutsi ne favorisait pas le développement agricole du fait des exactions exercées dans le cadre des relations de subordination entre les maîtres tutsi et les clients hutu. L’abolition de la monarchie, l’exil du Mwami et de certains autres grands éleveurs de vaches libérait des terres. Cette situation augmentait, par conséquent, la disponibilité de terres de culture, du moins dans le début des années 60, avant que la croissance démographique ne conduise à une saturation des terroirs (Gakusi, 1990, 1995). Il faut rappeler que l'une des revendications des leaders hutu en 1957 était un meilleur accès à la terre et une pleine jouissance de la propriété foncière individuelle36. La révolution a donc eu des effets positifs sur les conditions d'accès à la terre et sur le statut juridique de la propriété foncière. Une telle situation laisse penser à une chaîne causale allant du meilleur accès à la terre à une plus grande disponibilité alimentaire, puis à une baisse de la mortalité.

36 Voir "Note sur l'aspect social du problème racial indigène au Rwanda", 24 mars 1957. Reproduit in Fidèle, Nkundabagenzi (1961), Rwanda politique, C.R.I.S.P., 20-30.

35 D'autre part, de tels changements rapides étaient, pendant un certain nombre d’années, contre-productifs suite à la grande désorganisation de la paysannerie provenant du changement radical du pouvoir auquel la population avait été soumise pendant très longtemps. Certains champs avaient été abandonnés, les récoltes détruites et le bétail abattu et dispersé. De cette situation, il est résulté une récession économique généralisée.

Les figures 5 et 6 montrent qu'entre 1958 et 1965, le Rwanda a connu une importante récession de la production des cultures vivrières. Entre 1965 et 1967, on assiste à une reprise puis à un état stationnaire si on tient compte de la croissance de la population. L'évolution de la production du café dont le Rwanda tirait plus de 80 % de ses devises, a baissé entre 1962 et 1963, puis elle a suivi une tendance à la hausse jusqu'en 1976, lorsque la production par tête a baissé puis stagné jusqu'en 1982. Seule la production du thé est restée croissante depuis 1962. La production des mines est restée stationnaire, puis elle a décliné à partir de 1979 jusqu'à la mise en faillite de la Société Minière du Rwanda le 31 juillet 1985, suite à l'épuisement des gisements faciles d'accès (Uwizeyimana, 1988).

200

180 bananes 160 140 légumineuses 120 100 80 60 céréales 40 20 féculents 0 1958 1963 1965 1967 1969 1971 1973 1975 1977 1979 1981 1983 1985

Source : ministère de l’économie et des finances (1987).

Figure 5. Évolution de la production vivrière par tête (en kg) Source : ministère de l’économie et des finances (1987).

Figure 6. Évolution des produits d’exportation par tête (en kg)

8

7

6

café 5

4

3

2 thé

1 min es 36 0 1962 1963 1964 1965 1966 1967 1968 1969 1970 1971 1972 1973 1974 1975 1976 1977 1978 1979 1980 1981 1982 1983 1984 1985 Sur le plan nutritif, la révolution a pu avoir des répercussions négatives - du moins dans une bonne partie du pays - par le fait que le départ des Tutsi qui étaient de grands éleveurs de vaches, avait entraîné également un exode de troupeaux vers les pays limitrophes. De plus, comme il a été dit plus haut, une partie de ces troupeaux avait été détruite lors des troubles. Ce problème aurait eu d'autant plus d'impact sur la situation des enfants que la malnutrition constituait le plus grave problème de santé et qu'il existait une bonne répartition du lait au sein de la population. Le terme gukamisha signifie la pratique qui consistait à récolter du lait chez un éleveur de vaches moyennant des prestations diverses ou même à titre gratuit. Cette récolte de lait se faisait principalement en faveur des bébés. Il est aussi connu que le petit lait dont la consommation était surtout réservée aux femmes et aux enfants était largement partagé. Cela favorisait la consommation de protéines.

Une enquête alimentaire menée au Ruanda-Urundi en novembre 1953 indiquait que pour ce mois, 35 % de la population de l’Urundi et 45 % de celle du Ruanda consommaient du lait plus ou moins régulièrement. Cette même enquête notait une forte différence entre les ethnies. La consommation de lait était respectivement de 90 % et de 23 % pour les Tutsi et les Hutu du Burundi ; de 85 % et de 34 % pour les Tutsi et les Hutu du Ruanda. L’enquête ne donne pas de proportions selon le sexe et l’âge. Elle accorde, à l’intérieur de la famille, les indices de consommation 2, 3 et 4 respectivement au père, à la mère et aux enfants. Elle ne fournit pas non plus d’informations sur les quantités consommées (Close, 1955 : 42-43). Toutefois, selon des études récentes, il semble que la différence de consommation de lait entre enfants tutsi et enfants hutu aurait été réduite de moitié entre les années 50 et les années 90 (Hiernaux et Vanderborght, 1956 ; Scott, 1996 : 270). c) La question de l'insécurité

Entre 1960 et 1966, le Rwanda a connu une forte insécurité aux frontières du pays. Celle-ci provenait d’attaques menées par les défenseurs de la monarchie et - plus généralement - par les personnes perdantes au changement de l'élite au pouvoir. Dans la même adresse du Président Kayibanda citée plus haut, celui-ci précise la fréquence des incursions des réfugiés tutsi et le climat d'insécurité qu'elles faisaient régner : "Vos dates, le 15, le 25 de chaque mois auxquelles vous dédiez vos incursions sont pour certains d'entre vos congénères un tourment quasi perpétuel". Kayibanda précisait que ces incursions occasionnaient des mesures de représailles contre les Tutsi restés à l'intérieur du pays. Il avertissait aussi les auteurs des incursions sur l'ampleur des dégâts humains qu'il y aurait s'ils arrivaient à prendre Kigali : "À supposer par impossible que vous veniez à prendre Kigali d'assaut, comment mesurez-vous le chaos dont vous seriez les premières victimes ? Je n'insiste pas : vous le dites entre vous : "ce serait la fin totale et précipitée de la race tutsi". Trente ans après, la situation qu'a connue le Rwanda en 1994 avec le génocide des Tutsi semble correspondre à une telle prévision (Erny, 1994).

Ces propos du premier Président rwandais reflètent le climat d'insécurité dans lequel fonctionnaient les nouvelles institutions du pays. Une fois installés dans les pays voisins du Rwanda, les réfugiés, avec l'appui des pays de l'Europe de l'est, de la Chine populaire et de certaines organisations humanitaires, s'organisèrent et

37 commencèrent de sanglants raids afin de déstabiliser le nouveau gouvernement encore inexpérimenté et de tenter de reprendre le pouvoir37.

Ainsi, en avril 1962, on dénombrait une quinzaine d'attentats perpétrés en préfecture de Byumba et de Kigali à partir des camps d'Ouganda, deux attentats en juillet de la même année à partir de la région des volcans dans le Nord du pays d'une part, de l'Ouganda et du Tanganyika d'autre part. Une nouvelle opération d'envergure fut préparée en mai 1963 mais son plan fut découvert avant son exécution ; puis le 14 novembre un fort contingent de réfugiés tenta d'entrer au Rwanda à partir du Burundi qui l'en interdit sur pression d'ambassades étrangères et du Haut-Commissaire des Nations Unies pour les Réfugiés à Bujumbura.

La plus importante des incursions, faite à partir du Burundi, se déroula le 20 décembre 1963 et fut stoppée près de Kigali. Cette attaque avait été précédée d'une campagne visant à désorganiser le pays en semant la rumeur sur la restauration de la monarchie et sur la victoire des réfugiés. En représailles, ce fut cette attaque qui provoqua le plus de morts et d'exilés tutsi. Pendant ce même mois, d'autres tentatives infructueuses furent faites à partir du nord et de l'ouest du Rwanda. Pendant les années suivantes, il y eut des attaques épisodiques à partir du Burundi. Pour l'année 1966, ces attaques eurent lieu en janvier, le 20 septembre, le 31 octobre, puis le 7 et le 14 novembre. Le 28 novembre 1966 se produisit un coup d'État au Burundi qui renversa la monarchie et proclama la République. Le Rwanda noua aussitôt des contacts avec le nouveau Président, le Capitaine Micombero. Un accord de sécurité fut conclu le 28 août 1968 visant à entraver, de façon réciproque, toute action de réfugiés rwandais et burundais. C'était le début d'une plus ou moins longue période de paix relative en attendant octobre 1990, date de la nouvelle offensive qui fut, cette fois-ci, décisive.

Le contexte d'insécurité qui a caractérisé les années 60 eut des répercussions sur la mortalité pour plusieurs raisons. En effet, l'instabilité aux frontières alourdissait la charge des autorités politiques et les empêchait de fournir tout l'effort nécessaire aux questions de développement économique et social, en les amenant à consacrer du temps et des ressources à chercher des solutions aux problèmes de sécurité. Ces problèmes exigeaient le renforcement du dispositif militaire par l'achat de nouveaux matériels et par la mobilisation d'une partie de la jeunesse pour renforcer la Garde Nationale. Cela devait avoir pour conséquence un certain coût d'opportunité par rapport au financement des investissements économiques et sociaux. Il est donc plausible de dire que l'insécurité a influé négativement sur l'attention portée aux questions de santé et d'hygiène et que, dans un tel contexte, les conditions de survie des enfants ont pu empirer.

La concordance de la courbe en baisse du taux de scolarisation au niveau de l'école primaire (figure 7) avec celle de la remontée de la mortalité des enfants (figure 1) sur la période en question est à ce propos frappante. Cela semble confirmer que les questions sociales n'ont pas pu être traitées de façon efficace, en dépit de la volonté politique d'alors, et de la part importante de ces questions dans les dépenses budgétaires. À titre d’exemple, le rapport fait par Marcel Colson pour l’année scolaire

37 Les informations sur l'insécurité sont données avec plus de détails par Lemarchand (1970). Voir aussi Paternostre de La Mairieu (1983 : 268-278) et Reyntjens (1985).

38 1967-68 indique que la part des dépenses du budget national consacrée à l’enseignement était de 28 %38.

70

60

50

40

30

20

10

0 1964-65 1966-67 1968-69 1970-71 1972-73 1974-75 1976-77 1978-79 1980-81 1982-83 1984-85

Source : ministère de l’économie et des finances (1987), Erny (1978).

Figure 7. Taux de scolarisation au Rwanda, enseignement primaire (en %)

Les observations précédentes sont à rapprocher avec le fait, qu’une fois devenu indépendant, le 1er juillet 1962, le Rwanda n'a pas reçu une aide internationale à la mesure des défis que la jeune république s'assignait de relever.

4. L'indépendance et la gestion de l’État

À l'indépendance, le Rwanda partit de conditions extrêmement défavorables du point de vue des infrastructures et du capital humain. Il fallait, par ailleurs, créer un nouveau cadre institutionnel pour la nouvelle République. a) Le problème des infrastructures et du capital humain

Avec le Burundi, le Rwanda formait le Territoire du Ruanda-Urundi. La Belgique qui en reçut le mandat de tutelle de la Société des Nations, avait choisi dès le départ Bujumbura comme capitale politique et administrative. De ce fait, la Belgique avait concentré ses investissements publics et privés (bureaux administratifs, usines, banques, lycées, etc.) dans cette ville. Lorsque le Rwanda acquit son indépendance, il se trouvait dans un dénuement d'infrastructures presque total. Il n’existait pas de routes asphaltées, aucune banque, pas d’entrepôts ni d’hôtels. La radio qui était à ses débuts n’était entendue qu’aux environs de Kigali (Paternostre de La Mairieu, 1983 : 196). Il n’y avait que très peu de bureaux et de logements.

Plus important encore, est qu'à l'indépendance, le Rwanda manquait de personnel qualifié à tous les niveaux. Certes, pour la plupart, les leaders hutu avaient un bon

38 Marcel Colson a été inspecteur de l’enseignement secondaire au Rwanda de 1967 à 1974. Nous avons consulté les documents à son domicile, en Belgique, le 8 février 1999.

39 niveau de formation générale acquise grâce à l'enseignement rigoureux du petit et du grand séminaires. Il s'agissait toutefois d'une élite sans expérience ni dans la politique ni dans la gestion des affaires économiques et sociales. Harroy (1984 : 186 et 387) cite le dilemme qui portait sur le choix du ministre des finances lors de la formation du gouvernement provisoire le 26 octobre 1960 : ou un homme mûr ignorant tout des finances ou un très jeune universitaire sans expérience des affaires publiques. Le choix se porta sur Gaspard Cyimana diplômé en sciences financières et âgé seulement de 23 ans.

Au niveau des cadres moyens, la formation dispensée par le Groupe Scolaire d'Astrida s'adressait en immense majorité à des Tutsi dont une bonne partie s’était exilée et une autre devenue pratiquement inutilisable dans le Rwanda de 1961, selon les termes de Harroy (1984 : 428). De plus, le personnel congolais qui travaillait au Rwanda avait été obligé de quitter le pays - ayant été rappelé au Congo - ou bien n'était pas accepté par la nouvelle élite.

