Volume ! La revue des musiques populaires

11 : 2 | 2015 Varia Varia

Édition électronique URL : https://journals.openedition.org/volume/4376 DOI : 10.4000/volume.4376 ISSN : 1950-568X

Éditeur Association Mélanie Seteun

Édition imprimée Date de publication : 15 juin 2015 ISBN : 978-2-913169-37-1 ISSN : 1634-5495

Référence électronique Volume !, 11 : 2 | 2015 [En ligne], mis en ligne le 15 juin 2018, consulté le 12 mai 2021. URL : https:// journals.openedition.org/volume/4376 ; DOI : https://doi.org/10.4000/volume.4376

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L'auteur & les Éd. Mélanie Seteun 1

Ce nouveau numéro de Volume ! est composé de six articles en varia proposant des regards différents mais souvent complémentaires sur les musiques populaires : le cas du Hellfest dans les représentations et les usages de la culture metal, les discours sur la puissance sonore dans le monde du rock, les évolutions récentes de la musique sur le continent Sud-Américain. Nous publions également les articles de deux jeunes chercheurs primés par l’IASPM-bfe qui, bien que focalisés sur des corpus différents, touchent tous deux à la reconfiguration des clivages entre musiques savantes et musiques populaires. Dans la rubrique document, nous republions un article fondateur d’Alf Björnberg sur l’harmonie éolienne dans les musiques populaires. En tribune, Bruno Lefèbvre revient de manière réflexive, en tant qu'anthropologue, sur un dispositif musical alliant technologie et aléas dont il est à l'origine : les « fauteuils branchés ».

This new "varia" issue of Volume! is made of six papers proposing different while often complementary perspectives on popular music: the role of the Hellfest festival in representations and uses of metal culture, discourses of loudness in rock music, recent evolutions in South American music. We are also publishing two young researchers who were awarded with the IASPM-bfe award who, although focused on distinct corpuses, both deal with the reconfiguration of the divide between art and popular music. aWe are also publishing a translation of Alf Björnberg’s groundbreaking 1984 paper, “On aeolian harmony in contemporary popular music”. In the “tribune” section, Bruno

Lefèbvre reflexively analyses, as an anthropologist, a musicl device alloying technology and hazard which he triggered, “connected armchairs”.

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SOMMAIRE

Articles

Représentations et usages sociaux de la musique metal Le cas du festival Hellfest Christophe Guibert

Stone Deaf Forever: Discourses of Loudness J. Mark Percival

Sampling as Political Practice Gilberto Gil’s Cultural Policy in Brazil and the Right to Culture in the Digital Age Hélène Garcia-Solek

Discourse in Música Latinoamericana Cultural Projects from Nueva Canción to Colombian Canción Social Joshua Katz-Rosene

Prix IASPM-branche francophone d'Europe

L’identité anglaise dans Dr Dee: An English Opera de Damon Albarn Ifaliantsoa Ramialison

La Monte Young vs The Velvet, Minimalisme vs Punk, savant vs populaire : constructions et déconstructions postmodernes Christophe Levaux

Document

De l’harmonie éolienne dans les musiques populaires contemporaines Alf Björnberg

Tribune

Les tribulations d'une innovation musicale : l'exemple des « Fauteuils Branchés » Bruno Lefebvre

Comptes-rendus

Compte-rendu du colloque international Bruits Marie Willaime

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« Quelle critique pour les musiques actuelles ? Pour une approche littéraire du discours critique : des années 1980 à nos jours » Compte-rendu de la journée d’étude du 7 avril 2014 à l’Université Rennes 2 Gaëlle Debeaux

Compte-rendu de la première conférence internationale du réseau ACADPROG Sergio Pisfil

Keep It Simple, Make It Fast! Crossing Borders of Underground Music Scenes Paula Guerra

Note d'exposition

Art in Pop au Centre National d'Art Contemporain de Grenoble, le Magasin Xavier Lelievre

Recensions

Monique DESROCHES, Sophie STÉVANCE & Serge LACASSE (dir.) (2014), Quand la musique prend corps Julie Talland Terradillos

Christopher J. SMITH, The Creolization of American Culture: William Sidney Mount and the Roots of Blackface Minstrelsy Jack Harbord

Motti REGEV, Pop-Rock Music: Aesthetic Cosmopolitanism in Late Modernity David Shumway

Matthieu SALADIN, Esthétique de l’improvisation libre. Expérimentation musicale et politique Clément Canonne

“Why is it that we can’t let go of the vinyl record?” Richard OSBORNE’s Vinyl: A History of the Analogue Record Olivier Julien

Ray HITCHINS, Vibe Merchants: The Sound Creators of Jamaican Popular Music Thomas Vendryes

Jim ROGERS, The Death & Life of the Music Industry in the Digital Age Elodie Roy

Gabriel SEGRÉ, Fans de… Sociologie des nouveaux cultes contemporains Laetitia Biscarrat

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Articles Papers

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Représentations et usages sociaux de la musique metal Le cas du festival Hellfest Representations and Social Uses of Metal Music. The Case of the Hellfest

Christophe Guibert

1 ORGANISÉ DEPUIS 2006, chaque mois de juin pendant trois jours à Clisson en Loire- Atlantique, à 25 km au sud-est de Nantes, le Hellfest est un de musiques qualifiées « d’extrêmes » par les organisateurs (une association d’une dizaine de salariés). Il s’agit en fait d’une manifestation de musiques metal et hard rock, punk et hardcore où plus d’une centaine de groupes, pour certains mondialement connus (Kiss, Scorpions, Motörhead, Alice Cooper, Slayer, Guns & Roses, Deep Purple, Black Sabbath, Iron Maiden pour les plus réputés d’entre eux), proposent des concerts du matin jusqu’à tard dans la nuit. De 20 000 spectateurs en 2006 à près de 145 000 en 2014 (dont environ 25 % d’étrangers selon les organisateurs), le Hellfest – dorénavant installé « dans la cour des grands1 » – est le festival de musique metal le plus important de en termes de fréquentation et de nombre de groupes présents : « Longtemps obligés de s’exiler l’été en Belgique, en Angleterre ou en Allemagne, les fans français de heavy metal peuvent enfin vivre chez eux une saison en enfer2 ». Si les concerts et les festivals, les magazines indépendants, les groupes de musiciens, les labels de production, le public mélomane, etc. constituent ce qui pourrait être défini comme « le champ » (Bourdieu, 1984, 1991) du metal, c’est-à- dire comme sous-champ de la production culturelle « particulièrement présent en France » (Guibert, Hein, 2006), la présente analyse se focalise uniquement sur le Hellfest.

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2 Cet univers culturel très codé renvoie à des logiques sociales qui s’inscrivent en partie dans la caricature de la religion catholique, de la mort et de l’enfer (Guibert, 2012a) et s’inspirent de thèmes tels que ceux de la science-fiction. Il en résulte un investissement économique des pouvoirs publics très relatif par rapport aux manifestations culturelles de cette taille en France. Les arguments récurrents des collectifs (principalement catholiques) et des élus politiques opposés au festival Hellfest contribuent sans doute à ne pas asseoir dans la sphère du « politiquement correct » ce genre de manifestation culturelle.

REPÈRES MÉTHODOLOGIQUES Avec l’appui technique des organisateurs de la manifestation (Hellfest Productions), un questionnaire d’une quarantaine de questions a été proposé aux festivaliers français ayant déjà participé à au moins une édition du Hellfest. Le questionnaire a été mis en ligne sur le site internet du festival avec un lien permanent (www.hellfest.fr). Ce mode de passation a été choisi en raison de la principale manière d’acheter un « pass », l’achat en ligne sur Internet, pour assister au Festival. Cette procédure a aussi permis de ne pas limiter, quantitativement, le nombre de répondants. Entre le 15 mars et fin mai 2011 (soit deux mois et demi), ce sont ainsi plus de 8 700 questionnaires exploitables qui ont été renseignés (il s’agit de la première enquête de cette envergure en France dans le domaine des festivals). Les questions (numériques, fermées, textes, etc.) ont été orientées à travers trois principaux thèmes : le rapport aux musiques « extrêmes » ; les aspects pratiques pendant le festival ; des propriétés sociales des répondants. Le très faible nombre de questionnaires (une dizaine) renseignés de manière saugrenue (exemple : 1666 pour une année de naissance, date de l’incendie de Londres, acte satanique dans la mythologie) permet d’insister sur le fait que les répondants ont eu à cœur de répondre sérieusement à l’enquête. Une analyse de la presse quotidienne régionale et de la presse nationale, des sites internet dédiés aux musiques metal mais aussi des sites « anti » Hellfest a été menée depuis 2010. Des entretiens avec les responsables de Hellfest Productions puis de l’office de tourisme de Clisson ont également été menés de 2010 à 2012. Enfin, l’utilisation de la photographie, eu égard à « sa force représentationnelle et analytique » (Piette, 2007) est, dans ce texte, convoquée aux fins de description et d'administration de la preuve.

Caricatures, symboles et stigmatisation

Un genre musical « à part » ou un espace de « désymbolisation » des formes symboliques ?

3 Le festival Hellfest, dédié aux musiques metal, est l’un des rares en France à être, proportionnellement à la plupart des manifestations de musiques actuelles, aussi faiblement subventionné par les collectivités locales proportionnellement au budget total (Guibert, 2012). Les recettes de la billetterie permettent d’assurer chaque année près de 70 % du budget total de la manifestation (d’environ 5 millions d’euros en 2011), contre moins de 10 % pour le mécénat et les sponsors et 1,89 %3 pour les subventions (dédiées au fonctionnement) de la région des Pays de la Loire, du département de la

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Loire-Atlantique et de la ville de Clisson. En moyenne, concernant les festivals de « musiques actuelles » de la région Pays de la Loire, les subventions publiques représentent 25 % du budget de chaque manifestation (Guibert, 2008). La subvention de la région allouée au Hellfest en 2011 était, comme celle du département de Loire- Atlantique, de 20 000 €. Cette situation singulière, où le festival est principalement autofinancé, fait dire, de manière quelque peu performative, à Jeff Mallet4, salarié de Hellfest Productions depuis 2009 en charge de la communication, que « c’est le style de musique du Hellfest, le ‘‘metal’’ qui fait qu’on est très peu aidé par les collectivités. Subventionner un festival comme le nôtre, ce n’est peut-être pas politiquement correct5 ! » Seulement à sa neuvième édition en 2014, le festival Hellfest ne jouit pas d’une notoriété et d’une légitimité basée sur l’ancienneté auprès des pouvoirs publics tels que « La Folle Journée » (1995) à Nantes ou encore « Le festival de Poupet » (1988) en Vendée pour les plus réputés.

4 Pour autant, le Hellfest semble, dans la presse locale et régionale, « définitivement reconnu à l’international par les groupes et les festivaliers » où « le public est calme, posé, évoluant dans un climat sans souci6 ». D’après les résultats de l’enquête quantitative, le Hellfest est en effet pour les festivaliers un moyen de « permettre aux fans d’écouter leurs groupes favoris » : ce qui rassemble lors de cette manifestation – unique à cette échelle en France –, c’est avant tout la musique metal (87,4 % citent cette réponse). « Ne pas être juger » et « se regrouper entre fans » constituent deux autres réponses largement plébiscitées, respectivement 65,7 % et 61 % des festivaliers. Aussi, si la musique metal est un « produit de l'activité sociale, […] lieu de production de valeurs esthétiques et éthiques », elle n’est pas mécaniquement un « lieu de conflits » (Mignon, 1988) ou « une esthétisation de la colère7 »comme cela semble être le cas au sujet du rock. Cette forme d’entre soi, entre fans, s’exprime à travers le goût affirmé pour la musique metal, au-delà de ses variantes, et non au regard de propriétés sociales telles que l’origine sociale, le métier ou encore l’âge. Seuls 87 festivaliers (1 % de l’échantillon) déclarent, marginalement, assister au Hellfest pour « célébrer avec sérieux des valeurs comme le satanisme et la mort », déclarations devant être prises avec précaution dans la mesure où il peut être tentant, dans une enquête quantitative « en ligne » dont les réponse sont formulées devant son ordinateur, de « forcer le trait » et en exagérant les réponses.

Tableau 1 : Le Festival Hellfest est d'abord un moyen de…

(Par ordre croissant, plusieurs réponses possibles)

5 Le Festival Hellfest comporte des espaces constitués de plusieurs stands marchands. Au-delà des bars et restaurants (où l’on sert de la restauration « rapide »), un espace spécialement dédié à la « culture metal », l’« Extreme Market », permet d’acquérir des disques (CD et DVD), des posters, des habits à l’effigie des groupes les plus connus, des

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accessoires divers, des bijoux, etc. Yoann Le Nevé8, co-fondateur du festival, indique pour sa part que le merchandising autour de la marque Hellfest (casquettes, T-shirt, tapis de souris, body pour bébé, etc.) rapporte « au moins 200 000 € par an9 ». Il n’existe pas de lieux marchands aussi vastes en dehors de ce type de festival où l’on peut acheter ce genre de marchandise, mis à part, dorénavant, sur les sites internet spécialisés. Aussi, cette concentration de stands (aux noms évocateurs : « Rock à gogo », « Lucyfire », etc.) permet aux festivaliers d’être « à jour » en achetant les derniers disques ou T-Shirt à la mode, façon de perpétuer l’entre-soi et de légitimer l’appartenance aux codes de l’apparence physique. L'influence de la musique metal est donc, pour majorité de festivaliers, « ressentie comme matérialisable et corporéisée » (Seca, 1991)10.

L’« Extreme Market » : un espace marchand couvert et en plein air

(Photographies de l’auteur, 2010 et 2011)

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L’« Extreme Market » : un espace marchand couvert et en plein air

(Photographies de l’auteur, 2010 et 2011)

L’« Extreme Market » : un espace marchand couvert et en plein air

(Photographies de l’auteur, 2010 et 2011)

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L’« Extreme Market » : un espace marchand couvert et en plein air

(Photographies de l’auteur, 2010 et 2011)

L’« Extreme Market » : un espace marchand couvert et en plein air

(Photographies de l’auteur, 2010 et 2011)

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6 L'apparence des groupes de festivaliers les plus liés à certaines musiques metal, comme le « gothique » par exemple, s'explique parfois – sans que cela soit purement mécanique – par l’utilisation de référents issus de la tenue des chanteurs vedettes (Marylin Manson pour le genre précité). Ce phénomène social contribue à la transformation (difficile toutefois à mesurer quantitativement) des manières individuelles de s'habiller en phénomènes collectifs : « Hippies, Beatniks, Teddies, Rockers, Hell's Angels, Punks, Skin Heads, […] : autant de mouvements informels ou de groupes structurés qui, tous, attachent une extrême importance à leur habillement comme signe d'appartenance à une même communauté d'idéologie, de comportements, de goûts. » (Delaporte, 198211)

7 Le festival Hellfest est, en résumé, un espace du monde social où des signes et des symboles – en particulier ceux empruntés à la religion chrétienne – sont travestis et font l’objet d’un usage qui ne s’opère pas dans l’espace d’expression ordinaire (ou traditionnel). Les mécanismes de manipulation et le détournement des signes catholiques (croix, crucifix, soutane, Satan, etc.) sont mobilisés par des festivaliers hors de l’univers originel de ces symboles, c’est-à-dire, au sens large, l’Église catholique. Ils agissent telle une déconstruction ou « dé-symbolisation » des formes symboliques, autrement dit une amorce de rupture avec « l’animal symbolique » (Cassirer, 1972).

Le détournement des signes religieux au Hellfest

(photographies de l’auteur, 2011)

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Le détournement des signes religieux au Hellfest

(photographies de l’auteur, 2011)

8 Les interventions d’élus politiques d’envergure nationale ont toutefois rendu visible, à partir de 2010, une manifestation jusque-là connue des seuls amateurs de ce type de musique en s’attachant à démontrer son caractère supposé déviant.

Les vaines tentatives des « entrepreneurs de morale »

9 Si peu à peu dans la presse locale12 le traitement journalistique du festival se fait davantage sur le mode du compte rendu d’une manifestation culturelle (« Le Hellfest s’affirme comme un phénomène culturel et populaire très fréquentable13 »), l’objectif affirmé par certains élus politiques est d’annuler tout financement public ou privé de la manifestation (notamment ceux de la région des Pays de la Loire, du département de Loire-Atlantique et des principaux sponsors). Dans une lettre, datée du 17 mars 2010, adressée à l’un des principaux sponsors du Festival, la Fondation Kronenbourg, l’ex- ministre du Logement de 2007 à 2009 et présidente du Parti chrétien-démocrate Christine Boutin s’est exprimée de manière pour le moins normative sur le mode des « entrepreneurs de morale » (Becker, 1985), visant à assurer « une croisade pour la réforme des mœurs » : « Alors qu'il est de plus en plus avéré que ce type de manifestation peut influencer négativement des jeunes en fragilités psychologiques au point de les amener à poser des actes graves et violents, est-il pertinent d'associer l'image de votre groupe à un festival qui promeut et véhicule la culture de mort ? N’est-ce pas en totale contradiction avec la mission de la Fondation Kronenbourg qui est de soutenir des manifestations qui ‘‘génèrent un mieux vivre ensemble’’ ? »

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10 L’affiche de l’édition de 2010 cristallise pour Christine Boutin une iconographie inacceptable, « Un homme au physique satanique avec des crocs sanguinolents » susceptible de « choquer les enfants obligés de subir cette publicité d'une violence morbide rare ». Dans la même perspective, l’ancien président du Conseil Général de Vendée et dirigeant du parti le Mouvement pour la France, Philippe de Villiers, s’est exprimé ainsi, le 11 mars 2010, lors d’un meeting de soutien au candidat UMP aux élections régionales, précédent le Festival : « Nos valeurs ne sont pas celles qui poussent le Conseil Régional actuel (PS) à financer un festival sataniste ! » Les arguments défendus par ces dirigeants politiques sont dans des proportions variables, chaque année à l’approche du mois de juin, appuyés et relayés par des associations chrétiennes dont l’objectif supérieur est « d’amener les autres à se conduire bien » (Becker, op. cit.). L’association « Catholiques en campagne », créée en 2007 et assumant l’idée de « christianiser la société14 », a par exemple organisé une pétition sur son site internet, recueillant selon les organisateurs 32 000 signatures. Un courrier attestant du « succès » de la pétition « en à peine un mois » a été adressé en juin 2010, à la mairie du Clisson, à la Préfecture de la Loire-Atlantique puis au Procureur de la République du TGI de Nantes. Fort de ce constat, l’association a demandé l’interdiction du Hellfest : « Nous croyons que les autorités doivent s'opposer à une conception débridée de la liberté d'expression qui, sous le prétexte de musique et d’art, n'est qu’une incitation à la violence et à la haine, donc attentatoire à l'ordre public et aux bonnes mœurs. Des prises de décisions consistantes s'imposent pour ce type de manifestations. […] Des messages délivrés par certains groupes répréhensibles nous font craindre des passages à l'acte tout au long de l'année sur l'ensemble du territoire. » (Extrait du courrier adressé aux instances précités, juin 2010)

11 L’association France Jeunesse Civitas15, « un satellite de l’institut Civitas » destiné aux jeunes, s’est quant à elle offusquée en 2010 et 2011 des thèmes valorisés dans le Hellfest. Alain Escada, secrétaire général de l'Institut Civitas s’est ainsi exprimé en juin 2011 sur le site internet de l’association, quelques jours avant le festival : « Comme son nom l'indique, il ne s'agit pas simplement d'y faire la promotion du ‘‘rock metal’’ mais aussi de laisser libre cours à la propagation du satanisme qui s'accompagne de la haine du christianisme. Parmi les groupes musicaux qui s'y produisent, certains sont connus pour leurs appels au meurtre des chrétiens et aux destructions d'églises16. »

12 En point d’orgue de la médiatisation du festival liée à sa stigmatisation, les échanges et les débats politiques se sont poursuivis à l’Assemblée Nationale lors de la séance du 30 mars 2010 où Frédéric Mitterrand, Ministre de la Culture, interpellé par le député PS Patrick Roy17, a conclut que le Festival Hellfest constituait une « expression artistique » légitime. En réponse à Philippe de Villiers, Frédéric Mitterrand a répondu avec ironie : « Des affiches illustrant la mythologie associée à cette musique susciteraient un certain émoi, et le bruit court selon lequel le doux pays du Puy du Fou deviendrait le gouffre à Lucifer. Allons, il faut raison garder ! » Il a ensuite rappelé qu’ « il n’appartient pas à un ministre de prendre position sur le bien-fondé de cette programmation ». Finalement, la non-application des normes et valeurs défendues par les « entrepreneurs de morale » précités illustre l’échec de leurs tentatives de faire interdire le festival. Produit d’initiatives politiques et associatives (Guibert, Sklower, 2012), le processus de déviance supposée de la musique metal est un échec18.

13 Les ressources sur lesquelles s’appuient les organisateurs du festival Hellfest, en particulier le capital social de son fondateur d’une part et la quasi-absence de

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comportements juridiquement déviants lors de la manifestation, contribuent à pérenniser cette dernière et à la rendre, localement, politiquement acceptable.

Le festival Hellfest : un genre musical socialement acceptable ?

Jouer la carte du réseau local et de la « paix sociale »

14 Les arguments relatifs à la « proximité » et « l’ancrage local » des organisateurs du festival – ces derniers constituants une « bande de copains passionnés » comme ils aiment à le rappeler dans de multiples interviews –, sont mis à profits pour légitimer la manifestation. Benjamin Barbaud, âgé de 33 ans et Clissonnais d’origine, est titulaire d’un BTS « Boissons, vins et spiritueux ». Il organise, depuis le début des années 2000, des festivals de musiques punk, hardcore et metal : le Furyfest de 2002 à 2005 avec 400 spectateurs la première édition (organisé successivement, pour des raisons économiques, à Clisson, Rezé et au Mans), puis le Hellfest depuis 2006 avec l’argent obtenu grâce à ses allocations de chômage. « Je suis sorti d’un BTS, j’ai commencé à bosser grâce à ce diplôme mais tout en continuant à organiser ce qui s’appelait à l’époque le Furyfest, et puis un beau jour après l’édition 2002 du festival, l’événement avait généré assez de bénéfices pour me salarier… les choses ont commencé comme ça, vraiment par hasard, jamais je n’aurais imaginé pouvoir vivre de cette passion19. » Mobiliser le « capital d’autochtonie » (Retière, 2003) et réactiver des relations locales sont cependant nécessaires selon Benjamin Barbaud pour maintenir l’organisation du Hellfest à Clisson : « Je suis de Clisson, j’y habite depuis 23 ans en fait. L’avantage c’est qu’à la sortie du Furyfest en 2005, avec le marasme financier causé par nos patrons, on s’est retrouvé sans rien, et j’ai pu trouver à Clisson des gens que je connaissais : les élus sont soit mes anciens profs, soit des amis de mes parents, soit mes éducateurs sportifs, etc20. » Organisé par des passionnés de musique « extrêmes », les réseaux et les relations des responsables d’Hellfest Productions ne permettent toutefois pas de mobiliser des leviers économiques auprès des élus de la région et du département, c’est-à-dire au-delà du champ politique local de Clisson. Personnellement concerné par l’établissement de partenariat avec les pouvoirs publics, Benjamin Barbaud déplore, comme précisé plus haut, le traitement inégal réservé au Hellfest à l’inverse d’autres manifestations comme « Les Eurockéennes », souhaitées voire directement sollicitées par des collectivités. Les organisateurs du festival Hellfest sont en quelque sorte soumis à une « autonomie contrainte » à l’égard du champ politique à l’échelon régional : « À la Région ou au Département tu as souvent des élus ou des gens embauchés qui connaissent. Donc là on n’a pas du tout ce problème d’appartenance à un pseudo milieu sataniste, sectaire ou je ne sais quoi. Mais par contre c’est quand même de la distribution de cacahouètes, pour dire ‘‘regardez, on vous donne quand même un peu de sous’’. Mais quand on voit ce qui est distribué à certains autres festivals, certes ‘‘grand public’’, mais pas toujours aussi gros que nous… ‘‘Oui mais Monsieur Barbaud, ce festival a été créé à la demande de la Région’’. Les Eurockéennes ont été créées à la demande du Territoire de Belfort, Rock en Seine a été créé à la demande de la Région Ile de France, et ils leur donnent le chéquier. Moi on m’a dit ‘‘Monsieur Barbaud vous êtes là c’est bien, ça fait vivre l’économie locale, vos festivaliers sont gentils, bon on vous donne un petit truc’’. J’ai 1 % de subventions et les Eurockéennes c’est 40 %21 ! »

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15 D'autant que, rappelle l’avocate de l’association Hellfest Productions Françoise Trouvat suite au jugement de l’affaire l’opposant à l’action menée en justice par la Confédération Nationale des Associations Familiales Catholiques (CNAFC), il « n'est fait état d'aucun incident, d'aucune atteinte grave au droit des personnes22 ». Les rapports de la brigade de gendarmerie chargée de la sécurité sur le site lors de la manifestation ne font d’ailleurs écho d’aucun débordement. Seules quelques interpellations ont eu lieu en 2010 par exemple (consommation de stupéfiants et alcool). Les organisateurs du festival doivent chaque année justifier le bon déroulement de la manifestation, comme ce fut le cas en 2008 : « Et on peut le démontrer par les conclusions de la Préfecture : à chaque fin de festival on se rencontre avec les institutions, et il y a évidemment un débriefing sur tout ce qui s’est passé, et il n’y a rien eu : un gars s’est fait choper avec des ecstasys, il n’était pas du festival mais était là pour faire du business comme partout à n’importe quel grand rassemblement, ensuite il y a eu 3 gars qui se sont fait contrôler positifs à l’alcoolémie au volant, dont 2 qui étaient des vieux Clissonnais qui sortaient d’une cave à vin et qui étaient tellement habitués à jamais voir de flics le week-end, ne se sont pas méfiés et sont fait choper ivre-morts23. »

16 Pour Yoann le Nevé, un des organisateurs et fondateurs du festival, « Les gendarmes sont mêmes contents de venir ici au festival. Certains écoutent du ‘‘metal’’… Ils préfèrent venir faire la sécurité au Hellfest que dans d’autres festivals, parce qu’ils savent que chez nous, il ne se passe rien24 ! ». Aussi, Benjamin Barbaud, le directeur du Hellfest, affirme que : « Il faut accepter d'être catalogué par certains bien pensant et conservateurs ; nos partenaires, qu'ils soient publics ou privés, savent faire la différence. Le metal a toujours eu cette image anticonformiste. Le Hellfest, ce n'est pas un festival consensuel. Les attaques ont toujours existé. Ce n'est ni la première, ni la dernière. Je ne vais pas aller faire un festival consensuel avec une vache et une trompette ! Hellfest, c'est le seul festival rock de la région. On assume le rôle du Hellfest. On n'a rien à se reprocher25. »

Des pratiques différenciées pour un même espace physique

17 Dans le supermarché local se côtoient des populations dont les manières d’investir l’espace sont différentes tant dans les façons de s’habiller que dans celles de se déplacer – seul ou en groupe –, etc. Cette double modalité d’appréhension de l’espace physique fait cohabiter deux usages différenciés du magasin. Comme le dit Pierre Bourdieu « cet espace est défini par la correspondance, plus ou moins étroite, entre un certain ordre de coexistence (ou de distribution) des agents et un certain ordre de coexistence (ou de distribution) des propriétés » (Bourdieu, 2003). C’est parce que la proximité spatiale est potentiellement génératrice de tensions et que « le respect de l’éloignement ou, mieux, de l’être-loin » (Bourdieu, 1998) ne s’affirme pas réellement, que la population locale a pu – ou peut encore – voir dans cet arrivage massif de festivaliers, temporellement très situé, une certaine appréhension (mais l’analyse pourrait sans doute s’exprimer en des termes à peu près similaires pour un festival de ). Pour autant, des comportements bousculent la vie ordinaire du lieu : « Le rituel, loin d’effrayer, donne le sourire aux employés du Leclerc. Dans les rayons de l’hypermarché […], un metalleux pousse un hurlement bestial, repris en écho par tous le magasin26. »

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Les usages différenciés d’un même espace marchand

(photographies de l’auteur, juin 2010)

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Les usages différenciés d’un même espace marchand

(photographies de l’auteur, juin 2010) Tandis que la clientèle « ordinaire » du supermarché local achète les produits « ordinaires », les festivaliers – en groupe – dans leurs habits d’apparat pour le Festival, achètent de quoi se nourrir et de quoi consommer de l’alcool. La direction du supermarché profite d’ailleurs largement de l’événement pour alimenter massivement les rayonnages en bières de toutes sortes. En trois jours, 16 000 litres de bières et 6 000 baguettes sont vendues dans le Leclerc de Clisson, situé à proximité du site du festival.

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Le centre-ville de Clisson aux couleurs du metal

(photographies de l’auteur, juin 2013)

Le centre-ville de Clisson aux couleurs du metal

(photographies de l’auteur, juin 2013) Si les rues piétonnes de Clisson sont, pendant le festival, largement investies par les festivaliers, vêtus à la mode metal (couleur noire dominante), une part importante des magasins voient leurs vitrines modifiées au couleur de la musique metal, profitant d’une importante clientèle de passage.

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18 Les appréhensions des commerçants se dissipent toutefois d’années en années : « La première fois, c’était impressionnant. Mais ils sont adorables. Et c’est rigolo. Ils achètent surtout du gel antiseptique pour les mains et des bouchons d’oreille ! » indique la pharmacienne de Clisson. Le directeur du Leclerc précise quant à lui les festivaliers constituent « une clientèle bonne enfant, propre et de plus en plus organisée27 ».

Une surreprésentation de professions et catégories sociales « supérieures » et de diplômés de l’enseignement supérieur

19 La musique metal renvoie à « une multitude de genres et de sous-genres musicaux dont les racines plongent à la fin des années 196028 » (Guibert, Hein, 2006). Style musical quadragénaire, le metal n’a pas (encore ?) été soumis au phénomène des cycles de vie des productions culturelles par l’intermédiaire de recodages symboliques notamment. La musique metal, bien que techniquement « pointue » et élitiste (au sens techniciste du terme) reste attaché à la culture populaire, à l’inverse du jazz par exemple qui constitue pleinement un domaine de la culture légitime. Or, l’hétérogénéité sociale du public du festival Hellfest confirmée par les résultats du questionnaire renforce l’idée selon laquelle la musique metal est finalement assez peu représentative d’un goût exclusivement populaire. Pour Benjamin Barbaud, « on est reconnu maintenant, avec tout ce qu’on a du essuyer, tout les préjugés liés à l’esthétique musicale n’a pas été facile maintenant il y a énormément de gens de façon locale, que ce soit les habitants ou les élus de la commune de Clisson, la région, la préfecture, les services de gendarmerie, ils sont tous quasiment maintenant pro-Hellfest, ce qui veut dire qu’on a réussi à se mettre dans la poche tout l’environnement autour du festival, ce qui est déjà super bien. Ces gens là ne sont plus du tout apeurés par cette manifestation, ni par le public qui y participe, ni par les groupes, ce qui est déjà un gros pas de fait29 ».

20 Les tendances principales issues des réponses du questionnaire de 2011 auprès d’environ 8 700 festivaliers permettent d’établir des interprétations sur les propriétés sociales des festivaliers, à partir des variables classiquement mobilisées pour ce type d’enquête. Ainsi, à plus de 4/5 (81 %), les festivaliers sont des hommes, ce qui atteste que ce genre musical est très sexué. Le « plus haut niveau de diplôme obtenu » – à mettre toutefois en regard avec l’âge moyen des festivaliers, plus de 26 ans (voir plus loin) – témoigne d’une population largement diplômée. Près de 70 % des enquêtés possèdent, au moins, un bac général ou sont diplômés du supérieur (BTS/IUT, licence, master, ingénieur, etc.). Les festivaliers titulaires d’un bac professionnel, d’un CAP/BEP ou « sans diplôme » ne représentent, en cumulé, que 25,3 % de la population interrogée contre 46 % à l’échelle de la population française30. Le Hellfest, comme les concerts de rock, est fréquenté par une population dont le capital culturel de ses individus est, statistiquement, plutôt élevé. Cette analyse est concomitante des résultats de l’enquête menée par le Ministère de la Culture en 2008. Concernant la fréquentation des spectacles chorégraphiques et musicaux – et si l’on exclut la variable de l’âge –, les concerts de rock font partie des spectacles fréquentés par une forte proportion de diplômés du supérieur, davantage que les concerts de variété et de music-hall, autant que les concerts de jazz, mais moins que les concerts de musique classique (Lacroix, 2011).

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Graphique 1 : Distribution des festivaliers selon le plus haut diplôme (ou équivalent) obtenu

(Source : questionnaire, 2011).

21 L’occupation la plus récurrente est celle d’étudiant (plus de 20 %) devant ouvrier (9,8 %) puis ingénieur ou cadre technique d’entreprise (9,5 %). Ces données contredisent dès lors, à l’égard des « fans de metal », les discours stéréotypés plaidant plutôt pour « l’oisiveté », la « marginalité », l’échec scolaire et/ou les difficultés d’insertion professionnelle. Les demandeurs d’emploi ne constituent que 6 % de l’échantillon (contre 10 % à l’échelle de la population active française), soit un pourcentage faible au regard d’une population relativement « jeune », l’âge moyen des répondants étant de 26 ans alors que celle de la population française est de 39,6 ans en 2010 selon l’INSEE. La proportion de demandeurs d’emploi serait nettement plus élevée si était prise en compte la distribution de la population française selon la pyramide des âges identifiée au festival Hellfest. Au sens du BIT, le taux de chômage en France métropolitaine passe, en 2013, de 22,8 % de la population active pour les 15-24 ans à 9,2 % de la population active pour les 25-49 ans31. Le coût du pass (journée : 60 € ; les 3 jours : 160 € en 2011) et le fait que l’enquête soit en ligne – malgré la « démocratisation » de l’accès à internet – contribue sans doute à minorer le nombre de demandeurs d’emploi et d’individus issus de classes populaires.

Tableau 2 : Occupation principale des festivaliers

(Source : Questionnaire, 2011)

22 En cumulé, les festivaliers de plus de 31 ans représentent pourtant près de 33 % des répondants au questionnaire (contre 63 % environ au sein de la population française). Aussi, si « sortir reste une caractéristique de la jeunesse comme le montrent toutes les études réalisées dans ce domaine » (D’Angelo, 1997), le Hellfest se caractérise, bien

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qu’en deçà des moyennes statistiques relatives à la population française, par une proportion importante de festivaliers trentenaires (24,6 %) et quarantenaires et plus (8,2 %). Le coût du « pass » ajouté aux frais engagés pour l’hébergement et le déplacement constituent une raison qui fait obstacle à l’intensification de la fréquentation du festival chez les plus « jeunes », disposant statistiquement de ressources économiques limitées (lycéens, étudiants). Ainsi, le camping du festival est plébiscité par deux tiers des festivaliers âgés de moins de 20 ans, contre moins de 29 % des festivaliers âgés de plus de 41 ans. Les hébergements marchands, type hôtel et gîtes, sont quant à eux préférés par 19 % des festivaliers âgés de plus de 41 ans contre 4,6 % des festivaliers âges de moins de 20 ans.

Tableau 3 : L’âge : une population hétérogène

(Source : Questionnaire, 2011)

23 Enfin, même si l’on retrouve ce constat tendanciellement pour l’ensemble de la population française, la profession des pères renseigne sur le fait que les festivaliers interrogés sont globalement plus diplômés et/ou occupent des professions plus élevées dans l’espace social que leurs pères (où l’occurrence « ouvriers » est, de loin, la plus citée avec près de 16 %). Ceci illustre l’idée de mobilité sociale et scolaire selon laquelle une part importante des festivaliers est en situation, quoique relative, d’ascension sociale.

La territorialisation des normes sociales « acceptables »

24 L’origine géographique des festivaliers fait par ailleurs apparaitre des disparités à l’égard de fréquence à s’habiller « à la mode metal dans la vie de tous les jours ». Les répondants issus des départements de la région parisienne (77, 75, 78, 94, 91) du Nord- Pas-de-Calais (59, 62) et la Manche (50) sont ceux qui déclarent le plus souvent s’habiller régulièrement « à la mode metal » (entre 34 % et 43 %). L’existence de festivals économiquement pérennes de musiques metal en Belgique est bien antérieure à la France (une décennie environ) et explique sans doute en partie les taux élevés repérés dans les départements du nord de la France. Le « Graspop Metal Meeting » est ainsi organisé depuis 1996, le « Durbuy Rock Festival » depuis 1997, le « Metal Female Voices Fest » (spécialisé dans les groupes avec chanteuses) depuis 2003. Les départements où la proportion de la population est fortement rurale (Vendée, Mayenne en particulier) sont ceux où les festivaliers avouent le plus souvent ne jamais s’habiller « à la mode metal » (respectivement 28 % et 25 % pour les deux départements précités). La proximité géographique du lieu de résidence avec Clisson n’impacte pas le fait de s’habiller ou non « à la mode metal ». Si on peut supposer que les festivaliers provenant de régions éloignées du festival sont de « vrais fans » et que la proportion de « curieux » ou de simples amateurs occasionnels de la musique metal sont plus

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nombreux en Loire-Atlantique et dans les départements limitrophes, les taux de réponses aux questions sur les modes d’habillement ne varient pas significativement.

25 La capacité des festivaliers à passer outre les jugements de goûts perçus comme vulgaire est donc semble-t-il territorialisée. Il est socialement plus acceptable de s’habiller en noir avec des apparats de l’univers du metal dans les grandes villes ou les zones fortement urbanisées, que dans les territoires ruraux. Les codes vestimentaires, ou « signes », sont par ailleurs plus exclusifs dans les grandes villes comme , à l’inverse de la province ou des zones rurales où les mélanges de styles vestimentaires sont moins stigmatisants : « en province, on ne porte plus des systèmes de signes, ni même des ensembles de signes, mais seulement des signes isolés, on peut s'attendre à ce que cette désagrégation du code facilite le mélange de signes qui, normalement, appartiennent à des systèmes différents. » (Delaporte, op. cit.).

Conclusion

26 Au final, après les premières années où le Festival Hellfest a du faire, en quelque sorte, ses preuves, que ce soit en termes de sécurité autour du site pendant le festival en termes d’acceptation des usages sociaux de la musique par les festivaliers ou en termes de retombées économiques et touristiques (Guibert, 2012b), cette manifestation entre peu à peu dans l’offre culturelle ordinaire de la région des Pays de la Loire. Les presses locales et nationales insistent, depuis les récentes éditions, sur les impacts économiques et touristiques du festival – « une locomotive économique » qui « rapporte gros32 » –, devenus peu à peu des arguments puissants du développement local. La diffusion sociale du metal dans les franges des classes sociales supérieures et l’échec des tentatives des « entrepreneurs de morale » de faire avorter le festival contribuent à asseoir progressivement la légitimité culturelle des musiques metal en France.

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NOTES

1. Ouest France, « Le Hellfest s’installe dans la cour des grands », 18 juin 2012. 2. Le Monde, « La France, terre d’accueil des festivals de heavy metal », pages « Culture », 17 juin 2011. D’autres festival de musiques « metal » sont organisés à Vannes, Paris, Toulouse, Strasbourg notamment mais sans pouvoir rivaliser avec le festival Hellfest (médiatiquement, en nombre de groupes de musique et en termes de fréquentation). 3. Le poste de recettes alloué aux subventions publiques était de 61 600 € en 2010 pour un budget de 3,2 millions d’euros. Les retombées socioéconomiques du Hellfest sont pourtant réelles : près de 240 contrats de travail à durée déterminée ont été signés en 2010. Chaque année, plus de 1 000 bénévoles s’impliquent pendant la manifestation. (Source : « Dossier Club des supporters », 2010).

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4. Titulaire d’un master de géographie et ayant suivi une formation supplémentaire dans l’événementiel, Jeff Mallet est toulousain d’origine. Avant d’être recruté au sein d’Hellfest Productions, il a travaillé une dizaine d’années pour des magazines et des webzines. 5. Extrait d’entretien mené en avril 2011. Ce propos est similaire à celui de Maël Nagot, un des membres de l’organisation du Motocultor Festival (Morbihan, créé en 2008), pour qui il est urgent d’« arrêter de stigmatiser ce genre de musique. Chaque année, on a des problèmes avec les collectivités locales qui remettent en question l’existence même de notre festival » (extrait d’entretien, avril 2012). Précisons qu’il y a toutefois énormément de festivals remis en cause chaque année avec des subventions publiques supprimées, a fortiori en période de réductions des budgets des collectivités locales. 6. Ouest France, « 112 000 entrées ! Le Hellfest définitivement reconnu », 18 juin 2012. 7. Comme l’a exprimé Jean-Marie Seca lors d’une intervention à une Journée d’étude sur le rock et le metal, mai 2011. Voir Laura Maschio (2011). 8. Yoann le Nevé, originaire de Vannes et âgé de 38 ans, est administrateur et trésorier de l’association Hellfest Productions depuis sa création en 2006. Il a accompagné Benjamin Barbaud dès 2004 à l’époque du Furyfest en qualité de stagiaire. 9. Ouest France, « Hellfest à Clisson, un festival qui rapporte gros », 15 juin 2011. 10. Dans une enquête portant sur 281 lycéens, Jean-Marie Seca indique que « 74,7 % des lycéens estiment, en effet, qu'il y a un grand rapport entre la musique qu'on écoute et les vêtements qu'on porte. » 11. D’autres recherches en sciences sociales insistent sur le rapport entretenu entre l’apparence corporelle et le genre musical écouté. Voir notamment, Mauger G., Poliak C. (1983), Peterson (1992). 12. L’intervention de Gérôme Guibert intitulée « Le Hellfest comme sphère publique » à la journée d’étude « Les valeurs du Hellfest » en mars 2012 à la Maison des Sciences de l’Homme de Nantes témoigne des transformations, dans le temps, des traitements journalistiques du festival dans la presse écrite. 13. Ouest France, « 80 000 fans de métal en liesse au Hellfest », 20 juin 2011. Si le propos des articles du quotidien Ouest France en 2006 et 2007 maintenaient une certaine distance au Hellfest, les publications relatives à l’édition de 2011 plébiscitent dorénavant l’événement : « Est-ce l'habitude de vivre l'ambiance des festivals qui rend le public d'inconditionnels de musique métal aussi soft et discipliné. On a tellement dit sur ces amateurs de musique extrême. Que leur look tiré sur le gothique, leur musique aux paroles provocantes étaient autant d'atout pour les marginaliser, qu'on s'étonne presque de découvrir des fans de musique qui ont envie de vivre leur passion pendant plusieurs jours sans plus de dommages pour les populations. » 14. Les objectifs de l’association « Catholiques en campagne » sont explicites comme en témoigne la présentation du site internet : « Le collectif ‘‘Catholiques en campagne’’ a été créé, à l’occasion de l’élection présidentielle de 2007, pour proposer et rappeler l’alternative catholique comme solution aux maux dont souffre notre pays. Il décide aujourd’hui, au regard de l’intérêt de la démarche entreprise et des résultats enregistrés de pérenniser son action de mobilisation des catholiques dans la vie politique. Le collectif regroupe des associations catholiques, des personnalités politiques, des familles et des personnes qui ont en commun l’ardent désir de christianiser la société, en plaçant sous le règne du Christ non seulement les individus mais tout autant les lois et les institutions, afin d’une part de donner aux Français un environnement favorable à leur épanouissement matériel moral et spirituel, et d’autre part de rendre à la France sa grandeur et son rayonnement. » Source : http://www.catholiques-en-campagne.fr, en ligne, [page consultée le 2/12/2011].

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15. Constitué de cercles, ce mouvement « s’articule autour de trois piliers fondamentaux que sont la prière, la formation et l’action. » Source : http:// francejeunessecivitas.hautetfort.com, en ligne, [page consultée le 2/12/2011]. 16. Idem. 17. S’adressant au ministre de la Culture, le député Patrick Roy indique lors de son intervention en séance publique : « En 2009, le mensuel culturel RockHard a consacré un numéro spécial au Hellfest, que je vous ferai parvenir. Ce que vous pourrez lire dans ce journal tranche avec les propos d'un autre temps, profondément blessants, violents et diffamatoires, tenus par Philippe de Villiers d'abord, au cours d'un meeting dans la belle ville de Nantes devant François Fillon ; par Christine Boutin ensuite, dans un courrier dicté par le diable adressé à une grande marque de bière, sponsor du Hellfest. » Un feu d’artifice a été proposé lors du festival de 2011, en l’honneur de ce « défenseur du metal », décédé quelques semaines plus tôt. 18. Il n’en est pas de même dans certains pays comme en Irak où, toutes proportions gardées, « des adolescents au look rock et branché sont pris pour cible depuis quelques semaines [à cause] de leur apparence, jugée « diabolique » et « efféminée » par des islamistes » (Source : France24.fr, 21 mars 2012) : « Quatorze ados ont été tués en un mois, dont sept avec des pierres et cinq par balles. […] Les jeunes visés sont reconnaissables par leurs vêtements noirs, serrés et leurs cheveux longs. […] La police aurait encouragé des punitions exemplaires contre ces jeunes, accusés de satanisme et de vampirisme » (Source : 20Minutes Suisse, 12 mars 2012). 19. Source : http://www.vs-webzine.com, en ligne, [page consultée 5/12/2011]. 20. Interview de Ben Barbaud, http://www.decibels-storm.com, mai 2008, en ligne [page consultée le 5/12/2011]. 21. Ibid. 22. Ouest France, 15 juin 2010. 23. Interview de Ben Barbaud, mai 2008, en ligne : http://www.decibels-storm.com, [page consultée le 5/12/2011]. 24. Extrait d’entretien, mai 2011. 25. Le Télégramme, « Hellfest. Le festival accusé de véhiculer la mort », 28 mars 2010. 26. Aujourd’hui en France, « Un week-end en enfer », 19 juin 2011. 27. Ibid. 28. « On compte aujourd’hui plus de soixante-dix genres et sous-genres affiliés à cette vaste famille musicale. Sans compter que cette appartenance ne relève, en outre, jamais exclusivement du seul registre musical. Elle procède également de conditions sociales, esthétiques, géographiques, médiatiques, économiques et culturelles. Ce qui rend toute définition du metal particulièrement complexe, sinon impossible. » (Guibert & Hein, 2006). 29. Source : www.destination-rock.com, en ligne [page consultée le 10/01/2011]. 30. Selon l’INSEE en 2009, les sorties de l’enseignement secondaire s’élèvent à 8 % de la classe d’âge avant la fin du second cycle du secondaire, 21 % au niveau CAP et BEP puis 17 % au niveau bac professionnel et BP (source : INSEE, 2012). 31. Source : INSEE, http://www.insee.fr/fr/themes/info-rapide.asp?id=14, en ligne [consulté le 21 mars 2014]. 32. Ouest France, « Festival Hellfest : une locomotive économique », 16 juin 2009 ; Ouest France, « Hellfest à Clisson, un festival qui rapporte gros », 15 juin 2011.

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RÉSUMÉS

Le festival Hellfest, organisé près de Nantes et dédié aux musiques metal (dans son acceptation large), est publiquement et politiquement catégorisé et stigmatisé à l’approche de chaque édition au mois de juin. Si les « entrepreneurs de morale » n’arrivent pas à faire aboutir leurs aspirations, c’est que les ressources sur lesquels s’appuient les organisateurs du festival (capital social et « paix sociale ») d’une part et que les usages sociaux des festivaliers d’autre part, contribuent à maintenir ce type de manifestation dans la sphère du socialement acceptable. L’absence de faits juridiquement déviants, les sens conférés au Hellfest – en particulier la caricature et la « désymbolisation » des symboles catholiques – par les festivaliers puis les propriétés sociales de ces derniers constituent des contre-arguments aux groupes opposés au festival.

The Hellfest, a metal music festival held near Nantes, is publicly and politically categorized and stigmatized each year in June, as the event gets close. If “moral entrepreneurs” fail in their attemps to impose their aspirations, it is because the resources on which the festival’s organizers rely (social capital and “social peace”) and the festival goers’ social uses both help keep this type of event within the sphere of what is socially acceptable. The absence of illegal acts, the meanings conferred by the audience to the Hellfest - especially the caricature and the “desymbolization” of Catholic symbols – and the latter’s social features constitute counter- arguments to the groups opposed to the festival.

INDEX

Index géographique : France Keywords : concert / live / festival, perceptions / representations (cultural), practices / uses (social), religion / mysticism, Satanism, norms / autonomy / heteronomy, capital / habitus, signs / symbols / signification, class, protest / transgression / revolt, audience / spectators Mots-clés : concert / live / festival, pratiques / usages sociaux, religion / mysticisme, satanisme, signes / symboles / signification, enquête / terrain / observation participante, capital / habitus, contestation / transgression / révolte, normes / autonomie / hétéronomie, classe sociale, stéréotypes / stigmates Index chronologique : 2000-2009, 2010-2019 Thèmes : heavy metal / hard rock

AUTEUR

CHRISTOPHE GUIBERT

Christophe GUIBERT est sociologue, maître de conférences, université d’Angers (UFR ITBS), Laboratoire ESO Angers (UMR CNRS 6590). mail

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Stone Deaf Forever: Discourses of Loudness Stone Deaf Forever : les discours de la puissance sonore

J. Mark Percival

Introduction

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1 HIGH VOLUME or extreme loudness is ingrained in the aesthetics of many forms of amplified popular music, most obviously in rock and its associated sub- genres, but also in many other genres and styles including various forms of dance music, hip hop, reggae and electronic music. The primary site of expression of the notion of loud-as-good is in the performance of music in public spaces and the reproduction of discourses of loud-as- good is woven through popular music culture, from bands in tiny rehearsal studios to the world record for “loudest” band (Deep Purple, The Who or even Manowar depending on the year of publication of the Guinness Book of Records).

2 This essay is not about perceived volume in recorded music, audio compression and the so-called “loudness war”, where a heavily compressed recording can sound “loud” even at relatively low acoustic volumes (Deruty, 2011). Work elsewhere addresses the ways in which the human ear and brain perceive and process volume levels, and so underpin broader arguments about why loud-as-good might have become central to rock in particular (Blesser, 2007). This article is however concerned with discourses of loudness as they appear in music journalism and selected other texts, and the extent to which these representations reflect, reinforce, or contradict orthodox rock ideology of loud- as-good.

3 This article focuses on rock for 1969 to 1982, partly to make the research manageable but also because it is a period of Anglo-US popular music history when specialist music journalism had emerged as an influential mediator of rock culture. The research presented here starts in 1969. It is a significant year in the development of rock culture, marking the end of the psychedelic rock era and the emergence of louder, heavier sounds: the release of the first two Led Zeppelin albums; the band Earth change their name to Black Sabbath in 1969 and release their first album in 1970; The Who’s Tommy is released; Marshall Amplification changed their amplifier front panels for the forthcoming decade from the plexiglas that had characterised their products since 1963 to the now familiar gold finished aluminium (Doyle, 1993; Doyle & Bowcott, 2013).

4 This essay uses 1982 as the cut off point in its discussion of discourses of loudness in music journalism, but there is also a discussion of the film This Is Spinal Tap (1984), and an acknowledgement of the potential for future research with a brief look at My Bloody Valentine, the alternative rock band that became synonymous with extreme live performance volume levels in the late 1980s and early 1990s. 1982 marked the death of legendary rock journalist Lester Bangs at the age of 33 and perhaps the symbolic passing of an era when music writers were not only the most influential mediators of rock mythology, but often directly involved in creating those myths (Jones, 2002; Lindberg et al., 2002). It was also the year in which MTV (launched in the US in 1981) was becoming a cultural force that would change the ways in which live performances were understood (Shuker, 2012; Frith et al., 1993; Goodwin, 1993). Not only were MTV and its imitators new and powerful channels for mediation and dissemination of

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popular music, they marked a shift towards an increasing emphasis on visual spectacle and the reproduction of video performances in the live context (Frith, 1996). Key word searches of music journalism through Rock’s Backpages show a significant decline in the use of the terms loud, loudness and volume in music writing in general, and live reviews in particular from 1982 onwards. It may be that with the waning of the New Wave of British Heavy Metal (NWOBHM) towards the end of 1982 (Waksman, 2009; Tucker, 2006) and the rise of the post-New Romantic pop that formed much of the so- called second British Invasion of the US pop charts (Rimmer, 1985), that many mainstream music journalists had issues other than volume to address in live concert reviews. Waksman (2009) argues that post-NWOBHM, metal diverged into more mainstream pop-metal and underground hardcore, thrash and speed sub-genres. Speculatively, the consequences of this could have been that pop and glam metal in the 1980s became less about volume and more about the spectacle of live performance. Underground metal genres were less likely to be covered by the UK music weeklies, whilst issues of high volume may simply have been taken as understood by rock and metal press specialist publications such as Metal Hammer and Kerrang!

