ISSN 1278-5105 Revue répertoriée dans la base PASCAL de l'INIST

Sous la direction de

Claude MARTIN

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ÉTUDES DE GÉOGRAPHIE PHYSIQUE

TRAVAUX DU BVRE DU MONT­LOZÈRE

Supplément au n° XXXIII - 2006

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UMR 6012 "ESPACE" du CNRS

ÉTUDES

DE

GÉOGRAPHIE PHYSIQUE

Supplément au n° XXXIII - 2006

TRAVAUX DU BVRE DU MONT-LOZÈRE

Responsable de la publication : Claude MARTIN

UMR 6012 "ESPACE" - Équipe G.V.E. Département de Géographie 98, Boulevard Édouard Herriot B.P. 3209 06204 NICE cedex 03 Tél. : 04 94 47 53 24 Courriel : [email protected]

ISSN 1278-5105 Dépôt l égal : 3ème trimestre 2006 Revue répertoriée dans la base PASCAL de l'INIST

Impression réalisée par La Nef Chastrusse 87 Quai de Brazza, BP 28 33015 BORDEAUX cedex 2 Sous la direction de Claude MARTIN (UMR 6012 "ESPACE" - composante montpelliéraine)

LES SYSTÈMES DE TERRASSES CÉVENOLS EXEMPLES DE LA VALLÉE OBSCURE ET DU VALLON DU ROUQUET

Textes révisés par Claude MARTIN et Pierre USSELMANN 2

Photo de couverture : Terrasses et paissière près de Saint-André-de-Majencoules (). (cliché : J.M. CASTEX) 5

PUBLICATION RÉALISÉE DANS LE CADRE DU PROJET INTERREG IIIB SUDOE "TERRISC" Récupération des paysages de terrasses et prévention des risques naturels

Coordination du projet : - Departament de Medi Ambient i Natura, Consell de Mallorca

Partenaires : - Núcleo de Investigação Científica de Incêndios Florestais (NICIF), Faculdade de Letras da Universidade de Coimbra - Faculdade de Letras da Universidade do Porto - Parc national des Cévennes - UMR 6012 "ESPACE" du CNRS - composante montpelliéraine

Équipes associées : - Fundació el Solà - Universidad de Las Palmas de Gran Canaria

UMR "ESPACE"

Ét. Géogr. Phys., Supplément au n° XXXIII, Projet TERRISC, 2006 7

SOMMAIRE

Pages

C. MARTIN - Avant-propos ...... 11

P. USSELMANN - Introduction : le contexte cévenol ………………………………………... 15

D. LÉCUYER - Les terrasses cévenoles : histoire et utilisation de l'espace …………...... 21

D. LÉCUYER - Le rôle du Parc national des Cévennes dans la revalorisation des savoir-faire relatifs à la pierre sèche …………………………………………………….. 37

D. LÉCUYER - Exemples de remise en valeur de terrasses de culture en Cévennes ………… 45

C. MARTIN, F. ALLIGNOL, J.F. DIDON-LESCOT et J.M. CASTEX - Les bassins versants témoins : la Vallée Obscure et le vallon du Rouquet …………………………………… 59

F. ALLIGNOL - Analyse spatiale pour l'étude de l'évolution des paysages de la Vallée Obscure et du vallon du Rouquet ……………………………………………………….. 79

J.L. PONCE - Éléments historiques sur l'occupation du site de Valescure du XIVème siècle au milieu du XIXème siècle ………………………………………………………………. 83

J.M. CASTEX et F. ALLIGNOL - Évolution de la couverture végétale et de l'occupation du sol dans la Vallée Obscure depuis le milieu du XIXème siècle ………………………. 95

J. GRELU - Reforestation et sylviculture dans la Vallée Obscure et le vallon du Rouquet – vous avez dit "restauration des terrains en montagne" ………………………………….. 109

J.M. CASTEX, C. MARTIN et F. ALLIGNOL - Les aménagements anciens dans la Vallée Obscure et le vallon du Rouquet : description et état de conservation ………...... 119

F. SCHULLER, N. GOMEZ, L. GEORGES, G. ROQUES et R. BARRÉ - Le projet "Ressource en eau" : les efforts pour la réhabilitation des tancats ……………………… 143 8 Ét. Géogr. Phys., Supplément au n° XXXIII, Projet TERRISC, 2006 9

CARTES HORS TEXTE

Pages

Carte 1 - Présentation des Cévennes …………………………………………………………. 19

Carte 2 - Géologie de la Vallée Obscure ……………………………………………………... 71

Carte 3 - Géologie du vallon du Rouquet …………………………………………………….. 73

Carte 4 - Pentes des versants dans la Vallée Obscure ………………………………………... 75

Carte 5 - Pentes des versants dans le vallon du Rouquet ……………………………………... 77

Carte 6 - Les terroirs de 1552 dans la Vallée Obscure ……………………………………..… 93

Carte 7 - Occupation du sol dans la Vallée Obscure en 1843 ………………………………... 103

Carte 8 - Le couvert végétal de la Vallée Obscure en 2001 ...... 105

Carte 9 - Le couvert végétal du vallon du Rouquet en 2001 …………………………………. 107

Carte 10 - Aménagements des versants en terrasses et tancats dans la Vallée Obscure ……... 135

Carte 11 - Aménagements des versants dans le vallon du Rouquet ………………………….. 137

Carte 12 - État actuel de conservation des terrasses dans la Vallée Obscure ………………… 139

Carte 13 - État actuel de conservation des terrasses dans le vallon du Rouquet ……………... 141 10 Ét. Géogr. Phys., Supplément au n° XXXIII, Projet TERRISC, 2006 11

AVANT-PROPOS

Claude MARTIN (1)

(1) : UMR 6012 "ESPACE", Maison de la Géographie, 17 Rue Abbé de l'Épée, 34090 MONTPELLIER. Courriel : [email protected] .

La participation de l'Unité mixte de recherche (UMR) 6012 "ESPACE" (Étude des structures, des processus d'adaptation et des changements des espaces) au projet TERRISC "Récupération des paysages de terrasses et prévention des risques naturels" (2004-2006) est le fruit d'un heureux concours de circonstances, rendu possible par de nombreuses bonnes volontés auxquelles je me dois de rendre hommage.

La mise en rapport avec le projet doit d'abord beaucoup à Jean-Marie CASTEX, professeur honoraire d'histoire et géographie bien connu pour ses travaux sur les terrasses de culture des Alpes- Maritimes. Ayant déjà collaboré avec le FODESMA (Foment del desenvolupament de Mallorca) dans le cadre d'un précédent projet INTERREG (Programme d'initiative communautaire pour la coopération transfrontalière, transnationale et interrégionale), le projet PATTER "Patrimoine des terrasses en Méditerranée occidentale – Proposition d'inventaire", il a été contacté par nos collègues majorquins pour se joindre au projet TERRISC en cours de montage.

L'obligation réglementaire de travailler et d'avoir un rattachement administratif à l'ouest du Rhône, l'a conduit à prendre contact avec le Parc national des Cévennes. Arnaud COSSON, Directeur adjoint du PnC a alors saisi l'opportunité d'associer à ce projet les études sur l'hydrologie et les phéno- mènes hydrosédimentaires engagées par la composante niçoise de l'UMR "ESPACE", sous l'égide du Syndicat mixte pour l'aménagement et la gestion équilibrée (SMAGE) des Gardons, dans la Vallée Obscure et le vallon du Rouquet, près de Saint-Jean-du-Gard.

Cette composante de l'UMR ne pouvant pas intégrer le projet TERRISC, et cela bien qu'elle travaille de longue date sur les Cévennes, il lui fallait trouver un relais implanté en Languedoc. La solution est venue de la composante montpelliéraine de l'UMR "ESPACE". Pierre USSELMANN, Directeur adjoint pour cette composante s'est proposé pour héberger le projet. De son côté, Christine VOIRON, Directrice adjointe pour la composante niçoise a accepté que deux de ses agents (Jean- François DIDON-LESCOT et Claude MARTIN) soient affectés, à mi-temps, à la composante montpel- liéraine pour la durée des recherches. Ce montage, porté devant le CNRS par Joël CHARRE, Directeur de l'UMR "ESPACE", a été soutenu par les Délégations régionales CNRS de Nice et de Montpellier, et a été accepté par la Direction du Département SHS du CNRS.

Toutes ces opérations ont demandé un certain temps, ce qui a sensiblement retardé le démarrage du projet TERRISC. Nous sommes reconnaissants à nos partenaires, et tout particulièrement au Consell de Mallorca, coordinateur du projet, ainsi qu'aux instances de gestion du programme INTERREG IIIB SUDOE, d'avoir fait preuve de beaucoup de patience et de compréhension.

Sur le plan scientifique, relier la restauration des terrasses aux risques naturels peut sembler relever de la gageure. En effet, l'élément moteur de l'évolution des milieux dans lesquels sont apparues les terrasses est la pression démographique. Que celle-ci soit très forte et l'homme cherchera des palliatifs pour tirer le meilleur parti de son environnement. Qu'une déprise s'amorce, et les aména- gements seront abandonnés, première étape vers une revégétalisation (spontanée) des terrains, parfois accompagnée d'une reforestation (par la main de l'homme).

En Cévennes, les terrasses de culture ont connu un abandon quasi total depuis la fin du XIXème siècle. Une amorce de réutilisation se produit depuis peu, mais elle reste toujours étroitement localisée. 12

Parallèlement, l'élevage ovin qui était très développé, a perdu de son importance. Partout la forêt s'est étendue, soit à partir d'essences autochtones (hêtre, chêne vert), soit du fait de plantations (divers résineux… dont malheureusement le pin maritime). La châtaigneraie, atteinte par des maladies, a périclité et n'a plus été aussi systématiquement exploitée. Mais elle n'a pas disparu. Colonisées par la forêt, les anciennes terrasses de culture n'ont plus de rôle à tenir pour maîtriser les eaux et maintenir les sols. Sauf intervention de l'homme, la dynamique des versants les condamne à une plus ou moins lente, mais en tout cas inéluctable, disparition.

Mis à part quelques petits éboulements sur les routes, les mouvements de terrain ne constituent pas une menace majeure et généralisée en Cévennes. Certes, les terrains marneux sont localement affectés de phénomènes de solifluxion importants, notamment près d', mais ils se placent hors du contexte cévenol sur le plan lithologique.

Les incendies de forêt constituent une menace constante en été. Les départs de feu sont nombreux, mais les événements catastrophiques restent rares. Le "grand incendie des Cévennes", celui du 9 septembre 1985 au Chambon, a détruit 4100 ha (site internet : www.promethee.com), superficie somme toute modeste en comparaison de celles souvent atteintes en Basse-Provence. Notons en outre que depuis 1973, un seul autre incendie a parcouru plus de 1000 ha en Cévennes, celui de Saint- Germain-de-Calberte le 3 août 1976 (1295 ha). La faiblesse des superficies ravagées par les principaux incendies tient à la conjugaison de deux facteurs : - L'humidité d'un climat méditerranéen marqué par l'altitude, et qui de ce fait connaît des orages estivaux d'autant plus fréquents qu'ils sont nourris par les entrées d'air maritime en provenance du Golfe du Lion. - Le compartimentage du couvert végétal qui conserve des espaces faciles à protéger : zones encore vouées au pâturage, forêts de hêtres, châtaigneraies. Les plantations de résineux réalisées depuis un peu plus d'un siècle par les Eaux et Forêts puis par l'Office national des forêts, pas plus que les suberaies, ne sont des formations particulièrement sensibles au feu. Il en va bien sûr différemment du maquis et des pins maritimes, mais ils couvrent des surfaces qui pour être étendues, se répartissent de manière assez discontinue.

La principale menace, pour les personnes comme pour les biens, résulte des crues violentes dues à des épisodes pluviométriques intenses, qualifiés de "cévenols", qui se produisent en automne. Ils ont provoqué bien des inondations, aussi bien dans les Cévennes elles-mêmes (Alès, Saint-Jean-du-Gard, Anduze…) que plus en aval. L'épisode du 9 septembre 2002 est la dernière manifestation en date de l'ampleur que peut prendre ici le risque hydrologique.

À l'opposé, on peut également considérer comme un véritable risque hydrologique, la sévérité des étiages estivaux. Particulièrement sensible au cours des dernières années, elle met en question l'attrait touristique des rivières et pose même quelques problèmes pour l'alimentation en eau des populations.

Deux objectifs ont été assignés aux recherches : d'une part, décrire les aménagements anciens (terrasses sur les versants, seuils sur les thalwegs) et, d'autre part, définir les impacts qu'ils ont eus ou qu'ils exercent encore sur le milieu, que ces aménagements soient encore utilisés pour des cultures ou qu'ils aient été colonisés par la forêt.

La poursuite de ces objectifs nécessite d'appréhender les problèmes à deux échelles spatiales : - L'organisation et l'état de conservation des systèmes de terrasses doivent être considérés sur un espace géographique large, afin de prendre en compte la diversité des conditions de mise en place et d'évolution, tant sur le plan physique (relief et lithologie notamment) que sur celui du facteur humain. Les observations réalisées par J.M. CASTEX sur des sites références (Bonnevaux, sur gneiss ; Les Appens, dans la commune de , sur schistes ; , sur granite ; La Vielle, dans la commune de Saint-André-de-Majencoules, sur granite) sont malheureusement encore en cours de traitement. - En revanche, l'étude des fonctionnements actuels (impacts des aménagements sur l'hydrologie et les sols) exige de travailler de manière très fine, en quantifiant les phénomènes à l'échelle de la parcelle 13

et du petit bassin versant. À cet égard, les investigations ont été concentrées sur la Vallée Obscure et le vallon du Rouquet où des mesures avaient été entamées dès 2002. L'UMR 6012 "ESPACE" dispose de six stations hydrométriques (pour des bassins allant de 0,2 à 3,9 km2), trois pluvio- graphes, trois parcelles de mesure du ruissellement et de l'érosion des sols, une station de suivi en continu de l'humidité des sols… Afin de pouvoir exploiter l'ensemble des données acquises dans le cadre du projet TERRISC, nous patienterons jusqu'en 2007 pour publier, dans les Études de Géographie Physique, les résultats sur les phénomènes hydrologiques et hydrosédimentaires.

Le présent ouvrage est consacré, tout d'abord, à une introduction sur le contexte cévenol (Pierre USSELMANN) ouvrant sur une présentation des systèmes de terrasses, puis, dans la partie finale, à l'étude de deux secteurs témoins, la Vallée Obscure et le vallon du Rouquet. Le risque incendie, qui ne fera pas l'objet d'une publication spécifique dans l'avenir, est évoqué dans deux articles, en insistant sur les relations avec le couvert végétal et l'occupation humaine. Les risques hydrologiques ne sont pas non plus négligés, mais ils ne sont abordés dans ces pages qu'à travers l'examen des impacts des aménagements anciens réalisés sur les thalwegs.

Partenaire du projet TERRISC, le Parc national des Cévennes disposait à la fois de la compétence, en la personne de Didier LÉCUYER, et de la légitimité pour réaliser la synthèse des connaissances disponibles sur l'histoire des terrasses de culture en Cévennes et sur les tentatives récentes de réhabilitation de ces aménagements.

La seconde partie de l'ouvrage constitue, en quelque sorte, une présentation détaillée des bassins versants sur lesquels ont été effectuées les mesures qui seront publiées ultérieurement. Mais elle est évidemment beaucoup plus que cela. Elle fournit toutes les clés en notre possession pour comprendre comment, sur un territoire donné, s'est organisée et a évolué l'occupation du milieu par l'homme, et comment celui-ci cherche à préserver le lien avec le passé. Aux personnels statutaires (Françoise ALLIGNOL, Jean-François DIDON-LESCOT, Claude MARTIN) et aux chercheurs associés (Jean-Marie CASTEX, Jean-Louis PONCE) de l'UMR "ESPACE", nous avons tenu à adjoindre des acteurs institutionnels du milieu, l'Office national des forêts (Jacques GRELU, Frédéric SCHULLER), le SMAGE des Gardons (Lionel GEORGES, Guillaume ROQUES) et la Mairie de Peyrolles (représentée par Norbert GOMEZ), qui, au delà de leur connaissance du terrain d'étude, apportent leur expérience de la gestion des problèmes environnementaux.

Avertissement : Pour les mots d'origine occitane utilisés pour qualifier certains aménagements, nous avons systématiquement adopté la forme francisée. 14 Ét. Géogr. Phys., Supplément au n° XXXIII, Projet TERRISC, 2006 15

INTRODUCTION : LE CONTEXTE CÉVENOL

Pierre USSELMANN (1) (1) : UMR 6012 "ESPACE", Maison de la Géographie, 17 rue de l'Épée, 34090 MONTPELLIER. Courriel : [email protected] .

" De Ganges aux montagnes au sol raboteux en automne – les épisodes cévenols –, à l'origine que je traversai, la promenade est ce que j'ai vu des montées de débit soudaines, des transports de plus intéressant en , les efforts de solides et des vastes lits largement calibrés des l'activité les plus vigoureux, l'animation la plus Gardons marqués par les implacables étiages vivante. L'activité que l'on a déployée ici a d'été. triomphé de toutes les difficultés et a couvert de verdure de véritables rochers." (A. YOUNG, Parlera-t-on alors de montagne méditerra- Voyages en France pendant les années 1787, néenne ? Les altitudes restent limitées, un peu 1788 et 1789, traduction par H. SÉE, tome 1, moins de 1700 m aux Finiels sur le Mont Lozère, p. 137 – réédité chez A. COLIN en 1931, 3 tomes, où le froid et l'enneigement d'hiver sont connus, 1281 p.). alors qu'en été, la sécheresse peut être accentuée avec de fortes températures aux altitudes plus Formant, selon un axe sud-ouest - nord-est, basses. Les quantités journalières de pluie la bordure sud-orientale du Massif Central, les atteignent et dépassent parfois 400 mm et les Cévennes s'adossent aux grands Causses au sud, précipitations s'élèvent en moyenne à quelque et dominent au sud-est et à l'est les collines du 2 m d'eau par an sur le flanc sud du Lozère. Elles Languedoc et la vallée du Rhône, entre la vallée sont largement plus abondantes que celles qui de l'Arre au sud et celle du Chassezac au nord affectent le versant occidental où les pluies sont (carte hors texte 1). Cette extension des Cévennes par contre mieux réparties au long de l'année. Le semble généralement retenue : mentionnée par résultat est un réseau hydrographique extrême- F. TAILLEFER (in P. JOUTARD, 1979), elle est ment dense mais fonctionnel seulement une également reprise dans l'ouvrage dirigé par partie de l'année. Malgré la rapidité des écou- A. RIVIÈRE-HONNEGER (1995). Il est toutefois lements et l'efficacité du drainage, ces caracté- admis que le sud des Cévennes vivaraises, ristiques font des Cévennes un véritable château immédiatement au nord du Chassezac, présentent d'eau régional au-dessus des collines et des des caractères proches de ceux des Cévennes plaines peuplées et beaucoup plus sèches du proprement dites. Languedoc et de la vallée du Rhône.

Les Cévennes matérialisent la ligne de De plus, les reliefs de serres découpés dans partage des eaux entre Atlantique et Méditerranée les schistes et le granite offrent en général peu de qui, soulignant la vigueur de ce relief, ne place à des formations superficielles épaisses, s'abaisse jamais au-dessous de 830 m (col de aptes au développement de sols profonds et à la Jalcreste). Constituées de massifs granito- conservation de puissantes nappes phréatiques de gneissiques, mais surtout de crêtes aiguës, les versants. En dehors de sites privilégiés où elles serres, taillées dans de puissantes couches de peuvent jouer leur rôle d'éponge hydrologique, la schistes métamorphiques à pendage général vers plus grande partie des arènes granitiques a le nord, elles s'individualisent nettement par les disparu, par ruissellement, des sommets et des profondes, courtes et étroites vallées orientées flancs des anciens alvéoles d'altération, laissant perpendiculairement vers l'est. La dissymétrie affleurer des chaos de blocs. Sur les pentes fortes souvent observée de ces vallées, avec un versant schisteuses dépassant souvent 30°, les affleu- sud à pentes plus faibles que le versant nord, en rements rocheux sont fréquents et ce sont ces est la conséquence directe, ajoutant ses effets à versants raides qui occupent l'essentiel de la ceux de l'exposition. En limite des influences surface du territoire, en dehors de quelques climatiques océaniques, les Cévennes sont répu- replats structuraux et des étroites terrasses tées pour leurs brusques et intenses précipitations alluviales de fond de vallée. Les conséquences de méditerranéennes qui se produisent généralement ces ruptures, fragmentation et compartimentage 16 du relief, n'ont jamais rendu très faciles les de l'eau. Les faïsses, dont la densité diminue vers relations d'une vallée à l'autre. l'ouest, dans les bassins aux caractéristiques plus océaniques, n'apparaissent pas immédiatement Or ces Cévennes ont été occupées par à la vue de l'observateur, car une abondante l'homme depuis longtemps – à côté de menhirs et couverture forestière les recouvre. De la même autres restes préhistoriques, on observe, histori- façon, sont d'abord ignorés les multiples barrages quement, de premiers grands déboisements au (tancats à raison de plus de 100 par km2 !) IXème siècle – et elles ont été un lieu de passage et travaux hydrauliques divers dont la Vallée vers le nord depuis au moins la conquête Obscure est une illustration exemplaire. romaine. Plus récemment, entre le littoral langue- docien et les hautes terres de "la montagne", elles Au-dessous des pelouses et des landes ont été très marquées, jusqu'au milieu du XXème d'altitude, la couverture forestière dense n'a siècle, par les transhumances, essentiellement évidemment pas été toujours aussi large. La ovines, dont les drailles sillonnent les serres et les déprise agricole, et la forte diminution de la pelouses d'altitude, ce qui n'a certainement pas population, remontent à la fin du XIXème et à la été sans influence sur la dynamique superficielle première moitié du XXème siècles. C'est à partir des versants déboisés. Comme bien d'autres de cette époque, après une forte crise d'érosion, régions, elles ont connu de nombreuses et graves que l'on assiste peu à peu à une fermeture des crises, plus prégnantes encore peut-être ici où paysages par reforestation, soit spontanée, soit l'épisode dramatique de la révocation de l'Édit de artificielle (Restauration des terrains de monta- Nantes et de la guerre des Camisards a imprimé gne, RTM). En un siècle, la surface de la forêt de profondes marques encore palpables dans la double pour couvrir actuellement 35 % du population d'aujourd'hui : en raccourci, une agri- territoire cévenol (près de un million d'hectares), culture reposant sur le châtaignier a ainsi laissé alors que la moyenne nationale s'élève à 26 % ; place d'abord au mûrier, et à l'industrie textile, elle a augmenté de 6 % entre 1988 et 1994 et enfin à l'emploi industriel et minier, lui-même progresse désormais chaque année de 1,5 %, soit disparu de nos jours. Mais tout cela a certai- quelque 15000 hectares gagnés aux friches et aux nement conduit la population à une pluriactivité cultures. ancienne, à réagir et à s'auto-organiser dans un territoire spécifique : la Cévenne. C'est dans ce contexte que le Parc national des Cévennes est mis en place en 1970, s'éten- Si cette Cévenne offrait à ses populations un dant sur 169 communes et concernant 41000 milieu difficile, elle leur permettait du moins de personnes. Outre son rôle protecteur de la vivre en s'affranchissant au maximum des biodiversité et du patrimoine, il s'efforce, avec les influences extérieures et en préservant leurs collectivités locales, de répondre aux divers défis valeurs culturelles. Comment rendre cultivables de notre époque moderne : gestion du tourisme et rentables les versants schisteux ? Comment vert, de plus en plus attrayant pour une lutter contre les ravinements lors des grosses population urbaine, maintien, et si possible déve- pluies d'automne mais aussi pouvoir conserver un loppement, des systèmes traditionnels de mise en maximum d'humidité lors des fortes sécheresses valeur agro-sylvo-pastoraux, développement de d'été ? Comment, dans le même temps, pouvoir nouvelles cultures d'appellation contrôlée à haute disposer d'eau d'irrigation ? Comment étendre les valeur ajoutée. Comme le montre l'article sur surfaces cultivables quand on ne possède que l'engagement des collectivités locales dans cette quelques hectares, voire moins d'un hectare, et voie, il y a tout lieu d'être optimiste et de voir, que la population s'accroît ? Les affleurements avec le nouveau siècle, cette région conserver rocheux sont à l'origine des blocs et des galets l'originalité et la vitalité qui en ont fait sa utilisés pour un enterrassement parfois généralisé spécificité au cours du passé. Modestement, la des versants que détaillent abondamment les participation de l'UMR 6012 ESPACE au pro- auteurs des communications traitant de la pierre gramme européen TERRISC s'efforce d'apporter sèche, de l'aménagement des versants, des sa pierre à une construction qui, en préservant sa terrasses de culture et du paysage bâti. Car il y a personnalité, doit éviter la marginalisation de la en effet, en Cévenne, une totale interdépendance Cévenne. entre habitat, espace cultivé et gestion maîtrisée 17

BIBLIOGRAPHIE

Elle est considérable et parcellaire, je pense trop - Parc national des Cévennes (1999) - Atlas du détaillée pour figurer dans cette introduction très Parc National des Cévennes. Édit. PnC, 72 p. générale. Un ouvrage contemporain me semble fondamental en raison de son double caractère de Des sites très intéressants peuvent en outre être synthèse et de mise à jour : il s'agit de : consultés sur internet, notamment : - RIVIÈRE-HONEGGER A., sous la direction de - http://pierreseche.com et http://pierreseche.chez- (1995) - Paysage des Cévennes. Édit. alice.fr : site personnel de C. LASSURE. PRIVAT, Toulouse, 160 p. - http://perso.wanadoo.fr/museedesvalleescevenoles : Les illustrations (cartes, blocs-diagrammes et site officiel du Musée des vallées cévenoles photographies) sont aussi riches et variées que les (Directeur ; D. TRAVIER). différents textes couvrant l'ensemble des champs - http://www.eau-cevennes.org : site du projet des sciences naturelles et des sciences sociales. "Ressource en eau en Cévennes métamor- phiques" porté par la Mairie de Peyrolles, le À cet ouvrage doivent être ajoutés : Syndicat mixte pour l'aménagement et la - JOUTARD P., sous la direction de (1979, 1995, gestion équilibrée des Gardons et l'Office 1999) - Les Cévennes – de la montagne à national des forêts (intitiateur du projet : l'homme. Édit. PRIVAT, Toulouse, 510 p. dans N. GOMEZ ; contacts : F. ABBOU, R. BARRÉ la dernière édition. et F. SCHULLER). 18 19

Carte hors texte 1 - Présentation des Cévennes. (réalisation : G. SILLÈRE)

SOURCES

CASTEX J.M. (2004) - Carte "Terrasses et érosion en Cévennes"; in : Les terrasses de culture en Cévennes : paysages construits et risques naturels, CASTEX J.M., MARTIN C., DAGORNE A. et BAILLY É., site internet : www.conselldemallorca.net/mediambient/terrisc/riscos_cevennes.htm . RIVIÈRE-HONEGGER A., sous la direction de (1995) - Paysage des Cévennes. Édit. PRIVAT, Toulouse, 160 p. TAILLEFER F. (1979) - Carte "Précipitations annuelles en millimètres" ; in : Les Cévennes – de la montagne à l'homme, sous la direction de P. JOUTARD, Édit. PRIVAT, Toulouse, 487 p. Cartes géologiques au 1/50000 Florac (n° 886), Génolhac (n° 887), Bessèges (n° 888), Meyrues (n° 910), Alès (n° 912), Nant (n° 937), Le Vigan (n° 937) et Anduze (n° 938). 20 Ét. Géogr. Phys., Supplément au n° XXXIII, Projet TERRISC, 2006 21

LES TERRASSES CÉVENOLES : HISTOIRE ET UTILISATION DE L'ESPACE

Didier LÉCUYER (1)

(1) : Parc national des Cévennes, 6 bis Place du Palais, 48400 FLORAC. Courriel :[email protected] .

I - INTRODUCTION important pendant près d'un siècle a eu pour effet l'abandon de nombreux aménagements réalisés pendant les périodes de poussée démographique. Dans de nombreuses régions de la planète, Mais on relativisera cette déprise en se remé- l'aménagement des pentes avec des terrasses est morant que l'histoire a été marquée de périodes la réponse qu'ont trouvé les paysans pour de flux et de reflux de population, que le patri- valoriser leur territoire et assurer leur subsistance. moine laissé par une génération est toujours, du Il existe des terrasses en pierre sèche sur diffé- moins partiellement, réutilisé et remanié par une rents continents, dans des zones aussi diverses génération suivante. que les Andes, le Maghreb, l'Himalaya ou le Moyen-Orient. Pour permettre le développement des cultures, il était nécessaire de diminuer la II - LA MISE EN PLACE DES TERRASSES sévérité des pentes, de lutter contre l'érosion et de maîtriser l'eau. Il s'agit d'un modèle assez uni- versel, mais dont l'usage est en même temps très Les terrasses que nous voyons actuellement localisé. En effet, les éléments naturels ne sont en Cévennes datent, pour la plupart d'entre elles, pas les seuls à expliquer ces aménagements. À des XVIIIème et XIXème siècles. L'essentiel de ce chaque groupe humain, dans un site donné, travail d'aménagement de versants s'est fait aux correspond une mise en valeur particulière où la temps modernes sous la pression démogra- terrasse peut occuper une place fondamentale, phique ; P. BLANCHEMANCHE (1986) pense négligeable ou inexistante. même que les sites les plus difficiles, dans les endroits les plus pentus, nécessitant les soutè- Il a été dit et écrit que les terrasses étaient nements les plus hauts, ont été réalisés en dernier. emblématiques de l'identité cévenole. Pourtant, Cette période correspond à la fin des grandes pour le visiteur qui découvre la région, ces amé- plantations de mûriers et aux derniers défriche- nagements ne constituent plus aujourd'hui l'élé- ments pour l'agrandissement de la châtaigneraie. ment majeur des paysages comme ce fut le cas Certaines des terrasses les plus récentes résultent dans le passé. Un siècle de décroissance démo- probablement de remaniements d'ouvrages anté- graphique et de déprise a fait des Cévennes un rieurs. territoire où la forêt domine très largement. On a du mal à distinguer au premier regard ce qui 1 ) L'origine des terrasses : une question appartient à la nature et ce qui relève de l'action controversée de l'homme. Les terroirs cévenols ont commencé à être Pour mieux comprendre cette région et façonnés bien avant le XVIIIème siècle, avec des essayer d'entrevoir son devenir, un retour en périodes plus actives liées à des croissances arrière s'impose. On découvrira que les Cévennes démographiques et/ou à l'apparition de nouvelles ont été modelées lentement, sur une longue cultures. Mais il est difficile de dire à quelles durée, par des générations de paysans opiniâtres, dates ont été réalisés les premiers aménagements que les aménagements de versants constituent un de versants avec construction de terrasses en exemple très abouti d'adaptation d'une civi- pierre sèche et aménagements hydrauliques. Cela lisation rurale à des contraintes naturelles (relief, reste une question controversée, même si climat, sol, etc.), économiques et sociales. On certains, peu au fait de l'histoire économique verra également comment un exode rural rurale, parlent de "terrasses millénaires" ou 22

"d'antiques escaliers de géants". Mais les véri- hydrauliques dans les Cévennes sans disconti- tables historiens restent plus prudents. nuer du XVIème siècle à la première moitié du XIXème siècle. D'après D. TRAVIER (1999), deux Le préhistorien P. MARCELIN (1964) pense époques ont vu un travail plus intense : la que les techniques de construction en pierre sèche première, de 1520 à 1620 correspond à une forte étaient déjà connues au néolithique et ont dû être expansion de la châtaigneraie ; la seconde, au mises en œuvre par les habitants fixés en XVIIIème siècle, correspond au développement de Cévennes à l'âge du bronze. On sait par l'archéo- la culture du mûrier. logie qu'il existait des terrasses de culture en pierre sèche dans la Grèce antique (M. BRUNET, P. BLANCHEMANCHE (1986) nous éclaire 1990), en Palestine et dans d'autres contrées du beaucoup sur les aménagements de terrasses pourtour de la Méditerranée, sans parler bien réalisés à partir du XVIème siècle. Il exploite les sûr du reste du monde. Pour la France, quelques compoix, les textes des agronomes, les archives comptes rendus de fouilles archéologiques men- de l'Intendance du Languedoc concernant les tionnent l'existence de terrasses. H. ROLLAND défrichements, et les archives notariales. Parmi (1938) signale qu'en avant de l'escarpement de ces dernières, il porte une attention particulière l'oppidum gréco-ligure de Saint-Blaise (Var), se aux baux à prix faits pour "réparer une pièce de trouve une série de terrasses remblayées, avec terre" et aux baux "à attufiguer". Le terme d'épais murs de soutènement en pierre sèche. attufiguer désigne en réalité toute la série d'opé- DAUZAT (in P. MARCELLIN, 1964), parlant du rations destinées à assurer le bon développement Périgord, indique que des villages de l'âge du de la jeune plantation, et notamment les aména- Bronze montrent une série d'enclos s'étageant en gements de terrasses et ouvrages hydrauliques à terrasses et soutenus par des murs constitués de réaliser. E. LEROY LADURIE (1969) fait le lien gros blocs. V. SAGLIETTO (1928) a trouvé des entre croissance démographique et dévelop- vestiges de fonds de cabanes en liaison avec pement de la châtaigneraie en disant que la d'anciennes terrasses lors de fouilles concernant peuplade finit à la longue par provoquer la un oppidum ligure du Vème au Ier siècles avant plantade de châtaigniers. Cependant les aména- J.C. Plus récemment, P. POUPET et son équipe gements en terrasses étaient loin d'être géné- (1993) ont dégagé à Nîmes un ensemble de ralisés à cette époque. À la fin de ce siècle, vers terrasses datées du Ier siècle avant notre ère, dont 1597, les frères PLATTER venus de Suisse suivre certaines étaient irriguées. des cours de médecine à Montpellier en profitent pour s'aventurer dans les "montagnes des À partir du Xème siècle de notre ère, la démo- Sévennes" (in E. LEROY LADURIE, 2005). Ils graphie va connaître en France une période de sont plus marqués par les forêts majestueuses et croissance. Les communautés rurales se déve- les plantes rares que par les quelques terrasses loppent et réalisent de grands défrichements qui qui sont pourtant déjà construites ici où là sur marqueront les paysages. On assiste à un déve- leur passage. En 1600, le célèbre agronome loppement des cultures céréalières, de la vigne, ardéchois Olivier de SERRES mentionne la de l'olivier et enfin du châtaignier, accompagné culture en terrasses dans son traité d'agronomie de constructions de terrasses. La grande crise du Théâtre d'agriculture et mesnages des champs. Il XIVème siècle a certainement ralenti la progres- écrit :" Celle (la terre) de la Montagne ou trop sion de ces aménagements. droite pente sera adoucie par murailles trans- versantes, appelées bancs ou colles qu'à pierre Pour P.BLANCHEMANCHE (1986), les sèche, pour l'épargne, on y bâtira en plusieurs Cévennes n'ont été cultivées et exploitées à une endroits, près à près l'une l'autre, les tirans grande échelle qu'après le Moyen Âge. Il retient comme à niveau pour retenir la terre que les comme probable l'hypothèse du XVIème siècle pluies et fréquents labeurs n'avalent en bas, comme étant celui des premiers travaux d'amé- pourvu que la commodité de la pierre étant sur le nagement systématique des terrains inclinés. La lieu près d'icelui favorise l'œuvre ". Les châtai- rapide augmentation de population à cette gneraies se développent dans une multitude de époque, tout au moins dans le Languedoc et les situations, comme nous le précise A. BRUNE- régions limitrophes s'est accompagnée de défri- TON-GOVERNATORI (1984), sous forme de chements et d'une remise en culture de terres masières à proximité des habitations, sur des abandonnées. Il cite des écrits, notariaux notam- faïsses, et dans des fonds de vallée avec des ment, qui démontrent que l'on a construit systèmes d'irrigation. des terrasses et réalisé des aménagements 23

2 ) Un fort mouvement d'aménagement de P. BLANCHEMANCHE, 1986). versants à l'époque moderne Parmi les autres facteurs qui ont facilité la Après une période plus calme en matière de construction de terrasses à l'époque moderne, travaux de terrassement , le XVIIIème siècle est C. LASSURE, le président du centre d'études et celui du développement de la sériciculture et du de recherches sur l'architecture vernaculaire réaménagement rationnel et systématique des (CERAV) cite les encouragements royaux à coteaux. Ce qui n'avait été que tâtonnements, défricher en Languedoc durant le XVIIIème siècle, échecs et réparations successives devient une le partage des communaux au début du XIXème technique assez maîtrisée. La démographie crois- siècle et les progrès technologiques (C. LAS- sante, l'introduction du mûrier qui produit et SURE, 2001). On sait maintenant que les progrès rapporte assez vite, l'extension des défrichements tant de l'outillage d'extraction et de taille que des à la fin de ce siècle sont autant de facteurs qui instruments aratoires ont facilité, conjointement feront que des terres jusque là réputées inacces- avec l'usage généralisé de la poudre à canon, le sibles ou vouées au domaine de "l'inculte" feront dégagement des énormes quantités de pierre l'objet d'un travail intensif. Cela se poursuivra nécessaires à l'élaboration des terrasses de d'ailleurs au cours de la première moitié du culture. P. BLANCHEMANCHE (1986) indique XIXème siècle lors du partage des biens commu- que dans les Cévennes gardoises on se mit à naux. dérocher frénétiquement au XVIIIème siècle pour planter des mûriers. En 1776, un agriculteur Si des sources attestent que les premières cévenol anonyme, dénonçant un projet visant à plantations de mûriers en Cévennes pour la fixer le montant des tailles à prélever en fonction production de la soie datent du XIIIème siècle, le des ventes, écrit que " dans les paroisses de mouvement a commencé à prendre de l'ampleur Sumène, de Valleraugue, de St André, de St avec les premières primes à la plantation à l'épo- Martin, de Peyrolles, de St Jean de Gardon- que de COLBERT. Mais c'est une catastrophe nenque on pétarde, on brise le rocher, on naturelle, la forte gelée de 1709 qui a fortement déchire, on pulvérise le tuf " (in P. BLANCHE- endommagé la châtaigneraie et les plantations MANCHE, 1986). Il est à noter que jusque là, d'oliviers, qui constitue le déclencheur d'un dans cette région connue pour ses soulèvements, engouement pour cette culture. Châtaigniers et la poudre n'était pas accessible aux paysans, oliviers sont lents à produire et on les remplace lesquels devaient se contenter de fendre et par le mûrier. Partout on substitue "l'arbre d'or", d'éclater le rocher en y allumant un grand feu de le mûrier, à "l'arbre à pain", le châtaignier, princi- broussailles pour ensuite en arroser la surface pale ressource alimentaire des Cévennes. On d'eau froide. utilise les terrasses autrefois occupées par le châtaignier et dans une moindre mesure l'olivier et on en aménage de nouvelles. Un proverbe ne III - LE SYSTÈME TERRASSE : UN dit-il pas " olivier de ton aïeul, châtaignier de ton AMÉNAGEMENT COHÉRENT DE père, mûrier et vigne de toi-même " ? Là où le VERSANTS terrain est particulièrement aride et escarpé, on n'hésite pas à " percer le roc pour faire venir les mûriers ". C'est à cette époque que l'on voit Habitat, terrasses de culture, aménagements apparaître les premiers artisans spécialistes de la hydrauliques constituent des systèmes complexes construction d'ouvrages en pierre sèche. dont il est intéressant de comprendre le fonction- nement. Les travaux tels que ceux d'E. SALESSE La sériciculture apporte la prospérité aux (1993) sur la commune de , de Cévennes jusque là réputées région déshéritée et J.L. MERCIER (1994) sur celle de Saint- ingrate. La production de soie atteint son apogée Germain-de-Calberte, ou bien la thèse de ème durant le XIX siècle. On parle de l'âge d'or des J.F. BLANC (1984) sur le département de l'Ardè- Cévennes. Un gentilhomme cévenol, le Sieur che, pour n'en citer que quelques-uns, nous de CABIRON, déplore l'engouement pour le éclairent sur le fonctionnement d'ensemble des mûrier : " Il sembla un moment que cet arbre versants aménagés. Ils font apparaître qu'il y a en n'avait été transplanté dans ce pays que pour Cévennes une véritable interdépendance entre en faire disparaître toutes les espèces " (in l'habitat, l'espace cultivé et la maîtrise de l'eau. 24

