LE CATALAN DANS LES PARLERS SARDES Michel Contini Université De Grenoble
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LE CATALAN DANS LES PARLERS SARDES Michel Contini Université de Grenoble Le xiv siècle marque un tournant dans l’histoire de la Sardaigne qui, en 1297, jointe à la Corse, est Donnée comme fief à Jacques II D’Aragon, par le Pape Boniface VIII. A partir de la période qui débute en 1323, avec le débarquement de l’armée de l’Infant Al- fonso Dans le golfe De Palmas, Dans le Sulcis, l’île passe la sous Domination catalane, Dont la langue fut imposée progressivement dans l’île.1 L’importance de sa diffusion et de son influence sur les variétés dialectales sardes locales ont fait l’objet de nombreuses études, à commencer par l’article De M. L. Wagner Los elementos español y catalán en los dia- lectos sardos (Wagner 1922; voir aussi Wagner 1951: chap. IX) et par son Dizionario Etimologico Sardo (DES) : (1960-1964), ouvrage incontournable pour les étuDes sur le sarDe, qui constituent la principale référence à Des publications ultérieures. Parmi ces Dernières, nous mentionnerons, en particulier, l’article De Giulio Paulis sur le lexique catalan dans les dialectes sardes (Paulis 1984) paru dans le remarquable ouvrage I Cata- lani in Sardegna de Carbonell et Manconi (1984) où l’auteur présente un nombre impor- tant De formes lexicales catalanes relevées Dans le DES, relatives aux Différentes aires dialectales de la Sardaigne et la contribution de Jordi Carbonell sur la langue et la littéra- ture médiévale et moderne de langue catalane en Sardaigne (Carbonell, 1984).2 Tous les spécialistes sont D’avis que le catalan fut employé surtout par les classes so- ciales Dominantes, par l’aDministration civile et ecclésiastique, par les personnes les plus cultivées, par les artisans Des principales villes(Cagliari, Sassari, Oristano, Iglesias, Bosa) qui connurent sans Doute une situation De Diglossie sarDe/catalan Dans laquelle la langue Des colonisateurs Devait jouir D’un plus granD prestige comme le prouve l’expression Non scidi su cadalanu ‘il ne connaît pas le catalan’ Désignant, Dans les parlers sarDes mériDio- naux,3 et Dans celui De Cagliari en particulier (su casteddaiu), une personne ignorante. Le 1. Pour l’historique de la conquête catalane de la Sardaigne et de la successive domination de l’île nous renvoyons, entre autres, à Casula (1990), Carbonell et Manconi (1984). Voir aussi Sorgia (1982). 2. Toujours Dans l’ouvrage De Carbonell et Manconi nous rappellerons aussi les contributions D’EDuarDo Blasco Ferrer sur le Dialecte D’Alghero(Blasco Ferrer, 1984), De Miquel Batllori sur la culture sarDo-catalane à la Renaissance (Batllori, 1984) et D’August Bover i Font sur les goigs sarDes (Bover, 1984). 3. Dans cet exposé nous ne parlerons pas De ‘campiDanien’ et De ‘logouDorien’, Désignations héri- tées D’une première Dichotomie Du sarDe, vieille De 150 ans, et qui ne corresponD pas à la réalité De la Di- Estudis Romànics [Institut d’Estudis Catalans], Vol. 36 (2014), p. 405-421 DOI: 10.2436/20.2500.01.159 021-113894-ESTUDIS ROMANICS-Vol 36-11.indd 405 23/04/14 9:30 406 MICHEL CONTINI catalan Devint la langue écrite usuelle pour De nombreux écrivains et intellectuels sarDes qui fréquentaient les Universités De Zaragoza, Salamanca et Alcalá (Wagner, 1922: 226). On sait cepenDant que l’emploi Des langues De l’Italie (génois et toscan), Diffusées par Gênes et De Pise qui avaient Dominé la vie socio-culturelle et économique De l’île avant l’arrivée Des nouveaux Maîtres, ne s’effaça pas complètement et qu’il continua à survivre à côté De la nouvelle langue et, bien entenDu, Des parlers sarDes. En revanche, la Diffusion De la langue Des colonisateurs Dans le monDe rural fut sans Doute faible, le peuple Des vil- lages et Des campagnes continuant à utiliser, exclusivement, les variétés locales De sarDe. Cela est confirmé par les témoignages d’auteurs des xvie et xviie siècles comme Martin Carrillo qui, au Début Du xvii e siècle (1611), parle De la situation linguistique De la Sar- Daigne De son temps en ces termes: «El reyno de Sardeña tien peculiar lengua que llaman sarda...; y aùn en el mismo reyno ay alguna différencia de la deste cabo de Càller y la del otro cabo de Sàcer: en las ciudades principales hablan y entienden la lengua castellana y catalana...: todos entienden la lengua sarda como la commun al reyno, y se conserva tanto en las aldeas que no entienden otra lengua» (cité par Wagner, 1951: 186). Cette situation explique le nombre relativement réDuit De catalanismes — et plus tarD D’hispa- nismes — Dans le lexique lié aux activités et à la culture matérielle Du monDe paysan, mais aussi à la flore et à la faune sauvage. La Diffusion De la nouvelle langue fut sans Doute progressive et elle suivit la conquête De l’île qui ne s’acheva qu’en 