5 This essay begins with an account of the context and rationale for exploring the development of discourses of loudness through music journalism and elsewhere. There is then a discussion of a discourse of loudness that might be characterised as loud-as- irrational (or even loud-as-ridiculous), appearing not only in satirical texts like Spinal Tap or The Hitchhiker’s Guide but also deeper in rock culture in the form of recordings and other media. The main section of the essay explores discourses of loudness in rock criticism, and within that primarily the live concert review in specialist music journalism from 1969 to 1982. The concluding section sums up the key issues, considers the implications of the research presented here for our understanding of the historical evolution of discourses of loudness in rock, and the potential for future work in this field.

Context

6 The title of this article is a reference to Motörhead’s 2003 5CD box-set, Stone Deaf Forever which is itself a reference to an earlier Motörhead song, “Stone Dead Forever”, on 1979’s Bomber album. The 2003 box-set title alludes to both the band’s longevity and the volume levels at which the band play live, and so also serves as a clear example of rock’s discourse of loud-as-good. Where though might be the sites of reproduction of this discourse? In song titles and album names, certainly. More significant are the mediating texts around rock, which form an historical context in which evolution and circulation of particular discourses can be tracked and analysed. Whilst it is true that radio has been central to the propagation of popular sounds, styles and hits since the 1930s (Baade, 2012; Barnard 1989, 1997, 2000; Negus, 1992; Rothenbuhler & McCourt, 1992), it has been dominated by recorded music, rather than live performance since the 1950s. When radio does broadcast live performances there is little commonality between the sonic experience of being present at a live rock show and that of listening on headphones or on a portable radio set, even through amplified a high quality hi-fi system. It is in other media that discourses of loudness are reproduced, notably (though not only) in music journalism. This article explores the extent to which a discourse of loud-as-good is present in the music writing that was so

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important to the development and propagation of rock ideology in the 1970s and 1980s (Lindberg et al., 2005; Percival, 2011). The research seeks to establish how one strand of rock discourse (loud-as-good) is woven through a broader set of ideological values associated with live music performance, and to consider the implications of that discourse. As a first move towards a wider ranging consideration of discourses of volume, my focus here is on accounts of live music performance. A critical analysis of live music reviews and the ways in which volume is associated positively or negatively with the perceived aesthetic value of a specific performance affords an opportunity to explore the underpinning ideology and myth-making of one strand of late 20th century popular music culture. The research presented here suggests that the discourse of loud-as-good was indeed present in rock writing from 1969-1982, but that there is also a competing discourse of loud-as-bad.

Loudness and meaning

7 Waksman (2009), in his discussion of the continuum between heavy metal and punk notes that both genres use high volume levels in live performance, but argues there are different connotations of this volume: for metal loud means power, for punk loud means noise. The former is about solidarity and communication with an audience, the latter about disrupting aesthetic norms and intentionally causing discomfort to a perceived other (the “oppression” of rock and the perceived conservatism of mainstream popular culture). Waksman quotes Walser (1993), who attempts to explain why volume matters in heavy metal: “Loudness mediates between the power enacted by the music and the listener’s experience of power … The music is felt within as much as without, and the body seemingly hailed directly.” (Walser, 1993: 45, quoted in Waksman, 2009: 164)

8 Waksman and Walser are most interested in what volume means for genre and performance in metal but the primary concern of the research presented here is the ways in which volume is represented in terms of discourse in and around rock more generally (as opposed to metal or punk). In much of the music journalism addressed below, there are examples of a phenomenon identified by Cloonan & Johnson (2002), in relation to extreme levels of sound at live performances, when they suggest that “the negative term ‘noise’ is re-appropriated […] and worn as a badge of pride” (34). They argue that for some fans at least, endurance of the pain or discomfort caused by very high sound levels can be central to the live music experience. They also characterise the consumption of live music at extreme volume levels as part of, “an ‘in your face’ approach to making or writing about music [which] is used deliberately to alienate those not sharing the same musical tastes, as a means of demarcation” (34). This essay shows that music journalists deploy discourses of loudness in several different ways, often as a way of demarcating themselves from not only mainstream popular culture, but also from other members of the audience. Cloonan & Johnson (2008) return to issues of volume as part of a wider ranging discussion of music and violence. Amongst other things they also consider the gendering of loudness discourse, pointing to work by Bosma (2005)1 which suggests that: “As sounds came to be mediated technologically, and as technology became itself masculinised, so did loudness become increasingly associated with masculinity.” (Cloonan & Johnson, 2008: 45)

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9 The work presented in this essay is not explicitly concerned with gender but there are clearly gender issues present. None of the music journalists here are women, and only one band mentioned in passing (in a Ted Nugent live review, no less) features any women in the line-up (X-Ray Spex, with Poly Styrene and Lora Logic). It would therefore not be difficult to situate these discourses of loudness in popular music as male-gendered, even musculinist. Arguably, it is this gendering of loudness discourse that is at least in part the target of satirical representations of rock’s interest in high volume live performance. The next section addresses some key examples of loud-as- funny or more precisely, loud-as-irrational.

Loud As Irrational

10 The cultural pervasiveness of loud-as-good discourse in rock music from the late-1960s and on through the 1970s, along with rock’s aura of seriousness made it perhaps inevitable that this particular aspect of rock ideology would satirised. This section discusses two high profile satirical treatments of the irrationality of very high volume levels and their parallels in real-world rock culture. Perhaps the most well-known humorous treatment of loud-as-good is in Rob Reiner’s 1984 film, This Is Spinal Tap. At a time index of 23.00 minutes in the UK standard DVD release, Christopher Guest’s character, the volume-obsessed lead guitarist Nigel Tufnel is demonstrating to fictional onscreen director Marty Di Bergi2 his customised amplifier, a Marshall Super Lead head.3 This is a slightly edited transcript of the key dialogue: Nigel: You’re on 10 on your guitar … where can you go from there? Where? Nowhere. Exactly. What we do is, if we need that extra push over the cliff … you know what we do? Marty: Put it up to 11? Nigel: 11. Exactly. One louder. Marty: Why don’t you just make 10 louder and make 10 be the top number, and make that a little louder? [Long pause from Nigel while he stares at the amp, confused by the question.] Nigel: These go to 11.”

11 The expression “these go to 11” (and variations thereof) has become cultural short hand for a product or cultural experience that is excessive, as often unironically as in its original satirical intent. Whilst this scene from the original movie is justifiably famous, it wasn’t the end of Nigel Tufnel’s association with British amplifier manufacturer Marshall. Tufnel appears in print advertising and in a 1990 short film, 20 as part of the promotional campaign for Marshall’s then new range of amplifiers, the JCM900 series. This series of amps which had the same nominal 100W power output as their predecessors, used a volume scale of 0-20 rather than the traditional 0-10. Tufnel observes in the poster and magazine promotional campaign for the new range that the amps are therefore “9 louder” than his previous loudest amp setting of 11. In the promotional video 20, Tufnel is interviewed by Marty Di Bergi-esque figure. “Do you”, he is asked, “envision any music that you will be creating in the near future necessitating even more volume, louder than 20?”. Tufnel responds: “Yes, I do. Um, perhaps as loud as 30 actually. And I’ll describe to you why. The music I am now doing on my own, solo, is purely decibel related. No more ‘chord patterns’, so to speak. All just bursts of noise, which for me, makes it necessary to have 20 or more, you see […]. A lot of people who worked on the [Atom] Bomb actually work for Marshall. It’s the same sort of engineering.”4

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12 Two years later for Spinal Tap’s 1992 world tour, Marshall constructed for Tufnel/Guest a custom-designed guitar whose body was a miniature Marshall amplifier stack (Doyle, 1993). This is a reflection of the counter-intuitive way in which Spinal Tap, a fictional band, was almost immediately embraced by mainstream rock culture whose participants were apparently more than happy to be seen to be able to laugh at themselves and the more absurd aspects of music industry. In the case of Marshall Amplification, the company and Jim Marshall himself were happy to use a fictional and dim (if hilarious) parody of a lead guitar player in their promotional campaigns. Crucially, it was not the hardware itself that was being mocked, rather it was rock culture more broadly—a culture which was happy to be seen to be capable of laughing at itself.

13 In the dominant high seriousness and obsession with authenticity that dominated rock culture in the 1970s it is however possible to overlook an early example of rock’s self- awareness. In late-1972 Deep Purple released what is now considered to be one of the most definitive live concert albums, Made In Japan. At the end of the song, “Smoke on the Water” lead singer Ian Gillan, addressing the band’s front-of-house sound engineer at the Tokyo Nippon Budokan show of 17 August 1972 says, “Yeah, everything up here, please. A bit more monitor, if you got it.” Off-mic, guitarist Ritchie Blackmore asks, “Can I have everything louder than everything else?”. Gillan, obviously amused, repeats the request for the sound engineer, “Yeah, can he have everything louder than everything else!”

14 Deep Purple by the time of Made in Japan in 1972 are demonstrating parallel discourses of unironic loud-as-good and self-aware loud-as-irrational. On the other hand, an undoubtedly serious example of loud-as-good was in lead guitarist Blackmore’s stage use of Marshall’s then loudest guitar amplifier series, the Marshall Major. The Majors were rated at 200 watts, though measured by one Marshall-certified repairs engineer at 240W before entering clipping/distortion, and around 400W at maximum volume (Phillips, 2007). In other words, very loud indeed. Blackmore genuinely and apparently unironically did not consider these amplifiers to be loud enough for Deep Purple’s stage shows and so had them customised for even greater volume (Babequ, 2007). Yet it is Blackmore that makes the original “louder than everything else” comment on the Made In Japan recording, suggesting his awareness of the irrationality of loud-as-good in terms of stage sound. The contradiction is really only apparent from outside of rock culture—Blackmore himself seems perfectly at ease with working in an environment where both discourses co-exist.

15 There is another issue raised by this Deep Purple example, that is, the contrast between onstage sound and front-of-house sound at a live performance. The sound that bands hear onstage is often very different from the sound heard by the audience, hence Ian Gillan’s request for “more monitor”, meaning his wish to hear either higher overall levels of sound on-stage or, as is more often the case, a relatively higher level of one part of the mix (for example lead vocals, or lead guitar). When music critics describe the loudness of a band they are probably referring to the sound levels coming from the front-of-house PA system, regardless of how impressive the Marshall speaker stacks behind the band. This isn’t to say that bands like Deep Purple didn’t play at high volume on-stage, just that in large venues even high stage levels are only a small part of the overall sonic experience in the hall.

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16 Blackmore’s original quote, captured on Made In Japan, has become so embedded in rock culture that Motörhead used it as the title of a 1991 VHS full-length concert video recording of a Münich show from March of that year, Motörhead Live: Everything Louder Than Everything Else (1991), a self-aware reference to the band’s reputation for extreme sound levels and simultaneously an acknowledgement of the absurdity of very high volume performance. The band evidently liked the title enough to reuse it in a slightly modified form for a 1999 double-CD live album, recorded the previous year in Hamburg, Everything Louder Than Everyone Else.5 Given Motörhead’s on-going use of high sound levels both on stage and front-of-house, these references to loudness take Blackmore’s original question and its implicit loud-as-irrational discourse towards a more complex and knowing “we-know-loud-is-irrational, but we still love it and the fans love it too, even though they also know it’s ridiculous”. By the end of the 1970s, parodies of mainstream rock culture had appeared in a number of media—Spinal Tap’s first appearance had been in 1979 in a broadcast US TV pilot (Wikipedia, 2014), The T.V. Show in which they played a satirical, original song, “Rock and Roll Nightmare” (Saunders, 2009).

17 In the UK, Douglas Adams’ 1980 science fiction comedy novel Restaurant At The End Of The Universe had a subplot featuring the “plutonium rock” band, Disaster Area. The concept was developed in the 1981 BBC Television adaptation of Adams’ The Hitchhiker’s Guide To the Galaxy. In the television version, the narrator describes the fictional band’s stage show: “[Disaster Area are] generally held to be not only the loudest rock band in the galaxy, but in fact the loudest noise of any kind at all. Regular concert goers judge that the best sound balance is usually to be heard from within large concrete bunkers some 37 miles from the stage, while the musicians themselves play their instruments by remote control from a heavily insulated spaceship which stays in orbit around the planet, or more frequently, around a completely different planet […]. Many worlds have now banned their act altogether, sometimes for artistic reasons, but most commonly because the band’s public address system contravenes many local strategic arms limitations treaties.”6

18 Whilst Adams elegantly exaggerates for comic effect, he also accurately captures the absurdity of the competition between bands to be “loudest” in terms of measured decibels, variously in the 1970s Deep Purple, The Who and of course Motörhead. I include this example not just because it is funny but because it is an early and sophisticated appearance of rock culture satire in other media, and probably the first to do so in the context of a science-fiction comedy. More importantly, the idea of a concert being so loud that it sounds better a very long way from the stage is one which is less ridiculous than Adams had perhaps imagined, as will become apparent shortly.

Music Journalism and Discourses of Loudness—1969 to 1982

The music journalism discussed here was retrieved through Rock’s Backpages,7 and whilst the intention of this research was not to do quantitative analysis, almost 100 articles were gathered, mainly live reviews.

19 An early example of a journalist using a discourse of loudness to frame the audience as other appears in Mike Jahn’s March 1969 piece on the MC5, in Pop Scene Service. The writing here recalls Cloonan and Johnson’s (2002) argument around the use of high

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volumes in live performance as a tool of demarcation, of alienating those with different music tastes. In this case however the demarcation is rather more nuanced, as Jahn seems to understand the intentionality of the volume, even if he himself is excluded by virtue of his age rather than as a consequence of his own taste in music. “Their music is loud; “high-energy”, they call it. At first, it sounds like one big roar, with individual parts barely discernible. As a matter of fact, you might as well forget it if you are over 19 or 20. I am 25 and supposedly a specialist at this music, and I am having trouble.” (Jahn, 1969)

20 Jahn feels old at 25, in an audience that he characterises elsewhere in the article as “14 or 15” years old. So, several years before the argument was codified in advertising for a 1978 Ted Nugent live album (about which more later) Jahn is making an argument that extreme volume is not for older rock fans. This is part of another, well documented discourse of rock and youth (Frith, 1981; Keightley, 2001), here with an upper limit of 20. There is a clear association between a socially constructed aesthetic of “energy” and the physicality of very loud music, despite the fact that detail of sound is lost in the high volume. Another Detroit band, The Stooges is tackled by Jahn in an April 1970 New York Times feature: “Musically, the image presented by the phrase “a wall of sound” is appropriate. The Stooges’ music, for all practical purposes, is one big noise that throbs. The parts are at first indistinguishable from each other.” (Jahn, 1970)

21 Here the phrase, “wall of sound” is used to describe a musical phenomenon somewhat different to Phil Spector’s 1960s reverberant and densely layered record productions. The Stooges’ “wall” is constructed through the overwhelming volume levels of their live show, but Jahn is again ambivalent about its aesthetic value. “One big noise that throbs” may or may not be a good thing, depending it would seem on whether an audience is interested in distinguishing one instrument from another, even if for most non-musicians this can be a problem at any volume level.

22 There were other bands whose association with extreme volume pre-dated the emergence of The MC5 and The Stooges, one of which was British group, The Who. The band released their fourth studio album, Tommy (a “Rock Opera”) in 1969, then toured in support of the album, arriving in July 1970 at New York City’s Metropolitan Opera House (often referred to by the contraction, “The Met”). Al Aronowitz, writing in Rolling Stone, observes that despite the progressive intentions of the Tommy project, the crowd were expecting more than a straight reading of the songs from the album: “From the audience, there were calls of ‘LOUDER!. . . LOUDER!. . .’. ‘It gets louder later,’ Townshend replied. Actually, it got so loud it hurt your ears and you still couldn’t hear anything beings sung or said.” (Aronowitz, 1970)

23 The Met, unaccustomed to hosting heavily amplified music, had hired ushers from the Fillmore East, NYC’s cool East Village venue to cope with the hippies and rockers. Yet in terms of volume, The Who made no concession to the venue. What seems surprising here is than an experienced Rolling Stone journalist, and pre-Warhol manager of The Velvet Underground, rejects the discourse of loud-as-good, alluding instead to hearing damage and suggesting that volume in itself makes no aesthetic sense if traditional markers of rock musicality (melody and lyric) can’t be discerned. Like Jahn on The MC5 and The Stooges, Aronowitz uses volume levels to distinguish himself from the paying fans at the show. Unlike Jahn however, he is more unequivocal in his critique of volume levels—he doesn’t like it at all.

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24 In December of the following year in Crawdaddy!, John Swenson’s live review of The Who at New York City’s Madison Square Garden describes the potential for high volume with a sense both of vague threat (from his perspective) and of anticipation (the audience, as other): “The crowd waits reverently, attention vaguely focused on the massive half-ton fortress of amplifiers looming in the shadows of the dimly lit stage.” (Swenson, 1971)

25 Swenson appears to be more ambivalent than Aronowitz about loud-as-good, but the rest of the article, part live review, part short feature, is a glowingly positive assessment of The Who. Nevertheless, in his invocation of amplification-as-monolithic- building there is a sense of the physical embodiment of loudness in amplifiers and speaker stacks which foreshadows the visceral experience of the volume to follow.

26 Another British band, Black Sabbath were building a reputation for playing loud, and not only in live performance. In the November 1970 issue of Beat Instrumental, guitarist Tony Iommi explains to an uncredited writer why loud is good: “It’s just the way we are - heavy music like ours gains a lot of the weight from volume. There’s an old barn in Wales where sometimes we go to rehearse, actually it’s a room belonging to Future Sound Studios. We played so loud one night that a lot of the tiles on the roof cracked and fell off.” (Anonymous, 1970)

27 This is a rare example of the heaviness (or otherwise) of rock music being described as weight by a player. Music had been described by critics as heavy or light for decades before metal, but Iommi’s use of the term ‘weight’ makes an explicit link between the physicality of extreme volume and the aesthetic interpretation of that music, its heaviness. The implication here is that Sabbath’s music is good, at least in part, because it is very loud indeed. In a January 1971 issue of Record Mirror, Iommi develops the link between volume and aesthetics: “We play loud because we like to build up an atmosphere in the hall—something which is almost physical and can totally involve and absorb the audience. The only people who complain about our being loud appear to be the writers but we never get any complaints from our audience.” (Altham, 1971)

28 Again, the physicality of Black Sabbath’s volume is understood by Iommi to be not only loud-as-good, but also focussed through the lens of the audience who are “absorbed” by the atmosphere apparently created by the high volumes. Also present here is the notion of journalist-as-other who cannot understand music in the same way as fans. In this example though it is a musician making the argument that rock critics are not like fans, and for this reason it is the music writer that is wrong. The key issue though is Iommi’s objection to rock critic discourses of loud-as-bad, particularly when it is used to critique Sabbath.

29 Black Sabbath’s hard rock contemporaries Deep Purple were named the loudest band in the world by the Guinness Book of Records in 1975 (McWhirter & McWhirter, 1975), for a concert at the Rainbow in 1972 at which three audience members were “rendered unconscious”, as consequence it is implied, of the volume. Given the likely consumption of alcohol and other drugs at the concert it may of course be that noise levels alone were not solely responsible for the fate of the fainting rock fans. This though is irrelevant—the important aspect of the World Record story is that volume is cited as being capable of knocking out gig-hardened rock fans, and that this says something positive about the show in question. Perhaps this might be characterised as a discourse of loud-as-good, but only if you’re tough enough to take it.

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30 The previous year, Deep Purple bass player Roger Glover, in an interview with Melody Maker journalist Chris Charlesworth is clearly happy to be part of loud-as-good discourse, though nervous about the ease with which that can become loud-as-bad: “We are a loud band and the last thing we want is to become a loud mess. There’s nothing worse than that.” (Charlesworth, 1971)

31 Again, it is not clear whether Glover in 1971 meant the stage sound or the front-of- house sound which as noted earlier, are often completely different. In either case though Glover demonstrates a musician’s awareness of the potential problems of high volumes, at least in terms of aesthetics. Yet in 1972 the band are the “loudest in the world”, and in 1973 Creem rock critic Robot A Hull is clearly a fan of Deep Purple’s very loud stage show, whilst at the same time being apparently less impressed with the volume tolerance of a fellow audience member: “DEEP PURPLE sure does play a godamn LOUD concert. I thought Cactus and Johnny Winter were bad, but hell Jon Lord knows how to cave in those eardrums. One time they was playing such a vibrating set that the twerp next to me got his insides all shooken up and barfed all over my cowboy boots. I shoved his face in his own puke. However, I really dig the shit out of volume and I wanna get ill at a rock concert or I haven’t had a good time.” (Hull, 1973)

32 It is interesting here that organist Jon Lord rather than guitarist Ritchie Blackmore that is singled out as principal component of Deep Purple’s front-of-house sound levels. Perhaps Lord’s Hammond organ sound, overdriven through Marshall stacks and working from the lowest bass to very highest frequencies, was a more obvious part of the band’s live sound, at least from a perceived volume perspective. There is also an interesting subversion of audience-as-other in this example—Hull positions himself as more of a fan than at least one other audience member, and his super-fan status is manifested in his ability to cope with the extreme sound levels delivered by Deep Purple. Of course it may or may not be true that events unfolded as described here, but this is not the point—the discourse is present. There are other discourses here too, not least that one has to party so hard that throwing up is as much an objective as a by- product, though there is no evidence of which I’m aware, that rock fans pursued this any more or less than any other young person on a night out in 1973.

33 It wasn’t only hard rock and metal acts that were represented (and represented themselves) in terms of the volume levels of live performance. Slade had a significant number of UK hit singles in the early 1970s, but despite their status as a chart band they were also very much a rock group (Roberts, 2006). In 1973, at the height of their commercial success they played Earl’s Court in London and were reviewed in Melody Maker by Chris Charlesworth: “IT’S MONDAY morning and my ears are still ringing […] here they are, ladies and gentlemen, for your personal delight, we present Slade, the working class heroes of the seventies, the loudest rock group in the world.” (Charlesworth, 1973)

34 Despite their domination of the pop charts Slade are unequivocally a rock band for Charlesworth, and very much part of a reproduction of the discourse of loud-as-good. Elsewhere there is some elaboration of the experience of high volume shows. Tony Stewart, in a very positive 1973 New Musical Express review of a Status Quo outdoor festival show in Switzerland observes:8 “I couldn’t help but sympathise with the people living in the neighbourhood. Jeez, they were loud; yet paradoxically their balance was clear.” (Stewart, 1973)

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35 The implication is that Stewart had previously associated high volume with poor quality sound but is surprised here how “clear” the audio mix is. There could be any number of reasons for this unexpected clarity, though first amongst them might be that open air stages typically have no in-door hall acoustic issues. Nevertheless this is clearly loud-as-good, in this case not for metal or hard rock but for a blues-rock-boogie group. For Stewart it was surprising that the sound at the this show was good, despite the volume.

36 Max Bell in a 1976 New Musical Express review of one of David Bowie’s 6-night run of shows at the Empire Pool Wembley argues that high volume improved the music: “The lyrics are more audible than on record and what one national referred to as a ‘public address mix’ was in fact the best I’ve heard in a place as unsuited for large rock spectaculars as Wembley undoubtedly is. It is also very loud without being unbearable.” (Bell, 1976 a)

37 The album to which Bell refers is Station To Station, released at the beginning of 1976. He is dismissive of an unnamed, non-specialist journalist’s assessment of the sound system, and so of course authenticates himself. It is however not clear as to whether it is the loudness or the quality of the sound system (or both) that makes it more easy for Bell to hear the words, but in this case “very loud” is good as long as sound doesn’t reach “unbearable” levels. This is the only clear example of loud-as-good in terms of sound quality, but there is also a level of ambivalence in both Stewart’s and Bell’s writing which indicates some uncertainly about whether loud really is good—there is a subtext suggesting that whilst loud-is-good, maybe a little less loud would be better.

38 Max Bell, again in the New Musical Express offers a more clear critique of volume at a 1976 London Hammersmith Odeon concert by Kiss: “Wall to wall amps and an elevated drum kit flanked by candles and police sirens loomed into view. Whoomph . . . zonk . . . the famous Kiss are off. They are about the loudest band I’ve ever heard. The noise is excruciating, a warped wave of wattage cascades over every inch of the hall, only trouble is the opening two songs are unintelligible […] I’m a trifle miffed that nothing other than fractured ear drums has yet left them there boards.” (Bell, 1976 b)

39 Bell’s Kiss review appeared only one week after his Bowie piece, so it is possible that the accumulated high sound pressure levels were wearing him down a little. However, his writing here is one of the more poetic accounts of volume in rock criticism. Much like Swenson on The Who in 1971, the visual coding of amplification hardware as “wall to wall” is there as a prelude to a vivid description of the physical discomfort of the noise that emerged from that wall, or perhaps more accurately, the front-of-house PA system. The volume levels render the concert pointless for Bell but given that the rest of the review is largely negative in tone, the critique of the live sound is only part of his overall disappointment with the concert. It is nonetheless one of the most unambiguous examples of loud-as-bad discourse.

40 Cloonan & Johnson (2002) discuss highly amplified sound levels and touch on the alleged origin of one of the more well known sound-bites relating to volume in rock music: “A certain rebel chic has been attached to the use of noise in popular music. In the 1970s, American guitar-hero Ted Nugent emphasised his macho image with advertisements for his live show which contained the declaration: ‘If it’s too loud you’re too old’.” (34)

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41 It is unlikely that Ted Nugent’s advertising copy was the first appearance of a phrase explicitly linking tolerance for high volume to youth—as noted earlier, that connection had been made in Mike Jahn’s 1969 review of an MC5 show, and probably many times before that. Its longevity and pervasiveness is however a reflection of the depth of rock’s ideological attachment to high volume performances. To what extent then was Ted Nugent, 29 when the advertising copy to which Cloonan & Johnson refer was written, a pioneer of extreme rock noise? Mick Farren, himself no stranger to loud rock music as singer of The Deviants and active member of late-1960s UK counter-culture,9 in a review of Nugent’s March 1977 London Hammersmith Odeon show, tackles the myth-making head-on: “Let’s not get involved in any ‘If it’s too loud, you’re too old’ sloganeering. In fact, contrary to all the hype, Nugent is not that loud. The Who could probably drown him out any day of the week. The only really ear bleeding segment of Saturday night’s show was actually when Nugent was off stage. Between encores, he left his guitar propped against his stacks, producing uncontrolled feedback. This was the only time that the sound got anywhere near pain threshold.” (Farren, 1977) The Who in 1977 are still clearly understood as a loud band, but the only uncomfortably loud segment of the Nugent concert, for Farren at least, is when no-one is actually playing on stage.10

42 Later that year, Nugent was back in the Hammersmith Odeon and perhaps stung by Farren’s review, appeared to have turned the volume up (reviewed here by Chas de Whalley in Sounds): “[…] with the possible exception of X-Ray Spex at the Man In The Moon in Chelsea, I have never heard anyone play so goddamn loud either. They say Ted and his boys wear earplugs on stage and I can well believe it. Watching the show from the photographers’ pit—with the PA speakers at stage level so most of the sound was going over the top of my head, see—I was still deafened by that big black semi acoustic Gibson and that bank of beige Fender stacks. Legend has it the high point of this guy’s act with the Amboy Dukes ten years ago was the ritualistic shattering of a cutglass vase with feedback. He doesn’t do that one now, but even so Ted Nugent ain’t just over the top . . . he’s completely outtasight!! (de Whalley, 1977)

43 There is a interesting contrast here between X-Ray Spex playing in a punk-friendly pub, The Man in the Moon on The King’s Road, and Nugent’s unreconstructed American rock in a large, seated theatre. It is easier and cheaper to sound very loud in a very small space, but de Whalley sees the experience as essentially the same regardless of ideological differences between punk and mainstream rock. This is the only explicit example in the journalism analysed here of rock and punk bands appearing in the same piece, although for de Whalley at least there is no clear distinction between punk volume as noise, and rock volume as power (as suggested by Waksman, 2009). Again there is an account of the visual, physical presence of Nugent’s stage amplification and the invocation of an urban myth about breaking glass with sound.11 What makes this review particularly significant is that it is the earliest example in my research of a journalist explicitly linking the volume of the show to the front-of-house PA. Despite the clear sense of extreme, deafening volume and a parenthetical suggestion that the band themselves wear earplugs, this is one of the few pieces that is unequivocal in its reproduction of loud-as-good discourse.

44 Douglas Adams’ fictional band Disaster Area was clearly a parodic extreme, demonstrating discourses of loud-as-good, loud-as-bad and loud-as-irrational. There are however clear echoes of Disaster Area only a year later than their appearance in

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Adams’ Hitchhiker sequel, in Mick Farren’s 1981 Motörhead feature, “Scumbags Over USA”, published in the New Musical Express: “In Toronto, Canada, Motörhead are headlining […] The Canadians love them. A friend from up there calls me and tells me how it went. “The best sound was out on the parking lot. It was more manageable. Jesus, are they loud. Everyone loved them.” (Farren, 1981)

45 There may be a subtext here regarding the relationship between the USA and Canada, or between Canada and , or that there is an undefined something about Canadians that means they “love” Motörhead’s kinetic hard rock. Farren’s un-named friend makes the pragmatic observation that the band sound better outside the venue due to their extreme volume inside.12 Farren neatly suggests that Motörhead are extremely loud, that the fans love the band and the volume, but that it might not necessarily be a good thing. In doing so he distances himself from a straightforward discourse of loud-as-good.

46 In a 1981 piece by Adam Sweeting in Trouser Press, Motörhead’s guitarist, “Fast” Eddie Clarke describes what he perceives as the band’s move away from one model of loud-as- good to another: “‘In the old days our volume used to be painful because it was really toppy,’ Clarke says cheerfully. ‘It’s not painful now; it hits you in the chest. We did a gig at the Marquee in London once, the loudest we’ve ever done. I got home and put on Blow by Blow by Jeff Beck, and I couldn’t hear the guitar playing. All the top end was completely gone off my ears. All I could hear was the bass and the bass drum.’” (Sweeting, 1981)

47 In 1981 the “old days” for Clarke could have been any time since the band’s formation in 1975, but his account of hearing loss due to very high stage sound levels suggests either (a) that he had already permanently lost some high frequency hearing sensitivity, or (b) that the band had remained just as loud onstage, but their stage monitoring or amplifier settings had cut back on some of the most damaging high frequencies.13 There is a distinction made between qualitatively different kinds of loudness: high frequency loud-as-bad (“painful”), and low-mid frequency loud-as-good (“hits you in the chest”), both however with an emphasis on the physicality of sound. It is worth stressing again that stage sound often bears little resemblance to front-of- house sound in terms of levels or mix, so what the audience hears is usually both much louder and also qualitatively different to what is heard by the musicians playing on stage. Clarke refers to not being able to hear guitar parts on a record played some hours later at (presumably) domestic sound system levels, which suggests it could well have been the very high stage sound level available from his own Marshall amplification that were the main contributing factor for his hearing loss. If this is true, a relatively small adjustment of amplifier settings could have solved the problem, yet he implies that he had no particular agency regarding sound level (“our volume was . . . “) and the stage levels were more like the weather, a natural occurring phenomenon, than a result of turning everything up to 10. When Clarke discusses the effect of high volume on his own hearing then, he is not directly addressing the sound levels heard by audiences at Motörhead live shows.

48 There are however contemporaneous accounts in the music press of the Motörhead audience experience. Garry Bushell’s 1982 live review of the band in Sounds spends some time discussing the volume levels. Having opened with “Holy migraine, Batman . . . “, he continues, “The Motörhead gig is a celebration of […] NOISE. Dirty,

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deadly, dangerously, delightful RACKET.” Bushell warms to his theme later in the review: “The air is burning, my ears are splitting, yet half the crowd are calling for more, while the others keep up the chant ‘TURN IT UP, TURN IT UP, TURN IT UP’. Bloody masochists. Back come the band, in roars ‘Bomber’, up goes the volume. I think my ears are bleeding. Off go the band. Up go the cheers, back come the chants ‘TURN IT UP, TURN IT UP, TURN IT UP’. Back come the band, up goes the volume, in roars ‘Motörhead’ and I just want to plummet up the aisle holding my ears and clamouring for breath. Then off go the band to yet more cheers […] these people must be mental.” (Bushell, 1982)

49 This is a more explicit statement of the position adopted by Farren, Jahn and others: loud-as-good for fans but loud-as-bad for music journalists. In this case, Bushell distances himself from fans in both aesthetic appreciation and in his concern for the welfare of his hearing (a version of the demarcation noted by Cloonan & Johnson, 2002). Yet, the tone of this review is as much admiration for the apparently self-destructive intentionality of the audience as it is about concern for Bushell’s own ears. There is a series of oppositions: the show is “dirty, deadly”, even dangerous. It is also a “celebration” and “delightful”, and the audience appears to be enjoying the experience to the extent that they communally call for higher volume levels, a ritual Waksman (2009) observed in Motörhead live reviews going back as far as 1977. Again, there are two clear and apparently contradictory discourses here, loud-as-good and loud-as-bad, although perhaps these could be more accurately represented here as loud-as-bad-for- me-the-journalist and loud-as-good-for-you-the-fans.

Conclusion

50 In this essay I have considered the presence of discourses of loudness in rock journalism, focussing on live reviews, but including representations of musician discourse as mediated by rock journalists. My intention was to investigate the extent to which discourses of loud-as-good are present in rock journalism from 1969 through to 1982. This research is by no means comprehensive, nor indeed could it be. Rather it presents a flavour of the ways in which volume and loudness are represented in music journalism at the height of the music press’s power as a mediator of popular music. I had anticipated a relatively unproblematic on-going reproduction of loud-as-good discourse, and would therefore have been able to suggest that rock journalism was complicit in reflecting and reinforcing conventional rock notions of the desirability of high volumes. What I found was an altogether more complex and often contradictory series of discourses. Broadly speaking, these might be grouped together under five headings.

Loud-as-good

51 In this discourse of loudness, high volume in live performance is absolutely a good thing: it enhances the live experience; it is central to the aesthetic of amplified rock as genre; it allows audiences, bands and journalists to perform demarcation (as suggested by Cloonan & Johnson, 2002); it may even sound “better” than a studio recording of the same songs (David Bowie at Wembley in 1976).

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Loud-as-bad

52 Here, high volume is associated with a series of negative values: it can render key elements of the music (melody, lyric) unintelligible (Kiss at the Hammersmith Odeon); it can make the music sound “messy” (Roger Glover of Deep Purple); it damages hearing; it is “painful” (Eddie Clarke).

Loud-as-good for the audience, but bad for the journalist

53 This variation allows journalists to position audiences as an ill-informed “other” of poor aesthetic judgement or taste—the writer represents himself as superior to an audience that irrationally desires extreme volume (Jahn on The MC5 and The Stooges; Bushell on Motörhead).

Loud-as-good for the journalist, but bad for the audience

54 A variation of loud-as-good discourse that once again allows the author to position the audience as an inferior “other”, but in this case it is the author that embraces high volume whilst the audience, or specified individuals within the audience fail to cope with the painfully high sound levels (nausea, fainting; Hull on Deep Purple).

Loud-as-irrational

55 Fictional groups Spinal Tap and Disaster Area appear in works of satire to explicitly undermine discourses of loud-as-good, but bands and fans seem to have no problem with unironically embracing loud-as-good alongside loud-as-irrational, at least in the material discussed in this article. An over-arching trend in the research presented here is the apparent reduction over time in the number of live (rock) reviews that explicitly discuss sound levels at shows, either in good, bad or ambivalent terms. By the early 1990s only a handful of hits were returned by Rock’s Backpages for the search terms “volume”, “loud”, “loudness”, and many of those were for shows by My Bloody Valentine, a band that became legendary for the high volume of their live performances. Future research will address the post-1982 years in detail, but it seems appropriate to finish with a quote from a 1992 My Bloody Valentine feature in Option magazine, written by Mark Kemp. Band leader and guitarist Kevin Shields reflects on the band’s use of extreme volume: “It seems like such an odd thing to do, you know, to make a lot of noise […] but I think we take it way past the point of acceptedness. It takes on a meaning in itself. I don’t know exactly what it means, but it basically transcends stupidity.” (Kemp, 1992)

56 Perhaps Nigel Tufnel would approve…

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3. Likely to be the standard 100w version of the amplifier, though the 50w version of this generation of amplifier looked identical from the front. The late Jim Marshall (died, 2012), founder of the eponymous British amplifier company was often referred to as “The Father of Loud” (Maloof, 2004). 4. Transcribed from the short promotional film, Nigel Tufnel—“20” (c.1990). Available at: https:// www.youtube.com/watch?v=iwuZePiQHLI. 5. More surprising perhaps is the 1993 Meat Loaf track that uses Blackmore's joking request as a song title. Lyrically this song has nothing to do with live performance volume—the chorus features a protagonist who claims to like his music the way he likes his life, “Everything Louder Than Everything Else” (from Bat Out Of Hell 2: Back Into Hell, 1993). 6. Transcribed from Episode 5 of the 1981 BBC Television adaptation of The Hitchhiker's Guide To The Galaxy, first broadcast 02 February 1981 (Hitchhiker Wiki, 2013). 7. http://www.rocksbackpages.com. 8. 1973 marked the beginning of Status Quo's UK commercial breakthrough with the albums Piledriver (1972) and Hello! (1973). 9. As noted by, amongst others, Waksman (2009: 326). 10. The leaning of volume-up electric guitars against loud amplifiers and walking off stage is probably a micro-social act of rock performativity deserving of its own article, but here at least it is an explicit example of the role of the front-of-house PA system. There was probably nothing stopping the sound engineer from dropping the levels on the guitar amp microphone to ease the pain of uncontrolled feedback, and yet he apparently didn't. Over the years I have been at many shows where guitar players have left the stage empty except for howls of guitar feedback, normally after the final encore. In larger venues, when the front of house PA is powered down and the house light go up, it can actually seem almost embarrassingly quiet when the only sound coming from the stage is a feeding back 100W Marshall stack. Punishingly loud in a rehearsal room, yes. But not so impressive in a 3500 seat venue or on an open air festival stage. For me this is a slip of the rock and roll stage mask, where the cool, 'loud' stage amplification is exposed a being relatively quiet in comparison to the resolutely unsexy functionality of contemporary front-of-house sound systems. 11. While it is theoretically possible to break thin resonant glass with extreme sound pressure levels at appropriately tuned frequencies, in practice the scenario de Whalley describes is extremely unlikely. 12. I was reminded of this observation when leaving early from a 2011 Judas Priest show in Doncaster, England. They definitely sounded better from the car park too. 13. Or perhaps both (a) and (b).

ABSTRACTS

High volume in the form of high sound pressure level (SPL) is ingrained in the aesthetics of many forms of popular music, most obviously in rock and its associated sub-genres, but also in many other genres and styles including various forms of dance music, hip hop, reggae and electronic music. The primary site of expression of the notion of loud-as-good is in the performance of music in public spaces or venues (live, recorded or a blend of both). The reproduction of discourses of loud-as-good is woven through popular music culture, from bands in tiny rehearsal

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studios to the world record for “loudest” band (Deep Purple or The Who, depending on the year of publication of the Guinness Book of Records). Loud-as-good discourse has been satirised in other media: the “mockumentary”, This is Spinal Tap (1984) and Douglas Adams’ The Hitchhiker’s Guide to the Galaxy, both of which are addressed here. This essay identifies five discourses of loudness as they appear in music journalism, and in fiction. These are: loud-as-good, loud-as-bad; loud-as-good for the audience, but bad for the journalist; loud-as-good for the journalist, but bad for the audience; loud-as-irrational.

La puissance sonore fait partie de l’identité de nombreuses musiques populaires, notamment du rock et de ses sous-genres, ainsi que de la dance music, du hip hop, du reggae et des musiques électroniques. C’est d’abord dans les espaces publics ou les salles de concert qu’elle s’exprime positivement, par la performance, qu’il s’agisse de prestations live et/ou de la diffusion d’enregistrements. Les discours laudatifs sur le volume sonore irriguent la culture des musiques populaires, des groupes jouant dans de minuscules studios de répétition au record mondial du groupe le plus « puissant » (Deep Purple ou The Who, selon l’édition du Guinness des records). Ces louanges ont été tournées en dérision par d’autres formes médiatiques, telles que le « documenteur » This is Spinal Tap (1984) ou Le Guide du voyageur galactique de Douglas Adams, que nous analysons ici. Cet article identifie cinq types d’évaluations du volume sonore, tels qu’elles se manifestent dans la presse musicale ou la fiction : la puissance sonore évaluée positivement, négativement, positivement aux oreilles du public mais pas de celles des journalistes et vice- versa, et enfin la puissance sonore jugée irrationnelle.

INDEX

Geographical index: États-Unis / USA, Grande-Bretagne / Great Britain nomsmotscles Bowie (David), Deep Purple, Led Zeppelin, Meat Loaf, Motörhead, Status Quo, Who (the), Reiner (Rob), Spinal Tap, Black Sabbath, Kiss, MC5, Nugent (Ted), Pop (Iggy), Slade, Stooges (the), Disaster Area Keywords: discourses, loudness / volume, journalists / critics, press (musical), performance / staging, cinema / film industry Chronological index: 1970-1979, 1980-1989 Subjects: rock music, heavy metal / hard rock Mots-clés: discours, volume sonore, journalistes / critiques, presse musicale, performance / mise en scène, cinéma

AUTHOR

J. MARK PERCIVAL

J. Mark PERCIVAL est Senior Lecturer en médias et communication à la Queen Margaret University d’Édimbourg et il habite à Glasgow, en Écosse. Sa thèse de 2007, soutenue à l’université de Stirling, Making Music Radio, fut dédiée aux dynamiques sociales et aux relations entre les “pluggers” de l’industrie du disque et les programmateurs de musique à la radio en Grande- Bretagne. Il a publié des travaux sur la production musicale écossaise indépendante, la question de l’identité et les médiations des musiques populaires. Parallèlement à sa carrière universitaire, il a été membre du jury du Mercury Music Prize (1999 et 2000) ainsi que DJ pour la BBC en Écosse (1988-2000), passant des disques de musique alternative, indé et électronique. mail

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Sampling as Political Practice Gilberto Gil’s Cultural Policy in Brazil and the Right to Culture in the Digital Age Le sampling comme pratique politique : la politique culturelle de Gilberto Gil au Brésil et le droit à la culture à l’ère numérique

Hélène Garcia-Solek

I here want to warmly thank Giancarlo Siciliano, for his tremendous work of proofreading done on this article.

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1 THE FOLLOWING ARTICLE AIMS towards putting into perspective Gilberto Gil’s cultural policy set in Brazil from 2003 to 2008 in order to illustrate some of the ways in which sampling and its digital turn to “remix” call for new insights on musical production/diffusion and on the future of digital culture within today’s globalized cultural milieu. Beginning with a few general remarks on the methodological use of the words “sampling” and “remix”, I will be drawing historical connections between the two concepts, with special emphasis on the impact of the digital age, thus outlining some of the key aesthetic aspects of sampling/ remix practices and their implications for overtly politicized meaning. I will also be providing ethnographic indications upon a choice of Brazilian sampling-based musical practices so as to illustrate to what extent Brazilian popular music constitutes a privileged site the aesthetics of sampling/remix and political issues centred on legitimating these musical communities intersect. BPM1 likewise offers an intriguing history continually reconfiguring traditional relationships between music industry agents, institutions, and communities. Finally, through an outline of Gil’s policy projects, accomplishments and discourses evaluating it (though I have yet to undertake ethnographic research on its tangible effects), I will be defining the extent to which Brazilian cultural policy was successful in conceptualizing innovative ways of legitimating new paradigms of music production, diffusion and consumption resulting from the aesthetics of sampling/remix.

A Few Remarks on Sampling, “Remix” and Politics

2 Let me begin by clarifying the notions of sampling and “remix”. As historical process, sampling has not at first implied computers or politics: at first a useful tool for avoiding the costs of recording real instruments (i.e. the mellotron), with studios increasingly turning into a “compositional tool” (Eno, 2004), sampling offered the possibility to bring a whole world of musical or non-musical sounds within a composer’s toolbox, thus inflecting the very definition of music-making. At specific historical junctures and within different musical genres, however, sampling was used by communities struggling over visibility and against discrimination for musically expressing hybrid identities:2 by making musical crossover and encounters much easier both in time (with respect to tradition/modernity) and in space (with respect to Western/non-Western music), sampling lets political overtones resonate.3 The term “remix” used in the expression “remix culture” likewise implies manipulating and reconfiguring music with computers instead of turntables and tape: for the purposes of this article, “remix” is therefore defined as sampling’s digital extension. As A. Lemos suggests (Costa, 2011: 123), “We understand remix as the possibilities of appropriation, diversion and free creation from other formats, modalities or technologies offered by digital tools’ features and by contemporary society dynamic.”

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3 My methodological choice is to describe sampling/remix, from sound systems to mash- ups, as a synecdoche for transversal cultural movements involving global conceptions of culture as potential material for re-creating and the need for its reconfiguration to be democratically accessible.4 However, such ideological positioning is not intrinsic to every musical genre involving sampling/remix.5 Yet, on the basis of the following examples, I wish to demonstrate the political significance of processes involving sampling/remix and the way they can legitimately call for legal and policy-oriented measures, just as Brazilian cultural policy intended to. For the purposes of this article, I will be drawing a distinction within the aesthetic threads of sampling/remix with political significance according to the following criteria: • appropriation and transformation of existing material calling for “commons archives”; • alternative conceptions of music authorship, performance, consumption and diffusion; • mixing of musical genres from postmodernist crossover to engaged reconfigurations of musical—and therefore socio-political identities—along with alternative conceptions of cultural citizenship.

Tropicália, Brazilian Cultural Cannibalism and Mangue Beat

4 The Brazilian incarnation of the political weight at stake in “sample-based music” communities is rooted in the Tropicália movement Gilberto Gil himself was involved in back in the late 1960s. Still, one ought to bear in mind that such a movement highlights an ongoing tradition of cultural miscegenation working within Brazil for centuries. Rather than a musical genre, Tropicália constitutes a significant upheaval of interconnections between government, the consolidating BPM market and conflicting musical movements (Napolitano, 2001: 183-226; Dunn, 2001). Indeed, its critique was aimed at nationalist, idealized, and institutionalized representations of Brazilian culture refusing miscegenation with Western genres, but also at the predominance of imported music over Brazilian music within Brazilian music market—60% of sales in 1959 ( Napolitano, 2001: 247)—followed by the emergence of a “world music” impoverishing and standardizing musical traditions (Taylor, 2007). Claiming the heritage of Andrade’s 1928 Manifesto Antropofago, Tropicália proposed musical collage and “creative assimilation”, seeking empowerment through incorporation of Western musical characteristics with the already hybrid Brazilian musical heritage and through creative appropriation of the history/ies of Brazilian culture/s (Costa, 2011: 59). Hence a political willingness characteristic of the Tropicália movement “to change the location of cultural action, for rebellion purpose, into localized intervention, politics conceived as day-to-day problematic, life, body and desire, that is culture in its broader meaning” (Costa, 2011: 29).

5 In the 1990s, Mangue Beat sought to incorporate the heritage of Tropicália into “remix” culture. Brazilian music industry has consolidated over the end of the twentieth century into ten major labels, five among which are multinational,6 with exclusive media coverage of a small number of Brazilian and international artists,7 generally neglecting urban musical trends. Mangue Beat is such a movement, born in the suburbs of Recife where the highest rates of criminality are registered. Its aesthetics relies on sample-based and instrumental miscegenation of Brazilian classical genres also featuring ironic appropriation of colonial genres, references to African and Indigenous

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musical traits, not to mention the use of Western musical features such as electronic sounds, distorted guitars or even hardcore (Santiago, 2010: 227; 234-236). By way of illustration, Nação Zumbi’s song “Maracatu Atômico”—a cover of a Gilberto Gil’s song— is presented as a remix under the different guises of ragga, trip-hop and atomic genres in the album Afrociberdelia (1996). Inasmuch as they have rekindled interest within the music industry, mediation processes of this musical local culture are still unclear (Santiago, 2010: 227). They have nonetheless reached national recognition, mostly within other “periferias”. In addition, Mangue Beat illustrates the possibilities offered by the digital era to transnationalize marginalized musical cultures, with support from Internet propagation and international co-operation with NGOs (Santiago, 2012: 236-240), in order to foster spontaneous miscegenation with other musical and social communities outside of Brazil and, whenever possible, outside of mass music industry, and transpose into digital culture the Tropicália heritage of local cultural trends aiming towards transnational levels. Exploring Tecnobrega and Brazilian Hip Hop, I will be exposing, through the following paragraphs, further characteristics of BPM involving sampling as a privileged site of the political tenor of the sampling/remix synecdoche.

A Nation of Pirates? Tecnobrega and Ghost Music Industries in Brazil

6 The music industry in Brazil is involved in quite a struggle over musical scenes whose development lies outside of its circuits, officially described as “pirate”. Tecnobrega8 is significant for having developed a “ghost”, and yet powerful, music industry (Howardspink, 2006; Santos, 2013: 603-613; Costa, 2011: 133). Although extensively using sampling/remix in composition and performance processes, Tecnobrega’s musical content is far from being overtly political. As the word “brega” suggests through its connotations of “cheesyness” and “kitsch”, this music is meant for such festive events as the “aparelhagens” (sound systems). There is, however, political significance in the very model of the genre’s distribution: the Tecnobrega scene is known to “deliberately challenge traditional IP wisdom” (Santos, 2013: 602) as it relies on a system of low-cost record sales containing from 100 to 300 unlicensed tracks in the streets, or live recorded shows at the event’s exit, as “advertising” for live events making up the principal source of income for those involved in these scenes (Santos, 2013: 603-604)—nearly 3,000 parties per month and between $345 and $1,086 of income per DJ (Santos, 2013: 605). Audiences appreciate the CDs low prices or the songs’ availability at no cost on the Internet, because the money being saved can be used for attending concerts and parties, preferring such an alternative distribution model instead of the market. It is also worth noting that Tecnobrega artists do not want to rely on copyright because they consider it to be economically less rewarding and therefore they do not see it as the “incentive for creation” it is meant to be (Santos, 2013: 610). Laxism within Brazilian legal structures partly accounts for the Tecnobrega scene’s unconcern for Copyright enforcement. Although strictly illegal, the genre’s economic success and sustainability is politically significant: as Santos suggests, “Tecnobrega is increasingly alluded to as an example of a viable alternative model of cultural production and dissemination” (Santos, 2013: 612) while advocacy of institutional legitimating of such “pirate” models is constantly underscored within

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Gilberto Gil’s cultural policy. It is worth noting here that those examples also illustrate the way aesthetic visions of music production and consumption conveyed by alternative business models pervasively contribute to, whenever successful or impossible to absorb, much-needed dialogue with institutions and the market, in the context of Brazil at least, to the extent that lawyers have wondered whether “this artist protection model [based on traditional IP logics] is adequate to our contemporary times”. (R. Lemos, quoted in Santos, 2013: 611).

