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Transposition Musique et Sciences Sociales

4 | 2014 Musique et conflits armés après 1945 Music and Armed Conflicts after 1945

Luis Velasco-Pufleau (dir.)

Édition électronique URL : http://journals.openedition.org/transposition/407 DOI : 10.4000/transposition.407 ISSN : 2110-6134

Éditeur CRAL - Centre de recherche sur les arts et le langage

Référence électronique Luis Velasco-Pufleau (dir.), Transposition, 4 | 2014, « Musique et conflits armés après 1945 » [En ligne], mis en ligne le 15 juillet 2014, consulté le 28 septembre 2020. URL : http://journals.openedition.org/ transposition/407 ; DOI : https://doi.org/10.4000/transposition.407

Ce document a été généré automatiquement le 28 septembre 2020.

La revue Transposition est mise à disposition selon les termes de la Licence Creative Commons Attribution - Partage dans les Mêmes Conditions 4.0 International. 1

SOMMAIRE

Présentation

Musique et conflits armés après 1945

Articles

Définir le peuple et sa musique : les débats sur le dans la presse de gauche pendant et après la guerre civile grecque (1946-1961) Panagiota Anagnostou

Un bruit lointain ? Les musiciens chiliens face à la Guerre du Vietnam (1965-1975) Mauricio Gómez Gálvez

Conflits armés, idéologie et technologie dans Für Paul Dessau de Luigi Nono Luis Velasco-Pufleau

Borrowed Tunes. Commando and Morale Booster Songs of RUF Fighters in the Sierra Leone War Cornelia Nuxoll

Pathways to music torture Morag Josephine Grant

Varia Musique et conflits armés avant 1945

Mourning at the Piano: Marguerite Long, Maurice Ravel, and the Performance of Grief in Interwar France Jillian Rogers

Traduction

« Vous êtes dans un lieu hors du monde... » : la musique dans les centres de détention de la « guerre contre la terreur » Suzanne G. Cusick

Afterword to “You are in a place that is out of the world…”: Music in the Detention Camps of the “Global War on Terror” Suzanne G. Cusick

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Entretiens

La musique comme voie possible d’une histoire comparée des conflits armés. Entretien avec Didier Francfort Luis Velasco-Pufleau

De la musique à ses objets et ses images. Entretien avec Florence Gétreau Fanny Gribenski et Isabelle Mayaud

Comptes-rendus de lecture

Allan W. Atlas, La musique de la renaissance en Europe, 1400-1600 Turnhout, Brepols, coll. « Épitome musical », 2012, XXIX+955 p. Cindy Pédelaborde

Stéphane Audoin-Rouzeau, Esteban Buch, Myriam Chimènes et Georgie Durosoir (dir.), La Grande Guerre des musiciens Lyon, Symétrie, coll. « Perpetuum mobile », 2009, 248 p. Étienne Jardin

Annegret Fauser, Sounds of War. Music in the United States during World War II New York, Oxford, Oxford University Press, 2013, 384 p. Esteban Buch

Martin Iddon, Music at Darmstadt. Nono, Stockhausen, Cage, and Boulez Cambridge, Cambridge University Press, 2013, 349 p. Annelies Fryberger

Beate Kutschke, Barley Norton (éds.), Music and Protest in 1968 Cambridge, New York, Cambridge University Press, 2013, 342 p. Pierre Albert Castanet

Morag J. Grant and Férdia J. Stone-Davis (éds.), The Soundtrack of Conflict: The Role of Music in Radio Broadcasting in Wartime and in Conflict Situations Hildesheim, Georg Olms Verlag, 2013, 253 p. Huw Hallam

Márta Grabócz (dir.), Les opéras de Peter Eötvös entre Orient et Occident , Éditions des archives contemporaines, 2012, 174 p. Béatrice Ramaut-Chevassus

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Présentation Introduction

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Musique et conflits armés après 1945 Music and Armed Conflicts after 1945

1 Dans son ouvrage De la guerre, paru pour la première fois en 1832, Carl von Clausewitz affirme que la guerre se situe à l’intérieur des rapports politiques : elle serait un véritable « instrument politique, une continuation des rapports politiques, la réalisation des rapports politiques par d’autres moyens1 ». Ainsi, l’un des apports les plus importants de la pensée de Clausewitz à la compréhension de la guerre, résultant de ce postulat, serait que celle-ci ne constitue pas la rupture d’un processus, un moment liminaire en dehors des rapports sociaux et politiques, mais leur continuation – « la politique existe avant la guerre, elle se poursuit à travers la guerre dans la décision d’engagement des forces armées et continue après la guerre ; à aucun moment son cours n’est interrompu2 ».

2 Inversement, la guerre agit sur le politique3 du fait qu’elle a la capacité de reconfigurer durablement les rapports sociaux, les cadres sensibles, les codes symboliques et les dispositifs mémoriels des sociétés concernées. Elle implique donc une mobilisation de ressources symboliques, de discours et de pratiques de la part des acteurs qui va bien au-delà de l’engagement armé et des violences qui en découlent. C’est ainsi que la réflexion sur les rapports entre les conflits armés, d’une part, et les œuvres et les pratiques musicales (en tant que ressources et objets symboliques) d’autre part, peut être d’une grande utilité pour penser aussi bien les processus mis en œuvre dans les dynamiques de la violence armée que les processus de création, d’appropriation et de mobilisation propres à l’objet musical.

3 Les recherches historiques et musicologiques sur le rôle des œuvres et des pratiques musicales au sein des conflits armés – ainsi que celles sur l’impact des conflits sur les œuvres et les pratiques musicales – ont connu un essor significatif durant les trois dernières décennies4, notamment en ce qui concerne les deux guerres mondiales du XXe siècle 5. De même, les recherches sur les liens entre musique et violence6 ou musique et contestation7, ainsi que sur les rapports entre la musique et les régimes autoritaires et totalitaires8 ont eu une influence – directe ou indirecte – sur le développement de cet objet d’étude. Enfin, les recherches sur les rapports entre la

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musique et les conflits armés contemporains ont trouvé une place significative au sein des conflict transformation studies9, lesquelles ont participé à la consolidation d’une approche interdisciplinaire où l’objet musical occupe une place centrale. Le dossier du quatrième numéro de Transposition. Musique et sciences sociales participe du développement de cette réflexion sur les rapports entre les œuvres, les pratiques musicales et les conflits armés d’après 1945. Ce choix chronologique se justifie par la relative absence de recherches en musicologie sur les conflits armés contemporains, en regard notamment de la richesse des travaux traitant par exemple des deux guerres mondiales. Il a semblé nécessaire au comité de rédaction de Transposition d’ouvrir ici un espace de réflexion qui aborderait le rôle des œuvres et des pratiques musicales dans divers contextes géopolitiques, au sein de différentes zones géographiques dans lesquelles la violence armée s’est établie, mais qui traiterait aussi de l’impact des conflits contemporains sur la création musicale elle-même10.

4 De manière générale, les articles qui constituent ce numéro peuvent être regroupés en suivant trois axes différents mais non exclusifs : ceux qui analysent le déclenchement des processus d’identification des différents acteurs engagés dans les conflits armés par le biais de la création ou de la mobilisation d’œuvres et de pratiques musicales ; ceux qui étudient les utilisations et les appropriations des œuvres musicales par des acteurs engagés dans la violence armée ; ceux, enfin, qui analysent la fonction sociale qu’ont les œuvres et les pratiques musicales de sublimer la souffrance provoquée par ces conflits. Ces textes mettent en exergue la participation des œuvres et des pratiques musicales à la ritualisation des actions et violences liées aux conflits armés, ainsi qu’aux modalités mémorielles qui en découlent : l’entraînement des combattants, l’engagement des musiciens vis-à-vis de la guerre, les pratiques de torture, les processus de consolidation des imaginaires sociaux ou encore la sublimation de la tristesse associée au deuil.

5 L’article de Panagiota Anagnostou analyse ainsi les débats provoqués par le rebetiko dans la presse de gauche dans le contexte de la guerre civile grecque. L’auteure étudie comment la catégorie de « peuple » se reconfigure dans les débats des intellectuels grecs de l’après-guerre à propos du rebetiko et de quelle façon la recherche d’une musique « authentiquement populaire » vient remplacer « la question de la “musique nationale”, qui a intensément préoccupé les intellectuels de toute orientation depuis la fin du XIXe siècle ». S’appuyant sur une vaste documentation, Anagnostou examine le rôle de la musique dans les processus d’institutionnalisation de la mémoire sociale liée au conflit armé grec. Elle montre de quelle façon « la construction de la catégorie semi- imaginaire du “vrai” rebetiko suscite un intérêt pour le passé, un intérêt conforme à l’époque : plus on s’éloigne de la défaite lors de la guerre civile, plus le besoin de comprendre et, jusqu’à un certain point, de remodeler le passé récent apparaît ».

6 La capacité de la musique à enclencher des processus d’identification est aussi analysée par Mauricio Gómez Gálvez à propos de l’engagement des musiciens chiliens contre la guerre du Vietnam. L’analyse de l’auteur part de l’hypothèse selon laquelle, dans le contexte du Chili de Salvador Allende, « la lutte contre la guerre du Vietnam, en tant que facteur majeur de mobilisation et de cohésion sociale, joue un rôle important dans l’éclosion de formes d’art politiquement engagé, y compris la musique, consolidant – et préfigurant parfois – les manifestations les plus caractéristiques de la période de l’Unité Populaire ». L’auteur étudie les modalités et la portée de l’opposition des musiciens chiliens contre la guerre du Vietnam, notamment les représentants de la

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Nouvelle chanson chilienne, montrant la pluralité des genres et des styles musicaux mobilisés.

7 Pour sa part, l’article de Luis Velasco-Pufleau explore les rapports entre idéologie, technologie et conflits armés dans l’œuvre Für Paul Dessau de Luigi Nono. Pour l’auteur, cette œuvre « répond à la problématique concrète de la politisation de la musique durant la Guerre froide : l’utilisation stratégique de la création musicale et de la technologie au service d’un idéal politique ». Ainsi, s’appuyant sur les notions d’idéologie, d’intellectuel et d’hégémonie, Velasco-Pufleau analyse de quelle façon Nono identifie et mobilise les luttes de libération du tiers-monde dans son œuvre et étudie les enjeux esthétiques et politiques de l’engagement communiste du compositeur italien. Il montre enfin comment, « grâce aux moyens offerts par l’électronique, Für Paul Dessau “transpose” et relie symboliquement les voix d’un archipel de luttes politiques et de conflits armés du XXe siècle ».

8 Cornelia Nuxoll examine de son côté la question du transfert des pratiques musicales en contexte de violence armée, via l’appropriation et l’usage des chants de commandement et de motivation par les combattants du Revolutionary United Front (RUF) durant la guerre civile en Sierra Leone. À partir d’une approche socio- anthropologique, l’auteure souligne l’influence, dans ce conflit, du répertoire et des pratiques musicales initialement développés lors de la guerre civile au Libéria, en étudiant l’adaptation contrefactuelle des paroles et mélodies des chants mais aussi leur efficacité émotionnelle dans l’entraînement des combattants du RUF et dans l’enclenchement de la violence armée. La musique fait partie des rituels quotidiens qui permettent aux combattants d’affronter et d’appréhender collectivement l’expérience de la guerre.

9 Les usages des œuvres et des pratiques musicales pour encadrer ou pour canaliser la violence armée sont multiples et ont une histoire spécifique, ainsi que le montre le texte de Morag Josephine Grant concernant l’utilisation de la musique dans des pratiques de torture. L’auteure analyse, dans cet article, cinq voies différentes – mais interconnectées – de ces usages, certaines très anciennes, comme la tradition militaire, ou d’autres plus récentes, comme l’utilisation de la musique dans les pratiques de privation sensorielle développées durant la guerre froide et mises en œuvre actuellement, notamment par l’armée des États-Unis dans le cadre de leur « guerre contre la terreur ». Grant analyse cette évolution dans une perspective historique, soulignant les rapports de domination et les conceptions philosophiques de l’être humain qui sous-tendent cette utilisation de la musique, ainsi que la dimension politique de ces pratiques.

10 Cette utilisation récente de la musique comme instrument de torture, notamment par l’armée des États-Unis, a provoqué d’importants débats outre-Atlantique11. Afin de faire part aux lecteurs francophones des problématiques éthiques, artistiques, politiques et sociales soulevées par ces pratiques, le comité de rédaction de Transposition a décidé de traduire et de publier en français un article important de Suzanne G. Cusick sur le sujet12. Dans ce texte, l’auteure livre des témoignages d’anciens prisonniers et d’anciens militaires ayant subi ou pratiqué ces méthodes en Irak, en Afghanistan, au Pakistan et à Cuba. Elle y montre le caractère systématique et réfléchi de ces pratiques de torture, rendant compte des spécificités et des conséquences de l’implication de la musique dans ces actes. Les recherches de Cusick ont eu un impact considérable sur la connaissance publique de ces méthodes, ainsi que sur la condamnation de l’utilisation

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de la musique dans tout acte de torture de la part de la communauté académique et artistique aux États-Unis13. Suite à la demande du comité de rédaction de Transposition, Suzanne G. Cusick a écrit un texte sous forme d’épilogue pour accompagner la publication de cette traduction. Elle y fait un état des lieux des principales recherches menées depuis la publication de son article en 2008.

11 Ce dossier thématique est accompagné d’un article de Jillian Rogers, qui porte sur les liens entre la création musicale de Maurice Ravel, la pratique du piano de Marguerite Long et le processus de deuil en France dans le contexte de la Première Guerre mondiale. Dans ce texte, l’auteure analyse comment la pratique du piano était considérée, dans la France de la Grande Guerre, comme salutaire pour affronter la tristesse provoquée par l’expérience de la guerre. Elle montre ensuite de quelle façon, « en composant Le Tombeau de Couperin dans le style du jeu perlé que son amie Marguerite Long préférait, Ravel lui a donné l’occasion de faire [le] deuil [de son époux mort au combat en 1914] à travers un jeu pianistique répétitif, rythmique et exigeant sur le plan kinesthésique, susceptible, pensait-on, d’engendrer une transformation émotionnelle ». Cet article met ainsi en perspective cette dimension émotionnelle des pratiques musicales dans leur interaction avec l’expérience collective de la guerre et la douloureuse intimité du deuil.

12 Le numéro est complété par deux entretiens avec des chercheurs français – Florence Gétreau et Didier Francfort – qui ont travaillé, ou qui travaillent, sur les liens entre la musique et les conflits armés. Dans le premier entretien, Didier Francfort partage avec nous l’importance qu’a eue la musique dans son parcours d’historien, notamment dans la consolidation d’une approche comparée des faits historiques et des pratiques culturelles, et ouvre un dialogue sur la mobilisation par des acteurs divers des œuvres et des pratiques musicales au sein des conflits armés. Dans le second entretien, Florence Gétreau retrace son parcours de chercheuse et de conservatrice de musée et présente certains de ses projets actuels, notamment l’exposition Entendre la guerre : sons, musiques et silence en 14-18, organisée par l’Historial de Péronne à l’occasion du centenaire de la Première Guerre mondiale.

13 À partir de ce numéro, Transposition. Musique et sciences sociales sera publiée sur la plateforme de revues en sciences humaines et sociales revues.org. Cette nouvelle étape dans la vie de la revue réaffirme l’engagement du comité de rédaction en faveur de la diffusion en libre accès des recherches originales en musicologie et en sciences sociales portant sur les différentes facettes de l’objet musical.

NOTES

1. CLAUSEWITZ, Carl von, De la guerre, édition abrégée et présentée par Gérard de Chailand, traduction de l’allemand par Laurent Murawiec, Paris, Perrin, 2006, p. 56. 2. DESPORTES, Vincent, Comprendre la guerre, Paris, Economica, 2001, p. 17.

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3. Entendu ici dans le sens que lui donne Jacques Rancière : « l’activité qui reconfigure les cadres sensibles au sein desquels se définissent des objets communs » (RANCIÈRE, Jacques, « Les paradoxes de l’art politique », in Le Spectateur émancipé, Paris, La Fabrique, 2008, p. 66). 4. À titre indicatif, voir le récent ouvrage dont le compte-rendu est publié dans ce numéro, GRANT, Morag J. et STONE-DAVIS, Férdia J. (éd.), The Soundtrack of Conflict: The Role of Music in Radio Broadcasting in Wartime and in Conflict Situations, Hildesheim, Georg Olms Verlag, 2013. 5. Voir par exemple AUDOIN-ROUZEAU, Stéphane, BUCH, Esteban, CHIMÈNES, Myriam et DUROSOIR, Georgie (dir.), La Grande Guerre des musiciens, Lyon, Symétrie, coll. « Perpetuum mobile », 2009 ; DOÉ DE MAINDREVILLE, Florence, ETCHARRY, Stéphan (dir.), La Grande Guerre en musique. Vie et création musicales en France pendant la Première Guerre mondiale, Bruxelles, P.I.E. Peter Lang, coll. « Études de Musicologie/Musicological Studies », 2014 ; FAUSER, Annegret, Sounds of War. Music in the United States during World War II, New York, Oxford, Oxford University Press, 2013. 6. Par exemple, voir à ce sujet le numéro 10 de Trans. Revista intercultural de música (en ligne, http://www.sibetrans.com/trans/publicacion/5/trans-10-2006) ainsi que FAST, Susan et PEGLEY, Kip (éd.), Music, Politics and Violence, Middletown, Westleyan University Press, 2012. 7. Voir par exemple KUTSCHKE, Beate et NORTON, Barley (éd.), Music and Protest in 1968, Cambridge, New York, Cambridge University Press, 2013. 8. Sur ce sujet, voir plusieurs articles de la revue en ligne Music and Politics (http:// quod.lib.umich.edu/m/mp) ou l’ouvrage suivant : ILLIANO, Roberto et SALA, Massimiliano (éd.), Music and Dictatorship in Europe and Latin America, Turnhout, Brepols, 2009. 9. Voir à ce sujet BERGH, Arild et SLOBODA, John, « Music and Art in Conflict Transformation: A Review », in Music and Arts in Actions, Vol. 2, no 2, 2010 (en ligne, http://musicandartsinaction.net/index.php/maia/article/view/ conflicttransformation). 10. Ce numéro est resté cependant ouvert aux recherches qui nous ont paru originales sur les conflits armés d’avant 1945, comme le montre l’article de Jillian Rogers. 11. Pour un aperçu de ces débats, voir deux articles traduits en français dans Courrier international : http://www.courrierinternational.com/article/2006/02/23/de-la- musique-comme-instrument-de-torture ; http://www.courrierinternational.com/ article/2009/10/26/des-artistes-s-elevent-contre-la-torture-musicale. 12. Pour une discussion en français sur cette problématique, voir aussi VOLCLER, Juliette, Le Son comme arme. Les usages policiers et militaires du son, Paris, La Découverte, 2011 ; SZENDY, Peter, « Musique et torture (1). Les stigmates du son », in Po&sie, no 134, Belin, 2010, p. 85-92 ; SZENDY, Peter, « Musique et torture (2). Cloués au sens », in Po&sie, no 135, Belin, 2011, p. 109-115. 13. Par exemple, voir la déclaration de la Society for American Music pour condamner et protester contre ces usages (http://american-music.org/organization/ tick_resolution.php).

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Articles

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Définir le peuple et sa musique : les débats sur le rebetiko dans la presse de gauche pendant et après la guerre civile grecque (1946-1961) Defining the people and its music: the left press debates on rebetiko during the Greek civil war and its aftermath (1946-1961)

Panagiota Anagnostou

1 Ce n’est qu’en juin 1946 que l’usine de Columbia à Athènes reprend son activité, après cinq ans de fermeture. Les musiciens entrent à nouveau en studio pour enregistrer leurs succès, déjà diffusés dans les tavernes. L’occupation allemande (avril 1941 – octobre 1944), avec des conséquences particulièrement désastreuses pour la Grèce1, est suivie par la « guerre des bandits2 », la guerre civile grecque qui éclate cette même année 19463. Malgré la profonde instabilité politique et les affrontements armés dans les provinces, la vie reprend son cours dans la capitale sous le pouvoir du gouvernement royaliste, mis en place par les Britanniques. C’est encore en 1946 que le premier article sur la musique populaire paraît dans la presse de gauche, au moment où les orchestres à bouzouki connaissent une grande popularité et envahissent les lieux nocturnes de divertissement.

2 La présente étude examine les débats sur le rebetiko parus dans la presse de gauche pendant la guerre civile et la décennie qui l’a suivie. Elle analyse notamment les articles parus dans Rizospastis, le journal du Parti communiste, avant son interdiction en 1947, ainsi que les débats parus pendant les années 1950 et en 1961 dans Avgi, quotidien regroupant la pluralité des orientations idéologiques de gauche, et dans Epitheorisi Technis, revue mensuelle des lettres et des arts, affiliée à la gauche. En étudiant les avis musicaux exprimés au sein d’un mouvement de gauche défait puis se reconstruisant progressivement, elle propose une lecture des divisions et des bouleversements que connaît la société grecque à l’issue de deux guerres successives. Prenant part aux discussions en cours4, elle tente d’apporter de nouveaux éclairages sur les

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catégorisations musicales et leurs significations sociales, sur les reconfigurations identitaires à travers la musique, sur la construction des ruptures et des continuités dans l’après-guerre en Grèce.

« Quelle est la chanson populaire ? »

3 La question centrale pour les intellectuels de gauche5 pendant toute la période examinée est « quelle est la chanson du peuple ? » et vient remplacer la question de la « musique nationale » qui a intensément préoccupé les intellectuels de toute orientation depuis la fin du XIXe siècle. Annoncé avant la guerre, ce glissement de vocabulaire, de « peuple grec » à « peuple » tout court, de « musique nationale » à « musique populaire » (laiki mousiki), est significatif et inaugure une nouvelle ère. D’autant plus que le syntagme « musique populaire » a une histoire et déjà une signification spécifique en Grèce. Depuis l’avant-guerre, il est opposé à la « musique légère » qui englobe toutes les musiques en vogue venues de l’Occident. Il sera progressivement lié à la musique aux résonances orientales (largement diffusée) et sera nommé par différents acteurs amané , rebetiko, laiko, selon les périodes et les changements sociaux ou musicaux. L’usage du terme rebetiko (jamais clairement défini) s’intensifie à partir de la fin des années 1960 pour désigner et valoriser un répertoire varié datant d’avant la Deuxième Guerre mondiale. Un bref retour en arrière permet de mieux appréhender l’histoire de cette musique, d’interpréter les significations des différentes dénominations et surtout de déceler les représentations sociales qui leur sont attachées.

4 Dès 18706, la presse mentionne l’apparition de cafés-concerts dans la jeune capitale qui compte alors 65 000 habitants7. Ces lieux de divertissement se spécialisent et se différencient progressivement pour se diviser en cafés chantants, pour les représentations avec orchestres jouant des musiques populaires européennes, et cafés aman pour les musiques venues de l’Orient. Les compagnies de Smyrne sont particulièrement appréciées et la grande popularité des cafés aman, dans un contexte d’urbanisation accélérée et de montée du nationalisme dans toute la région des Balkans, amène les intellectuels à prendre position. C’est ainsi que la musique de divertissement est divisée en « musique occidentale » et « musique orientale », parfois nommée aussi « amané8 », catégorisation qui simplifie une réalité musicale beaucoup plus complexe et révèle les inquiétudes du temps.

5 La musique occidentale dans ses diverses expressions ne semble alors pas trop préoccuper les journalistes ni les critiques de musique9. Les concerts donnés au conservatoire d’Athènes et les représentations théâtrales récemment importées10 deviennent rapidement des spectacles réservés aux classes sociales privilégiées et sont fréquentés par la famille royale : les billets coûtent cher et les programmes sont souvent écrits en français11. Des articles avant tout descriptifs sont consacrés aux cafés chantants, comme le Refuge des Nymphes, dont le prix d’entrée est raisonnable et qui accueille un public plus large12.

6 C’est la musique orientale des cafés aman à la popularité grandissante qui attire de plus en plus l’attention13. Elle est liée, dans les années 1870, au passé, à « l’amour des ancêtres14 », « aux choses nationales et dignes des Grecs […] [à] la vraie ville incorruptible du passé, qui n’a pas été corrompue durant le siècle par le théâtre français […] la musique du caractère oriental vrai, dont plusieurs générations qui ont

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produit la nôtre se sont nourries15 ». À la fin du XIXe siècle, au moment où l’idée d’une « culture nationale » s’affirme et que le modèle de l’art au service d’une cause supérieure unique s’impose dans l’ensemble de l’Europe16, l’écart entre des visions divergentes sur l’identité nationale se creuse en Grèce. D’un côté se trouvent les européanistes, tournés vers l’Antiquité et l’Occident et, de l’autre, ceux qui réhabilitent Byzance et l’inscrivent dans le récit interprétatif du passé grec. L’amané est perçu comme une menace pour l’identité du jeune pays qui essaie de se différencier d’un Orient à la fois exotique et barbare, et de mobiliser son passé glorieux pour légitimer son appartenance à la modernité européenne. Il devient ainsi associé à la « turcophilie17 ».

7 À l’aube du XXe siècle, les préoccupations autour de la musique nationale s’intensifient, la nécessité d’une École nationale de musique se fait plus pressante et une autre division musicale se consolide. Il s’agit de la différenciation entre musique des villes et « musique démotique ». La musique démotique est la musique des campagnes, très variée selon les régions, mais déjà idéalisée par le romantisme folklorique du XIXe siècle18 et liée aux luttes pour l’Indépendance nationale. Elle devient la tradition du peuple grec que l’on doit préserver et dont on doit s’inspirer. Elle est perçue comme une perle autochtone et, comme le dit Kokkonis, doit « soulever alors tout le poids de la nécessité nationale d’une création musicale savante qui serait porteuse de l’identité néohellénique19 ».

8 La musique démotique se démarque des chansons orientales jouées en ville. Ces dernières sont censées être le fruit des mélanges s’effectuant au sein des centres urbains et paraissent ainsi altérées par divers barbarismes. Leur popularité prend un nouvel élan avec l’avènement du phonographe et, surtout, avec l’arrivée des réfugiés d’Asie Mineure suite à la Convention gréco-turque sur l’échange obligatoire des populations de 1923. Elles feront ensuite l’objet d’une série de critiques20.

9 Si l’intérêt se focalise d’abord sur la question de l’identité nationale de ces chansons, progressivement, avec l’abandon de l’idée d’une « grande Grèce21 » et le déplacement d’une volonté expansionniste vers un souci d’homogénéisation et de gestion des tensions sociales et politiques internes, les critiques abordent également des questions esthétiques et morales. Pour le pouvoir en place, une nouvelle menace, qui vient cette fois de l’intérieur, fait son apparition et prend rapidement la place des ennemis extérieurs : la « menace communiste22 ». Les idées socialistes-soviétiques se répandent dans les bidonvilles créés par les réfugiés dans la capitale23 ; de grandes manifestations et des grèves d’ouvriers ont lieu24. Dans ce nouveau contexte sociopolitique, les détracteurs de la musique populaire dénoncent la faible qualité de la musique écoutée par le peuple travailleur : « que chante le peuple des villes ? Que crie ce fort et jeune ouvrier ? Voilà un vrai sujet pour les musiciens, les artistes, les conservatoires, les simples citoyens qui ont du bon goût et des manières, pas seulement pour les nationalistes25 » ; « Comment peut-on obtenir une musique grecque qui attirera l’attention et sera aimée par la grande partie du peuple travailleur […]26 ? » On insiste sur le fait que le peuple doit créer la chanson populaire moderne et qu’on doit lui donner « le moyen d’exprimer sa joie de manière esthétique et pure27 ». Dans ce contexte mouvementé de l’entre-deux-guerres, l’amané est considéré comme étranger, passif, plaintif, lourd et incapable d’exprimer la joie du peuple. Il finit par être interdit par la dictature de Metaxas en 1936 qui le qualifie de « chant anachronique28 ».

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10 L’enregistrement et le succès des « chansons de haschisch », qui racontent des scènes de la vie des fumeurs et des « magkas29 », conduisent à l’intensification des critiques sur la qualité de cette musique. Ce type de chansons est mentionné dans la presse dès 190530, et alors que la popularité de ces dernières s’étend, de même que la consommation du haschisch et la stigmatisation des consommateurs, elles sont également censurées par Metaxas, qualifiées d’« obscènes », « offensant la religion » et « s’opposant à la décence commune », tandis que la pénalisation du haschisch entre en vigueur31.

11 À la veille de la Deuxième Guerre mondiale, le terme rebetiko apparaît dans la presse32. Il désigne ce nouveau style à la mode, lancé par l’enregistrement du bouzouki (un instrument fretté) : un nouveau mélange musical, issu de l’appropriation des modes orientaux et de l’harmonisation occidentale, validé par le comité de censure. Une chose est sûre : le rebetiko est considéré comme autochtone, même par les ennemis jurés de la musique populaire33.

12 La division de la fin du XIXe siècle entre musique occidentale et orientale est alors remplacée par une nouvelle catégorisation musicale qui commence à faire sens et qui est de plus en plus utilisée : la division entre « musique légère » et « musique populaire ». La musique légère englobe toutes les musiques de divertissement qui sont à la mode en Europe : valse, tango, fox-trot, swing… Même si elles sont créées par des compositeurs grecs et ont des paroles en langue grecque, elles restent des musiques venant d’ailleurs. Leur qualité est parfois critiquée et elles sont soumises au comité de censure. Le terme « musique populaire » se réfère aux chansons à la sonorité orientale, composées par des musiciens « purs qui n’ont aucun rapport avec la portée et parfois même pas avec… l’alphabet34 ». Les catégories de musique populaire et de rebetiko s’entremêlent.

13 Si les intellectuels représentant les différentes orientations idéologiques pensent que la création de la musique « nationale savante » est en bonne voie avec l’École nationale de musique, ils se préoccupent de la musique créée et écoutée par le peuple. Ce qui importe est de trouver l’âme du peuple et de l’étudier pour créer une musique « esthétique », digne du tempérament grec, qui sera « utilisée » pour divertir, mais aussi pour éduquer. Éduquer le peuple, détenir et rechercher la qualité, sont aussi les ambitions de la Station Radiophonique Étatique d’Athènes35 qui diffuse de la musique « sérieuse », légère et démotique36, et exclut jusqu’en 1952 le rebetiko et le bouzouki de ses programmes37.

14 Or, à l’issue de la Deuxième Guerre mondiale, le constat reste le même qu’à la fin du XIXe siècle : mise à part la musique démotique, la musique contemporaine du peuple grec n’existe pas, elle reste à créer, car celle diffusée largement dans les tavernes et désormais produite en disques 78 tours n’est pas d’une qualité suffisante. S’appuyant sur un découpage social préalable – tour à tour la nation et le peuple –, s’appropriant l’idée d’une essence immuable du groupe examiné, et reprenant des dichotomies du passé pour les reformuler ou les reconstruire, les intellectuels de gauche annoncent dans leurs débats sur la musique populaire la nouvelle ère qui commence après – et en raison de – la guerre. Dans cette nouvelle aire, la division entre Orient et Occident s’entremêle avec celle qui sépare communisme et capitalisme.

15 Selon Zaïmakis, l’intérêt pour la musique populaire dans la presse de gauche est dicté par l’envie et le besoin d’être en concordance avec le dogme du réalisme socialiste38 ; je dirais que c’est surtout le lien avec le peuple et ses pratiques qui est recherché pour

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prouver le caractère historique de la résistance du peuple. D’autant plus que la gauche est éprouvée par le conflit interne (1946-1949), qui en plus d'être un tournant dans la Guerre froide demeure le conflit le plus sanglant en Europe entre 1945 et le démantèlement de la Yougoslavie39. Le peuple et « son humeur de combat40 » deviennent des sujets cruciaux pour la continuation du mouvement. Comme le note l’écrivain Nikos Politis, une distance « nous » sépare du peuple et un point de contact doit être trouvé : « ce point, on le trouvera dans les expressions populaires contemporaines41 ». Mais, dans l’ensemble des musiques diffusées, quelle est celle qui pourrait être reconnue comme la musique populaire contemporaine ?

16 L’amané est mis à l’écart. Après l’enregistrement et le succès du bouzouki à partir de 1932, puis la censure en 1936, il perd sa popularité et le nombre d’enregistrements qui lui sont consacrés diminue considérablement. Pendant l’Occupation allemande, parmi les centaines de milliers de morts civils se trouvent des musiciens, surtout des réfugiés d’Asie Mineure qui, en raison de leurs connaissances musicales solides et de leur expérience professionnelle avant leur arrivée en Grèce, avaient joué un rôle important dans l’industrie du disque et la promotion de l’amané à Athènes42.

17 L’amané est critiqué par les intellectuels de gauche pour son identité étrangère, son lien avec l’occupation ottomane, devenue turque, et ses supposés défauts esthétiques. Marios Varvoglis, compositeur fondateur de l’École nationale, persécuté et exclu du conservatoire pour ses convictions politiques, publie dans le journal du Parti communiste en 1946 la lettre d’un lecteur qui se dresse contre la diffusion d’amané et d’autres chansons par la radio. Le compositeur conclut : « heureusement que notre station radiophonique n’a pas la puissance de diffuser à l’étranger parce qu’avec ces AMANÉ [sic], ils nous accuseraient de ne pas être Grecs et nos revendications nationales justes seraient pénalisées43 ». Même le jeune musicologue Foivos Anogeianakis, généralement bien disposé envers la musique de son époque et les chansons aux influences orientales, voit l’amané comme un « avatar extrême » de ces dernières44.

18 L’amané n’est donc pas considéré comme une musique populaire grecque. Pour des raisons différentes, il en va de même pour les « chansons de haschisch ».

Les « chansons de haschisch » : un complot politique

19 À la réouverture de l’usine de Columbia en juin 1946, les premiers enregistrements s’effectuent avant la mise en place des nouveaux comités de censure dont le retard est probablement dû à la période politiquement tourmentée. Des musiciens déjà connus, comme Vasilis Tsitsanis, entrent en studio avec de nouvelles chansons qui parlent, entre autres, de haschisch45, alors que le trafic de drogues à Athènes semble avoir pris de grandes proportions. Ces chansons se vendent à un grand nombre d’exemplaires et les tavernes où elles sont jouées deviennent à la mode. Des compositeurs de musique légère et des associations musicales rejoignent les journalistes qui lancent une série de critiques46, qui seront suivies de l’interdiction des chansons « immorales, vulgaires et inadéquates », « touchant la religion, la patrie, la morale et les us et coutumes grecs47 ».

20 Du côté communiste, les chansons de haschisch sont également critiquées et écartées du répertoire de la musique populaire, mais ce n’est pas tant un problème moral qu’une implication étrangère que les intellectuels progressistes voient dans leur circulation, accusée d’être le produit d’un complot politique.

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21 Les événements à l’intérieur du pays éclairent cette vision. L’implication des Anglais dans la politique grecque pendant et après l’Occupation vise, devant la montée du communisme, à maintenir la Grèce dans la zone d’influence britannique, une volonté concrétisée par l’accord de « pourcentage » conclu entre Churchill et Staline à la veille de la Conférence de Yalta. Les événements de décembre 1944 marquent les esprits : de grandes manifestations (portant sur les questions épineuses de l’avenir du pays et du dépôt des armes par les résistants) sont violemment réprimées et le centre d’Athènes se transforme en champ de bataille pendant plus d’un mois. Les affrontements opposent les forces de gauche aux Britanniques et au gouvernement anticommuniste qu’ils soutiennent. L’intervention non dissimulée des Américains après la « doctrine Truman » est fortement critiquée. Dans le camp opposé, les accusations d’intervention étrangère sont promues par le pouvoir en place qui parle de la guerre de « bandits slaves », une propagande diffusée aussi par la station radiophonique48. Les théories du complot fleurissent.

22 Pour les intellectuels de gauche, la consommation répandue du haschisch provient des plans étrangers ou bourgeois qui visent à endormir49, voire à détruire le peuple. L’État et les intérêts économiques sont accusés de maintenir le commerce du haschisch, ce « poison pour le peuple50 ». L’augmentation des « toxicomanes » n’est pas « un hasard, une fatalité », pense-t-on, « mais une action préméditée qui s’insère dans le cadre connu des plans sataniques pour l’élimination de notre peuple51 ». Dans cette ligne de pensée, les chansons de haschisch n’expriment pas seulement « des situations sociales arriérées52 » ; elles font aussi partie de ces mêmes plans.

23 Si de l’avis général les chansons de haschisch sont inadéquates pour le peuple, qu’en est-il du reste du répertoire du rebetiko ? Les avis sont divisés dans les quotidiens de toutes orientations idéologiques. Des jugements datant de l’avant-guerre sont mobilisés pour stigmatiser cette musique présentée comme un produit des bas-fonds, des criminels et des haschischomanes, comme une musique qui exprime « des sentiments révélateurs de corruption et de civilisation basse53 », « un monde moralement décadent54 », et qui exerce une « mauvaise » influence sur le peuple. Les défenseurs – dont Manolis Kalomoiris55 – s’appuient sur sa grécité et essaient de rétablir son lien avec la musique démotique ; ils voient le rebetiko comme le produit « de l’âme populaire », avec « une couleur, un caractère propres [et] originaux » ; une musique qui nous amène à une « patrie lointaine qu’on avait un peu oubliée, comme si on retrouvait là notre âme56 ».

24 Ces opinions contrastées sur le rebetiko sont investies dans la presse de gauche de préoccupations plus larges qui concernent la poursuite des luttes. L’article de Stavrou, publié dans le journal de la Coalition politique des partis du Front national de Libération (EAM) en 1946, révèle les inquiétudes du moment imprégnées de théories du complot : Les succès [de chansons rebetika] n’arrêtent pas, se multiplient continuellement […] Qui veut les empêcher ? Ces pauvres chansons ne sont pas anarchistes, elles ne demandent pas non plus le renversement de notre « beau et sain régime ». Et il est naturel qu’elles veuillent sa conservation vu qu’elles ne demandent pas son renversement […] Pourtant, comme le peuple ne plie pas avec les diverses « mesures d’ordre », l’exil, les exécutions […] de même, on n’arrive pas à l’enivrer avec la musique des fumeries de haschisch, les chansons rebetika, et le « mettre hors-jeu »57.

25 La mode des orchestres à bouzouki gêne, non seulement à cause des chansons de haschisch, mais surtout parce que pendant les moments cruciaux du conflit interne, les

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lieux de divertissement de la capitale se remplissent le soir. À partir de l’été 1946, les tavernes en plein air de Tsitsifies, sur la côte athénienne, attirent les foules et l’attention de la presse58. La carafe d’ouzo devient vermout, liqueur et vin en bouteille ; l’ajout d’une scène et d’une piste de danse, la présence de plusieurs musiciens et bouzouki, ainsi que le recours à l'amplification vers le début des années 1950 modifient l’ambiance de la taverne. Le public qui fréquente ces lieux semble se composer de plus en plus de nouveaux riches ; des voitures de luxe arrivent de Kolonaki, le quartier aristocratique d’Athènes59. On parle alors des tavernes du « beau monde ».

26 La suspicion des intellectuels de gauche se renforce. Au traditionnel ennemi « bourgeois » s’ajoutent les nouveaux riches, soupçonnés d’avoir collaboré avec les Allemands et d’avoir fait fortune pendant l’Occupation sur le marché noir60. Bien entendu, ils ne font pas partie du peuple. La « petite partie du peuple » qui fréquente les tavernes, « qui glisse vers les “défoncés qui chantent” a déjà glissé politiquement61 », soutient-on.

27 Les enjeux liés à la popularité de cette musique dépassent la simple critique morale des chansons de haschisch : le peuple, ses convictions politiques et les complots qui le détournent de sa mission – la lutte pour la « démocratie » – se trouvent au cœur du débat. L’âme du peuple s’exprime, entre autres pratiques, dans sa musique ; pour le XIXe siècle, elle s’exprime dans la musique démotique. Ce sont les rapports de la musique démotique avec le rebetiko qui seront mis en débat : si la première est incontestablement la musique du peuple, il reste à examiner si ce deuxième peut être considéré comme la musique populaire contemporaine. Tout en critiquant les chansons « défaitistes » du haschisch et en s’écartant de la mode des tavernes du beau monde, les intellectuels de gauche qui argumentent en faveur du rebetiko attirent l’attention sur ses formes musicales pour établir leur continuité avec les modes de la musique démotique.

La musique démotique : l’âme combattante du peuple

28 Dans ses articles écrits pour Rizospastis62, le journal du Parti communiste, le musicologue Anogeianakis se demande : « qu’est-ce la chanson démotique ? » et « quand s’arrête sa création ? » Il retrace l’histoire de cette musique depuis le XVIIIe siècle, avec la chanson des Kleftes63, en passant par les chants de mort pour arriver à la chanson d’Asie Mineure – issue d’un mélange d’éléments grecs et orientaux – et au rebetiko, selon lui la chanson populaire contemporaine. Anogeianakis défend l’originalité des lignes mélodiques du rebetiko et sa poésie expressive dotée d’une simplicité et d’une intensité enviées par les poètes ; il soutient que les mêmes éléments et les mêmes conditions de création sont présents tant dans la musique démotique que dans la chanson rebetiko. La particularité du rebetiko est de ne pas être un produit de la collectivité, mais du psychisme urbain et de nouveaux rapports dans la ville. Enfin, il précise que « même si [les chansons populaires] sont considérées aujourd’hui comme un genre inférieur, elles ne cessent pas d’être une réalité vivante qui mérite une recherche particulière64 ».

29 Les opinions d’Anogeianakis65 révoltent le compositeur Xenos qui lui répond dans une lettre publiée dans le même journal. Pour lui, le rebetiko n’a aucun rapport avec le démotique ; il n’est pas le produit des luttes, des traditions et de la majorité du peuple, mais il est issu des bordels, des tavernes de mauvaise réputation et des fumeries de

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haschisch ; il est le produit des couches sociales lumpen, le prolétariat créées par la stratégie capitaliste de paupérisation. Xenos déchiffre dans le rebetiko « les contradictions de la bourgeoisie en déclin ». Il précise pourtant qu’on devra regarder et étudier à l’avenir certains aspects du rebetiko pour « les faire évoluer en leur donnant un contenu utile pour notre peuple66 ». Selon lui, la continuation de la chanson démotique se trouve dans les « antartika », les chansons de maquisards67, un genre qu’il représente lui-même en tant que compositeur.

30 Dans leurs débats, Anogeianakis et Xenos donnent les lignes directrices qui seront suivies dans l’ensemble des débats sur les rapports entre musique démotique et rebetiko. Anogeianakis compte parmi les défenseurs du rebetiko et le type d’historique qu’il retrace sera formulé à plusieurs reprises ; Xenos est un adversaire, préoccupé par la provenance du rebetiko et des idées qu’il véhicule.

31 Tout au long des débats, la musique démotique est revisitée et reconfigurée ; elle est interprétée selon les nécessités du moment. Ainsi, pour les intellectuels de gauche, elle n’est pas seulement un produit collectif, anonyme, traité et perfectionné sans cesse par le peuple68 et qui reflète la vie de la campagne grecque. Elle est aussi issue des luttes pour la liberté qui menèrent à la Révolution grecque de 1821 et à l’Indépendance ; elle exprime « au travers de formes pleines de santé, de fierté et de beauté […] la foi et l’optimisme pour la vie ; elle nous enseigne les prouesses des combattants du peuple pour une patrie libre et indépendante69 ». La musique démotique et le monde qui l’a créée sont idéalisés depuis la fin du XIXe siècle. Or, dans l’après-guerre, les intellectuels de gauche ne voient plus seulement dans cette musique « l’âme grecque », mais également l’optimisme, la résistance, les luttes pour la liberté et pour l’indépendance contre les occupants : des éléments importants pour le présent et le futur du mouvement de gauche. Ils voient dans la musique démotique « l’âme combattante du peuple ».

32 C’est sous cet angle que ses rapports avec le rebetiko seront examinés. Le rebetiko pose problème en raison de sa période de création, marquée par l’industrialisation, l’urbanisation, la montée au pouvoir de la bourgeoisie et l’imposition du capitalisme. Né de ce contexte, ses caractéristiques dérangent : il est une création personnelle et non pas collective, dispose d’une durée de vie courte70, prend place au sein du marché phonographique ; il attire pendant la guerre les « gérants du marché noir et les collaborateurs71 », et après la guerre les aristocrates de Kolonaki72.

33 L’effort d’expliquer ce que le rebetiko exprime conduit à des divisions qui se rejoignent, autour de deux catégories, la « musique populaire » et le « peuple ». Quand on voit dans le rebetiko l’expression du peuple et de ses caractéristiques, on le considère comme la continuation de la musique démotique et comme la musique populaire contemporaine ; dans le cas contraire, une rupture est opérée et le rebetiko est considéré comme une musique de marginaux et du Lumpenproletariat (ou sous-prolétariat). La nécessité de comprendre et de définir le peuple s’accentue en raison de l’évolution du conflit.

À la recherche du peuple perdu

34 À la fin de la guerre civile, la gauche est divisée, déséquilibrée et surtout persécutée. Le Parti communiste est déclaré hors-la-loi en 1947 et son journal, le Rizospastis, interdit. Le pouvoir en place intensifie la répression. Les peines pour les membres de la gauche sont plus lourdes que pour les collaborateurs73. Les prisons et les îles d’exil débordent.

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Les fichiers sur les convictions politiques de citoyens sont consultés et complétés régulièrement et les humiliantes « déclarations de pénitence » sont publiées dans les journaux. La propagande du régime pénètre les manuels scolaires dans les années 1950, et la majorité de la population semble sympathiser avec l’attitude officielle74.

35 Le contexte musical a également changé. Des figures du rebetiko comme Vasilis Tsitsanis et Manolis Hiotis sont de plus en plus reconnues et collaborent avec des musiciens de conservatoire respectés, à l’instar de Manos Hatzidakis, pour la composition de musique de films grecs, dont certains sont d’ailleurs diffusés à l’étranger75. Le terme rebetiko commence à être utilisé pour désigner la musique du passé, de l’avant-guerre, un glissement conceptuel auquel a d’ailleurs participé Tsitsanis. Dans sa première interview dans la presse, Tsitsanis différencie sa musique des « chansons de haschisch, des chansons de décadence morale » – en oubliant ses succès de 1946 – et se définit comme musicien de laiko, de musique populaire76.

36 La défaite lors de la guerre civile, la terreur et les persécutions préoccupent intensément les intellectuels de gauche. La guerre civile constitue un sujet « suspect », souvent manipulé ou censuré par le pouvoir en place. Comprendre les expressions du peuple et trouver des points de contact devient plus pressant, étant donné que le peuple est l’élément indispensable pour la reconstitution du mouvement. Alors que l’argumentation des adversaires du rebetiko semble perdre sa dimension moraliste à partir des années 1950 et que les journalistes, une fois la mode des bouzoukia passée, cessent de se positionner dans la presse, les intellectuels de gauche se penchent de plus en plus sur la musique populaire77.

37 Ils se mettent à la recherche du « peuple », de sa définition et de ses caractéristiques. Cependant, les différentes recherches partiront le plus souvent d’a priori : on préétablit les caractéristiques du peuple et on essaie de les trouver dans sa musique. Par conséquent, la question de ce que le peuple et sa musique expriment se confond souvent avec la question de ce que le peuple et sa musique « doivent » exprimer, cette deuxième question étant également liée au rôle « confié » aux intellectuels. Les divers articles cependant expriment moins la quête réelle d’une définition du peuple et de sa musique qu’ils n’exposent les partis pris théoriques et idéologiques de leurs auteurs.

38 Les caractéristiques progressivement indispensables pour la définition du peuple sont son militantisme, sa résistance et son héroïsme, des éléments également importants pour la continuation du mouvement de la gauche. Ce sont ces caractéristiques qui servent de critères de définition de la musique populaire. On ne les remet pas en cause, c’est la question de leur expression dans et par le rebetiko qui est posée. La réponse à cette question aura différentes conséquences sur l’interprétation de la situation musicale par les adversaires et les défenseurs du rebetiko et dévoilera des divisions qui se recoupent.

39 On considère les chansons rebetika comme une musique urbaine ; c’est leur caractère « populaire » qui est mis en cause. On compare le rebetiko à la musique démotique en se demandant « lequel est le produit authentique du peuple, adapté aux conditions psychologiques et sociales, et lequel est faux, inférieur en qualité, mélangé avec des éléments étrangers de valeur douteuse78 ». Les avis sont divisés et on parle soit de la décadence, soit de l’héroïsme exprimés par le rebetiko, qui sera considéré respectivement comme une « musique de la marge » ou comme une « musique du peuple », ou encore comme indépendant de la musique démotique ou comme sa continuation.

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40 Les adversaires voient le rebetiko comme un produit « des repaires, des gens dans la misère79 ». On se réfère à son incapacité à exprimer « l’élévation et les idées80 », au pessimisme, à la défaite et au désespoir qu’il véhicule en exprimant « le côté faible du cœur populaire81 ». On le voit comme « une soumission au sort et une réconciliation avec le destin » qui fait du rebetiko une fuite : « la fuite est toujours fuite, aucun héros ne fuit » ; la « puanteur rebetique » nécessite alors « une pelle et un chariot82 ». Pour reprendre l’analyse de Skouriotis, intellectuel et traducteur du Capital de Marx, il existe « une partie [du peuple] qui présente un équilibre psychique, une robustesse morale et une humeur combattante : c’est la partie saine du prolétariat des villes. L’autre est composée par la triste marge, le Lumpenproletariat83 ». Par conséquent, on voit le besoin de mettre fin « à la perversion de la musique populaire grecque84 » et de confier son assainissement à des « civilisateurs responsables85 ».

41 Les défenseurs ne nient pas le désespoir exprimé dans le rebetiko, ni le rôle des intellectuels, mais ils en fournissent des interprétations différentes. Parfois, on parle d’une « façade » qui donne l’impression d’une soumission au sort, « mais si on prend en compte le manque d’illumination presque complet de la classe ouvrière, on peut alors voir derrière cette façade le caractère révolutionnaire caché86 ». Parfois, on « rappelle » que « la révolution de 1821 a été faite avec des chants de lamentation87 » et que le rebetiko exprime le « soupir » et la « vérité » du pauvre 88 ; mais le plus souvent, on valorise les formes musicales en tant que continuation de la musique démotique et byzantine89.

42 Cette continuation de la musique démotique dans le rebetiko sera progressivement acceptée et marquera, de manière symbolique, la persistance des luttes du peuple grec, mais aussi la continuité de la répression. Ses influences orientales ne sont plus « étrangères », mais deviennent « notre élément », comme « l’origine arabe » du flamenco, dit-on90. Elles symbolisent ainsi la résistance contre les « nouveaux occupants », contre « la soumission aux idéaux occidentaux91 » et, par extension, contre les interventions américaines contemporaines, culturelles comme politiques.

43 La valorisation des formes musicales entraîne une reconfiguration de la catégorie de musique populaire qui se divise en rebetiko et laiko. On exalte surtout l’œuvre et le talent de certains compositeurs, comme Tsitsanis et Hiotis, qui deviennent « les classiques92 », les « virtuoses93 » et les représentants du laiko, de la musique populaire contemporaine. Les compositeurs d’avant-guerre sont rarement mentionnés et leur manière rude de jouer et de chanter est jugée de qualité inférieure et de morale douteuse : ils pratiquent le rebetiko. En haut de la hiérarchie se trouvent les compositeurs de conservatoire, comme , qui en raison de leur savoir musical peuvent « améliorer » la qualité de la musique populaire. Ils collaborent avec des poètes « confirmés » et sont reconnus à l’étranger. Ils dominent la scène musicale des années 1960 avec une nouvelle catégorie musicale, l’« entechno laiko », la musique populaire artistique. Au sein de la catégorie musique populaire, une division supplémentaire est opérée, liée au marché phonographique, une division qui conditionnera la réception future du rebetiko.

Le « vrai » rebetiko est hors marché

44 Dans les débats des intellectuels de gauche, on s’intéresse à la popularité étendue du rebetiko et on essaie de l’expliquer. Cette réalité est considérée par les adversaires soit

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comme le complot de la bourgeoisie et des forces étrangères94, soit comme « la contamination de la partie saine du peuple par le lumpen95 », ou encore, et le plus souvent, comme le résultat de sa promotion et de sa diffusion par la radio et les compagnies phonographiques96.

45 Les défenseurs du rebetiko adoptent également une posture critique à l’égard du marché phonographique. Déjà présente depuis l’apparition des phonographes et des disques97, cette critique prend désormais un aspect marxiste de critique du capitalisme, en introduisant une division supplémentaire à l’intérieur de la musique populaire. Cette dernière division est la plus complexe et la plus contradictoire, elle cristallise l’utilisation du terme rebetiko pour un répertoire plus vieux et aura finalement pour effet de valoriser des compositeurs comme .

46 Pour ses adversaires comme pour ses défenseurs, le « vrai » rebetiko semble se trouver ailleurs, hors des tavernes du beau monde98, non diffusé à la radio, inconnu99. Il s’agit d’un répertoire jamais mentionné. Le « vieux rebetiko » est censé ne pas participer à l’industrie du disque et se différencie des succès contemporains, le laiko d’alors, marqué par « une crise de surproduction » et « une standardisation », comme le « commercial100 ». Ce point de vue à propos du vieux rebetiko le ramène aux bas-fonds, mais cette fois en rendant floues les limites entre les répertoires marginal, hors-marché et populaire. Alors que l’implication du marché phonographique sera oubliée, la supposée provenance de cette musique sera valorisée et les bas-fonds deviendront les gardiens de la tradition de la culture populaire101, pour cette partie de la gauche qui se différencie progressivement du Parti communiste.

47 Une synthèse des différentes opinions tend à s’imposer : le vieux rebetiko est issu des bas-fonds, avec le temps il s’améliore et se civilise avec des compositeurs comme Tsitsanis, pour toucher le peuple et devenir chanson populaire, le laiko. Il influence aussi des compositeurs, comme Theodorakis, qui l’élèvent au rang de musique populaire artistique. Le marché phonographique semble intervenir à une période récente mais non définie pour imposer la création personnelle et une commercialisation des compositions contemporaines de mauvaise qualité.

48 La construction de la catégorie semi-imaginaire du « vrai » rebetiko suscite un intérêt pour le passé, un intérêt conforme à l’époque : plus on s’éloigne de la défaite lors de la guerre civile, plus le besoin de comprendre et, jusqu’à un certain point, de remodeler le passé récent apparaît. Une des expressions de ce passé est le rebetiko. Les débats idéologiques autour du rebetiko suscitent dans la jeunesse de gauche l’intérêt et l’envie de retrouver les acteurs de cette musique et fondent, ainsi, son avenir.

49 La circulation et le succès de l’« Épitaphe » de Theodorakis qui a voulu « donner une impulsion nouvelle à la chanson populaire102 » déclenchent de longues discussions dans Avgi et Epitheorisi Technis. Les questions que les rédacteurs d’Avgi ont adressées à divers intellectuels pour lancer la « recherche d’Avgi sur la chanson populaire » résument les préoccupations et contiennent les représentations de la gauche sur la situation musicale au début des années 1960 : 1_ Comment définir la chanson populaire contemporaine ? Où est-elle née, quels facteurs artistiques la forment ? 2_ Y a-t-il des liens entre la chanson populaire contemporaine et la chanson des Kleftes, la chanson des maquisards et la vieille chanson athénienne ? 3_ Quelle chanson populaire exprime le mieux les états psychiques de notre peuple, sa bonne humeur, son caractère, ses rêves, son humeur de combat ? Le rebetiko et le bouzouki expriment-ils ces états ? 4_ La mise en musique de l’« Épitaphe » de Ritsos par Theodorakis a suscité des opinions

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opposées. Qu’en pensez-vous, le caractère héroïque et tragique de l’« Épitaphe » est-il rendu par la musique de Theodorakis ? 5_ Dans la formation de la musique populaire, quel est le rôle joué par le fait que le peuple n’ait pas un accès important à la radiophonie, à l’industrie du disque et aux autres moyens de reproduction et de diffusion de sa création musicale (éditions, conservatoires, orchestres, chorales, etc.) 103 ?

50 On se préoccupe de la production musicale populaire, on établit des liens entre la musique populaire et la musique démotique, on évoque la bonne humeur et la combativité du peuple et on débat sur les moyens de diffusion de la musique du peuple, ainsi que sur l’utilisation de ses motifs et ses instruments par des compositeurs érudits, comme Theodorakis. Le rebetiko devient une sous-catégorie de la musique populaire et une histoire du passé ; c’est des représentations de ce passé que l’on débattra.

Conclusion

51 Les débats sur la musique populaire qui ont lieu dans la presse de gauche de 1946 à 1961 fournissent un exemple précis de la complexité des positionnements et des clivages entre les intellectuels de gauche qui cherchent à se définir et à définir leur rôle, dans un temps et un espace spécifiques, la Grèce de l’après-guerre. Tragaki évoque les nouvelles visions sur la grécité qui sont déployées dans ces débats et la mission d’« humaniser les masses » entreprise par les intellectuels104. Zaimakis examine l’adaptation locale, investie par des idées nationalistes, du dogme marxiste : la différenciation de la classe ouvrière par rapport à la bourgeoisie, ainsi que la distinction entre l’héritage noble laissé par les classes subordonnées et la culture hégémonique bourgeoise105.

52 À partir d’un angle différent, la présente étude a exploré, au-delà des divisions de classe et d’identité, la manière dont ces débats, profondément influencés par l’évolution de la guerre civile grecque et le contexte de la Guerre froide, participent à la construction et à la définition de deux catégories : la « musique populaire » et le « peuple ». Ces catégories et les représentations qui les accompagnent véhiculent leur historicité ; elles sont introduites et remodelées par les intellectuels, puis adoptées, dans la deuxième moitié du XXe siècle, par un public plus large que les seuls partisans du marxisme.

53 Si pendant la première moitié du XXe siècle la musique populaire est envisagée selon un idéal folkloriste qui la considère comme l’expression d’un « peuple » – une idée imprégnée d’une vision essentialiste de la Nation – pendant la deuxième moitié du même siècle, soit elle est perçue comme un produit du marché imposé au public, soit elle doit soulever le poids de la « résistance du peuple » aux forces capitalistes et à tout type de domination. Dans le cas grec, cette évolution des visions est exprimée dans les débats sur l’amané, puis sur le rebetiko.

54 L’amané est « trop » oriental pour le contexte de l’entre-deux-guerres ; il sera réhabilité à partir des années 1970106. La guerre civile accentue le besoin de définir la musique populaire contemporaine et attire l’attention des intellectuels sur le rebetiko, ce mélange musical issu de circulations, d’échanges et d’emprunts d’éléments musicaux, mais considéré d’emblée comme autochtone. Les opinions précédemment exprimées sont mobilisées et remodelées pour configurer de nouvelles identités, où l’appartenance de la Grèce passe par le double vacillement entre l’Occident et l’Orient, entre le capitalisme et le communisme.

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55 À travers les débats, on ne définit pas seulement la musique populaire, son rôle et sa potentielle utilisation pour l’endoctrinement du peuple, on dessine aussi les contours de cette catégorie sociale, en lui assignant une identité par le haut. À côté de l’idée déjà consolidée du peuple comme groupe majoritaire, pauvre, « inculte et sans repères [qui] se laisse aller à son sort107 », s’ajoute l’idée du groupe réprimé qui s’oppose à la domination et la combat ; on remplace ainsi le caractère national par le caractère révolutionnaire du peuple, et on oppose la résistance et la domination, en oubliant un attribut fondamental du pouvoir, l’ambiguïté qu’il engendre108.

56 Les débats dans la presse de gauche, où des intellectuels aux histoires personnelles multiples et aux opinions contrastées dialoguent avec leur milieu et leur époque au risque d’être persécutés, marquent la suite de l’histoire du rebetiko en l’élevant au rang de tradition subversive.

NOTES

1. MAZOWER, Mark, Dans la Grèce d’Hitler, 1941-1946, (traduit par C. Orfanos), Paris, Les Belles Lettres, 2002. 2. C’est ainsi que le pouvoir en place nomme le conflit interne. Le terme « guerre civile » ne sera officiellement reconnu qu’en 1989. Toutes les traductions dans cet article ont été réalisées par moi-même, sauf mention contraire. 3. Pour une revue critique de l’historiographie autour de la résistance et de la guerre civile grecque, accompagnée d’une bibliographie conséquente, voir MARANTZIDIS, Nikos, ANTONIOU, Giorgos, « The Axis Occupation and Civil War : Changing Trends in Greek Historiography, 1941-2002 », in Journal of Peace Research, vol. 41, n° 2, 2004, p. 223-231. Pour les différents aspects de la guerre civile, voir CARABOTT, Philip, SFIKAS, Thanasis (eds), The Greek Civil War. Essays on a conflict of exceptionalism and silences, Centre for Hellenic Studies, King’s College, London, Ashgate, 2004. Pour un livre récent en français, voir FONTAINE, Joëlle, De la résistance à la guerre civile en Grèce, 1941-1946, Paris, La Fabrique, 2012. 4. ANDIAKAINA, Eleni, « Η διαμάχη για το ρεμπέτικο : η ελληνικότητα ως ισορροπία Λόγου-Πάθους» [Le conflit autour du rebetiko : la grécité comme équilibre entre Discours et Passion], in KOTARIDIS, Nikos (ed.), Ρεμπέτες και ρεμπέτικο τραγούδι [Rebetes et chanson rebetiko], Athènes, Plethron, 2003, p. 225-257, VLISIDIS, Kostas, Όψεις του ρεμπέτικου [Faces du rebetiko], Athènes, Ekdoseis tou Eikostou Protou, 2004, notamment « Ο αριστερός λόγος για το ρεμπέτικο (1946-1988) » [Le discours de gauche sur le rebetiko (1946-1988)], p. 67-164, TRAGAKI, Dafni, « ‘Humanizing the masses’ : Enlightened intellectuals and the music of the people”, in COOPER, David, DAWE, Kevin (eds), The Mediterranean in music : Critical perspectives, concerns, cultural differences, Lanham, Maryland-Toronto-Oxford, The Scarecrow Press, 2005, p. 49-76 et ZAIMAKIS, Yannis, « ‘Forbidden Fruits’ and the Communist Paradise : Marxist thinking on Greekness and Class in Rebetika », in Music and Politics 4, n° 1, Winter 2010 [s.n]. 5. Les intellectuels de gauche ne forment pas un groupe homogène. Les différentes tendances idéologiques existantes se manifestent entre autres dans les discours sur la musique. 6. La première trace dans la presse se trouve à ma connaissance dans Paliggenesia, [sans titre], 27.04.1871, p. 3.

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7. Athènes devient par le roi Othon la capitale du pays en 1834, alors qu’elle compte à peine 10 000 habitants. MERLIER, Octave, Athènes moderne, Paris, Les Belles Lettres, 1930, p. 22. 8. Afin d’éviter l’utilisation systématique des guillemets, cette ponctuation ne sera utilisée que pour la première occurrence des termes. Un même souci de fluidité de lecture me pousse à ne pas décliner les termes en grec et à utiliser le singulier. 9. Au cours du XIX e siècle, on rencontre quelques critiques dans la presse qui concernent notamment des pièces de théâtre : elles sont parfois considérées comme un facteur de corruption des mœurs et comme une soumission aux étrangers, parce qu’elles sont écrites en langues étrangères. Le public doit également « s’éduquer » à ne pas parler ou siffler pendant le spectacle. Sur la musique « occidentale » en Grèce pendant le XIXe siècle, voir l’étude basée principalement sur la presse de BAROUTAS, Kostas, Η μουσική ζωή στην Αθήνα τον 19ο αιώνα, Συναυλίες, Ρεσιτάλ, Μελώδραμα, Λαϊκό Τραγούδι, Μουσικοκριτική, [La vie musicale dans l’Athènes du XIXe siècle, Concerts, Récitals, Mélodrame, Chanson Populaire, Critique Musicale], Athènes, Mousikos Oikos Filippos Nakas, 1992. 10. Le piano et les mélodrames sont importés en Grèce pendant le règne du roi Othon (1833-1862). La première pièce jouée est un acte du Barbier de Séville de Rossini, qui est présenté à Athènes par une troupe italienne en 1837 et connaît un grand succès. Le premier conservatoire du pays est fondé en 1871 et est d’emblée très actif. PAPAZOGLOU, Triantafyllos-Eleftherios, Ιστορία της Ελληνικής Μουσικής (από τον Ορφέα μέχρι σήμερα), [Histoire de la musique grecque (d’Orphée à nos jours)], Athènes, Difros, 1977. 11. BAROUTAS, Kostas, op.cit., p. 39. 12. À titre d’exemple : Paliggenesia, [sans titre], 27.04.1871, p. 3, Efimeris, [sans titre], 08.05.1878, p. 2, SOFIL [VLAHOS, Aggelos], « Αθηναϊκές επιστολές» [Lettres athéniennes], in Estia, 02.09.1879, Efimeris, « Πινακίδες» [Panneaux], 23.07.1886, p. 1-2, MITSAKIS, Mihail, « Αθηναϊκαί σελίδες» [Pages Athéniennes], in Estia (revue), année 12, vol. 23, nº 595, 24.05.1887, p. 337-342. 13. Pour une analyse détaillée de la place de cette musique au XIXe siècle, voir HATZIPANTAZIS, Thodoros, Της ασιάτιδος μούσης ερασταί… Η ακμή του αθηναϊκού καφέ αμάν στα χρόνια της βασιλείας του Γεωργίου Α» [Les amants de la Muse asiatique… le sommet du café aman athénien pendant le règne de Georges Ier], Athènes, Stigmi, 1986. 14. Paliggenesia, [sans titre], 27.04.1871, p. 3. 15. Efimeris, « Θεατρικόν Δελτίον. Καφέ Σαντούρ… » [Revue Théâtrale. Café Santour…], 17.06.1874, p. 2-3. 16. FRANCFORT, Didier, Le Chant des Nations, Musiques et Cultures en Europe, 1870-1914, Paris, Hachette Littératures, 2004. 17. Akropolis, Ο Πειραιεύς κατά τας νύκτας… » [Le Pirée les soirs…], 25.07.1893. Des idées voisines sont exprimées par SKYLITSIS, Isidoros, « Αμανέ ή μανέ ; » [Amané ou mané], in Theatriki Epitheorisis, vol. 1, mai 1880 cité dans VLISIDIS, Kostas, Για μια βιβλιογραφία του ρεμπέτικου (1873-2001), [Pour une bibliographie du rebetiko (1873-2001)], Athènes, Ekdoseis tou Eikostou Protou, 2002, p. 222. 18. Comme dans l’œuvre de Fauriel, FAURIEL, Claude, Chants populaires de la Grèce moderne, 2 tomes, Paris, Firmin Didot père et fils, 1824. L’exemple de Fauriel est cité par Anne-Marie Thiesse pour illustrer ce qu’elle nomme le « parrainage international d’une culture nationale » Voir THIESSE, Anne-Marie, La création des identités nationales, Europe XVIIIe-XXe siècle, Paris, Éditions du Seuil, 2001. 19. KOKKONIS, Georges, La question de la grécité dans la musique néohellénique, Paris, Éditions de l’Association Pierre Beton, 2008, p. 252. Pour les différentes visions autour de la musique traditionnelle/démotique pendant la première moitié du XXe siècle (l’harmonisation, la transposition de la modalité, l’utilisation de la notation occidentale ou byzantine), voir idem, p. 161-219.

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20. Voir ANAGNOSTOU, Panagiota, Les représentations de la société grecque dans le rebetiko (sous la direction de Denis-Constant Martin), Thèse de Doctorat en science politique, Pessac, Université de Bordeaux, Sciences Po Bordeaux, 2011. Voir aussi VLISIDIS, Kostas, Σπάνια κείμενα για το ρεμπέτικο (1929-1959) [Textes rares sur le rebetiko (1929-1959)], Athènes, Ekdoseis tou Eikostou Protou, 2006 ; VLISIDIS, Kostas, Όψεις του ρεμπέτικου [Faces du rebetiko], op.cit., p. 11-65 ; et BAYOKAS, Grigoris, Το ρεμπέτικο στο δημόσιο λόγο της περιόδου 1931-1940 [Le rebetiko dans le discours public pendant la période 1931-1940], Thèse de doctorat (dirigée par Anna Mantoglou), Athènes, Département de Psychologie, Université de Panteio, 2008. 21. Il s’agit de la Grèce des « cinq mers et deux continents », une idée peu réaliste qui fixait les frontières nationales imaginaires de la ligne d’Aimos au cap Ténare et de l’Adriatique à la mer Noire au Taurus. Cette aspiration concernant le territoire national a été baptisée en 1844 la Megali Idea (la « Grande Idée ») par Ioannis Kolettis, alors Premier Ministre de la Grèce, sous le règne d’Othon, et leader du Parti Français. Elle a été accompagnée d’une politique expansionniste jusqu’en 1922. Voir aussi SVORONOS, Nicolas, Histoire de la Grèce moderne, Paris, PUF, 1972. 22. La première loi sur des « mesures de protection du statut social et des libertés des citoyens » avec un caractère anti-communiste est votée en 1929 suite à une proposition du gouvernement d’Eleftherios Venizelos. Elle restera connue sous le nom de « Idionymo ». 23. La population de la capitale double et de nouveaux quartiers se construisent en quelques mois seulement. 24. Voir FOUNTANOPOULOS, Kostas, Εργασία και εργατικό κίνημα στη Θεσσαλονίκη [Emploi et mouvement ouvrier à Thessalonique], Athènes, Nefeli, 2005, MOSKOF, Kostas, Εισαγωγικά στην ιστορία του κινήματος της εργατικής τάξης [Introduction à l’histoire du mouvement de la classe ouvrière], Thessalonique, Ekdoseis Moskof, 1979 ; et BENAROYA, Avraam, Η πρώτη σταδιοδρομία του ελληνικού προλεταριάτου [Les premiers pas du prolétariat grec], Athènes, Olkos, 1975. 25. PAPANTONIOU, Zaharias, « Η φοβερή μελωδία» [La mélodie terrible], in Ebros, 04.06.1917, p. 1. 26. V. GER., « Για να νοιώσει ο Λαός τη χαρά της μουσικής» [Pour que le Peuple puisse sentir la joie de la musique], in Iho tis Ellados, 27.05.1935, p. 2. Le titre aussi est intéressant. 27. Iho tis Ellados, « Ο Δήμος Αθηναίων προκηρύσσει διαγωνισμόν ελληνικών τραγουδιών» [La Municipalité d’Athènes proclame une compétition de chansons grecques], 09.06.1935, p. 2. 28. Le texte dicté par le Secrétariat de Presse et de Tourisme circule dans différents journaux, par exemple Ethnos, « Αι άσεμναι πλάκες γραμμοφώνου» [Les disques de gramophone indécents], 29.11.1937, p. 6. La censure musicale est saluée par la presse. L’intervention de l’État et l’interdiction de l’amané sont d’ailleurs demandées avant l’arrivée des réfugiés, dès 1921 par PAPANTONIOU, Zaharias, « Τωρινά και περασμένα. Λαϊκόν Ωδείον» [Des choses présentes et passées. Conservatoire Populaire], in Estia, 02.06.1921. 29. La figure du magkas est centrale dans le rebetiko. Le terme apparaît dans les journaux au plus tard au début du XXe siècle (LABRYNIDIS, Mihail, « Οι μοσχόμαγκες» [Les bons magkes], in Athinai, 12.09.1904) et dans plusieurs chansons rebetiko qui construisent une image de son monde, de ses habitudes, de son comportement, de sa manière de s’habiller, de ses rapports avec les autres. Le magkas est une figure ambiguë qui désigne un type dur, avec ses propres manières et valeurs, qui frôle l’illégalité, mais un homme d’honneur, droit et juste. 30. Akropolis, « Μια νύχτα μεταξύ των χασισοποτών» [Une nuit parmi des haschischomanes], 29-30-31.07.1905. 31. La loi qui interdit la culture, le commerce et l’usage du chanvre indien en Grèce est votée en mars 1920 ; elle n’entrera en vigueur qu’en 1936. Voir GAUNTLETT, Stathis, Ρεμπέτικο τραγούδι, συμβολή στην επιστημονική του προσέγγιση, [Chanson rebetiko, contribution à son approche scientifique], Athènes, Ekdoseis tou Eikostou Protou, 2001, p. 45 et PAPAIOANNOU, Spyros, Ημερολόγιο 2006, Ο Πειραιάς και το ρεμπέτικο τραγούδι [Calandrier 2006, le Pirée et la chanson rebetiko], Pirée, To Limani tis Agonias, 2005.

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32. On retrouve le terme sur les étiquettes de disques dès 1912 et dans les catalogues des compagnies phonographiques dans les années 1920. Voir GAUNTLETT, Stathis, “Mammon and the Greek Oriental Muse. Rebetika as a Marketing Construct”, in CLOSE, Elizabeth, TSIANIKAS, Michael, FRAZIS, George (eds.), Greek Research in Australia : Proceedings of the Biennial International Conference of Greek Studies, Flinders University April 2003, Adelaide, Flinders University Department of Languages - Modern Greek, 2005, p. 179-194 et SAVVOPOULOS, Panos, Περί της λέξεως ‘ρεμπέτικο’ το ανάγνωσμα... και άλλα [Autour du mot écrit « rebetiko »… et autres], Athènes, Odos Panos, 2006. La première apparition du terme dans la presse a lieu dans les revues To Tragoudi, vol. 20, juillet 1936, p. 29,32, et O REPORTER, « Τα μάγκικα και τα ρεμπέτικα» [Les magkika et les rebetika], in Bouketo, vol. 644, 02.07.1936 et vol. 645, 09.07.1936, in VLISIDIS, Kostas, Σπάνια κείμενα… [Textes rares…], op.cit., p. 42-48. 33. Les premiers articles sur le rebetiko sont plutôt positifs. Même sa grande ennemie, Sofia Spanoudi, le voit comme autochtone. SPANOUDI, Sofia, « Μουσική του ελληνικού λαού» [La musique du peuple grec], in Elefthero Vima, 07.10.1938, in VLISIDIS Kostas, Σπάνια κείμενα… [Textes rares…], op.cit., p. 80-83. 34. LALAOUNI, Alexandra, « Λαϊκή μουσική – μαέστροι – συνθέται – τραγουδισταί» [Musique populaire – maestros – compositeurs – chanteurs », in Vradyni, 14.10.1940 in VLISIDIS Kostas, Σπάνια κείμενα… [Textes rares…], op.cit., p. 86-88. 35. La Station d’Athènes commence ses diffusions en mars 1938. Sur l’histoire de la radio en Grèce, voir BARBOUTIS, Christos, KLONTZAS, Mihalis, Το φράγμα του ήχου [La barrière du son], Athènes, Papazisi, 2001 ; et EPIKOINONIAS, Tetradia, Το ραδιόφωνο στην Ελλάδα [La radiophonie en Grèce], Athènes, Institouto Optikoakoustikon Meson, 2006. 36. Le numéro 24 (30.07-05.08.1939, p. 12-31) de la revue Programme hebdomadaire de la Station Radiophonique d’Athènes éditée par la Direction Radiophonique, sous le contrôle du Secrétariat de la Presse et du Tourisme, contient une analyse du programme de la station du 21.05.1938 au 30.06.1939. On apprend ainsi que 70 % du programme est composé de musique, dont 44 % de « musique sérieuse » et 56 % de « musique joyeuse et diverse ». La musique grecque (démotique et autre) occupe 12 % du temps d’antenne. 37. Le bouzouki sera diffusé sur les ondes d’abord à travers des enregistrements de musique légère ou démotique, dans lesquels il occupe une place relativement discrète (égale aux autres instruments) par rapport à sa mise en valeur dans les tavernes. Voir à titre d’exemple le programme du 03.03.1952 où les chansons « Σούστα» [Sousta] de Hiotis, « Πάμε Μάρω στην Αθήνα» [Allons Maria à Athènes] et « Πάμε μια βόλτα» [Allons une promenade] de Peristeris sont annoncées. EIR, Εβδομαδιαίον Πρόγραμμα Ραδιοφωνικών Σταθμών Αθηνών και Θεσσαλονίκης [Programme hebdomadaire des Stations Radiophoniques d’Athènes et de Thessalonique], Nº 92, 02-08.03.1952. En 1952, le Deuxième Programme est fondé et la musique populaire gagnera du terrain dans la Station d’Athènes et les émissions publicitaires des différentes compagnies phonographiques qui la promeuvent deviendront de plus en plus fréquentes. 38. ZAIMAKIS, Yannis, « ‘Forbidden Fruits’ and the Communist Paradise… », op.cit. 39. MAZOWER, Mark, After the war was over : Reconstructing the Family, Nation and State in , 1943-1960, Princeton and Oxford, Princeton University Press, 2000. 40. Avgi, « Μια έρευνα της “ Αυγής” για τη λαϊκή μας μουσική. Οι Αυγέρης, Καλομοίρης, Θεοδωράκης, Ξένος, Αρκαδινός και Μαζαράκη μιλάνε για το σύγχρονο λαϊκό τραγούδι» [Une recherche de « Avgi » sur notre musique populaire. Avgeris, Kalomoiris, Theodorakis, Xenos, Arkadinos et Mazaraki parlent de la chanson populaire contemporaine], 21.03.1961 – 05.04.1961. 41. POLITIS, Nikos, « Μια συζήτηση. Το ρεμπέτικο τραγούδι» [Une discussion. La chanson rebetiko], in Rizospastis, 23.02.1947, p. 2.

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42. Je pense, entre autres, à Panagiotis Toundas (Smyrne 1884 – Athènes 1942) et Kostas Skarvelis (Constantinople 1880 – Athènes 1942) qui étaient directeurs artistiques de compagnies phonographiques. 43. VARVOGLIS, Marios, « ... Και το μουσικό του πρόγραμμα : ό,τι πιο οπισθοδρομικό και κακότεχνο» [… Et son programme musical : ce qu’il y a de plus arriéré et de plus mauvais en matière d’art], in Rizospastis, 07.07.1946, p. 3. 44. ANOGEIANAKIS, Foivos, « Η μουσική στο δημοτικό τραγούδι» [La musique dans la chanson démotique], in Rizospastis, 15.08.1946, p. 2. 45. Pour la liste de ces chansons voir PENNANEN, Risto Pekka, Westernisation and Modernisation in Greek Popular Music, Tampere, Acta Universitatis Tamperensis 692, 1999, Appendix C, p. 187. 46. Voir plusieurs textes dans VLISIDIS, Kostas, Σπάνια κείμενα... [Textes rares...], op.cit. 47. Il s’agit de décrets policiers. Voir le décret de 1946 au Pirée dans VLISIDIS, Kostas, Σπάνια κείμενα... [Textes rares...], op.cit., p. 112 et le décret de 1950 à Athènes dans PANAYOTOU, Yorgos, « Διώξεις του ρεμπέτικου. Μια αστυνομική διάταξη του 1950 » [Persécutions du rebetiko. Un décret policier de 1950], in Anti, vol. 674, novembre 1998, p. 41. 48. Voir à titre d’exemple l’article de Svolopoulos dans le numéro 42 (20-26.02.1949) de la revue Programme hebdomadaire de la Station Radiophonique d’Athènes et l’article sur « Comment la guerre froide se fait par la radio » qui parle de la station de Thessalonique « sous la direction greco- américaine, destinée exclusivement au pays derrière le Rideau de Fer », Nº 60 (26.06-02.07.1949), p. 25. 49. YANNAKOPOULOS, Stavros, « Χασίς, πορνεία, χαρτοπαίγνιο – χιλιάδες παγίδες στην Αθήνα για τον εκφυλισμό της νεολαίας» [Haschisch, prostitution, jeu de cartes – milles pièges favorisant la dégénérescence de la jeunesse à Athènes], in Eleftheri Ellada, 16.04.1946, p. 1. 50. ANOGEIANAKIS, Foivos, « Το ρεμπέτικο τραγούδι» [La chanson rebetiko], in Rizospastis, 28.01.1947, p. 2 51. MYSTIS, D., « Το χασίς και οι συνέπειες του » [Le haschisch et ses conséquences], in Rizospastis, 15.12.1946. Voir aussi S.L., « Το χασίς. Ένας μεγάλος κίνδυνος για τη νεολαία μας» [Le haschisch. Un grand danger pour notre jeunesse], in Rizospastis, 15.08.1947. 52. ANOGEIANAKIS, Foivos, « Το ρεμπέτικο τραγούδι» [La chanson rebetiko], op. cit.. 53. M.KYR., « Ν’απαγορευτούν τα μάγκικα» [Interdire les magkika], in Edo Athinai, vol. 10, novembre 1946, p. 38 in VLISIDIS, Kostas, Σπάνια κείμενα... [Textes rares...], op.cit., p. 113-115. 54. SPANOUDI, Sofia, « Η λαϊκή μουσική. Τα “ρεμπέτικα” » [La musique populaire. Les « rebetiko »], in Ta Nea 10.02.1949, p. 1-2. 55. KALOMOIRIS, Manolis, « Τα “ρεμπέτικα” και τα “ταγκό” » [Les « rebetika » et les « tango »], in Ethnos, 08.01.1947 in VLISIDIS, Kostas, Σπάνια κείμενα... [Textes rares...], op.cit., p. 126-127. 56. PALAIOLOGOS, Pavlos, « Ο λόγος στην υπεράσπιση» [La parole à la défense], in Ta Nea, 23.12.1946 in VLISIDIS Kostas, Σπάνια κείμενα... [Textes rares...], op.cit., p. 122-123, PSATHAS, Dimitris, « Αθηναϊκά. Στα “Μπουζούκια” » [Atheniens. Aux « Bouzoukia »], in Ta Nea, 10.09.1948, p. 1 et FOTEINOS, Petros, « Ο θρίαμβος της χορδής» [Le triomphe de la corde], in To Fos (Thessalonique), 14.09.1948, in VLISIDIS, Kostas, Σπάνια κείμενα... [Textes rares...], op.cit., p. 134-135. 57. STAVROU, G., « Παραμιλητό εξοφλημένου κόσμου. ‘Ρεμπέτικα από την Τρούμπα στο ... Κολωνάκι ! » [Divagation d’un monde à l’agonie. « Rebetika » de Trouba à... Kolonaki ! », in Eleftheri Ellada, 27.11.1946, p. 2. 58. KARAGATSIS, M., « Εκεί που η Αθήνα γλεντάει... » [Là où Athènes fait la fête], in Vradyni, 09.08.1946 et MANOLIKAKIS, I., « Το λαϊκό, το “ρεμπέτικο” τραγούδι ξαναβρίσκει και πάλι τις παλιές του δόξες» [La chanson laiko, « rebetiko » retrouve de nouveau sa gloire du passé], in Ta Nea, 17.09.1946 in VLISIDIS, Kostas, Σπάνια κείμενα... [Textes rares...], op.cit., p. 101-108. Dans les revues musicales voir MANESIS, Kostas, « Στις Τζιτζιφιές – μια βόλτα στο βασίλειο του μπαγλαμά»

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[A Tzitzifies – une promenade au royaume du baglama], in To Monterno Tragoudi, vol. 11, septembre 1947 et vol. 12, octobre 1947 in VLISIDIS, Kostas, Σπάνια κείμενα... [Textes rares...], op.cit., p. 130-132 et ALFA-VITA, « Ο καζαμίας του ελληνικού τραγουδιού» [L’almanach de la chanson grecque], in To elliniko tragoudi, nº 68, janvier 1951, p. 32-33. 59. STAVROU, G., op.cit., PSATHAS, Dimitris, op.cit, FOTEINOS, Petros, « Ο Τσιτσάνης» [Tsitsanis], in To Fos (Thessalonique), 15.09.1948, p. 1, YALAMAS, Asim., « Η Ντερμπεντέρισσα» [Nterbenterissa], in To Monterno Tragoudi, vol. 34, décembre 1948 in VLISIDIS, Kostas, Σπάνια κείμενα... [Textes rares...], op.cit., p. 136, PALAIOLOGOS, Pavlos, « Μπουζούκια» [Bouzoukia], in Ta Nea, 13.12.1948 in VLISIDIS, Kostas, Σπάνια κείμενα... [Textes rares...], op.cit., p. 137-138, PSATHAS, Dimitris, « Τα μπουζούκια» [Les bouzoukia], in Ta Nea, 22.11.1951, p. 2 et LYBEROPOULOS, D.P., « Η νεολαία ζητάει εύθυμους σκοπούς» [La jeunesse demande des mélodies gaies], in Ebros, 17.02.1952, p. 3-4. 60. A.S., « Παλαιοαθηνίτις και ταβερνοκρατία» [Vieux athénisme et tavernocratie], in Proia, 02.12.1943, p. 1, Proia, « Η κοινή ησυχία» [Le calme public], 18.07.1944, p. 1, et VOURNAS, Tasos, « Το σύγχρονο λαϊκό τραγούδι, πρώτη προσπάθεια αναγωγής στις ρίζες του» [La chanson populaire contemporaine. Première tentative de retour aux origines], in Epitheorisi Technis, vol. 76, avril 1961, p. 277-285. 61. STAVROU, G., op.cit. 62. ANOGEIANAKIS, Foivos, « Η μουσική στο δημοτικό τραγούδι» [La musique dans la chanson démotique], op.cit. et « Το ρεμπέτικο τραγούδι» [La chanson rebetiko], op.cit. 63. Il s’agit des épopées autour de la vie des Kleftes, devenus figures de la résistance contre l’ordre ottoman. Les ottomans, perturbés par leurs actions, les incorporaient de temps en temps dans le corps d’Armatoloi, leur milice spéciale composée exclusivement de chrétiens, qui apparaît à partir du XIVe siècle en Anatolie et plus tard dans les Balkans, SVORONOS, Nicolas, Histoire de la Grèce moderne, Paris, PUF, 1972, p. 22. 64. ANOGEIANAKIS, Foivos, « Η μουσική στο δημοτικό τραγούδι» [La musique dans la chanson démotique], op.cit. 65. Des idées similaires seront exprimées par Manos Hatzidakis, jeune compositeur prometteur du Conservatoire, qui en janvier 1949 prononce une conférence qui fera date dans l’histoire du rebetiko. Devant une salle pleine d’intellectuels au Théâtre de l’Art, il parle de la « valeur », de la « vérité » et de la « force » du rebetiko, dont il analyse les rythmes et la mélodie pour faire apparaître des liens avec la musique byzantine. Il va jusqu’à inviter Vamvakaris et Bellou à jouer sur scène. Le texte de la conférence est disponible sur http://www.hadjidakis.gr/homeweb.htm (Rubrique : « Έργογραφία - γραπτά κείμενα» [Liste d’œuvres – textes écrites]). Au moment de la conférence, Hatzidakis prépare son œuvre « Six portraits populaires » auquel il reprend des chansons de Tsitsanis, Kaldaras, Mitsakis et Hatzichristos. 66. XENOS, Alekos, « Μας γράφουν. Το ρεμπέτικο τραγούδι» [Lettres. La chanson rebetiko], in Rizospastis, 04.02.1947, p. 2. 67. Il s’agit des chansons ayant des paroles « révolutionnaires » superposées à des mélodies démotiques et à des chansons russes, arrangées par des compositeurs de conservatoire et censées encourager les communistes qui luttent dans les montagnes pendant la résistance, puis lors de la guerre civile. Xenos n’est pas le seul à voir les antartika comme des chansons populaires ; Arkadinos est du même avis, ARKADINOS, Vasilis, « Λαϊκό τραγούδι και ευθύνη των πνευματικών ανθρώπων» [La chanson populaire et la responsabilité des intellectuels], in I Dimokratiki, 30.08.1951. Pour une étude en français sur les chansons des maquisards – ayant un titre trompeur mais révélateur de ce même avis – voir MOUCHTOURIS, Antigone, La culture populaire en Grèce pendant les années 1940-1945, Paris, L’Harmattan, 1989. 68. SAMOUILIDOU, Erifyli, « Το δημοτικό τραγούδι» [La chanson démotique], in Epitheorisi Technis, vol. 22, octobre 1956, p. 227-228, KALOMOIRIS, Manolis, « Μια έρευνα για το λαϊκό τραγούδι» [Une recherché sur la chanson populaire], in Avgi, 24.03.1961, VOURNAS, Tasos, « Το σύγχρονο λαϊκό

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τραγούδι… » [La chanson populaire contemporaine...], op.cit., ANOGEIANAKIS, Foivos, « Για το ρεμπέτικο τραγούδι» [Sur la chanson rebetiko], in Epitheorisi Technis, vol. 79, juillet 1961, p. 11-20. 69. PAGKALIS, Nikos, « Το ρεμπέτικο τραγούδι» [La chanson rebetiko], in Avgi, 14.02.1953. 70. ANOGEIANAKIS, Foivos, « Η μουσική στο δημοτικό τραγούδι» [La musique dans la chanson démotique], op.cit., ORFINOS, Petros, « Δημοτικά τραγούδια και μουσική αγωγή» [Chansons démotiques et éducation musicale], in Epitheorisi Technis, vol. 17, mai 1956, p. 431-433, SAMOUILIDOU, Erifyli, op.cit. 71. VOURNAS, Tasos, op.cit. 72. STAVROU, G., op.cit., ARKADINOS, Vasilis, « Μια έρευνα για το λαϊκό τραγούδι» [Une recherche sur la chanson populaire], in Avgi, 22.03.1961. 73. MAZOWER, Mark, After the war was over…, op.cit. 74. CLOSE, David, « The Road to Reconciliation ? The Civil War and the Politics of Memory in the 80s” in CARABOTT, Philip, SFIKAS, Thanasis (eds), The Greek Civil War. Essays on a conflict of exceptionalism and silences, Centre for Hellenic Studies, King’s College, London, Ashgate, 2004, p. 257-278. 75. Par exemple le film Stella, femme libre, de Michalis Kakogiannis, présenté à Cannes en 1956, où la musique de Hatzidakis est interprétée par l’« orchestre populaire » de Tsistanis. 76. Kyriakatikos Tahydromos, « Βασ.Τσιτσάνης – ο μάγος του μπουζουκιού » [Vas.Tsitsanis – le magicien du bouzouki], 15.04.1951 in VLISIDIS, Kostas, Σπάνια κείμενα... [Textes rares...], op.cit., p. 168-172. 77. Des débats auront lieu dans Avgi, le journal de l’Union de la Gauche Démocratique (EDA), et Epitheorisi Technis, la revue mensuelle des lettres et des arts affiliée à la gauche. 78. ORFINOS, Petros, op.cit.. 79. SKOURIOTIS, Yannis, « Το δημοτικό τραγούδι από κοινωνική άποψη» [La chanson démotique d’un point de vue social], in Epitheorisi Technis, vol. 20, août 1956, p. 148-152. 80. ORFINOS, Petros, op.cit. 81. Μ.R., « Πνευματικά καλλιτεχνικά σημειώματα. Το “ρεμπέτικο” » [Notes intellectuelles artistiques. Le « rebetiko »], in Avgi, 20.09.1953, p. 3 et aussi KOUZINOPOULOS, Lazaros, « Το τέλος της συζήτησης για το λαϊκό τραγούδι» [La fin de la discussion autour de la chanson populaire], in Epitheorisi Technis, vol. 84, décembre 1961, p. 612-615. 82. GARDIKIS, D., « Το ρεμπέτικο» [Le rebetiko], in Epitheorisi Technis, vol. 21, septembre 1956, p. 245. 83. SKOURIOTIS, Yannis, « Το δημοτικό τραγούδι από κοινωνική άποψη» [La chanson démotique d’un point de vue social], op.cit. 84. ORFINOS, Petros, op.cit. 85. VOURNAS, Tasos, op.cit. Une idée similaire est exprimée par XENOS, Alekos, « Μας γράφουν. Το ρεμπέτικο τραγούδι» [Lettres. La chanson rebetiko], op.cit. et par ANTONIOU, Antonis, « Ένας εργάτης για το λαϊκό τραγούδι» [Un ouvrier sur la chanson populaire], in Epitheorisi Technis, vol. 76, avril 1961, p. 337-338. 86. SOFOULIS, Kostas, [lettre], in Epitheorisi Technis, vol. 20, août 1956, p. 152-154. 87. Selon les mots de Theodorakis transcrits par NIKA, Eleni, « Συζήτηση για το λαϊκό τραγούδι με τους φοιτητές στο ΄Νέο Θέατρο’ » [Discussion sur la chanson populaire avec les étudiants au « Nouveau Théâtre »], in Avgi, 29.03.1961. 88. THEODORAKIS, Mikis, « Γύρω στον “Επιτάφειο” » [Autour de l’« Épitaphe »], in Epitheorisi Technis, vol. 73-74, janvier-février 1961, p. 75-79. 89. ANOGEIANAKIS, Foivos, « Το ρεμπέτικο τραγούδι » [La chanson rebetiko], op.cit. ; SOFOULIS, Kostas, [lettre], in Epitheorisi Technis, op.cit. ; THEODORAKIS, Mikis, « Γύρω στον “Επιτάφειο” » [Autour de l’« Épitaphe »], op.cit. ; PAPADIMITRIOU, Elli, « Μια έρευνα για το λαϊκό τραγούδι» [Une recherche sur

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la chanson populaire], in Avgi, 30.03.1961 ; et ANOGEIANAKIS, Foivos, « Για το ρεμπέτικο τραγούδι» [Sur la chanson rebetiko], op.cit. 90. VOURNAS, Tasos, op.cit. 91. PAPADIMITRIOU, Elli, op.cit. 92. THEODORAKIS, Mikis, « Γύρω στον “Επιτάφειο” » [Autour de l’« Épitaphe »], op.cit. 93. VOURNAS, Tasos, op.cit. 94. STAVROU, G., op.cit. 95. SKOURIOTIS, Yannis, « Το δημοτικό τραγούδι από κοινωνική άποψη» [La chanson démotique du point de vue social], op.cit. 96. SAMOUILIDOU, Erifyli, op.cit., XENOS, Alekos, « Μια έρευνα για το λαϊκό τραγούδι» [Une recherche sur la chanson populaire], in Avgi, 24.03.1961. 97. En Grèce, la critique des nouvelles technologies qui permettent la reproduction du son a lieu dès leur apparition. Sur les cylindres, voir O ALLOS, « Αθηναϊκαί Σκηναι. Ο φωνογράφος. Μια νέα βιομηχανία. Οι φωνογράφοι και η κιορ Κατίνα. Ο Σουρής εις τον κύλινδρον. Επτά δραχμάς το καπέλλο» [Scènes d’Athènes. Le phonographe. Une nouvelle industrie. Les phonographes et la dame Katina. Souris au cylindre. Sept drachmes le chapeau], in Skrip, 28.09.1901. Sur le phonographe, voir Mousika Hronika, « Σημειώματα : ο φωνογράφος» [Notes : le phonographe], vol. 1, avril 1928 cité dans VLISIDIS, Kostas, Για μια βιβλιογραφία…, [Pour une bibliographie…], op.cit., p. 160. 98. ANOGEIANAKIS, Foivos, « Το ρεμπέτικο τραγούδι» [La chanson rebetiko], op.cit. 99. SKOURIOTIS, Yannis, « Το δημοτικό τραγούδι» [La chanson démotique], in Epitheorisi Technis, vol. 23-24, novembre-décembre 1956, p. 461. 100. Sur le lien avec le jazz commercial voir VOURNAS, Tasos, op.cit. et ANOGEIANAKIS, Foivos, « Για το ρεμπέτικο τραγούδι » [Sur la chanson rebetiko], op.cit. Sur la division entre vieux rebetiko et laiko d’aujourd’hui voir AVGERIS, Markos, « Μια έρευνα για το λαϊκό τραγούδι» [Une recherche sur la chanson populaire], in Avgi, 21.03.1961 et VOURNAS, Tasos, op.cit. 101. PETROPOULOS, Ilias, Υπόκοσμος και καραγκιόζης [Bas-fonds et Karagkiozis], Athènes, Grammata, 1978, cité dans GAUNTLETT, Stathis, Ρεμπέτικο τραγούδι… [Chanson rebetiko…], op.cit., p. 61-127, p. 93. 102. THEODORAKIS, Mikis, « Γύρω στον “Επιτάφειο” » [Autour de l’« Épitaphe »], op.cit. 103. Avgi, « Μια έρευνα της “Αυγής” για τη λαϊκή μας μουσική. Οι Αυγέρης, Καλομοίρης, Θεοδωράκης, Ξένος, Αρκαδινός και Μαζαράκη μιλάνε για το σύγχρονο λαϊκό τραγούδι» [Une recherché de « Avgi » sur notre musique populaire. Avgeris, Kalomoiris, Theodorakis, Xenos, Arkadinos et Mazaraki parlent de la chanson populaire contemporaine], 21.03.1961 – 05.04. 1961. 104. TRAGAKI, Dafni, op.cit. 105. ZAIMAKIS, Yannis, op.cit. 106. Le terme sera maintenu pour designer aujourd’hui une catégorie plus limitée – surtout pour caractériser des chansons d’improvisation vocale avec un rythme libre. Le terme « smyrneiko » (de Smyrne) sera appliqué au reste du répertoire en insérant symboliquement les réfugiés dans le récit identitaire grec, et en leur accordant en même temps leur différence : ils resteront des grecs « d’ailleurs ». 107. J’emprunte ici le vocabulaire de Sofia Spanoudi. SPANOUDI, Sofia, « Η μουσική και ο ελληνικός λαός» [La musique et le peuple grec], in Mousiki Zoi, année Β, vol. 1 (octobre 1931), p. 4-5. 108. BALANDIER, Georges, Anthropologie politique, 4e édition, Paris, PUF, 1999 et MARTIN, Denis- Constant, « Cherchez le peuple... culture, populaire et politique », in Critique internationale 7, avril 2000, p. 169-183.

