Du gaspillage au joyau : patrimonialisation de la rivière Nastapoka, (1990-2015)

Mémoire

Arielle Frenette

Maîtrise en sciences géographiques - avec mémoire Maître en sciences géographiques (M. Sc. géogr.)

Québec, Canada

© Arielle Frenette, 2019

Du gaspillage au joyau Patrimonialisation de la rivière Nastapoka, Nunavik (1990-2015)

Mémoire

Arielle Frenette

Sous la direction de :

Étienne Berthold, directeur de recherche Najat Bhiry, codirectrice de recherche

Résumé

Le Nord québécois est aujourd’hui largement considéré par les chercheurs comme un territoire de représentations construites par une série de discours parfois contradictoires. La représentation territoriale se définit comme le sens donné à un territoire ou à un élément du territoire : l’étude de la géographie des représentations revêt donc une importance particulière dans le contexte actuel où les territoires nordiques québécois sont de plus en plus aménagés. Quelles représentations du territoire sous-tendent la mise en protection d’espaces naturels au Nunavik? Par l’étude de cas de l’inclusion du bassin versant de la rivière Nastapoka aux limites du Parc national Tursujuq, nous utilisons ici le concept de patrimoine afin de documenter les représentations du territoire nordique. En effet, en définissant le patrimoine comme un objet reconnu par la société comme ayant une valeur méritant d’être conservée, le patrimoine naturel peut être compris comme une forme de représentation territoriale. Par cette étude de cas, nous cherchons à répondre à la question suivante : est-ce que (et comment, le cas échéant) une représentation du territoire peut influencer les processus de mise en valeur du patrimoine?

Nous procédons par une analyse de contenu appliquée aux discours pour caractériser, d’un point de vue critique, le processus de mise en patrimoine de la rivière Nastapoka, de 1990 à 2015. Nous avons identifié trois groupes d’acteurs ayant contribué au débat, soit la population locale (), l’État québécois, ainsi que les groupes scientifiques et environnementalistes. Les résultats suggèrent que le territoire de la rivière Nastapoka est représenté par les résidents d’Umiujaq comme essentiel à la pratique du mode de vie traditionnel, alors que les groupes scientifiques et environnementaux portent une représentation d’un écosystème vulnérable. Enfin, les différents plans d’aménagement proposés par le gouvernement du Québec démontrent une conception des aires protégées comme des espaces résiduels au développement des ressources, selon notre analyse.

Mots-clés : Patrimoine naturel ; Représentations territoriales ; Rivière Nastapoka ; Parc national Tursujuq ; Nunavik

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Abstract

Today, researchers widely consider Northern as being a “territory of representations” built by a series of sometimes contradictory discourses. Territorial representation is defined as the meaning given to a territory or landscape by society. Studying representations in geography is thus a significant approach in the current context in which Quebec's northern territories (Nunavik) are increasingly targeted by development. What territorial representations underlie the protection of natural areas in Nunavik? This research project is based on a case study of the inclusion of the Nastapoka River watershed within the boundaries of Tursujuq National Park. We use the concept of heritage to document representations of the northern territory. Indeed, by defining heritage as an object recognized by society as having a value worth preserving, natural heritage can be understood as a form of territorial representation. Through this case study, we seek to answer the following question: can (and how, if at all) a representation of the territory influence heritage construction processes?

We proceed through discourse analysis to characterize, from a critical perspective, the Nastapoka River heritage construction process from 1990 to 2015. We identified three main groups of stakeholders participating in the debates, namely the local population (Umiujaq), the Quebec government, as well as scientific and environmental groups. Results suggest that the Nastapoka River area is represented by the residents of Umiujaq as essential to the practice of a traditional way of life, while scientific and environmental groups view this territory as a vulnerable ecosystem. Finally, the various plans proposed by the Government of Quebec demonstrate that protected areas are understood by the state planners as a compensation for resource development.

Keywords: Natural heritage; Territorial representations; Nastapoka River; Tursujuq National Park; Nunavik