Pirates with a Heart: Political Engagement in Local Brazilian Hip-hop Communities

7 Drawing from Ailane’s (2011, 2013) major ethnographic research, I shall now enter Fortaleza’s “periferias”. Brazilian hip-hop emerged within “periferias” as a mode of differentiating mass media importation of US hip-hop culture into Brazil from locally engaged Brazilian hip-hop communities. Brazilian hip-hop’s specificity embeds Afro- American roots of Brazilian music through sampling as much as through lyrics evocative of the history of migrations and slavery, avoiding mass media simplifications of Brazilian music’s “black” roots. Structures elaborated in communities by local engaged hip-hoppers themselves, “Posses”, although prefiguring MinC’s9 Pontos de Cultura, can hardly be said to owe their emergence to institutions: they come out of local initiatives, through political commitment of young hip-hop artists, who define themselves as “arte-educadores” or “articuladores” (a word also used for workers involved in Pontos de Cultura). Through teaching the practices of hip-hop, they seek to bring young people in situations of poverty, drug abuse, and prostitution to self- empowerment through creative music-making building a sense of community helping them convey tangible social concerns such as street refection, the cleaning of spaces, etc. These young hip-hoppers assert the emancipative character of their practice and of pedagogically effective ways of sharing it so as to foster “self esteem and the fight against territorial, social and mass media stigmatization” (Ailane, 2013). In spite of their apparent “marginality”, these communities are in touch with municipal, state and federal institutions; through “organized hip-hop”, not only by means of concrete economic and financial measures, but also through communal existence calling for a “process of revision and definition of a space of citizenship” and alternative discourses to authoritarian governmental or media discourses. The Pontos de Cultura initiative perhaps derives from a political willingness to legitimate and acknowledge community- based autonomous and/or marginal organizations such as the Fortaleza Posses, thus reinforcing the specifically Brazilian “cultural citizenship” involved in mixing artistic practice with localized social action.

“Endtroducing...”

8 The Brazilian cultural policy embodied, throughout its own development, advocacy for digital culture (see Costa, 2011; Carvalho & Cabral, 2011): it involved national and international academics, researchers and “free culture” activists, as well as the implementation of networks and free software at a governmental level; the model of digital democratic consultation was used for the IP Law reform project (Costa, 2011: 188) and the Marco Civil da Internet, adopted in 2014 with assistance from the Digital

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Culture Forum (www.culturadigital.br), in opposition to authoritarian traditional modes of governance enforced in Brazil throughout most of the twentieth century. Two major points to be emphasized in Gil’s cultural policy for the purposes of this article are: 1. the questioning of the role of the music industry in social inclusion and sustainable development, and the attempt to legitimate alternative modes of music production and distribution; 2. the Pontos de Cultura, enhancing fruitful cooperation between the local and the global, both by fostering strategies involving federal, state and city governments and by helping local subcultures gain trans-national visibility.

Typhoon in the Museum: the Challenge of Integrating “Remix Culture” into Governmental Definitions of Culture throughout Gilberto Gil’s Mandate

9 One of MinC’s first statements was an argument in favor of changes in hierarchy as far as the vision of sustainable development goes: cultural and humane development is considered a condition for economic development (Gil, 2005: 104). Breaking away from trends in prior policy-making, it advocated stronger governmental intervention in order to implement the “right to culture” as a fundamental orientation of cultural policy. Also, the centrality of digital culture and the need for cultural policy to shape its orientations was clearly asserted: “Digital Culture is a new concept. It comes from the idea that the digital revolution of technologies is cultural in its essence.” (Costa, 2011: 204)

10 To this vision of culture as a primary means of national development, one must add Gil’s keen awareness of the specificity of Brazilian culture, which he embodied within the production of his own music. “The process of formation of Brazil and of its culture has for principal characteristic cultural mixing, that is a mixture or a permanent recycling of values, references, sentiments, signs and races”. (Gil, 2005: 104)

11 The assumptions behind this claim led to strong debates on Gilberto Gil’s implication in Tropicália: indeed, former opponents to Tropicália (among whom Augusto Boal) took this opportunity to express criticism of what may be qualified as a stylistically-oriented view of culture and politics, thus renewing former opposition to Tropicália (Costa, 2011: 28-29; 44). However, as we have seen, there are strong reasons to believe that Tropicália’s historical legacy did inform alternative musical trends such as Mangue Beat, inducing re-enactments of its creative processes within sampling/remix aesthetics. Given that Gil, asserting his sense of belonging to Tropicália, considers digital culture to be an opportunity for re-enacting the constant miscegenation at work within Brazilian culture, the aborted Creative Commons project illustrates tensions generated by the alleged primacy of “remix culture” as the only future of culture in the digital age.

12 Brazilian cultural policy intended to implement the Creative Commons within IP reform in order to facilitate the adoption of alternative modes of legal recognition of authorship claimed by musical cultures involving sampling/remix, which could legitimate standpoints such as Mangue Beat’s and Tecnobrega’s. According to Perry Barlow, legitimating what he calls “relational economy”, based upon the reward which

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free access brings to music as advertising for shows and concerts, thus considered to be the principal income, could lead to “stimulate new forms of remuneration and negotiation” (Costa, 2011: 150).

13 Such audacious promotion of CC10 proved to be enticing to quite a number of Brazilian alternative artists (Costa, 2011: 196-197)—around 150 million of works licensed under CC—, and providing further space for legitimating so-called “pirate” modes of music distribution: indeed, CC empowered and brought more knowledge about authors’ rights control in the context of permission for re-use, transformation and profit. MinC emphasized the obsolescence of current Brazilian IP law dating from 1998, and advocated CC as a way to provide artists with access to a more diversified range of licensing possibilities and “challenge traditional licenses which have presented themselves as the only possibility”.

14 Another project, which never came to be, was the “Canto Livre”, led by R. Lemos, aimed at digitizing Brazilian public domain works along with more recent creations (with creators’ acceptance, needless to say), in order to democratize access to it and its re-use for creative purposes—the idea being to reinforce cultural and musical creation in the form of “remix” and arguing for a large public domain as an incentive for creation stronger than copyright monopoly (Costa, 2011: 194, Lemos, 2006). The CC project and “Canto Livre”, however, were both removed from the MinC agenda by 2011 (Santos, 2013: 625); and so was the IP reform project as a result of strong opposition (Costa, 2011: 189-201) from Brazilian cultural industries and ECAD (Central Office for the Collection and Distribution of Rights). Despite the failure to reconcile arguments in favour of the extension and democratization of the public domain and legitimating “remix” as creation, and those in favour of authorship and economic reward for artists claimed by advocate of traditional copyright, the CC project was successful in providing visibility to alternative models of licensing for otherwise marginal artists. Also, according to Costa (Costa, 2011: 195), Brazil was been the only country where debates between copyright and “copyleft” (free software, CC, etc.) were held within the government.

Remixing the “Glocal” Nature of Brazilian Music Production: Pontos de Cultura

15 Historically, the absorption of subcultural musical movements by the industry leads to a loss or at least a “representational shift” of their socio-political identity and message: numerous historical examples provide evidence that subcultural scenes (, South Bronx hip-hop, disco) go through intense and collective creativity realm at the time of their emergence and embracing by an audience attached to it through conceptions of community and identity. Frith would call it the “folk” moment. Once into the music industry (The Beatles, Abba, Eminem), initial effervescence gradually fades away, giving in to commercialized existence, eclipsing the rest of those scenes whose dynamic was once grounded in common creativity. As a matter of fact, the idea of individual authorship that goes along with the entry in the music industry implies fostering individual over collective creation. The hip-hop movement was based on emulation, competition, and sharing techniques which ultimately led turntables to gain the status of musical instruments just as DJ-ing turned into a craft. Back in the time of Afrika Bambaataa, mixing was the DJs’ collective approach to creation as performance.

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The process of industrialization eclipsed not only collective values of creation but also its grounding in socio-political discourse—fighting against social inequalities within the social “ecosystem” of the musical scene.

16 Within the context of Brazil, the Pontos de Cultura initiative constitutes an attempt to acknowledge the difference of representations of the role of music conveyed by alternative music communities and by the music industry. Avoiding the political assertion of a clash between industrial methods and so-called “pirate” methods, Gil seeks to give “sample-based” practices and, by synecdoche, musical practices involving technological hybrids of cultural identities (both in creation and diffusion of music), a possibility to acknowledge their specific cultural value and access to trans- nationalization with no loss of political substance.

17 As previously shown, democratization of technology “depends [...] on a political involvement on implementing technological infrastructure and regulatory frameworks that will allow and support this production and circulation” (Carvalho & Cabral, 2011). Along with government funds allocated for the fight against digital exclusion—which contributed to the population’s access to computers/Internet increasing from 14.1% in 2005 up to nearly 50% in 2013 (Santos, 2013: 626) —MinC gathered activists and software developers around the design of digital units designed to provide greater access to digital production tools to poorer regions in Brazil. Pontos de Cultura are both physical set-ups involving low-cost “audiovisual studios with and using free software” (Costa, 2011: 180) and cultural subsidies to be shared between governments (federal, state, municipal) and agents of civil society (thus described as both “governmental and non-governmental structures” in Costa, 2011: 176) fostering all kinds of cultural projects autonomously defined by the communities, ranging from CD production to public libraries, with financial help over a three-year period. “In 2010, there were 2,500 Pontos in 1,122 cities”, involving “nearly 8,4 millions of people in all of Brazil.” (Costa, 2011: 77)

18 Pontos de Cultura enact Gil’s priorities defined in his cultural policy in 2003 (Costa, 2011: 75): providing access to the means of cultural production and materializing the “right to culture”; diversifying cultural production and empowerment of marginalized communities with the means of diffusion through websites presenting productions of the Pontos (see, for instance, www.iteia.org.br). Also, along with the fight against the “cultural standardization” of symbolic goods due to the cultural industries’ concentration (Costa, 2011: 80), Pontos de Cultura’s initiative succeeded in gaining institutional recognition of diversified cultural practices of already-existing “peripheral communities” such as the Fortaleza “Posses” mentioned earlier, and doing so without dispossessing them of their socio-political involvement while fostering their “responsabilization” (Costa, 2011: 76). Indeed, Pontos de Cultura are not meant to be perceived as “services”, “products” or “equipment”, but rather as “culture in process, developed autonomously by social protagonists” (Turino, major contributor to the “Cultura Viva” program, quoted in Costa, 2011: 78).

19 One of Pontos de Cultura’s major contributions is the attempt to provide “periferias” with digital empowerment and decentralization. Recent research, however, indicates that Brazilian media deliberately ignore much of Pontos de Cultura’s cultural activity and productions (Szaniecki & Silva, 2010: 76), although it tends to gain international visibility: thanks to the Web, people have learned that Pontos de Cultura do exist. A hope for this “silent revolution” to increase visibility is the growing significance of the

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Internet over TV as a channel of information, in Brazil or anywhere else in the world. Though deliberately ignored by the media, Pontos de Cultura tend to succeed in trans- nationalizing Brazilian alternative musical trends through Internet access.

20 Given traditional media and cultural industries’ deliberate ignorance of Pontos de Cultura’s productions, it is worth asking what Pontos de Cultura musical productions could possibly gain through incorporation in the music industry. As previously suggested, however, the Pontos de Culturas acknowledged local cultural movements concerning ways of enhancing sustainability, while maintaining control over their aesthetic and socio-political identity. The digital era thus allows local cultural communities to remain committed to the local while also gaining opportunities for international visibility without necessarily relinquishing their specificity. In attempting to reach both visibility and sustainability of alternative musical cultures, Gil’s cultural policy was ultimately successful.

By Way of Conclusion: Gil’s Pioneer Governmental Attempt to Sustain “Remix Culture” and Remaining Challenges in Institutionalizing “Digital Culture”

21 National cultural policies deserve scholars’ attention inasmuch as they concretise aesthetic concepts at work in political measures seeking normative inclusion of new forms of creation into a political vision of society and culture. In this sense, it is important to address those recent cultural policies projects using concepts other than those provided by traditional Marxian/Bourdieusian approaches. Namely, exploring the political or ideological charge at work in what we think to be pure aesthetic concepts, within their cultural, social, political and ethical inscription. Exposing the concrete realization of aesthetic principles born through new creative practices, cultural policies take responsibility on the shaping of the role of music and the arts in society. We have seen that the Brazilian cultural policy attempted to help independent and community-based musical culture preserve their already existent engagement into “cultural citizenship” without needing to comply with traditional models of market distribution in intending to avoid oblivion or ephemerality. According to Frith, the value of “folk” music resides in its integration into local culture and communities rather than in its incorporation into market models. Brazilian alternative music movements show that the need for trans-nationalization conveyed by their embracing of digital culture must be addressed by cultural policy shaping the ethics of use of technology and Internet, so that Frith’s dichotomy be outreached within digital culture framework.

22 However, in spite of insisting reminders from civil society11 and Gil’s insistence over cultural policy not being subjected to political changes, it seems that Brazilian political instability, climate of corruption, and inherent socio-political inequalities might lead to decay of the positive effects of this cultural policy: the IP Law reform ongoing project makes no mention of Creative Commons; strong pressures by major labels have led to implementation of advantageous restrictive IP protection measures for the market; rather than continuing the financing of Pontos de Cultura the current ministry of culture privileges the financing of sports, due to emphasis on international events; social movements of 2013 express the population dissatisfaction concerning budget

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allocations. However, movements advocating for faster solving of inequities, along with international pressure demanding sustained economic growth, may perhaps contribute in the government coming back to short-term and economic-centered policies, thus undermining Gil’s innovative logic of “culture above economy”. Still, the experience of deliberative democracy applied to federal policy provided space to acknowledge civil society and strengthened already existing, local “cultural citizenship”.

23 It is likewise impossible to determine the extent to which already existent social and political inequities, along with international and market pressure, contributed to the failure of some of the cultural policy’s aspects. To be sure, assessing cultural policy by its results, as much as blind optimism conveyed in most “digital culture” literature, may be reductive, given that cultural policies do not generally reach their goals as a result of a challenge posed to paradigms, the traditional market and IP models at an international level: “[McGuigan (1996)] argues that a public cultural policy may not only involve concrete actions, but also ‘the clash of ideas, institutional struggles and power relations in the production and circulation of symbolic meanings’.” (Costa, 2011: 142)

24 Given the strong international interest of this cultural policy and various attempts to export the Pontos de Cultura model within other countries, SMEs (Santos, 2013: 626-627), and other similarly oriented project such as Digital Ecosystems or Fab labs, it stays legitimate to say that Gil’s policy has reached its goal to some extent: showing that alternative models of cultural production, circulation and citizenship brought about by the digital age are no more to be considered marginal and that they irrepressibly call for a dialogue involving not only governments, experts/scholars and cultural industries, but also interlocutors from civil society.

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NOTES

1. BPM stands for “Brazilian Popular Music” (cf. Napolitano, 2001). 2. See Jamaican dub sound systems, disco and hip-hop in Masson (2008: 72-81) and Katz (2004: 114-136). 3. Needless to say, readers are free to explore further work on the history of political and above all legal struggles around sampling and remix: McLeod & Dicola (2011), Katz (2004), Masson (2008) and Lessig (2008) provide an extensive overview. 4. See Katz (2004: 137-187): the emergence of the “listener-composer”. Also, Manovitch (1999), about the digital reconfiguring of culture as “database”, involving composition and data manipulation, instead of “narratives” —and thus the advocacy of democratized accessibility to “commons archive” (Lessig, 2008). 5. Such genres as Techno or EDM rely on less overtly political issues. 6. List of ABPD’s (Associação Brasileira dos Produtores de Discos) associates: http:// www.abpd.org.br/sobre_lista_associados.asp. 7. 2012 ABPD statistics report: http://www.abpd.org.br/downloads/ ABPD_Publicacao2013_CB_final.pdf. 8. There is no space here to mention Funk Carioca, another sample-based movement (hip-hop) based in the suburbs of Rio de Janeiro, which has also developed, given its apology of mere violence hinders it from entering the music industry, an alternative distribution system. See Ailane (2012). 9. Brazilian Ministry of Culture 10. Short for Creative Commons. 11. “Manifesto of the Association of the Pontos de Cultura” (May 2011): http:// pontosdecultura.org.br/noticias/manifesto-dos-pontos-de-cultura/ and “ Open Letter by the Brazilian civil society to President-elect Roussef and Minister of Culture Ana Buarque de Hollanda” (December 28th, 2010): http://www.cultura.gov.br/documents/18021/130362/Carta- Aberta-de-Representantes-da-Sociedade-Civil-%C3%A0-presidenta-e-%C3%A0-Ministra.pdf/ 79420886-2355-4648-adb2-704966c5cc6a.

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ABSTRACTS

This article seeks to put in perspective Gilberto Gil’s Brazilian cultural policy from 2003 to 2008 as a pioneer attempt to institutionally legitimate musical cultures involving sampling and remix. Mutations brought about by the digital age call for strong reflections upon the concept of “digital culture” enacted for instance in sampling and remix practices, and incarnated in a complex manner by the cultural “glocal” laboratories of underground musical cultures in Brazil. The study of Gil’s policy involves a multifaceted approach mixing music sociology, ethnology, cultural studies, the study of law, policies and of the music industry, in order to clarify the redefinition of musical authorship and intellectual property brought about by musical digital culture along with identifying some challenges for scholars and actors of the musical world for the years to come.

Dans cet article, l’auteure présente une mise en perspective de la politique culturelle menée par Gilberto Gil entre 2003 et 2008 au Brésil, de manière à identifier par le biais d’une méthode multidisciplinaire – sociomusicologie, ethnomusicologie, études culturelles, droit, politiques culturelles et étude de l’industrie musicale – les aspects pionniers de cette tentative de légitimer institutionnellement des pratiques musicales impliquant l’échantillonnage et le remix. Les mutations engendrées par l’ère numérique exigent des réflexions de fond concernant l’avenir de la « culture numérique », incarnée de manière particulièrement instructive dans le laboratoire de production et de diffusion musicale « glocale » que constituent les musiques urbaines au Brésil. Cette étude permet de clarifier la redéfinition de l’« auteurité » musicale et de la propriété intellectuelle à l’œuvre dans la culture numérique et identifie quelques défis pour les chercheurs et les acteurs du milieu musical pour les années à venir.

INDEX

Mots-clés: acculturation / créolisation / hybridation, adaptation / appropriation / emprunt, autorité / auctorialité, cultures urbaines, droits d’auteur / de propriété / copyright, échantillonnage / sampling / Djing, économie de la culture, industrie du disque / musicale, multi/interdisciplinarité, numérique, politique culturelle, impérialisme / (post)colonialisme Geographical index: Brésil / Brazil nomsmotscles Gil (Gilberto) Chronological index: 2000-2009 Subjects: brésilienne / MPB Keywords: adaptation / appropriation / borrowing, authority / authoriality, urban cultures, copyright / author / property rights, sampling / Djing, cultural economy, music / recording industry, multi/interdisciplinarity, digitality, cultural policy, acculturation / creolization / hybridization

AUTHOR

HÉLÈNE GARCIA-SOLEK

Compositrice (musique mixte et électroacoustique), technicienne de son, enseignante, chercheuse, membre de IASPM-Canada, Helene GARCIA-SOLEK s'intéresse à la culture numérique et à ses enjeux sur la définition actuelle des droits d'auteur. Lors de ses études doctorales à l'Université de Montréal, sous la supervision de Caroline Traube et Michel Duchesneau, elle a

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posé les jalons méthodologiques d'une approche combinant la sociomusicologie, les technologies musicales ainsi que l'étude du droit concernant l'emprunt musical à l'ère numérique. Elle aspire à participer aux discussions émergentes concernant les aspects politiques, sociaux et éthiques de la "culture libre" en musique, ainsi que l'impact sur les réformes du droit d'auteur et des politiques culturelles impliqué par la redéfinition de l'authorship, de la liberté artistique/ d'expression et des identités culturelles. Outre ses recherches, elle est actuellement présidente de la Société de concerts de Montréal, qui cherche à démocratiser l'accès à la musique classique dans les quartiers socialement et culturellement défavorisés de Montréal. mail

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Discourse in Música Latinoamericana Cultural Projects from Nueva Canción to Colombian Canción Social Les discours dans les projets culturels de música latinoamericana, de la nueva canción à la canción social colombienne

Joshua Katz-Rosene

1 IN RECENT HISTORY, movements and institutions of progressive and conservative stripe, in subordinate as well as dominant positions, engaged in protest or totalitarian control, have drawn on cultural resources labelled as folkloric to advance their political goals. From the North American perspective, one of the most comprehensively documented cases of this phenomenon is the appropriation of working-class folk music from the U.S. South by activists from the American Communist Party during the 1930s Popular Front era and its thorough integration into leftist culture through the mid-twentieth century. Various types of movements may differ in their motivations for and approaches to enlisting folk music to their cause. Nevertheless, they must all engage with pre-existing discourses pertaining to the concept of folk culture and frame the ideas they deploy from those discourses in ways that fit their broader ideologies. William Roy has proposed that folk- based musical categories are socially constructed and in some cases politicized through the discursive “work” undertaken within “cultural projects” (2010: 50-1).

2 In this article, I follow the discourses elaborated for música latinoamericana (literally, Latin American music), a broad musical category encompassing a wide range of Latin

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American—and especially Andean—folk genres within successive, interrelated cultural projects. I begin with the nueva canción (new song) movements of protest music in the Southern Cone and continue with the nueva canción latinoamericana (Latin American new song) network to which they gave rise, ultimately focusing on música latinoamericana’s development in Colombia. The initial Colombian practitioners of música latinoamericana in the mid-1970s adopted several facets of the discourse pertaining to this music—along with the musical models themselves—from nueva canción latinoamericana (henceforth NCL). However, they later refined claims about the style’s significance, its distinctiveness from other musical categories, and its political symbolism to fit changing cultural contexts in the cities of the Colombian interior. I argue that the ideational framework produced in conjunction with these cultural projects has ensured that música latinoamericana continues to be equated with anti- establishment politics in Colombia.

Figure 1: Track listing for the 1970 Inti-Illimani LP Cóndores del Sol (EMI LDC-35254).

The genre listed in the liner notes is given first (when provided), followed by the author’s precision in square brackets.

3 Starting in the mid-1960s, Chilean nueva canción ensembles such as Quilapayún and Inti- Illimani took up a format that featured Andean instruments like the kena (Andean flute), zampoñas (panpipes), charango (small Andean guitar), and bombo (drum), and built up repertoires that prominently featured stylized arrangements of rural mestizo and indigenous genres from Peru (huayno), Bolivia (huayño, cueca), northwestern Argentina (bailecito, carnavalito, zamba), and to a lesser extent, Ecuador (sanjuanito). However, these ensembles also performed folkloric genres from such varied places as Cuba (son), Venezuela (joropo), Mexico (son), and Chile itself (Chilean cueca, as well as trote and cachimbo from Chile’s northern Andean region), and they incorporated many of the instruments traditionally used to execute them.1 These groups flourished in the late 1960s in tandem with the campaign that brought the socialist Popular Unity coalition into power in Chile in 1970. Following the military coup led by Augusto

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Pinochet in 1973, most nueva canción artists were forced into exile and many subsequently spent years travelling the globe soliciting solidarity for the Chilean people’s struggle to restore democracy.

4 As was the case in diverse locales throughout Latin America, Chilean nueva canción strongly impacted left-leaning artists in Colombia as of the late 1960s (Gómez, 1973). The nuevo cancionero argentino (“new Argentine songbook”) initiated by Argentine musicians and intellectuals in 1963, along with the Uruguayan variant of protest music that came to be known as canto popular (popular song), were also on Colombian musicians’ radars. Nueva trova (new song), the Cuban movement that together with its counterparts in the Southern Cone began constituting the international NCL scene during this period, was increasingly influential. Colombian musicians’ own take on oppositional music-making was known from the late 1960s on as canción protesta (protest song). In 1968, a small group of musicians in the capital, Bogotá, founded the Center for Protest Song, which hosted a peña (coffee house) of folk and protest music (Voz Proletaria, April 25, 1968; Gómez, 1973). Among the artists who were involved with this Center were the singer-songwriter Pablus Gallinazo and the duo Ana y Jaime, who would go on to achieve commercial success and become the most well-known representatives of Colombian canción protesta. They appear to have preceded the main surge of musical influence from the Southern Cone by some years, although Ana y Jaime later popularized in Colombia songs such as “Ni Chicha ni Limoná,” by Chilean nueva canción icon Víctor Jara, and “A Desalambrar,” by Uruguayn canto popular figurehead Daniel Viglietti. Nevertheless, by the late 1970s progressive musicians in Colombia’s highland cities of Bogotá and Medellín, and especially those attending public universities, had gravitated towards the type of music disseminated by NCL groups that came to be known as música latinoamericana.

5 In my search through archival materials, I found that the term canción protesta was replaced by the moniker canción social (social song) in Colombia over the course of the 1980s and 1990s. Today, the canción social category includes the widely known stars of NCL, Colombian singers of canción protesta from decades past, and contemporary artists associated with a range of artistic and political sectors. While canción social is thus fairly heterogeneous in terms of musical style, a firm link persists between música latinoamericana and the very notion of socially conscious music in Colombia, as represented by canción social.

6 A note concerning terminology is in order before proceeding. My use of the term música latinoamericana here is intended to reflect its usage by my consultants and in general parlance.2 In Colombia, this appellative is used interchangeably with música andina (Andean music) to denote the broad musical style, described above, in which folkloric genres and instruments from South America’s central Andean region (Ecuador, Peru, Bolivia, and the northern reaches of Argentina and Chile) are foregrounded.3 In some cases, though, the scope of música latinoamericana surpasses that of música andina to include folkloric styles from other Latin American countries. The meaning I intend here is perhaps best captured by the less commonly employed phrase música andina latinoamericana (Andean Latin American music). To confuse the nomenclature further, the term música andina colombiana (Colombian Andean music) designates the creole musical forms (e.g. bambuco, pasillo) that are native to the central highland area of the country. While a detailed explanation of musical differences between música andina and música andina colombiana is not possible here, one important

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distinction is that Amerindian wind instruments such as kena and zampoñas are vital in the former, whereas the latter depends primarily on various stringed instruments adapted from European models (e.g. tiple and bandola).

Música Latinoamericana in Colombia

7 A small number of groups, including Los Hermanos Escamilla, which had ties to the Communist Party, began performing música latinoamericana in Bogotá in the early 1970s. But it was only in the second half of the decade that a set of musicians, most of them students at the capital’s public universities, began to form the ensembles that would become the style’s major exponents in Colombia during the 1980s, including Chimizapagua (ca. 1976), Tikchamaga (ca. 1977), and Alma de los Andes (ca. 1978). In Colombia’s second largest city, Medellín, the Communist Party members who founded the ensemble Quiramaní towards 1975 started out by interpreting repertoire from the Argentine nuevo cancionero and Chilean nueva canción for Party functions in the city (Safira, personal communication). The group that has been the main conduit in Medellín for the musical agenda established by NCL ensembles is Grupo Suramérica, created by a group of students in 1976. Musicians in the southern-central city of Cali (Waxer, 2001: 235), the nearby town of Sevilla (Ochoa, 1996: 95), and the southwestern city of Pasto (Broere, 1989: 117) also experimented with the NCL brand of música latinoamericana during the 1970s.

8 If música latinoamericana first took hold in Colombia during the 1970s, the 1980s marked its heyday. In 1980, Grupo Suramérica hosted the Concert for Latin America, an event that brought together a dozen ensembles specializing in the latinoamericana style and attracted thirty thousand spectators (El Mundo, July 27, 1980). A few months before the event had its second iteration in 1981, a headline in a major Medellín newspaper announced, “Música Latinoamericana Breaks Through Among the Youth” (El Colombiano, March 27, 1981). A similar large-scale “Latin American Concert” was held in the same year in Bogotá (figure 2).

Figure 2: Flyer for the 1981 “Latin American Concert” in Bogotá

(from the personal collection of William Morales).

9 Many of the musicians with whom I spoke looked back on the 1980s as a time during which this format became a minor fad. With the music increasingly accessible through live performance at festivals and well-attended peñas, and audible on specialty radio programs (Roger Díaz, personal communication), a number of groups emerged to

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satisfy the growing demand, the most prominent of which were Vilcapampa (1979), Nuestra América (ca. 1981), and Illary (1986), all from Medellín. However, very few of the first groups to adopt música latinoamericana continued this type of work into the 1990s. Towards the end of the 1980s, the socially conscious stream of música latinoamericana began to cede ground to a more conventional emphasis on romantic themes. This approach was exemplified by the super group of Bolivian folk music Los Kjarkas, which several consultants credited for taking the style in a commercial direction.

Discourse in Música Latinoamericana Cultural Projects

10 As discussed in the introduction, Roy’s description of the workings of a cultural project can be helpful for understanding how musical categories acquire socio-political meaning: “A cultural project is a coordinated activity by an identifiable group of people to define a category of cultural objects, distinguish it from other cultural objects, make claims about its significance and meaning, promote its adoption by others, and thereby have a social impact” (2010: 50, my emphasis). As seen here, three of the closely interrelated endeavours that come together in an archetypal cultural project to produce a coherent discourse about the cultural objects at its core are “definition work,” “boundary work,” and “significance claims.” Examination of the ideas about música latinoamericana that were forged in successive cultural projects—in the Southern Cone movements of politically conscious music, in the transnational arena of NCL, and in Colombia—allows us to observe how the discourses relating to this stylistic mode were propagated and adapted in differing geographic and temporal contexts.

11 As I demonstrate below, musicians in Colombia received many of their original extra- musical beliefs about música latinoamericana from the bourgeoning NCL complex, of which the Southern Cone movements were driving forces. Beginning with the 1967 International Meeting of Protest Song in Cuba, artists from numerous Latin American countries intermingled regularly in the NCL festival circuit through the 1970s and 1980s. Musicians with similar—but by no means uniform—political philosophies increasingly hashed out the richly layered associations they had already attributed to música latinoamericana within their “national” milieus in this pan-Latin framework.4 As such, the task of comprehensively identifying the prevailing themes in the discourse around música latinoamericana in this transnational cultural project is a knotty one that is beyond the scope of this study. Using Roy’s model as a guide, I want to therefore focus here on one fundamental significance claim, one example of the key boundary demarcations affirmed for this musical category, and finally, what I propose to be its broadest definitional concern, with a view towards tracking how these notions evolved in Colombia.

Latin American / Andean Unity

12 It is clear that the celebration of a unified Latin American identity was an important significance claim that underpinned the adoption and projection of música latinoamericana by NCL musicians throughout the continent. A sense of “Americanism” had guided the work of musicians involved with the nuevo cancionero in Argentina during the 1960s (Molinero & Vila, 2014: 195). The prominence of Andean and other

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Latin American folk music in Chilean nueva canción can be partly attributed to this strong Latin Americanist sentiment, as composers sought to express their cultural kinship with the other peoples of Latin America in song texts and through their selection of musical genres (Orrego Salas, 1985: 6-7; Rodríguez Musso, 1988: 62). Guillermo Barzuna cites a number of songs by NCL musicians from Chile, Argentina, Uruguay, and Cuba in which the idea of continental unity is advanced (1997: 105-14). Similarly, musicians affiliated with NCL in Mexico (Pacheco, 1994: 336) and Nicaragua (Scruggs, 2006) rationalized their engagement with pan-Latin folk styles with the idea that a united front was required for the struggle against the continent’s multiple despotic regimes.

13 Musicians in Colombia who began to take up música latinoamericana during the 1970s were apparently cognizant of this perspective on the category’s significance. Gustavo Escamilla, of the ensemble Los Hermanos Escamilla, described the mindset among his cohort of revolutionary artists as such: “And then some lovely texts begin to say ‘Latin America must go hand in hand to build a united society.’ A Latin American way of thinking was born: not Colombian, nor Argentine, nor Chilean—Latin American” (personal communication).5 It is unsurprising to find that the names of latinoamericana groups in Colombia, such as Grupo Suramérica (“South America Ensemble”) and Nuestra América (“Our America”), conjured the notion of a continental identity. This idea was also prominent on record jackets and in concert programs through the 1980s, as when, in the program notes for a Chimizapagua performance in Bogotá on October 5, 1984, the group states that they integrate music from the entire Andean region in order “to reaffirm Latin American unity in its cultural expression.”

14 However, my findings suggest that a claim for a more particular kind of Andean cultural unity arose as a discursive justification for the performance of the Andean- oriented brand of música latinoamericana in Colombia as a discernible cultural project coalesced around the music in the late 1970s. Involvement with the music has permitted musicians to assert cultural links between Colombia as an Andean nation and the core Andean region of South America that stretches up from northwestern Argentina and northern Chile, and through Bolivia, Peru, and Ecuador. In a 1981 interview, for instance, a member of Alma de los Andes (“Soul of the Andes”) stated: “This Andean music that we perform [. . .] transforms us into veritable brothers of the northern Argentines, of the Chileans, Bolivians, Peruvians, and Ecuadorians” (Cruz Cárdenas, 1981). I further noted that the musicians I interviewed consistently highlighted the belonging of the southwestern Colombian highlands, specifically, to this greater Andean area. They often buttressed their assertions that Colombia is part of the Andean world by referencing the fact that the Inca Empire extended through the region mapped out above into what is today Colombia’s southwestern tip.6

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Figure 3. Back cover of the 1984 Chimizapagua album Experiencia (Philips 818696-1).

15 The linkage between the southern Colombian highlands and the rest of Andean South America had been practically embodied in the work of the ensemble Chimizapagua, which split its performances and recordings roughly equally between música latinoamericana and the southern Colombian chirimía configuration (figure 3). Many Colombians tend to associate the latter ensemble type, which is made up of transverse flutes and drums and has been traditionally performed in indigenous and peasant communities, more closely with musical expressions to the south of the Colombian border than with música andina colombiana, the string-based music of the central Colombian Andean zone. Musicians, among others, frequently invoke the Incan connection to account for these types of cross-border musical affinities. In the program notes for one of Chimizapagua’s 1991 performances, for example, folklorist Guillermo Abadía Morales posited that “rhythmic accents” from the music of the “Incaic zones” could be heard in the traditional music of southern Colombia.

16 Second- and third-generation practitioners of the socially conscious strain of música latinoamericana in Colombia have continued to postulate a deeply rooted, common Andean cultural identity, which manifests in the musical realm, as a key significance claim for música andina latinoamericana. When in 2011 I spoke with members of the ensemble Nuestro Tiempo (Our Time), formed in Medellín in 1999, one musician stated his belief that certain folk genres in the southern Andean area of Colombia “bear a greater resemblance to the Argentine chacarera, to the Chilean cueca, to Ecuadorian music” (personal communication). I found further evidence for the persistence of this idea among people involved with Andean music in recent years during my participation with one of the many panpipe troupes currently active in the Bogotá area. While these ensembles focus musically on panpipe consort genres from Peru and Bolivia, the only form of Colombian music they practice is chirimía music.

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Anti-Commercialism

17 The symbolic evocation of Latin American unity that participants of the NCL movement ascribed to música latinoamericana was closely tied to the “boundary work” through which they positioned it in contrast to non-Latin American cultural forms and in opposition to commercial popular music more broadly. The artists who launched the nuevo cancionero argentino had already denounced “the invasion of the decadent and vulgar foreign hybrids forms” along with commercial interests in music in their 1963 manifesto (Tejada Gómez, 2003 [1963]). Similarly, the Chilean nueva canción musicians who began integrating Latin American traditional genres into their work in the late 1960s were reacting simultaneously to the dominance of Euro-American music in the mainstream media and to the commercial orientation of the urban Chilean neofolklore scene that had arisen in the early 1960s (Rodríguez Musso, 1988: 60; Torres, 1980: 40). In recalling the principles he and the co-founders of Quilapayún sought to uphold in their own ensemble, Eduardo Carrasco Pirard wrote: “We did not want to make concessions to the commercial [. . .] We also rejected the Anglo-Saxon penetration in our music [. . .] in this during much time we took our Latin Americanism to the extreme.” (2003: 22) Carrasco has also proposed a fundamental “dividing line” between, on the one hand, “run-of-the mill popular song” that subscribes to market dictates and accommodates the hegemony of foreign influences, and on the other, the various manifestations of nueva canción in Latin America (1982: 601-2).

18 As Colombian musicians developed their understanding of what música latinoamericana meant to them in the early 1980s, they maintained similar discursive boundaries around the music. For example, an article about Chimizapagua related that their music “presents a challenge to commercialization and the tastes imposed by record labels and foreign cultures” (Vanguardia Liberal, December 20, 1982). The musicians of Alma de los Andes alluded more specifically to the musical forms that they felt were corrupting Latin American identity: “We are not unfamiliar with rock, nor disco music [. . .] but in reality the contribution that these expressions make to us, the Latin American youth, and in general to the culture of our continent, is minimal.” (Cruz Cárdenas 1981)

19 Contemporary supporters of música latinoamericana appear to have inherited the anti- commercial posture forged earlier on, since they continue to register distinctions between socially conscious música latinoamericana and the mainstream popular music that reigns in Colombia’s cosmopolitan centers. Among musicians in the metropolises of the central Colombian highlands, this perspective ties in to their expressions of envy that música latinoamericana has a higher profile in the southern Colombian cities of Pasto and Popayán, not to mention massive followings in Andean countries like Ecuador and Bolivia. For instance, a posting on the Facebook page of a Medellín group in November 2012 set up a stark division between a festival being held in Quito, Ecuador, which featured a number of the NCL groups that helped pioneer the latinoamericana format, and the concerts put on by Madonna in Medellín on the same nights. It read, “Greetings to all the people of Quito who have been enjoying [. . .] that music which is still necessary and remains current. Quilapayún, Inti-Illimani: [. . .] what revelry of good music that doesn’t require extravagant stages, or dancers, or superficial

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pop idols created by marketing and scandal, like the one that will visit our city tomorrow. Quito, enjoy that music of which little remains.”

20 Today, latinoamericana musicians perceive that the unabashed commercialism of reggaeton, a genre with unmistakable Latin American roots, poses the greatest threat to the progressive values encoded in their preferred medium. A mix of hip-hop and Jamaican dancehall reggae with Spanish lyrics, reggaeton achieved enormous popularity throughout Latin America in the early 2000s and remains a vital trend (Grove Music Online). While many of the genre’s early stars and a great number of its consumers were Puerto Rican, a recent newspaper headline in Colombia trumpeted: “Medellín Unseats Puerto Rico as ‘Global Capital of Reggaeton.’” (El Tiempo, October 17, 2013). Reacting to this development, Roger Díaz of Illary told me: “Unfortunately this is a city now absolutely inundated by reggaeton [. . .] and by a lifestyle that is every day more consumerist, every day more classist, so [. . .] there are some sectors that see [canción social] [. . .] as something that is no longer worth disseminating.” A musician in Bogotá who was part of the latinoamericana vocal ensemble Quinteto Fuga during the 1980s similarly juxtaposed the extra-musical associations evoked by música latinoamericana to those accompanying reggaeton: “The symbolism is basically—it’s historical, you know? Música latinoamericana equals Inti-Illimani, equals Chilean revolution, equals bearded men, equals ponchos, hippies; so people associate those things. In other words, people don’t associate música andina for example with sunglasses, or watches, or cars, like they do with reggaeton.” (personal communication)

A Broad Definition

21 It is not surprising that the musician just quoted would point to such strong associations between música latinoamericana and political turmoil in Chile. The music’s history in that country was crucial to how Latin Americans and those further afield processed its political meaning. Andean music, especially, was imbued with strong leftist associations thanks to the political inclinations of its foremost disseminators in Chile, such as the Parra family (Rios, 2008: 156), and the support that its exponents lent to Salvador Allende’s Popular Unity coalition during its campaign for the 1970 elections and during its time in government from 1970 to 1973 (Fairley, 1989: 5). A clear indicator of the extent to which this music was indelibly identified with progressive politics in Chile is the de facto—if never officially decreed—ban that existed on Andean music and instruments during the early years of the dictatorship (Jordán, 2009: 81-3). As they criss-crossed the world after 1973 commemorating the fallen socialist government and promoting other leftist causes, Chilean nueva canción ensembles established a profound connection for their audiences between música latinoamericana and leftist politics as represented by their anti-Pinochet stance (Rios, 2008: 170).

22 While Chilean political exiles were the most successful group in generating attention internationally for human rights violations in their homeland, the 1970s also saw dissidents fleeing dictatorships in Argentina and Uruguay and attempting to drum up opposition to the repressive regimes in those countries (Sznajder & Roniger, 2009). Militant pro-democracy movements throughout the Southern Cone captured the imagination of the Colombian Left during the mid-1970s. Organizations and individuals in Colombia that were sympathetic to the Chilean cause held solidarity actions (Grabe, 2000: 69) and the leftist press reported closely on the situation in Chile (Ayala Diago,

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2003: 333). In the most radical sectors of Colombian society, armed rebel groups had ties to, and in some cases direct involvement from members of, guerrilla organizations in Argentina, Chile, and Uruguay, and even received cassettes of music and poetry from them (Grabe, 2000: 69, 85, 135-7). As such, while early aficionados of música latinoamericana in Colombia likely associated it closely with the Chilean struggle, many of them defined the style as more broadly relating to resistance against dictatorships across the Southern Cone. William Morales, who performed with an exiled Argentinean in a duo called Por Latinoamérica (For Latin America) before joining Chimizapagua, drew a direct correlation between the installation of hardline regimes in Chile and Argentina and the reception of NCL among students at the National University in Bogotá during the mid-1970s: “We are talking about a very critical moment, about the political difficulties in Argentina; we are talking about the political problems in Chile. We were a student body that received those influences. We’re talking about Violeta Parra, about Víctor Jara, and even about Atahualpa Yupanqui.” (personal communication)7

23 At a “festival of Latin American song” held in Bogotá in 1976, which was titled Este Canto en Libertad (This Free Song) and was attended by artists from several countries, the performers read a “manifesto of solidarity with the victims of repression in Latin America”; at least one musician strummed along on a charango (Alternativa 96, August 30, 1976). While there can be little doubt that the declaration included denunciations of the violent tactics used to quash political dissent in the Southern Cone nations, the pan-Latin NCL movement was concerned with state-issued oppression, socialist/communist revolution, and anti-imperialism throughout the continent and beyond (e.g. the Vietnam War). In the late 1970s, revolutionary efforts such as those taking place in Central America garnered much attention, and exiled nueva canción ensembles working in the latinoamericana format called for solidarity with the revolutionary fighters and the people they were purporting to liberate (Fairley, 1989: 14). At a basic level, then, during the 1970s NCL musicians and activists positioned música latinoamericana as fundamentally expressing the counter-hegemonic aspirations of the Latin American leftist community (Bodiford, 2007).

24 During música latinoamericana’s zenith in Colombia in the 1980s, however, some musicians who specialized in this style actually tried to distance themselves from its political associations. Speaking about the origins of his ensemble Nuestra América in the early 1980s, one member commented: “we were leaving the era of protest music and from the beginning we wanted to develop a message that eschewed political propaganda” (El Mundo, July 19, 1993). While it is not possible here to fully explore the motivations behind this apparent shift, it should be noted that the end of the 1970s ushered in a period of intense political repression in Colombia itself. In 1978, President Julio César Turbay Ayala imposed a Security Statute that targeted leftist political activity and instituted strict controls over the media (Palacios, 2006: 197). More than one musician told me about having experienced direct and indirect censorship and threats from the security establishment during this time. On the other hand, the primary audience for música latinoamericana during the 1980s, and the source for many of its performers, was the student population, which had become increasingly identified with the Left since the 1960s and was ramping up its protests on several fronts in the early 1980s (Archila Neira, 2003: 150, 398). Many of my consultants agreed that this constituency helped to sustain the music’s overall political connotations in the public domain.

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25 It is evident that contemporary practitioners of música latinoamericana must negotiate the multiple and sometimes contradictory layers of symbolism it has accrued over the decades since it took root in Colombia. The activist-musicians from the ensemble Nuestro Tiempo, for example, decried the fact that the latinoamericana style had become a fad in Medellín during the 1990s, losing much of its political salience (personal communication). One member spoke about having previously played in an ensemble modeled after Los Kjarkas and feeling a profound disconnect between the predominantly romantic orientation of their repertoire and the realities of violence and poverty experienced in his working-class neighbourhood. Even as they reflect critically on their cultural distance from the era of revolutionary fervour in which música latinoamericana was first introduced in Colombia, the members of Nuestro Tiempo seek to recuperate some of the political resonance it initially carried. For instance, when I asked why their politically committed project was still fundamentally executed using the latinoamericana format, one member responded: “It may be that we are a bit stubborn, since in fact what we are describing to you is the opposite tendency, that there was a rupture between those formats and the old repertoire and oppositional song [. . .] the group since its beginnings has attempted to kind of negotiate that contradiction: ‘Well that’s such a cliché [. . .] that’s something from the seventies,’ and people said, ‘man it’s just that talking about political music, from the panpipes to the charango, the same old stale story [. . .]’ And perhaps our position was idealistic but that’s why we said it is Our Time [Nuestro Tiempo]—to sort of reserve for ourselves the right to sing in that format. Because it has meaning: that format is built very eclectically, but it is a puzzle that unites Latin America on one stage—an on-stage proposal; and that already has a political intention [. . .] The ponchos have meaning; the kenas have meaning, the panpipes—all of that.”

26 Notwithstanding the apparent “rupture” between música latinoamericana and the dominant political interpretations carved out for it in the 1970s, the “definition work” carried out in the context of the NCL movement—including at its Colombian node — during that time has ensured that an equation between the style’s Andean nucleus and anti-establishment politics has become deeply embedded in Colombian popular discourse. I observed one illustration of this relationship in the present day when I attended a public hearing in the Plains region on labour and land rights that was organized by a coalition of unions and activist organizations. One of the most prominent traditional and popular musics in the Plains region is música llanera (Plains music), which is typically performed with harp, cuatro (four-stringed guitar), and maracas, and it is quite distinct from Andean music. Remarkably, though, the only instruments I saw at the meeting itself were Andean kenas and zampoñas, and música latinoamericana figured conspicuously in the pre- and post-hearing playlists. There is also a darker side to the indelible association between música latinoamericana and leftism: An informant in a study on the violent conflict in northern Colombia testified that paramilitaries accused her of being affiliated with the Revolutionary Armed Forces of Colombia (FARC)—an allegation that carried great risk—merely because she listened to música andina (Madariaga, 2006: 52).

27 Given the enduring political symbolism attached to música latinoamericana, it is natural that it remains closely linked to the umbrella category for socially conscious music known as canción social. One example of this tight association came when I asked a street vendor in downtown Bogotá if he had any records of Andean folkloric music and he replied instead that he did have canción social LPs. The overlap in audience for these

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categories does not escape marketing personnel in the music industry, as can be appreciated in an advertising insert found in the CD Canción Social: Grandes Clásicos Vol. 2 (Great Classics) that lists the issuing label’s other offerings in the “Música Andina & Canción Social” grouping. In fact, when independent Colombian labels sought to capitalize on the interest in social compilations in the early 2000s, they turned to ensembles specializing in música latinoamericana to record covers of the staples of this repertoire. There is coincidence too in the spaces in which canción social and música latinoamericana are performed. Groups dedicated to música latinoamericana are usually included in events that bear the canción social label, as was the case when Grupo Suramérica headlined the First Festival of Canción Social in Medellín in 2009, and Andean music festivals typically showcase at least one ensemble that is categorized primarily under the rubric of canción social. In other cases, the correspondence between these categories is made explicit, as in the Noche de Canción Social, Andina, y Latinoamericana (Evening of Social, Andean, and Latin American Song) held in 2012 in Medellín (figure 4).

Figure 4. Promotional image for the Evening of Social, Andean, and Latin American Song.

Summary

28 During the 1970s, NCL ensembles inspired leftist musicians in Colombia to cultivate música andina latinoamericana. Ideas concerning the significance, boundary delineations, and overall definition of the musical practices in this category of Andean-oriented, pan-Latin American folkloric music accompanied its arrival in Colombia. At this juncture, the music’s linkages to Latin American unity, anti-commercialism, and anti- dictatorial struggles throughout Latin America were generally consistent with the

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meanings generated for it in the NCL movement. As a robust música latinoamericana cultural project was consolidated in Colombia in the late 1970s and into the 1980s, its participants reconfigured certain aspects of this discourse. For them, performance of the music was connected to a proclamation of expressly pan-Andean cultural ties, an idea that is still voiced today. Colombian adherents have continued to evoke the distinction that has long been made between música latinoamericana and commercial popular music trends, but in the twenty-first century they have presented it especially as an antidote to the commercialism of reggaeton. Although some artists sought to downplay música latinoamericana’s political associations during the 1980s, later generations of politically minded musicians have made a point of resuscitating them. This stylistic mode still carries the hue of leftist politics in Colombia and is inextricably tied to the category of canción social.

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NOTES

1. Inti-Illimani’s 1970 recording, Cóndores del Sol, offers a representative example of this approach (see figure 1). 2. This article is based on ethnographic and archival research conducted in several cities of the Colombian interior between 2011 and 2014. All translations from Spanish-language interviews and texts are my own.

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3. For example, note how the musician quoted on page 12 alternates between the two terms. While it is difficult to ascertain precisely how the term música latinoamericana came to refer to this specific format in Colombia, it is clear that this usage was already in place by the beginning of the 1980s. The phrase appears to have taken on a similar meaning in Peru (Oliart & Lloréns, 1984: 81) and Chile (Laura Jordán, personal communication). It should be stressed that the term would not be similarly understood throughout Latin America: In Bolivia, this type of music was labelled música nacional (national music), as it in fact drew heavily on Bolivian genres (Rios, 2009: 11). 4. In fact, Fernando Rios has shown that the process through which Andean music took on political connotations unfolded over transnational cosmopolitan networks linking Latin America and Europe from the outset (2008: 154-55). 5. The first half of the lyrical fragment cited appears to be from the song “Venas Abiertas,” which was recorded by Argentine nuevo cancionero luminary Mercedes Sosa. 6. Indeed, political cohesion in a large swath of South American territory under Inca rule had already inspired the pan-Latin approach of Chilean nueva canción artists (Rios, 2008: 156). 7. The folklorist-composers Violeta Parra and Atahualpa Yupanqui, from Chile and Argentina, respectively, are widely hailed as the progenitors of NCL.

ABSTRACTS

In this article, I follow the discourses elaborated around música latinoamericana (“Latin American music”), a broad musical category encompassing a wide range of Latin American—but especially Andean—folk genres within successive, interrelated “cultural projects.” I examine the extra- musical meanings attributed to this stylistic mode in the nueva canción (new song) movements of protest music in the Southern Cone, the transnational nueva canción latinoamericana network to which they gave rise, and ultimately focus on música latinoamericana’s development in Colombia. During the mid-1970s, the initial Colombian practitioners of música latinoamericana adopted several facets of the discourse pertaining to this music—along with the musical models themselves—from nueva canción latinoamericana. However, they later refined claims about the style’s significance, its distinctiveness from other musical genres, and its political symbolism to fit changing cultural contexts in the cities of the Colombian interior. I argue that the discursive “work” undertaken in these cultural projects has ensured that música latinoamericana continues to be equated with anti-establishment politics in Colombia, and hence that it remains closely tied to canción social (social song), the present-day category for socially conscious music.

Dans cet article, j’entends étudier les discours qui ont accompagné la música latinoamericana (« musique latino-américaine ») - une catégorie musicale vaste, qui inclut une grande gamme de musiques traditionnelles d’Amérique latine, mais plus particulièrement les genres andins – au sein de « projets culturels » successifs et interreliés. J’examine les significations extra-musicales attribuées à ce style dans les mouvements protestataires de la nueva canción (nouvelle chanson) dans le Cône Sud, le réseau de la nueva canción latinoamericana qu’ils engendrèrent, et me concentre enfin sur les développements de cette musique en Colombie. Au milieu des années 1970, ses premiers interprètes colombiens adoptèrent plusieurs facettes du discours relatif à cette musique, ainsi que les modèles musicaux eux-mêmes, qu’ils trouvèrent au sein de la nueva canción latinoamericana. Néanmoins, ils affinèrent plus tard leur conception de la signification du

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style, de son originalité et de sa symbolique politique, afin de s’adapter aux contextes culturels changeants des villes de la Colombie intérieure. Je soutiens que ce « travail » discursif entrepris au sein de ces projets culturels explique pourquoi cette musique continue à être associée en Colombie à l’opposition au système dominant et qu’ainsi, elle reste liée à la canción social, la catégorie utilisée actuellement pour dénoter la musique engagée.