1 ) La répartition de l'habitat sur les versants Cet habitat porte aussi la marque d'amé- nagements successifs liés à la diversification et à L'habitat cévenol est avant tout un habitat l'extension des activités agricoles. Ainsi les dispersé. Le modèle le plus fréquent est celui du clèdes ou séchoirs à châtaignes ont été construites hameau entouré de terrasses (Photo 1). Les au fur et à mesure de la constitution des châtai- principaux types de localisation des hameaux, gneraies, puis ont été parfois transformées en tels qu'ils ont été décrits, sont les suivants : habitat principal. Un autre exemple d'adaptation construction à l'abri ou sur le flanc d'un éperon de l'habitat à l'évolution des activités est l'adjonc- rocheux ; édification à mi-pente ; localisation au tion d'un étage supplémentaire dans l'habitation, pied d'un versant. On trouve ces hameaux, le plus servant de magnanerie, pour l'élevage des vers à souvent entre 300 et 500 mètres d'altitude, à soie dès le XVIIIème siècle. l'adret comme à l'ubac, selon les lignes de sources dans la zone schisteuse. Les hameaux de Dans les zones de piémont au sud des bas de pente sont situés généralement à proximité Cévennes, le type d'habitat se rapproche plus de d'un cours d'eau et d'un moulin. On trouve aussi celui du mas du Bas-Languedoc. L'habitat est des fermes isolées, les mas (Photo 2). généralement dispersé et le mas se situe au centre de la propriété, l'orientation n'est plus autant un Le type de la maison cévenole a été décrit facteur fondamental pour l'implantation. Le subs- par R. BUCAILLE et L. LÉVI-STRAUSS (1980), trat est souvent le grès ou le calcaire. Là encore dans leur ouvrage de référence L'architecture D. TRAVIER distingue trois types de maisons : rurale française, comme la "maison des terras- des édifices hauts et longs avec magnaneries ; ses" ; il s'agit d'un bâtiment établi sur la pente, habitat organisé autour d'une cour intérieure, dont qui comporte plusieurs niveaux donnant chacun l'accès se fait par une porte cochère ; "mas- sur une terrasse différente, de sorte que l'habitant ruche", où assemblage très irrégulier de bâti- peut accéder à chaque étage de plain-pied. La ments divers imbriqués les uns dans les autres. maison comporte souvent trois niveaux. Elle est Chaque mas possède son puits ou sa citerne de accrochée au flanc de la montagne et la distri- récupération des eaux de pluie. bution des différents espaces en découle. L'aménagement des Cévennes s'est effectué Une autre caractéristique de la maison dans le cadre des petits bassins versants ou cévenole est l'imbrication des volumes ; au fil des vallons, qui délimitaient les quartiers, premiers générations, le hameau s'accroît et de nouvelles lieux de sociabilité. Le quartier apparaît comme maisons viennent s'adosser à celles qui existent. un espace social à l'intérieur duquel des relations Au fur et à mesure des besoins, on bâtit des privilégiées sont tissées. Ses limites géogra- espaces complémentaires face à la pente ou paral- phiques, non définies par des règles précises et lèlement à celle-ci. D. TRAVIER (1979) décrit systématiques, correspondent aux limites audi- bien les différents modèles d'habitat : bâtiment tives et visuelles, celles que l'on a généralement principal dans le sens de la plus grande pente ; dans les limites d'un vallon. bâtiment en L ; bâtiment construit en longueur selon la courbe de niveau. La circulation des La diversité et la densité de l'architecture hommes et des bêtes est très bien conçue. rurale des hameaux et mas isolés ne doivent pas Compte tenu de l'absence de gros bétail, les faire oublier qu'il existe aussi des villages plus ruelles sont étroites et comportent de nombreux importants, qui se sont constitués avec des escaliers. formes urbaines spécifiques. Le modèle le plus caractéristique de cet urbanisme est certainement Des édifices divers accompagnent l'habi- le "village-rue" qui s'étire, parfois sur plusieurs tation : clède pour le séchage des châtaignes kilomètres, le long d'une voie de communication (Photo 3), four à pain, réserve de bois, miellerie, et/ou d'un cours d'eau. Lasalle ou Génolhac, dans porcherie entourée du porcil, écurie et paillers. le Gard, sont de bons exemples de cet urbanisme. Tous ces bâtiments sont construits avec la même pierre d'extraction locale, ce qui donne un carac- L'habitat a été souvent profondément rema- tère harmonieux à l'ensemble, un effet de mimé- nié au cours de ces dernières décennies, qui ont tisme avec le milieu naturel environnant. Le fait vu se généraliser l'emploi du béton et le recours à que les toitures en zone schisteuse sont égale- divers matériaux industriels (plaques de toiture ment construites en lauzes ajoute de l'harmonie à en amiante ciment, etc.) De ce fait, il est rare de l'ensemble. trouver aujourd'hui en Cévennes des ensembles 25 bâtis homogènes et harmonieux, comme on peut Saint-Julien-du-Tournel se voit confier par en voir dans d'autres régions de France à Sieur Simon AUGIER des travaux de reprise l'architecture mieux préservée. d'anciens traversiers. Les travaux consistent à faire " 117 cannes et demy de murailhes scavoir nonante huit cannes du costé du 2 ) L'aménagement des terrasses de culture couchant de la dite pièce ou il y a une petite maison et barres de labeur en bancelz ruinés et Autour des habitations s'organisent les ter- pour rompre la terre du dessus desdites rasses, ou faïsses, édifiées pour les cultures, les murailhes et barres en bancelz et y planter de potagers, les prairies, le tout entouré de la vigne le long desdites murailhes… " (Archives châtaigneraie. Compte tenu des contraintes de départementales du Gard, IIE 23/295, f° 166, relief, les terrasses de culture sont situées, dans la Quittance de prix-fait). plupart des cas, le plus près possible des habitations pour éviter les longs déplacements. - En 1827, à Valleraugue, un habitant est tenu de transformer une châtaigneraie en pré-mûriers, Les murs délimitant les terrasses suivent les destiné à être irrigué. Pour cela, il doit courbes de niveaux ; ils sont parfois légèrement rehausser ou déplacer des murailles pour rendre inclinés pour suivre le pendage des couches sur la planche plus horizontale et faire des ouvra- calcaire. Le caractère de la pente détermine la ges d'hydraulique (Archives départementales du hauteur et la largeur des planches. Plus la pente Gard, IIE, 73/693, Valleraugue 8 juillet 1827). est forte et plus les terrasses sont étroites et les murs élevés. Un autre exemple intéressant de remanie- ment est fourni par un bail datant de 1744. Il Dans le cadre d'une agriculture où tout le montre qu'en même temps qu'il construit sa travail se fait à bras, qui nécessite une main maison ou qu'il agrandit ce qui n'était jusqu'alors d'œuvre abondante pour effectuer de gros travaux qu'une clède, le cévenol remanie les terres de terrassement et de soutènement, et qui se cultivables à proximité : P. PORTALEZ, habitant développe sur des terroirs marginaux et écologi- de Peyregrosse (Saint-André-de-Majencoules) quement fragiles, les facteurs démographique, fait construire une maison à deux niveaux climatique, économique, ont influé fortement sur jouxtant une cabane en pierre sèche au milieu de la mise en valeur agricole des terroirs. Les ses terres et confie à J. RIBARD, maître-maçon le Cévennes ont connu à plusieurs reprises dans soin " d'agrandir l'anglade (coin de terre rocheux l'histoire des périodes de valorisation intensive et et inculte, ndlr) qui est au dessous de ladite de déprise. L'abandon des parcelles aménagées maison de la longueur d'environ 10 canes depuis en terrasses que l'on constate assez généralement ladite maison jusqu'au béal ; il y plantera 30 aujourd'hui, n'est pas le premier. mûriers, faira les murailles nécessaires de l'épaisseur et hauteur convenables et rompra De très nombreux remaniements des ver- tous les rochers qui se rencontreront, plus faira sants se sont succédés au cours des siècles. une muraille en pointe à côté de la vigne et P. BLANCHEMANCHE (1986) cite plusieurs plantera un demy journal aux traversiers où il n'y baux "à prix fait" ou "à attufiguer" qui décrivent a point de souches ; plus sera tenu ledit RIBARD des travaux de remodelage des terrasses, en de démolir deux murailles qui sont au pied de fonction notamment de nouvelles conditions l'anglade jusqu'à la rivière et d'en construire une économiques : autre en pierre sèche double capable de soutenir tout le terrain de dessus… " (Archives départe- - En 1623, Antoine et Jean PUECH du hameau mentales du Gard, IIE 73/107, 12 avril 1744). de la Coste (Saint-André-de-Majencoules), doivent agrandir une pièce de terre et pour cela Les murs de soutènement des terrasses sont " augmenter le jardin d'icelle pièce de quatre construits en pierre sèche, c'est à dire sans cannes carrées et rompre le rocher (…) plus utilisation de liant (Photos 4 et 5). La pierre est creuser et augmenter la cunabière (parcelle d'extraction locale. Les différences de formes et cultivée en chanvre, ndlr) de la dite pièce de de couleurs résultent de la nature géologique de deux cannes carrées, hoster une muraille la roche mère. Le mur résulte très souvent du pourrie qui est dans la dite pièce (…) et jeter le défonçage et de l'épierrement du sol, comme l'ont clap dans le valat, cela pour planter six bien montré les travaux de P. BLANCHE- pommiers " (Archives départementales du Gard MANCHE (1986). Si les principes de construction 73/43 f°200, 14 mai 1623, Bail à prix fait). sont les mêmes d'un endroit à l'autre (joints - En 1699, un certain Jacques BLANC, maçon à croisés, etc.), l'appareillage des murs de pierre 26 sèche connaît une grande diversité en fonction de des cheminements à pied avec port d'un fardeau. la manière dont les roches utilisées se délitent ou Parfois les volées se succèdent régulièrement de se débitent. Ainsi les moellons de calcaire sont la terrasse la plus basse à la plus élevée. Le type souvent de forme parallélépipédique, alors que le plus courant est l'escalier rentrant, inclus dans ceux du schiste se présentent sous forme d'élé- l'épaisseur du mur, qui a l'avantage de ne pas ments allongés, en plaquettes plus ou moins empiéter sur le sol cultivable, mais on trouve épaisses avec des pointes irrégulières. Dans le aussi des escaliers saillants ou d'autres situés granite et le grès, les moellons sont obtenus par dans le sens de la plus grande pente. La technique débitage. Dans les fonds de vallée, les matériaux de la construction d'escaliers saillants, avec utilisés pour les murs sont plus mélangés et ils encorbellement des marches dans le mur est très prennent parfois des formes érodées, qui peuvent ingénieuse. Ces divers types d'emmarchements aller jusqu'au galet. Dans tous les cas, pour sont bien adaptés à l'homme et à l'exiguïté des permettre au mur une bonne tenue dans le temps, parcelles cultivées ; ces accès sont pénibles à on établit à son faîte une arase, constituée de gravir, mais ils permettent d'éviter les longs grosses pierres posées à plat ou en épi. détours des chemins d'accès qui serpentent le long des versants pentus en évitant les affleu- Dans certains cas, lorsqu'il était nécessaire rements rocheux. de disposer de murs très drainants, les cévenols ont construit en mettant la pierre sur la tranche ou 3 ) Les ouvrages hydrauliques en délit. Cette technique porte le nom de clavade (Photo. 6). Elle est appliquée surtout pour des En agriculture, la domestication de l'eau murs de schiste barrant un valat ou longeant un n'est que rarement une affaire individuelle, mais cours d'eau (voir infra, paragraphe III-3). Pour elle le devient encore moins dans une agriculture M. ROUVIÈRE (2002), les clavades sont à consi- de pente, parce que rien n'est plus fragile et dérer comme l'une des pratiques les plus abouties sensible, et donc imprévisible, que le réseau de l'art de la pierre sèche dans les Cévennes. hydrographique d'un terroir montagneux. L'eau est redoutée pendant les périodes de pluies abon- Le mur de soutènement agit comme un mur- dantes ou lors d'orages violents, mais c'est aussi poids. Quel que soit le matériel employé, le une richesse convoitée pendant les mois les plus bâtisseur cherchait à réduire les vides entre les secs de l'année. Cela explique les systèmes de pierres. En effet, plus les surfaces de contact sont dérivation des eaux très élaborés, qui peuvent grandes entre les pierres, plus le frottement est parfois dérouter par leur complexité. Il n'est pas capable d'assurer la tenue de l'ensemble. rare en Cévennes de voir l'eau se diriger dans des directions opposées à différentes époques de Les murs de soutènement comprennent l'année et sur une même parcelle. Irrigation et généralement un seul parement sur la face drainage sont étroitement imbriqués dans le cas externe du mur. Pourtant, dans des zones très d'un champ incliné. pierreuses et moins déclives, on trouve des murs très larges à double parement, qui ont une L'agriculteur se trouve très souvent face à un fonction de stockage des pierres, des clapas milieu fort hétérogène, en raison de la topo- sophistiqués en quelque sorte. graphie, mais il est amené à traiter de trois matériaux : la terre, l'eau et la pierre. Sur le plan Certaines terrasses, dites en ressaut ou en technologique, ces travaux ne demandent pas lunettes, entourent la base d'un arbre, le plus seulement de la force, une débauche d'énergie et souvent un châtaignier ou un olivier ; histori- de main d'œuvre, mais ils font aussi appel à des quement, c'était un moyen de préserver les principes assez élaborés de maîtrise du réseau racines de l'arbre d'un déchaussement par l'éro- hydrographique, de soutènement des terres, de sion, mais cela constituait aussi un réceptacle résistance des barrages à la poussée des terres et pour les feuilles et branchages qui s'y déposaient des eaux. Ils réclament par ailleurs un savoir et dont la décomposition créait un compost faci- d'appréciation du milieu naturel, afin de pouvoir litant la croissance de l'arbre. le transformer en utilisant au mieux la confi- guration du terrain. Les circulations à travers les ensembles de terrasses se font par des escaliers et plus rarement En matière de drainage et d'irrigation, les par des rampes inclinées. Dans les terroirs préoccupations de l'agriculteur sont de deux aménagés sur pentes escarpées, les escaliers ordres : il doit d'abord canaliser et évacuer les prédominent (Photos 7 et 8). Ils étaient adaptés à 27

Photo 1 - Hameau de l'Abric, près de l'Estréchure (Gard). (cliché : J.M. CASTEX)

Photo 2 - Mas et terrasses à Saint-Martial (Gard). (cliché : D. LÉCUYER)

Photo 3 - Clède en ruine à la Fayssole, dans la Vallée Obscure, près de Peyrolles (Gard). (cliché :J. GRELU) 28

Photo 4 - Mur de terrasse en schiste à la Roque, près de Saint-Martin-de-Boubaux (Lozère). (cliché : J.M. CASTEX)

Photo 5 - Murs de terrasses en granite à Soudorgues (Gard). (cliché : J.M. CASTEX) 29 eaux de pluie hors de la parcelle pour éviter ravin en diverses couches de bonne terre, qu'elles entraînent la terre en dévalant la pente, disposées par échelons dans la cavité du ravin ou encore préserver les terres en bordure des lui-même. Alors les eaux coulent sur des plans torrents ou des ravines, particulièrement en unis ; elles ne se précipitent plus en torrents période de crue ; ensuite, il doit amener les eaux dévastateurs, du haut des montagnes dans les de source, de rivière ou de torrent sur la parcelle, plaines ". Les agriculteurs cévenols avaient en la stockant éventuellement, pour les besoins compris que l'eau est un puissant agent d'érosion, de l'irrigation. qu'il faut maîtriser le plus parfaitement possible, mais que c'est également un moyen de transport Il s'agit de deux objectifs de fonction non moins efficace, qu'il convient de mettre à différente, mais formant évidemment un tout. profit pour déposer des limons, les recueillir et Aux aiguiers, fossés destinés à collecter les eaux les réutiliser ensuite. au-dessus des secteurs aménagés pour les évacuer vers les ruisseaux (Photo 9), sont associées les P. BLANCHEMANCHE (1986) cite, pour tranchats, rigoles plus ou moins profondes illustrer ces aménagements de valats, un bail à tracées au pied de chaque murette. Cela ne suffit prix-fait de 1760 très significatif, qui définit les pas. Il faut murailler les fossés descendants, travaux que doit effectuer un certain Pierre empierrer leur lit et corriger la pente. On modifie VALDEYRON dans un valat venant de la Tribale le profil en long du valat qui descend du haut du à Saint-Martial : notamment construire trois versant en construisant des petits barrages, les clavades en pierre sèche pour la plantation de 15 paissières. L'essentiel est que la rapidité des eaux mûriers (Archives départementales du Gard IIE soit diminuée et qu'éventuellement celles-ci 68/271). puissent être dérivées vers une ou plusieurs parcelles pour l'irrigation. En fait, l'un des moyens pour combattre l'érosion a été de l'utiliser pour modifier le profil Drainage et irrigation dépendent de réseaux en long des valats ou des ravins jusqu'à leur totalement séparés, dont on peut dire que les eaux remodelage total : en soi, le fait est déjà révé- ne se mélangent jamais et qu'ils exigent chacun lateur d'une perception assez aiguë du milieu des modalités particulières de construction et naturel et de son réseau hydrographique en parti- d'entretien. culier. Mais comme le fait observer P. BLAN- CHEMANCHE, il est assez peu surprenant que La construction d'un réseau d'irrigation l'homme ait utilisé l'eau de façon si rationnelle à nécessite trois opérations distinctes. Il convient une époque où, avec l'énergie animale, l'énergie tout d'abord de capter l'eau à l'aide d'une prise hydraulique était très développée. aménagée au bord d'un valat ou d'une rivière (en établissant une paissière) ; elle sera plus ou Ces aménagements sur les thalwegs sont moins importante selon la longueur du canal à présents en grand nombre dans le site référence alimenter et donc la superficie à irriguer. Il faut du programme TERRISC, la Vallée Obscure, ensuite transporter l'eau dans un canal ou béal près de Peyrolles (J.M. CASTEX et al., 2006, et principal sur le lieu où celle-ci sera utilisée. F. SCHULLER et al., 2006 – dans le même Enfin, il reste à collecter les eaux dans un bassin, fascicule). "gourgue", réservoir couvert ou découvert. La gestion de l'eau se pratique au niveau de Mais il existe aussi un ingénieux système l'exploitation, certes, mais aussi au niveau de d'utilisation des effets dynamiques de l'eau pour l'ensemble d'un versant. E. SALESSE (1993), en prévenir l'érosion. Il s'agit de construire en analysant les travaux réalisés sur la commune de travers d'un ravin, en commençant par le bas, Mandagout, a bien montré comment l'aména- toute une série de barrages en pierre sèche, gement d'un versant, même s'il n'a pas été pensé appelés localement rascasses ou tancats, pour d'un seul bloc, possède une cohérence globale filtrer les eaux lors d'orages ou de fortes pluies et de fonctionnement : placement des prises d'eau retenir la terre charriée (Photo 10). Cela permet sur les ruisseaux, itinéraires d'évacuation des de constituer progressivement en amont de eaux pluviales, creusement des galeries pour la chaque retenue un sol arable. J.A. CHAPTAL collecte des eaux ou "mines d'eau", etc. (1799) décrit ainsi ce système dans son mémoire sur la fertilisation des terres de montagne : " Par Pourtant l'aménagement en question a été suite de ce procédé ingénieux se forment, mis en place dans le cadre d'une propriété s'élèvent des atterrissements qui changent le foncière relativement dispersée. Cette cohérence 30 ne résulte pas d'un plan d'ensemble, mais d'une développent à partir de 1850, notamment le multitude d'arrangements de voisinage, de créa- bassin houiller d'Alès - La Grand-Combe - tions de servitudes mutuelles, dont la trace s'est Bessèges. Enfin, la guerre de 1914-1918 fait des perdue. Parfois les différents entre voisins ont ravages dans la population, ici comme partout pris la proportion de disputes dont certaines se ailleurs. De 1911 à 1921, la population diminue sont terminées par des actions en justice, ce qui de 16 % et la mortalité atteint des hommes nous permet d'en être les témoins aujourd'hui. jeunes. Entre les deux guerres mondiales, l'économie agricole des Cévennes s'effondre encore plus avec la chute des prix agricoles. La IV - L'ABANDON DES TERRASSES Seconde Guerre mondiale, même si elle a un impact moins catastrophique que la première, contribue elle aussi à vider les Cévennes. Le Il existe un lien évident entre aménagements vieillissement de la population et l'exode des de versants en terrasses et fortes densité de campagnes se poursuivra jusque dans la décennie population, en Cévennes, en France, mais aussi 1970. C'est au recensement de la population de dans bien d'autres régions du monde. 1980, que l'on voit pour la première fois une R.A. DONKIN (1979), par exemple, a observé stabilisation, voire une très légère remontée de cette corrélation en analysant les terrasses du population dans certains cantons. Au final, Mexique et de la Cordillère des Andes. Que la certains secteurs des Cévennes ont perdu jusqu'à population vienne à se réduire et le terroir utilisé 80 % de leur population par rapport au début du ème se rétracte comme peau de chagrin. Actuellement XIX siècle ! les cévenols ne sont plus assez nombreux pour gérer intensivement un espace aménagé en Si l'on étudie l'histoire sur le long terme, on terrasses, construit à une époque où la population réalise que cette hémorragie de population n'est était beaucoup plus nombreuse. pas la première connue par les Cévennes. E. LE ROY LADURIE (1969) a bien montré comment l'histoire était marquée de flux et de reflux de 1 ) L'importance de la déprise rurale des ème ème population. À chaque période de reprise démo- XIX et XX siècles graphique, le patrimoine existant est réutilisé et remanié. On fait souvent remonter le début de la déprise rurale des Cévennes à la seconde moitié du XIXème siècle. Mais l'étude de la démographie 2 ) Conséquences de la déprise rurale sur les qu'a menée R. LAMORISSE (1975) laisse appa- aménagements de versants raître que l'exode a commencé dès le début du siècle, mais qu'il a été caché par l'excédent des Les ouvrages en pierre sèche et autres amé- naissances sur les décès. C'est en fait le déclin de nagements de versants nécessitent une mainte- l'activité séricicole qui a provoqué le mouvement. nance régulière. Elle consiste à entretenir les Dans un premier temps, à partir de 1845-1850, murailles, les fossés d'écoulement (aiguiers, l'épidémie de la pébrine, cette maladie qui tranchats) et les rigoles d'irrigation ; il y a des attaque les vers à leur première mue, a ravagé la travaux annuels, qui s'effectuent en général au sériciculture. À peine Louis PASTEUR et Jean- cours de l'hiver et les grosses réparations occa- Baptiste DUMAS avaient-ils trouvé la parade que sionnelles qu'il faut engager à la suite de pluies la concurrence des soieries orientales, favorisée torrentielles. Les grosses réparations consécutives par l'ouverture en 1869 du canal de Suez, est à des événements climatiques sont bien décrites venue frapper à nouveau ce secteur d'activité. dans les cahiers de doléances de la sénéchaussée Dans le même temps, la maladie de l'encre a fait de Nîmes en l'an II pour 55 communes de la son apparition dans les châtaigneraies et les bordure méridionale des Cévennes. Il n'est pas propriétaires ont vendu plus massivement leurs étonnant que l'abandon des terrasses, suite au emes arbres aux usines de tanins. P. JOUTARD (1979) dernier exode rural des XIX-XX siècles, ait donne comme exemple de l'ampleur du mouve- entraîné une forte détérioration des ouvrages. ment le cas de la commune de Moissac-Vallée- Française, qui perd d'après le cadastre de 1913 un Que deviennent ces versants aménagés une tiers des surfaces de châtaigneraie existant en fois abandonnés ? Certains auteurs ont beaucoup 1834. Le développement des voies de commu- travaillé sur la question du comportement des nication, route et rail, permet aux cévenols de terroirs de terrasses délaissés. T. TATONI (1992) venir travailler dans les bassins industriels qui se 31

Photo 6 - Clavade. (cliché : M. ROUVIÈRE)

Photo 7 - Escalier volant sur un mur en schiste. Photo 8 - Escalier intégré dans un mur (cliché : Chambre de métiers et de granite. (cliché : M. ROUVIÈRE) de l'artisanat de la Lozère, ABPS) 32

Photo 9 - Aiguier servant aussi de sentier, Photo 10 - Petits rascasses près de Bonnevaux à La Vielle, près de Saint-André-de-Majencoules (Gard), sur gneiss. (cliché : J.M. CASTEX) (Gard), sur granite. (cliché : J.M. CASTEX)

Photo 11 - Terrasses abandonnées, colonisées par des chênes verts et des pins maritimes autour du hameau de Peyraube, près de (Gard). (cliché : J.M. CASTEX) 33 décrit l'évolution postculturale des agro-systèmes détruire les ouvrages en pierre sèche situés en de terrasses en Provence calcaire. Il montre dessous ? Par ailleurs, la prolifération de la faune comment les versants aménagés en terrasses, du sauvage, et notamment des sangliers, accentue la fait de leur caractère anthropique, constituent des dégradation des murettes. Les sangliers retour- ensembles fragiles. On assiste à la poussée de la nent souvent les pierres de faîtage pour y trouver friche et à une fermeture progressive des milieux, de la nourriture, notamment des vers. Une fois allant jusqu'au reboisement total de l'espace. La que le mur n'est plus protégé par ces pierres reprise en herbe est efficace pour lutter contre de couronnement, il s'en trouve fragilisé et se l'érosion ; elle prépare l'envahissement par les dégrade rapidement. formations arbustives, puis par la forêt. Mais la végétation qui colonise les terrasses abandonnées Cependant, si la reforestation constitue au- est extrêmement pyrophyte. L'embroussaillement jourd'hui un problème pour la conservation des est un facteur important de propagation des ouvrages en pierre sèche, il faut bien convenir incendies, alors que la terrasse cultivée est un que les déforestations des siècles passés ont été excellent pare-feu. également très nocives, au point que l'activité agricole a été montrée du doigt. En effet, pendant J.F. BLANC (1984) distingue, dans le cas du longtemps les agriculteurs ont pratiqué les département de l'Ardèche, deux types d'évolution essartages, que de CABIRON (in P. BLANCHE- des paysages de terrasses abandonnés. Dans MANCHE, 1986, p. 127) décrit comme suit dans certains cas, les versants conservent toute leur son chartrier, en insistant sur leur impact en cohésion : les murs de soutènement et faïsses matière d'érosion : " Quelques paysans font sur sont "fossilisés". Ce phénomène s'observe soit sur les rampes des montagnes des défrichements des pentes relativement fortes, à affleurements qu'ils nomment issarts, pour cela ils brûlent une rocheux, lorsque les murettes sont solidement étendue plus ou moins considérable de bruyère, ancrées sur la roche, soit sur des pentes faibles où cette opération terminée, ils bêchent la terre et l'évolution liée à l'abandon n'exerce que des l'ensemencent. Ils ont ordinairement une assez effets limités. Dans d'autres cas, de loin les plus bonne récolte mais quelques mois après, les fréquents, le passage d'animaux et des phéno- pluies d'automne entraînent le terrain, de mènes d'érosion hydrique conduisent à la destruc- manière qu'il ne reste plus que le roc. Ainsi pour tion du système de terrasses (effondrement des le produit d'une année ils perdent un sol où ils murs et mobilisation des sols). auraient pu faire une plantation de châtai- gniers ". 3 ) La dégradation des ouvrages de pierre Mais n'oublions pas l'impact sur la forêt sèche avec reforestation d'activités économiques autres que l'agriculture. La fabrication de charbon de bois a entraîné des Les travaux de reboisement systématiques déforestations bien plus importantes que l'agri- entrepris à la fin du XIXème siècle et les culture sur brûlis, à laquelle elle était du reste constructions d'ouvrages de restauration des parfois associée, le charbonnier plantant du grain terrains de montagne (RTM) ont permis de sur les zones qu'il venait de déboiser. Les besoins corriger les graves déséquilibres consécutifs à la de la métallurgie (forges et martinets), du déprise rurale. En Cévennes, Georges FABRE bâtiment, de la construction navale, de la verrerie (1844-1911) est célèbre pour les reboisements et des mines ont également eu pour conséquence qu'il a effectués sur le massif de l'Aigoual, en des défrichements, même si les techniques et les application des lois prescrivant le reboisement modalités de ceux-ci étaient divers. pour lutter contre l'érosion. Les Cévennes ont retrouvé pendant le XXème siècle une couverture arborée très importante. V - CONCLUSION La reforestation, tant naturelle (Photos 11) que volontaire, pose un sérieux problème quant à la préservation du patrimoine de pierre sèche. Les La datation des premiers aménagements des arbres endommagent les ouvrages par l'insertion versants cévenols est difficile à effectuer dans de leurs racines dans les murs. L'exploitation du l'état actuel des connaissances et reste un sujet bois devient également problématique. Comment de controverses. Une autre question méritant effectuer la vidange des peuplements arrivés à d'être éclaircie est l'hypothèse d'un apport des maturité ? Comment valoriser le bois sans techniques hydrauliques sophistiquées par les 34 arabes. Des archéologues médiévistes, notam- le département de l'Ardèche. Il serait souhaitable ment A. BAZZANA et al. (1987), ont été intri- d'établir une cartographie des terrasses cévenoles. gués par la similitude des aménagements des Où sont-elles présentes, et où sont-elles absen- terrasses irriguées de Majorque et ceux existant tes ? Quels sont notamment les critères qui dans la péninsule Arabique, en particulier au rendent les aménagements en terrasses inutiles ? Yémen. Ils ont émis l'hypothèse que les arabes D. FAUCHER a fait au sujet de la culture en auraient exporté leur savoir-faire en matière terrasses une remarque très pertinente : " elle d'hydraulique lors de leur conquête de l'archipel paraît résulter en général d'une nécessité à des Baléares et de l'Espagne et que ces techni- laquelle on ne s'est résolu que faute de pouvoir niques se seraient répandues largement sur la rive l'éviter " (communication colloque d'histoire et nord de la Méditerranée. Les traités des agro- de géographie agraire de Nancy, 1959, in nomes andalous des XIème et XIIème siècles J.F. BLANC, 1984). Résultats de multiples tâton- décrivent des aménagements hydrauliques, qui nements au fil des générations, ces aména- correspondent à une véritable "révolution agri- gements de versants, qui présentent des formes cole", et vont permettre une utilisation beaucoup variées selon les vallées, mériteraient d'être plus diversifiée et intensive des sols. Pourtant étudiés finement tant au niveau structurel l'ouvrage le plus complet, le Livre de l'agricul- qu'architectural. Il serait très fructueux d'établir ture d'IBN AL-'AWWÂM (édition 2000), large- une typologie des terrasses et de décrire leur état ment consacré aux cultures arbustives méditer- de conservation. ranéennes, s'il mentionne des travaux d'hydrau- lique, ne décrit pas le système d'aménagement de Ces travaux devraient fournir des éléments terrasses. P. BLANCHEMANCHE (1986) pointe d'aide à la décision pour la préservation de ce cette absence de description des terrasses et l'uti- patrimoine. Nous avons mis l'accent sur l'impor- lise comme argument en faveur d'une élaboration tance d'un entretien régulier de ces aména- plus récente des aménagements de terrasses en gements, non seulement la réparation des murs de Cévennes. Ce point mériterait d'être précisé. pierre sèche, mais aussi la vérification du bon fonctionnement des ouvrages hydrauliques, tout En matière de géographie, il serait opportun particulièrement ceux servant à l'évacuation des de conduire également des investigations complé- eaux pluviales. La tâche étant gigantesque, les mentaires. Si les géographes se sont beaucoup résultats de cette étude pourraient permettre de intéressés aux Cévennes, ils n'en demeure pas définir des priorités, en tenant compte de la moins de nombreuses lacunes dans la connais- volonté des acteurs de terrain, agriculteurs, sance de ces aménagements de versants, pourtant propriétaires, élus locaux de s'investir pour si emblématiques de cette région. Il manque pour donner une nouvelle vie à ces terrasses les Cévennes gardoise et lozérienne, une étude du abandonnées. type de celle réalisée par J.F. BLANC (1984) pour

Remerciements : Nous remercions Jean-Marie CASTEX, Michel ROUVIÈRE, Jacques GRELU et la Chambre de métiers et de l'artisanat de la Lozère, pour les photographies qu'ils ont mises à notre disposition.

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LE RÔLE DU PARC NATIONAL DES CÉVENNES DANS LA REVALORISATION DES SAVOIR-FAIRE RELATIFS À LA PIERRE SÈCHE

Didier LÉCUYER (1)

(1) : Parc national des Cévennes, 6 bis Place du Palais, 48400 FLORAC. Courriel : [email protected] .

