RÊVE DE SIAM DU MÊME AUTEUR

Demain la mer, Éd. École des Loisirs. Prix de l'Académie de Marine. Expédition FAMOUS. A 3 000 mètres sous l'Atlantique. En collab. avec X. Le Pichon, Albin Michel. Prix des Volcans. La Grande Aventure des hommes sous la mer, Albin Michel. Les Aventuriers de Portago, roman, Albin Michel. L'Épave oubliée, roman, éd. Ouest-France. Mékong Palace, roman, Presses de la Cité. La Crique de l'or, roman, Presses de la Cité. Grand Prix de la Mer de la Ville de . Claude Riffaud

RÊVE DE SIAM

Roman

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© Presses de la Cité, 1997 ISBN 2-258-04561-4 1

La vigie de l' Oiseau cria « Terre devant! » à l'aube du 4 juillet 1685. — Prévenez monsieur l'ambassadeur! ordonna le capitaine Henri de Vaudricourt. L'ambassadeur Alexandre de Chaumont parut en bonnet de coton, poursuivi par un valet lui tendant sa culotte et des souliers à boucle. — Dieu soit loué! dit-il. Nous voici au terme du voyage. Vous nous avez conduits, mon cher Vaudricourt, de main de maître. Cinq mois de navigation, pas d'ani- croches et peu de malades à bord. Le capitaine prit un air modeste. — Rendez grâce au temps. Mer belle depuis Brest, à l'exception de cette méchante tornade qui a failli nous mettre à mal au cap de Bonne-Espérance. Ensuite, vents portants, voilure au grand largue et bonnettes jour et nuit. Mon seul regret est que nous ayons perdu la Maligne. — Perdu de vue seulement. Monsieur Joyeux, son capitaine, est bon marin. Nous retrouverons, j'en suis sûr, la frégate d'ici peu. Cela dit, où sommes-nous? — Si j'en crois l'estime, nous approchons de Sumatra, de sa pointe occidentale pour être plus précis. Alexandre de Chaumont était ancien officier de la Marine royale : capitaine de vaisseau en 1671, major du Levant en 1672, il avait commandé le Capable lors du bombardement d'Alger et le Bizarre l'année suivante pendant l'affaire de Gênes. Le sel, disait-il, lui collait à la peau sous sa défroque de diplomate. — L'estime, c'est connu, nous place trop souvent à quelques centaines de milles du point réel. J'aurais ten- dance à me fier davantage aux instruments, à l'astrolabe en particulier. Le capitaine de l' Oiseau éclata de rire. — Pour ce qui est de l'astrolabe, nous avons été ser- vis! Notre escorte d'ecclésiastiques manie l'objet avec autant de bonheur que le goupillon. Les pères Visdeloup et Tachard ont mesuré la hauteur du soleil à chaque midi, me fournissant des latitudes d'une précision remarquable. Loués soient-ils ! Quant aux pères Gerbil- lon et de Fontenay, ils se sont procuré, Dieu sait par quelle astuce de leur Compagnie, les tables de déclinai- son d'un nommé Abraham Zacuto, juif de Salamanque, expert en navigation. Ces Jésuites en remontreraient à n'importe quel pilote. — Ils sont mathématiciens, raison pour laquelle notre bon roi Louis les envoie à la cour de l'empereur de Chine. — Dommage, je les aurais volontiers conservés à mon bord pour le voyage de retour. A ce propos, monsieur l'ambassadeur, combien de temps comptez-vous résider au Siam? — Tout dépendra de l'accueil du souverain. Un mois, deux mois? Je ne sais. Au dire du père Le Vacher, prêtre des missions établies au Siam, et qui connaît fort bien ce royaume asiatique, nous sommes attendus avec ferveur et ne devrions souffrir aucune espèce de vexation. Si ce n'est des Hollandais... Une voix fit écho, en arrière des deux hommes accou- dés au liston : — Des chiens, ces Hollandais, pas vrai, Claude? Celui qui venait d'exprimer un point de vue aussi défi- nitif concernant les sujets du roi de