INDEX

Mots-clés: discours, mainstream / commerce / marchandisation, politique / militantisme, transnationalité, identité individuelle / collective nomsmotscles Chimizapagua, Inti-Illimani, Nuestro Tiempo Subjects: canción social / nueva canción, chants de lutte / protest songs, chanson / song Keywords: discourses, identity (individual / collective), mainstream / commercialism / commodification, politics / militancy, transnationality Geographical index: Amérique latine / Latin America, Colombie, Chili Chronological index: 1960-1969, 1970-1979, 1980-1989, 2010-2019

AUTHOR

JOSHUA KATZ-ROSENE

Joshua KATZ-ROSENE poursuit un doctorat d’ethnomusicologie au Graduate Center de la City University of New York (CUNY), sur la canción social [chanson sociale] colombienne. Son travail sur les fanfares dans les Andes péruviennes fut publié dans la Latin American Music Review et ses articles sur les musiques d’Amérique du Sud ont été publiés dans Gale World Scholar et dans Music around the World. Il a enseigné la musique latino-américaine et l’ethnomusicologie à l’Université de Californie à Santa Cruse et au Brooklyn College, CUNY. mail

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Prix IASPM-branche francophone d'Europe IASPM-French-speaking European branch prize

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L’identité anglaise dans Dr Dee: An English Opera de Damon Albarn British Identity in Damon Albarn’s Dr Dee: An English Opera

Ifaliantsoa Ramialison

Prix annuel 2013 jeune chercheur IASPM branche francophone d'Europe *

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1 PRÉSENTÉE POUR LA PREMIÈRE FOIS au Manchester International Festival (MIF) en juillet 2011, Dr Dee : An English Opera est une œuvre composée par le musicien anglais Damon Albarn. Elle retrace la vie de John Dee (1527-1608) qui fut cartographe, mathématicien et magicien durant le règne d’Élisabeth Ire. Il est également considéré comme l’un des précurseurs de la construction de l’Empire britannique (Armitage, 2000 : 105). Le MIF contacta tout d’abord l’auteur de BD Alan Moore pour créer un opéra en collaboration avec Albarn et Jamie Hewlett, co-créateur avec Albarn du groupe Gorillaz. Après les retraits de Moore et de Hewlett, le projet fut mené à bien par Albarn et le metteur en scène anglais Rufus Norris. Pour ce dernier, Dr Dee est « un panégyrique contemporain ou un cycle de chansons qui traduit la façon dont Damon conçoit l’anglicité1 et la mélancolie anglaise ; l’œuvre met en scène un désir de quête spirituelle et une ouverture d’esprit symbolisés par Dee2 » (ENO, 2011 : 28). L’opéra fut ensuite présenté à l’English National Opera (ENO) de Londres durant l’été 2012 dans le cadre de l’Olympiade Culturelle, ensemble de manifestations culturelles organisées à l’occasion des Jeux Olympiques. Quelques mois auparavant, Albarn publiait un album intitulé Dr Dee reprenant une partie des morceaux interprétés sur scène.

2 L’identité anglaise est un thème central dans Dr Dee et occupe une place importante dans la carrière d’Albarn. Malgré une première incursion dans l’opéra avec Monkey : Journey to the West3, Albarn est avant tout connu pour ses succès dans la musique populaire avec les groupes Blur et Gorillaz. Dans les années 1990, Blur fut une figure centrale de la Britpop, contraction de « British pop », définie par Bennett (1997 : 20) comme étant : « un terme inventé par les médias dans les années 1990 pour décrire le style musical et, dans une certaine mesure, l’imagerie de nouveaux groupes britanniques comme Blur, Oasis et Pulp. La musique et les paroles des groupes Britpop étaient considérées comme un retour à une version spécifiquement anglaise de la musique populaire qui rappelait la ‘‘British Invasion’’ des années 1960, lorsque des groupes comme les Beatles, les Rolling Stones et les Kinks eurent du succès aux Etats- Unis4. »

3 Influencé par ces groupes, Blur traite explicitement de l’identité anglaise dans ses compositions et Albarn (Tellier, 1994) déclare à l’époque : « Avec le temps, nous sommes devenus un groupe foncièrement anglais. Cet ancrage culturel était une tâche essentielle pour Blur, une de mes volontés les plus profondes. » C’est donc dans cette perspective identitaire et dans le contexte de la Britpop que la musique d’Albarn a été principalement étudiée (Cloonan, 1997 ; Clément, 2008 ; Bennett et Stratton, 2010).

4 Le mouvement Britpop s’essouffle à la fin des années 1990, au moment où Albarn commence à explorer de nouveaux horizons musicaux parmi lesquels l’opéra. Cet article analyse ainsi l’expression de l’anglicité dans Dr Dee en considérant tout d’abord le contexte de production de l’œuvre. D’autre part, la dimension identitaire de la Britpop et le rôle central tenu par Albarn justifient une lecture de Dr Dee à la lumière de

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la rhétorique de ce mouvement. Enfin, il faudra considérer l’anglicité de Dr Dee dans le contexte des Jeux Olympiques et la confronter à la rhétorique olympique officielle présentant une identité multiculturelle idéalisée.

Dr Dee : un opéra anglais

La construction d’un discours sur l’anglicité

5 Dans son livret inachevé, Alan Moore revient sur la genèse de l’œuvre (2011 : 241) : « Quand on a évoqué l’idée de consacrer l’opéra à la magie, j’ai proposé de me concentrer sur les alchimistes puisque Monteverdi avait initialement conçu l’opéra comme un moyen d’exprimer son propre intérêt pour l’alchimie. […] John Dee était selon moi le protagoniste idéal, lui qui fut alchimiste mais aussi conseiller et astrologue de la reine Élisabeth Ire5. » Nous voyons que le thème de l’anglicité, absent du projet initial, est mis au centre de l’opéra par Albarn. L’exposition de la trame dramatique permet une première analyse des stratégies mises en place par Albarn et Norris pour signifier l’anglicité de l’œuvre.

6 Dans le prologue, l’anglicité est mise en scène à travers un défilé de figures emblématiques de l’histoire sociale, culturelle et politique de l’Angleterre. Menée par un punk, cette procession comprend aussi un groupe de danseurs de Morris, des suffragettes, le joueur de cricket W.G. Grace, un groupe de puritains, l’amiral Nelson et un banquier de la City. Ce mélange de références visuelles hétéroclites est complété par des références musicales. Ainsi, l’ouverture intitulée « L’Aube dorée » (« The Golden Dawn ») nous donne à entendre des chants d’oiseaux mêlés aux sons de cloches et au murmure d’un cours d’eau, créant le tableau sonore d’une Angleterre pastorale.

7 Le premier acte relate l’ascension de Dee et sa soif insatiable de connaissances. Il consulte les astres pour déterminer la date du couronnement de la reine Élisabeth Ire et entre bientôt à la Cour. Devenu le proche conseiller de la souveraine, il lui soumet l’idée de la construction d’un empire britannique. Les deux temps forts de cet acte sont ainsi les tableaux intitulés « Couronnement » et « Empire ». En mettant en avant la monarchie et l’Empire, Albarn mobilise deux signifiants traditionnels de l’identité anglaise. Dans le tableau « Couronnement », la reine reçoit les insignes de la royauté tandis qu’Albarn interprète « Un merveilleux rêve » (« A Marvelous Dream »), morceau qui lui a été inspiré par le mariage royal du Prince William et de Kate Middleton (Harris, 2011). Albarn met ainsi en scène la monarchie, institution emblématique de l’identité anglaise, dans deux de ses manifestations les plus populaires : les mariages et les couronnements.

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Illustration Tableau « Couronnement »

8 Dans le tableau « Empire », l’anglicité est représentée à travers la force navale et l’utilisation de la croix de Saint Georges. La mise en scène du drapeau national montre la mobilisation une fois de plus d’une imagerie traditionnelle pour exprimer l’anglicité.

Illustration Tableau « Empire »

9 Le second acte est centré sur la déchéance de Dee. Souhaitant repousser les limites de ses connaissances, il s’intéresse désormais aux sciences occultes ce qui lui vaut d’être expulsé de la Cour. Abandonné par les siens, Dee apparaît sur son lit de mort dans la scène finale. Albarn interprète alors l’ultime chanson « Le Roi dansant6 » (« The Dancing King ») dans laquelle il s’adresse directement à un public spécifiquement anglais en ces termes mélancoliques : « Oh la danse sans âme sur la rosée anglaise/À travers les champs verdoyants grandit une procession/Nous sommes le peuple intemporel de la rose7. » Ce retour sur la trame dramatique nous permet de voir que l’anglicité s’appuie sur une abondance d’emblèmes culturels traditionnels. Outre les stratégies musicales et scéniques utilisées, l’anglicité se retrouve aussi dans l’inscription possible de l’œuvre dans un répertoire opératique national.

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Une anglicité opératique ou populaire ?

10 Malgré l’influence de compositeurs comme Purcell ou Handel, l’existence d’un opéra anglais en tant que tradition soutenue fait débat chez les critiques et les universitaires (Guthrie, 1945 ; Degott, 2004). Comme le rappelle Couderc (2006), la création d’un opéra national est une question « qui a hanté les compositeurs, les artistes et les institutions ainsi que le public d’opéra du XIXe siècle avec l’éveil des nationalismes et des revendications identitaires. » Or, contrairement à d’autres pays européens qui avaient développé l’opéra dans un contexte de construction d’unité nationale, l’Angleterre du XIX e siècle était déjà un pays unifié, ce qui pourrait expliquer la nécessité moindre de développer un opéra autochtone. Constatant l’absence d’une tradition opératique spécifiquement anglaise, le compositeur Benjamin Britten fonda l’English Opera Group en 1947. Le manifeste de la compagnie annonçait sans ambages (BPF, 2012) : « Nous pensons que le moment est venu pour l’Angleterre qui n’a jamais eu de tradition opératique autochtone mais s’est toujours appuyée sur un répertoire d’œuvres étrangères, de se donner les moyens de créer ses propres opéras8. »

11 Il est possible d’inscrire Dr Dee dans la lignée de l’entreprise de Britten, notamment à travers son opéra Gloriana composé en 1952 à l’occasion du couronnement de la reine Élisabeth II. Décrit par Couderc (2006) comme « le plus spectaculairement anglais de tous les opéras de Britten », Gloriana a pour thème la fin de règne d’Élisabeth I re. À l’inverse, Albarn met en scène le couronnement d’Élisabeth Ire au moment où Élisabeth II fête son jubilé de diamant. Le titre « Couronnement » dans Dr Dee permet de faire le lien entre les deux œuvres car il est possible d’entendre sur ce morceau un extrait des commentaires de la cérémonie de 1952. Les correspondances thématique et contextuelle entre Gloriana et Dr Dee permettent de situer l’anglicité de l’opéra d’Albarn dans sa participation à la constitution d’une tradition opératique autochtone. L’ENO joue un rôle important dans cette entreprise comme l’illustre une programmation qui laisse une place centrale aux œuvres de Britten ; d’autre part, les œuvres étrangères présentées sont systématiquement adaptées et interprétées en anglais (ENO, 2010).

12 En dépit de ces éléments, les critiques publiées dans la presse situent l’anglicité de Dr Dee dans un contexte de musique populaire. C’est ce qu’illustre la critique du quotidien The Observer (Empire, 2012) : « Albarn conserve cette nostalgie pour une Angleterre oubliée, étrange, une description pas si éloignée de celle de l’album Let England Shake de PJ Harvey9. » Albarn lui-même se place toujours dans le paradigme pop/rock lorsqu’il déclare (Singh, 2012) : « D’évidence, je n'ai pas reçu de formation opératique […] J’étais occupé à bondir sur les scènes du monde entier au lieu d’être sur les bancs de la fac pour finir ma formation en musique classique10. » Ainsi, il faut aussi considérer Dr Dee dans un contexte de musique populaire et plus spécifiquement à travers le prisme de la Britpop, mouvement qui revendique la production d’une musique explicitement britannique et dont Damon Albarn fut une figure de proue.

Dr Dee et l’anglicité Britpop

13 Tout comme Albarn, plusieurs figures associées à la Britpop ont bénéficié d’une grande visibilité durant les JO de Londres. La cérémonie d’ouverture fut dirigée par Danny

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Boyle dont le film Trainspotting sorti en 1997 a été décrit comme celui de la génération Britpop (Harris, 2003), ne serait-ce que par sa bande originale où figurent de nombreux groupes affiliés à ce mouvement. D’autre part, en marge de la cérémonie de clôture durant laquelle se sont produits d’anciens membres d’Oasis, Blur donna ainsi un concert à Hyde Park devant 80 000 personnes. L’analyse critique du discours de l’anglicité dans la Britpop permet d’en dégager deux caractéristiques saillantes sur lesquelles nous pouvons nous arrêter.

Britpop ou Engpop ?

14 Le premier aspect pertinent de la Britpop est la confusion constatée entre les termes anglicité et britannicité11. Si le nom du mouvement suggère une identité avant tout britannique, la rhétorique Britpop se caractérise par un anglocentrisme relevé par de nombreux critiques (Bennett, 1997 ; Cloonan, 1997 ; Percival, 2010). Il est vrai que les principaux groupes Britpop sont anglais : Blur, Oasis et Pulp viennent respectivement de Londres, Manchester et Sheffield. L’interchangeabilité des termes « anglicité » et « britannicité » reflète selon Percival (2010 : 124) la vision politique de l’identité britannique à cette époque : « Les administrations Thatcher et Major (1979-1997) ont adopté une version indéniablement anglocentrique de la britannicité. […] Cette situation et le discours sur la britannicité ont très peu changé après la victoire électorale du New Labour de Tony Blair en 199712. » Reflets du contexte politique des années 1990, les compositions d’Albarn pour Blur font référence à une identité davantage anglaise, voire spécifiquement londonienne13.

15 Certains référents utilisés dans Dr Dee reprennent cette confusion héritée de la Britpop. Tout d’abord, les débuts de l’Empire sont célébrés dans le tableau éponyme par un chœur présent sur scène et scandant « England ! England ! ». Norris et Albarn ont ainsi recours à une historiographie traditionnelle plaçant les origines de l’Empire britannique dans un contexte anglais. Comme le précise Armitage (2000 : 66), « la généalogie traditionnelle situe les débuts de l’Empire britannique sous les règnes d’Élisabeth Ire et de Jacques I er d’Angleterre [...]. C’est durant cette période que l’Angleterre, considérée alors comme le principal et seul centre de l’empire en Grande- Bretagne, posait les fondations d’un Empire britannique14 ». Cette vision anglocentrique est à nuancer car les autres nations britanniques ont joué un rôle important dans l’entreprise impériale. Papin (2006 : 196) écrit ainsi : « On ne parle véritablement de la nation britannique que depuis l’avènement de l’Empire, moment historique où Ecossais, Gallois, Irlandais et naturellement Anglais, côte à côte, lancés à la conquête du monde, se sentaient appartenir à une même nation, au plus grand empire. » La position de force de l’Angleterre au début de l’entreprise impériale peut expliquer l’utilisation par Albarn de l’Empire comme symbole de l’anglicité. Cette stratégie se révèle plus problématique lorsqu’elle est appliquée au protagoniste John Dee.

16 En effet, en évoquant le parcours de cet homme de la Renaissance pour représenter l’identité anglaise, l’opéra d’Albarn peut s’apparenter à une entreprise de réhabilitation d’un héros national oublié. D’ailleurs, dans le discours promotionnel de l’opéra, Dee est décrit comme un « Englishman » (MIF, 2011). Cependant, cette présentation pose problème en raison des origines galloises de Dee. Pour l’historien Williams (1980 : 13), John Dee est ainsi une figure majeure de l’identité galloise :

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« Ainsi, il semblerait que ce soit un londonien-gallois, un patriote gallois ayant une conscience aiguë de son identité galloise qui inventa cette expression : l’Empire britannique15. » Le passage sous silence des origines galloises de Dee permet de soutenir que l’anglocentrisme caractéristique de la Britpop se retrouve dans l’opéra d’Albarn. Il faut à présent déterminer qui selon la rhétorique de la Britpop peut revendiquer cette identité anglaise.

Britpop : une anglicité exclusive

17 Le second aspect de l’anglicité de la Britpop renvoie à son caractère exclusif. En effet, la plupart des groupes associés au mouvement sont masculins, blancs et appartiennent au paradigme pop/rock (Zuberi, 2001 ; Huq, 2006). Albarn (cité par Cloonan, 1997) déclare d’ailleurs à l’époque : « Si vous faites le lien entre les Kinks dans les années 1960 et Blur dans les années 1990 en passant par les Jam et les Smiths, vous aurez une définition aussi valable qu’une autre de ce truc qu’on appelle l’anglicité16. »

18 Cette position exclut du discours sur l’anglicité les musiques liées aux migrations postcoloniales. Reynolds (1995) écrit ainsi : « La Britpop nie la nature multiraciale et technologique de la culture populaire britannique des années 90. Elle en vient à effacer symboliquement la Grande- Bretagne noire, symbolisée par la jungle ou le trip-hop17. Pour les partisans de la Britpop, les années 60 ont ce statut mythique d’un âge d’or perdu étrangement similaire – et d’une manière inquiétante – à l’Empire pour les hooligans ou le Parti national britannique18. »

19 La critique acerbe de Reynolds qui établit un parallèle entre la Britpop et la droite nationaliste et xénophobe rejoint celle de Cloonan (1997 : 55) pour qui Albarn est représentatif d’une vision « réactionnaire » de l’anglicité. Bennett (1997 : 31) nuance ces critiques en interprétant la Britpop comme une expression parmi d’autres de l’identité britannique, tout en concédant que l’attention des médias concentrée sur la Britpop a favorisé la présentation de ce mouvement comme le seul représentatif d’une identité nationale.

20 Dr Dee présente certains aspects qui correspondent à l’anglicité exclusive héritée de la Britpop. Dans le prologue, le défilé des figures emblématiques de l’identité anglaise est marqué par l’absence de personnalités liées à l’histoire postcoloniale et ne traduit pas la réalité multiculturelle de la société actuelle. D’autre part, la représentation de l’anglicité se fait à travers des codes empruntés au genre rock. La présence d’Albarn sur scène en jean et veste de cuir entérine l’association entre identité anglaise et musique rock. D’autre part, des critiques de l’opéra et du CD ont aussi été publiées dans l’hebdomadaire musical News Musical Express au lectorat essentiellement rock. Malgré une anglicité exclusive exprimée dans l’œuvre, Dr Dee doit aussi se comprendre dans le contexte des Jeux Olympiques dont la rhétorique met en avant une anglicité caractérisée par le modèle multiculturel.

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Dr Dee dans le contexte olympique

Multiculturalisme britannique et olympisme

21 Reposant sur le principe de la pluralité de la société, le multiculturalisme est le modèle progressivement adopté par les politiques à la suite de l’arrivée des migrants venus des anciennes colonies britanniques à partir des années 1950. Si les migrants se sont surtout installés dans les grands centres urbains anglais, l’impact de ces migrations est tel que le multiculturalisme est devenu un référent puissant de l’identité britannique. Comme l’écrit Papin (2006 : 196) : « S’attaquer au multiculturalisme au Royaume-Uni, c’est s’attaquer au fondement même de la nation. »

22 Les notions de tolérance et de respect de la différence, chères au multiculturalisme, correspondent aux valeurs de l’olympisme. Il n’est donc pas surprenant que le multiculturalisme britannique ait été célébré dans le discours officiel des Jeux Olympiques. En effet, durant la campagne de 2005 pour désigner la ville organisatrice de ces Jeux, la candidature de Londres était portée par le slogan « Le monde dans une seule ville » (« The world in one city »), présentant la capitale comme le reflet d’une société britannique diverse. Comme l’expliquent MacRury et Poynter (2010 : 2963) : « Pour le gouvernement travailliste et les organisateurs des Jeux de 2012, les thèmes clés des Jeux et de leur héritage étaient liés à […] l’accomplissement d’un renouveau social et culturel élargi, fondé sur une nouvelle politique de l’identité : l’inclusivité égalitaire du multiculturalisme19. »

23 S’éloignant de ce discours idéaliste, Stuart Hall (Cervulle, 2007 : 374) proposait de définir une société multiculturelle comme étant « une société dans laquelle différentes communautés culturelles sont obligées, du fait des circonstances historiques de vivre ensemble et d’essayer de construire une vie commune, tout en continuant à marquer leurs différences, sans s’entre-dévorer ou se diviser en tribus guerrières et repliées sur elles-mêmes ». Cette définition est en décalage avec l’idéalisme du discours olympique officiel car elle insiste sur l’effort continu qu’implique le multiculturalisme.

24 Ce décalage est mis en lumière lors des attentats de juillet 2005, survenus au lendemain de l’annonce du succès de la candidature de Londres. Perpétrés par des terroristes nés et élevés en Grande-Bretagne, ces événements sont interprétés comme le signe d’une britannicité et d’un modèle multiculturel en crise (Papin, 2006 : 191), dans une société où la menace du repli sur soi évoquée par Hall semble être devenue réalité. Malgré cette remise en cause du modèle, le multiculturalisme est présenté comme une force positive durant les JO : la présence de musiques liées aux migrations postcoloniales comme le grime20 et le bhangrâ 21 lors de la cérémonie d’ouverture contribue à cette « harmonie multiculturelle mythique » (Falcous et Silk, 2010 : 176). Par conséquent, Dr Dee est présenté dans un contexte dans lequel la rhétorique multiculturelle occupe cette position particulière d’être « à la fois la “panacée” pour l’unification nationale […] et le “problème” » (Falcous et Silk, 2010 : 168). Le positionnement d’Albarn par rapport à cette question multiculturelle et son expression dans Dr Dee sont à présent explorés.

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L’anglicité inclusive dans Dr Dee

25 Même si les référents de l’anglicité dans Dr Dee ne reflètent pas la réalité postcoloniale de la société anglaise, Albarn adhère à la vision idéalisée du multiculturalisme. Il déclare (Chapus, 2012 : 42) au moment de la promotion de Dr Dee : « Il m’arrive de me demander : “C’est quoi, réellement, un citoyen anglais ?” Et pour moi, la seule réponse évidente, c’est que l’Angleterre du XXIe siècle représente la version la plus réussie du multiculturalisme et je suis fier d’en être un participant à travers la musique. »

26 L’évolution de la carrière d’Albarn est marquée par une prise de distance par rapport à l’anglicité à laquelle il a été associé. Son intérêt grandissant pour les musiques africaines s’est manifesté par des collaborations illustrées par les albums Mali Music (2002) et DRC Kinshasa One Two (2011), enregistrés avec des musiciens locaux à Bamako et à Kinshasa. Cet esprit de collaboration caractérise aussi le collectif Africa Express créé en 2006 et qui vise à encourager les collaborations entre musiciens africains et occidentaux. Enfin, Albarn a créé le label Honest Jon’s en 2002 pour diffuser des albums de musiques non-occidentales. Ce label a publié par exemple la collection « London is The Place For Me », série d’albums qui retrace le développement en Grande-Bretagne des musiques arrivées avec les migrations du nouveau Commonwealth à partir des années 1950. Cette collection souligne une identité multiculturelle passée sous silence par la Britpop. Ce détachement de la rhétorique Britpop se retrouve dans l’opéra à propos duquel Albarn déclare (ENO, 2011 : 33) : « Si j’ai pu faire ce projet et m’y impliquer émotionnellement, c’est dû à toutes ces expériences vraiment intéressantes que j’ai eues en Afrique depuis plus de dix ans22. »

27 Ces influences se retrouvent dans l’œuvre, à travers la configuration orchestrale marquée par l’utilisation de la kora malienne. D’autre part, les percussions jouées par Tony Allen, l’ancien batteur de Fela Kuti, colorent certains passages musicaux de rythmes Afrobeat. Ainsi Dr Dee tente une relecture des référents traditionnels de l’anglicité au moyen de pratiques musicales transnationales.

28 L’opéra n’en demeure pas moins travaillé par une tension résidant dans le traitement d’une identité impériale britannique à travers des pratiques musicales témoignant d’un monde postcolonial et postimpérial. Cette tension est résolue par la stratégie adoptée par les auteurs de Dr Dee et consistant à vider l’entreprise impériale de ses fondations idéologiques les plus controversées. Le développement de l’Empire en soi n’est pas le propos de l’opéra, il permet seulement d’illustrer l’évolution psychologique du personnage de Dee. Comme l’explique Norris (ENO, 2011 : 33) : « On a voulu montrer de manière subtile que le parcours de Dee correspond à une entreprise de découverte, par opposition à une entreprise de conquête. […] Ce n’est pas une œuvre sur le colonialisme23. »

29 Une autre stratégie consiste à mobiliser de nouveaux référents de l’identité anglaise. En parallèle des référents traditionnels évoqués en première partie, Albarn (ENO, 2011 : 33) invoque ainsi une identité spirituelle qui transcenderait l’héritage impérial : « Nous tentons de nous connecter à une spiritualité qui ne soit pas perturbée par les considérations sur l’empire et la question du nationalisme. Nous visons une spiritualité bien plus ancienne que ça24. »

30 Pour Albarn, la spiritualité du monde de Dee ouvre la possibilité d’une conception plus inclusive de l’anglicité car elle est rapprochée d’une spiritualité africaine. Celle-ci est

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notamment symbolisée par la kora, instrument traditionnel des griots. Le passage d’une identité anglaise fondée sur des faits historiques à une identité spirituelle permettrait ainsi d’ouvrir la voie à l’anglicité multiculturelle dont se réclame Albarn. Cependant, le recours à une réinterprétation de l’histoire pour exprimer une vision plus inclusive de l’anglicité implique un travail important d’exégèse de la part des auteurs de Dr Dee, montrant ainsi les limites d’une telle stratégie.

L’artiste, creuset de différentes interprétations de l’anglicité

31 S’il semble difficile de soutenir que Dr Dee témoigne d’une anglicité multiculturelle, il est possible de considérer l’opéra en rapport avec les autres projets présentés par Albarn durant les Jeux Olympiques. Ce contexte particulier montre comment Albarn peut mobiliser des visions différentes voire contradictoires de l’anglicité et ce, de manière synchronique. Le concert de clôture des Jeux proposait une affiche composée de groupes exclusivement anglais avec Blur, The Specials et New Order, même si ces groupes étaient censés symboliser « le meilleur de la musique britannique ». En outre, Blur joua la chanson « Under the Westway » composée spécialement pour l’occasion par Albarn. Tirant son nom de l’autoroute traversant l’ouest de Londres, ce morceau évoque de nouveau une imagerie londonienne à laquelle l’ensemble des Britanniques ne peut s’identifier.

32 L’inclusion du groupe de The Specials ne permet cependant pas de parler d’une résurgence de l’anglicité Britpop dans ce qu’elle a de plus réactionnaire et exclusif. En effet, ce style musical originaire de la Jamaïque a connu un développement particulier en Grande-Bretagne, grâce à des groupes comme Madness ou The Specials qui tintent les rythmes jamaïcains d’influences punk.

Illustration Affiche du concert de clôture des JO de Londres

33 Comme pour Dr Dee, c’est aussi dans le cadre de l’Olympiade Culturelle que s’est déroulée la tournée du collectif Africa Express en septembre 2012. Plus de 80 musiciens occidentaux et africains ont ainsi parcouru la Grande-Bretagne en train et donné des concerts chaque soir durant une semaine. Contrairement à Dr Dee, Africa Express met en avant une identité multiculturelle. Les artistes anglais Terri Walker et Afrikan Boy,

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originaires respectivement de la Jamaïque et du Nigeria, sont ainsi présentés comme des « Représentants de l’Occident » (The Arches, 2012). Lors de l’étape à Cardiff, Albarn interprète le morceau « Apple Carts » tiré de Dr Dee et le présente ainsi sur scène (Abnormal, 2012) : « Dee avait des racines galloises profondes et était le descendant d’un roi gallois donc je me suis dit que ce serait bien de chanter cette chanson25. »

34 Albarn rétablit cette connexion galloise passée sous silence dans le contexte des représentations à l’ENO et démontre sa capacité à évoquer des versions contrastées de l’identité nationale. Dans le contexte particulier des Jeux Olympiques, l’ensemble des projets proposés par Albarn, parmi lesquels Dr Dee, présente une identité en perpétuel mouvement, navigant entre les trois échelles britannique, anglaise et londonienne.

Conclusion

35 Depuis la seconde moitié du XXe siècle, la question de l’identité nationale en Grande- Bretagne est revenue au premier plan avec la décolonisation et la fin de l’Empire, l’adhésion à l’Union Européenne, la dévolution des pouvoirs et la montée des mouvements séparatistes. Dr Dee : An English Opera offre, dans le domaine musical, une approche particulière de cette question identitaire d’un point de vue spécifiquement anglais. Si le sous-titre de l’œuvre soulève la question de sa place dans un opéra national anglais, la rhétorique anglocentrique de cet opéra peut être aussi liée à l’héritage Britpop d’Albarn. La diversité des projets qu’il a développés traduit la difficulté actuelle de définir une identité anglaise distincte d’une identité britannique avant tout liée au passé impérial. D’autre part, si la musique populaire peut servir de support identitaire, il s’agit aussi d’une industrie culturelle. Dans cette perspective, les différents ancrages géographiques des projets d’Albarn pourraient aussi se comprendre comme une manifestation des stratégies d’une industrie mondialisée s’appuyant sur la dimension géographique forte des musiciens, des marchés et des genres musicaux. Enfin, la multiplicité des projets présentés par Albarn dans le cadre des JO éclaire le statut de l’artiste lui-même. La présence importante d’Albarn lors des Jeux peut être considérée comme le signe de son institutionnalisation ; elle fait de lui un des symboles de cette anglicité qu’il cherche à mettre en scène.

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NOTES

*. Informations sur le prix annuel jeune chercheur IASPM branche française : http:// volume.revues.org/2592 [ndlr] 1. Ce néologisme français traduit le terme « Englishness » défini ainsi par l’Oxford English Dictionary (1989) : « La qualité ou l’état d’être anglais ou montrant des caractéristiques anglaises. » L’étymologie du terme français reprend celle du mot anglais avec l’ajout du suffixe de qualité (-ness en anglais, -ité en français) à l’adjectif de départ. 2. « [Dr Dee is] a contemporary eulogy or song cycle based on Damon’s understanding of Englishness, and English melancholy and a yearning for the spiritual exploration and free- mindedness that Dee encapsulated. » (Sauf indication contraire, les traductions ont été effectuées par l’auteur.) 3. Cet opéra créé en 2007 en collaboration avec Jamie Hewlett et le metteur en scène chinois Chen Shi-zheng est une adaptation du roman mythologique chinois La Pérégrination vers l’Ouest écrit par Wu Cheng’en au XVIe siècle. 4. « Britpop is a term coined by the media during the 1990s to describe the musical style, and to some extent, visual image of new British bands such as Blur, Oasis and Pulp. Musically and lyrically, Britpop was regarded as a return to a more specifically English, popular music that rekindled the spirit of the 1960s British Invasion of the USA by groups such as The Beatles, The Rolling Stones or The Kinks. » 5. « When it was suggested that the opera might be magically-themed, I proposed that it could focus on the alchemists, since Monteverdi initially created the concept of opera to convey his own alchemical ideas. […] I thought that the best choice for a subject would be Queen Elizabeth’s alchemist, adviser and astrologer John Dee. » 6. Il s’agit d’une référence au roi Jacques Ier d’Angleterre et VI d’Ecosse qui succèda à Élisabeth Ire en 1603. 7. « Oh the soulless dance upon the English dew/Across the green fields a procession grows/We are the out of time people of the rose. »

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8. « We believe that the time has come when England, which has never had a tradition of native opera, but has always depended on a repertory of foreign works, can create its own operas. » 9. « Albarn remains nostalgic for a strange, lost England, one not a million miles from PJ Harvey’s Let England Shake. » 10. « I’m quite clearly not someone who had any formal opera education […] I was too busy jumping up and down on stages around the world when I should have been at college finishing my classical music education. » 11. La construction de ce terme répond à la même logique que la construction du terme « anglicité » cf. note 1. Selon l’Oxford English Dictionary (1989), le terme « Britishness » désigne ainsi « la qualité ou l’état d’être britannique ». 12. « There was a stridently English version of Britishness espoused by both Thatcher and Major administrations (1979-1997). […] The situation, and the discourse of Britishness, changed little after the 1997 election victory of Tony Blair’s New Labour. » 13. Plusieurs chansons du groupe parmi lesquelles « For Tomorrow » et « Best Days » offrent une topographie précise de certains quartiers de Londres, de Primrose Hill à Soho en passant par Portobello Road. 14. « The traditional genealogy of the British Empire located its beginnings in the reigns of Elizabeth I and James I of England […]. It was in this period that England – which was assumed to be the primary and only seat of empire in Britain – […] laid the foundations of a British Empire. » 15. « It was, then, a London-Welshman, a Welsh patriot acutely conscious of his Welshness, who seems to have invented the expression British Empire. » 16. « If you draw a line from the Kinks in the sixties, through the Jam and the Smiths to Blur in the Nineties, it would define this thing called Englishness as well as anything. » 17. Ces courants musicaux apparus en Grande-Bretagne dans les années 1990 se détachent du format classique rock centré autour de la guitare. La jungle met l’accent sur des lignes de basses synthétisées tout en intégrant entre autres des éléments de hip-hop et de ragga. Associé à la ville de Bristol, le trip-hop est fondé sur un tempo lent et mélange des éléments reggae, dub et hip- hop. 18. « Britpop is an evasion of the multiracial, technology-mediated nature of UK pop culture in the 90s. [ …] it has now extended itself into the symbolic erasure of Black Britain, as manifested in jungle and trip hop. For Britpopsters, the 60s have a mythic status as a lost golden age which is alarmingly analogous to the Empire for football hooligans and the BNP. » 19. « For the Labour government and the organizers of 2012, the key themes of the games and its legacy were associated with […] the achievement of a wider and cultural renewal founded upon a new politics of identity, the egalitarian inclusivity of multiculturalism. » 20. Associé au quartier de Bow, dans l’est de Londres, le est un style qui émerge au début des années 2000 et mélange les influences hip-hop, garage et dancehall. 21. Le bhangrâ est un style musical populaire en Grande-Bretagne dans les communautés diasporiques du sous-continent indien. Il opére la fusion entre la musique populaire occidentale et les sonorités plus traditionnelles de la région du Pendjab. 22. « I was able to get involved with this [project] and connect with it emotionally because I’d had these very interesting experiences in Africa for over a decade. » 23. « What comes across, hopefully in a subtle way, is that he [Dee] was on a voyage of discovery as opposed to a voyage of conquest. […] This is not a piece about colonialism. » 24. « We’re trying to connect with a spirituality but not one that’s sort of disturbed by empire and nationalistic issues. One that is far older. » 25. « [Dee] had very strong roots with the Welsh and was the descendant of a very early Welsh king so I thought it would be nice to sing [this] song. »

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RÉSUMÉS

Composée par Damon Albarn et présentée dans le cadre des manifestations culturelles organisées autour des Jeux Olympiques de Londres de 2012, Dr Dee : An English Opera est une œuvre qui traite de l’identité anglaise. La place d’Albarn dans le paysage culturel britannique est avant tout liée à ses succès dans la musique populaire, notamment avec le groupe Blur. Fer de lance du mouvement Britpop dans les années 1990, Blur explorait déjà les liens entre musique et identité nationale. L’analyse des référents musicaux et visuels utilisés dans Dr Dee révèle une conception exclusive et conservatrice de l’identité nationale, proche de celle de la Britpop. Ainsi, Dr Dee réfère à une identité historique liée à la période impériale et omet de fait l’apport des migrations postcoloniales. D’un point de vue musical, l’analyse montre que le rock demeure le genre privilégié pour représenter la nation, laissant peu de place à la musique savante ou aux musiques issues des migrations postcoloniales. Paradoxalement, Dr Dee est présenté dans un contexte olympique où l’accent est mis sur une identité nationale multiculturelle. La comparaison avec d’autres projets musicaux d’Albarn révèle des visions contrastées, voire contradictoires de l’anglicité, traduisant le malaise identitaire actuel dans la société britannique.

Dr Dee : An English Opera was composed by Damon Albarn and presented as part of the Cultural Olympiad for the London Olympic Games of 2012. The opera allowed Albarn, who became a household name in Britain with his band Blur, to express his understanding of Englishness. National identity has been an important theme throughout Albarn’s career. Indeed, in the 1990s Blur spearheaded the Britpop movement which aimed at producing an overtly British music. This paper presents a critical analysis of Dr Dee and demonstrates that Britpop’s conservative idea of national identity is retrieved. The references used by Albarn point to a restricted view of national identity focused on a narrow Anglo-centric view of Empire. The elision of postcolonial Britain is translated in the musical realm as the expression of national identity tends to be located within the pop/rock paradigm, thus playing down the role of art music and musics brought by the New Commonwealth migrants. Paradoxically, the Olympic context of Dr Dee was characterized by the celebration of a multicultural national identity. A brief comparison with Albarn’s other projects demonstrates how the contrasted, if not contradictory, understandings of Englishness presented illustrate the current debate about national identity in Britain.

INDEX

Thèmes : savante / classique / art music, rock music Index chronologique : 1990-1999, 2000-2009, 2010-2019 Index géographique : Grande-Bretagne / Great Britain nomsmotscles Albarn (Damon), Blur Mots-clés : citoyenneté / identité nationale, patriotisme / nationalisme, impérialisme / (post)colonialisme, genre musical Keywords : genre (musical), citizenship / national identity, patriotism / nationalism, imperialism / (post)colonialism

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AUTEUR

IFALIANTSOA RAMIALISON

Ifaliantsoa RAMIALISON est doctorante en civilisation britannique à l’Université Paris-Est Créteil et travaille sous la direction de Didier Lassalle et John Mullen. Ses recherches portent sur le concept d’identité nationale dans le contexte britannique et plus particulièrement ses diverses expressions dans l’œuvre du musicien Damon Albarn. Agrégée d’anglais, elle enseigne également la civilisation britannique et l’histoire de la musique populaire britannique.

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La Monte Young vs The Velvet, Minimalisme vs Punk, savant vs populaire : constructions et déconstructions postmodernes La Monte Young vs. The Velvet: Minimalism vs. Punk, Art vs. Pop: Postmodern Constructions and Deconstructions

Christophe Levaux

Prix annuel 2014 jeune chercheur IASPM branche francophone d'Europe *

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1 LA TENTATION SERAIT FORTE, à lire les nombreux commentaires portant sur les interactions entre le Theatre of Eternal Music et le Velvet Underground, d’y déceler parmi les premiers signes de la « synthèse [postmoderne] des styles classique et populaires » (Jameson, 1991 : 1) qui allait, dira-t-on par la suite, marquer de son empreinte une bonne partie de la production artistique du dernier tiers du xxe siècle. Il est en effet aujourd’hui courant de lire que John Cale, transfuge du Theatre of Eternal Music de La Monte Young, aurait introduit au milieu des années 1960 et par l’entremise du Velvet Underground, les graines de l’esthétique minimaliste dans le punk en voie de construction. Ce mélange se serait concrétisé en 1967 dans The Velvet Underground and que le Rolling Stone classera parmi les « albums de rock les plus influents de tous les temps ». Pour sa part, La Monte Young se serait vu attribuer, dans la notice qui lui est consacrée dans New Grove, la paternité d’un mouvement considéré comme « l’antidote majeur au modernisme […] de Boulez et Stockhausen et à l’aléatoire de Cage » (Potter, 2001 : 716). John Cale aurait de la sorte établi l’une des premières bases de la « réconciliation postmoderne » du « populaire » et du « savant », du (proto-)punk et du minimalisme.

2 Pour certains pourtant, la théorie postmoderne de l’écroulement des frontières séparant le « savant » du « populaire » n’aurait pas pointé un processus inédit de l’histoire de la musique. Elle n’aurait par ailleurs pas tenu ses promesses. Pire, elle aurait été pour le moins surestimée. Rhys Chatham et les « post-minimalistes » de SoHo se seraient ainsi vus rapidement tourner le dos par les groupes de rock « authentiques » de l’East Village (Gendron, 2002 : 291-296). Brian Eno n’aurait été reconnu par le grand public que pour son activité de claviériste de Roxy Music ou de producteur de U2 plutôt que pour ses tapisseries sonores (Goodwin, 1991 : 179). Et si les anciens membres de Sonic Youth continuent contre vents et marées à louer leurs pères minimalistes – Thurston Moore ayant fondé en 2012 le groupe Chelsea Light Moving, en référence directe à la société de déménagement que Steve Reich et Philip Glass fondèrent en 1972 –, le « dialogue postmoderne » entre le minimalisme et le rock semblait rompu au moment de l’émergence du post-rock et du math-rock, à Chicago ou en Grande- Bretagne au cours des années 1980. Car même si on continue de décrire ces nouveaux genres comme se situant dans le lignage direct des répétitifs américains (Reynolds, 2004 : 359), leurs réseaux d’interaction ne semblent pas dépasser les frontières qui les séparent de l’establishment classique qui a alors englouti et digéré la musique du quatuor historique formé par La Monte Young, Terry Riley, Steve Reich et Philip Glass. C’est qu’à l’époque, la répétition obsessionnelle semble avoir fini par coloniser l’ensemble du paysage musical, reléguant presque le minimalisme à un marqueur d’une pratique culturelle généralisée (Fink, 2005) dont les quatre compositeurs n’auraient été que les vecteurs désormais oubliés par un rock devenu « indépendant ». De l’autre côté de cette frontière, les post-minimalistes semblent avoir définitivement gommé toute liaison avec le « populaire » (Gann, 2001) si ce n’est pour en récupérer çà et là un

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« son », celui de guitares électriques ou de batteries, qu’ils intègrent à une esthétique bien ancrée dans ce qui fait alors partie de la « tradition savante occidentale » (Fink, 1998, 2004).

3 Il ne s’agit pas tant ici d’ouvrir une fois de plus les guillemets qui entourent l’une des multiples définitions du postmodernisme. Il ne convient pas plus d’en constater à nouveau l’éventuelle faillite. De fait, au delà du possible échec d’un dialogue entre genres cloisonnés, au delà de la promesse déçue d’une union entre punk ou rock et minimalisme amorcée au milieu des années 1960 par le Velvet Underground et La Monte Young, c’est l’association « a posterioriste » des deux groupes à des genres qui se construiront d’un côté et de l’autre de la barrière séparant le populaire du savant qu’il convient d’interroger. C’est la fabrication des liens unissant le Velvet Underground à la mouvance (proto-)punk, reliant La Monte Young au minimalisme, puis intégrant les genres et protagonistes à une « culture postmoderne » qu’il importe d’explorer d’abord. Ce sont les discours – leurs politiques, leurs idéologies – qui accompagnent ces affiliations sous le prisme art/divertissement, qui sont ici en jeu.

4 L’histoire de ces « recouvrements génériques » invite par ailleurs à porter une attention soutenue aux rôles joués par la critique ainsi que par la littérature musicologique. « La théorie est une production agissante, une opération » rappelait Antoine Hennion en 1987 (Hennion, 1987 : 393). Et de fait, critique, théorie et histoire tendent à participer à la construction de genres qu’elles ne semblent qu’« observer ». Ainsi, un acteur mérite d’être réintégré dans l’étude de l’élaboration du genre, souvent focalisé sur les rôles joués par l’industrie du disque, les interprètes ou les fans : l’observateur lui-même.

5 Au milieu des années 1960, le Velvet Underground n’est ni un groupe « punk », ni un « classique » du rock tandis que La Monte Young, de son côté, n’est en aucun cas un « minimaliste ». Ce n’est qu’au début des années 1970, au fil d’aménagements, que ces « recouvrements génériques » se construisent sous la plume de critiques d’une part et de musicologues de l’autre. Lester Bangs et ses comparses journalistes, Dave Marsh, Greg Shaw ou Lenny Kaye, contribuent ainsi à laisser dans l’ombre l’ancrage du Velvet Underground dans l’avant-garde savante pour habiller son « minimalisme » d’une brutalité et d’un amateurisme caractéristiques du (proto-)punk. Les écrits de Michael Nyman depuis le début des années 1970 et ceux de certains de ses successeurs comme Wim Mertens participent pour leur part à façonner l’image d’un Young « post- cagien » ou « post-webernien », dont les racines blues sont laissées sous terre. Les uns comme les autres oublient les ambiguïtés générico-esthétiques qui caractérisent les débuts du Velvet Underground, tout comme celles du Theatre de Young.

6 Au cours des années 1990 et 2000, la « nouvelle musicologie » (Fink, 1998) et une certaine musicologie des musiques populaires œuvreront à « réconcilier » les genres savants et populaires sous la bannière du postmodernisme. La « reconstitution » des liens entre minimalisme et punk ne sera pas vierge de motifs politiques ou idéologiques. Tout comme la critique punk, tout comme la musicologie minimaliste, cette « nouvelle » musicologie, prônant notamment l’effondrement des hiérarchies culturelles, construira elle aussi ses « vérités » au fil d’aménagements, d’exclusions et d’inclusions.

7 Il ne s’agit pas tant ici de rétablir une « vérité » que de mettre en lumière les conditions de production d’une série de lectures de l’histoire qui ont connu différentes trajectoires

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et fluctuations. Notre analyse, qui vise à s’inscrire dans la lignée de la théorie de l’acteur-réseau développée notamment par Bruno Latour (Latour, [1989] 2005), sera menée sous la forme d’un triptyque. Les aménagements qui furent opérés afin que La Monte Young entre dans le canon minimaliste depuis les écrits de Michael Nyman jusqu’à la tentative de décloisonnement du genre mis en œuvre par Robert Fink seront envisagés dans un premier temps. Les stratégies qui permirent au Velvet Underground d’être intégré aux musiques populaires depuis les critiques de Lester Bangs jusqu’à la relecture « postmoderne » de l’esthétique du groupe par Richard Witts seront ensuite abordées. Enfin, la manière dont, de part et d’autre, une série de « signifiants » communs revêtirent des significations différentes voire divergentes au fil de l’histoire sera analysée.

Exclusions I : Young’s blues

8 Lorsque Michael Nyman pose les fondements du genre minimaliste en 1974 (Nyman, [1974] 2005 : 211 et suiv.), c’est La Monte Young qu’il adoube comme père du mouvement. Ce mouvement « témoigne, d’après Nyman, d’un retranchement complexe par rapport à la musique issue de l’indétermination ». Ses « origines […] remontent au sérialisme » (ibid. : 211-212). En se fondant pour partie sur les propos de Young lui- même (Young interviewé par Kostelanetz, 1968), Nyman laisse alors dans l’ombre un pan entier de l’œuvre du compositeur : son ancrage dans les musiques populaires, a fortiori dans le blues. Young, l’ancien musicien de jazz qui dit avoir tourné le dos aux clubs de la Côte Ouest « pour progresser dans une composition plus sérieuse » (ibid. : 187) semble pourtant porter une attention soutenue à l’aïeul du jazz, le blues et ce, depuis la fin des années 1950. Il compose alors successivement ses Dorian (1960-61), Aeolian (1961) ou Morning blues (1962) et fonde un ensemble à New York, le Theatre of Eternal Music, dédié pour partie à l’exploration de la forme du blues, comme dans 19 X 63 NYC fifth day of the hammer Bb Dorian Blues de 1963, l’un des rares blues de Young qui soit conservé.

9 En consolidant les premières frontières d’un genre que la presse n’avait alors qu’esquissées (Strickland, 2000 : 241-253), Nyman tend par ailleurs à lire « l’alternative “minimale” de Young » (Nyman, [1974] 2005 : 211) en des termes propres à une tradition musicologique dont il est lui-même issu. Son approche téléologique – Young et le minimalisme sont présentés comme le dernier maillon de la chaine moderniste – s’inscrit dans l’« idéologie formaliste » propre à l’analyse de la musique savante d’après-guerre (Fink, 1998 : 162). L’œuvre de Young, – tout comme celle Terry Riley, Steve Reich et Philippe Glass qui ferment déjà chez Nyman la marche minimaliste –, est ainsi décrite en termes d’autonomie, ou d’unité organique : elle soumet le matériau « scrupuleusement sélectif » à des « procédures […] hautement disciplinées » et « mises au point avec une précision extrême » (Nyman, [1974] 2005 : 212). Le Theatre of Eternal Music est pour sa part « un groupe d’exécutants entièrement consacré à l’exacte réalisation des exigences posées par sa musique » (ibid. : 214).

10 En faisant usage d’une argumentation ad hoc pour intégrer le minimalisme dans l’histoire de la musique savante et en livrant une lecture du genre caractéristique du paradigme « sérieux », Michael Nyman occulte en conséquence chez Young une série de pratiques, d’attitudes ou de postures idéologiques qui découlent plus ou moins directement d’une lecture populaire son œuvre. C’est ainsi le Young « compositeur-

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interprète », le Young « improvisateur », le Young « leader » d’une série de « groupes » qui se produisent dans lofts et galeries en marge de l’institution – et même le Young, gourou, junkie et dealer dont le punk se fera l’image (Billy Name cité par McNeil & McCain, [1996] 2011 :16) – qui est laissé pour compte.

11 Par ailleurs, en appliquant cette grille paradigmatique à l’œuvre protéiforme du compositeur (en particulier à celle qu’il développe dans son Theatre of Eternal Music) et en amputant celle-ci de certains de ses traits, Nyman, concourt sans doute lui aussi à excommunier Young au même moment qu’il tente de le canoniser. En 1974, lorsque Nyman publie Experimental Music, Terry Riley, mais surtout Steve Reich et Philip Glass systématisent leur discours musical et méta-musical qu’ils épurent de tout lien avec le jazz et l’improvisation, le blues, le rock les drogues ou encore les lieux underground. Ils prennent alors une posture plus en adéquation avec le canon, et notamment avec celui que Nyman contribue à ériger. Ils reçoivent à l’époque les premières marques d’une reconnaissance institutionnelle. Les grandes salles (le Metropolitan Opera pour Glass) et les labels prestigieux (Deutsche Grammophon pour Reich) leur ouvrent leurs portes et contribuent à faire entrer le minimalisme dans la grande lignée de la musique savante occidentale. Le « minimalisme » qui envahit l’institution et le marché du disque est alors surtout celui de Reich et de Glass : il se construit autour d’une systématique de la répétition motivique et de pulsations régulières. L’harmonie fonctionnelle et la richesse texturale y font peu à peu leur retour (Fink, 2004 : 541). Les tentatives de réduction de la musique à son essence menées par Young sont désormais oubliées.

12 La lecture du minimalisme de Nyman, lui-même fidèle « disciple » de Reich et de Glass (Strickland, 1993 : 243), semble convaincre l’Institution. L’auteur sera suivi par de nombreux autres dans sa tentative de canonisation du genre. Les premières monographies exclusivement consacrées au minimalisme voient le jour. Wim Mertens publie American minimal music chez Kahn & Averill en 1983 (Mertens, 1983), Edward Strickland Minimalism: origins aux presses de l’Université d’Indiana en 1993 (Strickland, 1993), Robert K. Schwarz Minimalists chez Phaidon en 1996 (Schwarz, 1996) et Keith Potter Four musical minimalists en 2000 aux presses de l’Université de Cambridge (Potter, 2000). Cinq ans plus tard, Robert Fink publie Repeating ourselves aux presses de l’Université de Californie (Fink, 2005). Hormis ce dernier qui exclut Young du champ, tous présentent une histoire du minimalisme qui se déploie de Young à Glass.

13 L’ouvrage de Wim Mertens – dont Nyman signe la préface – passe, comme son prédécesseur, le blues de Young sous silence et se concentre sur les caractéristiques structurelles et formelles de son style. Mertens affirme néanmoins que la « musique répétitive » entretient des liens avec les « musiques populaires ». Mais c’est alors l’influence unidirectionnelle du nouveau genre sur celles-ci qu’il met en lumière (Mertens, 1983 : 11). La même année Richard Middleton publie « “Play it again Sam”: some notes on the productivity of repetition » dans Popular Music (Middleton, 1983). Celui qui deviendra l’une des figures de proue des popular music studies tend plutôt à présenter la répétition comme l’un des fondements des musiques populaires et à la réintégrer dans un contexte psycho-social dépassant le paradigme formel. De Mertens à Middleton, des « répétitions » s’opposent, l’une est pure forme esthétique, l’autre est produit psycho-social ; l’une est savante, l’autre populaire. Le dialogue entre les musicologies ne prend pas. Middleton le précise d’ailleurs lui-même : il ne se penchera pas sur « l’usage délibéré la répétition chez des groupes comme le Velvet Underground […], qui soulève bien d’autres questions » (ibid. : 253).