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Table des matières

Résumé ...... ii Abstract ...... iii Table des matières ...... iv Liste des figures ...... vi Liste des tableaux ...... vii Liste des abréviations et des sigles ...... viii Remerciements ...... x Introduction ...... 1 Chapitre 1 Cadre théorique et conceptuel ...... 4 Introduction ...... 4 1.1 Problématique ...... 4 1.2 Objectifs et hypothèse ...... 9 1.3 Site d’étude ...... 10 1.4 Cadre théorique ...... 12 1.5 Cadre conceptuel ...... 15 1.5.1 La représentation : concepts afférents et véhicules ...... 15 1.5.2 Patrimoine ...... 17 1.5.3 Développement durable ...... 21 1.6 Méthodologie ...... 23 1.6.1 Source et collecte des données ...... 23 1.6.2 Mode de traitement des données ...... 24 1.6.3 Portée et limites des données ...... 26 Conclusion ...... 27 Chapitre 2 Le Nord québécois, le Nunavik et le(s) projet(s) du siècle ...... 28 Introduction ...... 28 2.1 Chronologie de l’intervention étatique au Nunavik ...... 28 2.1.1 La Révolution tranquille et le Nord du Québec ...... 29 2.2 Le projet La Grande : entrée en scène d’opposants sous-estimés...... 32 2.2.1 Convention de la Baie-James et du Nord québécois ...... 33 2.2.2 Le projet Grande-Baleine ...... 37 2.3 Le Nunavik aujourd’hui : aperçu ...... 43 2.4 Inuit Nunavimmiut : construction d’une identité régionale ...... 44 2.5 Retour aux sources à Umiujaq ...... 47

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Conclusion ...... 49 Chapitre 3 Processus de création d’un parc national au Nunavik ...... 50 Introduction ...... 50 3.1 Processus formel de création du parc national : aperçu ...... 50 3.1.1 Lois provinciales et intérêt du Québec pour la création d’aires protégées ...... 50 3.1.2 Réglementation spécifique au Nunavik ...... 56 3.2 Évolution des limites du territoire réservé pour un parc ...... 57 3.3 Publication du Plan directeur provisoire ...... 65 3.4 Accueil du projet dans la communauté ...... 69 Conclusion ...... 75 Chapitre 4 Le parc en débats : analyse discursive ...... 76 Introduction ...... 76 4.1 Audiences publiques de juin 2008 ...... 76 4.1.1 Populations locales crie et inuit ...... 77 4.1.2 Citoyens non bénéficiaires ...... 89 4.1.3 Organismes scientifiques et environnementaux ...... 91 4.1.4 Hydro-Québec ...... 110 4.2 Caractérisation de la rivière Nastapoka à travers les discours ...... 112 4.2.1 L’aménagement de la rivière Nastapoka dans les médias ...... 114 4.2.2 Un site historique : cérémonie et production du documentaire Inuit-Cree Reconciliation ...... 116 Conclusion ...... 120 Chapitre 5 Discussion : le parc, territoire de représentations ...... 122 5.1 Rappel des grandes articulations du travail ...... 122 5.1.1 Retour sur l’hypothèse ...... 123 5.2 Synthèse critique des principaux résultats ...... 125 5.2.1 Construction d’un argument patrimonial : les principales étapes ...... 125 5.2.2 Jeu d’acteurs : intérêts, compromis et représentations ...... 128 5.2.3 Quelle compréhension du patrimoine naturel en territoire autochtone à l’ère des changements climatiques ? ...... 137 Conclusion ...... 141 Bibliographie ...... 144

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Liste des figures

Figure 1 : Les délimitations et les sous-régions du nord québécois (Tiré de Simard, 2017 : 267). Avec la permission de l'auteur...... 5 Figure 2 : Évolution des frontières du Québec selon le territoire actuel ...... 6 Figure 3 : Situation du Parc national Tursujuq dans la province de Québec ...... 11 Figure 4 : Bassin versant de la rivière Nastapoka par rapport au Parc national Tursujuq ...... 12 Figure 5 : La lecture de l'espace en géographie sociale (Molina et al., 2007 : 319) ...... 14 Figure 6 : La démarche méthodologique selon Molina et al. (2007 : 320) ...... 25 Figure 7 : Division des terres du Nunavik selon la CBJNQ (Makivik et al., 2014 : 7) ...... 35 Figure 8 : Exclusion de la rivière Nastapoka des plans d'aménagement de Grande-Baleine (Hydro-Québec, 1993) ...... 42 Figure 9 : Provinces et régions naturelles du Québec (Québec, 1999 : s.p.)...... 51 Figure 10 : Évolution du territoire réservé pour un parc, 1992-2013 ...... 58 Figure 11 : Proposition d'aménagement par le MNRF, 2011 (ARK, 2012 : s.p.) ...... 62 Figure 12 : Proposition finale pour les limites du Parc national Tursujuq (MDDEP, 2012 : 7) ...... 63 Figure 13 : Sommaire des modifications et exclusions apportées au territoire réservé pour un parc et liées au développement économique ...... 64 Figure 14 : Aires d'intérêt pour le parc (1-Rivière Nastapoka et littoral ; 2-Lac Guillaume-Delisle ; 3-Lac à l'Eau Claire ; 4-Petit lac des Loups Marins et lac des Loups Marins) (ARK, 2007 : 173) ...... 67 Figure 15 : Situation du Parc national Tursujuq par rapport aux terres de catégorie I et II ...... 71 Figure 16 : Carte présentée par Nature Québec au MDDEP dans le cadre des audiences publiques, juin 2008 (NQ, 2008a : 6) ...... 103 Figure 17 : Annexe photographique illustrant le paysage à la rivière Nastapoka (Garand, 2008b) ...... 106 Figure 18 : Annexe photographique illustrant la faune observée (Garand, 2008b) ...... 109 Figure 19 : Projet d'aménagement hydroélectrique de la Nastapoka par rapport au parc national des Lacs- Guillaume-Delisle-et-à-l'Eau-Claire, 2006 (HQ, 2008 : 8) ...... 113 Figure 20 : Nombre d’articles médiatiques selon l'année (2001-2017) ...... 114 Figure 21 : Couverture médiatique selon la thématique, par nombre d’articles selon l’année (2001-2017) ... 115 Figure 22 : Scène typique d'Umiujaq, juillet 2018 (photographie de l'auteure) ...... 142