Le manque de personnel qualifié pour faire marcher le Rwanda indépendant se posait donc cruellement, d'autant plus que le personnel européen s'était retiré en masse en vertu d'un décret publié par le gouvernement belge qui assurait aux fonctionnaires de la colonie et de la Tutelle des indemnités de cessation d'emploi et des conditions de reclassement très généreuses. Harroy note qu'en 18 mois à compter de 1960, le nombre de cadres belges au Ruanda-Urundi était passé de 1 500 à 50039.

Dans le domaine médical, les statistiques disponibles ne permettent pas de constater un départ massif des médecins belges, puisque leur nombre était de 26 en 1950 et de 22 en 1963. Pour avoir une bonne idée sur cette question, il aurait fallu disposer d’une série statistique plus longue montrant l’évolution du nombre de médecins dans les années 50 et au début des années 60. Toutefois, les témoignages du Dr Vanderick et du Dr Questiaux, interviewés en février 1999, concordent pour dire que plus de la moitié de médecins belges ont quitté le Rwanda au moment de l'indépendance40. L'explication de ce départ semble être, pour les jeunes médecins, que l'indépendance avait introduit un élément de grande incertitude.

Ils ne voyaient pas quel pouvait être leur carrière dans un pays gouverné par les Rwandais. L'incertitude portait aussi sur les structures d'accueil pour leurs enfants, comme les écoles. Il leur fallait par conséquent rentrer aussitôt en Belgique pour s'insérer sur le marché de l'emploi pendant que leur jeune âge constituait encore un atout. Pour ce qui est des assistants médicaux le tableau de l’annexe 3 montre que leur nombre qui était de 291 en 1950 n'était plus que de 70 en 196341.

39 Pour les commentaires sur les modifications de ce décret et ses effets voir Harroy (1984 : 424, note 2). 40 Le Dr Vanderick est arrivé au Rwanda en 1937 pour repartir en 1981. Il a travaillé à Kabgayi, puis à la direction du ministère de la santé à Kigali avant de devenir Doyen de la faculté de médecine à sa création en 1963 jusqu'en 1981. Nous l'avons interviewé à son domicile en Belgique, le 9 février 1999. Le Dr Questiaux était gynécologue de renom à Kigali. Il est arrivé au Rwanda en 1961 et il en est parti en 1994. Nous l'avons interviewé également à son domicile, le 10 février 1999. 41 Il n'est pas possible de garantir la cohérence de ces statistiques qui proviennent de deux sources différentes. Voir l'annexe 3.

40 Une telle situation ressemble, mutatis mutandis, à celle qui a prévalu au Congo à la veille de l’indépendance. Une semaine après que Patrice Lumumba devint Premier ministre, le 30 juin 1960, 1 100 des 1 200 médecins belges travaillant dans ce pays ont plié bagages avec le sentiment que la sécurité des Belges n’était plus assurée. Ce départ massif créa un tel manque de médecins que, dans 396 des 400 hôpitaux du pays, les soins médicaux étaient assurés par les infirmières et par des assistants médicaux à moitié formés. À cette époque, il n’y avait pas encore de médecins congolais. Les quelques étudiants en médecine étaient encore en formation.

Le départ de médecins fut suivi par celui d’inspecteurs de santé publique et d’ingénieurs sanitaires. Le résultat fut catastrophique : éruption de la peste bubonique et pneumonologique, ainsi que la variole ; accroissement de maladies moins spectaculaires mais graves comme la malaria, la filariose, la méningite, la pneumonie et la maladie du sommeil. Le recrutement hâtif par l’Organisation Mondiale de la Santé de 104 médecins et infirmières, même s’il a permis à 50 hôpitaux de fonctionner à nouveau, ne pouvait pas compenser le départ des Belges, surtout si l’on tient compte de l’inexpérience des recrues en matière de maladies tropicales et du contexte politique chaotique de l’époque42. b) Besoins de financement et aide internationale

Les difficultés initiales qui viennent d'être évoquées furent aggravées par le manque d’aide internationale. Paternostre de La Mairieu, ancien conseiller du Président Kayibanda, note dans son livre43, une série d’accords d’aide passés entre le Rwanda et certains pays et organisations internationales qui sont restés sur le papier jusqu’en 1963. C'est à partir de 1966 qu’une aide substantielle commença à être versée. Faute d’aide et par manque de ressources internes, le Rwanda indépendant a démarré financièrement exsangue.

Or, précise le même auteur, le Rwanda avait un besoin énorme de financement pour faire face à d’immenses problèmes et pour entreprendre diverses activités : la construction d'infrastructures, la création et le fonctionnement de nouvelles institutions, l'ouverture d'ambassades dans différents pays, le versement de cotisations à diverses organisations internationales dont le Rwanda était devenu membre, et la réalisation des investissements économiques et sociaux. La seule aide que recevait alors le Rwanda, de Belgique, avait été réduite. La Belgique demandait même au Rwanda et au Burundi, pendant quelques années, une contribution forfaitaire de 9 000 Francs rwandais par agent expatrié.

La pénurie de moyens financiers obligeait, avant 1964, les responsables du pays à emprunter auprès de la Banque du Ruanda-Urundi44. Cela gonflait artificiellement la masse monétaire et provoquait une hausse des prix. Le commerce de produits d'exportation n'était d'aucun secours parce que la production des produits agricoles et miniers avait brusquement chuté pendant que les cours mondiaux des matières

42 Time (1960), "The Medieval Pattern", November 7, p. 57. 43 Nous lui devons les informations de cette section. 44 La Banque Nationale du Rwanda fut fondée en 1964.

41 premières baissaient. Cette situation correspondait à une baisse du pouvoir d'achat de la population qui était engagée dans la culture des produits d'exportation45. Une telle situation eut de nombreuses conséquences économiques au début des années 60 : le déficit de la balance des paiements du fait de la hausse des importations, la spéculation sur les devises et la fraude qui avait été favorisée par l'existence de taux de change différents (l'un pour l'importation de produits prioritaires, l'autre pour les autres produits). Les produits de luxe connurent une hausse exorbitante de 140 à 150 % entre 1960 et 1962, et de 150 à 300 % entre 1963 et 1964.

Face à cette situation, le gouvernement du Président Kayibanda adopta des mesures d'austérité budgétaire en réduisant le nombre de ministères qui passa de 11 à 9, celui des communes de 229 à 141, celui des tribunaux de cantons de 109 à 75 et en limitant plusieurs autres activités. Le gouvernement réduisit aussi le nombre de coopérants belges au profit de coopérants d'autres nationalités dont le coût était moindre. En dépit de ces mesures, le déficit continuait de croître. En 1963, le marasme économique général du pays était durement ressenti d'autant plus qu'au mois de mai les pluies avaient provoqué des inondations et des glissements de terrain emportant des routes et des ponts, détruisant de nombreuses cultures et des milliers d'habitations et faisant 162 morts et plus de 24 000 sinistrés.

Au demeurant, on doit souligner le peu de marge de manœuvre dont disposait le gouvernement du Président Kayibanda pour faire face aux immenses besoins de financement des nouvelles structures générées par l'indépendance. Cette absence de moyens financiers explique, en partie, la dégradation des indicateurs sociaux dont la mortalité des enfants et le taux de scolarisation. c) La gestion de l’État

La dégradation des indicateurs économiques et sociaux de la période 1960 à 1977 s'explique aussi par la nature de la gestion des affaires publiques et les conditions politiques de l’époque dont les effets sur les conditions de vie ne vont pas toujours dans le même sens. Les premières années de la décennie 60 furent celles d’une intense activité politique. On a déjà expliqué plus haut les efforts que la nouvelle élite politique devait déployer pour assurer la sécurité du pays. Sur le plan institutionnel, lorsqu’il devint indépendant, le Rwanda n’avait pas de constitution. Une des tâches importantes était donc de se doter d’une constitution. Les activités politiques l’ont donc emporté sur les préoccupations économiques et sociales au cours des premières années de cette décennie. Toutefois, ces préoccupations étaient bien présentes et de multiples initiatives furent prises dans divers secteurs de la vie économique et sociale.

Sur le plan économique, le Rwanda est resté dans l'Union économique du Ruanda- Urundi instituée sous la Tutelle. L'Union portait notamment sur l'existence d'une monnaie commune et l'absence de frontière entre les deux pays. Cette situation défavorisait le Rwanda puisque le Burundi récoltait 60 % des recettes douanières et fiscales. Elle devait durer jusqu'au 1er janvier 1964 quand la Banque Nationale et le Franc rwandais furent créés. Une année après, la monnaie rwandaise fut dévaluée de 50 % pour l'adapter à son pouvoir d'achat réel. Cette dévaluation fut suivie d'une

45 Café, thé, pyrèthre, minerais.

42 hausse des salaires, de plus de liberté des changes et de modifications des tarifs douaniers. Dans ces réformes économiques, le Rwanda fut appuyé par une substantielle aide belge et américaine.

Pour ce qui est de l’infrastructure financière, en plus de la Banque Nationale, d'autres établissements financiers furent créés. Il s'agit de la Caisse d'Épargne (1963), de la Banque commerciale (1962), de la Banque de Kigali (1968) et de la Société Nationale d'Investissement devenue dans la suite la Banque Rwandaise de Développement (1967). Il est cependant plausible de dire que ces établissements n'ont joué qu’un rôle très limité dans la vie de la population étant donné les conditions contraignantes d'accès au crédit qui ne pouvaient être remplies que par une infime minorité de personnes. De plus, jusqu'en 1981, les crédits octroyés par les banques étaient principalement orientés vers le commerce plutôt que vers la création de richesses par les investissements de long terme. De 1971 à 1981, le commerce - principalement le commerce du café - occupait en moyenne environ 48 % des crédits. À partir de 1981, ce sont les activités agro-alimentaires qui ont pris le première place avec une part d'environ 35 % des crédits.

Ce n'est que tardivement que les Banques Populaires, créées en 197546, purent pallier le problème d'accès au crédit des personnes disposant de bas revenus et ne présentant pas les garanties exigées par les autres banques. Les banques populaires, dont les ressources provenaient essentiellement de l'épargne des paysans, des artisans et des petits fonctionnaires, ont déployé leurs activités sur tout le territoire et ont favorisé la circulation monétaire en octroyant des crédits aux petits épargnants en période de soudure et en finançant diverses activités : amélioration de l'habitat, financement de l'artisanat, achat de matériel, création de l'assurance rurale. De par leur gestion participative, les banques populaires constituaient une occasion, non seulement d'apprentissage de l'épargne, mais aussi d'organisation démocratique dans laquelle les sociétaires élisaient les gestionnaires. En 1975, ces banques étaient au nombre de 3, dix ans après, elles étaient 79 et le nombre de sociétaires s'était multiplié par 49, passant de 2 016 en 1975 à 99 585 en 1985 (Nzisabira, 1992). À ces établissements financiers, il faut ajouter la Caisse Sociale (1962) qui ne concernait encore que les travailleurs salariés déclarés par les employeurs. Le nombre de personnes couvertes n’était que de 40 591 en 1962. Il était de 280 970 en 1986.

En sus des faiblesses de l’infrastructure financière, il faut aussi noter que pendant la présidence de Kayibanda, il était interdit aux hommes politiques et aux fonctionnaires d'entreprendre des activités lucratives. Cette mesure freinait la propension à entreprendre et empêchait le développement de certaines activités comme cela a été

46 C'est cependant le Président Kayibanda qui eut l'idée de la création des Banques Populaires à la suite de son voyage officiel en Suisse en 1965 où il visita le siège de l'Union des Caisses Raiffeisen et se fit expliquer leur fonctionnement. Il retourna avec l'idée que ce modèle pouvait fonctionner au Rwanda. Par la suite une étude de faisabilité fut faite et la Suisse signa en 1972, malgré la conclusion négative de l'étude, des accords de coopération avec le Rwanda pour initier ce modèle de mobilisation de l'épargne et de distribution de crédit principalement en milieu rural. Le Président Kayibanda avait été aussi à l'origine de l'association d'instituteurs des environs de Kabgayi créée en 1950. Celle-ci aboutit à la création de la coopérative Travail, Fidélité, Progrès (TRAFIPRO) le 16 décembre 1956 (Nzisabira, 1992).

43 prouvé, a posteriori, par la levée de cette mesure sous la deuxième république (Paternostre de La Mairieu, 1994 : 197-219). Par ailleurs, le monde des affaires a dû "souffrir" de la personnalité même du Président Kayibanda, enclin à insister sur l'importance de l’honnêteté, la discrimination à l'égard des étrangers au niveau du commerce de détail et ayant une certaine propension à nationaliser des activités dans le but de défendre le petit peuple qu'il disait être l'objectif de sa vie.

S'agissant des infrastructures routières, plusieurs actions furent menées pour les développer, ce qui favorisa la circulation des personnes et des marchandises. Il en fut de même dans le domaine du développement rural pour augmenter la production vivrière et celle des produits d'exportation. Néanmoins, malgré l’insistance sur l'importance de la lutte contre l'érosion dans les discours officiels, cette mesure - introduite sous forme de travail forcé sous la Tutelle - fut largement abandonnée. Cela favorisa la dégradation du sol et la baisse de sa productivité. En outre, l'existence d'un institut de recherche en agronomie ne semble pas avoir eu d’effets sensibles sur la qualité et la diversité des semences à la disposition des agriculteurs. Il faut toutefois noter d’importants progrès réalisés dans la production de la pomme de terre avec l’introduction de nouvelles variétés dont la sangema, introduite en 1972 par l’Institut des Sciences agronomiques, la cruza et la petero lancées en 1985 par le Programme National pour l’Amélioration de la Pomme de Terre (Poats, 1980 ; Scott, 1988)47.