I - INTRODUCTION : LA NÉCESSITÉ maçons, passionnés par cet art, mais la réalisation D'UNE INTERVENTION d'ouvrages en pierre sèche ne représentait qu'une part minime de leur chiffre d'affaire et ils se sentaient dévalorisés et isolés. Pendant des siècles, l'art de bâtir en pierre sans utiliser de liant a été largement répandu Pour essayer de réactiver ces savoir-faire et parmi la population des Cévennes. Le paysan rendre possible la remise en valeur des versants cévenol était tout à fait polyvalent, puisque pour aménagés, le Parc national des Cévennes a aménager une parcelle de terre, il devait assurer organisé, en octobre 1997, à Alès, un colloque tout à la fois les travaux d'effondrement du réunissant toutes les personnes concernées par rocher, d'épierrement, de soutènement à pierre le sujet (D. LÉCUYER, 1999). Cette rencontre a sèche et de plantation. On sait également que été l'occasion de faire le constat de la disparition depuis le début du XVIIIème siècle, des artisans se de ces savoir-faire et d'affirmer une volonté sont spécialisés dans ces techniques. Ce n'est en commune de les revitaliser. Les nombreux effet qu'à partir de cette époque que les actes acteurs locaux présents ont proposé un pro- notariés et notamment les baux "à prix faits", gramme de travail pour la relance de ces ou baux à ferme, qui ont été analysés par techniques. Depuis cette date, le Parc national des P. BLANCHEMANCHE (1986), font apparaître Cévennes contribue à le mettre en oeuvre. Grâce une spécialisation particulière et le recours des à des financements de l'Europe (LEADER II), du propriétaires de terrains à des professionnels pour comité français du programme "L'Homme et la construire des ouvrages en pierre sèche ou en Biosphère" de l'UNESCO, du Ministère de réparer. Compte tenu des courts délais imposés l'Écologie et du Conseil général du Gard, le Parc pour la réalisation des travaux dans ces pièces national a été maître d'ouvrage d'une série notariales, on peut penser que certains de ces d'actions de revalorisation des savoir-faire liés à entrepreneurs possédaient une abondante main la pierre sèche. Ces actions, que nous allons d'œuvre. On retrouve ce corps de métier décrire ci-après, sont menées en relation avec de dans différentes régions de terrasses de la multiples partenaires français et européens. Méditerranée. Ils prennent les noms de muraillers dans les Cévennes, empéradaïres en Provence, muratore en Italie, paredator à Minorque, II - LA COLLECTE DES SAVOIR-FAIRE murgers ou maestros dans l'île de Majorque. LIÉS À LA PIERRE SECHE

Cet art de bâtir à pierre sèche est peu à peu tombé en désuétude au moment de la déprise Le Parc national des Cévennes a édité en rurale. Dans les années 1990-1995, ce savoir- 2002 un guide pratique présentant, sous une faire était sur le point de disparaître tout à fait. forme très concrète, les différentes phases Même dans les secteurs des Cévennes où d'élaboration ou de reconstruction des murs de l'agriculture a mieux résisté qu'ailleurs, le soutènement en pierre sèche (M. ROUVIÈRE, Viganais par exemple, qui est le lieu de 2002). production de la pomme reinette et de l'oignon doux, de nombreux jeunes agriculteurs n'avaient Ce manuel restitue un savoir-faire collecté plus la compétence nécessaire. Pour ce qui depuis des années avec beaucoup de déter- concerne l'artisanat, il restait bien quelques mination et de rigueur scientifique par le Centre 38 d'étude et de recherche sur l'architecture ver- Aujourd'hui dans les Cévennes, seuls quelques naculaire (CERAV). Il a été réalisé avec le rares artisans, souvent âgés, maîtrisent ce savoir- concours tout à fait déterminant de Michel faire ; et surtout il n'existe pas de réelle forma- ROUVIÈRE, l'un des fondateurs de cette asso- tion. Si la technique de base est simple et peut ciation, ainsi que d'artisans et d'érudits locaux. Ce être expliquée rapidement (les joints doivent être guide est destiné aux propriétaires de terrasses croisés, le mur doit être légèrement incliné vers existantes, mais il est susceptible d'intéresser un l'amont, etc.), l'art est difficile et il faut des plus large public. Les propriétaires de jardins années d'expérience avant de devenir un bon peuvent y puiser des idées, soit pour rompre la appareilleur de pierre (Photos 1 et 2). monotonie d'un terrain plat en créant des diffé- rences de niveau, soit pour aménager des pentes Le Parc national des Cévennes a choisi naturelles en rocailles, en constituant des plate- d'aider les artisans maçons effectuant une partie bandes. La confection de murs en pierre sèche de leur chiffre d'affaire sur des chantiers en pierre est également un moyen d'assurer l'intégration sèche, à s'organiser pour faire reconnaître leurs paysagère d'une maison sur son terrain. Les murs compétences et trouver de nouveaux marchés. en pierre sèche ont aussi leur utilité pour la cons- Mais il faut aussi penser à la relève en soutenant truction d'une maison écologique, par exemple la réalisation de formations qualifiantes sur ce pour la confection d'un mur trombe, accumu- métier. lateur de chaleur, dans le contexte du solaire passif. La pierre sèche entre dans la catégorie des Un séminaire de travail sur les perspectives matériaux propres et cela est à prendre en de valorisation des savoir-faire de la pierre considération lorsque l'on cherche à minimiser sèche a été organisé, en 2000, à Majorque l'impact d'une habitation sur l'environnement. (D. LÉCUYER, 2000-a). Il a été accueilli par le FODESMA, organisme de formation du Conseil Ce document, conçu pour un public cévenol, insulaire. Les participants, qui ne se connais- a connu un beau succès d'édition, confirmant qu'il saient pas entre eux, ont été enthousiasmés par la correspondait à un besoin réel. Il a été complété façon dont les majorquins ont défendu leurs par un film, réalisé par Raymon ACHILLI, sous la savoir-faire et redonné leurs lettres de noblesse coordination de la Chambre de métiers et de au métier de murailler. Sitôt rentrés en Cévennes, l'artisanat de la Lozère. Il s'avère maintenant ils ont décidé de se réunir régulièrement pour nécessaire de disposer d'un ouvrage plus général, valoriser leurs compétences. traitant de la diversité des ouvrages en pierre sèche, qui soit valable sur l'ensemble du territoire Avec l'aide du Parc national des Cévennes et national. Ainsi un groupe de travail national, de la Fédération française du bâtiment, ils se sont piloté par la Confédération des artisans et des regroupés au sein d'une association, type Loi de petites entreprises du bâtiment (CAPEB) et le 1901, intitulée "Artisans bâtisseurs en pierre ministère chargé de l'artisanat (Direction du sèche" (ABPS). Ils ont également élaboré en commerce, de l'artisanat, des services et des quelques mois la "Charte des artisans bâtisseurs professions libérales, DCASPL) travaille à la en pierre sèche", qui a été signée officiellement rédaction d'un Guide des bonnes pratiques de la en février 2002. Cette charte a pour objectifs de construction en pierre sèche, avec l'appui des faire connaître ces artisans et de communiquer artisans compétents, notamment ceux des Céven- sur leur savoir-faire, en démontrant leur capacité nes, de la Chambre de métiers et de l'artisanat du à conseiller les clients et à proposer des solutions Vaucluse et de l'École nationale des travaux personnalisées. En signant cette charte, les publics de l'État (ENTPE de Lyon). Ce guide artisans décident en outre d'adopter une méthode devrait être publié en 2006. commune d'approche des coûts de revient, ce qui permet l'établissement de devis fiables et favorise donc l'exercice d'une saine concurrence. Ils III - LE REGROUPEMENT DES ARTISANS s'engagent aussi à participer à des animations AUTOUR D'UNE CHARTE DE QUALITÉ (Photo 3) et à des formations techniques pour la transmission des savoir-faire. L'existence de cette charte permet au Parc national des Cévennes et Il est utile de collecter les savoirs anciens, à différents institutions (organisations profes- mais il faut travailler concomitamment à reva- sionnelles, Chambres de métiers, etc.) de fournir loriser le métier de murailler. En effet, cette au public une liste d'artisans qualifiés, en se profession est tombée en désuétude. Cette activité portant garants d'une bonne qualité de réali- ne figure pas au répertoire national des métiers. sation. Jusqu'alors, les particuliers n'avaient pas 39 la possibilité de repérer, dans les listes d'artisans, les compagnies d'assurance. De ce fait, les parti- ceux qui étaient capables d'effectuer des ouvrages culiers, les architectes, les ingénieurs et les en pierre sèche. différents autres donneurs d'ordres sont très réti- cents à préconiser ce type de travaux. Quand ils Cette initiative lancée en Cévennes a eu des le font, ils ont tendance à sur-dimensionner les retombées positives au delà de la région. En effet, ouvrages, par méconnaissance des paramètres de un artisan du Vaucluse et la représentante de la stabilité interne des murs. Cela occasionne des Chambre de métiers et de l'artisanat de ce dépar- surcoûts et bloque le développement du marché. tement, qui avaient participé au séminaire de Majorque, ont contribué à la création d'un regrou- La loi SPINETTA du 4 janvier 1978 stipule pement des artisans de la région Provence-Alpes- que tout réalisateur d'ouvrage est tenu de sous- Côte d'Azur (PACA) : les "Muraillers de Proven- crire une assurance décennale obligatoire, garan- ce". Les professionnels cévenols ont beaucoup tissant la réparation des dommages dont il est travaillé avec ces derniers, sous la coordination présumé responsable. Si les maîtres d'ouvrage de la Chambre de métiers et de l'artisanat du commandent la réalisation d'un mur de soutè- Vaucluse. D'autres professionnels, ceux de l'équi- nement en pierre sèche, qui ne rentre a priori pas pe "Ressource en eau" qui travaille sur la Vallée dans les règles conventionnelles, seront-ils cou- Obscure, encadrés par Norbert GOMEZ, et ceux verts par une garantie en cas de défaillance de de la "Confrérie de la pierre sèche" ont été invités l'ouvrage ? En effet, un élément très important à participer à la dernière rencontre des profes- dans la garantie décennale en France est "l'impro- sionnels à l'automne 2005 dans les Cévennes. priété à destination". Cette notion entraîne une Organisée à l'initiative de l'ABPS, cette rencontre dérive jurisprudentielle permanente. Dans la a été l'occasion, pour tous ces professionnels, de mesure où il se déforme, le mur en pierre sèche travailler bénévolement durant tout un week-end peut présenter des désordres de nature à entraîner à la réfection d'un mur sur le site du moulin de un risque pour les véhicules et les gens qui Bonijols à Vialas. Ils ont pu ainsi échanger sur passent à proximité. Parce qu'un mur présentera leurs pratiques et ce dans un esprit tout à fait un bombement ou un déversement un peu convivial. accentué, aucun expert ne s'aventurera à dire qu'il n'y a aucun risque, donc que ce n'est qu'un Par ailleurs, à la demande de son ministère, problème d'aspect. C'est pourquoi il faut abso- de la DIACT (Délégation interministérielle à lument connaître le fonctionnement de ce type de l'aménagement et à la compétitivité des terri- mur, ses capacités de résistance et les normes de toires – qui a remplacé la DATAR) et de la calcul et de mise en œuvre qui s'appliquent. On région PACA, la Chambre de métiers et de est dans un contexte législatif et réglementaire l'artisanat du Vaucluse procède au recensement tel, que même s'il y a une expérience multi- national des praticiens de la pierre sèche de la séculaire de l'exécution des murs en pierre sèche, France entière, ainsi qu'au recensement national le recours à cette technique pose aujourd'hui un des actions relatives à la pierre sèche en vue problème d'assurabilité qui n'est pas réglé. d'établir un Répertoire national du savoir-faire pierre sèche, associatif et professionnel. Cet Pour essayer de résoudre ce problème, le inventaire permettra aux élus territoriaux de Parc national des Cévennes participe depuis prendre conscience de l'ampleur et de l'impact plusieurs années à un groupe de travail, piloté par des actions réalisées. Les donneurs d'ordre le Centre méditerranéen de l'environnement et les pourront identifier les savoirs et les expériences Chambres de métiers et de l'artisanat , afin d'éla- pilotes sur chaque territoire, et faire appel à des borer des clauses techniques et leur inscription professionnels qui se seront engagés dans une dans une norme nationale. L'enjeu est d'impor- "Charte nationale des muraillers". tance : il s'agit que les architectes et ingénieurs reconnaissent la validité et la pertinence de ces techniques traditionnelles et qu'ils les préconisent IV - LA VALIDATION DES TECHNIQUES à nouveau (D. LÉCUYER, 2000-b). Des règles, CONSTRUCTIVES AU REGARD DE LA établies par la Commission générale de norma- SCIENCE MODERNE lisation, devraient servir de base pour les assurances décennales des entreprises en cas de litige. Ce groupe de travail s'appuie sur Les techniques de la pierre sèche sont les travaux du Laboratoire Géomatériaux de tombées en désuétude. Il n'existe pas de règles de l'École nationale des travaux publics de l'État l'art validées par les institutions et reconnues par (ENTPE – Lyon), et notamment ceux menés par 40

B. VILLEMUS (1999) à partir de calculs de Ces travaux scientifiques ont démontré la résistance de murs témoins. pertinence de cette technique ancestrale qu'est la mise en œuvre de la pierre sèche et l'intérêt d'y Le Parc naturel régional du Luberon avait avoir recours encore aujourd'hui. Comme l'a bien entamé en 1998, dans le cadre d'un programme mis en évidence l'article 26 de la déclaration européen intitulé REPPIS (Réseau européen des finale de la "Conférence mondiale sur la pays de la pierre sèche), une démarche de recon- Science", organisée à Budapest par l'UNESCO et naissance de la technique pierre sèche, qui avait le Conseil international pour la science (CIUS) en permis à B. VILLEMUS d'établir, en collaboration juin 1999, " les savoirs traditionnels et locaux, avec l'entreprise Opus Patrimonio de Pernes-les- qui sont l'expression dynamique d'une certaine Fontaines (Vaucluse), à partir d'observations perception et compréhension du monde, peuvent réalisées sur un chantier mené à Bonnieux, un apporter et, historiquement, ont apporté une cahier des clauses techniques particulières. Le précieuse contribution à la science et à la CETE (Centre d'études techniques de l'équi- technologie et il faut préserver, protéger, pro- pement) de la région PACA avait également mouvoir et étudier ce patrimoine culturel et ces accompagné ces expériences. connaissances empiriques ".

Suite à ce premier travail, la Chambre de métiers et de l'artisanat du Vaucluse s'est associée V - LA RELANCE DU MARCHÉ DE LA au Laboratoire Géomatériaux de l'ENTPE pour PIERRE SÈCHE conduire une campagne expérimentale sur des murs de soutènement en pierre sèche en calcaire au Beaucet dans le Vaucluse (Photo 4). L'équipe Le Parc national des Cévennes agit active- de l'ENTPE souhaitant réaliser un essai de résis- ment pour relancer le marché de la pierre sèche, tance à la poussée d'un mur de soutènement tant public que privé. Ce marché correspond en schiste, le Parc national des Cévennes a propo- essentiellement à des murs de soutènement et à sé que cette expérimentation soit organisée sur des calades (revêtements de sols). son territoire. En partenariat avec la Fédération française du bâtiment et avec l'association des Le marché des murs de soutènement com- "Artisans bâtisseurs en pierre sèche", cet essai a prend les soutènements routiers (environ 20 % du été réalisé en 2003 à Saint-Germain-de-Calberte patrimoine routier national) et les terrasses (B. VILLEMUS, 2004) (Photo 5). agricoles. Il porte également sur les chemins de randonnée, les jardins en terrasses et les clôtures. Par ailleurs, la pierre sèche est l'un des matériaux biologiques, avec le chanvre et la terre, Le marché des calades concerne les chemins qui fait l'objet d'une étude intitulée "Analyse de randonnée, les espaces publics et les espaces des caractéristiques des systèmes constructifs d'accompagnement du bâti privé. non industrialisés". Le réseau d'acteurs de la construction écologique, "Écobâtir", travaille Le marché privé, à savoir principalement les depuis juin 2004 à un module pédagogique chantiers chez des propriétaires de terrasses de facilement utilisable par les entreprises, dans culture, est latent et peut se réactiver. Mais nous lequel ces trois matériaux seront évalués. Parti- sommes persuadés qu'en ce domaine, c'est cipent à cette démarche, l'ENTPE de Lyon, le l'action publique qui peut tirer le marché des laboratoire de recherche CraTerre de l'École particuliers. Aussi le Parc national des Cévennes d'architecture de Grenoble, les syndicats du apporte-t-il son appui, tant technique que finan- bâtiment de Rhône-Alpes, les syndicats profes- cier à des collectivités locales, pour les aider à sionnels que sont la CAPEB et la Fédération restaurer des sites de terrasses de culture, en française du bâtiment, l'ADEME (Agence de impliquant l'ensemble des propriétaires et utilisa- l'environnement et de la maîtrise de l'énergie) et teurs des parcelles concernées. Certains chantiers l'association "Construire en chanvre". La coordi- démonstratifs sur le domaine public sont en outre nation est assurée par le CSTB (Centre scienti- de nature à entraîner l'adhésion du public en fique et technique du bâtiment) ; la validation de faveur de ces techniques. l'étude par cet organisme en assurera la fiabilité. Les associations de muraillers s'investissent dans Une réflexion est également menée avec la ce projet et nourrissent les ingénieurs de leurs profession agricole pour trouver de nouvelles savoirs de terrain. vocations économiques aux terrasses abandon- 41

Photo 1 - Artisans bâtisseurs en pierre sèche sur un chantier en Lozère. (cliché : R. MOUSQUES)

Photos 2 - Artisans bâtisseurs en pierre sèche sur un chantier en Lozère. (cliché : R. MOUSQUES)

Photo 3 - Démonstration de montage d'un mur en pierre sèche à Saint-André-de- Majencoules. (cliché : D. LÉCUYER) 42

Photo 4 - Essai de résistance d'un mur en calcaire au Beaucet : déformation suite à la poussée. (cliché : D. LÉCUYER)

Photo 5 - Essai de résistance à la poussée d'un mur en schiste à Saint-Germain-de- Calberte. (cliché : D. LÉCUYER)

Photo 6 - Les jeunes appareilleurs de pierre de la Vallée du Galeizon en formation avec un artisan. (cliché : D. LÉCUYER) 43 nées. Le Parc national des Cévennes a participé, chantier et la mise en oeuvre sur chantiers pilotes avec d'autres institutions, à la création d'un fonds (murs à deux parements, réparation d'une voûte à d'aide aux agriculteurs pour remettre en état des encorbellement, murs de soutènement, mais aussi murettes de terrasses cultivées (D. LÉCUYER, sols caladés). L'Union régionale des CAPEB 2000-c). Si quelques sites de terrasses peuvent PACA et Corse et le GRETA étudient, dans le être restaurés pour porter témoignage d'une vie cadre d'un programme européen, l'approche d'un rurale traditionnelle, dans le cadre d'un écomusée "Référenciel de formation pierre sèche en s'ap- par exemple, nous pensons vraiment que seule puyant sur ces chantiers pilotes". une agriculture de qualité avec des produits à forte valeur ajoutée peut justifier la remise en état des nombreuses terrasses abandonnées ces VII - CONCLUSION : LA PIERRE SÈCHE, dernières décennies. TRAIT D'UNION ENTRE LES PAYSAGES MÉDITERRANEENS

VI - LA FORMATION PROFESSIONNELLE SUR LA PIERRE SÈCHE Le Parc national des Cévennes travaille en partenariat avec des acteurs locaux cévenols. Il veille également à agir en étroite collaboration L'absence de formation qualifiante au métier avec des organismes d'autres régions françaises de murailler est un handicap sérieux pour la ou de l'étranger. Il travaille avec l'APARE valorisation de la profession et sa pérennisation. (Association pour la Participation et l'Action Les artisans bâtisseurs en pierre sèche signataires Régionale), basée en Provence, qui a la première de la charte, des organismes professionnels et le porté de l'intérêt à ces espaces de terrasses dans Parc national des Cévennes travaillent à la mise les années 1980, à l'époque où peu de monde en place de cursus de formation spécifiques sur la s'intéressait à cette question. Il collabore égale- pierre sèche, qui pourraient voir le jour prochai- ment avec la Chambre de métiers et de l'artisanat nement. du Vaucluse, qui avait été sollicitée par le président de l'APARE, Roger BOUVIER, pour D'ores et déjà, il convient de signaler une élargir le sujet au secteur professionnel. Nous initiative très intéressante, qui s'est déroulée avons déjà parlé du programme européen durant 5 ans et qui a donné de très bons résultats. PROTERRA, programme de démonstration sur la Il s'agit de la formation des "Appareilleurs de valorisation des terrasses de culture, auquel le pierre du Galeizon", inspirée directement des Parc national des Cévennes a été associé. Il faut écoles-ateliers du Conseil insulaire de Majorque : savoir qu'à la même époque, un autre programme une collectivité locale des Cévennes, le Syndicat européen, REPPIS, coordonné par l'Agence intercommunal pour la conservation et le déve- "Paysages" d'Avignon (cabinet privé regroupant loppement de la Vallée du Galeizon, a utilisé en des architectes et paysagistes), avait enclenché 1999 une procédure en faveur de l'emploi des une véritable dynamique sur les savoir-faire liés à jeunes mise en place par le gouvernement, le la pierre sèche. Ce programme concernait quatre "contrat emploi-jeune", pour embaucher cinq territoires dans quatre pays : la région de l'Épire jeunes demandeurs d'emploi non qualifiés. En en Grèce, la commune de Corsano dans les cinq ans il leur a assuré une formation en centre Pouilles en Italie, l'île de Mallorca aux Baléares spécialisé et chez des artisans locaux (Photo 6), en Espagne, ainsi que le Luberon en France. accompagnée d'une participation à des chantiers Nous avons suivi avec intérêt les résultats de ce publics de valorisation du patrimoine bâti de la programme. La participation du Parc national des vallée. Au terme de ces cinq ans, ils ont pu être Cévennes au présent projet TERRISC s'inscrit embauchés par des artisans locaux. dans cette même perspective de larges collabo- rations. Il y a actuellement en France de multiples tentatives pour mettre en place des formations En 2003, avec de nombreux acteurs concer- qualifiantes sur la pierre sèche. Les Confédé- nés par la pierre sèche, le Parc national des rations des artisans et des petites entreprises du Cévennes a participé à la création d'une associa- bâtiment (CAPEB) du Vaucluse et des Alpes de tion, dénommée "Lithos", en vue de réaliser un Haute Provence, proposent aux artisans et aux centre national de la pierre sèche. Les membres salariés d'entreprises artisanales une formation fondateurs sont la commune du Beaucet, professionnelle progressive à cette technique : l'APARE et la Chambre de métiers et de l'arti- le diagnostic des désordres, l'organisation du sanat du Vaucluse. Les membres de droit sont les 44 deux associations de muraillers des Cévennes et sources de financement, œuvre pour la recon- de Provence, le laboratoire Géomatériaux de naissance et le développement de cette filière l'ENTPE de Lyon, la chambre régionale de comme une chaîne de solidarité. La cohérence métiers de PACA, le Parc national des Cévennes, de cet ensemble d'acteurs intervenant sur plu- l'Office de l'Environnement de la Corse, le Centre sieurs territoires est aujourd'hui bien lisible et la méditerranéen pour l'environnement (CME), les mutualisation de tous les travaux de recherche est unions régionales CAPEB du Languedoc-Rous- de nature à garantir les objectifs de dévelop- sillon, de PACA et de Corse. pement durable par la préservation du patrimoine et celle de l'environnement mais encore par le Depuis, chacun des membres, selon ses développement économique de toute la filière compétences, son territoire, ses réseaux, ses professionnelle investie dans la pierre sèche.

Remerciements : Nous remercions Roland MOUQUES pour ses photographies de chantiers d'artisans bâtisseurs.

RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES

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EXEMPLES DE REMISE EN VALEUR DES TERRASSES DE CULTURE EN CÉVENNES

Didier LÉCUYER (1)

(1) : Parc national des Cévennes, 6 bis Place du Palais, 48400 FLORAC. Courriel : [email protected] .

I - INTRODUCTION L'arboriculture est l'activité dominante, avec la châtaigneraie, l'oliveraie et de nombreux autres fruitiers comme pommiers (reinette du Vigan), À propos de terrasses, on parle volontiers de cognassiers, abricotiers, cerisiers, poiriers, mû- patrimoine culturel et paysager. Mais il faut riers, etc. En matière d'exposition, on sait que la rappeler qu'il s'agit avant tout d'espaces de vigne, l'olivier et les autres cultures fruitières production agricole : telle a été leur vocation préfèrent l'est ou le sud. En matière de sol, on première. sait que le châtaignier ne peut pas prospérer dans un sol où le calcaire est actif ; comme le dit La terrasse dispose d'atouts qui justifient IBN AL-'AWWÂM (édition 2000) ce grand agro- ème qu'elle puisse avoir encore aujourd'hui un avenir nome andalou du XII siècle, " le châtaignier pour une production économique. La terrasse repousse les terres blanches naturellement ". draine excellemment l'eau et permet des cultures En zone calcaire, notamment sur le versant médi- fragiles qui redoutent les attaques aux systèmes terranéen, l'olivier et la vigne se partagent les racinaires. Le cerisier par exemple, arbre qui meilleurs sols. redoute les eaux stagnantes, a pu se développer sur terrasses. Par ailleurs, la terrasse et un véri- Comme elles constituent un riche patrimoine table capteur solaire. Les murs de pierre sèche agronomique (Photo 1), les terrasses sont des accumulent la chaleur du jour et la restituent espaces privilégiés pour une production agricole pendant la nuit. Elle permet d'avoir des périodes de qualité. Le programme européen de démons- de maturation plus longues et de meilleure qualité tration de remise en valeur des terrasses de qui profitent particulièrement aux productions culture, PROTERRA (1997-2001), a fait la preu- fragiles comme celle de l'olive ou qui demandent ve, sur le cas particulier de la pomme, qu'un une grande maturité comme celle du raisin. Par produit issu de culture en terrasse est de ailleurs, l'accumulation de chaleur permet d'éviter meilleure qualité organoleptique que le même des gels précoces ou tardifs. Les terrasses, en produit issu d'autres parcelles. Bien entendu, les délimitant des aires de confinement par les murs, terrasses de culture sont des espaces privilégiés ou en artificialisant certaines expositions, permet- pour l'agriculture biologique. Il paraît donc tent une bien meilleure maîtrise des apports possible de développer pour certains types de calorifiques du soleil, soit par les protections productions des labels et appellations d'origine de latérales contre les vents, soit en accumulant la produits en terrasses, en faisant valoir leur qualité chaleur par un système de réverbération. Enfin, et leur spécificité. La plus-value obtenue à travers les sols des terrasses, qui sont des sols rapportés de tels signes officiels de qualité permettrait, favorisent un enracinement profond des arbres dans une certaine mesure, de compenser les fruitiers (C. SUNT, 1999). surcoûts liés à l'exploitation des terrasses.

Ces surcoûts sont notamment dus aux II - EXEMPLES DE REMISE EN VALEUR difficultés de mécaniser les versants en terrasses. DES TERRASSES C'est ce qui explique en partie pourquoi beaucoup d'entre elles ont été progressivement abandonnées au moment de la déprise rurale, En Cévennes, les valorisations agricoles sont l'agriculture de plus en plus intensive se très diversifiées, compte tenu des différents concentrant dans les zones de plaine. Cependant, substrats rocheux, de l'exposition et de l'altitude. depuis quelques années, des moyens mécanisés (tels que le chenillard) ou d'autres équipements 46 et techniques adaptés aux terrasses (la serre Figarette, sont connues pour leur saveur. Elles traversier) sont apparus, et pourront encore être sont très bien adaptées aux fabrications de mar- améliorés grâce à une coopération entre fabri- rons au naturel, de confitures, de pâtisseries, de cants et utilisateurs (I. BOUCHY et al., 2001). La farines, de glaces, etc. Ces transformations se mécanisation des terrasses ne nécessite pas font à la ferme et dans certaines unités artisanales toujours des investissements très élevés : ceux-ci (Verfeuille à Génolhac par exemple). Une démar- peuvent être réduits par la mise en place de che de mise en place d'une appellation d'origine structures de gestion collective du matériel. contrôlée est en cours : l'aire géographique com- L'aménagement des parcelles, notamment des prendrait les Cévennes et le Haut-Languedoc. Sur rampes d'accès, rend possible l'usage des moyens les 500 producteurs cévenols, beaucoup remettent mécanisés. Il faut ainsi être ouvert à des modi- en valeur des terroirs en terrasses. Le potentiel de fications des terrasses existantes pour les adapter restauration de terrasses est important ; n'ou- aux besoins d'aujourd'hui. Les techniques cultu- blions pas qu'historiquement la plupart des terras- rales peuvent également être adaptées aux ses cévenoles ont été créées pour la constitution parcelles en terrasses : c'est le cas de la nature et de châtaigneraies. Certains terroirs ont été amé- des modalités d'apport de matières organiques. nagés pour la châtaigneraie irriguée, notamment dans les fonds de vallées. La constitution en 2001 Lors d'un colloque organisé en 1997 sur le de l'association "Les chemins de la châtaigne" a thème de la remise en valeur des terrasses permis de communiquer sur ce renouveau, en de culture cévenoles (D. LÉCUYER, 1999), de liant les aspects économiques, écologiques, tou- nombreux acteurs avaient apporté leur témoi- ristiques et culturels. Cette association regroupe gnage sur leurs actions de reconquête de ces des hébergeurs, des gestionnaires de musée, des terroirs. Des pistes de revitalisation de ces prestataires d'activités touristiques, des transfor- espaces avaient été explorées, que nous repren- mateurs du bois de châtaignier, des entreprises de drons ci-dessous en les actualisant. Nous transformation du fruit et des producteurs. Elle a intégrerons également les principaux ensei- pour objet de promouvoir le patrimoine casta- gnements du programme de démonstration néicole des Cévennes et de fédérer les acteurs PROTERRA auquel nous avons eu la chance de locaux qui œuvrent pour son développement. participer. La Reinette du Vigan est une pomme d'hiver, dont on fait des jus de fruit de grande 1 ) L'arboriculture et la viticulture qualité gustative. C'est après l'abandon de la sériciculture que les agriculteurs, à la recherche La châtaigneraie est omniprésente en de nouveaux débouchés, ont développé ce type Cévennes, avec plus de 70000 hectares couverts de verger. Dans les vallées de l'Arre, de l'Hérault (Photo 2). Elle en a marqué l'histoire, en a dessi- et du Rieutord, en 1960, plus de 80000 arbres né les paysages. Elle en a nourri les hommes et produisaient annuellement 5000 tonnes de pom- suscite encore leur passion (J.P. CHASSANY et mes. Cette production est aujourd'hui en déclin C. CROSNIER, 2006). Après une longue période du fait de la déprise agricole qui caractérise les d'abandon et malgré des difficultés techniques zones de montagne. Les pommiers sont présents (maladies, accès aux parcelles…), près de 500 dans les fonds de vallées, sur des terrasses producteurs cévenols ont entrepris de remettre en longeant les rivières. Faut-il penser, comme valeur leurs châtaigneraies. Ils élaguent les arbres certains le disent, que la Reinette du Vigan n'est anciens, greffent ou plantent de jeunes arbres, rien d'autre que la Reinette du Canada, ramenée utilisent de nouvelles techniques (récolte avec chez nous par quelques colons de retour du des filets par exemple), modernisent le matériel "Nouveau Monde" ou, à l'inverse, que ce serait et reconstituent ainsi des vergers qui ont un réel des colons, qui l'auraient emmenée en Amé- intérêt économique. La production annuelle de rique ? De nos jours le mystère reste entier. En châtaignes et marrons en Cévennes est de l'ordre 1809, dans le Dictionnaire raisonné et universel de 1500 tonnes. Cette dynamique de dévelop- d'agriculture, L. BOSC (1809) écrit que " cette pement est marquée, d'une part, par la production pomme nous est revenue d'Amérique septen- de fruits frais, marrons gros et précoces, afin de trionale où le pommier a été porté par les mieux répondre à la demande du marché, et, premiers européens qui y sont allés s'établir ". d'autre part, par la valorisation des variétés Les paysages de vergers de pommiers de ces traditionnelles, notamment par la transformation. vallées cévenoles ont été reconnus comme Ces variétés, telles que Pellegrine, Marron paysages de reconquête par le Ministère de Dauphine, Bouche Rouge, Comballe, Sardonne, l'Environnement en 1992 (L. LAURENS, 1997). 47

Les oliveraies connaissent, depuis quelques sur terrasses. Ainsi à Robiac-Rochessadoule a été années, un réel développement. Il existe dans les réalisé, sous l'égide de l'association "Mercoire", Cévennes une petite filière économique, avec les un conservatoire de nombreuses variétés de coopératives de Saint-Jean-du-Gard et de Saint- mûriers, avec l'appui du Conservatoire botanique Florent-sur-Auzonnet. Ces entreprises gèrent de Porquerolles. Cette collection constitue une deux moulins à broyage traditionnel par meules réplique de celle existant sur cette île gérée par le en granite et pressage des pâtes par presse Parc national de Port Cros. Dans le même esprit, hydraulique, et deux marques, "L'ancestrale" et le Parc national des Cévennes a constitué à "La cuvée du Haut Gard", déposées à l'INPI en Cassagnas, au lieu-dit Les Crozes, une petite 2004. "L'ancestrale" est destinée à la commer- collection de cognassiers. cialisation d'une cuvée faite à partir de variétés d'olives cévenoles, la seconde marque mélange 2 ) Les cultures maraîchères diverses variétés. Une unité industrielle de mise en Bag-in-box a également été créée. Des L'oignon doux des Cévennes est sans investigations sont en cours, avec l'INRA et conteste le produit phare dans cette catégorie l'École des mines d'Alès, pour mettre en place un (Photos 6 et 7). Il s'agit d'une production nouveau moulin, prototype, qui permettrait une ancienne, localisée dans les environs du Vigan, valorisation des déchets, notamment pour la au sud-ouest des Cévennes. On a retrouvé dans fabrication de biocarburants. À Saint-Jean-de- les archives des documents attestant qu'en 1409, Valeriscle, deux arboriculteurs passionnés remet- on payait la dîme sur l'oignon. Jusqu'à nos jours, tent en valeur un site de terrasses à oliviers qui, cette production a toujours existé dans cette délaissé depuis plusieurs décennies, avait été partie des Cévennes. L'oignon doux a été cultivé colonisé par les chênes verts (Photo 3). La pendant longtemps à des fins d'autoconsom- coopérative l'Olivier cévenol travaille, en parte- mation, avant de faire peu à peu son apparition nariat avec l'Office national des forêts (ONF), sur les marchés régionaux (Nîmes, Montpellier) pour reconquérir 15 ha de parcelles attenantes, au début du XXème siècle. Dans les années 1950, afin de développer cette activité. Il s'agit de avec la disparition massive des mûriers, de terrains domaniaux, que l'ONF envisage de lui nouvelles terrasses, irrigables, ont été libérées. louer, à charge pour elle d'en confier les travaux C'est ainsi que sur les secteurs de Saint-André- de restauration de murets et l'entretien des arbres de-Majencoules et de Saint-Martial, cette produc- à des adhérents. Cet espace devrait servir de tion a connu un nouvel essor (N. ESCAND, vitrine pour l'oliveraie cévenole ; un sentier 1999). On peut déjà noter que le développement d'interprétation y est prévu. de la culture de l'oignon sur ces deux sites n'est pas le fait du hasard. Ces deux villages sont La viticulture occupe une place, mais la situés sur des hauteurs et tous les coteaux ont été vigne ne prend vraiment une grande extension aménagés en terrasses, loin des fonds de vallées. que sur les terrasses de la partie méridionale des Ces sols de terrasses, d'origine schisteuse ou Cévennes vivaraises (Photos 4 à 5). Un ancien granitique, ont une granulométrie très sableuse. cépage, le chatus (vitis vinifera), qui avait La plupart sont constitués de 50 %, voire 80 % de pratiquement disparu, y a été relancé par les sable. En fond de vallée, par contre, on observe communes de Ribes, Vernon et Balbiac, en parte- des accumulations de limons peu propices à nariat avec la coopérative vinicole "La cévenole" l'obtention d'un oignon de qualité. Les qualités de Rosières. Une action de valorisation du patri- drainantes des sols sableux sont encore accen- moine architectural et des terrasses de culture a tuées par les murs en pierre sèche qui éliminent été menée à bien dans le cadre de l'opération rapidement les excès d'eau et qui rendent "Paysages de reconquête" initiée par le Ministère impossible sa stagnation. L'intérêt des terrasses de l'Environnement en 1992 (R. BARBUT, 1999). pour cette culture ne s'arrête pas là. En effet, l'oignon doux des Cévennes est très sensible aux La création de vergers conservatoires est maladies du feuillage, type mildiou, provoquées également une piste intéressante. Les terrasses par les rosées matinales. De plus, ses besoins en cévenoles, de par la diversité de leurs expositions lumière et en chaleur sont très importants. C'est sur un site donné, sont des lieux favorables la raison pour laquelle cette culture ne pouvait à l'installation de collections. Par ailleurs, être envisagée ailleurs que sur des terrasses à la l'existence à Alès du Centre international de fois bien exposées et suffisamment éloignées des pomologie et l'activité débordante de l'association fonds de vallée moins ensoleillés où les rosées Fruits oubliés de Saint-Jean-du-Gard constituent matinales sont systématiques. un atout pour le développement de l'arboriculture 48

Depuis une dizaine d'années, les agricul- D'autres cultures potagères sont également teurs ont pris conscience de la valeur de cette présentes. La localisation à Alès de l'association production et se sont associés, d'abord dans une "Kokopelli", organisme spécialisé dans la démarche de promotion, puis pour organiser la défense du patrimoine végétal, pourrait favoriser vente en commun, avec la création d'une la relance sur terrasses de certaines variétés coopérative qui écoule environ 1500 tonnes par anciennes de légumes menacées de disparition. Il an, soit les 2/3 de la production. Les rendements existe, ici ou là, des démarches de création de peuvent atteindre, dans les meilleurs des cas, jardins ouvriers sur terrasses, à proximité de entre 80 et 100 tonnes par hectare. On estime que villes. la production a doublé ces 10 dernières années, permettant l'installation de nombreux jeunes 3 ) L'élevage et récemment la réhabilitation de nombreuses terrasses qui étaient abandonnées. Les agricul- L'élevage constitue une autre possibilité de teurs bénéficient d'aides financières de l'Union valorisation des terrasses. Les élevages caprins Européenne et du Parc national des Cévennes (fabrication du Pélardon, fromage de chèvre pour remettre en état des murettes de terrasses. reconnu par une appellation d'origine contrôlée) L'aide attribuée est de 45 € par mètre carré et ovins, s'ils sont conduits selon certaines règles restauré. L'oignon des Cévennes se positionne bien précises peuvent constituer une bonne comme un produit haut de gamme. Son prix est valorisation des terrasses. À cet égard, signalons de 6 à 7 fois plus élevé que celui des productions l'étude réalisée par Pierre FRAPA (1999), pour la courantes de type "jaune paille". C'est donc une Fédération pastorale de l'Ariège, relative à culture à forte valeur ajoutée, qui compense l'élevage sur terrasses en Ariège. Ce sont tout l'impossibilité de mécaniser et de produire à naturellement les terrasses de la châtaigneraie qui grande échelle, par une rémunération importante offrent les meilleurs possibilités de pâturage du travail. Le temps de travail annuel est estimé à (Photo 8). environ 2500 heures par hectare. Ainsi est-il possible de gagner sa vie sur 50 à 60 ares de terrasses. Les plus gros producteurs cultivent 4 ) La sylviculture sur terrasses seulement 1,5 hectare. Avec l'exode rural qui s'est étalé sur un Conséquence du développement de cette siècle environ, de 1850 à 1950 très globalement, culture et des prix rémunérateurs dont elle on a assisté à une revégétalisation des milieux bénéficie, des productions hors de la zone tradi- aménagés devenus disponibles, et notamment des tionnelle sont apparues un peu partout en France, terroirs de terrasses. À partir de la friche, on a vu qui utilisent le nom "oignon doux". Face à cette progressivement se développer des boisements menace, les producteurs cévenols ont entrepris spontanés plus ou moins denses qui on fermé une démarche pour l'obtention d'une appellation progressivement ces milieux. On trouve main- d'origine contrôlée (AOC), visant à protéger leur tenant des feuillus, chênes verts et chênes blancs. production, mais aussi à garantir aux consom- On trouve aussi des résineux tels que le pin mateurs l'authenticité d'un produit. À usage maritime, dans les Cévennes minières, ou des interne, c'est aussi l'occasion pour les agriculteurs pins Laricio ou sylvestre qui ont progressé à de bien définir un cahier des charges pour la partir de boisements effectués pour la restau- production, qui délimite une zone précise et ration des terrains de montagne (RTM). prévoit également un agrément des parcelles. Concernant ce dernier point, le fait de cultiver sur Des opérations volontaristes de boisement des terrasses est obligatoire, ce qui permet bien ont en outre été réalisées, notamment sur sûr un produit de qualité, mais qui permet aussi terrasses, pour fournir du bois et alimenter la d'associer ce produit à un terroir et à un paysage filière : plantations, en général à forte densité, de exceptionnels. Les agriculteurs regroupés au sein douglas, de cèdres et de différentes espèces de de la coopérative "Origine Cévennes", située à pin. Ces peuplements sont d'assez belle venue et Pont d'Hérault dans la commune de Sumène, marquent les paysages. Mais les techniques essaient du reste d'utiliser le plus possible d'exploitation classiques des peuplements rési- l'argument paysager, à travers des affiches et une neux sont difficilement compatibles avec la plaquette qui mettent en valeur le lien entre le présence de murets. La préservation des murets produit et les paysages de terrasses. F. ALCARAZ engendre, en effet, un surcoût d'exploitation (2001) a ainsi pu parler de "paysage alibi". beaucoup trop élevé, surtout dans le contexte économique actuel de la filière-bois. Il faut donc 49

Photo 1 - Terrasses à Saint- Martial (Gard) : les terrasses, un patrimoine agronomique. (cliché : D. LÉCUYER)

Photo 2 - Châtaigneraie sur terrasses à Saint-Martin-de- Boubaux (Lozère). (cliché : J.P. COURTILLOT)

Photo 3 - Oliveraie sur terrasses en cours de réhabilitation à Saint-Jean- de-Valériscle (Gard). (cliché : D. LÉCUYER) 50

Photo 4 - Arboriculture et viticulture sur terrasses à Ribes (Ardèche), dans le sud des Cévennes vivaraises. (cliché M. ROUVIÈRE)

Photo 5 - Viticulture sur terrasses à Saint-Mélany (Ardèche), dans le sud des Cévennes vivaraises. (cliché M. ROUVIÈRE)