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RÉSUMÉS

Cet article examine les débats sur la musique populaire grecque parus dans la presse de gauche de 1946 à 1961. Au moment du conflit interne et pendant la période qui l’a suivi, les intellectuels de gauche se penchent sur les expressions du peuple en essayant d’y trouver résistance et héroïsme, d’établir la persistance des luttes et de montrer la continuité de la répression. À plusieurs reprises, la musique populaire se trouve au centre des débats et divise l’opinion. À travers l’analyse des archives de presse, cet article revisite ces débats où, au-delà de la question « quelle est la musique populaire ? », les divisions internes du mouvement de gauche apparaissent, des ruptures et des continuités dans l’histoire musicale grecque sont construites, des identifications et des assignations sont opérées, mais surtout se dessinent les contours de la catégorie « peuple ».

This article examines the debates on Greek popular music published in the left-wing press from 1946 to 1961. At the time of the internal conflict and during the period that followed, left-wing intellectuals concentrate on the expressions of the people in order to find resistance and heroism, establish the persistence of struggles, but also demonstrate the continuity of repression. On several occasions, popular music becomes a central issue and divides the expressed opinions. Through the analyses of press archives, this article revisits these debates where, beyond the question “which is the popular music?”, the internal divisions of the left movement appear, ruptures and continuities in Greek music history are built, identifications and assignations are made, but also the outlines of the category “people” are designed.

INDEX

Keywords : popular music, Greece, rebetiko, Greek civil war, left-wing press Mots-clés : musique populaire, Grèce, rebetiko, guerre civile grecque, presse de gauche

AUTEUR

PANAGIOTA ANAGNOSTOU

Panagiota Anagnostou est diplômée en science politique et en sociologie. Ses recherches relèvent de la sociologie politique et traitent des configurations identitaires et mémorielles dans la musique populaire. Elle a soutenu en 2011 sa thèse de doctorat sur la musique populaire grecque (XIXe-XXe siècles), intitulée « Les représentations de la société grecque dans le rebetiko » (sous la direction de Denis-Constant Martin) à SciencesPo Bordeaux. Elle a participé à différents programmes de recherche et travaille actuellement sur les pratiques musicales de migrants comme expression et participation politiques.

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Un bruit lointain ? Les musiciens chiliens face à la Guerre du Vietnam (1965-1975) A distant noise? Chilean musicians confronting the Vietnam War (1965-1975)

Mauricio Gómez Gálvez

NOTE DE L'AUTEUR

Le titre fait allusion à l’article de presse de l’historien chilien FERMANDOIS, Joaquín, « Chile y la Guerra de Vietnam. Ruido a la distancia », in La Tercera, 23 avril 2000. L’article de Fermandois entend minimiser rétrospectivement l’impact de la Guerre du Vietnam au Chili, en considérant que ce conflit armé « n’a pas eu d’influence perceptible dans le pays ». Si cela est certes valable pour une partie importante de la population, l’examen de la documentation de l’époque, y compris les registres des mobilisations citoyennes et surtout l’importante production artistique suscitée par ce conflit armé, relativise considérablement les affirmations de cet auteur. Plus qu’une réfutation, notre article se veut une contribution à un débat historiographique – même s’il a lieu « à distance » –, en jetant un nouveau regard sur un aspect encore peu étudié – celui de la réception de la Guerre du Vietnam – pendant une période particulièrement controversée de l’histoire politique et culturelle chilienne.

1 Si les mouvements d’opposition à la Guerre du Vietnam nés en Europe et aux États-Unis sont aujourd’hui assez connus, ceux apparus en Amérique latine demeurent peu étudiés. Tout comme dans les pays du nord, la jeunesse étudiante et nombre d’artistes d’Amérique du sud jouent un rôle actif dans la lutte contre un conflit armé perçu comme injuste, et condamnent l’intervention nord-américaine au nom de l’anti- impérialisme. Au Chili, les artistes, et tout particulièrement les musiciens, se mobilisent pour soutenir la lutte vietnamienne et blâmer l’envahisseur yanqui.

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2 Bien que certains musiciens savants1 réagissent en composant des œuvres à cette fin, c’est dans le domaine de la chanson que le rejet de la guerre trouvera une plus forte résonance sociale. En effet, les chansons de musiciens tels que Víctor Jara ou du groupe Quilapayún jalonnent une période cruciale pour le pays, marquée par la quête d’une « voie chilienne au socialisme ». Ces artistes engagés appartiennent à ce qui sera bientôt nommé la Nouvelle Chanson Chilienne2 (désormais NCCh), mouvement musical rénovateur, en phase avec le climat politique à caractère révolutionnaire qui se répand dans le continent latino-américain. Le Vietnam, tout comme la Révolution cubaine, sera chanté en tant qu’étendard de la lutte contre l’impérialisme3.

3 La plupart des artistes – y compris les musiciens – convergeront vers le projet politique de Salvador Allende à la tête de l’Unité populaire, le soutenant activement lors de la campagne présidentielle qui le conduira au pouvoir en 1970. Sur le plan international, cet événement projettera le Chili au cœur de l’affrontement idéologique entre les deux superpuissances mondiales. Nous partons de l’hypothèse que la lutte contre la Guerre du Vietnam, en tant que facteur majeur de mobilisation et de cohésion sociale, a joué un rôle important dans l’éclosion de formes d’art politiquement engagé4, y compris la musique, consolidant – et préfigurant parfois – les manifestations les plus caractéristiques de la période de l’Unité Populaire. Dans quelle mesure le combat contre la Guerre du Vietnam a-t-il contribué à définir les formes d’expression de l’engagement des musiciens chiliens ?

Devenir d’une contestation : de la classe politique à la société civile et aux artistes

4 Au moment où éclate la Guerre du Vietnam, le Chili entre dans une période de profondes transformations politiques et sociales. En septembre 1964, le démocrate- chrétien Eduardo Frei Montalva, brandissant le slogan de « Révolution dans la liberté », était élu Président de la République. Le programme du gouvernement annonçait des mesures de fond telles que la nationalisation du cuivre (première étape d’un processus qui sera approfondi pendant le gouvernement d’Allende) et une réforme agraire. Frei, fortement appuyé par les États-Unis, incarnait une sorte d’alternative viable face à une droite transitoirement épuisée, mais aussi un frein aux avancées des forces de gauche, qui menaçaient les intérêts de l’oligarchie locale et des capitaux étrangers dans le pays. Malgré son relatif progressisme, le gouvernement de Frei s’affaiblira rapidement, en perdant le soutien d’une bonne partie de ses électeurs. Il s’agit d’un moment clé de l’histoire chilienne qui voit alors culminer des mouvements sociaux, et où la jeunesse – ouvrière et universitaire – joue un rôle prépondérant. Cette période est en effet celle de l’émergence d’une génération contestataire qui se distinguera des générations précédentes en raison d’un fort engagement éthique, la conduisant à adopter une nouvelle attitude de rébellion permanente, à l’instar des révolutionnaires cubains et des résistants vietnamiens5. La force de cette génération se reflète dans le processus de Réforme universitaire qui démocratisera l’université chilienne et l’ouvrira au plus grand nombre. Au moment où la figure des héros révolutionnaires tels que Che Guevara alimente l’imaginaire d’une jeunesse avide de changements radicaux, plusieurs mouvements prônant la voie armée surgissent au Chili, notamment le MIR (Mouvement de la gauche révolutionnaire), fondé en 1965. Si ces groupes semblent incarner à bien des égards l’air du temps, attirant effectivement une partie de la jeunesse contestataire,

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celle-ci ne rompra pas avec les structures politiques traditionnelles dominantes (Parti communiste, Parti socialiste, etc.), mais elle tendra à créer des organismes politiques conciliant l’action directe et l’action représentative6. C’est le cas du MAPU (Mouvement d’action populaire unitaire), scission de l’aile radicale du Parti démocrate-chrétien en 1969. Si le dilemme entre la voie pacifique et la voie armée pour conquérir le socialisme au Chili est l’objet de débats animés, la nécessité de soutenir solidairement le combat vietnamien est unanime au sein de la jeunesse engagée de gauche.

Le refus de la guerre

5 L’une des premières manifestations de condamnation de la guerre dans le Sud-Est asiatique a lieu au Congrès national le 7 avril 1965 : le sénateur du Parti communiste chilien Carlos Contreras y prononce un long discours à propos de l’intervention nord- américaine au Vietnam7. En 1966, le relais est pris par diverses associations qui se regroupent pour créer le Comité chilien de solidarité avec le Vietnam. Cet organisme fait circuler un tract intitulé « Dehors les yankees du Vietnam !8 ». Le texte, « appel au peuple du Chili », s’attaquait violemment à l’impérialisme nord-américain.

6 Au mois de janvier de la même année, la revue d’orientation révolutionnaire Punto Final (elle était en effet proche du MIR), publiait un numéro spécial sous le titre « Ce que j’ai vu au Vietnam ». Il s’agissait d’un long reportage du jeune avocat et journaliste chilien José Rodríguez Elizondo, témoignant de sa visite à la République Démocratique du Vietnam, en tant que délégué de l’Association internationale des juristes démocrates9. Au Chili, Punto Final sera le porte-parole des demandes du FLN et du gouvernement de la RDVN10, comme en attestent plusieurs communiqués. Cette revue a joué un rôle actif dans la prise de conscience collective des enjeux de la guerre.

7 Au-delà de ces actions politiques, nous ne pouvons pas négliger le fait que l’impact de la guerre sur la population sera également tributaire de la culture de masse et de ses moyens de diffusion, notamment de la télévision. Si elle entre tardivement dans les foyers, le déroulement de la Coupe du Monde de football au Chili en 1962 avait déclenché l’achat de nombre d’appareils dans le pays11. Les images de la guerre s’installaient désormais dans le quotidien de la population, ce qui modifiait considérablement le rapport des citoyens à la réalité mondiale, nourrissant ainsi l’imaginaire d’une jeunesse en révolte.

La réponse des artistes

8 Les réactions des artistes chiliens ne se font pas attendre. Ainsi, depuis l’étranger, le peintre surréaliste Roberto Matta conçoit un tableau en grand format intitulé de façon allusive Burn, Baby, Burn (1965-1966). Rappelant le Guernica de Picasso, le tableau dénonce à la fois les horreurs de la Guerre du Vietnam et les émeutes ayant eu lieu dans le quartier de Watts à Los Angeles en août 196512. Dans le pays, l’Association chilienne des écrivains organise, en octobre 1967, un concours de poésie afin de rendre « Hommage au peuple vietnamien ». Un volume collectif est publié à l’issue de cet événement, sous le titre de Vietnam héroïque (1967). D’après le texte de présentation, le récital poétique, tenu en octobre de la même année, rassemble un public aussi fervent que nombreux. Outre l’explication de l’engagement suscité chez les écrivains, le texte

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souligne l’importance symbolique et concrète de la Guerre du Vietnam pour un pays comme le Chili : …le peuple vietnamien ne lutte pas seulement contre l’impérialisme nord- américain ; sa lutte implique la défense de la libre détermination des peuples, le respect des petits pays, et de la dignité de tous les êtres humains, sans considérer la couleur de leur peau. Sa victoire sera la victoire des peuples opprimés par la bourgeoisie impérialiste internationale. Ce sera la fin de l’esclavage économique qui domine l’Amérique latine, et elle ouvrira les portes pour que l’humanité marche en liberté, en paix et avec dignité13.

9 La guerre suscite également la réaction des plus grands poètes chiliens. Le premier semble avoir été Pablo de Rokha, qui déjà dans les années 1950 fustigeait la France, dont les soldats « dopés à la benzédrine et à l’alcool se suicident/ dans les colonies par les mitrailleuses du Vietnam/ tels des cochons affolés14 ». Pour sa part, Nicanor Parra, l’« antipoète », dans le registre d’ironie anarchisante et de détournement qui le caractérisent, écrira en 1970 un court poème en anglais : My Stomach

maybe in this country

but

my

heart

is

in

Vietnam15

10 Pourtant, c’est la contribution du poète Pablo Neruda qui aura le plus de retentissements, dépassant largement le champ littéraire. Dès la fin des années 1930, à l’époque de son engagement dans la Guerre civile espagnole en faveur de la IIe République, Neruda était devenu une référence incontournable. Le tournant politique de son œuvre fait bientôt de lui le paradigme d’un artiste engagé. Son œuvre, profondément ancré dans l’histoire du continent latino-américain (par exemple son Chant général, publié en 1950), incarne alors pour beaucoup la preuve d’une alliance réussie entre art et politique, entre conduite éthique et exigence esthétique. L’influence nérudienne a été déterminante pour les musiciens, comme l’affirme le compositeur Fernando García : « La figure militante du poète a aidé nombre de musiciens chiliens à mieux comprendre le rôle que le créateur doit jouer dans notre continent au moment où la lutte anti-impérialiste s’intensifie16 ». La dernière période de la poésie nérudienne est marquée par la référence à la Guerre du Vietnam17. En 1969, l’Académie Américaine et l’Institut National des Arts et Lettres élisent Neruda membre honoraire. Renouvelant son engagement, le poète chilien accepte cette distinction, mais refuse la remise de l’insigne et du diplôme des mains de l’ambassadeur des États-Unis au Chili, au nom de la solidarité avec le Vietnam et en soutien à la protestation du monde intellectuel nord- américain à l’égard de la guerre18.

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Les musiciens pour le Vietnam

11 La première œuvre musicale faisant allusion à la guerre appartient à un compositeur de musique savante : il s’agit de Por la justicia y la Paz (Pour la justice et la paix), cycle de deux chansons pour ténor et piano sur des textes de Paul Éluard, composé en 1965 par Eduardo Maturana. L’œuvre est dédiée « À la mémoire des tombés pour la guerre du Vietnam19 ». Elle sera suivie par Dialexsis (1966), œuvre instrumentale du compositeur Gabriel Brncic, qui sera créée à Buenos Aires20.

12 Dans le domaine de la musique populaire, l’un des premiers chants qui évoque explicitement le Vietnam, c’est l’hymne du MIR, intitulé « Trabajadores al poder » (Travailleurs au pouvoir) 21. Quelques vers notamment montrent l’importance symbolique que représentait la lutte vietnamienne pour les groupes révolutionnaires : « Depuis le tréfonds du peuple a surgi/ une voix de justice sociale/ Ce sont les pauvres du monde qui avancent/ comme exemple ils ont le Vietnam22 ». En 1967, un disque du chanteur Rolando Alarcón incluait deux chansons à visées pacifistes : « No juegues a ser soldado » (Ne joue pas à être soldat) et « La balada de Abraham Lincoln » (La ballade d’Abraham Lincoln)23. Ces chansons ne constituaient pourtant qu’un premier pas de la transition artistique d’Alarcón vers la chanson engagée.

13 C’est durant l’année 1968 que la musique populaire rejoint sans ambages la contestation contre la guerre. Et ce sont les musiciens de la NCCh qui prennent le devant de la scène. Ce mouvement musical est né par réaction à la puissante pénétration culturelle nord-américaine, à l’instar des figures tutélaires telles que la chilienne Violeta Parra ou l’argentin Atahualpa Yupanqui. Le mouvement s’est articulé graduellement grâce à la confluence esthétique et idéologique de ses membres, dont la plupart – tout en partant des recherches sur le folklore – évolueront vers une création originale marquée par les changements politiques du continent. Les musiciens de la NCCh rompent avec la conception étroite du folklore national, incarnée entre autres par les groupes de la musique dite typique chilienne (de forte inspiration patronale), en s’appropriant des instruments et des rythmes de tout le continent latino-américain : attitude esthétique et politique lourde de sens, signifiant l’internationalisme de leur démarche artistique.

14 Si une partie de la production musicale de la NCCh est tolérée par les multinationales du disque présentes dans le pays, la radicalisation politique du mouvement à partir de 1968 exigera la création d’outils de diffusion alternatifs. Ainsi, les jeunesses communistes créent le label Jota Jota24, sous lequel paraît le disque X Vietnam (Pour le Vietnam) du groupe Quilapayún. C’est la contribution chilienne au IX Festival mondial de la jeunesse et des étudiants, organisé à Sofia, en Bulgarie, et consacré cette année-là au Vietnam25. L’album réunit un répertoire de chansons politiques dont la première26, la seule originale du groupe, lançait au rythme de rin27 un avertissement à l’envahisseur nord-américain : « Yankee, yankee, yankee/ Attention, attention/ (…) Aigle noir bientôt tu tomberas28 ».

15 X Vietnam sera un succès de ventes et devra être réédité à plusieurs reprises, malgré l’impossibilité d’être diffusé à la radio29, celle-ci étant contrôlée majoritairement – de façon directe ou indirecte – par l’oligarchie chilienne et les trust étrangers30, hostiles à l’orientation idéologique de ces musiciens. Ce disque marque un tournant dans la carrière de Quilapayún en raison d’un répertoire nettement engagé, véhiculant une conception internationaliste qui dépasse largement le cadre latino-américain. En effet,

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on y retrouve des chansons du répertoire politique espagnol, italien, cubain et chilien. Ce positionnement aura une grande influence sur les réalisations à venir.

L’intensification du combat artistique

16 L’année 1969 est particulièrement mouvementée. À l’instar de Quilapayún, d’autres musiciens expriment alors leur engagement pour le Vietnam en composant de nouvelles chansons ou en s’appropriant le répertoire étranger. Ángel Parra publie en 1969 un disque intitulé Canciones funcionales (Chansons fonctionnelles) où il s’en prend aux banquiers, à la bourgeoisie, à la répression sous le gouvernement de Frei, à l’interventionnisme étranger par le biais des ambassades (notamment celle des États- Unis) et à l’invasion culturelle nord-américaine. Prenant pour cible les détenteurs du capital, Parra ironise sur la cause de leurs malheurs, tout en faisant allusion à la guerre dans le Sud-Est asiatique et à la guerre civile au Nigeria : « Il souffre le banquier/ combien de peines aura-t-il/ Serait-ce le Vietnam, serait-ce le Biafra/ qui le font pleurer31 ? ».

17 Le chanteur Rolando Alarcón publie deux albums faisant tous deux explicitement référence au Vietnam : Por Cuba y Vietnam et El mundo folklórico de Rolando Alarcón. Le premier disque, comme son nom l’indique, est entièrement consacré à chanter les gestes des peuples cubain et vietnamien. La nouveauté de ces disques est l’incorporation de chansons issues du répertoire folk anglais (Ewan MacColl) et nord- américain (Pete Seeger) en traduction espagnole. Il reprend notamment une chanson de MacColl contre la guerre (« Brother, did you weep ? »), sous le titre de « Hermano, hermano…llorarás » (Frère, frère…tu pleureras)32.

18 Les passerelles avec l’art contestataire nord-américain sont également présentes dans l’œuvre du chanteur, acteur et metteur en scène Víctor Jara, l’une des figures phares de la NCCh. Il inclut d’abord une chanson de Pete Seeger dans son disque Pongo en tus manos abiertas (Je mets dans tes paumes ouvertes) de 1969, puis adapte, dans le domaine théâtral – en lien avec la guerre –, Viet Rock de Megan Terry. Loin d’offrir une reprise littérale de cette pièce, Jara a soumis le texte à un traitement extrêmement critique, en raison de certains désaccords idéologiques avec l’auteure nord-américaine. Jara s’en est lui-même expliqué : L’auteure ne dépasse pas le pacifisme nord-américain primaire. Elle ne voit pas l’impérialisme de son pays avec la même vision que les chiliens et les latino- américains […] La position que j’ai prise face à cette œuvre est celle du jugement et de la condamnation de l’impérialisme. Nous ne sommes pas nord-américains et nous n’avons pas de raison de tomber dans les distorsions de l’auteure. Il y a des nord-américains qui sous une apparence progressiste n’arrivent pas à se libérer d’une vision tordue – et dans le fond impérialiste – du Tiers-monde33.

200 km contre l’impérialisme…

19 Sur le plan de la mobilisation citoyenne contre la guerre, l’événement marquant de l’année est la Marche pour le Vietnam qui a lieu entre Valparaíso et Santiago du 6 au 11 septembre 196934. Des milliers d’étudiants et travailleurs de gauche, voire des jeunesses démocrates-chrétiennes, participent à cette manifestation. D’après les témoignages, les manifestants interviennent dans chaque petite ville afin d’exposer les motifs de la mobilisation, gagnant ainsi des sympathisants qui rejoignent le cortège. Un groupe de

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muralistes placé en avant-garde est chargé de peindre des fresques, en y inscrivant des slogans contre la guerre et l’impérialisme yanqui. Cet événement marque la première action publique du mouvement muraliste chilien (notamment des Brigadas Ramona Parra)35. Un modeste mais néanmoins important documentaire a été filmé par les cinéastes Claudio Sapiaín et Álvaro Ramírez. Produit par le Centre d’étudiants de l’Institut Pédagogique de l’Université du Chili, ce film en noir et blanc emprunte son nom à l’album de Quilapayún X Vietnam (Pour le Vietnam), et utilise aussi la chanson homonyme comme bande son. L’image d’ouverture affiche la légende suivante : « Chili 1969, 3000 jeunes marchent 200 km en dénonçant l’impérialisme ». Des images de la marche alternent avec des images réelles de la guerre. L’une des pancartes brandies par les étudiants porte un slogan particulièrement parlant : « Pour un art en faveur de la révolution36 ». De nombreux jeunes musiciens participent à cette mobilisation37. Elle représente peut-être, par son ampleur, le point culminant de la contestation contre l’interventionnisme nord-américain au Vietnam.

Allende et le Vietnam

20 En 1970, un grand nombre d’artistes – dont les musiciens de la NCCh – s’investit à temps complet dans la campagne présidentielle du candidat de l’Unité populaire Salvador Allende. Cet engagement, qui portera ses fruits le 4 septembre de la même année avec l’élection du candidat de gauche, a pour corollaire immédiat le repli des musiciens engagés dans la problématique interne du pays. Par conséquent, hormis une chanson satirique anti-impérialiste reprise par Quilapayún (« Tío Caimán »38), aucun autre enregistrement paru cette année-là ne fait mention du conflit au Vietnam. Quant à la musique savante, seule une œuvre fait exception : En Viet-nam, op. 10, cantate de chambre pour chœur, contralto, deux pianos et percussion sur un texte du poète Pablo Neruda, composée par Hernán Ramírez.

21 En matière de politique internationale, le programme du gouvernement d’Allende annonce l’établissement de relations avec « tous les pays du monde, indépendamment de leur position idéologique et politique […] particulièrement avec ceux qui mènent des luttes de libération et d’indépendance ». La libre détermination des peuples est au cœur de la conception géopolitique de l’Unité populaire : La défense acharnée de l’auto-détermination des peuples sera développée par le nouveau gouvernement comme condition de base pour la coexistence internationale. Par conséquent, sa politique sera vigilante et active dans la défense du principe de la non-intervention et pour refuser toute tentative de discrimination, de pression, d’invasion ou de blocage de la part des pays impérialistes39.

22 En accord avec ces principes, en mars 1971, le gouvernement d’Allende établit des relations diplomatiques au niveau des ambassades avec la RDVN40. Cet acte hautement symbolique est la concrétisation politique des engagements contractés avant l’élection du président socialiste. Le 6 février 1969, Allende, alors président du Sénat chilien, prononce un discours au Congrès où il souligne l’importance de la lutte vietnamienne, ainsi que sa signification pour les pays dits du tiers-monde : …la lutte menée par ce peuple en Asie, agressé depuis cent ou mille ans, n’est pas seulement la bataille de ceux qui luttent en leur propre sein pour l’indépendance économique, mais l’expression du combat frontal contre l’impérialisme, qui doit retentir dans nos pays ; nous rappelons que, sous une apparente liberté politique, nous sommes soumis à la tyrannie et à une brutale pression économique et que

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ladite liberté politique est une grande farce. C’est pourquoi il ne peut y avoir de frontières pour les pays en voie de développement dans cette lutte commune. La lutte du peuple vietnamien en est l’exemple. Les patriotes vietnamiens luttent pour eux-mêmes et aussi pour la liberté de tous les pays opprimés dans les différents continents41.

23 La même année, Allende réalise un voyage diplomatique au Nord-Vietnam, où il rencontre personnellement Ho Chi Minh. Cette visite à caractère officiel, où Allende exprimera le soutien solidaire du peuple chilien envers la cause vietnamienne, est considérée comme le premier pas vers l’établissement des relations diplomatiques entre les deux pays42.

Les musiciens allendistes avec le Vietnam

24 Au mois d’avril 1971, Víctor Jara publie l’un des disques les plus emblématiques de cette période : El derecho de vivir en paz43 (Le droit de vivre en paix). La chanson phare du même nom, une des créations les plus diffusées de son auteur, avait été composée pendant qu’il dirigeait Viet Rock. Pour l’enregistrement, Jara se fait accompagner par le groupe de rock Los Blops, « dans une expérience d’ “invasion de l’invasion culturelle”44 ».

25 Un disque d’Isabel Parra, intitulé De aquí y de allá (D’ici et de là), paraît répondre à celui de Jara. À la chanson d’ouverture, destinée à encourager le peuple à travailler coude à coude avec le gouvernement populaire, fait suite un répertoire varié, incluant des créations propres, de sa mère Violeta, de Víctor Jara et d’auteurs de la Nueva Trova cubaine : Silvio Rodríguez et Pablo Milanés. De ce dernier, Isabel Parra chante notamment « Como en Vietnam » (Comme au Vietnam)45.

26 Quant au groupe Quilapayún, il fera une fois de plus une contribution importante avec la cantate Vivir como él46 (Vivre comme lui), l’œuvre sans doute la plus singulière de cette période. Elle est un hommage au héros du Vietcong, Nguyen Van Troi. Récitée, l’œuvre raconte les événements ayant eu lieu en 1964 : l’arrestation de Van Troi près de Saigon, au moment où le jeune résistant préparait un attentat contre Robert McNamara, le secrétaire américain d’État à la défense. Cet événement a eu un impact direct et une réponse inattendue en Amérique latine. En effet, au mois d’octobre, le lieutenant colonel de l’armée de l’air des États-Unis, Michael Smolen, était kidnappé au Venezuela par le FALN, qui menaçait de l’exécuter si Van Troi était fusillé au Vietnam. L’opération aboutit pourtant à un échec : alors que la prudence stratégique des autorités nord-américaines réussit à obtenir la libération de Smolen, Van Troi, après avoir subi la torture, sera exécuté quelques jours plus tard. La cantate Vivir como él cherche à préserver la mémoire de ces événements et ériger la figure de Van Troi en modèle, tout en mettant en évidence la félonie et la brutalité de l’envahisseur nord- américain. Sur le plan musical, il s’agit d’une œuvre composite, en raison de la juxtaposition des parties vocales écrites par le compositeur cubain Frank Fernández et des parties instrumentales du chilien Luis Advis47.

27 L’extrême tension politique que vit le pays obligera définitivement les musiciens à orienter leur travail de création vers la contingence interne. Le combat pour le Vietnam ne pourra que s’éclipser en faveur des impératifs qu’impose la défense du gouvernement de l’Unité populaire. En effet, la chanson devient de plus en plus un instrument idéologique, fustigeant les boycotts successifs ainsi que les tentatives putschistes encouragées par la droite (et financées par les États-Unis). Après un

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premier soulèvement militaire étouffé en juin, ils renversent le gouvernement d’Allende par le biais d’un coup d’état, le 11 septembre 1973. Cette date marque la fin tragique de l’utopie de la « voie chilienne au socialisme » et le début d’une longue et sanglante dictature militaire. Les artistes les plus en vue seront contraints à l’exil (Quilapayún, Sergio Ortega, les frères Parra...), d’autres, qui n’auront pas cette chance, subiront la torture, voire la mort (Víctor Jara, Jorge Peña Hen…).

Les formes de la musique chilienne engagée contre la guerre

28 L’examen de la production discographique étudiée montre l’existence d’un dénominateur commun : la double référence au Vietnam et à Cuba. Il est frappant en effet de constater que pratiquement aucun disque chantant la lutte du pays asiatique ne manquera de le faire aussi pour les révolutionnaires de l’île caribéenne. Comme le rappelle l’un des membres du groupe Quilapayún, il n’y a là pourtant rien de surprenant, car la Révolution cubaine et la Guerre du Vietnam auront compté parmi les événements les plus marquants pour la jeunesse contestataire chilienne des années 1960, qui se penche alors « du côté des audacieux révolutionnaires cubains et des héroïques vietnamiens48 ».

Les paroles : une typologie

29 De l’analyse des paroles des chansons contre la guerre se dégagent diverses orientations thématiques, qui nous permettent de proposer une classification, considérant les catégories suivantes : chansons (a) d’espoir et prémonition ; (b) d’ exaltation et mythification ; (c) de dénonciation et accusation ; (d) de lamentation ; (e) et enfin, pacifistes.

30 a) Parmi les chansons qui véhiculent un sentiment d’espoir et de prémonition d’un meilleur futur, « Algún día, Vietnam » (Un jour, Vietnam) 49 de Rolando Alarcón et « Por Vietnam » (Pour le Vietnam) de Quilapayún fournissent des exemples clairs. La première, en rythme de valse lente, accentuant le caractère de rêverie de la chanson, situe le récit à une époque où la guerre ne serait que le mauvais souvenir d’un temps révolu : « Un jour, Vietnam/ tu pourras raconter au monde/ comment on a ôté la vie à ton peuple/ comment on a brûlé le visage de tes enfants/ Maintenant des souvenirs50 ». Le texte de Quilapayún, plus agressif, en même temps qu’il personnifie l’envahisseur nord-américain dans la figure d’un rapace, annonce sa prochaine défaite : « Aigle noir, bientôt tu tomberas/ le guérillero te vaincra51 ». L’image des aigles noirs évoque d’ailleurs la redoutable force aérienne nord-américaine, symbole de sa puissance militaire : « Les aigles noirs viennent en volant/ avec leurs canons par-dessus la mer52 ». Les éléments musicaux jouent ici un rôle considérable dans la mise en scène sonore : alors que le sentiment de menace est efficacement souligné par l’insistance rythmique du rin, le message des paroles est mis en valeur par l’alternance des passages pour chant soliste, duo vocal et chœur à quatre voix.

31 b) Les textes d’exaltation et mythification sont caractéristiques de l’époque. De nombreuses chansons composées à cette période glorifient les martyrs des luttes ouvrières, les héros révolutionnaires ou les victimes de la répression. Deux chansons tirées du répertoire de la Nueva Trova cubaine et reprises respectivement par Rolando

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Alarcón et Isabel Parra appartiennent à cette catégorie. Alors que « Su nombre puede ponerse en verso » (Son nom peut être mis en vers), de Pablo Milanés, chante sur un rythme de guajira la triple dimension de Ho Chi Minh, président, poète et paysan, « Como en Vietnam » (Comme au Vietnam), composition du même auteur, vante les qualités humaines inégalables du peuple vietnamien, l’érigeant ainsi en exemple.

32 c) Bien qu’en raison de son texte – écrit à la gloire du héros vietnamien Nguyen Van Troi –, la cantate « Vivir como él » (Vivre comme lui) 53 de Frank Fernández et Luis Advis pourrait être classée dans la catégorie précédente, le ton de protestation violente qui s’en dégage la situe nettement dans la dénonciation et l’accusation : Nguyen Van Troi, tu as subi les tortures les plus horribles mais les sbires n’ont pas réussi à faire fléchir ta noble conviction, Nguyen Van Troi

33 La dramaturgie de l’œuvre alterne chant et récitation, cette dernière passant du récit historique aux fragments qui font parler le protagoniste : J’ai grandi formé par la révolution. Mon père était combattant de la résistance anti- française, et il a été torturé par l’ennemi au point de l’handicaper. Je porte en mon cœur une haine sans limites envers les ennemis de la patrie. Je suis arrivée à Saigon avec la ferme intention de continuer l’œuvre révolutionnaire de mon père […] C’est parce que je n’ai pu supporter la mort de mon peuple et l’humiliation de ma patrie, que j’ai lutté contre l’impérialisme yankee.

34 L’œuvre finit par une déclaration d’engagement révolutionnaire : Nguyen Van Troi Pour le Vietnam nous sommes prêts à donner jusqu’à notre propre sang !

35 d) Une partie du répertoire véhicule l’idée de lamentation, comme la chanson « Hermano, hermano llorarás » d’Ewan MacColl. Reprise par Rolando Alarcón, elle n’est pas dépourvue d’un aspect religieux : « “Détruire, détruire le Vietnam”/ c’est l’hymne de l’envahisseur (…)/ Oh Christ, où est l’humilité ?/ Des frères se tuent sans pitié54 ». Dans le style de la poésie populaire chilienne, la « Cueca por Vietnam » de Fernando González, également chantée par Alarcón, mélange lamentation et accusation : Quelle peine, quelle grande peine je ressens pour le jeune, le jeune américain qui est allé tu…tuer au Vietnam des femmes, des femmes, des enfants et des vieux Ils partent les bombardiers, aïe en Orient ils tuent comme dans la Bible aïe, les innocents Les innocents, oui, aïe, ce nouveau pirate qui parle de démocratie, qui vole et qui tue Les nord-américains, aïe, ce sont des inhumains55 !

36 e) Au sein du versant pacifiste, on retrouve deux chansons d’Alarcón : « No juegues a ser soldado » (Ne joue pas à être soldat) et « La balada de Abraham Lincoln » (La ballade d’Abraham Lincoln). C’est un registre allusif que l’auteur utilise afin d’évoquer la guerre, soit en appelant à la conscience des soldats dans l’une, soit en mettant en

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évidence la trahison à la pensée de Lincoln dans l’autre. Mais ce sera une chanson de Víctor Jara qui marquera durablement les esprits, « El derecho de vivir en paz » (Le droit de vivre en paix) : Le droit de vivre, poète Ho Chi Minh, toi qui frappes depuis le Vietnam toute l’humanité, aucun canon n’effacera le sillon de tes rizières. Le droit de vivre en paix. L’Indochine est cet endroit au-delà de la vaste mer où l’on éclate la fleur par génocide et napalm. La lune est une explosion il en jaillit une clameur. Le droit de vivre en paix. Oncle Ho, notre chanson est un brasier de pur amour. C’est la colombe du colombier, c’est l’olive de l’olivier, c’est le chant universel la chaîne qui fera triompher Le droit de vivre en paix56.

37 Véritable paradigme de la chanson pacifiste, ses paroles embrassent l’ensemble des catégories que nous avons identifiées. Sur le plan musical, elle montre la volonté de la NCCh de jeter des ponts avec d’autres sphères musicales, opérant en l’occurrence une heureuse hybridation entre nouvelle chanson et rock. Outre le message solidaire qu’elle exprime envers le Vietnam, cette chanson deviendra un témoignage de résistance pacifique contre la violence politique de la dictature de Pinochet57, dont Jara sera l’une des premières victimes.

Pluralité musicale et dépassement des genres : chanson populaire, cantate populaire, composition savante

38 Dans le domaine de la chanson, l’éventail stylistique est assez large. L’évolution de Rolando Alarcón, le chanteur qui a le plus contribué à la « cause », est intéressante à bien des égards. Partant de la chanson pacifiste dans un style proche de la chanson de variété (ballade, go-go), il évolue par la suite vers une expression plus politisée en se rapprochant de la musique folk anglaise (notamment dans ses reprises de chansons d’Ewan MacColl), de la Nueva Trova cubaine et de la NCCh. Exception faite d’« El derecho de vivir en paz » de Víctor Jara, où l’innovation formelle est doublée par le croisement de la nouvelle chanson et du rock, la forme couplet-refrain est prédominante dans cette production58. Ajoutons enfin la composition de chansons sur des rythmes du folklore chilien : la cueca (« Cueca por Vietnam ») et le rin (« Por Vietnam »).

39 Située dans une catégorie intermédiaire, à la croisée de la musique populaire et de la musique savante, la cantate « Vivir como él » constitue un exemple clair de dépassement des genres. À cette œuvre, conçue à l’origine pour chœur par Frank Fernández et transcrite pour le groupe Quilapayún, Luis Advis ajoutera des interludes

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instrumentaux. Advis a résolu habilement le problème d’unification de l’œuvre, en conférant aux interludes une double fonction : ils servent à la fois de commentaires musicaux des récitatifs et de liens avec les parties vocales, grâce à l’utilisation de matériel motivique extrait et élaboré à partir de ces dernières59. Cette œuvre complexe et de longue haleine (20 min. environ) s’inscrit dans la lignée des cantates populaires qui voient le jour à cette époque-là60, résultant d’une collaboration fructueuse entre musiciens populaires et savants. Ce type de composition opère – avec une certaine liberté – une réappropriation de la forme de la cantate baroque. Dans ces œuvres, le recitativo chanté est remplacé par la voix d’un récitant, jouant un rôle de narrateur – équivalent à celui de l’historicus dans l’oratorio –, alors que les parties instrumentales sont jouées par des instruments traditionnels latino-américains (parfois mélangés à des instruments européens). Ces œuvres préservent l’alternance entre arias, duos, chœurs, etc.

40 Comme nous l’avons vu, la Guerre du Vietnam n’a suscité que peu d’œuvres dans le domaine de la musique savante chilienne. Il est intéressant pourtant de souligner que les compositeurs de ces œuvres adhéraient tous à des principes technico-esthétiques associés aux avant-gardes post-weberniennes. Eduardo Maturana était l’un des représentants éminents du post-sérialisme local61. Hernán Ramírez a lui-même reconnu avoir employé la technique dodécaphonique dans sa cantate « anti-belliqueuse » En Viet-Nam62, œuvre qui ne sera malheureusement jamais créée. Quant à Gabriel Brncic – qui s’installait en 1965 en Argentine afin de poursuivre des études dans le CLAEM (Centre latino-américain des hautes études musicales) de l’Instituto Di Tella –, il était déjà un adepte de la musique électronique et de l’expérimentation en général63. En raison de leur double engagement, musical et politique, ces musiciens se rapprochaient de la ligne d’action plus radicale d’un Luigi Nono plutôt que des préceptes esthétiques bien connus du réalisme socialiste. Dans un entretien, Nono lui-même, qui visitait le Chili pour la deuxième fois en 1971 sur l’invitation du gouvernement de l’Unité populaire, semble donner son assentiment non seulement à la démarche des musiciens savants, mais à l’ensemble des musiques engagées chiliennes : …La capacité de création […] détruira complètement la distinction catégorielle que la classe bourgeoise a établie et diffusée, entre musique savante et musique populaire, musique classique et légère, de protestation et de consommation. […] par conséquent, il n’y a pas de formes susceptibles d’être éliminées « a priori » par un stérile et rapide schématisme. Tout dépend du sens qu’elles peuvent acquérir dans le contexte d’une situation historique déterminée64.

41 Bien que la musique de Nono ne fût connue dans le pays qu’à travers des enregistrements, sa présence semble avoir fortement impressionné les musiciens chiliens qu’il rencontre lors de ses visites65, non seulement par ses connaissances profondes mais aussi par son engagement en faveur des peuples du tiers-monde, et tout particulièrement par sa solidarité avec les luttes du continent latino-américain. Outre ses écrits66, l’œuvre Como una ola de fuerza y luz (1971-1972) – dédiée à la mémoire du jeune militant du MIR Luciano Cruz – témoignera de l’impact de la deuxième visite de Nono au Chili. Après le coup d’état de septembre 1973, il rencontrera et collaborera avec des musiciens chiliens en exil67.

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Conclusion

42 Intimement lié au mouvement social chilien des années 1960, le combat artistique contre la Guerre du Vietnam a été directement associé à des manifestations plus ou moins novatrices selon les cas dans le théâtre, la poésie, la peinture et les arts graphiques, le cinéma documentaire et la musique. Les œuvres suscitées par ce conflit armé font appel à des nouvelles formes d’expression artistique, jusqu’alors inédites dans le pays, telles que le muralisme des Brigades68 et le graphisme des pochettes de disques et d’affiches.

43 Dans le domaine musical, des échanges entre des musiciens de sphères différentes favorisent des croisements de genres, soit entre musique savante et musique populaire, soit entre sub-genres de la musique populaire. On observe d’ailleurs deux mouvements dans le corpus des chansons contre la guerre : la création d’un répertoire original et, dans une moindre mesure, l’appropriation d’un répertoire étranger. On constate également que l’inclusion du sujet vietnamien dans les répertoires coïncide avec la radicalisation politique des musiciens.

44 Bien que la répercussion sociale de la musique savante – malgré la valeur intrinsèque des œuvres– ait été moindre par rapport à la chanson, leur existence nominale indique une même volonté de la part du musicien de participer activement à la vie politique et aux luttes pour un meilleur avenir, en l’occurrence en faisant cause commune pour contester la guerre. Dans la sphère de la musique populaire, la mobilisation contre l’intervention nord-américaine constituera un élément identitaire qui différenciera le mouvement de la NCCh des autres courants de la chanson au Chili. L’impact du conflit sur ces musiciens contribue d’ailleurs à révéler les potentialités fonctionnelles de la chanson, celle-ci devenant un instrument efficace dans la transmission du message politique. Ceci sera largement exploité pendant la période de l’Unité populaire.

45 Le 30 avril 1975, l’entrée des révolutionnaires vietnamiens à Saigon marquera la fin de la Guerre du Vietnam. Les musiciens chiliens en exil, alors engagés dans la dénonciation de la dictature de Pinochet, salueront avec leurs chansons la victoire vietnamienne. Ainsi, une pièce instrumentale du groupe Inti-Illimani intitulée « Ciudad Ho Chi Minh » (Ho-Chi-Minh-Ville), qui inclut des sons d’outils tels que le marteau et la scie, symbolisera la reconstruction de la grande ville rebaptisée du Sud-Vietnam69. Pour sa part Hugo Arévalo composera « La estrella de Vietnam » (L’étoile du Vietnam), où l’évocation du peuple héroïque – toujours incarné par la figure de Ho – s’unit à la nostalgie du Chili et à l’espoir de sa prochaine libération du joug militaire. Cette réaffirmation des engagements passés au milieu des adversités de l’exil confirme – s’il en était encore besoin – qu’au Chili, comme ailleurs, la Guerre du Vietnam aura été bien plus qu’un « bruit lointain ».

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Entretiens

Entretien avec le compositeur Patricio Wang, Paris, 25 juillet 2012.

Échanges via e-mail avec le muraliste Eduardo « Mono » Carrasco, Italie-France, janvier 2014.

NOTES

1. Dans cet article, nous distinguons trois notions loin d’être équivalentes pour toutes les traditions musicologiques ni même transposables à toutes les langues : celles de musique savante,

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musique populaire et musique folklorique. Bien que de nombreux transferts entre ces différents univers se produisent, puisqu’il ne s’agit nullement de catégories monolithiques, mais au contraire poreuses et interdépendantes, nous entendrons ici par musique savante (« música culta », « música docta » ou « música de tradición escrita », pour la musicologie chilienne), la musique composée par des musiciens ayant suivi une formation académique européanisée (harmonie, contrepoint, fugue, analyse, orchestration, etc.) et de longue durée auprès de maîtres ou dans des institutions destinées à ces fins (conservatoires, écoles de musique, etc.). Ces musiciens visent à produire des œuvres d’un haut degré de complexité technique et formelle. En revanche, le terme musique populaire recouvre pour nous un vaste univers comprenant les manifestations musicales urbaines, développées par des musiciens autodidactes ou n’ayant pas forcement reçu une formation musicale académique. Elle se manifeste par la création d’œuvres se servant de formes simples, le plus souvent la chanson. La musique folklorique, quant à elle, fait référence à l’ensemble des musiques traditionnelles métisses, dont la transmission est éminemment orale. Précisons cependant que certaines musiques évoquées dans cet article présentent des difficultés évidentes de classification. En effet, les trois univers musicaux précédemment évoqués peuvent être représentés côte à côte à l’intérieur d’une même production discographique (notamment dans certains disques du groupe Quilapayún), ou se présenter sous des formes hybrides dans une même œuvre (mélange folklorique/populaire dans des chansons « d’inspiration folklorique » ; métissage populaire/savant dans des « cantates populaires », etc.). La période que nous abordons ici voit ces catégories s’éroder considérablement, par l’action des musiciens qui remettent en question la dichotomie savant/ populaire. Enfin, en raison de sa résonance auprès de la musicologie latino-américaine – même si elle peut sembler quelque peu datée de nos jours –, mentionnons ici l’intéressante notion de « mesomúsica » (mésomusique) – musique du milieu, située entre la musique savante et le folklore, mais distincte de celles-là – proposée par le musicologue argentin VEGA, Carlos, « Mesomúsica. Un ensayo sobre la música de todos », in Revista Musical Chilena, No 188, juillet- décembre 1997, p. 75-96 [Il s’agit du texte d’une conférence donnée à Bloomington en avril 1965, lors de la Second Inter-American Conference on Musicology]. La définition de « mésomúsica » a été acceptée par Philip Tagg en 1991, au moment où il présidait le conseil éditorial de l’Encyclopedia of Popular Music of the World (EPMOW) : « Le concept de ‘musique populaire’ de la EPMOW est similaire à celui de ‘mesomúsica’ de Vega ». Voir AHARONIAN, Coriún, « Carlos Vega y la teoría de la música popular. Un enfoque latinoamericano en un ensayo pionero », in Revista Musical Chilena, íbid., p. 61-74. L’auteur y discute les nuances et problèmes présentés par cette notion. 2. Ce terme semble avoir été consacré par Ricardo García, journaliste et l’un des principaux promoteurs de cette mouvance artistique dans le milieu musical chilien, vers la fin des années 1960. Ce sera le Primer Festival de la Nueva Canción Chilena effectué à Santiago en 1969 – et organisé par García –, qui établira définitivement cette appellation. Bien que la littérature sur la NCCh soit vaste, nous pouvons signaler les ouvrages pionniers de BARRAZA, Fernando, La Nueva Canción Chilena, Santiago, Quimantú, 1972, et CLOUZET, Jean, La nouvelle chanson chilienne, Paris, Seghers, 1975. 3. Bien entendu, cela n’est pas l’apanage des musiciens chiliens. Ainsi, pour ne citer que des exemples plus proches du lecteur français, signalons la production musicale de chanteuses engagées telles que (voir les disques Et je t’appelle et Poèmes vietnamiens chantés par Francesca Solleville) et Colette Magny (voir notamment son 33 tours Vietnam 67), où la double référence cubaine et vietnamienne est également présente. Une étude comparative détaillée pourrait montrer des similitudes frappantes entre leurs démarches (choix du répertoire et stratégies de diffusion) et celles des musiciens chiliens abordés dans cet article. Ces convergences expliquent en partie leur rapprochement sur la scène européenne, au moment où ces derniers s’exilent après le coup d’état du général Pinochet en septembre 1973.

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4. Au Chili, cet engagement s’exprime par un art qui s’interroge sur son rôle social et s’élève contre la gratuité de la création artistique bourgeoise, en repensant son identité latino- américaine. Comme nous le montrerons dans cet article, c’est le poète Pablo Neruda – l’homme et l’œuvre – qui en fournira le modèle. 5. SALAZAR, Gabriel et alii, Historia Contemporánea de Chile V, Santiago, LOM, 2002, p. 131. 6. Ibid., p. 132. 7. Intervención norteamericana en Vietnam. Discurso del H. Senador señor Carlos Contreras L. Diario de sesiones del Senado. Publicación oficial. Legislatura extraordinaria. Sesión 33a, 7 de abril de 1965. 8. Fuera yanquis de Vietnam! Al pueblo de Chile. Llamamiento!, Comité chileno de solidaridad con Vietnam, 1966. 9. RODRÍGUEZ ELIZONDO, José, « Lo que ví en Vietnam », Punto Final, N° 8, janvier 1966, p. 3-24. Le même numéro de la revue, dans l’article d’ouverture, rendait compte des diverses activités menées par trois organismes, la Commission chilienne de solidarité avec les peuples d’Asie et d’Afrique, la Commission chilienne de solidarité avec le Vietnam du sud et le Mouvement des partisans pour la Paix, en collaboration avec la CUT (Centrale unique des travailleurs) et la Fédération minière, voir Comisión chilena de solidaridad con los pueblos de Asia y África, « Intensificar la solidaridad de masas con la lucha del pueblo vietnamita », in id., p. 1. 10. Le FLN est le sigle du Front national de libération du Sud-Vietnam, connu également comme Vietcong. La RDVN est la République démocratique du Vietnam (Nord-Vietnam). 11. GONZÁLEZ, Juan Pablo et alii, Historia social de la Música Popular en Chile, 1950-1970, Santiago, Ediciones UC, 2009, p. 29. 12. Voir « LACMA installs its monumental Matta » [en ligne], in Los Angeles Times, 15 mai 2009. Consulté le 10 décembre 2012. 13. TANGOL, Nicasio (éd.), Vietnam heroico, Santiago, Imp. Horizonte, 1967, p. 9 : « …el pueblo vietnamita no está luchando solamente en contra del imperialismo norteamericano; su lucha implica la libre determinación de los pueblos, el respeto a los países pequeños y a la dignidad de todos los seres humanos cualquiera que sea el color de su piel. Su victoria será la victoria de los pueblos oprimidos por la burguesía imperialista internacional. Será el fin de la esclavitud económica en que vive toda la América Latina y abrirá las puertas para que la humanidad camine en libertad, en paz y dignidad. ». Note : sauf indication contraire, toutes les traductions sont nôtres. 14. Voir de ROKHA, Pablo, Idioma del mundo, Santiago, Multitud, 1958. 15. PARRA, Nicanor, « Palabras obscenas », in Revista Chilena de Literatura, No 1, automne 1970, p. 81. 16. GARCÍA, Fernando, « Discusión sobre la música chilena », in Araucaria, No 2, 1978, p. 138. « La figura militante del poeta ayudó a muchos de los músicos chilenos a comprender cuál es el papel que el creador debe jugar en nuestro continente en un momento en que se agudiza la lucha antiimperialista ». 17. Citons notamment : NERUDA, Pablo, Las manos del día, Buenos Aires, Losada, 1968 ; Idem, Fin de mundo, Buenos Aires, Losada, 1969 ; Idem, Incitación al nixonicidio y alabanza de la revolución chilena, Santiago, Quimantú, 1973. 18. Voir NERUDA, Pablo, « Avec l’Académie, oui, avec l’impérialisme, non », in Né pour naître, traduit de l’espagnol par Claude Couffon, Paris, Gallimard, 1980, p. 386-389. 19. Dédicace originale en espagnol : « A la memoria de los caídos en la Guerra de Vietnam ». Cette œuvre a été créée le 31 mai 1965 par Hanns Stein et Galvarino Mendoza, dans le théâtre Antonio Varas à Santiago du Chili. Voir HERRERA, Silvia, « Eduardo Maturana: un compositor del siglo XX », in Revista Musical Chilena, No 199, janvier-juin 2003, p. 36. 20. Malheureusement, il n’y a pas d’enregistrements disponibles de ces œuvres, que nous connaissons grâce aux catalogues établis par la musicologue HERRERA, Silvia, « Eduardo

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Maturana… », art. cit. ; Idem, « Gabriel Brncic. Un primer acercamiento hacia el maestro y compositor en el exilio », in Revista Musical Chilena, No 204, juillet-décembre 2005, p. 53. 21. La date de composition est incertaine (1965/1966 ca.). 22. “Desde el fondo del pueblo ha surgido/una voz de justicia social/ Son los pobres del mundo que avanzan/como ejemplo tienen a Vietnam”. Note : Malgré leur permanence parfois éphémère sur la toile, nous renvoyons le lecteur aux liens . Voir Hymne du MIR : http://youtu.be/ jT0mApfKGRk?t=40m57s 23. ALARCON, Rolando, La balada de Abraham Lincoln, No juegues a ser soldado. Rolando Alarcón et le groupe Los Tickets. EMI Odeón chilena, LDC 36632, « El nuevo Rolando Alarcón ». Voir http:// youtu.be/v6omWCgeF9I [démarrer à 20’37’’pour « La balada… » et à 28’27’’ pour « No juegues… »]. 24. Jota Jota évoque au Chili les Jeunesses communistes (JJCC). 25. GONZÁLEZ, Juan Pablo et alii, op. cit., p. 110. 26. CARRASCO, Eduardo [musique], GOMEZ ROGERS, Jaime [paroles], X Vietnam. Quilapayún. Jota- Jota, JJL-01, « X Vietnam ». 27. Le rin est un rythme originaire du sud du Chili, spécifiquement de l’île de Chiloé. En 2/4 et tempo rapide, la base rythmique du rin est composée de quatre demi-croches suivies de deux croches, dont la deuxième est accentuée. 28. « Yanki, yanki, yanki/ cuidado, cuidado/ (…) Águila negra ya caerás », voir http://youtu.be/ HbG5SeBZNMA. Une version en direct de cette chanson paraîtra plus tard dans un disque édité à l’issue du 3. Festival des Politischen Liedes, qui a eut lieu à Berlin-Est en février 1972. 29. CARRASCO, Eduardo, Quilapayún: la revolución y las estrellas, Santiago, RIL, 2003, p. 131-132. 30. Sur le réseau complexe d’influences des capitaux étrangers sur les médias de masse au Chili de l’époque, voir MATTELART, Armand, Los medios de comunicación de masas. La ideología de la prensa liberal en Chile, Buenos Aires, Schapire/El Cid, 1976 [1e éd. Santiago, CEREN, 1970]. 31. « Está sufriendo el banquero/ qué penitas llevará/ ¿Será Vietnam, será Biafra/ lo que lo hace llorar? », in PARRA, Ángel, El banquerito. Ángel Parra. DICAP, DCP-3, « Canciones funcionales. Ángel Parra interpreta a Atahualpa Yupanqui », voir http://youtu.be/mifvecGPES0?t=7m15s. 32. MACCOLL, Ewan, Hermano, hermano…llorarás. Rolando Alarcón. Tiempo, VBP-286, « Por Cuba y Vietnam ». 33. JARA, Joan, Victor un canto inconcluso, p. 141-142. « La autora no sobrepasa un primitivo pacifismo norteamericano. No ve al imperialismo de su país con los ojos con que lo vemos los chilenos y latinoamericanos […] La posición que yo he tomado ante esta obra es la del juicio y la condena al imperialismo. Nosotros no somos norteamericanos y no tenemos por qué incurrir en las distorsiones de la autora. Hay norteamericanos aparentemente progresistas que no pueden liberarse de su visión torcida –y en el fondo imperialista– del tercer mundo. » 34. Je remercie Eduardo “Mono” Carrasco, muraliste et fondateur des Brigades Ramona Parra, de son aide dans la vérification de certains éléments avancés lors de la dernière révision de cet article. 35. Voir ARAYA, Pedro, « El Mercurio miente (1967): Siete notas sobre escrituras expuestas », in Revista Austral de Ciencias Sociales, No 14, 2008, p. 163-165. Selon le témoignage d’Eduardo “Mono” Carrasco, il s’agissait d’un groupe de sept hommes qui, sur une jeep datant de la Seconde Guerre mondiale, était chargé de mener les actions. La conception picturale des interventions n’était alors qu’embryonnaire, le message politique direct l’emportant sur toute conception artistique. Eduardo « Mono » Carrasco, communication personnelle, 18 janvier 2014. 36. Voir http://www.youtube.com/watch?v=h2TABfo1Zsw 37. Entretien avec Patricio Wang, Paris, 25 juillet 2012. 38. « Tío Caimán » (Oncle Caïman) est une chanson du Panaméen Carlos Francisco Chang Marín (1922-2012). L’Oncle Caïman est l’équivalent de l’Oncle Sam, personnification des États-Unis. Voir http://youtu.be/EWdeMgaJazA.

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39. Programa básico de gobierno de la Unidad Popular. Candidatura presidencial de Salvador Allende, 1969, p. 32. « La defensa decidida de la autodeterminación de los pueblos será impulsada por el nuevo Gobierno como condición básica de la convivencia internacional. En consecuencia su política será vigilante y activa para defender el principio de no intervención y para rechazar todo intento de discriminación, presión, invasión o bloqueo intentado por los países imperialistas ». 40. Voir « Embajada de Chile en la República Socialista de Vietnam. Relaciones bilaterales », in site internet du Ministère des Relations extérieures du Chili : http://chileabroad.gov.cl/vietnam/ relacion-bilateral/relaciones-bilaterales/ Consulté le 3 août 2012. 41. Voir AMORÓS, Mario, « Salvador Allende ante el mundo », in Tareas, No 130, septembre- décembre 2008, p. 91-92. « …la lucha librada en Asia por ese pueblo, centenaria o milenariamente agredido, no es sólo la batalla de quienes pelean en su propio seno por su independencia económica, sino la expresión del combate frontal contra el imperialismo, que debe repercutir en nuestros países; hemos señalado que, si bien aparentemente tenemos libertad política, estamos sometidos a la tiranía y a una brutal presión económica y que dicha libertad política es una gran farsa. Por tal motivo, no puede haber fronteras para los países en vías de desarrollo en esta lucha común. El heroísmo del pueblo vietnamita es un ejemplo de ello. Los patriotas vietnamitas luchan por ellos mismos y también por la libertad de todos los países oprimidos en los distintos continentes ». 42. « Embajada de Chile en la República Socialista de Vietnam… », doc. cit. 43. JARA, Víctor, El derecho de vivir en paz. Víctor Jara et le groupe Los Blops. DICAP, JJL-11, « El derecho de vivir en paz », voir http://youtu.be/-zMvRkwcnaA. 44. JARA, Joan, Víctor, un canto inconcluso, Santiago, LOM, 2007, p. 162. 45. MILANES, Pablo, Como en Vietnam. Isabel Parra. DICAP, DCP-27, « De aquí y de allá », voir http://youtu.be/0GNlru6WfDs?t=23m4s. 46. ADVIS, Luis, FERNANDEZ, Frank, Vivir como él. Quilapayún. Jota-Jota JJL-12, « Vivir como él », voir http://youtu.be/62uhUEs8xfA 47. SANTANDER, Ignacio, Quilapayún, Madrid, Ediciones Júcar, p. 70. 48. PARADA-LILLO, Rodolfo, « La Nueva Canción Chilena 1960-1970: Arte y política, tradición y modernidad », in Revista Patrimonio Cultural, No 49, printemps 2008, p. 17. 49. ALARCON, Rolando, Algún día, Vietnam. Rolando Alarcón. Tiempo, VBP-286, « Por Cuba y Vietnam ». 50. « Algún día, Vietnam,/ podrás contar al mundo/ cómo cegaron la vida de tu pueblo,/ cómo quemaron el rostro de tus niños,/ que ahora son recuerdos ». Voir ALARCON, Rolando, Algún día Vietnam. Rolando Alarcón. Tiempo, VBP-286, « Por Cuba y Vietnam ». 51. « Águila negra ya caerás/ el guerrillero te vencerá ». 52. « Las águilas negras vienen volando/ con sus cañones por sobre el mar ». 53. Dans le disque du même nom et en accord avec la tendance à associer la lutte du Vietnam à celle de Cuba, cette cantate est suivie d’un extrait musicalisé de la « Seconde déclaration de La Havane », discours prononcé par Fidel Castro le 4 février 1962. 54. “‘Destruir, destruir Vietnam’/ es himno del invasor (…)/ Oh, Cristo ¿Dónde está la humildad?/ Hermanos se matan sin piedad”. 55. “Qué pena, qué pena más grande siento/ del joven, del joven americano/ que fue a ma…, que fue a matar al Vietnam/ mujeres, mujeres, niños y ancianos/ Qué pena, qué pena más grande siento./ Parten los bombarderos, caramba/ y en el Oriente/ caramba, matan como en la Biblia/ caramba, a los inocentes./ Los inocentes, sí,/ caramba, nuevo pirata/ que habla de democracia,/ que roba y que mata./ ¡Los norteamericanos, caramba, son inhumanos!”. 56. JARA, Víctor, « El derecho de vivir en paz », trad. française in Jean Clouzet, La nouvelle chanson chilienne, op. cit., p. 173-174. Traduction modifiée. Hormis quelques variantes dans la scansion métrique, les paroles originales de cette chanson comportent 3 strophes composées de 6 heptasyllabes plus un ennéasyllabe : « El derecho de vivir/ poète Ho Chi Minh,/ que golpea de

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Vietnam/ a toda la humanidad./ Ningún cañon borrará/ el surco de tu arrozal./ El derecho de vivir en paz.// Indochina es el lugar/ más allá del ancho mar,/ donde revientan la flor/ con genocidio y napalm./ La luna es una explosión/ que funde todo el clamor./ El derecho de vivir en paz.// Tío Ho, nuestra canción/ es fuego de puro amor,/ es palomo, palomar,/ olivo del olivar,/ es el canto universal/ cadena que hará triunfar/ el derecho de vivir en paz. » 57. Cette chanson sera utilisée dans le documentaire de MUEL, Bruno et alii, Septembre chilien, [Groupes Medvedkine], France, 1973, 39 min. 58. Sur ce point, seul Víctor Jara semble porter un regard novateur sur le genre, avec « El derecho de vivir en paz » (dans sa version discographique enregistrée avec le groupe de rock « Los Blops » en 1971). Cette chanson comporte une période de 32 mesures, servant non seulement de support au texte, mais aussi à l’improvisation instrumentale. Chaque répétition de la période (sept au total) opère une intensification graduelle par le biais d’un enrichissement sonore, tant par l’augmentation du volume que par le niveau d’activité des instruments. 59. L’œuvre est structurée autour de 4 récitatifs parlés (dont le dernier est scindé en 2 parties), suivis d’interludes instrumentaux et de pièces pour chœur masculin. À un premier récitatif (dont le texte est le seul à la troisième personne) présentant l’argument de l’œuvre, suit un interlude instrumental ; il s’agit d’une sorte de commentaire musical qui évolue par la suite vers une pièce à part entière. La section suivante (chœur 1) s’ouvre sur un motif de 3 notes (quarte descendante sol dièse-ré dièse, puis seconde mineure ascendante ré dièse-mi) anticipée par une quena et reprise par le chœur bocca chiusa, sur lequel se développe le chant d’un soliste, les cordes (guitares, tiple et charango) ne faisant que souligner discrètement certains passages. Dans la section centrale de ce chœur, le nom de « Nguyen Van Troi » est chanté sur des agrégats extrêmement tendus harmoniquement. Le deuxième récitatif – désormais à la première personne – fait parler le protagoniste. Le deuxième interlude présente un développement accru et une subtile imbrication motivique ; cette section finit par l’introduction du motif initial de la partie chorale suivante (« A pesar del sufrimiento cantamos… »/« Malgré la souffrance nous chantons… »). Cette section voit l’écriture chorale se déplier à partir de l’unisson vers des agrégats complexes. Après une brève intervention du narrateur (récitatif 3), le quatrième morceau choral s’ouvre sur un passage marqué par une pédale vocale et des homorythmies, pour ensuite reprendre le développement harmonique du deuxième morceau choral. Ensuite, l’interlude instrumental 3 présente une reprise variée de la partie centrale du premier interlude. Après le quatrième récitatif, le morceau choral 4 – véritable climax de l’œuvre – alterne des passages contrapuntiques, à l’unisson et homorythmiques/homophoniques. Le nom de « Nguyen Van Troi » y apparaît à nouveau revêtu d’une grande tension harmonique, alors qu’une écriture imitative serrée chante « Hay que darle muerte al invasor… »/« Il faut tuer l’envahisseur… ». Un fade out des voix (réalisé en studio) cède la place à la dernière intervention du récitant (4b), et un fade in réintroduit le chœur. Après une dernière reprise des agrégats vocaux sur le nom de Van Troi, le chœur prononce à l’unisson et en crié-chanté la consigne finale : « Por Vietnam estamos dispuestos a dar hasta nuestra propia sangre »/« Pour le Vietnam, nous sommes prêts à donner jusqu’à notre propre sang » (le mot « sang » y étant le seul chanté). En raison de la variété de ressources techniques employées, ainsi que par le traitement harmonique complexe, cette œuvre dépasse largement le champ de la chanson, se rapprochant ainsi de la musique contemporaine. 60. L’exemple paradigmatique de ce genre est la Cantate Santa María de Iquique, composée par Luis Advis et enregistrée par Quilapayún en 1970. 61. Après Por la justicia y la paz déjà évoquée, Maturana composera encore une œuvre d’orientation ouvertement politique : Responso para el guerrillero (1968), pour orchestre symphonique et bande magnétique, œuvre dédiée « A la memoria del Comandante ‘Che’ Guevara » (À la mémoire du Commandant ‘Che’ Guevara). HERRERA, Silvia, « Eduardo Maturana… », art. cit., p. 37. 62. RAMIREZ, Hernán, « Reflexiones », in Revista Musical Chilena, No 133, janvier-mars 1976, p. 48.

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63. Pour une étude détaillée sur ce compositeur, voir HERRERA, Silvia, « Gabriel Brncic. Un primer acercamiento hacia el compositor y maestro chileno en el exilio », art. cit. 64. BODENHOFER, Andreas, VILA, Cirilo, « Entrevista a Luigi Nono », in Revista Musical Chilena, No 115-116, juillet-décembre 1971, p. 6 : « …la capacidad de creación […] va a destruir completamente la distinción categorial que la clase burguesa ha establecido y fomentado, entre música culta y música popular, música clásica y ligera, de protesta y de consumo […] En consecuencia, no hay formas susceptibles de ser eliminadas ‘a priori’, todo depende del sentido que puedan adquirir en el contexto de una determinada situación histórica ». 65. Voir notamment les témoignages posthumes sur Luigi Nono de la compositrice Leni Alexander, du compositeur Fernando García et du musicologue Rodrigo Torres, in Revista Musical Chilena, No 173, janvier-juin 1990, p. 118-123. Voir également l’entretien de Sofía Asunción Claro à Nuria Schoenberg-Nono, in Revista Musical Chilena, No 206, juillet-décembre 2006, p. 84-91. 66. Divers écrits de Luigi Nono rendent compte de ses liens avec les milieux politiques, intellectuels et musicaux du Chili. Voir notamment « In memoriam Luciano Cruz » [inédit du vivant du compositeur], in NONO, Luigi, Écrits, Genève, Contrechamps, 2007, p. 362-364 ; « Le chant de Víctor Jara », ibid., p. 379-382. Sur la dernière visite de Nono au Chili en 1983, au moment du début de l’ouverture progressive des frontières du Chili en pleine dictature de Pinochet, voir « Salut aux travailleurs de la culture du Chili », ibid., p. 507-510 et le témoignage de Rodrigo Torres dans la Revista Musical Chilena No 173 cité précédemment. 67. Ainsi, par exemple, Nono a assuré la régie du son de la partie électroacoustique de la cantate Corvalán du compositeur chilien Gustavo Becerra-Schmidt, créée en 1975 à la Biennale de Venise, voir SCHUMACHER, Federico, « Catálogo de las obras electroacústicas de Gustavo Becerra- Schmidt », in Revista Musical Chilena, No 207, janvier-juin 2007, p. 83. 68. Bien que l’art des Brigades compte au moins deux autres sources importantes (celles du peintre français Fernand Léger et de l’affiche cubaine des années 1960), le muralisme au Chili trouve un précédent direct dans le muralisme mexicain. En effet, David Alfaro Siqueiros et Xavier Guerrero se rendent au Chili entre 1941-1942 afin de réaliser des œuvres dans l’Escuela México, école construite et offerte à la ville de Chillán (située au sud du pays) par le gouvernement mexicain, après le tremblement de terre qui avait détruit cette localité. Siqueiros y peint notamment une œuvre monumentale : « Muerte al invasor ». Voir le site internet du Conseil des monuments nationaux : http://www.monumentos.cl/OpenSupport_Monumento/asp/ PopUpFicha/ficha_publica.asp?monumento=1829. Si les œuvres des muralistes mexicains influencent incontestablement l’iconographie latino-américaniste déployée par les brigades chiliennes, ces dernières s’en distinguent par l’utilisation de couleurs vives et pures, de gros contours bien définis, peints à la broche et non au pinceau. Il s’agit d’un art d’extérieur, urbain, de propagande politique directe. L’un des principaux apports de l’art des brigades a peut-être été son caractère collectif, où la notion d’auteur tend à s’estomper en faveur d’une création groupale excluant tout individualisme. « Les fresques murales urbaines sont anonymes et passagères. Leur essence réside en ce qu’elles ne perdurent pas. Leur message change au fur et à mesure des événements. Elles sont tellement mêlées avec la vie qu’elles sont en conflit permanent avec le vent, la pluie, et le travail d’autres hommes. Ce qu’on peint aujourd’hui sera détruit demain », voir Ernesto Saúl, Pintura social en Chile, Santiago, Quimantú, 1972. 69. BESSIERE, Bernard, La Nouvelle chanson chilienne en exil, Plan-de-la-Tour, Éditions d’aujourd’hui, 1980, p. 279.

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RÉSUMÉS

Ni les États-Unis ni l’Europe n’ont l’apanage de la contestation contre la Guerre du Vietnam. Les peuples du tiers-monde en ont fait, pendant une dizaine d’années, le symbole de la lutte anti- impérialiste. Au Chili, la jeunesse engagée se solidarise avec le peuple vietnamien, dont le combat face à l’envahisseur nord-américain est considéré comme héroïque et exemplaire dans la défense du droit à l’auto-détermination. Les artistes, et tout particulièrement les musiciens, expriment alors le rejet de cette guerre à travers leurs œuvres, la chanson étant l’un des véhicules privilégiés du message politique. Structuré en deux parties, cet article retrace d’abord le devenir de cette contestation, en mettant l’accent sur l’articulation entre contexte politique et création artistique durant une période clé de l’histoire du Chili. Il examine ensuite les diverses formes que prend la musique engagée de l’époque afin d’en dégager une typologie.

The opposition to the Vietnam War is not an isolated phenomenon of America or Europe. In fact, during a decade, this war embodies the symbol of the anti-imperialism resistance by the peoples of the third world. In Chile, the politically committed youth supports the Vietnamese people. They consider the battle against the American invader to be heroic and an example of the warfare towards the right of self-determination. The artists, and musicians in particular, express their opposition to war through artistic works: the canción is then established as the favored vehicle for delivering the political message. This paper is structured into two sections. It first describes the process of the protest, emphasizing the articulation between the political context and the artistic creation during a key period of Chile’s history. Later, it examines the different forms of the politically committed music of that time to establish a typology.

INDEX

Keywords : Chile, Chilean nueva canción, Unidad Popular, Vietnam War, protest, anti- imperialism, music and politics Mots-clés : Chili, nouvelle chanson chilienne, Unité populaire, Guerre du Vietnam, contestation, anti-impérialisme, musique et politique

AUTEUR

MAURICIO GÓMEZ GÁLVEZ

Mauricio Gómez Gálvez est doctorant en musicologie à l’Université Paris-Sorbonne. Après des études d’interprétation musicale et de pédagogie de la musique au Chili, il obtient un master en musique et musicologie à l’Université Paris-Sorbonne (mémoire sur les écrits de René Leibowitz dans la revue Les Temps Modernes). Il prépare actuellement une thèse sur les formes d’appropriation de la musique savante européenne chez les compositeurs chiliens du second XXe siècle, sous la direction de Michèle Alten d’abord, puis de Jean-Marc Chouvel.

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Conflits armés, idéologie et technologie dans Für Paul Dessau de Luigi Nono Armed conflicts, Ideology and Technology in Luigi Nono’s Für Paul Dessau

Luis Velasco-Pufleau

Le conflit décisif est le conflit armé. La révolution bolchevique de 1917, la longue marche chinoise, la Sierra Maestra et le choix révolutionnaire des peuples vietnamien, africains et latino- américains nous l’enseignent. Luigi Nono, 19691.

Introduction

1 Au-delà de l’horreur que provoque la guerre en elle-même, certains conflits armés du XXe siècle ont suscité un grand espoir chez des artistes engagés dans les luttes politiques internationales de leur époque. Ce fut notamment le cas du compositeur italien Luigi Nono (1924-1990). Pour les intellectuels marxistes comme Nono, les luttes de libération du tiers-monde semblaient annoncer un bouleversement de l’ordre politique à une grande échelle et représentaient la libération du joug colonial, l’indépendance économique et culturelle ainsi qu’une étape nécessaire pour la construction d’une nouvelle société socialiste – un moment décisif au cours duquel les structures socio-économiques et culturelles pouvaient être bouleversées2. Dans cette optique, de la Révolution russe à la guerre du Vietnam, en passant par la Révolution cubaine et les guerres de libération (néo)coloniales du tiers-monde durant les années 1960 et 1970, les conflits armés ont été pensés par Nono, dans une perspective internationaliste, comme l’aboutissement de la lutte des classes et comme une occasion pour bâtir une société plus juste et équitable3.

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2 L’objectif de cet article est double. D’une part, je propose d’examiner de quelle façon Luigi Nono place certains des conflits armés du XXe siècle, dont les luttes d’émancipation du tiers-monde, au cœur de son œuvre pour bande magnétique Für Paul Dessau (1974)4. D’autre part, j’analyserai la relation entre l’utilisation de la technologie par le compositeur, la pensée politique de ce dernier et les dimensions historique et esthétique de cette œuvre – notamment dans le contexte de la Guerre froide et de l’idéologie marxiste. J’apporterai une attention particulière à la contextualisation historique des prises de position de Nono et du matériau utilisé dans Für Paul Dessau afin de mettre en perspective son espoir en l’utopie socialiste et la fonction stratégique que revêtait pour lui la politisation de la musique.

3 Dernière œuvre de Luigi Nono pour bande magnétique seule5, Für Paul Dessau est composée en 1974 dans le Studio di Fonologia de la RAI à Milan – avec l’assistance technique de Marino Zuccheri – et conçue comme un hommage au compositeur allemand Paul Dessau (1894-1979) à l’occasion de son 80e anniversaire 6. Cette œuvre peut être analysée comme une « clairière » dans sa production musicale car elle constitue la synthèse de certains procédés compositionnels, de l’utilisation des nouvelles technologies et des thématiques politiques développées par Nono dans les années qui la précèdent. Cependant, Für Paul Dessau est aussi la dernière d’une longue lignée d’œuvres au contenu expressément politique, et se trouve intimement liée à certaines d’entre elles par le matériau sonore, les textes et les sujets extramusicaux auxquels elle fait référence7.

4 Partant d’une analyse du matériau (sonore et discursif) et des incidences de celui-ci sur la structure formelle de Für Paul Dessau, je m’appuierai sur les écrits du compositeur afin de contextualiser les enjeux idéologiques, politiques et esthétiques présents dans cette œuvre. Comme l’écrivait Nono lui-même en 1969 : Il est évident que si l’on n’étudie pas et si l’on n’analyse pas ma pratique compositionnelle, y compris dans son rapport entre technique et idéologie, et si l’on reste prisonnier de conceptions traditionnelles, aujourd’hui réactionnaires, on déforme ou méconnaît, dans la technique comme dans le moment idéologique qui devient musique, ma position active de musicien totalement engagé dans la lutte politique d’aujourd’hui8.

5 Plus largement, l’ambition de ce texte est de contribuer à la compréhension et à la mise en perspective du marxisme défendu par Luigi Nono en tant qu’intellectuel et artiste militant au Parti Communiste Italien (PCI), dans son articulation avec ses idées esthétiques et son activité de compositeur. Pour cela, je m’appuierai sur trois notions, empruntées à Antonio Gramsci (1891-1937), qui sous-tendent la pensée politique et l’action artistique de Nono : les notions d’idéologie, d’intellectuel et d’hégémonie9. Concernant l’idéologie, elle doit être comprise, d’après Gramsci, comme « une conception du monde qui se manifeste implicitement dans l’art, dans le droit, dans l’activité économique, dans toutes les manifestations de la vie individuelle et collective10 ». Pour Nono, l’idéologie devrait servir de guide pour l’action artistique – car elle implique une conscience – et trouverait sa source dans la réalité commune au plus grand nombre (le « peuple »). Elle engagerait aussi une éthique qui rendrait inséparable création poétique et réflexion politique, comme il l’écrit en 1966 à propos de la notion d’engagement en musique : Lorsqu’on parle d’« engagement », en musique, aujourd’hui, c’est souvent sur le plan théorique ou technique, mais rarement sur le plan idéologique. Or, contrairement à ce que croient beaucoup, ces deux formes d’engagement ne sont

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pas inconciliables. En partant de la réalité la plus quotidienne, la plus actuelle, en s’appuyant sur les grands élans de révolte et d’espoir qui secouent notre monde, on peut, hors de tout réalisme infantile, faire œuvre d’imagination qui satisfasse autant l’aide marchante de la pensée contemporaine que les grandes masses. Mais les relations du créateur et des foules (de la classe ouvrière en particulier) ne doivent plus être celles de professeur à élèves, d’initiateur à néophytes. Il faut qu’ils se retrouvent d’abord à l’origine de l’œuvre11.

6 Ainsi, pour Nono, le compositeur devrait mettre en forme « avec toutes les ressources que mettent à sa disposition les nouveaux langages sonores et visuels12 », les idées, les données et le matériau issus des luttes politiques et sociales afin de contribuer à la prise de conscience nécessaire à la transformation collective de la société. Ceci implique aussi que les choix du compositeur ne sont jamais neutres et qu’il est responsable, en tant qu’intellectuel organique13, des conséquences de ces choix. C’est ainsi que dans son texte « Le pouvoir musical » (Il potere musicale, paru en septembre 1969), Nono, insistant sur sa qualité d’artiste engagé, définit sa position esthétique qui consiste à concevoir « une culture comme moment de prise de conscience, de lutte, de provocation, de discussion et de participation14 ». Ceci impliquerait pour lui l’utilisation critique des legs du passé mais aussi le refus de toute conception eurocentrique et de toute vision aristocratique de la culture et des langages artistiques. Il affirme que ce qu’il entend par « faire de la musique » est quelque chose qui l’engage « au même titre que de participer à une manifestation, de [se] heurter à la police, ou demain, qui sait, de participer à la lutte armée15 ». Il oppose cette conception créatrice à celles d’autres compositeurs. Ainsi, sa critique de la position de Stockhausen nous éclaire de façon explicite sur sa conception éthique et esthétique de l’utilisation de la technologie dans son rapport avec les luttes politiques du tiers-monde. Nono définit la position de l’Allemand de la façon suivante : la technologie comme valeur, la théorisation d’une évolution technologico- esthétique indolore, la relation naturelle avec les lieux de la production technique la plus avancée, c’est-à-dire les États-Unis et l’Occident, et le mépris aristocratique pour toutes les autres cultures, sans même évoquer le Tiers-Monde16.

7 Luigi Nono qualifie cette position d’impérialiste – quatre ans avant Cornelius Cardew et son livre Stockhausen serves Imperialism – car, selon lui, elle exalterait l’évolution techno- scientifique comme seul moment de vérité, sans aucune conscience critique du prix de l’exploitation et du pillage économique qui rend ce développement technique possible17. Sa critique vise particulièrement le travail développé par Stockhausen dans Hymnen, où il utilise un grand nombre d’hymnes nationaux et politiques comme matériau de base et dont une seconde version – Hymnen (Dritte Region), pour électronique et grand orchestre – avait été commandée par Leonard Bernstein et l’Orchestre Philharmonique de New York au début de l’année 196918. Soucieux de concilier l’activité créative du compositeur avec une éthique et une responsabilité idéologique propres au rôle des intellectuels, Nono se demande alors : quel sens cela a-t-il alors de parler d’un nouvel espace acoustique, de nouveaux milieux, d’une nouvelle psychologie de l’écoute, de nouvelles techniques, d’un höherer Mensch [d’un homme supérieur] s’ils ne sont pas rapportés à de nouvelles structures sociales et humaines qui ne se basent pas sur l’exploitation et la domination néo-capitaliste et néo-colonialiste, en un mot : sur des structures socialistes ou qui tendent vers le socialisme19 ?

8 En effet, les compositeurs – en tant qu’intellectuels organiques – ont pour Nono la fonction hégémonique de lutter contre la conception du monde de la classe dominante

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(bourgeoisie) par la création musicale et par la promotion d’un imaginaire révolutionnaire et socialiste20. Cette action doit prendre en compte les conditions sociales, économiques et culturelles de leur activité créative ainsi que ses conséquences. Comme le raconte Helmut Lachenmann, « Luigi Nono n’a cessé de se solidariser avec l’agitation sur cette terre, il l’a faite sienne. C’est en puisant dans cette agitation que son activité artistique et sa nature humaine se sont constamment renouvelées21 ».

Für Paul Dessau : synthèse, espace et polyphonie sonore

9 Depuis 1960 et jusqu’à la moitié des années 1970, l’utilisation que fait Luigi Nono de nouveaux outils technologiques au Studio di Fonologia de la RAI de Milan s’inscrit au sein du projet esthétique et politique consistant à placer son œuvre, et par conséquent les moyens utilisés pour la produire, au service de la lutte de classes et de la justice sociale. Comme l’affirme Laurent Feneyrou, Nono « considère que la transformation des modes de communication et de dialogue avec le monde s’applique au langage musical de la même manière qu’aux formes de la société22 ». Ainsi, comme le déclare Nono en 1969, la maîtrise de la technique et le travail au sein du studio électronique deviennent indispensables pour la diffusion des idées nécessaires à l’hégémonie culturelle23 et idéologique des forces révolutionnaires : Il nous faut comprendre et nous approprier tout élément et toute conquête technique effectivement novatrice, que nous différencions et que nous responsabilisons par notre conception théorique et pratique de la lutte actuelle, et que nous associons alors à notre capacité d’invention et de création pour l’hégémonie, selon le terme de Gramsci, des forces révolutionnaires, dans leur pratiques destructrices, constructives et intellectuelles. Un exemple : le développement et l’application de la technique électronique dans la musique contemporaine, le studio électronique. C’est une conquête et une possibilité expressive inédite pour la création musicale24.

10 Parmi les possibilités expressives inédites offertes par l’électronique à la création musicale de Nono, se trouve la possibilité d’utiliser comme source un matériau figé préalablement par l’enregistrement, de modifier sa morphologie et de l’insérer dans un nouvel espace acoustique. Ainsi, Für Paul Dessau est constituée de deux catégories de matériaux complémentaires, qui peuvent être classés selon leur provenance acoustique et leurs fonctions formelles. D’une part, nous trouvons les voix d’hommes politiques – Vladimir I. Lénine, Ernst Thälmann, Patrice Lumumba, Ernesto « Che » Guevara et Fidel Castro – enregistrées lors de discours historiques entre 1919 et 1963 et accessibles à Nono sous la forme de disques vinyles25. Ces discours hautement symboliques dans l’histoire du socialisme et du tiers-mondisme renvoient aux luttes de libération auxquelles Nono s’identifiait lui-même, tout comme son ami Paul Dessau26, s’inscrivant de ce fait « dans l’histoire des mouvement révolutionnaires, qu’il avait étudiée et à laquelle il se savait lié27 ». Comme l’explique Nono à propos de son œuvre : Dans cette manifestation de solidarité à l’écoute de Paul Dessau, j’ai pris pour thème de cette composition notre lutte commune internationale. Des mots de Lénine, extraits de Qu’est-ce que le pouvoir des Soviets ? et de l’Adresse à l’armée rouge, des mots de Thälmann, un enregistrement illégal de Lumumba dans sa cellule, avant son assassinat, des mots d’Ernesto Che Guevara sur trois années de guerre au Viêt-Nam et de la Deuxième Déclaration de La Havane de Fidel Castro déterminent ma

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structure musicale. Cette structure est ainsi construite pour libérer les forces de l’art et du combat, à travers la synthèse de ces mots de notre temps, lesquels rapprochent de notre réalité le combat et l’art, et leur confèrent une nouvelle dimension. Genossen Paul Dessau. Camarade de Berlin en RDA28.

11 D’autre part, Nono utilise des extraits d’enregistrements de trois de ses propres œuvres afin de soutenir et d’encadrer dramatiquement les discours politiques : Il canto sospeso (1955-1956, pour soprano, contralto, ténor et orchestre) ; Non consumiamo Marx (1969, pour bande magnétique29) ; ainsi que Como una ola de fuerza y luz (1971-1972, pour soprano, piano, orchestre et bande magnétique). Se rapportant aux sujets politiques abordés par ces œuvres, ce matériau crée un système autoréférentiel qui élargit considérablement la portée symbolique de Für Paul Dessau. Tout d’abord, Il canto sospeso, basée sur des lettres de condamnés à mort de la Résistance européenne, crée un lien avec la lutte antifasciste durant et après la Deuxième Guerre mondiale. Cette œuvre avait une grande importance pour Nono et il se remémorait ainsi les années de sa conception et de sa création30 : C’étaient les années de la grande redécouverte des écrits d’Antonio Gramsci, de la brutale répression scelbienne, du front antifasciste et de la présence continue et discutée de la Resistenza. […] Années de grandes agitations, luttes polémiques, politiques et culturelles. Que nous ressentions peut-être plus et auxquelles nous participions, en Italie. Et qui exigeaient une rigueur de préparation, d’étude ouverte et innovante, et d’analyse sur le réel, contre les modèles et les dogmatismes en usage, de choix et de conflits souvent violents31.

12 Comme l’écrit Laurent Feneyrou, « dans l’œuvre de Luigi Nono, ce qui, avec Il Canto sospeso, est une dénonciation des crimes commis par le nazisme et le fascisme, deviendra, au cours des années soixante, dès Intolleranza 1960, condamnation du type de société qui conduit aux hitlérismes d’hier et d’aujourd’hui32 ». Ainsi, Non consumiamo Marx, composée notamment à partir d’enregistrements des manifestations contre la Biennale de Venise en juin 1968 et des slogans utilisés lors des événements parisiens de mai 68, est conçue comme un manifeste contre les dérives culturelles, sociales et économiques du capitalisme. Nono dédie cette œuvre « à Carlos Franqui, poète révolutionnaire cubain » et parle ainsi des « matériaux de documentation » qu’il utilise dans celle-ci : Pris dans la rue : Venise, juin 1968. Boycott et lutte des étudiants, des ouvriers et des intellectuels contre la Biennale. Institution culturelle commerciale, acquise aux intérêts des monopoles (Montedison et Ciga) et du pouvoir gouvernemental. Enregistrements effectués par le camarade vénitien Penso. Mural-politique : 20 slogans relevés sur les murs de Paris (mai 1968) – lutte contre l’État capitaliste et le pouvoir personnel (de Gaulle). – Situations humaines de la lutte des classes de notre temps, offrant de nouvelles perspectives, une nouvelle signification et une nouvelle praxis au mouvement amoureux-pavésien (Embrasse ton amour sans laisser ton fusil) – Technique de composition électronique basée sur des voix (enregistrées, élaborées, composées ou en direct) et sur un matériau électronique original33.