Dans le domaine de la santé, la couverture médicale et la qualité des soins ont diminué pour une autre raison qui tient aux conséquences de la révolution de 1959 et de l'indépendance qui a suivi. En effet, avec l'indépendance, l'État s'engagea de plus en plus dans la gestion des secteurs sanitaire et social dans lesquels l'Église catholique jouait un rôle prépondérant auparavant. L'État se mit à organiser et à réglementer le système des soins. Dès lors, on ne pouvait plus soigner sans en avoir les qualifications requises. Plusieurs centres de soins religieux furent ainsi exclus de la dispense des soins médicaux. L'Église catholique n'étant plus le moteur principal du service médical, elle ne fournissait plus autant d'efforts qu’auparavant. En effet, elle avait fini par s'imposer comme principale religion du pays et n'était plus soumise à autant de concurrence confessionnelle, dont on a vu les effets bénéfiques sur le développement socio-économique48. L'État prit également en charge la gestion du secteur socio-éducatif. Dans ce domaine, des efforts furent faits pour étendre l'instruction à plus d'enfants en pratiquant la double vacation pour les trois premières années de l'école primaire entre 1961 et 1964. Étant donné qu'une très faible proportion des enfants qui terminaient l'école primaire pouvait entrer à l'école secondaire, ou avait imaginé une formation complémentaire pour les filles et des écoles artisanales pour les garçons. Néanmoins, l'école à tous les niveaux est restée inadaptée aux besoins de l'économie agricole, ce qui était et reste une source d'énormes problèmes sociaux. Le gouvernement de Kayibanda se préoccupa également dès 1962 de la promotion de la femme. Il ouvrit des centres sociaux aux niveaux préfectoral et communal, animés par des monitrices et assistantes sociales. Les femmes adultes et les jeunes

47 La pomme de terre aurait été introduite au Rwanda vers la fin du XIXe siècle par les missionnaires allemands (Poats, 1980). 48 C’est l’abbé Mbandahe qui a attiré notre attention sur ce point dans une communication personnelle.

44 filles pouvaient y améliorer leurs connaissances dans l'éducation, les soins à la petite enfance, et dans les autres travaux domestiques comme le ménage, la couture et l'entretien d'un potager.

Ce gouvernement a néanmoins manqué de vision à long terme en passant sous silence l'épineux problème démo-économique pourtant déjà soulevé depuis le plan décennal 1950-1960. Les nombreuses tentatives pour organiser l'émigration de Rwandais vers le Congo, le Gabon et la Tanzanie, avec la possibilité d'octroi de la nationalité du pays d'accueil aux éventuels émigrants, n'ont jamais été concluantes.

Afin de doter le pays de cadres moyens et supérieurs, avec l'aide de la province canadienne de l'ordre des Dominicains, le gouvernement ouvrit, le 3 novembre 1963, l'Université Nationale du Rwanda. À cette date naissait aussi la faculté de médecine, grâce à laquelle on allait former des médecins afin d'améliorer la couverture médicale. La faculté de médecine fut dès le départ particulièrement privilégiée puisque la proportion du nombre d'étudiants en médecine était bien supérieure à celle d’autres disciplines49.

49 Erny à qui nous empruntons les données qui ont servi au calcul du tableau 7 note que la structure de l’enseignement supérieur au Rwanda était assez bien équilibrée par rapport à la plupart des universités francophones d’Afrique où se manifestait une nette préférence pour les lettres et le droit.

45 Tableau 7. Structure de l'enseignement supérieur au Rwanda (en % des étudiants inscrits)

Sciences économiques Sciences Années Lettres Sciences et sociales Médecine Droit infirmières Total

1963-64 20 16 25 39 - - 100

1964-65 16 15 32 37 - - 100

1965-66 18 20 35 27 - - 100

1966-67 14 18 47 22 - - 100

1967-68 18 26 42 13 - - 100

1968-69 21 21 34 25 - - 100

1969-70 21 25 21 33 - - 100

1970-71 18 27 19 31 - 6 100

1971-72 15 25 20 32 - 8 100

1972-73 16 21 20 35 - 8 100

1973-74 13 22 19 30 8 9 100

1974-75 12 24 20 25 11 8 100

Source : Calculs des auteurs à partir des données collectées par Erny (1978 : 314)

Les données du tableau 7 montrent que pour les deux premières années académiques, la proportion du nombre d’étudiants entrant à la faculté de médecine était respectivement de 39 et de 37 %. Pour les autres années, cette proportion est restée proche de 30 % sauf pour trois années, particulièrement l’année 1967/68 où ce taux n’a été que de 13 %. Au début, les étudiants de la faculté de médecine étaient composés d'assistants médicaux ayant déjà une expérience professionnelle à qui l'on donnait une formation accélérée de quatre ans pour devenir médecins. Les premiers médecins sortirent par conséquent en 1967.

En ce qui concerne le personnel médical, à la formation des assistants médicaux du Groupe Scolaire, se sont ajoutées celle des assistants médicaux de l'École Médicale de Kigali, celle des infirmières accoucheuses et hospitalières de l'Institut Grégoire Kayibanda de Rwamagana et celle des infirmières auxiliaires de Kilinda et de Rwamagana (Paternostre de La Mairieu, 1994 : 218). Dix ans après l'indépendance, la couverture médicale s'était déjà bien améliorée. La faculté de médecine avait formé 24 médecins auxquels s'ajoutaient 48 médecins étrangers. Le nombre des infirmiers avait plus que doublé passant de 300 en 1962 à 653 en 197250. La situation s'était aussi beaucoup améliorée du point de vue de l'infrastructure médicale. Entre 1962 et 1972, le nombre d'hôpitaux était passé de 20 à 22, celui des dispensaires de 71 à 150, celui des maternités de 13 à 44. Le pays disposait aussi de 14 centres de santé, de deux cliniques, et de deux laboratoires. Le nombre de lits avait augmenté de 61 % passant de 3 532 à 5 687.

5. L’évolution politique

50 Source : Ministère de l'économie et des finances, L'économie rwandaise, 25 ans d'efforts (1962- 1987), 129-130. Le tableau de l’annexe 4 montre cependant que les différentes sources ne donnent pas les mêmes chiffres.

46 L’évolution politique a été moins positive puisque la révolution rwandaise a eu des résultats mitigés. En partant des critères d'un système politique développé défini par Huntington (1969), Gakusi et Nkundabagenzi (1989) ont relevé que le fonctionnement politique de la première république a été marqué par le manque d'adaptabilité, de complexité, d'autonomie et de cohérence. Cette analyse reste, à quelques nuances près, applicable aux institutions de la deuxième république.

En ce qui concerne l'adaptabilité, le parti majoritaire MDR-Parmehutu était parvenu à évincer les autres partis politiques entre 1963 et 1966 pour devenir un parti unique de fait. Le problème des attaques des réfugiés avait été résolu et l'élément de cohésion des dirigeants avait disparu pour faire place, au sein de ce parti, aux conflits interpersonnels et régionaux. Cela conduisit le système politique à l'incapacité de se régénérer et de proposer au pays de nouveaux enjeux. Par ailleurs, du fait qu'une seule structure politique prévalait, le système politique s'était privé d'une capacité d'imagination pour répondre aux diverses demandes sociales qui auraient pu être mieux satisfaites dans un système plus complexe, donc plus durable.

Pour ce qui est du critère d'autonomie, le Rwanda n'est pas très différent des autres pays africains, où le système politique n'est pas suffisamment autonome par rapport aux autres institutions notamment familiales et religieuses. Cela explique certaines pratiques parentèlaires, clientèlistes, népotistes et régionalistes de la part des hommes politiques. Or, ce sont ces différents défauts que fustigeait le Président Kayibanda dans son discours du premier juillet 196851 et la pratique du régionalisme a été évoquée comme l'une des raisons du coup d'État qui l'a déposé le 5 juillet 1973.

Enfin, en ce qui concerne le critère de cohérence qui traduit le consensus et la valorisation du système par la grande majorité de la population, la première république finit dans une incohérence totale comme ce fut le cas pour la deuxième. Alors que la constitution de 1962 stipulait que le président de la république ne pouvait pas se présenter aux élections trois fois de suite et que le régime montrait des signes évidents d'usure, la révision de la constitution en mai 1973 consacrait, paradoxalement, une présidence à vie.

En conclusion, à la veille du coup d'État de 1973, alors que le Rwanda se trouvait dans une situation qualifiée d'anomique sur le plan politique (Gakusi et Nkundabagenzi, 1989), il disposait déjà d'un personnel formé dans différents domaines, et avait pu mettre sur le marché du travail un personnel de bon niveau, y compris et surtout dans le secteur médical. Selon les statistiques rassemblées par Erny (1978 : 315) :"En 1972, l’Université avait déjà formé 60 bacheliers52 en lettres, 73 en sciences, 81 en sciences économiques et sociales, 7 en sciences infirmières, et 18 docteurs. En 1982, on comptait à peu près 2961 diplômés rwandais de l’enseignement supérieur53". Les premières promotions de médecins rwandais formés au Rwanda et à l’étranger étaient donc opérationnelles et le nombre d'assistants médicaux et d'infirmières ainsi

51 Voir un extrait de ce discours dans le livre de Paternostre de la Mairieu (1983 : 293). 52 Il s’agit du baccalauréat type canadien correspondant à trois années universitaires. 53 MINEPRISEC (1982 : 165), cité par Nayigizente, (1986 : 424).

47 que d'autres personnels paramédicaux avait considérablement augmenté. L'infrastructure médicale aussi. C'est donc à partir de ce potentiel accumulé pendant une dizaine d'années que Habyarimana donna un nouveau souffle au pays après le coup d'État du 5 juillet 1973. Néanmoins, le système politique qu'il introduisit, tout en produisant des résultats tangibles dans les domaines économique et social, n’était pas viable à long terme, car il était lui aussi fondé sur un parti unique et refusait toute idée d'alternance. Il conduisit le pays à une situation pire que celle à laquelle était arrivée la première république en aboutissant à une impasse politique. Celle-ci devait se solder par d'énormes pertes de vies humaines à partir de 1990.

III. La période de 1977 à 1992

Cette période correspond - à quelques années près - à celle de la deuxième république qui a commencé avec le coup d'État du 5 juillet 1973, dirigé par Juvénal Habyarimana. Ce coup d'État arriva au moment où les institutions de la première république étaient à bout de souffle. En l'absence de nouvelles ressources politiques, le problème ethnique était revenu à l'ordre du jour. Se posait aussi un problème de régionalisme. Dans le but de créer des conditions favorables au coup d’État, le chef de la Sûreté, Alexis Kanyarengwe mit en oeuvre une stratégie de tension ethnique et politique. À partir du mois de février 1973, les élèves et les étudiants hutu se mirent à chasser leurs camarades tutsi dans les établissements d'enseignement secondaire et supérieur. Ces événements touchèrent aussi certaines administrations publiques. Pour les instigateurs du coup d’État, les problèmes ethnique et régional étaient à leur comble et le pays avaient besoin d’une remise en ordre (Guichaoua, 1997).

1. L’avènement de la deuxième république

De1973 à 1990, le nouveau régime put contenir les deux composantes du changement politique au Rwanda - ethnisme et régionalisme - grâce au nouveau système politique dont le contrôle social ne permettait aucune déviation par rapport au comportement politique et civique, édicté et formalisé par la création du Mouvement Révolutionnaire National pour le Développement (MRND), le 5 juillet 1975. Les succès enregistrés sur le plan économique et social ainsi que la fin tragique de sa présidence sont à inscrire dans ce cadre. a) La stabilité politique

Après avoir pris le pouvoir, Habyarimana avait pu gagner la confiance de la population rwandaise et celle de la communauté internationale. Le coup d'État mettait fin à une situation politique bloquée. Habyarimana s'engagea à promouvoir la paix, l'unité et le développement au-delà des allégeances ethniques, régionales ou confessionnelles. Tel était aussi la devise du MRND, mouvement qui présentait l'avantage d'être inclusif de toutes les ethnies. Chaque Rwandais en faisait partie dès la naissance. Son côté négatif était d'être totalitaire puisqu’il ne permettait pas la création d'autres formations politiques et ne laissait ainsi aucune possibilité de choix individuel. L’article 7 de la constitution votée le 20 décembre 1978 stipule :"le peuple rwandais est organisé au sein du Mouvement Révolutionnaire pour le Développement, formation politique unique hors du cadre de laquelle nulle activité politique ne peut s’exercer". Une telle organisation, pour fonctionner efficacement,

48 supposait des mécanismes de contrôle social très serré et une promotion sociale s'appuyant sur ceux-ci (Gakusi, 1992).