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Liste des tableaux

Tableau 1 : Résultats des votes pour la création du Parc national Tursujuq, Kuujjuarapik et Umiujaq (avril 2012) ...... 74

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Liste des abréviations et des sigles

AMQ : Association minière du Québec

ANQ : Assemblée nationale du Québec

APNQL : Assemblée des Premières Nations du Québec et du Labrador

ARC : Administration régionale crie

ARK : Administration régionale Kativik

CBH : Compagnie de la Baie d’Hudson

CBJNQ : Convention de la Baie James et du Nord québécois

CCEK : Comité consultatif de l’environnement de Kativik

CCNSA : Centre de collaboration nationale de santé autochtone

CEN : Centre d’études nordiques

DGNQ : Direction générale du Nouveau-Québec

FCNQ : Fédération des coopératives du Nouveau-Québec

GIEC : Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat

IBC : Initiative boréale canadienne

ICAN : Inuit Citizen’s Assembly of Nunavik

MDDEP : Ministère du développement durable, de l’environnement et des parcs

MELCC : Ministère de l’environnement et de la lutte contre les changements climatiques

MERN : Ministère de l’énergie et des ressources naturelles

MNRF : Ministère des forêts, de la faune et des parcs

RNCREQ : Regroupement national des conseils régionaux de l’environnement du Québec

SNAP : Société pour la nature et les parcs du Canada

UICN : Union internationale pour la conservation de la nature

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Quelque part Dans le Nutshimit Quelque part La grandeur De la Terre

JOSÉPHINE BACON Extrait de Quelque Part, 2018

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Remerciements

Je tiens d’abord à remercier mon directeur de recherche, Étienne Berthold, pour son appui et la confiance qu’il m’a exprimée à travers ce projet et les nombreux autres que nous avons réalisés ensemble et à travers lesquels j’ai appris énormément. Je remercie également ma codirectrice, Najat Bhiry, pour son ouverture, son appui et son assiduité tout au long du projet, ainsi que Caroline Desbiens, évaluatrice, pour ses judicieux conseils et suggestions de lecture. Enfin, je tiens à souligner la participation de Michel Allard au projet, dont l’enthousiasme et les connaissances ont été une source de grand réconfort.

Un merci tout spécial à la communauté d’Umiujaq pour leur accueil chaleureux et leur partage. Mon expérience parmi eux n’aurait pas été si agréable sans l’amitié d’Annie Kasudlak, de Michel Harcc- Morissette, de Bobby Alec Tooktoo, et de Charlie Kumarluk, Jessie Aragutak et leur fille Glory, qui m’ont fait découvrir leur magnifique territoire.

Ce projet n’aurait pas été possible sans l’appui constant de ma famille et de mes amis, qui ont grandement contribué par leur présence, leur écoute et leur humour à rendre ces dernières années aussi agréables qu’elles ont pu être enrichissantes.

Je tiens également à souligner ma gratitude à toute l’équipe des iGéo et de l’UGI, avec qui j’ai pu cheminer professionnellement à travers des expériences instructives et dont je sors grandie. Merci à Matthew Hatvany, Marie-Pierre Guy-Dorion et Maxwell Bouchard pour la confiance qu’ils m’ont accordée tout au long de cette aventure en m’accueillant dans leur équipe, ainsi qu’à Pauline Pic et aux nombreux bénévoles pour leur aide inestimable.