Photo 6 - Terrasses d'oignons doux à Saint-André-de- Majencoules (Gard). (cliché : M. SABATIER) 51 choisir entre ne pas exploiter, pour préserver les produits à base de plantes, dans le respect de la murets, et exploiter, sans pouvoir éviter de les nature et de l'environnement. La SICA "Biotope détruire. des montagnes" fait partie du syndicat inter- massifs "Simples", qui associe des producteurs de Aujourd'hui les pratiques évoluent de façon simples de différentes zones de montagne de positive (C. BOYER, 1999). On s'intéresse à des France. plantations qui peuvent associer la production de bois et la préservation des espaces en terrasses. Une exploitation située à Soudorgues, au C'est une réponse à la demande de la filière-bois lieu-dit La Jasse d'Audibert, a servi de site pilote qui recherche des produits précieux, essentiel- pour les Cévennes dans le cadre du programme lement des feuillus tels que noyers, merisiers, PROTERRA. Des murs en pierre sèche ont érables, tilleuls… Mais c'est également une été restaurés et des parcelles remises en valeur. réponse à la demande de propriétaires soucieux De plus, l'ensemble des données technico- de conserver leur patrimoine de terrasses, en économiques liées à la culture des plantes aroma- particulier sur les terrains situés à proximité de tiques et médicinales en terrasses a été suivi leur habitation. Les techniciens de la forêt privée pendant deux ans, de la préparation du sol au comme ceux de l'ONF développent des planta- séchage des plantes. Il a ainsi été prouvé que tions de feuillus précieux sur terrasses. Il s'agit dans ce système de culture sur terrasses, la d'une culture d'arbres, plutôt que d'une gestion de surface nécessaire pour assurer la viabilité d'une peuplements forestiers. La gestion est soignée : exploitation agricole et dégager un revenu décent travail du sol par potée, respect de la structure du à l'agriculteur est de un hectare. Ce résultat, sol de la terrasse, plantation à densité définitive validé par un comité de pilotage réunissant dès le départ, protection individuelle des arbres organisations professionnelles, administrations et par des manchons de protection en plastique syndicats agricoles, a débouché, dans le Gard, en (tubex), paillage du sol pour empêcher l'enher- 2001, sur un arrêté préfectoral abaissant la bement au pied et la concurrence en eau, taille de surface minimum d'installation (SMI) à un formation et d'élagage. hectare pour les cultures de plantes médicinales et aromatiques en agrobiologie. Dans ce système Les premières opérations de ce type ont été de culture, les créations d'activité avec des aides réalisées par le CRPF à Saint-Jean-du-Gard (avec à l'installation sont donc possibles pour une notamment une plantation d'arbres mellifères) surface mise en valeur de 5000 m2 (½ SMI). Cet et à Saint-André-de-Valborgne, avec l'aide du arrêté a constitué un précédent qui a déjà permis Fonds de gestion de l'espace rural (FGER). l'installation d'agriculteurs sur ces bases dans L'ONF, de son côté, a également effectué d'autres régions de France. une première expérience de plantation de feuil- lus précieux sur terrasses à Saint-Martin-de- La trufficulture est une autre possibilité de Boubaux. valorisation des terrasses, notamment sur toute la frange calcaire des Cévennes. L'apiculture peut également se développer. D'anciens apiers, déli- 5 ) Quelques niches en développement mités par des murs en pierre sèche, et constitués de très étroites terrasses, sont parfois réhabilités. Les plantes médicinales et aromatiques Des arbres mellifères peuvent être plantés à constituent une niche intéressante, dans la me- proximité pour diversifier la végétation présente. sure où existe en Cévennes une filière tout à Signalons enfin de développement de la culture fait performante et de haute qualité (W. GER- des petits fruits rouges, tels que framboises et BRANDA, 1999). La SICA "Biotope des mon- groseilles. tagnes", installée à Soudorgues, regroupe 15 producteurs de plantes médicinales et aroma- tiques en agrobiologie de montagne. Elle fait du III - LE RÔLE DES COLLECTIVITÉS conditionnement pour ses adhérents et commer- LOCALES DANS L'AMÉNAGEMENT DE cialise des sachets de plantes, des huiles TERROIRS DE TERRASSES essentielles et des huiles de massage. La Coopé- rative bénéficie des activités de l'association "La pensée sauvage", créée il y a une trentaine d'an- nées à Soudorgues, qui œuvre pour promouvoir De nombreux versants aménagés des la cueillette et la culture de plantes médicinales Cévennes sont aujourd'hui en friches. Certains en agrobiologie, ainsi que la distribution des élus locaux ont pris conscience que les ensem- bles de terrasses constituent des paysages de 52 qualité, qu'il est d'intérêt public d'entretenir et de maisons en responsabilité collective des habitants préserver. La gestion des risques naturels, incen- d'un hameau ou village sur les abords des die, glissement de terrain, érosion, inondation est habitations, destinés à devenir une zone d'activité de la compétence de la collectivité et non des agricole prioritaire. seuls propriétaires de terrain. Par ailleurs, le morcellement et l'éparpillement de la propriété La première difficulté à surmonter était la foncière font qu'il est souvent indispensable situation foncière : le périmètre, d'une superficie que les élus locaux agissent pour qu'un versant de 17 ha, était divisé en 298 parcelles possédées à l'abandon puisse retrouver une nouvelle vie. par environ 70 propriétaires. Pour assurer la Nous présentons ci-après des expériences récen- maîtrise foncière, la commune a préconisé la tes de remise en valeur réalisées à l'initiative création d'associations foncières agricoles (asso- de communes, en reprenant certains éléments ciations syndicales) regroupant l'ensemble des déjà publiés précédemment D. LÉCUYER, 2000, propriétaires et la collectivité. Il s'agissait d'une 2004). première dans le département et cela a nécessité un effort particulier des services fonciers concernés. Quand, après une longue phase de 1 ) La remise en valeur des terrasses de négociation, les associations ont été constituées, Bonnevaux (Gard) elles ont fait réaliser des travaux de débrous- saillement de terrains et de restauration de murs La commune de Bonnevaux a été sans doute de soutènement de terrasses en pierre sèche, en la première à remettre en valeur ses versants en faisant appel à des particuliers, à un chantier terrasses en 1995 (Photos 9 et 10), à travers l'opé- d'insertion encadré par l'association locale "La ration qu'elle a intitulée "Gestion paysagère des belle Abeau" et à des entreprises du secteur abords des villages" (G. ZINSSTAG, 1999). L'élé- concurrentiel. Aujourd'hui, ces sites ont retrouvé ment déclencheur a été l'impératif de se protéger une vie. Des activités d'élevage, de maraîchage des risques d'incendie. Il faut se rappeler que ou d'arboriculture sont exercées sur ces parcelles cette zone des Cévennes, et plus spécialement en terrasses. Une partie de la châtaigneraie a été la commune de Chambon, a été parcourue en réhabilitée, des améliorations pastorales ont été septembre 1985 par un énorme incendie, qui a réalisées et des prés de fauche constitués. Ces ravagé plus de 4000 ha. Suite à ce sinistre, la sites retrouvent du même coup leur qualité municipalité avait déjà pris des mesures en paysagère et patrimoniale. Le résultat est impres- faisant figurer dans son plan d'occupation des sionnant, mais cette démarche a nécessité sols une zone spécifique concernant le périmètre énormément d'énergie de la part de ses promo- de protection contre l'incendie. Cependant il a teurs. Elle s'est avérée très complexe, comme fallu faire le constat de l'impossibilité d'appliquer à chaque fois qu'il faut croiser des logiques la réglementation concernant le défrichement transversales ou territoriales avec des approches d'un périmètre de 50 mètres autour des habi- sectorielles, en l'occurrence DFCI (Défense de la tations dans le cas de l'habitat groupé. Malgré forêt contre les incendies), agriculture, paysage, l'insistance des services préfectoraux, pratique- insertion, etc. ment aucune commune n'a pu mettre en pratique cette mesure pour les villages ou les hameaux. Cet aménagement des abords des hameaux de Bonnevaux a été mené parallèlement à la mise En 1995, la municipalité de Bonnevaux s'est en place de la Charte de paysage et d'environ- habilement appuyée sur la crainte du feu des nement des Hautes Cévennes sur le canton de habitants pour les amener à élaborer un program- Génolhac. Elle a fortement inspiré les élus locaux me collectif de valorisation de leur patrimoine. de ce territoire, qui ont décidé de mener des Avec l'appui du Conseil général, de la DDAF et actions pour la préservation et la mise en valeur de la Chambre d'agriculture, elle a mobilisé l'en- des terrasses de culture (C. PENA et M. PENA, semble des agriculteurs et propriétaires de trois SIVOM des Hautes Cévennes, 1996). Des sites villages, afin de remettre en valeur les anciennes d'exception ont été retenus et des projets de terrasses de culture retournées à la friche suite à remise en valeur ont été échafaudés par les l'exode rural des dernières décennies. Il s'agissait habitants. Ainsi, à Aujac (Photo 11), un projet de prévenir les risques d'incendie dus à l'enfri- similaire, avec installation d'un agriculteur a été chement, de conserver des paysages ouverts, élaboré. Par ailleurs, un paysagiste résidant à source de biodiversité et de conforter l'activité Malbosc, Michel PENA, et son association agricole. L'idée directrice était de transformer la "Paysagir", ont assuré une animation et une responsabilité individuelle des propriétaires de sensibilisation des habitants de ce groupe de 53

Photo 7- Culture d'oignons sur faïsse irriguée sur terrasse à Navous,près de Mandagout (Gard) : arrosage traditionnel, à la pelle. (cliché : J.M. CASTEX)

Photo 8- Pâturage sous châtaigneraie. (cliché : J.P. COURTILLOT)

Photo 9 - Zone de pacage pour les brebis (terrasses défrichées et reboisées en feuillus pour constituer un parc pâturé) au-dessus du village de Bonnevaux. (cliché : J.M. CASTEX) 54

Photo 10 - La commune de Bonnevaux (Gard) : terrasses défrichées et châtaigneraies. (cliché : J.M. CASTEX)

Photo 11 - Les terrasses de Bedousse à Aujac Photo 12 - Le site des Calquières à Saint- (Gard), paysage emblématique du SIVOM des Germain-de-Calberte (Lozère). Hautes-Cévennes. (cliché : M. PENA) (cliché : J.M. CASTEX)

Photo 13 - Murs de terrasses réhabilités aux Calquières à Saint-Germain-de-Calberte. (cliché : Chambre de métiers et de l'artisanat de la Lozère, ABPS) 55 communes au paysage, et notamment aux espaces juridique particulier, car la commune ne peut en terrasses. Ils ont organisé plusieurs stages de subventionner directement les propriétaires. terrain sur place, pour des architectes et des Après avoir imaginé la solution d'une association paysagistes français et étrangers. syndicale autorisée (ASA), les promoteurs du projet s'orientent plutôt vers la formule du bail amphithéotique. 2 ) La restauration des terrasses des Calquières à Saint-Germain-de-Calberte Cette opération démontre bien que, dans des (Lozère) sites dont la propriété est très morcelée, il est nécessaire que la collectivité intervienne. Elle a Un autre exemple de dynamique impulsée un rôle d'animation très important auprès des par une collectivité locale est le cas de Saint- propriétaires et usagers. Mais ce type de démar- Germain-de-Calberte (G. LAMY,1999). Cette che demande beaucoup d'énergie de la part des commune a pris l'initiative de remettre en valeur élus comme des techniciens de différents orga- un site de terrasses, au lieu-dit Les Calquières, à nismes (Chambre d'agriculture, SAFER, Parc proximité immédiate du village. C'est un terroir national des Cévennes, Conseil général, Conseil de 2 ha , divisé en nombreuses parcelles possé- régional, etc.) car il faut inventer des procédures dées par une trentaine de propriétaires, dont une nouvelles. L'adhésion de l'ensemble des proprié- bonne moitié n'habite plus sur place. Il s'agit taires est nécessaire et cela aussi nécessite du d'un terrain très pentu, aménagé en terrasses de temps, car il faut parfois qu'ils apprennent à pierre sèche (Photo 12). Compte tenu de la pente, porter un nouveau regard sur leur environ- certains murs sont aussi hauts que les parcelles nement… sont larges (Photo 13). Le site est parcouru par deux ruisseaux dont les eaux sont captées afin de permettre l'irrigation. Le projet de la munici- 3 ) La ceinture aménagée de Lamelouze palité, élaboré dès 1996, était de restaurer cet (Gard) espace pour permettre à des habitants de cultiver des jardins. Comme il s'agit d'un site remarquable Lamelouze est une commune de la vallée du en matière d'aménagement des pentes et de Galeizon, territoire pilote de la Réserve de gestion de l'eau, la commune souhaitait égale- Biosphère des Cévennes, dans le cadre du ment l'ouvrir au public, en réhabilitant un sentier programme "L'Homme et la Biosphère". Le communal, qui dessert les différentes terrasses. Syndicat intercommunal pour l'aménagement et la conservation de la Vallée du Galeizon Des travaux de recherche de deux étudiants (SIACVG) gère, depuis sa création en 1992, un (J.L. MERCIER, 1994 ; B. FAVIER, 1996) ont programme de développement durable, en constitué une base de discussion pour engager un concertation avec les habitants. L'un des axes débat avec les habitants. Il a fallu convaincre d'intervention est la prévention des incendies certains propriétaires qui, ayant vu le site dépérir, de forêt. En effet, l'exode rural a eu pour ne croyaient plus en un renouveau et ne compre- conséquence un abandon des terres cultivables, naient pas que la collectivité puisse investir de l'embroussaillement et la colonisation du milieu l'argent pour sa restauration. Le projet a finale- par le pin maritime. Cette essence avait été ment été approuvé ; des propriétaires et des loca- introduite dans cette zone des Cévennes pour taires se sont peu à peu réapproprié le site. Ils ont fournir des étais pour les galeries des mines de été aidés par la commune, pour les gros travaux charbon du bassin d'Alès-La Grand-Combe. Elle de débroussaillement. Dans le même temps, la s'est remarquablement acclimatée, au point de collectivité faisait restaurer, par des artisans coloniser tous les versants, et constitue aujour- locaux spécialisés dans la pierre sèche, les d'hui un risque majeur de propagation d'incendie. murs soutenant le sentier communal. Le site a également été utilisé par l'association "Maisons Durant les premières années de sa création, paysannes de France" (section Lozère), pour le Syndicat intercommunal avait imaginé, avec réaliser des stages d'initiation à la pierre sèche les services concernés, une stratégie pour rendre pour un public varié. le milieu moins sensible au risque d'incendie. À la lumière des enseignements du grand incendie La deuxième tranche de travaux, qui doit de Chambon (4100 hectares brûlés en septembre permettre de restaurer les murs de pierre sèche 1985), cette stratégie reposait essentiellement sur des terrasses privées, devrait être réalisée l'ouverture de pistes, la création de points d'eau prochainement. Mais cela suppose un montage et la constitution d'un maillage de la vallée 56 par une vingtaine de coupures de combustible ouvre des perspectives pour d'autres collectivités. qui auraient été constituées de châtaigneraies Déjà une autre commune de la vallée, Saint entretenues et de prairies parcourues par des Martin-de-Boubaux, entreprend une opération brebis (P. DUSSAULT, 1995). Ce dispositif similaire. s'est avéré difficile à mettre en place, faute d'acteurs habitant dans les zones sélectionnées 4 ) La relance de la viticulture sur les coteaux pour constituer les coupures vertes. d'Ispagnac (Lozère) En 2001, le syndicat s'est orienté vers la Voici quelques années, la commune d'Ispa- création de "ceintures aménagées" autour des gnac a avancé l'idée de remettre en valeur principaux hameaux existants. La proposition certaines terres de coteaux à proximité du village. avait été formulée par l'animateur du syndicat, Il s'agissait pour elle d'offrir une alternative à S. GARNIER, qui avait effectué son mémoire de l'urbanisation de ce secteur en redonnant une DESS sur cette problématique (in L. BOUFFARD vocation agricole à des terrains abandonnés et al., 2000). L'idée de favoriser l'entretien des depuis des décennies. Par ailleurs, des restau- terres qui entourent les hameaux s'appuie sur le rateurs locaux exprimaient le souhait de pouvoir constat fait par l'ONF que 80 % des départs de répondre à la demande de leur clientèle désireuse feu proviennent des abords des habitations. Il de boire un vin d'origine locale. Ces coteaux s'agit de mettre en place, autour des hameaux les avaient produit des vins pendant de longues plus sensibles, un périmètre entretenu suffisam- années, mais l'activité avait cessé et le savoir- ment grand, autant pour protéger la forêt alentour faire s'était perdu. des feux qui partiraient des habitations que pour protéger les habitants des feux de forêt. Sur le La commune a donc mobilisé les proprié- strict plan de la lutte contre les incendies, ces taires Mais elle a aussi montré l'exemple, en ceintures constituent des zones de défense effi- plantant une première vigne sur un de ses caces auxquelles les pompiers peuvent facilement terrains. Un viticulteur s'est installé dans la com- accéder puisqu'elles sont desservies par des mune, aidé en cela par la municipalité qui a routes. Leur entretien régulier peut en outre construit le siège d'exploitation. La municipalité favoriser la restauration et la valorisation du s'est inspirée de la démarche qui avait été suivie patrimoine bâti ancien. il y a quelques années par la commune de Ribes en Ardèche (voir supra). À Lamelouze, la commune, soutenue par le Syndicat Intercommunal et des organismes professionnels, est maître d'ouvrage d'une opé- 5 ) Les terrasses, espaces de mobilisation pour ration de ce type, au lieu-dit Les Appens. Les de nouveaux usages propriétaires se sont regroupés au sein d'une association et viennent de confirmer leur souhait Les exemples présentés ci-dessus montrent de voir un nouvel agriculteur s'installer sur place. que la remise en valeur des terrasses de culture Ils sont prêts à passer des conventions pour lui doit passer par une prise de conscience collective confier l'entretien de leurs propriétés. La com- de leur valeur écologique, paysagère et écono- mune a acheté des terrains à l'ONF, grâce à mique. Les terrasses étant des lieux de gestion l'intervention de la SAFER, pour y construire collective des ressources, leur valorisation néces- une ferme relais, comprenant une chèvrerie et site la concertation et la participation des acteurs une fromagerie. Le loyer payé par l'agriculteur locaux. Les élus locaux sont les mieux à même couvrira les intérêts de l'emprunt contracté par la d'animer des dynamiques en ce sens. Les terroirs collectivité. de terrasses constituent des laboratoires privi- légiés pour inventer une nouvelle agriculture Cette démarche concilie la DFCI classique porteuse d'une valeur ajoutée environnementale, avec une approche patrimoniale d'entretien et de sociale et économique et de nouveaux modes de mise en valeur de l'espace. Elle permet de sociabilité. La remise en valeur de versants en redonner une image positive des hameaux grâce terrasses est souvent l'occasion, pour les collec- aux terrasses entretenues, synonymes de tivités locales, de mener des projets d'insertion, dynamisme et de vie. Elle suppose l'approbation comme on a pu le voir dans le cas de Bonnevaux. et la participation des propriétaires. Il s'agit d'un projet pilote, offrant une solution possible pour Les terrasses de culture composent fréquem- revitaliser des communes rurales et enrayer la ment un paysage spectaculaire qui frappe l'imagi- fermeture des milieux. Cette démarche originale nation des visiteurs. Cette valeur patrimoniale des 57 terrasses constitue, au delà des atouts agrono- che, sur la commune des Vans, un ensemble de miques et écologiques, une richesse en sommeil terrasses d'olivettes a été restauré pour porter qui peut être exploitée pour redonner vie aux témoignage de l'activité oléicole. Par ailleurs, le territoires ruraux à travers des activités touris- site des Calquières à Saint-Germain-de-Calberte tiques et culturelles en fort développement : pourrait servir de lieu de présentation d'un sys- tourisme culturel, éducation à l'environnement, tème d'aménagement de versants, si la commune agritourisme. Il semble important de maintenir donne suite à son projet. sur les terrasses, dans la mesure du possible, un usage mixte (agricole et touristique) qui lie qualité des paysages et qualité des produits. IV - CONCLUSION

À l'initiative de collectivités locales ou d'associations, plusieurs sites de terrasses ont été Après plusieurs décennies d'abandon, de remis en état pour témoigner de la vie passée des nombreuses terrasses de culture cévenoles Cévennes. Le hameau de la Roquette, aménagé retrouvent une nouvelle vie. Les initiatives que par le Parc national des Cévennes, fournit un nous venons de présenter témoignent d'un exemple du fonctionnement traditionnel des dynamisme qui, s'il ne concerne encore que des mas ; il est aujourd'hui ouvert au public, en tant surfaces limitées, n'en est pas moins le signe d'un qu'élément de l'écomusée de la Cévenne. Un renouveau. La recherche par les consommateurs autre élément de cet écomusée est le Mas de de produits de qualité et associés au terroir, la Manière, à Saint-Martin-de-Boubaux, dans la perception des terrasses comme un patrimoine vallée du Galeizon. Il présente l'économie du paysager identitaire, la reprise démographique châtaignier : les visiteurs peuvent y voir une des Cévennes, tous ces éléments semblent clède en fonctionnement, un petit musée présen- favorables à une accentuation de ce mouvement tant une collection d'outils liés à l'activité de reconquête des versants en terrasses dans les castanéicole, une châtaigneraie entretenue et un années à venir. moulin à farine. Dans le département de l'Ardè-

Remerciements : Michel ROUVIÈRE, Jean-Marie CASTEX, Jean-Pierre COURTILLOT, Michel PENA, Michèle SABATIER et la Chambre de métiers et de l'artisanat de la Lozère méritent notre reconnaissance pour avoir fourni une part importante des illustrations photographiques.

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LES BASSINS VERSANTS TÉMOINS : LA VALLÉE OBSCURE ET LE VALLON DU ROUQUET :

Claude MARTIN (1), Françoise ALLIGNOL (2),

Jean-François DIDON-LESCOT (1) et Jean-Marie CASTEX (3)

(1) : UMR 6012 "ESPACE", Maison de la Géographie, 17 Rue Abbé de l'Épée, 34090 MONTPELLIER. Courriels : [email protected] , [email protected] . (2) : UMR 6012 "ESPACE" du CNRS, 98 Boulevard Édouard Herriot, BP 3209, 06204 NICE cedex 03. Courriel : [email protected] . (3) : UMR 6012 "ESPACE", Professeur honoraire d'histoire et géographie. Courriel : [email protected] .

I - LES RAISONS D'UN CHOIX : II - DES BASSINS VERSANTS DE ROCHES PRAGMATISME ET INTÉRÊT CRISTALLINES SCIENTIFIQUE

Dans le secteur d'étude, le substratum est L'implication de l'UMR "ESPACE" dans des constitué par le granite porphyroïde du massif de recherches sur la Vallée Obscure et le vallon du Saint-Guiral - Liron, par les orthogneiss de Pey- Rouquet date de fin 2002. Antérieure d'un an et rolles et par les schistes métamorphiques de la demi au démarrage du projet TERRISC, elle a série de Valleraugue (Cartes hors texte 2 et 3). répondu à une sollicitation du SMAGE des Les orthogneiss, comme les schistes, sont affec- Gardons pour la réalisation d'un suivi hydro- tés par une schistosité inclinée de 50 ° environ logique dans le cadre d'un projet pilote de vers le nord ou le nord-nord.ouest. restauration du patrimoine hydraulique de la Vallée Obscure, projet qui relayait lui-même une Sur les cartes géologiques "Alès" au initiative de la Mairie de Peyrolles et de l'Office 1/80000 (P. LAPADU-HARGUES et al., 1967) et national des forêts "Le Vigan" au 1/50000 (B. ALABOUVETTE, 2003), les orthogneiss, généralement oeillés, Ainsi, lorsqu'il fallut définir un terrain apparaissent sur une petite partie de la bordure d'étude privilégié pour mener les observations orientale de la Vallée Obscure. En revanche, la liées au projet TERRISC, les sites déjà en partie carte au 1/50000 accorde une extension plus instrumentés de la Vallée Obscure et du vallon du grande au granite dans la partie nord du bassin Rouquet se sont-ils tout naturellement imposés. versant, et cela au détriment des orthogneiss. Le granite viendrait ainsi directement au contact des Ces deux petits bassins versants (3,95 km2 schistes de la série de Valleraugue qui affleurent pour la Vallée Obscure et 1,00 km2 pour le vallon au nord de Peyrolles. Au granite porphyroïde du Rouquet) sont situés dans le bassin du Gardon représenté sur la carte au 1/80000, la carte au de Saint-Jean, en amont de Saint-Jean-du-Gard 1/50000 associe en effet des faciès à grain fin, (Carte hors texte 1 et Fig. 1). pouvant aller jusqu'à des microgranites. La présence de gneiss oeillés au sein de ces roches à Imposé par les circonstances, ce choix n'en grain fin, nous conduit à conserver la subdivision est pas moins judicieux. Et cela est bien normal, précédente, et donc à distinguer le granite le projet pilote de la Vallée Obscure ayant été porphyroïde de roches assimilées aux orthogneiss conçu autour de bassins versants présentant de Peyrolles, allant de leptynites à des gneiss nombre de points communs avec beaucoup oeillés, en passant par des granitoïdes (Carte hors d'autres secteurs cévenols, aussi bien pour les texte 2). caractères du milieu physique que pour les aménagements qui leur ont été apportés pour Dans le vallon du Rouquet, essentiellement permettre leur exploitation dans des conditions de granitique, le granite porphyroïde et les schistes relief et de pluviométrie très difficiles. sont en contact par faille (Carte hors texte 3). 60

La mise en place du batholithe de granite alors que le granite intrusif dont la déformation porphyroïde est postérieure à la phase tectonique hercynienne a produit les orthogneiss de responsable de la schistosité régionale. Le granite Peyrolles, est daté de 465± 12 ma (in B. ALA- présente un âge radiométrique de 328 ± 3 ma, BOUVETTE et al., 2003).

: cours d'eau : route

Figure 1 - Localisation de la Vallée Obscure et du vallon du Rouquet dans le bassin du Gardon de Saint-Jean.

III - UN RELIEF TRÈS DISSÉQUÉ sentés sur la carte IGN au 1/25000 atteint 7,5 km/km2. Le dessin du réseau hydrographique

doit beaucoup aux directions de fracturation. Les Les deux bassins versants étudiés présentent vallons affluents des trois cours d'eau principaux un relief accusé : altitudes de 815 m (au Mont- sont souvent très peu incisés et les thalwegs Brion) à 230 m pour la Vallée Obscure, et de présentent alors des pentes supérieures à 40 ou 938 m (au sommet de Mortière) à 390 m pour le même 50 % (Photos 4 à 6). bassin du Rouquet. Les photos 1 à 3 donnent une idée générale du relief de la Vallée Obscure. Les cours d'eau ont un lit rocheux. Leur profil en long est coupé de ruptures de pente La Vallée Obscure est drainée par le ruis- associées à des cascades, et cela jusque dans la seau de Valescure, qui reçoit deux affluents partie inférieure de la Vallée Obscure, ce qui principaux, le valat des Abrits et celui de Cartaou dénote une incision récente très active. De ce fait, (Fig. 2). Leurs vallées sont profondément encais- les affluents sont souvent perchés de deux ou sées et présentent de grands versants fortement trois mètres au-dessus du cours d'eau principal. Il inclinés (Photos 1 à 3). En amont du Château de en est ainsi du ruisseau de Valescure au-dessus la Vallée Obscure, le ruisseau de Valescure du Gardon, et du ruisseau de Cartaou au-dessus descend du Mont-Brion avec une pente moyenne du Valescure. La vigueur de l'incision se traduit de l'ordre de 21 %. En aval du Château, la pente également par des gorges étroites localement s'adoucit : la valeur moyenne jusqu'à la confluen- incisées en fond de vallon. Les plus specta- ce avec le Gardon avoisine 7 %. Les ruisseaux culaires ont été creusées par le Valescure en des Abrits et de Cartaou ont une pente moyenne amont et en aval de sa confluence avec le de 25 % environ. ruisseau de la Bastide (Photos 7 et 8).

De nombreux autres cours d'eau participent Les conditions sont identiques dans le vallon à la dissection du relief (Fig. 3). La densité de du Rouquet (Photo 9), où le ruisseau principal a drainage calculée à partir des ruisseaux repré- une pente moyenne de 21 %. 61

Figure 2 - Le réseau hydrographique de la Vallée Obscure.

Mont-Brion

Valescure Cartaou

Abrits

Gardon de Saint-Jean

Figure 3 - Vue de la Vallée Obscure, regardant vers le sud, obtenue à partir d'un MNT. (réalisation : F. ALLIGNOL) 62

La réalisation du modelé de dissection dans formations peu épaisses et des sols de type ranker les roches cristallines s'est amorcée à partir de la (Photo 11). Sur les replats et dans certains surface d'aplanissement post-hercynienne, après secteurs en bas de versant, des dépôts colluviaux l'ablation de la couverture sédimentaire. Des ont été conservés. Mais ils ont été remaniés par affleurements de Trias subsistent à Soudorgues, à des aménagements en terrasses de culture. Les moins de deux kilomètres au sud de la Vallée têtes de vallon près des lignes de crête principales Obscure et du vallon du Rouquet. Mais ce secteur conservent souvent des formations superficielles est tectoniquement affaissé par rapport au terrain relativement épaisses. Il en est ainsi dans la partie d'étude, le contact entre le Trias et les roches supérieure du bassin du Rouquet où le fond des cristallines se trouvant à moins de 550 m d'alti- vallons est empâté par des convois à blocs, qui tude. sont érodés vers l'aval (Photo 12). Dans le même secteur, les derniers épisodes périglaciaires ont en Dans toute la vallée du Gardon de Saint- outre laissé des formations déplacées à cailloux. Jean, il est bien difficile de retrouver trace d'un Sur ces dépôts épais se développent des sols éventuel niveau d'érosion tertiaire. Le relief est brunifiés. La lithologie et la pluviométrie (voir trop fortement marqué par le jeu des failles et par infra) conjuguent leurs effets pour rendre ces sols l'encaissement du réseau hydrographique. médiocres sur le plan agronomique (sols acides au complexe adsorbant désaturé). Sur le plan topographique, la forte incli- naison des versants constitue l'élément majeur À proximité des crêtes, par exemple au (Cartes hors texte 4 et 5). Dans tous les val- sommet du versant de rive droite du vallon des lons, la valeur moyenne des pentes dépasse 50° Abrits, subsistent parfois des racines de paléo- (64 %). altérites dont la formation peut avoir débuté lors de périodes très anciennes, peut-être même dès En dessous des crêtes séparant les bassins l'ère Primaire (J. ROSYCKI, 1992). Près du versants principaux, la déclivité des versants Château de la Vallée Obscure et au bas de la piste s'accroît progressivement. Les têtes de vallon rejoignant le col de Briontet, le granite porphy- sont peu incisées. En haut de versant, les pentes roïde est localement arénisé sur plusieurs sont souvent accidentées par des affleurements mètres d'épaisseur (Photo 13). Cette roche est rocheux (Photo 10). Les interfluves séparant les certainement plus sensible à l'altération chimique vallons affluents des cours d'eau principaux sont que les gneiss de Peyrolles. Mais le facteur coupés de replats (inclinés de 10 à 20° seule- topographique est essentiel pour comprendre la ment), dus à l'altération différentielle des roches localisation, dans des secteurs favorables à leur ou restes d'anciennes topographies aujourd'hui conservation, de ces lambeaux d'altérites formées démantelées. au Quaternaire, au cours d'interglaciaires.

Les replats les plus étendus, comme celui du Château de la Vallée Obscure, se situent dans la IV - DES CONDITIONS CLIMATIQUES partie inférieure des versants, à quelques dizaines SÉVÉRES de mètres au-dessus des cours d'eau. Ils corres- pondent à un ancien stade de creusement du réseau hydrographique, pour lequel le relief pré- Températures et précipitations sont mesu- sentait des fonds de vallon relativement évasés. rées au Château de la Vallée Obscure depuis Ce niveau a été entaillé par la phase d'érosion 2003. Les données sont donc actuellement linéaire qui se poursuit encore actuellement. insuffisantes pour caractériser le climat. À titre L'incision est responsable des pentes très fortes indicatif, les données recueillies depuis 1950 à la qui dominent les thalwegs. Les petites gorges que station Météo-France de Saint-Christol-lez-Alès nous avons décrites, se trouvent dans les secteurs sont résumées dans les tableaux I et II. Le climat touchés le plus récemment par l'érosion régres- est de type méditerranéen humide, chaud et sec sive. La dénivelée entre les replats et les thalwegs en été, et avec des précipitations souvent augmente de l'amont vers l'aval. Elle atteint abondantes en automne. 100 m dans la partie aval de la Vallée Obscure. Les températures moyennes annuelles ont La dissection du relief exerce une influence subi, globalement, une augmentation sensible sur les formations superficielles et les sols. entre 1950 et 2005 (Fig. 4). Elle est conjuguée Les versants fortement inclinés portent des

63

Photo 1 - Le bassin versant du Valescure vu depuis la route vers le Château de la Vallée Obscure. (cliché : C. MARTIN)

Photo 2 - Le vallon des Abrits vu depuis la route vers le Château de la Vallée Obscure. (cliché : C. MARTIN)

Photo 3 - La partie aval du vallon du Cartaou vue depuis les hauteurs en rive droite du ruisseau des Abrits. (cliché : C. MARTIN)

64

Photo 4 - Le vallon de la Bastide, en rive droite du Valescure. (cliché : J.F. DIDON-LESCOT)

Vallon du Cartaou

Photo 5 - Les vallons du Valescure et du Cartaou, vus depuis les hauteurs au-dessus le Château du mas de la Bastide. Vallon du Valescure (cliché : J.M. CASTEX) la Bastide

Photo 6 - Le Mont-Brion, vu de la piste vers le col de Briontet. (cliché : C. MARTIN) 65

Tableau I - Températures (en °C) à la station de Saint-Christol-lez-Alès de septembre 1950 à août 2005.

S O N D J F M A M J Jt At Année Moyenne 18,8 14,2 8,9 6,3 5,6 6,6 9,5 12,3 16,3 20,3 23,1 22,5 13,8 Écart-type 1,4 1,4 1,4 1,4 1,6 2,1 1,6 1,2 1,7 1,6 1,6 1,7 0,8 Min. mens. 15,7 9,7 6,0 2,6 1,7 - 1,7 5,9 9,0 10,7 17,6 20,1 19,2 12,0 Max. mens. 21,4 17,3 12,7 9,5 9,2 11,1 13,5 14,5 18,9 25,9 26,3 28,3 15,6 Min. abs. - 17,8 en février 1963 ; - 16,0 en février 1956 – Max. abs. 44,1 en août 2003 ; 39,5 en juillet 1983, 2001, 2004 et 2005 –

Les années climatiques sont considérées du 1er septembre au 31 août. Moyenne : température mensuelle moyenne (calculée à partir des températures minimale et maximale de chaque jour). Min. mens. : température moyenne mensuelle minimale. Max. mens. : température moyenne mensuelle maximale. Min. abs. : températures minimales enregistrées sur la période d'observation. Max. abs. : températures maximales enregistrées sur la période d'observation.

Tableau II - Précipitations à la station de Saint-Christol-lez-Alès de septembre 1950 à août 2005.

S O N D J F M A M J Jt At Année Moyenne 119 150 95,8 93,4 82,9 72,5 73,7 75,0 73,9 60,7 35,4 59,3 990,4 Écart-type 118 112 69,2 72,6 69,3 69,7 64,7 55,0 51,2 48,2 33,1 43,8 290,5 Minimum 2,5 0,8 0,0 1,2 0,0 0,3 0,0 0,0 1,5 3,2 0,0 0,0 465,1 Maximum 689 406 296 298 293 286 273 231 277 221 135 207 1999

16,0 15,5 15,0 ) C ° C 14,5 ° e ( r re ( 14,0 u u t

at 13,5 éra ér p p 13,0 m e Tem

T 12,5

12,0 11,5 11,0 50 55 60 65 70 75 80 85 90 95 00 19 19 19 19 19 19 19 19 19 19 20

Figure 4 - Températures moyennes mensuelles à Saint-Christol-les-Alès de 1950-51 à 2004-2005.

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à des fluctuations cycliques. En tenant compte de linéaire : ces dernières, l'augmentation globale est manifes- T°C Château = (0,9113 × T°C St-Christol) - tement supérieure à 1 °C depuis 1966-67. 0,6694

Coefficient de détermination, r2 = 0,996. Sur la période 2003-2005 (33 mois), les températures moyennes mensuelles au Château Cette équation permet d'estimer les tempéra- de la Vallée Obscure sont liées à celles mesu- tures moyennes au Château de la Vallée Obscure rées à Saint-Christol-lez-Alès par une relation sur la période 1950-2005 (Tab. III).

Tableau III - Valeurs estimées des températures moyennes mensuelles et annuelles (en °C) au Château de la Vallée Obscure sur la période septembre 1950 - août 2005.

S O N D J F M A M J Jt At Année Moyenne 16,5 12,3 7,5 5,1 4,5 5,4 8,0 10,6 14,2 17,8 20,4 19,9 11,9

Moyenne : température mensuelle moyenne.

Les précipitations à Saint-Christol-lez-Alès très rapides et par des débits de pointe consi- témoignent de l'irrégularité interannuelle des dérables (M. PARDÉ, 1919 ; L. DAVY, 1956). précipitations sur les Cévennes (Tab. II). Les De telles crues se produisent régulièrement sur le pluies sont plus abondantes dans le secteur de la Gardon de Saint-Jean et, plus en aval, sur le Vallée Obscure, où des reliefs déjà élevés se Gardon d'Anduze. Ces "gardonnades" peuvent dressent face aux vents apportant la pluie, qu'à inonder les villes de Saint-Jean-du-Gard et Saint-Christol-lez-Alès, situé dans un bassin d'Anduze, comme elles l'ont fait en 1900 et en largement ouvert vers le sud. De mars 2003 à 1958. Lors de l'épisode des 8 et 9 septembre décembre 2005, la station du Château de la 2002, au cours duquel 635 mm sont tombés à Vallée Obscure a enregistré 3951 mm de Saint-Christol-lez-Alès et 687 mm à Anduze précipitations, soit 48 % de plus que les (L. NEPPEL, 2003), Anduze a été encore une 2668 mm tombés à Saint-Christol-lez-Alès. En fois inondée. Dans ce secteur, le débit spécifique Cévennes, les stations les plus arrosées sont en pointe de crue de certains affluents du Gardon situées près des sommets les plus élevés, au avoisinait certainement 20 m3/s/km2 (É. GAUME Mont-Aigoual et sur le Mont-Lozère (2 m/an en et al., 2003). Saint-Jean-du-Gard, en revanche, moyenne). n'a pas été touché, les précipitations étant moins fortes dans la partie supérieure du bassin versant La particularité la plus saisissante de la (287 mm dans la Vallée Obscure – source : pluviométrie en Cévennes réside dans les épi- Cellule hydraulique du Conseil général du Gard). sodes "cévenols" qui, en automne, concentrent des précipitations très abondantes, atteignant plusieurs centaines de millimètres en quelques V - DES CONTRAINTES EN PARTIE jours ou même en quelques heures. Valleraugue, MAÎTRISÉES dans la vallée de l'Hérault, détient à cet égard un sinistre record : 950 mm mesurés le 29 septembre 1900 (sur une durée de 10 heures). À Saint- Dans des contextes topographique et Christol-lez-Alès, sur 55 années suivies de 1950- climatique très défavorables, rendus d'autant plus 51 à 2004-05, vingt ont reçu au moins une pluie pesants que la pression démographique a été très supérieure à 100 mm en 24 heures. Les préci- forte, les hommes se sont astreints à d'énormes pitations en 24 heures ont dépassé 200 mm à travaux afin, non pas de domestiquer, mais de quatre reprises, la valeur maximale atteignant modérer quelque peu les effets des excès de la 543 mm le 8 septembre 2002 (du 8 à 9h00 au 9 à nature. 9h00 – heures légales). Les terrasses ont permis l'extension des Des précipitations aussi abondantes et inten- cultures sur des pentes très fortes. À chaque ses s'accompagnent de crues d'une extrême fois que possible, elles étaient associées à violence, caractérisées par des montées de crue des systèmes hydrauliques permettant l'irrigation. 67

Photo 7 - La gorge du ruisseau de Valescure Photo 8 - La gorge du ruisseau de Valescure en en amont de sa confluence avec celui de amont de sa confluence avec celui de la Bastide, la Bastide, en regardant vers l'aval. vue du pont sur le Valescure, en regardant vers (cliché : J.F. DIDON-LESCOT) l'amont. (cliché : J.F. DIDON-LESCOT)

Vallon du Rouquet

Photo 9 - Le bassin versant du Rouquet, vu depuis la D39. le Pavillon (cliché : J.F. DIDON-LESCOT) la Perjurade

Photo 10 - Affleurement de granite porphyroïde au-dessus du Château de la Vallée Obscure. (cliché : J.M. CASTEX) 68

Photo 11 - Ranker sur granite porphyroïde dans le vallon du Rouquet. (cliché : J.M. CASTEX)

Photo 12 - Formation à blocs érodée dans le vallon du Rouquet. (cliché : J.M. CASTEX)

Photo 13 - Granite altéré à proximité du Château de la Vallée Obscure. (cliché : J.M. CASTEX)

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Mais la spécificité du climat cévenol, qui tient des terrasses de culture proches du thalweg, dans dans l'agressivité des précipitations automnales, a le fond des vallons très resserrés ; création de conduit à la mise en place d'un dispositif parti- petites surfaces cultivables, et en tout cas de culier : les thalwegs sont coupés d'une multitude zones favorables au dépôt de limons de débor- de barrages en pierre sèche, hauts parfois de dement, dans les secteurs plus évasés, matériaux plusieurs mètres, derrière lesquels se déposaient qui étaient utilisés pour l'enrichissement des sols des sédiments, pratiquement jusqu'au pied du sur les terrasses. Mais il avait également un rôle barrage situé en amont. Ce dispositif associait hydrologique, fut-il modeste, du fait de la des chutes d'eau, des fosses de dissipation au restitution en période d'étiage des eaux stockées pied de ces chutes et des surfaces planes sur les derrière les barrages, et du fait aussi du ralentis- dépôts de sédiments derrière les barrages. Il sement des écoulements et donc de l'allongement constituait sans doute avant tout un élément de du temps de réponse des cours d'eau aux précipi- défense des terres contre l'érosion : stabilisation tations. des formations superficielles, et donc protection

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Carte hors texte 2 - Géologie de la Vallée Obscure. (d'après les cartes géologiques et d'après les relevés de terrain de C. MARTIN ; réalisation : F. ALLIGNOL)

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Carte hors texte 3 - Géologie du vallon du Rouquet. (d'après les cartes géologiques et d'après les relevés de terrain de C. MARTIN ; réalisation : F. ALLIGNOL)

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Carte hors texte 4 - Pentes des versants dans la Vallée Obscure. (données sources : IGN Scann 25 ; réalisation : F. ALLIGNOL)

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Carte hors texte 5 - Pentes des versants dans le vallon du Rouquet. (données sources : IGN Scann 25 ; réalisation : F. ALLIGNOL)

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ANALYSE SPATIALE POUR L'ÉTUDE DE L'ÉVOLUTION DES PAYSAGES DE LA VALLÉE OBSCURE ET DU VALLON DU ROUQUET

Françoise ALLIGNOL (1)

(1) : UMR 6012 "ESPACE" du CNRS, 98 Boulevard Édouard Herriot, BP 3209, 06204 NICE cedex 03. Courriel : [email protected] .