Contrairement à ce que pensent beaucoup d'analystes du Rwanda, la politique de Habyarimana n'était pas aussi différente de celle de Kayibanda. Dans l'ensemble, il s'agissait de la continuation de la même politique avec des méthodes et des moyens différents et surtout dans des contextes très différents. Le gouvernement de Kayibanda était né en renversant la monarchie. À cette époque, ainsi que l'exprime Munyangaju (1959 : 16), le problème n° 1 était la question hutu-tutsi, reflet d'une organisation féodo-coloniale, politiquement oppressive et économiquement basée sur l'exploitation des Hutu.

Bien que dans leur Manifeste, les leaders hutu aient revendiqué "une égalité de fait de tous les citoyens du pays", leur mobilisation politique se faisait sur la base ethnique. Cette stratégie, sans doute fructueuse dans la lutte contre une monarchie établie de longue date et ayant une forte emprise sur la population, était en contradiction avec l'idée d'un pouvoir au-dessus des ethnies, la seule qui aurait pu être capable d'inspirer confiance aux membres modérés de l'ethnie tutsi.

Avec la création du MRND, Habyarimana avait pu atteindre cet impératif sur le plan idéologique jusqu'au moment où sa politique fut contestée par une opposition interne naissante, vers la fin des années 80, et où une attaque armée réunissant en très grande majorité les descendants de réfugiés tutsi fut organisée à partir de l’Ouganda, en octobre 1990. En réalité, la gestion du problème ethnique et régional avait suivi la même pratique d'équilibre ethnique et régional introduite dès la prise du pouvoir par l’élite hutu au début des années 60. En théorie, la pratique de l'équilibre ethnique ou régional s'énonce ainsi : étant donné les conditions d'offre limitée, l'accès surtout à l'éducation et à l'emploi est fonction du poids relatif de chaque composante ethnique ou régionale.

En ce qui concerne l'éducation, Marcel Colson qui était chargé de mettre en œuvre la pratique des quotas de 1967 à 1974, a expliqué que celle-ci consistait à accorder un nombre de places à l'école secondaire à chaque ethnie selon son poids dans la population. Elle consistait aussi à admettre un nombre de places à différentes communes du Rwanda en fonction des densités démographiques54. Les évaluations empiriques faites en calculant l'indice de disparité - qui est le rapport entre le pourcentage entre une catégorie sociale ou une région dans un secteur d'activité donné et le pourcentage de cette même catégorie ou région dans la population totale, montrent que même pendant les années 80, les Tutsi avaient encore un accès généralement plus favorable à l’enseignement secondaire et à l'emploi que les Hutu, l’indice de disparité étant le plus souvent largement supérieur à 1 pour les Tutsi (Erny, 1994 ; Munyantwali, 1991; Nayigizente, 1986 ; Uwizeyimana, 1991).

En 1991, on estimait que les Hutu et les Twa n’avaient pas encore rattrapé leur retard en matière d’alphabétisation et de scolarisation. Du point de vue de l’alphabétisation, 75 % de Twa contre 45 % de Hutu et 31 % de Tutsi ne savaient ni

54 Monsieur Colson a ajouté que Kayibanda avait accepté que le pourcentage de filles tutsi soit de 13 % plutôt que de 10 % comme pour les garçons. Cette exception était due au fait que les filles tutsi réussissaient manifestement mieux que les filles hutu.

49 lire ni écrire. Les Tutsi étaient aussi mieux représentés quant à la scolarisation. En 1988, les Tutsi étaient scolarisés à 42 % au niveau primaire, à 4,9 % au niveau secondaire et à 0,3 % au niveau supérieur. Ces pourcentages étaient respectivement, pour les Hutu, de 32 % de 2,1 % et de 0,2 % (Imbs, 1994). Cette avance des Tutsi était également remarquable dans la population urbaine. En 1981, 20 % de la population habitant la commune de la capitale Kigali - Nyarugenge - étaient des Tutsi (République Rwandaise, 1981 : 26).

S’agissant du régionalisme, le coup d’État n’a pas apporté de réponse. Au contraire, ce problème s’est posé de façon encore plus importante. Si l’on a critiqué la présidence de Kayibanda d’avoir fini par privilégier les ressortissants de la région du sud, particulièrement ceux de la préfecture de Gitarama dont il était issu, sous la deuxième république, la pratique du régionalisme s’est faite plus systématiquement et de façon plus manifeste en faveur des ressortissants des préfectures du Nord- Ouest, c’est-à-dire la préfecture de Gisenyi dont Habyarimana était originaire et celle de Ruhengeri dirigée par le frère de sa femme. Le pouvoir s’était concentré de plus en plus dans les mains de la parentèle de la famille de Habyarimana à laquelle Christophe Mfizi - ancien directeur de l’Office National de l’Information - donna le nom d'akazu, devenu célèbre par la suite55.

En septembre 1990, les journalistes de l’hebdomadaire Kinyamateka publiaient des chiffres montrant que les personnes originaires du Nord avaient été nettement favorisées en ce qui concerne l’accès aux études secondaires et supérieures et à l’emploi dans les sociétés para-étatiques (Erny, 1994 : 87). Sur l’initiative d’un groupe d'intellectuels, le régionalisme devait, à nouveau, être publiquement dénoncé à partir de 1989, pour contester la politique menée par Habyarimana.

L'autre exemple du changement dans la continuité de politiques lancées sous la présidence de Kayibanda est celui de la politique économique. À quelques nuances près - comme l'évocation des questions écologiques qui avaient été nouvellement posées, la participation sans réserve ni exclusive des étrangers aux activités économiques et l'insistance sur la commune comme cellule de base du développement, on retrouve les mêmes thèmes dans le programme de politique économique de Kayibanda et dans celui de Habyarimana, que ce soit pour le développement participatif, le problème des inégalités, le libéralisme tempéré contre le système d'exploitation capitaliste, une gestion rigoureuse et la conduite morale des affaires.

En dépit de ces éléments communs aux deux républiques, la politique de Habyarimana s’est avérée plus efficace sur le plan économique et social que celle de Kayibanda, notamment pour les raisons suivantes. D’une part, Habyarimana est venu aux affaires au moment où les attaques des réfugiés avaient cessé. Le problème de sécurité semblait avoir été résolu. D’autre part, il disposait d'une infrastructure et d’un capital humain plus abondant, et d'une aide étrangère plus importante. Enfin, sa présidence était fondée sur trois ressources politiques qui lui permettaient d’exercer un contrôle socio-politique. Il s'agissait de la pratique des travaux communautaire umuganda, de l'animation politico-culturelle et d’une politique de développement fondée sur l’organisation communale. Cependant, en se constituant en un système

55 Mfizi (1992, "Le réseau zéro", éditions uruhimbi, Kigali.

50 politique totalitaire, cette politique devait finir par se scléroser et par voler en éclats à partir de 1991 quand le multipartisme finit par s’imposer. b) Les ressources politiques

La pratique des travaux communautaires umuganda, celle de l'animation ainsi que le développement socio-économique fondé sur la commune sont les trois pièces maîtresses de la politique de Habyarimana. Elles constituent les principales ressources politiques mises en œuvre.

L'umuganda est une pratique instaurée en février 1974 et puisée dans la tradition rwandaise. Habituellement, cette pratique s’inscrivait dans le cadre de la société rwandaise rurale dans laquelle la population s’entraidait au moment d’importants travaux demandant beaucoup de main-d’œuvre comme la culture d’un champ au moment des semences, la construction d’une maison ou la réparation d’un enclos.

Mis à part cet emprunt conceptuel à la tradition, la pratique de l’umuganda sous la présidence de Habyarimana se faisait sur la base de la contrainte et ressemblait au rétablissement d’anciens travaux obligatoires sous l'autorité coutumière et la Tutelle belge. À cette période, le manquement à ces travaux était sévèrement puni par une huitaine de coups de fouets appliquée par un chef ou un sous-chef à un Hutu ou un Tutsi de modeste condition. La nouvelle formule de l’umuganda concernait, en principe, tous les Rwandais adultes - paysans, fonctionnaires, commerçants, entrepreneurs et les responsables politiques - qui devaient consacrer une demi- journée par semaine à différents travaux de développement : la construction ou l’entretien des infrastructures routières, éducatives, sanitaires et administratives ; la reforestation, la lutte anti-érosive, la culture ou l’entretien du café.

Au-delà de sa fonction économique, l’institution de l’umuganda était utile au régime politique puisqu’elle était une occasion privilégiée de contrôle social. Des mécanismes d’incitations positives et négatives permettaient d’atteindre une participation maximale de la population. De ce point de vue, on peut dire que cette institution a fonctionné efficacement puisqu’il était quasi impossible de faire défection impunément. Pour les personnes engagées dans la fonction publique et dans les entreprises para-étatiques, l’accès à des fonctions de haut niveau exigeait d’elles de faire manifestement preuve de l’adhésion à cette institution quitte à trahir leurs convictions les plus profondes. Le contraire impliquait amende, réprimande, absence d’avancement dans la carrière et réprobation collective. Le débat contradictoire sur l’utilité sociale et économique de cette institution étant de fait prohibé, elle était vite devenue un rituel politique.

Des actions tangibles ont été réalisées grâce à l’umuganda surtout dans le milieu rural. Néanmoins, l'institution comportait des effets économiques pervers dans le milieu urbain. Le fait d’exiger du peu de personnes occupées dans le secteur moderne de l’économie de consacrer une demi-journée à l’umuganda était une aberration économique dans un contexte d’excédent de main d’œuvre sans autre qualification que les travaux manuels. La pratique de l’umuganda constituait un manque à gagner pour les jeunes urbains désœuvrés qui auraient pu pourtant être plus productifs dans ces travaux et mieux gagner leur vie. Dans le sens inverse, la mobilisation de toute la main d’œuvre qualifiée pour les travaux agricoles impliquait

51 une paralysie de la bureaucratie, sauf à considérer que celle-ci comprenait un chômage déguisé considérable.

L'animation politico-culturelle. Plus que pour l’umuganda, l’animation était un rite politique dont les effets négatifs étaient perçus de la plupart. Elle concernait plus régulièrement les personnes occupées dans le secteur moderne de l’économie. Ces personnes étaient tenues de participer à la séance de chants et danses hebdomadaires pendant un après-midi pris sur le temps de travail. Ces danses et chansons consistaient à vanter les mérites réels ou attribués au chef de l’État et avaient fini par inhiber d’autres formes de création et d’expression culturelles. En revanche, l’animation était aussi un moyen efficace du contrôle de la population par la même méthode de sanctions-récompenses.

Le rôle de la commune. Pendant la présidence de Habyarimana, il y eut un effort de décentralisation des activités de développement économiques et sociales dans le but de rendre les communes davantage responsables de la gestion de leurs ressources propres, quitte à avoir recours à des emprunts financiers pour résoudre les problèmes importants. En 1975, le gouvernement adoptait un Plan d’Action Communal qui attribuait des tâches aux communes dans la gestion des infrastructures routières, éducatives et culturelles, sanitaires, environnementales, et dans la prise en charge de la gestion du personnel exerçant des activités communales.

Pour rendre la commune plus autonome financièrement, le gouvernement lui céda les recettes de l'impôt nommé "contribution personnelle minimum" et les différentes taxes et autres impôts auparavant versés au Trésor Public. Il créa aussi un fonds de développement communal ayant pour but de renforcer le rôle économique de la commune en la soutenant financièrement dans ses nouvelles tâches.

En décentralisant la gestion de la commune, le gouvernement déconcentrait en même temps le contrôle social puisque le responsable de la commune était un homme politique nommé et non élu, chargé d’appliquer les principes du MRND. La commune étant elle-même divisée en cellules de plus ou moins 50 familles, le même contrôle était transféré au niveau de celles-ci. Il découle de cette organisation pyramidale que les décisions prises au niveau du pouvoir central étaient exécutées d’autant plus efficacement que la population n’avait aucun autre choix. Une telle organisation a pu être bénéfique dans le domaine de la santé où des décisions comme la vaccination des enfants devaient aussi être exécutées avec la même rigueur.

2. L'évolution économique et socio-sanitaire

Comparée à la première période de 1962 à 1977, pendant laquelle la mortalité des enfants a augmenté et qui a été marquée aussi par le manque de personnel qualifié et par le marasme économique, la période de 1977 à 1992 a connu un dynamisme économique, une croissance du capital humain et un développement considérable des infrastructures sanitaires. Ce dynamisme relevait, cependant, plus de l’économie spéculative que de l’investissement à effets multiplicatifs de long terme. a) Évolution économique

52 Si l’on en croit les statistiques considérées comme les mieux élaborées pour représenter le produit d’un pays en tenant compte des différences de prix internationaux, l’économie rwandaise paraît avoir connu trois phases distinctes quant à l’évolution du produit national par tête en termes constants : une phase descendante qui couvre la première moitié de la décennie 60, une phase ascendante allant de 1965 à 1980 avec un fléchissement pendant la première moitié de la décennie 70, puis une tendance à la baisse entre 1980 et 1990.