Enfin, ce projet a reçu le soutien financier et logistique du Centre d’études nordiques, de l’Institut Hydro- Québec en environnement, développement et société (Institut EDS), de même que du Fonds de recherche du Québec Société et culture (FRQSC) et du programme Sentinelle Nord. Cet appui a été d’une grande aide pour la réalisation de ce mémoire et je tiens à remercier les organismes pour leur confiance.

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Introduction

En 2019, un groupe d’experts de l’ONU sur la biodiversité reconnaissait aux groupes autochtones de la planète un rôle de « gardiens assiégés de la nature mondiale » (Agence France-Presse, 2019 : s.p.), dans le cadre d’un rapport alarmant portant sur le déclin de la biodiversité et des écosystèmes. Les auteurs de ce rapport notent que les territoires autochtones, moins soumis au développement, sont les mieux conservés ; ils concluent à la nécessité de reconnaître les droits des peuples autochtones, sous peine de perdre ces gardiens de la nature et leurs territoires, lesquels font face à une pression de plus en plus forte du développement industriel.

Force est de constater qu’à l’échelle internationale, la question des changements climatiques s’impose comme un nouveau paradigme du développement et de l’aménagement du territoire, induisant une implication de plus en plus grande des peuples autochtones dans les débats (Maraud et Desbiens, 2017). Le mythe de l’Indien écologique, à travers lequel l’Autochtone est perçu comme un « Bon sauvage qui vit en harmonie avec la nature » (Ibid. : 75) est l’image romantique idéalisée portée par les occidentaux sur l’Autochtonie, largement déployée dans cette situation. Au cours des dernières décennies, le mythe de l’Indien écologique a toutefois été repris par les Autochtones eux-mêmes, et s’est vu instrumentalisé dans les débats d’aménagement du territoire, où les notions de spiritualité et de patrimoine rencontrent celles du développement industriel (voir Radio-Canada, 2018).

Au Québec, la publication du Plan Nord en 2011 a été fortement critiquée par les groupes autochtones (APNQL, 2011) comme scientifiques (Asselin et Hébert, 2011 ; Rivard et al., 2011 ; Gombay, 2013) et environnementaux (Nadeau, 2011), notamment sur le point de la prise en compte des visions autochtones du territoire et l’inclusion des communautés locales dans les projets de développement. Le Plan Nord prévoyait l’accélération du développement industriel surtout minier, de même que la mise en réserve de 50% du territoire pour le préserver de ce développement – une mesure également critiquée pour son manque de précision (Berteaux, 2013). Le point de la création des aires protégées a toutefois été relativement peu évoqué par la littérature scientifique, ce qui ouvrait la voie à un projet de recherche qui, s’il portait effectivement sur les pratiques aménagistes de l’État en territoire nordique autochtone, différait de la littérature existante portant le plus souvent sur le développement industriel (Mercier et Richtot, 1997 ; Martin, 2001 ; Simard, 2012 ; Desbiens, 2014 ; Cameron, 2015 ; Gagnon, 2019). À cet effet, l’inauguration du parc national Tursujuq, le « plus grand parc de l’est de l’Amérique du Nord » (Cabinet du MDDEP, 2013), concrétisait certains objectifs du Plan Nord et semblait un bon

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point de départ pour un projet de recherche dans le cadre de ce mémoire de maîtrise ; d’autant plus que le projet de parc était en discussion depuis près d’une trentaine d’années (Bibaud et Grenier, 2012).

Une revue de littérature préliminaire a en effet laissé entrevoir un débat riche en discours (Grammond et al., 2012). Le cas spécifique de la rivière Nastapoka, visée par Hydro-Québec pour son potentiel hydroélectrique, puis incluse dans le parc national, s’est imposé comme un site d’étude particulièrement intéressant pour ce projet de recherche. Les témoignages relatant son inclusion étaient, à première vue, prometteurs pour l’étude d’une belle réussite de collaboration. À titre d’exemple, la rivière Nastapoka est abordée à quelques reprises dans les témoignages recueillis dans le Parnasimautik (Makivik et al., 2014). Ce document est produit par les Inuit du Nunavik, qui, en réponse à ce Plan Nord, ont réagi en menant une vaste campagne de consultation des communautés afin de produire un texte présentant leur vision du développement (Arteau et Hébert, 2011 ; Makivik et al., 2014). Un extrait en particulier attire l’attention :

Working together we were able to have the Nastapoka River included in the Tursujuq Park. The Nastapoka is now protected from industrial development. United we can make sure that development respects what is important to us (Participant de Puvirnituq cité dans Makivik et al., 2014 : 163).