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14 Robert Schwarz poursuit treize ans plus tard le chemin tracé par Nyman et Mertens. Il précise, lorsqu’il aborde le Theatre of Eternal Music, que Young n’était pas un « hippie planant qui tentait de titiller une foule défoncée avec un quasi-psychédélisme » (Schwarz, 1996 : 38-39). Et Edward Strickland de rappeler que « le minimalisme a influencé le rock dès la moitié des années 1960 lorsque les bourdons de Young furent transmis au Velvet Underground via John Cale puis qu’une foule de punks tombèrent a posteriori amoureux de leur nihilisme branché » (Strickland, 1993 : 247). Strickland en 1993 (ibid. : 151-152) comme Keith Potter en 2000 (Potter, 2000 : 56-61) consacrent néanmoins quelques pages au blues de Young. Mais ce n’est pas tant pour aborder son empreinte dans le langage musical du compositeur que pour effectuer une parenthèse biographique dans un œuvre où toujours semble planer l’ombre aléatoire, sérielle, ou encore l’influence des musiques traditionnelles, inscrites de longue date aux programmes des universités américaines.

15 Ainsi, au fil de ralliements successifs au modèle de Nyman, la « boîte noire » renfermant la définition du minimalisme se scelle peu à peu en laissant pour compte le « blues de Young », ce blues qui résiste à une insertion dans l’histoire savante occidentale. « Lorsque les choses sont vraies, elle tiennent / lorsque les choses tiennent, elles commencent à être vraies. » (Latour, [1989] 2005 : 47) L’intégration du minimalisme et, tant bien que mal, de Young dans l’histoire de la musique savante devient un « fait ».

16 D’aucuns pourtant avaient lu le minimalisme sous un autre angle. Parmi ceux-ci, le critique (et compositeur de musique processuelle) Tom Johnson tentait de définir une « New York Hypnotic School » en 1973. Cette école aurait d’après Johnson été liée de près à l’expérience des drogues et de la transe. Toujours focalisés sur ce que le minimalisme de Young révélait en termes de forme, « les critiques néo-conservateurs » du minimalisme balayaient la théorie de Johnson « en invoquant souvent de désuets arguments d’écoute structurelle » (Fink, 2005 : 76). En cela, ils furent pour partie aidés par le compositeur lui-même et a fortiori par Reich et Glass « pour d’évidentes raisons politiques et générationnelles » (ibid.). Des années plus tard, Keith Potter fait encore le portrait d’un Young « conscient des effets désastreux que peuvent avoir deal et dépendance. » (Potter, 2000 : 67). C’est que, au delà même du sentiment de malaise ou d’incompréhension que peut procurer une esthétique hallucinée, une culture de la drogue aurait déstabilisé les tentatives de légitimation comme forme artistique (Gendron, 2002 : 215-219). Parmi ces lectures « alternatives » également, celle du critique Robert Palmer : celui-ci ne manquait pas de souligner en 1975 l’ancrage dans le blues de l’œuvre de Young. « Voici comment le compositeur-interprète La Monte Young joue le blues », annonce-t-il en brossant le portrait de Young, « une forme de blues “où chaque accord est joué pendant un jour ou deux” ». Mais il ne s’adresse alors pas tant au public minimaliste qu’à celui du Rolling Stone (Palmer, 1975 : 24-26).

17 Il faudra attendre le début des années 2000 pour que les fondements du genre minimaliste soient ébranlées. L’Académie tend à accréditer une analyse du minimalisme qui (ré)intègre tant les musiques populaires qu’une méthode caractéristique de leur musicologie. Robert Fink présente alors le minimalisme comme « une pratique culturelle » (Fink, 2005). Plutôt que de consolider les murs d’une tour d’ivoire dans lequel semble s’enfermer le genre, il en ouvre les portes. Il balaye alors tant les questions formelles que l’approche historique du genre. Il situe le minimalisme dans le contexte de la consommation de masse américaine et l’associe même,

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notamment, au disco. Sous la plume de Fink, le minimalisme devient enfin postmoderne. Ce minimalisme-là s’accorde enfin aux principes synthétisés par Jonathan Kramer en 2002 (Kramer, 2002 : 16-17) : il remet en question les hiérarchies culturelles, rejette l’unité structurelle et l’autonomie de l’œuvre, qui tend plutôt à relever de contextes culturels, sociaux et politiques.

18 Fink, tout comme d’autres, avait probablement senti le vent tourner. En 1998, alors que certains affirment que le genre s’est refermé autour d’une communauté restreinte de spécialistes, Kyle Gann, l’ex-minimaliste devenu « totaliste », doit même soutenir que ce genre n’est pas mort (Gann, 1998). La même année, Fink annonce la faillite définitive de la musicologie traditionnelle et milite en faveur d’une approche postmoderne abolissant les frontières entre le savant et le populaire et mettant fin aux prétentions d’autonomie de l’Art (Fink, 1998). Si c’est par la préservation d’anciennes frontières paradigmatiques que Gann vise à protéger le minimalisme, Fink s’y emploie par le biais d’un changement de paradigme.

19 Young et son œuvre ne sortent pourtant pas plus indemnes du coup d’état de Fink que de l’ancienne construction du minimalisme : téléologie et hagiographie mises à plat, la « paternité du mouvement » ne tient plus. Le compositeur perd sa place dans l’ouvrage, lui qui n’aura in fine même pas été le marqueur ou le moteur d’une « pratique culturelle » généralisée, celle du drone1, au contraire de Reich ou de Glass et leurs répétitions. En 2010, une nouvelle monographie est publiée par Johan Girard aux Presses Sorbonne Nouvelle (Girard, 2010). Il n’est plus alors question de minimalisme, mais de répétitions. Celles de Riley, Reich et Glass seulement. C’est que, au delà même de l’esthétique, Young lui-même avait longtemps fait montre d’une posture hostile tant vis-à-vis l’Institution que du marché (Fink, 2004 : 550-551). *

20 « Le jazz est une forme et j’étais intéressé par d’autres formes » affirme Young en 1968 (Young interviewé par Kostelanetz, 1968 : 187). « Mon travail actuel avec le Theatre of Eternal Music établit sa propre tradition », ajoute-t-il (ibid. : 216). Young contribue en effet pendant longtemps à estomper le blues, cette partie « non accréditée » de ses racines. C’est seulement dès la fin des années 1980 qu’il se ravise. Peu avant de publier l’un de ses rares enregistrements, Just Stompin, avec le Forever Bad Blues Band, il annonce que le blues avait constitué la base compositionnelle du Theatre of Eternal Music à l’époque où il y jouait du saxophone sopranino. Son « œuvre maîtresse », « la plus importante œuvre pour piano depuis la Concord Sonata de Charles Ives » (d’après Kyle Gann qui réaffirme l’ancrage savant dans Perspectives of New Music en 1993 : 134), The Well-Tuned Piano (1964), aurait même été conçue, affirme Young, à partir du blues, comme dans Pre-Tortoise Dream Music (1964) où, à force d’étirer sans cesse son « 12 bar blues », il finissait par ne plus improviser que sur le quatrième degré de la gamme (Young interviewé par Doty, 1989 : 1). Le blues l’aurait même mené à s’interroger sur la question harmonique (ibid.). L’intérêt du compositeur pour le genre remonterait par ailleurs à ses premiers pas dans la composition : accompagné de Terry Jennings qu’il côtoie dans les clubs de jazz depuis 1953 et de Dennis Johnson, rencontré à Berkeley à la fin des années 1950, puis à New York au début des années 1960, Young – au piano – aurait à l’époque développé un langage musical consistant en improvisations modales superposées à la grille traditionnelle du blues en douze mesures dont il dilatait chacun des degrés (I-IV-V) pour créer ce qu’il allait appeler ensuite le « drone modal » (Young, 2000 : 7).

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21 Young, passé à nouveau du piano au saxophone sopranino, est successivement rejoint par Angus McLise, Marian Zazeela et Billy Linich en 1962 puis par Tony Conrad et John Cale en 1963 pour fonder le Theatre of Eternal Music. Il y développe des « combinaisons/permutations » modales d’une rapidité extrême qui tendent à simuler un accord tenu (Young, 2000 : 1). Dans l’« histoire de ses groupes » que Young écrit en 2000 (Young, 2000 : 7-12), il affirme que même « si un “compositeur” était identifié pour chaque pièce, peu importait le rôle créatif ou individuel de chacun des interprètes », que « cette liberté de l’interprète tirait ses racines dans les improvisations du jazz […] » ou que « les compositions [du Theatre of Eternal Music] avaient des structures sous-jacentes mais n’étaient pas figées ».

22 Le blues s’ajoute donc, près de trente ans après l’expérience du Theatre of Eternal Music, à la longue liste d’influences dont Young se réclame sans cesse. Il le confronte à son souvenir du bourdonnement continu des générateurs électriques ou à celui du souffle incessant du vent d’Idaho. Il le confond avec l’Eternel de la cosmologie mormone (Grimshaw, 2011), le dilue dans la consommation d’hallucinogènes, l’incorpore au statisme webernien, le métamorphose par la découverte du raga ou encore l’intègre à l’aléatoire cagien.

23 Ce « revirement » de Young témoigne de sa capacité à « donner à ses activités, et même à de vagues souvenirs de réunions musicales temporaires, une place dans une téléologie autobiographique et stylistique délibérément construite » (Grimshaw, 2011) dont Jeremy Grimshaw a récemment fait l’analyse. La perspective dans laquelle Grimshaw s’inscrit, qui consiste à réintégrer l’œuvre du compositeur dans un contexte social, intellectuel et esthétique plus large – celui notamment de la cosmologie mormone ou de ses résonances psychédéliques – et à dépasser le formalisme musicologique dont le compositeur a fait l’objet, relève sans doute à nouveau d’une « nouvelle musicologie » en vogue depuis peu. Grimshaw comme Fink fait de la musicologie postmoderne avec un Young postmoderne.

24 Le compositeur, semble pour sa part continuer à présenter son œuvre sous la forme d’un « art conceptuel de collection » (Fink, 2004 : 551) et à situer dans ce cadre seulement les liens qu’il a entretenus avec les musiques populaires. En 2002, il rappelle, en évoquant un autre lien avec le « populaire », celui d’Henry Flynt et son hillbilly anti- art, que « les gens de Fluxus étaient comme des artistes de collège. Ils n’avaient aucune compétence. […] Ils n’ont jamais compris ce que je faisais et sont arrivés à faire des choses à un niveau bien plus simple. À un niveau appelé divertissement. […] J’aime le divertissement. J’aime être diverti, mais je connais la différence entre divertissement et le genre d’œuvre que je produis » (Young interviewé par Zuckerman, 2002). Branden Joseph rappelle lui aussi la même année que ce fut parce que Young ne partageait pas leur intérêt pour la culture commerciale qu’il allait quitter après quelques répétitions, la « tentative-performance » de création de groupe de rock de Claes et Patti Oldenburg avec Andy Warhol en 1963. Il aurait par ailleurs de longue date, alors qu’il était actif dans Fluxus, souligné son indifférence à toute culture récréative (Joseph, 2002 : 84). C’est que Young, comme beaucoup de ses observateurs, avait également été à l’école du génie et du transcendantal.

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Exclusions II : The Velvet Underground, le punk et l’avant-garde musicale

25 Lorsque Lester Bangs, Dave Marsh et Greg Shaw popularisent au début des années 1970 le label « punk » en y associant une contre-esthétique du rock et en mettant l’accent sur ses « racines populaires, agressives, sans ornements ni prétentions » (Gendron, 2002 : 228), ils font allusion à une série de groupes « garage » du milieu des années 1960. Ceux-ci incarnent le modèle du groupe de rock and roll originel, préservé de la décadence musicale des années 1970 (id. : 231-232) ; le modèle de la réduction du rock à son essence, antidote aux formes d’expérimentation qui fleurissent alors.

26 C’est une généalogie du blues au punk que Bangs, le « théoricien du punk » (Gendron, 2002 : 233) met alors peu à peu en place (Rombes, 2009 : 22). Celle-ci se construit sur les cendres de ces groupes « garage » qui, allant pour partie à contre courant de l’évolution du rock et de la pop, ont bien souvent conservé du blues la construction circulaire à partir de l’unité structurelle en douze mesures, plutôt que de céder à linéarité de refrains entrecoupés de couplets ou de ponts, hérités d’une certaine téléologie occidentale (Middleton, 2003 : 508).

27 Chez Bangs, le Velvet Underground devient une pierre angulaire de cette reconstruction esthétique. Il le fait renaître de ses cendres dans une série de chroniques dès 1969 dans lesquelles il insiste paradoxalement moins sur la composante « garage » du groupe que sur sa capacité à ouvrir « le rock à l’autonomie et à la liberté du free jazz » (Bangs, 1971). C’est que « le Velvet a une ambition avant-gardiste absente chez la plupart des groupes “punk” des années 1960 » (Gendron, 2002 : 242). Et même si pour Bangs « la plus importante leçon du Velvet Underground est le pouvoir de l’esprit humain à transcender ses facettes les plus sombres » (Bangs, 1969), il ne s’agit a priori pas pour ce dernier de façonner l’image d’un Velvet Underground synonyme d’agressivité, de bruitisme ou d’amateurisme mais de mettre celui-ci « sur la route de la canonisation » (Gendron, 2002 : 240). Pourtant, en insistant sur une série de similitudes formelles et esthétiques – « minimalistes », brutales et provocatrices –, Bangs et ses collègues contribuent à la fusion progressive du groupe avec le punk et vice versa : « Quand Bangs et ses alliés commencèrent à promouvoir la carrière de Lou Reed […], les discours sur le punk commencèrent à se mêler aux discours canonisants sur la tradition du Velvet Underground. Une série de similarités formelles […] encouragèrent la comparaison, mais l’esthétique calculée et la stratégie de choc intentionnelle tout comme l’ironie mettait l’axe Reed-[Iggy] Pop-[Jonathan] Richman sur un autre plan que celui des “punks” des années 1960 dont la musique dépouillée n’était pas affaire d’intention et donc la posture choquante n’était pas le fruit d’une réflexion esthétique. […] Les discours se formèrent en tandem et la prétention d’une connexion profonde entre les deux acquit presque le statut de tautologie. » (Gendron, 2002 : 242)

28 Même si Bangs souligne le caractère « expérimental » du Velvet Underground, il ne met pas pour autant l’accent sur son ancrage dans l’avant-garde musicale new-yorkaise des années 1960. Bangs s’inscrit alors dans une tendance généralisée de la presse – focalisée quant à elle sur l’autre affiliation avant-gardiste, « warholienne », du Velvet Underground – qui avait consisté à omettre ou à méconnaître les possibles racines de l’« expérimentalisme » du Velvet Underground. D’autant qu’à la fin des années 1960, tous les musiciens qui ont rayonné autour de La Monte Young ont depuis

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longtemps quitté le groupe et que celui-ci vient de signer avec Loaded son album le plus « écoutable » d’après Bangs lui-même (Bangs, 1971).

29 Ainsi, pour cette presse, la musique du Velvet Underground avait été du « rock and roll [à hauts décibels] combiné à une danse du ventre égyptienne » (The New York Times, 14 janvier 1966), « accordée en mineur ou pas accordée du tout » (The Los Angeles Free Press, 13 mai 1966), « une bataille d’instruments dans une seule improvisation d’une heure […] ; une série d’attaques atonales et de larsens » (New York, octobre 1966). Elle était « inexpressive, chaque chanson semblant durer trois heures » (The Michigan Daily, 4 novembre 1967), « répétée immuablement », assimilée à un « blues technologique […] assez mécanique pour être confondu avec l’électronique », « sa répétitivité permettant de distinguer difficilement s’ils jouent mal ou non » (Crawdaddy, n° 16, 1968).

30 Si les traits de l’esthétique minimaliste aussi bien que ceux du punk à venir se dessinent dans les descriptions du « groupe de rock d’Andy » (New York, octobre 1966), seule une mention rapide de La Monte Young est faite dans la presse « pré-punk » (Crawdaddy, n° 17, 1968). John Cale y est avant tout décrit comme un « cagien » (ibid.). Exit l’avant- garde musicale de Young ou celle de Fluxus et son anti-art qui aurait mené Henry Flynt, Tony Conrad et John Cale à prêter l’oreille aux musiques populaires au fil de leur déconstruction de l’Art (Joseph, 2011 : 228).

31 Par ailleurs, aucune mention n’est faite, ni chez Bangs, ni dans la presse qui le précède, de deux des premiers enregistrements publiés par le Velvet Underground : le très concret « Noise » ou le proto-minimaliste « Loop ». Et si Lou Reed accompagne la publication du flexidisc « Loop », dont le riff de basse et les boucles de larsen se déroulent à l’infini dans un sillon fermé pour le magazine Aspen n° 3 (1966), par un éloge de l’électronique et de la répétition, c’est pour se dédouaner de tout intérêt pour la technologie trois ans plus tard. « C’était une création de John [Cale] et je ne suis pas intéressé par ce genre de productions [électroniques] », affirme-t-il (Reed interviewé par Martin, 1969). Après quelques décennies, « Noise » et « Loop » ne restent pour beaucoup que les « expériences soniques divertissantes » de John Cale, réalisées « pour son propre plaisir » (Heylin, 2005 : xviii). En aucun cas les œuvres ne semblent pouvoir témoigner d’une possible intégration du Velvet Underground à la « New York Hypnotic School » des années 1960. Même si les drones et l’impression de statisme ne passent pas inaperçus à l’époque de la redécouverte des deux premiers albums du groupe, aucune mention n’est faite de La Monte Young. Lorsque Lenny Kaye, l’un des autres initiateurs du punk, le cite dans le New Times d’avril 1970, c’est pour rappeler ensuite que la musique du Velvet Underground est « in fine du rock n’roll », « franc et simple » (Kaye, 1970).

32 La réception de Metal Machine Music de Lou Reed en 1975, un condensé d’une heure de boucles de larsen, est à nouveau symptomatique de l’absence de références à un possible ancrage avant-gardiste du punk. Dans le texte qui accompagne l’enregistrement Reed y crédite Young de sa « connaissance du drone et des possibilités harmoniques ». Il ne récolte cependant que l’effroi général du public et de la critique rock face à ce qui devient l’un des « pires albums de rock de tous les temps » (Guterman & O’Donnell, 1991). Lester Bangs érige pourtant ce Metal Machine Music en « plus grand album jamais enregistré » (Bangs, 1975). Mais c’est avant tout parce que « n’importe quel crétin disposant de l’équipement nécessaire aurait pu faire ce disque »

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et que « en ce sens, c’est de la musique populaire », « le meilleur remède à la pire gueule de bois de votre vie ». Lointaine est la célébration « objective » de la dronologie de Young, celle qui, pour les observateurs du minimalisme de l’époque, tient autant de Cage que de Webern, celle-là qui est exprimée en termes de structure formelle essentiellement. Car c’est au travers d’une subjectivité assumée et poussée à l’extrême, faisant fi de toute « déontologie journalistique » que Bangs mène sa croisade. Une tabula rasa généralisée où l’Institution et les grilles de lecture qu’elle promeut n’ont pas de place. *

33 Ce sera a posteriori encore que la critique et une littérature journalistico-musicologique (Bockris, Malanga, [2002] 1983 ; Zak III, 1997 ; Witts, 2006 et Unterberger, [2009] 2012 parmi d’autres) reconstruisent les interactions, les emprunts et les filiations supposées entre le Velvet Underground et les minimalistes. Leurs propos sont en grande partie nourris par les déclarations de John Cale (Cale & Bockris, 1999), plus enclin que Lou Reed à exhumer les racines « avant-gardistes » du langage du Velvet Underground.

34 Mais ce que ces auteurs mettent en exergue ne sont pas tant les interactions mutuelles ou le partage d’une culture répétitive que l’influence unidirectionnelle du minimalisme sur le rock. Ainsi peut-t-on lire dans l’une des premières monographies consacrée à l’analyse « musicologique » du Velvet Underground (Witts, 2006), que celui-ci, par l’entremise de John Cale, aurait puisé l’essentiel de son esthétique chez La Monte Young. Qu’il s’agisse du son produit par le déplacement des meubles inspiré de Poem for table, chairs, benches, etc. (Witts, 2006 : 68), de l’emprunt des costumes noirs et blancs de Young et Zazeela (ibid. : 70), des conventions d’accordage (ibid.), de l’exploration de l’amplification (ibid. : 74) ou encore de l’attention portée aux premier, quatrième et cinquième degrés de la gamme (ibid. : 69), l’ombre de Young paraît plus que jamais peser sur la musique du premier Velvet Underground. Contestable ou non (Greif, 2007), cette « influence » s’est désormais propagée dans presque toute la littérature canonique ayant trait au Velvet Underground.

35 La jeune littérature des musiques populaires va en effet souvent s’emparer de l’« occasion minimaliste » pour légitimer son propre discours en voie d’institutionnalisation. Pourtant, si elle contribue de la sorte à diffuser l’idée selon laquelle il peut y avoir de l’Art (entendu comme la tradition musicale savante occidentale) dans la culture populaire elle exclut en conséquence des musiques populaires toute possibilité de prétention esthétique in se. Ce faisant, elle concourt à pérenniser ce contre quoi elle lutte : la scission des littératures ou tout au moins la prééminence esthétique du savant sur le populaire. Du Stockhausen chez les Beatles (Womack & Davis, 2006), du Varèse chez Zappa (Carr, 2013), et même du Robert Ashley dans les Stooges (Piekut, 2011) : les occasions manquent rarement pour cette « nouvelle musicologie » de valoriser la musique populaire via ses connexions avec la « musique savante ». Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si les musicologues des musiques populaires se sont d’abord emparés du rock progressif, lequel par ses accointances avec la musique romantique tardive (Pirenne, 2005), paraissait beaucoup plus digne de figurer dans les programmes universitaires que l’amateurisme affiché (en façade) par le punk. Les chemins des paradigmes et les lectures de la « postmodernité » sont tortueux, les trajectoires indécises.

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Inclusions : des sémiotiques qui s’opposent ou se rejoignent

Ici, répétition, minimalisme, et “cool” anti-geek sont les caractéristiques de l’expression de la bêtise. (Ellis, 2008 : 155)

36 Si quelques-uns des discours construits autour du minimalisme de Young et autour du punk du Velvet Underground révèlent différentes formes d’exclusions, d’autres convergent pour mettre en exergue des points formels communs. Qu’il s’agisse des premiers commentaires constitutifs des genres ou de plus récents travaux, presque tous font autant mention du « pouvoir de la répétition » et du statisme que de la fascination pour les hauts volumes sonores.

37 Ces éléments prennent toutefois des sens, des acceptions et des significations divers voire divergents. Les genres renferment de fait leurs propres règles sémiotiques (Frith, 1996 : 91). Ainsi Metal Machine Music de Reed (1975) et son caractère expérimental allait sans doute dévier des codes du rock. Ainsi le hillbilly d’Henry Flynt, poussant l’anti-art vers l’extrême populisme, allait sans doute manquer de combiner avec les règles de l’establishment classique dont le compositeur était issu. De la même manière, Reed labellisé « punk » ou « rock » et Flynt « classique » sont restés confinés dans les territoires qui leur étaient attribués sans susciter l’intérêt au-delà de ceux-ci. Il n’en va pas autrement de Glenn Branca et Rhys Chatham à la fin des années 1970 : malgré tous leurs efforts pour intégrer les scènes du rock « authentique », ils ne furent jamais que ces « SoHo « “art fags” » (Gendron, 2002 : 292) qui cherchaient à élargir vers le rock les frontières désormais canonisées du minimalisme. C’est qu’au crépuscule des années 1970, l’idée du minimalisme comme genre savant et celle du punk comme esthétique populaire « authentique » a in fine pris forme, favorisant l’idée de « passerelle » entre deux univers autonomes et hermétiques plutôt que celle d’une culture ou d’une esthétique partagée. Chatham synthétiserait en quelque sorte cette dialectique en redécouvrant l’une des sources communes de ces deux univers désormais distinctifs et affirmerait : « lorsque j’ai découvert les Ramones, j’ai réalisé que, comme minimaliste, j’avais plus en commun avec cette musique que je ne le pensais. » (Chatham, s.d.)

38 « Un genre n’est pas seulement défini par ses frontières – par ce qu’il ne contient pas – mais également par ce qu’il contient » affirmait Fabian Holt il y a peu (2007 : 22) pour ajouter que la musique « contient des textures sémantiques polymorphes » (ibid.) et que les « éléments individuels de signification ne revêtent pas de sens isolément, mais à travers leur connexion et organisation dans des contextes symboliques avec leurs procédures régulatrices et leurs mécanismes directeurs » (ibid. : 23). Et de fait, ce sont bien des codifications différentes d’éléments formels, d’objets a priori similaires, que Nyman, Bangs et une série de leurs collègues et successeurs opèrent respectivement lorsqu’ils définissent minimalisme et punk. Tout au moins en associant Young à l’un et le Velvet Underground à l’autre.

39 À commencer par la fameuse anecdote de l’accordage de Reed. En 1964, lorsque ce dernier produit des disques à bas prix imitant le rock de l’époque pour un label intitulé Pickwick, il compose et produit « The Ostrich », un morceau basé sur deux notes dans lequel il joue sur une guitare dont toutes les cordes sont accordées en la dièse. Pickwick et Reed visent alors à donner vie à un groupe et se mettent à la recherche des membres de ce qui allait devenir The Primitives. John Cale, Tony Conrad et Walter de Maria – qui

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collabore avec La Monte Young depuis l’époque californienne (Potter, 2000 : 60) –, rencontrés fortuitement, sont alors invités à matérialiser le groupe fictif de Reed.

40 Le mythe est imprimé sur bien des pages : c’est l’accordage particulier de la guitare de Reed qui aurait capté l’attention de Conrad. Ce dernier a en effet mené pour sa part bon nombre d’expériences harmoniques similaires dans le Theatre of Eternal Music. Si l’objet des expérimentations de l’un et de l’autre est indéniablement similaire, l’accordage est conceptualisé selon des approches différentes voire divergentes, tant par les protagonistes que par leurs observateurs.

41 De fait, l’accordage que Reed expérimente notamment dans « All Tomorrow’s Parties » sur le premier album du Velvet Underground tend à s’intégrer à une politique de la puissance et du choc sonore. Car à la manière des « power chords » du punk à venir, cette « réduction à l’essence » de l’accordage couplée à la saturation de l’amplification (Reed in Johnstone, 2010) permet de fait l’impact et la brutalité d’un accord épuré d’une série d’harmoniques. C’est une esthétique du choc, de l’ « agression » (Mortifiglio in Zak III, 1997 : 60) que renferme et surtout renfermera un tel accordage (voir notamment Walser, 1993 : 41-44). Mais ce sera aussi une autre esthétique, celle, notoire, de l’amateurisme, du « anyone-can-do-it », qu’on lui associera (tout comme du jeu en « power chords » qui nécessite un doigté aussi minimaliste que sa résultante sonore) et ce notamment par Conrad lui-même : « Nous ne pouvions pas croire qu’ils faisaient cette merde juste comme une sorte de style ethnique bizarre de Brooklyn, accordant leurs instruments sur une seule note, ce que nous faisions aussi dans le groupe de Young, ce qui était très étrange. » (Conrad cité dans Zak, 1997 : 39)

42 En effet l’approche de Young (et celle de Conrad) est quant à elle conceptualisée bien différemment. Elle est théorisée et objectivée, sans faire référence à un contenu extra- musical. C’est en termes « intellectuels » qu’accordage, harmonie et harmoniques sont envisagés : intégrés, à force de recentrer le débat sur le « son », dilaté, répété, amplifié, dans la thématique ancestrale de l’intonation juste (Young in Kostelanetz, 1968 : 195-202 ; Young, 2000) ; associés à la quête que Young commençait à mener au début des années 1960 à la recherche des harmonies naturelles qui le mènera au Well-Tuned Piano en 1964.

43 De part et d’autre, en filigrane de la question harmonique, c’est celle de l’amplification qui se dessine. Et une fois de plus, celle-ci fera l’objet d’une signification divergente. Dans le sillage de la pensée cagienne, l’amplification permet de donner une présence physique inéluctable à un son que l’histoire semble avoir trop souvent dématérialisé (Dick Higgins cité par Kahn, 1999 : 227). Elle ouvre en outre la voie à la saturation dans le temps et dans l’espace d’un son qui vise à emplir l’éternité. Le Theatre of Eternal Music devient alors rapidement notoire pour le volume sonore presque douloureux de ses performances (Duckworth, 1999 : 244).

44 Or, l’amplification est le lieu même d’un double discours de codification. Elle permet de passer le son et ses harmoniques « au microscope » chez Young (ibid.), mais elle incite également à l’expérience charnelle de la vibration sonore. Poussée à l’extrême pourtant, l’amplification ne donne plus seulement corps à la musique ; elle dépasse l’objectif de diffuser le son qui lui a donné naissance dans les musiques populaires (Frith, Straw, Street : 6-8) pour participer à une stratégie du choc et de la terreur.

45 « Torture cacophonique » (The New York Times, 14 janvier 1966), « choc » (The Chicago Tribune, 29 juin 1966), « grondement » (The Los Angeles Free Press, 13 mai 1966) ou encore « chaos » (Boston Broadside, juillet 1966) : ce sont là parmi de nombreux autres, les

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termes avec lesquels la presse musicale rend compte du volume sonore assourdissant des premières apparitions du Velvet Underground. Agressivité sonore rime ici avec nihilisme. « Notre but était de déranger les gens, de les mettre mal à l’aise, de les faire vomir » dit Cale a posteriori (Cale & bockris, 2011 : 77). Et des commentateurs du Velvet Underground de suivre – en continuant à la tracer – la ligne de la brutalité punk : White Light White Heat est ainsi pour Fricke un magma de distorsion, un acte de terrorisme de larsen et même un précurseur de la plupart du « décibel-happy, fuck-you punk-rock » ultérieur (Fricke, 1995 : 39).

46 Pour Lester Bangs également, le « vrombissement » du Velvet Underground et ses « hurlements de larsen » font résonner douleur et colère (Bangs, 1969), cauchemar et hostilité (Bangs, 1971). Loin à nouveau de l’amplification « fonctionnelle » de Young, destinée à la mise en lumière des harmoniques naturelles du son (Young in Kostelanetz, 1968 : 201) qui en aucun cas ne doit rimer avec souffrance (ibid. : 212), le Velvet Underground « sut réinscrire l’ennui et la douleur auditive propres à l’avant- garde dans la thématique de la “mauvaise attitude” » (Greif, 2007). La douleur auditive constitue alors un « acte d’affiliation à une norme de vie supérieure, car pire et plus “transgressive” » affirme Mark Greif en 2007 (ibid. :13-17). Au delà des questions d’accordage et de celles des volumes sonores intenses, celles de la répétition obsessionnelle et du statisme sont également mises en lumière au sein des œuvres de Young et du Velvet Underground. Et à nouveau, des interprétations divergentes émergent.

47 Si Branden Joseph n’a pas manqué de souligner le caractère extatique de l’un des enregistrements de « The Ostrich » (Joseph, 2011 : 217), s’il a mis l’accent sur un immobilisme structurel qui n’est sans doute pas sans rappeler les expérimentations du Theatre of Eternal Music, ce n’est pas sans souligner que c’est la signature « primitive » (ibid.) du groupe qui s’y inscrit. « Il n’y avait rien de “minimaliste” dans les interprétations hurlantes, extatiques et extrêmes de The Primitives », ajoutera-t-il (ibid. : 228).

48 Cette remise en question des accointances esthétiques entre le rock et le minimalisme rappelle celle d’Andrew Goodwin concernant la collusion entre le rock et la musique de Phil Glass : « la musique [minimaliste] peut partager un principe abstrait avec le rock (dans l’usage de structures répétitives) mais son son et sa mise en scène a très peu à voir avec ce monde. » (Goodwin, 1991 : 181) Et de fait, lorsque Lou Reed lui-même évoque le pouvoir de la répétition, c’est pour mentionner sa capacité à réduire les choses à leur « ultime blague » (Reed, 1966 : 5). Une répétition poussée à un tel extrême qu’elle ne permet pas de savoir si le Velvet Underground « joue mal ou non » (Crawdaddy, n° 16 : 1968).

49 Sont encore pointés dans les divers discours l’amateurisme et le nihilisme du « punk » à venir : « le punk désignait une attitude qui mettait l’accent sur l’immédiateté et la répétition (utiliser plus de trois accords était de la complaisance). » (Laing, 1985 : xii). Ainsi répétitions et drones, qu’ils aient été hérités du blues ou de Young, ou du blues via Young puis Cale, ou « pire », de Webern et Cage depuis Young, s’intègrent eux aussi à merveille dans l’esthétique brute que développe Lester Bangs.

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Au delà d’une culture de la répétition

50 Ce fut donc par l’entremise d’une critique et d’une musicologie parfois népotiques que l’histoire du Velvet Underground et de La Monte Young fut (re)construite. Une histoire dont l’auteur se confondait souvent avec l’interprète, le compositeur, le fan ou le journaliste ; une histoire où les bribes de discours souvent contradictoires des protagonistes englués dans un même combat de catégories alimentaient, parfois malgré eux, les luttes de genre de part et d’autre du fossé savant/populaire.

51 La « reprise » successive et la transmission « généalogique » des discours relatifs aux genres dans la littérature interagiront avec ce monde qu’elles n’avaient pour objet que de décrire. Car ce sont également les esthétiques propres des genres qui seront impactées par les mythistoires reprises en boucle. Même si Simon Frith affirmera en 1996 que « [les genres] ne sont pas le résultat d’analyses académiques détachées ou d’histoires musicologiques formelles » (Frith, 1996 : 88-89), ces genres prendront aussi peu à peu, « de facto », les traits que ces musicologues ou journalistes visent à leur donner.

52 Les journalistes ou les musiciens, figures de proue du punk puis du post-punk, sembleront en effet continuer à converger vers une définition brutale, nihiliste et parfois bêtifiante du genre (Reynolds, [2005] 2007 : 85-111). Certains de leurs successeurs « indépendants », noise-, post- ou math-rock, couperont définitivement les ponts avec l’ex-avant-garde classique. Parallèlement, le post-minimalisme et ses compositeurs-musicologues s’engouffreront dans une tradition savante cérébrale, anti- populiste et à tout le moins éloignée de l’idée de la « réconciliation postmoderne ». Jusqu’à Fink, du moins.

53 La répétition est le signe de l’amateurisme et de l’émancipation chez les uns, de l’ouverture à un genre « totaliste » bien ancré dans la tradition musicale occidentale (Gann, 2001) chez les autres. Lorsque les minimalistes et les post-minimalistes reçoivent leur accréditation culturelle, lorsque punk, post-punk, noise-rock, post-rock et math-rock prennent leur « indépendance » esthétique dans le paysage populaire, ils prennent des chemins opposés, quand bien même tous affirmeraient proposer une « alternative », soit à l’art de l’Institution, soit à la culture de masse.

54 Robert Fink a pu pointer l’émergence d’une « culture de la répétition » dans la société de consommation post-industrielle d’après-guerre. Il a par ailleurs pu réunir dans un même chapitre minimalisme et remix disco (Fink, 2005 : 25-61). Mais si l’auteur pointe alors le partage d’un arrière-fond formel ou structurel, il laisse en suspens les luttes de genre qui s’y déroulent de même que la définition de nouveaux territoires génériques sur cette terre commune.

55 Ces luttes s’inscrivent in fine dans le sillage de l’hypothèse émise par Bruno Latour (1991), selon laquelle « nous n’avons jamais été postmodernes » (Redhead, 2011). Elle nous incite à questionner, non pas la faillite du postmodernisme, ni celle de la théorie postmoderne elle même, mais, une fois encore sa construction.

56 C’est en effet en perpétuant la frontière entre savant et populaire et en se situant en regard de celle-ci que ces genres « postmodernes » furent paradoxalement érigés. Car c’est en contribuant à consolider d’anciennes frontières et parfois en créant de nouvelles que la science et la critique ont pointé du doigt leur obsolescence et érigé, comme nouveaux héros, ceux qui semblaient œuvrer à leur destruction.

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Cette recherche a été financée par la Politique scientifique fédérale belge au titre du Programme Pôles d'attraction interuniversitaires.

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NOTES

*. Informations sur le prix annuel jeune chercheur IASPM branche française : http:// volume.revues.org/2592 [ndlr] 1. Le drone est un genre musical caractérisé par l’usage de notes et de clusters maintenus ou répétés sur une longue durée. Voir Levaux, 2015.

RÉSUMÉS

La théorie postmoderne a récemment pu pointer l'effondrement de la frontière séparant les cultures savante et populaire. Le Minimalisme et La Monte Young d’une part, le punk et le Velvet Underground d'autre part ont souvent servi d’illustrations de ce nouvel ordre des choses

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où le dialogue entre des univers autrefois antagonistes s’ouvre enfin. Young, pourtant, n’a pas toujours été un compositeur « savant », et le Velvet Underground n’a été considéré comme un groupe « punk » qu’après sa séparation. C’est en effet au fil de reconstructions opérées par la critique et par la musicologie que ceux-ci ont été cloisonnés au sein d'univers en apparence hermétiques. Et c’est au fil de reconstructions récentes, celles notamment de la « musicologie postmoderne », que ceux-ci ont été réunis sous une même bannière. La confrontation de Young et du Velvet Underground, du minimalisme et du punk dans la littérature critique et musicologique fait ici l'objet d’une investigation portant sur le rôle assumé par celles-ci dans la construction des histoires et des genres respectifs. Cette confrontation plaide en faveur d’une réintroduction des idéologies et des politiques musicologiques dans l’histoire de la musique elle- même.

Postmodern theory has recently brought to light the collapse of the boundary separating classical and popular cultures. Minimalism and La Monte Young, on the one hand, and punk and the Velvet Underground, on the other, frequently serve to illustrate the new order of things, in which the dialogue between these hitherto antagonistic universes has finally opened. Young, however, has not always been a “classical” composer, and the Velvet Underground only started to be considered as a “punk” band after it split up. It was, in fact, through the reconstructions of critics and musicologists that these musicians were sectioned off within an apparently compartmentalized universe. And it is through more recent reconstructions, notably those of “postmodern musicology”, that they have been reunited under a single banner. This article examines the way Young and the Velvet Underground, minimalism and punk, are confronted in critical and musicological literature with an aim to explicating the role played by this literature in the construction of these musicians' histories and these genres. This confrontation pleads in favor of the reintroduction of musicological ideologies and policies in the history of music.

INDEX

Mots-clés : genre musical, underground / alternative, perceptions / représentations culturelles nomsmotscles Velvet Underground (the), Young (La Monte) Thèmes : punk / hardcore punk, minimalisme Keywords : genre (musical), perceptions / representations (cultural)

AUTEUR

CHRISTOPHE LEVAUX

Christophe LEVAUX est né à Bruxelles en 1982. Il a obtenu une licence en musicologie à l’Université de Liège et un master en management général dans la même université. Il a travaillé pour le projet Patrimoine musical numérique de la Communauté française de Belgique, pour la radio classique Musiq’3 (RTBF) et a récemment entrepris une thèse de doctorat visant à étudier la construction savante du minimalisme et les interconnexions méthodologiques entre musicologie et science and technology studies. mail

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Document

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De l’harmonie éolienne dans les musiques populaires contemporaines On Aeolian Harmony in Contemporary Popular Music

Alf Björnberg Traduction : Olivier Julien

La première mouture de cet article date de 1984 : il s’agissait à l’origine de la transcription d’une communication faite par l’auteur dans le cadre du séminaire de musicologie de l’Université de Göteborg. Une version mise en forme est parue dans la revue suédoise Tvärspel la même année (« There’s something going on – om eolisk harmonik i rockmusik »), soit cinq ans avant que la branche nordique de l’IASPM (The International Association for the Study of Popular Music) ne publie la première version anglaise sous le titre « IASPM Working Paper DK 1 ». La revue Musica/Realtà a quant à elle publié une version italienne en 1995 (« Armonia eolia nella “popular music” contemporanea ») et, en 2007, la version anglaise a été retenue par Allan Moore pour l’anthologie Critical Essays in Popular Musicology (Ashgate). Nous sommes heureux de proposer ici la première traduction française de ce texte fondateur dans la musicologie des musiques populaires. (NdT)

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1 QUAND ON SONGE à l’ensemble des styles musicaux qui se sont développés au cours des trente dernières années et qui sont aujourd’hui regroupés sous le terme générique de « musique rock », on peut légitimement se demander si le fait d’évoquer un certain type d’« harmonie rock » a un sens. Pour différentes raisons, l’idée même semble problématique. D’un point de vue général, tout d’abord, l’harmonie est, dans le rock, un paramètre d’expression musicale bien moins important que le rythme, la mélodie ou le timbre. Ensuite, l’une des principales caractéristiques de cette musique est son éclectisme : qu’ils soient traditionnels, savants ou populaires, la plupart des styles musicaux ont été, à des degrés divers, des sources d’inspiration pour un style de rock ou pour un autre. C’est pourquoi les auteurs qui s’y sont intéressés (y compris ceux qui ont tenté d’en développer une approche musicologique) ont eu tendance à survoler l’harmonie, considérant que le sujet n’avait pas beaucoup d’importance et qu’il n’y avait rien de particulier à en dire1. Le peu de curiosité pour les pratiques harmoniques du rock peut aussi s’expliquer par le fait que les musiciens de rock sont, dans une large mesure, les tenants d’une « tradition orale-électronique » – la formulation explicite de questions de théorie musicale n’a donc pas beaucoup d’utilité pour eux. Pourtant, c’est bien une forme de pratique harmonique récurrente dans le rock et d’autres styles populaires des dix dernières années que je me propose d’analyser dans ces pages. L’analyse en question ne vise pas seulement à mettre au jour des relations intramusicales : elle vise aussi à identifier, d’une part, le sens social et affectif d’une telle pratique et, d’autre part, les correspondances de ce sens sur le plan de la structure musicale.

2 D’un point de vue général, la musique rock est moins soumise aux règles de l’harmonie fonctionnelle que ne l’a été le jazz (en tout cas, jusqu’au jazz des années 1960). Les particularités de l’harmonie rock ont souvent été décrites comme « modales », mais l’association de termes en apparence aussi contradictoires que « modal » et « harmonie » appelle quelques précisions. Beaucoup d’enchaînements d’accords utilisés dans le rock peuvent être qualifiés de modaux en ce sens qu’ils sont dérivés de formules mélodiques dont chaque note est « colorée » par un accord (généralement majeur) de trois sons, ce qui donne lieu à des enchaînements « non fonctionnels » (je donnerai des exemples plus loin). Un autre type de structure harmonique pouvant être qualifiée de modale résulte de l’utilisation d’accords qui sont tous élaborés à partir d’une seule et même échelle, comme c’est notamment le cas dans le « jazz modal » du début des années 1960 ou dans de nombreuses chansons de rock. Cependant, il existe des différences de fond entre l’harmonie modale que l’on rencontre dans le jazz et celle que l’on rencontre dans le rock. Alors que dans le jazz modal, la distance vis-à-vis de l’harmonie fonctionnelle peut être accentuée par le recours à des accords qui ne sont plus basés sur des empilements de tierces, mais de quartes, les accords classiques de trois sons subsistent dans le rock. Qui plus est, dans le jazz, l’échelle modale est

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énoncée clairement et elle est envisagée de façon consciente comme un matériau dont découlent à la fois la mélodie et l’harmonie. Dans le rock modal, en revanche, l’échelle est souvent sous-entendue dans le matériau harmonique. Dès lors, on pourrait être tenté de croire que la notion d’« harmonie modale » n’est rien d’autre qu’une construction intellectuelle. Il n’en reste pas moins que ce type d’harmonie produit des enchaînements caractéristiques, qui divergent de l’harmonie fonctionnelle « normale » tout en produisant un effet semblable à celui de la modalité appliquée de façon homogène et uniforme dans le jazz modal (ce qui rend l’affinité entre ces deux types d’harmonie modale d’autant plus évidente).

3 Le terme d’harmonie éolienne désigne ici une pratique harmonique modale dont je viens de laisser entendre qu’elle était de plus en plus fréquente dans la musique rock depuis une dizaine d’années. Ce terme fait référence à un matériau harmonique à base d’accords de trois sons qui utilisent exclusivement les notes de la gamme éolienne (ou gamme « mineure naturelle »), c’est-à-dire les accords i, bIII, iv, v, bVI et bVII (sans oublier l’accord de quinte diminuée sur le deuxième degré, ii°, bien qu’il soit plus rarement utilisé). L’existence d’une tonique et d’un accord de tonique ne faisant aucun doute, la musique qui en résulte est, de fait, tonale ; mais cette musique présente aussi des caractéristiques qui sont incompatibles avec les règles traditionnelles de l’harmonie. L’accord majeur de dominante n’est par exemple jamais utilisé, ce qui signifie que l’enchaînement V-I/i – qui est, avec la résolution obligée de la sensible sur la tonique, à la base du système tonal – est systématiquement évité. Cet enchaînement se voit remplacé par d’autres enchaînements qui se répartissent en deux grandes catégories : les enchaînements qui utilisent les accords i, bVI et bVII, et ceux qui utilisent les accords i, iv et v. Les trois derniers accords ne sont bien sûr rien d’autre que les accords de base de l’harmonie « fonctionnelle », mais à un détail près : l’accord majeur de dominante a été remplacé par sa variante mineure. Pour autant, la prise en compte de cette seconde catégorie ne relève pas d’un simple formalisme théorique. Car en plus du fait que les enchaînements utilisant un v au lieu d’un V sont de plus en plus courants, les sens affectifs qui sont associés aux deux principales catégories d’enchaînements éoliens telles que je viens de les définir s’avèrent relativement proches. En outre, dans de nombreux cas, ce sont en réalité des enchaînements combinant l’ensemble des accords susmentionnés qui sont utilisés.

4 Les enchaînements éoliens prennent souvent la forme d’ostinatos harmoniques brefs et joués en boucle de sorte qu’ils créent ce que j’appellerai un « champ harmonique éolien ». On trouve des exemples de tels ostinatos dans des chansons comme « All Along the Watchtower » de Dylan (1968) et « Layla » d’Eric Clapton (1970), qui sont respectivement basés sur les enchaînements i-bVII-bVI-bVII et i-bVI-bVII-i. « 1984 » de David Bowie (1974), « The Wall Street Shuffle » de 10 CC (1974) ou « Phoenix » de Wishbone Ash (1970) fournissent, eux aussi, des exemples relativement anciens de cette pratique, et l’on pourrait même ajouter le finale de la pièce de théâtre musical issue de la mouvance de gauche suédoise, Vi äro tusenden (« Nous sommes des milliers », 1977), où un ostinato mélodique est soutenu, en alternance, par quatre ostinatos harmoniques dont chacun utilise l’harmonie éolienne. Depuis le milieu des années 1970, les chansons de rock entièrement ou principalement basées sur des ostinatos éoliens (c’est-à-dire des ostinatos à base des accords i, bVII et bVI) sont de plus en plus fréquentes – il suffit de songer à « Sultans of Swing » de Dire Straits (1978), « Message in a Bottle » de Police (1979), « In the Air Tonight » de Phil Collins (1981), « I Know There’s Something Going On » de l’ancienne chanteuse du groupe ABBA, Frida (1982), « The Look of Love » d’ABC

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(1982) ou « The Second Time » de Kim Wilde (1984), pour ne citer que quelques exemples. Un nombre peut-être plus important encore de chansons porte la marque de l’harmonie éolienne sans que cela se traduise nécessairement par l’utilisation d’ostinatos – voir, entre autres, « Voyeur » de Kim Carnes (1982), « Flashdance » d’Irene Cara (1983) ou « Let’s Dance » de David Bowie (1983). Enfin, l’enchaînement bVI-bVII-i remplit souvent la fonction de cadence en se substituant à l’enchaînement iv-V-i, ce dont atteste, là encore, « Sultans of Swing » – alors que l’accord majeur de dominante est présent tout au long de la chanson, les cadences complètes sont toutes du type (bVI-)-bVII-i.

5 On continue de rencontrer des cadences basées sur un mouvement de quinte descendante dans les enchaînements où l’accord v est présent, mais l’effet de tension- résolution traditionnellement associé à ce type de cadence est affaibli par l’absence de sensible. On trouve de nombreux exemples d’harmonie i-iv-v dans des chansons d’avant « l’ère du rock », notamment des chansons de blues comme « All Your Love » de Willie Dixon ; et l’on peut aussi entendre des solos sur des grilles de blues mineur dans certains titres de rock comme « Money » de Pink Floyd (1970). Dans de nombreuses chansons de rock de la décennie passée, l’accord v est par ailleurs utilisé dans d’autres situations, que ce soit à la place de l’accord V ou dans le cadre d’ostinatos harmoniques du type i-v ou i-bVII-v, comme en témoignent respectivement « We’re Having All the Fun » des Fun Boy Three (1982) et « Der Kommissar » du rappeur viennois Falco (1982).

6 À la lecture de ces lignes, on pourrait croire que les modèles harmoniques qui y sont évoqués sont perçus comme des modèles radicalement nouveaux et qu’ils sont, de surcroît, caractéristiques des genres apparus récemment. Naturellement, il n’en est rien. Toutefois, la question des rapports entre l’harmonie éolienne et des modèles harmoniques plus anciens dans le rock ou d’autres styles est une question complexe : c’est pourquoi je n’en aborderai ici que quelques aspects, les paragraphes qui suivent traitant principalement des ressemblances et des différences entre l’harmonie éolienne et d’autres pratiques harmoniques caractéristiques du rock des années 1960 et 1970.

7 Comme je l’ai déjà laissé entendre, les enchaînements harmoniques modaux, au sens d’enchaînements dérivés de formules mélodiques « colorées » par des accords majeurs de trois sons, ne sont pas inhabituels dans le rock depuis le milieu des années 1960. Leur substrat mélodique est, pour l’essentiel, le mode dit « pentatonique du blues » ou « pentatonique mineur ». Sans entrer dans une discussion sans fin sur l’origine et la nature exacte des blue notes, sans même évoquer la façon la plus adéquate de représenter la « gamme du blues », on peut affirmer que, dans le jazz, et plus encore dans le rock, cette échelle pentatonique est généralement utilisée pour reproduire, sous une forme stylisée, les motifs caractéristiques du blues, avec leurs hauteurs ambiguës. Les blue notes sont alors représentées par un troisième et un septième degrés bémolisés dans la gamme tempérée, ce qui ramène inévitablement à la question de l’interprétation typiquement blanche/rock (par opposition à noire/blues) des morceaux de blues comme étant des morceaux en mode mineur. Comme on peut s’en douter, cette stylisation résultant d’une adaptation au système tempéré, elle est davantage prononcée dans les lignes vocales que dans les lignes instrumentales. Les riffs pentatoniques basés sur cette échelle sont aussi courants dans le jazz que dans le rock, mais la création d’enchaînements d’accords à partir de telles formules mélodiques (c’est-à-dire des enchaînements à base des accords bIII et bVII, comme I-bIII-IV et IV- bVII-I) est propre au rock d’après 1960 – les enchaînements en question sont

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suffisamment courants dans le rock des années 1960 et 1970 pour qu’il soit nécessaire de donner des exemples. En plus de ces enchaînements, on peut rencontrer d’autres types d’enchaînements « médiantiques2 », dont certains, comme I-II-IV (par exemple, dans Sgt. Pepper’s Lonely Hearts Club Band des Beatles, 1967) ou bVI-bVII-I (par exemple, dans « I Was Made to Love Her » de Stevie Wonder et « Voodoo Chile » de Jimi Hendrix, 1967) sont tout aussi répandus. Or il est également possible de faire remonter ces dernières variantes à la gamme pentatonique du blues3. En effet, l’harmonie éolienne présente des similitudes évidentes avec ces enchaînements « médiantiques blues » ; en théorie, on pourrait même imaginer que le matériau harmonique éolien, tel que je l’ai présenté, provient de l’ajout de la sus-dominante bémolisée (bVI) à la série d’accords I- bIII-IV-V-bVII et du remplacement des accords I, IV et V par les accords i, iv et v. Quant à savoir si cette reconstruction est la façon la plus valide d’expliquer l’origine de l’harmonie éolienne dans le rock, la question reste ouverte (pour y répondre correctement, il faudrait de toute façon prendre en compte d’autres facteurs comme la modalité qui caractérise certains styles folk ou traditionnels, la musique savante, la musique d’habillage ou la musique de film). L’essentiel est de noter que le processus entraîne deux changements : tout d’abord, le caractère du système harmonique utilisé évolue, délaissant le majeur (qui prévalait jusque-là dans le rock) au profit du mineur ; ensuite, on peut constater une plus grande unité dans le matériau harmonique, ce qui a pour effet de rendre les enchaînements d’accords plus « statiques » et « dépourvus de tension4 ».