I - FONDEMENTS MÉTHODOLOGIQUES des paysages culturels, agricoles, ruraux, ou

urbains (O. BENDER et al., 2005 ; C.C. PETIT et

E.F. LAMBIN, 2002 ; J.P. BRAVARD, 2000 ; Il existe de multiples définitions du mot X. LI et A. YEH, 2004). Il existe aujourd'hui "paysage". En conséquence, il est nécessaire d'en deux axes principaux de recherche. Le premier préciser le sens adopté dans ce travail. " Si un tel s'oriente vers la prospection de l'actuel vers une assemblage d'arbres, de montagne, d'eaux et de dizaine d'année surtout dans les pays comprenant maisons que nous appelons un paysage est beau, des zones urbaines en expansion très rapide. Le ce n'est pas par lui-même mais par moi " deuxième concerne les études historiques et la (Charles BAUDELAIRE, Curiosités esthétiques). reconstitution de dynamiques paysagères sur des Il n'est, en effet, de paysage que perçu. Toutefois, périodes pouvant atteindre deux siècles. en complément de l'analyse "sensible", divers documents peuvent être utilisés pour contribuer à Un SIG est un outil informatique qui traite et son analyse : qui croise des données spatiales. Il transforme et stocke digitalement des cartes, sous la forme de - textes descriptifs de nature variée ; d'images (raster) ou sous la forme d'objets - cartes topographiques à des échelles adaptées ; spatiaux comme des polygones vectorisés, aux- - photographies aériennes orthorectifiées ; quels on attache une "étiquette" qui en indique la - imagerie numérique de simulation en 3D (trois signification. Une fois un certain nombre de dimensions) à partir de "Modèles numériques cartes stockées, il est possible de les traiter de de terrain" (MNT). manière très diverse, mais également de faire un grand nombre d'opérations mathématiques ou L'étude des paysages nécessite de disposer logiques à partir de combinaisons de cartes ou d'une cartographie des éléments physiques et d'images. Combinaisons et calculs qui permettent humains à diverses dates pour faire le bilan à terme de créer un nombre presque illimité de spatial des changements intervenus. La consti- cartes thématiques. En ce qui concerne la tution de la base de données géographique est restitution des dynamiques homme/milieu, les présentée et sa validité discutée dans l'objectif de questionnements peuvent être alors relativement compiler et de croiser les données paysagères et complexes. Les SIG constituent donc un outil de déterminer les causes des changements. Une idéal d'intégration des données issues du travail approche quantitative et qualitative des influen- de terrain et des études d'archives. ces naturelles et anthropiques permet d'expliciter la part des différents facteurs. II - ACQUISITION DES DONNÉES

L'étude des paysages menée pour la Vallée

Obscure et le vallon du Rouquet associe les outils d'analyse spatiale développés dans les années Avant de construire une base de données 1980-1990. L'évolution des paysages est une géographique, nous devons déterminer quels sont problématique de recherche ancienne, mais elle les paramètres capables de caractériser les n'utilise les Systèmes d'Information Géogra- paysages des Cévennes gardoises auxquels se phiques (SIG) que depuis approximativement une rattachent les vallées étudiées. Les paysages sont dizaine d'années. De nombreux auteurs dans le considérés comme l'association de la couverture monde ont étudié les changements remarquables 80

végétale liée aux facteurs humains et des L'analyse des paysages est généralement paramètres du milieu physique (H. PALANG basée sur une grande variété de sources dont des et al., 1998). Ainsi l'altitude, la pente, la litho- cartes topographiques, des photos aériennes et logie sont-elles prégnantes dans les Cévennes. des données statistiques et d'archive (Tab. I).

Tableau I - Les données sources.

Date Type Source Échelle 1552 Cotet des arpentements Archives Départementales * 1/5000 1843 Cadastre Napoléonien Archives Départementales ** 1/5000 1967 Carte géologique "Alès" BRGM 1/80000 1988 Carte géologique "Le Vigan" BRGM 1/50000 2000 Cartographie du patrimoine hydraulique BCEOM 1/10000 2001 Orthophotographies IGN 1/17000 2002 Scann25 IGN 1/25000 2003/2005 Cartographie de terrain J.M.CASTEX *** 1/15000

* : document dépouillé par J.L. PONCE. ** : document dépouillé par J.L. PONCE et J.M. CASTEX. ** : C. MARTIN pour la lithologie. BRGM : Bureau de recherches géologiques et minières. BCEOM : Bureau central d'études pour les équipements d'Outre-Mer. IGN : Institut géographique national.

III - ÉLABORATION DU MODÈLE IV - MÉTHODES D'ANALYSE DES NUMÉRIQUE DE TERRAIN (MNT) DONNÉES D'OCCUPATION DU SOL

Le MNT a été construit avec le SIG Les données d'occupation du sol sont Arc/Info© version 8.3.8, à partir des courbes de représentées en mode vecteur. Les objets réels niveau et des points cotés extraits du scann25© sont modélisés par des polygones contenant une de l'IGN. L'outil d'analyse 3D nous permet de végétation homogène à une certaine date. La base créer un modèle triangulaire irrégulier (TIN). Ce de données géographique a été créée sur la base TIN est converti en raster, en utilisant une des orthophotographies de 2001 (IGN©) et du fonction de lissage qui adoucit les facettes des cadastre napoléonien de 1843. triangles et offre une représentation plus réaliste du relief. Le MNT est constitué d'un ensemble de Une couche d'information sur l'utilisation du mailles carrées, régulières, dont le pas a été fixé à sol a été créée pour chaque date et intégrée dans 5 m (Fig. 1). Or les données d'origine sont au une base de données géographique. Les cartes de 1/25000. Nous avons fait le choix d'interpoler au l'occupation actuelle du sol et de la végétation 1/5000 pour être en concordance d'échelle avec résultent de la combinaison de la numérisation la petite taille des bassins versants. Leur morpho- des limites visibles sur les orthophotographies et logie particulière, à pentes fortes et quasiment du travail de terrain. L'occupation humaine du sol dépourvue de zones planes, autorise cette interpo- "actuelle" est issue de ce travail. Le cadastre lation dans les meilleures conditions. napoléonien couvre toute la Vallée Obscure, ainsi que les quartiers de Rouquayrol et de l'Arénas, Le MNT au pas de 5 mètres permet de cal- respectivement au nord-est et au nord-ouest de la culer un certain nombre de données dérivées, zone d'étude. telles que la pente et l'orientation, mais aussi l'ombrage qui sert de fond à l'ensemble des cartes La feuille cadastrale a été numérisée à la pour leur donner du relief et améliorer leur résolution de 600 dpi (dots per inch). La réso- lisibilité. lution détermine le nombre de points (pixels) composant la représentation d'une image sur un Le traitement du MNT permet en outre support physique. Une résolution de 600 dpi de délimiter automatiquement les bassins et les signifie donc 600 colonnes et 600 rangées de sous-bassins versants. pixels sur un pouce carré (un pouce = 2,54 cm), soit 55800 pixels sur un cm2. 81

Figure 1 - Vue 3D du MNT de la vallée Obscure.

Le géoréférencement est basé sur les V - CONCLUSION : LA BASE DE secteurs potentiellement stables : lignes de crête DONNÉES GÉOGRAPHIQUES et talwegs. Le chemin aujourd'hui goudronné, menant au Château, n'a pas pu être recalé de manière satisfaisante. Il est possible que le La base de données géographique est chemin de 1843 n'ait pas suivi exactement le référencée en NTF Lambert III Carto. L'ensemble même itinéraire, ou que les orthophotographies des données spatiales est valide au 1/15000 qui ne soient pas suffisamment précises. Le cadastre correspond à l'échelle de travail de terrain. Les de 1843 est d'une précision étonnante dans la données cadastrales anciennes sont au 1/5000, partie aval de la vallée. Les erreurs commencent mais elles sont entachées des erreurs initiales dans les parties amont du bassin versant et des liées au travail des géomètres et des erreurs de sous-bassins et deviennent de plus en importantes géoréférencement. Nous retiendrons donc une quand on s'éloigne vers le sud. Ainsi les talwegs échelle fiable de validité de 1/10000 pour le tracé en rive gauche du Cartaou se décalent-ils des parcelles, et globalement une échelle de progressivement vers l'amont. Ces erreurs ont 1/15000 pour l'ensemble des données spatia- été corrigées au mieux dans la phase de lisées. La base de données se divise en deux géoréférencement, les erreurs résiduelles ont été parties distinctes, ou géodatabases, qui corres- corrigées manuellement lors de la saisie. L'expli- pondent aux deux secteurs étudiés et dont les cation de ces décalages progressifs vers l'amont, résultats cartographiques sont présentés ici : la se trouve dans la méthode employée au début du Vallée Obscure et le Rouquet. Les informations ème XIX siècle. Les géomètres partaient d'un généralistes telles que le MNT se retrouvent dans centre de vie, maison, mairie ou église avec une les deux géodatabases. Certaines informations corde métrée, et s'en éloignaient en reportant spécifiques à un secteur, comme le cadastre leurs résultats de mesures sur le futur cadastre. Il napoléonien ou la carte des terroirs de 1552, sont est alors aisé de comprendre que les erreurs présentes dans une seule géodatabase. devenaient de plus en plus importantes avec la distance au point de départ.

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Les données communes aux deux géoda- - Hydrologie (données dérivées calculées à partir tabases sont les suivantes : du MNT) : bassins et sous-bassins versants, - Topographie : courbes de niveau ; points côtés, réseau hydrographique, directions et accumu- MNT à 5 m ; orientation des pentes ; ombrage ; lations d'écoulements. inclinaison des pentes (Cartes hors texte 4 et 5). Les données particulières à la géodatabase - Occupation du sol actuelle : réseau routier ; de la Vallée Obscure sont : bâti ; végétation en 2001 (Cartes hors texte 8 et 9). - Occupation du sol ancienne : carte des terroirs en 1552 (Carte hors texte 6) ; cadastre napo- - Versants : systèmes d'aménagement des pentes léonien de 1843 (Carte hors texte 7). (Cartes hors texte 10 et 11) ; état de conser-

vation des terrasses (Cartes hors texte 12 et 13). Les données particulières à la géodatabase - Géologie : fracturation ; lithologie (Cartes hors du Rouquet sont les tracés des murs des terrasses texte 2 et 3). de culture (Carte hors texte 11).

REFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES

BENDER O., BOEHMER H.J., JENS D., SCHU- growing region using remote sensing and GIS. MACHER K.P. (2005) - Using GIS to analyse Landscape and urban planning. vol. 69, long-term cultural landscape change in p. 335-354. Southern Germany. Landscape and urban PALANG H., MANDER Ü. et LUUD A. (1998) - planning. vol. 70, p. 111-125. Landscape diversity changes in Estonia. BRAVARD J.P. (2000) - Le comportement hydro- Landscape and urban planning. vol. 41, morphologique des cours d'eau au Petit Âge p. 163-169. Glaciaire dans les Alpes françaises et leurs PETIT C.C. et LAMBIN E.F. (2002) - Impact of piedmonts. 25èmes Journées scientifiques du data integration techniques on historical land- GFHN, Meudon (28-29 Novembre 2000), use/land-cover change: comparing historical p. 105-110. maps with remote sensing data in the Belgian LI X. et YEH A. (2004) - Analyzing spatial Ardennes. Journal of Lands. Ecol., Vol. 17, restructuring of land use patterns in a fat p. 117-132.

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ÉLÉMENTS HISTORIQUES SUR L'OCCUPATION DU SITE DE VALESCURE DU XIVème SIÈCLE AU MILIEU DU XIXème SIÈCLE

Jean-Louis PONCE (1)

(1) : 16 rue Camille Desmoulin, 30100 ALÈS et L'Arboux, 30124 PEYROLLES.

I - INTRODUCTION : DEPUIS LA NUIT nommé Triby. Il convient également d'observer DES TEMPS ? que notre site, contrairement à d'autres lieux peyrollains ("La Salo", du germanique saal :

château, salle ; "Cantamerle", associant le Il y a à travers les siècles des continuités et germanique kant – bord de – et le latin il en est ainsi des limites départementales du meralum – lieu naturellement fortifié –) situés sur Gard et de la Lozère. Elles correspondent aux l'autre rive du Gardon, ne comporte pas de anciens diocèses de Nîmes et de Mende qui survivances toponymiques révélant une possible correspondaient eux-mêmes aux territoires des présence wisigothe. Encore un indice, certes tribus gauloises des Gabales (Lozère) et des discutable, mais tout de même à ne pas négliger, Volques Arécomiques (Gard) (C. DEVIC et du caractère frontalier du site. J. VAISSETTE, 1840). Le site de Valescure, pour employer la terminologie des vieux documents, est assis dans la commune de Peyrolles dont les II - LE BAS MOYEN ÂGE : LE ROMAN DE RAYNARD limites, au nord, se trouvent être celles du département de la Lozère. Cela expliquerait le toponyme de Brion, que B. FÉNIÉ et J.J. FÉNIÉ (1997) assurent venir du gaulois briva (pont), et Dans l'inventaire des archives du château de qui est le nom d'un mont qui domine notre site : Bussas (commune de l'Estréchure), il est fait territoire-pont entre pays volque et pays gabale. référence à un acte de 1308 d'après lequel Or, pour peu que l'on veuille bien admettre que " Raymond MERLE du mas de Bussas vend à les limites aient pu être les rivières, plutôt que les Noble Guillaume et Raymond RAYNARD de la crêtes, le site de Valescure fut peut-être même Valmy (lieu-dit de la commune de Peyrolles ) la l'ultime territoire volque. Ce caractère de zone moitié d'une pièce de terre de pred avec son béal, frontalière laisse augurer d'une occupation fort l'escluse et cap resclaux ". Ce dispositif nous ancienne, qui n'aurait rien de surprenante d'ail- révèle l'existence d'un pré "construit". Le mot leurs puisque les deux vallées qui entourent la "cap resclaux" indique l'existence d'un barrage, Vallée Borgne, la Vallée Française et celle de alors que "béal" et "escluse" traduisent la Gardonnenque, abritent certains vestiges proto- possibilité tant de submerger que de drainer le historiques (P. JOUTARD, 1999), dont l'absence pré en question. En 1552, puis en 1644, nous sur Peyrolles confirmerait ce caractère de zone rencontrerons au site de Valescure un "Prat de tampon suggéré pour notre site. Et ce qui fonde RAYNARD" qualifié d' "azaguadis", puis d' "arro- notre hypothèse, c'est l'existence attestée dans le sable". Ce type de pré indique un territoire où Cartulaire de Notre-Dame-de-Nimes, en 984, l'on pratique l'élevage. Et cette pratique était d'une viguerie d'"entre-deux-Gardons" dont antérieure à 1308. Ce qui nous conduit à affirmer faisait partie le village du Pompidou et qui, par que certains tancats du site peuvent être conséquent, était assise entre Gardon de la Vallée également antérieurs à cette époque. Nous Française et Gardon de la Vallée Borgne, Il est songeons aux tancats agencés de telle sorte qu'ils probable qu'a cette époque, notre site ne ont permis de constituer en leur amont des dépendait pas de Peyrolles mais plutôt de Sainte- espaces de terre utilisables et aux tancats au Croix-de-Caderles, dont l'existence est attestée niveau desquels des passages de troupeaux sont dès 892, village avec les habitants duquel les envisageables. En ce qui concerne le lieu dit seigneurs de Valescure posséderont au XVIème "Prat de RAYNARD", nous y avons person- siècle une pièce de terre en indivis, en un terroir nellement repéré le vestige d'un cap resclaux ou 84

d'une escluse. Sur ce site, les photographies à dire une famille de cinq à six personnes. Or, de aériennes révèlent en outre la présence de cinq tous les noms de familles rencontrés antérieu- barrages sur le valat. Nous les retrouverons plus rement, le seul que l'on retrouvera par la suite est tard inscrits dans la toponymie, car, en cet celui de VALESCURE L'on peut donc émettre endroit, ce que nous nommons uniformément l'hypothèse que la famille regroupée autour de ce aujourd'hui le ruisseau de Valescure prenait le feu est celle de VALESCURE, mais sans pouvoir nom de "Valat des Passadouires" (passadouire affirmer qu'il est situé à Valescure même, signifie "passage" en occitan). puisqu'au XVIème siècle, les VALESCURE possè- dent terres et maisons sur l'autre rive du Gardon. C'est un acte de 1321 (Pierre de DRULHES Quoi qu'il en soit, de 1389 à 1552, tant la notaire) qui nous apprend qu'à cette époque le paroisse de Peyrolles que le site de Valescure se site de Valescure était habité. Un mas, dont le sont repeuplés, ainsi que nous l'avons constaté en féodiste (chargé de répertorier les archives de décryptant et dépouillant le "cotet des arpente- Bussas) n'a pu décrypter le nom, mais qu'il ments de 1552". localise " vers le puech " (de Brion) est évoqué dans les confronts d'une pièce de terre que " Noble Pierre de COSTE et Pelegrine de la III - LE COTET DES ARPENTEMENTS DE BAUME mariés du mas de Bussas baillent à titre 1552 : LA RENAISSANCE… DE d'échange à Arnaud de VALESCURE et Alaicette VALESCURE

CAPADE mariés ". Cette pièce se nomme " le

Cartal ou camp de l'ortiguié ". Elle est située " paroisse de Peyrolles " et donc aux environs du Ce document, qui est écrit pour une bonne lieu désigné de nos jours comme Cartaou qui est part en occitan, nous apprend qu'en 1552, sont la phonétisation de cartaux pluriel de cartal. habités les mas de Valescure, de la Blaquière, de Parmi les confronts permettant de situer cette la Fayssole, et des Abrits. À cette époque existe pièce, nous trouvons : " le vallat de X supérieur un lieu-dit "la Bastide". Or le terme de bastide et de Cartals " ainsi que " les terres du mas de X s'applique, en général, à des habitats constitués vers le puech ". Si nous savons que le nom du au XIIIème siècle, essentiellement à partir de valat demeuré obscur au féodiste est Camp granges isolées dans la forêt, pour donner des Soubeyran, rien ne nous permet d'attribuer un points d'appuis aux frontières (M. LARCHIVER, nom au mas situé vers le mont. Le cartal étant 1997). Le toponyme de 1552 exprimerait-il le connu pour être une mesure gardoise pour le vin, souvenir encore présent d'une ancienne bastide il y a lieu de se demander si le champ d'orties conservé par les survivants de la Peste ? (traduction de l'occitan ortiguié) n'était pas, antérieurement à 1321, un lieu où fut, au "beau En 1552, le bâti du mas de Valescure Moyen Âge" (après l'an Mil), cultivée de la vigne consiste en une maison d'habitation comprenant (dont d'éventuelles lambrusques pourraient être plusieurs membres fonctionnels (écurie, four à les fantômes). L'acte évoque également " la pain, porcherie, clède). Dans le registre des directe du camérier de Sauve ". Cela, ajouté au arpentements, la maison est dite " à deux étages ème toponyme encore présent au XVI siècle du partie en voûte, partie solier ". Il faut donc "Serre de Las Crotz" (serre des croix ), pourrait imaginer un bâtiment à un étage dont une partie indiquer que ce lieu était un fief de l'abbaye de repose sur un sous-sol en voûte, car les maisons Sauve, les croix marquant en général les dites à deux étages à cette époque possèdent un possessions religieuses. Notons l'apparition sur le étage et un rez-de-chaussée ; les membres de site du nom de famille VALESCURE, nom qui cette habitation sont tantôt en pierre sèche, tantôt n'était donc pas celui du mas vers le puech, car maçonnés " à chaux et à sable " et les toitures ayant déjà eu à le décrypter dans l'acte, le sont soit en tuiles, soit en lauzes, soit en chaume. féodiste l'aurait certainement identifié. À moins, Les trois bâtiments d'exploitation agricole (une bien sûr que le parchemin n'ait été, aux endroits bergerie, une grange, une étable) sont en pierre indéchiffrés, soumis à quelque dégradation. sèche, en rez-de-chaussée. L'absence d'un étage pour le foin, tant dans la bergerie que dans Par les travaux d'E. LEROY-LADURIE l'étable, explique la présence de la grange. (1969), nous savons que les Cévennes furent L'importance de l'élevage ovin se révèle en ce décimées par la Peste de 1348 et par les famines que la bergerie dispose d'une cour close et d'une qui s'en suivirent. Dans le dénombrement de la toiture en tuiles alors qu'étable et grange se Sénéchaussée d'Alès en 1389, la parrochia de contentent d'un toit de chaume. À cet ensemble Peyrola ne compte qu'un seul et unique feu, c'est s'ajoute un moulin à blé, au toit de chaume, situé 85

sur le valat du Brion et dont nous pensons avoir consacrée en majeure part à la châtaigneraie, déterminé la position (Carte hors texte 6). Il est avec un distinguo bien établi par les arpenteurs déclaré en mauvais état en 1552. Aux alentours entre "castanet" (châtaigneraie) et "castanet du mas, se trouvent des vignes en treilles et un fourchant". La signification de "fourchant" est " tènement de terre avec roseaux, vigne basse, "greffé". Un passage du registre des arpentements pommiers, pruniers, noyers et autres fruitiers ". évoque, en un même lieu, châtaigniers fourchants Résidence de la famille de VALESCURE qui et non fourchants. Notre opinion est donc que détient la seigneurie du lieu, le mas n'est c'est au XVIème siècle que l'on a commencé à cependant pas qualifié de château. greffer des châtaigniers.

Au mas de la Fayssole vivaient les familles En 1552, la châtaigneraie de Valescure se de Guillaume et de Claude MERCOIRET. La répartit entre : maison de Guillaume avait un étage et était - Les lieux où sont répertoriés des châtaigniers et probablement maçonnée, car il est précisé que ses des chênes "en ruine" (zone de Brion). À notre dépendances (four à pain, porcherie, poulailler) avis, il s'agit là de plantations antérieures à la sont en pierre sèche. Toutes les toitures sont en Peste de 1348. chaume et il y a une cour close. Une cour close - Les castanets (Brion, Vallée-Obscure, vallée du est également signalée à la maison avec étage de ruisseau des Abrits). C'est la châtaigneraie Claude MERCOIRET. L'étage est occupé par une postérieure à 1348, mais antérieure à 1552. pièce d'habitation et un grenier à foin. La toiture est en chaume. Autour de la Fayssole sont - Enfin, les castanets fourchants. Il s'agit d'une répertoriés vignes, jardins secs, et une châtai- châtaigneraie développée en relation avec gneraie. Nous pouvons donc conclure à l'absence l'apparition de la clède. La production de d'un système d'irrigation. châtaignes blanches va pouvoir être augmentée, et l'on se préoccupe donc d'améliorer la À la Blaquière, la maison de Pierre MER- productivité des châtaigniers. COIRET comporte un étage grenier à foin, un four à pain, une bergerie et Simon RAFINESQUE, lui, Nos conclusions sur les châtaigniers greffés possède deux maisons et une bergerie ; chaque bousculent des idées reçues. En effet, la greffe maison est en rez-de-chaussée, avec un toit de des châtaigniers qui, d'après le légendaire chaume, et l'une est en pierre sèche. La bergerie cévenol, remonte aux bénédictins, serait est sans étage, avec une toiture de chaume, et elle beaucoup plus ancienne (D. TRAVIER, 1993). Il est bâtie en pierre sèche. Autour du mas (le est cependant possible qu'il s'agisse d'une hameau) sont répertoriés des vignes en treilles, technique perdue lors de la Peste, disparue avec une terre défrichée avec des arbres fruitiers, un les techniciens, et retrouvée, grâce à la jardin arrosable, une chanvrière. Ici, des moyens découverte de l'imprimerie, dans quelque traité d'irrigation semblent être en œuvre, puisque d'agronomie. chanvrière et jardin arrosable nécessitent des apports d'eau importants. Et notre pré de 1305 ? Il y pousse des fruitiers et, si notre interprétation du cotet est Enfin, le mas des Abrits, tenu par GRANIER, exacte, il semble que l'on y cultive également des est qualifié de mas anglade, ce qui – parmi les mûriers. De ce pré, partaient deux drailles interprétations possibles – peut laisser supposer (chemins pour les troupeaux) évoquées dans un qu'il était pourri d'humidité. acte de 1479. Ce pré jouxtait le valat de Valescure. Mais d'autres prés sont évoqués dans En analysant le bâti du site, nous observons le cotet, notamment le prat de la molo et dels quelque chose de très surprenant : hormis celui abricz (que l'on peut traduire "pré de la meule et de Valescure, aucun de ces mas n'abrite de clède, des lieux abrités"). Situé non loin du moulin déjà c'est-à-dire un bâtiment-outil pour le séchage et évoqué, et indiqué comme proche d'un grand le blanchiment des châtaignes. De deux choses béal, ce pré est qualifié d'arrosable une partie de l'une : soit à cette époque subsistait un droit l'an, c'est à dire certainement pas en été. féodal réservant aux seigneurs (les VALESCURE) l'usage des clèdes ; soit c'est à cette époque Il faut également noter que les prés situés qu'apparaît ce bâtiment-outil sur notre site. sur le valat de Valescure – tant aux lieux-dits "Mal Conil" et "Las Aglas", qu'en la zone Malgré cette unique clède, en matière d'agri- nommée "La Molièro" – sont présentés comme culture proprement dite, l'occupation du site est arrosables sans autre spécification, tandis que les 86

prés arrosables sont dits anglades au mas de années et six récoltes ". Le problème, dans cette Valescure, prat molière aux Abrits et mollens transaction, c'est que la production est estimée à anglade à "Valmenou" (la vallée de l'actuel l'avance : vingt-quatre cestiers de châtaignes ruisseau des Abrits). Selon M. LACHIVER blanches. Ce sont donc les fruits virtuels, et non (1997), le mot anglade s'applique à un " pré en pas les futures récoltes réelles, qui sont mis en bordure d'un cours d'eau, qui s'enrichit de vente. Or, comme dans tous les contrats de limons" et les termes mollen et molière, à des l'époque, les parties s'engagent " sur tous et terres humides, parfois même marécageuses. chacun de leurs biens ". Entre 1608 et 1614, Simon RAFINESQUE décède et son héritier, Nous n'avons pas trouvé dans le cotet ces Antoine, n'est pas en mesure de remplir les expressions sentant le fagot comme " au nom de engagements du contrat. Il n'évitera la saisie de dieu soit fait " qui, au siècle suivant, s'inscriront ses biens qu'avec l'aide financière de son beau- fièrement dans les actes rédigés par des frère, " ministre de la parole de Dieu en l'église prud'hommes protestants. Cependant nous savons de Saumane ". que les idées de la Réforme sont déjà là, et la conséquence en sera, au XVIIème siècle, la dispa- Le "livre de raison" (recueil d'actes notariés rition de toponymes comme le "Serre de Las et notation d'événements familiaux : naissances, Crotz" (serre des croix) et "Lo Cami de baptêmes, décès (les mariages étant l'objet Loradour" (chemin de l'oratoire). d'actes !) de Jacques PÉRÉDES nous renseigne sur le mode de fonctionnement des propriétaires au début du XVIIème siècle : IV - LES TRANSFORMATIONS À LA FIN - En 1610, Jacques PÉRÉDES désire acquérir DU XVIème SIÈCLE ET AU XVIIème trois pièces de terre au terroir de "Valmenou", SIÈCLE pièces alors tenues par ses oncle et tante Jehan PÉRÉDES et Jeanne SAISSE, mariés, qui

ème habitent le mas du Serre, de l'autre coté du Au XVII siècle, les deux grandes Gardon, et qui, en conséquence, sont eux tentés préoccupations sur le site sont, d'une part, la mise par une terre au terroir des Béssèdes, située sur en valeur du territoire et, d'autre part, la défense la même rive. Le 14 janvier 1610, Jacques de la foi protestante. PÉRÉDES achète à Pierre ROQUE de l'Arboux la pièce des "Béssèdes", qu'il échange le même Les VALESCURE-TOURTOULON, seigneurs jour avec les trois pièces de "Valmenou". du lieu, possèdent en propre environ la moitié du site, et tiennent en fief la Fayssole et la Blaquière, - Un acte de 1617 évoque les aménagements ce qui veut dire que les tenanciers de ces terres hydrauliques : le 28 décembre de cette année, doivent leur verser une rente annuelle. De plus, à en effet, Pierre ROQUE et Magdeleine chaque vente, échange, succession concernant ces PÉRÉDÈZE vendent à Jacques PÉRÉDES leur terres, les tenanciers doivent leur payer les droits neveu " présent stipullans et acceptans sçavoir de mutation. Les terres des VALESCURE- la permission et faculté de dériver et prendre TOURTOULON sont situées au niveau des quar- tout leau (sic !) du vallat de Valmenou et ce au tiers de Brion, Vallée Obscure, Claie Neuve et la pied de ungue leur pièce de terre chastanet Blaquière. appellé les hubacz en ungue ou deux partz comme bon lui semblera audit achepteur avec Au niveau de "Valmenou", l'on notera que puissance et permission de iffer dappaysurel les familles tenancières de 1552, lorsqu'elles se avec pierre ou boix et icelle heau passer et retrouvent dans des actes du XVIIème siècle, conduire tant haut quil pourra dans le fonds appartiennent maintenant soit au monde juridique des susdits vendeurs pour la conduire en ugne (PÉRÉDES), soit au monde de la fabrication pièce de terre appellé le Cambonnet que le vestimentaire. susdit PÉRÉDES a acquis de Pierre DUMAS avec toute licence pour la terre qui se trouvera Tant pour survivre que pour payer les taxes, au dessous le béal pour yffer et dresser ungue les exploitants sont alors contraints de vendre à resclauze pour tenir leau pour arroser le pred l'avance, et pour plusieurs années, leur récolte de que le susdit PÉRÉDES prétend fère et dresser châtaignes. C'est le cas de Simon RAFINESQUE, aususdit pièce du Cambonnet ". Sous une forme du mas de La Blaquière. En 1608, il vend à que les lecteurs contemporains comprendront Jacques PÉRÉDES les fruits de sa pièce de terre plus aisément, Jacques PÉRÉDES achète un chastanet au terroir de "Valmenou", pour " six droit de capter l'eau du ruisseau des Abrits au 87

niveau de la parcelle que possèdent ses oncle et 1552 : une maison au lieu actuellement dit "la tante, et cette captation pourra se faire à l'aide Jasse" (bergerie en occitan, mais qui n'est pas d'un barrage en bois ou en pierre. Pour conduire spécifiée comme telle), une masure et une clède l'eau vers son pré, il pourra utiliser la terre des dans l'actuel quartier de "Claie Neuve", une vendeurs pour dresser le canal d'écoulement. maison palhé (grange) au "Prat de RAYNARD". Aux alentours du château, et partout ailleurs, - Par un acte de 1618, " Pierre de VALESCURE, nous constatons que des terres ou des prés seigneur de Valescure, habitant son château de qualifiés en 1552 de molières ne le sont plus. Valescure " vend à Jacques PÉRÉDES une pièce C'est l'indice d'une réduction des terrains maré- dans l'actuel quartier de la mairie car elle est cageux. En conséquence, nous pouvons émettre " loing et escartée de son patrimoyne pour la l'hypothèse que c'est entre 1552 et 1644 qu'ont réparer considérant au plus licyte et proffitable été effectués les travaux de drainage. de la bailher que non la garder ".

- Pour de semblables raisons de proximité du L'extrait du compoix de 1644, nous apprend lieu d'habitation, en 1621, Jacques PÉRÉDES l'introduction des mûriers dans les environs échange avec Pierre SOUBEIRAN, maître immédiats du château. À cet égard, une procé- cadissier au mas du Bruel (l'actuel Rouquay- dure d'enquête de 1687 (archives de Saint-Jean- rol), sa pièce nommée "Campfon" au terroir de du-Gard, référence CC34) évoquera les trois "Valmenou" contre un jardin arrosable et filles de Monsieur de VALESCURE et deux " autre pièce contenant jardin, arbres fruitiers, servantes qui " amassoient des feuilles " (vrai- bancels ruinés " au terroir de "Cantamerle". semblablement de mûrier, car l'épisode se passe Jacques PÉRÉDES réside en effet au mas de le 13 juin), anecdote intéressante qui montre par la Salle, plus proche de "Cantamerle" que ailleurs l'implication directe d'une famille noble "Valmenou". dans l'exploitation de ses biens.