13 Enfin, Como una ola de fuerza y luz est dédiée à la mémoire de Luciano Cruz, leader du MIR (Mouvement de la gauche révolutionnaire34) au Chili, mort en septembre 1971 et dont Nono avait fait la connaissance à Santiago durant l’été de la même année. Nono écrit à propos de Cruz et de la genèse de son œuvre : Son intelligence et son extraordinaire capacité marxiste de combattant pour la liberté chilienne suscitèrent mon admiration et une amitié immédiate entre nous. En septembre 1971 me parvint la nouvelle de sa mort accidentelle et étrange, à l’âge

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de vingt-sept ans seulement. C’est la motivation de cette musique. […] Sa présence- absence détermine le choix définitif de la structure sonore, de ses motivations. J’élargis le premier projet en ajoutant une partie vocale (soprano) sur quelques vers dédiés à Luciano Cruz par un poète argentin Julio Huasi, ami de Luciano, et dont j’avais aussi fait la connaissance à Santiago35.

14 Ces trois œuvres font référence à des événements socio-historiques et culturels d’une grande importance pour Nono : le phénomène de la Resistenza européenne, les manifestations internationales de 1968 et la lutte révolutionnaire dans le Chili du front populaire de Salvador Allende. Ces œuvres et les événements qu’elles portent se trouvent à la base de Für Paul Dessau, structurant et soutenant la dramaturgie des discours historiques et élargissant en même temps leur portée symbolique.

Dramaturgie, organisation formelle et principaux procédés compositionnels

15 Sur le plan temporel, Für Paul Dessau est structurée par deux types de sections : des Sections Discursives (SD), basées principalement sur l’articulation des discours politiques (soutenus par des fragments des œuvres de Nono) et des Sections Non Discursives (SND), basées exclusivement sur les œuvres de Nono – une introduction et une coda aux extrémités et des Interludes (I) entre chacune des SD (voir tableau et exemple ci-dessous).

Tableau 1. Utilisation des discours politiques et des fragments d’œuvres dans Für Paul Dessau

16 La fonction formelle des I est de structurer les SD afin de mieux maîtriser la dramaturgie de leur contenu sémantique. Les fragments des œuvres sont choisis par Nono en fonction de leur force dramatique et agencés la plupart du temps de façon polyphonique, allant d’une nuance pp quand il s’agit d’accompagner et de soutenir les discours (certains fragments des œuvres assurent la continuité entre les I et les SD) à une nuance ff lors des SND (l’introduction, les interludes et la coda). De même, le choix des accompagnements sonores des SD assure une progression dramatique – et non plus seulement sémantique – fondée sur la couleur du son et sur des textures polyphoniques.

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Exemple 1. Sonagramme du début de Für Paul Dessau (0’00’’-1’46’’) : distribution des œuvres et des discours lors de l’introduction, les quatre premières SD et les trois premiers I

Sonagramme réalisé avec le logiciel d’analyse EAnalysis (http://logiciels.pierrecouprie.fr/? page_id=402).

17 Cette progression dramatique est menée également par les procédés compositionnels utilisés par Nono dans chaque type de section. D’une part, dans les SD, le mixage des voix par stratification privilégie une perception contrapuntique qui met en valeur aussi bien la portée sémantique de certains mots ou phrases que la dimension rythmique et sonore de chaque langue. N’étant pas transformées par des filtres ou des transpositions, les voix sont articulées de façon à ce que le contenu des discours soit compréhensible par l’auditeur. De même, la plupart des discours étant mixés en superposition fade-in et fade-out (fondu-enchaîné), il s’agit plus pour Nono de gérer la dramaturgie du flux sonore que de composer avec des fragments ou des syllabes des discours en question. Sur ce point, il est significatif de souligner que Nono n’utilise pas la fragmentation ou la répétition des mots comme principe de composition dans les SD car il n’expose jamais deux fois la même phrase.

18 D’autre part, dans les SND, les fragments des œuvres sont montés par juxtaposition (articulation par l’assemblage plus ou moins abrupt des objets sonores) ou par superposition progressive (accumulation ou chevauchement des différentes strates sonores), créant des séquences dont les timbres et profils dynamiques sont nouveaux. Contrairement aux discours, la morphologie et l’espace de la plupart de ces fragments sont transformés par l’ajout en studio de réverbération ou par l’utilisation des filtrages divers, des variations de vitesse et des transpositions.

19 Étant donné qu’une analyse exhaustive des différentes sections de l’œuvre à la lumière des procédés compositionnels utilisés par Nono me ferait dépasser les dimensions fixées à ce texte, j’analyserai des aspects spécifiques de l’introduction et de la conclusion afin d’illustrer mes propos. Tout d’abord, l’introduction (0’00’’-0’17’’) est composée par la juxtaposition et la superposition d’éléments hétérogènes issus de trois œuvres : sons du piano transposés et voix transformée avec réverbération (Como una ola de fuerza y luz) ; extraits instrumentaux transposés (Il canto sospeso) ; rumeurs et cris des manifestations (Non consumiamo Marx). Le montage de ces éléments crée un objet sonore avec un nouveau profil dynamique qui remplit la fonction d’ouverture de l’œuvre.

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Exemple 2. Sonagramme de l’introduction de Für Paul Dessau (0’00’’-0’17’’)

20 Ensuite, en ce qui concerne la coda (6’33’’-6’57’’), Nono utilise des sons de piano extraits de Como una ola de fuerza y luz ainsi que divers fragments de Il canto sospeso. Le choix du fragment qui clôt l’œuvre est symboliquement fort : Nono utilise la première phrase de l’intervention chantée de la soprano solo dans le septième mouvement de Il canto sospeso. Il s’agit en effet de la fin de la lettre d’une jeune ukrainienne (Ljuba Sevcova), membre de la résistance dans la ville minière de Krasnodon, à destination de sa mère. Sachant qu’elle sera assassinée par les forces d’occupation nazies, elle lui écrit : « … adieu, maman, ta fille Ljubka s’en va dans la terre humide…36 » (voir exemple ci- dessous).

Exemple 3. Réduction du fragment du septième mouvement de Il canto sospeso (mesures 429-437) utilisé dans la coda de Für Paul Dessau (6’33’’-6’57’’)

21 La volonté de Nono de terminer Für Paul Dessau par ce fragment émouvant de Il canto sospeso – qui constitue le fil conducteur sonore tout au long de l’œuvre – peut être interprétée à la lumière de la signification qu’il donnait au phénomène de la Resistenza, qui revêtait pour lui une actualité qui allait bien au delà du moment du conflit armé : La Resistenza, acte concrètement révolutionnaire et fondamental de notre vie, nécessite, provoque et engendre des choix précis et une conscience novatrice : ni exclusivement, ni une fois pour toutes, lors de la lutte armée, mais dans sa continuité complexe, si nécessaire, constructive et déterminante. […] Cette Resistenza ne se limite pas à un drapeau glorieux du passé, mais c’est une lutte

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incessante et une conscience nouvelle en développement continu pour l’action subjective et, dans ses intentions, sur le processus objectif qui résulte des principes et des idéaux pour lesquels beaucoup ont déjà donné leur vie ou sont encore assassinés aujourd’hui37.

22 Pour Nono, le musicien participe activement à cette lutte, en la prolongeant dans le présent par sa contribution originale et créative, « par ses études, ses recherches et ses expériences, ainsi que par son imagination inventive ; et parce qu’il dialectise les idées et les moyens technico-linguistiques, tous deux dans leurs exigences et leurs propriétés particulières38 ». C’est pourquoi, pour Nono, il ne faut pas « limiter le thème de la Resistenza en musique à l’utilisation de textes et de situations de la lutte des partisans, en lui assignant donc une époque déterminée dans l’histoire ». Il faudrait au contraire rechercher l’héritage de la Resistenza « potentiellement présent dans ces expressions où la vérité et la nouveauté de la recherche, de l’invention et de la réalisation élargissent et développent la capacité de l’imagination, l’intelligence de la réception et la conscience de l’homme tendu vers l’élimination des différents garrots de la société néocapitaliste, pour la libération socialiste39 ». C’est ainsi que la portée politique du travail créatif du compositeur actualise l’héritage des luttes du passé en le rendant visible dans les luttes du présent, ce qui constitue l’un des principaux enjeux de Für Paul Dessau.

23 Sur le plan spatial, l’œuvre est organisée de façon stéréophonique40, Nono ayant placé au centre ses propres œuvres, sur le canal gauche les voix de Lénine et de Guevara et sur le canal droit celles de Thälmann, de Lumumba et de Castro (voir tableau ci- dessous). Une possible interprétation de cette distribution spatiale pointerait vers la volonté du compositeur de « situer » géographiquement, de « territorialiser » ces œuvres et ces discours, tout en les faisant dialoguer grâce à une articulation polyphonique. Cette analogie entre espace acoustique de l’œuvre et espace géographique servirait à relier dans le moment présent les luttes d’émancipation auxquelles font référence les sons et les discours.

Tableau 2. Disposition spatiale des œuvres et des discours utilisés dans Für Paul Dessau

24 En effet, les principaux pays où se mènent les luttes révolutionnaires évoquées dans les discours utilisés se situent sur trois continents : l’Asie (Russie41 et Vietnam), l’Afrique (Congo) et l’Amérique latine (Cuba, Chili) – les continents représentés en 1966 dans la conférence Tricontinentale de La Havane42. Étant donné que les œuvres de Nono font référence à des faits historiques qui ont eu lieu en Europe (Il canto sospeso, Non consumiamo Marx) et en Amérique Latine (Como una ola de fuerza y luz), le choix de les placer au centre de l’espace sonore leur donnerait une fonction unificatrice par rapport aux luttes énoncées dans les discours. Cette organisation spatiale relie ainsi les luttes « périphériques » à l’héritage et l’expérience de Nono lui-même et esquisse simultanément un nouveau centre possible pour le mouvement socialiste international

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dans le contexte de la Guerre froide : l’Amérique Latine en général et le Chili d’Allende en particulier. Il faut rappeler que Nono était particulièrement attaché au projet socialiste de Salvador Allende et donnait à celui-ci un rôle prépondérant dans le mouvement socialiste mondial – comme il le fit savoir au président Allende dans un télégramme daté du 26 janvier 1973, quelques mois seulement avant le coup d’État (11 septembre 1973) qui renverse le régime démocratique chilien43. De même, comme l’écrit Erika Schaller, au début du projet compositionnel de Für Paul Dessau, Nono prévoyait de donner une place centrale à la question du socialisme au Chili et il donne à l’œuvre le titre provisoire de Da Lenin ad Allende (un montaggio)44.

La fonction idéologique de l’œuvre

25 La fonction référentielle des œuvres de Nono ancre les discours historiques dans l’univers sonore du compositeur et dans le contexte politique précis de la Guerre froide. Mais la dimension sémantique et historique des discours est fondamentale, les mots étant articulés pour être compris par l’auditeur et organisés de façon polyphonique afin de créer un nouveau discours de synthèse revêtant une fonction idéologique précise : relier des causes, désigner des ennemis communs et indiquer les objectifs à atteindre.

26 À la manière d’un cantus firmus, les deux discours de Lénine45 – les plus présents dans l’œuvre, avec celui de Guevara sur la guerre du Vietnam – ont une fonction structurante dans la polyphonie globale. Enregistrés en 1919 durant la guerre civile qui suit la Révolution d’Octobre, ils ont la fonction de motiver les troupes de l’Armée rouge et d’expliquer la visée révolutionnaire du nouveau pouvoir donné aux soviets. Pour Lénine, ce pouvoir permet à ceux qui étaient opprimés de se relever et de prendre eux-mêmes en main de plus en plus toute la direction de l’État, toute la direction de l’économie, toute la direction de la production. Le chemin des Soviets est le chemin du socialisme, découvert par les masses laborieuses, donc un chemin sûr, donc un chemin invincible46.

27 La fin de son appel à l’armée exalte la victoire du socialisme proclamé par Lénine et souligne en même temps le caractère internationaliste de la lutte du peuple russe : « Camarades soldats de l’Armée Rouge ! Tenez bon, tenez ferme, serrez les rangs ! Marchez hardiment contre l’ennemi ! Nous aurons la victoire. Le pouvoir des propriétaires fonciers et des capitalistes, brisé en Russie, sera vaincu dans le monde entier47 ! ». Le discours de Lénine est contrepointé par le discours du « Che » Guevara, qui exalte la lutte armée du peuple vietnamien face à l’agression impérialiste des États- Unis, reliant symboliquement la Révolution d’Octobre à la guerre du Vietnam. Cette généalogie est exposée par Nono dans une intervention contre la guerre du Vietnam datant de 1966 : La conquête de la paix pour le Viêt-Nam et son droit [à décider de son destin socialiste] doivent être une nouvelle conquête de tout le mouvement ouvrier et anti-impérialiste, et pour tout ce mouvement, sur la voie ouverte par l’Octobre rouge, par la Longue Marche et par la Sierra Maestra [et de la reprise et de l’accomplissement de notre résistance, pour un monde nouveau]48.

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Image 1. Couverture et détail du disque vinyle du discours d’Ernesto « Che » Guevara (prononcé à La Havane, le 20 décembre 1963)

28 Le discours de Guevara incrimine directement la politique impérialiste menée par les États-Unis et dessine une géographie tricontinentale des résistances tiers-mondistes : « L’Amérique, l’Asie et l’Afrique, les trois continents opprimés commençaient à montrer qu’ils n’accepteraient plus longtemps la présence des pouvoirs coloniaux49 ». Guevara identifie la lutte armée du peuple vietnamien à la Révolution cubaine et inventorie dans son discours un certain nombre de foyers révolutionnaires et de « guerres de libération », aussi bien en Amérique Latine (Nicaragua, Honduras, Guatemala, Saint Domingue, Colombie, Venezuela et Paraguay), qu’en Asie (Laos, Vietnam) et en Afrique (Angola, Guinée portugaise [Guinée-Bissau]).

29 Pour sa part, le discours de Fidel Castro intensifie avec un lyrisme et une rhétorique caractéristiques de la Guerre froide les promesses de liberté formulées par ces mouvements de libération, affirmant qu’« il faudra compter avec les pauvres d’Amérique, avec les exploités et méprisés de l’Amérique Latine qui ont décidé d’écrire eux-mêmes, pour toujours, leur propre histoire50 ». De même, il prolonge la critique contre les États-Unis établissant un parallèle entre les défauts supposés de ceux-ci et les vertus revendiquées pour Cuba par les acteurs issus de la révolution : Cuba, pour les alphabétiseurs assassinés ; les États-Unis, pour les assassins Cuba, pour la vérité ; les États-Unis, pour le mensonge Cuba, pour la libération ; les États-Unis, pour l’oppression Cuba, pour l’avenir lumineux de l’humanité ; les États-Unis, pour le passé sans espoir Cuba, pour la paix entre les peuples ; les États-Unis, pour l’agression et la guerre Cuba, pour le socialisme ; les États-Unis, pour le capitalisme51.

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Image 1. Couverture et détail du disque vinyle du discours de Fidel Castro (prononcé à La Havane, le 4 février 1962)

30 Ainsi que l’exprime Guevara dans son discours, pour Luigi Nono, l’agression militaire des États-Unis « n’est pas seulement contre le Viêt-Nam, mais contre le monde socialiste et contre les mouvements de libération nationaux52 ». Cela explique la présence dans Für Paul Dessau du discours de Patrice Lumumba, figure emblématique de la lutte d’indépendance du Congo belge et premier ministre (de juin à septembre 1960) de la nouvelle République du Congo53. Nono utilise des extraits de ce qui est considéré comme le dernier discours54 de ce leader de la décolonisation africaine, mettant en garde contre les diverses formes du néocolonialisme mis en place par les anciennes puissances : « puisqu’on vient de tomber dans un néo-colonialisme, qui est aussi dangereux que le colonialisme que nous venons d’enterrer le 30 juin dernier55 », affirme Lumumba dans son discours. Enfin, le discours d’Ernst Thälmann56, symbole international de la résistance antifasciste allemande et héros national en Allemagne de l’Est (RDA), appelle à « répondre aux exigences des principales tâches pour la victoire de la révolution prolétarienne ». Sachant que son œuvre serait créée dans l’acte d’hommage à Paul Dessau, et en présence de celui-ci, Nono le salue à travers les mots de Thälmann, qui transmet à son auditoire ses « salutations fraternelles et révolutionnaires57 ».

La fonction hégémonique de l’œuvre

31 Le discours sonore crée par Nono dans Für Paul Dessau – entendu ici comme l’union et l’articulation d’éléments sonores hétérogènes avec une certaine dimension sémantique – est organisé de façon à créer une dramaturgie politique guidée par une idéologie précise. La présence dans l’œuvre des luttes internationales anti-impérialistes contribue à l’hégémonie intellectuelle du socialisme tiers-mondiste défendu par Nono, un socialisme qui puiserait notamment sa force dans l’héritage de Lénine et de Gramsci, tout en respectant les diversités politiques, économiques et culturelles des différents peuples : La réalisation du socialisme vers lequel nous tendions – écrit Nono en 1971 au directeur du journal L’Unità58 –, le créant à l’image de notre réalité, inspiré de Lénine et de Gramsci, du soviétisme qui a conduit aux luttes de libération en Asie […], en Afrique et dans une partie de l’Amérique Latine, que nous construisons avec

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la lutte des travailleurs, des paysans, des ouvriers, des étudiants ; le socialisme pour lequel luttent les travailleurs de la région Baltique, ceux de Detroit et du mouvement Black Panthers dans le bastion de l’impérialisme59.

32 Assumant sa responsabilité d’intellectuel, Nono ne sépare pas cette conception du socialisme (théorie) de son militantisme politique et de son activité artistique en tant que compositeur et pédagogue (praxis). Suivant l’exemple de Gramsci, Fanon ou Guevara, Nono réfléchit à l’adéquation de la théorie marxiste, de la stratégie révolutionnaire et de la création artistique aux différents contextes historiques et culturels, comme il l’affirme à propos de sa participation en décembre 1971 à un cours latino-américain de musique contemporaine en Uruguay : Mon séminaire de composition se déroula à la lumière des indications culturelles et politiques d’Antonio Gramsci, Frantz Fanon et Ernesto Che Guevara, et de la résolution du Congrès cubain pour l’éducation et la culture d’avril 1971. On y discuta de la nécessité de dépasser et de rompre le mythe de l’eurocentrisme colonisant et l’application schématique de la pratique socialiste européenne, qui ne correspond presque jamais à la réalité socio-économique culturelle latino- américaine. Et toutes les analyses techniques s’inscrivirent dans ce contexte60.

33 Dans le contexte de la Guerre froide et de ses conflits périphériques, certains leaders politiques du tiers-monde, tels Fidel Castro, Mao Zedong et Ernesto « Che » Guevara, représenteraient « tout à la fois la lutte révolutionnaire contre l’Amérique [les États- Unis], le changement social radical et, pour les deux derniers, une remise en cause de la norme soviétique61 ». Le choix d’utiliser les discours de Castro, de Guevara et de Lumumba dans Für Paul Dessau suit cette logique de décentrement et d’internationalisation des luttes d’émancipation anti-impérialistes62. Ces figures politiques s’engageaient dans un combat idéologique contre la vision bipolaire du monde et voulaient donner aux nations périphériques un rôle historique à jouer. Ce rôle n’était pas seulement politique mais aussi idéologique et culturel, en montrant une voie différente à suivre aux sociétés qui refusaient de se soumettre à la logique géopolitique des deux blocs. De ce fait, comme le souligne Robert Frank, « la nouvelle multipolarité n’est donc pas seulement une affaire géopolitique de rapports de force internationaux, comme à la fin des années 1950 ; elle se situe désormais à partir du milieu des années 1960 au cœur d’une grille de lecture idéologique, politique et culturelle63 ».

34 La dimension idéologique et historique de Für Paul Dessau suit cette logique. Par la synthèse et la spatialisation des discours et des sons utilisés, l’œuvre matérialise le tiers-monde dans un espace symbolique unifié et ancré dans une tradition socialiste, rendant possible sa mobilisation comme un concept opératoire pour penser l’unité des luttes postcoloniales des pays qui s’y identifiaient. Au tournant des années 1970, cette volonté de donner corps à l’idée du tiers-monde se plaçait au cœur de la lutte idéologique des grands projets politiques, à l’encontre de l’opinion de certains intellectuels – comme Hannah Arendt, qui n’hésitait pas à qualifier le tiers-monde de n’être qu’une « illusion64 ». Dans cette confrontation idéologique si caractéristique de la Guerre froide, qui consistait à tenter d’imposer dans l’espace public des concepts et des représentations tout en les opposant à ceux des adversaires, Für Paul Dessau constitue le réquisitoire de Luigi Nono contre l’« Occident impérialiste », symbolisé avant tout par les États-Unis et leur politique en Amérique latine, en Afrique et en Asie. La dimension politique de l’œuvre de Nono peut être analysée comme une stratégie consciente pour l’hégémonie intellectuelle et culturelle socialiste dans sa dimension propagandiste,

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c’est-à-dire en tant que stratégie de légitimation « qui viserait non seulement à influencer mais aussi provoquer l’identification et l’adhésion consciente des individus à un pouvoir perçu comme légitime65 ». Dans Für Paul Dessau, cette stratégie consisterait notamment à donner la parole à des acteurs spécifiques en les rendant visibles dans l’espace commun, à légitimer des idées et des concepts pour penser le réel66. Comme le soutient Nono, si une partition ne peut pas provoquer ou susciter une révolution, elle peut y contribuer, en participant à l’hégémonie intellectuelle et révolutionnaire. Une partition peut mûrir et se résoudre dans la participation directe et concrète de la lutte, qui peut être affrontée et transposée dans la partition. La musique, comme intervention active, manifestation et expression d’une pensée, d’une méthode, d’une analyse et d’un choix humain, pour laquelle le moyen technique n’est pas un instrument de simple modernisation, mais la voix du peuple67.

35 Grâce aux moyens offerts par l’électronique, Für Paul Dessau « transpose » et relie symboliquement les voix d’un archipel de luttes politiques et de conflits armés du XXe siècle, esquissant une cartographie des luttes du tiers-monde – comme celle énoncée par Guevara dans son discours – à l’intérieur d’une généalogie des luttes historiques internationales. L’œuvre, dans sa matérialité, apparaît ainsi comme une mémoire sonore du rôle de l’utopie socialiste dans les luttes d’émancipation et la trace de l’espoir soulevé par de cette utopie chez Luigi Nono.

Conclusion

36 Dans Für Paul Dessau, Nono crée un document sonore, à la fois personnel et historique, qui témoigne du chemin politique et esthétique qu’il a parcouru en compagnie d’autres intellectuels et artistes du XXe siècle – dont Paul Dessau – ainsi que des luttes politiques d’émancipation des peuples du tiers-monde. Cette œuvre, ainsi que les œuvres qui sont liées à elle d’une manière ou d’une autre, répond à la problématique concrète de la politisation de la musique durant la Guerre froide : l’utilisation stratégique de la création musicale et de la technologie au service d’un idéal politique. Cependant, le rapport de Für Paul Dessau avec les conflits armés n’est pas direct et fonctionnel car elle n’a pas été conçue expressément, par exemple, pour être jouée au front, pour inciter ou pour faire cesser la violence pendant ou après des opérations militaires, pour témoigner des atrocités de la guerre ou pour être écoutée par les populations civiles subissant directement la destruction provoquée par celle-ci. L’œuvre n’a pas été composée non plus dans une situation de guerre car l’utilisation des ressources matérielles et techniques nécessaires à sa conception aurait été extrêmement difficile.

37 Au contraire, Für Paul Dessau est conçue pour territorialiser symboliquement des conflits et des luttes politiques éloignées au premier abord, pour relier des idéologies politiques transmises lors de discours historiques afin de rendre concret un horizon de lutte et d’émancipation, soutenu par un idéal politique et par l’espoir de dépasser ces conflits. Comme l’explique Helmut Lachenmann, « la volonté qu’avait Nono d’exercer un effet politique – parallèlement ou en travers de la doctrine de son parti – est un élément indispensable de sa folie “prométhéenne”, de sa volonté “d’apporter le feu” à l’humanité, au risque d’être lui-même châtié par ces puissances68 ». Se concevant lui même comme un musicien militant « non au-dessus mais dans la lutte des classes telle qu’elle existe – “intellectuel faisant partie de la classe ouvrière”, selon le vœu d’Antonio Gramsci69 », Luigi Nono a cherché à associer militantisme politique et création

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symbolique afin de remplir la fonction hégémonique qu’il accordait aux intellectuels organiques. Il entend ainsi prendre sa responsabilité en tant qu’artiste dans les processus de transformation culturelle, politique et sociale de son époque : « dans cette nécessité de plus en plus impérieuse d’une liaison internationale efficace des forces de paix ou d’action révolutionnaire, il me semble que l’artiste a un rôle important à jouer70 ».

38 En saisissant les nouvelles possibilités offertes par les moyens électroacoustiques à la composition musicale, notamment leur capacité à transformer des sons en les insérant dans un nouvel espace acoustique ainsi qu’à figer et à transmettre des témoignages, Nono donne la parole aux acteurs du passé et de son époque. Ceci confère à Für Paul Dessau – de même qu’à une grande partie de ses œuvres de cette période – une profondeur historique capable d’affronter le passage du temps : une mémoire contre l’oubli. Ainsi, Nono accomplit le but que William Faulkner, dans un entretien datant de 1956, accorde à l’artiste : Le but de l’artiste est d’arrêter le mouvement, qui est la vie, par des moyens artificiels et de le maintenir figé pour que cent ans plus tard, quand un inconnu le regardera, il se remette à bouger puisque c’est la vie. Comme l’homme est mortel, la seule immortalité possible pour lui est de laisser derrière lui quelque chose d’immortel puisque cela bougera toujours71.

39 Dans Für Paul Dessau, Luigi Nono tente d’arrêter le temps en laissant une œuvre qui témoigne des luttes communes de nombreux intellectuels dans un moment où l’espoir dans un monde renouvelé venait de la conjonction entre les combats de libération du tiers-monde et ceux des intellectuels, des étudiants et des ouvriers des pays développés. Néanmoins, étant donné les défaites de ces idéaux et les dérives des certains de ces projets révolutionnaires – de Cuba à la Chine, en passant par la Russie – il est important de replacer Für Paul Dessau dans son contexte de création afin saisir toute sa complexité et son originalité. En ce sens, l’œuvre de Nono porte la trace des grands conflits de son époque, tant politiques qu’humains, qui se trouvaient au centre de ses préoccupations et de son activité créatrice, comme il le déclarait en 1988 : Ce qui me passionne vraiment, ce qui me fascine, ce sont les grands conflits humains, les grands affrontements, comme la révolution cubaine, le drame de Galilée, celui de Giordano Bruno, le drame de Gramsci, celui de Hölderlin, le drame de ceux qui se sont suicidés : Jackson Pollock, qui a connu une fin dramatique, Maïakovski… Je crois que ce qui m’a toujours passionné est le moment du conflit72.

NOTES

1. NONO, Luigi, « Entretien avec Luigi Nono », in Écrits, textes édités et traduits par Laurent FENEYROU, Genève, Contrechamps, 2007, p. 301. 2. D’après Nono, « les ouvriers imposent, dans l’usine de classe, une lutte pour le pouvoir socialiste. Les guérilleros imposent un conflit de classe, frontal. (Le second - le conflit ou la lutte armée - est incontestablement le moment décisif.) », Idem., p. 302-303. 3. Comme il l’écrit en 1966, pour lui « il n’y a pas de différence entre la lutte de classes et celle des peuples pour leur libération », NONO, Luigi, « Un discours sonore », in Écrits, op. cit., p. 233.

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4. L’œuvre est disponible à l’écoute ici : https://www.youtube.com/watch?v=CnGwMPLKYjU 5. Le catalogue d’œuvres pour bande magnétique seule de Luigi Nono est composé par Omaggio a Emilio Vedova (1960), Musiche di scena per Die Ermittlung (1965), Ricorda cosa ti hanno fatto in Auschwitz (1966), Contrappunto dialettico alla mente (1967-1968), Musiche per Manzù (1969) et Für Paul Dessau (1974) – voir NONO, Luigi, Complete Works for Solo Tape (2 CD + livret), Stradivarius Ricordi Oggi (STR 57001), 2006. 6. D’une durée de sept minutes, Für Paul Dessau est créée le 15 décembre 1974 à l’Académie des Arts de Berlin-Est lors d’un concert-hommage à Dessau. 7. Notamment, par ordre chronologique, Il canto sospeso (1955-1956), La fabbrica illuminata (1964), A floresta é jovem e cheja de vida (1966), Non consumiamo Marx (1969), Y entonces comprendió (1970), Ein Gespenst geht um in der Welt (1971), Como una ola de fuerza y luz (1971-1972) et Al gran sole carico d’amore (1972-1974). Pour un aperçu complet du catalogue et des notices des œuvres de Luigi Nono voir NONO, Luigi, Écrits, op. cit., p. 593- 691. 8. NONO, Luigi, « Le pouvoir musical », in Écrits, op. cit., p. 321. 9. Le choix d’utiliser ces notions développées par Gramsci se justifie par l’influence de celui-ci sur la pensée politique de Nono, qui, comme nous le verrons tout au long de cet article, le cite constamment et le montre comme une référence incontournable. 10. GRAMSCI, Antonio, « Cahier 11 », in Cahiers de prison, t. 3, Paris, Gallimard, 1978, p. 180. 11. NONO, Luigi, « Un discours sonore », art. cit., p. 233-234. 12. Idem. 13. Pour Gramsci « tous les hommes sont intellectuels ; mais tous les hommes ne remplissent pas dans la société la fonction d’intellectuels » (GRAMSCI, Antonio, « Cahier 12 », in Cahiers de prison, t. 3, op. cit., p. 312). Il différencie donc deux classes d’intellectuels : les intellectuels organiques, reliés « organiquement » à une classe sociale et définis par la place et la fonction qu’ils occupent dans la structure sociale (par exemple, les cadres de l’appareil politique, culturel ou judiciaire dans leur rapport à la bourgeoisie ou au prolétariat) ; et les intellectuels traditionnels, reliés à des classes disparues ou en voie de disparition et définis par la place et la fonction qu’ils occupent au sein d’un processus historique (par exemple, le clergé dans son rapport à l’aristocratie). Sur ce sujet, voir PIOTTE, Jean-Marc, La pensée politique de Gramsci, Montréal, Lux, 2010 [1970], p. 17-66. 14. NONO, Luigi, « Le pouvoir musical », art. cit., p. 319. 15. Idem. 16. Idem., p. 317. 17. Le travail de Stockhausen au Studio de musique électronique de la radio de Cologne (Westdeutscher Rundfunk - WDR) comportait en 1969 un certain nombre d’œuvres électroniques ou mixtes, notamment Gesang der Jünglinge (1956), Kontakte (1960), Mixtur (1964), Mikrophonie I (1964), Mikrophonie II (1965), Telemusik (1966) et Hymnen (1966-1967). 18. Nono parle de cette œuvre dans un entretien publié en janvier 1969 dans la revue vénézuélienne Rocinante : « Un compositeur de l’Allemagne de l’Ouest, Stockhausen, qui milite pour l’électronique, jusqu’à la polémique et à des conflits personnels violents, a ressenti le besoin d’utiliser pour l’une de ses compositions, Hymnen, des matériaux acoustiques localisées historiquement et géographiquement, des hymnes nationaux qu’il traite avec “objectivité” et avec un certain “sentiment de supériorité” (l’hymne espagnol du fasciste Franco avec celui de la République populaire d’Albanie ou le chant communiste italien Bandiera rossa avec un chant nazi…) », NONO, Luigi, « Entretien avec Luigi Nono », art.cit., p. 298. Pour une description analytique de la première version de Hymnen voir HARVEY, Jonathan, « Stockhausen’s Hymnen », in Musical Times 116, no. 1590, 1975, p. 705-707. 19. NONO, Luigi, « Le pouvoir musical », art. cit., p. 318. 20. Les intellectuels seraient porteurs pour Gramsci de la fonction hégémonique de la classe à laquelle ils appartiennent : « ils travaillent dans les différentes organisations culturelles […] de façon à assurer le consentement passif sinon actif des classes dominées à la direction qu’imprime

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à la société la classe dominante. […] Par les moyens de diffusion qu'il emploie et par le rôle d'éducateur de ses militants, le prolétariat se dresse comme adversaire de l'hegé ́monie qu'exerce la bourgeoisie, et tend à la renverser », (PIOTTE, Jean-Marc, La pensée politique de Gramsci, op. cit., p. 22). 21. LACHENMANN, Helmut, « Touché par Nono » (1991), in Écrits et entretiens, textes choisis et préfacés par Matin KALTENECKER, Genève, Contrechamps, 2009, p. 184. 22. FENEYROU, Laurent, « Il Canto sospeso » de Luigi Nono, Paris, Michel de Maule, 2002, p. 112-113. 23. Pour Gramsci, « créer une nouvelle culture ne signifie pas seulement faire individuellement des découvertes “originales”, cela signifie aussi, et spécialement, répandre de façon critique les découvertes déjà faites, les “socialiser” pour ainsi dire, et par conséquent faire qu’elles deviennent autant de bases pour des actions vitales, en faire un élément de coordination et d’ordre intellectuel et moral », GRAMSCI, Antonio, « Cahier 11 », in Cahiers de prison, t. 3, op. cit., p. 177. 24. NONO, Luigi, « Entretien avec Luigi Nono », art.cit., p. 297. 25. Les discours sont en russe, allemand, français et espagnol. La plupart de ces disques vinyles se trouvent actuellement à Venise dans les archives Luigi Nono (http://www.luiginono.it). 26. Paul Dessau écrit son Requiem für Lumumba (pour soprano, baryton, récitant, chœur et orchestre) en 1963 et son œuvre pour orchestre et chœur Lenin en 1969. À propos de son amitié avec Dessau, Nono témoignait en 1973 : « L’amitié qui me lie à lui est très importante pour moi parce que, en dehors de l’admiration que je porte à ses contributions artistiques profondément humaines et engagées politiquement, nous sommes très proches d’un point de vue politique » [L’amicizia che mi lega a lui è per me molto importante poiché, a parte l’ammirazione che porto alle sue opere artistiche profondamente umanitarie e politicamente impegnate, mi è anche da un punto di vista politico molto vicino] (« Intervista di Jean Villain » (1973), in NONO, Luigi, Scritti e colloqui, édité par Angela Ida DE BENEDICTIS et Veniero RIZZARDI, vol. II, Milan, 2001, p. 141 ; cité dans NONO, Luigi, Complete Works for Solo Tape (2 CD + livret), op. cit., p. 34). Sauf mention contraire, toutes les traductions de l’espagnol et de l’italien au français ont été réalisées par mes soins. 27. LACHENMANN, Helmut, « Touché par Nono », art. cit., p. 184. 28. NONO, Luigi, Écrits, op. cit., p. 661. 29. Non consumiamo Marx constitue la deuxième partie de Musica-Manifesto n. 1, dont la première partie, Un volto, e del mare, est écrite pour deux voix de femme et bande magnétique. 30. Pour une analyse approfondie de cette œuvre voir FENEYROU, Laurent, « Il Canto sospeso » de Luigi Nono, op. cit. 31. NONO, Luigi, Écrits, op. cit., p. 604. 32. FENEYROU, Laurent, « Il Canto sospeso » de Luigi Nono, op. cit., p. 14. 33. NONO, Luigi, Écrits, op. cit., p. 648. 34. « Movimiento de izquierda revolucionaria ». 35. NONO, Luigi, Écrits, op. cit., p. 657-658. 36. « …addio mamma, tua figlia Ljubka se ne va nell’umida terra… » (reproduit dans FENEYROU, Laurent, « Il Canto sospeso » de Luigi Nono, op. cit., p. 205). Ljuba Sevcova sera torturée puis achevée d’une balle dans la tête le 7 février 1943 par un Rottenführer des SS (voir Idem., p. 213-214). 37. NONO, Luigi, « Musique et Resistenza », in Écrits, op. cit., p. 166-167. 38. Idem., p. 167. 39. Idem. 40. Comme le note Erika Schaller, Nono a conçu la version stéréo (utilisée lors de la création de l’œuvre à Berlin) à partir d’une version pour 4 pistes (SCHALLER, Erika, « Für Paul Dessau », in NONO, Luigi, Complete Works for Solo Tape (2 CD + livret), op. cit., p. 64). 41. Dans ses réflexions stratégiques sur la guerre de mouvement et la guerre de position, Gramsci place la Russie dans un contexte « oriental », sur ce sujet voir GRAMSCI, Antonio, Guerre de

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mouvement, guerre de position, textes choisis et présentés par Razmig Keucheyan, Paris, La Fabrique, 2011, p. 35-44. 42. Sur l’importance historique de la Conférence Tricontinentale voir FALIGOT, Roger, Tricontinentale. Quand Che Guevara, Ben Barka, Cabral, Castro et Hô Chi Minh préparaient la révolution mondiale (1964-1968), Paris, La Découverte, 2013. 43. NONO, Luigi, Carteggi concernenti politica, cultura et partito comunista italiano, édité par Antonio TRUDU, Vénice, Leo S. Olschki (Archivio Luigi Nono studi), 2008, p. 199. 44. SCHALLER, Erika, « Für Paul Dessau », art.cit, p. 65. L’auteure fait référence à un brouillon (non daté) du programme du concert-hommage à Dessau qui se trouve dans les archives Luigi Nono. 45. « Qu’est-ce que le pouvoir des Soviets ? », prononcé fin mars 1919 et publié dans la Pravda le 21 janvier 1928, réproduit dans LÉNINE, Vladimir, Oeuvres, t. 29, Éditions sociales, Paris, 1962, p. 250-251 ; « Adresse à l’armée rouge », prononcé le 29 mars 1919 et publié dans le même ouvrage, p. 246-247. Le disque vinyle édité à Rome par Editori Riuniti (avec la traduction italienne des discours) se trouve dans les archives Luigi Nono (voir http://www.luiginono.it/it/node/17853). Nous pouvons également apercevoir l’influence de Gramsci à travers l’importance que Nono donne à Lénine dans sa pensée politique : pour Gramsci, le leader bolchevique constituait « le modèle de l’intellectuel intégral » (PIOTTE, Jean-Marc, La pensée politique de Gramsci, op. cit., p. 37). 46. LÉNINE, Vladimir, « Qu’est-ce que le pouvoir des Soviets ? », art. cit., p. 251. Je citerai exclusivement des extraits des parties des discours utilisées par Nono dans Für Paul Dessau. 47. LÉNINE, Vladimir, « Adresse à l’armée rouge », art. cit., p. 247. 48. NONO, Luigi, « Intervention contre la guerre du Viêt-Nam » (1966), in Écrits, op. cit., p. 251. Les extraits entre crochets sont des ajouts manuscrits (mais non de la main de Nono), sur le tapuscrit original, (voir Idem., p. 252, note 4 et sq.). La Sierra Maestra est le massif montagneux situé à l’Est de l’île de Cuba, qui a servi de refuge et de quartier général aux troupes commandées par Fidel Castro durant la Révolution cubaine. 49. « América, Asia y África, los tres continentes oprimidos estaban dando señales de que no admitirían por mucho tiempo más la presencia de los poderes coloniales », in GUEVARA, Ernesto « Che », Solidaridad con Vietnam del Sur – Discurso del Comandante Ernesto Guevara en el Acto de Clausura de la Semana de Solidaridad con el Pueblo de Viet-Nam del Sur, 20 décembre 1963 (disque vinyle EGREM-CNC LD-DP-7). Le disque vinyle se trouve dans les archives Luigi Nono (voir http://www.luiginono.it/it/node/17818). 50. « Se tendrá que contar con los pobres de América, con los explotados y vilipendiados de América latina que han decido empezar a escribir ellos mismos, para siempre, su historia », in CASTRO, Fidel, Segunda declaración de La Habana, Instituto cubano de amistad con los pueblos (discours prononcé à La Havane, à la Place de la Révolution, le 4 février 1962). Le disque vinyle se trouve dans les archives Luigi Nono (voir http://www.luiginono.it/it/node/17813). 51. « Cuba, por los alfabetizadores asesinados; Estados Unidos, por los asesinos / Cuba, por la verdad; Estados Unidos, por la mentira / Cuba, por la liberación; Estados Unidos, por la opresión / Cuba, por el porvenir luminoso de la humanidad; Estados Unidos, por el pasado sin esperanza / Cuba por la paz entre los pueblos; Estados Unidos por la agresión y la guerra / Cuba, por el socialismo, Estados Unidos, por el capitalismo », in CASTRO, Fidel, Segunda declaración de La Habana, op. cit. 52. NONO, Luigi, « Intervention contre la guerre du Viêt-Nam » (1966), in Écrits, op. cit., p. 250. 53. Lumumba est assassiné en prison au Katanga, en janvier 1961 à l’âge de 35 ans, avec la complicité des États-Unis et de la Belgique. 54. Le disque vinyle « Ultimo discorso di Patrice Lumumba » produit par la maison Italia Canta se trouve dans les archives Luigi Nono (voir http://www.luiginono.it/it/node/17846). 55. LUMUMBA, Patrice, « Ultimo discorso di Patrice Lumumba ».

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56. Ernst Thälmann (1886-1944), l’un des dirigeants du Parti communiste d’Allemagne (KPD), siège au Reichstag de 1924 à 1933 avant d’être arrêté par le pouvoir nazi. Incarcéré à la prison d’État de Bautzen, il est transféré au camp de concentration de Buchenwald où il est assassiné le 18 août 1944. 57. « Die Voraussetzungen für die großen Aufgaben des Sieges der proletarischen Revolution zu erfüllen. Und in diesem Sinne überbringe ich dem Kongreß die brüderlichsten und die revolutionärsten Grüße », Ernst Thälmann, discours prononcé à Moscou le 15 février 1928, dans le cadre du Congrès des travailleurs de la métallurgie (pour l’audio, voir https://archive.org/ details/SelectedWeimarEraPoliticalSpeechesPart2, consulté le 28 mars 2014, traduit de l’allemand par Stéphanie Gernet). 58. Journal fondé par Antonio Gramsci en 1924, il a été l’organe officiel du Parti communiste italien (PCI) jusqu’à la dissolution de celui-ci en 1991. 59. « Quel socialismo alla cui realizzazione tendiamo, creandolo nella nostra realtà, che abbiamo imparato da Lenin da Gramsci dal soviettismo dalle conduzioni delle lotte di liberazione in Asia […], in Africa e in parte dell’America latina, che stiamo costruendo con la lotta degli operai dei contadini dei braccianti degli studenti, quel socialismo per cui lottano gli operai della regione baltica, fino a quelli di Detroit e al movimento dei Black Panthers nella roccaforte dell'imperialismo », NONO, Luigi, « Luigi Nono a “L'Unità” [Venezia, gennaio 1971] », in NONO, Luigi, Carteggi concernenti politica, cultura et partito comunista italiano, op.cit., p. 178. 60. NONO, Luigi, « Cours latino-américain de musique contemporaine », in Écrits, op. cit., p. 369. 61. FRANK, Robert, « Imaginaires politiques et figures symboliques internationales : Castro, Hô, Mao et le “Che” », in DREYFUS-ARMAND, Geneviève et al. (éd.), Les années 68. Le temps de la contestation, Bruxelles, Complexe, 2000, p. 35. 62. Par ailleurs, Nono utilise des citations des textes de Gramsci, Fanon, Castro, Guevara et Lumumba, dans certaines des œuvres composées à la même période que Für Paul Dessau, notamment dans A floresta é jovem e cheja de vida (1966, textes de Fidel Castro, Frantz Fanon, Herman Kahn et Patrice Lumumba), Y entonces comprendió (1970, textes de Ernesto « Che » Guevara et Carlos Franqui), Ein Gespenst geht um in der Welt (1971, textes de Karl Marx, Celia Sánchez et Haydée Santamaría) et Al gran sole carico d’amore (1972-1974, textes de Bertolt Brecht, Tania Bunke, Fidel Castro, Ernesto « Che » Guevara, Georgi Dimitrov, Maxime Gorki, Antonio Gramsci, Lénine, Karl Marx, Louise Michel, Cesare Pavese, , Celia Sánchez et Haydée Santamaría). 63. FRANK, Robert, « Imaginaires politiques et figures symboliques internationales : Castro, Hô, Mao et le “Che” », art. cit., p. 36. 64. ARENDT, Hannah, « Sur la violence », in Du mensonge à la violence. Essais de politique contemporaine [1972], Paris, Gallimard, 2012, coll. Quarto, p. 993. Hannah Arendt oppose au caractère « irréel » et « illusoire » du tiers monde le caractère « réel » de « l’Afrique, l’Asie et l’Amérique du Sud », sans pour autant questionner ou déconstruire la dimension historique de ces notions. Pour une discussion sur ce sujet dans le contexte des luttes d’émancipation afro- américaines des années 1960 voir LOSURDO, Domenico, La non-violenza: una storia fuori dal mito, Roma, Laterza, 2010, p. 154-156. 65. VELASCO-PUFLEAU, Luis, « Réflexions sus les rapports entre Musique et Propagande », in Music and Propaganda in the Short Twentieth Century, Massimiliano Sala (ed.), Turnhout, Brepols, 2014, p. 5. 66. Ceci rejoint la vision que Jacques Rancière à propos du « partage du sensible » et de la capacité des pratiques de l’art à « contribuent à dessiner un paysage nouveau du visible, du dicible et du faisable » (RANCIÈRE, Jacques, « Les paradoxes de l’art politique », in Le spectateur émancipé, Paris, La Fabrique, 2008, p. 84). 67. NONO, Luigi, « Entretien avec Luigi Nono », art.cit., p. 301. 68. LACHENMANN, Helmut, « Touché par Nono », art. cit., p. 184.

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69. NONO, Luigi, « Une lettre de Luigi Nono : “Je suis un musicien militant” », in Écrits, op. cit., p. 347 70. NONO, Luigi, « Un discours sonore », art.cit., p. 233. 71. FAULKNER, William, « The Art of Fiction No. 12 » (interviewed by Jean Stein), Paris Review, n° 12, Spring 1956, (texte intégral en anglais sur http://www.theparisreview.org/interviews/4954/ the-art-of-fiction-no-12-william-faulkner, consulté le 9 juin 2014). Traduction française in Paris Review. Les Entretiens, Vol. 2, traduit par Anne Wicke, Paris, Christian Bourgois, 2011, p. 236. 72. Extrait du film documentaire Archipel Luigi Nono, produit et réalisé par Olivier Mille, Artline Films/ La Sept, 1988 (37’27’’-38’04’’). Je remercie Joséphine Markovits de m’avoir fait connaître l’existence de ce document.

RÉSUMÉS

Au-delà de l’horreur que provoque la guerre en elle-même, certains conflits armés du XXe siècle ont suscité un grand espoir chez des artistes marxistes engagés dans les luttes politiques internationales de leur époque. Ce fut notamment le cas du compositeur italien Luigi Nono (1924-1990). Je propose d’examiner dans cet article de quelle façon Nono place certains des conflits armés, dont les luttes d’émancipation du tiers-monde, au cœur de son œuvre pour bande magnétique Für Paul Dessau (1974). De même, j’analyse la relation entre l’utilisation de la technologie par le compositeur, la pensée politique de ce dernier et les dimensions historique et esthétique de l’œuvre – notamment dans le contexte de la Guerre froide et de l’idéologie marxiste. Plus largement, l’ambition de ce texte est de contribuer à la compréhension et à la mise en perspective du marxisme défendu par Luigi Nono en tant qu’intellectuel et artiste militant au Parti Communiste Italien (PCI), dans son articulation avec ses idées esthétiques et son activité de compositeur.

Despite the horror caused by war, some armed conflicts of the twentieth century have raised great hopes for social justice among Marxist artists engaged in the international political struggles of their time. Such was the case of the Italian composer Luigi Nono (1924-1990). In this article, I examine how Nono addresses some of these armed conflicts, such as Third World liberation struggles, through his work for magnetic tape Für Paul Dessau (1974). I also analyse the relationship between the composer’s use of technology, his political thinking and the historical and aesthetic dimensions of this work – especially within the context of the Cold War and the Marxist ideology. More broadly, this paper aims at contributing to the understanding of Marxism as advocated by Luigi Nono, as an intellectual and an activist artist in the Italian Communist Party (PCI), so as to see how it is articulated with his aesthetics and compositional practice.

INDEX

Mots-clés : Luigi Nono, Paul Dessau, musique électroacoustique, conflits armés, marxisme, idéologie, hégémonie Keywords : Luigi Nono, Paul Dessau, , armed conflicts, Marxism, ideology, hegemony

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AUTEUR

LUIS VELASCO-PUFLEAU

Docteur en Musique et musicologie (Université Paris-Sorbonne) et chercheur post-doctorant à l’Université de Salzbourg, Luis Velasco-Pufleau a été également chercheur post-doctorant au Centre de recherches sur les arts et le langage (CRAL) de l’École des hautes études en sciences sociales (EHESS, Paris) et chargé de cours en musicologie à l’Université de Bordeaux. Ses recherches portent sur la création musicale contemporaine ainsi que sur les rapports entre musique, esthétique et politique au XXe siècle.

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Borrowed Tunes. Commando and Morale Booster Songs of RUF Fighters in the Sierra Leone War Mélodies d'emprunt. Chants de commandement et de stimulation morale parmi les combattants du RUF durant la guerre civile de la Sierra Leone

Cornelia Nuxoll

Introduction

1 Situated in music sociology, this article will explore the role of commando and morale booster songs among Revolutionary United Front (henceforth RUF) combatants in the Sierra Leone war of the 1990s. It will look at the tunes that accompanied military training and combat activities and more generally study the role of music to help generate social cohesion and sustain collectivities. Two aspects will be under consideration here: on the one hand, the article will examine how the songs elicit desired bodily and cognitive affects advantageous for soldiering. On the other hand, it will analyse the diverse ways in which songs have been reworked from other performance contexts and placed into a conflict setting.

2 The article will look into how music generates beneficial physical and emotional responses for combatants to create a sense of synchronicity and cohesion during military exercise and how music instigates zeal and bravery in the fighters. Most of the songs dealt with in this paper are (partial) contrafacta of Liberian Gio [Dan] songs, which were incorporated from other cultural practices and contexts and already played a role as motivational songs in the Liberian civil war. Special focus lies on the use, the fluidity, and the formability of the songs, as well as the ingenuity of its performers to recontextualise these songs. By fitting the songs into their war experience, combatants render them meaningful despite obvious language barriers and beyond their textual properties.

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3 The following article will provide some initial information on the war situation in Sierra Leone and assess the role of Liberian Gio fighters and their songs. By means of several song examples, it will then proceed to investigate the practical use of the rebel commando songs among Sierra Leonean insurgents.

The Sierra Leonean War: A Brief Account

4 After decades of state decline due to bad governance, political corruption, and economic failure, the then ruling All People’s Congress (APC) government had slowly but surely eroded Sierra Leone, thus creating the conditions for a collapsing state. In particular, young people experienced the injustices and poor livelihood prospects given APC’s self-serving rule, mismanagement, and deterioration of institutional processes. These conditions contributed significantly to and sustained the war, which raged in Sierra Leone from 1991 to 2002.1

5 In March 1991, the RUF launched its insurgency into Sierra Leone from neighbouring Liberia, entering the Kailahun and Pujehun Districts with support from the Liberian Special Forces of Charles Taylor’s National Patriotic Front of Liberia (NPFL) rebels who had launched their own civil war in Liberia in December 1989.2

6 The RUF claimed to liberate the civilian population from a ‘rotten system’, aiming to overthrow the then ruling APC government. The movement’s moots ‘No more slave, no more master’ and ‘Arms to the people: power to the people and wealth to the people’ criticised patrimonial structures and political clientelism. As stipulated in their political manifesto, the insurgents demanded democracy, equal opportunities, social justice, free health care, and education, and leaned on pan-Africanistic rhetoric without ever specifying what kind of shape a RUF-run administration would take.3

7 The RUF’s first control sectors in the Kailahun and Pujehun Districts were known core areas of political opposition and dissent. For this reason, the civilian population was initially taken with the RUF revolution and the movement gained at least some voluntary followers, predominantly young males. Early on in the war, however, the rebellion quickly revealed itself to be an abusive movement, which sustained itself through looting, the illicit extraction of diamonds, and forced conscription. The atrocities, which were inflicted on innocent people, soon resulted in a complete loss of support from the civilian population. The Sierra Leonean civil war is indeed infamous for its flagrant human rights violations, its signature atrocities of limb amputations, and the widespread forced, coerced, and voluntary involvement of juvenile and child combatants.

8 Within scholarly discussions, the nature and motivation of the RUF movement is hotly debated. Certainly, there is a stark contrast between the political claims the rebels made and their heinous actions of impunity. The extreme violence towards civilians in this conflict, the ‘chameleonic character’ and ‘factional fluidity’4 of combatants, and the shift from political overthrow towards the selfish and opportunistic pursuit of economic benefits to prolong rather than end the war5 have played into labelling the Sierra Leonean struggle as a ‘senseless war’6 in terms of political reformation, simplifying it as a resource or diamond war which was only driven by greed rather than grievance.7 The Sierra Leonean scholars Ibrahim Abdullah and Patrick Muana largely deny the RUF any political agenda and discard its combatants as members of the

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‘lumpenproletariat’, namely uneducated, unemployed youths and thugs.8 When looking at the Sierra Leonean conflict, journalist Robert Kaplan sees his Afro-pessimistic analysis of the continent’s demise into brutal wars confirmed, an analysis which social anthropologist Paul Richards critically coined an emerging ‘New Barbarism’.9 Political scientist William Reno and Paul Richards10 see the rise of the conflict as the outcome of a patrimonial crisis. Moreover, Paul Richards, Krijn Peters and others have argued that the high number of underage fighters reflects a ‘crisis of youth’ or an ‘agency of youth’, suggesting that juvenile combatants possess a political consciousness and regarding their enlistment, even when coerced, as an opportunity to escape and rectify the political, social, and economic marginalization they felt.11 The Sierra Leonean scholar and political scientist Jimmy D. Kandeh cautions that greed as motivation may have prolonged the war but it was not decisive to its inception. He sees the Sierra Leonean insurrection as a legitimate political struggle, which then evolved into a form of criminal warlordism.12

9 All things considered, the RUF movement assembled a heterogeneous group of combatants with different agendas. Where early voluntary enlistment seemed to be motivated by grievances, the rebellion became increasingly more brutalized and criminalized, replacing need and creed for greed as the most crucial element to prolonging the war for exploitative reasons.

10 This article draws on qualitative interviews with former RUF combatants gathered during fieldwork I conducted in Sierra Leone in winter 2010/2011 and again in winter 2011/2012.13 Most of my interlocutors come from the initial incursion areas where they joined the RUF movement early on and most of them stayed with the insurgency group until its final days. The majority of men were in their mid- to late teens when they became involved in paramilitary activities in the early 1990s.

11 My sample suggests that early recruits were more likely to join the RUF out of political conviction and perceived grievances than later recruits who were, given the RUF’s need of manpower, primarily forcefully and more arbitrarily recruited. Others may have joined the movement of their own accord, driven by their own agenda of self- preservation or motives of self-enrichment and power. There also seems to be a connection between early (voluntary) recruitment and the knowledge of commando songs, since later events in the war no longer allowed for the forcefully conscripted recruits to undergo the same time-consuming military training the pioneers had received.

12 The military training, which early Sierra Leonean recruits undertook, lasted from a couple of weeks to a couple of months. During this time the new conscripts were not only subjected to military practices, discipline, and conduct, but were also introduced to the commando song repertory of their training instructors, the Liberian Special Forces, who were predominantly of Gio origin. In the following, I will briefly describe how the NPFL Gio combatants found their way into the cadre of the RUF insurgency by outlining some aspects of the Liberian war, which ensued two years before the launching of the Sierra Leonean conflict.

Gio Dominance within NPFL Rank and File

13 Nimba County, geographically Liberia’s largest political subdivision and bordering with Ivory Coast and Guinea, is the home of the Gio (Dan) and Mano (Mah/Man) ethnic

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groups.14 Both ethnic groups are culturally and linguistically closely interrelated. When Charles Taylor led his NPFL rebel faction from Ivory Coast into Liberia via Buutuo on December 24, 1989 in order to overthrow president Samuel K. Doe, they set up their first paramilitary camp in Gborplay, another border town in Nimba County. Both Buutuo and Gborplay are predominantly inhabited by Gios. Taylor recruited heavily from both Gio and Mano ethnic groups in the area and most high-ranking officials within the NPFL insurgency were of Gio origin.15

14 Taylor endeared the hearts of Nimbaians when he claimed to be General Thomas Quiwonkpa’s successor, drawing on the popular Gio figure who died trying to overthrow the Liberian president Samuel K. Doe in 1985. The former commanding general of the Armed Forces of Liberia (AFL) Quiwonkpa, often remembered by Liberians as “Tom”, was venerated as a heroic martyr and liberator of his country and many Liberians hoped for the unlikely outcome that Quiwonkpa had actually somehow escaped Doe’s soldiers unscathed and would return eventually. After Quiwonkpa’s failed coup, Doe ordered Nimba County to face severe reprisals, since most of the coup plotters were of Gio and Mano origin. These measures only fuelled tensions and perceptions regarding Doe’s preferential treatment of his own ethnic group in government and army, the Krahn. Charles Taylor harnessed the strained relations and further ethnicised the conflict by deliberately recruiting from the Gio and Mano ethnic groups to create somewhat of an ethnic counterweight to the predominantly Krahn army loyal to the president, mobilizing the rebellion towards a genocidal campaign against the Krahn and their Madingo allies.16

15 Another prominent key figure of Gio origin during the first Liberian civil war was Prince Yormie Johnson, who served as aide to Quiwonkpa and later as Taylor’s Chief Training Officer within the NPFL. In the early stages of the war, however, internal rivalries caused a rift between Taylor and Johnson, who decided to form the breakaway faction Independent National Patriotic Front of Liberia (INPFL) under his leadership. Being a strong force, the INPFL controlled strategic points within the capital city Monrovia and they were influential in catalysing the deployment of Economic Community of West African States Monitoring Group (ECOMOG) cease-fire monitoring groups. In September 1990, Johnson’s men seized, tortured, and murdered president Doe. By the end of 1992 however, the INPFL’s role in the conflict had considerably declined and the faction eventually dissolved altogether due to internal tensions and lack of consensus regarding their own positioning towards and cooperation with NPFL, ECOMOG, and the interim government.

16 With regard to NPFL rebel factions being predominantly comprised of Gio fighters, both my Sierra Leonean and Liberian interlocutors stated that the Gio tribe was reputed for producing great and fierce warriors. Moreover, in comparing the Gio with their close relatives, the Mano, Gio people are often described as bold, boastful, and speaking up openly whereas the average Mano man is stereotyped as quiet, contemplative, and deep, making him less of a fighter as a direct result. You see wetin [what]..., in Liberia [you] see: there are some tribes in Liberia, they are war-like people. You see that the Gio, they are war-like people, all their activity na [is] war activity. Yes. They are very brutal. Up to now. (Interview with B., former RUF combatant, Makeni, 30th Dec 2012)

17 Certainly within Liberia, the Gio people are renowned for their musicality and are often regarded as some of the best singing groups in the country. The supremacy of Gio

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fighters within the ranks of the NPFL clearly shaped the repertory of commando songs towards being Gio dominated, which will become apparent below.17

RUF’s Initial Insurgency and the Involvement of NPFL Combatants in the Sierra Leone War

18 On March 23rd 1991, Liberian NPFL leader Charles Taylor facilitated the RUF’s initial insurgency, which entered Sierra Leone through the border town Bomaru from Liberia into the Kailahun District. A second group of rebel fighters invaded Sierra Leone’s Pujehun District. It has been suggested that Taylor provided RUF rebel leader Foday Sankoh with some of his fiercest NPFL fighters for the RUF invasion. These Special Forces were mostly of Gio origin.18 Both Taylor and Sankoh had met and undergone self-defence paramilitary training in the late 1980s in Libya where they had forged a mutual agreement to assist one another in the launching of their respective incursions. 19

19 Besides securing territory and establishing military camps, the despatched NPFL Special Forces were assigned the task of training the Sierra Leonean vanguards (which was partly done within Liberia already) as well as the newly recruited combatants once the rebellion had entered Sierra Leone. Notwithstanding, early on in the war it became apparent that the Liberian forces neither identified with nor considered the – however weak – political agenda of the RUF with regard to their own military conduct. During the interviews, former RUF combatants were eager to point out that it was the Liberian forces within the RUF that introduced the looting of property and the committing of atrocities against the Sierra Leonean civilians, the very group the RUF had claimed to liberate from the personal rule of the APC government. Training started. We [the new recruits] were there for one month to two months, they [the NPFL Special Forces] trained us fully in all activities, all rebel tactics were..., guerrilla tactics were taught, we were brainwashed, we were briefed a little bit about the ideology. We didn't get the ideology fully from the Liberian guys [however]. Few of the Liberian guys were among them [those who were ideologically driven] of course. I cannot hide this from you. Liberian guys were more..., you know, I mean, to the front[line] than our Sierra Leonean brothers. So we bought [adapted to] their ideology, their guns were behind us, so there was no way for us [to challenge their conduct], so we just have to bow down, subdue and submit ourselves. We cooperated, we were trained. The training we've had..., I admired the training now because we were physically fit and young men admired the training. (Interview with V., former RUF combatant, Freetown, 2nd February 2011)

20 In general, RUF fighters blame the Liberian Special Forces for stifling their revolutionary efforts at birth. Where it seems that NPFL fighters could initially act with impunity, over time however, RUF fighters appear to have emancipated and united themselves against the deviating Liberian fighters within their ranks. By the end of 1992, RUF combatants had dispelled their Liberian comrades altogether, except for those who were loyal to their cause. A former RUF combatant who was with the RUF throughout the whole course of the war echoes these sentiments by saying: The NPFL [...] were not trained to be political fighters. But the RUF at that moment was really engaged. They…, we were having a political ideology. And they were organised to continue their, the revolutionary operation. Understand? In fact, that was one of the reasons why we fought against the NPFL [in order] to drive them

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[out] because they were harassing our [Sierra Leonean] people, you know, kil..., wounding people, killing them, you know, introducing different, different type of things in[to] the movement. That was against [...] the RUF [...]. (Interview with F., former RUF combatant, Freetown, 22nd January 2011)

21 However eager they may have been to blame their Liberian colleagues for the atrocities, circumstances have shown that attacks against the civilian population did not cease after the expulsion of the Liberian Special Forces. The violent example the NPFL fighters may have provided, the power of the gun to command respect, and recognition as well as economic incentives of personal gain, may actually have been more significant in fuelling the combatants’ actions than adhering to ideology or moral and military conduct after all.20

22 Before tensions between Special Forces and RUF combatants flared up and ultimately led to the banishment of the Liberian faction, however, the presence and influence of Gio fighters were noticeable on the military training and musical level within the movement.

Music in the Military, Music in War

23 Music has accompanied and stimulated battle and military life for centuries. Historical records suggest that the use of music as an essential tool to accompany warring activities dates back to biblical times. Music not only inspires troops for combat, it was also used to convey signals and commands on the battlefield and during drill exercises. 21 Furthermore, there is general accord that the joint engagement with music endows social cohesion and may bring about a shared sense of identity within performing groups. Musical dissemination and performance is not only a means of expressing social grouping, it may constitute, structure, and maintain collectivities.22

24 In their excellent study on music and social movements, Eyerman and Jamison draw on music as ‘cognitive praxis’, as both knowledge and action, interpretation, and representation. It is this that encourages social solidarity through music:23 Music as experienced and performed within social movements is at once subjective and objective, individual and collective in its form and in its effects. Through its ritualized performance and through the memories it invokes, the music of social movements transcends the boundaries of the self and binds the individual to a collective consciousness.24

25 Historian William H. McNeill coined the term ‘muscular bonding’ to describe a specific potency and emotional response in human beings moving together rhythmically in dance and drill.25 McNeill draws on his own experiences in the US army in the 1940s when describing how a prolonged movement in unison such as drill exercises and marching facilitated ‘a sense of pervasive well-being’, ‘a strange sense of personal enlargement; a sort of swelling out, becoming bigger than life, thanks to participation in collective ritual’.26 McNeill further argues that well-drilled troops are more efficient in combat due to the rehearsing of the actual battle performance as part of the military drill. Repetitive work and exercise not only become more bearable but productivity may actually increase when labour and training are performed rhythmically and as a group. McNeill observes that by means of emotional bonding through rhythmic muscular movement, human beings experience the blurring of self-awareness and the fading of individual differences, which in turn foster the strengthening of group

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solidarity and help create the necessary state of mind for whatever joint task is to come.27

26 Music as part of military activity not only helps to generate eagerness in the fighters but also directly contributes to the triggering of beneficial physical responses. Music is intrinsic to drill exercise, and joint singing may temporarily unify soldiers in physical expression and ideology to persevere, endure hardships, and fight adamantly.28 In her article on US soldier songs during the First World War, Christina Gier emphasizes how songs and the singing of the songs shaped and were supposed to shape the fighting soldier’s perception and military experience of the war. Through the performing of music, an attempt was made to promote mental, moral, and physical manhood in the fighters, increase their combat efficiency, and regulate the soldiers’ emotions in line with their military duty. Moreover, group singing was intended to ensure obedience and self-sacrifice, and ultimately to instil identification with all aspects, implications, and ideologies of war. In this regard, the realities and hardships of war would often be concealed, obscured, or embellished in and through songs.29

27 Very little research has been done so far on the interconnections of music ‘for war’ and music ‘in war’ in contemporary African conflict settings. There is for example a vast amount of research dedicated to praise poetry, as well as literature on music as a means of political expression, protest, and resistance in relation to the African continent, but few works have directly dealt with (the use of) musical repertoires in contemporary African war scenarios.30

28 My research is less interested in music analysis of musical pieces that were either explicitly composed for a warring environment or otherwise found their way into a collection of commando songs considered useful or popular by combatants for mobilisation and motivation purposes. Instead, I am interested in examining why people incorporate music into waging war, what functions music fulfils, and how. In this regard, human beings find resourceful ways of applying music and look for qualitative, activating as well as negotiating factors in music, which prompt certain physical and psychological triggers and responses. Therefore, and by virtue of the fact that there is a lack of publications available with regard to contemporary African wars and the role of music in it, I draw on other conflict examples outside of the African continent, which have been studied for their musical components to demonstrate and substantiate how and why people in war use music. The intention is not to compare or even equate the different wars and conflicts from different cultures and epochs with one another but rather to highlight (without suggesting a typologisation) that similar dynamics are at work in situations where human beings are engaged in conflict, and that music functions to make sense of war and conflict and generate collective experience.

Gio Commando Songs

29 In 1991, NPFL combatants were despatched to Sierra Leone to assist in launching the RUF insurgency in the neighbouring country. The Gio dominance within the NPFL and their role as military training instructors for Sierra Leonean vanguards and newly recruited Sierra Leonean Junior Commandos in military camps is the reason why the RUF commando songs were coined and sung in the Gio [Dan] language. Mapping the

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role of Gio commando songs within the RUF rebellion also adds weight to Liberian warlord Charles Taylor’s substantial involvement in the Sierra Leonean conflict.

30 Apart from conveying basic military and weaponry knowledge as well as conducting physical exercises, the Liberian training instructors introduced the recruits to the Gio song repertory as part of the commando drill which already played its part in the Liberian civil war under Charles Taylor. A lot of the songs, which had accompanied NPFL activities, were reapplied as part of the military training of Sierra Leonean fighters. The pool of songs comprised jogging songs to inspire zeal in the fighters, praise songs for the rebel leadership, songs of advice, taunting songs or revenge songs, and more generally folk songs which weren’t necessarily attuned to the war effort, to name but a few. Unlike the more sophisticated and often figurative rhetoric of praise poetry and the scholarly understanding of African verbal arts as texts or narratives of history and literature,31 most of the songs presented here are simpler in nature and have straightforward melodies, catchy tunes, steady rhythms, and easily memorable lyrics. Usually they are based on a typical call-and-response pattern, which allow for infinite variation and lyrical flexibility in the call phrase followed by the repetitive choral response.

31 The alternation between variation and repetition not only sustains the piece for the needed duration but the song structure of soloist and chorus also facilitates group participation and ultimately group identity and solidarity. There is general accord that actively engaging in music rather than simply listening to and consuming it makes the experience of the occasion more direct and renders the social context it is performed in more potent and effective. Thus, music as oral tradition is vital for sustaining African community life; it is not only a way of aesthetic or artistic expression but it accompanies social occasions and is often performed in a specific context or social set- up to generate social action.32

32 The Liberian drill and jogging songs are particularly upbeat and correspond well with the marching pace and other physical exercises of the military training. It is noteworthy that RUF combatants still remembered quite a number of songs even ten years after the war was officially declared over. During interviews, only a few combatants needed prompting but then immediately recalled the tune and lyrics of the songs and enthusiastically joined in the singing. In addition, it is significant that the Gio songs remained popular with RUF pioneers throughout the whole course of the war. Despite the fact that incongruities between the Special Forces and the Sierra Leonean combatants ultimately led to the expulsion of Liberian fighters within their cadres, it did not entail the dismissal of their songs.

33 Interestingly, only few songs were newly composed pieces and therefore actual products of the Liberian, let alone the Sierra Leonean conflict. In fact, most songs originated from other contexts and cultural practices within Gio society where they were orally transmitted and regarded as public property. Several songs were part of traditional folk songs, or, to suggest Klusen’s less controversial term, ‘group songs’ [Gruppenlied], including love songs and songs of entertainment; but for the most part songs were taken from the repertory of competitive and taunting songs as they are used in the context of soccer games, races, and election campaigns.33 A few songs were borrowed from the Boy Scout movement and found their way into the repertory of both the Liberian and Sierra Leonean insurgency.34 The Boy Scout drill song ‘Are you a commando?’ for instance, could easily be incorporated into the war effort as a

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marching song. The soccer song ‘We are qualified’ was originally a competitive song with insulting lyrics to humiliate one’s opponent. During the war, the song was redrafted into a song leading up to and eventually marking the successful graduation from military training by singing: Oh, CO [Commanding Officer] Sankoh [RUF rebel leader] yeh, hey Don't you worry, ye Don't you worry, we are qualified We can take a lead, hey To any battlefront Don't you worry, we are qualified Oh, we are freedom fighters, hey We are qualified Don't you worry, we are qualified35

34 Another popular commando song was ‘E zo lo wah e gay’, a rather poetic Mano (Mah/ Man) song which can be translated as ‘Your heart will hurt in your stomach’. In the Mano’s and Gio’s worldview, the heart is the centre of human thinking, and the heart is located in one’s stomach. Other suggested translations are ‘Your heart will hurt’ or ‘You will be frustrated or emotionally hurt’. ‘E zo lo wah e gay’ was popular as a soccer competition song prior to the war and was sung to announce to the opponent that he will lose and take the beating in the coming match, thereby intimidating him. The competitive, taunting, and threatening character of the song made it very suitable for adaptation into a war setting. L: Zo lo, le Ma way! / Your mother’s heart will be frustrated! R: Zo lo! / Your heart will! L: Ay, Foday Sankoh le Ma way! / Foday Sankoh’s mother! [calling her attention] R: Zo lo wah e gay! / Your heart will burn in your stomach […] L: Oh, tactical commando moving ay! R: Zo lo wah e gay! / Your heart will burn in your stomach! L: When we’re moving tactically R: Zo lo! / Your heart will! L: All the fucked up soldiers run away yah! R: Zo lo wah e gay! / Your heart will burn in your stomach! […] L: When we are moving for battlefront ah R: Zo lo! / Your heart will! L: Nobody fuck up, we don’t stop oh R: Zo lo wah e gay! / Your heart will burn in your stomach!36

35 Again, the song allows for infinite variation to narrate tactical manoeuvring and battlefront experiences. The inflammatory slogans, the boastful character, and the postulation of strength of their own rank and file are upheld as main themes throughout the song.

36 The original Mano soccer version predating the war would include lyrics saying ‘Zo lo, peh li mi leh le maa wee’ (‘Your heart will be frustrated’, addressing a lover’s mother) followed by the response ‘Zo lo wah gay’ or ‘Ay, me leh peh keh peh lah keh o!’ (‘Oh, nothing happens to you if you haven’t done anything’). A different version of ‘E zo lo wah e gay’ would for instance focus on another aspect of the war experience and thus name and praise the weapons the combatants were carrying and relying on: As you are listening to this song, it is just a motivational song when the combatants are together. Moving, on a battlefield. Even after the battlefield they are [at] base, this song can always be sung by the group as a whole, enjoying themselves. […] It is

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just as I have said, a motivational song. Look at this Zulay limanway:37 [sings] “Zulay, eh my GMG [Grenade Machine Gun] will carry me”. Praising even the weapon that they were carrying. Praising even the weapons like the GMG, [sings] “will carry me”. Praising his own weapon, praising the [unintelligible], another heavy weapon. (Interview with V., former RUF combatant, Freetown, 28th January 2011)

37 The practice of borrowing tunes from other contexts and, if necessary, overwriting and assimilating songs emanating from opponents is not a new phenomenon. The substitution of one text for another without significant changes made to the melody of a song is known from other historical and social contexts. Agents from other conflicts and wars have made use of established songs in order to appropriate them for their own cause. Be it because of lack of one’s own compositions or simply seeing the appeal and potential of an already established and popular song for their own cause, the creation of contrafacta38 is an efficient and fast way of disseminating new material in a tried and tested form.39 In this regard, Agu points out that the appropriation of songs is more powerful and direct for reasons of ‘adaptability’, ‘spontaneity’, and dissemination and is thus preferred to absorbing printed works for a warring cause.40

38 As illustrated in his book Battle Hymns on the music of the American Civil war of the 19th century, historian Christian McWhirther has demonstrated how many of the song lyrics were constantly in flux and went through multiple and lyrical iterations to suit specific soldier sentiments and situations throughout the course of the war. Even the meanings of songs seemed to be rather transient, as many songs took on new associations when they left their original contexts and were put to use elsewhere. Although the American Civil War produced a lot of new compositions, the factions often made use of existing tunes and furnished them with new lyrics. Similarly, some of the war’s most popular songs were based on traditional melodies. Sometimes borrowed songs ascended to become unofficial anthems but mainly became meaningful pieces due to their ascribed associations and less so by what they actually said. Regiments would also create their own songs to give them their personal touch and to commemorate victorious events and praise particularly brave soldiers.41

39 When looking at the Sierra Leonean case, the incorporation of Liberian songs did occasionally involve some adaptations, revisions, and alterations of lyrics to make them fit the war context more accurately. This suggests that they negotiated the songs on a case-by-case basis, sometimes prioritising lyrics over musical structure alone according to their respective needs. Some songs literally remained unchanged as they were taught, whilst other songs were furnished with added lyrics or had entire lines replaced accordingly. In the latter case, it was a common practice among RUF combatants to hold on to the chorus or main theme of the Gio songs but they would add phrases in Krio, Sierra Leone’s Pidgin English and lingua franca, to lend some personal references from their own war experience to the songs.42

40 Another prominent adaptation was the Gio song ‘Yah nu neh’ which can be translated as ‘Why are you not coming?’ or ‘Where are you?’. Originally, it was a casual boyfriend- girlfriend song predating the war. It was sung in Liberian villages and towns in Nimba County when one missed his or her lover, adding the name of the person in question to the lyrics. The song was reworked for the Liberian war and turned into a somewhat lamenting praise song for the rebel leadership. Although it lost its romantic component, the adaptation maintained its mournful character. In the song, the combatants would ask for the whereabouts of their leader Charles Taylor and other key commanding officers, showing respect for their superiors and voicing the need for

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guidance in times of their absence. The song structure allows for infinite possibilities of calling somebody’s name. Charles Taylor, yah nu neh? / Why is Charles Taylor not coming? CO Rashid, yah nu neh? / Why is CO Rashid not coming? CO Isaac, yah nu neh? / Why is CO Isaac not coming? […] Charles Taylor way! / Ay, Charles Taylor! Ka Taylor lorhker! / Let us call Taylor! Ah oh! U do ba seh ber! / Yes! You own the land all by yourself.43

41 The last phrase of the song excerpt affirms and pays respect to Taylor’s dominant force to seize and control the country. It is noteworthy that this last line of the song was only added during the war to create a more direct link to the on-going struggle.

42 The following two statements illustrate the local transfer of the ‘Yah nu neh’ song to Sierra Leonean RUF combatants. In the first quote the fighter actually knows the meaning of the song lyrics and is also able to pronounce the words correctly whereas the second combatant reveals that the song background was unknown to him and his comrades. For this reason, the latter contextualized and received the song differently, but by no means was the song less effectively used. As a result of the appropriation, the call for Liberian rebel leader Charles Taylor was replaced with the name of the Sierra Leonean rebel leader Foday Sankoh. That is Gio language, a Liberian tribe, [starts singing] ‘Foday Sankoh yah nu neh, Foday …’. Sankoh was lost from us for quite some times,44 [sings] ‘eh eh’, when can we find him? It is the interpretation [translation], it is a Gio music. We had Liberians that dominated the vanguards, who came to really launch the revolution. But by then, most of the songs we used to sing were originated [originating] from them […]. (Interview with D., former RUF radio operator, Kailahun, 13th Nov 2010) You see, I don't really know the meaning. Foday Sankoh [sings] ‘yah nu nah’, you know. Sometime when we are happy, like if I went to attack a village or a town tomorrow, then today we will be happy, we'll be singing, we have that zeal to move, in case of any obstacle, we will be happy to clear the obstacle. So as a result we sing, we say [sings] ‘Foday Sankoh, yah nu nah’. (Interview with A., former RUF combatant, Freetown, 17th December 2011)

43 When focusing on the lyrics of the commando repertory, within Liberia the Gio songs were perhaps already known but were certainly understood by Gio combatants (and Gio speakers more generally) when performed as part of the Liberian civil war. Additionally, the communal origin of the musical pieces may have provided some kind of evocative referral to their Nimba homeland.45 Conversely, the songs’ textual meaning was – for the most part – literally ‘lost in translation’ and the origin of the songs remained unknown to the Sierra Leonean combatants who were taught the songs as part of their military training with the RUF. Interviews have shown that the overall amount of former RUF combatants were unaware of what the Gio songs were about, let alone where they came from other than that the Gio Special Forces introduced them to the Sierra Leonean struggle.46 When asking a former bodyguard of rebel leader Foday Sankoh whether the training instructors explained what the lyrics of the Gio commando songs meant or where they originally came from, significantly, he remarked ‘No, they do not explain. It [the songs] was only meant to boost the morale’. This statement as well as the numerous descriptions by RUF fighters of how meaningful, powerful, and inspiring the Gio songs were despite the obvious language barrier clearly challenges the preconception of music only being able to have an impact and convey a message because it contains lyrics.

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44 Music works as a whole and also because it is performed or consumed within a particular context. It is a medium that communicates and operates semiotically, thus calling upon content and meaning beyond its lyrics. Music is rather charged with meaning due to the subject handling it, performing it, consuming it, and contextualising it. It is the subject who renders music meaningful because it is embedded within a specific performance context. Music can affect human beings precisely because music’s affect is attributable. What is often referred to as the ‘power of music’ cannot be abstracted from its use. Music should be understood as a device rather than a simple causal stimulus that human beings turn to in order to gain access to and trigger emotional experiences and physical responses. Music is widely used to influence mood by means of intensifying or releasing existing emotions: it relaxes people, it helps them to focus or distract them; music energises, comforts, motivates, and inspires.47 When former RUF combatants described how music helped them to generate a desired bodily conduct to be more focused, to muster zeal, and to cope with their fears, their engagement with music did in fact facilitate a state of ‘entrainment’ because they ascribed perceived meanings and purpose to the musical material.48 On a different level one might argue that the commando songs did “work” as a means of creating eagerness and bravery simply because the fighters knew what kind of emotional responses the songs were supposed to generate in them. Drawing on French post-structuralist literary theorist Roland Gérard Bathes, Karin Barber suggests that dealing with ‘text’ (understood as an arrangement of interpretable signs by its users, including music) entails a certain level of engagement, interpretation and social agency in that it ‘stimulates the reader to do his or her own acts of creation, stimulated but not constrained by the text’ in order to generate meaning from it.49 Steven Feld echoes this notion in saying that ‘all musical sound structures are socially structured in two senses: they exist through social construction, and they acquire meaning through social interpretation’.50

45 Although RUF combatants were unable to grasp the meaning of the Gio lyrics, they perceived the songs as no less effective in terms of motivating them for battle and creating zeal in them as a preparation for battle. The following two quotes by the same former RUF combatant draw on several features mentioned above to do with the image of Gio combatants and by linking them to the commando songs: their reputation as fierce warriors, their ostensible lack of a revolutionary consciousness when they were deployed in Sierra Leone and the application of their appealing song repertory which endowed RUF combatants with bravery and helped them manage emotions of fear: It [the commando song repertory] was not originated [originally] from Sierra Leone. They were Gio but this used to give us energy, zeal. Extra zeal to fight. You know, the Gio guys, against all other faith they have but, they are very brave and they can make you extra-brave when you are going to confront the battle, understand? […] You start picking [up a song], you know, you become zealous. You can't be afraid of anything. You can be singing until you enter the [targeted] town. (Interview with F., former RUF combatant, Freetown, 17th December 2011) So you know, […] even [when] we are going to [the] frontline, we used to sing. That was one of the thing[s] of the Liberians I like. They make you brave. For instance, that was, that is the frontline. [points to a building in the far distance] That house there. From here we start singing, you know? We start singing, even when we open fire, we start singing. So it make[s] you brave, you forget about, in fact that you are going to die or whatever. You know, [we forget] that we are going to a dangerous place. You know. [...] I liked these, these songs. (Interview with F., former RUF combatant, Freetown, 22nd January 2011)

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46 Many of the former RUF fighters stressed the appeal of the songs’ intonation and spoke of the attractiveness of the ‘Liberian flavour’ or the ‘Liberian twist’ of the Gio commando songs.

47 With regard to the civilian population, the songs’ attractiveness also played a role, albeit in the Liberian conflict, on another level. Former NPFL fighters and Liberian citizens reported that in the early days of the war, many civilians unknowingly exposed themselves to danger and some consequently lost their lives to stray bullets because they were captivated by the beautiful singing and dancing of Gio fighters they encountered which caused them to momentarily forget about the hazards of war.51

48 Although the Gio commando songs were probably less systematically put in place to thoroughly regulate the Sierra Leonean combatant’s stance than Gier’s examples from the First World War suggest, the boastful and confident character of many of the morale booster songs clearly conveyed the image and ideals of relentlessness, fearlessness, and readiness to inflict violence. Despite their apparent lack of ideology, these glorified features of the soldier seemed to be epitomised and realised in the Gio fighter. When singing the commando songs of these admired fighters it is possible that RUF combatants were particularly charged with morale and felt closer to living up to these ideals. Significantly, the commando songs focused on successful manoeuvres, victories in battle, and praising superiors. In line with obscuring the realities of war, even the shock of casualties was, for soldiers’ purposes, positively transformed into enticing determination and mercilessness when for example looking at the song ‘Zolo wapi zolo’, which will be dealt with further below.

49 The self-defence militia faction of the Mende-speaking Kamajors defending their communities against RUF attacks had a song called ‘Ma mbolateilo sina’ to announce their next attack or the slaughter of captured enemies. ‘Ma mbolateilo sina, ah ngiedatete walei sinah oh’ means ‘We have to slaughter tomorrow, very early in the morning. We are going to slaughter’. Both Kamajors and captives considered this song to be very dangerous and potent because of its explicit and brutal nature. Not only was the singing of the song a means to gather the troops for the coming bloodshed, captives would also be present when their killing was announced for the next day. Significantly, the articulation and execution of violence seems to be made more acceptable when announced, wrapped in, and expressed through song.

50 One of the most prominent Gio song examples with RUF combatants was a song that referred to the importance of magical charms, which would protect the fighters from harm in battle. The song ‘San n ka u ye goo ba’ can be translated as ‘Miss me, but hit goe’. Goe is a strong and robust type of hardwood tree, which particularly grows in the rain forest of Nimba County.52 Initially, ‘San n ka u ye goo ba’ was a brief chant or shout which was quickly uttered when expecting or facing imminent danger. By exclaiming this incantation, the speaker is redirecting the danger of bullets coming at him away from himself; instead the bullets will hit the ‘goe’ tree. Moreover, to render the invocation potent, it is accompanied with offensive speech such as the naming of private parts, which is considered very shameful but adds an effective shock value to it. A former Prince Johnson INPFL recruit and trainee claims that once the statement has been made, the combatant could even walk towards the source of danger unscathed. It is crucial, however, not to retreat and never to turn one’s back on the source of the gunfire. The warning to not turn one’s back on the enemy is also a recurring theme in several Sierra Leonean war songs. The grassroots self-defence faction of the Mende-

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speaking Kamajors had a popular song called ‘Mbawote’, which can be translated as ‘Don’t turn your back’. The song warned that the magical protection would cease if combatants turned their back on the enemy in combat, but given the factional fluidity of all fighters later in the war, it also meant to caution combatants not to change sides and collude with opposing factions.

51 A former RUF combatant elaborates on his knowledge and remembers the believed impact of the song ‘San n ka u ye goo ba’: […] For example, in the field, in fact, when the gun sound is heard, you sing ‘zangha leguwa’,53 that is, that really keeps you alert and that you should not move… you should not retreat, [it was] inspiring zeal in you, to really to stay in combat in that situation. Like that. (Interview with M., former RUF combatant, Kailahun, 13th Nov 2010)

52 There was a body protection in the shape of a charm either going by the same name ‘San n ka u ye goo ba’ or referring to the kind of protective power it occupied. These protections are more generally subsumed under the term ‘bu seay’, which means ‘damager’ or ‘destroyer of bullets’. Sometimes the talisman cut into the flesh in which a special magical powder was applied to ensure the protection from projectiles. When Doe’s soldiers learned that the rebels allegedly possessed magical powers of invincibility and invisibility, many of them would desert their posts in fear. The use of ‘bu seay’ played such a crucial role during the Liberian war that NPFL combatants would recruit medicine men among their rank and file to ensure the continuous renewal and effectiveness of their charms.54 The protective measures were so essential to the rebel faction that it inspired the composition of a simple song dedicated to the supernatural powers. San ka u ye goe ba / Miss me and hit goe! Goe ba lay, goe ba ba goe ba lay! / On goe! On goe! San ka u ye goe ba / Miss me and hit goe! Goe ba lay, goe ba ba goe ba lay! / On goe! On goe! We tire oh Papay55 we tire! / We are tired, old man, we are tired! Soon de morning beating / Soon, in the morning there is beating Papay we tire! / Old man, we are tired! Early morning jogging / Early in the morning, we are jogging Papay we tire! / Old man, we are tired!56

53 The song excerpt also draws on the arduous and brutalising military training in camp, which was supposed to desensitise the fighters for combat. The song combines a sung version of the incantation to conjure up the supernatural powers of the body protections, but also evokes the complaint of hardship.

54 To conclude with a final example, the song ‘Zolo wapi zolo’ was another tune, which existed as part of village dances and soccer competitions prior to the war.57 In the village context, young men and women would negotiate their problematic relationships and seek redress and vengeance through song and dance. The dance set-up confronts the (former) partner with his or her wrongdoings. Young women might express their anger in a sexually graphic way, singing ‘You seen me naked, you can’t go like that’ etc. as in ‘you can’t get away with that’. Young males may respond by singing ‘I buy you clothing, you can’t go like that’ etc. In the context of soccer competitions the song centred on issues of winning and losing the game. The song was particularly meaningful, when the group singing it had already faced defeat before. The song is basically a revenge song and its lyrics have been reworked to match the war context, announcing that casualties will be avenged.

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You can’t go eh – no! You kill my mother You can’t go like that Zolo wa, zolo wapi zolo You can’t go eh – eh! You kill my father You can’t go like that Zolo wa, zolo wapi zolo You can’t go eh – no! You kill my pikin [child] You can’t go like that Zolo wa, zolo wapi zolo You can’t go eh – eh! You kill my people […]58

55 The chorus will join in singing ‘no’ or ‘eh’ and respond with ‘zolo wa, zolo wapi zolo’. Combatants sang this and other competition songs when they were leaving their base, returning to it, or when rejoicing at the base. Some troops would also sing the songs while engaging in combat, singing the provocative and daunting songs in the presence of their enemies.

56 After the end of the Liberian war, the song ‘Zolo wapi zolo’ was reworked once again, professionally recorded and popularized by pop musician Friday Belleh. Belleh, or ‘Friday the Cellphone Man’, as he is known in Liberia, made use of the tune referring to popular culture. In his version of the song, he also sings about love relationships gone sour. Typically, older, established married men sponsor and financially provide for their considerably younger girlfriends in return for sexual favours. The song describes the dynamics of young women exploiting and outsmarting their sugar daddies. ‘Zolo wapi zolo’ picks up on this issue and assumes the position of the male part by saying ‘You eat [spent] my money, you can’t go like that’, ‘I buy you cell phone, you can’t go like that’, ‘I pay your school fees, you can’t go like that’ etc. Despite the fact that the song played a prominent role within rebel factions during the Liberian war, the tune preserved its popular appeal. Belleh neither seems to make any political statement nor lean towards rebel sympathy in choosing this tune. Rather the song and its reception emerged unscathed from its war appropriation and therefore made it suitable for large- scale popularization.

Closing Remarks

57 Music plays an essential role in the creation of a collective experience in conflict settings, keeping troops motivated, zealous, obedient, and focused. Music frames drill and victories, accompanies provocations, and allows for commemoration and the expression of sentimental and nostalgic feelings of home and loss of lives. The examples of Gio commando songs have demonstrated the diverse ways in which music was appropriated and utilized in the Liberian and Sierra Leonean war. Due to the regional and ethnic recruitment of Gio combatants and their later posting to Sierra Leone, their song repertory has ultimately coined and dominated the sound of two insurgencies.

58 Several processes seem to be in play and need to be differentiated with regard to the reception of the Gio commando songs. At a basic level, the songs’ musical and structural properties (catchy, rhythmic tunes, participatory set-up, etc.) allow for a

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general stimulation of ‘muscular bonding’ and ultimately contribute to a shared sense of cohesion through the act of joint singing and moving in unison. The structural features help to make the songs suitable for the creation of zeal, morale, and solidarity within the rank and file. Given the diverse origins of the borrowed songs, this seems to be achieved irrespective of whether the songs were originally war songs and no matter whether the lyrics can be understood or not. Although the borrowed tunes stem from other cultural practices (‘soccer rivalries’ etc.), Liberian fighters applied them in a – albeit considerably more serious and violent – somewhat similar context (‘war rivalries’).

59 The story behind and the process of the songs’ appropriation are unknown to the Sierra Leonean troops however. But despite the apparent language barrier, the commando songs can nevertheless be applied as a means to generate zeal and a sense of camaraderie because fighters embed and place them within a context of use, namely military training, and more generally, war. The combatants make use of associations they ascribe to the songs and in this way transcend the lyrics in order to render them potent for their own situation. Moreover, they seem to charge and empower themselves through songs by drawing on their knowledge of what responses these songs are supposed to generate, or, more importantly, what they need them to facilitate. The Gio commando songs, irrespective of whether lyrics were understood, assembled RUF fighters to bond over a shared musical knowledge, which ultimately contributed to the powerful experience of in-group/out-group dynamics. Due to the connection between the songs originating from the Gio ethnic group and the imagery of the Gio fighters’ prowess, Sierra Leonean fighters were particularly encouraged by the songs to follow suit and match the Gio fighters’ reputation of fierceness, and may even have felt charged with similar combat skills through the singing of their songs.

60 The adaptation of song material from other cultural practices within Gio society is as much obvious as it is resourceful. It is noteworthy, however, that the songs’ transfer across geographical and linguistic boundaries did not impair their reception by and effectiveness with Sierra Leonean fighters. This clearly reveals music’s efficacy beyond its lyrics, content, and origin, and points to human agency and imagery, rather than to music’s intrinsic, “universal” properties, to stimulate physical, cognitive, and emotional responses that foster social cohesion.