900 800 700 600 500 400 300 200 100 0 1 960 1 965 1 970 1 975 1 980 1 985 1 990 1 995

Source : Penn World Tables (Mark 5,6)

Figure 8. Évolution du produit national par tête en dollars constants (en prix internationaux, base = 1985)

La situation budgétaire a été caractérisée, aussi bien pour la première république que pour la deuxième, par une gestion évitant le dérapage des dépenses par rapport aux recettes. Ce trait de la gestion budgétaire du Rwanda lui a valu, auprès des bailleurs de fonds bilatéraux et multilatéraux, la réputation de pays sainement géré. Cette réputation s'est renforcée au cours de la deuxième république car Habyarimana avait su donner de lui l’image d’un président rassembleur, garantissant la paix et la stabilité, ainsi que l'ouverture sur l’extérieur. C’est en vertu de cette image que l’aide internationale se développa. En 1991, elle représentait 21,5 % du PIB. L’aide internationale finançait 90 % des investissements publics et 60 % des importations. Elle représentait également 60 % des dépenses publiques en faveur du développement. Selon les statistiques de la Direction de la Coopération pour le Développement de l’OCDE, l’aide annuelle versée au Rwanda entre 1990 et 1993 a été de 343 millions de dollars contre 35 millions entre 1971 et 1974. On peut aussi apprécier l’image que la communauté internationale avait du Rwanda à partir des statistiques du tourisme. Entre 1970 et 1984, le nombre de nuitées concernant les étrangers avait décuplé, passant de 6 013 à 65 955.

Une des mesures économiques qui a marqué profondément la différence de gestion entre la première et la deuxième république est la levée de l'interdiction aux hommes politiques et aux fonctionnaires d'entreprendre des activités lucratives (Paternostre de La Mairieu, 1994 : 204). Dès la prise du pouvoir par les militaires, ceux-ci ont eu un accès facile aux crédits bancaires et se sont lancés dans la spéculation sur la construction de villas, surtout à Kigali, l'achat de camions de transport international,

53 de véhicules de transport de matériel de construction et de transport de personnes. Les hommes politiques ainsi que les hauts fonctionnaires ont suivi ce mouvement affairiste mis en branle par les militaires et ont perdu tout sens critique vis-à-vis de la direction politique et la gestion économique et sociale du pays.

Un tel comportement créa un climat opportuniste auto-entretenu dans lequel le clientélisme était devenu la voie obligée pour accéder aux postes politiques ou administratifs offrant le plus d'avantages et de considération56. Cette démission intellectuelle eut d'importants effets préjudiciables à toute la société. Elle laissait libre cours à l’enrichissement illicite et devait conduire à un jeu à somme négative, c’est-à- dire, une situation où chaque personne, en poursuivant ses propres intérêts, contribuait à une perte collective.

14000

12000

10000

8000 recettes budget total

dépenses budget total 6000

4000 dépenses budget ordinaire

2000 recettes budge ordinaire

0 1962 1963 1964 1965 1966 1967 1968 1969 1970 1971 1972 1973 1974 1975 1976 1977 1978 1979 1980 1981 1982 1983 1984 1985 Source : ministère de l’économie et des finances (1987).

Figure 9. Budget ordinaire et buget total (en francs rwandais par tête)

En dépit de ce contexte qui, à terme, devait être fatal, le décollage de plusieurs indicateurs économiques à partir de 1973 est remarquable. En matière budgétaire, étant donné que le nouveau contexte politique laissait libre cours aux affaires, l'État disposait d'une assiette fiscale plus large et pouvait aussi dépenser plus qu'avant. Dans le commerce international, ce décollage s’était fait en créant un déséquilibre commercial qui s’était considérablement aggravé à partir de 1979. De fait, les dépenses en importations par tête ont continué à croître jusqu’en 1985 alors que les revenus des exportations avaient baissé entre 1979 et 1982. On doit rappeler que ces exportations sont composées principalement de café et de thé représentant environ 80 % des revenus d'exportation. Or, le prix de ces produits a baissé entre les deux dates. Si on se réfère à l’indice du prix de tous les cafés cotés à New York, cet

56 Voir à ce propos l’article de Bahigiki (1993) "L’ère du crime est arrivé", Forum, Paix et Démocratie, n° 002.

54 indice était de 127,0 en 1979. Il était tombé à 86,8 en 1981. Ce n’est qu’en 1986 qu’il a retrouvé son niveau de 1979 pour baisser à nouveau. L’indice du prix du thé a aussi suivi une tendance à la baisse si l’on excepte la période de 1982 à 198457.

12000

10000 importations

8000 dettes

6000

exportations 4000

2000

0 1965 1967 1969 1971 1973 1975 1977 1979 1981 1983 1985 1987 1989 Source : Ministères des finances et de l’économie (1987).

Figure 10. Commerce international et endettement (en francs rwandais par tête)

Le Rwanda était connu pour être parmi les pays africains les moins endettés, mais on a constaté une nette accélération de l’endettement à partir de 1977 au moment où les possibilités de remboursement commençaient à diminuer avec la baisse des revenus d’exportations. En 1992, l'encours de la dette atteignait 74 % du PIB et le service de la dette représentait 23,4 % des exportations (Laurent, 1995). S’agissant de l’inflation, l’évolution de l’indice des prix à la consommation est aussi révélatrice des contextes économiques différents entre la première et la deuxième république. Comme pour les autres variables dont nous avons noté la stagnation, les prix n’ont guère bougé pendant la première république tandis que, sans être très élevés, les prix ont suivi la dynamique économique de la deuxième république. Cette évolution modérée des prix était donc favorable à l’investissement dont la part dans le produit national connut une tendance à la hausse jusqu’en 1985 pour fortement baisser ensuite. Le taux d’investissement était cependant resté très bas, en dessous de 5 % la plupart du temps. Or, pour un véritable décollage économique, on estime qu’il faut un taux d’épargne et un taux d’investissement d’au moins 15 %. La part de la consommation dans le produit national est restée quasi stationnaire sur le long terme avec une tendance nette à la baisse à partir de 1979, date à laquelle le produit national par tête a commencé aussi à baisser comme on vient de le voir. Les dépenses du gouvernement ont suivi le même mouvement que la consommation jusqu’en 1980, date à partir de laquelle elles affichent une tendance à l’augmentation. Ces évolutions négatives à partir de cette année montrent que le pays faisait face à

57 FMI, Statistiques financières internationales, annuaire 1992

55 de sérieux problèmes économiques. Le niveau de vie diminuait, l’investissement baissait tandis que la consommation gouvernementale restait incompressible.

10,00

9,00

8,00

7,00

6,00

5,00

4,00

3,00

2,00

1,00

0,00 1960 1962 1964 1966 1968 1970 1972 1974 1976 1978 1980 1982 1984 1986 1988 1990 1992

Source : Penn World Tables (Mark 5,6).

Figure 11. Part de l'investissement dans le PNB, prix internationaux de 1985 (en %)

Dans le domaine agricole dont vivent plus de 90 % de Rwandais, les données disponibles montrent une légère hausse de la production vivrière par tête entre 1966 et 1982. Sur cette période, les besoins en calories étaient, la plupart du temps, en moyenne satisfaits mais l’alimentation souffrait de carences en protéines et surtout en lipides. Ces moyennes ne permettent, certes pas, de rendre compte de l’ampleur de la pauvreté rurale et urbaine. Ainsi les besoins en calories, qui sont les mieux couverts n’étaient satisfaits qu'à la hauteur de 70 à 80 % dans certaines regions du pays (Munyambaraga, 1982)58.

Du fait de la méthode de production extensive et de la croissance démographique, les terres de culture étaient devenues rares et mal réparties. On considère que dans les années 80, une famille de cinq enfants disposait en moyenne d’un ha, moyenne qui cache d’importantes inégalités sociales. En effet, 25 % des familles ne possédaient qu’un quart d’hectare alors que l’élite paysanne - commerciale, administrative, militaire et politique - représentant 16 % de la population possédait

58 Le mémorandum de la Banque mondiale fait en 1976 parle d’un déficit de couverture des besoins de 20 à 25 % pour les calories et de 90 à 90 % pour les protéines. Les besoins théoriques nécessaires sont, par personne et par jour, de 2 100 kilos calories, de 59 grammes pour les protéines et de 40 grammes pour les lipides.

56 45 % des terres59. Or, la productivité par hectare était 6 fois inférieure sur les grandes propriétés que sur les petites. La jachère n’étant plus pratiquée, la productivité du sol avait baissé du fait de l’érosion (Gasana, 2000).

140

120 Indice des prix à la consommation 100

80 Consommation 60

40

20 Dépenses du gouvernement 0 1960 1964 1968 1972 1976 1980 1984 1988 1992

Source : Penn World Tables (Mark 5,6). L’indice des prix à la consommation est donné par le Ministère des finances et de l’économie (1987).

Figure 12. Autres variables macro-économiques

Dans ces circonstances, la production agricole ne suffisait plus pour répondre aux besoins d’une population croissant à un rythme annuel de 3 %, rythme difficilement soutenable même par une économie prospère. En 1990, la Commission Nationale d’Agriculture remarquait que la production agricole ne suffisait que pour cinq millions de personnes pour un pays en comptant sept et demi. Le pays n’étant pas en mesure d’accroître les importations alimentaires pour pallier les faiblesses de la production nationale, cela signifiait que deux millions et demi de personnes étaient structurellement touchées par la famine. De fait, au sud-ouest du pays, des centaines de personnes sont mortes de faim à partir du milieu des années 80. Des milliers d’autres personnes ont été obligées d’émigrer vers les pays voisins, particulièrement vers la Tanzanie (Gasana, 1995). Cette dégradation économique à partir du début des années 80 a mis à mal la politique d’autosuffisance alimentaire prônée par la deuxième république.

59 Une enquête menée en 1991 sur une petite région rurale du sud-est dans la préfecture de Butare a montré que dans cette région, les 20 % des familles les plus pauvres ne disposaient que de 3 % du revenu total tandis que les 20 % des familles ayant les revenus les plus élevés percevaient 65 % du revenu.

57 1000

900

800

700

600

500

400

300

200

100

0 1958 1963 1965 1967 1969 1971 1973 1975 1977 1979 1981 1983 1985 Source : Ministère des finances et de l’économie ( 1987).

Figure 13. Production vivrière globale par tête (en kg par tête)

Ainsi que l’ont montré les problèmes que connaît le Rwanda depuis la fin des années 80, le modèle de développement adopté par la deuxième république n’était pas viable sur la longue durée. Certes, il a été possible de mobiliser la population pour les questions de développement économique et social. Néanmoins, cette mobilisation était fondée sur des méthodes oppressives refusant toute discussion contradictoire sur les questions fondamentales : la nature du pouvoir, la production de la richesse et sa répartition, la gestion économique du pays, les conflits sociaux et le problème des réfugiés. Plus que pour la première république, la deuxième devait aboutir à une impasse fatale pour une bonne partie de la population rwandaise.

58 Kilocalories par habitant par jour Lipides par habitant (gr par jour)

2500 10 2000 8 1500 6 1000 4 500 2 0 0 1966 1970 1974 1978 1982 1966 1970 1974 1978 1982

Protéines par habitant (gr par jour)

60 50 40 30 20 10 0 1966 1970 1974 1978 1982

Source : Delepierre, G. (1985),"Évolution de la production vivrière et les besoins d'intensification", National Fertiliser Seminar, June, cité par Nyirasafari (1984).

Figure 14. Niveau de consommation de calories, de lipides et de protéines b) Évolution socio-sanitaire

Après un dynamisme économique évident, la population rwandaise s’est retrouvée dans une trappe malthusienne60 quelques années après. Alors que la croissance démographique poursuivait sa lancée, la production agricole baissait inexorablement. Frappé par un manque de moyens financiers, le gouvernement, du jour au lendemain, devait reporter bon nombre de ses charges sur les parents qui, pour la plus grande majorité, n’avaient pas les moyens de scolariser, de faire soigner leurs enfants ou de se faire soigner eux-mêmes (Gakusi, 1992).

D’autres facteurs aidant, cette évolution divergente de la démographie et de l’économie devait aboutir à la guerre à partir de 1990. Celle-ci coûta la vie à une part importante de la population. C’est ce type de régulation démographique qui passe par l’augmentation de la mortalité que Malthus appelle frein positif, contrairement au frein préventif qui consiste en un ajustement démo-économique par la baisse de la natalité, celle-ci étant le résultat de la baisse de la nuptialité lorsque l’on se trouve dans le cas d’une population ne pratiquant que peu la limitation des naissances. Ce qui n'était pas loin de correspondre à la situation du Rwanda où seulement 3 % de

60 Pour une explication technique de cette notion, voir Blanchet (1991).

59 femmes en âge de procréer utilisaient la contraception moderne en 1983. Ce taux est vite monté à 11 % en 1991.

En dépit de ce résultat économique négatif, la deuxième république avait enregistré des progrès remarquables sur le plan sanitaire si l’on ne tient pas compte de l’épidémie du sida qui a frappé durement le pays dès le milieu des années 80.