En 1618, le seigneur du lieu, Pierre de Il se dégage en outre le sentiment que tout VALESCURE marie sa fille Jeanne à Jean de l'espace est utilisé, puisque même les zones TOURTOULON qui lui succédera. Le grand-père incultes sont exploitées, servant de " place de Jean, Jacques de TOURTOULON, était le d'abelz ", c'est-à-dire de places où sont installées grand veneur d'Antoine de BOURBON, roi de des ruches. Navarre et père d'Henri IV. Nous nous trouvons donc en présence d'une noblesse réformée En 1644, le verger d'"autarcie" de 1552 a (protestante), acquise aux idées de dévelop- fait apparemment place à une plantation de pement prônées par SULLY et Olivier de noyers, signe d'un intérêt pour les fruits qui se SERRES. conservent et dont on peut par conséquent faire commerce. Toute la châtaigneraie est à présent Jean de TOURTOULON s'est, avec sa com- greffée, car nulle distinction n'est faite au sein pagnie de Valescure, fortement impliqué dans les des castanets. Sur le site de Valescure, l'intérêt guerres de religion, dans le camp du Duc de économique du châtaignier prend corps dans la ROHAN, de 1621 à 1629 (Mémoires du Duc de seconde moitié du XVIème siècle pour s'intensifier ROHAN, in J. CASTAN, 1993). Mais une fois la ensuite. Nous le constatons à travers divers paix d'Alès signée, il s'est apparemment préoc- documents, et notamment dans un bail " à répa- cupé de mettre en valeur ses domaines comme en ration et mellioration " passé en 1618 entre témoigne l'extrait de compoix (cadastre de Jacques PÉRÉDES, un homme de loi, et un l'époque) daté de 1644 concernant sa veuve, descendant des MERCOIRET. Durant neuf ans, Jeanne de VALESCURE. Le mas est devenu un Jehan MERCOIRET s'occupera d'une pièce de château. La clède de 1552 a été transformée en terre que Jacques PÉRÉDES possède au quartier élément d'habitation, mais son souvenir se de "Valmenou". À ses frais, MERCOIRET promet perpétue dans le nom de "clédette" donné à celui- de réparer et d'améliorer la pièce et d'y planter ci. Tous les bâtiments sont à présent " à chaux et des châtaigniers et au bout de neuf ans, s'il a à sable ", tous les toits sont en tuiles. Un fermier rempli ses engagements, la moitié de la pièce lui s'occupe des terres (le compoix nous signale sa appartiendra en propre. Ce type de bail nous maison). Bergerie, four et clède sont présents, paraît de nature à expliquer comment s'est mais ils sont maintenant bâtis à chaux et à sable reconstituée l'occupation du site après la Peste de et sont couverts de tuiles. D'autres constructions 1348. ont été effectuées en des lieux inoccupés en 88

Nous avons vu un TOURTOULON aux côtés Il est vrai qu'à l'âge de cinq ans, il a assisté à de ROHAN. Ses fils, au moment de la révocation l'arrestation de son père et qu'une "bonne âme" de l'édit de Nantes, suivront eux aussi les s'est empressée de le convaincre que la faute en chemins de la révolte contre le pouvoir royal. revenait aux prédicants (C. BOST, 2002). L'un partira en exil, l'autre (François de TOURTOULON) abritera en son château les Jusqu'à la révolution, il est très difficile de prédicants, ces hommes et femmes qui tiennent vendre ses terres lorsqu'on est suspect d'appar- des assemblées "illicites" pour célébrer le culte tenir à une famille de religion réformée. En 1768, réformé (C. BOSC, 2002). Une lettre de François Pierre PAGES désire vendre à Jean ROQUIER sa de TOURTOULON est d'ailleurs de nature à nous pièce des Aygles (Las Aglas du cotet). Avant de faire penser que ce mouvement des prédicants pouvoir procéder à cette vente, il lui faudra pourrait avoir débuté à Valescure même. En adresser une supplique à l'Intendant du Langue- 1689, François de TOURTOULON sera envoyé doc, pour en obtenir la permission, "étant ISSU aux galères et son château sera "ruiné". Il est l'un DE PARENTS N.C." (N.C. : Nouveaux Catholi- des rares seigneurs cévenols à avoir pris fait et ques). cause pour les prédicants (C. BOSC, 2002). En général, seigneurs et notables ont collaboré, ou Jean ROQUIER constitue par ailleurs un pour certains ont affecté de le faire, à la exemple intéressant. Issu d'une famille qui, au répression du mouvement. En 1694, Delphine de début du siècle, pratiquait l'artisanat de la laine et TOURTOULON, fille aînée de feu François affermait ses terres, Jean ROQUIER continue (décédé à l'hôpital des galères) rend hommage à l'affermage, mais il devient lui-même le fermier Marie-Françoise de VALOIS, Comtesse d'Alès, de "La Méjanelle", un grand domaine seigneurial pour un château " à présent ruyné " (chartrier de de la paroisse de Moissac. En effet, les seigneurs Castries, référence 306AP471, Hommages reçus cévenols semblent alors déserter leurs terres, leur par Maître BASTIDE). conversion au catholicisme rendant difficile la cohabitation avec la population demeurée protes- Pour cette fin du XVIIème siècle, nous possé- tante. Cette désertion profite, en tout cas, à des dons les rapports d'un prud'homme (expert) hommes comme Jean ROQUIER qui se consti- nommé Guillaume SOUBEIRAN, qui a quelque- tuent alors des fortunes qui permettront à leurs fois travaillé sur Peyrolles et notamment le enfants de se porter acquéreur de biens nationaux 15 novembre 1689, deux jours après l'arrestation lorsque viendra la Révolution. de François de TOURTOULON. Ce jour-là, en compagnie d'un autre prud'homme, Guillaume Nul cadastre républicain de la commune de SOUBEIRAN s'est rendu aux Abrits, et les deux Peyrolles aux Archives départementales du Gard. hommes ont déterminé les travaux à réaliser, tant Et le seul document officiel connu, une lettre de à la maison d'habitation qu'en divers lieux ayant M. FAISSE, le maire, datée de 1790, a de quoi appartenu à Pierre BAUDOUIN : faire des répa- nous laisser perplexe : " État de la commune et rations à la maison, bien entendu, mais également situation de la communauté de Peirole (sic !) ; la planter des vignes, établir une terre à blé, et totale contenance est de 3480 setiers ou environ construire plusieurs escluses et paissières, tant au (le setier, comme le septier ou la séterée, valat de Valescure qu'à celui de "Valmenou". équivaut à 1895,857 m2). La moitié ou environ de terrain vague contenant rochers et quelques arbrisseaux. Les trois quart de l'autre moitié ou V - LES XVIIIème et XIXème SIÈCLES environ contiennent chataignerées. Le quart de cette dernière moitié ou environ contient terre y

ayant vin en échalats, quelque peu de jardin, fort Le 24 juillet 1702, l'Abbé du CHAYLA est peu de pred qui ne suffit pas pour la consom- assassiné à Pont-de-Montvert. Cet événement mation des bestiaux, quelques pieds d'oliviers qui marque le début de la révolte des camisards. ne font que quatre cannes d'huile annuellement ". Dans leurs rangs, se trouve un tisserand de Que penser de cette déclaration ? Les oliviers, Peyrolles, Jean-Louis MERCOIRET, dit "La nous les savons présents sur Peyrolles, mais Jeunesse", qui sera pendu à Nîmes en 1705 absents au site de Valescure. En ce qui concerne (A. MAZEL et al., 1983). les prés, l'analyse d'un livre de comptes d'un marchand nous révèle qu'il a fait livrer du foin à Le fils de François de TOURTOULON, Jean, la Fayssole en 1677. Cependant, en 1693, le n'a pas suivi les traces de son père. Il fait partie même marchand signale qu'il a loué sa mule pour des troupes qui traquent prédicants et camisards. " fouler la paille " à "la Fayssole". C'est le signe 89

que l'on y produit alors et du blé et du foin, montagnes, le sol cultivé est occupé par des puisque l'on n'en achète plus. De même, les mûriers plantés à une très petite distance les uns arbrisseaux ne correspondent pas aux chênes des autres et qui occasionne bien plutôt leur évoqués dans les rares actes de cette époque que dépérissement ". Ils sont, en effet, " supportés nous avons pu consulter. Et Jean-Marie CASTEX par des murs de soutènement ". L'introduction (communication orale) nous a fait remarquer que dans le débat des terrasses est pour le conseil M. FAISSE ne parle pas de mûriers. Or nous l'occasion d'une leçon d'agriculture montagnarde savons qu'au XVIIème siècle, sur le site de à l'usage des gens de Nîmes : " L'utilisation des Valescure, il y avait des mûriers. M. le Maire de murs de soutènement exige des soins et travaux Peyrolles aurait-il donc menti ? journaliers faits de main d'homme et la moin- dre négligence constitue le propriétaire en de Lors de la vente des biens nationaux, des grandes pertes ". Là où le conseil a raison, c'est parcelles seront acquises sur le site. Elles sont dans la remarque sur les travaux faits de mains présentées comme propriétés du ci-devant hôpital d'homme, car il est impossible, sur certaines d'Alès. En fait, ces terres, situées vers "Claie terrasses, d'envisager une quelconque aide d'ani- Neuve" appartenaient aux seigneurs de Bussas et maux ou de machines. Et le conseil d'affirmer : furent léguées, avant la Révolution, au susdit " la culture du mûrier est une véritable industrie hôpital par le dernier seigneur de ce lieu. qui ne devrait pas être atteinte par l'impôt foncier vu que le produit de cet arbre est de plus En ce qui concerne le XIXème siècle, nous de moitié absorbé par les frais de culture ". Mais disposons du cadastre dit napoléonien, daté de à peine les conseillers ont-ils évoqué l'industrie 1843 (Carte hors texte 7). Nous disposons égale- qu'ils s'attachent aux aléas de l'agriculture " d'un ment d'un document qui en conteste l'élaboration. autre côté, c'est un produit bien précaire ; une Il s'agit d'une délibération du conseil municipal gelée blanche, la grêle, la non-réussite, la de Peyrolles, en date du 9 novembre 1845, qui mévente enlèvent toute cette récolte et ruine le vaut la peine d'être analysée par le détail. En propriétaire ". Après les mûriers, il est question effet, M. le Maire commence par faire observer à des châtaigniers : " les châtaigneraies, situées sur son conseil " que les contributions de la com- des pentes très rapides, dépérissent tous les jours mune de Peyrolles avaient été considérablement par l'effet des pluies, les inondations les ont augmentées par le Conseil Général du Gard et tellement dégradées et excoriées qu'elles ne portées à un chiffre trop élevé et en disproportion donnent presque pas de produit. L'inondation de avec le revenu réel de la commune ". Vraie ou l'année dernière emporta plus de la moitié de la fausse, l'on pense bien que la remarque sera récolte et la récolte de cette année-ci n'est pas trouvée judicieuse par le conseil municipal qui possible dans cette commune ". L'évocation des s'empresse de développer une argumentation inondations, du dégât des eaux est une constante pour appuyer la thèse du Maire. Et le conseil à travers les siècles. Et lorsque, comme c'est commence par souligner que " le canton de Saint notre cas, l'on a pu assister à des crues dites André de Valborgne d'où dépend cette commune "millénales", l'oreille se fait attentive aux propos n'a été cadastré qu'en 1843 et par conséquent le des conseillers. Leurs affirmations sont des plus dernier du département ", remarque intéressante crédibles. Nous comprenons donc leur indi- d'un point de vue purement historique. Il ajoute gnation en apprenant que les arrondissements de ensuite que l'opération a été menée " à une Nîmes et d'Uzès ont bénéficié, eux, d'un dégrè- époque ou l'on a cru que le revenu des feuilles de vement d'impôts : " leurs territoires, situés dans mûriers était d'un grand rapport ". Toutefois la plaine, dans un beau climat et d'un grand cette remarque n'est pas très valable, car la produit en huile, vin, feuille de mûriers, grains, position du conseil général eut certainement été fourrages et autres objets dont on tire un grand la même si la commune avait été cadastrée plus profit ". Suit une comparaison avec " la partie tôt. La validité de cette position est d'ailleurs basse du département " qui " n'éprouve pas dans immédiatement confirmée, en mettant cependant ses récoltes les mêmes inconvénients de tempé- un bémol : " la réussite des vers à soie et le haut rature " et dont " les pluies n'emportent pas le prix des cocons ont produit, il est vrai, pendant terrain " mais surtout où " les propriétés sont ces deux ou trois dernières années, une petite vastes et d'une facile exploitation au moyen de (premier élément du bémol) amélioration dans la l'usage de bêtes de somme tandis que, dans nos position de fortune de quelques (second élément montagnes, l'habitant va continuellement à lutter du bémol) habitants qui se livrent à cette contre la nature pour la conservation de la industrie. Le conseil décrit ensuite les difficultés propriété et l'homme seul est obligé de faire tous de la culture du mûrier en Cévennes : " dans nos les travaux et transports ". Par cette phrase, 90

les conseillers peyrollains donnent toute son friche, couvertes de bruyère, sur lesquelles ont importance à un problème que nous n'avions pas commencé des plantations de châtaigniers. En encore abordé dans notre étude : la difficulté du 1605, une pièce "cartaux" est décrite comme travail agricole en Cévennes. associant chastanet et herme. En 1644, de deux pièces nommées "cartaux", l'une est une châtai- À compter de là, les conseillers municipaux gneraie, l'autre une rouvraie avec bruyère. En se livrent à la critique du cadastre. Certes, leur l'an IX, on trouve la mention d'une châtai- avis sur l'influence de la date d'établissement du gneraie, de bruyères, et de chênes verts. En document n'est pas très convaincant. Mais, plus 1843, la majorité des pièces à l'ouest du valat intéressant, le conseil municipal affirme que " les de Cartaux sont officiellement couvertes d'une experts appellés (sic !) à rectifier le cadastre ont châtaigneraie. opéré sans soins et se sont à peine transportés - Les alentours du château de Valescure, dont le sur les lieux ". Si lors des arpentements de 1552, descriptif de 1644 était si détaillé, sont désignés l'évaluation des pièces de terre avait été menée de manière bien sommaire en 1843, sous par un expert officiel et son greffier, accom- l'appellation de terre. pagnés d'un expert local n'ayant aucun intérêt privé sur le lieu à évaluer et de deux experts y En fait, en dernière analyse, le reproche qui ayant des intérêts, d'après nos conseillers de est fait au cadastre, est de fiscaliser comme terre 1845, " les experts nommés pour assister les à mûriers des bancels qui le sont certes bel et classifications ayant été pris dans l'arrondis- bien, mais en considérant cette fiscalisation sement de Nîmes ou d'Uzès étaient incapables comme injuste. En effet, pour un même nombre d'apprécier le terrain et le prix des produits des de mûriers, une parcelle en plaine n'est pas taxée hautes montagnes des Cévennes ". En consé- comme telle : la superficie disponible étant plus quence, le conseil municipal se flatte de pouvoir grande, il est possible d'y cultiver autre chose, obtenir " que M. le Préfet, l'administration des avec des mûriers en bordure, de sorte que contributions directes et le Conseil Général du l'ensemble de la parcelle est fiscalisée comme pré Gard reviendront de l'erreur dans laquelle ils ou vigne, selon la culture principale, mais non sont tombés ". comme terre à mûriers. Toutefois ce mode de

calcul n'était pas réservé à la plaine, et dans la En définitive, peut-on se fier au cadastre Vallée Obscure, une parcelle au moins en a napoléonien ? Pour le déterminer, procédons à bénéficié, le "Prat de RAYNARD", qualifié de l'analyse de quelques terroirs ou pièces de terre pré, alors que les vestiges de mûriers qu'il abrite pour lesquels nous possédons de documents sur encore donnent à penser qu'il fut aussi utilisé plusieurs siècles : comme terre à mûriers. - En 1552, sur le terroir de "Los Aygles", sont répertoriés herm bruguas (terre infertile En dépit des réserves formulées, il semble couverte de bruyère) et pré arrosable. En 1644, que le cadastre napoléonien constitue un docu- l'on y trouve castanet (châtaigneraie), terre ment relativement fiable. Il met en évidence la herme, rochiers et bruguasses, le pré étant conversion de parcelles autrefois considérées répertorié à part. En 1757, pour une partie du comme pré, vigne ou jardin, en "terre à mûriers". terroir, il est indiqué châtaigniers et herm. En l'an IX, la description est plus détaillée : Le principal propriétaire demeure un châtaigniers, herm, rochers, bruyère, chênes TOURTOULON. Il s'agit d'Alexandre, François de verts, et pré arrosable confrontant la pièce TOURTOULON, baron de LASALLE. Mais il ne décrite. En 1843, le cadastre est plus valo- demeure pas sur le site. risant : châtaigniers, chênes, pré. Pour le reste, autour des mas, l'on continue à - Le terroir de "Cabro Frégyère" est en 1552 un cultiver des vignes et à entretenir de petits jardins castanet fourchant et un herm planté de petits sans que le cadastre, comme aujourd'hui, ne le euzes (chênes). En 1641, il est qualifié de mentionne et l'on a bien entendu poursuivi castanet, rouvière (rouvraie) et bruguas. En l'exploitation de la châtaigneraie, sans aban- 1843, il serait devenu exclusivement une donner l'élevage ovin. Autrement dit, la Vallée châtaigneraie. Obscure s'inscrit bel et bien dans le cadre de ce - Nous avons déjà évoqué le "Cartal", nommé que l'on nomme " l'économie cévenole tradi- aussi le champ d'orties en 1321. En 1552, les tionnelle ". pièces de terre répertoriées au "Terrado de

Cartalz" sont présentées comme des terres en 91

VI - CONCLUSION trouvées au sujet des aménagements hydrauliques pour l'arrosage ou le drainage : de tels aména- gements sont cités au début du XIVème siècle, et ème Certains documents nous ont manqué pour ils semblent très communs au milieu du XVI progresser plus avant. L'absence de compoix du siècle. Nous ne disposons cependant d'aucune XVIIème siècle pour la commune de Peyrolles a indication sur la construction systématique de ainsi constitué un handicap majeur. Le temps tancats dans la Vallée Obscure. Un document de aussi nous a fait défaut. Mais il nous sera sans 1621 fait état de bancels ruinés, ce qui est inté- doute ultérieurement très profitable d'étendre nos ressant, mais bien sûr insuffisant pour se faire investigations, par exemple aux minutes nota- une idée de l'extension de ces aménagements. riales. Enfin, il s'avère que la greffe des châtaigniers est ème introduite (ou réintroduite) au XVI siècle, alors Les documents dépouillés débouchent sur que le mûrier prend déjà de l'importance au ème une première ébauche de reconstitution de l'occu- XVII siècle. Ces deux cultures ne cesseront pation du milieu dans la Vallée Obscure. Parmi ensuite de se développer, du moins jusqu'à l'éta- les points importants, soulignons les indications blissement du cadastre napoléonien.

SOURCES HISTORIQUES

Le livre de raison de Jacques PÉRÉDES, les aux Archives Départementales du Gard, calques rapports de Guillaume SOUBEIRAN et les en Mairie de Peyrolles) documents concernant la famille ROQUIER appartiennent à des archives privées. Les archives de Saint-Jean-du-Gard contiennent des actes très intéressants en ce qui concerne la Les archives du château de Bussas, le cotet des période des prédicants et des camisards et évo- arpentements de 1552, le rapport de M. FAISSE, quent plusieurs fois notre site. Mais comme leur l'extrait du compoix de Jeanne de VALESCURE contenu s'éloignait trop de notre sujet, nous ne les (microfilms du chartrier de Castries), et le dic- avons que très parcimonieusement exploitées. tionnaire topographique du Gard, de GERMER- DURAN, peuvent être consultés aux Archives L'original du compoix de Saumane a été consulté Départementales du Gard. en Mairie de Saumane et nous tenons à remercier M. MARTIN, Maire de cette commune, de nous Le cadastre napoléonien a été consulté. (original en avoir prêté la photocopie pour nos recherches.

RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES

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93

Carte hors texte 6 - Les terroirs de 1552 dans la Vallée Obscure. (d'après les travaux de J.L. PONCE ; réalisation : F. ALLIGNOL)

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É t. Géogr. Phys., Supplément au n° XXXIII, Projet TERRISC, 2006 95

ÉVOLUTION DE LA COUVERTURE VÉGÉTALE ET DE L'OCCUPATION DU SOL DANS LA VALLÉE OBSCURE DEPUIS LE MILIEU DU XIXème SIÈCLE

Jean Marie CASTEX (1) et Françoise ALLIGNOL (2)

(1) : UMR 6012 "ESPACE", Professeur honoraire d'histoire et géographie. Courriel : [email protected] . (2) : UMR 6012 "ESPACE" du CNRS, 98 Boulevard Édouard Herriot, BP 3209, 06204 NICE cedex 03. Courriel : [email protected] .

I - INTRODUCTION II - LE CADASTRE NAPOLÉONIEN : UN BILAN PRÉCIS DE L'UTILISATION DU SOL DANS LA VALLÉE OBSCURE

Les cartes du couvert végétal actuel de la

Vallée Obscure et du vallon du Rouquet (Cartes hors texte 8 et 9) ont été établies à partir En 1843, sur les 394,7 ha de la Vallée d'orthophotographies prises en 2001 par l'Institut Obscure (superficie en plan), les châtaigniers, Géographique National et des relevés de terrain parfois mélangés à d'autres essences, représen- effectués, par l'un d'entre nous, de 2003 à 2005. taient 209 ha, soit 52,9 % du bassin versant. Ils pouvaient occuper des versants entiers, à toutes L'évolution de la couverture végétale dans la les expositions et surtout au nord, sur tous les Vallée Obscure a été étudiée par comparaison sols mais préférentiellement sur les plus épais. entre les indications du cadastre napoléonien, Localement, des associations de chênes verts, dressé en 1843, et la situation actuelle. Quelques relayés plus haut par des chênes pubescents entre éléments relatifs à 1841 ont été recueillis sur le 600 et 800 m, profitaient pour s'étendre du carac- bassin du Rouquet, sans permettre toutefois une tère rocailleux des pentes, ainsi que de l'élevage comparaison aussi précise. dans la partie sud de la vallée où existaient des bergeries. La présence, sur des terrasses de Dans le cas de la Vallée Obscure, la compa- culture, de châtaigniers mêlés à des chênes verts, raison entre le plan cadastral de 1843 (Carte hors révèle en outre un début de contraction de texte 7) et la carte de la végétation de 2001 (Carte l'espace agricole. 4,9 ha auraient ainsi été aban- hors texte 8) montre la disparition totale des donnés, ce qui représente 11 % des superficies plantations de mûriers, des vignes, des prés aménagées en terrasses (voir J.M. CASTEX et al., irrigués et des cultures sèches. La châtaigneraie 2006, dans le même fascicule). Les bois ayant et les bois de chênes verts sont présents à la fois colonisé des terrasses de culture sont localisés en 1843 et 2001. En revanche, des forêts de principalement sur la rive droite du valat des conifères apparaissent en 2001, issues des reboi- Abrits en amont de Camplong, et en rive droite sements réalisés par les Eaux et forêts dans le du ruisseau de Valescure en aval de sa vallon du Rouquet dès la fin de la Première confluence avec le Cartaou. Guerre mondiale et dans la Vallée Obscure à partir des années 1930. Dans les deux vallées, ces Dans les bois de chênes verts, les coupes reboisements ont été effectués avec des essences régulières maintenaient le milieu assez ouvert. Le variées : cèdres, pins douglas, pins laricio et développement d'une strate herbacée devait épicéas. La présence de pins maritimes et sylves- freiner l'érosion et favoriser le pacage. tres n'est pas le résultat d'une politique de reboisement, mais de disséminations spontanées. D'après le tarif adopté en 1842 pour les éva- (J. GRELU, 2006, dans le même fascicule). luations cadastrales de la commune de Peyrolles (Préfecture du Gard, 1842), les prés, comme l'un 96

Tableau 1 - Utilisation du sol en 1843 et 2001 (superficies * en ha et % par rapport à la somme des différentes utilisations).

1843 2001 Bassin versant Vallée Obscure Vallée Obscure Rouquet Superficie (ha) 394,7 ha 394,7 ha 99,7 (ha) Chênes verts 118,5 ha (30,1 %) – 26,8 ha (27,0 %) Autres feuillus 4,0 ha (1,0 %) Bois, bois pâturés, pâtures 117,5 ha (29,8 %) – – boisées Châtaigniers, bois et 209,0 ha 197,5 ha châtaigniers, châtaigneraies 31,5 ha (31,8 %) (52,9 %) (50,2 %) pâturées Conifères 0 21,1 (5,4 %) 34,2 (34,4 %) Maquis complanté de – 48,1 ha (12,2 %) Non distingué ** chênes verts Arbustes et herbes – 4,4 ha (1,1 %) 3,9 ha (3,9 %) Sans végétation 0 0 0,60 ha (0,60 %) Pâtures 31,3 ha (7,9 %) 0 0 Prés 4,4 ha (1,1 %) 0 0 Mûriers, "terre" et 8,5 ha (2,2 %) 0 0 mûriers Vigne, "terre" et 0,64 ha (0,16 %) 0 0 vigne "Terre" 1,46 ha (0,37 %) 0 0 Verger : 1,22 ha (1,2 %) – Jardins 0 0 pépinière ONF : 0,99 ha (0,99 %) Chemins 2,5 ha (0,62 %) Surfaces non évaluées et incluses dans les Réseau hydrographique 19,6 ha (5,0 %) lignes ci-dessus Bâtiments et cours 0,35 ha (0,09 %) Total 394,9 ha 393,6 ha 99,3 ha Dont couverture végétale 326,5 ha (82,7) 389,1 ha (98,9 %) 92,6 ha(93,2 %) fermée

* : les superficies sont déterminées après projection orthogonale du bassin versant sur un plan. – : rubrique pouvant partiellement correspondre à une autre rubrique sur l'autre période considérée. ** : la forte densité des arbres dans le maquis complanté de chênes verts ne permet pas de le distinguer nettement des surfaces boisées.

des supports de l'élevage, avaient la plus grande (É. BORDARIER, communication orale), étaient rentabilité à l'hectare : 80 F contre 75 F pour les desséchées à la fumée des feux de bois entretenus mûriers et 30 F pour les châtaigniers (pour des dans les clèdes, et devenaient des "châtaignes parcelles de première classe). Mais en raison de blanches". l'étendue des surfaces, les châtaigniers et l'éle- vage ovin constituaient les principales sources de Les espaces occupés par les châtaigniers revenu, devant l'élevage des vers à soie. étaient "construits", soit en terrasses de culture (D. TRAVIER, 1993, 1999), près des mas, soit Plusieurs variétés de châtaignes, telles que en traversiers (J. NOGARÈDE, communication Fourcat, Pellegrine, Figarette et Rousselle orale). Les branches mortes étaient collectées 97

pour alimenter le feu des clèdes, les rejets coupés éloignés, à l'amont de la Jasse, sur les hauteurs de pour des travaux divers, les feuilles ramassées et Boulègue ou à la Rouvière, là où l'irrigation était les fougères coupées pour faire la litière des difficile. animaux. Les surfaces en forte pente, privées de couvert végétal à partir de novembre-décembre, Leur rareté peut s'expliquer par la contrac- étaient évidemment vulnérables à l'érosion tion de l'espace agricole que l'on peut discerner mécanique, même si les feuilles tombées au sol et en comparant la superficie aménagée en terrasses la couverture herbacée en limitaient l'ampleur. (Carte hors texte 10) à celle des cultures en 1843 (Carte hors texte 7). On peut imaginer une légère Cette situation de la châtaigneraie en 1843 déprise en relation avec la diminution de popu- précède de peu les grandes crises nées de l'exode lation observée entre 1790 et 1841 (Fig. 1). Mais rural et des attaques parasitaires dont la première, la rareté des "terres" peut aussi avoir résulté de la la maladie de l'encre, apparaît en 1860 (P. JOU- concurrence des cultures plus rentables évoquées TARD, 1979). précédemment.

Les mûriers étaient alignés dans les prés et La vigne avait une extension très faible sur les terres labourées. Ils occupaient seulement (0,64 ha, à La Bastide principalement), bien 8,4 ha dans la Vallée Obscure, présence modeste qu'elle n'ait pas encore été atteinte par la crise du correspondant à 2,2 % du bassin versant. Tou- phylloxera. La surface occupée avait-elle été jours proches d'un mas et de sa magnanerie, ils réduite lors de la plantation des mûriers ? étaient en outre situés à proximité d'un valat ou d'une source d'où les béals pouvaient acheminer En ce qui concerne le vallon du Rouquet, le l'eau. Là encore, la crise est proche, l'épizootie plan cadastral de 1841 n'a fait l'objet que d'une touchant le ver à soie éclate en 1855. étude préliminaire qui a permis de relever l'occu- pation du sol de chaque parcelle appartenant, en Les prés irrigués occupaient des surfaces totalité ou partiellement, à ce bassin versant. encore plus réduites (4,4 ha), au voisinage des Beaucoup de parcelles s'étendant au delà des plantations de mûriers. L'eau d'irrigation arrivait limites du bassin, la superficie totale considérée par gravité à partir d'un ouvrage de dérivation atteint 194,6 ha (contre 99,7 ha pour le bassin). barrant un valat tout proche, soit une paissière, L'utilisation du sol dans le secteur du Rouquet soit un tancat au mur de pierre sèche plus élevé. différait assez sensiblement de celle dans la Les brebis partaient en transhumance au mois de Vallée Obscure : les châtaigneraies y étaient mars vers Soudorgues, le Mercou puis la corni- beaucoup moins étendues, au bénéfice des che des Cévennes. La première fauche du foin pâtures (Tab. II). Dans ce secteur, qui appartenait était suivie d'un regain et parfois d'un second à un seul domaine débordant du vallon du (É. BORDARIER, communication orale). Rouquet vers le nord et vers l'est, l'élevage ovin assurait une part prépondérante des revenus, Les"terres", vouées à des cultures sèches. devant les châtaigniers. résiduelles, étaient localisées dans des lieux

Tableau II - Utilisation du sol (en % de la superficie totale considérée) dans la Vallée Obscure et dans le secteur du Rouquet selon le cadastre napoléonien (1843 et 1841).

Bois Châtaigniers Pâtures Prés Mûriers Terre Vigne Vallée Ob. 29,8 52,9 7,9 1,1 2,2 0,37 0,16 Rouquet 26,6 36,3 31,8 1,9 1,6 1,4 0,29

III - 1999 : BILAN DE LA "FERMETURE leurs effets dans ces vallées : pauvreté, les deux DU PAYSAGE" guerres mondiales, l'attraction des foyers écono- miques voisins, la concurrence des produits

agricoles d'autres régions. À Peyrolles, la popu- Outre les crises déjà évoquées, qui ont lation tombe de 202 habitants en 1790 à une anéanti les cultures traditionnelles, toutes les trentaine en 2005 (JL. PONCE, communication causes habituelles de l'exode rural ont cumulé écrite). 98

250

200

150

100

50

0 1790 1841 1906 1921 1946 1982 2005

Figure 1- Évolution de la population de la commune de Peyrolles depuis 1790 (nombre d'habitants en ordonnée).

Entre 1843 et 2001 (Tab I), la surface occu- La châtaigneraie du vallon du Rouquet est pée par la couverture strictement arborée a de plus faible extension (31,8 % de la superficie cependant très peu progressé dans la Vallée totale), car elle a été en partie coupée avant un Obscure, puisqu'elle est passée de 326,5 ha reboisement en conifères. Ceux-ci couvrent (82,7 % de la superficie totale) à 341 ha (86,7 % 34,4 % du bassin versant. Toute la partie aval du de la superficie totale – en excluant le maquis bassin est occupée par des chênes verts, à complanté de chênes verts. Qui plus est, la valeur l'exception des fonds de vallée. Les pentes n'y trouvée pour 2001 intègre des espaces répartis sont pas plus fortes qu'en amont, mais les dans d'autres rubriques en 1843 (chemins, réseau terrasses et traversiers sont rares, ce qui nous hydrographique, bâtiments et cours). La surface amène à déduire que ce terroir était réservé arborée, au sens strict, n'a donc pas augmenté principalement à l'élevage. Quelques secteurs du entre ces deux dates. Les essences présentes sont fond de la vallée, très humides et aux pentes le chêne vert, le châtaignier, divers autres feuil- douces, sont boisés, particulièrement dans les lus, et des conifères (Photos 1 et 2). zones de confluence. Ce trait est particulier à la vallée du Rouquet. En tenant compte du maquis complanté de chênes verts (41,8 ha), le taux de fermeture du À l'origine, la plantation des châtaigniers couvert végétal s'élève à 98,9 % dans la Vallée s'était effectuée à l'étage climatique du chêne Obscure. Il n'est que de 93,2 % dans le vallon du vert, qui avait alors fortement régressé. C'est Rouquet, du fait de la présence de roches à nu, donc ce même chêne vert qui s'est réinstallé là où d'un verger, et d'une pépinière appartenant à la châtaigneraie a reculé ou disparu. Celle-ci a l'Office national des forêts (ONF). quand même réussi à gagner parfois du terrain sur les hauteurs des ubacs, mais à l'état sauvage. Dans la Vallée Obscure, les châtaigniers Dans ces secteurs, les sols ne bénéficient plus couvrent une surface de 197,5 ha en 2001, contre comme jadis de la protection de traversiers 209 ha en 1843. La diminution a donc été faible, aujourd'hui détruits. de 2,7 % seulement. Toutefois la châtaigneraie a changé de nature. Peu d'arbres ont résisté à la Les chênes verts (yeuse) sont adaptés aux maladie de l'encre puis au chancre de l'écorce. versants rocailleux (Photo 4). Ils colonisent systé- Les survivants ont été abattus au début du XXème matiquement les terrasses de culture abandon- siècle et surtout dans les années 1950 pour nées, les abords de constructions partiellement alimenter une usine de tanin (N. GOMEZ, ruinées (Camplong et le Valat, dans le vallon des communication orale). L'actuelle châtaigneraie Abrits ; la Jasse et la Rouvière, dans la vallée du correspond au "bouscas" sauvage, qui s'est étendu Valescure ; Claie Neuve et Boulègue, dans le en taillis ou même en futaie sur souche vallon du Cartaou), les anciennes pâtures en (J. GRELU, 2006, dans le même fascicule) adret, et ils remplacent les châtaigniers malades (Photo 3). sur les sols les moins profonds. 99

Photo 1 - Le mas de Boulègue (vallon de Cartaou) Photo 2 - Sous la ruine du Rouquet les souches émerge à peine des bois de chênes verts et de de châtaigniers subsistent sous les conifères. châtaigniers. (cliché : J.M. CASTEX) (cliché : J.M. CASTEX)

Photo 3 - Taillis de châtaigniers sur souche Photo 4 - Chênes verts sur un versant rocheux en dans le vallon de Cartaou. rive gauche du ruisseau de Valescure. (cliché : J.M. CASTEX) (cliché : J.M. CASTEX)

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Photo 5 - À la Fayssole (Vallée Obscure), reboisement sur terrasses de culture. (cliché : J.M. CASTEX)

Photos 6 - Près de la Jasse (Vallée Obscure), vestiges de mûriers sur terrasses reboisées en conifères. (clichés :J.F. DIDON-LESCOT et J. JOLIVET)

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D'autres essences de feuillus telles aulnes, Pavillon, sans oublier bien sûr la pépinière de la frênes, merisiers et bouleaux, peuplent densément Maison forestière). les rives des très nombreux valats de ce relief compartimenté. Au total, ils couvrent 4 ha au Un réouverture partielle du paysage a été minimum. réalisée par le "Projet pilote ressource en eau dans les Cévennes métamorphiques", de 2001 à Les reboisements RTM effectués sur les 2006, mais elle a porté uniquement sur quelques 20,3 ha acquis par l'administration des Eaux et fonds de vallon (F. SCHULLER et al., 2006, dans forêts dans la Vallée Obscure, ont introduit des le même fascicule) pins douglas, des cèdres, des pins laricio et des épicéas. Ils ont souvent été réalisés au détriment des châtaigniers. Leur localisation fréquente sur IV - CONCLUSION des terrasses de culture ou des traversiers abandonnés visait à sauvegarder les sols et à optimiser le succès de la plantation (Photo 5). En Entre 1841 et 2001, la superficie considérée effet, le contexte socio-économique semblait comme boisée a sensiblement augmenté dans le exclure un retour de l'agriculture sur ces ver- secteur du Rouquet, passant de 62,9 à 93,2 %, et sants (G. BLANC et J. PEYRET, communications cela en raison de la disparition des pâtures, qui orales). avaient jadis ici une grande extension.

Dans le vallon du Rouquet, 34,2 ha, soit Dans la Vallée Obscure, au contraire, entre 34,4 % du bassin versant, ont été reboisés d'après 1843 et 2001, la superficie occupée par les bois a l'étude par photo-interprétation. Un relevé effec- pratiquement stagné. Cette situation se démarque tué à pied par l'ONF, a donné une estimation de des résultats de nombreuses recherches menées 41 ha (Descriptif des bois de la Vallée Borgne, par ailleurs en Europe, qui ont mis en évidence document interne ONF, 1993). Compte tenu de la l'extrême pauvreté du couvert forestier dans pente des versants, l'écart n'apparaît pas excessif les années 1850, responsable d'une crise de entre la surface projetée sur un plan et la surface torrentialité très violente (J.P. BRAVARD, 2000). réelle au sol. C'est pour faciliter les opérations de Dans ce contexte général, la Vallée Obscure se reboisement, qu'une pépinière a été installée au distingue nettement avec son fort pourcentage de pied de la maison forestière de la Perjurade. boisement, au sens large, en 1843, qui varie ensuite très peu en quelque 160 ans. Il se dégage Sur tous ces espaces subsistent des fantômes de l'analyse des cartes, le sentiment que le des anciennes cultures. Les mûriers ont suc- paysage est resté stable. combé définitivement à la concurrence des textiles artificiels puis synthétiques. Leurs troncs Cette constatation est cependant trompeuse. se reconnaissent encore entre les conifères Le travail de terrain, les témoignages oraux des (Photo 6). habitants, l'histoire (J.L. PONCE, 2006, dans le même fascicule) montrent que sous les termes de Les béals qui conduisaient l'eau aux prés "bois" et de "châtaigneraie" se cachent des sont comblés et la friche devient plus dense. réalités très différentes à ces deux dates. L'équipement hydraulique de la Maison forestière de la Perjurade fait exception : une citerne En 1843, la vallée Obscure était exploitée souterraine est située dans le lit même du ruis- avec grand soin par une population plus seau du Rouquet un peu à l'amont de la pépinière nombreuse qu'aujourd'hui (la Vallée Obscure (G. BLANC, communication orale). comptait alors 11 mas habités).

Quelques vignes sauvages (lambrusques – Les versants, striés par des murs de terrasse J.L. PONCE, 2006, dans le même fascicule) ont qui avaient pour vocation de stabiliser les sols, ème survécu aux crises viticoles de la fin du XIX étaient plantés de châtaigniers. Les tancats siècle. barrant les talwegs exerçaient une action de correction torrentielle et participaient à la gestion Il n'y a plus de cultures sèches. De rares de la ressource en eau. Le système d'irrigation en vergers et très petits jardins jouxtent les mas gravitaire était élaboré, et optimisait les apports régulièrement habités dans la Vallée Obscure des cours d'eau mais aussi ceux des versants. La (Les Abrits, La Bastide et le Château de Vallée Vallée Obscure en 1843 était presque entièrement Obscure) et dans le vallon du Rouquet (Le anthropisée et entretenue. Pourtant les premiers 102

signes, ponctuels, de la déprise agricole s'étaient dans le bassin versant du Rouquet, mais aussi déjà manifestés, certaines terrasses ayant été dans la Vallée Obscure. abandonnées à une recolonisation par le chêne vert. Mais derrière ces modifications qui pour- raient être considérées comme mineures, s'est L'élevage ovin, bien qu'ayant sans doute nouée une transformation radicale du paysage. marqué depuis longtemps le paysage, n'est deve- Les arbres ne sont plus abattus. Les châtai- nu la source majeure de revenu qu'à la fin du gneraies ne font plus l'objet d'aucun entretien. XIXème siècle, lorsque l'élevage lucratif du vers à Les "bois" de chênes verts ne constituent plus des soie et l'exploitation de la châtaigneraie péricli- espaces pâturés. Une réelle fermeture du couvert tèrent. Il était toutefois insuffisant pour assurer végétal s'est donc opérée dans un milieu déjà alors le maintien sur place des habitants. considéré comme boisé, par multiplication et croissance des arbres, mais aussi par envahis- Aujourd'hui, l'espace boisé n'est pas beau- sement de l'espace par les essences du maquis. coup plus étendu qu'en 1843. Le changement Autre élément important de l'évolution du majeur tient dans la composition et dans l'état du paysage, l'extension de la forêt et sa densification couvert forestier Le chêne vert a très largement ont masqué la plupart des éléments du paysage progressé. Les châtaigneraies subsistent surtout "construit" (tancats, terrasses, traversiers, et sous forme de taillis constitués à partir de rejets même beaucoup de mas), qui étaient voués désor- au niveau des souches. Enfin, les reboisements mais à une dégradation plus ou moins rapide. ont fait une place aux conifères, essentiellement

Remerciements : Nous exprimons notre reconnaissance à Émile BORDARIER, propriétaire au Rey et Président de la Société de chasse de Vallée Obscure, Norbert GOMEZ, Chef du chantier "Ressource en eau" de 2002 à 2006, Gérard BLANC et Jean PEYRET, techniciens ONF, Jacques NOGARÈDE, apiculteur à Soudorgues, et Jean-Louis PONCE, pour les informations qu'ils nous ont fournies.

REFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES

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Carte hors texte 7 - Occupation du sol dans la Vallée Obscure en 1843. (d'après l'étude du cadastre napoléonien par J.L. PONCE et J.M. CASTEX ; réalisation : F. ALLIGNOL)

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Carte hors texte 8 - Le couvert végétal de la Vallée Obscure en 2001. (d'après les observations de J.M. CASTEX ; réalisation : F. ALLIGNOL)

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Carte hors texte 9 - Le couvert végétal du vallon du Rouquet en 2001. (d'après les observations de J.M. CASTEX ; réalisation : F. ALLIGNOL)

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É t. Géogr. Phys., Supplément au n° XXXIII, Projet TERRISC, 2006 109

REFORESTATION ET SYLVICULTURE DANS LA VALLÉE OBSCURE ET DANS LE VALLON DU ROUQUET – VOUS AVEZ DIT : " RESTAURATION DES TERRAINS EN MONTAGNE ? "

Jacques GRELU (1)

(1) : Ingénieur général du GREF, Ministère de l'Agriculture et de la pêche, Conseil général du génie rural, des eaux et des forêts, 251 Rue de Vaugirard, 75732 PARIS cedex 15. Courriel : [email protected] .