8 Derrière ces observations se profile la question de la signification de l’harmonie éolienne, c’est-à-dire du sens affectif et social qui est associé à ce type d’harmonie telle que l’on peut la rencontrer dans les musiques populaires de la décennie passée. Comme c’est souvent le cas lorsque l’on cherche à analyser le sens de messages musicaux, on peut être tenté de s’interroger sur le bien fondé du choix consistant à isoler tel ou tel paramètre. Il est d’ailleurs indéniable que le recours accru à l’harmonie éolienne dans le rock contemporain s’est accompagné d’autres changements dans le domaine de la mélodie, du rythme, de la technique instrumentale, du mixage, etc. – changements dont je n’ai rien dit dans ces pages. Je me contenterai néanmoins de faire quelques suggestions quant aux façons possibles d’interpréter cette pratique harmonique.

9 Si l’harmonie n’est pas le seul paramètre à entretenir un lien avec la formulation de messages subjectifs en musique, les formules harmoniques et, plus généralement, le langage harmonique jouent un rôle certain dans la détermination du sens affectif d’un morceau. Les processus harmoniques participent de la création d’une humeur qui sert de toile de fond aux énoncés ouvertement subjectifs de la mélodie, que ce soit par eux- mêmes ou au travers des liens qu’ils entretiennent avec les processus mélodiques (par exemple, les appoggiatures). L’harmonie éolienne telle qu’elle a été définie plus haut constitue un système unitaire fermé, avec peu de composantes, et lorsqu’elle est utilisée dans un morceau de musique, elle l’affecte généralement dans sa totalité. Dès lors, il est possible d’affirmer qu’elle doit être traitée comme une unité d’expression musicale généralisée, c’est-à-dire un musème au sens où Philip Tagg emploie ce terme (1982). Un moyen de mettre au jour le sens affectif de ce musème serait d’examiner les associations extramusicales des pièces ayant recours à l’harmonie éolienne en cherchant à identifier de possibles dénominateurs communs (cf. la méthode de « comparaison interobjective » de Tagg). Les exemples mentionnés dans cet article étant tous tirés de pièces de musique vocale, c’est évidemment dans les paroles que l’on aura le plus de chances de trouver des associations extramusicales. Si les messages

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verbaux associés à l’emploi de l’harmonie éolienne laissent entrevoir un certain degré de cohérence, on pourra alors en déduire qu’ils constituent une représentation verbale du sens affectif de cette pratique musicale.

10 Sans aller jusqu’à reproduire ici les paroles de chansons de rock utilisant l’harmonie éolienne, on peut affirmer que ces paroles présentent une certaine cohérence. Beaucoup d’entre elles traitent en particulier de récits mythiques ou historiques, de sujets comme l’aliénation dans la vie et dans les relations individuelles, voire évoquent des états d’attente, d’incertitude et de prémonition, ou encore la peur et la fascination qui caractérisent le rapport au futur, à la technologie et à la civilisation modernes. Envisagées comme un tout, ces paroles définissent un champ d’associations qui pourrait être caractérisé par des mots-clés comme « vastes étendues de temps et d’espace », « stase », « incertitude », « froideur », « chagrin » et « modernité ». À leur tour, ces mots-clés pourraient être utilisés pour décrire le sens affectif de l’harmonie éolienne.

11 À supposer que cette interprétation soit valide, elle soulève plusieurs questions. Tout d’abord, pourquoi la musique exprimant de tels états affectifs est-elle de plus en plus fréquente ? Indépendamment de la musique rock, destinée aux jeunes, dont il a été question dans ces pages, dans quels autres genres populaires retrouve-t-on cette pratique harmonique ? Le sens affectif de l’harmonie éolienne peut-il changer et, le cas échéant, de quelle façon change-t-il lorsque ce type d’harmonie est utilisé en rapport avec d’autres paroles ou dans d’autres contextes fonctionnels ? Ici, le lecteur devra se contenter de quelques réponses hésitantes.

12 Tout d’abord, il est relativement aisé de vérifier que l’usage de l’harmonie éolienne tend à se répandre non seulement dans la musique rock destinée aux jeunes, mais encore dans des genres qui sont associés aux musiques populaires grand public. Il suffit, pour s’en convaincre, d’observer que parmi les chansons retenues, depuis 1970, dans le cadre de la pré-sélection suédoise au Concours Eurovision de la chanson (qui représente, à de nombreux égards, la quintessence de la musique grand public en Suède), on a vu apparaître un nombre croissant de titres utilisant l’harmonie éolienne. Cela n’a rien de particulièrement surprenant quand on songe que depuis la création de ce concours, il y a 25 ans, la plupart des changements musicaux dont il a été le témoin ont résulté de l’absorption d’éléments qui provenaient du monde du rock avec un décalage de quelques années. Dans le processus, les éléments de nature plus prétendument structurelle qu’expressive (comme ceux qui ont trait à l’harmonie) ont, évidemment, été assimilés avec plus de facilité et de rapidité que les autres. Or il s’avère que les paroles utilisées en rapport avec l’harmonie éolienne dans ce contexte sont parfois cohérentes avec les champs d’association décrits ci-dessus, comme le confirment des chansons des années 1890 comme « Låt solen värma dig » (« Laisse le soleil te réchauffer5 ») ou « För dina bruna ögons skull » (« À cause de tes yeux bruns ») ; dans d’autres cas, elles peuvent aborder le thème plus traditionnel de l’amour ou simplement jouer sur l’attrait de la nouveauté. En ce qui concerne les chansons de la seconde catégorie, le sens affectif de l’harmonie éolienne y est vraisemblablement éloigné de ceux que j’ai évoqués précédemment – ayant été emprunté à la musique rock, plus « contemporaine » et destinée à un public plus jeune, le langage harmonique ne sert probablement alors qu’à véhiculer l’attrait de la nouveauté musicale. Malgré tout, indépendamment des paroles qui lui sont associées, l’harmonie éolienne peut être porteuse de sens à un niveau moins manifeste.

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13 Si, comme le prétend John Shepherd, « certaines formes de musique populaire reflètent, dans leur structure même, la médiation sociale d’expériences subjectives entre différents groupes et différentes sous-cultures et contre-cultures » (Shepherd, 1982 : 150 – mes italiques), alors on peut proposer une autre interprétation du sens de l’harmonie éolienne dans les musiques populaires contemporaines – interprétation elle aussi basée sur les champs d’association évoqués plus haut. Commençons par récapituler les principales caractéristiques de cette pratique harmonique en rappelant ses caractéristiques structurelles et son statut « sous-culturel ». Bien qu’ils ne transcendent pas le cadre de l’harmonie tonale fonctionnelle, les ostinatos éoliens sont dénués du caractère téléologique, entièrement dirigé vers un objectif, qui caractérise l’alternance entre tension et résolution des enchaînements de l’harmonie « normale », fonctionnelle. De plus, l’usage accru de l’harmonie éolienne implique la présence accrue du caractère mineur dans les musiques populaires – cela étant, il ne s’agit pas du caractère émotionnel subjectif du mineur tonal fonctionnel6. Quant aux liens de l’harmonie éolienne avec des groupes sociaux particuliers, j’ai indiqué précédemment qu’une telle relation n’existait pas vraiment en raison du fait que cette pratique harmonique tend aujourd’hui à s’étendre, au-delà de la musique rock destinée aux jeunes, à des genres traditionnellement associés aux musiques populaires grand public.

14 En résumé, on peut donc supposer que le recours à l’harmonie éolienne indique un changement dans la façon dont des groupes sociaux importants et hétérogènes perçoivent la vie dans les sociétés occidentales industrialisées. Comme cela a déjà été souligné dans d’autres contextes, l’idéologie du capitalisme industriel triomphant dans nos sociétés modernes se retrouve dans la structure même de la musique tonale, fonctionnelle, qui renvoie au présupposé d’un développement sociétal progressiste et ordonné coulant de source. À l’inverse, l’harmonie éolienne semble représenter une alternative aux enchaînements unidirectionnels, tendus vers un objectif, de l’harmonie fonctionnelle. À cet égard, elle peut être envisagée comme le codage musical d’un conflit qui oppose certains aspects de l’idéologie dominante et la façon dont la réalité est effectivement vécue. Face aux menaces grandissantes dans nos sociétés occidentales industrialisées (la guerre nucléaire, la pollution environnementale, l’explosion du chômage, la dissolution rapide des institutions et des valeurs sociales traditionnelles), on peut raisonnablement supposer que des gens se trouvant dans des situations sociales très différentes éprouvent aujourd’hui une méfiance plus ou moins consciente à l’égard de l’avenir tel qu’il est contenu dans l’idéologie dominante. En raison du statut relativement marginal de la jeunesse dans ces sociétés, la conscience d’une telle crise est particulièrement sensible dans la musique qui lui est destinée et elle y est souvent exprimée, comme je l’ai fait remarquer, dans les paroles. Ces symptômes de crise affectant des groupes sociaux de plus en plus importants, on les retrouve désormais aussi, sous une forme codée, dans les musiques populaires grand public. Bien que de tels sujets ne soient que très rarement abordés dans les paroles de la pop grand public, leur présence y est manifeste non plus sur un plan verbal, mais sur le plan de la structure musicale.

15 Avec l’harmonie éolienne, l’insouciance et l’explosion d’énergie adolescentes caractéristiques du « rock sur trois accords », la confirmation d’une existence tranquille et confortable véhiculée par la pop grand public ont donc pris une dimension problématique, reflétant des conflits et des contradictions désormais manifestes dans les sociétés occidentales industrialisées. Dans la musique dont il a été question dans ces

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pages, on perçoit, d’un côté, une tendance à la critique et à la formulation d’alternatives à l’idéologie dominante et, de l’autre, une tendance à la résignation, voire à la destruction envisagée de façon romantique. Reste à savoir laquelle de ces deux tendances prévaudra.

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TAGG P. (1982), « Analysing popular music : theory, method and practice », Popular Music, n° 2, Cambridge, New York (NY) & Melbourne, Cambridge University Press, p. 31-67.

NOTES

1. À moins, bien sûr, que l’harmonie ne soit plus ou moins ouvertement jugée en fonction des critères de l’harmonie tonale et décrite comme simplement déficiente. Pour des exemples de ce type de position, se reporter, entre autres, à Hartwich-Wiechell (1974). 2. Issu d’une variante de la théorie riemannienne particulièrement populaire en Suède dans les années 1980, le terme de médiantique [« Mediantik »] fait référence à un type d’enchaînement harmonique par tierce ascendante ou descendante. À cet égard, il se rattache donc à l’harmonie dite « des médiantes », bien que le terme soit plus restrictif dans la mesure où il ne s’applique qu’à ceux de ces enchaînements dont les accords (parfaits) n’ont qu’une note en commun, de sorte qu’ils ne sont pas perçus comme appartenant à la même tonalité (par exemple, I-bIII, i-vi, I- bVI, etc.). (NdT) 3. Plus concrètement, ces enchaînements harmoniques peuvent être envisagés comme des fragments du « matériau harmonique du pentatonique blues » transposé sur les cinquième et quatrième degrés (V-bVII-I-II- IV, IV-bVI-bVII-I-bIII). Bien qu’il ne s’agisse là que d’une construction intellectuelle, elle peut aider à se faire une idée des principes musicaux qui sous- tendent cette pratique harmonique. 4. Le meilleur moyen d’illustrer le lien qui unit l’harmonie éolienne aux pratiques harmoniques issues du blues est peut-être de se reporter au commentaire de Dave Marsh sur « Layla » de Clapton : « […] avec “Layla”, Clapton a composé un blues parfait sans pour autant s’appuyer sur la forme traditionnelle du blues. Peu de Blancs ont connu une telle épiphanie. » (Marsh, 1976 : 274) 5. Les paroles de cette chanson, qui expriment de vagues inquiétudes au sujet de l’avenir, entretiennent un lien évident avec le fait que la sélection se soit déroulée deux semaines avant le

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référendum sur l’avenir de l’énergie nucléaire en Suède ; quant à la solution proposée au problème (lequel n’est pas évoqué directement), elle consiste à s’en remettre à l’énergie solaire, les interprétations tant littérale que figurée se trouvant à portée de main. 6. Voir les commentaires d’Adorno sur le mode mineur, employé avec parcimonie pour épicer le mode majeur qui prévaut habituellement dans la « musique de divertissement » (Adorno, 1976 : 52). De toute évidence, la musique dont il est ici question remplit une fonction bien différente de celle décrite par Adorno.

RÉSUMÉS

Cet article examine une forme de pratique harmonique qui tend, depuis quelques années, à se généraliser dans la pop music et dans le rock. Reposant sur des enchaînements d’accords de trois sons élaborés à partir de la gamme éolienne (ou gamme « mineure naturelle »), cette pratique est ici désignée sous le nom d’« harmonie éolienne ». En nous interrogeant sur ses origines, nous verrons qu’elle pourrait découler d’enchaînements d’accords dont les notes fondamentales correspondent à des fragments d’échelles pentatoniques dérivées du blues et de genres apparentés (enchaînements qui sont tout à fait répandus dans le rock et dans la pop depuis les années 1960). Une étude sémantique basée sur les paroles d’un échantillon de chansons de rock et de pop portant la marque de l’harmonie éolienne nous permettra en outre de constater que le champ d’association extra-musical de ces chansons présente une certaine cohérence, en particulier pour ce qui concerne leur sens affectif.

This article analyzes a particular kind of harmonic practice which has become increasingly common in rock and pop music in recent years. This harmonic practice is termed “Aeolian harmony,” as it is based on chord progressions utilizing triads made up of notes from the Aeolian or “natural minor” scale. The origins of this type of harmony are discussed, and it is argued that it may have developed from chord root progressions based on segments of various pentatonic scales derived from blues and blues-related styles, progressions which have been commonly used in rock and pop since the 1960s. By way of a tentative semantic analysis, based on the lyrics of a sample of rock and pop songs featuring Aeolian harmony, it is further argued that this kind of harmony may be demonstrated to be associated with a fairly consistent affective extra-musical field of association.

INDEX

Thèmes : rock music, pop music Keywords : analysis (musical), harmony, signs / symbols / signification, senses / sensibilities / emotions, origin / original, modality, blue notes Mots-clés : analyse musicale, harmonie, signes / symboles / signification, sens / sensibilités / émotions, modalité, origine / original / originel

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AUTEURS

ALF BJÖRNBERG

Professeur de musicologie au Département de Sciences culturelles de l’Université de Göteborg, Alf BJÖRNBERG a soutenu en 1987 une thèse de doctorat dans laquelle il analysait les chansons des présélections suédoises du Concours de l’Eurovision. Ses recherches portent sur les musiques populaires, l’analyse musicale et la musique et les médias. Il a publié en suédois, en danois, en anglais, en italien et en allemand sur l’analyse des musiques populaires, les vidéoclips, l’histoire des émissions de radio et de télévision musicales en Suède, la politique culturelle du Concours Eurovision de la chanson et l’histoire des musiques populaires en Scandinavie. Ses articles sont parus dans des revues comme Popular Music ou Musica/Realtà et il a contribué à plusieurs livres, parmi lesquels Reading Pop : Approaches to textual analysis in popular music (ed. Richard Middleton, Oxford University Press, 2000), Musikgeschichte Nordeuropas (ed. Greger Andersson, J.B. Metzler, 2001), Popular Music : Critical concepts in media and cultural studies, vol. I (ed. Simon Frith, Routledge, 2004), A Song for Europe : Popular music and politics in the Eurovision Song Contest (eds. Ivan Raykoff & Robert Deam Tobin, Ashgate, 2007), Critical Essays in Popular Musicology (ed. Allan F. Moore, Ashgate, 2007) et Music in Advertising : Commercial sounds in media communication and other settings (eds. Nicolai Graakjær & Christian Jantzen, Aalborg University Press, 2009). mail

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Tribune

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Les tribulations d'une innovation musicale : l'exemple des « Fauteuils Branchés » The Tribulations of a Musical Innovation: The Example of “Connected Armchairs”

Bruno Lefebvre

1 NOUS ESSAYONS dans ce texte de confronter les dynamiques connues des innovations selon les travaux et recherche d'anthropologie technique avec une expérience que nous menons à bien dans le domaine de l'informatique musicale. Le regard et l'analyse sont donc, le plus possible, à la fois extérieures et impliqués dans le processus de création. Nous décrivons le processus de manière réflexive et compréhensive.

Les innovations

2 Les injonctions à l'innovation participent des mythologies du progrès occidental depuis plusieurs siècles. La volonté d'exalter le « génie » des peuples ou des firmes fait oublier très facilement les logiques historiques et hiérarchiques, le travail académique de co- construction et de traduction des objets réputés nouveaux qui sont proposés aux publics ou consommateurs, si bien qu'assez souvent, il n'y a plus de distanciation vis à vis de ces objets, qu'ils soient catégorisés dans le domaine esthétique ou non. L'esprit d'innovation et de créativité est d'ailleurs une norme obligatoire lors d'entretiens d'embauche, des ouvriers jusqu'aux cadres.

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3 Un discours archaïque voudrait que la pensée agisse sur la matière ; en fait les exemples sociaux-techniques nous montrent que les nouveaux matériaux et systèmes informatiques permettent de nombreuses réalisations un moment impensable, la pensée étant bloquée avant que les humains s'approprient les technologies. D'après nos observations dans l'industrie (Lefebvre, 1997), une période plus ou moins longue s'installe, les groupes sociaux s'accommodant et se modifiant au fil des changements d'outil, avant de concevoir des productions nouvelles. Par exemple, après l'informatisation des places boursières en 1980, de nouveaux produits financiers impensables au paravent sont échangés, l'informatique musicale datant de la même époque se contente un temps d'imiter des instruments acoustiques déjà existant avant de prendre une réelle autonomie dans sa conception et réalisation avec la « techno », entendue au sens large.

4 L'automobile, charrette auto-tractée par un moteur au XIXe siècle, n'a guère changé de forme depuis plus d'un siècle et demi. Tant que l'innovation technique conforte les rapports sociaux et les modèles d'individualisme, les objets ne changent pas de forme, comme les bicyclettes, les écrans ou les téléphones portables. Dans les années soixante, les matériaux étaient choisis, puis préparés et un geste technique leur donnait forme, selon un modèle linéaire d'information et de cahier des charges dans une chaîne opératoire. Ce schéma de création s'est modifié. Désormais, les résines polyméres conçues pour l'aéronautique dans les années 1960 sont utilisées couramment dans l'automobile, alliées à des fibres de renforcement en verre ou en carbone, elles remplacent des parties classiques comme les pare-chocs. Mais l'on peut penser aussi que l'on peut mettre en matière en même temps qu'on met en forme, ce qui suppose une re-conception de l'ensemble. Il faut penser en même temps la structure, les propriétés, les fonctions, le procédé, la Conception Assistée par Ordinateur. Selon cette nouvelle chaîne opératoire, la pensée est-elle libre lorsqu'une molécule devient une machine et la matière une fonction ? Les recherches sur les nano-technologies, à l'interface entre les neurosciences et l'électronique permettent de tester cette question.

5 Lors des injonctions à l'innovation industrielle, dont beaucoup d'effets sont sur- médiatisés alors qu'il existe des révolutions silencieuses, les techniciens ne laissent pas de trace, les montages de logiciels font éventuellement l'objet d'un dépôt de brevet, mais les discours sont par contre stabilisés afin de permettre de juger de la pertinence d'un choix. Toutes les tactiques visant à établir un rapport de force entre différents acteurs collectifs ou institutions sont utilisées afin de justifier de la nécessité et de la pertinence du choix. Les répertoires d'argumentation se doivent pour produire un consensus, de rappeler quelques mythologies et querelles théologiques de l'occident depuis la fin du Moyen Âge, avec l'empire de Byzance puis celui de l'Islam. Par exemple, les images ou les patterns doivent-ils être immuables ou bien peut-on les effacer ?

6 L'hybridation entre art, science et technologie permet de concevoir des rapports composites entre nouveaux et anciens éléments, d'autres logiques et articulations entre les formes et les idées. Cette hybridation est le matériel de base avec lequel va se développer « l'intuition » créatrice, chère aux phénoménologues. Selon les auteurs, ce peut être une phrase obsédante à partir de laquelle on travaille la langue (Mallarmé), un rapport à la lumière ou au son qui s'impose (les peintres et musiciens) ; dans les descriptions, il s'agit de laisser venir l'idée, c'est le einfall de S. Freud, ce qui tombe dedans, l'ad-venir ; pour A. Einstein, l'intuition est d'abord la saisie d'un rapport qui

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s'impose, puis le travail de logique ou de mathématique qui permet la mise en forme. Selon les anthropologues classiques (E. Pritchard), le travail de terrain pour comprendre une organisation sociale correspond à cette dynamique. On essaie ainsi de comprendre intuitivement ce qu'il s'est passé avant l'observation à l'instant « t ». Les expériences de l'observateur, son passé, modulent sa perception, ce qui conduit à penser hors-catégorie ou hors automatisme, puis le travail de logique réorganise une cohérence entre les éléments sociaux.

7 Mais les processus de création sont par nature sociétaux puisqu'ils font appel à l'intelligence collective et à la collaboration entre ceux qui émettent des idées, ceux qui les traduisent, ceux qui les réalisent et les mettent en technique, c'est à dire en forme, ceux qui les expérimentent et qui par retour modifient les idées premières. Les artistes « maudits », les rebelles individualistes, malgré les idéologies libérales « seul contre tous » ont peu de chance d'advenir s'ils ne sont pas utiles à une mise en forme des tensions ou conflits sociaux du genre « nouveaux bourgeois/anciens bourgeois » et à une reproduction sociale dynamisée et consensuelle (Boltanski et Chiapello, 2000). L'innovation est toujours collective, car son acceptation, parce qu'elle renforce les ordres sociaux et leurs hiérarchies éventuelles, fait participer consommateurs, acteurs, sujets à son établissement. Lorsqu'elle est refusée, par définition elle n'existe pas, rejoignant le catalogue des fantaisies inexplicables dans les vieilles archives.

8 Les chaînes opératoires du processus d'innovation se dynamisent selon des interactions plus ou moins simultanées entre les enchaînements d'idées, les hypothèses, les réfutations mentales, les autocensures et celles des réalisations matérielles et techniques, du petit atelier à l'industrialisation dans une grande firme. Chaque intervenant que l'on nommera donc « technicien » doit traduire telle et telle idée dans la matière par une astuce ou un procédé classique banalisé. Si tout se passe bien, l'idée trouve une trace dans la matière, informatique par exemple. L'assemblée de techniciens occasionnels ou professionnels interprètent le projet et le réalisent à leur manière, selon leur jugement, savoir-faire ou entendement collectif, et ce dialogue entre l'objet nouveau, la réalisation ou création technique génère de nouvelles idées et pistes d'expérimentation qui naissent de la mise en matière progressive. Ce processus se caractérise par une série de fausses pistes, de deuils techniques, de frustrations sociales et assez souvent les initiateurs du projet ont de moins en moins de prises sur le devenir de l'innovation.

9 Qui signe l'œuvre ? Le maître d'œuvre, évidemment, qui rassemble une série de sous- traitants nommés selon les chartes et les contrats commerciaux « co-réalisateurs » ou « co-concepteurs », firmes ou artisans, ce peut être également des salariés ; le cas des peintres de la Renaissance, des architectes, des responsables de fondations ou directeurs de recherche de toutes spécialités est connu. Les coopérations peuvent aussi être informelles, entre amis, parents, contrats tacites entre commerçants concurrents.

10 Le laboratoire néo-libéral qu'est l'Europe révèle que les conflits de propriétés entre la copie, l'image et celui qui signe et s'estime propriétaire concernent non seulement des lois sur l'information, l'informatique, mais aussi la mise en brevet de molécules réputées naturelles : les nanotechnologies fondent les distinctions entre image, support matériel, nouvelles matières, OGM et récepteurs. Les droits, les propriétés sont achetables et les brevets industriels sont déposés en fonction du profit estimé par retour d'investissement, une fois le rapport de force stabilisé. Prenons l'exemple de la mise en place du dispositif dit « fauteuils branchés »1.

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Les fauteuils branchés

11 Ce projet est né après une rencontre lors d'une fête de la musique où nous avions joués ensemble avec Dominique Huchet, au cours de discussions où nous apprenions à nous connaître (nous sommes guitaristes tous les deux). Les approches théoriques n'ont pas précédées la perspective d'une réalisation matérielle techniquement réalisable à peu de frais. L'informatique, avec les manipulations des logiciels libres a fait d'énormes progrès ces dernières années, des réseaux de collaborateurs de tous continents peuvent s'appliquer à développer de l'informatique musicale. D'autre part, les jeux de manettes sont banalisés et peuvent s'inscrire dans un espace scénique depuis les premiers synthétiseurs historiques. L'idée de fixer un fauteuil au bout d'un joy-stick m'est venu par le souci de faire participer les personnes handicapées ou impotentes à l'expression et à la production musicale.

12 Si l'on veut argumenter le dispositif, « l'innovation », nous dirions que mes recherches d'anthropologue s'inscrivent dans un contexte général, ce que l'on nomme depuis vingt-cinq ans la « technologie culturelle, économique et juridique ». L'informatique en logiciel libre de droit d'auteur permet de libérer et de diffuser les créativités en tous genres, et entre autres musicales. Comme on le sait depuis plusieurs milliers d'années, les savoirs techniques sont toujours en avance sur les coutumes et les pratiques sociales, surtout lorsqu'ils sont gratuits. Nous ferons dans ce texte quelques rappels d’anthropologie classique qui s'est toujours interrogée sur les irrationalités des droits et des économies des sociétés face à des connaissances banalisées, des savoir-faire disponibles et des intentions non-létales.

13 Les installations matérielles que nous proposons peuvent être mises en place dans des espaces publics ou privés, couverts ou en plein air.

CHAISE JOYSTICK – DESCRIPTIF MONTAGE RÉALISÉ À PARTIR DU LOGICIEL LIBRE JESKOLA BUZZ La modularité du logiciel Buzz, ensemble de synthétiseurs, effets et machines de contrôles librement interconnectables, permet la création d’automates musicaux complexes. Le joystick est fixé à la chaise, l’axe du joystick est relié à une tige qui permet d’augmenter l’amplitude du mouvement. La chaise par défaut se trouve en position centrale, position qui correspond au silence, les mouvements de la chaise déclenche le montage sonore génératif. Les mouvements sur deux axes permettent d’agir sur le déroulement du son en modifiant les hau- teurs, les timbres, les volumes, les effets (écho, réverbérations, etc.), ou voire encore la création de mélodies et de rythmes. La possibilité de connecter plusieurs joysticks/chaises étend les possibilités d›interactions entre l›utilisateur de la chaise et du montage sonore ainsi qu’entre les différents participants, les actions produites par le mouvement des chaises sur la musique/ ambiance sonore peuvent aussi évoluer en fonction des différentes phases de la composition. Les joysticks sont relié à un PC (sous windows) par USB (avec ou sans fils), possibilité de son stéréo ou multiphonique.

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Principe

14 Les gammes des musiques des peuples sur terre sont innombrables. On peut imaginer qu'à chaque note suive une autre note aléatoire, nos conditionnements mentaux, cérébraux, l'empreinte des architectures sonores de nos sociétés, les bruits du travail, des loisirs, des transports nous permettent d'en extraire une harmonie, une suite agréable. Cette musique générative et aléatoire est générée par un montage de logiciels libres (voir l’encadré « chaise joystick » décrivant le dispositif). Tous les sons et signaux, chants d'oiseaux, de baleines, ou d’apparences plus humaines, percussions, etc. sont entièrement synthétiques et sont restitués par une série de baffles installées en périphérie de l'espace physique qui envoie les signaux. Une grande possibilité de fabrication de sons synthétiques permet de composer.

15 Nos expériences de théâtre, d'amphithéâtre, de scène nous gêne car ces situations posent les acteurs en face à face. Nous ne concevons pas un espace bipolaire comme une scène et un public, mais un espace circulaire autour duquel chacun peut évoluer. Nous avons testé le dispositif tout d'abord avec un joystick dans un restaurant-concert, ensuite avec un fauteuil prototype dans un festival organisé par Ghetto-Art à Nantes (442), puis avec trois fauteuils à l'occasion d'une sonorisation du vieux bateau de guerre Maï Breze.

16 Au centre, trois fauteuils jouent le rôle de joy-stick ou d'une manette de jeu, les mouvements corporels latéraux et d'avant en arrière de ceux qui y sont assis modulent la composition générative, produisant ainsi une architecture sonore momentanée de l'espace. Chaque fauteuil agit grâce à son axe sur le rythme (l'accélération ou le ralentissement des mélodies), l'intensité des sons, oriente la musique vers des percussions ou des développements instrumentaux, fait varier le spectre, agit sur la hauteur, la fréquence, la brillance des sons. On peut remplacer ces fauteuils par des plateaux circulaires lorsque les acteurs peuvent physiquement se tenir debout ou se déplacer, seuls ou à plusieurs, selon la taille du plateau. Autre système, des danseurs munis de capteurs peuvent générer par leurs mouvements la musique sur laquelle ils dansent.

17 Fauteuils ou plateaux sont munis de ressorts, comme les sièges des enfants dans les jardins publics, de manière à ce que la position horizontale corresponde à une absence de signal sur un axe x/y. Leur inclinaison envoie un signal vers un ordinateur. Mais l'on peut également utiliser une manette de jeu unique de manière à être un « chef d'orchestre » et « compositeur » instantané, s'adressant à un « public », pour produire, par exemple de la musique techno : cette manière ludique et technique que nous avons expérimentée participe à notre projet, des petites consoles musicales peuvent être largement diffusées.

Intention

18 Les mouvements des corps assis génèrent la mélodie et permettent à chacun, quel que soit son âge, son poids (de 20 à 120Kg), son handicap éventuel, de produire l'environnement sonore, même sans aucune connaissance de la musique. La musique est générée, composée simultanément à trois, ce qui permet d'éviter les situations de

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face à face (en couple, en quartet) que pour des raisons philosophiques nous préférons éviter. L'installation conduit les trois personnes, ou les trois groupes, à harmoniser collectivement leurs mouvements corporels afin de produire la cohérence sonore qu'ils souhaitent intuitivement. Le trio de personnes peut considérer qu'il joue collectivement d'un même instrument, comme les joueurs de gamelan à Bali-Sumatra considèrent qu'ils sont un seul instrument, même si l'œil occidental dénombre plusieurs dizaines de musiciens.

19 Nous incorporons les sons de notre environnement et notre civilisation. Le « la » des sonnettes de porte et de téléphone, le « sib » des voitures de pompier et de police ont produit de grands tubes mondiaux dans le show-business. L'intention est de renouer avec les enseignements anthropologiques sur les techniques du corps (Marcel Mauss, 1920/1935). Après comparaisons de sociétés encore peu « mondialisées » au début du XXe siècle, on s'aperçoit que les corps sont formatés par leurs environnements sociaux, techniques, culturels, ainsi que leurs « sept » sens, la vue, l'odorat, le toucher, l'ouïe, le goût, le sens vestibulaire (l'équilibre), le sens kinesthésique (le mouvement). Il est surprenant que ces deux derniers sens ne figurent guère dans les manuels des écoliers, alors qu'ils s'entraînent à jouer au skate-board et autres activités de glisse. Inversement, de manière dialectique, les corps et les activités humaines dynamisent ou stabilisent leurs environnements matériels et sonores.

20 Notre installation de « fauteuils branchés » permet de dynamiser l'espace public ou privé par la mise en simultanéité de l'ouïe, des sens vestibulaire et kinesthésique (au minimum), avec des réponses sonores non répétitives comme celles d'un synthétiseur de son, mais pensées de manière aléatoire. Cette installation peut, si l’on veut, prendre la dimension d'une démonstration « d'art contemporain », d'un divertissement festif, mais aussi d'un apprentissage pour les enfants à la reconnaissance des sons ou des instruments, ou encore à l'éducation ou la rééducation d'handicapés psychomoteur. Neurologues, physiologistes, psychologues et pourquoi pas éthologues, spécialistes du comportement animal, pourraient trouver là matière à de nouveaux outils de soin ou de recherche. Un prototype pourrait être mis au point en direction de soins ethno- psychiatriques, dans la lignée des travaux de G. Devereux, T. Nathan, F. Laplantine (Devereux, 1980 ; Laplantine, 1974).

21 L'apprentissage classique ou jazzistique d'un instrument physique nécessite un dressage corporel certain et une discipline qui dure des années (parfois proche du masochisme !) en échange d'un joli son fugitif, momentané, mais reconnu socialement au nom de la « beauté de l'Art ». Pouvoir générer de la musique informatisée permet de se libérer de ces contraintes et tout le monde peut y accéder, handicapés physique ou mentaux compris. Nous pensons donc en concevoir des versions thérapeutiques... À partir de gestes simples, assis dans un fauteuil par exemple, on peut composer de la musique, se répondre l'un l'autre, prendre du plaisir, ce qui rompt avec l'obligation d'ascèse et de discipline, (très judéo-chrétienne ?), par laquelle il faut souffrir pour avoir accès à quoi que ce soit.

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22 L'argumentation du projet s'inscrit également dans l'histoire. Toute musique est répétitive, mais on peut proposer de la musique générique. Un des grands défauts de la musique assistée par ordinateur est de composer des pièces trop séquentielles, depuis les années soixante, lesquelles ont par ailleurs bercé nos adolescences. De beaux musées exposent ces premiers outils qui ont conduit aux compositions les plus récentes, tous styles de musiques confondus. Dans un but de simplification, pour satisfaire nos oreilles socialement orientées, nous programmons notre musique en quatre temps, mais l'on pourrait tout aussi bien programmer des rythmes aléatoires. Sur quatre temps, si l'on introduit une variable aléatoire, nous pouvons composer de la musique générative pour échapper à une démarche mortifère de répétition typique, la pulsion de mort de S. Freud. Selon ce savant, la répétition est un principe de mort, ce qui est tout à fait contestable si l'on considère la joie collective d'un rassemblent musical qui revient à intervalle réguliers, un concert « en live ». Les patterns, modèles, ou ce que les africains nomment la « roue » ne sont jamais identiques de l'un à l'autre et pourtant, les musiciens se doivent d'être strictement « ensemble », en rythme.

Anthropologie musicale et compositions aléatoires

23 Les travaux de Leroi-Gourhan (1964 ; 1965) des années 1940/50 sur la préhistoire, « la mémoire et les rythmes », « le geste et la parole » montrent que l'intelligence humaine, le langage oral et donc la musique se sont formés avec la répétition des percussions contre des morceaux de bois ou des cailloux, les claquements des mains, le frottement sur des peaux, le souffle dans des cornes, des morceaux de bois ou contre des herbes. La maîtrise de la construction des cordes tendues et des nœuds sur les arcs de chasse, les harpes, tars, cithares et guitares qui en résulte immédiatement -car tous les outils sont sonores- donne lieu à de nouvelles famille d'instruments. N'importe quelle cavité donne une caisse de résonance. Il est donc logique que la musique soit « naturellement » répétitive, des rythmes primitifs jusqu'aux sonates les plus savantes

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ou élaborées de notre répertoire classique. En musique, le groupe d'humain fait corps, rassemble. La musique enregistrée est un autre problème que nous n'aborderons pas ici.

24 Les bielles qui étaient fabriquées pour transformer un mouvement rotatif en mouvement alternatif étaient utilisées dans l'antiquité pour pomper l’eau ou encore pour animer des statues de divinités - ce qui avait un effet certain sur les foules. Avec la découverte mathématique du raisonnement inductif et du calcul binaire (Francis Bacon, 1561/1626), on utilise la répétition du signal (oui/non ou plus/moins) surtout dans l'industrie : les métiers à tisser programmés provoquent des émeutes, car on n'a plus besoin d'autant de main d'œuvre. Les mécanismes automatiques sont évidemment utilisés pour les loisirs et la science amusante, comme la construction d'automates à forme humaine ou, pour les arts, la musique mécanique. Les orgues de barbarie sont devenus aujourd'hui des synthétiseurs. Au XIXe siècle, les pianos à rouleaux permirent aux aristocrates de faire programmer leurs compositions ou à d'autres, de reproduire le ragtime des noirs américains que les blancs ne savaient guère à interpréter lors des soirées. Avec la construction de nos outils informatiques à partir des années 1940, que les anglais nomment « calculettes » et les français « ordinateurs » (Lefebvre, 1997), on peut désormais penser des matrices qui produisent des suites aléatoires après modifications d’une partie des paramètres. Les origines sont anciennes. Athanasus Kircher (1601/1680), jésuite, aurait participé à ce vaste mouvement d'idées en pensant à de la musique algorithmique. Jean-Sébastien Bach (1685/1750) se serait beaucoup intéressé à ces travaux pour concevoir ses compositions. La combinaison des matrices peut générer de la musique aléatoire : lorsque l'on écoute du Bach, on pense à cette musique mécanique ou sérielle. Il s'agit d'enchaînements logiques à partir d'un ou deux thèmes d’une matrice au sein de laquelle on aurait introduit une variable aléatoire.

25 Les vibrations et les sons se déroulent dans le temps, il y a un début dans ces morceaux de musique générative dont les notes aléatoires se succèdent. Par contre il n’y a pas forcément de fin, puisqu'on peut programmer les ordinateurs sur des durées dépassant l'année, si l'on sonorise des lieux publics, parcs et jardins par exemple. Notre choix esthétique est d'éviter un sentiment de chaos lorsque tous les signaux et les fréquences sont ouverts. En fait, les filtres que nous imposons permettent de tempérer des silences de manière à ce que l'oreille oriente et invente, fasse concevoir des harmonies parfois socialement construites, parfois imprévues.

26 De notre point de vue, celui de deux musiciens guitaristes, l'un classique, l'autre jazz, le grand danger des musiques informatiques est de se complaire dans la répétition, de manière plus stricte que des claquement de main chez les primates, les claquements de bec chez les oiseaux ou les ailes vibrantes des insectes. Les débats musicaux théoriques au début des années 1980 avec Christian Villeneuve (1948 / 2001) posaient déjà la question de la surdétermination de l'outil informatique qui orientait – ou formatait – les processus mentaux qui contribuent à la création et la composition musicale. À partir des années 1970, certaines compositions nous semblent carrément beaucoup trop répétitives, ou si l'on veut, un peu « flemmardes », mais le temps de travail de production est fréquemment plus bref pour élaborer une musique ayant pour fonction de faire danser dans les boites de nuit. Les précurseurs de la musique électronique, comme en Allemagne, Pink Floyd ou Soft Machine ne s'y sont pas trompés et introduisaient dans leurs compositions des instruments aléatoires comme des flûtes ou des guitares.

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27 Ces brèves approches historiques de la musique électronique et informatisée s'intègrent parfaitement avec les modèles de l'anthropologie des techniques, malheureusement peu enseignés en France (Creswell, 1996). On considère que les rapports entre techniques et sociétés sont logiques et an-historiques, mais à l'inverse, les rapports entre gestes techniques et manière de concevoir – de penser l'action musicale par exemple – produisent des interactions : entre les rapports sociaux conjoncturels et les longues séries historiques de l'économie et des pouvoirs, n'y a t-il pas quelques tensions ? Dès lors, les rapports entre les gestes techniques et les structures techniques, en ce qui nous concerne, l'usage industriel et domestiques des informatiques, des environnements ou des architectures sonores sont évolutifs. Elles peuvent devenir, pourquoi pas, génétiques, si les jeunes mammifères (mais le cas des oiseaux est identique) sont depuis des générations soumis aux signaux génériques ou « évolutifs » de leurs parents, ce qui s'exprime comme la reconnaissance d'un son ou d'une succession de notes ou de rythmes.

28 Du côté des sociétés ou des cultures, les structures économiques, juridiques, et par conséquent politiques sont presque toujours en retard sur les pratiques et la dynamique des rapports sociaux et techniques, ces contradictions peuvent provoquer des révoltes ou parfois des révolutions lorsqu'elles sont insupportables. Les récentes lois françaises dites « Hadopi » tentent par exemple de rétablir un droit de propriété intellectuelle et commerciale issu du XIXe siècle sur des copies musicales alors qu'à cette époque, les photocopieuses et les enregistrements n'existaient pas, sinon par l'interprétation d'une œuvre recopiée manuellement. Cela n'empêche pas le plagiat : le Boléro de Ravel serait issu d'une composition cubaine du même âge.

29 Pour en revenir à notre projet et prendre cette fois ci une approche phénoménologique, les touches de mouvements aléatoires dans notre musique, comme les vagues de l'océan contre une falaise, bien qu'on puisse les modéliser en informatique, fait toute la richesse « humaine » de la création ou de la composition. Les métaphores naturalistes concernant ces musiques sont immédiates. Nous pouvons prendre l'exemple de la botanique, d'une plante qui à partir d'une graine, prend telle ou telle forme, selon son emplacement, le vent, la lumière et modéliser les aléas qui l'on conduit à ce qu'elle est. Seuls les mouvements de l'acteur-signal assis dans son « fauteuil branché » vont orienter le devenir des suites mélodiques. Cette modélisation est très utile à l'enseignement et à la pédagogie, que ce soit en anthropologie ou en musique.

30 Nous répétons donc que cette musique se caractérise par un début, mais il n'y a pas forcément de fin puisque les mouvements aléatoires peuvent aller jusqu'à l'infini. Il faut cependant sélectionner les fréquences des sons, car leur ensemble groupé donne ce qu'on appelle un bruit « blanc », un shshshsh... Comme une lumière blanche peut se décomposer en un arc en ciel. Un son instrumental, considéré comme plus ou moins « pur », à partir d'une corde tendue comme un arc, un thar, une cithare, une guitare ou à partir d'un son soufflé dans une corne, un os ou un morceau de bois, un hautbois ou une flûte n'est jamais qu'une ruse humaine pour sélectionner les fréquences. Une note n'est donc qu'un subterfuge pour orienter l'oreille humaine ou animale vers un signal, une convention ou une intention de communication ; certains humains, ou réputés tels, peuvent entendre ou ne pas entendre cette intention, tout comme nos animaux familiers, les oiseaux, chien, chats et pourquoi pas phoques ou sangliers facilement apprivoisables. Les spectromètres nous donnent de bonnes indications de ce qui est

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audible pour chacun ainsi que les sélections de fréquence de nos instruments favoris, guitares, voitures, klaxons de tramways, machines à laver, sirène de pompier ou de police, sonneries de téléphone ou interphones qui, bizarrement, donne le La.

Comment concevoir de la musique générique ?

31 En musique électronique, nous divisons une octave en autant de fraction que l'on veut, si bien que la restitution de la musique occidentale, où une octave est divisée en douze intervalles « égaux », ou en cycles de quintes ailleurs, nécessite la mise en place de « paramètres d'humanisation ». La théorie, compte tenu des outils informatiques dont nous disposons, se doit d'être « corrigée » pour qu'elle soit acceptable en pratique. Il s'agit d'orienter les fréquences de manière à rendre la note un peu fausse pour qu'elle soit reconnue et appréciée par l'oreille humaine, les débats musicaux théoriques sur les clavecins « tempérés » ont fait fureur à leur époque, il fallait humaniser des gammes soit sauvages, soit trop théoriques. Des églises chrétiennes du Moyen Âge ont décrété des harmonies convenables sous peine d'interdiction de jouer. Des tas de bricolages ont été réalisés. Dans certaines musiques chinoises, une octave est divisé en cinq, ce qui symbolise la terre, le feu, le bois, l'eau, le fer, et ce sont par ailleurs les principes symboliques de la métallurgie et de la médecine, catégories thérapeutiques que l'on retrouve dans l'acupuncture, l'ostéopathie, l'homéopathie. Cette division est beaucoup plus proche de la réalité physique d'un câble ou d'une corde qui vibre, dont les fréquences, sinus et cosinus ne sont pas divisibles par trois comme dans l'octave occidentale théorique. Dans d'autres cultures l'octave est divisé en sept ; en Inde, l'octave est divisée en vingt-quatre, mais par intervalles inégaux. Tous les musiciens d'instruments à cordes le savent : il faut compenser constamment la fausseté de l'octave occidentale par le doigté ou l'accordage.

32 L'histoire de la musique convenable est également une histoire des pouvoirs. La pensée religieuse et donc scientifique du XVe siècle en Europe a décelé par exemple des intervalles musicaux utilisés par les populations rurales en voie de christianisation qu'on a décidé d'interdire, comme la quinte diminuée, « la quinte du diable », qui ne sera remise au goût du jour que par les chants des esclaves africains en Amérique au XIXe. Plus récemment, les académismes musicaux classiques ou aujourd'hui jazzistiques n'ont de cesse d'humaniser les gammes pour formater l'oreille, conséquence de forces collectives dont nous n'avons pas forcément conscience puisque nos environnements sonores, en zones rurales ou urbaines impressionnent nos ouïes et nos enveloppes corporelles par les moteurs, les usines, les moyens de productions et de consommations, les signaux de communication. Nous sommes très durkheimiens (1858/1917) en anthropologie musicale ; les forces collectives et donc les environnements sonores dépassent et formatent les consciences. Les perceptions individuelles sont le reflet de cet environnement sonore et véloce.

33 Les essais musicaux des humains sont multiples, tout autant que dans la préhistoire, les hominidés sont considérés comme tels, jusqu'à l'actuel athlète champion des jeux olympiques auquel on fait muter les gênes, par ponction/injection de ses propres chromosomes avec quelques modifications de laboratoire. Ces essais musicaux évoquent fréquemment l'esprit des morts et des ancêtres, comme les tambours Vaudous, les vies et libertés avec les chants des oiseaux et leurs sifflements. Pour des questions de simplification informatique et les soucis de s'adapter à des musiques

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humainement supportables, nous ne proposons pas lors de nos installations des rythmes aléatoires, mais c'est facile à concevoir. Notre musique générative produit des séries de notes aléatoires qui diffèrent du symbolisme musical classique ; en fait, nous ne nous préoccupons pas d'un futur symbolisme à construire, ou pire, d'un label à vendre. Goûter l'instant. La musique proposée, les « Fauteuils Branchés », est en fait paramétrée selon un montage de logiciels libres de tout droits d'auteurs pour que seulement quelques notes aléatoires modifie toute une suite harmonique classique : l'oreille humaine suit automatiquement ces développements dont certains sont très beaux et surprenants.

Les premiers essais

34 Les trois joysticks étant réglés avec le montage de logiciels, nous avons mené une première expérience en public dans un café-concert populaire de Rezé (44). Le public nous connaissait comme guitaristes et nous étions curieux d'observer comment des mélomanes ou non recevraient un outil qui permet de produire une musique construite immédiatement. Tout le monde s'est essayé. La programmation permettait de discerner des instruments reconnaissables, percussions, synthétiseurs, basses. Improviser d'un instrument en accompagnant les suites musicales émises par les fauteuils est un très bon exercice de jazz. Un père sans profession a longuement échangé avec son fils dont il a la garde de temps en temps. Des femmes de cinquante à soixante ans étaient toutes surprises de pouvoir générer des morceaux de piano dans le style Bartok. Ces non- mélomanes nous ont fait part d'inhibitions ou de mauvaises expériences dans les mondes sociaux cultivés. Dans la mesure où la production musicale est facile, où un geste se traduit par un son, cette installation a généré de la curiosité de la part de ceux qui n'avaient jamais pu concevoir de jouer d'un instrument ; on a vu des yeux écarquillés, « Quoi, c'est moi ça ? » ; « Mais qu'est-ce que je suis en train de faire ? » Il y a bien sûr un aspect illusion de toute puissance par rapport à la discipline technique et mentale que suppose jouer d'un instrument, car on a au préalable réglé les machines, dosé les patchs et les times-play.

35 La seconde expérience publique a eu lieu lors d'un festival organisé par une association de jeunes artistes nantais, Ghetto Art, où nous avons pu faire tester notre premier prototype de fauteuil, réalisé avec l'aide bénévole de métallurgistes pour la partie ressort, socle, soudures. Le public étant composé de musiciens ou mélomanes, l'installation a été bien accueillie, avec un succès certain pour les enfants, entre concerts et démonstrations. La troisième expérience publique a eu lieu lors de la sonorisation de l'escorteur Maï Breze, vieux lance-missile amarré sur les quais de Loire : cette fois-ci, trois fauteuils étaient disponibles et les « compositions » plus complexes, nous entendons par-là les séries de sonorisations programmées, chants de big band ou de grenouilles, percussions dans des flaques d'eau, instruments balinais, occidentaux ou chinois, guitares rock. Ces suites peuvent se mêler, à partir d'un seul mouvement d'un corps assis, d'avant en arrière ou de manière latérale.

36 Plusieurs constatations ont été établies : • il ne faut pas bouger trop violemment sur son siège, car les jeunes enfants peuvent tomber des fauteuils, ce qui pose des problèmes de sécurité et ce qui nuit à la compréhension du développement des gammes aléatoires. Mais les mouvements du corps saccadés s'observent

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également chez de jeunes adultes adeptes des musiques « techno-transe » dont il semble que la kinesthésie et le sens vestibulaire prime sur l'écoute. • avec des programmations complexes, les non musiciens ont du mal à repérer ce qu'ils génèrent par rapport à ce que font leurs collègues assis à côté d'eux, mais les musiciens comprennent vite lorsqu'ils savent écouter l'autre de manière à composer ensemble. • nous sommes en face d'un problème typique de robotique, nous aimerions améliorer nos astuces techniques : comment traduire le signal mécanique d'un ressort en signal numérique de manière la plus sensible et gradué possible ? Nous nous faisons aider par la suite par des ingénieurs à la retraite pour étudier toutes les solutions possibles.

37 Tout comme une batterie est un ensemble d'instruments de percussions, les trois fauteuils peuvent être considérés comme un seul instrument avec lequel il faut co- construire une musique à trois. Les sens kinesthésique, vestibulaire et auditif sont requis car il faut comprendre intuitivement les systèmes modulaires, les systèmes de zone d'effets musicaux (brillance, compression, saturation...) et les systèmes de mouvements de son propre corps pour « développer » une gamme aléatoire. Les jeunes mélomanes aimeraient des programmations plus simples où chaque fauteuil serait facilement identifiable comme par exemple le montage « basse-piano-batterie ». L'aspect grand orchestre que peut produire parfois les fauteuils ensembles ne permet pas facilement d'identifier tous les sons comme des instruments définis, tel que les perçoit un chef d'orchestre, et l'on a souvent peur de montrer que l'on ne comprend pas le système ou que l'on ne perçoit pas toutes les harmonies. Mais ceci est un effet de scène : il y a toujours pour les artistes un moment de flottement, de gêne en public, de trac, de mise en danger avant de se lancer avec les autres dans le swing, la pulsion, le feeling ou le rythme.

38 À côté d'un aspect récréatif ou d'aide à la composition – ce qui serait deux types de produits en cas de commercialisation – nous allons tester nos fauteuils auprès de publics de trisomiques et d'autistes, puis avec d'autres catégories de handicapés mentaux ou moteurs, pour en évaluer les possibilités thérapeutiques avec le concours de chercheurs neurologues, psychiatres, éducateurs. Il n'est pas certain que les publics de handicapés mentaux préfèrent forcément les programmations « simples », ni qu'ils s'évadent facilement des stress de situation de scène, cela fera partie des prochaines expériences. Nous pensons que dans la mesure où la personne assise sur un fauteuil doit ajuster ses conduites motrices aux sons ou rythmes qu'il veut entendre pour le satisfaire, ce procédé peut être source d'éveil, d'apprentissages et de thérapies lorsqu'il est encadré par des professionnels. Après tout, le pré-adolescent qui gigote et tombe de son fauteuil parce qu'il a vu à la télévision des personnes se trémousser sur des musiques rythmées doit lui aussi prendre conscience qu'il faut coordonner et mesurer ses mouvements d'une autre manière pour produire une musique satisfaisante. L'aspect thérapeutique consisterait à prendre conscience de ses automatismes corporels ou à en apprendre d'autres, en percevant les sons et en testant éventuellement comment continuer des suites musicales en répétant les mêmes gestes. Nos fauteuils seront proposés prochainement dans un certain nombre d'institutions de handicapés ou de maisons de convalescence ainsi que dans des laboratoires expérimentaux cliniques.