NOTES

1. For detailed analyses of the Sierra Leonean conflict, its root causes and its account, see RICHARDS, Paul, Fighting for the Rainforest: War, Youth and Resources in Sierra Leone, Oxford, James Currey, 1996; RICHARDS, Paul, The Social Life of War: Rambo, Diamonds and Young Soldiers in Sierra Leone, Track Two 8, No.1, 1999 [online] < http://reference.sabinet.co.za/webx/access/ electronic_journals/track2/track2_v8_n1_a5.htm> [Accessed 12 January 2014]; RICHARDS, Paul, Against Ethnicity – Some Anthropological Arguments. Conference on Rethinking Ethnicity and Ethnic Strife: multidisciplinary perspectives, Central European University, Budapest 25th-27th September 2008; PETERS, Krijn & RICHARDS, Paul, “Youths in Sierra Leone: ‘Why We Fight’”,

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Africa. Journal of the International African Institute, 68 (2), 1998, p. 183-210; HOFFMAN, Danny, The War Machines: Young Men and Violence in Sierra Leone and Liberia (Cultures and Practice of Violence), Durham/London, Duke University Press, 2011; PETERS, Krijn, War and the Crisis of Youth in Sierra Leone, International African Library, Cambridge, Cambridge University Press, 2011; KEEN, David, Conflict and Collusion in Sierra Leone. Oxford: James Currey, 2005; GBERIE, Lansana, A Dirty War in West Africa: The R.U.F. and the Destruction of Sierra Leone, London, C Hurst & Co. Ltd, 2005; DENOV, Myriam, Child Soldiers. Sierra Leone’s Revolutionary United Front, Cambridge, Cambridge University Press, 2010; ABDULLAH, Ibrahim (ed.), Between Democracy and Terror: The Sierra Leone Civil War, Dakar, CODESRIA, 2004; TRUTH & RECONCILIATION COMMISSION, Witness to Truth: Report of the Sierra Leone Truth & Reconciliation Commission, Vol. Three A, 2004, [online] [Accessed 12 January 2014]. 2. Other endemic warring factions involved in the Sierra Leonean war were the Sierra Leonean Army (SLA), the grassroots militia forces eventually subsumed as the Civil Defence Forces (CDF) established and spearheaded by Mende-speaking Kamajors, and later the Armed Forces Revolutionary Council (AFRC) junta, joined forces consisting of SLA splinter groups and RUF combatants. 3. RUF/SL, “Footpaths to Democracy: Towards a New Sierra Leone”, [online] [Accessed 25 January 2014]. 4. TRUTH & RECONCILIATION COMMISSION, op. cit., p. 549ff. 5. KEEN, David, op. cit, discusses in detail the dynamics of emerging war economies in low- intensity conflicts. 6. See for example ABDULLAH, Ibrahim, Between Democracy and Terror, 2004; KING, Nathaniel, Conflict as Integration. Youth Aspiration to Personhood in the Teleology of Sierra Leone’s ‘Senseless War’, Uppsala, Nordiska Afrikainstitutet, 2007. 7. For a debate on ‘greed or grievance’ as driving forces in civil wars see COLLIER, Paul & HOEFFLER, Anke, Greed and Grievance in Civil War, The World Bank Policy Research Working Paper 2355, 2000; COLLIER, Paul, “Doing Well Out of War: An Economic Perspective”, BERDAL, Mats and MALONE, David M. (eds.), Greed and Grievance: Economic Agendas in Civil Wars, Boulder, Lynne Rienner, 2000, p. 91-111. 8. ABDULLAH, Ibrahim, “Bush Path to Destruction: The Origin and Character of the Revolutionary United Front/Sierra Leone”, The Journal of Modern African Studies, 36: 2, 1998, p. 203-235; ABDULLAH, Ibrahim and MUANA, Patrick, “The Revolutionary United Front of Sierra Leone. A Revolt of the Lumpenproletariat”, CLAPHAM, Christopher (ed.), African Guerillas, Oxford, James Currey, 1998, p. 172-193. 9. KAPLAN, Robert D., “The Coming Anarchy”, Atlantic Monthly, February, 1994, p. 44-76; KAPLAN, Robert D., The Ends of the Earth: A Journey at the Dawn of the 21st Century, New York, Random House, 1996. 10. RENO, William, Corruption and Politics in Sierra Leone, Cambridge, Cambridge University Press, 1995; RICHARDS, Paul, Fighting for the Rain Forest, op. cit. 11. PETERS, Krijn & RICHARDS, Paul, op. cit. 12. KANDEH, Jimmy D., “The Criminalization of the RUF Insurgency in Sierra Leone”, ARNSON, Cynthia J. & ZARTMAN, I. William (eds.), Rethinking the Economics of War. The Intersection of Need, Creed, and Greed, Washington, Woodrow Wilson Center Press, Baltimore, Johns Hopkins University Press, 2005, p. 84-106. 13. I conducted interviews in the provincial towns Kailahun, Bo, Kenema, Makeni, and the capitol city Freetown. I also interviewed several (former) SLA soldiers, AFRC combatants, members of the Kamajors/CDF, and war-affected civilians. 14. I am aware of the fact that the terms Gio and Mano are misnomers. However, I will use these terms in accordance with the terminology used by my interlocutors.

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15. For a detailed account of the Liberian civil war, see e.g. ELLIS, Stephen, The Mask of Anarchy. The Destruction of Liberia and the Religious Dimension of an African Civil War, New York, New York University Press, 1999; ELLIS, Stephen, “Liberia 1989-1994: A Study in Ethnic and Spiritual Violence”, Africa Affairs, No. 94, 1995, p. 165-197; UTAS, Mats, Sweet Battlefields. Youth and the Liberian Civil War, Uppsala, Uppsala University Dissertations in Cultural Anthropology, 1, 2003. 16. GBERIE, Lansana, War and State Collapse: The Case of Sierra Leone, Theses and Dissertations (Comprehensive), Paper 30, Waterloo, Wilfried Laurier University, [online] [Accessed 12 January 2014], 1998, p. 73ff. 17. Personal email communication with Liberian Gonwo Tyndale Dahnweih, 11th April 2013. Mr. Dahnweih conducted several interviews on my behalf in the US with regard to the Gio culture and more specifically the NPFL/RUF commando songs. Mr. Dahnweih’s Liberian interviewees confirm the notion of the Gio’s musical superiority. I am very grateful to Gio [Dan] speaker Gonwo Tyndale Dahnweih, several former NPFL and INPFL combatants and some Liberian civilians now living in the US who experienced the Liberian war. They provided translations for as well as valuable background information on the Gio commando songs in question. 18. ELLIS, Stephen, The Mask of Anarchy, op. cit., p. 93. 19. See e.g. KEEN, David, op. cit., p. 37; TRUTH & RECONCILIATION COMMISSION, op. cit., p. 97. There were more strategic motives at play enticing Taylor to support the RUF rebellion in order to destabilize the neighbouring country. Sierra Leone’s Lungi airport and naval base was at ECOMOG’s disposal as an airlift and harbour to launch attacks on NPFL-held zones in Liberia. Moreover, by providing manpower, weapons, ammunition, and other logistical support, Taylor secured the financing of his own war through the trafficking of illicit Sierra Leonean diamonds the RUF issued in return. 20. See e.g. KEEN, David, op. cit. Another important aspect was the lack of political authority within the movement early on in the war. Due to internal rivalries, the leadership killed intellectuals and ideologically driven moderates who initially spearheaded the RUF rebellion. For a discussion to explain the extreme violence of the Sierra Leonean conflict see for example KEEN, David, “Since I am a dog, beware of my fangs”: Beyond a ‘Rational Violence’ Framework in the Sierra Leonean War, Crisis States Research Centre working papers series 1, 14, London School of Economics and Political Science, London, 2002, [online] [Accessed 12 January 2014]; KEEN, David, Conflict and Collusion in Sierra Leone, op. cit.; RICHARDS, Paul, Fighting for the Rain Forest, op.cit.; RICHARDS, Paul, “Emotions at War: A Musicological Approach to understanding atrocity in Sierra Leone”, Perri 6, RADSTONE, Susannah, SQUIRE, Corinne & TREACHER, Amal (eds.), Public Emotions, Basingstoke, Palgrave, 2007; GBERIE, Lansana, A Dirty War in West Africa, op. cit.; ABDULLAH, Ibrahim, “Bush Path to Destruction”, op. cit. 21. See e.g. FARMER, Henry George, Memoirs of the Royal Military Band. Its Origin, History and Progress. An Account of the Rise of Military Music in England, London/New York, Boosey & Co., 1904, p. 5ff.; KOPSTEIN, Jack & PEARSON, Ian, The Heritage of Canadian Military Music, St. Catharines, Vanwell Publishing Limited, 2002, p. 3ff. 22. SHELEMAY, Kay Kaufman, “Musical Communities: Rethinking the Collective in Music”, Journal of the American Musicological Society, Vol. 64, No. 2 (Summer 2011), p. 349f. 23. EYERMAN, Ron & JAMISON, Andrew, Music and Social Movements: Mobilizing Tradition in the Twentieth Century, Cambridge, Cambridge University Press, 1998, p. 7, 23f. 24. Ibid., p. 163. 25. McNEILL, William H., Keeping Together in Time. Dance and Drill in Human History, Cambridge, Harvard University Press, 1995. 26. Ibid., p. 2. 27. Ibid., p. 3, 10, 51f. In his book Imagined Communities, Benedict Anderson suggests the term unisonance to describe the human experience of simultaneity and unisonality in joined singing (of, in this case, national anthems) and in so doing, facilitating the ‘physical realization’ of an

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imagined community. ANDERSON, Benedict, Imagined Communities: Reflections on the Origins and Spread of Nationalism, Verso, London/New York, 2006 [First published in 1983], p. 145. 28. McWHIRTHER, Christian, Battle Hymns. The Power and Popularity of Music in the Civil War, Chapel Hill, University of North Carolina Press, 2012, p. 13, 114, 126, 136. 29. GIER, Christina, “Gender, Politics and the Fighting Soldier’s Song in America during the World War I”, Music & Politics, Vol. II, No. 1 (Winter 2008). 30. For publications on music in African conflicts see for instance LADAPO, Olufameni Alexander, “Martial Music at Dawn, Introits for Coups D’état”, GRANT, M.J. and STONE-DAVIS, Férdia J. (eds.) The Soundtrack of Conflict. The Role of Music in Radio Broadcasting in Wartime and Conflict Situations, Hildesheim/Zurich/New York, Georg Olms Verlag, 2013, p. 197-209; AGU, Ogonna, “Songs and War: The Mixed Messages of Biafran War Songs”, African Languages and Cultures, Vol. 4, No. 1, The Literatures of War, 1991, p. 5-19. For what are now classic case studies on praise poetry see for example CHARRY, Eric, Mande Music. Traditional and Modern Music of the Maninka and Mandinka of Western Africa, Chicago, University of Chicago Press, 2000; HALE, Thomas A., Griots and Griottes. Masters of Words and Music, Bloomington, Indiana University Press, 1998; ERLMANN, Veit, Die Macht des Wortes: Preisgesang und Berufsmusiker der Fulbe des Diamaré (Nordkamerun), Hohenschäftlarn, Klaus Renner Verlag, 1980. For publications on music as politics in African contexts see for example ANSELL, Gwen, Soweto Blues: Jazz, Popular Music, and Politics in South Africa, New York/London, Continuum, 2005; TURINO, Thomas, Nationalists, Cosmopolitans and Popular Music in Zimbabwe, Chicago and London, University of Chicago Press, 2000; ASKEW, Kelly M., Performing the Nation. Swahili Music and Cultural Politics in Tanzania, Chicago and London, University of Chicago Press, 2002; OLWAGE, Grant (ed.), Composing Apartheid. Music for and against Apartheid, Johannesburg, Wits University Press, 2008; OLANIYAN, Tejumola, Arrest the Music! Fela and his Rebel Art and Politics, Bloomington, Indiana University Press, 2004. 31. BARBER, Karin, “Text and Performance in Africa”, Bulletin of the School of Oriental and African Studies, University of London, Vol. 66, No. 3, 2003, p. 324-333; COPLAN, David B., “History is Eaten Whole: Consuming Tropes in Sesotho Auriture”, History and Theory, Vol. 32, No. 4, Beiheft 32: History Making in Africa, 1993, p. 80-104; BARBER, Karin (ed.), Readings in African Popular Culture, Bloomington, Indiana University Press, 1997. 32. See for example, classic albeit generalising works on the study of African music such as NKETIA, J. H. Kwabena, “The Musical Heritage of Africa”, Daedalus, Vol. 103, No. 2, Slavery, Colonialism, and Racism, Spring 1974, p. 151-161; NKETIA, J. H. Kwabena, The Music of Africa, New York/London, W. W. Norton & Company, 1974; CHERNOFF, John Miller, African Rhythm and African Sensibility. Aesthetics and Social Action in African Musical Idioms, Chicago and London, University of Chicago Press, 1979. 33. Agu states that in the Biafran war, songs were adopted from Igbo traditional war songs and from Christian song repertoire. AGU, Ogonna, op. cit., p. 8. Eberhard Fischer’s article on the role of Dan masquerades in rural Liberia suggests that competitions such as races and wrestling play a vital role in Dan community life, despite or even more so in peacetime. Youth competitions take place in an attempt to outdo one another in sporting, music, and dance, or by joining secret societies to emerge victorious and more prestigious than the opponent. FISCHER, Eberhard, “Dan Forest Spirits: Masks in Dan Villages”, African Arts, Vol. 11, No. 2, 1978, p. 16-23+94. Nketia gives some general examples of contesting, boastful, and judicial songs in other African societies and provides, in more detail, a Ghanaian example of a yearly festival, which allows for publicly articulating criticism, insults, and aggression through song. See NKETIA, Kwabena, “The Musical Heritage of Africa”, op. cit., p. 153. For Klusen’s discussion of the term folk song [Volkslied] see KLUSEN, Ernst, “Das Gruppenlied als Gegenstand”, Jahrbuch für Volksliedforschung, 12. Jahrg., 1967, p. 21-41. 34. There were also some Sierra Leonean commando song compositions, but they were few in number compared to the Gio commando songs, which remained popular with the pioneering

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recruits throughout the whole course of the war. The Mende composition ‘Jigbikormah, kwei mugbwah wei’, however, is one such example. The song keeps fighters alert by saying that ‘There is no sleep in war because the war has displaced us’. The song also echoes sentimental feelings regarding the repercussions of the war. Another Sierra Leonean composition draws on a Temne (an ethnic group in Sierra Leone) proverb. The song ‘Empty bag cannot stand’ voices the combatants’ complaints to their superiors for having received poor rations. Elsewhere (NUXOLL, Cornelia, “‘They listened to it because of the message.’ Juvenile RUF Combatants and the Role of Music in the Sierra Leone Civil War”, BRAVO, Gwyneth & HARBERT, Benjamin J. (eds.), Music of War. Global and Transnational Perspectives, London/New York, Routledge, 2014 [forthcoming]), I have discussed the role of roots reggae music among RUF combatants as a means of legitimising their active involvement in the war. RUF fighters linked their felt injustices to themes raised in reggae songs. Peddie et al. suggest that the consumption of reggae music may already serve as a means of political participation and resistance. See PEDDIE, Ian (ed.), The Resisting Muse: Popular Music and Social Protest, Aldershot, Ashgate, 2006. 35. Link to song excerpt via soundcloud stream available online: http://snd.sc/18ob0v5 36. L marks the lead singer’s lines, R marks the choral response. 37. This is again the Sierra Leonean spelling and pronunciation of the Gio song ‘E zo lo wah e gay’. 38. See e.g. SADIE, Stanley and TYRELL, John, “Contrafactum”, The New Grove Dictionary of Music and Musicians, Second Edition, Vol. 6, Claudel to Dante, Grove, Macmillan Publishers Ltd., p. 367-370. The recorded use of contrafacta dates back to the 12th and 13th century. Oettinger shows how Protestant reformers of the 16th century were keen on providing befitting music to draw more followers and bestow their church services with appropriate musical accompaniment. They borrowed extensively from sacred Catholic music and secular pieces. See OETTINGER, Rebecca Wagner, Music as Propaganda in the German Reformation, Aldershot, Ashgate, 2001. 39. See also M.J. Grant’s contribution Pathways to Music Torture in this very issue. 40. AGU, Ogonna, op. cit., p. 5. 41. McWHIRTHER, Christian, op. cit., p. 2f., 16, 62f., 75, 82. Similarly, in the 20th century, the National Socialists borrowed extensively from the 1920s song repertoire of the socialist labour movement (Arbeiterbewegung) as well as lansquenet songs and pieces from the German scout movement (Bündische Jugend and Wandervögel). The Nazis were aware of advantages of using songs already known to the general public from other political and cultural contexts. Not only could they easily and swiftly disseminate their political agenda, they would also be able to undermine the efforts of political adversaries by disappropriating their songs. See DITHMAR, Reinhard, “Das ‘gestohlene’ Lied. Adaptionen vom Liedgut der Arbeiterbewegung in NS-Liedern”, NIEDHART, Gottfried & BRODERICK, George (eds.), Lieder in Politik und Alltag des Nationalsozialismus, Frankfurt am Main, Peter Lang, 1999, p. 17-34. 42. An obvious example of lyrics changes as a result of the local transfer from Liberia to Sierra Leone would be changing the names of NPFL commanding officers and control zones located in Liberia to Sierra Leonean rebel key figures and strongholds in their respective country. 43. Link to song excerpt via soundcloud stream available online: http://snd.sc/17ni23w 44. During the war years, RUF leader Foday Sankoh frequently travelled to different rebel strongholds and commuted between Sierra Leone and Liberia. From March 1997 to 1999, he was taken under house arrest in Nigeria and held in custody for weapons violations. 45. Agu makes a similar claim stating that the adopted war songs for the Biafran war contextualised events by providing them with a link to the historical past, thus lending more credibility to the songs. AGU, Ogonna, op. cit., p. 6. 46. Several former RUF combatants described how they had developed their own ideas about what the songs possibly meant and applied their own associations to them while singing.

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47. DeNORA, Tia, Music in Everyday Life, Cambridge, Cambridge University Press, 2000. MIDDLETON, Richard, Studying Popular Music, Milton Keynes, Open University Press, 1990; DeNORA, Tia, After Adorno. Rethinking Music Sociology, Cambridge, Cambridge University Press, 2003; DeNORA, Tia, Music-In-Action. Selected Essay in Sonic Ecology, Aldershot, Ashgate, 2011; SLOBODA, John, “Empirical Studies of Emotional Response to Music”, JONES, Mari Riess & HOLLERAN, Susan (eds.), Cognitive Bases of Musical Communication, Washington, American Psychological Association, 1992, p. 33-46; SLOBODA, John, Exploring the Musical Mind: Cognition, Emotion, Ability, Function, Oxford, Oxford University Press, 2004. 48. DeNORA, Tia, Music in Everyday Life, op. cit., p. 94ff. 49. BARBER, Karen, “Text and Performance in Africa”, op. cit., p. 324. Emphasis in original. 50. FELD, Steven, “Communication, Music and Speech about Music”, Yearbook for Traditional Music, Vol. 16, 1984, p. 7. 51. Personal email communication with Liberian Gonwo Tyndale Dahnweih, 11th April 2013. Music’s impact was apparently not tactically used in Liberia to attract civilians or win them over for the rebel cause. In Sierra Leone however, RUF combatants sometimes used reggae songs to underline their political agenda and possibly gain voluntary followers this way. Conversely, later in the war, they also played popular local Bubu music as a means of sound blasting and as a strategy to lure citizens out of their hiding places for easy capture. 52. Other spellings for ‘goe’ could be ‘goo’ or ‘goh’. Interlocutors with a NPFL or INPFL background suggested that ‘goe’ could also be substituted for ‘guor’, meaning rock. 53. ‘Zangha leguwa’ is the spelling literate RUF combatants provided for this song. Since they are not native Gio speakers, this is their version of what ‘San n ka u ye goo ba’ sounded to them like. 54. Keen reports an incident where NPFL fighters deployed in the Sierra Leonean insurgency lashed out against local medicine men who refused to provide charms and bulletproof talismans for them, but willingly prepared them for the opposing civil defence groups. KEEN, David, Conflict and Collusion in Sierra Leone, op. cit., p. 39. 55. ‘Papay’ generally is a respectful form of addressing a senior. It was used as a courteous and affectionate name for both rebel leaders Charles Taylor and Foday Sankoh. 56. Link to song excerpt via soundcloud stream available online: http://snd.sc/1hhE3Ch 57. The Liberian interlocutors were unable to provide a translation for ‘Zolo wapi zolo’. Apparently it is not a Gio [Dan] phrase, although the song is well known among Gio speakers. The phrase ‘Zolo wapi zolo’ probably stems from another Liberian ethnic group, which my Liberian contacts could not specify further. 58. Link to song excerpt via soundcloud stream available online: http://snd.sc/1fFovwB

RÉSUMÉS

Cet article explore le rôle des chants de commandement et de stimulation morale au sein du RUF (Revolutionary United Front/ Front Uni Révolutionnaire) durant la guerre au Sierra Leone des années 1990. En me fondant sur les résultats de mes recherches récentes, je m’intéresserai aux airs qui ont accompagné l’entraînement militaire et les activités de combat. D’une manière plus générale, il s’agira d’étudier le rôle de la musique dans la construction de la cohésion sociale et dans le renforcement des collectifs. L'article examine les moyens par lesquels les chansons provoquent des réactions physiques et émotionnelles utiles au soldat et analyse les différentes

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façons dont les chansons ont été réinvesties en situation de conflit depuis d'autres contextes. La majorité des chants dont il s’agit sont des contrafacta (partiels) de chants du peuple libérien Gio [Dan], provenant d’autres pratiques et contextes culturels et ayant déjà joué le rôle de chants de motivation durant la guerre civile libérienne. L’article se concentre particulièrement sur les usages de ces chants, sur leur fluidité et leur propension à être transformés ainsi que sur l’ingénuité dont font preuve les interprètes qui les recontextualisent. En mettant les chants en adéquation avec leur expérience guerrière, les combattants les rendent signifiants malgré d’évidentes barrières linguistiques et au-delà des particularités des textes.

This article explores the role of commando and morale booster songs among Revolutionary United Front (henceforth RUF) combatants in the Sierra Leone war of the 1990s. Based on recent research findings, it looks at the tunes that accompanied military training and combat activities and more generally examines the role of music to help generate social cohesion and sustain collectivities. The article examines how songs elicit beneficial physical and emotional responses advantageous for soldiering and it analyses the diverse ways in which songs have been reworked from other performance contexts and placed into a conflict setting. Most of the songs dealt with are (partial) contrafacta of Liberian Gio [Dan] songs, which were incorporated from other cultural practices and contexts and already played a role as motivational songs in the Liberian civil war. Special focus lies on the use of, the fluidity and formability of the songs, as well as the ingenuity of its performers to recontextualise these songs. By fitting the songs into their war experience, combatants render them meaningful despite obvious language barriers and beyond their textual properties.

INDEX

Mots-clés : guerre civile de la Sierra Leone, RUF, NPFL, chants de commandement, chants de stimulation morale, musique et texte, musique dans la guerre, contrafactum Keywords : Sierra Leone war, RUF, NPFL, commando songs, morale booster songs, music and text, music in war, contrafactum

AUTEUR

CORNELIA NUXOLL

Ethnomusicologue et anthropologue social spécialisée sur la musique de l’Afrique sub- saharienne, Cornelia Nuxoll est membre du groupe de recherche « Music, Conflict and the State » à l’Université Georg August à Göttingen en Allemagne, qui se focalise sur le rôle de la musique pour promouvoir, faciliter et perpétuer des réponses violentes à des situations de conflit.

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Pathways to music torture Les voies de la musique comme torture

Morag Josephine Grant

NOTE DE L'AUTEUR

I gratefully acknowledge the research assistance of Mareike Jacobs, Anna Papaeti and Stephanie Leder in collating some of the sources I draw on here.

1 In the history of torture, the period since the Second World War is in many ways marked by contradictions. On the one hand, the atrocities of the 1930s and 1940s precipitated moves towards an international legal framework for preventing and punishing torture: this was a further step in a trend away from the use of torture that reaches back at least as far as the eighteenth century, and which in the period since 1945 was closely related to the increasingly influential role of civil society. On the other hand, the use of torture has persisted and, in some cases, reemerged, often in apparently “new” forms that seek to mask the very fact that we are dealing here with torture in a strict sense at all. It is in this context in particular that the use of music as an instrument of torture has come into focus – specifically, as employed by US security forces in the so-called “War on Terror”.1 As several studies and investigations have shown, this and other torture practices used alongside it can easily be placed in a longer history of developments in military and security strategy in the 1940s-1950s, particularly with regard to so-called “sensory deprivation” techniques, which I will discuss in more detail below. This, however, is only one of many pathways to the extensive use of music as a form of torture and cruel, inhuman and degrading punishment, especially since this can take many forms (it is by no means limited to subjecting prisoners to constant loud music played through loudspeakers or headphones) and has a much longer and broader history than many accounts suggest. Studies of music in National Socialist concentration camps have demonstrated the often systematic use of what Juliane Brauer terms musical violence,2 to take just the most well-researched example. The use of certain forms of forced singing not only to humiliate prisoners of war, political opponents and others, but also as a particularly

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perfidious form of self-inflicted violence, has been reported in this context and many other more recent ones besides. But the history is longer still, and is just one component of a relationship between music and punishment, including the severest forms of punishment, that stretches back almost certainly as far as documentation of any sort exists.3 Closer analysis of the circumstances and apparent functions of music in all these cases reveals the need for a broader understanding of what might constitute music torture, and also for research into this topic to be placed against a broader historical background.

2 In this essay, I will attempt to trace some of these pathways to music torture both synchronically and diachronically. They will lead us into considerations of such topics as the role of music in the military, developments in security strategy and technology since the late nineteenth century, the function of music in social and political movements, and the relationship between music and humiliation. Sometimes causal connections will become apparent; in many cases, however, we may be left feeling that practices of music torture arise spontaneously, even naturally. These pathways – sometimes converging, sometimes running in parallel – thus bring into focus important aspects of the social structure of torture, the social functions of music, and a relationship that becomes more logical the longer we observe it. Nevertheless, many of the observations given below retain the character of hypotheses. In this sense, the pathways outlined are indications of where future research might need to go, as well.

Music as Torture

3 Most forms of torture do not need much explanation for us to understand why they are torture: being beaten repeatedly on the soles of ones’ feet, having electric shocks administered to one’s genitals, having healthy teeth pulled without anaesthetic, or being stretched beyond the body’s natural limits on a rack – these are tortures we can immediately comprehend; even thinking of them makes us wince. Music torture is different. There are certainly a number of obvious reasons why music is used in the context of torture, some of which will be discussed in more detail below: to cover the sound of screams, to further humiliate and degrade prisoners. That such uses of music could themselves impact on prisoners in a manner that is in any way comparable to the types of torture just mentioned – that music can be part of the main event and not merely an accompaniment – is however by no means self-explanatory. This is perhaps one of its appeals to the torturers.

4 That we know of music’s efficacy as an instrument of torture is due in large part to testimonies from survivors. How people react to music in the context of torture is as individual as with any other type of torture; thus, the use of music to torture should never be viewed as the lesser of many potential evils simply because not all survivors give it the same weight. Testimonies provided by survivors of torture from Uruguay in the 1970s provide a lesser-known but very telling example of this. The context was a period of military rule lasting from 1973 to 1985, and which was marked by widespread and grave human rights violations including arbitrary detention, torture, and disappearances. A set of six signed affidavits made before a notary public in Mexico by political refugees from Uruguay, statements translated and published by Amnesty International, describe various methods of torture inflicted at a number of locations and by a number of security service and military divisions. The most frequently

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recurring types of torture are “standing” (being forced to stand for anything up to several days), hooding, the technique known as “submarine” (now more generally known by the American term, “waterboarding”) and the application of electric shocks, as well as hitting and kicking. Two of the survivors mention that radio and/or records were played at high volume at some locations. One of these two survivors then goes on to mention what happens when he was transferred to what he terms a concentration camp: We were subjected to the following tortures: The noise of MUSIC played. Day and night very loudly. “SUBMARINE”. They placed a plastic or muslin bag over our heads and tied it round the neck. We suffocated through having no air or being submerged in water or excrement. “STANDING” (Planton).4 Standing with our legs and arms wide apart, for hours, being hit on the legs, the kidneys and the stomach. ELECTRIC SHOCKS. A rubber truncheon of American manufacture, about 60 centimetres long, with an aluminium stud, through which the current is transmitted. SUSPENSION. By the thumbs or arms, for hours or days. PSYCHOLOGICAL TORTURE. Very loud music. The detainees who were in a particularly poor state of health were placed near where tortures were being carried out, so that they might know what would happen to them.5

5 Striking in this excerpt is not only that constant loud music is the first of the torture practices listed, but that it is mentioned twice, the second time as the main method of psychological torture. None of the other six statements mention a similar use of music, though this could be because the practice may not have been used at all facilities. The use of music as a method of psychological torture is, however, mentioned in another source from Uruguay, namely the testimony given by a survivor to the UN Human Rights Council and published in its conclusions to the complaint he brought against the state of Uruguay; it relates to a period of torture in April 1976: The method chiefly used in my case was mental torture. For many hours at a time I could hear piercing shrieks which appeared to come (and perhaps did come) from an interrogation under torture; the shrieks were accompanied by loud noises and by music played at a very high volume. I was repeatedly threatened with torture and on several occasions I was abruptly transferred to other places, amid threats and ill-treatment.6

6 Both these descriptions (the second more than the former) connect psychological or mental torture chiefly to the sound of music, screams, and loud noises. Neither gives information on the music used, nor a definitive answer to the question of how the music affected them, particularly as compared to other sounds and to the noise of screams presumably coming from (or supposed to come from) other victims (it is not outside the bounds of possibility that the two men concerned knew that loud music is often used to cover the sounds of torture).7 Other sources, particularly in statements from former prisoners of US detention camps at Baghram, Guantánamo Bay and others, go into more detail on the effects of constant loud music.8 Testimonies gathered from survivors of torture in Greece only a couple of years before the example cited from Uruguay also describe the impact of music and noise during interrogations and beatings but also between them.9 The similarity of the historical circumstances and the techniques used in these and other cases will be a starting point for many of the pathways discussed below.

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7 Before moving on to these, however, a few words are necessary on the framework behind this discussion, particularly as it concerns what is meant here by “music”, but also what is meant by torture. In this article, I use terms such as “music,” “musical,” and “musical practice,” amongst others, in a broad sense which I feel is necessary both to tease out the multifarious social significances of the practices concerned but also to get away from a focus on music as a specifically (and even exclusively) sonic phenomenon of relative structural complexity. The result of this is that in this discussion, “music” may cover the whole gamut of human musical expression, from the rhymes chanted by children at play (see Pathway 4) through to music in ceremonial contexts and works of art, but – especially in the form of the adjective “musical” – can also be extended to help us interpret other forms of communication and expression that demonstrate musical qualities (see particularly the discussion of the interrogation scene from the film Songs of War, below, Pathway 5).10 As a social musicologist, I implicitly view music as integral to and constitutive of human social relations; musical activities and practices imply relationships between human beings, help express these but also, in many cases, form and consolidate these relationships.11 In addition, several of the practices and phenomena that I describe in this essay are necessarily not torture in the strict sense, though many of these certainly are instances of what the language of human rights calls cruel, inhuman and degrading treatment or punishment (CID treatment). In human rights law, torture is grouped together with and prohibited alongside CID treatment in recognition of the connections; human rights advocates are increasingly pointing to the necessity of preventing CID treatment as a necessary prerequisite for preventing torture.12 The very widespread practice of forcing prisoners to sing demonstrates neatly why, in the specific case of music torture as well, it is necessary to extend the discussion beyond torture proper. Forced singing has only rarely been the topic of musicological investigations and other writings into what is called music torture, which have tended to focus on more technologised practices such as subjecting people to constant music through loudspeakers (similarly, the approach to this topic at all is often highly technologised or even aestheticised). Not all examples of forced singing occur in contexts and reach a severity that can be classed as torture, though they still constitute a violation of prisoners’ rights.13 But like many of the practices I discuss, music bears a potential in conjunction with or as a method of torture which can only be understood through looking at other phenomena, practices, and traditions. The discussion below, therefore, should by no means be understood as an attempt to dilute definitions of torture generally or music torture specifically.

Pathways to music torture

8 The pathways outlined below indicate on the one hand that the historical relationship between music and torture is long, on the other that there are numerous social, political, legal and technological reasons why the use of music in connection with torture may have increased over the course of the twentieth century. Due to the complexities involved, these pathways are not given in any sort of chronological order. We will start, however, with a pathway highly relevant for the most famous of the recent cases.

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1. The “sensory deprivation” pathway

9 In the brief hiatus between the end of the Second World War and the beginning of the Cold War, a committee set up by the newly founded United Nations began to draft a declaration aimed at preventing further wars and armed struggles not least by promoting and protecting what came to be seen as universal rights of all human beings. 14 The result was the Universal Declaration of Human Rights (UDHR), which was passed by the General Assembly of the UN on 10 December 1948, one day after the Convention on the Prevention and Punishment of the Crime of Genocide. Though itself not legally binding, the UDHR became the cornerstone of a still-expanding universe of international treaties and institutional structures aimed at delineating and overseeing the protection of the rights laid out in that document. Within this complex field of interacting and mutually conditional human rights, certain rights are viewed, in the language of jurists, as non-derogable: that is, they apply absolutely and in all situations. These include the right to life, the prohibition of slavery, and the prohibition of torture and cruel, inhuman, and degrading treatment or punishment.

10 The absolute prohibition of torture found in the UDHR and in the conventions which build on it, not least the Convention Against Torture (CAT) of 1984, can be seen as the reiteration of a principle already accepted (in principle, at least) in many countries no later than the nineteenth century. Whether this principle had led to a real decline in incidences of torture, or merely pushed them underground, is however a moot point.15 At the very least, though, the prohibition of torture in the UDHR can be seen as a clear sign of a general moral consensus on torture as cruel and inhuman. And somewhat ironically, the moral and legal power of such a consensus is evidenced even in the fact of attempts to sidestep the prohibition, including by experimenting with forms of torture which for a long time were not considered as such. Similarly, what is sometimes termed “no touch torture”, by putting a crucial distance (from the point of view of the torturers) between them and the victim, can be seen as a further way to facilitate what was clearly an illegal and highly immoral act.

11 This, then, is one of the starting points for the development of new methods of torture in the 1950s and 1960s that necessitated no direct physical violence on the part of the torturer and yet produced exactly the kind of destruction of the subjectivity of the victim that is characteristic of torture generally. The development of these techniques is in every way related to the Cold War, first as a reaction to the apparent use of brainwashing in the Soviet Union and in China, and then in the form of training offered to dictatorships and military regimes seen to be combating socialist or communist elements in their own countries (which is one reason why similar methods emerge in different countries at broadly the same time).16 As Alfred McCoy has explored in detail, the starting point was an extensive programme of research carried out by psychologists in the USA, Canada and Great Britain, in some cases apparently with covert funding from the CIA, which examined the impact of what was variously termed sensory deprivation or perceptive isolation. In experiments ostensibly geared at understanding a range of psychiatric disorders including schizophrenia, participants in the experiments were subjected to a range of measures aimed at ensuring they could have no meaningful sensorial interaction with their environment through sight, touch, or hearing.17 Measures relating to the last-mentioned could take one of two approaches: enclosing the subject in an anechoic chamber, or alternatively using a constant noise of

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a frequency structure and amplitude designed to mask any other noises. The former technique is taken to have been adopted from experiments carried out in the Soviet Union which may have been the impetus for the experiments carried out by the US government and its allies. Given the technical difficulties but also the limitations of anechoic chambers, it is understandable why the latter measure would prove to be more useful (anechoic chambers, as John Cage famously described, do not actually prevent audition of any noise, since in this environment the subject can hear the noise of bodily processes normally not audible in any other situation).18

12 It is now well-known that practices clearly related to these experiments were used extensively not only by the US and British governments, but through them – in the form of training programmes, but also by simple example – in many other countries as well. Long before similar techniques came to international attention in connection with the “War On Terror”, they had triggered public controversy and legal campaigns when used against at least fourteen prisoners in Northern Ireland. The so-called “five techniques” as they came to be called in connection with this case, included standing, hooding, sleep deprivation, withholding of food and drink, and subjection to noise.19 Responding to that controversy in the form of an inquiry overseen by three peers, it is notable (and in retrospect, astounding) that the majority decision adopted by two of the three referred to the techniques’ extensive use across a whole host of former British colonies from the 1950s onwards as justification for their continued, if limited, use.20 When the case came before the European Court of Human Rights, the Court decided that the measures did not constitute torture in the strict sense, but certainly were a form of inhuman and degrading treatment, thus also representing a violation of the European Convention on Human Rights.21 More than twenty years later, the UN Committee Against Torture came to a different conclusion, stating in the context of the regular reporting foreseen for parties to the Convention, in this case reports from Israel, that methods including “(1) restraining in very painful conditions, (2) hooding under special conditions, (3) sounding of loud music for prolonged periods, (4) sleep deprivation for prolonged periods, (5) threats, including death threats, (6) violent shaking, and (7) using cold air to chill [...] constitute torture as defined in article 1 of the Convention [Against Torture]”, particularly “where such methods of interrogation are used in combination, which appears to be the standard case”.22

13 The Israeli case specifically mentions the use of loud music, but as the Uruguayan example cited earlier shows, this was by no means a recent development. And while the examples discussed above refer to only one of the two basic forms of music torture – subjection to music rather than being forced to perform – the very widespread use of various forms of forced singing, which will come into more focus in the discussion of other pathways, can also be understood within this nexus, since methods of sensory deprivation were often used in conjunction with stress positions, the common denominator being that all are practices of so-called “no-touch torture”.

14 These are only some of very many reports of loud music used in the context of torture that can be found from the 1970s onwards. Whether or not there was an upsurge in such specifically musical techniques at exactly this point is difficult to tell, not least since most of the easily available sources for this research stem from institutions and organisations – most notably Amnesty International – which began working extensively on torture around this time. More concerted research on the immediately preceding period is therefore needed if we are to establish with any certainty at what

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point music entered into this equation, and whether or not it did so along a direct path from sensory deprivation experiments or via other routes.

15 This leads us, however, to a more fundamental question: Why music? Some have argued, and some survivors of this form of torture have concurred, that at some point constant loud music stops being music and is simply noise.23 So why music? Why music instead of, or as well as, any number of other types of noise which are unbearable even for short periods, the types of noise that immediately trigger in us the reaction to cover our ears, the type of noise the very thought of which triggers a physical reaction in us? There are several obvious answers to the question, including the matter of convenience – recordings may be available, a sound generator not; also, and as already mentioned, in some of these cases the primary use of music seems to have been to mask the evidence of torture, either acoustically or, vis-à-vis the jailers, psychologically. 24 There is a pressing need for more research on this question, which would consider not only the more recent known cases – here, meaning from the 1970s onwards – but also older examples as well. What this essay will try to do is suggest some further hypotheses on the basis of existing research on related topics; my conclusion, in fact, will be that far from being surprising, the relationship between music and torture runs deep. It is therefore time to look at some other pathways, including some which will lead us to consider examples from much earlier eras as well.

2. The military tradition pathway

16 The use of music to accompany torture and corporal punishment, particularly in public and semi-public contexts, has origins that lie long before the twentieth century, as can be seen in the case of practices surrounding crime and punishment in Europe from the Middle Ages up to roughly the era of the Enlightenment. Drumming in particular was a frequent accompaniment to executions, for example, and it is likely that other forms of formal or informal music-making, or closely related activities, characterised this and similar public displays of punishment as well. As most famously discussed by Foucault, the path of criminal justice in general since the eighteenth century has moved away from the spectacular and towards the custodial.25 Yet even where it is forced into the criminal underground, torture often retains many aspects of these earlier and most public practices. Moreover, the trend towards prohibition took longer in some cases than in others, so that there may even be seamless connections between older and newer forms of punishment, particularly when we extend the discussion to other aspects of social organisation in the groups in question.

17 This is particularly the case when we look at the role of the military. In Britain, flogging was only fully outlawed in the military in the 1880s, a significant time after such punishment had been prohibited in civil criminal law.26 In many countries across Europe, there was a close and long-standing relationship between music and military discipline and punishment; in some cases, this even extended to military drummers being charged with inflicting corporal punishment on their comrades, as well as the playing of particular music at execution ceremonies and at what in English are still known as drumming-out ceremonies, when soldiers were dismissed from the army in disgrace. Drumming-out ceremonies cannot be classed as torture, but the ceremony as such and the role of music within it was designed to humiliate the disgraced soldier, with the playing of the “Rogue’s March” and a not uncommon practice of his being led

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out of the barracks on a leash held by the smallest drummer-boy available. Such practices were fairly standard by no later than the second half of the eighteenth century. In such cases, music marks the importance of the occasion, not least since a vital function of these ceremonies was to serve as an example to others. I will discuss the use of music to humiliate, and as a symbol of dominant forces later. First, however, it is necessary to focus on larger issues of military organisation as these relate to developments in the security strategy of states from the later nineteenth century that would prove definitive and dreadful in the period to follow.

18 This development concerns a change in attitudes to civilian populations in a situation of war, a change that is interesting for historians of torture not least by virtue of the conclusions it draws about the nature and identity of enemies of the state, and how to deal with them. One of the most obvious testimonies to this change is the development, in several different contexts in the last years of the nineteenth century, of what were called concentration camps – a new way of organising and controlling “enemy” populations by collecting them all in one place; it was a practice that from the very start resulted in horrific mortality rates. Drawing on various sources including Isabel V. Hull’s study of the German Imperial army up to and including the First World War, Jonathan Hyslop has argued that the emergence of more and more brutal practices against civilian populations in colonial regions at this time was tied inextricably to the increasing professionalisation of European armies in the same period.27 The first concentration camps developed as a direct result of scorched earth policies used by the Spanish in Cuba, the British against the Boers in South Africa, the Germans in South- West Africa, and the USA in the Philippines; guerrilla warfare tactics used by some in the populations affected often became the justification for attacks on the civilian population, who were cleared or concentrated into camps set up for that purpose. This development underlines an attempt on the part of the commanding officers concerned to draw a distinction between the “barbarian” types of warfare practiced by the other side, and the types of “civilized” warfare which – so they claimed – were the only real space in which the newly developed Hague conventions on the treatment of prisoners of war and civilians in wartime could be applied. There is an obvious and disturbing continuity between such rhetorical attempts to side-step international law and the rhetoric of the Bush administration in the US, which classed suspected terrorists as neither civilians nor prisoners of war for exactly this reason.28 Such tactics are all too common: justifications for the use of torture are very often built on a similar logic, by arguing for an exceptional use of torture while upholding a general prohibition,29 and especially by classifying the victims as somehow outside of the normal social contract, either because they are hardened criminals, or simply because they are deemed dangerous on account of their national or ethnic background (the use of internment practices in wartime, like the early concentration camps, is one example of this; genocides, too, are often justified internally on these terms).

19 The importance of the development of camps such as these for the present discussion lies in the musical practices that, sometimes, went with them. Again this is an area where more historical and comparative work is needed, particularly to expand the existing basic data set that we have from studies into National Socialist concentration camps and the Soviet Gulag. Taking the former case as an example, however, it is striking how closely some of the official musical practices mirror their use in military contexts. Thus, we see what are to all intents and purposes military-style camp bands that play during role-call and while prisoners were marching to forced labour sites;30

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the use of forced singing in some of these contexts may also be based in part on military traditions of singing as an essential part of training and drill, which became firmly established in the French and US armies during the First World War.31 Also analogous to earlier military traditions, camp bands too played during executions, and in the context of torture and other forms of corporal punishment. As Caplan and Wachsmann point out in their introduction to a recent overview of histories of the concentration camp system, camps of all types were incredibly prevalent in National Socialist Germany, and reflected central tenets of the NS ethos regarding the promotion of the collectivity over the individual.32 A connection back to systems of military organisation can be traced here as well, not least if we consider their significance as models for youth organisations in the late nineteenth and early twentieth centuries (and it is perhaps not irrelevant here that music played a key role in German youth organisations, a role that became even more exaggerated under National Socialism). Moreover, research has pointed to the more general role of military role-models in various aspects of social and political life, including in the structure and organisation of prisons, from the nineteenth century.33 And this is before we even consider the fact that so many of the examples we have of torture in the twentieth century, and the use of music in that context, come from military dictatorships, or situations where prison guards and interrogators are themselves members of the military.

20 An Amnesty International report on torture in Turkey published in 1985 provides other evidence of why this is relevant. The report indicates extensive use of forced singing – mostly of marching songs – in prisons there. Generally, this happened in brief periods each day when prisoners were taken out into the open air, often immediately before they were subjected to violent physical beatings. The example below demonstrates that this type of “drill” was itself often used as a form of torture. Describing eleven months spent in Baǧlar prison, one survivor said The torture and violence here was even worse than in the police centre. Torture in the Baglar Prison became continuous and systematic about three or four months after the military takeover. Commandos took the prisoners out to the yard for air and made them go on all fours for hours on end and sing military marching songs. Then they beat and tortured them, again for long periods, with whatever they could lay their hands on: truncheons, sticks, iron rods ... After these “airings” many of the prisoners were carried into the dormitories unconscious. [...] If a prisoner did not shout or march well enough, did not sing the marches loudly enough or did not crawl properly, he was beaten right there and then in the presence of the other prisoners until he collapsed or fell unconscious.34

21 There are thus many plausible routes via which music could enter prison camps and other detention facilities as an extension of military traditions and practices. In the Gulag, in internment camps, and in the NS concentration camps, musical practices and activities were by no means limited to such contexts, and may not necessarily or initially have been motivated by the type of abject cruelty which often developed out of them. In such implicitly dehumanising contexts as these, however, – and indeed, in the context of armed conflict generally – any musical practice undergoes significant symbolic transformations which makes it amenable to use as a form of torture and CID punishment, as the next pathway will explore in more detail.

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3. The political communication pathway

22 As just discussed, the use of torture in the twentieth century is very frequently linked to, or justified by, the perception of a threat to the state by political opponents, rebel groups, or terrorists. This is not infrequently extended to cover anyone ostensibly connected to these by virtue particularly of birth, heritage, nationality, ethnicity, or religion. It thus becomes clear that how people are identified, how they identify themselves, and how this identity is communicated, is as important with regard to the dynamics of torture as it is central to the larger-scale political conflicts that provide the context.

23 The relevance of this factor for the subject of music torture has to do with the musical repertoires involved. Discourses on music and torture, like discourses on music and violence generally, very often lapse into a neoplatonic focus on genres perceived to be particularly aggressive or violent because of their formal structure, their lyrical content, or both. (Or to put it more brutally and openly: they focus in the first instance on heavy metal and rap). A survey of known examples of the use of music in connection with torture and CID punishment points to discrepancies between this and the reality of how music (and which music) and violence are connected. Very often, the choice of music used in the context of torture is very pertinent indeed, not however because of particular abstract structural qualities, but for reasons related to what the music represents in the framework of the conflict in question. This is the reason why we find so many references to prisoners being forced to sing either their own songs or the songs of those who are maltreating them,35 and this is likewise the reason why the impact of this form of treatment may go beyond the most direct physical consequences associated with such practices. It is also likely the reason why survivors may remember and specifically refer to such incidences when recounting what has happened to them.

24 Such a use of music presupposes that the connections between the groups in question and the songs that they sing, make others sing, or are forced to sing, are both strong and well-known. That what Ernst Klusen terms “group songs” are often associated with very strong emotional responses on the part of those singing them, is a mainstay of research into the social functions of song and singing, and is by no means limited to politically-defined groups.36 The concerted use of song in political and social movements, and to help delineate political entities and institutions up to and including the nation state, has roots in the importance of song as a medium in pre-literate societies but also becomes more prominent and more potent since roughly the mid- eighteenth century, for various reasons related to developments in general communications, and the emergence of new forms of network and new types of political agency within those contexts.37 And the more important a song is for a politically-defined entity, the greater the possibility that it be used in contexts related to, and in some cases culminating in, torture.

25 There are two main reasons why this is the case. The first links in neatly with the previous section’s discussion of the role of camps and other institutions and policies geared to controlling, or even eliminating, from a society elements within it deemed dangerous or useless. Re-education programmes are common in this context, and musical practices and activities often form a central component of these. In the case of both the NS concentration camps and the Soviet Gulag, music served several functions, including the attempt to portray the camps as spaces for cultural development rather

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than sites of maltreatment, illness, and death (this is another example of the way music can be used to try and mask evidence of torture, over and above masking the auditory evidence of victims’ screams). The idea that music can be morally edifying may or may not be the initial or official reason for its integration into reeducation programmes; the actual manner of deployment of music in such contexts may however fly in the face of this. Systems of what is called reeducation are rarely limited to exposing prisoners to “improving” elements: they are about imposing state ideology and doctrine, and systematically breaking down opponents to the point at which they no longer pose any threat. Indeed, it was the potential of other methods, particularly drugs, to this end that led to experimentation on mind control on both sides of the Iron Curtain discussed previously.38 The use of music, and particularly forced singing, is often a less sophisticated version of the attempt to impose a state ideology on a resistant person, but in many cases a method used systematically and cruelly, as suggested by recent reports on the treatment of followers of Falun Gong in the People’s Republic of China.39 The line between music and music torture in situations of “reeducation” can in some cases depend very much on the individual, with certain prisoners drawing strength from the opportunities they had to make or hear music, others however regarding this as a form of torture.40 It should be noted, as well, that the situation of imprisonment in particular, or punishment and discipline more generally,41 mark off such programmes from the use of music as a tool of political education in other cases: as with music and torture generally, the impact cannot be separated from the context within which the practice occurs.

26 The second reason why forcing people to listen to or sing politically charged music lends itself to use as a method of torture becomes very obvious when we look at other examples as well, not least where the enforced music is related to the identity of the prisoners themselves rather than songs related to the dominant ideology in the case in question (the “reeducation” excuse simply does not work in these cases). Such uses bring us, almost in conclusion, to two very general observations on the nature of torture that explain in a much more general if deeply disturbing sense why there is, in fact, nothing at all surprising about the use of music in such situations.

4. The humiliation pathway

27 Human rights standards implicitly link torture with what it terms “cruel, inhuman and degrading treatment or punishment”. What exactly is or is not covered by these latter terms is a subject of some debate, though generally speaking the range of situations and practices understood to fall into this category is expanding.42 Relevant for our own discussion is that while torture is generally considered to be a particularly grave form, torture is always cruel, inhuman, and degrading. Humiliation and mockery are almost invariably part of the picture.

28 This is also very true of the way music is used, or referenced, in this context. An interesting example of this is presented by some types of torture instruments that appear to have been widespread in the later Middle Ages, including what is sometimes called “the flute of shame”: this is a metal device with a hoop that is placed round the neck of the victim, whose hands are inserted into an opening in a long piece of metal protruding from it, much in the manner in which a musician would hold a clarinet, oboe, or recorder. The curved “bell” at the end of the instrument is only decoration:

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the instrument is not hollow and no sound is omitted from it. The screws the instrument features are not ornamental, however; presumably, they would be gradually tightened until the victim’s fingers were broken.43

29 Instruments such as the “flute of shame” and another in the general shape of a fiddle are far from music torture in the sense discussed here, yet are intrinsically connected to it by virtue of the common denominator of mockery and humiliation in the context of torture. Whether it takes the shape of a medieval flute or the form of a group of prisoners forced to sing and dance in front of their captors,44 humiliation and cruelty are linked here in a way they are not, or not necessarily, in a number of other customs and practices in a much larger field of connections between music, discipline, and punishment in different societies and subsections of those societies; these include local and traditional systems of justice that use music and song in the context of shaming practices that are central to the way the society functions.45

30 These are only some of the ways in which music, mockery, and humiliation are connected across the world, including in formalised and informal uses of musical communication to mock and poke fun at others. One of the most obvious of these also points to just how fundamental this relationship may be. This is the musicalisation of taunts, jibes, and insults inflicted typically by children on other children, sometimes in forms that are playful and humorous, but also in the much more serious context of bullying. Research into both prosocial (e.g. playful) and antisocial (e.g. bullying) forms of teasing interaction amongst younger children points to the prevalence of emphasised and repetitive speech and “singsong” intonations in marking such interactions (something to which most of us, I suspect, can relate). Many of these are harmless, and in the views of some researchers may even have an important role to play in socialisation and language acquisition.46 Nevertheless, this connection and in particular the power relationships that develop in the non-harmless versions, particularly in the protracted and oftentimes psychologically devastating form of bullying, bring us to another and final pathway.

5. The power performance pathway

31 Torture is more than the infliction of extreme violence. The definitions favoured in international human rights law point to several other factors that can be regarded as crucial for an understanding of what torture actually is and how it functions. In addition to its relationship to cruel, inhuman and degrading punishment, take for example the fact that the definition given in the Convention Against Torture limits torture in the legal sense to acts perpetrated by agents of the state.47 This delimitation is by no means completely unproblematic, since it provides potential loopholes not least in situations where there are power struggles within a state and the torture is committed by parties not actually in power at the time concerned. Human rights campaigners know only too well, however, that the fact that torture is being carried out by an agent of the state is by no means irrelevant to the experience of the person being tortured. For if the state, with its monopoly on violence and its duty to protect me, treats me in this way, to whom can I turn? Who can save me? The fact that, as John Conroy points out, torturers are very rarely brought to justice (the state protects its own), only serves to underline this point.48

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32 The relationship that exists between the torturer and the tortured, a relationship marked by the complete and absolute power of the former over the latter, is therefore one of the most definitive aspects of torture. And in a face-to-face situation such as this, how such relationships are formed, reformed, and expressed depends on a number of performative factors that give the cues to what is happening. A scene, or rather two linked scenes, from the award-winning documentary Songs of War may help clarify this. 49 The film follows the American songwriter Christopher Cerf, most well-known for his creations for the American children’s programme Sesame Street, as he attempts to understand how and why music – his own included – came to be used as an integral part of torture practices in US detention camps in the “War On Terror”. In one scene, Cerf meets a former US interrogator, Mike, at his home and discusses with him the features of what has been euphemistically termed “enhanced interrogation”, including subjection to music. Cerf then asks if he can experience something of what Mike is describing directly. In preparation for this role-play, Cerf is given a hood to wear, and Mike dons a mask. The scene cuts; in the new scene, we see the two men in the same setting as before, but their relationship to one another is utterly transformed. Testimony to this is not only the costumes they wear – the hood, the mask – but the speech patterns that guide their interaction. Mike speaks emphatically, and loudly: his voice has lost the constant modulations and subtle inflections of normal speech and has taken on the heightened and exaggerated tones of an expressive and angry outburst. Cerf may only speak when spoken to, and may only say what is expected of him. Their interplay, too, becomes heightened and exaggerated, as evidenced by the emphatic use of repetition: M.: Alright stupid. Listen, I got a few rules for you before you go down with me. Do you hear me? C.: I hear you. M.: First thing and last thing out of your mouth is “Sir”, do you understand that? C.: Yes, Sir. M. First thing and LAST thing out of your mouth is “Sir”, do you understand that? C. Yes, Sir. M. Try “Sir, yes Sir!”, dummy! C. Sir, yes sir. M. Goood! Second thing: Always have your palms out, do not ball a fist at me, or I’ll think you’re trying to hit me. If I thing you’re trying to hit me, I’ll rip your f***ing head off, do you understand me? C. Yes sir. M. Try “Sir, yes Sir!”, dummy! C. Sir, yes Sir! M. Good Lord, we got a dumb one ... Next thing, never be taller than I am tall, do you understand that? C: Yes Sir. M. Why are you taller than I am tall? Are you taller than I am tall right now? C. No sir. M. You’re not? You look taller than I am tall! C. Shall I get down, Sir? M. Very good, dummy. C. Okay, Sir.

33 I have transcribed the dialogue here, but suggest readers consult the relevant passage in the film in order to follow essential aspects of the delivery.50 For it is exactly the combination of tone of voice, pitch, rhythm, repetition, and gesture – categories which

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can equally be applied to the analysis of musical communication – which are so telling in this exchange. A heightened and obviously performative interaction such as this demonstrates only too well that verbal and musical communication are often only different stages on a discontinuous but nevertheless connected spectrum. When talking about the typical characteristics of situations of teasing and bullying amongst children, the connection is very obvious; socio-linguistic work on this topic takes the use of repetition, singsong, and other types of what I would term “musical” communication to present cues as to what is going on in the situation. In other cases, the use of musical or musicalised communication in similar contexts of scapegoating and mocking similarly mark off what is happening and may also indicate the importance of the situation concerned. Where such situations become an entrenched part of a culture’s system of justice (“culture” here can refer to such things as military culture, already discussed) the fact that acts of humiliation and even violence are embedded in the performance of a ritual, and thus legitimated by them, may make it easier for individuals to justify participation in acts which, in another context, would be subjected to very different social sanctions. That the performance discussed above is almost theatrical is thus by no means only because of the media representation of it: Mike is obviously acting out a role, but there is no reason to presume he would act it differently in a real situation of interrogation. The performance thus serves a dual function: to intimidate the prisoner, and to distance the interrogator psychologically from what he is doing.

34 Many readers may find interactions such as the one I have just described, and the preceding references to the singsong voice adopted by children in teasing, as too far removed from what they regard as music in the strict sense to be of relevance in an article discussing the use of music as torture. But even if we are to follow the centuries- old tradition of distinguishing, quite distinctively and emphatically, between different modes of human communication, expression, and interaction, rather than looking at their interconnections, it is not difficult to find other more obviously musical manifestations as well. Since structures of state-sanctioned power and dominance lie at the heart of the relationship between torturer and tortured, and since music often plays a key role in performing and constituting these structures both in the public eye and in personal experience,51 music and torture, it would seem, are not so far removed from each other after all.

35 The most important point here is a more general one. Music torture is perhaps unique amongst tortures in that it potentially brings benefits to the torturer simultaneously with pain and suffering for the prisoner. The word benefit seems a strange one to use in this case: its meaning is relative to the situation in which the torturer finds themselves, a situation in which they are to deliberately and remorselessly inflict excessive violence on a defenceless human being. They therefore have to overcome not only social and cultural, but possibly also more ingrained biological and emotional resistances to inflicting violence.52 Many of the ways in which music is used in the context of torture, including but not limited to its being played as a sort of soundtrack to violence, can be understood at least in part as a technique for facilitating or helping legitimise these acts. Generally speaking, there is a pressing need for more research into the use of music in the immediate preparation of violence, and at the moment of violence itself, in order to elaborate and test the fundamental theory governing this section – namely, that musical acts and practices in the broadest but also in the more narrow sense can

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become techniques used by humans to overcome any inhibitions they have about inflicting or condoning acts of great brutality.53

Conclusion: Pathways Out

36 This article has consciously adopted a broad understanding of what constitutes music, musical communication, and a musical activity or practice, as an essential prerequisite to covering not only the many types of connection that exist between music and torture, but also as a way towards understanding the history and logic behind these connections. It has discussed at least two fundamental forms of music torture, namely those in which music is inflicted on the subject (by being played from recordings, or by musicians at the sites of torture and ill-treatment) and those in which the music is produced by the subject themselves (typically in the form of forced singing). The use of music in connection with torture must, I argue, be situated within a broader discussion not only of torture generally but also of the role of musical activities and practices in other contexts of disciplinary and punishment rituals, including but not limited to severe forms of corporal punishment. The potential of music to humiliate and mock detainees is suggested as one of the prime reasons for recourse to music, and thus emphasises that both the choice of music actually used, and its impact, cannot be limited to discussions of abstract structural qualities of the music; for the same reason, a conflation of music with other techniques of what is often termed sonic warfare is not sufficient if we want to understand more about the dynamics involved in this or any other form of musical communication. More research on all of these topics is necessary, however, particularly with regard to the longer history of this phenomenon, and with a view to establishing not only the effects of music torture on the victim, but also on the torturer.

37 It may be that the use of music in connection with torture has become particularly prominent and widespread in the period since roughly the mid-twentieth century, not just – this is important – because of developments in sound recording and reproduction technologies, but also, as explored above, because of many other developments in the kinds of wars we fight, and against whom, and because of changes in the way that we think about torture and the impact of international campaigns against torture. Linking the pathways above would likely be media and communication pathways not limited to direct example and army instruction manuals, and these are pathways which, if the metaphor be allowed, develop over the course of the twentieth century into information superhighways.54 By the same token, it is also clear that amongst the many uses, functions, and effects of music in connection with torture, the connection between music and all forms of cruel, inhuman, and degrading punishment is a more fundamental one. For all these reasons, there are as many potential pathways away from music torture as there are leading towards it: these might include establishing guidelines on the use of music in detention, adjustments to existing legislation and interpretations of that legislation, increased public knowledge, and improved human rights training for public officials and members of the security forces. Experienced campaigners will read this list, however, and conclude that ultimately all these paths lead to a much bigger Rome indeed. For the historical evidence suggests that as long as there is torture, there will be music used in the service of torture. The answer, then, is

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easy to say, but less simple to achieve: Show me a world without music torture, and I will show you a world without torture.

NOTES

1. See particularly CUSICK, Suzanne G., “‘You Are in a Place That is Out of This World’: Music in the Detention Camps of the ‘Global War on Terror’”, in Journal of the Society for American Music, 2/1, 2008, p. 1-26; WORTHINGTON, Andy, “A History of Music Torture in the War on Terror”, available at http://www.andyworthington.co.uk/2008/12/15/a-history-of-music-torture-in-the- war-on-terror/, accessed 29 January 2012. 2. See particularly BRAUER, Juliane, Musik im Konzentrationslager Sachsenhausen, Berlin, Metropol, 2009; FACKLER, Guido, ‘Des Lagers Stimme’: Musik im KZ; Alltag und Häftlingskultur in den Konzentrationslagern 1933 bis 1936, Bremen, Temmen, 2000; FACKLER, Guido, “Music in the Concentration Camps 1933-1945” in Music and Politics 1/1, 2007, http://www.music.ucsb.edu/ projects/musicandpolitics/archive/2007-1/fackler.html, accessed 29 January 2013. 3. The examples I list below go back only (!) as far as the European Middle Ages, and most relate to a period from the later nineteenth century onwards. These are likely to be only the tip of the iceberg, however. As I have explored elsewhere, the connection between music, discipline, and punishment that has existed in military contexts from at least the late seventeenth century very probably has roots in much earlier practices, and may derive in part from Biblical sources. GRANT, M. J., “Music and Punishment in the British Army in the Eighteenth and Nineteenth Centuries”, in the world of music (new series), vol. 2/1 (June 2013), special issue Music and Torture | Music and Punishment, guest editors M. J. Grant and Anna Papaeti, p. 9-30. 4. “Planton” was the name frequently given to this technique in Latin America at this time. 5. AMNESTY INTERNATIONAL, Affidavits on Torture in Uruguay. Statements Made Before Notary Public in Mexico City by Uruguayan Victims of Torture, London, Amnesty International, 1978. For ethical reasons I have chosen not to state the name of the person concerned. 6. UNITED NATIONAL HUMAN RIGHTS COMMITTEE, Raúl Cariboni v. Uruguay, Communication No. 159/1983, 27 October 1987, section 4. The UN committee decided in this case that the complainant had indeed been tortured, though they did not specify to which aspects of his treatment this judgment applied. 7. A survivor of torture in Guatemala who spoke to Amnesty International provides another example, probably dating from 1980: “I should also add that when the men were torturing someone, so that the soldiers should know absolutely nothing about what was going on inside, they would put tape-recorders on at full blast and make it sound as though they were singing. That’s why when someone screams, when they are torturing him, these screams are simply not heard outside. They just hear the music they’re playing”. Interestingly, this comes in response to a question on how the survivor had known they were being held at an army installation; amongst other things, the survivor had heard “bugles and the shouting of the officers who were training the recruits”. AMNESTY INTERNATIONAL, Guatemala: A Government Program of Political Murder, London, Amnesty International, 1981, p. 18. Recognition that music could be used to this end is no new thing. In a nineteenth-century article in The Times relating to flogging in the British military an anti-flogging campaigner is reported to have claimed that the sound of loud drumming coming from an army barracks was designed to

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cover the screams of a man being flogged; this was disputed by some military figures. See GRANT, M. J., “Music and punishment in the British army in the eighteenth and nineteenth centuries, art. cit. 8. See e.g. CUSICK, Suzanne G., “‘You Are in a Place That is Out of This World’”, art. cit. 9. See PAPAETI, Anna, “Music, Torture, Testimony: Reopening the Case of the Greek Military Junta (1967-74)” in the world of music (new series), vol. 2/1, op. cit., p. 67-90. 10. “Musical qualities” could include, but are not limited to, melodic or emphasised tonal structure (including in speech), rhythm and repetition, coordinated movement, certain forms of gesture. It should go without saying that categories such as these are not necessary and sufficient conditions for music. 11. Discussions about what music “is” have a tendency to either be unwittingly specific or unnecessarily vague: steering a course between these two extremes is difficult. The reader might therefore want simply to hold on to the fact that in my view, reducing music to its sonic/acoustic dimension is an impoverishment that does not even begin to convey the complex mediations of all musical practice, and which may very often lead to aporias and contradictions in discussions about music. For an in-depth exploration of related issues see e.g. FUHRMANN, Wolfgang, “Towards a Theory of Socio-Musical Systems: Reflections on Niklas Luhmann’s Challenge to Music Sociology”, in Acta musicologica 83 (2011), p. 135-159, and FELD, Steven, “Communication, Music, and Speech about Music”, in Yearbook for Traditional Music 16 (1984), p. 1-18. 12. See for example FOLLMAR-OTTO, Petra, Die Nationale Stelle zur Verhütung von Folter fortentwickeln! Zur völkerrechtskonformen Ausgestaltung und Ausstattung, Deutsches Institut für Menschenrechte, 2013, available at http://www.institut-fuer-menschenrechte.de/uploads/ tx_commerce/ Policy_Paper_Die_Nationale_Stelle_zur_Verhuetung_von_Folter_fortentwickeln.pdf, accessed 8 July 2013, especially p. 6-10. 13. See “‘Human Rights Have Made a Difference’: An Interview with Manfred Nowak”, in the world of music (new series), vol. 2/1, op. cit., p. 91-98, especially p. 96. 14. Histories of human rights often trace a trajectory back to, amongst other things, the American Bill of Rights, the French Declaration on the Rights of Man, and even to the English Magna Carta. The result is often a picture of human rights as a western development, indebted to the spirit of the Enlightenment. This is however not a fair representation of the history of human rights nor indeed of the demographies of the committee which drafted the Universal Declaration of Human Rights. See GLENDON, Mary Ann, A World Made New: Eleanor Roosevelt and the Universal Declaration of Human Rights, New York, Random House, 2001. According to Glendon, the central intellectual figures were the Chinese philosopher Peng-chun Chang, and Charles Malik, likewise a philosopher, from Lebanon; she also points to the contributions made by, amongst others, the Pulitzer-prizewinning Filipino journalist Carlos Romulo and Hansa Mehta from India, who was a strong proponent of effective recognition of the rights of women in the Declaration, and who also pushed for legal measures to ensure the Declaration could be enforced. 15. EINOLF, Christopher J., “The Fall and Rise of Torture: A Comparative and Historical Analysis”, in Sociological Theory 25/2 (2007), p. 101-121. 16. McCOY, Alfred, A Question of Torture: CIA Interrogation From the Cold War to the War on Terror, New York, Metropolitan Books, 2006. 17. See for example SMITH, S. and LEWTY, W., “Perceptual Isolation Using a Silent Room”, in The Lancet 2/7098 (1959), p. 342-345, who draw in their introduction on research conducted at McGill University and Princeton. Subjects in this experiment reported various disturbances including panic attacks, and in one case hallucinations; some subjects asked to leave the experiment after only six hours. I have included this reference due to the general availability of this article, published in one of the world’s leading medical journals; references to further literature can be found in McCOY, op. cit. The Kubark Counterintelligence Interrogation manual, issued by the CIA in

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1963 and now widely available online, refers directly to the results of experimental work on sensory deprivation conducted at a number of institutions. As the authors of the manual write, “a principle source of aid today is scientific findings. The intelligence service which is able to bring pertinent, modern knowledge to bear upon its problems enjoys a huge advantage over a service which conducts its clandestine business in eighteenth century fashion. It is true that American psychologists have devoted somewhat more attention to Communist interrogation techniques, particularly ‘brainwashing’, than to U.S. practices. Yet they have conducted scientific inquiries into many subjects that are closely related to interrogation: the effects of debility and isolation, the polygraph, reactions to pain and fear, hypnosis and heightened suggestibility, narcosis, etc. This work is of sufficient importance and relevance that it is no longer possible to discuss interrogation significantly without reference to the psychological research conducted in the past decade” (McCOY, op. cit., p. 2). 18. Cage related this anecdote several times, including in the essay “”. CAGE, John, “Experimental Music”, in Silence: Lecture and Writings, Middleton, Wesleyan University Press, 1961, p. 7-12. In their paper, Smith and Lewty explain their choice of a carefully insulated room since “’white-sound’ generators, which blind out extraneous noises, are unsatisfactory because of the wide difference in frequencies which penetrate different establishments”, SMITH and LEWTY, op. cit., p. 342. Their detailed description of the care needed to isolate the room used does however underline my general point about the impracticality of this in most settings. 19. Noise, not music, was used in this case, and the literature on this topic generally presumes that music was not used in the case of interrogation and torture in Northern Ireland. However, another former prisoner whose sentence was only recently overturned, and who was not one of the fourteen at the centre of the case discussed here, has mentioned that music was played at the first interrogation centre he was brought to. This was in a school that had been adapted for the purpose: the music – played from a tape recorder between each interrogation cubicle – was apparently intended to make it impossible to hear what other detainees were saying during interrogation. See e.g. COBAIN, Iain, “Army ‘waterboarding victim’ who spent 17 years in jail is cleared of murder”, in The Guardian, Thursday 21 June 2012, available at http:// www.guardian.co.uk/law/2012/jun/21/army-waterboarding-victim-cleared-murder, accessed 29 January 2013. 20. Lord PARKER of Waddington (Chair), Report of the Committee of Privy Counsellors Appointed to Consider Authorized Procedures for the Interrogation of Persons Suspected of Terrorism, London, Her Majesty’s Stationery Office, 1972; see also NEWBERY, Samantha, “Intelligence and Controversial British Interrogation Techniques: The Northern Ireland Case, 1971-2”, in Irish Studies in International Affairs 20/1 (2009), p. 103-119, and CONROY, John, Unspeakable Acts, Ordinary People: The Dynamics of Torture, New York, Alfred A. Knopf, 2000. 21. “Although the five techniques, as applied in combination, undoubtedly amounted to inhuman and degrading treatment, although their object was the extraction of confessions, the naming of others and/or information, and although they were used systematically, they did not occasion suffering of the particular intensity and cruelty implied by the word torture as so understood.” EUROPEAN COURT OF HUMAN RIGHTS, Case of Ireland v. United Kingdom, Application No. 5310/71, Judgement, Strasbourg 18 January 1978, paragraph 167. 22. UN COMMITTEE AGAINST TORTURE, Concluding Observations of the Committee Against Torture: Israel. 05/09/1997. A/52/44, paras. 253-260. (Concluding Observations/Comments), paragraph 257. 23. See e.g. CUSICK, Suzanne G., “Musicology, Torture, Repair”, in Radical Musicology 3 (2008), http://www.radical-musicology.org.uk, accessed 31 January 2013. Responses to music in detention and in the specific context of torture are highly individual (as, indeed, are responses to music generally). For this reason, it would be misguided to suggest any general theory of the conditions under which music would stop being perceived as such and instead heard simply as noise.

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24. Many of these reports, including from Algeria and Paraguay as well as those already mentioned, state that the primary function of music was to drown out the sound of torture. But other reports show that the sound of music firstly did not always drown out the screams, and that secondly the music therefore only added to the horror for the victims. Thus, a survivor of torture in Turkey stated that “The screams which I heard coming from his room still ring in my ears. Screaming, crying, at the same time they play loud music. One can hear the torture screams of the others...”; another survivor interviewed in the same report takes a different view: “Sometimes the doors of the torture chambers were shut tightly and music was played very loudly in order to prevent the screams from being heard outside”. AMNESTY INTERNATIONAL, Turkey: Testimony on Torture, London, Amnesty International, 1985, p. 20, 48. See also footnote 15, above. 25. FOUCAULT, Michel, Discipline and Punish: The Birth of the Prison transl. by Alan Sheridan, New York, Vintage Books, 1979. 26. It is almost certainly not irrelevant for this study, though I am unable to go into it here, that corporal punishment continues to be tolerated or even explicitly allowed in the majority of countries around the world against another and much larger social group, namely children. 27. HYSLOP, Jonathan, “The Invention of the Concentration Camp: Cuba, Southern Africa and the Philippines, 1896–1907”, in South African Historical Journal, 63/2 (2011), p. 251-276. Exactly the same development – professionalisation in military structures and military organisation over the course of the nineteenth century – was in military historian John Keegan’s analysis a major contributory factor in triggering the Great War; see KEEGAN, John, The First World War, London, Hutchinson, 1998. 28. Also, by holding prisoners at sites not territorially belonging to the US, it was believed US domestic law on the treatment of prisoners did not apply either. 29. See for example DERSHOWITZ, Alan, “Tortured Reasoning”, in LEVINSON, Sanford (ed.), Torture: A Collection, Oxford etc., Oxford University Press, 2004, p. 257-280; see also the response in the same volume given by SCARRY, Elaine, “Five Errors in the Reasoning of Alan Dershowitz”, p. 281-290. 30. For a discussion of music and role-call and other aspects of musical life in the Gulag, see also KLAUSE, Inna, Musik und Musiker in sowjetischen Zwangsarbeitslagern der 1920er- bis 1950er-Jahre, doctoral dissertation, Hochschule für Musik, Theater und Medien Hannover, 2012. 31. See SWEENEY, Regina M., Singing Our Way to Victory: French Cultural Politics and the Great War, Middleton, Wesleyan University Press, 2001; and GIER, Christina, “‘Dixieland in France’: Deciding Musical Morality in American Military Culture during the First World War”, in HANHEIDE, Stefan, HELMS, Dietrich, GLUNZ, Claudia and SCHNEIDER, Thomas (eds.), Musik bezieht Stellung. Funktionalisierungen der Musik im Ersten Weltkrieg, Göttingen, V&R unipress, 2013, p. 161-174. 32. CAPLAN, Jane and WACHSMANN, Nikolaus, “Introduction”, in CAPLAN, Jane and WACHSMANN, Nikolaus (eds.), Concentration Camps in Nazi Germany: The New Histories, London/New York, Routledge, 2010, p. 1-16. 33. See here e.g. HUGHES MYERLY, Scott, British Military Spectacle: From the Napoleonic Wars through the Crimea, Cambridge, Mass./London, Harvard University Press, 1996, particularly Chapter 9; also the description of daily prison routine given in the introduction to FOUCAULT, Michel, Discipline and Punish: The Birth of the Prison, transl. by Alan Sheridan, New York, Vintage Books, 1979. 34. AMNESTY INTERNATIONAL, Turkey: Testimony on Torture, op. cit., p. 36-37. 35. To take just one relatively well-known example, this practice was used extensively against Bosnian Muslim and Croat detainees, who were forced to sing Serb nationalist and Chetnik songs, in Serb camps during the war in Bosnia Herzegovina in 1992; see references in KLIP, André and SLUITER, Göran (eds), Annotated Leading Cases of International Criminal Tribunals: The International Criminal Tribunal for the Former Yugoslavia 2001–2002, vol. 8, Cambridge, Intersentia, 2005, p. 417, 601, 620, 655, 1052.

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36. KLUSEN, Ernst, “Das Gruppenlied als Gegenstand” in Jahrbuch für Volksliedforschung, 12 (1967), p. 21-41; HEIMANN, Walter, Musikalische Interaktion: Grundzüge einer analytischen Theorie des elementar-rationalen musikalischen Handelns dargestellt am Beispiel Lied und Singen, Cologne, Musikverlag Gerig, 1982. 37. There is extensive literature on the role of music in social and political movements in the twentieth century in particular, and slightly less on the eighteenth and nineteenth centuries. Studies on music during the Reformation have also suggested that the Lutheran recourse to popular songs as a method of propaganda for the new faith had a considerable impact on the success of the Protestant cause; see e.g. OETTINGER, Rebecca Wagner, Music as Propaganda in the German Reformation, Aldershot, Ashgate, 2001. The case of Protestant church communities is an interesting one for demonstrating two related but distinctive factors relating to group song: firstly, before a period of widespread literacy and the spread of print media, songs fulfilled an important role in conveying information and moulding public opinion; secondly, the act not simply of listening to, but actively participating in singing in a group formed around an idea of religious, political, or national identity, would become more important with the emergence of new forms of public life and new forms of social networks from the early eighteenth century onwards. For a discussion of the connections between fraternal-type organisations in particular and the emergence of nationalism as reflected in group song, see GRANT, M. J., “Sung Communities”, in BICHER, Karin, KIM, Jin-Ah and TOELLE, Jutta (eds.), Musiken: Festschrift für Christian Kaden, Berlin, Ries & Erler, 2011, p. 81-93. See also Ron Eyerman and Andrew Jamison’s excellent study focusing on the civil rights movement, which also points to the long-term cultural impact of protest music: EYERMAN, Ron and JAMISON, Andrew, Music and Social Movements: Mobilizing Tradition in the Twentieth Century, Cambridge, Cambridge University Press, 1998. Perhaps the most telling example of the role of song in political movements relates to the 1920s in Germany, when confrontations including street battles between National Socialist and Communist fractions often had a specifically musical element: in one case, Nazis marching through the left-wing area of Pankow in Berlin sang the workers’ movement anthem The Internationale with adapted words, and were bombarded with flowerpots and other missiles. DITHMAR, Reinhard, “Das ‘gestohlene’ Lied. Adaptionen vom Liedgut der Arbeiterbewegung in NS-Liedern”, in NIEDHART, Gottfried and BRODERICK, George (eds.), Lieder in Politik und Alltag des Nationalsozialismus, Frankfurt am Main, Peter Lang, 1999, p. 17-34. 38. MCCOY, Alfred, A Question of Torture: CIA Interrogation From the Cold War to the War on Terror, New York, Metropolitan Books, 2006. 39. Many of these reports, which can easily be found online, focus on “The Same Song”, a Chinese pop song from the early 1990s that provides the title and title track to a music programme on China’s main television channel CCTV. When it was reported that the song was to be performed live on stage at an event in Toronto in 2006, there were protests from many refugees who had been tortured for their affiliation to Falun Gong, and who said that the song was a central component in the brainwashing programmes to which they were subjected. I have been unable to find any studies collaborating or discussing this specific example. 40. As well as the literature on the NS concentration camps listed above, see e.g. KLAUSE, Inna, “Music in radio broadcasts in the Gulag”, in GRANT, M. J. and STONE-DAVIS, Férdia J. (eds.), The Soundtrack of Conflict: The Role of Music in Radio Broadcasting in Wartime and in Conflict Situations, Hildesheim, Olms-Verlag, 2013, p. 13-23. 41. Here I am thinking particularly of what appears to be a widespread practice of using singing as a form of punishment in schools. I am unable to go into this subject in detail here, though it is worth pointing out that in terms of institutional environment, the imbalance in the power relationship between children and their teachers, and the difficulties children may face in responding to or complaining about acts of violence against them, the case of punishment in schools and in prisons may not be as far removed from each other as it may first appear.

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Similarly, although my focus in this article is on prisons and prison camps, the prevalence of treatment amounting to torture or CID punishment in other institutional environments – including homes for older people and for the disabled – also needs to be considered in future work. 42. On the general question of definition, NOWAK, Manfred, Torture and other cruel, inhuman or degrading treatment:Report of the Special Rapporteur on the question of torture, UN Economic and Social Council Commission of Human Rights, sixty-second session, UN doc E/CN.4/2006/6, December 2006, section IV. Human rights advocates often now use the term CID punishment in connection with extremely poor conditions of detention in prison, e.g. severe overcrowding and lack of access to basic sanitation and health care. 43. Existing examples of this instrument are held in the Torture Museum in Amsterdam and in the Fortress Museum in Salzburg, amongst other places. 44. As for example in this report from the Philippines in the early 1980s: “The soldiers began drinking and interrogated the prisoners who were forced to sing while the soldiers used their heads as drums, beating them with two-inch square wooden battens until they bled. The prisoners were made to dance; ordered to remove their trousers; to masturbate and kiss and punch each other.” AMNESTY INTERNATIONAL, Report of an Amnesty International Mission to the Republic of the Philippines, 11-28 November 1981, London, Amnesty International, 1982, p. 29. 45. An example of this is offered by the so-called Hakkamat, female bards of the nomadic Baggara living for the most part in North and South Sudan. The various tasks fulfilled by the Hakkamat include literally singing the praises of, or alternatively deriding, men for their courage or cowardice. A negative decision by the Hakkamat as to a man’s worthiness can resonate for generations and even lead to his being excluded from the community. The Hakkamat came to notoriety because of the apparent complicity of some Hakkamat in acts of genocide in Darfur; this one-sided appraisal of their role has however been criticised. Due not least to the conflict in the region, there is little recent in-depth work on the social functions, roles and positions of the Hakkamat. For a survey and contextualisation of available literature, including references to similar traditions in other societies, see JACOBS, Mareike, “Die Hakkamat und ihre soziale Rolle in der Gemeinschaft der Baggara”, unpublished M. A. thesis, Georg-August-Universität Göttingen, 2011. 46. See e.g. MILLER, Peggy, “Teasing as language socialization and verbal play in a white working-class community”, in SCHIEFFELIN, Bambi. B. and OCHS, Elinor (eds.), Language socialisation across cultures, Cambridge, Cambridge University Press, 1986, p. 199-212; HARWOOD, Debra, BOSACKI, Sandra and BORCSOK, Kristina, “An investigation of young children’s perceptions of teasing within peer relationships” in International Electronic Journal of Elementary Education, 2(2) (2010), p. 237-260. 47. “For the purposes of this Convention, the term ‘torture’ means any act by which severe pain or suffering, whether physical or mental, is intentionally inflicted on a person for such purposes as obtaining from him or a third person information or a confession, punishing him for an act he or a third person has committed or is suspected of having committed, intimidating or coercing him or a third person, or for any reason based on discrimination of any kind, when such pain or suffering is inflicted by or at the instigation of or with the consent or acquiescence of a public official or other person acting in an official capacity. It does not include pain or suffering arising only from, inherent in, or incidental to lawful sanctions.” United Nations Convention against Torture and Other Cruel, Inhuman or Degrading Treatment or Punishment, Article 1/1. For a discussion of the UN definition and how it relates to recent US attempts to redefine torture, see NOWAK, Manfred, “What Practices Constitute Torture? US and UN Standards” in Human Rights Quarterly 28/4 (November 2006), p. 809-841. 48. CONROY, John, op. cit. 49. Songs of War, dir. Tristan Chytroschek, 2011.

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50. The relevant passage (including the preceding discussion) is at around fifteen minutes into the film. At the time of writing the film can be viewed online in an English version at http:// www.aljazeera.com/programmes/aljazeeraworld/2012/05/201253072152430549.html and in a German version starting at http://www.youtube.com/watch?v=lnTn_3gWd_g, both accessed 31 January 2013. 51. See GRANT, M. J., “Sung Communities”, in BICHER, Karin, KIM, Jin-Ah, and TOELLE, Jutta (eds.), Musiken: Festschrift für Christian Kaden, op. cit., p. 81-93. 52. This interpretation follows the work of COLLINS, Randall, Violence: A Microsociological Theory, Princeton, Princeton University Press, 2008. 53. Recognition of the potential benefits of music for management of the emotional impact of active combat lies at the heart of music’s use in the modern military, particularly since the First World War: military music has a place comparable to the role offered by religious chaplains in the psychological services offered to serving soldiers in a number of armies. It is worth pointing out here that, far from being a simple case of “inspiration for combat” – to quote a chapter title given by Jonathan Pieslak in his, in this regard, sadly superficial work on American soldiers in Iraq – available evidence suggests that music is used to manage the fear associated with combat, to alleviate the stress associated with long periods of service in a combat zone, and to help deal with experience of being both a potential perpetrator and victim of violence. PIESLAK, Jonathan, Sound Targets: American Soldiers and Music in the Iraq War, Bloomington, Indiana University Press, 2009. For a different contemporary case study, based on the experience of German soldiers in Afghanistan from the perspective of a military musician who served there (the background situation being very different in that the troops in this case were there primarily to support and reestablish local security forces, rather than engage in active combat), see KRINER, Karl, “Alizée und der Fisch: Musikerfahrungen im Einsatzland Afghanistan”, in SCHRAMM, Michael (ed.), Musik in Fremdwahrnehmung und Eigenbild, Bonn, Militärmusikdienst der Bundeswehr, 2009, p. 137-143. Studies of the Holocaust have pointed to a concerted promotion of music and other forms of entertainment in an attempt to counteract the psychological fall-out of executing men, women, and children by shooting; see e.g. BROWNING, Christopher, Ordinary Men: Reserve Police Battalion 101 and the “Final Solution” in Poland, New York, Harper Collins, 1992, especially p. 13-14, 112-113. 54. Hyslop, for example, points to the role of developments in the media in both triggering a debate on atrocities committed in the colonies but also in spreading information about newer techniques involved, such as the use of concentration camps. HYSLOP, Jonathan, art. cit.; on the influence of media reports of British concentration camps in South Africa on early Soviet policy, see also HOLQUIST, Peter, “Violent Russia, Deadly Marxism? Russia in the Epoch of Violence, 1905–21” in Kritika: Explorations in Russian and Eurasian History 4/3 (Summer 2003), p. 627-652. Media developments would certainly accelerate the rate of exchange on military tactics which had, however, been going on for centuries.

RÉSUMÉS

Cet article s’attache à décrire le développement et la logique présidant à plusieurs usages de la musique en relation avec la torture, ainsi que d’autres formes de traitements cruels, inhumains et dégradants, suivant cinq directions distinctes, quoiqu’interconnectées : 1. la privation sensorielle, dérivant d’expérimentations en matière de torture psychologique menées durant la

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Guerre froide 2. la tradition militaire, inscrivant l’usage de la musique contre les prisonniers dans l’histoire plus longue de la musique comme discipline dans l’armée 3. la communication politique, relative au rôle central de la musique dans la formation et la communication d’identités politiques et, par conséquent, les conflits autour de ces identités 4. l’humiliation, envisageant le contexte plus large de l’usage de la musique dans les pratiques de moquerie et d’humiliation informelles ou institutionnalisées 5. la performance du pouvoir, réfléchissant à la relation entre le tortionnaire et sa victime. Les formes de torture musicale dont il est question dans cet article incluent l’exposition à de la musique diffusée fort, le chant forcé, et l’utilisation de la musique en rapport avec d’autres formes d’activité physique imposée.

This paper traces the development and logic of several uses of music in connection with torture and other forms of cruel, inhuman and degrading treatment along five distinct but interconnected pathways: i. the sensory deprivation pathway, deriving from experiments with psychological torture carried out during the Cold War period; ii. the military tradition pathway, situating the use of music against prisoners in the longer history of music and discipline in the military; iii. the political communication pathway, relating to the central role of musical practices in the formation and communication of political identities, and thus in conflicts surrounding those identities; iv. the humiliation pathway, looking at the larger context of the use of music in both informal and institutionalized practices of mockery and humiliation; v. the power performance pathway, reflecting on the relationship between the torturer and the tortured. Forms of music torture that are discussed in the article include exposure to loud music, forced singing, and the use of music in connection with other forms of enforced physical activity.

INDEX

Mots-clés : torture, torture musicale, traitements et sanctions inhumains et dégradants, chant forcé, droits humains Keywords : torture, music torture, cruel, inhuman and degrading treatment or punishment, forced singing, human rights

AUTEUR

MORAG JOSEPHINE GRANT

Morag J. Grant (b. 1972 in Scotland) studied musicology in Glasgow, London and in Berlin, where she is based. From 2008-2014 she was junior professor of musicology at the University of Göttingen, where she founded and led the research group “Music, Conflict and the State”. She has written extensively on music and armed conflict and on music in the context of punishment and torture. Her other research interests include the theory and aesthetics of new and experimental music, the social functions of song and singing, and the historical anthropology of music, particularly of Scotland and Britain. Her first book, Serial Music, Serial Aesthetics: Compositional Theory in Post-war Europe was published by Cambridge University Press in 2001; a second book, Auld Lang Syne: A Song and Its Culture, is awaiting publication. She is currently writing a third monograph on the social musicology of war (www.mjgrant.eu).

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Varia Musique et conflits armés avant 1945

Music and Armed Conflicts before 1945

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Mourning at the Piano: Marguerite Long, Maurice Ravel, and the Performance of Grief in Interwar France Faire son deuil au piano : Marguerite Long, Maurice Ravel et l’expression du deuil dans la France de l’entre-deux-guerres

Jillian Rogers

Introduction

1 In a letter to Alexis Roland-Manuel of October 1, 1914, Maurice Ravel writes, “I can’t remain without news from my friends. From time to time I receive some frightful news, indirectly, which is then denied two days later. That's how I learned of Captain Marliave's death, and I don't dare write to his wife.”1 Captain Marliave's wife was the esteemed French virtuoso pianist and pedagogue Marguerite Long, who was Ravel’s close friend and preferred pianist in the years after the war. She premiered both his Le Tombeau de Couperin in 1919, and his Piano Concerto in G in 1932. In this same letter to Roland-Manuel, Ravel says that he has just begun working on the Tombeau, the neo- classical piano suite in which he dedicates each movement to a friend who died during the war. The suite's final movement, a rapid-fire, technically-demanding “Toccata,” bears a dedication to the man whose death he mentions in this letter, Joseph de Marliave, who was killed on the front lines on August 24, 1914.

2 The premiere of Ravel’s Tombeau took place four and a half years later on April 11, 1919, at a Société Musicale Indépendante concert in the Salle Gaveau. Considering the suite’s dedications, how long it took the Tombeau to receive its first performance, and the fact that this was Ravel’s first public appearance since finishing his wartime military service, it was surely an emotionally-charged evening for many in the hall that night, including the composer. Present on the concert program, as well as in the audience,

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was a virtual “who’s who” of Ravel’s Parisian social circle, a large number of whom had served in the war or lost someone close to them during the war’s tenure. Ravel’s good friend, the violinist Hélène Jourdan-Morhange, performed in Roland-Manuel’s Trio, while the soprano Jane Bathori—also a close friend and one of Ravel’s favorite singers— sang several songs by Gabriel Grovlez. Florent Schmitt’s Quintette was also on the program, and Gustave Samazeuilh, Raoul Brunel, and Jean Marnold were in the audience.2 Considering their involvement with the Société Musicale Indépendante at the time, Gabriel Fauré, Louis Aubert, André Caplet, Jean Huré, Charles Koechlin, Jean Roger-Ducasse, and Nadia Boulanger were likely in attendance as well.3 We might imagine that Mme Fernand Dreyfus—Roland-Manuel’s mother and Ravel’s marraine de guerre—was present, especially since Ravel composed much of the suite while staying at her home in Lyon-la-Forêt during the summer and fall of 1917, a sad summer for Ravel since he was grieving his mother’s death, which had occurred earlier that year.4 Moreover, Mme Dreyfus’s stepson, Jean, was the dedicatee of the Tombeau’s fifth movement. The family members of the other people to whom Ravel dedicated the Tombeau’s movements were also likely in the Salle Gaveau that April evening, since Ravel was in most cases closer friends with the people who survived the dedicatees than the soldiers themselves. This was the case, for instance, with Jacques Durand, Ravel’s publisher and the cousin of Jacques Charlot, to whom Ravel dedicated the Tombeau’s “Prélude,” as well as with Louise Crémieux, the Parisian socialite who had helped bring L’Heure espagnole to the Opéra-Comique in 1911, and whose son, Jean Cruppi, was the dedicatee of the suite’s “Fugue.” And, of course, there was Marguerite Long at the piano.