I - REBOISEMENTS ET RESTAURATION derniers sont d'ailleurs concentrés autour d'Uzès, DES MONTAGNES S'ACHÈVENT À à proximité de la grande chênaie rhodanienne qui PEINE constitue sous Louis-Philippe le seul massif boisé représentatif du département. L'État se saisit du

dossier à partir du second Empire, la Troisième À partir du XIVème siècle, le climat du République suivra. Quatre grandes lois orga- Massif Central a subi une série de refroidisse- nisent et jalonnent cette épopée forestière ments assez brutaux correspondant au Petit Âge (R. LEFEBVRE et al., 1987) : Glaciaire. L'ingénieur en chef des Eaux et forêts - 1860 : Création des périmètres de reboisement Jacques GALZIN (1986) a étudié l'abaissement obligatoire avec mesures incitatives proposées consécutif des limites supérieures de certaines en zone périphérique. cultures grâce à la recherche des toponymes issus - 1864 : Extension des périmètres obligatoires à de la châtaigneraie (le radical "castan", par exem- l'engazonnement des pelouses d'altitude. ple, apparaît 34 fois en haut du Mont Lozère et - 1882 : Premières notions d'aménagement du 19 fois sur l'Aigoual). Il évalue cet abaissement territoire : les communes "périmétrées" reçoi- des possibilités de culture à trois ou quatre cents vent des aides fiscales et la restauration des sols mètres, ce qui correspondrait à une diminution de s'appuie désormais sur des travaux lourds de la température moyenne annuelle de deux ou trois correction torrentielle (seuils, barrages). degrés sur un siècle environ. Les paysans qui vivaient dans cette frange supérieure d'altitude - 1913 : Élargissement du dispositif aux terri- ont dû quitter le pays ou accepter des conditions toires soumis à l'érosion diffuse (plateaux). de vie misérables. Au milieu du XIXème siècle, les forestiers cévenols constatent la disparition Ces lois couvrent les montagnes jusqu'en presque totale du bois de chauffage aux altitudes basse altitude, où déforestation et érosion font froides, ce qui rend la vie en montagne presque autant de ravages. Les deux premières lois furent impossible au-dessus de mille mètres. La dispa- mal accueillies. À titre d'exemple, les éleveurs rition des taillis et le surpâturage ont également d'une petite commune cévenole font adresser enclenché un processus d'érosion diffuse qui a cette supplique à Napoléon III en 1863 : " …en ruiné les sols et aggravé les inondations rapides mettant ainsi en dehors de leur jouissance les des torrents cévenols. Ces phénomènes sont terrains qu'ils possèdent depuis des siècles, le moins cruciaux en Vallée Borgne, où les altitudes décret leur ravit toutes leurs ressources car leur sont plus basses. Cette vallée a certainement subi unique revenu est dans l'élève des bestiaux. La des hivers très durs, mais la vie rurale s'y est dépaissance dans les terres communales leur est mieux maintenue que sur l'Aigoual ou le Lozère. indispensable ; leurs terres particulières sont tellement entremêlées avec les terres communales La reforestation généralisée des montagnes que les soussignés ne pourront plus y amener apparaît à l'époque comme le seul outil de leurs bestiaux sans s'exposer à des procès correction efficace, mais celle-ci nécessite des verbaux quelques précautions qu'ils apportent à moyens exceptionnels dont ne disposent pas la surveillance de leurs troupeaux ". encore les services forestiers. Dans le Gard, ces 110

Dans cette ambiance, la loi de 1882 a À l'heure du bilan, l'Office national des nécessité cinq années de navettes entre la forêts (ONF) note en 1990 que cinquante huit Chambre et le Sénat, où les élus locaux sont mille hectares ont ainsi été "périmétrés" et fortement influents. Le résultat en est finalement reconstitués dans le Gard et en Lozère ; quinze un texte favorable aux collectivités et aux mille hectares jouent encore actuellement un rôle éleveurs, texte qui inspire les grands reboiseurs de protection prioritaire au point que la dispa- gardois sur le terrain. rition inopinée de leur couverture boisée (lors d'un incendie par exemple) remettrait instan- À leur tête s'affirme le profil barbu et tanément un siècle de travaux en question. emblématique de Georges FABRE (1844-1911), sous-inspecteur des Eaux et forêts (1875), inspecteur (1883) puis conservateur à Nîmes en II - RESTAURATION OU REBOISEMENT

1900 (C. FLAHAULT, 1897). Il fut conseillé par le célèbre botaniste Charles FLAHAULT (G. VALDEYRON, 2000), qui poursuivit son Techniquement, la reconstitution forestière œuvre scientifique auprès de ses successeurs s'est appuyée sur deux méthodes d'aménagement parmi lesquels je souhaite citer le nom de Max fort différentes l'une de l'autre. NÈGRE. Les modèles de sylviculture très rigides de l'époque ne convenaient pas à des peuple- ments forestiers créés de toutes pièces, dont le 1 ) La reconstitution "naturelle" comportement resterait énigmatique jusqu'à la régénération – s'ils devaient y parvenir un jour –. Elle s'effectue par récupération des lam- Max NÈGRE et les officiers forestiers contem- beaux de taillis feuillus abroutis par le bétail ou porains eurent le courage de s'extraire des formes simplement ruinés par des coupes de "furetage" d'aménagement imposées pour tenter des formu- excessives. Le furetage consiste à parcourir les les de gestion susceptibles "d'accompagner" coupes de taillis à de courtes rotations (8 à 10 (plutôt que "d'encadrer") ces peuplements de ans). Chaque éclaircie ne porte que sur un seul première génération. Je reviendrai sur tout cela brin de la cépée. Ce mode de gestion présente en évaluant les lignes de danger qui encadrent les l'avantage de ne jamais découvrir les sols modèles de gestion forestière prévus (ou forestiers d'altitude. Il a l'inconvénient de faire possibles) en Vallée Obscure et sur le bassin du remonter les souches en créant des trognons Rouquet. difformes de plus en plus trapus. Après plusieurs siècles de furetage, il devient difficile de savoir si Tous ces grands personnages furent des un brin exploité a nature de rejet franc ou de humanistes respectés qui avaient obtenu l'adhé- branche basse, la seconde hypothèse étant sion des paysans à la cause du reboisement. Les susceptible d'épuiser la souche. En période de bonnes terres cultivables ne furent jamais reboi- pénurie, les rotations étaient abaissées à 5 ou 6 sées, de sorte que les éleveurs pouvaient en vivre ans, ce qui hâtait la dégénérescence des cépées. sur quelques mois de l'année. Ils étaient salariés des chantiers de reboisement le reste du temps, et La suspension prolongée de ces coupes et le les anciennes familles de la montagne cévenole contrôle du pâturage sous bois ne suffisent pas à sont encore très fières des plantations durement recréer une forêt de qualité. Après quarante à réussies par leurs grands, ou arrières grands cinquante ans de pause, les forestiers récupèrent parents. G. FABRE résumait son engagement par un taillis irrégulier aux tiges noueuses et des conseils que C. FLAHAULT a noté dans sinueuses qu'il faut améliorer par des éclaircies la biographie qu'il lui consacre : " Rétablissons progressives. On ne laisse finalement subsister l'ordre de la nature ! ne la forçons pas ; nous ne qu'un brin fort et régulier par cépée, dans une ferions rien de bon ; ne demandons pas à la forêt densité suffisante pour couvrir totalement les de se développer avant que nous lui ayons refait sols. Ces opérations très discrètes ont livré des un sol ! Soyez économistes, juristes, ingénieurs, formations parfois assez spectaculaires de futaies géologues, botanistes, géographes ; vous trou- sur souches. Les taillis de châtaigniers de la verez toujours dans l'œuvre de restauration Vallée Obscure et la hêtraie relique du Fageas (de des montagnes l'utilisation de vos connaissances fagus, hêtre), qui domine le Rouquet, ont cette spéciales ". origine (Anonyme, 1997, pour ce qui concerne la châtaigneraie). 111

2 ) Le reboisement des terrains nus et érodés protection des grands éboulis du Fageas, qui portent si bien leur nom. Cette pratique a été imposée ailleurs, faute de mieux. Les reboiseurs se sont inspirés du Les deux vallées faisaient partie du péri- modèle pyrénéen dont les séquences forestières mètre des Gardons, constitué en 1900. Les opé- furent reproduites à l'Aigoual. À cette époque, en rations foncières y commencèrent par l'amont effet, le Massif Central, peu boisé, n'offrait aucun (Saint-André-de-Valborgne, et la modèle extrapolable vers sa partie méridionale et Corniche des Cévennes). L'inventaire forestier de le marché local des pépinières aurait été bien L. DAUBRÉE (1912) ne comptabilise encore que incapable de satisfaire les énormes besoins en 530 ha de bois domaniaux sur le canton de Saint- plants forestiers. André-de-Valborgne. Le Rouquet est traité après la Première Guerre mondiale et son reboisement La Vallée Borgne et la Vallée Française ont s'étend jusqu'en 1978. L'acquisition des parcelles été reboisées dans le sillage de l'Aigoual, avec un en Vallée Obscure est encore plus tardive (1930- décalage d'une trentaine d'années dû à leur confi- 1936). En 1965, le périmètre des Gardons est guration difficile. divisé entre la Lozère et le Gard, où se constitue une entité forestière nouvelle qui prend le nom de Des roches métamorphiques (schistes et forêt domaniale RTM de la Vallée Borgne localement gneiss), issues de la transformation de (2211 ha). sédiments antérieurs au Carbonifère, sont ados- sées à la barre granitique du Liron, qui prolonge l'Aigoual. En terrain déboisé, les sols subissent III - LA DIFFICILE CONCEPTION D'UN une érosion intense qui alimente les eaux AMÉNAGEMENT FORESTIER ruisselées en matériaux solides. Du fait de leur violence, les écoulements concentrés se chargent aussi en débris végétaux susceptibles de former Le premier aménagement forestier de la des embâcles dont la rupture provoque d'énormes Vallée Borgne (1978) n'a été que très partiel- dégâts aux personnes et aux biens. lement appliqué, mais il faut bien comprendre ses gestionnaires : on ne peut pas enfermer des Sur le bassin du Rouquet et dans la Vallée peuplements neufs et ultra diversifiés, de com- Obscure, la forêt assure donc un triple service : portement imprévisible, dans une nasse de règles stockage partiel des eaux non ruisselées, piégeage culturales ajustées d'avance à la précision du des matériaux instables et écrêtage relatif des mètre cube, de l'are et de l'année. Les praticiens crues moyennes. En forte pente, la restauration ne retinrent que l'essentiel, qui consistait à régé- s'appuie sur les formations feuillues naturelles nérer les premiers reboisements essoufflés dans disponibles dont les séquences s'organisent de la le secteur d'Aire de Côte (au-dessus de Saint- façon suivante aux expositions froides (Inventaire André-de-Valborgne), à suivre "biologiquement" forestier national, 1995) : les plus jeunes reboisements et à planter les - chêne vert jusqu'à 600 mètres ; dernières trouées. Le conservateur Max NÈGRE - chênes caducifoliés et châtaignier entre 600 et n'aurait sans doute pas recherché autre chose. 800 mètres ; L'aménagement a été repensé en 1993 pour - chêne rouvre, puis hêtres au-dessus de 800/900 quinze ans. L'arrêté ministériel qui sanctionne le mètres. projet consacre officiellement sur ce massif des

fonctions de protection prioritaires, la récolte de Ces séries idéales dominent, pures ou bois y étant asservie. L'aménagiste prévoit la mélangées, la quasi-totalité de la Vallée Obscure poursuite du renouvellement des vieux boise- et seulement quelques versants du bassin du ments de première génération et il insiste sur Rouquet, moins accidenté, où la vie agricole et l'amélioration des taillis feuillus et des planta- pastorale a pu se maintenir plus longtemps. Les tions récentes à essences multiples, largement bois de feuillus se rencontrent plus fréquemment majoritaires en surface. La Vallée Obscure et le en versants alors que les plantations résineuses Rouquet font entièrement partie de cette série. ont remplacé peu à peu les terres abandonnées, L'enjeu paysager des interventions est souligné puis rachetées et reboisées par l'État. Dominant dans le document (Office national des forêts, au loin ce dispositif, la hêtraie relique de l'Asclier 1993). affirme, de façon emblématique, la mise en

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IV - LA POLITIQUE D'AMÉLIORATION - La situation de la châtaigneraie naturelle FORESTIÈRE EN ÉQUILIBRE demeure incertaine parce qu'il est impossible INSTABLE d'y pratiquer une gestion classique (B. CABAN-

NES, 1988). Pendant la décennie quatre-vingt,

des lots importants de taillis de châtaigniers L'exemple de la sylviculture d'amélioration âgés sont restés invendus au-dessus de la Vallée illustre un vieux précepte souvent entendu Obscure (Photo 1). À la même époque, sur la " facile à dire, pas facile à faire ". Elle se heurte commune des Plantiers, un artisan producteur pratiquement partout aux problèmes de relief, au de charbon de bois a souhaité implanter une mélange des essences, aux contraintes de protec- unité de combustion. Cette petite industrie tion, au coût élevé des travaux, à la mévente des aurait été susceptible de relancer la filière coupes, et à la baisse préoccupante des crédits affaiblie du bois de châtaignier. Malgré des que la société française consacre aux moyens engagements très précis de l'État sur la sécurité forestiers. Le déclin tacite de l'outil de travail est de l'approvisionnement, cette unité n'a jamais en contradiction avec les exigences que formule pu fonctionner. En absence de coupes régulièrement cette même société à l'endroit de rajeunissement, les taillis du Val Obscur d'une forêt nationale dont tout le monde se évoluent donc, en bonne station, vers une sorte réclame. de futaie sur souches dont le renouvellement se posera un jour. Les très vieux taillis passés en Je vous expose ici une liste des blocages que futaie rejettent moins vigoureusement et la devraient contourner les praticiens du terrain régénération naturelle du châtaignier n'est pas pour espérer construire "un second Aigoual" en pratiquée à grande échelle. Ces grands brins de Vallée Borgne : futaie sont en revanche infiltrés par des semis d'essences résineuses comme le douglas – un - L'imbroglio foncier de l'ancien périmètre RTM moindre mal – mais surtout le pin maritime, des Gardons n'est pas encore résorbé à l'échelle échappé des anciennes forêts minières, en de la vallée principale du Gardon de Saint-Jean. pleine extension (Photo 2). C'est une menace Les concepteurs avaient prévu l'acquisition grave sur les anciennes châtaigneraies que l'on continue des territoires susceptibles de ver- a souhaité conserver coûte que coûte, parce que rouiller les risques naturels depuis Aire de leur combustibilité est appelée à s'accroître Côte, en tête de bassin, jusqu'à Saint-Jean-du- (Photo 3). Gard. Restée inachevée, cette politique, aujour- d'hui passée de mode, ne sera jamais relancée. - En station chaude, l'endothia (J.F. ABGRALL et Les échanges fonciers en étude actuellement à A. SOUTRENON, 1991) intensifie ses ravages l'ONF laissent toutefois espérer la consolidation (Photo 4) et les cimes desséchées ne filtrent de gros îlots forestiers protecteurs sur quelques plus la lumière. La broussaille et les semis de sous-bassins vitaux dont la Vallée Obscure et le pins y trouvent malheureusement leur compte, Rouquet offrent des exemples représentatifs et le danger d'incendie est démultiplié (crêtes de encourageants. la Vallée Obscure).

- Une surface incompressible en terrain très - L'amélioration des jeunes reboisements issus de difficile, évaluée à 500 hectares, reste financiè- la RTM doit profiter à cinq ou six espèces rement (et parfois techniquement) impossible à différentes, mélangées en parquets. Les nettoie- mettre en valeur. Laissées à elles-mêmes, les ments et les éclaircies doivent être ajustés aux parcelles se couvrent d'une végétation combus- tempéraments d'espèces dites d'ombre ou de tible où une éclosion d'incendie peut transporter lumière. Les reboisements ont été poursuivis le feu dans certaines parcelles forestières expo- sur les versants du Liron (au-dessus du sées comme c'est justement le cas au Rouquet. Rouquet) jusqu'à une date très récente. Il faut Le réseau des pistes de défense des forêts souligner que tous ces programmes se sont contre les incendies, également utilisé pour la appuyés sur des essences classiques réputées gestion forestière classique, absorbe aujourd'hui sûres, de façon à minimiser la marge d'incer- la totalité des maigres ressources financiè- titude qui a toujours pesé sur les chantiers res d'entretien disponibles sur le terrain. La RTM. G. FABRE estimait la mortalité précoce construction de pistes nouvelles de défense est des jeunes plants aux deux tiers des sujets utopique. L'accès aux départs de feux en terrain introduits, de sorte qu'il fallait planter l'équi- difficile restera donc long et hasardeux, ce qui valent de trois hectares pour en réussir un seul. augmentera la probabilité de subir un jour Cette donnée s'est encore vérifiée sur les quelque grand incendie destructeur. ultimes chantiers des crêtes du Rouquet. Un 113

Photo 1 - Taillis montagnards de châtaigniers dont le bois est actuellement sans valeur économique dans la Vallée Obscure (photo prise en hiver, la châtaigneraie apparaît en brun, et contraste avec les chênes verts). (cliché : J. GRELU)

Photo 2 - Vieux taillis de châtaigniers non entretenus envahis par des semis de douglas et des pins maritimes âgés. (cliché : J. GRELU)

Photo 3 - Vue générale d'un petit affluent de rive droite du Valescure (V1) depuis la route d'accès au Château : paysage de châtaigneraie envahie par le pin maritime. (cliché : J. GRELU) 114

Photo 4 - Châtaigniers malades dans le vallon du Cartaou, au-dessus de Boulègue. (cliché : J. GRELU)

Photo 5 - Seuils sur un affluent du Valescure (V2). (cliché : J. GRELU)

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essai d'acclimatation de plants de hêtres d'ori- d'érosion et à tempérer l'ardeur des inondations gine locale a totalement échoué sur les versants rapides en situation de phénomènes "moyens" du Liron, bien que les sujets aient été installés que l'on peut caractériser par des séquences de dans leur aire naturelle théorique. Le retour au 200 mm sur 24 à 36 heures selon les stations hêtre passe inexorablement par les stades obli- (C. COSANDEY et al., 2004). Il a été constaté gatoires que matérialisent les pins d'altitude qu'au delà de ces intensités, la forêt devient puis la sapinière. Tous les sujets de première hydrologiquement transparente. Le surplus d'eau génération restent indéfiniment branchus depuis ruisselée doit, de ce fait, être "accueilli" et le sol parce que la biologie de l'élagage naturel neutralisé par des aménagements de bassins en ne se met en place que longtemps après la aval : seuils (Photo 5), retenues, travaux spécia- création de la forêt. Les travaux n'en sont que lisés de rivières et champs d'expansion de crues plus pénibles et coûteux ; le traitement des en plaine. rémanents d'exploitation et des branches d'éla- gage supposerait, soit leur mise en andains La probabilité d'un grand incendie s'accroît entre les arbres (avec le risque de pullulation avec la désertification agricole et l'extension des d'insectes parasites du bois), soit leur inciné- surfaces sensibles au feu. La base de données ration (avec le risque d'incendie). Le broyage "Prométhée" (www.promethee.com) renferme les est toujours difficile sur les pentes et de toutes fichiers très détaillés de 75000 incendies de façons trop coûteux. forêts enregistrés en France méditerranéenne depuis 1972. Cette banque permet des extractions On comprend dans ces conditions que les sur critères multiples qui donnent les résultats concepteurs des projets de reboisement aient suivants pour les deux communes concernées par misé sur des espèces sûres et qu'ils aient ignoré notre étude : l'enseignement des collections d'espèces - La commune de Peyrolles a été parcourue par étrangères installées par G. FABRE et par 21 incendies depuis 1972. Ces incendies ont C. FLAHAULT. Le jardin botanique de la maison détruit ou endommagé 187 hectares, dont cent forestière de la Perjurade appartient à ce réseau d'un seul coup en 1979. d'acclimatation qui en comporte une dizaine - Celle de l'Estréchure a subi 20 incendies pour jusqu'à . Le comportement des "usagers" 55 ha parcourus. Les horaires d'éclosion des forêts vis-à-vis des espèces étrangères est révèlent partout une pointe classique entre 13 d'ailleurs extrêmement ambigu (J. GRELU, heures et 16 heures, avec toutefois l'existence 2005). Pour G. FABRE, il ne fallait pas rater de quelques feux de nuit à l'Estréchure, l'opportunité d'un éventuel arbre "miracle" en probablement consécutifs à des écobuages mal complément de la gamme européenne classique éteints. et la réussite du douglas, ou celle du cèdre – largement introduits au Rouquet – lui donne L'intensité de l'aléa reste très liée aux raison. Nos contemporains sont plus réservés et activités humaines (2/3 de causes accidentelles, certains parcs nationaux ont été jusqu'à interdire 1/3 de malveillances), ainsi qu'à la nature et à l'introduction d'espèces étrangères en reboise- l'état hydrique de la végétation (base de données ment dans leur zone centrale. Prométhée). La Vallée Obscure et le bassin du

Rouquet sont grossièrement orientés vers le nord, Je termine ce panorama des "blocages" avec ce qui limite le dessèchement estival mais ouvre le cas de la célèbre hêtraie du Fageas, relique des couloirs au mistral, dont l'aérologie est emblématique qui ne bénéficie malheureusement d'ailleurs complexe en milieu montagnard. Les pas d'une altitude suffisante pour asseoir sa enquêtes réalisées après les allumages révèlent propre régénération naturelle comme le réalisent deux exemples de causes accidentelles de feu : les vieilles futaies sur souches, bien cultivées, sur fréquentation des bords de rivières avec cuisson l'Aigoual. Cette hêtraie naturelle de basse altitude des aliments d'une part, exécution maladroite de posera un jour de graves problèmes de survie. brûlages pastoraux en moyenne montagne d'autre Elle mérite un suivi scientifique particulier. part.

La prévention de la malveillance est une V - LES RISQUES NATURELS affaire de police. La réduction des causes acci- dentelles de départs de feux peut être traitée par la prévention et reste de ce fait une priorité de Le développement d'une couverture fores- l'État. Les outils développés doivent corriger les tière durable suffit à bloquer les griffes primaires 116

points faibles par des mesures bien ciblées : d'une présence professionnelle motivée qui est - prise de contact avec le public et sensibilisation positive en matière de surveillance. Sans doute y par les patrouilles forestières ; a-t-il un fond de vérité ici et là. Les quelques expériences dont j'ai eu connaissance encou- - généralisation de la pratique des brûlages ragent des pratiques qui augmenteraient peu à dirigés avec le conseil des services forestiers, peu l'autorésistance des peuplements de nos deux des corps de sapeurs-pompiers et des chambres sites d'études : d'agriculture ; - détection précoce des éclosions et intervention 1 / Conserver les parcelles de châtaigniers qui rapide grâce à une bonne coordination entre les cloisonnent les grands reboisements et, de façon patrouilles forestières et les unités de sapeurs générale, bloquer l'extension du pin maritime pompiers, qui disposent de bons réseaux de dans toutes les châtaigneraies à l'occasion des transmissions ; éclaircies ; lors des martelages, favoriser l'ombre au sol. - sylviculture favorable à une diminution progres- sive de la sensibilité des peuplements forestiers. 2 / Conduire les futaies résineuses (surtout de pins) à des âges d'exploitation aussi élevés que possible, ce qui augmenterait le pourcentage de la VI - CONCLUSION surface occupée par des peuplements âgés, dont les cimes plus élevées échappent aux feux

courants (à noter que cette option est considérée comme anti-économique). Pour conclure, je souhaite développer rapi- dement ce qu'il faut entendre par sylviculture 3 / Neutraliser les rémanents d'éclaircie résineuse favorable à une diminution progressive de la par broyage. sensibilité au feu des peuplements forestiers. Il ne s'agit pas du débroussaillement obligatoire autour 3 / Valoriser les lignes et crêtes de relief par des des habitations, ni de l'aménagement normalisé coupures de combustible. Ces grandes coupures des bords de pistes de défense de la forêt contre doivent être très larges et concentrer les aména- les incendies (DFCI), mais bien d'une évolution gements nécessaires à la sécurité (pistes d'accès, des méthodes de culture forestière. Peu de choses réserves en eau). Ces aménagements sont favo- ont été dites ou écrites – voire tentées – dans rables à l'exercice d'un pastoralisme d'entretien cette direction. Les uns affirment que les travaux pouvant être associé à des brûlages dirigés. Les d'exploitation forestière induisent un risque parcelles forestières qui bordent ces coupures d'incendie et que les éclaircies accumulent des doivent être rendues "auto résistantes" par le rémanents combustibles au sol pendant des recours systématique aux trois outils précédents, années. D'autres constatent que les forêts afin de renforcer la ligne d'arrêt. normalement gérées et exploitées bénéficient

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Ét. Géogr. Phys., Supplément au n° XXXIII, Projet TERRISC, 2006 119

LES AMÉNAGEMENTS ANCIENS DANS LA VALLÉE OBSCURE ET LE VALLON DU ROUQUET : DESCRIPTION ET ÉTAT DE CONSERVATION

Jean Marie CASTEX (1), Claude MARTIN (2) et Françoise ALLIGNOL (3)

(1) : UMR 6012 "ESPACE", Professeur honoraire d'histoire et géographie. Courriel : [email protected] . (2) : UMR 6012 "ESPACE", Maison de la Géographie, 17 Rue Abbé de l'Épée, 34090 MONTPELLIER. Courriel : [email protected] . (3) : UMR 6012 "ESPACE" du CNRS, 98 Boulevard Édouard Herriot, BP 3209, 06204 NICE cedex 03. Courriel : [email protected] .

I - INTRODUCTION la Vallée Obscure, dans la Vallée Obscure ; le Rouquet, dans le vallon du Rouquet). Boulègue, petit secteur aménagé près d'une crête (Serre de Sous un couvert végétal aujourd'hui "fermé", Cartaou) dans la Vallée Obscure, fait figure s'étend un réseau très dense d'ouvrages de pierre d'exception. sèche qui barrent les versants et les vallons (terrasses de culture ou bancels ; murets coupant Dans la Vallée Obscure, les terrasses occu- la pente ou traversiers ; seuils, parfois hauts de pent 43,1 ha, soit 10,9 % de la superficie totale plusieurs mètres, dressés dans les thalwegs, du bassin versant. Ce pourcentage est faible par tancats et paissières). rapport à ceux généralement observés dans d'au- tres régions où existent des terrasses de culture Les secteurs couverts de terrasses ont été (30 à 50 % dans les sites étudiés dans le pro- déterminés en combinant les observations sur le jet PATTER, 1999-2001 – A. COLOMAR MARI, terrain à l'exploitation de documents produits par 2002). Mais les terrasses ne sont pas les seuls l'Institut géographique national (orthophotogra- aménagements de versants. En plus des secteurs à phies prises en 2001 et couples stéréoscopiques), terrasses, des murs bas (moins de un mètre de qui permettent de suivre l'alignement des arbres haut généra-lement), appelés traversiers, coupent et leur légère dénivellation d'une terrasse à les versants couverts de châtaigneraies (Photo 4) l'autre. En revanche, les connaissances sur les où ils retien-nent également la terre. Ils occupent ouvrages barrant les thalwegs sont tirées de 81,6 ha dans la Vallée Obscure, soit 20,7 % du travaux antérieurs (N. GOMEZ et L. MAUDRICH, bassin versant. in BCEOM, 2000). Dans la Vallée Obscure, comme dans le vallon du Rouquet, les traversiers sont localisés II - LES TERRASSES DE CULTURE ET sur les versants au-dessus des secteurs à terrasses. LES TRAVERSIERS Ils apparaissent à l'état de vestiges ou ont même disparu du fait de l'érosion. L'alignement de souches de vieux châtaigniers cultivés, quelques Les terrasses, planches de terre soutenues pierres encore assemblées plaquées contre les par un mur (Photos 1 à 3), n'occupent jamais racines déchaussées, témoignent de leur ancienne l'ensemble d'un versant (Cartes hors texte 10 et présence. Ils peuvent se retrouver jusqu'à un peu 11). En bas de versant, elles se trouvent dans des plus de 600 m d'altitude, limite de la culture du secteurs localisés, sans continuité les uns avec les châtaignier. autres (la Claie Neuve, la Clède, Camplong, le Valat, la Jasse, la Rouvière, tous situés dans la Au total, les surfaces en terrasses et en Vallée Obscure). On les rencontre également plus traversiers couvrent 31,6 % de la Vallée haut sur les versants, au niveau de replats, qui Obscure, ce qui correspond mieux aux valeurs portent les mas ou les hameaux (les Abrits, la habituelles. Dans le vallon du Rouquet, elles Blaquière, la Fayssole, la Bastide, le Château de représentent 16,7 % du bassin versant en amont 120 de la confluence près de la maison forestière de la des amoncellements de blocs qui pouvaient jouer Perjurade. également le rôle de seuils dans les thalwegs, ont été observés par N. GOMEZ (in BCEOM, 2000) dans la partie amont de deux valats proches du III - LES OUVRAGES SUR LES col de Briontet. THALWEGS Ces ouvrages avaient plusieurs fonctions : - Provoquer le comblement du lit des ruisseaux Les tancats, également appelés rascasses, dominés par les pentes très fortes des bas de sont des ouvrages de pierre sèche essentiellement versant, afin de stabiliser les terrasses proches destinés à lutter contre les phénomènes d'érosion des thalwegs et parfois aussi de faciliter le mécanique. Barrant les valats, ils prolongent passage d'une rive à l'autre. souvent les terrasses, ce qui assure aux aména- - Provoquer localement sur les berges le dépôt de gements une continuité de part et d'autre des limons de débordement, qui pouvaient être thalwegs (Photo 5). La hauteur de ces ouvrages ensuite remontés sur les versants (J.A. CHAP- varie de moins de un mètre à plus de six mètres. TAL, 1799). Les petits tancats sont construits comme les murs - Créer des espaces cultivables, en particulier des terrasses, le couronnement étant réalisé avec sous la forme de prés (C. MESTRE, 1992 ; des blocs plus gros. Les tancats de plus de 3 m de J.L. SABATIER et al., 1996). hauteur barrent des valats importants et sont constitués de blocs cyclopéens parfaitement - Participer au dispositif hydraulique, en dérivant ajustés (Photos 6 et 7). de l'eau pour les habitations ou pour l'irrigation des cultures proches des thalwegs. Ils rejoi- Très souvent, les tancats se succèdent de gnent en cela les paissières, ouvrages de petite telle sorte que la zone de dépôt des sédiments en taille spécialement destinés à cet usage. Les arrière d'un mur remonte presque jusqu'au pied paissières sont très peu nombreuses et, de toute du mur situé plus en amont. Le système, lorsqu'il façon, difficilement discernables des tancats est fonctionnel, associe des chutes d'eau, au dans la Vallée Obscure (Photos 8). niveau des tancats, des fosses dissipatrices d'énergie, à la base des ouvrages (anciennes La comparaison de la répartition des tancats marmites de géant, ou simples creux entre le mur avec celle des parcelles notées irriguées en 1843, amont et les sédiments déposés en aval), et des est révélatrice du rôle que tenaient certains contre-pentes en amont des barrages. ouvrages dans l'agriculture : à Camplong (valat des Abrits), en dessous du Château de la Vallée N. GOMEZ et L. MAUDRICH ont recensé Obscure, à la Fayssole…, des groupes de tancats 465 ouvrages lors de campagnes de terrain coïncident exactement avec des parcelles culti- effectuées au cours de l'été 1999, dans le cadre vées en mûriers et en prés. Les béals qui d'une étude sur la ressource en eau, entreprise dérivaient l'eau ne sont pas retrouvés aujourd'hui, pionnière de la Mairie de Peyrolles, dont les parce que, creusés dans le sol, ils ont été remplis résultats ont été publiés par le BCEOM en 2000 de terre. Les gouttières fabriquées en bois ont et analysés dans le rapport d'A. DECONCHY également disparu. (2002). Leur densité est particulièrement forte dans les vallons des Abrits (212/km2) et de la Les tancats n'ont pas fait l'objet d'un recen- Bastide (171/km2), ainsi que dans la partie sement systématique dans le vallon du Rouquet, moyenne de la Vallée Obscure (204/km2). Ils mais ils sont ici très rares. sont moins nombreux dans le vallon du Cartaou (79/km2) et très peu représentés dans la partie amont de la Vallée Obscure (12/km2). La hauteur IV - L'ÉTAT DE CONSERVATION DES moyenne des ouvrages était alors estimée à AMÉNAGEMENTS 1,90 m. Les travaux de forestage réalisés depuis sur certains valats (F. SCHULLER et al., 2006, dans le même fascicule) ont permis de découvrir La dégradation des systèmes de terrasses beaucoup d'autres tancats, de taille petite ou débute par la chute des pierres de couronnement moyenne. des murs. Le sol qui peut alors être mobilisé en arrière de l'échancrure, vient se déposer au pied Si les tancats sont effectivement peu nom- du mur sur la planche inférieure. Le stade suivant breux dans le tiers amont de la Vallée Obscure, est celui du gauchissement du mur (un "ventre" 121

Photo 1 - Terrasses de culture à Camplong (valat des Abrits). (cliché : J.M. CASTEX)

Photo 2 - Terrasses de culture dans la partie aval du vallon des Abrits. (cliché : J.F. DIDON-LESCOT)

Photo 3 - Aménagements près de Valat, en rive gauche du ruisseau des Abrits : au premier plan, ouvrage fermant à l'aval un vallon généralement sec ; en arrière plan, terrasses de bas de versant. (cliché : J.M. CASTEX) 122

Photo 4 - Traversier au-dessus de la Jasse. (cliché : J.M. CASTEX)

Photo 5 - Tancats (réhabilités), en continuité avec Photo 6 - Premier tancat sur le ruisseau des terrasses, sur un affluent en pente forte du de Valescure en amont de sa confluence avec le valat des Abrits. (cliché : J.F. DIDON-LESCOT) Gardon de Saint-Jean. (cliché : J.F. DIDON-LESCOT)

Photo 7 - Système de tancats sur le Valescure (à gauche – 6,5 m de haut) et sur un valat affluent à proximité de la Jasse. (cliché : J. JOLIVET) 123 apparaît), souvent à sa base, au niveau du contact mations disponibles. Les tancats en bon état sont entre le remblai de la terrasse et la roche sous- les plus nombreux. Ceux qui sont détruits à jacente. Cette évolution est préparée soit par le moitié ou aux trois quarts se concentrent essen- colmatage des interstices du mur, ce qui diminue tiellement, mais non exclusivement, dans la sec- la perméabilité de l'ouvrage, soit par la croissance tion amont des valats. d'un arbre dont les racines descellent les pierres et les mettent en porte-à-faux. Les conditions sont alors réunies pour que la chute de certains V - LES SYSTÈMES D'AMÉNAGEMENT blocs provoque l'ouverture d'une brèche. Celle-ci gagne vers l'amont par soutirage de petites pierres de blocage et de terre fine. Le rayon des Les sites situés à mi-pente et ceux en fond brèches circulaires témoigne de l'état d'avance- de vallée présentent des aménagements diffé- ment de la dégradation. En général, il ne dépasse rents. pas 1,5 mètre.