Le personnel médical avait considérablement augmenté et la couverture médicale était bien meilleure. Comme on l'a dit, il n'existe pas de série chronologique cohérente des données sur la couverture médicale. Si l’on se réfère aux données du ministère des finances et de l'économie (1987), le nombre de médecins aurait triplé entre 1972 et 1984, passant de 72 à 227. En même temps, le nombre de personnes par médecin aurait diminué de moitié. Il était de 53 000 en 1973 et de 25 000 en 1983. Selon les données du ministère de la santé, le nombre d’assistants médicaux et d’infirmières A261 a doublé entre 1973 et 1983. Il était de 300 en 1973 et de 601 en 1983. Le nombre d’infirmières A3 était passé de 241 à 497 et celui de laborantins et aides-laborantins de 318 à 532.

Pour ce qui est des infrastructures, le nombre d’hôpitaux était de 22 en 1972, de 29 en 1985 et de 34 en 198962. Le nombre de centres de santé avait été multiplié par 10 en une dizaine d’années passant de 14 à 147 entre 1972 et 1985. En revanche, celui des dispensaires avait diminué parce que les dispensaires avaient été progressivement transformés en centres de santé à partir de 1975. Ceux-ci constituaient des unités plus complètes que les dispensaires pour donner les soins de santé primaire sur le plan " promotif "63, préventif ou curatif.

En matière de lutte contre la mortalité de la petite enfance, le Rwanda mena des actions énergiques pour la mise en application du Programme Élargi de Vaccination (PEV) institué conjointement par l'OMS et l'UNICEF depuis 1978 au niveau de différents pays, pour lutter contre la tuberculose, la diphtérie, le tétanos, la coqueluche, la poliomyélite et la rougeole. Ce programme visait, pour les enfants de moins de six ans, la diminution de la morbidité et de la mortalité liées à ces maladies, ainsi que la diminution, puis l'éradication du tétanos néonatal en vaccinant les femmes enceintes. Il avait plus particulièrement pour cible les nourrissons de moins d'un an et les femmes enceintes. Il s'inscrivait, par conséquent, dans les activités du programme de Protection Maternelle et Infantile (Janssens, 1992 : 512-519). La campagne en faveur du PEV rencontra un grand soutien des responsables politico- administratifs et un bon accueil auprès de la population. Dans la région sanitaire de Ruhengeri, le nombre d’actes de vaccination annuels fut pour 1980, 1982 et 1983 respectivement de 93 521, de 355 771 et de 349 596 (Molouba, 1984 ; Vicary, 1984).

Ces activités de PMI ont été renforcées à partir des années 70. Un projet, financé par l'Agence de Coopération et de Développement débuta en 1974-75 dans la préfecture

61 Les termes A2 et A3 signifient respectivement les niveaux d’études correspondant à 7 et 5 ans après l’école primaire. 62 Ce dernier chiffre est donné par le Dr Sosthène Bucyana lorsqu'il était directeur de la médecine intégrée au ministère de la santé en 1989. Voir le dossier du stage de Lomé sur la santé en 1990. 63 Ce terme est utilisé par Musafili et al. (1982 : 105) pour exprimer le fait de promouvoir certaines pratiques comme les bonne pratiques nutritionnelles par exemple.

60 de Kigali. Vers les années 80, les agences des Nations Unies - UNICEF, FNUAP, Banque mondiale - financèrent les programmes nationaux de PMI/PF au Rwanda et au Burundi dans le but d'assurer un meilleur espacement des naissances dans l'intérêt de la santé de la mère et de l'enfant.

À cela il faut ajouter le fait que depuis les années 70, le nombre de pharmacies n’a pas cessé d’augmenter. La population avait par conséquent plus de facilité à se procurer les médicaments. Cette plus grande disponibilité de médicaments n’a pas eu que des effets positifs. Elle comportait des effets pervers dans le sens où, par manque de moyens financiers suffisants, il arrivait que certaines personnes achètent des doses incomplètes de médicaments. C’est ainsi que l’on a observé une recrudescence des grossesses extra-utérines ou une persistance de la malaria due à la consommation de doses insuffisantes de médicaments64.

Part du ministère de la santé dans le budget de Budget de la santé par habitant (en Frw) l'État (en %)

250 7,0 6,0 200 5,0 150 4,0 3,0 100 2,0 1,0 50 0,0 0 1 980 1 981 1 982 1 983 1 984 1 985 1 986 1 980 1 981 1 982 1 983 1 984 1 985 1 986

Source : Données du ministère de la santé présentées au stage de Lomé de février 1990 sur la santé.

Figure 15. Dépenses de santé

Ces progrès en matière de santé étaient toutefois fondés sur une base fragile étant donné que l’économie rwandaise disposait de peu de ressources pour développer ce secteur. Celui-ci dépendait largement du financement extérieur à hauteur de 64 % de ses dépenses pour l’année 198565 et de 62 % pour 1977 (Laurent, 1978)66. La part des dépenses consacrées par le gouvernement au ministère de la santé n’a guère dépassé 5 % du budget de l’État dans les années 80. On ne dispose pas d’une série de données assez longue pour dire si ces dépenses étaient ou non sensibles à la conjoncture économique.

Avec le concours de l’aide internationale, la deuxième république était donc parvenue à améliorer et à augmenter le capital humain et les infrastructures du secteur de la santé. Chacune des 143 communes qui composaient le Rwanda disposait d’un

64 Le Dr Gusatave Questaux, arrivé au Rwanda en 1953 et reparti en 1994, a noté une augmentation des grossesses extra-utérines. 65 Ministère des finances et de l’économie (1987), L’économie rwandaise : 25 ans d’efforts (1962- 1987), p. 130. 66 Cité par Musafili et al (1982 : 107).

61 centre de santé67. Vers la fin des années 80, chaque centre de santé servait en moyenne une population d'environ 40 000 habitants. Cette couverture était très insuffisante puisqu'il fallait encore parcourir en moyenne plus de 10 kilomètres, le plus souvent à pied, pour atteindre le centre de santé le plus proche. Encore faut-il noter que cette moyenne cache une importante disparité en défaveur du milieu rural. Dans les années 70, un centre de santé comptait une vingtaine de lits d’hospitalisation pour des patients attendant d’être transférés à l’hôpital le plus proche.

Dans cette organisation sanitaire, l’échelon suivant est constitué d’hôpitaux ruraux qui donnent des soins d’un niveau technique supérieur à celui du centre de santé et dont les médecins assurent la supervision des centres de santé et des dispensaires de la région sanitaire. À l'échelon encore plus élevé, se trouvent les hôpitaux régionaux répondant aux problèmes qui leur sont transférés par les hôpitaux ruraux (Musafili et al. 1982). Ces hôpitaux se trouvent, en principe, aux chefs-lieux des préfectures, sauf pour les préfectures de Cyangugu, Gikongoro et Gitarama. À l'échelon supérieur, se trouvent 3 hôpitaux de référence à Kigali, Butare et Ruhengeri. Ces hôpitaux disposent d'équipements sophistiqués et de personnel qualifié pour traiter les cas qui exigent des soins d'une technicité de haut niveau. Au moment de la guerre, le Rwanda était sur le point de terminer la construction de l'hôpital Fayçal qui devait traiter les cas auparavant transférés principalement en Europe et qui occasionnaient d'énormes dépenses.

À cette question de couverture et d'organisation médicale, il faut ajouter d'autres éléments qui ont favorisé l'amélioration de l'état sanitaire de la population : les infrastructures de transport, l'amélioration du niveau des connaissances médicales de la population, le rôle des médias et une attitude plus positive, mais très tardivement, du gouvernement à l’égard du problème démographique.

Pour ce qui concerne les infrastructures de transport, la construction des routes, commencée sous la Tutelle sous forme de travail forcé, n'a cessé d'être étendue et améliorée. Sur une longueur d’environ 3 000 km en 1986, 30 % étaient asphaltées. En 1962, 5 % seulement des routes l’étaient. En plus de l'amélioration du réseau routier interne, le Rwanda, pays enclavé, a commencé à asphalter les routes à caractère international en 1971 afin d'améliorer le ravitaillement en produits importés et de faciliter ses exportations.

S'agissant des médias, au début des années 60, la population ne disposait pas de possibilité d'écouter la radio rwandaise qui, elle-même n'émettait que sur un rayon très restreint. Les familles qui en avaient la possibilité commencèrent à s'équiper en transistors dans les années 60. La radio, dans une société analphabète est un moyen de communication formidable. Les familles se rassemblent pour suivre les informations diverses y compris les émissions sanitaires. On peut donc dire que grâce au développement de moyens de transports et des médias, les idées ont mieux circulé dans une population plus réceptive.

67 Selon la nouvelle organisation administrative qui date de mars 2001, le Rwanda est divisé en 106 districts.

62 La politique de population visant à ralentir la croissance démographique en agissant sur la fécondité avait déjà été envisagée lors de l'établissement du plan décennal de 1952-1962, sans que l'on y attache d'importance par la suite. Néanmoins, dans une importante étude de géographie économique publiée en 1952, Pierre Gourou avait déjà décrit la forte densité démographique du Ruanda-Urundi, qui était de 98 habitants au Km2 en 1948. Quarante ans après, cette densité était d'environ de 300 au km2. Depuis cette époque, le gouvernement, sous l'influence de l'Église catholique, refusa d'aborder la question jusqu'en 1974, date à laquelle un Comité Scientifique fut créé pour étudier les problèmes socio-démographiques et pour faire des propositions pour leur résolution.

Ce n'est qu'en 1981 que le gouvernement créa l'Office National de la Population pour s'occuper de différents aspects relatifs à la population, dont la planification familiale (Nyirasafari, 1984, 1993). La mise en œuvre de cette politique exigeait cependant, comme pour le secteur de la santé, beaucoup de moyens financiers et en personnel. Le financement de ces activités dépendait aussi largement de l'aide internationale à hauteur de plus de 60 %. Les services de planification familiale ne se trouvaient que dans 65 % des infrastructures sanitaires. Cela limitait l'accès à la contraception, pourtant en forte demande. Cela limitait également l’acquisition de préservatifs pour se protéger contre la propagation du VIH/SIDA dans un pays où cette pandémie faisait des ravages.

Conclusion

Pourquoi la mortalité des enfants qui avait commencé à baisser avant 1960 a-t-elle connu, par la suite, une recrudescence pendant une quinzaine d’années ? Pourquoi a-t-elle baissé à nouveau après ? Ces questions n’ont jamais été posées jusqu’ici. Elles sont pourtant fondamentales étant donné que la mortalité constitue un excellent révélateur des conditions de vie. Cette étude a tenté d’y apporter des éléments de réponse, en revisitant la situation politique, sociale et économique qui prévalait pendant les périodes considérées.

Jusqu'à la découverte du Rwanda par des européens, la population rwandaise disposait de suffisamment de terres pour satisfaire à ses besoins. Ceci parce que, bien que la fécondité fût très élevée, la mortalité l'était aussi. Cet équilibre de bas niveau, appelé aussi équilibre malthusien, devait être rompu avec l'arrivée des européens, vecteurs de l'évangélisation et de la colonisation. Avec l'introduction de la médecine moderne, de nouvelles variétés de cultures, et de nouvelles mesures politiques et administratives, la population se mit à croître. Mais l'histoire démographique du Rwanda est traversée de ruptures causées par les guerres, les famines et les épidémies qui ont entraîné des milliers de morts. La dernière famine, s'inscrivant dans le cadre de la dernière guerre mondiale, aurait causé la mort d'un million de personnes sur le territoire constitué alors par le Rwanda et le Burundi.

Après la deuxième guerre mondiale, l'essor démographique du Rwanda a été considérable du fait de la baisse de la mortalité. Cette baisse est le résultat des actions menées conjointement par les missionnaires et l’autorité de Tutelle dans les différents secteurs de la vie de la population rwandaise : lutte contre les maladies les plus courantes, enseignement de l’hygiène et lutte contre les famines. Leurs actions ont aussi eu des effets sur les institutions politiques coutumières dont ils ont miné, au

63 fil du temps, les fondements et les pratiques inégalitaires et oppressives. En effet, tandis que les missionnaires enseignaient certaines valeurs de vie collective comme la justice, l’égalité et la fraternité, l’autorité de Tutelle faisait des réformes en pleine contradiction avec ces fondements et pratiques. Encore faut-il ne pas passer sous silence la brutalité et le racisme inhérentes aux méthodes coloniales68 et le mépris avec lequel les missionnaires traitaient la culture rwandaise (Kalibwami, 1991).

La révolution de 1959, puis la fin de la Tutelle 3 ans plus tard, ont constitué des changements majeurs qui ont eu d’importantes répercussions sur les conditions de vie des Rwandais. Avec la révolution, l’élite hutu, appuyée par l’Église catholique et l’autorité de Tutelle, renversa le pouvoir monarchique. Une bonne partie de l’élite tutsi s’exila dans les pays limitrophes. La nouvelle élite hutu devait faire face à d’énormes tâches de construction de nouvelles institutions républicaines et de gestion économique et sociale du pays. Les difficultés étaient d’autant plus importantes que l’élite tutsi avait eu un accès prioritaire à l’enseignement et à l’emploi et que, de ce fait, l’élite hutu manquait de personnes formées, dans tous les domaines et à tous les niveaux.