3 By the time of Le Tombeau de Couperin’s premiere in 1919, Long and Ravel had been friends for quite some time. They had known each other from at least 1910, when Ravel had asked Long to recommend two students to premiere his Ma Mère l’Oye.5 Before the war the two musicians frequently saw each other at musical and social events since they had a number of friends and musical acquaintances in common. Although there is no extant correspondence between Ravel and Long from before the war, Ravel addresses Long as “Chère amie” in a letter dated July 1918, which indicates that the two had been fairly close for some time.6 After the war, Ravel and Long frequently toured together, especially with Ravel’s Piano Concerto in G, and also continued to share the same group of friends, which included Nadia Boulanger, Ida Rubinstein, Hélène Jourdan-Morhange, Roland-Manuel, Marguerite de Saint-Marceaux, Lucien Garban, Darius Milhaud, Germaine Tailleferre, Francis Poulenc, and numerous other musicians, performers, and socialites living in Paris in the late teens, 1920s, and 1930s.

4 Although Ravel had finished composing Le Tombeau de Couperin in November 1917, he waited for almost a year and a half—through several scheduling mishaps and a number of Long’s ailments—so that she could give the piece’s first performance. He even overlooked a number of other talented performers who could have given the premiere, including likely candidates Edouard Risler and Robert Casadesus.7 Hélène Jourdan- Morhange referred to Ravel as an “incomparable friend” and explained that once he had decided that a friend would premiere a piece, he remained unmoved by offers from even the greatest musical celebrities.8 While this may have accounted for Ravel’s holding out for Long to give Tombeau’s premiere, a letter Ravel wrote to Long on January 14, 1920 suggests another reason. Ravel writes, “I’ve begun to work again in a furious manner, as before. … As before, but not quite: the last time was in St-Jean-de- Luz… No one better than you can understand my awful sadness.”9 Although Ravel

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declines to say it directly, Long had to have known what he meant: the “before” to which Ravel referred was his last intensely productive period of compositional activity during the summer of 1914, which he had spent at St-Jean-de-Luz with his mother. For both Ravel and Long, the summer of 1914 was a happier time that was now tragically irrecoverable. It was a time before the dark years of the war when, amongst other tragedies, Long lost her husband and Ravel lost his mother. Clearly, Ravel expresses his sadness to his friend because he knows that she sympathizes with him.

5 In light of the close friendship that Ravel and Long shared in the years after the war, Ravel’s Le Tombeau de Couperin, like his sympathetic letter to Long, can be understood as an expression of shared mourning. In the article that follows, I propose that Ravel’s experience of mourning during and after World War I significantly informed this neo- classical piano suite.10 I argue that Ravel designed this piece as a musical gift for Long that not only acknowledged their shared experience of mourning, but also provided Long with a means of comfort and momentary relief from the pain of her grief. Specifically, I propose that Ravel composed his Tombeau in order to suit Marguerite Long’s preferred style of piano playing—le jeu perlé—and her modality of practice, both of which I will demonstrate were particularly well-suited to helping her cope with the death of her husband. Moreover, analysis of the Tombeau within the context of other compositions written for Long in the years immediately following her husband’s death, and other compositions Ravel wrote for friends in mourning during these years, suggests that the difficult-to-perform, highly repetitive, and rhythmically regular music that characterizes Ravel’s Tombeau may have been understood by musicians in their circle to have therapeutic potential for at least some living with and attempting to manage the emotional turmoil brought about by grief.

Ravel’s Circle and Resistant Mourning in World War I- Era France

6 During World War I new social rules for mournful display arose that made the open expression of personal grief within Ravel’s circle more difficult than it had been previously. Social historian Philippe Ariès has argued that French attitudes towards death shifted at some point between the late-nineteenth and mid-twentieth centuries, observing that the “hysterical mourning” of the nineteenth century, in which mourning rituals were “unfurled with an uncustomary degree of ostentation,” disappeared at some point in the twentieth century.11 “Too evident sorrow” came to be disdained, leaving “solitary and shameful mourning” as “the only recourse, like a sort of masturbation.” Ariès observes that funeral ceremonies needed to “remain discreet and must avoid emotion” and that “the outward manifestations of mourning are repugned and disappearing.”12 The shift that Ariès describes is evident in the funeral accounts, obituaries, and other reporting on musicians’ deaths in Parisian daily newspapers and weekly or monthly music journals published between 1875 and 1925. An examination of these articles demonstrates that the ways in which mourning was depicted and expressed, as well as the ways in which people affectively responded to mourning, changed specifically during World War I.13 Prior to August of 1914, writers for the Parisian press sought to sympathetically recreate mournful affect in their readers by focusing on grief and mourners, and using first-person proclamations of grief. During the war, however, coverage of musicians' deaths became extraordinarily

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dry, emotionally detached, and formulaic. Impersonal lists of State officials present at funerals replaced detailed descriptions of mourners, and mourners began to articulate their sorrow in collective or national terms rather than in first-person narratives.14 This shift in the printed reactions to musicians’ deaths both shaped and was shaped by nationalist wartime discourses—including trench newspapers and governmental speeches lauding the value of war widows—that suggested that the most grievable lives were those of soldiers who had died for France.15

7 In their correspondence, several people in Ravel’s social circle articulate the guilt and shame that they felt about their expressions of grief during the war. Emma Debussy almost constantly apologizes to friends to whom she writes about her grief after the deaths of her husband in March 1918, and her 13-year old daughter Chouchou in July 1919.16 While mourning her husband, Emma Debussy writes to André Caplet and shares how much she is suffering, but clarifies that he should not believe that she has forgotten “all the heroes who have struggled for years.” She apologizes for grieving so openly, and writes that she is “certain that [she’s] annoying everyone with [her] sorrow.”17 Less than a year and a half before her own death, Chouchou Debussy sheds light on her mother’s concerns with emotional display, and demonstrates the extent to which she was painfully aware of the social moratorium on direct expressions of grief. In a letter to her half-brother, she writes, “At the cemetery, Maman could not have controlled her feelings any better. As for myself, I could think of nothing but one thing: ‘You must not cry because of Maman.’ And so I gathered all my courage … I did not shed one tear.” Chouchou articulates the emphasis placed on keeping mourning to oneself in private as well, writing that “I wanted to burst into a torrent of tears, but I repressed them because of Maman. Alone throughout the night in the big bed with Maman, I was unable to sleep one minute. I developed a temperature, my dry eyes questioned the walls.”18 Chouchou represses her grief because she knows that her mother cannot explicitly express hers, especially in this particular wartime context in which mourners’ bodies were expected to appear as if nothing had happened. This is a phenomenology of grief felt as constraint, as an indescribable pain that wells up inside a mourner’s body with no place for release. Such pain often only grows in attempts to conceal or repress it, as evidenced by Chouchou’s statement that, several days after her father’s death she feels her grief “all the more poignantly.”

8 Another indication of the shame associated with grief during the war is the tendency of some people in Ravel’s and Long’s circle to judge harshly friends who grieve too openly or too much. Jean Roger-Ducasse offers an example of this in his criticism of Marguerite Long’s grief. Although he had been close friends with her husband and was mourning his death as well, Roger-Ducasse chastises Long for not being able to contain her grief, referring to her as “obscenely egotistical,” in part because she dwells on her negative emotions and shares them with others: “And then everything is awful, everyone is horrible, clergy, courts, army. This woman, she is the inverse of Pangloss.” 19 And on another occasion, he disdainfully points out her expression of sorrow as a cause for reproach: “She is more and more the same, with the same exaggerations, the same unhappy feelings.”20 Similarly, Marguerite de Saint-Marceaux, a socialite, pianist, and a friend of Boulanger, Long, and Ravel, criticizes Ravel and his brother for their behavior at their mother’s funeral, writing that, “both were in utter turmoil, incapable of reaction or self-control. A lamentable and distressing spectacle at this time when heroism displays itself as naturally as breathing.”21 According to Saint-Marceaux, the

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Ravel brothers’ reaction to their mother’s death was not only unheroic, but also decidedly unnatural—especially, she implies, for two soldiers.22 For at least some of Ravel’s friends, then, the open expression of grief engendered the contempt, disdain, and shame of others.

9 In part, these new social rules for mourning led Ravel, Long, and many people in their social circle to adopt a style of mourning that has been termed “resistant” by psychoanalytic theorists, critical theorists, and cultural historians.23 Rather than striving to cut the libidinal ties that connected them to lost loved ones, these mourners enact a refusal to accept the loss and subsequent absence left by the death of a person close to them. Resistant mourning is sometimes an ethical or a political choice—as it is for Jacques Derrida and Patricia Rae, amongst others—that a mourner makes in order to avoid unjustly (mis)representing the person she has lost, or to use that loss as a means to enact social or political change.24 In other instances, the unspeakability of a loss, whether caused by guilt, shame, ambivalence, or resulting from social strictures that inhibit mourning, leads the mourner to subsume an object representation into their ego in a way that makes it difficult for the mourner to move past and accept fully the loss.25 According to post-Freudian theorists Nicolas Abraham and Maria Torok: “Inexpressible mourning erects a tomb inside the subject. Reconstituted from the memories of words, scenes, and affects, the objectal correlative of the loss is buried alive in the crypt as a full-fledged person, complete with its own topography.”26 The psychically internalized lost person then returns to “haunt” the mourner, often preventing him or her from fully accepting the loss.

10 The psychoanalyst Vamik Volkan explains that perennial mourners—his term for resistant mourners—usually betray the presence of the introject that haunts them through a number of common behaviors. In his decades-long study of hundreds of cases of mourning, he observes that perennial mourners’ fixations on loss often produce a tendency to lose or misplace things. In addition, many perennial mourners use terms like “frozen” to describe their dreams and a general sense of being hopelessly static within their mourning process. Furthermore, perennial mourners typically focus on death, tombs, or cemeteries, obsessively read obituaries, and often talk about the person being mourned as if she or he is still present and watching over them. Particularly striking is perennial mourners’ frequent development and subsequent use of what Volkan calls “linking objects.” He argues that “through the creation of a linking object or phenomenon, the perennial mourner makes an ‘adjustment’ to the complication within the mourning process; the mourner makes the mourning process ‘unending’ so as not to face their conflicted relationship with the object representation of the deceased or lost thing.”27 Volkan specifies that a linking object can be “a song, a hand gesture, or even a certain type of weather condition,” but that no matter the object or objects chosen, the perennial mourner experiences these as “magical” objects that link them to the deceased person, serving as an “external bridge between the representations of the mourner and that of the lost person, just as the introject serves as an internal bridge.”28

11 Ravel and numerous people in his circle engaged in many of the behaviors Volkan describes. Ravel was particularly known, for instance, for misplacing things in the years after the war, as Marguerite Long recalls in her accounts of going on tour with Ravel in the 1920s and 1930s.29 But all the more striking are the archival materials of Marguerite Long and Nadia Boulanger, which demonstrate each woman’s obsession with reading

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and collecting obituaries. Marguerite Long, for instance, wrote a fair number of obituaries—including ones for Ravel, Ida Rubinstein, and the pianists Dinù Lipatti and Émile Sauer—but also collected and kept an extraordinarily large number of obituaries and funeral accounts. She collected as many as twenty press clippings after the sudden death in 1953 of her friend and business partner Jacques Thibaud. In addition, her archive contains various articles devoted to the deaths of Émile Sauer, Florent Schmitt, Anna de Noailles, Dinù Lipatti, and Paul Dukas.30 Roger-Ducasse confirms Long’s preoccupation with scanning the papers for obituaries and other news items related to her husband’s death in a 1915 letter he wrote to Lambinet, “Then Marg[uerite] shows us in Le Temps and Le Matin, the citation of our poor Jo…then Bruneau’s article in Nouvelle Revue, then there was another in I don’t know what.”31

12 Like Long, Nadia Boulanger was preoccupied with obituaries and funeral accounts. She kept quite a few obituaries that were printed after her sister Lili’s death, as well as a scrapbook devoted entirely to articles on the death of her very close friend and fellow performer Raoul Pugno, with whom she was composing La Ville Morte when he died suddenly in January 1914.32 Boulanger’s scrapbook dedicated to Pugno’s death includes forty-seven pages of obituaries, funeral accounts, and other articles related to the pianist’s death in six languages. Although she may have used a press clipping service for obtaining these excerpts, her handwriting appears underneath each one with the date and name of the newspaper in which the piece was found, demonstrating that she played an active role in constructing this memento.33 In addition, Hélène Jourdan- Morhange, one of Ravel’s close friends and favorite performers, wrote quite a few obituaries, and also lovingly created two scrapbooks in memory of her friendship with Ravel: the first in relation to Ravel’s Sonata for Violin and Violoncello and the other surrounding the composition of his Sonata for Violin and Piano. Both scrapbooks include a manuscript autograph of the score, and several letters from Ravel to Jourdan- Morhange in which he refers to the composition included in the scrapbook.34 These items demonstrate the strong need she felt to memorialize her friend after his death.

13 During and after the war, Ravel, Long, Emma Debussy, and Marguerite de Saint- Marceaux also demonstrate their resistant mourning through the frequent use of expressions in their correspondence, diaries, or memoirs indicating that they feel “stuck” in endless grief. Ravel’s mother’s death in January 1917 deeply affected him, leading many of his friends to assert that her death was not only a shocking blow at the time, but also a loss from which he never fully recovered.35 Much of Ravel’s correspondence after his mother’s death bears the markers of his deep and continuing grief over the loss of his mother, which Roger Nichols has argued was at least somewhat inflected by the guilt that Ravel must have felt after having left his mother alone—without the presence of either her husband, who had died in 1908, or of her sons, both of whom enlisted once the war broke out—in the last year of her life.36 Ravel writes to Manuel de Falla in September of 1919 to offer his condolences on the death of his mother, and tells him that he hasn't yet “pulled himself together,” but that he hopes that his grief “will finally subside in the long run.”37 Just three months later, Ravel writes to Ida Godebska that, “I'm thinking that it will soon be 3 years that she's been gone, and yet my despair increases daily.”38

14 Many of Ravel’s closest friends after the war similarly allude to feeling trapped in infinite mourning. For instance, Marguerite Long refers to the three years after her husband’s death as a time in which she was “buried” or “trapped” in her mourning.39

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Similarly, Emma Debussy refers to her grief after the death of her husband as a “labyrinth of pain,” and tells Marguerite Long after Chouchou’s death that “the horrible nightmare” that she feels “so deeply in me,” leaves her no longer knowing where she is.40 Both phrases indicate her inability to move past or even see outside of her current state of mourning. Likewise, Marguerite de Saint-Marceaux repeatedly refers to endlessly mourning her husband, who died in April 1915. She writes almost six months after his death, for instance, that she senses that she is “in a moral distress” that she will “never be able to overcome.”41

15 For this group of people, continuing to grieve—even if this experience was painful— was a way to keep their dead loved ones alive: it offered them a means to continue to connect with them, to not forget them, and, in not facing the loss as a loss, to avoid feeling the pain associated with that loss. There was even a paradoxical pleasure to be felt in this mournful existence, as Marguerite de Saint-Marceaux describes in her journal three months after her husband’s death as “a painful melancholy but with pleasure.” It is in this particular emotional state that she says she feels closer to her husband and “more in communication” with him.42 She also often uses her journal as a way of communicating with her husband, speaking to him on several occasions as if he were still alive, and asking him if he can see her pain and feel her tears.43 Emma Debussy, on the other hand, deeply desired the ability to maintain Debussy’s and her daughter’s constant presences after their deaths, but was also troubled by her failure to do so. She heartbreakingly writes to Marguerite Long after Chouchou’s death in 1919: “I am still calling Chouchou…she no longer hears me!!”44 She describes the way in which the reality of Debussy’s absence disturbs her ability to keep him with her, telling André Caplet that she is afraid of going back to the home she had shared with Debussy (she and Chouchou had gone to St-Jean-de-Luz to avoid the bombardment of Paris happening at the time) because it will force her to face the reality of his death. She also adamantly articulates that the most important task in this period of mourning is to continue in this painful state, writing that, “the greatest tragedy, which could yet overtake me, would be to no longer feel this fervent search for His trace.”45

16 Perhaps no one makes clearer the importance of continuing to suffer through the pain of one’s losses than Maurice Maréchal, the accomplished cellist who premiered Ravel’s Sonata for Violin and Violoncello with Jourdan-Morhange in 1921. He writes to Nadia Boulanger after her sister’s death, and articulates his conception of resistant mourning with striking clarity. He sympathizes with Nadia, telling her that he “knows all that [she] must be going through” since he had experienced a loss similar to hers—the death of his fiancée Thérèse Quedrue in 1913.46 Then he writes, The only true and long assuagement is to feel that the suffering doesn’t pass. It would be too painful if it lasted only the strict duration of mourning prescribed; and then we accustom ourselves to it so well eventually; the true suffering would be to no longer suffer. The alleviation of grief must happen little by little; then, when the first bitterness and the first indignation has gone away, we find that sometimes we are able to relive happy memories, veritable minutes full of joy and happiness. They leave an impression that is so comforting, that not only has the being about whom we were just speaking, between close friends, been evoked, but that the reunion of the people who loved each other has indeed been realized anew.47

17 For Maréchal, resistant mourning offered a strategy for dealing with loss that allowed a mourner not only to remain faithful to the dead beloved, but also to gain a sense of comfort, even if only occasionally, in feeling that the lost person was actually with you —not just evoked, but felt and experienced as if she were still living. In another letter,

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Maréchal responds to Nadia, “Indeed the only way of making dear departed beings live in oneself is to act and to think as if truly they acted and thought next to us—as actually truly living beings.”48 Boulanger’s and Maréchal’s understanding of the relationship between the mourner and the mourned echoes descriptions of the introject—the psychic sign of resistant mourning—articulated by Volkan, Abraham and Torok, and Derrida. The idea that having the departed live “in oneself” and simultaneously “next to us,” thus maintaining their own psychic boundaries that prevent them from being fully incorporated into the ego of the mourner, is precisely Abraham’s and Torok’s representation living in the crypt—“a complete person with his own topography”—or Volkan’s introject—“an unassimilated object representation.”49

18 The resistant mourning of Ravel, Long, and others in their circle is also evident in their use of specifically musical linking objects and practices to help them keep their cherished lost loved ones vividly present. Nadia Boulanger, for instance, held memorial concerts upon the anniversary of her sister's death until the end of her life. She frequently programmed her sister’s music on the many concerts she organized and participated in, particularly on her tours of the United States. She even made organ arrangements of some of Lili’s pieces so that she could play rather than conduct them on these tours.50 Gustave Samazeuilh, another member of this social circle, emphasizes the extent to which Nadia Boulanger’s career changed almost entirely after the death of her sister, pointing out that, rather than continue to compose her own works, she chose to make known the works of her sister, and to devote the rest of her time to teaching.51

19 Emma Debussy and Rosina and Laura Albéniz appear to have also used musical objects, performances, and practices as a way of linking them to lost loved ones. Rosina and Laura Albéniz—the wife and daughter of Isaac Albéniz, who had died in 1909—each write somewhat frantic letters to Marguerite Long asking for her assistance in getting Albéniz’s Pepita edited and staged at the Opéra-Comique. At one point, Rosina asks Long to go see the publisher Eschig, arguing that only she could take care of this situation since Joseph de Marliave, who had assisted Albéniz with the libretto, and Albéniz were “two beings who were very dear to you.”52 In this way, she uses the idea of Albéniz’s Pepita as a musical link to their respective late husbands in order to convince Long to take action. Emma Debussy was similarly impassioned about arranging concerts of her late husband's music, but then, being immensely overwhelmed with emotion, was rarely able to stay after concerts to speak with friends and performers, which often resulted in apologetic letters later that evening or the next day. For instance, after the premiere of Debussy’s Fantaisie in 1919, Emma writes to Long, asking her to forgive her for having left without seeing her. She says that she was “too upset to stay any longer,” since, in hearing Long’s performance, her “emotion was coupled by such a cruel grief,” especially upon thinking about how much Debussy and Chouchou would have loved it. 53

20 Ravel’s linking objects after his mother’s death can be understood as having taken two distinct shapes: the act of composition itself, and his preference for composing music for friends who were also in mourning. Ravel lived with his mother up until his departure for military service in the spring of 1916, and, as he told Ida Godebska in 1919, sitting down at the piano and settling back into intensive work reminded him of his mother’s “dear silent presence enveloping me with her infinite tenderness,” and made him feel her absence all the more strongly.54 In September 1919, Ravel writes to

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Manuel de Falla that he is soon hoping to resume work, which he feels “would in any case be the best consolation, rather than forgetting, which I do not desire.”55 Ravel’s use of l’oubli—forgetting—is unclear here, and yet, considering the degree to which resistant mourning—mourning without forgetting—was prevalent in his circle, it makes sense to understand Ravel as expressing here his desire to not forget his mother.56 Composing music thus acts as a practice that links him to his mother, paradoxically providing him not only with comfort, but also with the pain of a loss that he does not want to forget.

21 The striking number of pieces that Ravel composed between 1914 and 1934 for friends who were also in mourning suggests that Ravel understood composing music as a way to cope with his own grief while providing others with musical means to cope with theirs. Compositions that Ravel wrote for friends in mourning include La Valse, dedicated to Misia Sert, whose estranged husband Alfred Edwards died in 1914; the Sonata for Violin and Violoncello, dedicated to Debussy, but intended to be performed by Maurice Maréchal and Hélène Jourdan-Morhange, both of whom were in mourning; the Sonata for Violin and Piano, also written for Jourdan-Morhange; the Chansons madécasses, which were intended to be performed by Jane Bathori, who had recently gone through a painful divorce from her husband; and of course his Piano Concerto in G and Le Tombeau de Couperin, both of which were composed for Marguerite Long.57 To be sure, so many people were touched by loss during the war that it might be argued that Ravel’s dedications and performer choices would surely reflect this, regardless of whether he had these people’s grief in mind as he wrote music for them. However, the extent to which Ravel appears to have been preoccupied with grief in the years after the war suggests that he was indeed invested in composing music for others in mourning. A number of Ravel’s friends from the late teens and 1920s, for instance Erik Satie and Manuel Rosenthal, underline how much Ravel had changed after 1917. They often identify Ravel’s mother’s death as the source of this change.58

22 Moreover, Ravel’s choices to compose music for others in mourning appear as evidence of a larger shift in Ravel’s postwar social network that accompanied the change in personality observed by Rosenthal and Satie. In her work on mourners, Phyllis R. Silverman has pointed out that people in mourning often seek each other out for support and comfort.59 Similarly, Jay Winter has asserted the importance of kinship circles—non-familial social networks based on “fictive kinship”—that formed during World War I to facilitate consolation among mourners.60 Beginning in 1917 Ravel frequently chose to spend time with others in mourning. After his mother’s death and his discharge from the military in early 1917, Ravel spent several months at the home of his marraine de guerre in Lyons-la-Forêt. At the time, Madame Fernand Dreyfus and her husband were coping with the death of their son Jean, who had been killed in action in the months prior.61 Although he never abandoned his friendships with the men he had come to know as “Les Apaches,” or any of his other close friends from before the war, Ravel appears to have populated his social circle after 1917 with a number of performers who were also in mourning, including Marguerite Long and Hélène Jourdan-Morhange.62 Ravel’s concern for the grief of his friends is also evident in the personal and touching condolences he took the time to write to Manuel de Falla, Hélène Kahn-Casella, Marie Gaudin, and Hélène Jourdan-Morhange when each was touched by loss in the late teens and early 1920s.63 Finally, Ravel demonstrates that the grief of his friends was at times integral to his compositional process in writing to Jourdan-Morhange in August of 1926 that “[I'm] in the midst of [working on] the

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Sonata. [I] just had my inspiration refreshed in the waves of the ocean with Maurice Delage, who just lost his father.”64 Ravel’s concerns with his own grief, as well as his sympathy for others in mourning, suggest that he wrote music for mourning friends as an act of fictive kinship, and as a linking practice to help him to remember lost loved ones.

23 Long’s use of piano playing as a linking practice is suggested in the repertoire that she chose to perform in the years following her return to the stage in April 1917. This often consisted of music either beloved by her husband—which she likely played for him while he was still living—or that she was practicing in his presence before his death.65 Rehearsing these compositions in the home that they had shared together in order to prepare them for public performance would have offered her the opportunity to pay tribute to the memory of her husband, and also to recall what it felt like to practice and perform in his presence. The first piece that Long performed publicly after her husband's death was Vincent D'Indy's Symphonie sur un thème montagnard, one of several pieces Long had played in May 1914 in the last public concert she gave before Marliave was sent to the front. Moreover, in the spring of 1921, on the first full-length recital Long gave in Paris after her husband's passing, she chose to perform several pieces that would have served as very strong reminders of being in her husband's presence: Debussy's L'Isle Joyeuse, which she was working on in the summer of 1914, and which, she tells us in Au piano avec Claude Debussy, was the last piece Marliave heard her play before he left for the front, and Fauré’s Theme and Variations, and 6th and 7th Nocturnes, which were some of Marliave’s favorites, as evidenced by his lengthy essay on Fauré's piano music for Nouvelles Revues.66 In his 1921 review of Long's recitals for Le Monde musical, Roger-Ducasse verifies that these concerts acted as mournful linking objects by noting that these performances were “a faithful tribute to a friend whose memory we honor.”67

Grieving at the Keyboard in Wartime France

24 Many of Ravel’s friends considered musical performance, especially at the keyboard, to be particularly helpful in coping with grief. This was the perspective of a number of musician-soldiers who express in Nadia and Lili Boulanger’s Gazette des Classes du Conservatoire that time spent at the keyboard provided distraction, comfort, and a way of “becoming oneself again,” at a time when they were attempting to cope with not only the loss of the life they had known before the war, but also unfathomable national and personal losses. Albert Bertelin, a Courrier musical critic who served in the war, writes that being able to place his fingers on the keyboard of a harmonium allowed him to “forget for a time the worries, the sadness, and the anguish of each day.”68 Ernest Mangeret writes that “A few moments of leisure permitted me to become myself again…In these times, we found a piano in a half-demolished house, we went down into the basement (you can understand why!) and when the evening came, we came together, several friends, in order to make a little bit of music.”69 After the death of her husband, Marguerite de Saint-Marceaux frequently wrote that playing the piano was “the sole occupation that could make me endure life.” Everything else, she tells us, “irritates her and makes her tired.”70 André Messager, in a letter to Saint-Marceaux, confirms that he feels similarly about practicing the piano: “Music is the greatest

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consoler of broken hearts and those who love it and practice it as you do find in it the ability to heal the bloodiest of wounds.”71

25 When Long resumed practicing at home in January of 1915, Roger-Ducasse wrote to her in early February in order to express his happiness that she had begun practicing again: Suzanne tells us that you started practicing the piano a little again. That makes me very happy, for nowhere will you find such a desire to live again; I say live again, for the months you have just been through have been for you as if you did not exist anymore, or rather, as if nothing in you existed anymore. There was nothing fair or right about this, which is why I am so thrilled to see you return to what may save you.72

26 The opera composer Alfred Bruneau similarly writes to Long after the death of her husband that he hopes that in 1915 they will be able to “again take up our work, which, alone, will assuage our pain and give us the strength to continue on our way.”73 And Long herself articulates the healing potential of the piano when she writes that, after the death of her husband, “the days passed without bringing to me any resignation to the sacrifice. Renunciation seemed to me the only refuge. Only music was consoling to me. It is what saved me.”74 Thus for Long, Bruneau, and Roger-Ducasse, the piano functioned as an instrument of mourning and of revitalization: it had the potential to “save” Long, to restore her desire to live, and to help her through the arduous process of mourning.

27 For Long and other pianists and musicians active during the war, the piano seems to have functioned as a bodily prosthetic employed in the interest of emotional transformation, providing them with temporary emotional relief or comfort in the regular and repetitive movements of their fingers on the keys. Constantin Piron, in his 1949 method book for which Long wrote the preface, prefigures Tia DeNora’s more recent assertion that music is a “prosthetic technology of the body” that has the potential to “lead actors to identify, work-up, and modulate emotional and motivational states.”75 He describes the piano as an instrument that extends the pianist's body and transforms her sensibility.76 Long, in her 1959 method book Le Piano, articulates the importance she finds in the sense of touch, writing that it is “a sense as rich and perhaps more essential than the senses of sight, hearing, or smell.”77 In addition, she demonstrates her belief that the kinesthetic movement of playing the piano affects a pianist's physical and mental state through quoting the surgeon Thierry de Martel, who wrote that, “it's not our mind that mobilizes our fingers, but rather our fingers and their nearly unconscious movements that give movement to our mind.”78

28 After 1914 Émile Jaques-Dalcroze argued that engaging in musical movement could engender emotional transformation in ways that would be beneficial for postwar society. Jaques-Dalcroze’s writings and teachings achieved a fair amount of popularity in interwar Paris: his articles were frequently published in Parisian music journals, and his techniques were often showcased at the Conservatoire and the École Normale de Musique, both of which were institutions where Long, Nadia Boulanger, and Ravel taught or served on juries.79 In his eurythmic method, Jaques-Dalcroze posited that having students engage in rhythmically-organized kinesthetic activities would not only improve their musicality, but also their entire well-being and sense of self, which, he claimed, would help them to exteriorize their emotions in beneficial ways. In a 1919 article published in Le Monde musical Jaques-Dalcroze argues that his method is the key to healing neurasthenia, a nervous and physical disorder from which Ravel, amongst many others, was said to be suffering after the war.80 Moreover, in an article published

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in Le Guide musical in 1918, he wrote that his method has as its ultimate goal improved concentration, physical economy, and the development of character, particularly achieved through “a regularization of nervous response for hypersensitive or disordered individuals.”81 For Jaques-Dalcroze, “the joy of improving ourselves rhythmically and giving our entire bodies and souls to music,” enabled his students to "exteriorize without constraint our sorrows and joys,” which would, in turn, “provoke the blossoming of altruistic qualities necessary to a natural social life.”82

29 Long was particularly attracted to a highly rhythmically regular and intensely kinesthetic style of piano-playing known as le jeu perlé, which Nicole Henriot- Schweitzer, a student of Long's, has described as requiring “fast finger-work very close to the keys so that a series of equally-sounded notes reminds us of uniformly shaped pearls on a string.”83 The jeu perlé, characterized by its emphasis on notes of equal duration and quality, an excessively clear and pointed style of articulation achieved through highly regular finger motions, and a relatively sparse use of the pedal, not only required the consistent practice of etudes and exercises (particularly of the five-finger, scalar, and arpeggio variety), but was also somewhat modeled on the experience and clarity that came out of practicing these exercises.84 In all of her writings, and throughout her life, Long espoused the import of technical exercises to all manners and modes of performance. Several of Long’s former students emphasize the importance of practice to Long, and the shape that practice took. Philippe Entremont, for instance, reports that “I got some very good practice techniques from her, things that I still do today—especially very slow practice, deep into the keys with high fingers.”85 Henriot- Schweitzer, taking after Long, advocates “very, very slow practice, deep into the keys, without pedal, close and not brusque. I like to think of slow-motion films, with absolutely smooth and hypnotic movements—and I recommend this regardless of what the final tempo must be.”86

30 Long's “deep into the keys” approach, which hypnotically focuses attention on the pianist’s fingers moving fluidly into, out of, and between the keys, might be understood as a meditative practice that allowed Long, and, I would suggest, Ravel and other French composers who had both experienced loss and who wrote music suited to the jeu perlé style, a way of rhythmically and kinesthetically bringing consistency and stability—a sort of concrete temporality—back to their bodies.87 It is exactly this sort of regular rhythmicity, corporeally enacted through a slow, repetitive and meditative walking or marching, that the French World War I soldier Maurice Genevoix names in his memoir, Ceux de 14, as both a source of his unending, resistant mourning—his inability to forget those who have died—and a means of consolation in his grief over his comrades’ deaths: "Timmer the Deaf, Compain the Chatty, Perinet, Montigny, Chaffard; nothing but names. Still more, which leave me weary and panting: Durozier, Gerbeau, Richomme... I keep walking, rocked by a vague, regular, swinging. I don't find this hard; I don't try to escape; it seems to me that it's good like this.”88 In the section that follows, I analyze Ravel’s Tombeau with an eye towards how the composer embedded this piece with musical elements that resonated with the jeu perlé style of pianistic performance. To this end, I focus particular attention on the corporeal gestures in which Ravel’s suite invites its performers to engage.89

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Ravel’s Tombeau as Grief Therapy

31 Numerous commentators found Ravel’s dedications for his Tombeau problematic. Due to the composition’s title, the funeral urn that Ravel drew for the suite’s title page, and Ravel’s dedications to friends who died in the war, many of Ravel’s contemporaries were “astonished that this homage to the dead should not have a funereal, or at least a morose quality.”90 When Roger-Ducasse first heard Long perform the suite in 1918, he wrote that Ravel’s dedications for the Tombeau would have been better suited to dancers or joyful girls, especially since the music was “devoid of any emotion, and which the memory of these soliders indeed calls for.”91 Long, however, defended Ravel’s compositional choices, asserting that each of the Tombeau’s movements need not be funereal or lamenting in order to be understood as sonic remembrances of the men to whom they are dedicated.92 Perhaps this was in part because she understood—through her own experience of playing them—that these pieces were still performances of mourning, even if not in the conventional sense that some of their contemporaries had in mind.

32 Specifically, Ravel’s Tombeau allowed Long to engage in the particular type of practice she preferred after the death of her husband. By writing extremely difficult, highly repetitive, and kinesthetically-demanding music for her, Ravel gave Long a musical outlet not only to perform the sheer difficulty of grieving in wartime France, but also to engage in the jeu perlé style of piano playing that offered her a sense of comfort in the regular and hypnotic movements required of her fingers and hands. At least three of the movements of Le Tombeau de Couperin—the “Prelude,” the “Toccata,” and the “Fugue”—make demands on the pianist that border on the superhuman. In the suite's final movement, the “Toccata” dedicated to Long's husband that Long described as “especially dear to her,” a flurry of constant staccato sixteenth notes crowds every bar save three: the final two bars of the movement, as well as one bar towards the end of the piece in which Ravel offers the performer a short moment of solace in a thirty- second-note rest marked with a fermata.93 The composer asks the pianist to play vif— around 144 beats per minute—for all but fourteen measures of the piece, which are marked, somewhat ironically, Un peu moins vif. While sometimes Ravel has both of the pianist’s hands working together to maintain the perpetuity of the sixteenth notes, at other times, one hand plays sixteenth notes, while the other plays something else— sometimes more sixteenth notes, although at other times a countermelody or an accompanying figure (see Figure 1).

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Figure 1: Maurice Ravel, Le Tombeau de Couperin (Paris, Durand, 1918); mm. 1- 56 of the “Toccata.”

33 The same sort of perpetual and highly rhythmic hand and finger motion that Ravel demands of the performer in the “Toccata” is also required to play the suite's first movement. Ravel composed the Tombeau's “Prelude” so that the pianist is forced to play sixteenth-note sextuplets—in figurations that often resemble, draw on, and would likely benefit from technical exercises for the piano—at a breakneck pace (see Figure 2). With a metronome marking indicating a dotted-quarter note equals 92, the pianist plays just over 550 sixteenth notes per minute. Ravel has the performer play these uncomfortably fast sextuplets in one hand or the other throughout the entirety of the movement, with the exception of a sixteenth-note rest at the end of measure 85— hardly a moment of repose! Long was especially known for her accuracy in performing this movement, to the extent that Ravel often told his students not to play the movement as fast as Long for only she could play it so every note could be heard.94 Moreover, the Tombeau's second movement, an incredibly difficult “Fugue,” requires an amazing degree of hand independence: the performer often plays duple meter in one hand and triple in the other, without the sort of regularity that might make this task somewhat easier. Interestingly, Long's solution for deficiencies in hand or finger independence laid in the return to technical exercises, in particular five-finger exercises.95

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Figure 2: Maurice Ravel, Le Tombeau de Couperin (Paris, Durand, 1918); mm. 1-36 of the “Prélude.”

34 The corporeal challenges in the “Prelude,” “Fugue,” and “Toccata” of Ravel's Tombeau are exacerbated by the composer's only very rare indications that the performer should use the pedal or fluctuate in tempo in any way, which is a marked departure from Ravel’s pre-war piano repertoire. Indeed, compositions like Jeux d’eau (1902), “Une Barque sur l’Océan” (1906), and “Ondine” (1908), all feature extended passages of consistent sixteenth or thirty-second notes, often in the form of scales or arpeggios. However, in order to have them capture the sound, movement, and sensation of water, in these compositions Ravel asks his performers to adopt an aesthetic of fluidity and expressiveness through many slurred passages, heavy use of pedal, myriad meter and tempo changes, and instructions like d’un rythme très souple—très enveloppé de pédales, très fondu, and très expressif. The rubato-oriented aesthetic of these compositions is evident as well in the many instances of rallentando, ritardando, retenez, and accelerando that Ravel includes in these scores.

35 Similar passages of fast-moving sixteenth, thirty-second, or sixty-fourth notes appear in a handful of Ravel’s early works not based on water themes, most notably in the Sonatine (1903-05) and “Scarbo” (1908). The first and third movements of the Sonatine are particularly laden with such passages; however, as in “Ondine,” “Une Barque sur l’Océan,” and Jeux d’eau, Ravel here employs a variety of tempi, as well as myriad markings encouraging pianistic flexibility, for instance très expressif, un peu retenu, and no less than nine ritardando/rallentando indications in the first movement alone. Moreover, in both of these movements Ravel gives his performers ample opportunities to shift out of these challenging passages and into somewhat easier, more melodically oriented material (see the shift at m. 13 in the first movement of the Sonatine in Figure 3 below). Ravel’s “Scarbo” perhaps comes closest to approaching the demanding, perpetual motion oriented design of Le Tombeau’s “Toccata.” Both pieces, for instance, exhibit passages of repeated notes at nearly impossible tempi, and in “Scarbo,” as in the “Toccata,” Ravel demands that the pianist play many of these passages staccato and without pedal. However, because Ravel’s goal in “Scarbo” is to sonically convey the erratic and unpredictable movements of this mischievous being, much of Ravel’s

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writing in this piece is gestural (i.e. written so as to sound out the goblin’s roguish scurrying, and perhaps the frantic confusion of the unlucky person who he haunts). “Scarbo” thus not only displays the frequent tempo changes and a significant reliance on the pedal that characterize Ravel’s prewar rubato oriented style, but also offers the pianist many chances to “catch her breath,” so to speak, in a plethora of pauses and eerie silences that make us wonder what the goblin’s next move might be (see Figure 4).

Figure 3: Maurice Ravel, Sonatine (Paris, Durand, 1905); mm. 1-38 of the 1st movement

Figure 4a: Maurice Ravel, Gaspard de la Nuit (Paris, Durand, 1909); mm. 1-69 of “Scarbo.”

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Figure 4b: Maurice Ravel, Gaspard de la Nuit (Paris, Durand, 1909); mm. 70-146 of “Scarbo.”

36 Unlike in his pre-war compositions, in Le Tombeau de Couperin Ravel demands extreme mechanicity from any performer of this piece: she must become like a human metronome.96 Ravel replaces the rubatic with the robotic, forcing his pianist to play every note perfectly evenly, and almost never permitting her the opportunity to fluctuate in tempo, or to “hide” behind the pedal, which Long considered one of the greatest faults of amateur pianists.97 Ravel’s “Prelude,” for instance, is completely devoid of tempo changes or other instructions for expressive performance. In addition, Ravel prescribes using the pedal only in the final five measures of the movement, once the perpetual sixteenth notes have ceased their stirring. Similarly, the “Toccata” has only two tempo changes—the ironic un peu moins vif that occurs at m. 56 and its reversal to the original tempo fourteen measures later—and only three indications that the performer should indulge in using the pedal, all of which appear in the first twenty measures of the piece, lasting only one very quick measure in each case. In addition to what he included in the musical texts, Ravel’s instructions to pianists affirm his desire for extreme precision. In one instance, he advised that the three interludes of the “Forlane” must be “metronomic.” As for the “Toccata,” Long tells us that Ravel’s instructions were to “play ‘all the notes’ clearly and precisely in a movement which— apart from the tempo variation on page 26—must not slacken pace in the slightest degree right to the final octave.”98

37 A 1922 piano roll recording of the “Toccata” demonstrates the bodily strain of performing this piece.99 This corporeal struggle is sonically evident in the pianist’s many failed attempts at rhythmic consistency. His hands limp through the piece, faltering particularly on passages with exposed repeated notes, of which there are many. It sounds a bit like a machine breaking down: notes follow one another jerkily just as a machine slows down and speeds up due to tiny bits of rust lodged in the grooves of its cogs. This recording demonstrates the performer’s often futile efforts to maintain a steady tempo, to force his hands to participate in seemingly ceaseless attempts at kinesthetic, not to mention sonic, accuracy. These are strains of a performer’s musculature, a push and pull felt in individual muscle fibers, as well as in

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his/her bones, specifically in the joints that are interstitial spaces of kinesthetic negotiation, and in his/her skin as it flexes in the movement of pressing down each key and jumping—sometimes nimbly but just as often awkwardly—from key to key. This feeling in and through the flesh might be understood as a physical transduction of the psychic and indeed physical pain experienced in intense grief.

38 Ravel’s Tombeau, then, can be understood as particularly well suited to expressing and managing his and Long’s shared resistant mourning. Many resistant mourners—and those in Ravel’s circle were no exception—feel the paradoxical need to remind themselves of the loss they have experienced while simultaneously desiring to alleviate, even if ever so briefly, the pain of continuing to mourn.100 Thus while the difficulty of Ravel’s Tombeau can be understood as a musical-performative analogue to the pain of grief, the gestures required to play Ravel’s Tombeau also provided Long with a public opportunity to perform her grief in a way that would have circumvented the condemnation that was often the response to more personal expressions of grief in World War I-era France. Simultaneously, the affinity of Ravel’s “Toccata” with the jeu perlé performance style would have provided Long with the opportunity to engage in a type of performance—as well as daily practice—that she personally enjoyed, thus offering her temporary distraction from her grief. In turn, the bodily re-entrainment effected through the repetitive, rhythmically regular, and hypnotic movements of Long’s fingers and hands as she played Ravel’s Tombeau would have provided her with a sense of bodily comfort and security within a psychic, physical, and social world rendered unstable and fractured by war and the grief that she was experiencing.101

Beyond the Tombeau

39 The corporeally demanding, rhythmically repetitive, and somewhat mechanical musical characteristics of Ravel’s Tombeau appear in numerous compositions written in interwar France. The extent to which the resistant mourners in Ravel’s circle sought to play music exhibiting these qualities suggests that music of this kind was considered to have therapeutic properties.102 Nadia Boulanger, for instance, chose to transcribe for organ and then perform Ravel’s Tombeau on a 1925 American tour. For these same concerts, she transcribed her sister Lili’s “Cortège,” which, like Ravel’s “Toccata” and “Prelude,” features constant sixteenth-notes at a fairly quick tempo, and performed a number of compositions by Alexandre Guilmant, J.S. Bach, and Handel that display extended passages of perpetual-motion-style keyboard technique.103 While surely Boulanger was attempting to showcase French music as well as her own virtuosity on the organ, it is also possible that her tendency towards resistant mourning, as evidenced through her scrapbooks, correspondence, and the many concerts she organized in memory of her sister, led her to choose compositions that would allow her simultaneously to express and assuage her grief at the keyboard.

40 Furthermore, an examination of the repertoire that Long either chose to play, or that was specifically written for her after her husband’s death —mostly by people who had themselves served in the war and suffered losses—suggests that music demanding the kind of égalité du mécanisme required by Ravel’s Tombeau was specifically linked to coping with grief in World War I-era France. Roger-Ducasse's G-sharp minor Etude, which Long tells us was composed specifically as a way of persuading her to begin performing publicly again, demands an extraordinary degree of technical skill and

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employs a large amount of figural repetition.104 Subtitled “Étude pour notes repétées,” this piece features extensive passages of consistent thirty-second notes that only let up three times throughout the piece, and never for more than two measures. After each of these mid-Etude moments of repose, the pianist must immediately return to her fast- paced perpetuum mobile. Although the performance directions indicate modéré, at a tempo of 76 beats per minute these thirty-second notes would go by at a quicker than comfortable pace. Roger-Ducasse composes lengthy passages where the performer plays the exact same fingering pattern over and over again, only shifting her hands up and down the keyboard according to pitch set. And, as in Ravel's Tombeau de Couperin, Roger-Ducasse denies the pianist any use of the pedal.

41 Two other pieces written during the war’s tenure, and for which Long performed the premieres, feature similar musical qualities: Debussy's difficult and technically challenging Douze Études and Philippe Gaubert’s Sonata for Flute and Piano. In the November 1917 concert that marked the Société Nationale's return to public performances, Long played three of Debussy's Douze Études—“Pour les ‘cinq doigts,’” “Pour les sonorités opposées,” and “Pour les Arpèges composés”—which Debussy had written during the summer of 1915. Notably, “Pour les Arpèges composés” and “Pour les ‘cinq doigts’” exhibit lengthy passages of perpetual sixteenth-note sextuplets that are often juxtaposed with fast-moving duple-meter figures in the hand not playing the sextuplets, thus requiring incredible consistency and accuracy from the pianist, as well as a large amount of hand independence. The other etude Long chose to play, although not necessarily in the jeu perlé style, is still notably tied to mourning, since here Debussy heavily quoted his Berceuse héroïque, which he had composed less than a year earlier for the King Albert’s Book, a collection of works paying tribute to the Belgian soldiers who died in their attempts to protect France from the German invasion in the summer of 1914.105 Similarly, Philippe Gaubert's Sonata for Flute and Piano, which Marguerite Long premiered with the composer at a Société Nationale concert on March 22, 1919, presents the pianistic performer with extended opportunities to play quickly- moving, highly technical, and repetitive passages of sixteenth notes.

42 Although these pieces in the jeu perlé style were written to match Long’s performing preferences, they were also likely beneficial to others in Ravel’s and Long’s social circle, including the composers themselves. Philippe Gaubert, Roger-Ducasse, and Ravel were all soldiers in the war, knew people who had died during the war’s tenure, and had significant losses to mourn. Gaubert, for instance, whose Sonata for Flute and Piano was completed in June 1917, writes a moving letter to Nadia Boulanger in April 1916 about having buried a friend of his who had been killed in the trenches on January 26th. He reports having lived through some tragic days since then, recounting that he had to tell their mutual friends of his death when he was on leave, and wondering how he has managed to remain “safe and sound” when so many of his friends had lost their lives.106 Roger-Ducasse, on the other hand, was mourning the death of Joseph de Marliave, and, as he wrote to Lambinet in April 1916, had become extraordinarily depressed while serving in the army.107 Similarly, when writing his Douze Études during the summer of 1915, Debussy was in the process of working through grief and depression. Like Roger- Ducasse, he had been close friends with Long’s husband, and thus was mourning Marliave’s death while also attempting to cope with what Long suggested was one of the deepest depressions of his life.108

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43 Considering that each of these men—with the exception perhaps of Gaubert—was known to compose at the piano, 109 their choices to compose some of their most technically challenging, etude-like, and repetitive works for piano during the emotionally difficult years of the war suggest that the compositions that they wrote for Long also offered each of them a means of musical solace. The remarks of Émile Vuillermoz about these composers’ relationship with the piano support this idea. Vuillermoz, who was a friend of Debussy as well as a fellow classmate of Ravel, Gaubert, and Roger-Ducasse at the Paris Conservatoire, observed that for many composers, and especially for Ravel and Debussy, the piano acted as an “instrument-confessor” with which composers shared their secret feelings and desires.110 He added, as well, that time spent at the keyboard rendered the piano’s vibrating strings into extensions of the musician’s nervous system. Thus it is not difficult to imagine that for Ravel, Debussy, Roger-Ducasse, and Gaubert, creating these challenging and yet somewhat hypnotic compositions gave them the opportunity to bring a sense of rhythmic stability and comfort back to their minds and bodies.

44 However, Ravel’s Piano Concerto in G perhaps offers the best example, aside from the Tombeau, of how the relationship between pianistic performance and grief was understood amongst this group of friends. Although Ravel had initially wanted to compose a piano concerto to play himself, he decided instead to write a concerto specifically for Long.111 At the opening of the second movement, Ravel invites Long to perform her grief through a slow, melancholy waltz with a melody that, while incredibly beautiful, is heavy, languorous and dripping with pathos to an extent that little in Ravel's oeuvre can match (see Figure 5a). Long repeatedly voiced her anxiety over this particular passage, writing in 1945 that “this long, very long melody with its contained emotion,” never ceased to worry her, both because of its expansiveness—it comprises nearly the first third of the movement—and the fact that Ravel forces her to play it completely solo, without the support of the orchestra.112 That this is Long's resistant mourning given musical voice is indicated by the melancholy nature of the theme, as well as its length, its inability to resolve, the awkward and uncomfortable fashion in which the melody fails to align entirely with the waltz rhythm, and the isolation and exposure the performer is asked to endure. In addition, when Ravel brings back this theme at the end of the movement, he gives this melody to the English horn, an instrument traditionally associated with mourning and lament.113

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Figure 5a: Maurice Ravel, Piano Concerto in G (Paris, Durand, 1932); mm. 1-20.

45 This moment of thematic return is not only unbelievably moving, but also communicates the important role that musical performance played in coping with grief for Ravel and Long. In yet another incredibly kind gesture of musical friendship, Ravel chooses this precise moment to give Long what he knows might help her most: the opportunity to hear her grief sympathetically voiced by someone else while her fingers move through measure after measure of technical-exercise-like and highly rhythmically regular passagework composed of steady thirty-second notes. This is her perfect jeu perlé (see Figure 5b). As in the “Toccata” of Le Tombeau de Couperin, here Ravel gives Long an extended moto perpetuo devoid of slurs, pedal, or expressive markings.114 Long’s jeu perlé continues until the last six measures of the movement, when Ravel gives her the softly played trills he had once promised her.115 In these last six measures Ravel also provides an uplifting resolution to E-major that we have been anxiously awaiting for the entirety of the movement. By placing this moment of musical resolution right on the heels of Long’s jeu perlé passagework, Ravel seems to articulate that through musical performance it is possible to achieve at least a moment of mental and emotional peace from one’s grief.

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Figure 5b: Maurice Ravel, Piano Concerto in G (Paris, Durand, 1932), mm. 72-80. The English horn solo/recapitulation begins at m. 74.

46 Ravel gave Long this Concerto just two days before her fifty-seventh birthday, on November 11, 1931. This was also the anniversary of the Armistice, a fact that had surely not escaped Ravel. In describing the first time she had the opportunity to play Ravel’s Concerto in G, Long recounts, “I sat down to sight-read little by little these pattes de mouches, and when I arrived at this marvelous Andante, at the entry of the English horn, which repeats the phrase from the beginning of the movement with the thirty-second notes in the piano, I was so moved by it that I had tears in my eyes. They say that I play this concerto well. It is because it evokes for me so many poignant memories!”116 Long’s tenderly evoked memories were, we might imagine, of the happier years spent sharing a life with Joseph de Marliave before the war. However, it is likely that the concerto was also a touching reminder in sound and movement of her friendship with Ravel, their shared experience of resistant mourning, and the ways in which, for both of them, making music offered a way to express and cope with grief.

NOTES

1. RAVEL, Maurice, Letter to ROLAND-MANUEL, Alexis, 1 October 1914, in ORENSTEIN, Arbie (ed.), Lettres, écrits, et entretiens, Paris, Flammarion, 1989, p. 145; cited and translated in ORENSTEIN, Arbie (ed.), A Ravel Reader: Correspondence, Articles, Interviews, New York, Columbia University Press, 1990, p. 155-156: “Je ne peux plus rester sans nouvelles d’aucun ami…De temps en temps, on en reçoit d’affreuses, indirectement, qui sont démenties 2 jours après. C’est ainsi que j’ai appris la mort du capitaine Marliave, et que je n’ose rien écrire à sa femme.” Unless otherwise noted, the translations that appear in this article are my own. This article was adapted from

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unpublished papers presented at the Symposium on the Art of Death and Dying at the University of Houston in October 2012, the annual meeting of the American Musicological Society in New Orleans in November 2012, and Esteban Buch’s seminar, Musique et politique au XXe siècle at the École des Hautes Études en Sciences Sociales in Paris in February 2013. I am indebted to Professor Buch and the graduate students who attended his seminar, as well as to all of the respondents to previous versions of this paper for their invaluable feedback. I would also like to thank Nina Eidsheim for encouraging me to explore the relationship between grief and pianistic performance in her UCLA graduate seminar, Musicology in the Flesh, in the spring of 2010. In addition, I would like to thank Robert Pearson, Erin Jerome, Karen Turman, and Fanny Gribenski, as well as my fellow UCLA graduate students who participated in dissertation seminar in January 2013, for providing immensely helpful feedback on earlier versions of this paper. Finally, special thanks go to Tamara Levitz for her always thoughtful and invaluable comments on earlier versions of this article, as well as for her incredible and continuing support as my dissertation advisor. Funding for archival research for this article was generously provided through a Chateaubriand Fellowship and Phi Beta Kappa’s Mary Isabel Sibley Fellowship. 2. Gustave Samazeuilh, Raoul Brunel, and Jean Marnold wrote reviews of this performance. 3. All of these people were serving on the Comité of the Société Musicale Indépendante in 1919, with the exception of Boulanger, who would be added to the Comité in Spring 1920. 4. Marraine de guerre translates literally as “war godmother”; in France during World War I many soldiers had a marraine de guerre who sent them care packages, and with whom they regularly corresponded. Ravel’s mother died of natural causes on January 5, 1917. 5. LONG, Marguerite, At the Piano with Ravel, LAUMONIER, Pierre (ed.), SENIOR-ELLIS, Olive (trans.), London, J.M. Dent & Sons Ltd., 1973, p. 89. The Médiathèque Musicale Mahler (MMM) holds a typed manuscript of an “Hommage à Marguerite Long, 4 Juin 1956” (most likely written by ESCHOLIER, Raymond), which explains that Ravel had been friends with Marliave before he knew Long, and that the couple was friends with Ravel from around 1908. MMM, Fonds Marguerite Long, Documents biographiques, Boîte 2. 6. RAVEL, Maurice, Letter to LONG, Marguerite, 2 July 1918, in CHALUPT, René and GÉRAR, Marcelle (eds.), Ravel au miroir de ses lettres, Paris, R. Laffont, 1956, p. 152-153. 7. In a letter of 23 February 1919, Ravel tells Long that Edouard Risler has been working on the suite, but that he hopes that she'll still be able to give the premiere; in CHALUPT, René and GÉRAR, Marcelle (eds.), op. cit.,, p. 164-165. Robert Casadesus, being a friend of Ravel’s at this time, likely could have gained access to the score as well. He gave a concert in February or March 1918 on which he played Ravel's Sonatine (BRÉARD, R., “Concerts Divers. M. Robert Casadesus,” Le Courrier musical, 15 March 1918, p. 138-139). Ravel at least appreciated Casadesus’s interpretation of the suite since he asked Casadesus to accompany him to a 1922 piano roll recording session in which his Tombeau was to be recorded. It is still unclear as to whether the performer for that recording was Casadesus or Ravel. 8. JOURDAN-MORHANGE, Hélène, “Le grand musicien Maurice Ravel est mort,” La République, 29 December 1937; JOURDAN-MORHANGE, Hélène, “Ravel à Montfort-l’Amaury,” in Ravel par quelques-uns de ses familiers, Paris, Éditions du Tambourinaire, 1939, p. 167-168: “ami incomparable.” 9. RAVEL, Maurice, Letter to LONG, Marguerite, 14 January 1920, in CHALUPT, René and GÉRAR, Marcelle (eds.), op. cit.,,p. 168-169: “J’ai repris le travail, d’un manière acharnée, comme autrefois. … Comme autrefois; pas tout à fait : la dernière fois c’était à St-Jean-de-Luz… Nulle mieux que vous ne peut comprendre ma tristesse affreuse.” 10. Similarly, Deborah Mawer acknowledges the relationship between Ravel’s “preoccupation with death” after 1917 and his musical output during these years in MAWER, Deborah, “Balanchine’s La Valse: Meanings and Implications for Ravel Studies,” The Opera Quarterly 22, No. 1, 2007, p. 90-116. There are, of course, many other ways of understanding Ravel’s Tombeau de

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Couperin, as per the beautiful readings of the suite performed by Carolyn Abbate and Glenn Watkins, amongst others. See ABBATE, Carolyn, “Outside Ravel’s Tomb,” Journal of the American Musicological Society 52, no. 3, October 1999, p. 465-530; and WATKINS, Glenn, Proof Through the Night: Music and the Great War, Berkeley, University of California Press, 2003. I hope that my reading of the piano suite will be understood as offering just one other perspective on Ravel’s composition that has not been previously considered within the current scholarship on Ravel. For more on the myriad and complex ways in which Ravel’s Tombeau, along with the remainder of his postwar oeuvre, can be understood as helping musicians to express and cope with grief, see my dissertation, “Grieving Through Music in Interwar France: Maurice Ravel and His Circle, 1914-1934,” Ph.D diss., University of California at Los Angeles, 2014. 11. ARIÈS, Philippe, Essais sur l’histoire de la mort en Occident : du Moyen Âge à nos jours, Paris, Seuil, 1975, p. 57; translated in ARIÈS, Philippe, Western Attitudes Toward Death: From the Middle Ages to the Present, RANUM, Patricia M. (trans.), Baltimore, Johns Hopkins University Press, 1974, p. 67. “Le XIXe siècle est l’époque des deuils que le psychologue d’aujourd’hui appelle hystériques”; “le deuil s’est déployé avec ostentation au-delà des usages.” 12. Ibid., p. 70; translated in ARIÈS, Philippe, Western Attitudes Toward Death, op. cit.,, p. 90: “Une peine trop visible n’inspire pas la pitié, mais une répugnance; c’est un signe de dérangement mental ou de mauvaise éducation; c’est morbide…le deuil solitaire et honteux est la seule ressource, comme une sorte de masturbation”; “Si quelques formalités sont maintenues, et si une cérémonie marque encore le départ, elles doivent rester discrètes et éviter tout prétexte à une quelconque émotion: c’est ainsi que les condoléances à la famille sont maintenant supprimées à la fin des services d’enterrement. Les manifestations apparentes du deuil sont condamnées et disparaissent. On ne porte plus de vêtements sombres, on n’adopte plus une apparence différente de celle de tous les autres jours.” 13. See my dissertation, op. cit. 14. This is particularly evident in the obituaries written after the death on March 25, 1918 of Claude Debussy. Many journalists framed Debussy’s death as a loss for the nation, rather than a personal loss. In contrast to obituaries and reporting on the deaths of Jules Massenet and Ambroise Thomas in the decades just prior to World War I, journalists writing about Debussy’s death in 1918 use “we” rather than “I” to express their grief; this trend is apparent as well in the reporting on Camille Saint-Saëns’s and Gabriel Fauré’s deaths in 1921 and 1924, respectively. For more on this, see the my dissertation, op. cit. 15. See AUDOIN-ROUZEAU, Stéphane, Men at war, 1914-1918: national sentiment and trench journalism in France during the First World War, MCPHAIL, Helen (trans.), Providence, Berg, 1992; PETIT, Stéphanie, “Le Deuil des veuves de la grande guerre : un deuil spécifique ?” Guerres mondiales et conflits contemporains, No. 198, June 2000, p. 53-65; p. 64. 16. DEBUSSY, Emma, Letters to CAPLET, André, 14 April 1918, 20 June 1918, 3 or 4 August 1918, undated letter from late 1918 or early 1919, 15 September 1920, 20 September 1920; Bibliothèque Nationale de France (BnF), Département de la Musique (Mus.), Fonds André Caplet, Volume 1B, Nouvelles lettres autographes 269, Letters 170-173 and 182-183. DEBUSSY, Emma, Letters to LONG, Marguerite, undated, MMM, Fonds Marguerite Long, Correspondance. 17. DEBUSSY, Emma, Letter to CAPLET, André, 20 June 1918: BnF, Mus., Fonds André Caplet, Volume 1B, Nouvelles lettres autographes 269, Letter 171: “tous ces héros qui lutttent depuis des années”; “J’ai la certitude d’ennuyer tout le monde avec mon chagrin.” 18. DEBUSSY, Claude-Emma, Letter to BARDAC, Raoul, 8 April 1918, in LESURE, François (ed.), Claude Debussy, Lettres, Paris, Hermann, 1980, p. 286-287; cited and translated in LOCKSPEISER, Edward (ed.) Claude Debussy, His Life and Mind, Cambridge, Cambridge University Press, 1978, p. 223-24: “Au cimetière, maman, naturellement, ne put se comporter mieux qu’elle le faisait et quant à moi, ne pensant plus à rien, sauf: “il ne faut pas pleurer à cause de maman”; “Un torrent de larmes voulait s’échapper de mes yeux mais je les refoulais immédiatement à cause de maman.

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Toute la nuit, seule dans le grand lit de maman, je ne pus dormir une minute. J’avais la fièvre et mes yeux secs interrogeaient les murs”; “je le sens plus poignant encore.” 19. ROGER-DUCASSE, Jean, to LAMBINET, André, 19 March 1916; in DEPAULIS, Jacques (ed.), Lettres à son ami André Lambinet, Sprimont, Mardaga, 2001, p. 110-111: “obscènement égoïste”; “Et puis tout va mal, tout est mauvais, clergé, magistrature, armée. Cette femme, c’est Pangloss à l’envers.” Ducasse’s reference to Pangloss, the overly and bafflingly optimistic teacher in Voltaire’s Candide, is actually a reference to Marguerite Long’s late husband, Joseph de Marliave, who Ducasse often called by this nickname. 20. Ibid., p. 111-112: “Elle est de plus en plus la même, avec les mêmes exagérations, les mêmes sentiments malheureux.” 21. SAINT-MARCEAUX, Marguerite de, in CHIMÈNES, Myriam (ed.), Journal: 1894-1927, Paris, Fayard, 2007, Entry of 7 January 1917, p. 926; cited and translated in NICHOLS, Roger, Ravel, New Haven, Yale University Press, 2011, p. 188. “Les deux frères sont désespérés, ils adoraient leur mère. On les portait presque. Ils ne pouvaient rester debout. Êtres déséquilibrés, incapables de réagir et de se dominer. Spectacle lamentable peu réconfortant par ce temps où l’héroïsme se dépense comme la respiration.” 22. Maurice Maréchal also remarks upon the need to keep one’s emotions to oneself in order to avoid mockery from other soldiers. MARECHAL, Maurice, in DUROSOIR, Luc (ed.), Deux musiciens dans la Grande guerre, Paris, Tallandier, 2005 [see especially the entries from 6 October 1914 (p. 240) and 13 April 1917 (p. 314)]. For more on the relationship between social rules regarding emotional display and World-War-I-era French cultures of heroic masculinity, see my dissertation, op. cit. 23. Many scholars have addressed this type of mourning, although not all of them use the term “ resistant mourning” to describe it. Freud, for instance, referred to this as “melancholia” in FREUD, Sigmund, “Mourning and Melancholia [1917],” in STRACHEY, James (ed. and trans.), The Standard Edition of the Complete Psychological Works of Sigmund Freud, vol. 14, London, Hogarth Press, 1957, p. 238-258. For a more complete discussion of the history of the concept of resistant mourning than I have space to include here, see RAE, Patricia, “Introduction: Modernist Mourning,” in RAE, Patricia (ed.), Modernism and Mourning, Lewisburg, PA, Bucknell University Press, 2007. Many of these theorists, particularly the psychoanalytic theorists and those working within trauma studies, emphasize that many different factors lead to someone becoming a resistant mourner, including the circumstances of the loved one’s death, the relationship between the mourner and the deceased, and the amount of guilt that the mourner felt or continues to feel in relation to the person who has died. The ability to speak about the death in question, however, is a significant factor as well. 24. DERRIDA, Jacques, in BRAULT, Pascale-Anne and NAAS, Michael (eds.), The Work of Mourning, Chicago, University of Chicago Press, 2001; RAE, Patricia, op. cit. 25. In “Mourning and Melancholia” and other essays Freud uses the term “introjection” to describe the process by which the ego accepts painful losses. Nicolas Abraham and Maria Torok (see note 25), however, are primarily concerned with certain mourners’ inability to subsume a loss into the ego in a way that acknowledges the painfulness of the loss; this failure of introjection is masked, they argue, by a « fantasy of incorporation» that engenders the psychic encryption of a lost love object. For more on this subject, see ABRAHAM, Nicolas and TOROK, Maria, “Introjection-Incorporation: Mourning or Melancholia,” in LEBOVICI, Serge and WIDLÖCHER, Daniel (eds.), Psychoanalysis in France, New York, International Universities Press, 1980, p. 3-16. 26. ABRAHAM, Nicolas, and TOROK, Maria, in RAND, Nicholas T. (ed.), The Shell and the Kernel: Renewals of Psychoanalysis, Volume 1, Chicago, University of Chicago Press, 1994, p. 130. 27. VOLKAN, Vamik D., “Not letting go: from individual perennial mourners to societies with entitlement ideologies,” in FIORINI, Leticia Glocer, BOKANOWSKI, Thierry, and LEWKOWICZ,

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Sergio (eds.), On Freud's “Mourning and Melancholia,” London, International Psychoanalytic Association, 2007, p. 102. 28. Ibid., p. 101-103. 29. LONG, Marguerite, “Souvenirs de M.L.: Albéniz, Debussy et Fauré,” MMM, Fonds Marguerite Long, Documents biographiques, Boîte 2, Bio. 5. 30. MMM, Fonds Marguerite Long, Divers Matérials. 31. ROGER-DUCASSE, Jean, in DEPAULIS, Jacques (ed.), op. cit., 106: “Puis Marg. nous montre dans le Temps et le Matin, je crois, la citation du pauvre Jo…Puis l’article de Bruneau dans la Nouvelle Revue, puis d’un autre dans je ne sais quoi.” 32. There were not very many obituaries for Nadia Boulanger to collect after the death of her sister on March 15, 1918 due to the Parisian press’s need to focus on war-related events and deaths between August 1914 and November 1918; I discuss this at greater length in my dissertation, op. cit. 33. BOULANGER, Nadia, Raoul Pugne [sic]. Articles nécrologiques: recueil factice de coupures de presse, BnF, Mus., Vma 4043. 34. RAVEL, Maurice, Manuscript Autographs of the Sonata for Violin and Piano and the Sonata for Violin and Violoncello, The Pierpont Morgan Museum and Library (PMML), Robert Owen Lehman Collection, R252.S698. 35. See, for example, ROLAND-MANUEL, Alexis, Maurice Ravel, JOLLY, Cynthia (trans.), New York, Dover Publications, Inc., 1972, p. 80; and NICHOLS, Roger, op. cit.,, p. 187-189. 36. NICHOLS, Roger, op. cit., p. 187-88. 37. RAVEL, Maurice, Letter to DE FALLA, Manuel, 19 September 1919, in ORENSTEIN, Arbie (ed.), Lettres, écrits, et entretiens, op. cit., p. 176; translated in ORENSTEIN, Arbie, (ed.), A Ravel Reader, op. cit., p. 193: “Moi, je ne me suis pas encore repris”; “Peut-être cela finit-il par s’apaiser à la longue.” 38. RAVEL, Maurice, Letter to GODEBSKA, Ida, 27 December 1919, in ORENSTEIN, Arbie (ed.), Lettres, écrits, et entretiens, op. cit.,, p. 178; translated in ORENSTEIN, Arbie (ed.), A Ravel Reader, op. cit., p. 195: “Je songe qu’il y aura bientôt 3 ans qu’elle est partie, que mon désespoir augmente de jour en jour.” 39. LONG, Marguerite, Au piano avec Gabriel Fauré, Paris, R. Julliard, 1963, p. 72: “emmurée dans mon deuil.” 40. DEBUSSY, Emma, Letter to CAPLET, André, postmarked 14 April 1918, BnF, Mus., Fonds André Caplet, Correspondance, Volume 1B, 170: “ce labyrinthe de douleur.” DEBUSSY, Emma, Letter to LONG, Marguerite, undated, MMM, Fonds Marguerite Long, Correspondance: “Mais le cauchemar horrible dans lequel je suis est si profond en moi que je ne sais plus très bien où je suis.” 41. SAINT-MARCEAUX, Marguerite de, in CHIMÈNES, Myriam (ed.), op. cit., Entry of 3 November 1915, p. 874: “J’y suis [sic] misérablement dans une détresse morale que je ne pourrai jamais surmonter.” 42. Ibid., Entry of 1 July 1915, p. 862: “une mélancolie douloureuse mais avec plaisir”; “plus en communication. 43. Ibid., Entries of 1 Mai 1915—8 July 1915, p. 858-863. 44. DEBUSSY, Emma, Letter to LONG, Marguerite, undated, MMM, Fonds Marguerite Long, Correspondance: “Moi j’appelle toujours Chouchou…Elle ne m’entend plus!!” 45. DEBUSSY, Emma, Letter to CAPLET, André, postmarked 14 April 1918, BnF, Mus., Fonds André Caplet, Vol. 1B, 170: “Il me semble que le plus grand malheur qui pourrait encore m’accabler, serait de ne plus ressentir cette recherche passionnée de Sa trace.” 46. DUROSOIR, Luc (ed.), op. cit., p. 223, fn. 3. 47. MARÉCHAL, Maurice, Letter to BOULANGER, Nadia, 26 May 1918, Lettres de musiciens mobilisées ou de leur famille adressées au Comité franco-américain, BnF, Mus., Rés. Vm. Dos. 88 (6): “C’est pourquoi, je sais tout ce que vous pouvez souffrir. Le seul et vrai et long adoucissement

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est de sentir que la souffrance ne passe pas. Ce serait vraiment trop pénible qu’elle ne dure que la durée stricte d’un deuil; et puis – on s’habitue si bien à la longue; la vraie souffrance serait de ne plus souffrir. Il faut de reste que cela devienne peu à peu de la douceur; alors, à l’époque où la première amertume et la première révolte ont disparu, on trouve quelquefois, à revivre des souvenirs heureux, de véritables minutes de pleine joie et de bonheur. Elles laissent une impression si réconfortante, celle que l’être dont on vient de parler, entre intimes, n’a pas seulement été évoqué, mais que la réunion de tous ceux qui s’aimèrent a bien été réalisée à nouveau.” 48. MARÉCHAL, Maurice, Letter to BOULANGER, Nadia, 15 May 1918, Lettres reçues par Nadia Boulanger sur la question de “Quelle musique après la guerre,” BnF, Mus., Rés. Vm. Dos. 88 (4), 32: “Du reste, c’est bien le seul moyen de faire vivre en soi les êtres chers disparus, que d’agir et de penser comme si vraiment ils agissaient et pensaient à côté de nous – en êtres très réellement existants.” 49. VOLKAN, Vamik D., art. cit., p. 98-99; ABRAHAM, Nicolas and TOROK, Maria, “Introjection— Incorporation: Mourning or Melancholia,” op. cit., p. 8. 50. See the concert programs for her US tour in January and February of 1925. BnF, Mus., Rés. Vm. Dos. 195. 51. SAMAZEUILH, Gustave, Musiciens de mon temps, chroniques et souvenirs, Paris, M. Daubin, 1947, p. 287. Jeanice Brooks further addresses how Lili’s death affected Nadia Boulanger’s career in The Musical Work of Nadia Boulanger: Performing Past and Future Between the Wars, Cambridge, Cambridge University Press, 2013. 52. ALBÉNIZ, Laura and ALBÉNIZ, Rosina, Letters to LONG, Marguerite, 7 January 1916 to 4 January 1923, MMM, Fonds Marguerite Long; ALBÉNIZ, Rosina, Letter to LONG, Marguerite, 4 January 1923, MMM, Fonds Marguerite Long, Correspondance: “deux êtres disparus qui vous furent très chers.” 53. DEBUSSY, Emma, Letter to LONG, Marguerite, [December 1919], MMM, Fonds Marguerite Long, Correspondance: “J’étais trop bouleversée pour demeurer plus longtemps”; “mon émotion était doublée d’un si cruel chagrin.” 54. RAVEL, Maurice, Letter to GODEBSKA, Ida, 27 December 1919, in ORENSTEIN, Arbie, Lettres, écrits, entretiens, op. cit., p. 178; translated in ORENSTEIN, Arbie (ed.), A Ravel Reader, op. cit., p. 195: “cette chère présence silencieuse m’enveloppant de sa tendresse infinie.” 55. RAVEL, Maurice, Letter to FALLA, Manuel de, September 1919, in ORENSTEIN, Arbie, Lettres, écrits, entretiens, op. cit.,, p. 176; translated in ORENSTEIN, Arbie (ed.), A Ravel Reader, op. cit., p. 193: “ …je n’ai pu encore me remettre au travail, et pourtant je sens que ce serait là, sinon l’oubli, que je ne désire pas, du moins le meilleur adoucissement.” 56. NICHOLS, Roger, op. cit., p. 205. Nichols argues that it is possible to understand oubli as a reference to suicide, since oubli can also mean “oblivion.” This seems unlikely, however, due to the fact that oubli, even if understood as “oblivion” still relates to memory in its contemporary etymology. 57. Hélène Jourdan-Morhange was also apparently mourning someone else in the 1920s, as evidenced by a condolence letter Ravel wrote to her on 23 October 1923, published in CHALUPT, René and GERAR, Marcelle (eds.), op. cit., p. 200-201. The editors articulate that this letter was in response to the death of Jourdan-Morhange’s mother, but Colette’s condolence letters to Jourdan-Morhange and her father dated 1 October 1934 suggest that Madame Morhange did not pass away until a decade after Ravel’s letter. See Colette in VILLARET, Bernard (ed.), Lettres à Moune et au Toutounet: Hélène Jourdan-Morhange et Luc-Albert Moreau, 1929-1954, Paris, des Femmes, 1985, p. 100-101. 58. SATIE, Erik, Letter to DREYFUS, Mme Fernand, 30 July 1917, in VOLTA, Ornella (ed.), Erik Satie: Correspondance Presque Complète, Paris, Fayard, 2000, p. 292-293; ROSENTHAL, Manuel, in

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conversation with Roger Nichols, in NICHOLS, Roger, op. cit., p. 190. Deborah Mawer has similarly noted what she terms Ravel’s «preoccupation with death in MAWER, Deborah, art. cit., p. 90. 59. SILVERMAN, Phyllis K., Widow to Widow: How the Bereaved Help One Another, New York, Brunner- Routledge, 2004, p. xiii. 60. WINTER, Jay, Sites of Memory, Sites of Mourning: The Great War in European Cultural History, Cambridge, Cambridge University Press, 1995, p. 30, 34, 46-48. 61. Jean Dreyfus is the dedicatee of the fifth movement—the “Menuet”—of Ravel’s Le Tombeau de Couperin. It is not known precisely when he died, although it was sometime in late 1916 or early 1917. 62. For more on “Les Apaches” see PASLER, Jann, “A Sociology of the Apaches: ‘Sacred Battalion’ for Pelléas,” in KELLY, Barbara, MURPHY, Kerry, and LESURE, François (eds.), Berlioz and Debussy: Sources, Contexts, and Legacies, Aldershot, England, Ashgate, 2007, p. 149-166. It seems particularly notable that Ravel chose to write so much of his postwar piano music for Marguerite Long, rather than for Ricardo Viñes, who had been his preferred pianist prior to the war. 63. See RAVEL, Maurice, Letter to FALLA, Manuel de, 19 September 1919, in ORENSTEIN, Arbie (ed.), A Ravel Reader, op. cit., p. 193; RAVEL, Maurice, Letter to KAHN-CASELLA, Hélène, 19 January 1919, in Ibid., p. 185 ; RAVEL, Maurice, Letter to GAUDIN, Marie, 6 January 1921, in DELAHAYE, Michele, “Lettres de Maurice Ravel à la famille Gaudin de Saint-Jean-de-Luz. Deuxième Partie: de 1919 à 1927,” in Cahiers Maurice Ravel 10, 2007, p. 14-56; p. 17; RAVEL, Maurice, Letter to JOURDAN-MORHANGE, Hélène, 12 October 1923, in CHALUPT, René and GERAR, Marcelle (eds.), op. cit., p. 200-201. 64. RAVEL, Maurice, Letter to JOURDAN-MORHANGE, Hélène, 29 August 1926, in Manuscript Autograph of the Sonata for Violin and Piano, PMML, R252.S698: “Parme de Sonate. Suis venu rafraîchir l'inspiration dans les flots de l'Océan, auprès de Maurice Delage, qui vient de perdre son père.” 65. In addition to the several pieces listed in this paragraph, throughout the 1920s Long frequently performed a number of the compositions that she had been fond of performing in the winter and spring of 1914, including Fauré’s Ballade, Beethoven’s C Minor Piano Concerto, and Franck’s Symphonic Variations. See DUNOYER, Cecilia, Marguerite Long: A Life in French Music, 1874-1966, Bloomington, Indiana University Press, 1993, p. 31-33, 35, 86. See also reviews of her performances of early 1914 found in a large scrapbook of press clippings in MMM, Carrière, Boîte 2. Similarly, Long added Fauré’s Third Valse Caprice to her repertoire around the time that she met Joseph de Marliave in 1903, and the piece later appeared on the second of her 1921 recitals. See DUNOYER, Cecilia, op. cit., p. 21, 86. 66. LONG, Marguerite, Au piano avec Claude Debussy, Paris, Julliard, 1960, p. 21. Although several reviewers considered this Long’s first solo recital in eleven years (see BERTELIN, Albert, “Mme Marguerite Long,” Le Courrier musical, 15 May 1921), it was actually her first recital in Paris in that time. She had performed in a solo recital to benefit prisoners of war at the Golf Hotel in Saint Jean-de-Luz in the summer of 1918. Her repertoire on this recital overlapped with that of her 1921 Paris recitals; in both, for instance, she performed Debussy’s L’Isle Joyeuse. See DUNOYER, Cecilia, op. cit., p. 74. 67. ROGER-DUCASSE, Jean, “Les deux Concerts de Mme Marguerite Long,” in Le Monde Musical 32, nos. 7 and 8, April 1921, p. 159: “Fidèle, ce faisant, au souvenir de l’Ami dont nous vénérons la mémoire.” 68. BERTELIN, Albert, Gazette des Classes de Composition du Conservatoire BnF, Mus., Rés. Vm. Dos. 88 (1), Nº 1, [1915], p. 5-6: “Quelques heures claires viennent pourtant de temps à autre illuminer le morne enchaînement des heures sombres ce sont celles où, durant les Offices, je laisse errer un peu à l’aventure mes doigts sur le clavier d’un très modeste harmonium dans l’Eglise de Saint- Ouen-L’Aumône, j’oublie alors pour un temps, les soucis, les chagrins, les angoisses de chaque jour.”

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69. MANGERET, Ernest, in Ibid., Nº 5, [1916?], p. 22: “Quelques moments de loisir me permettent de redevenir un peu moi-même… Ces temps-ci, nous avons trouvé un piano dans une maison à moitié démolie, nous l’avons descendu dans une cave (vous comprenez pourquoi!) et le soir venu, nous nous réunissons, quelques amis pour faire un peu de musique.” 70. SAINT-MARCEAUX, Marguerite de, in CHIMÈNES, Myriam (ed.), op. cit.,, p. 863-864: “Mon René adoré où es-tu? J’ai repris mon piano, j’ai pu jouer et même chanter… C’est la seule occupation qui pourra me faire supporter la vie” (p. 863); “Nous referons de la musique et c’est la seule chose qui me raccroche à la vie, tout le reste m’énerve et me fatigue” (p. 864). 71. MESSAGER, André, Letter to SAINT-MARCEAUX, Marguerite de, 8 August 1915, BnF, Arts du Spectacle, cited in SAINT-MARCEAUX, Marguerite de, in CHIMÈNES, Myriam (ed.), op. cit., p. 864, n. 1: “La musique est la plus grande consolatrice des cœurs meurtris et ceux qui l’aiment et la pratiquent comme vous y trouvent la guérison des blessures les plus saignantes.” 72. ROGER-DUCASSE, Jean, in DEPAULIS, Jacques (ed.), Roger-Ducasse: lettres à Marguerite Long et à son mari, Joseph de Marliave, Paris, Observatoire Musical Français, 2007, p. 52: cited and translated in DUNOYER, Cecilia, op. cit., p. 68-69: “Suzanne nous dit que vous avez un peu recommencé à travailler votre piano : cela me réjouit car vous ne trouverez point ailleurs un aussi involontaire désir de revivre – je dis revivre, car les mois que vous venez de passer ont été pour vous comme si vous n’existiez pas ou plutôt comme si rien n’existait plus en vous. Or cela n’était ni la justice ni la raison et voilà pourquoi je me réjouis de vous voir revenir à ce qui peut vous sauver.” 73. BRUNEAU, Alfred, Letter to LONG, Marguerite, January or February 1915, MMM, Fonds Marguerite Long, Correspondance: “Souhaitons donc qu’une paix glorieuse s’établisse chez nous durant 1915 et nous permette de reprendre notre travail qui, seul, adoucira nos peines et nous donnera la force de continuer notre route.” 74. LONG, Marguerite, Au piano avec Gabriel Fauré , op. cit., p. 72: “Les jours passaient, sans m'apporter la résignation du sacrifice. Le renoncement me semblait être l'unique refuge. La musique seule m'était consolante. C'est elle qui m'a sauvée.” 75. DENORA, Tia, Music in Everyday Life, Cambridge, Cambridge University Press, 2000, p. 107. 76. PIRON, Constantin, L'Art du Piano, preface LONG, Marguerite, Paris, Fayard, 1949, p. 39. 77. LONG, Marguerite, Le Piano de Marguerite Long, Paris, Salabert, 1959, p. III: “Le toucher est bien un sens aussi riche et peut-être plus essentiel que celui de la vue, de l'ouïe, de l'odorat.” 78. Ibid., p. III. Quoting MARTEL, Thierry de: “Je suis convaincu qu'à l'encontre de ce qui est généralement admis, ce n'est pas notre esprit qui mobilise nos doigts, mais nos doigts et leurs mouvements presque inconscients qui donnent le branle à notre esprit.” 79. Jaques-Dalcroze lived in Paris between 1924 and 1926, and moved in the same general social circle as Long. BRUNET-LECOMTE, H., Jaques-Dalcroze, sa vie, son oeuvre, Geneva, Éditions Jeheber, 1950, p. 198; 207; 216-217. 80. JAQUES-DALCROZE, Émile, “La Rythmique dans l'Education Musicale,” Le Monde Musical 30, no. 7, July 1919, p. 195. 81. JAQUES-DALCROZE, Émile, “La Rythmique, la Plastique animée et la Danse,” in Le Guide musical, 1918, p. 652: “Tous ont pour but suprême un accroissement de la concentration psychique, une organisation claire de l'économie physique, une augmentation de la personnalité, grâce à une éducation progressive du système nerveux, un développement de la sensibilité chez les sujets insensibles ou peu sensibles et, au contraire, une régularisation des réactions nerveuses chez les individus hypersensibles et désordonnés.” 82. Ibid., p. 659: “La joie d'évoluer rythmiquement et de donner tout son corps et toute son âme à la musique qui nous guide et nous inspire est une des plus grandes qui puissent exister… N'est-ce pas une jouissance d'ordre supérieur… que d'extérioriser sans contrainte nos douleurs et nos joies… cette jouissance… provoque l'épanouissement des qualités d'altruisme nécessaires à l'établissement d'une vie sociale naturelle.”

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83. TIMBRELL, Charles, French Pianism: An Historical Perspective, White Plains, NY, Pro/Am Music Resources, 1992, p. 72. 84. See LONG, Marguerite, La Petite Méthode de Piano, Paris, Salabert, 1963. In her method book for beginner pianists, Long consistently returns to the importance of exercises devoted to “l’agilité des doigts,” all of which are perpetual motion style exercises designed to improve the smoothness of movement between fingers. I would like to thank Rémy Campos for the wealth of information he provided about le jeu perlé in his seminar at the Conservatoire National Supérieur de Musique et de Danse de Paris in Fall 2011. 85. TIMBRELL, Charles, op. cit., p. 74. 86. Ibid., p. 74-75. 87. The jeu perlé was one of numerous styles of piano playing taught and practiced in France at this time. Contemporaries of Long such as Alfred Cortot and Blanche Selva promoted pianistic performance styles that used far more of the wrist, arms, and upper body, as well as more pedal. Selva in particular advocated a style of playing largely centered around the “free fall” (“chute libre”) of the hand and arm. For more on these styles of piano playing, see Timbrell’s French Pianism, as well as CORTOT, Alfred, Principes rationnels de la technique pianistique, Paris, Senart, 1928 and SELVA, Blanche, L’Enseignement musical de la technique du piano, Paris, Rouart, Lerolle et Cie, 1916-1924. I do not wish to diminish the extent to which these performance styles may have been utilized as a means of coping with grief at the keyboard in World War I-era France. There were, I would argue, many different ways in which people used time at keyboard as a means of accomplishing emotional work, whether in France or elsewhere. Ruth Solie addresses this, for instance, in “‘Girling’ at the Parlor Piano,” in Music in Other Words: Victorian Conversations, Berkeley, University of California Press, 2004. However, I focus on the jeu perlé style of playing throughout this article because of its particular importance to Long, and also because of the affinity between this style of piano performance and some of the kinds of music that Ravel and several of his contemporaries were composing for Long and others in mourning at this time. 88. GENEVOIX, Maurice, Ceux de 14, Paris, Seuil, 1984, p. 552; cited and translated in SHERMAN, Daniel, The Construction of Memory in Interwar France, Chicago, University of Chicago Press, 1999, p. 65. “Timmer le Sourd, Compain la Pipelette, Montigny, Chaffard ; rien que des noms. D’autres encore, qui me lassent et m’essoufflent : Durozier, Gerbeau, Richomme… Je marche toujours, bercé d’un balancement vague, régulier. Je ne trouve pas que cela soit pénible ; je n’essaie pas d’y échapper ; il me semble que cela est bien ainsi.” 89. Here, I take some of my methodological cues from Elisabeth Le Guin, whose groundbreaking work on Boccherini focuses on the corporeal experience of musical performance. See LE GUIN, Elisabeth, Boccherini’s Body: An Essay in Carnal Musicology, Los Angeles, University of California Press, 2009. 90. NICHOLS, Roger, op. cit., p. 204. 91. ROGER-DUCASSE, Jean, Letter to LAMBINET, André, 6 May 1918, in Lettres à son ami André Lambinet, op. cit., p. 121: “Pas une mesure d’émotion, et cependant le souvenir de ces soldats l’exigeait.” 92. LONG, Marguerite, At the Piano with Maurice Ravel, op. cit., p. 94. 93. Ibid., p. 97. 94. Ibid., p. 95. 95. LONG, Marguerite, Le Piano de Marguerite Long, op. cit., p. V. 96. As Deborah Mawer has demonstrated, Ravel’s compositions both before and after the war exhibit his general penchant for mechancity. She notes as well, however, that there is something particularly “machinistic” about the aesthetic exhibited in Ravel’s postwar compositions, citing Frontispice, the Sonata for Violin and Violincello, and the Sonata for Violin and Piano as examples (although she also cites the ticking clocks of the opening to L’Heure espagnole as a notable prewar example of Ravel’s “machinistic” writing). MAWER, Deborah, “Musical Objects and Machines,” in

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MAWER, Deborah (ed.), The Cambridge Companion to Ravel, Cambridge, Cambridge University Press, 2000, p. 64. As I discuss at greater length in my dissertation, op, cit.. numerous critics noticed that the fluid, sensually evocative, richly textured, and lush musical style that marked much of Ravel’s music prior to the war, was replaced after 1917 by a more austere and detached musical style featuring less textural lushness, less flexibility, and more ostinato passages and motor rhythms, which they called dépouillée or “stripped down.” See HIMONET, A., “Les Concerts. Concerts Durand.” Le Courrier musical 29, no. 12, 15 Juin 1927, p. 358. Although Le Tombeau de Couperin is not often cited as an example of this style, it might be considered an important precursor. 97. LONG, Marguerite, Le Piano de Marguerite Long, op. cit., p. XV. 98. LONG, Marguerite, Au piano avec Maurice Ravel, Paris, Julliard, 1971, p. 146: “Voilà l’occasion, comme disait Ravel, de faire ‘toutes les notes’, de jouer clair et précis dans un mouvement qui, en dehors du changement de tempo de la page 26, ne doit pas avoir la moindre défaillance jusqu’à l’ultime octave.” Translated in LONG, Marguerite, At the Piano with Ravel, op. cit., p. 95, 97. 99. “Toccata: from Le Tombeau de Couperin,” Ravel Plays Ravel, CD 14 201, Santa Monica, CA, Laserlight, 1995. As I mentioned in n. 7, whether this recording was made my Ravel or by Robert Casadesus remains contested. 100. I have already mentioned several instances of this paradox, but Nadia Boulanger, who often emphasized the paradoxical nature of resistant mourning practices, offers one additional and particularly clear example. On the title page of the first of three notebooks in which she recorded friends’ death dates so that she could write to the survivors on the anniversaries of their deaths, Boulanger writes that “the dear memory [of Lili] that guides me, supports me…is to me at the same time so sweet and so cruel.” BnF, Mus., Rés. Vmc. Ms. 129 (1): “Ce livre fut entre les mains de ma petite Lili – puisse-t-il ne voir passer que des jours dignes de son souvenir – année définitive peut-être et que je confie à la chère mémoire qui me guide, me soutient et m’est à la fois si douce et si cruelle.” The contradictory character of resistant mourning has also been remarked upon by many post-Freudian psychoanalytic theorists and practitioners, as well as by a number of cultural critics and historians, critical theorists, and scholars working within trauma studies. For more bibliographic information and discussion of this subject, see RAE, Patricia, art. cit., p. 13-23. Moreover, contemporary artist Meg Rotzel acknowledges and offers a way to manage the inherent contradiction of resistant mourning. After her brother’s death in 1997, she undertook a project in 2000 to create articles of clothing designed to “locat[e] the physical sensations of grief upon my body.” Rotzel’s “Mourning Hood” uses weights as a way of mimicking the physical sensation of grief, and paradoxically allowing a mourner to rhythmically re-entrain her body. ROTZEL, Meg, “Your Breath is Your Defense,” c_m_l, < http://c-m-l.org/?q=node/199>, accessed 6 June 2010. 101. I would suggest that this is somewhat similar to how rhythmically regular music has been successfully employed in neonatal units to help infants achieve homeostasis and adjust to their new and often disorienting environments outside of the womb. See DENORA, op. cit., p. 75-89. These movements may have allowed her access to a sort of trance state in which she could feel herself temporarily freed from the pain of resistant mourning. For more on the relationship between music, trancing, and emotional comfort, see BECKER, Judith, Deep Listeners: Music, Emotion, and Trancing, Bloomington, IN, Indiana University Press, 2004, p. 147-149. 102. It could be argued that the resistant mourners in Ravel’s circle operated within a specific “habitus of listening.” See BECKER, Judith, op. cit., p. 69-86. 103. Programs for concerts given 9 January 1925 in the Grand Court of the Wanamaker Store in Philadelphia, PA, USA; 11 January 1925 at Carnegie Hall with the New York Symphony Orchestra, , NY, USA; 15 January 1925 at the Wanamaker Auditorium in New York City, NY, USA; 21 January 1925 at The Cleveland Museum of Art; BnF, Mus., Rés. Vm. Dos. 195.