1478. La situation De la ville D’Alghero Doit être consiDérée à part et elle a fait l’objet De nombreuses étuDes. On sait que suite à Des mouvements De révolte Des populations locales — sardes mais aussi génoises et toscanes — contre les nouveaux colonisateurs catalans, Pierre le Cérémonieux, en 1354, ayant repris en main la situation, imposa une catalanisa- tion totale De la ville: il chassa tous les SarDes Du centre urbain Dans lequel ils n’eurent plus le Droit De résiDer. La ville fut ensuite repeuplée par Des nouveaux colons venus De la Catalogne. Sur l’origine géographique de ces derniers il existe plusieurs hypothèses: la plus probable consiDère que la plupart D’entre eux serait originaire De Barcelone (Blas- co, 1984; Carbonell, 1984; Veny, 1987). Cette situation explique le fait que le catalan se soit maintenu solidement jusqu’à nos jours dans un espace sardophone. Après l’unification De l’Espagne sous la Couronne De Castille (1492), la SarDaigne tombe sous la Domination espagnole et le restera jusqu’au Traité D’Utrecht, en 1713. Changement De Maîtres, changement De langue, Du moins ‘officiellement’. L’espagnol remplace progressivement le catalan auprès Des mêmes catégories sociales qui avaient adopté ce dernier qui, cependant, ne céda la place que très tardivement, continuant à être la langue des lois, des décrets et des documents publics jusqu’au début du xviie siècle: on a même Des témoignages D’utilisation Du catalan à Cagliari, Oristano et même à Orani, dans le centre-est, dans le premier quart du xviii siècle et, dans la Sardaigne méridionale, Dans un testament Dicté par un notaire De Cagliari, en 1727 (Carbonell 1984) et Dans un vision Dialectale De la SarDaigne. A la place nous utilisons soit le terme générique ‘sarDe’, soit les termes ‘sarde septentrional’ (sept.) et ‘sarde méridional’ (mér.) : l’emploi de deux articles au pluriel (sos/sas), masculin et féminin, est l’un Des traits qui Distingue la première macro-variété De la seconDe qui emploie un article unique (is) pour les Deux genres (Contini, 1987: vol. II, carte 54). Dans certains cas nous inDi- quons Des variétés Dialectales particulières. Estudis Romànics [Institut d’Estudis Catalans], Vol. 36 (2014), p. 405-421 DOI: 10.2436/20.2500.01.159 021-113894-ESTUDIS ROMANICS-Vol 36-11.indd 406 23/04/14 9:30 LE CATALAN DANS LES PARLERS SARDES 407 Document juriDique, De 1738, alors que la SarDaigne faisait Déjà partie Du royaume Du Piémont (Wagner ibid.: 185). C’est seulement vers le milieu du xviie siècle (1643) qu’il est officiellement remplacé par l’espagnol (Siotto-Pintor, 1843-1844: I, 108; cité par Wagner (1951: 185) qui finira par s’imposer, plus profondément, dans le nord de l’île où il était encore parlé et compris penDant tout le xviii siècle, comme en témoignent Des sermons d’église rédigés en cette langue: selon de Toda i Güell il existe des témoignages de son utilisation, dans les premières décennies du xix siècle, au couvent de Sainte Claire à Cagliari (Wagner ibid.: 187). On peut imaginer la situation linguistique de l’île en pleine domination catalane. Les classes sociales culturellement les plus élevées devaient sans doute employer la nouvelle langue mais elles devaient connaître aussi les variétés locales de sarde et, probablement, les variétés italiennes qui semblent avoir conservé un certain prestige: on sait que beau- coup D’enfants des grandes familles continuaient à fréquenter les Universités De l’Italie et celles de Pise et De Bologne en particulier. Dans les régions mériDionales, les premières colonisées, la diffusion du catalan fut plus précoce et plus intense, due surtout au rayon- nement De la capitale insulaire Cagliari qui, comme quelques autres villes De l’île, eut droit à une catalanisation de son nom et fut appelée Càller même si, pour tous les Sardes, elle restera toujours Casteddu (Le Château). La langue Des colonisateurs catalans a laissé Des traces profonDes Dans le lexique et, De l’avis De Wagner, qui Demeure le plus granD spécialiste Du Domaine sarDe, surtout Dans les variétés sarDes mériDionales. Carbonell (1984) partage cet avis et affirme: «L’uso del cata- lano, sempre affiancato all’uso del sardo, fu più ampio nelle città che nei villaggi e più in- tenso nella pianura del Campidano, al sud dell’isola, che non al nord e nelle zone interne. Pero’... si ando’ estendendo da tutte le parti, forse a partire da Cagliari». Nous savons que Paulis ne partage pas tout à fait cette affirmation et qu’il consiDère que les catalanismes —leur nombre se chiffrerait, à son avis, autour De 4000— affectent l’ensemble Des varié- tés De l’île (Paulis, 1984): Dans ce même article il fournit, à l’appui, une liste importante De catalanismes qui ne se rencontrent que Dans les parlers sarDes septentrionaux. Il nous semble Difficile De trancher entre ces Deux positions.