Ces formes ont été cartographiées dans la 1 ) Les systèmes à mi-pente Vallée Obscure et dans le vallon du Rouquet (Cartes hors texte 12 et 13). L'état du mur est La Blaquière, la Fayssole, la Bastide, le qualifié de "mauvais" lorsque les brèches se Château de la Vallée Obscure ont beaucoup de multiplient et s'alignent d'une terrasse à une autre points communs. Les mas sont situés 200 à dans le sens de la pente. Le mur est considéré 300 m au-dessous des crêtes et 100 à 150 m au- comme "détruit" lorsque les pans de mur éboulés dessus du ruisseau de Valescure. Ils sont établis laissent la place à un bourrelet de pierres allongé. sur des replats assez étroits dont la pente avoisine 20°, inscrits sur des versants inclinés par ailleurs Les aménagements en bon état ne couvrent de 35 à 40°. Desservis par de très anciens sentiers plus maintenant que des superficies réduites : qui relient le Gardon au col de Briontet, lieux de culture du mûrier en 1843, reboisés en conifères 5,8 ha dans la Vallée Obscure, 1,3 ha dans le ème vallon du Rouquet, soit respectivement 4,6 et au XX siècle, ils sont bordés de secteurs de 7,7 % de l'ensemble des superficies aménagées terrasses encore partiellement en bon état. en terrasses ou en traversiers (Tab. I). Le site de la Fayssole peut servir de réfé- Dans la Vallée Obscure, les terrasses en bon rence. Au-dessous de maisons à deux étages en état se trouvent à l'aval de mas sans doute partie ruinées, aux hautes fenêtres encadrées de occupés plus longtemps (la Jasse, la Clède, le linteaux de granite clair (Photo 9), s'allongent des Valat), dans des secteurs où les sols sont épais, et terrasses sur près de 200 m. où la construction des murs a été particulièrement soignée. Dans le vallon du Rouquet, elles sont L'ensemble occupe une rive de valat tournée strictement localisées à côté de deux bâtiments vers le sud-ouest et porte des pins douglas, des encore utilisés : la Maison forestière de la cèdres et des épicéas (Photo 10), alors que le Perjurade et le Pavillon. versant opposé est rocailleux et couvert de chênes verts. Les aménagements de versants détruits, qui représentent plus de 60 % des dispositifs initiaux, Ces terrasses rejoignent un valat dont le sont presque tous des traversiers qui n'ont pas thalweg est coupé par 19 tancats avant sa résisté au manque d'entretien sur des pentes très confluence avec le ruisseau de Valescure, 100 m fortes. en contrebas. La dénivellation moyenne entre deux tancats est de 5,20 m, ce qui correspond au En ce qui concerne les tancats, leur dégra- cumul des hauteurs de deux à trois terrasses. Les dation s'amorce par l'ouverture d'une brèche dans conditions étaient donc favorables à la pratique la partie supérieure du mur, ce qui provoque un de l'arrosage. creusement régressif dans les dépôts retenus par le barrage. L'état de ces ouvrages dans la Les murs des terrasses, d'une hauteur de Vallée Obscure a été consigné par N. GOMEZ et 2 m, sont parallèles et continus. Leur appareillage L. MAUDRICH (in BCEOM, 2000). en blocs de granite est très travaillé (Photo 11). Les escaliers intégrés aux murs montrent égale- La carte hors texte 10 reproduit les infor- ment le soin apporté à la construction. 124

Tableau I - État de conservation des terrasses et traversiers dans la Vallée Obscure et dans le vallon du Rouquet. Vallée Obscure Rouquet (394,7 ha) (99,7 ha) Terrasses (ha) 43,1 8,35 % / bassin versant 10,9 8,4 En bon état (ha) 5,98 1,28 % / ensemble des terrasses 13,9 15,3 % / bassin versant 1,5 1,3 En mauvais état (ha) 37,1 5,24 % / ensemble des terrasses 86,1 62,8 % / bassin versant 9,4 5,3 Détruites 0 1,83 % / ensemble des terrasses 021,9 % / bassin versant 01,8 Traversiers (ha) 81,6 8,26 % / bassin versant 20,7 8,3 Traversiers détruits (ha) 81,6 8,26 % / ensemble des traversiers 100 81,0 % / bassin versant 20,7 8,3 Ensemble des aménagements (ha) 124,6 16,6 % / bassin versant 31,6 16,7 En bon état (ha) 5,78 1,28 % / ensemble des aménagements 4,6 7,7 % / bassin versant 1,5 1,3 En mauvais état (ha) 38,7 5,24 % / ensemble des aménagements 31,0 31,5 % / bassin versant 9,8 5,3 Détruits (ha) 81,6 10,1 % / ensemble des aménagements 65,5 60,7 % / bassin versant 20,7 10,1

Les planches sont relativement étroites (7 m Du fait des tancats, le fond du valat est organisé au maximum, pour les premières, qui sont les en une succession d'espaces plans allongés plus proches du mas). Elles portent encore des chacun sur une vingtaine de mètres. vestiges de mûriers sous les conifères. Avant le XVIIIème siècle, la vigne et les céréales étaient Les autres sites situés à mi-pente associent cultivées ici (J.L. PONCE, Carte hors texte 6). également un noyau de terrasses très soignées, en bon état (sauf à la Blaquière), passant rapidement Les murs des premières terrasses sont en bon à des terrasses en mauvais état dès que la pente état, malgré quelques brèches provoquées par la s'accentue vers l'aval. chute de conifères (Photo 12). Mais la pente s'accentuant vers l'aval (pente jusqu'à 50°), les Le secteur du Château de la Vallée Obscure terrasses sont de plus en plus étroites (3 m au (Photo 13) a longtemps bénéficié de la puis- minimum), alors que la hauteur des murs dépasse sance foncière et politique de ses propriétaires parfois 2 m. Les brèches se multiplient et, dans (J.L. PONCE, 2006, dans le même fascicule). Au les secteurs les plus fragiles, ne subsistent plus XXème siècle, les larges terrasses situées sur le que des talus. grand replat en aval du Château ont été reboisées en conifères. Elles sont en mauvais état, le rayon Le plan cadastral de 1843 (Carte hors de certaines brèches dépassant 2 m et atteignant texte 7) montre que les châtaigniers et les prés parfois 6 m. Vers le bas, une rupture de pente très succédaient aux mûriers en descendant le versant. brusque fait passer des terrasses aux traversiers 125

Photo 8 - Ouvrage peu élevé (tancat ou paissière) sur le valat des Abrits. (cliché : J.M. CASTEX)

Photo 9 - Façade d'un mas à la Fayssole, hameau définitivement abandonné dans les années 1930. (cliché : J.M. CASTEX)

Photo 10 - Conifères sur terrasses à la Fayssole. (cliché : J.M. CASTEX) 126

Photo 11 - Mur de terrasse très travaillé et en Photo 12 - Brèche dans un mur de plus de 2 m bon état à la Fayssole. (cliché : J.M. CASTEX) de haut à la Fayssole. (cliché : J.M. CASTEX)

Photo 13 - Le Château de la Vallée Obscure. (cliché : J.F. DIDON-LESCOT) 127 sous châtaigneraie. trouées de brèches, sans doute en raison de la forte pente (30°). Un peu au sud du Château, d'autres terrasses - La châtaigneraie sur le haut du versant ont été établies dans des formations superficielles (Photo 23), dans laquelle les traversiers ont épaisses, sur lesquelles se sont développés des généralement disparu, et où apparaissent des sols très humifères. En 1843, ces terrasses traces d'érosion (formations superficielles à portaient des prés arrosés par un béal issu d'un nu dans des secteurs de ravines aux for- grand bassin de pierre sèche (gourgue) qui était mes molles, traces de ruissellement localisées, alimenté par le ruisseau de Valescure (Photos 14 arbres déchaussés). à 18). Ce béal a également servi à faire fonctionner un moulin aujourd'hui en ruine Mais le site de la Jasse est encore plus (Photos 19 et 20). remarquable. Ici, un interfluve d'une cinquantaine de mètres de largeur, non rocheux, offrant des Sur les pentes inférieures, des amorces de pentes très faibles pour la Vallée Obscure ravines ont été bloquées par des murs très (10-20°), porte des terrasses de plus de 2 mètres soignés, sous une châtaigneraie cultivée dont il de hauteur, appareillées de gros blocs et en très reste quelques témoins imposants (Photo 21). bon état (Photo 24). Plus bas encore, le versant finit au-dessus d'un étroit ravin, profond d'une dizaine de mètres. Un Des escaliers intégrés aux murs donnent pont franchit ce ravin (Photo 22), assurant un accès à des planches larges de plus de 10 m, très passage permanent entre les rives du Valescure, faiblement inclinées (3°). Des tancats coupent les ce que ne pouvait assurer le gué en amont de la valats qui encadrent ce secteur aux aména- gourgue. gements monumentaux. Plus haut sur le versant, alors que la pente atteint jusqu'à 20°, les murs 2 ) Les systèmes en bas de versant sont bas et peu travaillés. En montant encore, apparaissent de vieux châtaigniers et quelques Les secteurs aménagés en bas de versant vestiges de traversiers (voir Photo 3). Les affleu- sont légèrement perchés au-dessus des thalwegs. rements rocheux prennent de l'importance vers Ceux-ci ayant une forte pente, les terrasses 550 m d'altitude, limite soulignée par un vieux inférieures restent cependant irrigables par déri- sentier pavé ou calade. Au-dessus, ce sont les vation. chênes verts et les chênes pubescents qui domi- nent. Le passage du versant au thalweg peut être en pente relativement douce (la Claie Neuve, le Valat, la Clède) ou en pente très forte VI - CONCLUSION (Camplong, la Jasse). La mise en valeur de ces secteurs fut organisée autrefois à partir de modestes bâtiments dont les toponymes rappel- 31,6 % de la superficie de la Vallée Obs- lent la fonction : la Claie, la Clède, la Jasse. cure, beaucoup moins dans le vallon du Rouquet, L'habitat n'en était pas l'utilisation essentielle. portent les traces d'aménagements en terrasses et traversiers. Les terrasses abandonnées ont été Perché d'une vingtaine de mètres au-dessus généralement colonisées par le chêne vert, alors du valat des Abrits, le site de Camplong présente que les secteurs à traversiers sont encore large- différents éléments intéressants : ment couverts de châtaigneraies, même si celles- - Une source aménagée. ci ne sont plus exploitées (J. GRELU, 2006, dans le même fascicule). - Les restes d'un aiguier, sillon creusé oblique- ment à la pente pour protéger le mas et les Les terrasses ont eu une faible extension cultures des eaux de ruissellement. (43,1 ha dans la Vallée Obscure ; 8,4 ha dans le - Des terrasses, situées au-dessus du mas, qui vallon du Rouquet), limitée à quelques secteurs à portaient des mûriers en 1843, et qui étaient la topographie favorable, sur des replats coupant certainement arrosées à partir d'un tancat les versants ou très localement en fond de vallon. barrant le valat de Camplong. Quelques secteurs conservent des terrasses en - D'autres terrasses, plus éloignées du valat de bon état, mais celles-ci couvrent des superficies Camplong, qui étaient déjà envahies de chênes très réduites (6,0 ha dans la Vallée Obscure, verts à cette date. Toutes les terrasses sont 1,3 ha dans le vallon du Rouquet). 128

Les traversiers, qui protégeaient les châtai- du thalweg. gneraies de l'érosion, ont souffert encore plus que les terrasses de l'absence d'entretien au cours Mais surtout, les tancats étaient étroitement des dernières décennies. Construits de manière intégrés à l'aménagement des versants. Les sommaire sur des versants en pente forte, la dépôts accumulés derrière les murs empêchaient plupart sont détruits ou pour le moins en très la déstabilisation, par appel au vide, des pre- mauvais état. mières terrasses au-dessus des cours d'eau, phénomène qui était tout particulièrement sus- Les ouvrages barrant les thalwegs, essen- ceptible de se produire lors des épisodes torren- tiellement des tancats, mais aussi quelques tiels. Enfin, ces ouvrages servaient, comme les paissières dans le vallon des Abrits, forment un paissières, à dériver de l'eau pour l'arrosage des ensemble remarquable. Du fait de l'encaissement terrasses situées plus bas. des fonds de vallée, ces ouvrages n'ont pas permis la création de surfaces planes très éten- Dans la Vallée Obscure, comme sur l'ensem- dues. Cet objectif était du reste certainement ble des Cévennes, en dépit de précipitations secondaire, sinon des ouvrages auraient été systé- souvent très abondantes et intenses, les condi- matiquement construits dans les secteurs où les tions d'exploitation du milieu ne rendaient pas fonds de vallon sont évasés, alors qu'ils sont nécessaire la mise en place d'un réseau hydrau- concentrés dans ceux où les versant arrivent lique complexe, semblable par exemple à celui jusqu'au thalweg avec une pente forte. développé à Banyuls, pour assurer l'évacuation rapide des eaux vers les thalwegs. En effet, pour Les tancats ont une influence sur l'hydro- des raisons liées à la médiocrité des sols, logie et sur les transports solides. Le ralentis- l'extension des terrasses, vouées à une véritable sement des eaux provoqué par le remodelage du exploitation agricole, était modeste. Quelques profil en long des ruisseaux en une série de aiguiers suffisaient donc à assurer la gestion des sections planes, provoque l'allongement des eaux en excès dans les secteurs à terrasses. La montées de crue. En étiage, le rôle des tancats est priorité allait à la stabilisation des formations également positif, les eaux stockées derrière les superficielle dans la partie inférieure des ver- ouvrages après chaque orage étant évacuées sants, en pente très forte, ce qui a entraîné la lentement, ce qui soutient les débits (C. MARTIN multiplication des tancats. et al., 2005). Le rôle bénéfique des tancats en période estivale, était plus efficace lorsque les Construits généralement avec beaucoup de fonds de vallon étaient régulièrement défrichés, soin, et en utilisant des blocs de grande taille, car les eaux qui transitaient dans les dépôts les tancats sont pour une large partie d'entre retenus par les ouvrages se trouvaient protégées eux assez bien conservés. Ils font actuellement de l'évapotranspiration. Par ailleurs, le ralentis- l'objet d'une réhabilitation, à caractère pilote, sur sement des écoulements et la possibilité qui leur plusieurs thalwegs de la Vallée Obscure a été ménagée de déborder sur des surfaces (F. SCHULLER et al., 2006, dans le même fasci- planes, favorisent le dépôt de limons sur les cule). berges, les éléments grossiers restant dans l'axe

Remerciements : Nous sommes reconnaissants à Norbert GOMEZ, à Émile BORDARIER et à Jacques NOGARÈDE de nous avoir fait partager leurs connaissances sur la gestion traditionnelle du milieu, et à Jean-Louis PONCE de nous avoir communiqué des informations sur l'histoire de l'occupation des sols. Merci également à Jean-François DIDON-LESCOT et à Joël JOLIVET pour leur contribution aux illustrations.

RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES

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Photo 14 - Grande gourgue en amont du Château de la Vallée Obscure. Le mur à gauche (ouest) protège le réservoir des crues du Valescure, lequel s'encaisse rapidement vers l'aval (à droite). (cliché : J.M. CASTEX)

Photo 15 - Passages à travers le mur ouest de la gourgue permettant son alimentation par les eaux du Valescure (écoulement aérien et sous- écoulement). (cliché : J.F. DIDON-LESCOT)

Photo 16 - Mur nord de la gourgue avec les escaliers permettant de descendre dans le réservoir. Le mur surplombe le Valescure. Sur l'autre rive du ruisseau, on voit le départ d'un béal. (cliché : J.F. DIDON-LESCOT) 130

Photo 17 - La grande gourgue de la Vallée Photo 18 - Le béal en rive gauche Obscure vue de l'aval et le béal qui partait en rive du Valescure et à l'aval de la gourgue. gauche du Valescure et pouvait être alimenté par le (cliché : J.F. DIDON-LESCOT) réservoir. (cliché : J.F. DIDON-LESCOT)

Photo 19 - Ruine d'un moulin en rive gauche du ruisseau de Valescure et en aval de la gourgue (cliché : J.F. DIDON-LESCOT) 131

Photo 20 - Le fond du moulin en aval de la grande gourgue de la Vallée Obscure. On voit les conduits d'arrivée d'eau qui étaient alimentés par le béal venant du ruisseau de Valescure et de la gourgue. (cliché : J.F. DIDON-LESCOT)

Photo 21 - Très vieux châtaignier déchaussé au sud du Château de la Vallée Obscure. (cliché : J.M. CASTEX) 132

Photo 22 - Le pont sur le Valescure en aval de la grande gourgue de la Vallée Obscure. (cliché : J.F DIDON-LESCOT)

Photo 23 - Châtaigneraie sur pente très raide à l'amont de Camplong. (cliché : J.M. CASTEX)

Photo 24 - Terrasses monumentales à la Jasse. (cliché : J.M. CASTEX) 133

COLOMAR MARI A., sous la direction de historique de l'occupation du sol de la (2002) - Patrimoni de marjades a la commune de Mandagout (Gard). Mémoire de mediterrània occidental. Una proposta de Diplôme d'ingénieur en agronomie tropicale, catalogació. Édit. Consell de Mallorca, Montpellier, Centre d'études agronomiques Majorque, 243 p. des régions chaudes / École supérieure d'agro- nomie tropicale, 99 p. DECONCHY A. (2002) – Patrimoine hydraulique cévenol et ressource en eau en Vallée Borgne. PONCE J.L. (2006) - Éléments historiques sur Rapport de stage de fin d'études de diplôme l'occupation du site de Valescure du XIVème d'Agronomie approfondie, ENSA, Rennes, siècle au milieu du XIXème siècle. Ét. Géogr. 55 p. + annexes. Phys., supplément au n° XXXIII, Projet TERRISC, p. 83-91. GRELU J (2006) - Reforestation et sylviculture dans la Vallée Obscure et dans le vallon du SCHULLER F., GOMEZ N., GEORGES L., Rouquet – Vous avez dit "restauration des ROQUES G. et BARRÉ R. (2006) - Le projet terrains en montagne ?". Ét. Géogr. Phys., "Ressource en eau" : les efforts pour la supplément au n° XXXIII, Projet TERRISC, réhabilitation des tancats. Ét. Géogr. Phys., p. 109-117. supplément au n° XXXIII, Projet TERRISC, p. 143-153. MARTIN C., DIDON-LESCOT J.F., JOLIVET J., ALLIGNOL F., CASTEX J.M., FIANDINO M., SABATIER J.L., FONTANEL P. et MESTRE C. RAY D. et USSELMANN P. (2005) - Obser- (1996) - Mandagout, un paysage cévenol. In : vations complémentaires sur les fonction- Actes de l'atelier technique n° 1 du Pro- nements hydrologiques et hydrosédimentaires gramme ProTerra : Le système terrasses, de la Vallée Obscure (commune de Peyrolles). Définitions, outils et méthodes d'approche Rapport au SMAGE des Gardons, sous la (Cévennes, 1996), Édit. Centre méditerranéen direction de C. MARTIN, Édit. UMR 6012 de l'environnement / Agence Paysages, Avi- "ESPACE", 64 p. gnon, p. 5663-15. MESTRE C. (1992) - Éléments pour l'analyse 134 135

Carte hors texte 10 - Aménagements des versants en terrasses et tancats dans la Vallée Obscure. (d'après les observations de J.M. CASTEX et de N. GOMEZ et L. MAUDRICH ; réalisation : F. ALLIGNOL) 136 137

Carte hors texte 11 - Aménagements des versants en terrasses dans le vallon du Rouquet. (d'après les observations de J.M. CASTEX ; réalisation : F. ALLIGNOL) 138 139

Carte hors texte 12 - État actuel de conservation des terrasses dans la Vallée Obscure. (d'après les observations de J.M. CASTEX ; réalisation : F. ALLIGNOL) 140 141

Carte hors texte 13 - État actuel de conservation des terrasses dans le vallon du Rouquet. (d'après les observations de J.M. CASTEX ; réalisation : F. ALLIGNOL) 142 Ét. Géogr. Phys., Supplément au n° XXXIII, Projet TERRISC, 2006 143

LE PROJET "RESSOURCE EN EAU" : LES EFFORTS POUR LA RÉHABILITATION DES TANCATS

Frédéric SCHULLER (1), Norbert GOMEZ (2), Lionel GEORGES (3), Guillaume ROQUES (3) et Romuald BARRÉ (3)

(1) : Office national des forêts, Agence du Gard, 1 Impasse Alicante, 30001 NÎMES cedex 05. Courriel : [email protected] . (2) : Mairie de Peyrolles, 30124 PEYROLLES. Courriel : [email protected] . (3) : Syndicat mixte pour l'aménagement et la gestion équilibrée (SMAGE) des Gardons, Conseil général du Gard, 11 Place du 8 Mai, 34044 NÎMES cedex 09. Courriels : [email protected] ; [email protected] .

I - LES TANCATS : UN PATRIMOINE massif métamorphique cévenol (3300 km2). CÉVENOL À PRÉSERVER

II - LA MISE EN PLACE DU PROJET L'eau et les rivières sont depuis toujours ancrées au cœur de la vie sociale, économique et culturelle des communautés cévenoles. En C'est le site de la Vallée Obscure, sur la témoigne la multitude d'ouvrages hydrauliques commune de Peyrolles, aux confins de Saint- présents sur le territoire. Les techniques hydrau- Jean-du-Gard, qui a été choisi pour l'expéri- liques des anciens, fondées sur la mise en place mentation pilote. Une étude préliminaire sur la de murs construits en pierre sèche (tancats), ont ressource en eau y a été réalisée par un bureau façonné le territoire au cours des siècles. d'étude dans le cadre du programme LEADER (BCEOM, 2000). Ce site présente de multiples La très forte régression socio-économique avantages, tant d'un point de vue technique qu'une grande majorité du massif cévenol a (maîtrise du foncier, bassin versant homogène, connue depuis un demi-siècle, a considéra- abondance des ouvrages concernés : 465 ouvra- blement fragilisé, dans toutes ses composantes, ges recensés sur 4 km2) que de sa représentativité un territoire qui, situé en amont de régions à par rapport au contexte socio-économique local. forte densité de population, présente un caractère stratégique en terme de protection contre les Le projet s'inscrit dans une réelle démarche inondations et de gestion de la ressource en eau. de développement local. Il échappe donc, de par ses caractères pilote et expérimental, aux canaux Avec l'ensemble des aménagements anciens, traditionnels de financement et de mise en œuvre. les tancats participent aujourd'hui d'un patri- Il a nécessité la mise en synergie des actions de moine culturel reconnu, même s'il est malheu- multiples partenaires. Aux côtés du SMAGE des reusement en forte dégradation. Il est toutefois Gardons qui en assure la coordination, il associe encore difficile d'apprécier de façon certaine leur la Mairie de Peyrolles, l'Office national des impact sur la ressource en eau. forêts, le Conseil général du Gard, le Syndicat mixte départemental, le Conseil régional Le projet "Ressource en eau" a pour objectif Languedoc-Roussillon, l'Agence de l'eau Rhône- d'apporter des réponses à cet égard. Basé sur la Méditerranée-Corse, le Parc national des Céven- rénovation de tancats sur un bassin versant, il nes, la Direction régionale de l'environnement, le propose d'organiser un chantier pilote expéri- Conseil supérieur de la pêche, la Direction mental, accompagné d'un suivi scientifique départementale de l'agriculture et de la forêt, le rigoureux en hydrologie, pour évaluer précisé- Centre de formation professionnelle pour adultes ment l'intérêt d'une telle opération en terme de de , la Direction départementale du gestion alternative de la ressource en eau et son travail et de la formation professionnelle, l'Asso- éventuelle reproductibilité sur tout ou partie du ciation viganaise d'insertion, la Mission locale 144 jeunes et la Fédération des foyers ruraux. - la mise en œuvre de techniques de génie écologique visant la restauration de 15 km de Sur un territoire à très faible tissu éco- rivière et de 10 ha de terrasse. nomique, ce projet offre l'opportunité de créer une dynamique sociale de réinsertion, puis de Le travail a porté d'abord sur le valat des formation, visant à terme la création d'emplois Abrits et ses affluents (Fig. 1). Il s'est poursuivi qualifiés et la réintroduction d'un savoir-faire en 2005 sur les valats répertoriés V1 et V2 local. (A. DECONCHY, 2002), deux petits affluents de rive droite du ruisseau de Valescure, dans la Dans la perspective, en devenir, d'une prise partie moyenne de la Vallée Obscure. Les en compte de la globalité d'un territoire dans un opérations sont actuellement concentrées sur le contexte d'inter-communalité et de développe- ruisseau de la Bastide (V5) et ses affluents. ment durable, le projet vise à : - améliorer l'approvisionnement en eau des popu- 1 ) Organisation du chantier lations locales et de celles situées en aval ; - susciter des retombées en terme d'activités liées Fort de 22 personnes au démarrage, l'effectif à la ressource en eau (agriculture, pisciculture, s'est rapidement stabilisé entre 12 et 15 person- tourisme) ; nes, dont 2 à 3 encadrants (Tab. I). - créer une dynamique reproductible sur des terri- toires socialement et géologiquement compa- L'ensemble du personnel participe, par rables. roulement, aux différents types de travaux du chantier, de façon à ce que chacun acquière Le projet, initialement prévu pour une durée l'ensemble des techniques mises en œuvre. Les de trois ans, a débuté en janvier 2003 et a été différentes équipes sont constituées en fonction prolongé d'une année. Son échéance est donc en de l'ampleur des interventions à réaliser. décembre 2006. Les travaux de débroussaillement et de Le prolongement des chantiers d'insertion forestage s'effectuent de l'aval vers l'amont, avec successifs sous la forme d'un chantier qualifiant, toujours un ruisseau d'avance par rapport au reste alliant l'acquisition d'une forte expérience du chantier. L'équipe en charge de ces tâches pratique à une solide formation théorique, a réalise généralement dans la foulée, les travaux naturellement conduit certains membres du de terrassement préalables à la reconstruction et groupe vers l'acquisition d'un diplôme du Minis- stocke les pierres nécessaires à proximité des tère de l'Agriculture, orienté sur des travaux ouvrages. environnementaux et la restauration des ouvrages en pierre sèche. Grâce à cette façon de procéder, les travaux de construction peuvent ensuite être réalisés en Les personnes ayant acquis à la fois l'expé- sens inverse, de l'amont vers l'aval, ce qui facilite rience pratique du chantier pilote et une solide la manutention des pierres en surnombre récu- formation théorique qualifiante, seront à même pérées pour l'ouvrage suivant. L'ensemble du de servir de relais dans l'optique d'un élargisse- personnel affecté aux tâches de construction est ment du projet. mobilisé sur le même thalweg, afin d'éviter une dispersion géographique des équipes et de faci- liter l'encadrement par le chef de chantier. III - LA RÉHABILITATION DES TANCATS 2 ) Approche technique

Le chantier de réhabilitation des tancats, qui De janvier 2003 à décembre 2005, plus de accumulera au total un minimum de 35000 35000 heures de travail ont été effectuées heures de travail, représente concrètement : (Tab. II). - la réouverture ou la création de 22 km de sentiers ; a. Débroussaillement - la rénovation de 320 ouvrages d'art et de plus de Hormis les activités cynégétiques dont l'im- 800 m2 de murs de terrasses ; pact se résume au maintien ouvert de quelques 145

Figure 1 - Localisation des secteurs traités (Abrits, V1, V2 et Bastide). chemins, le territoire n'a subi que très peu garantir de bons résultats, mais aussi et surtout de d'interventions humaines depuis de nombreuses préserver au mieux la motivation et la santé du décennies. L'augmentation naturelle de la bio- personnel. masse, et plus particulièrement de la végétation Ce besoin de mécanisation, qui s'est broussailleuse, rend totalement impénétrable les concrétisé par l'acquisition d'un transporteur à abords des cours d'eau. Préalablement à toute chenilles, résultait des contraintes suivantes : intervention, un important débroussaillement, bien supérieur à ce que nécessiterait un simple - éloignement croissant des zones de travail par entretien, est donc indispensable sur les deux rapport aux pistes accessibles par véhicules rives de chaque valat, afin : classiques (pénibilité, allongement des temps d'accès) ; - de permettre l'accès au chantier ; - adaptation des techniques de travail sur le - de réaliser les opérations de forestage de façon chantier, conduisant à l'emploi de matériels rationnelle et dans des conditions de sécurité relativement lourds (palans, chaînes, treuil) ; optimale ; - approvisionnement en pierres lorsque les maté- - d'observer les ouvrages dans leur intégralité et riaux font défaut à proximité immédiate des d'évaluer tous les problèmes concernant leur ouvrages à restaurer (cela est souvent le cas ancrage dans la partie amont des bassins versants, où les matériaux des formations superficielles sont b. Cheminement très altérés) ; L'expérience acquise au cours du premier - approvisionnement en eau potable durant la semestre, a vite fait apparaître l'impérieuse saison chaude, afin de pallier les risques de nécessité de mécaniser les transports, afin de déshydratation du personnel. 146

Tableau I - Évolution des effectifs du chantier de janvier 2003 à juin 2005. Date CEC CES Total Encadr. Observations Effectif de départ Janvier 2003 20 20 2 Effectif fin 2003 Décembre 2003 10 10 3 Effectif fin 3ème Janvier - Juin 10 2 12 3 semestre 2004 - 2 accessions en CDI Non renouvellement Décembre 2004 -3 - 1 projet d'installation de contrat agricole Effectif fin 4ème Juillet - Décembre 729 3 semestre 2004 Embauche 10/01/05 +2 +2 - dont 1 bénéficiaires RMI complémentaire Rupture de contrat 11/02/05 -1 -1 - 1 accession en CDI Embauche 01/03/05 +1 +1 - 1 bénéficiaire RMI complémentaire - 1 projet d'installation Fin de contrat 25/04/05 -1 -1 agricole Effectif fin 5ème Janvier - Juin 73103 semestre 2005 Effectif fin 6ème Juin - Décembre 73103 semestre 2005 Encadr. : personnel d'encadrement.

Tableau II - Récapitulatif du total des travaux effectués (ventilation par semestre). 1er 2ème 3ème 4ème 5ème 6ème Total semestre semestre semestre semestre semestre semestre général Nombre d'heures 5220 4785 7150 5683 7430 4514 34782 travaillées Travaux Débroussaillement et 1234 1094 1316 434 291 0 4369 forestage (ml) Cheminement 0 581 1692 1069 0 400 3742 transporteur (ml) Nombre d'ouvrages 34 87 71 39 45 30 306 restaurés Construction en pierre 249 391 638 459 1170 614 3521 sèche (m3) Terrassement des fosses 51 91 117 39 78 29 405 de dissipation (m3) ml : mètre-linéaire.

c. Forestage opérations d'abattage sur ce chantier revêt des aspects particuliers de complexité et de Par mesure de sécurité, le forestage propre- dangerosité (arbres penchés et déséquilibrés, ment dit ne s'effectue qu'après les opérations fibres torses ou sous tension, mauvais état de débroussaillement et de nettoyage des réma- sanitaire, cépées avec brins de fort diamètre, nents. Compte tenu de la nature du terrain et topographie très accidentée). des essences rencontrées, la majeure partie des 147

Sont éliminées : - l'écrêtage des crues lors des épisodes pluvieux - systématiquement, les tiges situées dans le lit intenses ; mineur du ruisseau et/ou menaçant directement - le ralentissement de l'écoulement des eaux en les ouvrages ; étiage, du fait de la formation d'épaisses - sélectivement, les tiges situées sur les berges, couches de sédiments, ayant un rôle d'éponge, notamment lorsque leur état sanitaire laisse en amont de chaque ouvrage ; présager leur chute prochaine et un risque de - enfin, l'établissement et l'enrichissement des création d'embâcle. terrasses en utilisant le surplus des sédiments accumulés derrière les tancats. Après abattage, les troncs sont billonnés et stockés hors crue sur les berges, alors que les Le freinage maximal des crues et la houppiers sont débités et brûlés dans les mêmes sauvegarde des ouvrages étaient obtenus, d'une conditions que la végétation broussailleuse. part, par la création d'une fosse de dissipation au pied de chaque ouvrage et, d'autre part, par le Un dessouchage est réalisé chaque fois que maintien d'une pente montante de l'amont vers le système racinaire subsistant menace directe- l'aval en arrière des ouvrages (Fig. 2). Sur beau- ment un ouvrage. coup de petits valats, faute d'entretien, et du fait de la relative faiblesse des écoulements, les d. Travaux de terrassement et de construction fosses se sont comblées et les pentes entre deux Le réseau d'ouvrages constitué par les tancats ont été inversées. anciens avait vraisemblablement un triple but, à savoir :

Fosse Contre pente Secteur en tête de vallon

Saturation en eau des sédiments et débordement par dessus les ouvrages

SocleSocle

Figure 2 - Fonctionnement d'un système à tancats sur un petit valat en pente forte.

La construction et même la réhabilitation de - évacuation aisée sur les berges voisines (pré- terrasses n'étant évidemment pas au programme sence de surfaces planes) ; de ce chantier, et dans l'optique d'un retour à - utilisation pour reconstituer la pente en l'état initial des tancats mentionné précédem- contrebas de l'ouvrage situé directement en aval ment, le surplus des sédiments devient un sérieux (dans le cas d'un déficit de matériaux après cet handicap qui influence très fortement la nature ouvrage) ; des travaux sur chaque thalweg. - rehausse de l'ouvrage aval si la topographie Plusieurs cas de figure se présentent selon la empêche toute évacuation. destination possible des sédiments enlevés pour Les travaux de rénovation stricto sensu rétablir un profil en long satisfaisant : varient aussi considérablement selon l'état de 148 dégradation des ouvrages : d'exécution, pour répondre à des problématiques - Ceux peu dégradés font l'objet d'une purge au liées à la sécurité des personnes et aux niveau des brèches, afin d'établir les travaux de spécificités des secteurs à restaurer : rénovation sur des bases saines. - nomination de chefs d'équipes, contrôlés par un - Pour ceux présentant une détérioration très chef de chantier, en encadrement direct sur le importante (75 % et plus), le chantier fait l'objet terrain ; d'un décaissage jusqu'au socle rocheux, afin de - séparation systématique des différentes opéra- retrouver une assise stable. tions à réaliser, leur simultanéité sur un même - Enfin, un terrassement important est parfois lieu augmentant considérablement les risques nécessaire pour reconstituer des ancrages d'accidents. solides sur les côtés. Dans ce cas, les travaux peuvent déborder sur les terrasses directement Cependant, compte tenu de l'ampleur et de la contiguës, lorsqu'elles participent directement à complexité des travaux entrepris, des choix l'ancrage latéral des tancats. techniques compatibles avec les échéanciers, les moyens mis en œuvre et une recherche de Dans un souci d'efficacité, certains tancats reproductibilité du projet, ont dû être dégagés. sont remplacés par des ouvrages plus légers, Ces choix ont été déterminés à la lumière des appelés ratchs. Cela est le cas lorsque : interventions réalisées, des résultats issus du suivi - les ouvrages anciens avaient pour seule fonction scientifique, de visites spécifiques et en accord la rupture des vitesses d'écoulement (avec peu avec les deux principes de bases, à savoir : de sédiments stockés) ; - la recherche d'une restauration partielle pré- - le substrat n'offre plus une assise correcte pour sentant une efficacité optimale, plutôt que la supporter un ouvrage ; restauration complète illusoire d'un système - les ouvrages sont situés dans la partie amont des (compte tenu de la masse des travaux néces- valats, et plus particulièrement dans les têtes de saires) ; vallon en amphithéâtre. - une évaluation de la reproductibilité des opé- En plus des outils manuels classiques rations en traitant un ensemble de bassins de (pioches, pelles, barre à mine, etc.), le chantier natures différentes, permettant d'englober un utilise un système de palan et de chaînes. Posi- éventail maximal de paramètres et de con- tionné au dessus de l'ouvrage à traiter, ce système traintes. permet la manipulation de blocs de grandes dimensions (Photo 1). Du fait de l'hétérogénéité du bassin versant du Valescure, une multitude de paramètres et de La réhabilitation des tancats a donné des contraintes peuvent se combiner, ce qui est peu résultats particulièrement spectaculaires sur le compatible avec l'application d'un protocole valat répertorié V2. Le vallon étant peu encaissé d'intervention systématique. Chaque décision de (Photo 2), la pente du thalweg est partout très réaliser ou non la restauration d'un ouvrage, ou forte, si bien que les ouvrages sont extrêmement d'un ensemble d'ouvrages, est le résultat d'une rapprochés (comme représenté sur la figure 2). adaptation aux conditions particulières du site : En amont de la confluence avec le ruisseau - le rôle et la position du valat dans le système de Valescure, le dispositif se termine par un global du bassin ; bassin sous voûte qui recueille les eaux de sous- écoulement (Photo 3). Les planches photogra- - le rôle et la position de l'ouvrage au sein du phiques 4 à 6 montrent l'état des ouvrages tel valat (positionnement amont/aval, stabilité des qu'il est apparu après déforestation, et la progres- ouvrages aval) ; sion des travaux de réhabilitation au cours de - la nature du substrat dans le lit du valat l'année 2005. (possibilité d'assise correcte) ; - l'importance de la pente amont/aval (rôle significatif en écrêtage de crue) ; IV - CONCLUSION : SPÉCIFICITÉS DU - les dimensions de l'ouvrage (le volume des CHANTIER ET PERSPECTIVES sédiments stockés derrière le tancat est évi- demment important pour la ressource en eau) ; - le relief et la nature du substrat des berges sur le Malgré une réflexion poussée sur les con- tronçon concerné (possibilité d'ancrage, possi traintes techniques et l'organisation du chantier, bilité d'évacuation des sédiments déblayés) ; des adaptations ont été nécessaires, en cours 149

Photo 1 - Manipulation d'un bloc sur le chantier de réhabilitation des des tancats. (cliché : J.F. DIDON-LESCOT)

Photo 2 - Le vallon V2 vu de la route d'accès au Château de la Vallée Obscure. (cliché : J.M. CASTEX)

Photo 3 - Bassin-source sous voûte dans la partie inférieure du valat V2. (cliché : G. ROQUES) 150

Mars 2005.

Mai 2005.

Photos 4 - Réhabilitation de tancats dans la partie amont du vallon V2 entre mars et mai 2005. (clichés : G. ROQUES) 151

Mars 2005.

Août 2005.

Photos 5 - Réhabilitation de tancats dans la partie intermédiaire du vallon V2 entre mars et août 2005. (clichés : G. ROQUES) 152

Mars 2005.

Août 2005.

Novembre 2005.

Photos 6 - Progression des travaux sur un tancat barrant l'affluent nord du valat V2, entre mars et novembre 2005. (clichés : G. ROQUES) 153

- la disponibilité des matériaux (proximité de - la possibilité de mettre en place des sentiers blocs pour la construction). d'interprétation ou de découverte ; - l'organisation de visites pédagogiques avec des L'approche technique réalisée au cas par cas scolaires ; par les équipes d'intervention, se doit donc de - le développement d'activités liées directement répondre à une analyse multicritères aboutissant ou indirectement au tourisme ; presque toujours à des choix découlant de nom- breux compromis. - un rapprochement avec la Maison de l'Eau (Centre de découverte de l'eau aux Plantiers) ; Au delà du chantier de réhabilitation, des - et une démarche de classement des vallées perspectives de valorisation de l'investissement cévenoles au patrimoine mondial de l'humanité consenti sur la Vallée Obscure sont envisagées, (UNESCO). en particulier :

RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES

BCEOM (2000) - Patrimoine hydraulique du DECONCHY A. (2002) – Patrimoine hydraulique bassin de la Vallée Obscure. Maîtrise cévenol et ressource en eau en Vallée Borgne. traditionnelle des eaux dans les Cévennes. Rapport de stage de fin d'études de diplôme Rapport BCEOM, 71 p + annexes. d'Agronomie approfondie, ENSA, Rennes, 55 p. + annexes. 154 155

Numéro imprimé sur les presses de l'imprimerie La Nef Chastrusse à Bordeaux

Dépôt légal : 3ème trimestre 2006 ÉTUDES DE GÉOGRAPHIE PHYSIQUE

Supplément au n° XXXIII - 2006

RÉSUMÉ

Cet ouvrage collectif constitue la première de deux publications qui seront réalisées par les Études de Géographie Physique à partir des recherches menées en Cévennes dans le cadre du projet européen (INTERREG IIIB) TERRISC (2004-2006) : Récupération des paysages de terrasses et prévention des risques naturels.

L'ouvrage regroupe onze articles. Les quatre premiers sont consacrés à la présentation générale des Cévennes et des systèmes de terrasses de culture cévenols. Les sept suivants focalisent sur deux petits bassins versants témoins, la Vallée Obscure (4 km2) et le vallon du Rouquet (1 km2). Ces deux bassins ont servi de terrain d'étude pour les phénomènes hydrologiques et hydrosédimentaires, mais les résultats de ces travaux ne seront rapportés qu'en 2007. Dans le présent fascicule, les articles s'attachent à décrire les bassins et à expliquer comment s'est organisée et a évolué l'occupation du milieu.

Dans sa première partie, l'ouvrage dresse le tableau du contexte cévenol, offre une synthèse sur l'histoire et l'utilisation de l'espace, précise le rôle joué par le Parc national des Cévennes dans la sauvegarde des savoir-faire relatifs à la pierre sèche, et donne des exemples de remise en valeur de terrasses de culture en Cévennes.

Les textes sur la Vallée Obscure et le vallon du Rouquet décrivent le milieu physique, étudient l'évolution de l'occupation du sol et de la couverture végétale (en remontant jusqu'au XIVème siècle), précisent les caractères des aménagements anciens et leur état de conservation, enfin soulignent les efforts actuels en vue de réhabiliter une partie au moins des très nombreux ouvrages (tancats) qui barrent les thalwegs de la Vallée Obscure. En multipliant les sections planes séparées par des chutes, les tancats exercent évidemment une influence modératrice sur l'énergie des écoulements de crue. De plus, en ralentissant l'évacuation des eaux, ces ouvrages participent au soutien des débits d'étiage.

L'ouvrage s'appuie sur une abondante cartographie : treize cartes hors texte, dont douze consacrées à la Vallée Obscure et au vallon du Rouquet. Les cartes de l'occupation du sol en 1843 (cadastre napoléonien) et du couvert végétal en 2001, permettent de visualiser les modifications intervenues entre ces dates dans la Vallée Obscure. Le couvert boisé était jadis constitué de châtaigneraies, exploitées sur des versants souvent coupés de petits murets (traversiers), et d'yeuses pâturées. Les zones cultivées (mûriers et prés) avaient une extension trop modeste pour que la forte déprise qui a touché le secteur depuis la fin du XIXème siècle, ait provoqué un accroissement sensible des superficies boisées. Les quelques parcelles plantées de résineux au début du XXème siècle ne sont du reste pas toutes localisées sur les anciennes terrasses de culture. Toutefois le paysage a certai- nement beaucoup évolué, du fait de la densification des arbres et de l'envahissement des yeuses par les essences du maquis, parfois associées au pin maritime. Cette évolution a pour conséquence une augmentation du risque d'incendie, même si les Cévennes ne font pas figure de région particulièrement menacée.

Mots clés : histoire, occupation du sol, terrasses de culture, aménagements hydrauliques, végétation actuelle, savoir-faire de la pierre sèche, analyse spatiale, Cévennes.