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104. LONG, Marguerite, At the piano with Debussy, SENIOR-ELLIS, Olive (trans.), London, Dent, 1972, p. 11. 105. WHEELDON, Marianne, Debussy’s Late Style, Bloomington, IN, Indiana University Press, p. 72-79. 106. GAUBERT, Philippe, Gazette des Classes du Conservatoire, op. cit., N° 8, [published in 1917, but comprised of letters from 1916], p. 17: “sain et sauf.” 107. ROGER-DUCASSE, Jean, Letter to LAMBINET, André, 12 April 1916, in DEPAULIS, Jacques (ed.), Lettres à son ami André Lambinet, op. cit., p. 111. 108. LONG, Marguerite, At the Piano with Debussy, op. cit., p. 41. 109. It is likely that Gaubert composed at the piano as well; he was more well known, however, as a flutist and conductor. 110. VUILLERMOZ, Émile, “L’Œuvre de Maurice Ravel,” in Maurice Ravel par quelques-uns de ses familiers, op. cit., p. 16-18. 111. As a letter from the French Ambassador in Berlin, André François-Ponchet, attests, Ravel was under a lot of pressure from the conductor Wilhelm Fürtwangler and the Berlin Philharmonic Orchestra to perform the concerto himself; however, the deterioration of Ravel’s health and performing abilities performed him from being able to do so. See François-Ponchet’s letter, dated 21 December 1931, in BnF Mus., Fonds Montpensier, cited in NICHOLS, Roger, op. cit., p. 322-323. 112. LONG, Marguerite, “La Musique de piano,” in Maurice Ravel, Paris, Les Publications techniques et artistiques, 1945, p. 5-6: “cette longue, très longue mélodie avec son émotion contenue.” 113. The English horn and oboe both have longstanding associations with elegiac expressions. One example of this is Tristan und Isolde’s 3rd act, in which the English horn symbolizes an exterior manifestation of Tristan’s own sadness, and the tragic nature of the love story through the mournful alte Weise. See also Sandra M. Gilbert’s discussion of the Greek elogoi, which was frequently accompanied by an “oboelike doublepipe called auos,” in GILBERT, Sandra M., Death’s Door: Modern Dying and the Ways We Grieve, New York, W.W. Norton & Company, 2006, p. 120. 114. To the English horn player, however, Ravel gives the instruction expressivo. 115. According to Long, at some point in the late 1920s Ravel turned to her at a dinner party at Marguerite de Saint-Marceaux’s home and announced, “I am composing a concerto for you. Do you mind if it ends pianissimo and with trills?” Long says that she happily agreed, but was surprised to find that the concerto did not, in fact, end with this gesture. The fact that the Andante movement ends piano and with trills is perhaps an indication that Ravel had the Andante movement in mind for Long from the very start. See LONG, Marguerite, Au piano avec Maurice Ravel, op. cit., p. 57 : “Un soir, à un dîner chez Mme de Saint-Marceaux, dont le salon était ‘un bastion de l’intimité artistique,’ selon le mot de Colette, Ravel me dit à brûle-pourpoint : ‘je suis en train de composer un concerto pour vous. Est-ce que cela vous est égal qu’il finisse pianissimo et par des trilles ? - Mais bien sûr !’ lui répondis-je, trop heureuse de réaliser le rêve de tant de virtuoses.” Translated in LONG, Marguerite, At the Piano with Ravel, op. cit., p. 39. 116. ESCHOLIER, Raymond [?], “Hommage à Marguerite Long, 4 Juin 1956,” MMM, Fonds Marguerite Long, Documents biographiques, Boîte 2: “Je me mis à déchiffrer petit à petit ces pattes de mouches, nous dit Marguerite Long, et quand, j’arrivai dans ce merveilleux andante, à l’entrée du cor anglais qui répète la phrase du début avec les triples croches au piano, je fus si émue que j’en eus les larmes aux yeux. On prétend que je joue bien ce concerto. C’est peut-être parce qu’il évoque pour moi tant de poignants souvenirs !”

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ABSTRACTS

At the beginning of World War I, Maurice Ravel wrote to Roland-Manuel to tell him that he had begun composing the piano suite Le Tombeau de Couperin. In this same letter, Ravel relayed that he heard that Joseph de Marliave, the husband of pianist Marguerite Long, had been killed in combat. The fact that Ravel both dedicated Le Tombeau’s final movement to Long’s husband, and desired Long to premiere the work, suggests that the two news items in this letter are more connected than they at first appear to be. Ravel’s contemporaries, in fact, recognized a connection between grief and musical performance, as Roger-Ducasse attests in writing to Long in 1915 that piano practice would give her the desire to live again after the death of her husband. But precisely how did piano practice function in this way? This article attempts to answer this question by demonstrating that by composing Le Tombeau de Couperin in the jeu perlé style that his friend Marguerite Long preferred, Ravel offered her a way to mourn her husband’s death through a kind of highly repetitive, rhythmic, and kinesthetically demanding pianistic performance that was thought to engender emotional transformation. Through close examination of the correspondence, diaries, archives, and published writings of Ravel and musicians in his social circle, this article illuminates the relationship between mourning and musical practice in early twentieth-century France, while rethinking Ravel’s Tombeau as written not only for soldiers who died in combat, but also for those who survived them.

Au début de la Grande Guerre, Maurice Ravel écrivit à Roland-Manuel qu'il commençait à composer Le Tombeau de Couperin. Dans cette même lettre, Ravel lui annonça que Joseph de Marliave, le mari de la pianiste Marguerite Long, avait été tué au champ d’honneur. Le fait que Ravel ait dédié la dernière partie du Tombeau de Couperin au mari de Long et qu'il ait voulu qu’elle donne la première audition de cette œuvre suggère que les nouvelles apportées par cette lettre sont plus liées entre elles qu’il n’y paraît de prime abord. Les musiciens contemporains de Ravel associaient le deuil et la musique, comme en témoigne le fait que Roger-Ducasse ait suggéré à Long en 1915 que jouer du piano pourrait lui donner le désir de continuer à vivre après la mort de son mari. Mais comment s’opère précisément cette fonction consolatrice du piano ? Cet article tente de répondre à cette question en démontrant qu’en composant Le Tombeau de Couperin dans le style du jeu perlé que son amie Marguerite Long préférait, Ravel lui a donné l’occasion de faire son deuil à travers un jeu pianistique répétitif, rythmique et exigeant sur le plan kinesthésique susceptible, pensait-on, d’engendrer une transformation émotionnelle. En examinant la correspondance, les journaux intimes, les archives et les écrits publiés de Ravel et d’autres musiciens au sein de leur cercle social, cet article fait la lumière sur la relation entre le deuil et les pratiques musicales en France au début du vingtième siècle et propose de repenser le Tombeau de Ravel comme une œuvre écrite non seulement pour des soldats morts au combat, mais aussi pour ceux qui leur survécurent.

INDEX

Mots-clés: La Grande Guerre, Maurice Ravel, Marguerite Long, musique de piano, deuil, musicothérapie, Le Tombeau de Couperin Keywords: World War I, Maurice Ravel, Marguerite Long, piano music, mourning, music therapy, Le Tombeau de Couperin

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AUTHOR

JILLIAN ROGERS

Jillian Rogers a reçu son doctorat en musicologie de l’Université de Californie à Los Angeles en 2014. Ses recherches sont centrées sur la relation entre la musique, le deuil et le traumatisme en France dans au XXe siècle. Sa thèse, intitulée « Grieving Through Music in Interwar France : Maurice Ravel and His Circle, 1914-1934 », examine le rapport entre le deuil et la musique au sein du cercle social de Maurice Ravel. Jill Rogers a présenté ses recherches en France et aux États- Unis, et elle a été un co-éditeur d’un numéro de revue intitulé Writing About Music pour le Centre des études de la femme à UCLA en 2010.

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Traduction Translation

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« Vous êtes dans un lieu hors du monde... » : la musique dans les centres de détention de la « guerre contre la terreur » “You are in a place that is out of the world…”: Music in the Detention Camps of the “Global War on Terror”

Suzanne G. Cusick Traduction : Cécilia Klintebäck

NOTE DE L’ÉDITEUR

Initialement publié sous le titre « “You are in a place that is out of the world…”: Music in the Detention Camps of the “Global War on Terror” », Journal of the Society for American Music, 2, 2008, p. 1-26.

NOTE DE L'AUTEUR

J’ai réalisé une grande partie des recherches pour la rédaction de cet article lorsque j’ai pris part à l’atelier 2006–2007 « Cultural Reverberations of Modern War » de Nancy Cott et Carol Oja en tant que membre du Charles Warren Center for Studies in American History de l’Université de Harvard. Je remercie mesdames les professeures Cott et Oja, mes compagnons d’atelier Alan Braddock, Susan Carruthers, Susan Geiger, Beth Levy, David Lubin et Kimberley Phillips, ainsi que les étudiants qui étaient présents dont j’ignore les noms, pour leurs commentaires sur mon travail. Une première version a été proposée au colloque « Musique, genre et justice » organisé par Amanda Eubanks Winkler à l’Université de Syracuse les 14 et 15 septembre 2007. J’ai également pu clarifier mes idées grâce aux échanges que j’ai eus avec Vita Coleman, Martin Daughtry,

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Harlene Gilbert, Alexander Karsten, Margaret McFadden, Martha Mockus, Ana Marıa Ochoa Gautier, Stephen Oleskey, Judith Tick, Holly Watkins et Elizabeth Wood, et grâce aux questions de Ellie Hisama et Ben Piekut. Je suis de même extrêmement reconnaissante envers Maryam de Cageprisoners.org pour son aide. Pour finir, je remercie tout particulièrement Moazzam Begg et Donald Vance pour le courage et la générosité dont ils ont fait preuve en acceptant de me faire le récit de leur expérience en détention au téléphone

1 Le 10 mai 2003, un travailleur humanitaire algérien en Tanzanie du nom de Laid Saidi était arrêté par des inconnus. Emmené sur un terrain d’aviation près de la frontière du Malawi, on lui plaça un bandeau sur les yeux, un casque qui ne laissait filtrer aucun son et un bouchon anal. Puis on l’a menotté et amené dans ce qu’il décrira comme : Une « dark prison » avec de la musique occidentale assourdissante. On y voyait à peine. […] [U]n homme, par le biais d’un interprète, me hurlait « Vous êtes dans un lieu hors du monde. Personne ne sait où vous êtes, personne ne viendra vous sauver1. »

2 Il ne s’agit pas du seul témoignage au sujet d’une « dark prison » américaine. Un rapport datant de la fin 2005 de Human Rights Watch contenait les témoignages de huit détenus de Guantánamo qui avaient aussi parlé à leurs avocats de leur séjour en détention dans ce qu’ils appelaient une « dark prison2 ». Eux aussi ont été « enchaînés au mur, privés d’eau potable et de nourriture et maintenus dans le noir total avec du rap ou du heavy metal à plein volume pendant des semaines d’affilée ». Un détenu surnommé M. Z. dit avoir été enfermé dans une cellule souterraine pendant quatre semaines « avec de la musique forte en permanence », puis « interrogé dans une pièce sous une lumière stroboscopique et enchaîné à un anneau au sol ». Un détenu londonien d’origine éthiopienne, Benyam Muhammad, dit qu’on l’a « suspendu dans sa cellule, sans lumière, pendant plusieurs jours, que ses jambes gonflaient et que ses poignets s’ankylosaient. Le tout sur fond de musique forte et d’un rire fantomatique glaçant3 ». Mais ceci n’était pas nouveau pour Muhammad. Avant cette « dark prison » il avait séjourné dans deux prisons pakistanaises, puis avait été emmené au Maroc dans un avion de la CIA où, comme il l’a dit ensuite à ses avocats : Ils m’ont menotté et posé un casque sur la tête. C’était du hip-hop et du rock à plein volume. Ils passaient Meat Loaf et Aerosmith en boucle. Puis ils ont recommencé quelques jours plus tard. Avec les mêmes morceaux4.

3 On peut aujourd’hui télécharger des centaines de brefs témoignages d’anciens détenus ou de leurs interrogateurs sur les sites d’organisations internationales pour la défense des droits humains. Parmi eux, nombreux sont ceux qui parlent de l’utilisation de « musique forte » dans ces lieux « hors du monde5. » Même si peu de récits donnent autant de détails sur la musique utilisée, ils montrent clairement que la musique et les sons ont été utilisés de façon systématique pour harceler, discipliner ou même parfois « briser » les détenus tout au long de cette fameuse « guerre contre la terreur ». Bien que les autorités américaines prétendent que la cohérence de ces récits est simplement la conséquence de l’influence d’un manuel d’Al-Qaïda encourageant les captifs à prétendre avoir été maltraités, les récits de prisonniers peuvent être corroborés par ceux de leurs anciens geôliers et interrogateurs, ou même par les rapports d’enquêtes internes du Département de la Défense des États-Unis. De plus, la quantité même de récits sur certaines prisons – Abou Ghraib, Bagram, Mosul et Guantánamo – porte à croire que l’usage de musique et de sons ait été intimement lié à d’autres pratiques employées lors de ce que le gouvernement américain appelle officiellement les

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« interrogatoires renforcés » (harsh interrogations), que les anciens détenus et certains militants des droits de l’homme qualifient eux de « torture ».

4 L’historien Alfred McCoy et les journalistes John Conroy, Jane Mayer et Michael Otterman ont montré que ces méthodes (y compris les méthodes acoustiques) font partie de toute une batterie de techniques issues de la recherche en psychologie menée au Canada, aux États-Unis et au Royaume-Uni dans les années 1950, financée par les agences de sécurité nationale de ces pays6. On croyait généralement que ces techniques d’« interrogatoires », codifiées dans le manuel de la CIA connu sous le nom de KUBARK (1963) avaient été interdites par les États-Unis après la guerre du Vietnam7. Pourtant, certains éléments laissent à penser que ces techniques ont continué à être enseignées par et pour les services américains. Otterman a trouvé des éléments montrant qu’elles ont fait partie du programme de la School of Americas, à Fort Benning, dans l’état de la Géorgie, et qu’elles ont ainsi été exportées à une partie du personnel militaire et policier d’Amérique latine. Otterman, Mayer et d’autres ont montré que le programme d’entraînement des Forces Spéciales, le SERE (Survive-Evade-Resist-Escape), continuait à enseigner comment résister aux techniques de « futility ». En effet, dans un récent article du New Yorker, Mayer pose l’hypothèse très crédible de la réapparition de ces techniques dans les pratiques des services secrets ou militaires américains, dont le personnel avait suivi le programme SERE avant d’être muté dans des « dark prisons » de la CIA à Guantánamo au début de la « guerre contre la terreur », et la façon dont elles se sont propagées dans l’impressionnant réseau de prisons gérées par les forces américaines. Au moment où j’écris cet article, ces prisons détiennent au minimum 24 000 détenus en Irak et un nombre inconnu (plus de 500) en Afghanistan8.

5 Quelle que soit l’opinion du lecteur sur l’ensemble des guerres déclarées ou larvées regroupées sous le terme de « guerre contre la terreur » et quelle que soit son opinion sur l’ensemble des guerres déclarées ou larvées qui l’ont précédé, la Guerre Froide, il est irréfutable que les américains ont théorisé et déployé la musique et les sons comme outils d’interrogatoire depuis au moins cinquante ans. Cela ne date pas du gouvernement actuel ni des conflits contemporains ; ce n’est pas une nouveauté. La seule nouveauté, c’est que nous en sommes devenus de plus en plus conscients au cours de ces dernières années. S’y ajoute peut-être ce fait dérangeant : notre conscience de ces pratiques n’a pas provoqué d’indignation publique.

6 À mon sens, le fait que les États-Unis aient théorisé et déployé la musique comme une arme d’interrogatoire doit être frontalement questionné. C’est une donnée qui peut renverser radicalement la manière dont nous – chercheurs et parties prenantes de la culture musicale américaine – avons d’appréhender notre sujet et nous-mêmes. Comment la transformation en arme du son et de la musique a affecté les pratiques musicales et acoustiques, a priori civiles, que nous croyons connaître ? Comment les pratiques musicales et acoustiques, a priori civiles, ont affecté la transformation en arme de la musique et du son ? Comment nos pratiques musicales ont-elles contribué à créer l’environnement esthétique, psychologique et technologique nécessaire pour que cette proportion importante de notre population ayant servi l’armée envisage la musique de cette manière ? Et ce malgré le fait que notre culture musicale semble officiellement considérer la musique avant tout comme un outil ludique, un plaisir esthétique apolitique ?

7 Pour répondre à ces questions sur la culture musicale américaine en général, ou aux questions morales liées à l’emploi par l’État de la musique comme arme, il faut d’abord

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connaître les faits fondamentaux relatifs à l’utilisation de la musique dans les centres de détention. C’est le but de cet essai. Quelles théories sous-tendent le fameux « programme musical » (music program), comme le nomment les vétérans du SERE ? Que font exactement les militaires américains quand ils soumettent les détenus à ce programme ? Combien de ces pratiques connaissons-nous grâce aux récits relativement peu détaillés dont nous disposons ? De quelle façon les détenus et leurs geôliers se souviennent-ils de leur expérience ? Une fois conscients de ces faits, cautionnerons nous, citoyens américains, cet usage de la musique fait en notre nom ?

8 McCoy, Otterman et Conroy ont très bien résumé les recherches en psychologie qui ont abouti à cet usage de la musique, tout comme ils ont montré la façon dont les auteurs du manuel KUBARK de la CIA ont transformé les résultats de ces recherches en techniques d’interrogatoire. Pour résumer, ces recherches ont montré que la privation sensorielle ou, à l’inverse, son excès pouvaient très rapidement annihiler la capacité d’un être humain à s’orienter dans le réel, à faire la différence entre hallucinations et réalité, ou à opposer une résistance lors des interrogatoires. Le KUBARK décrit de la façon suivante le but de toutes ces techniques d’interrogatoire : Il y a une phase – parfois très brève – de perte d’activité, de choc ou de paralysie psychologique. Cette phase peut être causée par une expérience traumatique ou sous- traumatique qui fait littéralement voler en éclats le monde du sujet tel qu’il le connaît, ainsi que son image de soi dans ce monde. Plus le sujet est bien adapté, plus il va être affecté9.

9 Généralement, ceci aboutit à un renforcement de la tendance à coopérer du sujet10. L’usage de bruit constant est réputé aussi efficace que celui d’un environnement totalement dépourvu de son. Par ailleurs, on considère que les sons terrifiants ou poussés à plein volume renforcent les effets de la privation de sommeil systématique destinés à masquer ou à noyer les pensées des détenus.

10 Tout détenu sur le point d’être relâché par les forces américaines dans le cadre de cette guerre doit signer un accord de confidentialité l’engageant à ne rien révéler au sujet de son séjour en détention. On dit à certaines de ces personnes que si elles ne respectent pas cet accord, elles pourront être à nouveau détenues pour une période indéterminée11. C’est la raison pour laquelle il y a eu si peu de récits détaillés. Pourtant, les quelques témoignages publiés d’ex-interrogateurs ainsi que les rares documents officiels non classifiés ou ayant filtré dans la presse, contribuent à confirmer un certain nombre de faits. Tout d’abord, que toutes les méthodes actuelles s’appuient sur les théories et techniques de manipulation des perceptions sensorielles développées durant la Guerre Froide. Ensuite, qu’elles atteignent généralement leur but psychologique, et enfin, que ces techniques sont aujourd’hui pensées, appliquées et interprétées un peu différemment de ce qui était prévu dans les documents de la Guerre Froide.

« On se raccroche aux sons » : Kandahar et Bagram

11 Le récit du britannique d’origine Pakistanaise Moazzam Begg est le plus complet des récits de détention en anglais. Moazzam Begg est né à Birmingham et a été arrêté par la CIA au Pakistan en février 2002. Il a été détenu à Kandahar, Bagram et Guantánamo avant d’être relâché en janvier 200512. Dans ses mémoires, comme dans les entretiens dans lesquels il témoigne de son expérience, Begg est toujours très précis quant aux

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bruits de fond13. Il explique que « lorsqu’on vous retire l’usage de vos sens et que vous ne pouvez plus rien voir, vous vous raccrochez aux sons pour établir où vous êtes14 ». Lorsqu’il écrit sur le premier « traitement » qu’il a subi aux mains des services américains, à Kandahar en Afghanistan, Begg se souvient de l’obscurité moite et étouffante du sac qu’on lui avait placé sur la tête « le bruit était assourdissant : les chiens qui aboyaient, le flot ininterrompu d’insultes, les moteurs d’avions, les générateurs électriques et ces cris de douleur15. » Ce bruit constant « des générateurs », les « sons de voix et les cris [en] arabe, pashtoune, urdu, farsi et anglais » tous combinés rendaient le sommeil difficile16. Mais le son était aussi source de réconfort et d’informations. L’appel à la prière, qui filtrait de la zone accessible au public de la prison jusqu’à la zone où les prisonniers « importants » comme Begg étaient soumis à la désorientation temporelle, culturelle et sociale, lui permettaient d’identifier « l’aube, midi, l’après-midi, le coucher du soleil et la nuit. Ils [les services américains] préféraient que nous ne le sachions pas. Cet appel, c’était la communication spirituelle, qui résonnait aux quatre coins du camp17. »

12 À Bagram aussi, Begg a trouvé l’appel à la prière réconfortant, un son familier dans un milieu où « tout le reste était si peu familier ; je n’avais rien à quoi me raccrocher18. » Un silence strict régnait et les conversations entre prisonniers étaient interdites, tout comme l’étaient les prières collectives19. Pourtant, Begg se souvient avoir entendu « des prières du Coran récitées la nuit, des gens qui pleuraient au milieu de leurs prières […] Les sons étaient rares, en dehors du bruit de pas des soldats, l’annonce de roulement, […] des bruits de menottes, […] ou lorsqu’on faisait l’appel ou que l’on appelait les prisonniers par leurs numéros. Le plus terrifiant c’était le son des cris […] des détenus pendant l’interrogatoire, qui révélaient leur terrible souffrance20. » Qu’ils soient terrifiants ou non, ce sont ces sons qui ont permis à Begg de s’orienter dans le monde si peu familier de Bagram. Il n’était pas, comme les détenus des « dark prisons », dans un lieu hors du monde.

13 Le silence qu’attribue Begg à Bagram début 2002 était relatif, moins une réalité acoustique qu’une volonté de cantonner au silence tout ce qui n’était pas une réponse coopérante aux interrogatoires. À l’automne 2002, le silence de Bagram s’était converti en une cacophonie de « musique à plein volume, utilisée pour désorienter et briser […] les nouveaux prisonniers21. » Les choses avaient beaucoup changé depuis ma première arrivée. Il y avait alors une vingtaine de prisonniers seulement. Maintenant, il y avait des chambres d’isolement et tous les nouveaux arrivants étaient soumis à la privation de sommeil. Un peu plus tard, ils ont construit d’autres cellules pour la privation de sommeil, où on passait en boucle des morceaux de heavy metal de Marilyn Manson qui nous perçaient les tympans afin de briser les nouveaux détenus. Un jour ils ont même passé Saturday Night Fever des Bee Gees toute la nuit. Je me suis dit « je me demande vraiment comment ils espèrent briser qui que ce soit avec ça ! ». La plupart des soldats, qui venaient du sud, aimaient écouter de la country et de la musique occidentale. Pour la plupart des détenus, c’était la même chose que n’importe quelle autre musique « anglaise », mais malheureusement, moi, je m’y connaissais un peu plus. « Nous allons parler. Nous allons tous parler ! », leur ai-je dit en plaisantant à moitié quand ils ont lancé le morceau, « mais arrêtez cette horreur s’il vous plaît22 ! »

14 Les cellules où la musique hurlait faisaient deux mètres sur deux. Les murs étaient d’un contre-plaqué qui devait résonner aussi bien que les parois d’un violon d’écolier. Les

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nouveaux arrivants étaient déshabillés et placés dans ces boîtes de contre-plaqué plusieurs jours d’affilée, « soumis en permanence à de la musique forte, très forte », que l’on pouvait entendre jusqu’à l’autre bout de la prison23. Begg, à qui l’on a infligé quelques jours de ce traitement pour avoir voulu résister à l’interrogatoire, décrit l’expérience en ces termes : C’était terrible. Il n’y avait aucune lumière, j’étais à l’étroit, il faisait très chaud, c’était étouffant. On ne peut rien voir, rien faire, il n’y a personne à qui parler, rien à regarder, rien à faire à part cogner contre les murs. Après il y avait la musique qui hurlait […] J’ai parlé à d’autres prisonniers qui avaient subi le même traitement, […] qui étaient prêts à dire aux Américains tout ce qu’ils voulaient, que ce soit la vérité ou non24.

15 Begg n’a pas, lui, été soumis à la musique quand il était dans la cellule d’isolement. Il pense que ses interrogateurs avaient sans doute compris que cela n’aurait pas autant d’effet sur ses nerfs que sur ceux des autres. Dans un sens, la musique ne me dérangeait pas. J’avais grandi au Royaume-Uni, je la connaissais bien. Mais les villageois afghans, les Yéménites, eux, étaient étourdis, hébétés et confus, totalement perdus face à tout cela25.

16 Au-delà des boîtes de contre-plaqué, les prisonniers de longue durée à Bagram étaient parqués dans des enclos clôturés de barbelés et de concertina. Là, la musique en provenance des cellules d’isolement était aussi forte que dans une discothèque26. L’environnement sonore qui étourdissait ces prisonniers à Bagram n’était plus constitué du son étouffé des prières, des pas des soldats ou des cris qui avaient permis aux premiers détenus de Bagram de s’orienter : il avait commencé à ressembler par intermittence à celui des « dark prisons ». Begg se souvient avoir entendu la musique « tous les soirs, surtout vers la fin de sa détention » et « qu’il était devenu presque impossible de dormir. » Dans un bâtiment où l’on pouvait même entendre l’écho des bruits de pas, imaginez- vous l’intensité avec laquelle du Marilyn Manson à plein volume pouvait résonner. Parfois, cela s’arrêtait autour de 3h du matin, mais votre sommeil était déjà perturbé. Vous perdiez la capacité d’avoir un rythme de sommeil […] Leur autre technique était de lancer la musique à des horaires différents […] et le fait de ne jamais savoir quand cela allait commencer ou finir était frustrant, fatigant, vous rendait fatigué, agité, angoissé en plus d’ignorer quand vous serez relâché ou envoyé dans ces cellules. Nombreux étaient les détenus qui avaient des crises d’angoisse. Certains faisaient de l’hyperventilation, perdaient le contrôle de leurs sens, frappaient les autres ou les murs de leur cellule avec leur bouteille d’eau ; ils tentaient de s’écorcher les mains sur les barbelés, et parfois ils craquaient et se mettaient à pleurer27.

17 En clair, la musique à Bagram respectait les règles à la lettre et cela fonctionnait.

18 Depuis sa libération, Moazzam Begg est devenu le porte-parole officiel d’une organisation caritative, Cageprisoners.com, qui défend ceux qui ont été – ou sont toujours – détenus dans le cadre de la « guerre contre la terreur ». On le paie pour prendre la parole en public au nom de ces détenus remis en liberté qui n’osent pas violer leur accord de confidentialité. Begg reconnaît librement avoir, dans les années 1990, apporté une aide matérielle et financière aux rebelles musulmans en Tchétchénie, au Cachemire et en Afghanistan, ainsi qu’aux organisations d’aide humanitaire venant au secours des populations musulmanes en Bosnie-Herzégovine. Les services de sécurité britannique l’ont arrêté deux fois pour ce type d’activité, et

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d’autres activités jugées suspectes dans les années 1990. On peut donc penser que son récit sur sa détention à Bagram pourrait être faussé, ou même qu’il pourrait s’agir d’une campagne de désinformation délibérée des djihadistes. C’est en théorie possible, mais son récit fait écho à ceux d’ex-interrogateurs de l’armée sur l’utilisation de la musique dans les camps de détention de Camp Nama, à la base opérationnelle avancée « Tiger » et à la base aérienne Mosul en Irak. Ces récits montrent très clairement que l’utilisation de la musique comme instrument de pression était tout à fait intentionnelle et habituelle. Ils reflètent aussi l’impact que cette musique a pu avoir sur les interrogateurs eux-mêmes.

La « chambre noire », la première mauvaise réponse et « la discothèque » : trois interrogateurs racontent

19 Dans le rapport « Pas de sang, pas de bavure. Récits de soldats sur les sévices infligés aux détenus en Irak » de Human Rights Watch, un interrogateur de la force opérationnelle Interagency Task Force 6-26 du Camp Nama, à Bagdad, parle des tâches qui lui ont été confiées sous le pseudonyme du « Sergent Jeff Perry » début 200428. Son récit montre clairement que la « musique forte » faisait partie intégrante des techniques d’interrogatoire des forces armées américaines.

20 En plus d’une salle de contrôle médical (où l’on a vérifié la dentition de Saddam Hussein après son arrestation devant les caméras), le Camp Nama comportait quatre pièces dédiées tout spécialement aux interrogatoires. Une pièce « confortable », avec de « beaux tapis, des canapés, des tapis de prière sur les murs […] trois ou quatre fauteuils en cuir noir » pour les interrogatoires de détenus hauts-placés ; une pièce « bleue » et une pièce « rouge », moins meublées, pour les interrogatoires qui se déroulaient sur le mode de la conversation. Enfin, une « pièce noire » pour les « interrogatoires renforcés. » Perry la décrit de la façon suivante : La pièce noire faisait 3,5 mètres carrés. Tout était peint en noir : le sol, le plafond, les murs, la porte... Il y avait des haut-parleurs aux quatre coins de la pièce, au niveau du plafond. Il y avait une petite table à l’un des coins et parfois des chaises. Mais, en général, personne ne s’asseyait dans la pièce noire. On y restait debout, stressé. La table était réservée à l’ordinateur et à la sono. Nous y branchions les haut-parleurs et lancions le bruit et tout29.

21 D’après Perry, les interrogateurs devaient remplir un formulaire en ligne pour obtenir une autorisation officielle d’utiliser les techniques d’interrogatoire de la « black room30 ». Lorsqu’ il a protesté, avec d’autres interrogateurs, contre ce qui leur semblait être une évidente maltraitance, ils ont reçu une présentation PowerPoint de deux heures du Judge Advocate General Corps leur assurant que toutes ces pratiques entraient dans un cadre légal, puisque ces détenus n’étaient pas considérés comme des prisonniers de guerre et n’étaient donc pas couverts par les Conventions de Genève31.

22 Même si la musique semble avoir été employée seulement lors des « interrogatoires renforcés » à Camp Nama et à la base opérationnelle avancée Tiger, près de al-Qaim, cette pratique est ensuite devenue plus récurrente, comme une sorte de préambule à la violence qui allait suivre32. En général, les détenus passaient les premières vingt-quatre heures debout, nus avec les yeux bandés, les mains attachées derrière le dos, sans boisson, sans nourriture et sans accès aux toilettes, enfermés dans un conteneur de

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métal où – en 2003 – la température pouvait atteindre 57 à 62 degrés Celsius environ33. Certains gardes, comme celui qui portait le pseudonyme « Sgt. Nick Forrester » de la 82e division aéroportée, avaient reçu l’ordre de crier et de taper contre les flancs des conteneurs toute la nuit pour empêcher les détenus de dormir. Le jour d’après, ils étaient conduits à l’interrogatoire. Ils vous asseyaient sur une chaise et commençaient par quelques questions faciles. Ils vous demandaient votre nom, puis ils commençaient à vous mettre la pression. Dès que vous répondiez non, je ne sais pas, ou « je n’ai pas d’informations à ce sujet », à la première mauvaise réponse – les lumières s’éteignaient, les stroboscopes se mettaient en route et la musique aussi – du heavy metal ou n’importe quel autre type de musique trop forte. Un jour, ils ont passé Barney très fort et cela m’a vraiment déplu34. L’écouter en boucle deux heures durant, c’est vraiment perturbant. Un premier interrogatoire-type, c’était du heavy metal à plein volume, un stroboscope, un tas de questions aboyées jusqu’à ce que le détenu craque en disant « je ne sais rien… » En général, à ce moment là il était à genoux, un fusil braqué sur la tempe, la musique et le stroboscope à fond… Les interrogateurs le criblaient de questions en hurlant – il fallait hurler de toute façon pour se faire entendre [avec la musique]... Ils répétaient les mêmes questions encore et encore35.

23 La musique était souvent si forte que les gardes qui se trouvaient à dix mètres de là devaient crier pour se faire entendre. D’après le sergent Forrester, la sono à la FOB Tiger était si efficace qu’ils l’ont même utilisée pour fêter le 4 juillet. Pas comme celle de la « discothèque », la base aérienne de Mosul.

24 Dans ses mémoires Fear Up Harsh36, l’ancien interrogateur de l’armée Tony Lagouranis décrit le moment où l’on a créé la salle d’interrogatoire de la base Mosul, surnommée la « discothèque ». Cela ne servait à rien de confronter un prisonnier aux aboiements d’un chien, alors que faire ? Apparemment les forces d’élite, dans leurs quartiers en-dehors de l’enceinte, récoltaient beaucoup d’informations. En tout cas, ils faisaient beaucoup de rafles et ramenaient de nombreux prisonniers. La plupart d’entre nous n’avait jamais vu ce qui se passait réellement là-bas, mais les gardes et les prisonniers qui revenaient de ces quartiers nous parlaient des méthodes qui y étaient employées. Cela nous servait d’inspiration pour endurcir nos méthodes. Un jour, Pitt [mon supérieur] nous montra un conteneur juste en-dehors de l’enceinte de la prison et nous dit ce qu’il attendait de nous. Il demanda à l’aviation de lui fournir un stroboscope et se débrouilla pour trouver la sono de son côté. Il demanda aux gardes de lui donner les pires CD de death metal qu’ils avaient. Il nous confia ensuite ce matériel et nous dit, à Evan et à moi, de vider le conteneur pour le transformer en salle d’interrogatoire. Il nous dit, d’un ton décidé « C’est ça qu’il faut faire37. »

25 À ce stade, Lagouranis et ses collègues savaient déjà que la musique pouvait être utilisée lors des interrogatoires. Ils en avaient entendu parler lors de leur formation à Fort Gordon, en Géorgie, en 2003, toutefois pas de la bouche de leurs formateurs officiels. Des interrogateurs expérimentés, de retour d’Afghanistan ou d’Irak leur avaient dit « comment un interrogatoire se passait dans la réalité… les positions difficiles, la musique à fond, les lumières, les “adaptations” du sommeil, les humiliations sexuelles,… la manipulation de l’alimentation… l’utilisation du froid pour mettre le détenu sous pression38. » Et effectivement, les détenus interrogés par Lagouranis à Mosul lui avaient dit que les interrogateurs de la CIA avaient utilisé toute

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la panoplie de ces techniques sur eux. Ses supérieurs lui avaient dit que c’était légal, d’après les Interrogation Rules of Engagement ou IROE (règles d’interrogatoire) en vigueur dans certains camps de détention39. Le premier prisonnier à être interrogé dans la « discothèque » de Mosul a été « un gros mec un peu bête aux traits doux et aux yeux tristes » du nom de Umar40. Nous l’avons fait sortir de la prison très tard un soir, nous lui avons couvert la tête d’un sac et l’avons jeté à l’arrière d’un pickup… Nous lui avons fait faire le tour du camp pendant vingt minutes environ, [puis] nous l’avons traîné hors du pickup et l’avons obligé à rester debout au milieu du conteneur. Lorsqu’il a entendu les portes se refermer sur lui et le cadenas se fermer, sa respiration est devenue saccadée. L’obscurité était totale. Nous avions tout planifié dans les moindres détails. Il devait croire que nous étions prêts à sérieusement l’amocher. Quand Umar s’est mis à genoux, nous avons placé le stroboscope devant son visage couvert par le sac et la sono à plein volume juste à côté. La musique… c’était de la musique industrielle avec des guitares, des batteries et des paroles criées ou gémies… le chanteur se prenait à coup sûr pour le Prince des Ténèbres. Avec les haut-parleurs, le son se réverbérait sur les murs du conteneur, à plein volume... Umar toujours à genoux, nous lui hurlions nos questions dans les oreilles à tour de rôle. Il tournait la tête de part et d’autre pour essayer de deviner où nous nous trouvions. Après une demi-heure environ, il a commencé à gémir. Je me suis dit qu’il pleurait sous le sac. Nous avons continué et nos paroles sont devenues plus agressives. Ma gorge était douloureuse, mes oreilles sifflaient et les lumières me désorientaient. Je me suis rendu compte que je ne pourrais pas tenir le coup encore très longtemps. La musique et les lumières me rendaient toujours plus agressif. Le prisonnier, qui ne coopérait toujours pas, m’énervait de plus en plus41.

26 Le livre de Lagouranis inclut plusieurs récits de ce genre, car les interrogatoires dans « la discothèque » sont devenus la procédure standard pendant toute la fin de sa période à Mosul. Il dit avoir passé principalement du heavy metal mais aussi des albums de James Taylor, un jour où « il n’en pouvait plus du death metal », la version audio de la parodie des livres de développement personnel de Ben Stiller et Janeane Garofalo, Feel This Book42. Ce qu’il relate de la manière la plus saisissante, à de nombreuses reprises, c’est la montée de sa propre rage lorsqu’il devait écouter, lui aussi, la musique en continu, les questions qu’il ne cessait d’aboyer, et le refus, ou l’incapacité, de son prisonnier à lui donner l’information recherchée. Une nuit, alors qu’il était quasiment une heure du matin, il a craqué : J’avais laissé [Khalid] dans le conteneur et j’étais sorti. La base était plongée dans le silence, à l’exception des voix de Ben et Janeane qui résonnaient entre les quatre murs du conteneur. Il faisait froid et j’étais seul, seul avec ce prisonnier à l’intérieur, qui… qui refusait de reconnaître que j’avais un pouvoir absolu sur lui. Il n’y avait que lui et moi, personne d’autre. Personne ne pouvait nous voir. Khalid était toujours là où je l’avais laissé, calme et serein. Quand je l’ai vu, mon sang n’a fait qu’un tour, ma colère était décuplée par les lumières clignotantes et le son insupportable. Une pensée m’a traversé l’esprit : tranche lui ses putains de doigts43.

27 Choqué par l’irruption de ce qu’il a reconnu comme étant sa propre capacité à faire le mal, Lagouranis laissa les mains de Khalid intactes ce soir-là. Il se demande même si ce n’est pas, au fond, la réalisation de la capacité des interrogatoires à faire le mal qui finit par faire craquer les prisonniers.

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Ce que nous craignons le plus, ce n’est pas tant ce que le mal peut faire à nos corps, mais ce qu’il peut faire à notre vision du monde ordonnée, civilisée, à notre foi en la bonté intrinsèque de l’être humain et en la prédictibilité des choses, sur lesquelles repose notre fragile équilibre mental44.

Muhammad al-Qatani à Guantánamo : la musique comme agression de l’âme

28 En juin 2005, les reporters Adam Zagorin et Michael Duffy ont obtenu le rapport de quatre-vingt-trois pages de l’interrogatoire de Muhammad al-Qatani à Guantánamo entre le 23 novembre 2002 et le 11 janvier 200345. Ils ont publié un article inspiré de ce rapport dans le Time du 12 juin 2005, provoquant une vague de réactions à la fois dans les médias traditionnels et sur la blogosphère, en partie parce qu’il y était révélé l’improbable utilisation des chansons de la pop-star latina Christina Aguilera pour la « torture » d’al-Qatani.

29 Ce que l’article du Time ne disait pas, c’était que cette utilisation des chansons de Christina Aguilera n’était pas un cas isolé mais faisait partie d’une stratégie d’interrogatoire déployée sur plusieurs semaines, que les auteurs du rapport avaient appelée « le thème musical46 ». Ce dernier était lui-même inscrit dans un autre, « le thème du mauvais musulman », qui visait à empêcher al-Qatani de pratiquer les rites qui définissent un bon musulman47.

30 Dans ce rapport, la musique est mentionnée pour la première fois le 26 novembre 2002, à 6h30 du matin. Al-Qatani était réveillé depuis 4h et dès lors, il avait énervé ses interrogateurs en refusant de parler ou de boire de l’eau. À 6h20, il avait demandé la permission de prier. Lorsqu’on lui a répondu qu’il pourrait prier s’il buvait, il a dit qu’il jeûnait48. Il a commencé à réciter la prière malgré tout. D’après le rapport, « le Sgt. R a alors dit “si tu continues à prier je mettrai la musique.” Le détenu a alors cessé de prier49. » La menace du Sgt. R de « lancer la musique » semble ne pas avoir été mise à exécution avant le 3 décembre, quand a débuté une nouvelle phase de l’interrogatoire de al-Qatani.

31 Durant cette nouvelle phase, la musique a été un élément récurrent et imprévisible des journées au cours desquelles al-Qatani était questionné 20h sur 24. On utilisait parfois la musique pour le tenir éveillé, parfois expressément pour l’énerver ou le stresser. Ce procédé était parfois alterné ou combiné avec une approche nommée dans le rapport « invasion de l’espace par l’autre sexe », durant laquelle on l’accusait d’homosexualité parce qu’il refusait de regarder de près des photos de femmes quasiment nues, ou bien on le forçait à porter des tenues de femme. Christina Aguilera est la seule artiste mentionnée par son nom dans ce rapport. Toues les autres musiques utilisées sont simplement qualifiées de « forte », d’« instrumentale », « de relaxation/méditation », ou de « chansons en arabe ». C’est à cause de ces dernières que al-Qatani s’est plaint le 7 décembre 2002 à 11h15, le matin suivant la fin du Ramadan. Pour lui, c’était une « violation de l’Islam d’écouter de la musique arabe. » Il a ainsi montré une faille que ses interrogateurs se sont empressés d’exploiter.

32 Au cours des dix jours qui ont suivi, ses interrogateurs l’ont mis au défi de citer le passage du Coran qui interdit d’écouter de la musique. Il n’en a pas été capable, car il n’existe pas de passage de la sorte50. Comme al-Qatani l’a ensuite dit à ses

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interrogateurs, une longue tradition théologique, ou hadith, condamnait toute musique utilisée en tant que passe-temps, divertissement ou agrément. D’après cette tradition, énoncée dans les écrits du professeur Ibn abī’l-Dunya datant du IXe siècle, « écouter de la musique est interdit car cela détourne les pensées de la dévotion et de Dieu51. » La musique était considérée comme ayant une force immense, certains écrits la considéraient parfois comme une force diabolique, susceptible d’empêcher l’adhésion aux préceptes religieux. Il était particulièrement périlleux pour l’âme d’écouter des morceaux avec des paroles sensuelles ou provocatrices. Cependant, comme les interrogateurs d’al-Qatani le lui ont fait remarquer, une autre tradition théologique associée au professeur Majd al-Dīn al-Tūsīal-Ghazālī, au début du XIIe siècle, préconise l’utilisation de la musique comme un moyen de compréhension du divin, l’extase d’une conscience altérée et finalement « le tourbillon de la danse52. » Mais même al-Ghazālī a interdit d’écouter la musique « d’une femme… en tant qu’objet d’un appétit charnel qui est luxure », la musique instrumentale ou la musique satirique. Il a aussi interdit d’écouter de la musique lorsqu’on était investi d’une « passion charnelle », ou lorsqu’il s’agissait simplement d’un divertissement et non pas d’un moyen de s’élever53.

33 L’opposition entre ces deux courants de pensée existe toujours dans le monde contemporain, notamment dans le monde de l’enseignement religieux en ligne dispensé par les nombreuses communautés religieuses du renouveau islamique mondial54. Étant donné que les Talibans avaient interdit la musique en Afghanistan pour des raisons religieuses, il est possible que al-Qatani ait sincèrement cru que la musique était haram, interdite, et donc un péché. Mais comme il était dans l’incapacité d’expliquer pourquoi en s’appuyant sur la tradition islamique, le « thème musique » a rejoint d’autres thèmes comme celui du « mauvais musulman », « Al-Qaïda trahit l’Islam », « Dieu va détruire Al-Qaïda », « le Saoudien arrogant » et « je contrôle tout » pour former l’approche générale appelée « la destruction de la fierté/de l’ego ». Ainsi, on a humilié al-Qatani et remis en cause son identité de musulman en lui faisant remarquer son ignorance flagrante de sa propre tradition. En attendant, la « musique forte » qu’il considérait sans doute comme péché était toujours utilisée pour le tenir éveillé, pour marquer la fin des interrogatoires juste avant qu’il soit autorisé à dormir, pour le réveiller, pour l’empêcher de répondre aux questions de ses interrogateurs et pour remplir des plages de plus en plus longues de ses journées également occupées par la discussion sur le supposé péché de la musique ; tout ceci constituant le « thème musical ». Le 14 décembre à 16h30, ses interrogateurs l’ont confronté à un passage coranique qui condamnait comme péché toute addition d’interdits non mentionnés dans le Coran (comme il semblait le faire), Al-Qatani « s’est alors mis à pleurer et à demander pardon à Dieu… à dire qu’il ne pouvait rien contre la musique qui était passée dans la salle d’interrogatoire55. » Ses interrogateurs avaient pleinement tiré avantage de la musique comme expérience sensorielle, comme lieu de croyances culturelles et comme vecteur de pratiques culturelles pour plonger al-Qatani dans un état de péché conscient, sur lequel il n’avait aucune emprise56.

Procédure d’opération standard

34 Comme l’on pouvait s’y attendre, les Interrogation Rules of Engagement en vigueur depuis le début de la Guerre contre la Terreur et la plupart des rapports d’ interrogatoires individuels restent classifiés. Mais au moins l’un des documents

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déclassifiés vient corroborer l’idée que les techniques employées à Bagram, à Camp Nama, à la base d’opérations avancées Tiger, à la base aérienne de Mosul, à Guantánamo et dans les « dark prisons » font partie d’une procédure d’opération standard. Ce document explique en effet comment certaines techniques d’interrogatoire à présent reconnues – comme celle de la « musique forte » – s’inscrivent dans le cadre des « approches émotionnelles » encore enseignées dans le Army Field Manual for Human Intelligence Collector Operations, FM 2-22.3 (34-52)57. En décembre 2004, une demande d’informations (conforme au Freedom of Information Act58) a révélé que le FBI avait lancé une enquête interne sur les plaintes de son propre personnel quant aux techniques d’interrogatoire à Guantánamo. Lorsque ces plaintes ont été rendues publiques, le général Bantz J. Craddock, commandant de la United States Southern Command, a demandé que l’on enquête sur celles-ci et sur d’autres, notamment celles largement médiatisées relatives aux humiliations sexuelles subies par les prisonniers musulmans de sexe masculin et l’utilisation de « musique forte », de stroboscopes, de privation de sommeil et de températures extrêmes59. Le 1er avril 2005, le rapport d’enquête a blanchi le personnel militaire de toutes les charges sauf celle de « traitement dégradant et abusif60. » Il a été revu le 9 juin 2005, peut-être en prévision de la publication imminente par le Time d’un rapport d’interrogatoire ayant fuité61.

35 Le rapport commençait par le passage en revue des ordres donnés par le secrétaire de la Défense Donald Rumsfeld. Ces derniers, triés par date, établissaient des normes pour l’interrogatoire « des détenus ayant été entraînés à résister ». Celles-ci autorisaient les interrogateurs à utiliser certaines « techniques agressives » et le fameux « programme d’interrogatoire spécial » qui a été utilisé sur al-Qatani62. Après avoir ainsi passé en revue l’historique des ordres mis en cause, le rapport se penchait ensuite spécifiquement sur chaque accusation d’abus, avant de les rejeter. Les nombreux cas connus de femmes menant des interrogatoires en usant de leur parfum, en enlevant leur chemise tout en interrogeant des prisonniers masculins, en passant leurs doigts dans les cheveux de ceux-ci, en frottant sur eux une substance rouge censée être du sang menstruel, en s’asseyant sur leurs corps soumis pour pratiquer ce que les interrogateurs nommaient un « lap dance », ou encore en les obligeant à se tenir nus devant elles, étaient légitimés et considérés comme des exemples tout à fait acceptables de la technique d’interrogatoire appelée « inanité [futility]63. » Les enquêteurs ont recommandé que « les techniques de coercition sexuelle faisant partie de l’approche “inanité” soient soumises à l’autorisation préalable du JTF GTMO-CG uniquement », c’est-à-dire que cette « coercition genrée » nécessitait l’accord du commandant de Guantánamo. L’approche « inanité » servait aussi de justification à l’utilisation de la musique forte, même si les enquêteurs ont recommandé que les commandants « formulent des instructions spécifiques quant à la durée pendant laquelle un détenu pourrait être soumis à l’utilisation de cette futility music64. » L’allégation et la résolution qu’elle a entraînées sont si spécifiques quant à la façon dont on devrait utiliser la musique qu’elles méritent une citation complète. Allégation : Les interrogateurs DoD ont commis des abus en passant de la musique extrêmement forte et en hurlant leurs questions aux prisonniers. Constatation no 4 : À de nombreuses reprises entre le mois de juillet 2002 et d’octobre 2004, on a crié sur les détenus ou on les a exposés à de la musique forte durant leurs interrogatoires. Technique : Autorisée : technique FM 34–52 – Incitation et Inanité – actes voués à récompenser la coopération ou créer l’inanité en cas de résistance.

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Discussion : Presque toutes les personnes interrogées ont dit que la musique forte et les cris étaient utilisés comme techniques d’interrogatoire à GTMO. En quelques rares occasions, les détenus ont été laissés seuls dans la salle d’interrogatoire, pendant une durée indéterminée, avec la musique à pleine puissance et un stroboscope. La majeure partie du temps cependant, les interrogateurs étaient également présents. Le volume n’était jamais suffisamment fort pour provoquer des blessures physiques. Les interrogateurs affirment que la musique permettait d’améliorer [l’obtention d’informations voulues]. La technique « inanité » comprenait la diffusion de Metallica, de Britney Spears, de rap [...]. Recommandation no 4 : [...] Recommandons que le JTF-GTMO mette en place des lignes directrices spécifiques quant à la durée pour laquelle un détenu devrait être soumis à la futility music. Le détenu ne devrait être soumis à de la musique forte et les stroboscopes dans la salle d’interrogatoire que pour une durée limitée et clairement définie65.

36 Il est important de noter que cette recommandation n’interdit pas, ni ne condamne, l’utilisation de la musique dans les interrogatoires. Elle ne la considère pas non plus comme un jeu cruel et vain de soldats sans foi ni loi. Elle vient en revanche confirmer que cet usage suit les instructions des personnes les plus haut placées dans la hiérarchie militaire.

37 La façon dont l’armée a défini ces techniques en 2005 est très différente de ce à quoi on pourrait s’attendre si on a beaucoup lu de documents sur la manipulation sensorielle lors des « interrogatoires » ou la « torture » dans les manuels d’interrogatoire de la CIA, ou les descriptions des expériences financées par celle-ci. Ces techniques ne sont pas tant faites pour détruire le « soi » du sujet que pour briser sa volonté et donc sa résistance aux interrogateurs - il finit même par les considérer comme sa seule voie de salut. Si le KUBARK (et ses exégètes) parle parfois de régression psychologique pour définir cet état de dépendance, ni les interrogateurs, ni leurs supérieurs ne semblent penser en des termes aussi sophistiqués. Ils pensent plutôt en termes simples de manipulation du comportement, comme nous en avons des exemples dans la vie quotidienne.

38 De plus, lorsque ces techniques sont considérées comme faisant partie d’une ou plusieurs « approches » standard d’interrogatoire officiellement adoptées par les militaires, elles appartiennent à une procédure qui ne doit pas apparaître dans les documents officiels de l’armée. On pourrait comparer la relation entre ces documents à l’écart existant entre les normes des performance practice et celles des partitions publiées. Lorsque l’on nous dit que l’« inanité », « l’incitation », et « l’augmentation de la peur » sont des « approches » acceptables dans le manuel de l’armée Army Field Manual 2-22.3 (FM 34–52), nous devons en conclure que « la musique à plein volume », « la coercition genrée », les stroboscopes, les positions de tension physique et tout le reste sont également acceptables – et, comme elles l’étaient manifestement durant les premières années de la « guerre contre la Terreur », elles sont appliquées sur ordre et supervision des officiers et des plus hauts niveaux hiérarchiques66. Selon toute vraisemblance, ce type d’interrogatoire continue à avoir lieu, au moment même où vous lisez ces lignes, dans les camps gérés par les services américains.

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Que de la musique soit utilisée pour les interrogatoires, qu’est-ce que cela change ?

39 On m’a souvent demandé si je pensais qu’il y avait quelque chose de spécial, de propre à la musique dans son utilisation lors des interrogatoires. Mes interlocuteurs me disent que c’est l’impuissance totale des détenus, à laquelle s’ajoutent la nudité, l’humiliation, la fatigue et la douleur auto-infligée par les positions pénibles qui transforment la musique non-désirée en véritable torture. Le débat politique et moral serait donc lié à la torture et non pas à la musique. Je suis d’accord jusqu’à un certain point. Je pense qu’il y a deux façons de considérer la musique qui peuvent nous aider à comprendre le lien qui existe entre les citoyens américains et les actes que les interrogateurs réalisent loin de nos latitudes, mais en notre nom à tous.

40 La première façon consiste à considérer la musique et la « coercition genrée » comme des exemples de l’approche nommée « inanité », comme l’ont fait les enquêteurs. À première vue, le lien qui existe entre la musique et le genre semble être une tradition occidentale désuète, datant au moins de l’époque de Platon67. Mais qu’ont donc réellement en commun la musique et le genre ? Tous deux provoquent des expériences sensorielles (sonores et sexuelles) et découlent de normes culturelles. Tous deux sont donc des vecteurs de pratiques culturelles grâce auxquelles ces normes deviennent éthiques. Dans les sociétés occidentales, c’est principalement à travers ces normes que nous interagissions comme des êtres sensés et intégrés. Ainsi, la musique et la « coercition genrée » peuvent avoir un effet plus complexe sur les humains que les positions pénibles, la privation de sommeil et les températures extrêmes qui sont des composantes récurrentes des interrogatoires. Ces dernières sont faites pour exploiter les faiblesses physiques du sujet et provoquer la douleur. La « futility music » et la « coercition genrée » ciblent pour leur part ses normes culturelles et leur appropriation singulière pour les transformer en pratiques éthiques. La « futility music » et la « coercition genrée » peuvent pousser des sujets comme Muhammad al-Qatani à subir une souffrance plus psychologique que physique. Découlant directement de ce qu’il est ou de ce qu’il a choisi d’être en tant qu’être social – par opposition à son identité purement biologique – cette souffrance psychologique attaque sa cible et l’oblige à se trahir au sein de l’espace intrasubjectif [intrasubjective] que de nombreuses religions nomment l’âme. Toute résistance n’est plus simplement futile mais impossible lorsque, justement, l’âme et le corps cèdent en même temps sous l’effet de cette auto-trahison. C’est alors que cette rupture d’ordre physique décrite dans le KUBARK a lieu : le monde intérieur du sujet implose et sa perception de lui-même aussi. Cela peut provoquer un flot soudain de ce que les commandants des opérations appellent des « renseignements utiles » – des informations sur des attaques imminentes qui pourront alors être empêchées.

41 Que l’on juge ou non la souffrance provoquée par les techniques « futility music » et « coercition genrée » suffisante pour être qualifiée de « torture », les résultats positifs que l’on attend de leur usage les font entrer de fait dans la structure épineuse qui caractérise la dynamique de la torture. On punit alors même que l’on n’a pas encore obtenu de preuves qu’il y ait eu crime, parce que la punition même – c’est-à-dire la souffrance que l’on fait endurer – est celle qui va permettre d’obtenir ces preuves68. Si les preuves n’arrivent pas, ou s’il y a eu erreur, les interrogateurs auront poussé un innocent à trahir son corps et son âme. Les interrogateurs courent donc en permanence

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le risque de commettre des actes de cruauté gratuite. Quand un commandant militaire ou les citoyens d’une nation leur demandent de se conduire ainsi, ils les obligent à agir contre leurs propres préceptes moraux et se retrouvent alors dans une situation de péché [condition of sin] proche de celle infligée à Muhammad al-Qatani – une situation où ils trahissent leur âme. En ce qui concerne les membres du personnel militaire, il s’agira sans doute plutôt de leur âme de civils que de leur âme au sens religieux du terme. C’est une voie sans issue. Il est inutile de tenter de résister au processus une fois qu’il est lancé et cela vaut aussi bien pour les interrogateurs que pour les détenus, les commandants et les citoyens. C’est ce qu’a compris Tony Lagouranis le soir où il a failli couper tous les doigts de Khalid.

42 Si la capacité de la musique à générer autant d’énergie destructrice pour l’âme des détenus nous montre comment nous participons tous à cette situation d’impasse, le fait que la musique soit une énergie acoustique nous le montre également69. En effet, tout comme la climatisation et l’électricité 24h sur 24, la « musique forte » qui transforme les camps de détention en lieux « hors du monde » dépend directement de l’approvisionnement en électricité des forces américaines. Or, curieusement, nous ne sommes pas en mesure de faire profiter les populations iraquienne et afghane d’un approvisionnement de ce genre. L’approvisionnement en électricité de nos troupes provient de la transformation d’hydrocarbures en énergie – soit du pétrole dont nous nous servons pour nos générateurs. Tous les sons passant par un haut-parleur dans ces camps, c’est-à-dire toute musique, provient de la transformation par les États-Unis du pétrole du Moyen-Orient en énergie acoustique violente utilisée pour exercer de la violence à l’encontre des citoyens de ces mêmes pays. Des citoyens qui sont aussi incapables de résister à notre exploitation de leurs ressources qu’ils le sont de résister à l’utilisation que nous en faisons contre eux. Les détenus iraquiens en sont probablement conscients. Il est même possible qu’ils envisagent le programme « musique forte » comme l’écho assez littéral des relations de pouvoir entre leur pays et les États-Unis, relation qui a probablement été à l’origine de l’invasion de l’Irak : ce droit que nous nous octroyons d’exploiter les ressources d’autres pays pour renforcer notre domination sur eux. Malheureusement, le seul fait que le « programme musique » provoque un tel gaspillage d’énergie pourrait venir nous rappeler, à nous citoyens « innocents », que nous nous sommes octroyés le droit d’utiliser les ressources énergétiques d’autres nations pour maintenir un train de vie que nous n’avons pas les moyens de nous permettre seuls.

Est-ce de la Torture ?

43 Suivant les « déclarations et réserves » émises par les États-Unis en 1994 lorsque le Président Bill Clinton signa la « Convention des Nations Unies contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants », aucune de ces techniques d’interrogatoire n’était considérée comme de la torture70. Les réserves émises par les États-Unis sont alignées sur les « avis et consentements » du Sénat. Elles limitent la définition de souffrance mentale prohibée à la souffrance mentale qui découle de la douleur physique, de l’administration de « substances psychotropes ou autres procédés visant à modifier profondément les sens ou la personnalité » et des menaces de mort ou à l’encontre d’une tierce personne. Un mémorandum du Lieutenant Colonel Diane E. Beaver daté du 11 octobre 2002 stipule que la privation de

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sommeil, de confort et d’objets de culte, le fait d’enlever les vêtements des prisonniers ou de leur mettre un sac sur la tête, d’exploiter leurs phobies, de les harceler sexuellement, les exposer au froid, les priver de stimuli auditifs ou de lumière et de mener des interrogatoires 24h durant, ne doivent pas être considérés d’un point de vue légal comme « prévus pour altérer […] les sens ou la personnalité. » Ce sont, au contraire, « des stratégies visant à combattre la résistance71. »

44 Mais peut-être que la vraie question n’est pas de savoir si une technique répond à la définition en vigueur de la torture. La monographie d’Elaine Scarry, The Body in Pain, peut nous aider à mieux appréhender le problème. « La torture », dit-elle « est un processus qui convertit et annonce la conversion de toute action et de tout élément de son environnement en souffrance. » Quelques pages plus loin, elle ajoute « les bourreaux forcent le sujet à avouer et à objectiver le fait que la douleur intense détruit toute réalité72. » De ce point de vue, le but des techniques psychologiques dérivées du manuel KUBARK des années 1960 est bien de torturer.

45 Finalement, c’est peut-être le journaliste Tim Russert qui a posé la meilleure question en demandant à l’amiral Michael McConnell, Directeur des services de renseignement américains le 22 juillet 2007 : « [Est]-ce que nous accepterions qu’un citoyen américain subisse le même genre d’interrogatoire renforcé73 ? » Et il serait sans doute encore plus judicieux de nous demander, à nous autres citoyens américains, si nous sommes vraiment prêts à accepter d’endosser la responsabilité morale de tout ce que notre État demande aux interrogateurs de faire subir à d’autres êtres humains, en notre nom.

« Je ne pouvais pas comprendre comment on pouvait faire ça à un être humain74 »

46 Le 15 avril 2006, le vétéran des marines américains Donald Vance, âgé de 28 ans, a cru perdre la vie75. Il était chef de sécurité et de logistique dans la société irakienne Shield Group Security Company, et cela faisait six mois qu’il collaborait en secret avec un agent du FBI de Chicago. Ils rassemblaient des preuves sur le trafic d’armes illégal opéré par la société, qui revendait les armes de la Coalition aux groupes d’insurgés. Lorsque ses employeurs lui confisquèrent la carte nominative qui lui donnait accès aux installations de Zone verte, Vance se douta que son enquête avait été découverte. Il demanda l’aide de son ambassade. Avec Nathan Ertels, l’autre homme qui l’aidait à rassembler des preuves, on leur demanda de s’enfermer dans leur bureau pour éviter un possible enlèvement. Lorsque les soldats américains arrivèrent à leur secours, Vance et Ertels leur montrèrent un dépôt gigantesque de fusils, munitions et explosifs. On les amena à l’ambassade pour recueillir leurs témoignages, puis fait passer la nuit dans une camionnette dans le quartier. Ils s’étaient crus tirés d’affaire.

47 Au lieu de cela, on les réveilla en pleine nuit, puis on leur mit un sac sur la tête, des casques insonorisés, des lunettes noires et des menottes. On les conduisit dans un véhicule de l’armée à une prison anonyme de la Zone verte. Là, ils furent déshabillés, fouillés, on prit leurs empreintes digitales et scanna leurs rétines. On procéda ensuite à un test d’ADN et on leur donna des combinaisons orange, avant de les transférer dans un lieu sans fenêtre où seules les prières et les questions de leurs interrogateurs rompaient le silence. Deux jours plus tard, ils étaient transférés au Camp Cropper,

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centre pour détenus « importants » situé à l’aéroport international de Bagdad. Vance y fut détenu – et interrogé – jusqu’au 21 juillet 200676.

48 Comme tous ceux qui ont été interrogés par les forces américaines, Vance a dû signer un accord de confidentialité lorsqu’il a été relâché. Comme Moazzam Begg, il a décidé de violer cet accord aussi souvent que possible. Il espère que le fait qu’il soit si visible et si actif, parlant à la presse, aux universitaires et aux militants – ainsi qu’aux avocats, tribunaux et juges du procès pour détention illégale qu’il a intenté contre l’ex- secrétaire à la Défense Donald Rumsfeld – empêchera qu’il soit détenu une nouvelle fois pour avoir rompu cet accord. Le récit très détaillé de Vance sur les conditions de sa détention au Camp Cropper, sur les techniques qu’on lui avait enseignées pour résister à ce qu’il appelle le « programme musique » et sur les effets que celui-ci a tout de même eu sur lui, sera sans doute plus facile à écouter pour un public américain que les récits marqués par les accents des Anglo-Pakistanais, Anglo-Ethiopiens ou Algériens77. Son récit est une question ouverte pour nous : comment pouvons-nous accepter qu’un être humain soit traité de la sorte ?

49 À l’unité spéciale, bâtiment cinq du Camp Cropper où Vance était détenu, les prisonniers étaient enfermés dans des cellules de trois mètres carrés et quatre mètres de haut faites de béton et de parpaings. Les portes étaient en préfabriqué recouvert d’acier ,« entourées de tubes métalliques carrés, recouvertes de plaques métalliques et peintes en rouge ». Il y avait une lucarne dans la porte pour faire passer nourriture et boisson, à des heures aléatoires que les détenus suspectaient être en rapport direct avec la façon dont ils collaboraient durant l’interrogatoire. À un mètre au-dessus environ, une vitre en plexiglas de 30 cm d’épaisseur recouverte d’un drap permettait aux gardes d’observer le détenu toutes les quinze minutes en moyenne. Ils s’assuraient ainsi qu’il était éveillé, sur le qui-vive, et qu’il ne tentait pas de s’automutiler. Chaque cellule était équipée de toilettes, mais le détenu devait frapper sur la porte pour qu’un garde tire la chasse. Les gardes pouvaient contrôler la température et la lumière de chaque cellule. Vance se souvient : « les lumières étaient toujours allumées dans ma cellule, dans le but évident de m’empêcher de dormir ; et le bruit de l’éclairage au néon était abrutissant ». La température tournait autour des 13 à 15 degrés, en tout cas « toujours en-dessous de la température recommandée (de 18 degrés)78. »

50 Vance dit que lorsqu’il est arrivé au Camp Cropper, « il était terrifié79. » Tout comme Moazzam Begg à Bagram, il s’appuyait sur les sons pour avoir une idée de ce qui se déroulait autour de lui, et cette manipulation évidente de l’acoustique avait le don de le mettre sur les nerfs. Je pouvais entendre des voix. Je pouvais deviner l’arrivée du repas en entendant le bruit du chariot avec lequel on nous apportait la nourriture […]. [L]es chambres d’interrogatoire dans lesquelles on m’a emmené […] étaient plongées dans un silence total. De la moquette épaisse recouvrait les murs et le plafond. Mon premier instinct en les apercevant a été de me battre ou m’enfuir pour sauver ma peau, mais bien entendu on ne peut rien faire de tout ça. Les questions ont fusé dans ma tête : « Veulent-ils nous empêcher d’entendre les sons de l’extérieur, ou empêcher les sons de filtrer au- dehors ? Pourquoi la pièce est-elle si petite, et pourquoi est-elle capitonnée ? » Dans ma cellule, il n’y avait absolument RIEN. Je dépendais entièrement des sons pour m’occuper l’esprit. Je pouvais passer des heures à genoux, à coller mon oreille à la porte pour essayer d’entendre les sons extérieurs. Des sons de voix, de conversations parfois80 …

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51 Ce que Vance entendait surtout c’était la musique, « cette maudite musique à fond la caisse qui semblait ne jamais s’arrêter » et que tous ceux présents dans le bâtiment entendaient comme lui81. Je ne me souviens pas d’un seul jour où on ne m’a pas imposé cette musique […]. D’énormes haut-parleurs avaient été placés à l’entrée des corridors de chaque côté du bâtiment. Et ce, afin que les deux côtés du bâtiment entendent les mêmes morceaux [...] 18 mètres environ séparaient ma cellule des premiers haut-parleurs […] Je me souviens même de quelques morceaux, comme « Mr. Self Destruct » et « March of the Pigs » de Nine Inch Nails. Et je ne me souviens même plus du nombre de fois où j’ai entendu « We Are the Champions » de Queen... Les morceaux variaient, on passait d’abord du hard rock puis de la country et encore du hard rock, ensuite du hip-hop, par exemple. [...] La musique était extrêmement forte82.

52 Elle était même tellement forte que les gardes de chaque côté du couloir devaient crier ou se déplacer pour s’entendre. Au début, Vance trouvait la musique irritante, puis il en est venu à la considérer comme « une guerre psychologique, une attaque personnalisée83. » Quelquefois, en revanche, il ne pouvait pas s’empêcher de fredonner l’air si c’était « un artiste que j’aimais bien. Mais […] ça a fini par me faire craquer. Écouter des morceaux familiers […] dans cet endroit, ça me faisait monter les larmes aux yeux84. » Après l’omniprésence d’une musique tonitruante, les sons de voix de ses interrogateurs étaient presque les bienvenus pour Vance.

53 Bien qu’il soit convaincu de n’avoir jamais opposé de résistance, Vance était menotté, coiffé d’un casque anti-bruit et de lunettes noires, recouvert d’une serviette de bain et amené en fauteuil-roulant à la salle d’interrogatoire presque tous les jours85. Il était ensuite interrogé par un, deux, voire trois hommes blancs, tandis qu’un autre filmait. Ces gens [les interrogateurs] n’avaient pas de nom, certains d’entre eux étaient en civil. Certains avaient même l’air de clochards, ils étaient sales avec une barbe de plusieurs jours et ils avaient l’air mal soigné. Chaque mot qu’ils prononçaient était une accusation, une question déjà répétée une trentaine de fois, c’était un rituel : « hier, nous vous avons demandé […] », et vous répondez « j’ai déjà répondu à cette question », puis ils demandent à qui vous avez parlé […] pour vous rendre fou. Puis ils vous disent « rien n’indique ici que vous ayez été interrogé hier. » Votre esprit commence à divaguer […]. Vous commencez à penser, « j’aurais dû obéir bien gentiment, j’aurais dû garder le silence, et rien de tout ceci ne serait arrivé […]. » Vous commencez à lire les papiers qu’ils vous mettent sous le nez, qui disent que vous êtes une menace pour le gouvernement iraquien et pour la Coalition […] et vous dites, « oui, c’est vrai, et ce qui se trouve dans mon ordinateur l’est aussi. » Je me rappelle leur avoir dit de tout effacer, que je ne le répèterais jamais à personne. Ils ont juste ricané […]. Vous vous dites « que pensent-ils donc que j’ai fait ? Il y a des prisonniers ici qui ont tué des gens, et pourtant ils rentrent chez eux. Et moi, ils ne me laissent pas retourner aux États-Unis. » Vous pensez à tout ça, aux milliards de dollars détournés, aux arnaques, à ces entreprises qui ont été payées mais n’ont pas rempli leur contrat, aux assassinats, aux soldats qui violent les femmes iraquiennes. La première chose qu’ils ont faite, c’est de les mettre dans un avion. Mais moi, qui n’ai jamais fait de mal à personne, ils m’ont mis dans un camp, ils m’ont interrogé pendant 97 jours […]. [Vous] perdez l’esprit, vous pleurez, cette maudite musique semble ne jamais vouloir s’arrêter, la nourriture est affreuse […]. Vous devenez fou86.

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54 Vance pensait même qu’un autre Américain détenu à Camp Cropper, Joseph Tremper, était devenu fou, « il avait des hallucinations, il parlait à des personnes qui n’étaient pas là87. » Vance pense qu’il s’en est sorti parce qu’il a pu prier : « j’ai été élevé dans la foi catholique. Je m’en suis remis à ma Foi88. »

55 La Foi. C’était justement là la cible des techniques « programme musical » et « coercition genrée » lors de l’interrogatoire de Mohammad al-Qatani à Guantánamo. Mais pour les catholiques américains, écouter de la musique n’est pas une pratique amorale. On n’a d’ailleurs jamais demandé à Vance quoi que ce soit qui aille à l’encontre de ses croyances religieuses. Par ailleurs, il savait comment résister à la musique qui déferlait des haut-parleurs à longueur de journée. C’est peut-être pour cela que son séjour en détention l’a endommagé mais pas brisé89.

56 Tout comme Tony Lagouranis, l’interrogateur de Mosul, Donald Vance avait entendu des vétérans parler de l’usage de la musique en détention. Il avait suivi les cours « Crucible » donnés par DynCorps pour les agents de sécurité en Irak. Ces cours étaient prodigués par d’anciens officiers des Forces Spéciales qui parlaient parfois de leur propre entraînement, entre autres concernant la résistance à la musique. Puisqu’il savait qu’on utilisait la musique pour brouiller les pensées des détenus, il savait également comment faire pour résister. Lors de notre premier entretien, il me raconta la chose suivante : Pour contre-attaquer, il fallait se parler à soi-même, avec animation ; je gesticulais. Je me racontais des anecdotes sur ma propre vie, des blagues – alors que j’en connaissais déjà la fin. J’avais compris que je devais m’occuper l’esprit. Mais, comme je le disais, dès qu’il y a une ouverture, dès que vous êtes fatigué, que vous avez faim, que vous laissez votre esprit vagabonder, dès que vous commencez à penser à rentrer chez vous, ça y est, boum, vous vous faites prendre90.

57 « Et ça fait quoi, quand “boum, vous vous faites prendre” ? » lui ai-je demandé. Au début, il garda le silence. Puis : C’était catastrophique. Je perdais ma foi. En lisant l’histoire de Pierre en prison, comment un tremblement de terre fit tomber les murs de sa prison pour le libérer, je perdais la foi91. Les miracles, ça n’arrive pas, ça n’existe pas. Et puis je me reprenais, je me disais « qu’est-ce qui t’arrive ? » Je me rendais compte que je tombais dans le piège, qu’il me fallait en sortir. © AL-GHAZZALI, On Listening to Music, trad. Muhammad Nur Abdus Salam, introduction de Laleh Bakhtiar, n.p., Kazi Publications, 2003. Amnesty International, « Iraq: Decades of Suffering, Now Women Deserve Better » http://web.amnesty.org/library/Index/ENGMDE140012005?open&of=ENG-IRQ (consulté le 10 octobre 2007). BEAVER, Lt. Col. Diane E., « Legal Brief on Proposed Counter-Resistance Strategies » in GREENBERG et DRATEL, The Torture Papers, p. 229-236. BECCARIA, Cesare, Dei delitti e delle pene, Livorno, Coltellini, 1764. BEGG, Moazzam, Enemy Combatant : My Imprisonment at Guantanamo, Bagram, and Kandahar, New York, New Press, 2006. BEGG, Moazzam, Entretien téléphonique avec l’auteur, 18 avril 2007.

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ZAGORIN, Adam et DUFFY, Michael, « Inside the Interrogation of Detainee 063 », Time, 12 juin 2005, http://www.time.com/time/magazine/article/0,9171,1071284,00.html (consulté le 7 octobre 2007).

NOTES

1. SMITH, Craig avec MEKHEMNET, Souad et MAZZETTI, Mark, « Algerian Tells of Dark Odyssey in U.S. Hands », New York Times, 7 juillet 2006. 2. GALL, Carlotta, « The Reach of War: Detainees’ Rights Group Reports Afghanistan Torture », New York Times, 19 décembre 2005. L’expression « dark prison » est peut-être particulièrement significative pour les musulmans, pouvant évoquer ce que le Prophète a décrit à son beau-fils Ali comme la « torture de la tombe » (‘adhāb al-qabr). Saba Mahmood en parle comme de « l’obscurité (darkness) étouffante qui nous enveloppe juste avant l’apparition de l’ange de la mort, lorsqu’il vient faire le bilan de la vie qu’on a menée ». Voir MAHMOOD, Politics and Piety: The Islamic Revival and the Feminist Subject, Princeton, Princeton University Press, 2005, p. 93. 3. Stephen Grey et Ian Cobain relatent également l’expérience de Benyam Muhammad dans « Suspect’s Tale of Travel and Torture » paru dans The Guardian le 2 août 2005. Arrêté au Pakistan en avril 2002, Muhammad a été détenu et interrogé dans deux prisons pakistanaises anonymes, puis au Maroc, à la « dark prison » de Kaboul et à la base aérienne de Bagram, avant d’être envoyé à Guantánamo en septembre 2004, où il est resté jusqu’à la fin août 2007. 4. GREY et COBAIN, « Suspect’s Tale of Travel and Torture ». 5. Même si on sait que des femmes et des enfants ont été ou sont encore détenus en Afghanistan et en Irak, il n’y a pas, à ma connaissance, de femmes détenues dans les « dark prisons ». Mais à une femme au moins, la femme d’affaires irakienne Huda Hafez Ahmed, on a imposé la station debout prolongée, la privation de sommeil, le froid, les gifles et la musique forte en 2003. Elle s’était rendue à une prison contrôlée par les troupes américaines à Bagdad pour avoir des nouvelles de sa sœur en détention. Amnesty International parle brièvement de son calvaire dans « Irak : Halte à la violence contre les femmes ! Il est temps que les droits des femmes soient enfin respectés », voir http://www.amnesty.org/fr/library/asset/MDE14/001/2005/fr/7dda3f9b- d539-11dd-8a23 d58a49c0d652/mde140012005fr.pdf (consulté le 10 octobre 2007) et de façon plus détaillée dans « After Abu Ghraib,» de Luke Harding, The Guardian du 20 septembre 2004, http:// www.doublestandards.org/harding1.html (consulté le 10 octobre 2007). 6. McCOY, Alfred, A Question of Torture: CIA Interrogation, From the Cold War to the War on Terror, New York, Metropolitan Books, 2006 ; CONROY, John, Unspeakable Acts, Ordinary People: The Dynamics of Torture. An Examination of the Practice of Torture in Three Democracies, Berkeley, University of California Press, 2000 ; OTTERMAN, Michael, American Torture from the Cold War to Abu Ghraib and Beyond, Melbourne, Melbourne University Press, 2007 ; et MAYER, Jane, « Outsourcing Torture: The Secret History of America’s “Extraordinary Rendition” Program », The New Yorker, 14 février 2005 ; « The Gitmo Experiment », The New Yorker, 6 juillet 2006 ; et « The Black Sites: The CIA’s Interrogation Techniques », The New Yorker, 8 août 2007. 7. Central Intelligence Agency, KUBARK Counterintelligence Interrogation, juillet 1963, http:// www.gwu.edu/∼nsarchiv/NSAEBB/NSAEBB122/CIA%20Kubark%201-60.pdf (consulté le 8 octobre 2007).

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8. Pour connaître le nombre de détenus dans les camps américains en Irak, voir « “Surge” Has Led to More Detainees », Washington Post, 15 août 2007. La base aérienne de Bagram en Afghanistan avait 500 détenus en février 2006 ; en août 2005 les Etats-Unis ont annoncé que 20 pour cent environ des plus de 600 détenus de Guantanamo allaient être envoyés à Bagram pour une période indéfinie. Voir GOLDEN, Tim et SCHMITT, Eric, « A Growing Afghan Prison Rivals Bleak Guantanamo », New York Times, 26 février 2006 ; et WHITE, Josh et WRIGHT, Robin, « Afghanistan Agrees to Accept Detainees », Washington Post, 5 août 2005. 9. KUBARK, p. 65–66. 10. Ibid., p. 90. 11. WILLEMSEN, Roger, Guantanamo Speaking. Per la prima volta parlano gli ex-detenti. Interviste di Roger Willemsen, trans. Ludovica MAGGI, Napoli, Michele di Salvo Editore, 2006, préface, p. 10. Publié sous le titre original de Hier spricht Guantanamo: Roger Willemsen interviewst Ex-Häftlinge, Frankfurt am Main, Zweitausendeins, 2006. 12. Je connais une autre autobiographie de détenu : SASSI, Nazir, Prisonnier 325. De Vénissieux à Guantanamo, Paris, Denoël, 2006. Voir aussi Guantanamo Speaking, de Willemsen. 13. Ce récit est tiré de BEGG, Moazzam, Enemy Combatant: My Imprisonment at Guantanamo, Bagram, and Kandahar, New York, New Press, 2006, ainsi que d’un entretien téléphonique de 72 min entre Begg et moi-même, le 18 avril 2007. 14. Begg, entretien téléphonique avec l’auteur, 18 avril 2007. Le démantèlement de schémas sensoriels usuels est l'une des techniques récurrentes des interrogatoires américains ; voir le KUBARK : « À mesure que les sons et les images du monde extérieur disparaissent, l’importance de ce dernier pour le détenu s’efface également. Il ne reste plus que la salle d’interrogatoire, ses deux occupants et la dynamique qui les unit » (p. 58). 15. BEGG, Enemy Combatant, p. 111. 16. Ibid., p. 114. 17. Ibid., p. 122. 18. Begg, entretien téléphonique avec l’auteur. La base aérienne de Bagram, qui faisait partie autrefois des lieux névralgiques de l’occupation soviétique en Afghanistan, est à 27 miles au nord de Kaboul. Au moment de la détention de Begg, on pense que la zone de détention était située dans un énorme atelier de l’époque soviétique. 19. BEGG, Enemy Combatant, p. 137-139. 20. Begg, entretien téléphonique avec l’auteur. Begg a longtemps cru (à tort) qu’une des femmes qu’il entendait crier était sa femme. Il a ensuite appris qu’il s’agissait du détenu 650. Voir BEGG, Enemy Combatant, p. 161. Les camarades de Begg à Cageprisoners.com pensent aujourd’hui qu’il s’agissait peut-être de Afez Sadiki, une femme qui a étudié la psychiatrie aux États-Unis, détenue à Bagram durant les deux années où il y était également. Elle et ses enfants ont depuis disparu. 21. Begg, entretien téléphonique avec l’auteur. 22. BEGG, Enemy Combatant, p. 170. Begg s’est souvenu avoir également entendu du . 23. Begg, entretien téléphonique avec l’auteur. 24. Ibid. 25. Ibid. 26. Ibid. 27. Ibid. 28. Rapport de Human Rights Watch, « No Blood, No Foul »: Soldiers’ Accounts of Detainee Abuse in Iraq [« Pas de sang, pas de bavure ». Récits de soldats sur les sévices infligés aux détenus en Irak], Report 18/3 (juillet 2006), p. 8-24. Le Camp Nama, situé à l’aéroport International de Bagdad, aurait été un centre de détention et de torture sous le régime de Saddam Hussein. Après la chute de Bagdad, il a été utilisé par les américains comme centre de haute sécurité avec des interrogateurs provenant d’agences comme les Navy Seals, les Forces Spéciales de l’armée et des civils travaillant probablement pour la CIA ou le FBI. Voir SCHMITT, Eric et MARSHALL, Carolyn, « Task

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Force 6-26: Inside Camp Nama; In Secret Unit’s “Black Room”, A Grim Portrait of U.S. Abuse », New York Times, 19 mars 2006. Vous trouverez des rapports sur les interrogatoires abusifs à cette URL: http://www.aclu.org/torturefoia/released/030705. À la fermeture du Camp Nama en 2004, les interrogatoires auraient été transférés à la Balad Air Force Base, que Globalsecurity.org décrit comme « le plus gros et le plus actif des centres aériens de l’Irak.» 29. Human Rights Watch, « No Blood, No Foul », p. 9. 30. Ibid., p. 12. 31. Ibid., p. 14. 32. Al-Qa’im est une petite ville de l’Euphrate dans le nord-est de la province de Anbar, près de la frontière Syrienne. 33. Human Rights Watch, « No Blood, No Foul », p. 26-40, d’après le récit du « Sgt. Nick Forrester », garde à la FOB Tiger. 34. Forrester parle de la chanson emblématique d’un personnage d’émission pour enfants (un dinosaure violet). Elle commence par « I love you, you love me... » 35. Human Rights Watch, « No Blood, No Foul », p. 30–31. 36. LAGOURANIS, Tony et MIKAELIAN, Allen, Fear Up Harsh: An Army Interrogator’s Dark Journey Through Iraq, New York, NAL Caliber, 2007. Lagouranis était spécialiste dans le 202e bataillon de la Military Intelligence de début 2004 à juillet 2005. Il était en poste à Mosul de février à avril 2004. 37. Ibid, p. 115. L’instructeur de Lagouranis et son équipe à Mosul, l’adjudant-chef S. Pitt, est identifié page 73. 38. Ibid., p. 50. 39. Ibid., p. 85. Lagouranis a été surpris d’apprendre que ces mêmes règles étaient en vigueur à ses postes précédents, à al-Asad et Abu Ghraib. Ses mémoires révèlent la marge d’interprétation importante que laissent les règles IROE. 40. Ibid., p. 116. 41. Ibid. 42. Ibid., p. 125. 43. Ibid., p. 127. En italique dans le récit de Lagouranis 44. Ibid, p. 128. 45. ZAGORIN, Adam et DUFFY, Michael, « Inside the Interrogation of Detainee 063 », Time, 12 juin 2005. Ce log se trouve à l’adresse suivante: http://www.time.com/time/2006/log/log.pdf. On avait refusé l’entrée aux États-Unis à al-Qatani en août 2001, alors qu’il atterrissait à Orlando sans billet de retour avec $2,800 en poche. Il a ensuite été capturé à Tora Bora en décembre 2001, pour être envoyé à Guantanamo deux mois plus tard, où l'on a reconnu ses empreintes digitales, datant de sa déportation du mois de juillet 2002. Comme il semblait avoir été formé pour résister aux interrogatoires et qu’on pensait qu’il devait détenir des informations importantes sur le 11 septembre, il a fait partie des prisonniers pour lesquels le Secrétaire Rumsfeld a approuvé un « programme d’interrogatoire spécial » en novembre 2002. Le Pentagone a affirmé en 2005 qu’il avait donné des informations de haute importance sur l’évasion de Tora Bora de Ben Laden, ainsi que sur d’autres personnes et contacts financiers importants dans différents pays arabes. Cependant, le site Globalsecurity.org le considère maintenant de « peu d’importance » pour la sécurité nationale. On confond facilement son nom avec celui de Muhammed Jafar Jamal al- Qatani, Saoudien lui aussi, et agent d’Al-Qaïda de grade moyen, arrêté en Irak en 2005, évadé, puis à nouveau capturé. 46. Un « thème » est une introduction à l’interrogatoire grâce à laquelle les militaires établissent « les conditions de contrôle et de rapport qui facilitent le recueil d’informations ». Citation du département militaire, FM2-22.3 (FM34–52). Human Intelligence Collector Operations, septembre 2006, section 8.1.8, http://www.army.mil/institution/armypublicaffairs/pdf/fm2-22-3.pdf (lu le 8 octobre 2007).

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47. L’autre composante du « thème du mauvais musulman » désigné en général dans le rapport par « invasion de l’espace intime par l’autre sexe » consistait en une remise en cause concertée de l'hétérosexualité du sujet par les interrogateurs, sous prétexte qu'il refusait de participer à leur objectification/réification de la femme. 48. Al-Qatani faisait le jeûne du Ramadan, du 6 novembre au 6 décembre 2002. 49. « Rapport d’interrogatoire, détenu 063 », p. 9, entrée du 26 novembre 2002, 6h30. 50. Certains adeptes de l’Islam disent que le Prophète permit expressément à deux jeunes filles de chanter car il les avait entendues chanter pour sa femme ‘A’isha ; d’autres disent qu’il s’est au contraire bouché les oreilles. Voir SHILOAH, Amnon, Music in the World of Islam: A Socio-Cultural Study, Detroit, Wayne State University Press, 1995, p. 32. 51. Ibid., p. 34. 52. AL-GHAZZALI, On Listening to Music, trad. Muhammad Nur Abdus Salam, introduction par Laleh Bakhtiar, Great Books of the Islamic World, séries ed. Seyyed Hossein Nasr, n.p., Kazi Publications, 2003, p. 20-26. 53. Ibid., p. 13-20. 54. Voir, par exemple, les recommandations contradictoires de sites comme http:// www.submission.org/music.html, http://www.inter-islam.org/Prohibitions/Mansy_music.htm, http://www.irfi.org/articles/articles_151_200/music_and_islam.htm, http://www.irfi.org/ articles/articles_351_400/is_music_prohibited_in_islam.htm, http://www.geocities.com/ Heartland/Flats/1716/music.html (consultés le 28 septembre 2007). 55. « Interrogation Log », p. 37, 14 décembre 2002, 16:30. 56. Al-Qatani n’était pas le seul prisonnier dont les croyances et pratiques religieuses aient été prises pour cible par ses interrogateurs. Dans son livre American Torture, Michael Otterman dit que lors de son passage en cour martiale pour avoir étouffé le Major Général Abed Hamed Mowhoush à la base d’opérations avancées Tiger en 2003, l’adjudant-chef (et ancien instructeur SERE) Lewis Welshofer a admis avoir empêché son prisonnier de prier Dieu. En réponse à la question du procureur, « lui avez-vous refusé d’avoir recours à son Dieu ? », Welshofer a répondu « je lui ai refusé l’accès à l’une de ses sources de réconfort. » Voir OTTERMAN, American Torture from the Cold War to Abu Ghraib and Beyond, Melbourne, Melbourne University Press, 2007, p. 177– 80. 57. Au moment où ont eu lieu les interrogatoires cités ci-dessus, les règlements se trouvaient au Département de l’armée, FM 34-52, Intelligence Interrogation, 1992, accessible à la bibliothèque du Congrès, http://www.loc.gov/rr/frd/Military Law/pdf/intel interrrogation sept-1992.pdf [sic « interrrogation »] (consulté le 8 octobre 2007). Les techniques d’interrogatoire, certaines considérées comme « émotionnelles », d’autres non, sont traitées au chapitre 3, p. 50-82. Il s’agit de techniques d’incitation, émotionnelles (amour), émotionnelles (haine), augmentation de la peur, diminution de la peur, fierté et ego, inanité, « nous savons tout », « fichier et dossier », « donnez votre identité », répétition, rapidité, silence et changement de décor. Toutes ces techniques sont regroupées sous le titre « d’approche émotionnelle » dans Department of the Army, FM 2-22.3 (34-52). Human Intelligence CollectorOperations, septembre 2006, accessible sur http://www.army.mil/institution/armypublicaffairs/pdf/fm2-22-3.pdf (consulté le 8 octobre 2007), où ils ont été traités dans le chapitre 8, p. 139-162. 58. Loi pour la liberté d’information (1966) [NdT]. 59. Pour un des premiers rapports sur les techniques d’interrogatoire de Guantannamo, voir SAAR, Erik et NOVAK, Viveca, Inside the Wire: A Military Intelligence Soldier’s Eyewitness Account of Life at Guantanamo, New York, Penguin, 2005. Chris Macky et Greg Miller en donnent un exposé moins critique dans The Interrogators: Inside the Secret War Against Al Qaeda, New York, Little Brown, 2004. 60. Department of the Army, Army Regulation 15-6: Final Report. Investigation Into FBI Allegations of Detainee Abuse at Guantanamo Bay, Cuba Detention Facility, 1er avril 2005 (amendé le 9 juin 2005),

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consultable sur http://www.defenselink.mil/news/Jul2005/d20050714report.pdf (consulté le 8 octobre 2007). 61. ZAGORIN et DUFFY, « Inside the Interrogation of Detainee 063. » 62. On peut trouver de nombreux mémos et ordres de ce genre, entre autres ceux cités dans ce rapport, dans The Torture Papers: The Road to Abu Ghraib, ed. Karen J. Greenberg et Joshua L. Dratel, Cambridge, Cambridge University Press, 2005. 63. Le Department of the Army, AR 15-6, Final Report, 8. FM 2-22.3 (34-52), 151, section 8.49–8.51 définit cette approche de la façon suivante : « Dans [cette approche] l’interrogateur convainc le sujet de l’inanité de toute résistance. Cela provoque un sentiment de désespoir et d’impuissance chez le sujet... Lorsqu’il emploie ces techniques, l’interrogateur doit non seulement être en possession d’informations factuelles mais il doit également connaître et exploiter les faiblesses psychologiques, morales et sociologiques du sujet. » D’après le manuel, la technique « inanité » gagne à être combinée avec les techniques « augmentation de la peur » et « incitation » (356). 64. AR 15-6, Final Report, p. 9. 65. Ibid. 66. De la même façon, il semble probable – même si cela n’a pas été démontrable jusqu’ici – que ces techniques fassent partie des techniques autorisées pour les détenus de la CIA, d’après le Executive Order: Interpretation of the Geneva Conventions Common Article 3 as Applied to a Program of Detention and Interrogation Operated by the Central Intelligence Agency, signé par George W. Bush le 20 juillet 2007. Vous trouverez le texte intégral sur http://www.whitehouse.gov/news/releases/ 2007/07/20070720-4.html (consulté le 28 septembre 2007). Voir aussi : SHANE, Scott, JOHNSTON, David et RISEN, James, « Secret U.S. Endorsement of Severe Interrogation », New York Times, 4 octobre 2007. L’article décrit comment le procureur général Alberto Gonzales a de nouveau autorisé les techniques d’interrogatoire poussé de la CIA en février 2005. Il parle des mémos classés qui ont ensuite permis que ces pratiques soient considérées comme légales et non comme « cruelles, inhumaines et dégradantes ». 67. Voir, par exemple, PLATON, La République, 398c–400c, dans The Collected Dialogues of Plato Including the Letters, Edith Hamilton and Huntington Cairns (eds.), Princeton, Princeton University Press, 1961. 68. Cette impasse est au centre de la critique fondamentale de la torture par Cesare Beccaria, Dei delitti e delle pene, Livorno, Coltellini, 1764. Voir BECCARIA, On Crimes and Punishments, and Other Writings, ed. Richard Bellamy, trad. Richard Davies avec Virginia Cox et Richard Bellamy, Cambridge, Cambridge University Press, 1995. 69. Ben Piekut m’a rappelé que « être incapable de se défendre et avoir peur des retombées si l’on résiste n’est pas la même chose qu’approuver de façon tacite. » Je ne voulais pas dire que les citoyens qui n’ont pu mettre fin à ces pratiques soient volontairement complices. Ils ne le sont pas. Mais je pense que tout comme al-Qatani s’est trouvé forcé d’écouter de la musique haram, nous nous sommes retrouvés dans l’impasse de la torture et de la dynamique de la consommation. Il est donc presqu’impossible de ne pas aller à l’encontre de ses propres convictions. Nous sommes nous aussi les victimes de « la technique de l’inanité ». 70. Texte intégral de la Convention sur http://www.hrweb.org/legal/cat.html. 71. BEAVER, Lt. Col. Diane E., « Legal Brief on Proposed Counter-Resistance Strategies », 11 octobre 2002, section 3.a. (6), in GREENBERG et DRATEL, The Torture Papers, p. 230-31. 72. SCARRY, Elaine, The Body in Pain: The Making and Unmaking of the World, Oxford, Oxford University Press, 1985, p. 27-29. 73. Amiral Michael McConnell, entretien avec Tim Russert, Meet the Press, NBC, 22 juillet 2007. Transcription sur http://www.msnbc.msn.com/id/19850951. 74. Donald Vance, entretien téléphonique avec l’auteur, 28 janvier 2007. 75. Ce récapitulatif de l’arrestation de Vance s’inspire largement de ses réponses au questionnaire que je lui ai envoyé par courriel le 29 décembre 2006 et sur trois entretiens de suivi

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au téléphone les 28 janvier, 25 et 31 juillet 2007. Pour un autre récit de son expérience, voir MOSS, Michael, « American Recalls Torment as a U.S. Detainee in Iraq », New York Times, 18 décembre 2006 ; Moss, entretien par Lisa Myers, MSNBC, 17 juin 2007. Transcription sur http:// www.msnbc.msn.com/id/19226700 ; PHINNEY, David, « Ridenhour Prize for Truth-Telling: “My Name Used to Be 200343” », Inter Press Service, 5 avril 2007, archive sur http:// www.commondreams.org/archive/2007/04/05/337 ; et Deborah Hastings, « Steep Price Paid by Those Who Blew Whistle on Iraq Fraud », Associated Press, 25 août 2007, archivé sur http:// www.commondreams.org/archive/2007/08/25/3410. Toutes les ressources enligne ont été consultées pour la dernière fois le 29 septembre 2007. Shield Group Security Company a depuis changé son nom en National Shield Security. 76. Une lettre envoyée au Detainee Status Board de Vance le 26 avril 2006 qui décrit les charges retenues contre lui se trouve sur http://msnbc.msn.com/id/19280236 (consulté le 29 septembre 2007). 77. Sur la capacité des américains à écouter des récits de points de vue très différents sur la violence ayant suivi le 11 septembre, voir BUTLER, Judith, « Explanation and Exoneration, or What We Can Hear », chap. 1 of Precarious Life: The Powers of Mourning and Violence, London, Verso, 2004, p. 1-18. 78. Vance, réponses au questionnaire en ligne de l’auteur, 29 décembre 2006. 79. Vance, entretien téléphonique avec l’auteur, 28 janvier 2007. 80. Ibid. Lors de notre entretien téléphonique avec lui le 25 juillet 2007, Vance a expliqué que la cellule de l’interrogatoire n’était pas entièrement silencieuse ; il pouvait toujours entendre la musique dans le couloir, mais elle ne masquait plus les voix de ses interrogateurs. 81. Vance, entretien téléphonique avec l’auteur, 25 juillet 2007. Dans le questionnaire, Vance a estimé avoir subi la musique trop forte 12h par jour en moyenne. 82. Vance, réponses au questionnaire en ligne de l’auteur. 83. Ibid. 84. Ibid. 85. Vance mentionne le fait qu’il n’a jamais opposé aucune résistance dans notre entretien téléphonique du 28 janvier 2007, il parle de son interrogatoire dans notre entretien du 25 juillet 2007. 86. Vance, entretien téléphonique avec l’auteur du 25 juillet 2007. 87. Vance, entretien téléphonique avec l’auteur du 28 janvier 2007. 88. Vance m’a expliqué cela deux fois, il a parlé des symptômes psychotiques de Tremper lors de notre entretien téléphonique du 28 janvier, et il y a fait à nouveau référence le 25 juillet. 89. D’après ses avocats, Muhammad al-Qatani a tellement perdu la notion de la réalité qu’il est incapable de participer à sa propre défense. Vance souffre depuis sa libération d’attaques d’angoisse liées au bruit, d’insomnie chronique, de troubles de l’alimentation, de paranoïa, d’agoraphobie et autres symptômes de stress post-traumatique, mais il n’est pas fou. 90. Vance, entretien téléphonique avec l’auteur du 28 janvier 2007. Il est intéressant de noter que la technique de résistance de Vance devait sans doute beaucoup ressembler à ce qu’il considérait comme signes de folie chez son collègue Joseph Tremper. Cependant, sa technique lui a aussi permis de résister au contrôle total que l’on voulait exercer sur toutes les paroles qui n’étaient pas des réponses aux interrogateurs. La façon dont Vance s’est affirmé en revendiquant son droit à exprimer sa réalité par ses propres paroles fait écho à sa rébellion contre l’accord de confidentialité qu’il a signé. 91. La Bible raconte l’histoire de l’arrestation et de la détention de Simon Pierre, ainsi que de sa miraculeuse libération (Actes, chapitre 12, 1-10).