Dans le domaine médical, le système de santé souffrait donc du départ du personnel tutsi ayant quitté le pays du fait de son allégeance au roi ou parce qu'il craignait pour sa vie. Ce problème devait être aggravé par le départ d’un certain nombre de Belges qui n’envisageaient plus leur avenir au Rwanda après l’indépendance du pays le 1er juillet 1962. Comme pour le Congo et le Burundi, après l'accession à l'indépendance, les structures de protection maternelle et infantile se détériorèrent (Janssens et al. 1992 : 514).

Dans le domaine économique, les troubles politiques de 1959 entraînèrent une désorganisation du système productif qui se traduisit par la baisse de la production agricole vivrière et d’exportation. Cette désorganisation s’étendait, bien entendu, à l’élevage.

Dans le domaine politique, la nouvelle élite devait se doter d’une constitution, assurer la sécurité du pays, constamment menacé par les réfugiés, gérer les conflits politiques internes nés une fois que les revendications républicaines avaient été satisfaites, former un nouveau personnel politique et administratif. Ces différentes préoccupations politiques et institutionnelles avaient un coût d’opportunité évident pour des questions économiques et sociales.

En dépit des difficultés à faire évoluer les nouvelles institutions rwandaises vers un système politique capable de gérer les contradictions internes, Kayibanda, le premier président du Rwanda, entreprit d’importantes actions de développement économique et social dont la deuxième république devait cueillir les fruits69. Dans le domaine éducatif, le gouvernement donna la priorité à la formation de docteurs en médecine dès l’ouverture de l’Université Nationale du Rwanda le 3 novembre 1963. Il créa de nouvelles écoles d’infirmières et une nouvelle école d’assistants médicaux. Il accorda

68 Ces méthodes étaient enseignées à l’École Coloniale Supérieure d’Anvers qui devint en 1927 une faculté universitaire (Rumiya, 1992 : 229) 69 Ainsi lorsque les premières rumeurs sur un probable coup d’État avaient commencé à circuler, Kayibanda fustigea "Ba Rutemayeze" pour dire ceux qui profitent des résultats des autres.

64 aussi une importance primordiale à la promotion de la femme. Toutefois, la nouvelle élite n’avait pas d’expérience de gestion de l’État, disposait de peu de moyens humains et financiers et manquait d’aide internationale. Au cours de la première république, les indicateurs économiques ont le plus souvent stagné. L’augmentation de la mortalité des enfants s’inscrit dans ce contexte.

La deuxième république née du coup d'État du 5 juillet 1973 dirigé par Habyarimana devait mettre fin aux dissensions politiques à l'intérieur du parti MDR-Parmehutu, étant devenu un parti unique de fait par l'éviction les autres partis. Habyarimana instaura un système politique totalitaire à l'intérieur duquel les activités économiques prospérèrent pendant une dizaine d'années avant que son modèle de développement ne montre ses limites et ne soit possible de le contester publiquement. Il créa aussi un climat de stabilité politique et de paix interethnique qui lui valut une très bonne réputation internationale et attira l’aide internationale dans différents domaines : médical, infrastructures, éducation, agriculture.

Entre-temps, le Rwanda avait déjà formé et mis sur le marché du travail un personnel d’un bon niveau d’éducation. Grâce à l’aide internationale, Habyarimana put mener des actions concluantes dans le domaine de la santé, plus particulièrement dans la Protection Maternelle et Infantile lancée vers 1974-1975, dans la mise en œuvre des recommandations faites, en 1978, par l'OMS et l'UNICEF en ce qui concerne le Programme Élargi de Vaccination, puis dans l’instauration de la planification familiale lancée avec l'aide du Fonds des Nations Unies pour la Population en 1981.

Au demeurant, on peut retenir que la première république comme la deuxième n’ont pas pu créer des institutions et des règles de gestion capables d’arbitrer les conflits inévitables, par ailleurs, dans toute société. De plus, les responsables politiques rwandais manquèrent, dès le départ, de clairvoyance par rapport au problème de la croissance démographique, pourtant identifié et mis en évidence avant 1960. Cette négligence a été favorisée par la forte emprise de l’Église catholique sur la société rwandaise et plus particulièrement par son influence sur les dirigeants qui ont, presque tous, été formés dans les écoles des missionnaires. Kayibanda, sorti du petit et du grand séminaire, a eu lui-même 10 enfants et Habyarimana, qui avait fréquenté le petit séminaire en a eu 8.

Même lorsque le Rwanda adopta une politique de population en 1981, sous la pression des bailleurs de fonds, le gouvernement commença par donner des messages confus à la population en l’invitant à accommoder la croissance économique à la croissance démographique70. Il invitait ainsi la population à une course perdue d'avance, étant donné l’exceptionnel taux de croissance de celle-ci, l’exiguïté du territoire, la baisse de la productivité du sol et le manque d'autres opportunités économiques en dehors de l’agriculture. Les résultats de l’enquête budget consommation publiés en 1988 montraient une élasticité négative entre la taille d’une famille et la consommation exprimée en équivalant calorique. Plus précisément, ils faisaient observer qu’une augmentation de 10 % de la taille d’un ménage diminuait de 5 % sa consommation calorique (Ministère du plan, 1988 : 170).

70 C’est cette idée que véhiculait l’Office National de la Population dans son modèle TTU : "Twiyongere, Twongera Umusaruro", ONAPO (1990).

65 C’est sur ce fond de difficultés démo-économiques que resurgirent les problèmes ethnique et régional, au moment où les conditions de vie s'étaient considérablement dégradées. L’attaque du Rwanda en 1990, à partir de l’Ouganda, par le Front Patriotique Rwandais, formation politico-militaire composée en très grande majorité de descendants de réfugiés tutsi, constitua le facteur accélérateur pour que le pays sombre dans le chaos. Cette nouvelle crise politique est à la source de la montée de la mortalité des enfants mise en évidence par le rapport de l’enquête socio- démographique publié en 1996. Selon ce rapport, la mortalité des enfants qui était de 191 pour mille en 1991 atteignait 203 pour mille en 1996. À l’inverse de ce qui s’est passé au début des années 60, c’est, cette fois-ci, le départ ou le maintien en prison du personnel technique et administratif hutu qui pose directement problème, en sus des énormes difficultés politiques et économiques.

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72 Annexes statistiques

Tableau A1. Reconstruction des tendances de la mortalité des enfants au Rwanda, 1950-1992

Enquête 1983 Enquête 1992 Tendancee (EMF / WFS) (EDS / DHS) reconstitué Année q(5) Décès q(5) Décès q(5) 1950 0 0,342 1951 0,283 4 0,332 1952 0,192 4 0,323 1953 0,435 13 0,314 1954 0,306 14 0,305 1955 0,215 12 0,297 1956 0,272 21 0,288 1957 0,311 30 0,280 1958 0,385* 51 0,273 1959 0,243 34 0,265 1960 0,217 42 0,255 1 0,258 1961 0,284 62 0,415 6 0,250 1962 0,239 64 0,159 5 0,243 1963 0,237 69 0,247 12 0,237 1964 0,236 80 0,268 11 0,230 1965 0,216 78 0,223 16 0,223 1966 0,245 95 0,206 18 0,225 1967 0,209 85 0,235 30 0,228 1968 0,260 120 0,224 32 0,231 1969 0,225 110 0,216 37 0,235 1970 0,226 122 0,263 61 0,238 1971 0,250 146 0,265 66 0,241 1972 0,226 141 0,244 74 0,244 1973 0,253 175 0,216 73 0,248 1974 0,251 181 0,247 98 0,251 1975 0,260 202 0,277 120 0,254 1976 0,248 203 0,254 122 0,257 1977 0,263 230 0,274 142 0,247 1978 0,267 250 0,255 149 0,238 1979 0,213 207 0,238 155 0,229 1980 0,221 234 0,221 161 0,220 1981 0,193 212 0,237 187 0,211 1982 0,165* 195 0,197 164 0,203 1983 0,173 170 0,167* 154 0,196 1984 0,181 175 0,188 1985 0,191 199 0,181 1986 0,192 211 0,174 1987 0,165 185 0,168 1988 0,169 187 0,161 1989 0,134 147 0,155 1990 0,149 167 0,149 1991 0,142 157 0,143 1992 0,157 105 0,138

Source : Calcul des auteurs à partir des données des enquêtes * Significativement différent de la tendance, P<0,05

73 Tableau A2. Chrétienté, scolarisation et accès aux soins au Rwanda de 1901 à 1949 (missions catholiques)

cathéchis cathécum baptisés baptisés baptisés in nombre élèves élèves malades Années tes néophites ènes adultes enfants extremis mariages confessions communions d'écoles garçons filles total soignés

1 901 39 1 902 152 1 903 49 29 1 199 1 1 904 36 445 5 438 355 39 496 4 4 702 4 596 6 371 22 393 43 847 1 905 64 1 108 578 111 484 106 15 791 15 893 9 1 214 10 1 224 59 397 1 906 66 1 866 6 096 581 173 635 131 35 642 34 774 11 547 16 563 42 896 1 907 88 2 822 7 915 732 354 675 203 46 359 53 417 8 908 27 935 52 180 1 908 77 3 697 5 956 617 336 765 128 68 362 93 770 22 836 120 956 49 912 1 909 83 4 656 5 452 711 372 764 191 85824 153 792 25 610 180 790 49 507 1 910 93 5 650 6 665 795 415 2 030 225 105 490 172 431 33 980 279 1 259 68 389 1 911 132 7 089 6 785 843 643 993 238 118 744 226 133 35 1 168 578 1 746 71 010 1 912 129 8322 5 924 1 087 715 1 016 282 117 042 250 069 44 1 335 819 2 154 91 870 1 913 111 10 391 6 655 1 329 841 1 376 296 142 917 372 585 41 1 704 971 2 675 108 808 1 914 113 13 255 3 958 1 219 751 1 286 296 173 176 503 337 44 1 703 1 206 2 909 117 695 1 915 182 13 366 1 652 375 834 792 263 175 657 418 291 49 1 155 1 309 2 464 1 916 187 13 944 2 474 321 831 961 285 140 315 329 977 33 863 521 1 384 1 917 186 14 343 2 756 399 816 2 078 184 126 719 311 744 48 1 597 1 158 2 755 52 257 1 918 102 15 036 2 855 650 859 3 739 208 147 181 393 915 64 1 671 1 390 3 061 70 819 1 919 123 15 149 2 768 722 907 5 535 301 154 348 425 181 55 1 881 1 277 3 158 54 220 1 920 156 15 259 4 136 1 087 1 166 2 416 379 193 844 513 803 85 2 538 1 774 4 312 77 209 1 921 164 18 257 3 996 1 390 1 188 981 374 194 267 605 251 89 3 013 2 021 5 034 92 266 1 922 184 20 886 4 915 1 183 1 319 1 035 315 215 950 642 014 103 3 025 2 325 5 350 135 162 1 923 213 23 284 7 104 1 330 1 305 1 231 445 247 389 721 125 163 5 807 4 358 10 165 151 563 1 924 277 26 275 8 765 1 683 1 754 1 697 539 252 731 759 701 169 8 155 6 273 14 428 167 575 1 925 304 29 097 10 058 1 609 1 632 1 919 410 228 545 747 132 172 9 829 7 330 17 159 167 640 1 926 325 31 590 11 874 1 477 1 525 1 737 421 243 915 811 811 172 9 961 8 154 18 115 176 493 1 927 403 34 825 12 574 1 762 2 223 2 435 621 241 105 810 865 181 11 169 8 642 19 811 176 017 1 928 441 36 454 19 392 2 092 2 575 2 763 644 251 397 794 972 183 13 583 7 360 20 943 186 185 1 929 476 41 842 25 658 2 039 2 081 3 249 530 236 559 811 524 180 11 234 7 784 19 018 234 617 1 930 509 46 202 27 645 2 658 2 299 3 372 766 264 689 878 109 191 10 663 3 065 13 728 244 483 1 931 535 54 714 75 347 3 369 3 645 4 434 1 320 310 872 1 109 757 179 10 026 3 997 14 023 1 932 627 69 119 117 525 11 030 3 497 6 861 1 879 301 766 1 329 952 229 12 585 3 448 16 033 1 933 995 97 959 145 810 20 528 8 676 6 577 2 591 431 280 2 165 698 307 14 582 4 755 19 337 1 934 1 162 142 798 158 408 32 705 13 455 6 465 4 133 562 073 3 134 938 325 15 494 5 245 20 739 1 935 1 369 185 154 91 248 30 039 14 554 6 199 4 745 692 070 3 587 539 338 18 264 4 381 22 645 1 936 1 314 220 548 91 752 24 692 13 374 6 251 4 705 799 070 4 195 147 371 20 869 4 461 25 330 677 149 1 937 1 389 245 892 59 677 15 549 13 614 5 116 4 977 768 176 3 927 244 372 20 383 4894 25 277 683 632 1 938 1 232 267 744 51 871 11 215 14 892 4 717 4 252 832 949 3 937 027 297 18 926 4 827 23 753 781 379 1 939 922 289 584 68 043 10 568 13 281 4 186 4 728 818 317 3 745 096 315 22 138 5 252 27 390 840 221 1 940 879 308 158 57 926 8 594 13 936 4 689 4 034 805 213 3 768 528 346 24 347 5 678 30 025 654 739 1 941 858 330 127 65 616 9 221 15 847 4 227 3 699 815 922 4 025 083 395 26 292 6 216 32 508 1 942 974 340 472 57 252 5 433 13 706 4 635 3 051 806 035 3 836 396 416 29 822 6 647 36 469 635 656 1 943 1 155 353 676 53 041 6 343 13 657 3 946 3 128 708 291 3 715 912 446 23 106 5 130 28 236 342 531 1 944 1 332 320 224 34 848 4 502 9 867 6 498 1 934 620 876 2 841 347 476 18 851 4 932 23 783 422 448 1 945 1 133 320 050 53 624 3 735 8 568 4 308 2 794 749 548 3 676 444 500 31 461 7 052 38 513 541 957 1 946 1 304 312 852 59 295 3 023 13 856 5 500 3 696 742 455 3 819 454 601 40 191 7 580 47 771 666 732 1 947 1 493 318 646 73 729 3 272 13 556 6 085 3 311 735 674 3 670 954 644 45 540 8 082 53 622 911 784 1 948 1 370 331 144 108 597 4 442 12 560 5 453 3 575 796 174 3 974 527 843 51 031 10 199 61 230 1 949 2 003 344 604 142 709 5 572 15 186 6 236 4 005 879 655 4 180 412 779 59 485 10 852 70 337

Source : Statistiques jubilaires, Vicariat du Rwanda, 1900-1949.