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Pour conclure…

39 Cette auto-description d'un processus d'innovation fait appel, dans son répertoire d'argumentations, à des considérations anthropologiques largement banalisées : les habitudes inscrites dans le corps sont le reflet d'environnements techniques, économiques, de rapports sociaux aussi bien que d'architectures sonores. Les mouvements technologiques contemporains qui réorganisent les manières d'agir, de penser, de concevoir évoluent bien plus rapidement que le monde économique ; le monde juridique basé sur un principe de reproduction bouge bien plus lentement et se trouve fréquemment en contradiction avec la vie ordinaire et quotidienne. Le monde politique censé garantir le droit évolue encore plus lentement. Les innovations musicales ou autres sont le fruit de rapports composites et les répertoires d'argumentations et de traductions qui doivent ou tentent de les faire accepter comme telles auprès de multiples catégories d'acteurs ou de populations, empruntent dans tous les domaines. Nos argumentations en ce qui concernent les fauteuils branchés oscillent entre le faisable techniquement et nos connaissances en anthropologie musicale et il s'en suit que les montages et installations proposés orientent des manières de faire dans les interactions économiques et remettent en cause les notions de droit d'auteur usuelles.

40 Le processus d'innovation peut se comprendre comme une dialectique entre les contraintes techniques et l'imagination sociologique. Le déroulement des essais, les conditions sociales et économiques de mise en scène des prototypes sont autant de chaînes opératoires qui construisent l'innovation avec la participation de métallurgistes, et spécialistes en robotique, d'associations de promotion des Arts ou de gestion des espaces urbains ou ruraux, de municipalités. C'est ainsi que nous renouons avec les domaines économiques et ceux des conventions ou du droit, que ce soit par des présentations lors de festivals, d'expérimentation avec des musiciens avertis ou d'essais thérapeutiques dans des institutions médico-sociales.

BIBLIOGRAPHIE

BOLTANSKI Luc, CHIAPELLO Ève (2000), Le nouvel esprit du capitalisme, Paris, Gallimard.

CRESSWELL Robert (1996), Prométhé ou Pandore ? Propos de technologie culturelle, Paris, Kimé

DEVEREUX George (1980), De l'angoisse à la méthode, Paris, Flammarion.

LAPLANTINE François (1974), Les trois voix de l'imaginaire, Paris, Éditions Universitaires.

LEFEBVRE Bruno (1997), La transformation des cultures techniques, Paris, L'Harmattan.

LEROI-GOURHAN André (1964), Le geste et la parole, Paris, Albin Michel.

LEROI-GOURHAN André (1965), Techniques et langage, Paris, Albin Michel.

MAUSS Marcel (1954), « Les techniques du corps », Sociologie et anthropologie, Paris, PUF.

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NOTES

1. Corps Sonores et Musiques Génériques », association 1901. 2. http://ghetto-art-asso.com/site/fauteuils-branches [consulté le 1/12/2014].

RÉSUMÉS

Nous essayons dans ce texte de confronter les dynamiques connues des innovations selon les travaux et recherche d’anthropologie technique avec une expérience que nous menons à bien dans le domaine de l’informatique musicale, les « fauteuils branchés » ou « chaise joystick ». Nous décrivons le processus de manière réflexive et compréhensive tout en le mettant en perspective par rapport à une anthropologie matérielle des techniques.

In this text, we try to confront the dynamics of innovation according to technical anthropology, thanks to an experience that we are undertaking within the field of musical computer science: “connected armchairs” or “joystick chair”. We describe the process in a reflexive and comprehensive manner, while putting it into perspective with a material anthropology of techniques.

INDEX

Keywords : invention / innovation, experimentation, computing (music), technologies / devices, experience Mots-clés : invention / innovation, expérimentation, informatique / ordinateurs, technologies / dispositifs, expérience Thèmes : expérimentale / experimental music

AUTEUR

BRUNO LEFEBVRE

Bruno LEFEBVRE est docteur en anthropologie, Professeur à l’université de Nantes et chercheur au Lise (CNRS, Cnam). Anthropologue des techniques, spécialiste des relations de sous-traitance de production en contexte mondialisé, il est l’auteur de plusieurs ouvrages dont Ethnographie des travailleurs en déplacement (L’Harmattan, 2012), La transformation des cultures techniques (L’Harmattan, 1998), et Les routiers. Des hommes sans importance (Syros, 1993). Il a enseigné dans plusieurs pays d’Europe et fut notamment titulaire de la chaire « interventions sociologiques et anthropologiques » à l’Université Libre de Bruxelles (2005-2006). mail

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Comptes-rendus Reports

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Compte-rendu du colloque international Bruits Conference on Noise: Report

Marie Willaime

1 LE COLLOQUE international « Bruits », tenu les 4 et 5 décembre 2014 à l'ENS Louis- Lumière, s'est appliqué à déterminer les matières et les techniques, les formes, les fonctions et les usages de ce bruit, élément dissonant et perturbateur, dans son rapport aux codifications culturelles. Autour de communications de chercheurs et d'artistes, de performances en direct et en vidéo, d'installations sonores, de concerts ou de troubles en tous genres, il s'agissait de déterminer ce qu'il reste d'indocile dans le bruit, de définir son pouvoir de subversion. Le bruit a-t-il intégré la nomenclature sensible de l'art contemporain ? Et si tel est le cas, le bruit étant devenu déterminable, analysable et explicable, peut-il encore perturber le système politique et artistique ?

Bruits et pouvoir de perturbation

2 Nicolas Ballet questionne, avec le groupe de musique industrielle SPK, l'emploi du bruit orienté dans une optique politique précise. Son usage guerrier associé à des images répulsives dénonce par une thérapie de choc l'aseptisme ambiant, la psychiatrie, le contrôle mental ou la sexualité mécanique. L'appréhension idéologique des bruits est- elle inopérante, limitée ou dépassée comme le montre le tournant de 1983 du groupe vers une musique plus commerciale ? Que reste-il alors de bruit ? José Castanheira s'interroge, pour le cinéma, sur les possibilités de surgissements de bruits dans l'association permanente entre un son et une source spécifique définie par la nomenclature « dialogues, musiques et effets sonores ».

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3 Pour Frédéric Mathevet, il ne reste de bruit dans le film que le son inexplicable venu du grenier par lequel commence tout bon film d'horreur : ce bruit, codifié, laisse entrevoir l'indocile qui l'habite. Avec ses complices Denis Bernadi et Ivan Magrin-Chagnolleau, il imagine donc par la performance une insertion de l'indocile dans la structure évidée de L'exorcist (1973).

4 Le bruit inexplicable nous renvoie à la communication d'Antoni Collot qui s'interroge sur le lien entre l'œuvre de Duchamp, À bruit secret, ready-made modifié de 1916 et la trépanation d'Apollinaire. Il y insère sa propre rencontre avec le fantôme de Michaux et le constat que le paradigme de la croyance (il ne croit pas à la rencontre) dépasse l'expérience sensible. Par l'humour, il fait converger ses expériences hétéroclites autour de l'idée de croyance vers la théorie des états superposés. Le chat de Schrödinger, À bruit secret ou la petite plaque mise dans la tête d'Apollinaire figurent les croyances, les suppositions de ce qu'il peut se passer dans un espace tenu caché : la pièce de Duchamp fait-elle bruit, même s'il est impossible de l'entendre, car on ne peut la toucher ?

5 La communication d'Antoni Collot autour de la croyance rejoint le travail sonore de Clémentine Beaugrand, avec laquelle il collabore, sur la sacralité des noms de dieu découlant de l'impossibilité de les prononcer ou de leurs pouvoirs performatifs (la nomination rendant présent). En encodant les 551 noms de dieu des trois monothéismes en langage morse, son installation Appeler Dieu met en son un langage synchronique devenu dès lors universel. Le bruit dit l'innommable et met tout le monde d'accord. Avec Hélène Singer et le groupe électro Naked Tears, les bruits ne brouillent pas les pistes mais, au contraire, se cristallisent en symboles manifestant par là même la crise identitaire d'un bruit « idéologique » à la SPK.

6 Les bruits peuvent-ils jouer encore un rôle social, une perturbation de la norme ? Sébastien Biset ouvre une réponse en choisissant comme objet d'étude socio- anthropologique le carnaval de Binche en Belgique. Il envisage ces temps de bruits codifiés immédiats et collectifs comme temps de désordre nécessaires à la résurgence de l'ordre social préexistant : le bruit, dans sa fonction fédératrice, joue dans ce modèle festif, une double fonction à la fois cathartique et apotropaïque (il conjure le mauvais sort).

Interrogation autour du désir d'écouter des bruits

7 Catherine Guesde et Pauline Nadrigny nous proposent un parcours parmi ceux pour qui le bruit fait musique en interrogeant les amateurs de harsh noise via un questionnaire d'écoute. Leur recherche a permis de dégager un rapport à la douleur, qu'elle soit physiologique (larsen, fréquences aiguës...) ou psycho-acoustique (difficulté de l'intégrer dans des structures musicales plus connues) communément associée à ce type de musique, comme peu présent. Par contre, l'inconfort est, quant à lui, recherché : l'écoute se fait donc à la fois répulsive et immersive, division du corps (localisation très précise du son dans le corps), immersion et résistance physique.

8 Sarah Benaïm entreprend également un travail sociologique sur l'écoute d'amateurs d'un type de musique spécifique. En travaillant à partir d'entretiens, elle réintègre les amateurs de noise dans le circuit musical en envisageant les musiques bruitistes comme

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une forme d'aboutissement d'une recherche musicale. Elle insiste sur le cadre d'écoute et la réappropriation du matériau sonore par le jeu avec le dispositif qui rendent compte de la remise en question de la musique tout autant que de l'écoute conventionnelle.

9 Ces interventions résonnent avec les discours des musiciens des concerts aux instants chavirés à Montreuil. Réunis autour d'une table ronde, ils définissent leur rapport aux bruits de manière différente : Vivian Grezzini insiste sur l'aspect instinctif, Romain Perrot sur la sensation de se situer dans une zone en-deçà du langage, chaotique, totalement libre ; Paul Hegarty, définit, à l'inverse, un rapport analytique au son dès le début lié à une question laissée ouverte : est-ce possible de faire cela ?

10 Matthieu Saladin se penche, quant à lui, sur l'analyse des hauts volumes sonores à travers trois exemples précis de concerts usant de l'amplification électrique. Il s'en dégage des données esthétiques différentes, de la discipline (dégagement du fait d'aimer ou de haïr) et synesthésie de l'écoute chez Cage, ou, à l'inverse, de l'entrée désubjectivisante dans un mur de son chez AMM, ou encore, des feedback produits avec des instruments de percussion amplifiés par micro-contacts créant une oscillation de timbres variés plutôt qu'un son strident chez Neuhaus. Matthieu Saladin y interroge les conflits qui en ont découlé entre musiciens et spectateurs ou entre musiciens eux- mêmes et leurs rapports au contexte socio-économique et culturel.

11 S'il est évident pour les amateurs de musiques expérimentales que le bruit fait musique, l'inverse semble discutable. En soulignant le caractère ambigu de l'amusie, Thibault Walter met en lumière ceux pour qui la musique fait bruit ou dont l'écoute est grossière. Qui peut alors juger de la bonne écoute ? Où se situe dans ce cadre la noise ? Thibault Walter choisit de dépasser la bataille pour s'intéresser au protocole scientifique comme représentation performative : le sujet devient l'artiste, l'équipe scientifique les organisateurs, le public reste public. L'amusie devient dans ce cadre l’œuvre, point de connexion entre les différents acteurs : elle n'existe alors que dans cette médiation devenue mise en situation musicale.

Bruits et enregistrement de terrain

12 Jean-Luc Guionnet rejoint cette idée en appréhendant non pas le bruit comme objet mais comme fonction, comme relation à l'espace. Le silence peut être alors appréhendé comme du « bruit de merde », gênant, indésirable, qui ne nous intéresse pas ou bien comme le définit Claude Simon comme un flux sonore si continu qu'il engendre l'uniformité et perd sa matérialité pour devenir ce qu'il appelle « silence au second degré ». Le silence assez continu pour être converti en vide renvoie aux bruits de fond, au fond sonore du sonore. Jean-Luc Guionnet pose alors la question : qui du bruit ou du silence forme la première couche ? Lequel est le bloc, lequel l'outil pour le tailler ?

13 Le travail de Pascal Battus, Bertrand Gauguet et Éric La Casa se préoccupe également de ces bruits de fond mais cette fois envisagés comme lieu de musique pour faire musique. Se plaçant dans l'espace acoustique du chantier de la Philarmonie, ils mettent en place un processus musical empirique de mise en relation des outils avec les instruments, des espaces avec les corps des musiciens, qui déplace la musique hors de son cadre habituel (concert, répétition...) sans pour autant développer un travail documentaire.

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Les bruits de fond sont également au cœur de l'entreprise sonore de Célio Paillard, qui tente de repérer les comportements spécifiques de ces bruits du dessous entre superposition sonore, saturation sonore et effets palliers (processus d'apparition et de disparition des bruits). Peut-on relier ces travaux au field-recording ?

14 Cette possibilité d'enregistrer sur le terrain grâce aux appareils portatifs n'a pas seulement modifié la sphère musicale, elle a également bousculé le monde poétique. Gaëlle Théval analyse la poésie sonore de Bernard Heidsieck qui prend pour composante poétique à part entière les bruits de la ville : le poème réintègre, ainsi, en son sein le corps, l'infra-ordinaire, une perception directe du monde, et devient pour Heidsieck « biopsie » c'est-à-dire prélèvement du corps social. Résonnant avec les performances de la poésie sonore, Christof Migone propose avec Hit parade d'investir l'espace social pour un « happening à l'horizontale » où les participants couchés, frappant le sol micro en main, composent une partition visuelle et sonore.

15 Ces diverses propositions ont permis d'ouvrir un regard sur le bruit dans sa valeur esthétique et politique, un questionnement autour de l'écoute, du plaisir procuré leur octroyant le statut de son, de musique à part entière appelées harsh noise, noise, musiques bruitistes, industrielles ou expérimentales et enfin d'appréhender le bruit comme fonction, relation au monde spécifique entre pratique sauvage et pratique savante, bruits de fond et bruits de surface.

INDEX

Mots-clés : bruit / anarchie sonore Keywords : noise / sonic anarchy

AUTEUR

MARIE WILLAIME

Marie WILLAIME poursuit des études en littérature et en création littéraire à l'université Paris 8. Elle écrit des textes littéraires publiés notamment dans Dionysies pour le festival Hors-Limites, auto-produit des créations poético-radiophoniques et participe à des performances collectives. Son intérêt se porte, en particulier, sous l'angle de l'analyse (participation à des colloques, publication de textes théoriques notamment dans CCP) mais aussi dans son travail de création, aux manières de composer avec le medium radiophonique une proposition poétique.

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« Quelle critique pour les musiques actuelles ? Pour une approche littéraire du discours critique : des années 1980 à nos jours » Compte-rendu de la journée d’étude du 7 avril 2014 à l’Université Rennes 2 Conference Music Criticism and Literature: Report

Gaëlle Debeaux

1 DANS LA DROITE LIGNE de la journée d’étude portant sur « La critique rock : formes, valeurs et représentations1 » organisée en avril 2013 à Rennes 2, Timothée Picard a proposé, le 7 avril 2014 à Rennes 2, une nouvelle journée d’étude intitulée « Quelle critique pour les musiques actuelles ? Pour une approche littéraire du discours critique : des années 1980 à nos jours2 ». Les musiques actuelles, qui recouvrent une grande variété de pratiques artistiques, sont à comprendre dans leur actualité même, dans leur contemporanéité. Dès lors, quelle approche cela suppose-t-il ? La critique ne court-elle pas le risque de la fragmentation propre à son objet ? Peut- on, au contraire, y lire une forme de continuité ? La journée avait pour objectif de répondre à ces interrogations. Comme

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l’a rappelé Timothée Picard en introduction, celle-ci s’inscrit, aux côtés de la journée sur la critique rock déjà mentionnée, au sein d’un vaste programme collectif, « La critique musicale au XXe siècle3 », qui vise à explorer la critique musicale en tant que fait littéraire : il s’agit d’interroger la façon dont une certaine conception de la musique entraîne un certain type de critique, mais aussi en quoi ces formes et pratiques sont évolutives à travers le temps.

2 La première session de la journée s’est intéressée aux musiques actuelles à l’aune du discours critique. Emmanuel Parent a inauguré la matinée en proposant un parcours du dernier ouvrage traduit en français du critique britannique Nik Cohn, Triksta : Un écrivain blanc chez les rappeurs de la Nouvelle-Orléans4. Nik Cohn est avant tout connu pour son implication dans le rock (son premier ouvrage, The Golden Age of Rock, fait référence) qui, comme le rappelle Emmanuel Parent, est un objet de réflexion permettant au critique de formuler sa philosophie et son rapport au monde. Or, le critique retrouve cette dimension métaphysique du rock dans le rap : comme le rock des origines, le rap fascine le critique parce qu’il résiste. Il représente une altérité, et cette altérité est profondément raciale : se joue dans cet ouvrage un véritable parcours initiatique, celui du critique blanc parmi les rappeurs noirs. La posture de Nik Cohn permet dès lors de mettre en relief l’altérité de la musique populaire : son histoire est l’histoire d’une dialectique entre les noirs et les blancs. Gérôme Guibert a ensuite évoqué le cas de la chronique musicale à travers l’exemple de la revue Magic créée en 1995 et à orientation Indie pop. Lui-même pigiste pour la revue (ce qui lui permet d’opérer par une méthode d’observation participante sur le long terme), il en a explicité la ligne éditoriale, ouvertement subjective, volontairement hermétique, qui revendique une forme de mauvaise foi mais s’impose une véritable discipline tant sur le fond que sur la forme. La revue, qui a su s’adapter à l’émergence puis au déclin du disque et à la naissance d’Internet, reste principalement connue pour ses chroniques : elles jouent à la fois un rôle de prescription et de caution pour des artistes en quête de légitimité dans le domaine des musiques actuelles. Enfin, Catherine Rudent a clos la matinée par une intervention portant sur les personnages du musicien et de la musicienne dans la presse musicale et interrogeant les stéréotypes de genre qu’ils véhiculent. Elle a pu constater, au sein de son corpus d’étude (composé des chroniques issues du numéro spécial des Inrockuptibles paru en 2010 intitulé « Les cent meilleurs albums des années 2000 »), un traitement différencié des artistes selon leur sexe, reposant sur l’usage de stéréotypes de genre tels que la fragilité, la captivité ou l’hystérie pour traiter des artistes féminines. Cette intervention a permis de montrer que la critique musicale dans ce type d’ouvrage s’appuie souvent sur des clichés (qui ne relèvent pas tous du genre) : la critique ne repose pas uniquement sur l’initiative d’un scripteur possédant son propre style, mais elle est bien aussi écriture du partage où l’on plonge dans le fond commun des stéréotypes. La discussion à l’issue de ces trois interventions a mis l’accent sur la dimension communautaire de la critique des musiques populaires : le lexique employé, le ton des chroniques ou les clichés utilisés s’ancrent dans un discours provenant d’une communauté et concourent à son renforcement.

3 La deuxième session portait sur les supports critiques et a été ouverte par l’intervention de Nicolas Robette : il a été question du magazine musical anglais Pitchfork publié sur Internet, de sa trajectoire du webzine vers le média reconnu. Pitchfork est désormais un prescripteur important dans l’univers des musiques actuelles

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(rock, rap ou pop) tout en conservant un parti-pris avant-gardiste fort : comment dès lors conserver cette posture d’avant-garde, synonyme de liberté de ton, lorsque l’on devient un média dominant dont l’activité critique se professionnalise ? La deuxième intervention de l’après-midi, proposée par Laure Ferrand, était consacrée aux forums Internet et à la participation des amateurs, sorte de contrepoint de cette professionnalisation de la critique. Laure Ferrand a exploré deux forums, l’un consacré à Bruce Springsteen et l’autre au groupe U2, ce qui lui a permis de montrer que ces lieux, prolongements des lieux traditionnels de la critique, sont des espaces où les goûts et passions sont mis à l’épreuve. Ces forums participent à la diffusion de la culture musicale ainsi qu’à l’élaboration, à travers les joutes argumentatives entre « novices » et « érudits », de nouvelles catégories de perception et de réception : leur fréquentation devient une pratique rock à part entière. Enfin, Agnès Gayraud s’est penchée sur l’écriture critique des musiques actuelles à la marge en prenant l’exemple du vidéozine The Drone, qui porte une conception ouverte et postmoderne de la musique pop actuelle. Dans un perpétuel renversement, la critique qui s’y déploie vise l’intellectualisation et sa mise en échec, cherche à résister à la fascination de l’artiste pop tout en désirant succomber à l’expressivité pop contemporaine : The Drone, à la pointe, est à appréhender comme un laboratoire de la conscience pop actuelle, ultralucide et réflexive. Cet après-midi a ainsi permis de confronter plusieurs lieux de la critique, et la discussion qui a suivi a mis en lumière la difficulté de tenir un discours critique sur un objet, la musique actuelle (pop en particulier), qui n’est pas rationalisable a priori et qui pourrait donner lieu à un sentiment de cacophonie.

4 La journée s’est achevée par une table ronde modérée par Noëmie Vermoesen et réunissant Samuel Etienne et Emmanuel Parent, impliqués dans la revue universitaire Volume !, ainsi qu’Etienne Menu pour la revue Audimat et Olivier Lamm pour The Drone. Chacun a pu évoquer son parcours ainsi que celui de sa revue, et il a été question de la dimension littéraire de cette critique musicale, du désir de trouver le mot juste afin de toucher le son. C’est sur cet échange fructueux qu’a pris fin cette journée riche en discussions : elle a permis de dresser un panorama de la critique portant sur les musiques actuelles en interrogeant les pratiques et leurs lieux d’expression. Cette journée d’étude a été suivie d’une rencontre le 7 novembre 2014 à Besançon, qui portait sur les « Genres et formes de la critique musicale au XXe siècle ».

NOTES

1. Journée d’étude organisée par Aurélien Bécue, Noëmie Vermoesen et Timothée Picard (CELLAM/IUF). 2. Journée d’étude organisée par Aurélien Bécue, Noëmie Vermoesen et Timothée Picard (CELLAM/IUF), en partenariat avec Volume ! La revue des musiques populaires (depuis 2002). 3. Programme déposé par Timothée Picard auprès de l’Institut Universitaire de France. 4. Nik Cohn, Triksta : Life and Death and New Orleans Rap, New York, Vintage Books/Random House, 2007 (2e édition). L’édition française est parue en 2006 chez l’Olivier : Triksta. Un écrivain blanc chez les rappeurs de la Nouvelle-Orléans (traduction Bernard Hoepffner et Catherine Goffaux).

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INDEX

Mots-clés : littérature, critique, journalistes / critiques Keywords : literature, criticality, journalists / critics

AUTEUR

GAËLLE DEBEAUX

Agrégée de Lettres Modernes (2012), Gaëlle DEBEAUX est doctorante à l’université de Rennes 2 en littérature comparée sous la direction de M. Emmanuel Bouju. Son travail de recherche s’intéresse aux récits modernes et contemporains (y compris numériques) faisant du principe borgésien de la bifurcation un moteur de l’écriture et de l’intrigue, et s’interroge sur la figuration du temps qu’ils proposent.

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Compte-rendu de la première conférence internationale du réseau ACADPROG ACADPROG Network: Conference Report

Sergio Pisfil

10-12 décembre 2014, Université de Bourgogne, Maison des Sciences de l’Homme de Dijon / Centre d’art contemporain Le Consortium

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1 ACADPROG EST UN RÉSEAU international né en 2011 suite à l'initiative d’Allan Moore () qui cherche étudier sous tous ses aspects et de façon pluridisciplinaire le rock progressif. Grâce aux laboratoires Georges Chevrier et CIMEOS et à l’Université de Bourgogne, la première conférence de ce réseau a vu le jour et a permis à 29 chercheurs venant du monde entier de faire le point sur l’état actuel de leurs recherches. Elle a été organisée par Philippe Gonin (Université de Bourgogne), François Ribac (Université de Bourgogne) et un comité d’organisation constitué par Allan Moore, Justin Williams (University of Bristol), Chris Atton (Edinburgh Napier University) et Christophe Pirenne (Université Catholique de Louvain). Pour l’occasion cinq keynote speakers ont été invités : Allan Moore, Bernard Gueffier (Musea), Franco Fabbri (Université de Turin), Bill Bruford (University of Surrey/Yes, King Crimson, Earthworks) et Simon Frith (). Deux concerts, par le Rolling Strings Quartet (un quatuor à cordes qui joue des standards de rock) et le groupe d'improvisation Gothul ont contribué à l’atmosphère amicale de ces trois journées.

2 Outre une organisation impeccable, la conférence a eu un programme très intéressant qui a notamment privilégié deux aspects. D’un côté, une véritable pluralité d’approches, palpable autant par la diversité des méthodes utilisées : musicologiques, sociologiques, psychologiques, esthétiques, politiques et historiques, qu’au niveau des objets d’étude : des analyses de chansons spécifiques comme « Saucerful of Secrets » de Pink Floyd (par Philippe Gonin et Philippe Lalitte) ou « Knots » de Gentle Giant (Robert Sivy), aux analyses de groupes comme Queen (Nick Braae), Black Sabbath (Nolan Stolz), Yes (Megan Murph), King Crimson (Maxime Cottin) et les groupes de Rock in Opposition (Jacopo Costa). D'autres chercheurs ont questionné les liens de ce genre musical avec la scène psychédélique américaine et britannique : Grateful Dead et Moody Blues (Sarah Hill), Grateful Dead et Pink Floyd (David R. Shumway) ou ont encore présenté une approche perceptuelle pour repérer des traits « progressifs » (Nicolas Farrugia).

3 L’autre caractéristique notable de cette conférence a été l’importance donnée aux scènes du rock progressif au-delà du canon classique anglo-saxon. Fut ainsi représenté le rock progressif italien (Jacopo Conti et Jacopo Tomatis), finlandais (Hannu Tolvanen), espagnol (par Eduardo García Salueña), portugais (Ricardo Andrade) et français (Marc Kaiser). De même, une table ronde a permis également de découvrir le prog de l’autre côté du rideau de fer. Kalina Sahova a commencé par une réflexion générale suivie par la présentation d’exemples précis en Pologne (Leonardo Masi), en République Tchèque (Jan Blüml) et dans l’ex Union Soviétique (Alexandra Grabarchuk).

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4 D’autres thématiques ont été aussi abordées comme l’utilisation de synthétiseurs analogiques (Laurent Pottier), des considérations méthodologiques pour l’étude du rock (Sergio Pisfil), l’utilisation du rock progressif dans l’éducation (Emerson Ferreira Gomes) ou encore l’analyse du néo prog (Chris Anderton). La dernière table ronde de la conférence intitulée « Politique, avant-garde et modernisme » a abordé l’étiquette « rock progressif » en mobilisant des théories et des conceptions sur la modernité. Des communications y furent présentées par Brian Robinson, Christophe Pirenne, François Ribac et Safa Canalp.

5 Outre ces interventions, le déroulement général des trois jours a été marqué par la participation des conférenciers invités. Le colloque a été inauguré par Allan Moore qui a synthétisé 50 ans de rock progressif et s'est interrogé sur sa pérennité. La fin de cette première journée a été marquée par la présence d’un acteur important de l’industrie musicale française, Bernard Gueffier, qui nous a expliqué la contribution du label Musea pour le développement du rock progressif en France, dans une intéressante discussion menée par Christophe Pirenne.

6 Franco Fabbri a ouvert la deuxième journée en faisant un bilan détaillé du rock progressif en Italie pendant les années soixante et soixante-dix, insistant principalement sur la variété des communautés et des styles qui composait le prog italien ainsi que les relations avec d’autres scènes et genres musicaux. Cette journée qui s'est achevée par une rencontre avec Bill Bruford, a été l'occasion d’évoquer, pour la deuxième fois, le rock progressif avec l'un de ses acteurs majeurs. Cette intervention a consisté en un entretien dans lequel Justin Williams puis le public ont interrogé Bruford sur son expérience au sein de Yes et King Crimson, sur ses souvenirs, ses appréciations sur la condition de musicien dans les années soixante-dix, les processus de création et sa carrière.

7 Le troisième jour a commencé par une interview (filmée au préalable) de Simon Frith menée par François Ribac. Pendant cet entretien il a surtout été question de l’importance de la performance dans le rock progressif pour le public comme pour les artistes et de la naissance de l'étiquette « prog ». Enfin, Allan Moore concluant la conférence qu’il avait lui-même ouverte s’est interrogé sur l’avenir du réseau Acadprog. Pour cela, il a incité les participants à proposer des idées afin que le réseau devienne la plateforme de recherche sur le rock progressif.

8 En définitive, cette première rencontre a non seulement témoigné du grand intérêt que ce projet de recherche suscite dans le champ académique mais a également permis à de jeunes chercheur-es de s'exprimer. Nul doute que ce champ de recherche trouvera sa place dans les études sur les musiques populaires.

INDEX

Thèmes : rock progressif / prog rock

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AUTEUR

SERGIO PISFIL

Sergio PISFIL est doctorant à l’Université d’Edimbourg et travaille sur l’importance du live dans l’étude du rock pendant 1967-1973. Il a fait des études de musicologie et philosophie à Paris- Sorbonne (Paris 4) et à l’Université Catholique du Pérou.

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Keep It Simple, Make It Fast! Crossing Borders of Underground Music Scenes Traverser les frontières des scènes musicales underground

Paula Guerra

13-17 juillet 2015 Université de Porto/ Casa da Música/ Porto/ Portugal Informations détaillées : www.punk.pt/ conference-2/ Envoi des propositions avant le 15 février 2015

La conférence de 2014

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1 Au cours du mois de juillet dernier, la conférence internationale « Keep It Simple, Make It Fast! Scènes de musique underground et cultures DIY » (KISMIF conférence 2014) s’est tenue à Porto, Portugal. Ce congrès s’est réalisé dans le cadre du projet d’investigation « Keep It Simple, Make It Fast! Prolégomènes et scènes punk dans la société portugaise contemporaine » (www.punk.pt). Il s’agit d’un évènement scientifique pionnier autour des scènes musicales underground et des pratiques culturelles DIY (do-it- yourself). Le cœur thématique de ce congrès a essayé de démontrer que les cultures musicales urbaines, en ce qui concerne l’underground, bien que considérées toujours comme des objets illégitimes de l’analyse dans le domaine de la théorie sociale contemporaine, jouent un rôle central dans le fonctionnement de la (post)industrie musicale et de la société contemporaine. Nous partons du principe que les scènes musicales qui traversent les villes contemporaines, sont fondamentales pour leurs rythmes et leurs formes spécifiques d’identité culturelle ainsi que pour leur héritage historique, social et artistique.

2 Ayant privilégié une tournure de la réflexion sociologique, malgré l’ouverture à toutes les autres sciences sociales, ce fut un moment très enrichissant en ce qui concerne la discussion de l’importance des pratiques artistiques et musicales underground dans les sociétés contemporaines, soit pour leur volatilité, soit pour leur importance indéniable au sein des cultures juvéniles urbaines. Nous avons eu la présence de sept keynote speakers – Andy Bennett, Augusto Santos Silva, Carles Feixa, George McKay, Nick Crossley, Paula Guerra et Will Straw, la conférence internationale KISMIF s’est avérée être un évènement novateur au Portugal et en Europe, qui a fait vibrer l’académie nationale et internationale ainsi que la société portugaise, ayant déclenché un intérêt considérable auprès des médias, à la fois académiques et généralistes (au total, le congrès a été l’objet de plus de 40 articles parus dans les journaux et les chaines de télévision).

3 Les sujets de discussion ont englobé les thèmes suivants : théorie sociale de la musique, arts et cultures juvéniles urbaines ; historicité, généalogie et diachronie des scènes musicales de l’après-guerre jusqu’à aujourd’hui ; significations, identités, cultures urbaines et cultures juvéniles ; vieillissement et genre des scènes de musique underground ; espaces urbains, scènes musicales et nouveaux mouvements sociaux ; héritage, mémoires et artefacts ; carrières DIY : parcours sociaux et professionnels ; style, esthétique et corporalité ; marchés, frontières, mémorabilia (objets de collection) et rétromanie ; création artistique et scènes de musique underground ; dématérialisation de la musique, vinyle, collectionnisme et nouveaux medias ; nouvelles dynamiques d’inclusion sociale à travers la musique et les pratiques underground ; effets sociaux et

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cognitifs de la musique et des scènes underground : expérience esthétique, éthique, codification et décodification ; musiques et arts pour la transformation sociale, arts dans les communautés et arts en tant que culture urbaine ; pédagogies et interventions fondées sur l’underground.

4 La conférence internationale KISMIF a réuni 192 participants (en plus du staff sans allocutions et/ou communications) provenant de 30 pays différents. Cette diversité était aussi évidente au niveau des provenances institutionnelles des participants (110 institutions). Parmi les participants de la conférence internationale KISMIF, il est à noter un intérêt particulier dans plusieurs domaines scientifiques : sociologie, communication, médias, journalisme, musicologie, histoire, arts plastiques et visuels, anthropologie, langues et littératures, anthropologie, design graphique, entre autres champs du savoir. Ce contingent important de participants, en plus de cette diversité d’origines géographiques, institutionnelles et scientifiques, a rendu possible la présentation de 160 communications environ, distribuées par sept axes thématiques : 1. Musique et cultures DIY : DIY or Die! ; 2. Porto calling : sens, dynamiques, artefacts et identités dans les scènes punk actuelles ; 3. Scènes de musique, politique et idéologie : mémoires socio-historiques et pratiques contemporaines ; 4. Cultures esthétiques underground contemporaines : entre le digital, le rétro et la nostalgie ; 5. Production musicale, médiation, consommation et jouissance dans le monde contemporain ; 6. Scènes de musique underground ; 7. Scènes locales, communautés, identités et cultures urbaines.

5 Au-delà d’une approche académique, les conférenciers ont pu aussi bénéficier d’un vaste programme socioculturel leur permettant de découvrir la ville de Porto. Dans le cadre du congrès, cinq expositions différentes furent organisées (fanzines, affiches de hardcore, photographies punk, livres et magazines scientifiques), deux sessions de projection de documentaires inédits au Portugal, deux lancements de livres, deux concerts et un DJ-Set. (À voir : http://www.punk.pt/conference-2014/).

La prochaine conférence de 2015

6 Nous envisageons déjà d’organiser la conférence KISMIF 2015 qui sera subordonnée au thème Crossing Borders of Underground Music Scenes (Franchir les frontières des scènes de musique underground). Tout en maintenant le focus sur la musique underground et ses possibilités créatives pour la résistance et le DIY (do-it-yourself), nous avons l’intention d’élargir l’analyse des scènes musicales en ouvrant le débat à d’autres champs culturels, artistiques et créatifs (cinéma et vidéo, graffiti et art de rue, théâtre et arts performatives, littérature et poésie, radio, design graphique, illustration, cartoon et bande dessinée, etc.) et en considérant la possibilité d’un dialogue multiple. Entre le 13 et le 17 juillet, la ville de Porto se donnera donc l’enjeu d’analyser l’intersection entre les scènes de musique et les autres domaines artistiques, tout en s’avérant être l’occasion d’interpréter, de la façon la plus adéquate et pertinente possible, les défis musicaux et artistiques permanents auxquels les sociétés contemporaines, marquées par une forte modernité, se confrontent.

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INDEX

Mots-clés : scènes, underground / alternative, DIY / autoproduction / auto-organisation Keywords : scenes, underground / alternative, DIY / self-production / self-organization Thèmes : punk / hardcore punk

AUTEUR

PAULA GUERRA

Paula GUERRA est sociologue, professeur auxiliaire de la Faculté de Lettres de l’Université de Porto (FLUP). Elle est chercheure à l’Institut de Sociologie de cette même Université (IS-UP) et chercheure associée au Centre d’Études Géographiques et d’Aménagement du Territoire (CEGOT) et professeur adjoint du Griffith Centre for Cultural Research (GCCR) à Queensland, Australie. site / mail

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Note d'exposition Exhibit report

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Art in Pop au Centre National d'Art Contemporain de Grenoble, le Magasin Art in Pop Exhibit Review

Xavier Lelievre

Exposition du 11 octobre 2014 au 04 janvier 2015. Commissariat de Yves Aupetitallot avec John Armleder, Young Kim & Paul Gorman et John Miller.

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1 L'EXPOSITION ART In Pop, accueillie dans les locaux du CNAC de Grenoble, propose une large sélection d’œuvres plastiques (dessins, sculptures, toiles, etc.) ainsi que d'autres objets et accessoires liés à l'imaginaire des 21 artistes mis en lumière par cette initiative. À première vue, rien ne semble relier ces individus, si ce n'est que tous sont des musiciens reconnus, à grande ou plus petite échelle, globalement contemporains les uns des autres (seconde moitié du XXe siècle) et principalement issus des musiques populaires, et surtout qu'ils ont chacun développé une production plastique plus ou moins importante.

2 À l'heure où les interrogations sur les échanges et convergences esthétiques entre arts savants et populaires au XXe siècle deviennent de plus en plus prégnantes1, la problématique du mélange disciplinaire, résultant notamment d'une tentative d'abolition des frontières entre un art à la pratique originellement académique (pour ce qui est du dessin surtout) et une musique plus démocratique et surtout moins élitiste, apparaît comme essentielle. Et elle l'est d'autant plus qu'en choisissant la pop comme lieu d'observation, l'exposition souligne l'importance capitale de cette esthétique et de ses acteurs dans cette mixité presque absente avant la naissance de ce genre musical durant les années 1960. Plusieurs artistes ont d'ailleurs très tôt revendiqué cet engagement, comme le prouve la collaboration entre Andy Warhol et ses protégés du Velvet Underground ou encore à l'instar de John Lennon et de ses multiples expériences extra-musicales avec ou sans Yoko Ono, pour ne citer que ces deux exemples.

3 L'exposition proposée par le Magasin met d'abord en évidence l'importance de la production plastique chez des musiciens issus du milieu du rock ou des musiques actuelles2. Mais dans un second temps, c'est la démarche de l'artiste et le rapport qu'il entretient avec son Œuvre que l'exposition permet d'interroger. Au cas par cas, le visiteur va pouvoir découvrir la conception strictement personnelle de chacun des musiciens-plasticiens, naviguant d'une salle à une autre en découvrant des univers artistiques qui semblent tantôt complètement unifiés, sans distinction entre dessin et musique (c'est le cas notamment du premier convoqué, Daniel Johnston), et d'autres préférant apparemment séparer de façon stricte leurs différents modes d'expressions artistiques (comme l'énigmatique Don Van Vliet).

4 Le Magasin met alors le doigt sur cette étroite corrélation entre le son et la toile, et c'est donc naturellement que l'exposition sonne comme tout à fait musicale, même si avant tout, l'essentiel est de présenter la face cachée, ou non, de ces musiciens, soit leur production plastique. En débutant le parcours, le visiteur est immédiatement confronté à une immense grenouille3 recouvrant la quasi-intégralité du mur face à l'entrée de l'exposition ; les fans de Daniel Johnston reconnaissent alors le personnage fétiche du musicien texan4,

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premier artiste présenté à travers une sélection d'une trentaine de dessins originaux, à l'exception de quelques reproductions.

La grenouille de l’album Hi, How Are You: The Unfinished Album de Daniel Johnston, 1983

5 Les commissaires d'exposition semblent avoir saisi l'importance capitale de ne pas dresser systématiquement de barrière entre le travail des artistes en tant que musiciens et en tant que plasticiens. Ainsi, pour ce premier artiste, en plus des dessins encadrés, plusieurs pochettes de disques, photos ou autres comic books viennent compléter son portrait. On regrettera néanmoins le manque d'une présence plus concrète de la musique, soit la possibilité d'entendre directement les créations du musicien, comme cela est proposé dans la salle suivante, consacrée à John Miller. L'affichage du travail de Miller justement, ainsi que celui d’autres artistes avec lesquels il collabore régulièrement5, témoigne outre la volonté d'explorer la dimension participative et toute l'idée de l'artiste prolifique dans de multiples disciplines, de l'importance d'une considération musicale de son œuvre plastique.

6 Plusieurs films ainsi qu'un i-pod sont mis à disposition du visiteur afin qu'il puisse saisir, dans l'instant, certaines clés du travail de Miller sans lesquelles la compréhension serait restée floue. Autre atout majeur de cette salle : la participation directe de l'artiste à sa conception. Si, à titre comparatif, l'organisation de l'affichage de la salle précédente était plutôt classique, cette seconde salle frappe immédiatement par sa disposition et un ordre qui semble bien plus réfléchi, ne visant pas qu'à établir un parcours contemplatif, mais bel et bien une véritable sphère adaptée à la découverte du travail de John Miller. Le fait que ce dernier ait choisi ce qu'il souhaitait exposer constitue un parti pris qui s'érige en véritable aubaine, d'abord parce que ce travail d'exposition réalisé en amont est déjà un engagement artistique.

7 L'autre grande réussite donc de l'équipe grenobloise a été d'exprimer intelligemment, refusant de céder à la facilité d'un quelconque systématisme, la vision de l'artiste vis-à- vis de sa propre musique et surtout le lien qu'il faisait, lorsqu'il en faisait, avec sa production plastique. Ainsi, si certaines figures comme Malcolm McLaren, Cris Kirkwood (Meat Puppets) ou Alix Lambert, sont clairement représentées comme partisanes d'un art concentré6, à la croisée de plusieurs disciplines, d'autres comme Jerry Garcia (Grateful Dead) ou Don Van Vliet (Captain Beefheart) semblent tenir à l'idée d'une pratique étrangère à la musique. Dans la salle de ce dernier par exemple,

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seuls deux disques sont affichés à l'entrée, comme un rappel afin de justifier sa place dans l'exposition – l'artiste considérant d'ailleurs avoir changé de métier le jour où il a abandonné la musique pour dessiner.

8 L'exposition ne vient pas vraiment répondre de façon précise aux multiples questions qui surgissent des rapports entre l'art contemporain et la pop, celle de l'origine, de la filiation ou encore de savoir pourquoi l'art moderne et la pop se rencontrent. C'est au visiteur de se faire son idée, mais avant toute chose, de constater le résultat final de cette rencontre et s'il le souhaite, retracer tout le processus, avec comme point de départ, son aboutissement. De cette façon, le sociologue, le musicologue, le psychologue, l'historien de l’art ou le simple amateur de rock pourra déambuler à travers les salles et se poser ses propres questions, aussi nombreuses que peuvent l'être les approches possibles de cette exposition.

9 Art in Pop offre donc l'échantillon d'une réalité artistique parfois à peine soupçonnée auprès de protagonistes ayant évolué dans un milieu et à une époque où la musique parvint incontestablement à bousculer le monde de l'art et de ses acteurs. Et si au gré des salles son influence est parfois relativisée, c'est à se demander tout de même si l'un de ces artistes s'en est émancipé, de manière complètement indemne.

BIBLIOGRAPHIE

SOLOMOS Makis (2013), De la musique au son dans la musique des XXe-XXIe siècles, Rennes, PUR.

NOTES

1. Voir par exemple l'ouvrage récent de Makis Solomos (2013), qui croise dans sa réflexion rétrospective et de synthèse sur la musique au XXe siècle les corpus savants et populaires (cette analyse étant bien évidemment complètement différente des approches « inégalitaires » qui ne concevaient ces interactions qu'en termes d'inspiration de la musique savante par des matériaux folkloriques). 2. La terminologie choisie par les commissaires n'étant pas strictement rigoureuse, puisqu'en réalité, on ne peut pas systématiquement parler, aujourd'hui, de musique pop pour tous les artistes exposés (on passe aussi bien du rock indépendant, au punk, en passant par le rock psychédélique, alternatif, avant-gardiste, etc.). L'idée semble davantage être celle des musiques populaires, un paysage plus large que celui de la pop dans sa définition stylistique étroite. 3. Rendue célèbre par son apparition sur la pochette de l'album phare de l'artiste, Hi, How Are You : The Unfinished Album (1983). 4. L'œuvre plastique de Daniel Johnston avait célébré quelques mois plus tôt lors de la rétrospective Welcome to My World entièrement dédiée à son œuvre, créée au Lieu Unique à Nantes en 2012 pour ensuite rejoindre la galerie parisienne Arts Factory en avril 2014. 5. À noter que l'espace réservé à l'artiste diffère du précédent en ce qu'il ne constitue pas une tribune unique consacrée à son œuvre, mais est également ouvert sur son entourage.

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6. En ce qui concerne Cris Kirkwood, l'analogie interdisciplinaire est moins évidente, mais indiquée dans la fiche informative accrochée à proximité de ses tableaux.

INDEX

Mots-clés : exposition / musée, arts plastiques Keywords : exhibit / museum, fine arts

AUTEUR

XAVIER LELIEVRE

Xavier LELIEVRE prépare actuellement un master recherche en musicologie à l'université Rennes II. Son travail porte sur l'étude de l'esthétique des premières années de création du musicien américain Daniel Johnston.

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Recensions Book reviews

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Monique DESROCHES, Sophie STÉVANCE & Serge LACASSE (dir.) (2014), Quand la musique prend corps

Julie Talland Terradillos

RÉFÉRENCE

Monique DESROCHES, Sophie STÉVANCE, Serge LACASSE (dir.) (2014). Quand la musique prend corps, Québec, Les Presses de l’Université de Montréal, 390 p. « Vous savez quand j’écoute une musique par exemple, qui me plaît ; certaines fois sans bouger, sans bouger extérieurement je veux dire, je me construis des orchestrations, internes, musculaires et sensationnelles si je puis dire [rires] et très intimes, vraiment quand j’écoute une musique, les cellules en sont charmées […] j’ai l’impression des fois que j’ai des orchestrations à l’intérieur de moi mais sans bouger. »1 Jean Babilée

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1 La phrase d’ouverture de Quand la musique prend corps, qui rassemble vingt contributions issues de journées d’études s’étant déroulées du 14 au 16 janvier 2013 à l’Université de Montréal, résume bien son propos : « Ce livre aborde un thème qui peut sembler une évidence comme objet d’étude en musique, du moins en ce qui concerne la musicologie et l’ethnomusicologie ; pourtant, il a rarement été analysé de façon systématique : le corps. »

2 Il interroge en effet la question du corps en musique depuis les fondements théoriques, résonant avec les fameuses « techniques du corps » de Marcel Mauss (1936), ou encore avec L’Anthropologie du geste de Marcel Jousse (1969). Cet ouvrage est une source riche et variée qui aborde différents niveaux d’étude du geste : le corps dans l’œuvre musicale, la relation à l’instrument, similaire à celle qu’entretient le danseur avec le sien – son propre corps. Les habitudes corporelles sont minutieusement disséquées et analysées. Une véritable grammaire musicale du corps avec des règles précises mais également des exceptions. On y apprend par exemple la distinction entre un « violoneux » et un « violoniste » mais également les méthodes traditionnelles d’apprentissage de la musique par exemple par la présence nécessaire d’un livre, d’un dictionnaire voire même d’une miche de pain, placés à tel ou tel endroit stratégique du corps pour lui en suggérer la tenue et le maintien correct (Charles-Dominique in Desroches et al., 2014 : 56), corrélation que l’on retrouve également chez le jeune danseur que l’on aide d’un ballon pour ajuster le port de bras classique. C’est en effet toute une histoire du corps, mais et surtout une histoire du geste et de sa catégorisation par famille, du geste effecteur au geste figuré, puis de sélection (Delalande, 1988) qui est expliquée, de la signature gestuelle et a fortiori musicale, du mécanisme gestuel, du partage des tâches entre la main droite et la gauche : « la main droite agit essentiellement comme la principale génératrice du rythme, alors que la main gauche se charge du jeu mélodique et ornemental sur le manche. » (Vahabzadeh in Desroches et al., 2014 : 66).

3 On y découvre également la différence visuelle entre un joueur de setâr iranien et un joueur de târ, tout se décidant dans les distances infimes d’un ongle plus long que les autres et du plectre (Ibid. : 74). De toutes ces explications sur les positions, les habitus corporels, il ressort une véritable archéologie du geste sonore.

4 Mais sortons du corps un instant, à la manière d’un passage du sacré au profane, de l’église à la salle de concert, pour parler de l’orgue et de sa démystification « corporelle », en quittant sa place sonore historique pour devenir place visuelle. En effet, au fil des siècles, cet instrument s’est rapproché de ses auditeurs, révélant la « grammaire corporelle » du son, ainsi que le visage de l’organiste si longtemps ignoré ;

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l’orgue habituellement « haut perché au fond de l’église » s’est déplacé au-devant de la scène puis a quitté l’espace religieux pour la salle de concert (Guertin & Kunz in Desroches et al., 2014 : 88-89). La présence du musicien, chanteur ou instrumentiste rend visible une enveloppe de chair, la vérité de la musique. Une réunification du geste- son. Celui qui ajoute une aura, ou a contrario le détériore. Pourtant, il est certain que la relation à l’objet instrumental est unique ; Alain Meunier déclare ainsi : « On développe une faculté de toucher dont on n’est pas nécessairement conscient […] On ne peut pas imaginer, lorsque quelqu’un passe une existence, cinq à dix heures par jour, à toucher son instrument, on ne peut pas imaginer que ce soit sans effet sur la faculté de sentir. » (Delalande, 1980 : volet 1).

5 De la caresse instrumentale à la poigne ferme, au ballet des doigts qui se chevauchent, « au geste qui brode autour d’une note » (Jordán González in Desroches et al., 2014 : 128), à la corne de la paume formée par les heures de répétition d’un battement sur une autre peau, à la tenue d’un port de bras comme pour diriger la danse d’un archet, le souffle est sensiblement la base de tout mouvement et mérite alors une attention particulière, comme le fait remarquer Jean-Claude Pennetier interrogé par Yves Delalande sur ses respirations au piano : « pour jouer telle ou telle chose, je sais comment je vais respirer. Il y a des attaques que j’aime prendre plein d’air, d’autres les poumons vides, sur l’expiration […] à mi- poumons, comme une plante, dans l’eau qui s’écarte et se referme extrêmement doucement. » (Delalande, 1980 : volet 3 entretiens).

6 Quant au grain, « c’est le corps dans la voix qui chante » écrivait Barthes (1982 : 238, 243), beauté verbale décryptée par Serge Lacasse – cela nous rappelle l’étymologie du terme musique, moûsikê signifiant à la fois chanter, réciter de la poésie, mouvoir le corps, danser et manipuler des instruments (Defrance in Desroches et al., 2014 : 177). Terminons cette écoute attentive du geste sonore par l’exemple du joueur de golf, exemple remarquable cité par Yves Defrance (Ibid. : 187), qui nous invite à réfléchir sur la résonnance du geste après l’acte, celui du club de golf percutant la balle, égal à la vibration de la main accompagnant la corde, ou encore du rebond de la main sur un instrument percussif, ou à l’écho de mon propos chuchotant ce texte.

BARTHES R. (1982), « Le grain de la voix », in L’Obvie et l’obtus. Essais critiques III, Paris, Seuil.

DELALANDE F. (1980), La musique et la main, série documentaire radio en quatre volets, Ina/GRM, réalisation Evelyne Gayou et Christian Zanési, total 4 heures, en ligne : http://www.inagrm.com [consulté le 3/03/15].

DELALANDE F. (1988), « La gestique de Gould : éléments pour une sémiologie du geste musical », in G. Guertin (ed.), Glenn Gould pluriel, Montréal, Louise Courteau éditrice.

GUÉRIN M. (2011), Philosophie du geste : essai, Arles, Actes Sud.

JOUSSE M. (1969), L’anthropologie du geste, Paris, Éditions Resma.

MAUSS M. (1936), « Techniques du corps », Journal de Psychologie, vol. 32 n° 3-4, édition électronique réalisée par Jean-Marie Tremblay pour la collection « Les classiques des sciences sociales », UQAC, 2002 : http://classiques.uqac.ca/classiques/mauss_marcel/socio_et_anthropo/ 6_Techniques_corps/Techniques_corps.html [consulté le 3/03/15].