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RÉSUMÉS

En s’appuyant sur les témoignages d’interrogateurs et d’anciens détenus ainsi que sur des documents militaires non classifiés, cet article traite des différents usages de la « musique forte » dans les centres de détention américains de la « Guerre contre la Terreur ». Une enquête menée sur les méthodes employées à la base aérienne de Bagram, en Afghanistan ; à Camp Nama (Bagdad), en Irak ; à la base opérationnelle avancée Tiger (Al-Qaim), en Irak ; à la base aérienne de Mosul, en Irak ; à Guantánamo, à Cuba ; au Camp Cropper (Bagdad), en Irak ; ainsi que dans les « dark prisons » de 2002 à 2006, montre que l’utilisation de « musique forte » était une composante habituelle et ouvertement connue des « interrogatoires renforcés ». Dans les deux éditions de 1992 et de 2006 des manuels opérationnels pour les interrogatoires de l’armée américaine, la « musique forte » était présentée comme l’un des outils – aux côtés de la « coercition sexuelle » – de l’approche interrogatoire connue sous le nom de « futility », visant à persuader des détenus de l’inanité de leur résistance. L’armée américaine enseigne elle-même des techniques de résistance au « music program ». La fin de cet article est dédiée au récit d’un jeune entrepreneur de citoyenneté américaine travaillant à Bagdad, qui a enduré 97 jours de détention militaire et de « music program » en 2006 – et qui a su y résister.

Based on first-person accounts of interrogators and former detainees as well as unclassified military documents, this article outlines the variety of ways that “loud music” has been used in the detention camps of the United States‘ “global war on terror.” A survey of practices at Bagram Air Force Base, Afghanistan; Camp Nama (Baghdad), Iraq; Forward Operating Base Tiger (Al- Qaim), Iraq; Mosul Air Force Base, Iraq; Guantánamo, Cuba; Camp Cropper (Baghdad), Iraq; and at the “dark prisons” from 2002 to 2006 reveals that the use of “loud music” was a standard, openly acknowledged component of “harsh interrogation.” Such music was understood to be one medium of the approach known as “futility” in both the 1992 and the 2006 editions of the US Army’s field manual for interrogation. The purpose of such “futility” techniques as “loud music” and “gender coercion” is to persuade a detainee that resistance to interrogation is futile, yet the military establishment itself teaches techniques by which “the music program” can be resisted. The article concludes with the first-person account of a young US citizen, working in Baghdad as a contractor, who endured military detention and “the music program” for ninety-seven days in mid-2006—a man who knew how to resist.

INDEX

Mots-clés : torture, torture musicale, musique forte, droits humains, guerre contre la terreur, interrogatoire renforcé Keywords : torture, music torture, loud music, human rights, Global War on Terror, harsh interrogation

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Afterword to “You are in a place that is out of the world…”: Music in the Detention Camps of the “Global War on Terror” Épilogue à « Vous êtes dans un lieu hors du monde... » : la musique dans les centres de détention de la « guerre contre la terreur »

Suzanne G. Cusick

EDITOR'S NOTE

Inédit. L’auteur a écrit ce texte pour accompagner la traduction de son article « “You are in a place that is out of the world…”: Music in the Detention Camps of the “Global War on Terror” ».

1 The six years since this article was first published have seen a slow increase in public knowledge of the United States' acoustical practices during the so-called “war on terror.” My own research expanded to include the first-person accounts of several more released detainees, whose imprisonment in the CIA's “dark prison,” in Kandahar and Guantànamo included both “interrogational” and “terroristic” torture.1 In addition, two important academic initiatives have helped to contextualize acoustical torture. First, Steve Goodman's 2010 book Sonic Warfare: Sound, Affect and the Ecology of Fear provocatively links the often individually-targeted acoustical violence of US detention and interrogation with the more widely-experienced sonic violences of late capitalism's owners towards consumers, and of the same system's abjected populations toward their oppressors.2 Under the leadership of Professor Morag J. Grant and Marie Curie Postdoctoral Fellow Anna Papaeti, the Junior Free Floater Research Group on “Music, Conflict and the State” at the University of Goettingen hosted two international conferences that put scholars of acoustical torture's long history in productive dialogue

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with human rights activists, documentary film makers, and therapists who specialize in the treatment of torture victims.3 In addition, various media efforts have sought to raise public awareness. One notable effort has been the online protest known as zeroDb, a set of silent videos by musicians that was launched by the human rights organization Reprieve in 2010.4 Another was Tristan Chytroschek and Susanne Merten's 2011 award- winning film Musik als Waffe (in English, Songs of War), which probes several aspects of the practice by following composer Christopher Cerf's quest to learn how his music for the children's television program Sesame Street came to be used to torture United States' detainee, a quest that includes interviews with Moazzem Begg, Donald Vance, and a former interrogator who subjects Cerf to a sample of “the music program” onscreen. 5 A third was the excellent 2012 radio documentary “Torture by Music,” produced by Katie Green for BBC4.6

2 Research into the use of sound, whether musical or not, to cause physical or mental harm to imprisoned people continues to provoke two categories of questions--about politics that primarily concern citizens of the United States, and about the musical and acoustical cultures in which acoustical torture is conceivable.

3 Citizens of the United States ask ourselves whether we think the often-extreme manipulations of prisoners' acoustical relations with the world constitute “torture;” whether, and under what circumstances, we could assent to such manipulations, alone or in tandem with sleep deprivation, extremes of heat and cold, temporal disorientation, “gender coercion,” the “standard operating procedures” described in my article; whether these procedures persist despite presidential directives to the contrary, having returned to the “dark side” of clandestine intelligence services; and what the consequences to our nation's moral integrity, reputation and future prisoners of war of our failure to prosecute those who authorized such procedures might be.

4 The available polling data suggests that a small majority of Americans have long reported their approval of “noise bombs” (and “stress positions”) as an interrogation technique, while disapproving of waterboarding, gender humiliation, sleep deprivation and extremes of hot and cold.7 According to a 2012 poll, 41% of American approved generally of torturing “terrorist” suspects, and specifically supported some previously disparaged techniques.8 Historian Alfred McCoy and legal scholar Joseph Margulies each argue that the shift in public opinion springs partly from President Obama's decision not to prosecute those who had authorized torture, partly from popular media representations of interrogation and torture that stage but do not resolve narratively the moral questions, and partly from news media's airing of unapologetic defenses for torture that go unrebutted.9

5 Public opinion resonates with both the official position of the United States government and its rumored clandestine practices. Despite its apparently broad sweep, President Barack Obama's 2009 Executive Order prohibiting “harsh interrogation” left two notable exceptions: it does not apply to “facilities used only to hold people on a short-term, transitory basis,” and it seems to apply only to uniformed military personnel and employees of the Central Intelligence Agency.10 These exceptions probably account for the internationally circulating reports that the United States has continued to use “harsh interrogation” in Afghanistan and aboard US navy ships, as well as to allow other countries' security forces to conduct such interrogations on the United States' behalf. Moreover, the New York Times reported in March 2013 that the officially prohibited interrogation practices consisted of “nudity, cold, sleep

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deprivation, stress positions, wall-slamming and waterboarding.”11 Absent from this list is “the music program,” which Vance's experience shows to have been intrinsic to detention practice more than to interrogation, along with such sensory, psychological and spiritual disruptions to subjectivity as hooding, manipulation of darkness and light, “gender coercion,” and interference with prisoners' prayer. All qualify as psychological abuse treatment under the terms of the United Nations' Convention Against Torture, and therefore fall into the category of actions to which the United States reserved its right when it ratified the Convention.

6 Meanwhile, the study of acoustical torture has intersected with a rising academic interest in the relationship of musical culture to war. A number of new monographs allow a more historically grounded discussion of the ways that acoustical and musical cultures have interacted with military objectives.12 Much more provocatively, however, exposing the phenomenon of acoustical torture has raised new questions about the inter-relationships of music, non-musical sounds, and human-centered ecologies, as these can be co-constitutive of subjectivity, culture, and relationships of power. Both military sources and released prisoners attribute the most profound effects of “the music program” during the “war on terror” to the acoustical properties of sound more than to the aesthetic or cultural meanings associated with musical style. In several interviews available on YouTube, Ruhal Ahmed has eloquently described his changing perception of the sounds with which he was tortured: at first intelligible to his perceptual faculties as music, these sounds came to seem like noise-- “banging, metal on metal.”13 Another released prisoner (whom I do not have permission to name) told me privately that his acoustical torture was “like being beaten with a hammer. Dinh, dinh, dinh, dinh. When it stops it's like a beating has stopped.”14 These men's accounts complicate my 2008 argument about the cultural and psychological violence “the music program” wrought, and challenge music scholars to retheorize our object of study so as to include consideration of music as acoustical energy capable of delivering beatings (or, presumably, caresses) that are simultaneous with cultural, spiritual or emotional meanings. Such retheorizing will, I think, is necessary to address fully a two-sided question that my 2008 article left unanswered. “How has the weaponization of sound and music affected the apparently civilian musical and acoustical practices [that] we think we know? How have apparently civilian musical and acoustical practices affected music's and sound's weaponization?”15

NOTES

1. CUSICK, Suzanne G., “Toward an Acoustemology of Detention in the 'Global War on Terror',” in BORN, Georgina (ed.), Music, Sound and Space: Transformation of Public and Private Experience, Cambridge, Cambridge University Press, 2013, p. 275-291. 2. GOODMAN, Steve, Sonic Warfare: Sound, Affect and the Ecology of Fear, Cambridge, MIT Press, 2010. 3. An online report on the first conference is at http://www.uni-goettingen.de/en/198674.html. Some of the main results of the research project and selected papers from the second conference have been published as special issues of the world of music (new series) 2.1 (2013) and Torture 23.2

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(2013), http://www.irct.org/media-and-resources/library/torture-journal.aspx (all accessed 22 January 2014). 4. http://www.reprieve.org.uk/events/zerodB/, accessed 22 January 2014. 5. For journalist Andy Worthington’s review and summary of the public conversation on music as torture, see http://www.andyworthington.co.uk/2012/06/04/video-songs-of-war-, accessed 22 January 2014. 6. The 25-minute documentary aired in North America on 17 March 2012, and remains available at http://www.bbc.co.uk/programmes/p00ph36x, accessed 22 January 2012. 7. GRONKE, Paul, REJALI, Darius, et al., “U.S. Public Opinions on Torture, 2001-2009,” in PS: Political Science and Politics, 43/3, 2010, p. 437-444. 8. ZEGART, Amy, “Torture Creep,” foreignpolicy.com, 25 September 2012, http:// www.foreignpolicy.com/articles/2012/09/25/torture_creep?wp_login_redirect=0, and idem, “Controversy Dims as Public Opinion Shifts,” New York Times, January 7, 2013, both accessed 2 February 2014. 9. MCCOY, Alfred, Torture and Impunity: The U.S. Doctrine of Coercive Interrogation, Madison, University of Wisconsin Press, 2012; MARGULIES, Joseph, What Changed When Everything Changed: 9/11 and the Making of National Identity, New Haven, Yale University Press, 2013. 10. Executive Order 13491, 22 January 2009, http://www.whitehouse.gov/the_press_office/ EnsuringLawfulInterrogations, accessed 24 January 2014. 11. SHANE, Scott, “C.I.A.’s History Poses Hurdles for an Obama Nominee,” 6 March 2013, accessed 2 February 2014. 12. Besides Goodman’s Sonic Warfare, cited above, see BAADE, Christina, Victory Through Harmony: the BBC and Popular Music in World War II, Oxford, Oxford University Press, 2011; BAUER, Julianne, Musik in Konzentationslager Sachsenhausen, Berlin, Metropol, 2009; DAUGHTRY, J. Martin, The Amplitude of Violence: Listening Through a War and Its Aftermath, Oxford, Oxford University Press, forthcoming); FAUSER, Annegret, Sounds of War: Music in the United States during World War II, Oxford, Oxford University Press, 2013; HERBERT, Trevor and BARLOW, Hellen, Music and the British Military in the Long Nineteenth Century, Oxford, Oxford University Press, 2013; SPROUT, Leslie A., The Musical Legacy of Wartime France, Berkeley, University of California Press, 2013; TOMPKINS, Dave, How to Wreck a Nice Beach: The Vocoder from World War II to Hip-Hop. The Machine Speaks, Brooklyn, Melville Press, 2010. 13. See http://www.youtube.com/watch?v=mn6xQPvsjJk, 8:22-8:50, accessed July 2, 2013. 14. Interview with the author, 3 August 2009. 15. For public discussion of my most recent effort to grapple with this question, see the website of Harvard University’s 2013 Sawyer Seminar, “Hearing Modernity,” http:// hearingmodernity.org/, “Sound in Torture & Surveillance, 11_18_13 audio.” The intermedia paper under discussion is posted at the Seminar’s website, which is (unfortunately) password protected.

AUTHOR

SUZANNE G. CUSICK

New York University

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Entretiens Interviews

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La musique comme voie possible d’une histoire comparée des conflits armés. Entretien avec Didier Francfort A comparative history of armed conflicts through music. Interview with Didier Francfort

Luis Velasco-Pufleau

Une approche historique comparée de la musique

Luis Velasco-Pufleau – Pourriez-vous nous expliquer comment, dans votre carrière d'historien, vous en êtes venu à travailler sur la musique ? Didier Francfort - Je suis arrivé à travailler sur la musique par paresse, tout simplement. En fait, j’ai fait une thèse sur l’histoire de la sociabilité et la vie associative dans le nord de l’Italie, dans le Frioul – dans la ville d’Udine – au moment où la région passait de l’empire des Habsbourg au Royaume d’Italie1. A cette époque, j’ai fait un travail historique classique en dépouillant la presse, des archives d’associations et des sociétés – des clubs sportifs, des sociétés agraires – et aussi la liste des abonnés au théâtre. Finalement cela a été beaucoup de travail, beaucoup d’efforts pour en définitive peu de résultats. Alors qu’en même temps, je voyais que la programmation de l’Opéra, qui s’appelait Théâtre Social, permettait de percevoir peut-être mieux et beaucoup plus vite les réels changements dans les représentations et dans les mécanismes sociaux. Donc, en reprenant la recherche après la soutenance de ma thèse, je me suis dit que c’était peut-être par ce biais que j’arriverais à mieux comprendre, et de façon plus rapide, ces phénomènes de changements historiques et de mutations sociales. Cela m’a semblé une sorte de raccourci, et c’est pour ça que j’ai dit que c’est par paresse que j’en suis arrivé là, mais c’est aussi pour une autre raison – sinon je vais

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apparaître comme quelqu’un d’épouvantablement paresseux. L’autre raison est que je suis persuadé que pour comprendre les phénomènes sociaux, il faut sortir du cadre national et faire une histoire comparée. D’abord parce qu’il y a beaucoup de réalités transnationales mais aussi parce que par moments il est intéressant de voir ce qu’il peut y avoir de commun dans des évolutions sociales au sein de cadres nationaux différents. Or, cette démarche comparée nécessiterait de parler un tas de langues – en ce qui me concerne, je comprends à peu près le français, l’italien, l’anglais et un minimum d’allemand, pour le reste j’ai de toutes petites notions. Si nous nous en tenons à des sources écrites, soit nous faisons du binational étroit, soit nous considérons qu’il y a des nations centrales et des nations périphériques. Et cela est inacceptable d’un point de vue à la fois historique, scientifique mais aussi moral et politique. Ce n’est pas parce qu’on a le malheur d’être Estonien qu’on n’a pas d’histoire, ou qu’on n’a pas d’histoire européenne. Donc, pour ne pas exclure les Estoniens ou d’autres, il m’a semblé que la musique est l’une des voies possibles pour faire une histoire européenne – à l’époque où j’ai entrepris ce travail nous ne parlions pas encore de globalisation ni d’histoire mondiale, on parlait seulement d’histoire européenne. Je ne crois pas donc qu’on puisse faire d’histoire européenne sans essayer, par la musique, d’accéder directement à des sources permettant de rendre compte des pratiques sociales de ces différents espaces qu’autrement nous percevrions comme périphériques. C’est pour cette raison qu’il me semble indispensable de le faire.

LVP - Sur le plan méthodologique, une fois que vous avez collecté ou analysé un nombre considérable de données ou d’exemples musicaux, comment les utilisez-vous ? DF - Actuellement, j’ai tendance à accumuler et à voir comment ça marche, à voir comment cela interagit et se répond. Je vais prendre un exemple simple, qui est celui de voir comment les marches militaires sont perçues dans les différents espaces géographiques. Le concert de plein air qu’on allait voir en famille dans un parc est, si on lit du Zweig, typiquement viennois avant 1914, mais il est peut-être moins courant dans d’autres conditions sociales ou dans d’autres cadres nationaux. Il peut donc être intéressant de les comparer avec le fonctionnement d’autres marches, des marches militaires hongroises ou des marches militaires espagnoles, et pour cela nous pouvons parfois recourir à une démarche expérimentale. Par exemple, il y a un test très intéressant à réaliser dans les conférences, celui de voir si les gens tapent du pied à l’écoute d’une marche militaire. En effet, je passe deux marches et j’observe dans laquelle les gens tapent du pied et dans laquelle les gens ne tapent pas du pied, puis je me dis « voilà une efficacité sociale redoutable ». Et ensuite je peux commencer à comparer les deux, à voir ce qui fait que certaines marches font que les gens tapent du pied et que d’autres restent dans les tiroirs de l’inutilité sociale, heureusement impossibles à récupérer par les pouvoirs. Voilà une des voies possibles de l’utilisation, c’est-à-dire que l’avantage de travailler dans la jonction entre musique et histoire permet aussi un petit peu de démarche expérimentale qu’on aurait du mal à voir dans d’autres domaines historiques. Enfin, on espère que les gens qui travaillent sur les massacres et sur les guerres mondiales ne s’amusent pas à reproduire chez eux des conflits pour voir comment cela fonctionne. Voir comment fonctionne une musique sur un groupe social donné dans un moment déterminé, c’est un moindre mal.

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Quoique… participer à ces moments d’unanimité dans les célébrations et les manifestations où tout le monde se lève et chante la même chose en même temps… Nous pouvons penser maintenant que cela est anodin, mais si nous avions été en 1935 à Nuremberg et que nous nous étions mis à chanter avec tout le monde… C’est pourquoi il est important de comprendre le mécanisme qui fait qu’on chante à un moment donné avec tout le monde, ce n’est pas si léger que ça et ce n’est pas anodin, il ne s’agit pas de faire une histoire uniquement pour le plaisir.

LVP - D’après vous, qu’est-ce que l’étude de la musique apporte à la discipline historique et aux sciences sociales ? DF - Il me semble évident que la musique permet de comparer, et que l’aspect comparatif élargit le champ des références. Mais aussi, l’étude de la musique permet de mettre en évidence des phénomènes d’imaginaires en partie collectifs que les textes ne permettent pas toujours d’appréhender. Il est clair pour moi que dans les hymnes nationaux, le rythme de l’hymne est un indicateur des représentations collectives de ce qui fait la nation. Quand nous prenons les hymnes nationaux qui « marchent » – la Marseillaise, Fratelli d’Italia – il y a quelque chose de l’ordre de la nation mobilisée. Dans les hymnes tristes, comme l’hymne national hongrois – « que Dieu protège les hongrois parce qu’ils ont assez souffert » – nous ne sommes pas dans le même type de mobilisation. Et quand nous arrivons à l’hymne de la minorité hongroise des Sicules de Transylvanie, c’est encore plus triste… Ou bien quand nous sommes dans le côté plaisant et mélodieux de l’hymne tchèque, il ne s’agit pas du même type de représentation. Donc l’hymne est un bon indicateur de ce qui caractérise la construction et la représentation symbolique de la nation, la façon de ressentir un imaginaire collectif construit.

La musique au sein des conflits armés

LVP - Dans certains de vos travaux, vous vous êtes intéressé à la fonction sociale des musiques militaires. Que pouvez-vous nous dire du rôle social de la musique dans les conflits armés européens, aussi bien dans l’accompagnement des combats que dans la mobilisation de la population civile ? DF - J’aurais tendance à dédouaner la musique de bien des responsabilités dans la « brutalisation » des sociétés en guerre. On a en définitive peu utilisé la musique dans les moments les plus violents. Il est difficile de parler de façon générale sans tenir compte de la spécificité de chaque conflit mais la même musique peut être utilisée de façon tout à fait contradictoire : Wagner ne donne pas toujours envie d’ « envahir la Pologne », comme le dit si plaisamment Woody Allen, même si depuis Apcalypse Now de Coppola (1979), on associe différemment des opérations guerrières à la musique de Wagner. Je m’intéresse beaucoup actuellement aux musiques populaires, pas nécessairement folkloriques ou « folklorisées », jouées, présentes dans les films de comédie musicale dans l’Union Soviétique stalinienne ou l’Allemagne nazie. On est loin d’un martèlement permanent de marches militaires. Il arrive même qu’avec Alexander Tsfasman ou Peter Igelhoff, cela swingue diablement. Ce n’est donc pas un simple reflet passif d’une société mobilisée par un régime totalitaire, ni un pousse-au- crime permanent. On ne saurait réduire le rôle de la musique dans les guerres aux marches militaires qui accompagnent les phases de mobilisation ou les défilés de

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victoire. Des chants élégiaques, des parodies, des reprises caractérisent les périodes de conflits autant que des formes d’instrumentalisation directe de la musique.

LVP - En temps de guerre, les œuvres musicales gardent donc des fonctions sociales multiples qui échapperaient – au moins en partie – au contrôle des institutions de l’État et permettraient leur investissement par des acteurs divers. Pourriez-vous nous en dire un peu plus sur le rôle de la musique « légère » au sein de l’Union Soviétique sous Staline et de l’Allemagne nazie dans le cas spécifique du deuxième conflit mondial ? DF - Question intéressante mais compliquée. Je vais essayer d’y répondre mais je ne suis pas sûr que cela apporte beaucoup de donner une réponse commune pour ces deux régimes totalitaires, mobilisant de façon constante la société et dépassant en violence toutes les vieilles dictatures. On a pu voir sur Arte un excellent documentaire réalisé, je crois en 2003, par Oliver Axer et Suzanne Benzel sur les « refrains du nazisme », le « hit-parade » ou le « Schlager » d’Hitler. Le film est parfaitement réalisé, très impressionnant, il associe des images d’actualités, des scènes de cinéma, des films de propagande, des films d’amateurs avec un fond musical constitué par les grands succès de l’époque. C’est fait de façon brillante mais cela aboutit, à mon avis, à une forme de surinterprétation du rôle de la musique légère sous le régime nazi. La musique légère apparaît en effet uniquement dans son rôle de manipulation des masses en étant associée à des vues de ce qui se passe, y compris de témoignages de la violence exercée par le régime. Les refrains à la mode dans les démocraties en guerre étaient-ils si différents ? Le destin de la fameuse Lili Marleen est à cet égard emblématique. Le film réalisé en 1980 par Fassbinder retrace librement le singulier destin de la chanteuse qui a créé ce tube. Elle s’appelle Lale Andersen, c’est une représentante de la culture « maritime » de l’Allemagne du Nord. Elle a eu une liaison avec Rolf Liebermann (le futur directeur de l’Opéra de Paris). Pendant quelques années la chanson a été « un bide ». Puis après une diffusion par la radio allemande des troupes d’occupation à Belgrade, le succès est venu, les adaptations ont suivi et la chanson est passée dans l’autre camp, ne serait-ce que parce qu’elle a été reprise par Marlène Dietrich. Mais dans la France des débuts de la Guerre, le succès emblématique est J'attendrai, chanson créée en France en 1938, par la chanteuse italienne Rina Ketty, avec des paroles de Louis Poterat, sur une musique de Dino Olivieri qui avait déjà été un succès dans l’Italie mussolinienne, un peu comme une reprise « légère » du thème de Madame Butterfly. Mais la chanson acquiert, au début de la Guerre, un sens nouveau associé à l’attente des soldats partis au front puis des prisonniers de guerre. Je reviens à l’Allemagne et au film documentaire sur le hit-parade qui tient à démontrer que la volonté de distraire les foules a conduit à privilégier une esthétique « fleur bleue », un peu niaise en tout cas, complètement coupée de toute influence des musiques étrangères, en particulier de la musique « dégénérée ». Certes, il y eut un nombre considérable de musiciens qui furent directement les victimes du nazisme et furent emprisonnés, assassinés ou exilés parce qu’ils étaient juifs, engagés politiquement à gauche, parfois les deux. Il s’agit parfois de compositeurs « savants » qui ne dédaignaient pas les musiques populaires, en particulier le jazz et le tango, Weill, Dessau, Eisler. La liste serait longue. Je pense en particulier aux chanteurs acteurs des films musicaux : Kurt Gerron, Josef Schmidt. Les hôtels berlinois à l’époque de la République de Weimar vibraient et dansaient en écoutant de fameux orchestres dirigés par des violonistes juifs issus d’Europe centrale et orientale comme Dajos Béla. Et puis il y a le prodigieux phénomène vocal du groupe des Comedian Harmonists. Le groupe dut se séparer et

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les chanteurs juifs s’exilèrent alors que les autres reprirent le groupe « aryanisé » avec la magnifique voix de basse de Robert Biberti et devint le Meistersextett. On continuait pendant la guerre à jouer la musique de Peter Kreuder qui s’était réfugié en Suède. Le discours officiel bannit tout ce qui évoque le jazz et l’Amérique des Noirs et des Juifs mais dans les pratiques musicales, bien des aspects du swing peuvent passer. J’ai parlé de Peter Igelhoff. Il n’est pas complètement isolé. La propagande nazie a même instrumentalisé le succès du swing en diffusant sur les ondes des succès et des standards américains repris, avec des paroles favorables au régime et méprisant Churchill et les Bolcheviks, par un Orchestre constitué d’après des directives de Goebbels, l’orchestre de Charlie, conduit par le chanteur Karl Schwedler avec le tromboniste Willy Berking et le batteur Fritz “Freddie” Brocksieper. Du côté soviétique, la Grande Guerre Patriotique permet entre 1941 et 1944 une relative libéralisation dont bénéficient certains musiciens de jazz. Le trompettiste Eddie Rosner, d’origine juive polonaise, qui s’est réfugié en URSS, devient un musicien très populaire, connu comme le « Louis Armstrong blanc », alors qu’après la guerre il est interné au Goulag, victime du retour de la violence antisémite et de la volonté d’éradiquer l’influence culturelle américaine. La Seconde Guerre mondiale est ainsi associée à quelques chansons emblématiques. Ainsi la chanson composée en 1938 par le très prolifique Matveï Isaakovitch Blanter, Katioucha, tellement connue qu’elle passe pour être une vieille chanson populaire, est devenue un symbole. Son titre (le diminutif affectueux d’Ekaterina) est devenu le nom russe des lance- roquettes soviétiques que les Allemands appelaient « les orgues de Staline ». Cette chanson a été reprise par la Résistance italienne, comme un hymne Fischia il vento, sur des paroles de Felice Cascione (mort en 1944). En France, la mélodie – qui n’était pas attribuée à Blanter – servit pour lancer en 1969 le Casatchok. Une valse évoquant un foulard bleu, et le retour de l’absent, est devenue un autre symbole de la guerre, en particulier dans la version de Klavdiya Shulzhenko. En fait, il s’agissait avant la guerre d’un succès populaire polonais composé par Jerzy Peterburski. Ces chansons sont devenues des formes significatives de la mobilisation soviétique, en forçant le trait je dirais au moins autant que les symphonies de Chostakovitch.

LVP - Revenons un moment à Wagner et aux utilisations contradictoires des œuvres musicales dans différents contextes de représentation. Pensez-vous que la ritualisation de la musique suffise pour conférer aux œuvres des significations différentes de celles voulues par les compositeurs et par les contextes historiques de leur création ? Y aurait-il des spécificités rituelles propres aux sociétés en guerre ? DF - La question dépasse « le cas Wagner » et le problème de la contextualisation des représentations. Aucune musique n’est à l’abri d’une réappropriation que l’on pourrait juger abusive, que cela soit pour construire un rituel de mobilisation autour d’une marche ou que cela soit pour une quelconque publicité. Chostakovitch a été associé à une caisse de prévoyance… Dans le cas des marches, il est étonnant de voir leur plasticité dans des réemplois dans des contextes très différents (la Marche lorraine de Louis Ganne a pu, par exemple, être reprise par une milice libanaise). Il me semble difficile de distinguer, dans une approche historique, ce qui relève de l’emploi (plus ou moins ritualisé) et ce qui relève de ce que vous appelez les « significations ». On risque en parlant de signification d’une musique de retomber dans une forme d’essentialisme. A priori, en période de guerre, on fait feu de tout bois, on fond les statues pour forger des canons. Tout peut devenir arme de mobilisation. J’aurais tendance actuellement à choisir, au moins provisoirement, un

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parti pris théorique fonctionnaliste. La question se pose par exemple à propos de l’usage du folklore en Union Soviétique, y compris en temps de guerre. Des airs récents peuvent faire fonction de folklore dans un contexte donné. Les questions de ritualité n’interviennent pas seulement comme un signe d’une ritualité spécifique mais la ritualité « normale » du concert en temps de guerre est exploitée comme une arme de propagande. Parfois le fait d’exporter le rituel du concert hors des salles philharmoniques met en valeur, à des fins de propagande, la mobilisation confluente des artistes et du peuple. Furtwängler dirige en 1942 un concert aux usines A.E.G. de Berlin, avec d’ailleurs le Prélude des Maîtres Chanteurs. Il ne s’agit pas seulement de montrer que la vie normale continue et que l’ennemi n’a pas pu empêcher la nation de continuer à vivre : il s’agit de démontrer qu’elle est unanime et mobilisée. C’est en mars 1942 que l’Orchestre du Bolchoï, replié à Kouïbychev (aujourd’hui Samara), crée la VIIe symphonie de Chostakovitch, reprise bien vite à Londres, à New York (sous la direction de Toscanini) et à Novossibirsk. Mais il faudrait également étudier des formes de ritualisation des musiques légères propres à la guerre : la tournée aux armées des vedettes, les photographies montrant les chanteurs ou les compositeurs en uniforme. En France, on connaît le cas des tournées de Maurice Chevalier ou de Joséphine Baker mais dans un pays comme la Finlande, la mobilisation des chanteurs et compositeurs de tango en Finlande (Olavi Virta, Henry Theel, Toïvo Kärki) sur le front de la Guerre d’Hiver et de la Guerre de Continuation a quelque chose de fondateur ou de refondateur de la nation. Une approche comparée, là encore, serait nécessaire.

LVP - Vous avez évoqué le rôle de la radio – en tant que média de masse – dans la diffusion et dans la fabrication des succès de la musique légère aussi bien dans les villes que sur les fronts. D'ailleurs, à en croire des témoignages laissés par des soldats après la Deuxième Guerre mondiale, le rituel quotidien de la radiodiffusion de certaines chansons aurait eu la capacité d’arrêter pour quelques minutes les hostilités entre belligérants – je pense notamment à la radiodiffusion de Lili Marleen par Radio Belgrade sur le front d’Afrique2. Ou, comme le met en scène le film Good Morning, Vietnam, le rôle de la radio a pu dépasser celui de la simple diffusion d’une programmation musicale visée par la censure militaire et revêtir une importance toute autre pour les troupes mobilisées. Pourriez-vous nous en dire un peu plus sur les fonctions de la radiodiffusion des œuvres musicales durant les conflits armés ? DF - La radio est, en période de guerre, un lien évident entre le front et l’arrière. En ce sens, les deux conflits mondiaux présentent des cas bien différents. La Seconde Guerre mondiale est largement une guerre des ondes. Le Discours du 18 juin, le brouillage de Radio Londres par les Allemands, tout cela constitue un paysage sonore identifié à l’histoire de cette guerre. Il est vrai que la musique légère n’est pas seule à occuper l’espace sonore radiophonique. Le signal radiophonique de Londres, le fameux V de la Victoire en morse, identifiable au début de la Ve Symphonie de Beethoven peut difficilement passer pour de la musique « légère », pourtant le recours à la musique légère est fréquent, par exemple dans le retournement parodique avec Charlie et son orchestre avec lequel Goebbels pense démoraliser les auditeurs britanniques, ou avec le grand Pierre Dac se moquant de Radio Paris, station de collaboration, sur l’air de la Cucaracha avec des paroles restées célèbres (« Radio Paris ment, Radio Paris ment, Radio Paris est allemand »). Si l’on étend la réflexion à la période de la Guerre Froide, le rôle de Radio Free Europe est considérable ; il serait intéressant de ne pas s’en tenir aux discours mais d’étudier précisément la programmation musicale, en comparant les émissions destinées aux

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différents pays du bloc soviétique. Je pense bien sûr à ce que vous dites sur Good Morning, Vietnam et donc à What a Wonderful World chanté par Armstrong mais largement pensé par Bob Thiele, le producteur des disques Impulse ! Les œuvres musicales ayant ainsi apparemment une fonction de banalisation plus que de mobilisation.

LVP - Banalisation de la violence et de la guerre elle-même… Finalement, une guerre avec musique serait-elle moins pénible à vivre ? Dans une perspective plus large, considérez- vous que la musique joue un rôle dans l’esthétisation de la violence guerrière vécue par les soldats ? DF - Je crois que ce sont deux questions bien différentes. D’un côté une sorte de vertu peut-être apaisante ou, au moins, d’euphémisation. Une forme illusoire de ré- humanisation. Je pense, dans Le Dictateur, de Chaplin au moment où dans l’avion touché par l’artillerie et retombé sur terre, l’officier évoque la douceur du printemps dans son pays. La musique rend la guerre moins pénible à vivre. Il se peut qu’au XXe siècle, la fréquence des conflits ait joué un rôle dans la généralisation des musiques populaires qui ont pu avoir cette fonction : « on s’en sortira ». L’amour, la séparation, les retrouvailles, des espèces de constantes « anthropologiques » qui font que la musique assure une forme de continuité fictive dans les destins par-delà les coupures, les déchirures et les blessures de la guerre. J’aime bien pour cela repérer la continuité en aval dans le souvenir nostalgique que laisse « la musique de la guerre ». Je pense en particulier à une chanson de Charles Trénet, enregistrée, je pense, vers 1960 sur le souvenir de la Première Guerre mondiale, évoquant l’héroïne de la chanson emblématique de la période : « Qu'est devenue, depuis, La Madelon jolie Des années seize ? A-t-elle toujours les yeux Étonnés d'être si bleus, La taille à l'aise ? » Le texte, nostalgique, est bien loin du pastiche et la musique n’évoque l’original que de très loin la musique de l’original et les musiques guerrières, sauf dans une introduction sur le mode des musiques d’ordonnance au clairon, qui s’estompe. La fin met en évidence le souvenir apaisant que laissent certaines musiques associées à l’histoire guerrière. « Ils sont restés fidèles Comme au temps auprès d'elle Ils venaient boire A la santé d'la France, A l'oubli d'la souffrance, A la victoire. Vision de ces images Qui furent celles d'un bel âge Et qui s'effacent, Le feu sur un toit d'chaume Et l'Empereur Guillaume, Comme le temps passe. » On retient presque de la guerre le souvenir de la chanson qui la rendait moins pénible. La question de l’esthétisation de la violence vécue par les combattants me semble une question bien différente. Si l’on cherche à réfléchir de façon générale en ne se limitant pas au front franco-allemand de la Première Guerre mondiale (dont la

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commémoration en France prend peut-être trop une allure uniquement franco- allemande, oubliant que la Guerre a touché aussi Sarajevo, Salonique ou Varsovie), on peut penser que l’esthétisation de la violence à laquelle la musique peut contribuer est avant tout l’affaire du « Front intérieur » de ce qu’avant l’idée de « guerre totale » 3 on appelait « l’arrière ». Les musiques produites par des musiciens qui ont eu l’expérience directe du combat semblent rarement belliqueuses. Là encore, la parodie est une forme non pas de dérision de l’adversaire mais de façon de maintenir une distance critique « civile » face au déferlement de la violence. Hindemith a ainsi parodié une forme de militarisme dans une vraie-fausse marche militaire pour quatuor à cordes « Militarminimax ». Ce qui me semble plus important que l’utilisation de la musique dans l’esthétisation de la violence est la capacité d’appropriation et de réappropriation de musiques en période de guerre, y compris au front. It's a Long Way to Tipperary est apparu au Royaume-Uni dans les music-halls en 1912 et s’est imposé comme air de marche des troupes britanniques à Boulogne- sur-Mer dans l’été 1914.

LVP - Pour terminer notre dialogue, je voudrais aborder le sujet des pratiques musicales au sein des armées en temps de guerre, dans une approche qui partirait du vécu des soldats eux-mêmes. De fait, si un certain nombre d’instruments de musique sont tolérés ou même mis à disposition dans les casernes pour un usage « récréatif », qu’en est-il des œuvres musicales ou des chansons que des soldats – musiciens amateurs ou professionnels – auraient composées ou reprises au jour le jour, pour parodier la hiérarchie, pour ridiculiser l’ennemi, pour évoquer la nostalgie de leur vie loin du front, ou simplement pour passer du bon temps avec les camarades ? A un niveau individuel, quelle fonction pouvaient avoir les pratiques musicales pour les soldats ou le personnel militaire ? Quelles sources pourrions- nous mobiliser afin d’étudier ces témoignages du quotidien et de quelle façon une approche comparée pourrait-elle nous être utile ? DF - Beaucoup de choses déjà étudiées vont être utilement dites à l’occasion du Centenaire de la Première Guerre mondiale : du violon de Lucien Durosoir au répertoire étudié par Sophie-Anne Leterrier4. Je préfère essayer à présent de trouver d’autres exemples. Les compositions « au front » des musiciens finlandais dans la Guerre d’Hiver de 1939-1940 ou la Guerre de Continuation sont empreintes de l’« esprit de la Guerre d’Hiver » (Talvisodan Henki) qui est une forme d’Union Sacrée et donc n’expriment rien de critique face aux officiers supérieurs. Mais elles sont bien nostalgiques. Il est vrai que la diversité des conflits et des sources rend difficile tout essai de généralisation à partir de ce qui va être largement révélé ou rappelé à propos de la Grande Guerre. Pour cela, il y a de quoi reprendre avec Brassens l’idée qu’il s’agit bien de « celle que j’préfère ». On parvient, par les correspondances et les écrits autobiographiques, à avoir une certaine idée de ce qui est joué sur place, en particulier de ce qui est repris. En définitive, il existe une forme assez codifiée de « folklore » militaire dans lequel on peut puiser : le répertoire des comiques troupiers en France, les danses de recrutement en Hongrie, les signaux d’ordonnance (l’appel à la soupe, par exemple), des chants de régiment sur lesquels il suffit de changer parfois légèrement les paroles. Une chanson polonaise consacrée aux « chevaux-légers » (Szwoleżerowie…) donne une idée de l’expression de cette « fraternité d’arme » musicale, avec parfois des allures de chanson à boire. Je crois qu’avec le processus de « folklorisation » du répertoire régimentaire, on peut construire une approche comparée ouverte des modalités d’appropriation des musiques jouées au front pendant les conflits. Vous avez raison d’insister dans vos questions sur le fait que la musique conserve une

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fonction dans la sociabilité (« passer du bon temps avec les camarades »). La dimension comparée de l’étude de la place de la musique peut déjà s’appliquer dans l’étude historique de la Première Guerre mondiale. Je crains qu’en France on se concentre trop exclusivement sur les questions franco-allemandes. Il faut relever autant que l’on peut les répertoires de tous les pays engagés dans le conflit, ce qui conduit à des choses aussi importantes que les premiers enregistrements de jazz avec James Europe, à d’indéboulonnables succès comme le Colonel Bogey associé, depuis un célèbre film, au Pont de la Rivière Kwaï, et donc à la Guerre mondiale suivante. C’est dire que le soutien à la recherche devrait faciliter les contacts internationaux pour rapprocher toutes les études partielles qui sont faites et leur donner un caractère systématique. Même en période de conflit, le rapport affectif d’identification personnelle ou collective (par exemple nationale) à une certaine musique se fait à partir d’un répertoire largement mondialisé. Cela circule entre alliés. On a par exemple un enregistrement significatif d’une version anglaise de La Madelon. Mais cela circule aussi d’un camp à l’autre. Ce phénomène de construction de particularismes qui passe par la circulation transnationale est déjà bien présent avant 1914. Dans Le Chant des Nations, je m’étais prudemment arrêté à l’attentat de Sarajevo. Le fameux compositeur de marches tchèque Julius Fučík avait dirigé à Sarajevo la musique de garnison. Une de ses marches, L’Entrée des Gladiateurs, est devenue incontournable dans presque tous les cirques du monde. Pour les compositeurs patriotes, voire nationalistes, la reconnaissance passait par le succès dans des lieux internationaux de légitimation (Vienne, Paris ou Londres par exemple, voire même déjà New York où Gustav Mahler dirigea du Martucci). La construction du national est donc intimement liée à la circulation transnationale. J’avais pensé en commençant Le Chant des Nations mettre en évidence la façon dont la musique a été instrumentalisée dans le processus de préparation des sociétés à la violence qui a abouti à la Première Guerre mondiale, j’ai plutôt trouvé des formes d’expression des nationalismes musicaux qui circulaient et se rapprochaient ainsi que des formes musicales de résistance au nationalisme. Il semble que l’étude des traductions effectuées dans le champ de l’édition et de la littérature européenne parvienne au même résultat alors que je pensais, en 2004, que la musique avait une sorte de facilité plus grande, ne passant pas par le truchement du traducteur, à concilier construction d’une culturelle nationale et transmission transnationale. Un article récent de Blaise Wilfert-Portal met en évidence les modalités, avant 1914, de « l’intensive construction du système transnational des littératures nationales européennes » en des termes en définitive assez proches, de façon surprenante, de ce que j’avais pu trouver à propos de la musique. Les « circulations » mettent en place à la fois des phénomènes de « nationalisation » et des phénomènes de « dépassement cosmopolite »5. Et je trouve que le terme de « transnational » sur lequel il insiste à juste titre peut rendre compte de cette combinaison de mondialisation culturelle et de construction des particularismes nationaux que j’avais alors notée à propos de la musique. On ne peut que se réjouir de voir que, dans l’étude des phénomènes de circulation culturelle en Europe et hors d’Europe, les historiens qui travaillent sur la musique ne sont plus seuls à « dénationaliser » l’histoire culturelle. Il ne s’agit plus, et Blaise Wilfert-Portal insiste justement sur ce point, de mettre en place une méthode comparative mais de prendre comme objet ce que peuvent être « les bases

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collectives d’une histoire culturelle de l’Europe ». Pour ma part, je me consacre pour le moment essentiellement à l’observation de la circulation de musiques légères avant, pendant et après les guerres mondiales. Et cela circule dans des formes toujours étonnantes de géographie culturelle qui dépasse les frontières et les alliances diplomatiques et religieuses. Quelque chose se passe dès avant la Grande Guerre. Un exemple suffirait à le prouver. La valse d’Archibald Joyce, Songe d’Automne, qui fut peut-être la dernière œuvre jouée sur le Titanic, est devenue un immense succès avec des noms divers et des modifications en Suède, en Finlande, en Russie et en Serbie. Or cette valse triste (genre populaire de Sibelius au compositeur tchèque Oscar Nedbal) peut rappeler la valse russe sur Les Collines de Mandchourie qui évoque la fin héroïque des soldats morts lors de la Guerre Russo-Japonaise de 1904. J’aurais presque envie de conclure en essayant d’exprimer l’idée que l’on peut préférer une démarche d’approche « trans » étudiant la circulation dans le cadre d’un large socle culturel commun plutôt qu’une démarche comparative « inter ». Par ailleurs, la fréquence des réemplois musicaux lors des guerres pourrait faire penser que dans le domaine musical, la fameuse formule de Clausewitz selon laquelle « La guerre n'est qu'un prolongement de la politique par d'autres moyens » pourrait s’appliquer. Les périodes de guerre apparaissent donc comme des moments où le phénomène de circulation est le plus paradoxal, le plus difficile, le plus contradictoire avec la logique d’affrontement et donc où on peut mieux mettre en évidence ses modalités « transgressives ». Il y a dans le « transnational » quelque chose de l’ordre de la transgression morale. Les réactions à ce qui est perçu comme l’américanisation (ou la mode wagnérienne, en d’autres temps) le montrent bien. L’étude de la circulation et de la traduction des textes pourra certainement apporter beaucoup à l’histoire d’une culture européenne, pour le moment il ne me semble pas que l’on ait encore épuisé le sujet des circulations musicales que je continue à privilégier. « De la musique avant toute chose » comme disait Verlaine qui n’hésitait pas à se présenter comme un poète patriotique français, « né à Metz ».

BIBLIOGRAPHIE

Bibliographie sélective

Livre

Le Chant des Nations. Musiques et Cultures en Europe, 1870-1914, Paris, Hachette, 2004.

Directions d’ouvrages

CLAVEAU, Cylvie, FISZER, Stanislaw et FRANCFORT, Didier (eds.), Cultures juives. Europe centrale et orientale, Amérique du Nord, Paris, Le Manuscrit, 2012, 545 p.

MASŁOWSKI, Michel, FRANCFORT, Didier et GRADVOHL, Paul (eds.), Culture et identité en Europe centrale. Canons littéraires et visions de l’histoire, Paris-Brno, Institut d’études slaves, 2011, 660 p.

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DESHAYES, Jean-Luc et FRANCFORT, Didier (eds.), Du barbelé au pointillé : les frontières au regard des sciences humaines et sociales, Nancy, Presses Universitaires de Nancy, 2010, 297 p.

Contributions à des ouvrages collectifs

« La musique instrumentale du Risorgimento », in Laura FOURNIER-FINOCCHIARO et Jean-Yves FRÉTIGNÉ (eds.), L’Unité italienne racontée, vol. II : Voix et images du Risorgimento. Transalpina n° 16, Caen, Presses universitaires de Caen, 2013, p. 167-179.

« Portrait de Frank Zappa en dissident tchèque : Circulations musicales est-ouest pendant la guerre froide », in Musiques au monde. La tradition au prisme de la création, Emmanuelle OLIVIER (ed.), Sampzon, Delatour, 2012, p. 67-76.

« Defining Musically the Enemy » in Nesrin KALYONCU, Derya ERICE et Metin AKYÜZ (eds.), Music and Music Education within the Context of Socio-cultural Changes, Ankara, Müzik Eğitimi Yayinlari, 2011, p. 224-228.

« La Guerre de Crimée, moment fondateur des musiques militaires européennes», in Georg MAAG, Wolfram PYTA, Martin WINDISCH (eds.), Der Krimkrieg als erster europäischer Medienkrieg. Berlin, LIT VERLAG, 2010, p. 163-172.

« Les musiques au cœur de la culture italienne » in Marc LAZAR (ed.), L’Italie contemporaine de 1945 à nos jours, Paris, Fayard, 2009, p. 429-440.

« La meilleure façon de marcher : musiques militaires, violence et mobilisation dans la Première Guerre mondiale », in La Grande Guerre des musiciens, Stéphane AUDOIN-ROUZEAU, Esteban BUCH, Myriam CHIMÈNES et Georgie DUROSOIR (eds.), Lyon, Symétrie, 2009, p. 17-27.

« National Identity and the Double Border in Lorraine 1870-1914 » in Barbara KELLY (ed.), French Music, Culture, and National Identity, 1870-1939, Rochester, New York, University of Rochester Press, 2008, p. 351-377.

Articles

« La Marseillaise de Serge Gainsbourg », in Vingtième siècle. Revue d’histoire, n° 227, 2007/3, p. 27-35.

« Památník Lidicím, le “Mémorial de Lidice” de Bohuslav Martin 7 (1943) : réflexions sur l’engagement politique et moral d’un compositeur », in Guerres mondiales et conflits contemporains, n° 85, 2005/1, p. 65-74.

« Pour une approche historique comparée des musiques militaires », in Vingtième siècle. Revue d’histoire, n° 85, 2005/1, p. 85-101.

NOTES

1. FRANCFORT, Didier, Associations et pratiques sociables à Udine, métropole frioulane (1850-1870), 4 vol. (1074 p.), sous la direction de Maurice Agulhon, thèse soutenue à l’Université Paris-I le 7 mars 1986. 2. Voir à ce sujet SALA ROSE, Rosa, Lili Marleen. Canción de amor y de muerte, Barcelone, Global Rhythm, 2008, p. 109-113. 3. FRANCFORT, Didier, « Defining Musically the Enemy » in Nesrin KALYONCU, Derya ERICE et Metin AKYÜZ (eds.), Music and Music Education within the Context of Socio-cultural Changes, Ankara, 2011, p. 224-228. 4. https://www.google.fr/webhp?source=search_app&gws_rd=cr&ei=L1rSUv7CG-iu0AW- hoGAAw#q=sophie+anne+leterrier+musique+guerre [consulté le 12 janvier 2014]

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5. WILFERT-PORTAL, Blaise, « L'histoire culturelle de l'Europe : un point de vue transnational » in Revista de Antropología e Arte, vol. 1, n. 4, 2012/2013, (http://www.revistaproa.com.br/04/? page_id=100), consulté le 12 janvier 2014.

RÉSUMÉS

Professeur d’histoire contemporaine à l’Université de Lorraine et directeur de l’Institut d’Histoire Culturelle Européenne-Bronisław Geremek au Château des Lumières-Lunéville, Didier Francfort se considère comme un historien avec musique, et non pas un historien de la musique. Ses travaux portent sur l’histoire culturelle comparée européenne, particulièrement sur la place de la musique dans les constructions identitaires nationales ou supranationales. Il y analyse comment la musique intervient dans les sociétés à la fois comme source et comme facteur dans les évolutions sociales. Didier Francfort nous parle de son parcours d’historien et de la façon dont les œuvres musicales peuvent être mobilisées dans une approche historique transnationale et comparative. Dans la suite de l’entretien, il est question des œuvres et des pratiques musicales au sein des conflits armés, des deux guerres mondiales à celle du Vietnam.

INDEX

Keywords : comparative history, armed conflicts, war, music, musical practices Mots-clés : histoire comparée, conflits armés, guerre, musique, pratiques musicales

AUTEUR

LUIS VELASCO-PUFLEAU

Docteur en Musique et musicologie (Université Paris-Sorbonne) et chercheur post-doctorant à l’Université de Salzbourg, Luis Velasco-Pufleau a été également chercheur post-doctorant au Centre de recherches sur les arts et le langage (CRAL) de l’École des hautes études en sciences sociales (EHESS, Paris) et chargé de cours en musicologie à l’Université de Bordeaux. Ses recherches portent sur la création musicale contemporaine ainsi que sur les rapports entre musique, esthétique et politique au XXe siècle.

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De la musique à ses objets et ses images. Entretien avec Florence Gétreau From music to its objects and images. Interview with Florence Gétreau

Fanny Gribenski et Isabelle Mayaud

NOTE DE L’ÉDITEUR

Réalisé par Fanny Gribenski et Isabelle Mayaud, le 17 juin 2013.

Entretien

Fanny Gribenski et Isabelle Mayaud - Comment expliquez-vous votre double carrière de conservatrice et de chercheuse ? Florence Gétreau - Mes années de formation ont été déterminantes dans l’affirmation d’une double vocation de chercheuse et de conservatrice de musée. J’ai fait un cursus de lettres et d’histoire de l’art à la faculté d’Aix en Provence et j’ai alors travaillé sur la chanson de Roland, à la croisée de ces deux disciplines. Puis, je suis venue à Paris, mon idée étant de m’inscrire à la formation de préparation au concours des musées nationaux. J’avais vraiment une vocation forte pour les musées. Jacques Thuillier1, alors responsable du département d’histoire de l’art moderne à la Sorbonne m’a conseillé de commencer par faire un catalogue raisonné de musée dans le cadre d’une maîtrise. Mon mémoire fut consacré aux Peintures et dessins français du XVIIIe siècle du musée Jacquemart-André de Paris. J’en ai publié une version profondément remaniée l’an dernier grâce à l’Institut de France et aux éditions Michel de Maule. C’est aussi à cette époque que j’ai suivi en Sorbonne le séminaire de muséologie générale de Georges-Henri Rivière2. Rivière faisait deux types de cours : des cours théoriques et, tous les mercredis, des cours pratiques dans les institutions où nous étions reçus par les directeurs et les équipes. C’est comme cela qu’un jour,

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nous sommes allés au Musée du Conservatoire de Paris. Et là, j’ai eu l’une des très grandes émotions de ma vie : au cours de la visite, Hubert Bédard, claveciniste et responsable de l’atelier de restauration du musée, a joué un clavecin du XVIIIe siècle de Jean-Claude Goujon. L’audition de cet instrument a été une véritable révélation. Deux mois après, je rencontrais Madame de Chambure3, troisième personne exceptionnelle qui a joué, comme Thuillier et Rivière, un rôle déterminant dans ma carrière. Le musée du Conservatoire a longtemps été au centre de ma vie, non seulement professionnelle, mais aussi quotidienne. J’y ai d’abord fait un stage ; puis un poste à mi-temps d’assistante s’est libéré. Sitôt ma maîtrise en poche, j’ai décidé de commencer une thèse sous la direction de Jacques Thuillier, sur l’histoire des collections du Musée instrumental du Conservatoire. Alors que j’étais conservateur- adjoint à plein temps, j’ai poursuivi ma thèse soutenue finalement en 1991. J’ai contribué dès 1975 à l’équipe du CNRS créée auprès de ce musée par Madame de Chambure en 1967 et dirigée par Jacques Thuillier à partir de 1974. Elle était consacrée à l’étude interne et externe des instruments de musique et à l’iconographie musicale. Dès 1977, auprès de Georges Henri Rivière et Josiane Bran-Ricci, j’ai contribué aux premières réflexions sur l’établissement d’un musée de la Musique. Et de 1987 à 1992, j’ai été Chef de projet du musée de la musique auprès de l’Établissement public constructeur de La Villette. J’ai appris ce que c’est qu’un grand projet culturel de l’État, avec une dimension fortement politique. Après avoir été en quelque sorte porteuse de ce musée de la musique, pour des raisons de politique culturelle, j’en ai été écartée, à deux ans de l’ouverture. Comme j’étais conservateur des musées nationaux, je suis allée voir où l’on m’accepterait, sachant que j’avais hérité en 1993 de la direction de l’équipe CNRS autrefois dirigée par Madame de Chambure, puis par J. Thuillier. Alors que je devenais conservateur responsable du département de la Musique et de la parole, mon équipe de recherche était aussi intégrée au Musée des Arts et Traditions Populaires, en tant que deuxième laboratoire CNRS. J’ai travaillé pour les deux équipes associées au musée, entre lesquelles j’ai joué un rôle d’intermédiaire. En 1995, j’ai formulé le vœu de faire une exposition sur les Musiciens des rues de Paris4. C’était un projet d’anthropologie historique, ce qui n’était pas très fréquent à l’époque – chez les ethnologues, on travaillait alors plus volontiers sur les banlieues, et l’on ne cultivait pas trop ce qui avait une dimension historique. Cela a été un des très grands moments de ma carrière au MNATP, un moment de grande créativité. Nous avons constitué un groupe de réflexion avec des ethnomusicologues, des musiciens professionnels, des praticiens de la rue et des historiens. Au MNATP, j’ai tenté de faire fructifier des travaux de fond avec des objectifs très divers, aussi bien scientifiques que de restitution culturelle. En 2004, l’idée d’une relocalisation du MNATP à Marseille s’est précisée. Je n’arrivais pas à adhérer au projet, qui mélangeait trois choses très importantes mais difficiles à articuler : l’ethnologie de la France, de l’Europe, et de la Méditerranée. Ayant contribué dès 1996 au nouvel Institut de recherche sur le patrimoine musical en France (UMR 200 du CNRS, soutenue par le Ministère de la Culture et la BnF, où je suis responsable du programme « Organologie et Iconographie musicale »), j’ai été chargée de la direction de ce laboratoire en 2004, la Direction des musées de France ayant accepté de me mettre à la disposition du CNRS pour quelques années. Mon ancienne équipe de recherche du MNATP avait été intégrée à ce laboratoire. Puis, en

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2005, j’ai décidé de passer le concours externe du CNRS. Depuis, je n’ai plus de collections sous ma responsabilité, ce qui me manque parfois.

FG et IM - Comment ce parcours singulier s’est-il traduit en termes d’orientations scientifiques ? 1

FG - En termes d’inscription disciplinaire, je me suis sentie toute ma vie en marge des sujets dominants, ce qui est parfois une force. Chaque discipline ou sous-discipline s’est construit une image de ses limites, des compétences, des méthodes et des procédures d’adoubement. Je me suis formée à plusieurs domaines avec finalement une prédilection pour l’organologie et l’iconographie, toutes deux des disciplines sœurs de la musicologie que j’ai réunies dans la revue Musique-Images-Instruments que j’ai fondée en 1995 avec l’aide du CNRS et du Ministère de la Culture (cf. supra). J’aimerais à l’avenir faire une sorte de vade-mecum, un manuel de ces deux sous- disciplines à partir de mon habilitation à diriger des recherches, laquelle a porté sur l’Histoire des instruments et les représentations de la musique en France. La transmission et le partage des travaux occupent une place importante dans ma trajectoire professionnelle. Je dois cette approche de la réflexion en groupe au CNRS, dont c’est l’une des forces. Grâce à Yves Gérard aussi, que j’ai fréquenté pendant des années, et qui m’a demandé en 1994 de donner des cours aux étudiants du Conservatoire, j’ai pu partager mes recherches et les travaux que j’aime. Formuler une critique rétrospective sur ce qu’on a pensé trouver, c’est difficile. En fait, je pense que l’on a besoin du feedback des autres, de la relecture, de l’écho… Je trouve qu’il n’y a rien de pire dans nos milieux que les gens qui refusent que l’on corrige ou modifie leurs textes. J’ai beaucoup cru au collectif et j’ai toujours plusieurs chantiers communs en cours. Les années passant il y a aussi urgence à finaliser plusieurs recherches personnelles non achevées faute de temps. Au début de ma carrière et jusqu’à la fin de mon engagement au MNATP, j’ai fait beaucoup de service public. Depuis que je suis au CNRS, je n’ai pas de service public à proprement parler à assumer, mais j’ai tellement de charges pour la collectivité que ça revient au même. Je suis également très impliquée à l’international et j’ai acquis une reconnaissance qui s’est traduite par un certain nombre de distinctions ces dix dernières années5. Je fais aussi partie de plusieurs sociétés savantes : The Academy of Europe et la Société internationale de musicologie notamment. Cela m’importe beaucoup d’être présente dans des réunions internationales, cela participe d’un besoin d’ouverture présent depuis le début de ma carrière.

FG et IM - Quels sont vos projets actuels ? FG - Le 14e volume de la revue Musique • Images • Instruments est sous presse, il portera sur un curieux instrument, le serpent6. Il y a aussi plusieurs ouvrages collectifs en cours, comme celui avec Jean Duron sur l’orchestre à cordes sous Louis XIV7, ou le volume collectif sur Henri Prunières8. Il y a encore le livre Voir la musique9, qui est sans doute celui qui me tient le plus à cœur.

FG et IM - Dans votre actualité, il y a aussi une exposition sur la musique et la guerre à Péronne10 : comment êtes-vous devenue commissaire d’exposition ? FG - Mon premier commissariat d’exposition date de 1980. Il s’agissait d’une exposition, dans le cadre de l’Année européenne de la musique, sur la facture instrumentale. J’avais voulu montrer que chaque pays avait eu une prééminence dans

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un domaine ou l’autre : j’ai proposé un tour d’Europe de la facture instrumentale. Chaque pays avait aussi sa manière de penser l’organologie11. En 1988, j’ai réalisé une autre exposition sur les Instrumentistes et luthiers parisiens pour la mairie de Paris12 et puis plusieurs autres encore, au MNATP notamment. En 2007, il y a eu un beau colloque à Péronne13, pour lequel on m’avait demandé de faire un travail sur les instruments de soldats. J’ai accepté à condition de pouvoir faire un travail systématique sur les collections de l’Historial. C’est comme cela que j’ai découvert qu’il y avait là les carnets et les manuscrits de Gervais sur son fameux violoncelle de tranchée. La conservatrice de l’Historial de Péronne en charge aussi de l’abbaye de Saint-Riquier, m’a d’abord commandé une exposition sur la musique dans les tableaux des musées de province en 2009. Puis elle m’a confié le commissariat de celle de 2014 qui sera intitulée Entendre la guerre : sons, musiques et silence en 14-18. Dans le cadre de la préparation de cette exposition, je travaille avec un comité scientifique (historiens et musicologues) et une équipe de production qui est à Péronne.

FG et IM - Comment s’est organisé le travail avec le comité scientifique ? FG - Le comité scientifique a défini les axes, les points forts, la structuration, l’intitulé ; le sommaire du catalogue reflète très bien le parcours théorique. La question, ensuite, c’est : quels objets expose-t-on ? Comment est-ce qu’on incarne les idées ? Par exemple, sur la chanson, on doit opérer des sélections drastiques, car que retenir ? A l’inverse, sur certains thèmes, les documents sont rares. Le travail de notre comité a permis d’opter non pas pour une exposition sur la musique pendant la Grande Guerre, mais pour un triptyque permettant de prendre en compte le son inouï de la guerre, sa violence, sa nouveauté, alors même que quasi aucun témoignage matériel ne nous a été conservé. Toute la partie portant sur la musique (au front, à l’arrière, dans les camps, dans les zones occupées) constitue ensuite une sorte de contre-bruit. Enfin il nous est apparu essentiel d’évoquer le silence : celui qui marque subitement l’armistice, mais aussi celui qui est redouté par les soldats saturés de violence sonore. Il est ainsi question de la dimension sonore, comme on le voit dans le titre. Mais comment faire passer des sensations ? C’est un sujet très dur, la guerre. Je ne m’étais jamais vraiment penchée sur la question jusqu’à cette exposition.

FG et IM - Passionnante question, oui, comment faire passer des sensations ? FG - Nous avons la chance d’avoir dans l’équipe de scénographie Luc Martinez qui est compositeur et qui a à son actif une longue expérience auprès des musées dédiés à la musique. Plusieurs thématiques de l’exposition feront l’objet de puits sonores où l’on pourra entendre des extraits de répertoires très divers (Musiques de défilés, chansons, œuvres de circonstance et de deuil etc.). Mais une salle particulière sera dédiée à une création sonore de Luc Martinez, intitulée « Inouï » qui permettra de prendre conscience, jusque dans ses aspects « vibratoires » de l’impact physique et sensible du son de la guerre. C’est un sujet nouveau pour une exposition, à la croisée de toutes sortes d’interrogations. Là encore, il y a une espèce de porosité du sujet, des domaines d’expertises des différents partenaires et collaborateurs, et c’est ce qui me fait avancer.

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BIBLIOGRAPHIE

Bibliographie sélective

Ouvrages

Musée Jacquemart-André. Peintures et dessins de l’école française. Catalogue raisonné, Paris, Institut de France : Michel de Maule, 2011, 413 p., 160 ill. coul., 50 ill. n et b.

Voir la musique. Les sujets musicaux dans les œuvres d’art du XVIe au XXe siècle, Musée départemental de l’Abbaye de Saint-Riquier, 2009, 154 p., 76 ill.

Aux origines du Musée de la Musique : les collections instrumentales du Conservatoire de Paris. 1793-1993, Paris, Klincksieck / Réunion des Musées Nationaux, 1996, 800 p., 120 ill.

Direction d’ouvrages

Chopin e il suono di Pleyel – Chopin and the Pleyel sound – Chopin et le son Pleyel ; Arte e musica nella Parigi romantica – Art and Music in Romantic Paris – Art et musique dans le Paris romantique, Milan, Villa Medici Giulini, 2010, 380 p., 190 ill.

Musique, esthétique et société en France au XIXe siècle, avec Damien Colas et Malou Haine, Liège, Mardaga, 2007, 336 p.

Direction de la revue Musique • Images • Instruments. Revue française d’organologie et d’iconographie musicale. Derniers volumes thématiques parus :

Le serpent. Itinéraires passés et présents. 14, 9 (2013), CNRS Éditions, 310 p. avec Cécile Davy-Rigaux et VolnyHostiou.

La musique aux expositions universelles : entre industries et cultures. 13 (2012), CNRS Éditions, 245 p.

Orchestres aux XVIIIe et XIXe siècles : composition, disposition, direction, représentation. 12 (2011), CNRS Éditions, 285 p.

Choix d’articles

« A rediscovered portrait of Henrietta-Anne of England: music, portraiture, and the arts at the Court of France », Imago Musicae. International Yearbook of Musical Iconography XXVI (2013), p. 7-45.

« Le monument de Henry Du Mont et la sculpture funéraire à l’époque du père Ménestrier », Imago Musicae. International Yearbook of Musical Iconography XXV (2012), p. 77-106.

« The Portraits of Rameau: A Methodological Approach », Music in Art. International Journal for Music Iconography XXXVI/1-2 (2011), p. 275-300.

« Performing and Listening to Music in Paris (1770-1820): Interpreting Visual Sources », avec Michael Greenberg, Zur Aufführungspraxis von Musik der Klassik, Ute Omonsky, Hans Boje Schmuhl (ed.), Augsbourg, Wissner-Verlag, Stiftung Kloster Michaelstein, 2011, Michaelsteiner Bericht Band 76, p. 79-110.

« Les collections Henry Prunières et Geneviève Thibault de Chambure : formation, composition, interaction, valorisation », avec Catherine Massip, Collectionner la musique : histoires d’une passion, Denis Herlin, Catherine Massip, Jean Duron, Dinko Fabris (dir.), Turnhout, Brepols, 2010, p. 217-256.

« Nouveau statut de l’instrument de musique en France au XIXe siècle dans les expositions nationales et universelles », avec Joël-Marie Fauquet. Instrumental Music and The Industrial

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Revolution, Roberto Illianoet Luca Sala (ed.), Ad Parnassum Studies 5, Bologna, Ut Orpheus Edizioni, 2010, p. 361-389.

« Curt Sachs as a Theorist for Music Museology », Music’s Intellectual History, Zdravko Blazekovicet Barbara Dobbs Mackenzie (ed.), New York, Répertoire international de littérature musicale (RILM Perspectives series), 2009, p. 303-313.

« Les faiseurs d’instruments du roi », Le prince et la musique. Les passions musicales de Louis XIV, Jean Duron (dir.), Wavre, Mardaga, 2009, p. 179-210.

« Recherche et maintien de la tradition musicale populaire en France : positions de principe, méthodes d’observation et réalisation du MNATP », Du folklore à l’ethnologie, Jacqueline Christophe, Denis-Michel Boëll, Régis Meyran (dir.), Paris, Éditions de la Maison des Sciences de l’Homme, 2009, p. 295-307.

« Considerazioni sulla conservazione degli strumenti a tastiera e linee guida per la costruzione di copie e ricostruzioni in Francia. Consideration on Keyboard Conservation and Policy for Facsimiles and Replicas in France », Restauro e conservazione degli strumenti musicali antichi. La spinetta ovale di Bartolomeo Cristofori. Gabriele Rossi Rognoni (ed.), Florence, Nardinieditore, 2008, p. 31-52.

« Organographie et muséologie : les fondateurs d’une histoire matérielle de la musique en France », Musica e storiaXVI/1 (2008 paru en 2011), p. 103-127.

« Philippot le Savoyard. Portraits d’un Orphée du Pont Neuf mêlés de vaudevilles, d’images et de

F0 vers burlesques », ‘L’esprit français’ und die Musik Europas. Entstehung, Einflu 62 und Grenzeneinerästhetischen Doktrin. Festschrift für Herbert Schneider, Michelle Biget-Mainfroy, Rainer Schmuch (ed.), Hildesheim, Olms, 2007, p. 269-288.

« Instrument making in Lyon and Paris around 1600 », Musikinstrumentenbau-Zentrenim 16.Jahrhundert, Boje E. Hans Schmuhl, Monika Lustig (ed.), Augsbourg, Wissner-Verlag, Michaelstein, Stiftung Kloster Michaelstein, 2007, Michaelsteiner Konferenzberichte 72, p. 179-204.

« Recent Research about the Voboam Family and Their », Journal of the American Musical Instrument Society XXXI (2005), p. 5-66.

NOTES

1. Jacques Thuillier (1928-2011), spécialiste de la peinture française du XVIIe siècle, professeur au Collège de France à partir de 1976, titulaire de la chaire « Histoire de la création artistique en France ». 2. Georges-Henri Rivière (1897-1985), fondateur du Musée national des Arts et Traditions populaires, président du Conseil international des musées. Il a profondément marqué la muséologie contemporaine. 3. Geneviève Thibault de Chambure (1902-1975), musicologue, collectionneur et fondateur de la Société de musique d’Autrefois. Elle fut conservateur du Musée Instrumental de 1961 à 1973. 4. Musiciens des rues de Paris, catalogue d'exposition, Florence Gétreau (dir.), Paris, Éditions de la Réunion des Musées Nationaux, 1997, 142 p., 60 ill. 5. The Anthony Baines Memorial Prize de la Galpin Society for the Study of Musical Instruments (2001) ; le Curt Sachs Award de l’American Musical Instrument Society (2002) ; l’Academia Europaea (2010).

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6. Le serpent : itinéraires passés et présents. Musique • Images • Instruments. Revue française d'organologie et d'iconographie musicale 14 (2013), CNRS Éditions, 310 p., avec Cécile Davy-Rigaux et Volny Hostiou. 7. Les cordes de l’orchestre français sous le règne de Louis XIV et Louis XV : instruments, répertoires et singularités, en collaboration avec Jean Duron. A paraître en 2014 chez Vrin. 8. Henry Prunières. Un musicologue engagé dans la vie musicale de l’entre-deux-guerres, Myriam Chimènes, Florence Gétreau, Catherine Massip (dir.), Paris, Société française de musicologie. En préparation. 9. Voir la musique, 400 p., 350 illus. À paraître chez Citadelles – Mazenod en 2014. 10. Entendre la guerre, exposition temporaire, mars-novembre 2014, Péronne, Historial de la Grande Guerre. Catalogue sous la direction de Florence Gétreau, Gallimard, 2014. 11. La facture instrumentale européenne : suprématies nationales et enrichissement mutuel, catalogue d'exposition, Paris, Société des Amis du Musée Instrumental, 1985, 248 p. 12. Instrumentistes et luthiers parisiens. XVIIe-XIXe siècles, catalogue d'exposition, Paris, Délégation à l'Action Artistique de la Ville de Paris, 1988, 254 p. 13. Musique et guerre (1914-1918), Stéphane Audoin-Rouzeau, Esteban Buch, Myriam Chimènes, Georgie Durosoir (dir.), Lyon, Symétrie, 2009.

RÉSUMÉS

Conservatrice du patrimoine pendant vingt-cinq ans, aujourd’hui directrice de recherche au CNRS habilitée à diriger des recherches, Florence Gétreau a consacré vingt années de sa carrière au Musée instrumental du Conservatoire National Supérieur de Musique de Paris et a été chef de projet du musée de la Musique (1987-1992). C’est à l’histoire des collections de ce musée que Florence Gétreau avait dédié sa thèse de doctorat, soutenue à Paris-Sorbonne en 1991. Responsable du Département de la musique et de la parole au musée national des Arts et Traditions populaires de Paris de 1993 à 2003, elle a dirigé l’Unité de recherche associée du CNRS « Organologie et iconographie musicale » de 1992 à 1995. C’est au sein de cette équipe qu’elle a créé en 1995 la revue annuelle Musique • Images • Instruments (Klincksieck puis CNRS Éditions). Entre janvier 2004 et décembre 2013, elle dirige l’Institut de Recherche sur le Patrimoine Musical en France (UMR 200 CNRS/Culture/BnF). Depuis 1993, elle est professeur associé d’iconographie musicale et d’organologie au Conservatoire de Paris et elle a par ailleurs contribué aux enseignements du Master « Musique et musicologie » de l’Université de Tours. Florence Gétreau nous a fait le plaisir de nous accueillir une après-midi dans son bureau à l’IRPMF, rue de Louvois, afin d’échanger avec nous sur son parcours professionnel et ses différentes manières de faire de la recherche au fil de sa riche carrière, singulière, à la croisée de différentes disciplines et de différents corps professionnels.

INDEX

Keywords : iconography, organology, museology, pluridisciplinarity, music, World War I Mots-clés : iconographie, organologie, muséographie, pluridisciplinarité, musique, Première Guerre mondiale

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AUTEURS

FANNY GRIBENSKI

Ancienne élève de l’École Normale Supérieure de Lyon et du Conservatoire National Supérieur de Musique et de Danse de Paris, agrégée de musique, Fanny Gribenski est doctorante contractuelle à l’École des hautes études en sciences sociales (Centre Georg Simmel) où elle prépare une thèse sur L’église comme lieu de musique, Paris, 1830-1903 sous la codirection de Rémy Campos et de Patrice Veit.

ISABELLE MAYAUD

Isabelle Mayaud est doctorante à l’École des hautes études en sciences sociales (Centre Georg Simmel) et à l’Université Paris 8 (Labtop) sous la codirection de Laurent Jeanpierre et de Michael Werner. Sa thèse porte sur La production de savoirs sur les lointains musicaux en France au XIXe siècle.

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Comptes-rendus de lecture Reviews

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Allan W. Atlas, La musique de la renaissance en Europe, 1400-1600 Turnhout, Brepols, coll. « Épitome musical », 2012, XXIX+955 p.

Cindy Pédelaborde

RÉFÉRENCE

Allan W. Atlas, La musique de la renaissance en Europe, 1400-1600, Turnhout, Brepols, coll. « Épitome musical », 2012, XXIX+955 p.

1 « Définir le caractère musical d’une époque représente pour les historiens un défi parfois presque insurmontable. […] Et pour la Renaissance, ce défi se pose avec une acuité plus grande encore »1. Ce défi, Allan W. Atlas, l’un des plus grands spécialistes anglo-saxons de cette période, décide de le relever cependant, offrant aux lecteurs un véritable manuel de référence, complet et richement documenté, mais également pédagogique, ludique sous certains aspects. Dans la lignée de Richard Hoppin et son étude sur La Musique au Moyen-âge2, Allan W. Atlas propose d’aborder, au sein d’un unique volume, une période de l’Histoire de la musique longue de plus de deux siècles, et invite son lecteur à un véritable parcours initiatique où compositeurs, mécènes et interprètes deviennent les acteurs d’une vie musicale intense. Un périple à travers les genres, des cours italiennes et des villes du nord de la France à l’Espagne, et jusqu’à l’Angleterre élisabéthaine, car, comme le souligne l’auteur, « si le Moyen-âge a pour lui le nombre des siècles, la Renaissance […] nous transmet bien davantage d’objets musicaux par leur nombre comme par leur variété ». « Notre tableau, pour cette raison, ne sera brossé qu’à grands traits » (p. xxiii), rajoute modestement Atlas. L’auteur propose ainsi de croquer cette période en un tableau véritablement vivant, construit en six parties chronologiques et quarante chapitres thématiques. Rares sont cependant les occurrences du terme controversé de « Renaissance ». Ce parti pris est affiché dès la préface. La discussion historiographique du concept de « Renaissance », l’auteur choisit de l’aborder en épilogue, « alors que les lecteurs ont plus de deux siècles de musique

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dans les oreilles » (p. xxv), et des idées et questionnements qu’Atlas se refuse intelligemment de dicter, laissant à chacun la possibilité de se forger son avis.

2 Ce n’est qu’à la fin, et à titre de conclusion donc, que la question se pose : « [cet] ouvrage s’intitule La Musique de la Renaissance. Mais dans quel sens entendons-nous le terme de Renaissance ? » ; et qu’affleurent les interrogations sous-jacentes : « à supposer que celui-ci soit pertinent, dans quelle mesure concerne-t-il la musique ? », ou encore « fallait-il donner un autre titre à [ce] livre ? » (p. 907). La notion de « Renaissance », comme les notions de « Baroque » ou de « Classique », communément admises dans l’Histoire générale, ainsi que dans chaque discipline de recherche, historique et artistique, engendrent toujours autant de débats au sein de la communauté scientifique. Comme le souligne l’auteur, le mot « Renaissance », « comme époque historique aux limites chronologiques et aux caractéristiques bien définies » (p. 907), est apparu pour la première fois en 1855 dans le septième volume de l’Histoire de France, écrite par l’historien français Jules Michelet. Dans son Die Kultur der Renaissance in Italien, Burckhardt entérine, cinq ans plus tard, l’usage de ce terme. « Pour ceux qui croient au concept, la Renaissance […] est une période […] qui répudie le passé immédiat […] en faveur d’un passé plus lointain et cherche son inspiration dans une découverte des réalisations de l’Antiquité » (p. 907). Or, depuis la fin du XXe siècle, ce « découpage » des temps historiques, cette périodisation fondée sur ce principe de re-naissance est remis en cause par nombre de chercheurs pour lesquels la Renaissance ne peut être considérée comme une période autonome.

3 En effet, certains estiment que la première partie de cette période, jusque vers 1500, est encore héritière de l’époque précédente, et que l’étiquette « crépuscule du Moyen-âge » lui conviendrait mieux. D’autres voient dans le XVIe siècle les prémices des développements ultérieurs, évoquant une « aube des Temps modernes ». Pondérant l’intronisation de ce terme de « Renaissance », Atlas pointe du doigt pertinemment – et non sans humour – le fait que « ni Du Fay, à l’aube de [cette] période d’étude, ni Palestrina, à son crépuscule, ne se considèrent comme des compositeurs de la Renaissance » (p. 907). Un tel concept n’existait tout simplement pas pour eux. Conscient, cependant, des difficultés d’une telle terminologie et des débats qui entourent son sujet d’étude, l’auteur prend le parti de mettre en lumière les différentes réponses, les avis et divergences qui alimentent ces mêmes discussions : « en tout état de cause, les XVe et XVIe siècles apparaissent comme une période pleine de tensions et de contradictions, qui ne se soumet pas facilement aux étiquettes, ni aux points de vue arrêtés » (p. 909). En outre, Atlas ne se positionne aucunement vis-à-vis de ce débat de manière définitive. Et l’auteur de conclure que « la question de la périodisation est à double tranchant. Quelles que soient les réalisations d’une période, celles-ci sont passées au crible de notre propre interprétation » (p. 915).

4 Interprétation laissée au libre choix du lecteur qui, et c’est ce qui constitue l’une des plus grandes forces et originalités de cet ouvrage, est invité à construire au fil des pages sa réflexion propre, et à jouer un rôle actif. Avant tout professeur, Allan W. Atlas réalise en effet une étude qu’il souhaite par-dessus tout claire, vivante et pédagogique. Ce livre s’adresse, déclare l’auteur, à trois types de lecteurs : les étudiants en musicologie « qui abordent la musique des XVe et XVIe siècles pour la première fois », ceux de troisième cycle « qui souhaitent disposer d’une vue d’ensemble compacte sur [cette] période », mais également un vaste public d’amateurs de musique ancienne « sans lequel le foisonnement impressionnant d’ensembles professionnels, d’enregistrements et de

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concerts perdrait toute raison d’être » (p. xxiii). Deux conclusions émergent de ces déclarations. Il est tout d’abord à noter que la volonté première de l’auteur, qui indique ne pas souhaiter s’adresser à des spécialistes de cette période, est de mettre en lumière les avancées de la recherche en ce domaine dans un style clair et sobre, afin de les rendre accessibles au plus grand nombre. Ainsi souligne-t-il, de manière assez humble, que l’ouvrage doit permettre essentiellement une première rencontre avec la musique de la Renaissance. Pourtant, sans être totalement exhaustif (mais aurait-il pu en être autrement ?) sur le sujet, l’ouvrage de Allan W. Atlas constitue véritablement un manuel de référence complet, aux indications précises et aux exemples nombreux, qui aborde, en variant les angles de vue et d’approche, les différentes facettes de ce vaste sujet d’étude : genres musicaux tels que la messe, la chanson ou le motet, itinéraires des musiciens, naissance et développement de l’imprimerie, ou des questions aussi précises et complexes que l’interprétation possible des œuvres, les différents aspects de la partition ou le rapport entre texte et musique (voire la place même du texte au sein de la partition). Si l’aspect un peu austère de l’ouvrage, son épaisseur, les questionnements scientifiques, peuvent le faire passer pour une étude destinée aux seuls spécialistes, il convient cependant de souligner dans un second temps le concept réellement participatif et didactique de ce livre au sein duquel certains chapitres-parenthèses proposent au lecteur de se mettre dans la peau du « chercheur », tout du moins de devenir acteur et lui permettre de se familiariser d’une manière plus forte encore avec la musique de la Renaissance et ses spécificités.

5 « On ne peut aborder la musique des XVe et XVIe siècles de manière plus passionnante qu’en laissant toutes les voix du temps s’exprimer » (p. xxiv), déclare l’auteur, soulignant par là même son projet de ne pas présenter une étude uniquement théorique. À cette fin, Atlas intègre deux dossiers à son ouvrage. Ces derniers doivent permettre aux lecteurs d’acquérir un peu d’expérience face aux textes de l’époque. Le premier dossier, constitué de deux chapitres intitulés « Ce que les documents nous apprennent », donne aux lecteurs une idée du bagage qu’un chercheur doit posséder pour interpréter certains documents d’archives. Après une présentation de ces textes plus ou moins complexes, un travail de « traduction », de « décorticage des documents » et d’analyse débute afin de mettre en évidence les aléas du travail de recherche, ses difficultés, les questions à se poser, et de prendre également la mesure d’une réflexion première sur la méthodologie de la recherche. Le second dossier, « l’édition d’une chanson », guide le lecteur tout au long d’un projet : la production de l’édition moderne d’une chanson issue du répertoire de Busnoys, activité très régulièrement appréhendée par les étudiants en Université, mais à laquelle Atlas confère des perspectives plus scientifiques encore, permettant une bien meilleure compréhension de l’exercice et de ses enjeux.

6 Comme le souligne l’auteur lui-même dès les premières pages, « la question cruciale était de savoir qui placer au centre de la scène entre les compositeurs et les œuvres musicales ». Atlas a fait le choix de la musique « de sorte que les compositeurs jouent les seconds rôles auprès de leurs œuvres et font plusieurs apparitions dans différents chapitres » (p. xxiii). Au fil des pages, nombre de partitions sont ainsi analysées par le menu : structure, cadence, rapport texte/musique et interprétation de ces œuvres. Et c’est une des richesses de cet ouvrage, si clair et explicite sur certaines notions, que de se montrer bien plus énigmatique sur d’autres points, laissant alors au lecteur la possibilité de réfléchir à la perception même de la musique, aux projections qui peuvent être faites, aux difficultés de toucher alors au plus près la réalité de cette

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époque et de se départir de nos a priori et interprétations naturellement biaisées. « En fin de compte, la meilleure attitude consiste à se garder de toute affirmation dogmatique […], à se débarrasser de l’idée moderne (XIXe siècle) selon laquelle il ne peut exister qu’une version et une seule d’une composition musicale ». Plus loin, l’auteur affirme également que ce « serait prendre ses désirs pour des réalités que d’imaginer qu’on pourrait aujourd’hui exécuter des œuvres telles que la Missa Alma Redemptoris Mater de Power, […] trop de paramètres nous sont inaccessibles et selon toute vraisemblance le resteront » (p. 167). De telles sentences au sujet de ces œuvres du passé cadencent alors l’ouvrage. Nul désarroi pour le lecteur toutefois, mais une prise de conscience qui grandit notre réflexion. Il est évident que notre manière d’envisager la musique est informée et influencée par notre histoire ; il en va de même de la pratique et de l’exécution des musiques redécouvertes. Il suffit seulement d’y penser, de l’accepter et de s’ouvrir à ce questionnement.

7 C’est en devenant véritablement acteur dans cette découverte de la Renaissance que le lecteur peut ainsi aborder cet ouvrage organisé en six parties, de manière un peu différente selon les exigences des périodes étudiées, autour d’une base géographique précise (l’Angleterre, puis le Continent), de genres représentatifs tels que le motet, la messe, la chanson profane ou la musique instrumentale (parties II, III et IV), comme de thèmes plus larges : la religion, la théorie musicale ou l’imprimerie (parties V et VI). Ce point constitue à la fois une des originalités de l’ouvrage et un de ses atouts. Une autre des spécificités de ce volume est que le traditionnel chapitre liminaire présentant le contexte historique, culturel et artistique, est remplacé par dix intermèdes répartis dans l’ensemble du texte. Chacun introduit alors un épisode de quelques années seulement, ce qui permet de poser un cadre aux chapitres qui suivent. Les bouleversements religieux, les œuvres et références littéraires, la situation tant économique que politique d’un pays, comme les évènements du temps, sont ainsi présentés de manière indépendante des questionnements inhérents à l’étude de la musique de cette période. Ce parti pris peut être discuté. Bien que l’auteur ne manque jamais de contextualiser son propos tout au long de son ouvrage, il aurait pu s’avérer également intéressant que ces questions contextuelles soient plus intimement en lien avec les problématiques de ce sujet d’étude, et soient débattues au cœur même des chapitres plus purement musicaux, sans constituer ces sortes de bulles introductives. Ce principe d’intermèdes reste néanmoins étroitement lié au projet que l’auteur souhaitait mettre en œuvre à travers son étude : un découpage clair, des données compartimentées à bon escient, à travers lesquelles le lecteur chemine aisément.

8 C’est donc à une entreprise de taille que le traducteur Christophe Dupraz (maître de conférences à l’École nationale supérieure de Paris) et l’équipe du Centre d’études supérieures de la Renaissance (CERS) de Tours se sont attelés. Le traducteur s’est employé à conserver au mieux la vivacité du ton, l’alacrité du style et le dynamisme de l’étude d’Atlas, véritablement conquis, comme il le souligne lui-même, par le travail du musicologue américain : « le premier devoir d’un traducteur est d’être convaincu de la nécessité impérieuse du texte qu’il se propose de traduire. À cet égard, confessons d’emblée notre émerveillement devant la prodigalité – pour le fond – et l’inventivité – pour la forme – du livre d’Allan W. Atlas » (p. xxvii). La bibliographie fournie par l’auteur a toutefois été significativement augmentée de références nouvelles, faisant état des avancées de la recherche sur le sujet. L’équipe qui s’est constituée autour de figures emblématiques de la recherche française, telles Florence Alazard, Annie Coeurdevey et David Fiala du CERS, a ainsi rassemblé, en annexe, dans la rubrique

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« supplément bibliographique », les références complémentaires à la bibliographie fournie, pour chaque chapitre, par l’auteur lui-même.

9 On ne peut que les féliciter pour cette entreprise indispensable, plus de douze années après la première parution de l’étude d’Allan W. Atlas en langue anglo-saxonne. Toutefois, on peut regretter que ce projet n’ait été imaginé et réalisé que pour réactualiser les seules sources bibliographiques, et qu’une remise au goût du jour de l’ouvrage lui-même, au regard des avancées de la recherche scientifique sur ce sujet de « la Musique à la Renaissance », n’ait pas été également envisagée. Ce texte désormais en français reflète ainsi les conclusions d’un chercheur de la fin du XXe siècle, et non les préoccupations, pistes de recherche et méthodes actuelles. On peut également déplorer que l’espace géographique, étudié au préalable par l’auteur américain, n’ait pas été élargi dans ce contexte nouveau d’édition française. Le choix opéré par l’auteur de conclure son étude sur l’Angleterre élisabéthaine était certainement dicté par la nationalité même d’Allan W. Atlas. Le mécénat des Tudors possédait néanmoins son équivalent dans la France des Valois, puis des Bourbons. Aux préoccupations des compositeurs anglais répondaient aussi celles des musiciens attachés aux Médicis comme aux Gonzague. L’auteur a également fait le choix de ne pas céder aux sirènes de l’esthétique baroque, occultant d’aborder les débuts de l’opéra autour de 1600. Alors que ce genre emblématique est né à l’occasion de l’union entre une princesse italienne et un souverain français qui jouèrent un rôle important dans l’histoire de notre pays, et tandis que de nombreuses avancées dans le domaine des recherches portant sur l’art politique français et sur la question des spectacles de cour ont vu le jour, ne pouvions- nous espérer que ces problématiques soient mises en lumière dans un ouvrage augmenté et quelque peu repensé qui, sans remettre en cause celui d’origine, lui aurait donné un souffle nouveau ? Une entreprise qui aurait été, de surcroît, en adéquation avec la conception esthétique de certains penseurs et artistes de la Renaissance : non une simple imitatio, mais une véritable emulatio qui aurait pu être envisagée afin de faire état des avancées nouvelles et de dépasser ce modèle.