74 Tableau A3. Production vivrière et d'exportation de 1958 à 1986 (kg par tête)

Années population légumin. céréales féculents bananes café parche thé mines

1958 2 935 612 51 70 482 248 5,99 - - 1960 3 083 416 ------0,69 1961 3 099 597 ------0,97 1962 3 106 518 43 78 278 152 4,12 0,07 0,76 1963 3 184 520 35 65 219 276 33,25 0,09 0,66 1964 3 239 541 32 61 138 132 30,97 0,10 0,73 1965 3 319 436 36 53 128 362 26,94 0,10 0,70 1966 3 411 543 57 100 150 426 50,77 0,10 0,69 1967 3 502 384 57 57 199 445 29,02 0,12 0,77 1968 3 596 512 48 47 189 449 23,67 0,23 0,71 1969 3 702 805 59 46 199 442 23,37 0,26 0,69 1970 3 812 912 57 59 232 433 30,19 0,33 0,79 1971 3 921 602 58 52 234 428 26,20 0,49 0,71 1972 4 030 470 49 50 222 417 25,27 0,59 0,68 1973 4 144 353 48 49 224 426 24,95 0,68 0,66 1974 4 256 331 41 45 207 387 22,72 0,81 0,68 1975 4 381 154 52 43 267 396 21,88 0,91 0,63 1976 4 519 766 53 52 283 405 26,17 1,10 0,69 1977 4 666 407 53 54 284 406 27,21 1,15 0,69 1978 4 818 992 49 39 283 401 19,76 1,11 0,62 1979 4 990 755 48 51 348 405 25,77 1,14 0,76 1980 5 170 180 44 51 315 399 25,84 1,28 0,56 1981 5 361 635 47 44 327 433 22,16 1,28 0,45 1982 5 583 125 49 57 328 426 28,59 1,25 0,43 1983 5 801 943 53 54 288 407 26,99 1,29 0,36 1984 5 984 384 45 50 267 344 24,97 1,45 0,36 1985 6 156 635 61 65 260 342 32,98 1,83 0,25 1986 6 334 568 61 66 260 343 - - -

Source : Ministère des finances et de l'économie (1987), L'économie rwandaise : 25 ans d'efforts, annexes. Les données sur la population sont celles de la Banque mondiale.

75 Tableau A4. Personnel médical selon la qualification et couverture médicale du Rwanda

Personnel médical et paramédical Habitants par catégorie de personnel

1 930 1950b 1 962 1 963 1 964 1972a 1 973 1 983 1 984 1 986 1 963 1 973 1 983 1 986

Médecins 22 53 186 - 135 000 53 000 30 000 25 000 Infirmiers et infirmières (A1) - - 78 - - - 72 641 73 000 Ass. médicaux + Infirmières A2 70 309 601 - 42 000 13 000 9 428 8 000 Infirmières A3 83 241 497 - 36 000 17 000 11 400 13 000 Auxiliaires de santé A4 296 318 532 265 10 000 13 000 10 650 24 000 Laborantins + Aides-Laborantins - - - 94 - - - 68 000 Personnel social - - - 250 - - - 26 000 Pharmaciens - - - 15 - - - 427 000 Total - - - 2 666 - - - 237 000

Source : Stage de Lomé sur la Santé, dossier Rwanda , février 1990, Cote CEPED, AFS, H3, Lom (2).

Person. médical et paraméd. dont : 323

médecins expatriés 19 26 29 trentainep 48c

médecins rwandais 24c

Total médecins 72 227 Infirmières A1 300 653 91 Assistants médic.+ infirmières. A2 30 291 741 Infirmières A3 500 Auxiliaires de santé 118 Unités de personnel social 200

Source : Ministère des Finances et de l'économie , L'économie rwandaise , 25 ans d'efforts (1962-1987) : 129-130. Pour les les lettres en indice voir le tableau suivant

Tableau A5. Infrastructures sanitaires

1 921 1 925 1 930 1 949 1950b 1 960 1 962 1 963 1 965 1972a 1 985 1986-87

Hôpitaux 1 5 26 20p 20 22 29 29

Sanatarium 1

Dispensaires quelquesp 15 97 67p 71 82p 150d 71 69

Cliniques 2 Centres de santé 14 147 173 Maternités 13 44 4 5

Centres nutritionnels 38p 37 43

Centres spécialisés de santé c 45c 47

Infirmeries 35 Laboratoires 2

Nombre de lits 1951p 3 532 2300p 5687d

Formations médicales par catégorie en 1986-1987

Hôpitaux Centres de Dispensaires Maternités Centres Etablissements Infirmeries Total santé nutritionnels sociaux Secteur public 17 97 54 - 10 7 20 200 Secteur privé 12 76 15 5 33 40 15 196 Total 29 173 69 5 43 47 35 396

Sources : Stage de Lomé sur la Santé, dossier Rwanda , février 1990, Cote CEPED, AFS, H3, Lom (2). a La faculté de médecine de l'Université Nationale du Rwanda a ouvert ses portes en novembre 1963 et les premiers médecins en sont sortis en 1967 b Les données jusqu'en 1950 sont celles citées par Harroy, J.P. (1984), Rwanda, de la féodalité à la monarchie , 1955-1962 : 106-107. c On peut citer les Centres psychiatriques de Ndera et de Butare, le sanatorium de Rwamagana, le Centre des sourds-muets de Butare et le Centre des handicapés de Gatagara. d Paternostre (1983 :358-361) parle de 142 hôpitaux et de 4659 lits, de 61 médecins étrangers et de 27 médecins rwandais . p : données citées par Paternostre : 358-361. Ministère des Finances et de l'économie , l'économie rwandaise , 25 ans d'efforts (1962-1987) : 129-130.

76 Tableau A6. Indicateurs macro-économiques

Situation budgétaire et dettes en Frw par tête commerce international par tête en Frw Indice des prix PPA Budget ordinaire Trésorerie totale* consommation Dépenses Part Part US $ dettes totales tous produits gouvernementales consommation Investissement Années par tête recettes dépenses recettes dépenses par tête exportations importations dans le PNB dans le PNB dans le PNB

1 960 537 19,6 77,9 1,4 1 961 506 19,8 77,8 1,6 1 962 467 68 142 68 142 19,8 78,3 2,0 1 963 448 114 172 902 977 20,0 78,9 1,9 1 964 368 165 204 801 792 20,8 77,0 2,3 1965 350 187 252 1026 1116 56 21,7 25,7 72,5 2,9 1966 487 343 387 1844 1745 224 27,5 24,5 74,6 3,0 1967 545 357 393 1434 1440 289 24,7 20,8 77,8 2,4 1968 544 368 419 1481 1499 329 434 751 25,4 16,3 82,4 2,8 1969 592 384 457 1281 1335 354 434 780 25,6 16,6 82,8 2,2 1970 647 510 461 1734 1674 417 723 983 25,7 15,5 82,7 2,2 1971 643 470 554 1579 1637 464 665 1098 25,8 17,4 81,1 2,8 1972 628 465 601 1570 1725 1123 549 1069 26,7 18,6 80,3 2,9 1973 621 568 672 1736 1823 1325 809 954 29,1 20,1 76,9 2,9 1974 624 765 830 2387 2516 1530 1012 1763 38,8 20,6 78,2 3,1 1975 640 998 1002 3312 3162 1781 1387 2688 49,7 27,7 70,2 4,0 1976 656 1460 1133 4231 4048 1916 2601 3468 53,2 28,0 68,6 4,1 1977 669 1788 1378 5123 4947 1876 2948 3671 60,5 27,8 69,7 4,4 1978 693 1793 1690 5291 5433 2607 3468 5578 68,5 23,8 74,1 4,0 1979 715 2404 1836 7367 7250 2917 5838 6329 79,3 19,0 78,8 3,1 1980 757 2534 2194 7808 7356 3942 4509 8237 87,2 17,3 80,6 4,1 1981 846 2590 2984 8472 8807 4278 3497 7717 90,5 25,8 72,4 3,5 1982 821 2518 2996 8487 8790 4825 3497 9133 101,9 23,1 74,7 5,0 1983 834 2531 2850 12155 12498 5858 4364 8526 108,5 20,5 77,5 4,0 1984 769 2791 2902 8811 8562 6786 4653 9017 114,5 19,9 77,4 5,7 1985 776 3124 3004 9297 9227 7758 5780 9971 116,5 22,7 73,7 7,0 1986 775 3379 3285 8455 5405 9913 115,2 22,7 71,5 8,9 1987 770 3626 3626 6185 9509 25,5 69,8 6,9 1988 753 4884 9393 26,6 69,3 7,2 1989 730 4653 9075 24,2 71,9 6,8 1990 756 4364 9133 31,4 65,7 5,2 1991 756 36,1 62,8 3,6 1992 762 37,8 61,0 4,3

Les données sur les PPA sont celles de Penn World Tables (Mark 5,6) Les donnes sur la population sont celles de la Banque mondiale Les donnes sur le budget, l'endettement et la consommation sont du Ministère des finances et de l'économie (1987) Les données du commerce international sont du FMI, Statistiques financières internationales, 1992 * La trésorerie totale comprend les éléments du budget ordinaire, du budget de développement, du budget pour ordre et des comptes hors budget

77 Tableau A7. Évolution des effectifs de l'enseignement au Rwanda, 1963- 1975

Ecole Ecole primairesecondaire Ecole supérieure

Années garçons filles total Université IPN

1961-62 175 000 76 000 251 000 1962-63 202 000 113 000 315 000 1963-64 224 000 135 000 359 000 51 1964-65 213 000 138 000 351 000 87 1965-66 195 000 134 000 329 000 8 025 127 1966-67 199 000 146 000 345 000 8 515 130 34 1967-68 215 000 156 000 371 000 8 842 163 72 1968-69 227 000 177 000 404 000 9 333 198 122 1969-70 231 000 184 000 415 000 9 660 264 181 1970-71 234 000 178 000 412 000 10 117 390 196 1971-72 226 000 179 000 405 000 10 512 461 197 1972-73 220 000 178 000 398 000 10 544 526 225 1973-74 219 000 178 000 397 000 10 535 489 223 1974-75 211 000 175 000 386 000 11 227 619 225

Source : Erny (1978), De l'éducation traditionnelle à l'enseignement moderne au Rwanda (1900-1975).

Tableau A8. Nombre d'étudiants inscrits à Université Nationale du Rwanda

Sciences économiques Sciences Lettres Sciences et sociales M édecine Droit infirmières Total

1963-64 10 8 13 20 51 1964-65 14 13 28 32 87 1965-66 23 25 45 34 127 1966-67 18 23 61 28 130 1967-68 30 42 69 22 163 1968-69 41 41 67 49 198 1969-70 56 66 56 86 264 1970-71 70 104 73 120 23 390 1971-72 68 115 93 147 38 461 1972-73 83 113 106 183 41 526 1973-74 64 109 91 146 37 42 489 1974-75 74 151 121 155 68 50 619

Inscrits par discipline en %

1963-64 20 16 25 39 0 0 100 1964-65 16 15 32 37 0 0 100 1965-66 18 20 35 27 0 0 100 1966-67 14 18 47 22 0 0 100 1967-68 18 26 42 13 0 0 100 1968-69 21 21 34 25 0 0 100 1969-70 21 25 21 33 0 0 100 1970-71 18 27 19 31 0 6 100 1971-72 15 25 20 32 0 8 100 1972-73 16 21 20 35 0 8 100 1973-74 13 22 19 30 8 9 100 1974-75 12 24 20 25 11 8 100

Source : Erny (1978), D e l'éducation traditionnelle à l'enseignem ent m oderne au Rwanda (1900-1975), p. 314. Les pourcentages sont calculés par les auteurs.

78