Hollande avait nom Robert de Sanford. L'autre était , son ami depuis qu'ensemble ils avaient usé leurs fonds de culotte sur les bancs de l'Académie navale à Toulon puis ferraillé de conserve sous l'uniforme des cadets aux galères du Levant. — Sanford, vous êtes une langue de vipère! lança monsieur de Chaumont. Cette propension à tout déni- grer vous fera du tort le jour où Sa Majesté décidera de vous confier une ambassade. La marine, mon jeune ami, est une porte ouverte à des offices inattendus, n'oubliez jamais cela. — Une ambassade, à moi! Ce n'est pas demain la veille, monsieur le marquis. Je ne suis bon, pour l'heure, qu'à tirer l'épée et tenir à l'occasion la queue de votre habit. Ce dont, juré craché, je m'acquitterai avec jubila- tion et sincère humilité pendant votre séjour en terre de Siam. Forbin lui tapa sur l'épaule. — Bien dit, Robert, tu parles en véritable damoiseau de cour! Attirés par le beuglement tombé du nid-de-pie, des curieux s'étaient précipités sur la dunette, au grand dam du capitaine qui avait maintes fois enjoint à ses passagers de ne pas faire grappe autour de l'homme de barre, du pilote ou de lui-même, seul maître à bord après Dieu le Père, et n'aimant pas voir traîner des importuns dans ses jambes. Parurent les six jésuites mathématiciens, Tachard, de Fontenay, Gerbillon, Visdeloup, déjà cités, puis les pères Bouvet et Lecomte, en soutanes que les embruns avaient au fil des mois teintées de vert-de-gris, mal rasés ou pas rasés du tout : de joyeux lurons, l'œil vif, toujours prêts à débattre de géométrie ou de méta- physique devant une carafe de rhum. Un moment plus tard se présentèrent deux lazaristes, les pères Le Vacher et du Chailas qui s'en retournaient au siège de leur mis- sion après de longues vacances en métropole. Ceux-là étaient bien propres, bien peignés et de mine un tantinet sournoise, physionomie acquise sans doute par imitation de leurs ouailles siamoises qui affichaient du matin au soir des airs de chattemite. A huit heures, chaque jour, ils disaient une messe au bénéfice de leurs collègues en religion, des officiers et hommes d'équipage. Forbin y assistait, de bon ou mauvais gré, selon son humeur au réveil; Sanford jamais. Il ne croyait ni à Dieu ni au diable, et le conformisme des bien-pensants n'était pas son fort — ce que, d'ailleurs, lui reprochait de temps à autre monsieur de Chaumont. Celui-ci manifestait une piété ostentatoire et s'abîmait en oraisons frisant l'extase. Ancien huguenot, ayant, disait-il, trouvé son chemin de Damas entre ciel et mer, il s'était converti sur le tard à l'Eglise apostolique et romaine, et en faisait plus que de besoin. C'était patenôtres par-ci, confessions à deux genoux par-là, jeûnes pour un oui pour un non, prières ferventes à la Vierge Marie. Forbin qui n'avait pas sa langue dans la poche le raillait parfois, au motif que les pieux sentiments n'ont jamais été l'apanage des capi- taines de vaisseau et nuiraient plutôt à la bonne marche d'un navire. « Peut-être, répondait l'éminent personnage, mais c'est la raison pour laquelle Sa Majesté m'a investi d'une charge ô combien exaltante, vous en conviendrez : accueillir le roi du Siam dans les bras de notre sainte mère l'Eglise catholique. Et j'en suis fier. Rengainez donc vos sarcasmes, mon cher Forbin. Ils sont malve- nus. » Invariablement, Forbin répondait : « Mille excuses, monsieur l'ambassadeur. Vous savez bien que mon tempérament me pousse aux excès de lan- gage. Cela étant, pardonnez ma franchise, je nous vois mal embarqués dans une aventure, exaltante certes,