10 Ces quelques remarques ne doivent cependant pas détourner l’historien de la musique, comme l’amateur de musique ancienne, de ce formidable puits de connaissance réalisé par Allan W. Atlas. Très richement illustré par plus d’une centaine de documents iconographiques (clichés de la BNF, extraits de manuscrits conservés à la British Library de Londres, à Modène, Florence, New York, ou au Musée du Prado), cet ouvrage constitue l’exemple même du Beau Livre. Avec ses mille pages d’Histoire de la musique riches en anecdotes, exemples musicaux, reproductions en fac simile, et par son approche particulière, il s’impose également comme l’ouvrage de référence universitaire par excellence. Comme peuvent le démontrer les deux expositions récentes organisées au Musée National du Château de Pau puis au Château d’Ecouen, la musique de la Renaissance est sans cesse remise au goût du jour et connaît les faveurs du public. Gageons ainsi que ce travail extrêmement galvanisant fera des émules, et saura engendrer de nouvelles recherches sur ce sujet inépuisable. Comme le note le traducteur, « Allan Atlas sait nous faire partager ses amours musicales, mieux encore, la sympathie qu’il éprouve pour ces personnages lointains (culturellement), mais proches (humainement), dont il donne à entendre la voix par-delà les siècles. Ainsi les voyons-nous, par petites touches familières, vivre au présent, dans ce monde qui est aussi le nôtre » (p. xxvii). Faire revivre le passé tout en ouvrant des perspectives d’avenir, tel est le tour de force opéré par Allan W. Atlas.

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NOTES

1. VENDRIX, Philippe, Un air de Renaissance, la musique au XVIe siècle, Paris, RMN, 2013, page liminaire. 2. HOPPIN, Richard, La musique au moyen âge, traduction de l’anglais par Nicolas MEEÙS et Malou HAINE, Liège, Mardaga, 1991.

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Stéphane Audoin-Rouzeau, Esteban Buch, Myriam Chimènes et Georgie Durosoir (dir.), La Grande Guerre des musiciens Lyon, Symétrie, coll. « Perpetuum mobile », 2009, 248 p.

Étienne Jardin

RÉFÉRENCE

Stéphane Audoin-Rouzeau, Esteban Buch, Myriam Chimènes et Georgie Durosoir (dir.), La Grande Guerre des musiciens, Lyon, Symétrie, coll. « Perpetuum mobile », 2009, 248 p.

1 Si l’on aura l’occasion, le long de ce compte rendu de lecture, de dire à quel point La Grande Guerre des musiciens s’avère être un livre fondamental pour aborder aujourd’hui les questions musicales relatives à la Première Guerre mondiale – notamment en cette année de commémoration qui verra se succéder plusieurs événements scientifiques consacrés au sujet –, il faut néanmoins convenir que cet ouvrage collectif est quelque peu déroutant au premier abord. Sa couverture nous apprend en premier lieu que la direction scientifique est prise en charge par quatre chercheurs : ceci laisse rarement présager une grande cohérence au sein d’un livre collectif et la très courte introduction (quatre pages, non signées) peine à nous rassurer. On y découvre que les textes rassemblés dans l’ouvrage sont issus de deux journées d’étude distinctes – « Musique et musiciens dans la Grande Guerre » tenue à Dax en mai 2005 et « Musique et guerre (1914-1918) » à l’Historial de la Grande Guerre de Péronne en juin 2007 – et les auteurs y font un point historiographique. Très peu d’éléments sont alors donnés pour aborder la lecture de ce qui suit avec le sentiment que les textes des différents auteurs sont complémentaires ou se répondent ; et on cherchera également en vain dans cette introduction un passage faisant le bilan des bénéfices que l’on pourra tirer de l’ensemble des articles assemblés ou pointant les manques éventuels du livre. Bien que

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l’on comprenne, au fil de la lecture et devant la richesse des contributions, la difficulté d’une synthèse, le lecteur (même spécialiste) aurait néanmoins bénéficié d’une conclusion étoffée et le livre aurait ainsi réussi à sortir de la catégorie du recueil d’études pointues qui le condamne a priori à ne toucher qu’un public restreint.

2 Passée cette déception, il faut saluer la qualité de ce livre pionnier qui se donne pour but d’offrir le panorama le plus large possible sur les rapports entre musique et Première Guerre mondiale : « C’est précisément la multiplicité des manifestations de la guerre dans le champ musical, et de la musique dans le champ de bataille, que ce présent volume, axé sur la France sans toutefois exclure le cas d’autres nations, veut contribuer à saisir. » (p. 4) À la pluralité des objets étudiés s’ajoute une diversité d’approches qui rendent ce livre constamment surprenant. Le chemin dessiné par les directeurs de l’ouvrage pour le parcourir démarre au cœur des tranchées et s’éloigne petit à petit de la ligne de front. « Le bruit de la guerre » de Carine Trevisan explore les sources littéraires qui permettraient aujourd’hui de reconstituer l’univers sonore dans lequel étaient plongés les combattants. Les traces que celui-ci a laissées dans un corpus à la définition un peu floue – comprenant les productions de Pierre Drieu La Rochelle, Élie Faure, Maurice Genevoix et surtout Louis-Ferdinand Céline – y sont mises en perspective et finement analysées.

3 Deux articles abordent ensuite les musiques militaires. Hormis l’article d’Esteban Buch dont on parlera plus loin, « La meilleure façon de marcher : musiques militaires, violence et mobilisation dans la Première Guerre mondiale » de Didier Francfort et « La vie quotidienne des pipes and drums pendant la Grande Guerre » de Dominique Huybrechts sont les seuls textes de l’ouvrage qui s’éloignent de la perspective française du conflit. Dans l’article de Didier Francfort, on est surpris de lire que la « musique française est, de tradition, si peu militaire que Berlioz a dû importer dans La Damnation de Faust une marche militaire de Hongrie. » (p. 18) Dans un pays dont le Conservatoire est en grande partie issu d’un orchestre de Garde nationale, ce phénomène paraît singulier et l’on reste – sur ce point précis – quelque peu dans l’indécision quant à l’origine véritable (institutionnelle ou esthétique) de cette désaffection française pour le genre de la marche. L’auteur explore essentiellement un autre corpus, celui – extrêmement large – produit en Europe centrale, pour y tester une hypothèse : les marches militaires peuvent-elles être utilisées comme des indices de mobilisations des différentes nations au sein desquelles elles sont produites ? Le genre de la marche s’avère trop malléable pour être attaché à une seule posture face à la guerre (mobiliser ou démobiliser) et Didier Francfort conclut son article en invalidant son hypothèse de départ et en ajoutant : « La place des musiques militaires dans la Première Guerre mondiale n’est en rien une préfiguration de l’utilisation des musiques dans la mise en place de systèmes totalitaires. » (p. 27)

4 Dominique Huybrechts (auteur en 1999 des Musiciens dans la tourmente et, à ce titre, pionnier dans ce champ de recherche) dresse ensuite le portrait héroïque (et quelque peu suicidaire) des Écossais joueurs de cornemuse et de tambour chargés – au sein de l’armée anglaise – de conduire les régiments. On se permettra, à la veille de l’ouverture de l’exposition « Entendre la guerre » à Péronne, de signaler que son vœu exprimé page 30 vient d’être exaucé : « lorsque l’on découvre un instrument fabriqué au moyen d’une caisse de munition ou d’un vieux casque troué, comme il en existe dans les réserves de l’Historial de Péronne, on se met à rêver d’une exposition d’envergure qui rassemblerait les fruits de cette activité insolite des tranchées. »

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5 Ces instruments sont justement l’objet de l’article suivant qui, par ses dimensions et son intérêt, s’impose comme la clé de voûte de la première partie du livre. L’inventaire des instruments conservés à l’Historial de Péronne introduit cet article1 (p. 41-42) qui en propose ensuite une analyse organologique. « Instruments de soldats : typologie, fonctions, transmission » de Florence Gétreau se distingue par son sujet original, sa méthodologie sérieuse et claire, ainsi que par son iconographie et son annexe aussi surprenantes qu’utiles à la compréhension du texte. Ces dernières concernent en premier lieu le « violoncelle de campagne » de François Gervais (musicien des Concerts Lamoureux), fabriqué par l’un de ses compagnons de régiment, par ailleurs charpentier. On est fasciné par la volonté de jouer ou le besoin de musique que démontrent ces réalisations « bricolées » aux abords du front et on retiendra qu’en cherchant à créer un archet, certains de ces luthiers de fortune retrouvent « les principes de tension de la mèche utilisés dans les archets du XVIIe siècle » (p. 55).

6 L’article de Georgie Durosoir s’attache à présenter un concert organisé le 30 décembre 1917 à la cathédrale de Noyon. L’auteure souligne elle aussi la difficulté de se procurer un instrument dans ce contexte et narre les péripéties traversées par Lucien Durosoir, mobilisé, pour obtenir un violon et un archet. Les dernières pages de « L’irruption magnifique : deux grands violons au cœur de la guerre », volontairement lyriques, s’intéressent également au sentiment que ce concert a pu produire sur ses auditeurs : « Il aurait suffi que tous ceux qui les écoutaient franchissent la porte céleste qui s’ouvrait devant eux et se disent ce que chacun de nous s’est dit au moins une fois, après une grande émotion esthétique ou autre : “Rien ne sera plus comme avant” . » (p. 84)

7 La contribution suivante, dans laquelle une virtuosité archivistique est mise au service d’un propos très clair et d’une démonstration fine, s’intéresse à la mort d’Albéric Magnard au cours d’une altercation avec des soldats allemands et au devenir de cette nouvelle. « La mort héroïsée d’Albéric Magnard : essai d’approche culturelle » de Patrice Marcilloux traque la récupération nationaliste d’un événement que l’on pourrait presque classer dans les faits divers. Ce faisant, il montre comment la mémoire de Magnard lisse un personnage qui perd ses aspérités wagnériennes ou dreyfusardes. La question du wagnérisme ou de ses opposants va, à partir de cet article, occuper le livre jusqu’à son terme. Doit-on jouer Wagner ? Doit-on pousser la germanophobie jusqu’à déprogrammer Beethoven ? Si ces questions ne mobilisent pas un article particulier, elles sont néanmoins au cœur des deux derniers tiers du livre. Un passage par l’index nous montre par ailleurs que – hormis les noms des sœurs Boulanger – Beethoven et Wagner sont les compositeurs les plus souvent cités par les contributeurs.

8 Avec cet article s’opère un autre tournant dans l’ouvrage : essentiellement basées sur des parcours de musiciens ou des phénomènes institutionnels, les pages qui suivent continuent à s’intéresser à l’aspect exceptionnel de la période de guerre mais en la mettant désormais en perspective : à l’intérieur d’une carrière (comme celle de Félix Mayol étudiée par Rémy Campos) ou de mouvements s’étendant sur le temps long (comme la structuration des conservatoires ou de la musicologie française). La Grande Guerre apparaît alors comme un terrain idéal pour saisir les principaux enjeux musicaux de l’ensemble de la Troisième République.

9 « Félix Mayol dans la Grande Guerre » de Rémy Campos s’intéresse donc à la période de guerre de la carrière d’un artiste populaire. Sans remettre en question la sincérité de ses actions philanthropiques, il montre à quel point les engagements de la vedette sont

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indissociables de l’image qui permet de la vendre. Il pointe également du doigt, en décrivant les concerts de fortune de Mayol au front, une pratique musicale qui semble jusqu’alors avoir été sous-estimée dans les études sur la période, un « ressassement de vieux airs (et de timbres) qui dessine un espace où la propagande a peu sa place, car elle est directement concurrencée par la recherche du plaisir musical. » (p. 118) Dans l’article suivant, Aude Caillet se pose sensiblement les mêmes questions que Rémy Campos, mais en suivant cette fois un membre de l’élite musicale du pays : Charles Kœchlin, compositeur, pédagogue et fondateur de la Société indépendante de musique. Défendant parfaitement le parcours de son musicien pendant la guerre, Aude Caillet s’intéresse aux ruptures (« sociale », « intellectuelle » et « artistique ») qui marquent la vie d’un Kœchlin descendant peu à peu de son piédestal aristocratique pour s’engager dans le conflit : en tant qu’infirmier, compositeur (et cette partie introduit parfaitement l’article d’Esteban Buch) et enfin programmateur d’une société de concerts. On voit en conclusion surgir les conflits esthétiques qui occupent le milieu musical parisien jusque dans les années 1920 et rendent de plus en plus délicate la position de Kœchlin : garder rassemblés la « vieille » avant-garde debussyste et les jeunes compositeurs qui formeront le groupe des Six.

10 Compilant deux études de cas (une courte troisième servant de conclusion), « Composer pendant la guerre, composer avec la guerre » s’inscrit dans la droite ligne des pages précédentes mais tente d’apporter au débat des éléments tirés de l’analyse musicale d’œuvres écrites en temps de guerre. Si l’on s’est permis de critiquer l’introduction générale de l’ouvrage, on reconnaîtra ici la qualité des premières pages d’Esteban Buch qui posent de manière limpide le point de vue depuis lequel l’auteur se place et les bornes qu’il choisit de poser à son sujet. À ce stade des études musicales sur les œuvres composées entre 1914 et 1918, une synthèse est impensable et Esteban Buch propose d’explorer le répertoire de Max Reger (notamment Une ouverture patriotique pour grand orchestre) et d’Igor Stravinsky (Histoire du soldat) pour y trouver des éléments qui permettraient, à l’avenir, d’établir une typologie des œuvres nées sous la Première Guerre mondiale. D’une certaine manière, avec une présentation assez brève de Sinfonia germanica (œuvre dada d’Erwin Schulhoff), ce long article se termine sans réellement se conclure : les facettes très diverses de l’attitude compositionnelle face à la guerre (engagement, distance, critique, rejet, patriotisme, recueillement) ne permettent pas encore d’établir une typologie stricte.

11 Avec « Nadia Boulanger et le Comité franco-américain du Conservatoire (1915-1919) » s’ouvre la troisième partie de La Grande Guerre des musiciens. Cette dernière section regroupe les études observant la période à travers le prisme de certaines institutions et l’on se réjouit d’y trouver des points de vue extraparisiens. C’est pourtant le Conservatoire de Paris qui sert de cadre aux articles complémentaires d’Alexandra Laederich et Charlotte Second-Genovesi. L’action des sœurs Boulanger, d’abord sous un axe général puis avec une étude plus précise de leur Gazette des classes, y est parfaitement retracée. Profitons de ce compte-rendu pour signaler la parution plus récente d’un autre article de Charlotte Second-Genovesi – figure montante de la jeune génération de chercheurs sur la musique pendant la Grande Guerre – poussant encore plus loin la réflexion entamée ici : « Penser l’après-guerre : aspirations et réalisations dans le monde musical (1914-1918)2 ».

12 C’est en effet la préparation de l’après-guerre que l’on observe depuis les écoles de musique, qu’elles se situent à Paris ou – comme dans l’article de David Mastin – à

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Boulogne-sur-Mer, Lille, Toulouse, Montpellier, Orléans et Tours. Bien que l’on puisse regretter quelques imprécisions dans cet article produit en cours de doctorat, « École de musique en guerre » pose la question de l’impact du départ et du retour de guerre des musiciens dans les villes françaises. Alors que les conservatoires, trente ans après la réforme de 1884, ont atteint un seuil d’institutionnalisation élevé, ils doivent affronter à la fois une désorganisation générale de la vie musicale locale et la montée du mouvement syndicaliste. On retrouve, dans la fin de cet article, un écho aux questions abordées avec Kœchlin : l’idée qu’une fracture de génération est à l’œuvre à la sortie de la guerre (« les maîtres et élèves mobilisés, d’une part, et ceux restés aux écoles […] d’autre part »). La dernière conclusion, avançant que les conservatoires ont fait « la découverte de la force de la propagande musicale durant la Grande Guerre » (p. 202), est plus contestable : depuis la fin du XVIIIe siècle, de très nombreux exemples pourraient être trouvés pour avancer la date de cette « découverte ».

13 Sara Iglesias livre ensuite, dans « “Le devoir est partout” – reflets de la guerre dans la fondation de la Société française de musicologie en 1917 » des éléments issus d’une thèse qu’elle a terminée depuis (« Sciences, musique, politique : La musicologie française sous l’Occupation 1940-1944 », soutenue en novembre 2011). En retraçant le chemin qui mène à la fondation de la SFM, Sara Iglesias montre les mouvements contradictoires qui remuent les milieux savants entre juin 1914 (l5e congrès de la Société internationale de musique) et le début des années 1920. Le besoin de débouchés pour les recherches des musicologues apparaît comme un élément moteur dans la création de la société – Aude Caillet signalait déjà dans son article que la parution de l’ Encyclopédie de la musique dirigée par Lavignac et La Laurentie avait été retardée par le conflit (p. 120) – et le Bulletin de la Société française de musicologie (qui devient Revue de musicologie en 1922) paraît dès la fondation de la SFM. En analysant un spectre très large de discours institutionnels provenant du champ disciplinaire, Sara Iglesias affine surtout les points de vue trop monolithiques que l’on aurait pu émettre sur les motivations politiques des Français faisant sécession au mouvement internationaliste : « Le groupement de musicologues étudié ici embrasse à la fois des partisans de Saint- Saëns et des wagnériens, des nationalistes et des germanophiles, des républicains et des traditionalistes, des progressistes et des conservateurs. Durant ces années de guerre et l’immédiat après-guerre, la Société française de musicologie […] n’affiche pas d’idéologie attachée à un bord politique, si ce n’est celle d’un patriotisme internationaliste et germanophobe. » (p. 213)

14 Le livre s’achève sur l’article de Mathieu Ferey, « “À gauche et à droite du Rhin” : perspectives sur l’action de Joseph-Guy Ropartz à Strasbourg (1919-1929) », qui aborde de nombreuses questions déjà traitées dans les articles précédents mais en bénéficiant du terrain d’observation, aussi extrême que captivant, que constitue la ville de Strasbourg après son rattachement au territoire français. Plus que l’axe biographique que le titre suggère, Mathieu Ferey propose une histoire musicale de Strasbourg dans l’immédiat après-guerre et prend le temps de décrire les différentes tensions qui montent dans la ville et apparaissent dans les salles de concert. Cette perspective (comme celle de David Mastin) permet d’imaginer qu’une histoire de la vie musicale française après la Première Guerre mondiale aurait beaucoup à gagner d’études centrées sur les villes.

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15 Achevons ce compte rendu en rendant hommage aux éditions Symétrie qui – comme à leur habitude – livrent avec ce livre un objet agréable à lire et facile à consulter (grâce notamment aux index d’œuvres et de personnes).

NOTES

1. Sachant que cet inventaire figurait dans l’ouvrage, on aurait pu corriger, une dizaine de pages plus tôt (page 30), l’espoir formulé par Dominique Huybrechts de voir un jour cette tâche effectuée. 2. Paru dans PONS, Lionel (ed.), Lucien Durosoir. Un compositeur moderne né romantique, Albi, Fraction, 2013, p. 5-39.

AUTEURS

ÉTIENNE JARDIN

Docteur en Histoire de l’EHESS, Etienne Jardin est le responsable scientifique des publications et colloques du Palazzetto Bru Zane - Centre de musique romantique française (Venise). Il a soutenu une thèse sur les conservatoires de musique (Le conservatoire et la ville. L’exemple des écoles de musique de Besançon, Caen, Rennes, Roubaix et Saint-Etienne au XIXe siècle, sld de Michael Werner, 2006) et effectue des recherches sur la vie musicale en France aux XVIIIe et XIXe siècles (enseignement, concerts et art lyrique).

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Annegret Fauser, Sounds of War. Music in the United States during World War II New York, Oxford, Oxford University Press, 2013, 384 p.

Esteban Buch

RÉFÉRENCE

Annegret Fauser, Sounds of War. Music in the United States during World War II, New York, Oxford, Oxford University Press, 2013, 384 p.

NOTE DE L’ÉDITEUR

Annagret Fauser parle des enjeux théoriques et méthodologiques de cet ouvrage dans l’entretien publié dans le troisième numéro de Transposition.

1 Sounds of War : l’ouvrage d’Annegret Fauser sur la musique aux États-Unis pendant la Seconde Guerre mondiale peut susciter deux malentendus, qu’il vaut mieux lever tout de suite. Premièrement, bien que l’auteure évoque son intérêt pour une « histoire acoustique » du conflit (p. 9), ce qui suppose la prise en compte d’un vaste spectre de phénomènes sonores allant – disons, pour faire image – du bruit des armes au râle des mourants, en passant par toutes les voix, toutes les musiques et tous les silences, son travail ne s’inscrit pas dans le courant en plein essor des sound studies mais bien dans la perspective désormais plus classique d’une histoire culturelle de la musique. À propos, et deuxièmement, bien que le sous-titre mentionne la musique en général comme objet du volume, il y est question seulement de musique classique et d’opéra, tandis que sont à peine mentionnés le jazz, le swing et les autres genres populaires, dont l’importance fut pourtant prépondérante. La musique de film, dont le rôle politique sur le court terme et le rôle mémoriel sur le long terme sont à juste titre soulignés dans

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l’introduction, n’est pas davantage abordée. Autrement dit, les personnages de ce livre ne s’appellent pas Glenn Miller ou Duke Ellington, moins encore Marlene Dietrich, mais Aaron Copland, Roy Harris, Henry Cowell, Lily Pons, André Kostelanetz, Yehudi Menuhin, Kurt Weill ou John Cage, voire Eleanor Roosevelt, la First Lady qui en février 1942 déclara dans la revue Musical America que la musique était désormais « more valuable than ever » (p. 36).

2 Une fois ceci posé, empressons-nous de dire que Sounds of War est un livre formidable. D’ores et déjà il s’annonce comme une référence, non seulement pour les recherches sur la musique pendant la Seconde Guerre mondiale mais aussi pour les travaux sur toutes les musiques pendant toutes les guerres. Cela mérite d’être avancé en cette année du Centenaire de la Grande Guerre qui, commémoration oblige, verra paraître un certain nombre de travaux sur la musique pendant les années 1914-18. Sans préjuger de la qualité de ceux-ci, l’ouvrage de Fauser peut représenter un point de repère, autant pour des questions d’ordre méthodologique que par sa contribution empirique, et pas seulement pour l’histoire des États-Unis. En effet, alors qu’en France les études sur la vie musicale des années 1940-44 sont axées sur l’histoire sociale du régime de Vichy et de l’Occupation ; alors qu’à propos de l’Allemagne, de l’Italie ou de l’Union Soviétique ce sont respectivement les régimes nazi, fasciste ou stalinien qui en tant que tels retiennent l’attention, la focale sur l’Amérique des années qui vont de Pearl Harbor à Hiroshima met au centre des débats – même si le terme n’est pas utilisé – la culture de guerre en tant que telle, voire la guerre elle-même.

3 Ce livre vient, comme on dit, combler une lacune historiographique, d’autant plus saillante que les années de la Seconde Guerre mondiale furent décisives pour l’image que les États-Unis allaient projeter d’eux-mêmes pendant toutes les décennies suivantes, sur le plan musical comme dans bien d’autres domaines. L’auteure commence d’ailleurs par rappeler qu’une mélodie tirée d’Appalachian Springs (1944) de Copland fut jouée en janvier 2009 lors de la première investiture présidentielle de Barack Obama, quatre ans après que ce dernier en personne avait tenu le rôle du récitant dans une performance de Lincoln Portrait (1942) du même Copland en commémoration des attentats du 11 septembre 2001. Et en réalité il s’agit moins d’une lacune que de plusieurs, car la diversité des thèmes traités aurait pu justifier à chaque fois le concours d’un chercheur différent, au lieu du tour de force que représente cette synthèse inaugurale faite sous une signature unique.

4 Le premier chapitre traite des individus, sous la forme d’un tour d’horizon des différentes formes d’engagement des musiciens. Le spectre est large qui va du cas du « soldat-musicien » Marc Blitzstein, enrôlé en août 1942 dans l’Armée de l’air et affecté jusqu’en mai 1945 à Londres, où il écrivit la Airborne Symphony en hommage à ses camarades d’armes, à celui d’un John Cage qui semble avoir tout fait pour éviter d’être appelé sous les drapeaux et qui composa en 1942 son grinçant et sceptique Credo in US, en passant par un jeune Yehudi Menuhin qui, exempté du service des armes en tant qu’unique soutien de sa famille, purgea sa mauvaise conscience en s’exposant inconsidérément au danger lors de ses nombreux concerts en soutien des troupes. Au- delà de ce constat de diversité, le tableau qui se dégage n’est pas seulement celui d’une domination du sentiment patriotique, du reste largement partagé au sein de la nation, mais encore celui de l’anxiété particulière des musiciens classiques, désireux de prouver leur utilité pour l’effort de guerre et, réciproquement, surpris par l’importance que certains responsables attribuent à une « good music » parée de toutes sortes de

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vertus morales et civiques. Selon Fauser, ces années de guerre sont celles d’une politique culturelle volontariste visant à blanchir la musique classique et ses représentants contemporains de ses associations élitistes ou highbrow, ce qui se traduit non seulement par des efforts institutionnels conséquents en faveur d’une culture midbrow, mais aussi par une disposition des compositeurs à simplifier leur musique pour gagner en intelligibilité. En cela, pourrait-on ajouter, ils restent fidèles à une tradition remontant au commentaire de Beethoven sur La Bataille de Vittoria : « Il est certain que nous écrivons mieux quand nous écrivons pour le public et si nous écrivons vite », que Roy Harris reformule à sa manière en parlant d’une musique « simple, simple, simple – something so direct that everybody could understand it » (cit. p. 253). L’héroïsme beethovénien va d’ailleurs trouver un avatar direct, toutes proportions gardées en matière de simplicité, dans l’Ode to Napoleon Buonaparte d’Arnold Schoenberg (1942).

5 Les institutions sont le sujet du deuxième chapitre, qui décrit le rôle de la musique successivement au sein de l’Office of War Information créé par Roosevelt en juin 1942, comme dispositif de propagande visant l’ensemble de la population grâce à une intense programmation radiophonique et la mise en vedette d’antifascistes tels qu’Arturo Toscanini ; dans le cadre de la diplomatie culturelle menée par le Département d’État, et singulièrement par l’Office of the Coordinator of Inter-American Affairs dirigé par Nelson Rockefeller, qui envoya Aaron Copland dans différents pays d’Amérique latine sensibles aux charmes du Troisième Reich ; sous la forme d’initiatives à l’intention des troupes, comme la distribution de songbooks intitulés Hit Army Kit et d’enregistrements appelés V-Discs (avec V pour Victory), ainsi que l’organisation de concerts de solistes prestigieux ou d’orchestres en uniforme, le tout par les soins des U.S. Army Music Advisors, dont la liste est reconstituée aux pages 109 à 112 grâce aux archives du Subcommittee on Music du Joint Army and Navy Committee on Welfare and Recreation, conservées à la Library of Congress ; enfin dans une attention soutenue pour la musicothérapie et ses vertus avérées ou supposées pour le traitement des soldats atteints de chocs post-traumatiques, ce que le jargon d’alors appelle leur reconditioning. À propos des musicothérapeutes, en majorité des femmes, Fauser suggère une dimension sexiste dans certaines critiques qui, cependant, pouvaient toujours faire fond sur la difficulté réelle de démontrer l’efficacité de ces méthodes – une remarque qui toutefois converge avec son observation du faible nombre de femmes impliquées dans l’ensemble des activités musicales, si l’on excepte le cas des interprètes.

6 Les quatre sections sur l’histoire des institutions sont des explorations, certes riches et sophistiquées, mais néanmoins partielles, de domaines qui, chacun, mériteraient un traitement détaillé. Ce deuxième chapitre est d’ailleurs un peu différent du reste du livre, qui prend pour objet les musiciens et leur production artistique. Le quatrième, par exemple, est consacré aux exilés, à commencer par Darius Milhaud, Bohuslav Martinů et Béla Bartók, dont les parcours et produits de ces années de guerre restent moins connus que ceux d’Arnold Schoenberg, Paul Hindemith ou Kurt Weill – l’époque américaine de ces figures ayant longtemps été une manière d’aborder la guerre elle- même, aux côtés des chapitres correspondants dans les biographies des compositeurs américains. À propos de Darius et Madeleine Milhaud, on retiendra du récit de Fauser les conditions éprouvantes de leur séjour californien et le refus du compositeur de prendre parti dans la querelle entre fidèles de Pétain et partisans de De Gaulle au sein de la communauté d’expatriés, au nom du mot d’ordre résumé dans une lettre de mai 1944 : « Suivre l’Amérique jusqu’à la délivrance de la France » (cit. p. 307n). Quant à la vaste production musicale qu’inaugure en août 1940 un Quatuor no 10 op. 218 rebaptisé

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opus americanum 1, c’est surtout l’opéra Bolivar (1943), sur un livret de Madeleine tiré d’un roman de Jules Supervielle, qui pour l’auteure concentre les enjeux de cette période – une œuvre que toutefois Milhaud, qui en ce libérateur latino-américain voyait surtout un exilé, échouera à faire représenter. On reconnaît dans cette négative l’état d’esprit d’institutions telles que le Met, encore moins favorable que d’habitude aux entreprises modernistes, fussent-elles modérées par des traits stylistiques associés à la tradition française, que le compositeur exploite surtout dans son ballet Jeux de printemps (1944) pour la compagnie de Martha Graham.

7 De ces exilés, c’est Kurt Weill, le compositeur « formerly German » devenu citoyen américain en 1943, qui semble avoir fait le plus de gestes en direction du nationalisme indigène, par exemple en collaborant avec le OWI. Fauser s’inscrit d’ailleurs en faux (p. 281n) par rapport aux spécialistes de Weill qui le dépeignent « thinking and acting like an American », pour souligner au contraire ce que coûta à l’auteur de I’m a Stranger Here Myself (1943), aussi bien sur le plan psychologique que du point de vue de sa réputation, l’effort d’adaptation à sa nouvelle patrie. Cependant, ce sont bien sûr les œuvres de musiciens nés aux États-Unis qui se trouvent au cœur de l’analyse de la question de l’identité américaine, qui relie les troisième et cinquième chapitres et constitue sans doute la principale contribution du livre du point de vue proprement musicologique. Dans un premier temps, l’auteure explore les usages politiques du passé musical et notamment la prétention de faire de l’Amérique, face à une propagande nazie qui la décrit comme une nation sans culture, la nouvelle patrie de la culture universelle. Cela suppose surtout la revendication du répertoire classique, avec Beethoven en emblème de la démocratie, par exemple lors des concerts du Philharmonique de New York, et un Wagner joué au Met sans discontinuer malgré des exilés qui, tel le musicologue Paul Henry Lang, y entendent une « background music for Mein Kampf » (p. 172). Seul l’officier américain de Madame Butterfly semble avoir vraiment posé problème, au point que cette œuvre disparaît du répertoire jusqu’à la veille de l’Armistice. Au-delà des mentions rituelles du melting-pot et des efforts de certains musiciens noirs comme William Grant Still pour faire valoir un héritage culturel différencié, c’est dans l’intérêt renouvelé pour l’époque de la Révolution américaine, en la personne du compositeur William Billings, et pour un folklore rural, blanc, masculin et largement mythifié que s’exprime le plus clairement l’idéologie nationaliste. Tout comme dans le projet d’américanisation de l’opéra, traduit par exemple dans A Tree on the Plains (1942) de Paul Horgan et Ernst Bacon ; dans Oklahoma ! (1943) de et Oscar Hammerstein II, aux frontières avec la comédie musicale ; ou encore dans une Carmen Jones (1943) du même Hammerstein, dont l’héroïne travaille non pas dans une tabacalera mais dans une usine de parachutes.

8 Le dernier chapitre est consacré à ce que l’auteure appelle « the music with the worst reputation in twentieth-century historiograpy » (p. 11), à savoir ces d’œuvres où le nationalisme prend la forme d’Americana, c’est-à-dire de clichés patriotiques. American Salute de Morton Gould (1943), la Sixième Symphonie « Gettysburg » de Roy Harris (1944) et les œuvres de Copland ou Blitzstein déjà citées en sont des exemples de choix, avec une préférence générique pour les Great American Symphonies, parfois brandies en réponse à la « war symphony » Leningrad de Chostakovitch. L’hommage à des figures historiques telles que Jefferson ou Lincoln, l’emploi de chœurs et de récitants, la citation de mélodies patriotiques, les sonorités militaires, les moments funèbres au sein de trajectoires expressives triomphalistes font partie des ressources courantes de ce répertoire, régulièrement accompagné de louanges emphatiques de leur dimension

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authentiquement américaine. Et il ne semble y avoir eu guère qu’un Roger Sessions pour signaler que cet usage politique de la musique, ce que l’auteure appelle le « populisme musical » américain, rapprochait dangereusement les États-Unis des États fascistes qu’ils combattaient. De fait c’est bien une ressemblance de style et de fonction qui ressort de la comparaison, certes sommaire, entre ce répertoire d’Americana et les œuvres conçues à la même époque dans les pays de l’Axe ou en URSS. Face à cela, et au- delà du comportement de John Cage sur le plan civique, son Credo in US, qui justement met au travail ces mêmes clichés sous la forme d’une « satire » moderniste, est présenté non sans paradoxe comme « one of the more [sic] emblematic pieces of Americana emerging from World War II » (p. 270).

9 Bref, « music mattered », dit Annegret Fauser à la toute fin du livre (p. 271). De ce rôle de la musique pendant la guerre, Sounds of War présente un panorama convaincant et rigoureux, fondé à la fois sur un très solide travail d’archives, sur une maîtrise avérée de l’histoire de la musique américaine et européenne du vingtième siècle, enfin sur une bonne connaissance de l’historiographie générale sur les États-Unis et la Seconde Guerre mondiale. En revanche, et pour finir sur une note critique, on peut regretter l’absence de réflexion d’ensemble sur le rôle des artistes, des écrivains et des intellectuels pendant le conflit, ainsi que celle (mises à part deux ou trois références sur le cinéma) de bibliographie sur d’autres types de production culturelle. Ces deux éléments auraient peut-être permis non seulement de désenclaver la discussion sur le nationalisme musical, mais encore de mieux cerner l’enjeu réel que la musique a pu représenter pour l’effort de guerre en général. Il n’est guère étonnant que de nombreux musiciens désireux de mettre en valeur leur métier aient proclamé que la musique est une arme, ou que la First Lady ait loué sa « force for morale » dans une revue musicale. Il est moins sûr que la conviction que la musique est une arme ait été partagée par les généraux en charge des opérations militaires, au-delà du fait que certains d’entre eux étaient sans doute heureux d’en pourvoir leurs hommes pour renforcer leur moral et les aider à tuer l’ennui ou la peur.

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Martin Iddon, Music at Darmstadt. Nono, Stockhausen, Cage, and Boulez Cambridge, Cambridge University Press, 2013, 349 p.

Annelies Fryberger

RÉFÉRENCE

Martin Iddon, Music at Darmstadt. Nono, Stockhausen, Cage, and Boulez, Cambridge, Cambridge University Press, 2013, 349 p.

NOTE DE L'AUTEUR

The author wishes to thank Nicolò Palazzetti for his insightful comments on this review.

1 In the best sociological tradition, Martin Iddon uses his limpid prose to show us that things are not what they seem: the serialists were never fully serial, and there is a cavern of critique, interpretation, and analysis separating discourse and practice. The thrust of this richly documented volume is an analysis of the controversy regarding the legacy of Webern within the context of the early years, under Wolfgang Steinecke’s direction (1949-1961), of what would become the Internationale Ferienkurse für Neue Musik in Darmstadt. In the end, Iddon shows that Webern would be used to legitimize the rise of serialism; his music became a calling card for the ‘school’ of multiple serialism which brought together composers who, despite the halo of discourse and founts of critique, only marginally actually fully applied this technique in their own compositions. Iddon convincingly argues that the identity of this fledgling movement crystallized thanks to the controversy surrounding it, with one of the key players being that of Theodor W. Adorno and his scathing critique of the composers involved (notably of Pierre Boulez and Karel Goeyvaerts). This school took hold more thanks to

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the discourse produced about it than to the compositions actually being produced within it.

2 The figure of Adorno is omnipresent in this study, but not as a secondary source – rather as an actor with an ideological discourse worthy of careful analysis. As such, the question of authority is an undercurrent throughout the entire book: the question is who controls the discourse on new music and why. This book thus presents a perfect case study for themes developed since the 1990s in the wake of New Musicology: analysis is by no means a neutral process, and authority and value are social constructions. In the preface, Iddon clearly situates his work as “a study of the reception of new music” (p. xi), and his methodology indeed incorporates careful archival work to recreate the critical reception of the music performed and discussed in the early years of Darmstadt, combined with focused analyses of certain key pieces, in order to better understand (or reveal inconsistencies in) the press and academic reception. Iddon purports that the young composers present at the time (notably Pierre Boulez, Luigi Nono, and Karlheinz Stockhausen) were used as pawns in a struggle between Adorno and the critic Herbert Eimert and Heinz-Klaus Metzger (critic and, crucially, translator into German of John Cage’s lectures at Darmstadt) regarding the “‘proper’ course” (p. xii) of new music after World War II. Adorno had high hopes that music analysis might save the new music world from what he qualified as the “crisis” it suffered from at the time1, while Eimert and Metzger hoped first and foremost to discredit and dethrone Adorno, largely via a reification of Webern to counter Adorno’s view that Webern’s “static” techniques would lead inevitably to a stranglehold on the composer’s freewill (see p. 92).

3 As an example of how Iddon presents these disputes, and how musical analysis is used to understand the discourse surrounding the works discussed, let us look at how he presents the case of Luigi Nono’s Polifonica-Monodia-Ritmica, premiered at Darmstadt on 10 July 1951. Iddon shows how Nono uses Brazilian rhythms (thanks to his interaction with the Brazilian composer Eunice Katunda2) and Edgar Varèse’s “emancipation of percussion” (p. 43) as his primary points of departure for this piece. Procedurally, the material is generated using a permutation of a limited range of rhythmic materials, but this procedure is by no means slavishly adhered to (p. 44). However, Adorno had in some ways prepared the reception for this piece, given that he gave a presentation on the music of Webern some short days before, so critics were primed to see the links between this still, austere piece and the music of Webern (p. 45). This comparison with Webern and twelve-tone compositional techniques was used to elevate Nono’s work, and was meant as high praise, despite this interpretation being clearly misplaced upon closer analysis of the score and Nono’s declarations. With this example, we see how Iddon tells the tale of the reception of the work of what came to be known as the ‘Darmstadt School:’ he reveals the gap between the works and the critical discourse surrounding them, and shows how misinterpretation can be used to federate seemingly disparate composers.

4 The first performance of Webern at Darmstadt was in 1948, with his Variations for piano, op. 27 (1935-1936) (p. 29). In the early years, the Second Viennese School by no means dominated: Hindemith was really the star at the courses’ inception3. Similarly, the now well-nigh forgotten Belgian composer Karel Goeyvaerts (1923-1993) was the first to truly follow the path of applying ‘twelve-tone’ treatment to both pitch and rhythm (notably with his Sonata for Two Pianos (1951), and he was really seen as the composer to

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watch in 1951 (p. 61). Indeed, he was credited at the time as being the inventor of what one critic was led to call “a system of ‘static music’” (Albert Rodemann, quoted on p. 85). In investigating these shifts, away from Hindemith and toward a reification of the Second Viennese School (and then subsequent distancing from same), and a more local focus moving from Goeyvaerts to Stockhausen, Iddon shows how what could seem to be at first glance as an example of history doing its work of sifting out the wheat from the chafe is actually much more about power struggles and actors’ jostling for position at the crucial time when reputations were still being formed. History’s verdict is the result, not just of the passing of time and changing tastes (the trope of the more enlightened future audience), but of how these power struggles turn out in the moment they are being fought – something the actors involved are keenly aware of (see, regarding Goeyvaerts, p. 68).

5 In several detailed analyses of pieces by Bruno Maderna, Pierre Boulez, Karlheinz Stockhausen, and Luigi Nono, among others, Iddon reveals (one can see him smiling slyly through the text) that these pieces can ontologically, but not phenomenologically, be seen as serialist. Meaning, these pieces derive much of their material from twelve- tone or serialist generative processes, but the intervention of the composer in these processes creates a sounding result that cannot be foreseen via these processes alone (see, for example, p. 81). The example of Boulez’s Structures Ia (1952) is presented as an aberration – both in the context of Boulez’s oeuvre as a whole, and in the context of other ‘serial’ composers – in that it does present a rigorous adherence to multiple serialism. What unites these composers, in the end, […] is little more than existence of pre-compositional work which includes independent consideration of more than one parameter, typically pitch and rhythm (although more than two are, of course, possible). Gottfried Michael Koenig suggested that ‘[i]n the beginning, one’s attention was focused on pitches, durations, intensities, and timbres. Then other qualities or issues became pressing: groups, which consisted of many notes; spatially conceived sound events; new musical instruments or new ways of playing old ones; liberties given to performers; musical action.’ Yet even according to such a conservative view, [Maderna and Nono] would have been excluded. […] What the composers had to say hardly exhibited much unanimity either […]. Nevertheless, as Boulez would implicitly observe […], one important unifying characteristic was that the material which was pre-compositionally generated, regardless of whether or not it was followed in a slavish way in the composition proper, led to the structure and form of the piece, rather than being suspended in an extant formal shape (p. 83-84).

6 Considering the weight and influence that the ‘Darmstadt school’ would have in future discourse and production in new music, this is a remarkably thin thread by which to unite these composers. Iddon gives us a detailed analysis of how these composers’ compositional processes were reconstructed and recontextualized in press coverage, leading eventually to their being identified as a unit, despite their differences and the conflicts amongst them (see, regarding Nono: p. 88).

7 An underlying thread in this discussion of how the serialists became serialists is the process of building a consensus around how Webern’s music should best be analyzed. In the period under study here, just some short years after Webern’s death in 1945, the way his music should be interpreted and what it meant for the future of new music was far from clear. With this discussion, Iddon’s volume enters more general territory: that of the politics of musical analysis. The neutrality of musical analysis can no longer be taken for granted, and Iddon is not alone in investigating its possible implications4. He

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analyzes in detail divergent interpretations of the implications of Webern’s work by Nono, Stockhausen, Boulez, and Goeyvaerts (with the overarching conflict being that between Eimert and Adorno) presented in the context of a series of lectures on Webern during the summer course in 1953. Just one example of how these interpretations differ can be found in contrasting Boulez and Goeyvaerts: “If, for Goeyvaerts, the idea of generating structure from smaller elements led to an objectivisation of the material, for Boulez it led, instead, to a reflexive, questioning practice” (p. 94). This contrast, among others analyzed by Iddon, was glossed over in the critical reception of these lectures, wherein these four composers were united with Webern as their guide, and the notion of a ‘school’ was born (pp. 98 and 129). The press would then emphasize the thorough pre-determination in these composers’ works, even though examples of this are exceedingly rare (p. 107). What is important to note, however, is that at the time, it was far from clear that Webern should be the overarching figure in this teleological view of the development of new music. Instead, a multiplicity of influences was present: among them, Iddon discusses in detail Schoenberg, Messiaen, Webern, Debussy, and Bartók.

8 Within a larger discussion of the reception of American new music composers at Darmstadt, the second controversy analyzed in this volume is that of how John Cage’s music was received, with the fundamental misunderstanding being: was David Tudor improvising or not? This misunderstanding seems to have been largely due to general ignorance regarding the way Tudor prepared indeterminate scores for performance (p. 249), as reflected, for instance, in Nono’s 1959 remarks on Cage (p. 259). Iddon shows that Cage’s music was largely misconstrued at Darmstadt as being based on improvisation, with critics misunderstanding the fundamental difference between indeterminacy or chance compositional practices and a score which would call on the interpreter to improvise. This misunderstanding would underlie the critical reception of Cage’s music in Darmstadt and beyond.

9 John Cage made his first appearance on the Darmstadt stage in 1958, and his work was met with what can only be described as confusion, sometimes expressed in curiosity, sometimes in hostility (p. 200-201). He and David Tudor played European premieres of several of Cage’s pieces, among them Variations I (1958) and Winter Music (1957). This performance was followed by a series of lectures, wherein Cage endeavored to explain the chance processes he used. He purported that the fundamental difference between European and American composers lay not in the use of serial techniques or chance operations, but rather that “Europeans […] wanted to be ‘composers’ through the operations of their wills and compositional desires, and Americans […] were willing to allow music to occur unpurposively” (p. 215). This is reflected in Boulez’s critique of Cage. Boulez felt that Cage, with his chance compositional practices, fundamentally refused to do that which defines a composer: to choose (p. 187). Boulez was sympathetic to controlled chance in the compositional process, but not to performance indeterminacy, where certain choices are left open to the performer (p. 188). In some respects, conflicts regarding Cage led to open conflict in the already divided Darmstadt ‘school’, notably between Stockhausen and Nono (Stockhausen felt that Nono had defiled the Darmstadt spirit of collegiality in his frontal attack on Cage in 1959 (p. 264), or between Boulez and Stockhausen (with Stockhausen initially embracing Cage, while Boulez was at first highly critical). To a certain degree, the flurry of critique leveled at Cage was a way to air out differences already present among the composers who had been lumped together in the Darmstadt school, and as such allowed them to assert

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their individuality as composers (p. 286). More generally, “a composer was defined in part by his or her relationship to Cage” (p. 300) after his arrival at Darmstadt in 1958. Iddon is careful to show, through his detailed deconstruction of the idea of the Darmstadt ‘school,’ that Cage did not disrupt an aesthetic order, but rather a social one – the idea of a school (p. 301).

10 This volume could also be read as an analysis of the role of music criticism in the perceived and objective (if this term can ever be appropriate in this context) aesthetic production of an art world. What we see here is the bi-directional nature of criticism: the judgments publicly provided by critics, be they composers themselves or not, influence production and vice versa, even, and perhaps especially, when these judgments are erroneous. One cannot analyze the development of new music without taking into account its often faulty reception by individuals invested with the authority to discuss it in public fora. This does not, however, amount to a plea for more capable critics. Instead, this is part and parcel of the evaluative and interpretive work necessary and inherent to art worlds, and the shifting sands of criticism are a reflection of the political climate (Adorno’s reaction to the perceived totalitarianism of serialism cannot be read as divorced from the events he witnessed in his lifetime), the institutional climate (Darmstadt, as an identifiable institution, provided fertile ground for the formation of an aesthetic school), and the struggles of newcomers to find a place for themselves. We also see a shift in critical authority throughout this book: increasingly, the young composers present at Darmstadt are given the responsibility of providing the critical discourse on their own work and that of their peers. This fits into a larger phenomenon analyzed elsewhere, that of the rise of the composer-critic, or the artist as evaluator5.

11 Iddon is necessarily in dialogue throughout this book with Amy C. Beal, whose work is a reference point for new music scholars generally and scholars of cultural policy in post-war Europe6. He relies on her work for some of his historical narrative, all the while honing her conclusions with information from new archival work. The primary distinction one might draw between their work is one of perspective: Beal tells the tale of Darmstadt from an American point of view, whereas with Iddon we inhabit the German perspective. Their work can fruitfully be read together.

12 The conclusion to this volume is uncannily brief – Iddon concludes with a reflection on John Cage as a stranger, based on the theorization of this concept by Zygmunt Bauman7 (p. 300-303). These musings could very well have been developed further, and a sociologist would wish for the inclusion of Georg Simmel’s work on the stranger8. But despite the distinctly sociological bent of this volume, it is not meant to be read as a treatise on the sociology of Darmstadt – its references remain resolutely musicological, notwithstanding the overt analysis of the social context. But one can only really conclude on a note of praise: not only is Iddon’s prose a pleasure to read, but his analysis both of the works presented and the discourse surrounding them is deep, insightful, and detailed – for someone familiar with scholarship on Darmstadt and for musicologists, sociologists and anthropologists working on art worlds, or those interested in the sociology of criticism, social constructions of aesthetic hierarchies, or Adorno’s role in new music after World War II.

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NOTES

1. ADORNO, Theodor W., “À propos du problème de l’analyse musicale”, in BUCH, Esteban, DONIN, Nicolas and FENEYROU, Laurent (eds.), Du politique en analyse musicale, translated by Martin Kaltenecker, Paris, Vrin, coll. MusicologieS, 2013, p. 31. This is from a lecture Adorno gave in 1969, wherein he refers to hearing Goeyvaert’s Sonata for two pianos (18 years prior) at Darmstadt, but we must give credit where credit is due, as Adorno also recognized, in 1961, that his criticism of this work may have been misplaced (Adorno, cited by Iddon on p. 288-289). 2. For more information on the influence Eunice Katunda had on the work of Nono and Bruno Maderna, see, for example, the work of Michelle Agnes Magalhães, “The Katunda-Nono Correspondence (1949-1953): The Role of Eunice Katunda in Luigi Nono’s Formation”, Project proposal, 2013, online : http://www.bv.fapesp.br/en/bolsas/138078/the-katunda-nono- correspondence-1949-1953-the-role-of-eunice-katunda-in-luigi-nonos-formation/ [ accessed 20 February 2014], and for a review (in English) of recent scholarship in Portuguese on the subject, BÉHAGUE, Gerard, “Recent Studies of Brazilian Music: Review Essay”, Latin American Music Review / Revista de Música Latinoamericana, Vol. 23, No 2, 2002, p. 235-251. 3. Iddon glosses over the important role played by Karl Amadeus Hartmann in the early years of Darmstadt, and in the new music scene generally in Germany after World War II. While it is of course impossible to conduct a detailed analysis of the role of every single actor present in this historical period, it is surprising to see how little ink Iddon devotes to the figure of Hartmann (see, for example, ROTH, Alexander, “Rethinking Postwar History: Munich’s Musica Viva during the Karl Amadeus Hartmann Years (1945-1963)”, The Musical Quarterly, Vol. 90, No 2, 2007, p. 230-274.). 4. See, for example BUCH, Esteban, DONIN, Nicolas and FENEYROU, Laurent (eds.), Du politique en analyse musicale, op. cit. 5. Reflections on the artist as critic can be found in work that approaches art worlds from radically different angles. See, for example, BECKER, Howard S., Art Worlds, Berkeley, University of California Press, 1982; BORN, Georgina, Rationalizing Culture: IRCAM, Boulez, and the Institutionalization of the Musical Avant-Garde. Berkeley, University of California Press, 1995; CRAIG, Ailsa, “Sustainability, Reciprocity and the Shared Good(s) of Poetry”, Journal of Arts Management, Law and Society, Vol. 37, No 3, p. 257-269, 2007; FRANÇOIS, Pierre, CHARTRAIN, Valérie and WRIGHT, Stephen, “Les critiques d’art contemporain : Projet de recherche”, Project proposal, La Délégation aux arts plastiques du Ministère de la culture, 2003, online : http:// pierrefrancois.wifeo.com/projets.php [accessed 10 February 2014]; MECKNA, Michael, “Copland, Sessions, and Modern Music: The Rise of the Composer-Critic in America”, American Music, Vol. 3, No 2, p. 198-204, 1985; or MENGER, Pierre-Michel, Le paradoxe du musicien: le compositeur, le mélomane et l’État dans la société contemporaine, Paris, L’Harmattan, nouv. éd., coll. “Logiques Sociales”, Série Musiques et Champ Social, 2001. 6. See, for example, BEAL, Amy C., “Negotiating Cultural Allies: American Music in Darmstadt, 1946-1956”, Journal of the American Musicological Society, Vol. 53, No 1, p. 105-139; and BEAL, Amy C., New Music, New Allies: American Experimental Music in West Germany from the Zero Hour to Reunification, Berkeley, University of California Press, California Studies in Twentieth-Century Music 4, 2006. 7. BAUMANN, Zygmunt, Postmodernity and Its Discontents, Cambridge, UK, Polity Press, 1997. 8. This can be found in English in SIMMEL, Georg, The Sociology of Georg Simmel, Translated, edited and with an introduction by Kurt H. Wolff, New York, Free Press, 1964.

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Beate Kutschke, Barley Norton (éds.), Music and Protest in 1968 Cambridge, New York, Cambridge University Press, 2013, 342 p.

Pierre Albert Castanet

RÉFÉRENCE

Beate Kutschke, Barley Norton (éds.), Music and Protest in 1968, Cambridge, New York, Cambridge University Press, 2013, 342 p.

De l’art sonore protestataire en 1968

1 « Parce qu’elle est l’inertie de la divergence, l’histoire – c’est-à-dire le passé qui vit encore dans le présent – s’oppose presque toujours à la paix et à l’unification de l’humanité »1, pensait Pierre Lévy. Dans ce sillage, l’art sonore et l’exercice de protestation ont toujours fait bon ménage. Des partitions savantes relatives aux conflits armés aux couplets et refrains revendicateurs de liberté et de justice, les musiciens « engagés »2 ont souvent accompagné de concert l’adret et l’ubac de l’histoire sociale de la musique3.

2 Entre rêve et utopie4, entre idéologie et contre-culture5, l’année reine « 1968 » a éclairé le monde de son phare réprobateur à rayonnement critique. De fait, comme dans toute émancipation, toute révolution, toute illusion, la prise de parole et le slogan, le fredon et le graffiti sont devenus des principes véhiculaires transparents de premier ordre6. Du reste, l’étymologie du mot « slogan » ne vient-elle pas du gaélique sluagh-ghairm qui veut dire précisément « cri de guerre » ? En réalité, le mélange de discours dogmatiques et de délires théoriques, de langues de bois et de poésies urbaines, d’idéal de désirs et d’horizon chimérique, de spontanéité positionnelle et d’absence de hiérarchie conceptuelle ont su donner de la teneur et de la densité aux divers supports

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artistiques bigarrés (qu’ils soient textuels ou sonores, sérieux ou caricaturaux, raisonnés ou fantaisistes) reflétant in situ les multiples affects de la crise mondiale.

3 Dans ce cadre émancipateur autant que contestataire, et tant sur le plan géographique (Europe, Afrique, Asie, Amérique latine, Bloc de l’Est : Tchécoslovaquie, Hongrie, Pologne…) qu’au niveau culturel (Mai 68 en France, musique underground au Japon…) et sociopolitique (Guerre du Vietnam, assassinat de Martin Luther King aux États-Unis…), il était très intéressant de vouloir faire le point sur les noces révolutionnaires de la musique et de la protestation en cette année mythique et cruciale de 1968. Entre sources musicologiques et documentations ethnoculturelles, les deux directeurs de rédaction de l’ouvrage Music and Protest in 1968 ont ainsi convoqué une quinzaine de spécialistes cosmopolites dont le discours a couvert une pluralité de genres et de styles très contrastés, allant de la musique d’avant-garde au , de la chanson populaire – voire folklorique – à la bande sonore de film, du « chant des barricades » à l’expression brutale du rock anglais, de la ballade traditionnelle à la musique de scène…

4 Si au cœur de ces sixties, le phénomène de déviance7 est devenu quasi statutaire, il est également de bon ton, à l’époque, de donner dans le registre des conventions bafouées et de la représentation hors norme. Ainsi, contournant allègrement les lois de l’académisme et de la convenance, de la tradition et de la bienséance, tout artiste œuvrant sur la nature des chaînes causales innovantes devait sans aucun doute se confronter aux divers phénomènes progressifs, performatifs, dérivatifs, privatifs ou négatifs de la création d’underground ou d’avant-garde. Au niveau conceptuel, ont ainsi fleuri dans les jardins de l’expression de l’individu ou de la masse, l’action spontanée, l’improvisation collective, l’esprit du gadgeteering – pour prendre un vocable adornien –, l’art sans projets, la chanson à texte politique, l’objet sans modèles, la libre indétermination et l’aléatoire contrôlé, le bricolage hasardeux, les promesses de l’art- science, les espoirs dans la technologie et tous les efforts de synthèse y affairant8.

5 Entre art sonore et contexte politique (p. 24, 30, 46, 251, 257), entre expression musicale et alternative idéologique (p. 35, 185, 267), entre science de l’élite et culture du peuple (p. 14, 22, 139, 144, 148, 244), il est d’ailleurs symptomatique de distinguer dans cet ouvrage Music and Protest in 1968 combien le préfixe « anti » sert de bouclier pourfendeur dans des domaines aussi variés que le sémitisme (p. 216), l’apartheid (p. 65, 68, 80, 156…), l’autoritarisme (p. 8, 14, 21, 117, 144, 153, 180, 191, 195, 240, 261…), le capitalisme et la commercialisation (p. 144), l’université (p. 180) ou la guerre (p. 51, 82, 87, 93, 95, 98, 110, 117…).

6 En outre, en dehors des rapports communautaires privilégiant les nouveaux royaumes de l’esprit (transports relatifs au sexe ou à la drogue : p. 3, 21, 23, 182, 223), l’étude des rapports de classes (p. 2, 15, 31, 36, 41, 42, 148, 172, 195, 206, 265) et de générations (p. 5, 12, 19, 22, 27, 32, 82, 47, 61, 67,100, 109, 129, 158, 184, 188, 190, 207, 216, 232, 249), des relations de genre (homme / femme : p. 11, 223, 226, 229, 232, 236) comme de l’antagonisme de race (noire / blanche : p. 46, 51, 54, 60, 65, 68, 80, 173…) a émaillé à la fois une conscience tapissée d’inégalité et d’absence de liberté (p. 208) et une volonté de quête de respectabilité, voire de pouvoir (p. 46, 59).

7 À la croisée de la musicologie et de la sociologie, voire de l’analyse musicale et de l’ethnologie, les divers approfondissements universitaires s’immiscent inévitablement dans les domaines périphériques de l’anthropologie politique et des sciences de l’éducation. Dans ce cadre diversifié, malgré une articulation en 15 chapitres somme toute complémentaires (et parfois – avouons-le – inattendus, comme les épisodes

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regardant la Chine, Cuba et le Chili), on pourra néanmoins déplorer un manque d’informations sur ce qui se passait en temps et lieu en Union soviétique ou au Brésil, par exemple... En l’occurrence, l’ouvrage n’étant pas une encyclopédie, la volonté d’exhaustivité montre évidemment ici ses limites.

8 Toutefois, mises à part de (trop) rares reproductions de chansons vietnamiennes ou chinoises et présentations de partitions de King Crimson ou de Cornelius Cardew, le livre broché paraît au prime abord de présentation assez austère. De plus, si Luigi Nono, Luciano Berio ou Karlheinz Stockhausen paraissent en bonne place dans le hit-parade des pionniers de l’expérimentation, il est sans doute à regretter l’absence d’autres compositeurs « engagés » vis-à-vis de la société soixante-huitarde européenne, comme les figures emblématiques de Helmut Lachenmann (avec notamment Air pour percussion et orchestre) ou de Bernd Alois Zimmermann (avec son Requiem pour un jeune poète) – pour ne parler que des artistes allemands…

9 Enfin, même si la bibliographie reste – elle aussi – non exhaustive (mais pourrait-il en être autrement ?), cet ouvrage sérieux et singulier, chevillé au corps de l’année 1968 (à l’instar des études ciblées sur un « point isolé » réalisées par les sociologues), est d’ores et déjà à considérer comme la bible du genre, étant le seul à s’être aventuré dans les méandres sociopolitiques de l’expression musicale populaire et savante, sous l’angle d’une sociologie de type statique mais d’aura quasi-mondiale.

NOTES

1. LÉVY, Pierre, World Philosophie, Paris, Odile Jacob, 2000, p. 47. 2. Cf. VANDER GUCHT, Daniel, Art et Politique - Pour une redéfinition de l’art engagé, Bruxelles, Labor, 2004, p. 11-30. 3. Dans ce domaine, on pourra lire : CASTANET, Pierre Albert, Tout est bruit pour qui a peur – Pour une histoire sociale du son sale, Paris, Michel de Maule, 2007, [1re éd. 1999], p. 22-25, p. 219-222… Et en complément, du même auteur : Quand le sonore cherche noise – Pour une philosophie du bruit, Paris, Michel de Maule, 2008, p. 27, 125, 167, 299… 4. Cf. TOURAINE, Alain, Le mouvement de mai ou le communisme utopique, Paris, Seuil, 1968. En complément, lire d’Ernst Bloch, L’esprit de l’utopie, Paris, Gallimard, 1977. 5. Cf. GINTIS, Herb, « Contre-culture et militantisme politique », in Les Temps Modernes, N° 295, février, 1971, p. 1400-1428. Prière de consulter également : Christine Saint-Jean-Paulin, La Contre- culture – États-Unis, années 60 : la naissance de nouvelles utopies, Paris, Éditions Autrement, 1997. Lire aussi de ROBERT, Frédéric, La Révolution hippie, Rennes, Presses Universitaires de Rennes, 2011. En complément : Volume !, Vol. 9, N° 1, « Contre-cultures – Théories et scènes », 2012. Dans ce registre, Raymond Ruyer ira jusqu’à parler d’« anti-utopie » (L’utopie et les utopies, Paris, Presses Universitaires de France, 1950 [réimprimé : Brionne, G. Montfort, 1988]). 6. Pour mémoire, consultez de Pierre Albert Castanet : « Impacts et échos des événements de 1968 dans la musique populaire et la musique savante », in Les Cahiers du CIREM, N° 14-15, 1989 p. XII ; « 1968 : Les mouvances d’une révolution socio-culturelle populaire », in HENNION, Antoine (éd.), 1789-1989. Musique, Histoire, Démocratie, Vol. 1, Paris, Fondation de la Maison des Sciences de l’Homme, 1992, p. 143-152 ; « 1968 : A Cultural and Social Survey of its Influences on

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French Music », in Contemporary Music Review, Vol. 8, Part 1, 1993, p. 19-43 ; « Rêver la révolution, Musique & politique autour de mai 1968 », in FENEYROU, Laurent (dir.), Résistances et utopies sonores, Paris, CDMC, 2005, p. 131-148 ; « Musique et Société – Le bruit de fond soixante-huitard », in Filigrane. Musique, esthétique, sciences, société, N° 7, 2008. À lire sur : http:// revues.mshparisnord.org/filigrane/index.php?id=223 (dernière consultation : janvier 2014). 7. Cf. OGIEN, Albert, Sociologie de la déviance, Paris, Armand Colin, 1995. 8. Voir dans Music and Protest in 1968 l’article du musicologue Kailan R. Rubinoff portant notamment sur les instruments anciens et les nouvelles technologies (chapitre 14).

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Morag J. Grant and Férdia J. Stone- Davis (éds.), The Soundtrack of Conflict: The Role of Music in Radio Broadcasting in Wartime and in Conflict Situations Hildesheim, Georg Olms Verlag, 2013, 253 p.

Huw Hallam

RÉFÉRENCE

Morag J. Grant and Férdia J. Stone-Davis (eds.), The Soundtrack of Conflict: The Role of Music in Radio Broadcasting in Wartime and in Conflict Situations, Hildesheim, Georg Olms Verlag, 2013, 253 p.

1 The Soundtrack of Conflict, a new anthology edited by M. J. Grant and Férdia J. Stone- Davis, explores the presence of radio music broadcasting in war and conflict situations. The book comprises papers from a 2011 conference organised by Göttingen University’s “Music, Conflict and the State” research group. Fifteen short chapters approach the topic from myriad angles, presenting case studies from the second World War through to the present, crossing three continents: Europe, Asia and Africa1. While many contributors have recently completed musicology doctorates, others have backgrounds in law, anthropology, history and mass media studies, giving the book a highly interdisciplinary feel.

2 Two areas of concern prominent in recent music scholarship converge in the book’s main topic: an interest in how musical experience has been transformed in the last century through the technological media that support and shape it2; and an interest in sound’s use for violent ends3. Thus, despite the editors’ meek defence of their work as

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helping to “reduce a gap in the research literature” (p. 9), their topic will be of interest to a wide range of music scholars. The book’s breadth notwithstanding, though, The Soundtrack of Conflict reads more as an exploratory departure than a culminating synthesis of research, methods and ideas.

3 A key difficulty faced by researchers examining political uses of music (in general) and radio broadcasting (specifically) is flagged in the editors’ introduction. “[W]hen discussing the impact of music in radio broadcasting”, they note, “we should be wary of explanations that presuppose a unidirectional, cause-and-effect model of musical communication” (p. 10). This warning echoes a point raised often enough in music scholarship to be treated as a first-order methodological problem. Music evidently does not do or say the same things to everyone. Broadcasting strategies and listeners’ responses do not always align. Reconstruction of what transpires at both ends of a transmission is needed if its political quality is to be assessed – and gathering the archival traces to do that may be impossible in contexts raked over through civil war or imperial conquest.

4 Rarely do scholars grapple productively with the indeterminateness of music’s effects. It is registered in barely a handful of chapters: notably, Inna Klause’s discussion of responses to music used in the Soviet Gulag cultural re-education broadcasts; and Katherine Baber’s observations about listeners to the Zero Hour radio programme broadcast from Tokyo during the Second World War and their ability to discount certain aspects of what they heard while taking pleasure from others. In a rich and thought provoking examination of the International Criminal Tribunal of Rwanda’s (ICTR) 2006-08 trial of musician Simon Bikindi for incitement to genocide, James Parker points to an imbalance between the Tribunal’s perception of the symbolic importance of Bikindi’s role in the events of 1994 and its failure to find adequate ways to measure and appraise that role. The courtroom played out a pattern typical of writing on music and politics, whereby conviction that music can do significant political work trumps acknowledgement of the methodological issues involved in establishing what that work actually is.

5 The editors’ introduction highlights two familiar ways of thinking about music in political terms: as it contributes to constructing identity, and as a medium for managing emotions (affects). Additionally some essays treat music simply as a vehicle for ideologically resonant messages, possibly framed through a broadcaster’s programming approach. What is startling is the number of different levels – at least seven – within the broadcast situation at which the anthology’s contributions address political elements. (Disappointingly, there is no concluding statement to clarify what the individual chapters might reveal collectively.)

6 The first level looks to the lyrics. This is the most obvious, but also potentially deceptive, site for the political in music. It is the level the ICTR largely failed to get beyond; and several chapters concentrate their discussions here. The next level addresses the patchwork of symbolic elements in the musical fabric. Again music is treated as a message to be read; though one senses from some chapters that subtle hermeneutic interpretation has little place in contexts torn apart by rape and bloodshed.

7 Thirdly, the analyst asks what musical sound does. Music is regarded as an agent of “affect” and able to shape its listeners’ comportment. Paul Richards, examining rebel military practices in Sierra Leone, speculates about using neurology to explain how

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music structures “effervescent forms of collective action” (following Émile Durkheim and Maurice Halbwachs) (p. 185-186). He considers how rhythmic regularity in military music serves co-ordinated action during combat (via drills) when emotion might easily eclipse strategy. Chen-Ching Cheng tells a very different story about the pirate broadcasting, in China, of Taiwanese pop singer Teresa Teng leading up to the Tiananmen Square massacre. Though more is said about the lyrics of Teng’s songs than their musical qualities, an argument is made that broadcasting them into mainland China introduced affective elements that altered the Chinese Communist Party ideology’s traction.

8 It matters also who the musicians are. At a fourth analytic level, questions of identity arise relating to how musicians are enlisted in the construction of traditions – often for plumping up patriotism. At a fifth, related level, who the musicians are matters because who is on whose side is being established: who are “our” friends? who is already complicit? Part of the Teng broadcast’s power in Tiananmen Square was that it expressed solidarity, locating the protesters and celebrity as allies. Differently, Karine le Bail, addressing music in Vichy France, tells how the radio came to register, synecdochically through the performing artists it broadcast, the growing collaboration between France and Germany.

9 Two final levels relate to programme structuring and dissemination. Just as the radio projects allegiances between political “friends”, programming projects correlations between different forms of musical and non-musical content. The effectiveness of such projections – though important as most rightly assume them to be – is not self-evident, however. Baber, as noted, suggests that for the Tokyo Zero Hour programme’s listeners, dissociating pleasure from politics was par for the course. Beau Bothwell makes a more unusual (though certainly insightful) argument about US music broadcasting in the Middle East through Radio Sawa, conjecturing that Radio Sawa’s programme format, in addition to linking Arabic and Western songs as if in harmonious multicultural confraternity, constructs its audience in a particular way, shaping how it “consumes” the music and potentially its approach to consumerism more generally.

10 Of course, first the production of listening must occur at a more rudimentary level: through the set up, distribution and operation of transmitters and receivers – the organisation of how the formatted “content” is disseminated. Observing how in most recent coups d’état in Nigeria the state radio system has been appropriated to broadcast martial music, Oluwafemi Alexander Ladapo suggests counting this as an early warning of violent conflict. It is a pity, the anthology as a whole does not engage more with the technical side of broadcasting – particularly pirate and so-called black broadcasting – in conflict zones.

11 The sheer diversity of approaches and foci in The Soundtrack of Conflict works in two directions. It exposes just how complex and multi-dimensional the political work done by radio music broadcasting can be. But this in turn highlights how narrow the analytic purview of the individual chapters often is. Few consider more than two or three of the seven levels outlined above. No doubt, this reflects their brevity and the anthology’s format (most chapters have fifteen or fewer pages of text, some under ten). Few also engage in theory building. Given the potential difficulties of reconstructing precisely how a particular approach to music broadcasting has functioned in a particular conflict situation, developing theory to guide interpretation and highlight variables and

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unknowns is necessary to advance research beyond simply affirming that the radio and music are frequently present and implicated in conflict situations.

12 If one of the most attractive aspects of this collection is its internationalism, desirable in a future project would be a more comparative approach, giving a greater sense of radio’s geography: of how its use differs regionally and with regime style (democratic, neoliberal, totalitarian, etc.), and of its use as a technology of cultural imperialism (some chapters already move in this direction). A further issue is that radio is now an old (though by no means obsolete) technology in an increasingly complex media landscape. The internet, and the various forms of radio-like music dissemination that rely on it, must, I think, push us to change our conceptualisation of music broadcasting. The internet changes the rules, both technologically and with respect to the legal and geo-political framing of broadcasting. The Format changes. The who of the broadcaster changes. Censorship mechanisms change. The possibilities open to the listener change. Yet this is also why scholarship of the kind showcased in The Soundtrack of Conflict, far from being redundant, is now so important. New protocols remain to be fought for. New practices of resistance remain to be developed. Research and analysis must help bridge lessons learnable from the old to a future under construction.

NOTES

1. Not five, as the book’s blurb promises. Two chapters also relate to North American initiatives in Africa and West Asia. 2. See especially, STERNE, Jonathan, The Audible Past: Cultural Origins of Sound Reproduction, Durham, Duke University Press, 2003; STERNE, Jonathan, MP3: The Meaning of a Format, Durham, Duke University Press, 2012; BORN, Georgina (ed.), Music Sound and Space: Transformations of Public and Private Experience, Cambridge, Cambridge University Press, 2013; and BULL, Michael, Sound Moves: iPod Culture and Urban Experience, London, Routledge, 2011. 3. See especially, GOODMAN, Steve, Sonic Warfare: Sound, Affect, and the Ecology of Fear, Cambridge, Ma., The MIT Press, 2010; and CUSICK, Suzanne G., “Music as Torture / Music as Weapon”, in Trans – revista transcultural de música, Nº 10, 2006 (available at: http://www.sibetrans.com/trans/ a152/music-as-torture-music-as-weapon, accessed: 14/3/2014).

INDEX

Keywords : music, armed conflicts, radio, broadcasting, war Mots-clés : musique, conflits armés, radio, radiodiffusion, guerre

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AUTEUR

HUW HALLAM

Huw Hallam has recently completed a PhD in music history and theory at King's College London. His research engages with a wide range of modern and contemporary music, sound art, and visual cultures, often focusing on their political dimensions and how they engage with temporality.

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Márta Grabócz (dir.), Les opéras de Peter Eötvös entre Orient et Occident Paris, Éditions des archives contemporaines, 2012, 174 p.

Béatrice Ramaut-Chevassus

RÉFÉRENCE

Márta Grabócz (dir.), Les opéras de Peter Eötvös entre Orient et Occident, Paris, Éditions des archives contemporaines, 2012, 174 p.

1 La musicologie de langue française a donné en 2012 deux ouvrages importants pour la connaissance des opéras du compositeur Peter Eötvös : d’une part, le collectif dirigé par Márta Grabócz Les opéras de Peter Eötvös entre Orient et Occident et d’autre part, les Entretiens autour des cinq premiers opéras de Peter Eötvös d’Aurore Rivals1. Les deux livres ne sont pas étrangers l’un à l’autre puisque c’est à Aurore Rivals qu’a été confié le premier chapitre du livre de Márta Grabócz. Mentionnons que, déjà en 2007, un ouvrage plus généraliste avait été consacré au compositeur hongrois à la suite d’un colloque tenu en sa présence à la Hochschule für Musik de Bâle2. Publié en allemand sous la direction de Michael Kunkel, il contenait divers entretiens, une section intitulée « Kontext » comprenant quatre articles, une autre en comprenant cinq sur diverses œuvres allant de Kosmos à Trois sœurs, et la transcription d’une table ronde sous le titre « Musik aus einem Guss ».

2 Le succès du Hongrois Peter Eötvös né en 1944, longtemps connu comme remarquable chef d’orchestre plus que comme compositeur malgré un catalogue déjà très vaste3, a été fulgurant après la création de sa première œuvre lyrique il y a quinze ans. Si les six opéras qu’il a composés à ce jour sont entrés au répertoire en Europe et en Amérique du Nord, il faut souligner que les quatre premiers ont un lien particulier avec la France où ils ont été commandés et créés : Trois Sœurs (Opéra de Lyon, le 13 mars 1998, en russe) ; Le Balcon (Festival d’Aix en Provence, le 5 juillet 2002, en français) ; Angels in America (Théâtre du Chatelet, le 23 novembre 2004, en américain) ; Lady Sarashina (Opéra de Lyon, le 4 mars 2008, en anglais). Trois opéras sont par ailleurs actuellement

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en commande (pour Vienne, Francfort et New York4), c’est dire la pertinence qu’il y a à s’intéresser à l’œuvre scénique d’un compositeur si fécond.

3 Márta Grabócz, membre de l’IUF, responsable de l’axe de recherche « Approches sémiotiques et esthétiques de l’acte musical » du LABEX GREAM (Université de Strasbourg), s’entoure pour cette publication de cinq musicologues ayant tous déjà signé des travaux sur les opéras d’Eötvös. Alors que le titre ne le précise pas, quatre opéras seulement sont présentés dans ce volume. Il ne s’agit pas des quatre premiers mais de Trois Sœurs, Angels in America, Lady Sarashina et Love and Other Demons (Festival de Glyndebourne, 10 août 2008, anglais, espagnol, latin, yoruba). Après une introduction de Márta Grabócz, le chapitre d’Aurore Rivals traite de « La construction des livrets », puis quatre chapitres – que Márta Grabócz qualifie à juste titre d’essais (p. 5) – abordent chacun des opéras : Marie Laviéville-Angelier, « Trois sœurs ou l’art de l’épure » ; Kristina Megyeri, « Les projections du présent dans Angels in America » ; François-Gildas Tual, « Lady Sarashina “À la recherche d’un monde perdu” » ; Jean- François Boukobza, « Love and other demons un théâtre pour l’intelligence ». L’ouvrage est complété par un « catalogue des opéras et genres apparentés », des « orientations bibliographiques, discographiques et filmiques », ainsi que les « notices biographiques des auteurs ».

4 Alors que l’œuvre de Peter Eötvös, fondé conjointement sur un attachement à la musique comme langue et à la langue comme musique, est tout entier une célébration de la voix humaine, Márta Grabócz aborde avec pertinence son introduction (p. 1-6) par les thèmes contenus dans les livrets, soulignant leur richesse et la diversité de leur provenance géographique. Elle rappelle que la Hongrie a été qualifiée par l’un de ses poètes, Endre Ady, « de “pays-bac” (pays navette) oscillant sans cesse entre Orient et Occident », expliquant ainsi l’aisance avec laquelle Eötvös passe de l’un à l’autre et le titre du livre. L’universalité de la musique de ce « citoyen du monde5 » s’expliquerait- elle également ainsi ? Des propos recueillis par Marie Lavieville, repris par François- Gildas Tual (p. 102) rendent compte avec plus d’acuité encore d’une convergence entre Orient et Occident dans l’identité hongroise même. Eötvös dit en avoir eu la révélation lors de son voyage au Japon avec Stockhausen en 1970 : « J’y ai trouvé une certaine connexion avec la mentalité des paysans hongrois. Leur comportement est très proche, il semble y avoir une parenté qui m’a encore plus frappé lorsque je suis retourné en Hongrie. C’est peut-être parce que nous avons une racine commune, nos ancêtres venaient de Mongolie… ». Si Eötvös est un passeur entre différents pays, il l’est aussi entre différentes langues et différentes époques. Márta Grabócz mentionne ensuite des points communs qui relieraient les livrets des quatre opéras, malgré leur diversité. Elle en discerne deux. Les livrets traiteraient tous « d’un moment relativement chaotique de l’histoire, d’une crise survenant pour clore une époque d’équilibre ou d’un âge d’or en voie de disparition » (p. 2) ; ils feraient tous appel à « La présence des forces surnaturelles, cathartiques ou transcendantes » (p. 3).

5 Le chapitre sur « La construction des livrets » (p. 7-36) revient donc à Aurore Rivals – auteure de Peter Eötvös, le passeur d’un savoir renouvelé. Pour une archéologie de la composition ou dix ans d’opéra (thèse soutenue à Paris-Sorbonne, 2010). Elle montre que le travail musical commence dès la fabrication du livret, « ce lien incontournable entre littérature et musique » (p. 7), mais aussi ce lieu où se reflètent les contraintes formelles, administratives et économiques de la commande quant à l’effectif orchestral, au nombre de chanteurs et à leurs tessitures ou encore quant à la durée de l’œuvre.

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« L’aspect pragmatique prédomine dans la démarche sélective » du compositeur-chef d’orchestre. Quant au choix des auteurs et des textes – Anton Tchekhov pour Trois Sœurs, Tony Kushner pour Angels in America, un nikki millénaire pour Lady Sarashina, Gabriel García Márquez pour Love and other demons – Aurore Rivals affirme qu’« [Eötvös] choisit le texte en fonction des caractéristiques de la maison d’opéra pour laquelle il écrit : la portée sémantique et symbolique du texte doit s’accorder au public, au profil et au style de chaque institution » (p. 7-8). L’auteure livre les résultats de ses analyses en des tableaux synthétiques très clairs qui donnent à voir tout au long de l’article l’organisation des livrets et les prélèvements effectués sur les œuvres littéraires originales. Ces dernières incarneraient respectivement « Le temps de la désagrégation » pour Trois sœurs, « Le théâtre de l’apocalypse » pour Angels in America, « La vie-fiction » pour Lady Sarashina, « Le roman-fantasme » pour Love and other demons. Pour Aurore Rivals, « Peter Eötvös hisse au statut de mythe des hommes et des femmes ordinaires ou extraordinaires ». Ainsi, la question du sujet des livrets rejoint celle de la transmission des opéras et Aurore Rivals en vient à interpréter leur réception. Par ses opéras, Eötvös ferait un « don du mythe aux générations futures » pour « donner l’envie de jouer sa musique et de la transmettre » (p. 36). L’auteure suggère en outre, dans le cas de Trois sœurs, que « l’ouvrage lyrique serait la “représentation intemporelle” de la pièce de théâtre qui se déroule chronologiquement », proche de l’intentio augustinien (p. 17). Dans cet excellent chapitre, deux points mériteraient précision. Lorsqu’Aurore Rivals constate (p. 8) l’absence de tension téléologique dans les quatre livrets, et affirme pour cela que « le vocable “acte” ne figure dans aucun des quatre opéras », préférant ceux de « séquence » ou de « partie », n’y a-t-il pas contradiction avec l’information exacte donnée p. 168 que Love and other demons est en deux actes ? Par ailleurs, si le compositeur participe activement à l’élaboration des livrets, il ne s’en dit cependant jamais le seul auteur. D’après les partitions, C.H. Henneberg et Peter Eötvös sont co- auteurs de celui de Trois sœurs, Mari Mezei – femme de Peter Eötvös – est auteure de ceux d’Angels in America et de Sarashina, et Kornél Hamvai auteur de celui de Love and other demons. N’est-ce pas inexact d’écrire qu’Eötvös « confectionne lui-même [les livrets] aux côtés de son épouse » (p. 32), sans même jamais nommer cette dernière ?

6 Alors que les publications musicologiques sont déjà nombreuses sur l’opéra inaugural Trois sœurs, Marie Laviéville – auteure de L’Esthétique de Peter Eötvös, une dramaturgie de la relation (thèse soutenue à Lille en 2010) – en propose une analyse transversale efficace et minutieuse, étayée par trente exemples musicaux, huit schémas synthétiques et des fragments d’entretiens avec le compositeur (p. 37-75). Des possibilités dramaturgiques offertes par le « principe d’association systématique donnant à chaque personnage un avatar instrumental », à la « recherche approfondie en matière de typologie vocale » dans cet opéra où le trio des sœurs est incarné par trois voix d’hommes, en passant par les « clés de compréhension harmonique » et les « sonorités » mises en place dès le prologue, ou encore par l’exposé des « réitérations musicales à fonction symbolique » que sont entre autres les motifs, Marie Laviéville recense les moyens musicaux de la cohésion dramaturgique de cet opéra écrit sur un livret russe avec la collaboration du chorégraphe japonais Ushio Amagatsu grâce auquel Peter Eötvös dit avoir surmonté sa « peur du geste opératique » (p. 39). Sont ainsi abordés successivement les points suivants : « Une caractérisation instrumentale », « Une vocalité individualisée », « Un matériau générateur et signifiant », « La répétition au service de la dramaturgie », « Un diptyque amoureux, le cycle des déclamations et des adieux » et « La postérité musicale

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de Trois sœurs » dans des œuvres orchestrales ou de musique de chambre du compositeur lui-même.

7 Kristina Megyeri – auteure de Dramaturgie(s) des anges : temporalité, identité et la place du corps dans Angels in America de Peter Eötvös (master 2, Paris-8, 2006) – restreint son approche d’Angels in America à la question de la temporalité et de la « présence », au sens de projection du temps présent (p. 77-95). Selon Kristina Megyeri, les qualités des différents temps « présents » vécus par les protagonistes sont liées aux rapports qu’ils établissent avec l’Ange. Elle se donne pour but de « saisir brièvement les relations du terme présent avec les vastes possibilités d’imaginaire qui en résultent, puis [d’]essayer d’en catégoriser les modes de perception reliés aux réalisations musicales » (p. 78). Elle oppose un présent vivant à un présent totalement régi et déformé par le passé (id.). Les références théoriques de Kristina Megyeri ne sont pas toujours précises pour le lecteur. Celle à Walter Benjamin (Sur le concept d’Histoire6) ne se fait explicite que tardivement, et Kristina Megyeri n’hésite pas à s’en écarter, par exemple quand elle parle d’un « temps en boucle » correspondant à un « état où le passé ne serait pas “digéré” ». Elle pose que « la ligne philosophico-dramaturgique de la thématique se différencie entre les deux actes7 » (p. 82). Le premier serait une « introduction au présent transcendant », le second une « démythification du transcendant ». Kristina Megyeri opère une distinction entre le présent intense, le présent transcendant, le présent terne, et le présent ruiné. Dans cette logique, le premier acte serait celui du présent subjectif ou encore du présent imparfait marqué à la fois par la découverte que Prior fait de sa maladie – il est atteint du sida – et par la Voix de l’Ange qu’il commence à entendre (voir p. 86 le tableau récapitulant les apparitions de l’Ange). Le second acte désenchanterait en revanche ces visions et « se focalise[rait] sur une vision utopique de l’à-présent benjaminien » (p. 82). L’apparition de l’Ange est désacralisée. Prior affirme violemment sa simple et forte volonté de vivre. Il rend le Livre des Prophètes et refuse sa vocation. Saluant la grande ouverture de Peter Eötvös sur son temps, Kristina Megyeri en vient à conclure que « la musique d’Angels in America se situe quelque part entre la musique de film, la musique de scène, l’opéra romantique et la comédie musicale » (p. 94). Cet essai ouvre des perspectives intéressantes sur l’opéra dont le succès le plus grand a été remporté sur le continent nord-américain, mais il laisse dans l’ombre des aspects musicaux remarquables, malgré les huit extraits de partition donnés en exemple.

8 François-Gildas Tual – auteur de « Les scènes rêvées de Peter Eötvös, actions musicales et théâtre de l’inaction », Les relations musique-théâtre : du désir au modèle, l’Harmattan, 2010, p. 175-186 – signe l’étude sur Lady Sarashina (p. 97-125). Son texte est accompagné de huit exemples musicaux et de huit figures synthétisant des points d’analyse dont certaines sont fondées sur des documents sources transmis par le compositeur lui- même. François-Gildas Tual s’attache à replacer les opéras d’Eötvös dans une histoire du genre allant de Monteverdi à Puccini, de Britten à Hosokawa. Comme l’ensemble des contributeurs de ce volume, il s’intéresse d’abord au livret, le rapprochant par exemple de celui de Da Gelo a gelo de Salvatore Sciarrino (2006) également fondé sur le journal d’une Japonaise du XIe siècle, le comparant aussi à d’autres opéras d’Eötvös dont Die Tragödie des Teufels (Munich, février 2010) pour pointer « une même façon d’édifier le théâtre sur des rôles qui sont moins des personnages que des idées de personnages » (p. 97). François-Gildas Tual évoque ensuite les « Inspirations japonaises » du compositeur dont As I Crossed A Bridge Of Dreams que l’opéra entier remploie. Il analyse les structures littéraires et musicales des neuf scènes de l’opéra en référence aux

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« Songes, souvenirs et contemplations », montrant comment « la dramaturgie, se détournant du déroulement chronologique, fait l’expérience de la lenteur, se soumet aux sauts prospectifs ou rétrospectifs, jusqu’à pouvoir concentrer toute une vie d’attente dans un court instant de prospection » (p. 105). Il s’intéresse au « Dédoublement », catégorie qui concerne aussi bien les situations dramatiques, le matériau musical, les costumes, les rôles, que les liens entre voix et instruments. Quant à la « Conscience du temps », tissée dans le livret par un lien fort à la nature, aux saisons, aux heures du jour, mais aussi au passé précis ou imprécis de Sarashina, François-Gildas Tual montre qu’elle est mise en œuvre musicalement à la fois par une grande maîtrise des cheminements harmoniques subtils, par une gestion de l’espace et par un contact constant entre sons naturels et sons artificiels. Si François-Gildas Tual clôt sa contribution avec des « Remarques d’un spectateur (Miroirs) », ce ne sont pas les siennes, mais celles d’Eötvös lui-même : « Je suis compositeur mais je me considère avant tout comme un spectateur et je cherche donc à faire quelque chose qui fonctionne pour les auditeurs » (p. 125).

9 Jean-François Boukobza – auteur du « Guide d’écoute », Trois Sœurs, L’Avant Scène Opéra, n° 204, septembre-octobre 2001 – « entend, modestement, proposer à la fois une découverte de [Love and other demons] et offrir une première tentative de réponse » à la « question des moyens mis en jeu » pour « marier le fameux “réalisme magique” de Gabriel García Márquez avec le goût de Peter Eötvös pour un théâtre psychologique mêlant intériorisation et distanciation ». Il réussit pleinement sur les deux tableaux en donnant à lire une étude très bien documentée, illustrée de treize exemples musicaux, de quatre tableaux et deux annexes (p. 127-164). Après avoir passé la nouvelle de García Márquez au triple prisme de la « polysémie », de la « luxuriance » et de « l’amour… » (p. 127-128), Jean-François Boukobza aborde la confection du livret c’est-à-dire la restructuration, la stylisation et l’interprétation du texte initial. Si « le texte a changé constamment jusqu’à la phase même de la composition musicale » (p. 133), « l’ensemble emprunte sa conception au cinéma » et « aux techniques de montage rapide ». Alors que la grande forme est rythmée par des retours de motifs (le cryptogramme de Sierva Maria, le motif du rêve, le chant d’oiseau, la prière en latin, le poème de G. de la Vega en espagnol), l’enjeu de l’analyse de Jean-François Boukobza est cependant de montrer que « le risque de rhapsodie est évité par un travail organique extrêmement élaboré » (p. 132), un travail qu’il nomme une « Unité de l’inconscient auditif » (p. 137). Jean- François Boukobza montre que le cryptogramme, « chargé d’une dimension spéculative », génère le tissu harmonique entier de la pièce à l’exception de rares textures ou épisodes. Sa mélodie fait office de réservoir harmonique/intervallique (p. 137-140). Il montre que la recherche d’homogénéité relève aussi d’une volonté explicite d’euphonie et de synesthésie. Le ton gris-bleu qui domine la mise en scène entre volontairement en résonance avec les sonorités argentines qui enveloppent l’opéra. La dernière partie de l’article confronte l’écriture spécifique du compositeur aux formes historiques du genre, respectées et transgressées : récitatif, air, air de folie, duo amoureux. Jean-François Boukobza aboutit enfin à l’idée que cet opéra est « Un théâtre du silence » (p. 163), dans lequel la musique donne à entendre – pour les oreilles et pour l’esprit – sans nul besoin d’emphase les non-dits du livret, suscitant « une lecture polysémique en faisant appel à l’intelligence et à l’instinct du spectateur ».

10 Les essais originaux que rassemble ce livre contribuent donc vraiment à la connaissance d’« Un théâtre dont il est difficile de faire l’économie aujourd’hui »

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(p. 164). Le lecteur-auditeur reste dans l’attente d’un second volume qui viendrait compléter utilement celui-ci en présentant d’autres œuvres lyriques de Peter Eötvös.

NOTES

1. Paris, Éditions Aedam Musicae, 2012. 2. KUNKEL, Michael (éd.), Kosmoi, Peter Eötvös an der Hochschule für Musik der Musik-Akademie der Stadt Basel - Schriften, Gespräche, Dokumente, Saarbrücken, PFAU-Verlag, 2007, 332 p. 3. Lire à titre d’exemple l’article déjà ancien de ALBÈRA, Philippe, « Entretien avec Peter Eötvös », in Contrechamps-Festival d'Automne, Paris, 1989, p. 120-125. Alors qu’Albèra interroge Eötvös sur les bons compositeurs de sa génération, Eötvös répond seulement en tant que chez d’orchestre : « chaque année, je lis environ mille partitions. Dans une composition, je recherche par exemple : une conception sonore précise, une capacité formelle, une connaissance des instruments, une force « dramatique » du discours, une conception de l’articulation. Ces deux dernières qualités manquent la plupart du temps ». 4. Voir http://eotvospeter.com/commissions 5. Article de HALASZ, Peter, « Peter Eötvös, un Sekler citoyen du monde », Théâtre du Châtelet, programme de salle, 2004, p. 96-101. 6. BENJAMIN, Walter, Sur le concept d’histoire, Œuvres III, Paris, Gallimard, coll. « Folio Essais », 2000, p. 427-444. Trad. française M. de Gandillac, R. Rochlitz et P. Rusch de « Ûber der Begriff der Geschichte », Gesammelte Schriften, Francfort-sur-le-Main, Suhrkamp Verlag, 1974, t. I (2), p. 691-704. 7. Remarquons qu’ici, Kristina Megyeri introduit de façon inexacte des « actes » dans Angels in America là où il ne s’agit assurément que de « parties ».

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