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NOTES

1. Citation tirée de l’émission radiophonique Les greniers de la mémoire, « Petite échappée du côté de la danse et de ses rapports à la musique », France Musique, animée par Karine Le Bail, 14 septembre 2014.

INDEX

Mots-clés : corps, gestes / langage corporel, danse Keywords : body, gestures / body language, dance

AUTEURS

JULIE TALLAND TERRADILLOS

Julie TALLAND TERRADILLOS est chargée de cours à l’Université Catholique de l’Ouest où elle enseigne l’art de la performance. Elle mène une thèse sur le phénomène de la numérimorphose dans la danse, au sein de l'équipe EsPAS (Esthétique de la Performance et des Arts du Spectacle) – institut ACTE structure de recherches en arts, créations, théories et esthétiques associant le CNRS et l'Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne. Enfin, elle a publié La Danse à l’écoute des nouvelles technologies : des prothèses numériques aux corps synesthètes (L’Harmattan, 2015). mail

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Christopher J. SMITH, The Creolization of American Culture: William Sidney Mount and the Roots of Blackface Minstrelsy

Jack Harbord

REFERENCES

Christopher J. SMITH, The Creolization of American Culture: William Sidney Mount and the Roots of Blackface Minstrelsy, Champaign, University of Illinois Press, 2013

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1 SCHOLARSHIP OF BLACKFACE MINSTRELSY in the late twentieth and early twenty first centuries has primarily sought to complicate entrenched perceptions of the entertainment form. A range of existing scholarly accounts including those by Eric Lott (1995), Dale Cockrell (1997), W. T. Lhamon (1998), and William Mahar (1999) have laid the groundwork for the growing re-evaluation of minstrelsy’s history. Christopher J. Smith clearly seeks to continue this trend in The Creolization of American Culture: William Sidney Mount and the Roots of Blackface Minstrelsy by building on the perspective of his predecessors whose contributions he is careful to acknowledge and engage with. Like his predecessors, Smith aims to debunk the notion that minstrelsy was simply crass cultural appropriation of African American culture by white European Americans, highlighting the hybridity of its origins and formative contexts by mapping the range of people, places, and social practices that facilitated the formation and popularisation of minstrelsy as a home-grown popular culture.

2 The primary focus for Smith is the works (paintings, drawings, and sketches) and records (letters, music manuscripts, autobiographical documents, and family accounts) of William Sidney Mount (1807-1867). Following his birth on the North Shore of Long Island, Mount relocated to the Lower East Side of Manhattan where he was exposed to the meeting of African American, Anglo-American, and Caribbean cultural expression. Studying under his uncle Micah Hawkins—who Smith situates as a key role model for the young Mount—he developed a style of art which captured the movements and moments of musical and physical expression. For Smith, the collected works of Mount represent an “unusually clear and detailed snapshot” of the formative stages of blackface performance practices and his portraits “precisely depict essential insights about the creole synthesis” (2014: 123) at the heart of American culture which extend across the Atlantic, the Caribbean, and mainland North America. Mount is, according to Smith, particularly reliable as a measure of the cultural expression of the era: his biography (described in some detail); tastes (as a collector, designer, and player of a range of musical instruments); and artistic works (technically accurate and drawing from real-life) lead Smith to this conclusion. However, it is through the artworks of Mount and of the wider body of vernacular artworks of the nineteenth century, that Smith seeks to expose and explore his primary target: “the sound world of minstrelsy” (2014: 21). Key to Smith’s work is the desire to imagine the sounds and movements of a music that was heard and performed before the dawn of audio recording and photography, a desire that is not adequately sated by interpretations of notated music that may fail to represent the “sounds as performed” (2014: 211) by those early pioneers to the mingling and diverse crowds of early nineteenth century America.

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3 Students of minstrelsy studies may find Smith’s micro-focus on Mount to be alienating; many may be ignorant of the artist and not recognise his relevance to the wider field (myself included). However, Smith is careful to punctuate his work with comments defending his subject’s importance and value to understanding a world little recorded and even less remembered. But the book has wider value. Smith clearly articulates his arguments and guides the reader through a structurally demarcated and obsessively subtitled text. Moreover, the author provides an appendix of Blackface Scholarship which carefully outlines the disciplinary approaches to the subject in existing literature which both simultaneously digests a large body of work and draws further attention to the sources to which his research is indebted.

4 Smith ambitiously claims that Creolization “provides a third stage in the reconsideration of blackface minstrelsy” (2014: 211) following the first stage (represented by the works of Hans Nathan) and the second stage (represented by the works of Dale Cockrell, Eric Lott, W. T. Lhamon, Robert Carlin, and William Mahar). Whether Creolization represents a third and distinct stage in minstrelsy scholarship is debatable, but the book does provide a valuable and unique perspective through the close study of Mount’s life, artworks, and collected artefacts, and on an era of American culture often overlooked as a result of what blackface minstrelsy has become in popular consciousness. His step away from a reliance on sheet music and a focus on using vernacular artworks of the nineteenth century as a prism through which to reconstruct an idea of what “what frozen motion might tell us about musical sound” (2014: 175), Smith broadens an understanding of a vital stage in the development of American vernacular and popular culture and continues “minstrelsy’s rehabilitation” (2014: 211) in scholarly research.

BIBLIOGRAPHY

CARLIN Robert (2007), The Birth of the Banjo: Joel Walker Sweeney and Early Minstrelsy, Jefferson, McFarland & Company, Inc.

COCKRELL Dale (1997), Demons of Disorder: Early Blackface Minstrels and Their World, Cambridge, Cambridge University Press.

LHAMON W. T. (1998), Raising Cain: Blackface Performance from Jim Crow to Hip Hop, London, Harvard University Press.

LOTT Eric (1995), Love and Theft: Blackface Minstrelsy and the American Working Class, New York, Oxford University Press.

MAHAR William (1999), Behind the Burnt Cork Mask: Early Blackface Minstrelsy and Antebellum American Popular Culture, Urbana and Chicago, University of Illinois Press

NATHAN Hans (1949), “Dixie”, The Musical Quarterly, vol. XXXV, n° 1, The Oxford University Press, 60-84.

NATHAN Hans (1958), “Emmett’s Walk-Arounds: Popular Theater in New York”, Civil War History, vol. 4, n° 3, Kent (Ohio), The Kent State University Press, 213-224.

Volume !, 11 : 2 | 2015 172

NATHAN Hans (1962), Dan Emmett and the Rise of Early Negro Minstrelsy, Oklahoma, Oklahoma University Press.

INDEX

Subjects: africaine-américaine / African-American music Mots-clés: blackface / minstrels, acculturation / créolisation / hybridation Keywords: blackface / minstrelsy

AUTHORS

JACK HARBORD

Jack HARBORD est Senior Lecturer en musiques populaires et en production musicale au Leeds College of Music. Il s’est spécialisé en études culturelles et contextuelles. Son doctorat à l’université de Salford analysa les usages du phénomène blackface dans la culture populaire et les pratiques du XXIe s., notamment dans le cinéma, les clips vidéos, la télévision et dans les discours critiques sur les pratiques culturelles. Il participe en outre à une recherche collaborative sur la résurrection holographique numérique, réfléchissant ainsi aux questions éthiques soulevées par la mise en scène de performances de morts et son impact sur l’industrie et l’héritage d’un artiste. Il a présenté ses recherches dans des conférences nationales et internationales dédiées aux musiques populaires et à la production musicale.

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Motti REGEV, Pop-Rock Music: Aesthetic Cosmopolitanism in Late Modernity

David Shumway

REFERENCES

Motti Regev, Pop-Rock Music: Aesthetic Cosmopolitanism in Late Modernity, Cambridge, Polity Press, 208 p.

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1 POP-ROCK MUSIC IS an important book because it solves the long-standing problem of how to make sense of the global influence of Anglo-American rock. Popular music studies has generally been unwilling to accept cultural imperialism as an adequate model. While this may in part be due to its practitioners’ belief in the music’s oppositional role, it is more importantly a reflection of the fact that the music is precisely influential. Unlike the film industry, where American movies have dominated the box office in many markets around the world, rock‘n’roll in its various forms has been taken up by musicians and made their own. The result involves a global music context in which there are both widespread similarities and significant local variations. How do we account for this theoretically?

2 Motti Regev offers a persuasive alternative to cultural imperialism in the concept of “aesthetic cosmopolitanism.” He acknowledges that cosmopolitanism has previously meant an “openness toward ‘other’ cultures […] [as] a matter of individual inclination,” but in late modernity it has become “a structural facet of national and ethnic cultures in general, or, at the very least, of major sectors within them. It is not a whim of curiosity, but an institutionalized constraint” (8). As should be clear from this quotation, Regev is not celebrating cultural hybridity but trying to theorize its conditions of possibility. The key notion here is what the author identifies as “the quest for status, participation, and parity in modern world culture” (10). What has happened is that markers of status (recognition and parity are elements of this) have increasingly become international rather than national or local. Consider the worldwide spread of shops selling luxury brands that are desired mainly because they are status symbols. As Regev shows, music’s connection to status is more complicated because it involves not just conspicuous consumption but also creative expression. While status is always a matter of recognition, aesthetic cosmopolitanism would seem to be the result of artistic production by cultures previously unrecognized internationally. It is a product of “actors who aspire to participate as equals in what they perceive to be the cultural frontiers of modernity” (11). Thus musicians, critics and listeners all find themselves within two fields of cultural production, one international and one national. This sophisticated treatment of status and its relation to aesthetics is unusual and much needed. One wishes that Regev had developed these ideas at greater length.

3 Regev offers copious instances of the effects of aesthetic cosmopolitanism in music ranging over numerous nations and their markets. While he quite rightly distinguishes the Western experience of “world music” from the broader phenomenon with which he is concerned, the existence of “world music” remains dependent upon it and is strong evidence in support of Regev’s conception. In order to make his argument, Regev needs

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to point to specific musical elements or styles that are widely shared, including studio production, electric instruments and distinctive vocal techniques. Most readers will readily assent that these elements are derived from Anglo-American rock music and that they are indeed now to be found virtually everywhere.

4 Yet when Regev claims that these shared elements can be meaningfully used to define a heretofore-unrecognized super genre, “pop-rock music,” I for one am not persuaded. While Regev’s strength is applying a range of social theory to the problem of global popular music, his weakness seems to be the music itself. This is true not only in the sense that his treatment of music in formal terms is consistently cursory and superficial—perhaps understandable given the required range of reference—but also in the sense that he doesn’t attend to the particular histories of different musics, either in the England and U.S. on the one hand, or in the various other nations who have been influenced by Anglo-American music. In fact, he repeatedly dismisses popular music history as “mythologized,” while seeming to accept at face value the national traditions and history that preceded aesthetic cosmopolitanism. As Hobsbawm and Ranger’s collection (1983) detailed, mythologized history and invented tradition are co- extensive with the nation state itself.

5 Regev explains the neologism “pop-rock” by asserting the need not only to include a wide diversity of styles and musicians, from the Velvet Underground to the Archies, and Sonic Youth to Beyoncé, but also to exclude other styles traditionally included as popular music such as Broadway show tunes or Barbra Streisand. In English, the popular name for the hodgepodge of music Regev includes is “rock,” and “pop” is used to name music that tends toward the character and attitude of popular music before rock’s advent. In this sense, “rock” and “pop” are poles that define American popular music of the last half of the twentieth century. It is true that music critics and scholars have often tried to refine this usage, by, for example, periodizing “rock‘n’roll” as the music of the 1950s and “rock” as the music of the 1960s and early 1970s. Regev seems to be trying to respond to an expected critique from this perspective, including the word “pop” in his new name so that he can’t be accused of elevating bastardized or diluted forms to legitimate status. But it’s not clear to me why he need get involved in this debate at all. His larger point about aesthetic cosmopolitanism does not depend on the existence of a single super genre, but merely on the widespread adoption of different musical elements, performance styles, or production techniques derived from Anglo- American records. Moreover, by reducing all of the global music he discusses to a single category, he erases its many local and national differences and the particular cultural meanings it has in different times and places.

6 For example, the effect of treating Anglo-American music since the 1950s as “pop-rock” is to deny its cultural significance in its original space. This is in part, I think, an explicit element of Regev’s agenda, as he wants to qualify the association of rock with oppositional politics. He acknowledges the connection in certain instances, but not generally, and especially not in the U.S. of the 1950s or 1960s. Part of the problem here is that the term “oppositional” is both vague and overly specific. It can mean on the one hand almost any variance with cultural norms, while on the other hand it means tending toward the revolution. Rock music was almost never oppositional in that second sense, but it did contribute significantly to the redefining of social norms in the U.S. Whether it has this role other places can only be assessed on a case by case basis, a

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task clearly beyond the scope of Regev’s book. Nevertheless, Pop-Rock Music is a book well worth serious engagement.

BIBLIOGRAPHY

HOBSBAWM Eric & RANGER Terence (eds.) (1983), The Invention of Tradition, Cambridge, Cambridge University Press.

INDEX

Mots-clés: mondialisation Keywords: globalization Subjects: rock music, pop music

AUTHORS

DAVID SHUMWAY

David R. Shumway est Professeur d’anglais, de littérature et de cultural studies, et est le dircteur fondateur du Humanities Center à Carnegie Mellon University. Il a récemment publié Rock Star: The Making of Musical Icons from Elvis to Springsteen, Johns Hopkins University Press, 2014. David R. SHUMWAY is Professor of English, and Literary and Cultural Studies, and the founding Director of the Humanities Center at Carnegie Mellon University. His most recent book is Rock Star: The Making of Musical Icons from Elvis to Springsteen, Johns Hopkins University Press, 2014.

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Matthieu SALADIN, Esthétique de l’improvisation libre. Expérimentation musicale et politique

Clément Canonne

RÉFÉRENCE

Matthieu Saladin, Esthétique de l’improvisation libre. Expérimentation musicale et politique, Dijon, Les Presses du Réel, 2014

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1 L’OUVRAGE DE MATTHIEU Saladin est une contribution importante au champ aujourd’hui très dynamique des études sur l’improvisation (voir Lewis & Piekut, 2015). À travers trois collectifs ayant occupé une place essentielle dans le développement des musiques improvisées au tournant des années 1970 – l’AMM, le Spontaneous Music Ensemble (SME) et le Musica Elettronica Viva (MEV) – l’auteur entreprend d’analyser l’esthétique sous- jacente à la pratique alors émergente de l’improvisation dite « libre », mouvement qui occupe une place importante dans le champ des pratiques musicales contemporaines ; il vient ainsi éclairer une forme d’improvisation encore trop peu étudiée au sein d’une littérature portant plus volontiers sur le jazz ou le free jazz.

2 L’ouvrage, rédigé dans une langue précise et élégante qui en rend la lecture agréable, se divise en trois parties. Les trois premiers chapitres se concentrent, chacun à leur tour, sur un des groupes autour desquels s’articule l’analyse. En confrontant les aventures singulières d’AMM, de SME et de MEV, l’auteur fait ainsi apparaître clairement la diversité du monde de l’improvisation libre : diversité des parcours individuels (les musiciens de ces ensembles provenant tantôt de la musique savante contemporaine – comme Cornelius Cardew – tantôt du jazz – comme le batteur John Stevens ou le saxophoniste Evan Parker) et donc des influences musicales ; diversité des conceptions de l’improvisation, pensée tantôt dans son rapport à la forme (AMM), tantôt dans son rapport à l’écoute (SME), tantôt dans son rapport à la matière sonore (MEV) ; et surtout diversité des dispositifs d’improvisation expérimentés, du tout acoustique au tout électronique, du concert traditionnel aux performances collectives abolissant la frontière entre l’espace de la scène et l’espace du public, de l’improvisation « pure » à l’improvisation « incitée » par des ensembles de contraintes, de scripts ou de « rituels » préalablement élaborés.

3 Cette diversité n’empêche évidemment pas l’émergence d’un certain nombre de questionnements communs. Dans les chapitres 4 à 6, qui constituent à bien des égards le cœur de l’ouvrage, l’auteur se livre donc à un passionnant travail d’élaboration théorique, visant à expliciter les aspects centraux de la pratique de l’improvisation libre. À bien des égards, l’improvisation libre apparaît comme porteuse d’une contre- esthétique, tant ses catégories semblent construites en opposition avec celles de la composition savante, telles qu’elles se sont cristallisées au début du XIXe siècle (voir Goehr, 2007). Matthieu Saladin examine ainsi tour à tour : 1. La dimension processuelle de l’improvisation libre, qui conduit les improvisateurs à refuser de considérer le produit musical de leur activité comme un objet autonome, stable et achevé, mais au contraire à le penser comme partie d’un « processus évolutif continu » (Raymond, 1980 : 172) ;

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2. La dimension non-idiomatique de l’improvisation libre, celle-ci étant, selon le guitariste Derek Bailey, « abordée et recherchée pour elle-même, et non comme expression virtuose au sein d’un genre musical auquel elle se rapporte » (162) ; 3. La dimension éthique de l’improvisation libre, les « pratiques de liberté » qu’elle recèle s’accompagnant d’un nécessaire travail sur soi qui prend autant la forme de contraintes formelles que de véritables règles de conduite ; 4. La dimension collective de l’improvisation libre, à la fois « condition préalable » de cette pratique – garantissant l’imprévisibilité du processus d’improvisation – moteur d’invention et de renouvellement constants, et « l’un de ses principaux buts » (203), l’exploration d’une musique authentiquement polyphonique requérant « l’expérimentation de nouvelles formes sociales de création » et « l’abandon de la primauté accordée à l’individu sur le collectif » (205) ; 5. La dimension expérimentale de l’improvisation libre, notamment dans sa recherche de dispositifs favorisant le surgissement de l’imprévisible : intégration des accidents et autres « erreurs » au sein du processus de création ; utilisation d’instruments préparés, de dispositifs électroacoustiques ou de techniques instrumentales partiellement incontrôlables ; et, plus généralement, « indexation topique » de l’improvisation (261), toujours ouverte aux affordances d’action tirées de l’environnement dans lequel elle s’inscrit.

4 Les deux derniers chapitres proposent quant à eux une réflexion sur la dimension politique de l’improvisation libre. Au-delà du contexte socio-politique de la fin des années 1960, véritable condition historique de possibilité de la pratique de l’improvisation libre (qui répond assurément aux mouvements de contestation de l’époque), au-delà de l’engagement politique effectif de certains musiciens comme Cornelius Cardew ou Keith Rowe, tout l’intérêt du propos de Matthieu Saladin est de montrer, en s’appuyant sur la philosophie de Jacques Rancière, que c’est la pratique même de l’improvisation libre qui est intrinsèquement politique, « dans l’incessante réaffirmation des présupposés démocratiques, égalitaires et critiques qui fondent l’improvisation – de l’absence de hiérarchie entre les individus à celle de ses matériaux – mais aussi dans son attention topique, son entreprise nécessairement collective, l’élaboration des pratiques de liberté ou encore son rapport singulier aux règles » (332) ; il y a en effet quelque chose de fondamentalement politique dans l’action de ces musiciens qui tentent d’atteindre une certaine communauté d’intentions par le biais d’échanges sonores et d’interactions musicales, bien souvent sur fond d’hétérogénéité intentionnelle, voire de dissensus esthétique (voir Canonne, 2012).

5 Il faut encore souligner la finesse et la hauteur de vue du propos de Matthieu Saladin tout au long de son ouvrage, qui inscrit la discussion dans un cadre conceptuel très riche qui contribue à faire de l’improvisation un objet de réflexion important non seulement pour l’esthétique musicale mais encore pour les sciences humaines dans leur ensemble. Loin du dithyrambe auquel s’apparente parfois le discours sur l’improvisation libre (voir par exemple Fischlin, Heble & Lipsitz, 2013), l’auteur ne cherche ici aucunement à masquer les tensions ou les contradictions qui peuvent sous- tendre la démarche de ces improvisateurs.

6 Le seul regret que l’on pourrait avoir, du moins du point de vue musicologique, c’est que la musique elle-même reste finalement au second plan, toujours vue au prisme du discours de ses acteurs (on peut d’ailleurs noter qu’un grand nombre de citations sont extraites de textes de Frederic Rzewski ou Cornelius Cardew, tous deux compositeurs de formation, ce qui n’est sans doute pas sans conséquence sur la manière dont ceux-ci

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se représentent la pratique de l’improvisation libre en grande partie contre la composition et les valeurs qui lui sont associées). On aurait aimé voir comment cette esthétique s’incarne dans l’effectivité du processus musical, comment les catégories proposées par l’auteur se trouvent mises en jeu dans le temps de la performance elle- même. Mais cette remarque n’entache en rien l’importance du travail effectué par Matthieu Saladin, qui constitue assurément un des premiers ouvrages à documenter aussi précisément la pratique des collectifs fondateurs du mouvement de l’improvisation libre tout en situant cette pratique dans un cadre esthétique fécond ; et ce n’est pas le moindre de ses mérites que d’ouvrir ainsi de nouvelles pistes pour la musicologie de l’improvisation.

BIBLIOGRAPHIE

CANONNE Clément (2012), « Improvisation collective libre et processus de création musicale : création et créativité au prisme de la coordination », Revue de Musicologie, vol. 98/1, p. 107-148.

FISCHLIN Daniel, HEBLE Ajay & LIPSITZ George (2013), The Fierce Urgency of Now: Improvisation, Rights and the Ethics of Cocreation, Durham, Duke University Press.

GOEHR Lydia (2007), The Imaginary Museum of Musical Works, Oxford, Oxford University Press.

LEWIS George, PIEKUT Benjamin (eds) (2015), Oxford Handbook of Critical Improvisation Studies, Oxford, Oxford University Press.

RAYMOND Jean-François (de) (1980), L’improvisation. Contribution à la philosophie de l’action, Paris, Vrin.

INDEX

Thèmes : expérimentale / experimental music, improvisée / improvised music

AUTEURS

CLÉMENT CANONNE

Clément CANONNE est Maître de Conférences en Musicologie à l'Université de Bourgogne. Ses travaux portent essentiellement sur les pratiques contemporaines de l'improvisation, abordées d'un point de vue pluri-disciplinaire (publications dans la Revue de Musicologie, Psychology of Music, Perspectives of New Music, Critical Studies in Improvisation, etc.). Il s'intéresse également à la philosophie de la musique : il a traduit et commenté une sélection d'essais de Jerrold Levinson (Vrin, 2015) et travaille en ce moment à un livre sur la philosophie de l'improvisation. mail

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“Why is it that we can’t let go of the vinyl record?” Richard OSBORNE’s Vinyl: A History of the Analogue Record

Olivier Julien

REFERENCES

Richard Osborne, Vinyl: A History of the Analogue Record, Furham & Burlington (VT), Ashgate, 2013, 213 p. [ISBN 978-1-409-44027-7]

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1 IF ONE WERE TO TRY to summarize Richard Osborne’s Vinyl: A History of the Analogue Record, we might describe it as an endeavour to discover what makes the vinyl disc record such a key medium in the determination of twentieth-century music by sound recording. As the author makes clear from the outset: “Although vinyl lost its status as Britain’s leading albums format as long ago as 1985 and thus looked set for a permanent decline, sales of vinyl LPs rose year on year by 43.7 per cent in 2011. In the US the success of the format was better still […] And yet this wasn’t the first of vinyl’s revivals […] Why is it that we can’t let go of the vinyl record? This book is part of this phenomenon but it is also an attempt to explain it” (1-2). To do so, Osborne uses what I think is a truly brilliant idea: he takes the features that define the vinyl disc as a sound reproduction, a sound storage or a distribution medium (the groove, the disc shape, the paper record label, etc.) and he uses them as so many points of entry into the history of recorded music.

2 As an example, Chapter 1 (“The Groove”) focuses on the development of sound recording technologies. Osborne begins by mentioning early inventions such as Edouard-Léon Scott de Martinville’s 1856 Phonautograph, noting that such machines only aimed at representing sound visually. Then he observes that it was actually Edison’s “considering the mechanical reproduction, rather than the transcription, of visualized sound” (10) that led him to opt for grooved recording, before the groove itself began to influence music-making in the age of hip-hop DJing and turntablism. Similarly, Chapter 2 addresses an issue that has plagued many writers and researchers since Roland Gelatt’s seminal work on the history of the phonograph (1955): how did the disc become the dominant medium for recorded music despite its being what Dave Laing once called “the limited ‘playback’ variant over the cylinder that could also be used to record” (35-36)? Here, Osborne comes up with a rather surprising (though well- argued) answer: “Ultimately, the triumph of the disc over the cylinder was a capitalist ploy” (42).

3 Amongst the remaining chapters, Chapter 3 approaches the vinyl record from the angle of its label and the evolution of the information featured on the latter piece of paper reflecting industry-related issues such as the changing relationships between artists and record companies, the development of so-called “label identity” (“the clearest outcome of labelling [lying] in the fact that the term ‘record label’ became a synonym for ‘record company,’” 45), not forgetting record companies’ strategies with regard to the development of particular markets and submarkets whose rise would eventually give birth to rock‘n’roll. The following chapter extends the issue by analyzing vinyl’s connections with the development of an industrial approach to “record production” (in all senses of the term), but it also uses that material as a pretext to get into more

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technical considerations in terms of sound reproduction. Chapter 5 then examines the development of the long-playing format (a format that was originally meant to accommodate for the needs of classical musicians, and that finally turned out to have a greater influence on popular music as some artists favouring it “helped the separate divisions of ‘pop’ and ‘rock’ to emerge,” 87), before Chapter 6 does the same with what was originally regarded as the LP’s popular music counterpart: the 45-rpm single. In Chapter 7, the B-side and the 12-inch single offer new perspectives on how the vinyl disc helped shape the history of popular music (even though they were originally developed to “[expand] the analogue single,” those formats eventually “fostered new forms of music” as artists began “creat[ing] “b-side material and mix[ing] 12’’ versions of their songs,” 143). Finally, Chapter 8 traces the evolution of the record sleeve and explores its altering the way in which records were perceived from the days of the Kraft paper sleeve to “the real fillip for record sleeve design [that] came with the introduction of the LP” (164). In this respect, it would be difficult to disagree with the comment that “[i]f there is an accepted golden era of LP sleeve design it is the period of the late 1960s to the mid 1970s. During this period the LP came to closest to being a stand-alone object, divorced from single releases and their attendant broadcast media” (174). To put it differently, the aforementioned fillip did not actually confine to record sleeve design: as the author seems to imply throughout the chapter’s pages, it also represented the final step towards the crowning of the vinyl disc as the ultimate artifact in the history of sound recording.

4 By the end of the conclusion, Osborne recapitulates his three aims when he started the book: “to detail the history of the vinyl record; to outline the format’s relationship with music; and to account for vinyl’s continued popularity.” He also notes that, “in effect, these aims have merged” (186). And in fact they did as, by approaching one and the same object from such different yet interrelated angles, those eight chapters do help the reader develop a thorough understanding of how the vinyl disc came to embody the history of sound recording, the history of popular music or even that of the recording industry while shaping those histories at the same time. Given this clever and engaging formal scheme, and considering it helps organize an argument that is particularly well researched and documented while providing an overall pleasant and stimulating reading experience, I believe Osborne’s book to be one of the best recent contributions to what Amanda Bayley described, back in 2009, as “the increasingly diverse research currently being undertaken in the field of recorded music” (2009: 2). For these reasons, I am certain Vinyl: A History of the Analogue Record will soon feature prominently on many bookshelves, alongside such classics as Andre Millard’s America on Record (1995) or Mark Katz’s Capturing Sound (2004).

BIBLIOGRAPHY

BAYLEY A. (2009), “Introduction,” in Amanda Bayley (ed.), Recorded Music: Performance, Culture and Technology, pp. 1-11. Cambridge, New York & Melbourne: Cambridge University Press.

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GELATT, R. (1955), The Fabulous Phonograph: From Tin Foil to High Fidelity. Philadelphia (PA): J.B. Lippincott Company.

KATZ, M. (2004), Capturing Sound: How Technology Has Changed Music. Berkeley (CA), Los Angeles (CA) & London: University of California Press.

MILLARD, A. (1995), America on Record: A History of Recorded Sound. Cambridge, New York & Melbourne: Cambridge University Press.

INDEX

Mots-clés: disque / vinyle, archives / rééditions / revival, industrie du disque / musicale, enregistrement / montage / production, supports d’écoute, mémoire / nostalgie / rétro Keywords: disc / vinyl / phonograms / analog recordings, archives / reissues / revival, music / recording industry, recording / editing / production, listening devices, memory / nostalgia / retro

AUTHORS

OLIVIER JULIEN

Olivier JULIEN enseigne l’histoire et la musicologie des musiques populaires à l’Université Paris- Sorbonne (Paris IV). Dans les années 1990, il a travaillé comme auteur de chansons et comme chroniqueur musical tout en poursuivant des études de musique et de musicologie. Il a soutenu une thèse de doctorat sur le son Beatles en 1999 et contribué depuis à plusieurs publications spécialisées en France et à l’étranger. Traducteur anglais-français pour la Cité de la musique de Paris, la Salle Pleyel et l’Ensemble Intercontemporain, rapporteur pour les revues Popular Music (Cambridge University Press) et Musurgia (ESKA), représentant de la branche francophone d’Europe de l’International Association for the Study of Popular Music au Conseil éditorial de l’IASPM@Journal et expert pour la Commission « Arts » du CNL (Centre National du Livre), le FnRS (Fonds de la Recherche Scientifique belge) et le FQRSC (Fonds Québécois de la Recherche sur la Société et la Culture), il a dirigé l’ouvrage collectif international Sgt. Pepper and the Beatles : It Was Forty Years Ago Today (ARSC Award for Best Research in Recorded Rock and Popular Music 2009). Ses recherches portent principalement sur le rapport des musiciens populaires à la technologie et sur le conditionnement des musiques populaires, en tant que tradition, par la phonographie. mail

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Ray HITCHINS, Vibe Merchants: The Sound Creators of Jamaican Popular Music

Thomas Vendryes

REFERENCES

Ray Hitchins, Vibe Merchants: The Sound Creators of Jamaican Popular Music, Farnham, Ashgate Publishing Ltd, « Ashgate Popular and Folk Music Series », 2014, 254 p. ISBN 978-1-4724-2186-9

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1 IN HIS BOOK’S introduction, based on his PhD dissertation, Ray Hitchins explicitly states that he intends to fill a gap located exactly at the intersection between two fields: the history and analysis of Jamaican popular music on the one hand, and research on the relationships between technology and music production on the other. Through nine chronological chapters covering the whole history of recorded music in Jamaica, his aim is thus to provide a detailed depiction of the recording techniques available in Jamaica since the founding of its first studios, of the actions and interactions of the people who used them, and then, eventually, of the resulting structure, functioning and evolution of music production. All of these analyses are especially centered on the focal point of the audio-engineer and his primary tool, the mixing console. If Hitchins naturally uses the existing and reference works on Jamaican popular music history, his most novel and fruitful material comes from two specific sources. First, he has gathered fresh and original information from first-hand interviews and discussions with crucial actors of the Jamaican music scene who had been little—if at all—considered until then: audio- engineers, starting with the very first of them, Graeme Goodall and Donald Hendry, who were active in the 1950s. Second, and this probably gives him an unprecedented position in this academic literature, Hitchins relies on his own thirty-year experience as a musician in Jamaica. And indeed, one of the most convincing and enjoyable traits of his book is the natural familiarity and the deep comprehension with which the author presents how music is actually made, i.e. turned into records, in studios in general, and in Jamaican ones in particular. This enables him to offer significant contributions to both research fields within which his work is inserted.

2 First and foremost, as for the history of Jamaican popular music, Hitchins provides for the first time detailed and contextualized descriptions of recording and mixing sessions, giving an extremely clear picture of how music is made in Jamaica. The accounts and analyses of the recording sessions for ’s Boogie in My Bones (in chapter 3) or of the “building” of the Sleng Teng riddim, maybe the single most important musical product in Jamaican history (in chapter 5), already make this book a must-read for anyone interested in Jamaican popular music. And they constitute only a small part of the history Hitchins relates of the technical evolutions of Jamaican music, and of the concrete material he collected on how it is made. For these contributions only, Vibe Merchants is without doubt one of the reference works on Jamaican popular music history. Moreover, compared to most existing books dealing with this topic, a distinguishing feature of Hitchins’s is its very neutral or objective approach, maybe due to his focus on technical aspects. Indeed, most of the existing literature on the topic is

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influenced—and sometimes even clearly biased—by strong individual preferences and opinions, especially polarized by the mid-1980s historical rupture between the “Golden Age” of roots reggae and the riddim-driven digital dancehall—the latter period most often being treated with disinterest or disdain: for example, in his very informed classic book, Bradley (2001) devotes only three chapters out of 23 to post-mid-1980s production, and begins them with a quotation from reggae musician Dennis Bovel: “when computers came in, that’s when the amateurs took over” (Bradley, 2001: 501). However, while explicitly participating in this debate, Hitchins avoids the disputes about the musical or cultural values of post- and pre-1985 Jamaican music, to focus on the very technical and related organizational aspects of the evolution of music making. In particular, in his fifth chapter, he convincingly contradicts the widespread view that the 1985 turning point is a question of technological changes, with Jamaican music then becoming “digital” or “computerized” —terms often used with a “derogatory” connotation (103). He argues that Jamaican popular music remains in the 1980s and 1990s “analogue,” that is to say “recorded using analogue microphones, analogue mixing consoles and multi-track analogue tape recorders” (106). And if digital instruments (mainly drum machines and synthesizers) are more common in the late 1980s than in the mid-1970s, it is the result a gradual evolution, not of an abrupt rupture. And finally, dancehall’s distinctive mixing technique—what Hitchins calls “performance mixing” —is directly inherited from 1970s practices, and especially from B-sides and dub.

3 Secondly, besides its importance for the understanding of Jamaican music history, Hitchins’s book also deserves to become a reference work for anyone interested in the links between technology and musical creation. Through the Jamaican example, the author very convincingly demonstrates how the range and types of recording and mixing techniques available shape the intermediate but crucial space located between artists and musicians on one the end and pressed records on the other—where the audio-engineer finds his place. And Hitchins shows how this space can be a creative one, if the audio-engineer has the technical tools and the statutory capacity to take on a real artistic role. He is not the first one to investigate the relationship between technology and music, with research in this field being particularly active today—and he actually puts his own work into perspective with previous literature on the subject, for example, with Chanan (1995), Katz (2004) or Greene and Porcello (2005). His main contributions to the field are twofold. First, he offers a description of the overall evolution of the technologies available and of their use in a specific musical milieu. This enables understanding not only of how technical possibilities shape musical production processes at a given time, but also of how they shape a genre’s evolution. Secondly, he— rightly—underscores the role of the people practically using available techniques into use: producers, musicians, artists, and, above all, audio-engineers.

4 Besides all these qualities, Hitchins’s book main weakness is that, probably because of his very deep focus on the Jamaican case, it lacks a more comprehensive discussion of the insertion of its analyses and conclusions in the general scholarly debate about the role of technology and audio-engineering in music production. But his in-depth study of the Jamaican case nevertheless constitutes a significant contribution to this field.

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BIBLIOGRAPHY

BRADLEY Lloyd (2001), Bass Culture: When Reggae Was King, London, Penguin Books, 608 p.

CHANAN Michael (1995), Repeated Takes: A Short History of Recording and Its Effect on Music, London, Verso, 204 p.

GREENE Paul and PORCELLO Thomas (eds) (2005), Wired for Sound: Engineering and Technologies in Sonic Cultures, Middleton, Wesleyan University Press, 288 p.

HITCHINS Ray (2014), Vibe Merchants: The Sound Creators of Jamaican Popular Music, Farnham, Ashgate Publishing Ltd, Ashgate Popular and Folk Music Series, 2009, 254 p.

KATZ Mark (2004), Capturing Sound: How Technology Has Changed Music, Berkeley, University of California Press, 276 p.

INDEX

Subjects: jamaïcaine / Jamaican music Mots-clés: ingénieur son / monteur, technologies / dispositifs Keywords: sound engineer / editor, technologies / devices

AUTHORS

THOMAS VENDRYES

Thomas VENDRYES est maître de conferences au Département de sciences sociales de l’École Normale Supérieure de Cachan et chercheur au Centre d’Économie de la Sorbonne (France). Ses travaux portent principalement sur les problématiques liées aux droits fonciers et aux migrations intérieures à partir de l’expérience chinoise de développement et sur la production musicale jamaïcaine. Thomas VENDRYES is Associate Professor at the Department of Social Sciences of the École Normale Supérieure de Cachan and researcher at the Centre d’Économie de la Sorbonne (France). His research focuses on socio-economic change in developing countries, in particular migration and land rights in China, and music production in Jamaica. mail

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Jim ROGERS, The Death & Life of the Music Industry in the Digital Age

Elodie Roy

RÉFÉRENCE

Jim Rogers, The Death & Life of the Music Industry in the Digital Age, Bloomsbury, New York/Londres, 2013

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1 L’ÉTUDE DE ROGERS (Dublin City University) retrace l’influence du développement numérique sur l’industrie musicale au sens large, laquelle excède la simple industrie du disque (tant par son ampleur économique que par la variété des acteurs qu’elle mobilise). L’auteur s’inscrit en faux contre l’idée répandue qu’internet a révolutionné, en la détruisant, l’industrie musicale (i.e. les majors). Il s’attache à démontrer les limites, voire l’infertilité radicale, du cliché de la « révolution numérique » (telle qu’elle a notamment été médiatisée par les procès iconiques contre Napster et autres plateformes de téléchargement illégal). À travers sept chapitres relativement brefs (en moyenne de trente pages chacun), l’auteur avance la thèse qu’internet a seulement « transformé » l’industrie musicale et se propose de mesurer en quoi cette dernière a changé, pourquoi et comment elle a évolué. Il cherche tout particulièrement à déterminer le rôle des majors aujourd’hui, dans un contexte numérique qui facilite les pratiques musicales amateurs (home studios) et la dissémination virale des contenus musicaux (réseaux sociaux).

2 L’étude repose sur une série d’entretiens avec trente acteurs de l'industrie musicale irlandaise1, que Rogers a menés entre 2007 et 2010 (près de dix ans après l’avènement des premières plateformes d’échange de fichiers numériques), dans le cadre de son travail doctoral en Communications. Une telle approche, volontairement pragmatique et empirique, dépasse (sans toutefois l'épuiser) le cadre théorique et/ou spéculatif d'ouvrages plus généraux déjà publiés sur le sujet2. Aussi le ton adopté par l'auteur est- il dénué du parti pris extrême – Luddisme technophobe ou enthousiasme naïvement technophile – qui caractérise bon nombre de rapports déjà publiés3.

3 Dans le premier chapitre, Rogers analyse pourquoi et comment internet a contribué aux pertes financières de l'industrie musicale au début des années 2000 (il passe notamment en revue les plateformes de peer-to-peer, les sites de streaming illégaux et les réseaux sociaux). Le deuxième chapitre est consacré à la crise effective de l’industrie du disque. Dans le troisième chapitre, l’auteur examine les diverses stratégies élaborées par l'industrie musicale au sens large pour faire face aux pertes financières localisées. Il décrit la politique d'austérité adoptée au sein des majors (licenciements, moins de nouvelles signatures, resserrement autour des « stars »). Le chapitre suivant est un examen minutieux du redéploiement de l’industrie musicale au sein de domaines connexes (jeux vidéo, télévision). Dans les chapitres 5 et 6, le rôle prépondérant des majors dans la distribution et médiation des contenus musicaux est mis en évidence et Rogers examine l'impact d'internet et des nouveaux médias sur les médias traditionnels de dissémination musicale (presse, radio). La conclusion contrecarre les idées reçues : pour l’auteur, l’industrie musicale demeure indispensable, et rien (ou

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presque) ne peut démentir la prévalence des majors dans le développement, la promotion et la distribution des contenus musicaux. Si Rogers concède que l’industrie du disque a été sérieusement menacée par l'émergence d’internet et des nouveaux outils de consommation musicale, il soutient – et le propos devient moins banal – qu’internet a renforcé plutôt qu'affaibli le pouvoir financier et idéologique de l'industrie musicale, en réaffirmant son rôle de médiateur entre musiciens et consommateurs. Dans un environnement où la production musicale est effectivement décentralisée, seules les multinationales – et celles-ci sont aujourd'hui fort concentrées – peuvent promouvoir, distribuer et continuer à pénétrer les marchés mondiaux (les majors ayant le quasi-monopole des réseaux de distribution). On trouve à l'argument certaines affinités avec les articles précédemment publiés par Hesmondhalgh (2010) et A.A. Janowska (2011/2) sur la dématérialisation de la musique et le devenir de l’industrie du disque.

4 Malgré d’évidentes qualités de synthèse et un riche travail de documentation, l'étude de Rogers n’est pas sans lacune. Nourrie de la pensée et des pratiques de professionnels de l'industrie musicale, elle prend assez peu en compte les catégories des artistes ou des consommateurs/publics. Ce parti pris, s’il a le mérite de corriger l’abondance relative des études consacrées au consommateur numérique4, amène une scission artificielle : il efface en effet la complexité et l’ambiguïté réelles du lien qui unit – indéfectiblement et nécessairement – industrie, artiste et public. L’ouvrage présente surtout le discours, relativement homogène, des professionnels du disque (pour qui le consommateur est typiquement perçu comme un « pirate »). Peut-être aurait-il fallu nuancer et redresser le propos en effectuant un détour plus approfondi par le public (seulement convoqué in extremis, chapitre 6), ou en privilégiant une analyse plus qualitative ?

5 En se concentrant davantage sur les « majors » que sur le secteur indépendant, l’étude ne rend pas entièrement compte de toutes les stratégies d'adaptation au numérique (même si le panel recruté par Rogers comprend aussi des acteurs du secteur indépendant, lesquels sont évoqués brièvement). La micro-industrie musicale et les net-labels ne sont pas du tout évoqués. Quid des pratiques de « kickstarting », qui figurent peut-être une économie musicale alternative ? L'ouvrage aurait peut-être bénéficié d’une plus grande attention portée à l’histoire de l’industrie musicale, à sa genèse et aux façons dont elle a dû, autrefois, se réinventer pour faire face à des formes antérieures de piratage ou aux crises économiques. L’industrie musicale, longtemps inséparable du support matériel, est par ailleurs un modèle historique, qui n’est pas forcément impérissable ou indépassable.

6 L’ouvrage reste néanmoins relativement ouvert. Il pourra servir d'inspiration, sinon de base, à une étude comparée de l'industrie musicale contemporaine dans différents pays (Rogers évoque d'ailleurs les États-Unis, la France, l'Espagne, l'Allemagne, la Chine ou la Russie). Sa lecture nourrira les travaux de recherche sur l'industrie musicale contemporaine ou, plus largement, sur le rôle des nouveaux médias sur l'industrie culturelle. A cet effet, on pourra le lire en complément ou contrepoint de l'ouvrage minutieux et idiosyncratique de Jonathan Sterne sur le MP3 (2012), ou du travail d'historisation plus large mené par Lisa Gitelman (2006) (qui compare les débuts de l'industrie phonographique à ceux de l'industrie numérique).

7 Il convient en dernier lieu de saluer le corpus croissant de publications, colloques et groupes de recherche dédiés aux rapports du numérique au musical (dans les domaines

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de consommation, production, création, etc.). Il me semble toutefois que l’on peut et doit faire (ou refaire), dans l'étude des nouvelles communications, la part à l’analyse critique, sous peine de remplacer un cliché par un nouveau cliché.

BIBLIOGRAPHIE

DIBBELL J. (2004), « Unpacking our Hard Drives : Discophilia in the Age of Digital Reproduction », in E. WEISBARD (ed.), This Is Pop – In Search of the Elusive at Experience Music Project, Cambridge, Harvard University Press, p. 279-288.

HESMONDHALGH D. (2010), « Music, Digitalization and Copyright », in MURDOCK G. et GOLDING P. (eds.), Digital Dynamics : Engagments and Connections, New York, Hampton Press.

KUSEK D. et LEONHARD G. (2005), The Future of Music : Manifesto for the Digital Music Revolution, Boston, Berklee Press.

GITELMAN L. (2006), Always Already New : Media, History, and the Data of Culture, Cambridge, MIT Press.

JANOWSKA A. A. (2011/2), « L’avenir de la musique après la révolution numérique : Opportunités et contraintes pour l’industrie du disque », Sociétés, n° 112, p. 87-94.

MCCOURT T. (2005), « Collecting Music in the Digital Realm », Popular Music and Society, vol. 28, n° 2, p. 249-252.

SEXTON J. (2008), « The State of Music in a Digital Age (and case study on the iPod) », in G. CREEBER et R. MARTIN (eds), Digital Culture : Understanding New Media, Maidenhead, Open University Press, p. 92-106.

STERNE J. (2012), MP3 : The Meaning of a Format, Cambridge, MI

NOTES

1. Journalistes, managers, producteurs, musiciens, présentateurs radiophoniques, directeurs de labels. 2. A l'instar de l'excellente série Electronic Mediations publiée par Minnesota University Press. 3. Cf. le manifeste polémique de Kusek et Leonhard (2005) sur la « mort » de l'industrie du disque. 4. On se réfèrera notamment aux contributions de Dibbell (2004), McCourt (2005) ou Sexton (2008).

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INDEX

Mots-clés : industrie du disque / musicale, internet, peer-to-peer / partage de fichiers Keywords : music / recording industry, peer-to-peer / filesharing, internet

AUTEURS

ELODIE ROY

Elodie A. ROY a effectué sa thèse de doctorat au sein de l’International Centre for Music Studies (ICMus, Newcastle University). Son travail examine la culture matérielle de la musique et en particulier les relations entre supports enregistrés et pratiques mémorielles, en particulier dans un contexte numérique dématérialisé. Elle est spécialiste de l’histoire des maisons de disque indépendantes britanniques. Elle a publié dans les domaines de la musique populaire et de la littérature française (chapitre dans l’ouvrage collectif Le Cœur dans tous ses Etats – Essais sur la Littérature et l’Art français, Peter Lang, 2013). Ses publications en cours comprennent un chapitre de livre sur Sarah Records dans l’ouvrage collectif LitPop – Literature and Pop Music (Ashgate) et un article traitant de l’archivage numérique de la musique (pour Networking Knowledge). Elle est la co-organisatrice, avec Dr Richard Elliott, du colloque “Musical Materialities in the Digital Age” ().

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Gabriel SEGRÉ, Fans de… Sociologie des nouveaux cultes contemporains

Laetitia Biscarrat

RÉFÉRENCE

Gabriel Segré (2014), Fans de… Sociologie des nouveaux cultes contemporains, Paris, Armand Colin, 310 p.

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1 L’OUVRAGE DE GABRIEL Segré propose d’étudier le phénomène de célébration des vedettes tant du côté des fans que de la patrimonialisation des stars défuntes. Dès l’introduction, l’auteur prend soin de clarifier son positionnement au regard des métaphores religieuses qui imprègnent la notion de fan. Il propose, à la suite de Nathalie Heinich (2012), de se saisir du champ notionnel du culte comme « outil méthodologique » (12). Ce déplacement permet d’analyser l’attachement individuel et collectif aux vedettes au regard de la notion de mythe, qui pose la question de la construction du récit et de l’idéologie. Elle permet à l’auteur de mettre au jour des invariants mais aussi de porter un regard politique sur ces cultes contemporains.

2 Le premier chapitre constitue un historique des termes et des travaux académiques sur les stars et les fans. Le chapitre 2 traite du processus de patrimonialisation à l’œuvre au décès de la vedette. L’auteur identifie les acteurs et les lieux de mémoire. L’étude de cette mobilisation contre l’oubli conduit à l’observation d’un principe narratif récurrent. La patrimonialisation des vedettes s’accompagne d’une hagiographisation, soit une mise en récit de la vie des vedettes à « fonction célébrative » (72) dont traite le chapitre 3. Les caractéristiques communes à ces vedettes célébrées s’organisent selon l’auteur autour de trois dimensions : vocationnelle, sacrificielle et christique. Par ailleurs, « le récit biographique de ces grandes vedettes disparues est un récit ascensionnel » (94), inspiré par La légende dorée, hagiographie moyenâgeuse de la vie des saints. Il est structuré par le motif de la revanche sur le destin. Puis, le « récit hagiographique devient récit mythique » (117). Il prend une fonction étiologique analysée dans le chapitre 4. La vedette devient le héros d’une histoire vraie, exemplaire et significative. Elle porte les valeurs et les représentations collectives d’une époque. Après avoir décrit ces phénomènes de patrimonialisation et de mythification des vedettes, Gabriel Segré s’attache à en identifier les raisons dans le chapitre 5. Il en dénombre huit : économique, politique/ idéologique, communautaire, anthropologique, psychique/psychologique, nostalgique, particulariste. Si les stars défuntes sont fédératrices, ce consensus est le fruit d’un travail de dépolitisation qui tend à convertir des célébrités contestataires en héros policés. « Le mythe est une parole dépolitisée » écrivait Barthes (1957 : 216). La neutralisation du poids politique de la vedette témoigne de la capacité du système capitaliste à convertir la parole contestataire en un produit de consommation.

3 Les trois derniers chapitres de l’ouvrage sont consacrés aux fans. Le chapitre 6 traite des profils de fans. L’auteur rappelle que nous ne disposons pas de données précises sur l’appartenance socioprofessionnelle, démographique et culturelle des fans. De fait, il a recours à des idéaux-types et à une description de parcours et trajectoires de fans.

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Cette description se poursuit dans le chapitre 7 où l’auteur propose de catégoriser les fans en fonction de leurs rites et croyances. Le chapitre 8 prend en charge la question des jugements sociétaux portés sur les fans. L’auteur souligne que la critique des fans témoigne d’un mépris de classe pour la culture populaire. Il argumente que le fan est aussi un créateur. John Fiske (1992) a identifié trois types de productivité des fans : sémiotique, énonciative et textuelle. Gabriel Segré propose d’enrichir cette typologie avec la production notoriétale, c’est-à-dire la lutte pour la reconnaissance de la vedette. Les fans travaillent dès lors pour et avec l’industrie culturelle en tant qu’ils participent à la production de « leur propre capital culturel, sinon de leur propre culture » (253). Le dernier chapitre se penche sur l’investissement temporel, économique et affectif des fans dans leur passion. Les sacrifices et renoncements qu’implique l’activité des fans sont rétribués à l’aune des satisfactions que ces derniers en retirent. Suivant la logique du don contre-don (Mauss), la relation à la vedette permet aux fans de surmonter des difficultés. Elle participe de la construction identitaire et peut parfois conduire à une inscription professionnelle. Quant aux rivalités acerbes dans le monde des fans, elles témoignent des fortes hiérarchies qui le structurent. La légitimité du fan obéit à des critères précis en termes de savoirs, collections et investissement. Leur capital culturel opère comme un outil de distinction sociale.

4 Si le lecteur peut regretter quelques lenteurs, du fait d’un raisonnement très progressif et d’exemples répétés à plusieurs reprises, l’ouvrage de Gabriel Segré présente l’intérêt de fournir un vaste panorama du monde des fans. Les nombreuses références aux travaux académiques du champ en font une bonne entrée en matière. Enfin, l’explicitation du phénomène de patrimonialisation des vedettes offre un point de vue renouvelé sur le fandom.

BIBLIOGRAPHIE

BARTHES Roland (1957), Mythologies, Paris, Seuil.

FISKE John (1992), « The cultural economy of fandom », in LEWIS L. A. (dir.), The Adoring Audience: Fan Culture and Popular Media, Londres, Routledge, p. 30-49.

HEINICH Nathalie (2012), De la célébrité. Excellence et singularité en régime médiatique, Paris, Gallimard.

MAUSS Marcel (2012) [1925], Essai sur le don. Forme et raison de l’échange dans les sociétés primitives, Paris, PUF.

INDEX

Mots-clés : fans / amateurs Keywords : fans / fandom

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AUTEURS

LAETITIA BISCARRAT

Laetitia BISCARRAT est docteure en Sciences de l’Information et de la Communication, membre associée de l’EA MICA – Médiation, Information, Communication, Arts, Université Bordeaux Montaigne. Ses travaux portent sur la fabrique du genre dans la fiction télévisuelle. mail

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