Une première lecture des témoignages porte en effet à considérer l’inclusion de la rivière Nastapoka au sein des limites du Parc national Tursujuq comme un récit d’entraide et de succès, finalement, pour tous les Nunavimmiut. Les débats étaient par ailleurs prometteurs d’une abondance de sources à analyser, déjà abordés en partie par les chercheurs, mais de manière somme toute superficielle (Joliet, 2011 ; 2012 ; Bibaud et Grenier, 2012 ; Grammond et al., 2012). Nous avons donc entrepris un projet visant à documenter ces événements, que nous avons rapidement compris comme une histoire de réussite – peut-être un peu naïvement. Le projet a été construit sur les représentations territoriales pouvant être confrontées entre le gouvernement québécois et les Nunavimmiut, en centrant l’analyse sur le concept de patrimoine naturel. Nous avons donc formulé la question suivante :

Quelles représentations du territoire sous-tendent la mise en protection d’espaces naturels au Nunavik? Est-ce que (et comment, le cas échéant) une représentation du territoire peut influencer les processus de mise en valeur du patrimoine ?

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L’hypothèse de recherche était que l’État voyait le territoire nordique d’une façon utilitariste, alors que les Inuit d’Umiujaq (le village le plus près du parc) y voyaient plutôt un espace d’ancestralité lié à la pratique d’activités traditionnelles. Afin de répondre à ces questions, ce mémoire a été construit en cinq chapitres.

Premièrement, nous présentons la problématique du projet de recherche et définissons les cadres théorique et conceptuel à travers lesquels nous analysons les résultats, de même que la méthodologie employée pour la collecte et le traitement des données. Les résultats sont présentés en trois chapitres. Le chapitre 2 dresse un survol historique pour mieux comprendre le contexte dans lequel se sont déployés les événements à l’étude. Au chapitre 3, nous décrivons les étapes formelles de la création d’un parc au Nunavik, soit le cadre législatif et politique. Ce même chapitre présente également le cheminement du projet de parc national, en amont des consultations publiques, en posant un regard sur les discours de la population d’Umiujaq par rapport au projet. Enfin, le quatrième chapitre présente, le plus exhaustivement possible, les discours prononcés aux audiences publiques tenues en 2008 par le MDDEP à Umiujaq et à Kuujjuarapik. Nous y présentons également les principaux discours de la période 2008-2013, laquelle coïncide avec une période de négociations entre les audiences publiques (2008) et l’inauguration officielle du parc (2013). Finalement, nous proposons au chapitre 5 notre interprétation des résultats présentés.

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Chapitre 1 Cadre théorique et conceptuel

Introduction Ce premier chapitre vise à préciser les bases théoriques du projet, en incluant une problématique détaillée, la question, l’hypothèse et les objectifs de recherche. Nous situons le site d’étude, ainsi que le cadre théorique et conceptuel sur lesquels se base l’étude. Enfin, la section méthodologie détaille les modes de collecte et de traitement des données.

1.1 Problématique Le « Nord » québécois est considéré aujourd’hui par les chercheurs comme un territoire de représentations, un espace de l’imaginaire construit par une série de discours parfois contradictoires (Collignon, 2003 ; Chartier, 2008; Canobbio, 2009). Son éloignement, son isolement, son étendue et son exotisme frappant l’imaginaire, le Nord est pour les uns un territoire mythique, aux limites de l’écoumène ; pour les autres, c’est plutôt une terre de ressources, qu’elles soient nourricières, ou qu’elles forment un potentiel de développement économique ouvert à l’exploitation (Collignon, 2003 ; Dorais, 2008 ; Canobbio, 2009 ; Arteau et Hébert, 2011 ; Rivard et al., 2011 ; Milot et Larivière, 2012 ; Duhaime et al., 2013).

La représentation1 d’un Nord désert, inhospitalier, impropre à la vie humaine est la plus puissante, prévalant toujours aujourd’hui (Collignon, 2003 ; Canobbio, 2009 ; Duhaime et al., 2013). Cette représentation est fortement diffusée par la culture populaire, tel que le mentionne Collignon (2003):

Dans notre imaginaire, l’Arctique inuit est celui de Nanook l’Esquimau: une immensité déserte et glacée, un espace figé dans le froid et la neige, un environnement sans arbres habité par des hommes ingénieux, dotés d’un sens de l’humour aussi solide que leur résistance physique. La banquise s’impose immédiatement à notre esprit pour dire le milieu insolite dans lequel vivent “les hommes du pôle” et le diktat que des conditions extrêmes leur font vivre (Collignon, 2003 : 35).

Cette représentation s’arrime avec celle d’une terra nullius, ou terra incognita, telle qu’elle apparaît sur les cartes de la Nouvelle-France, une terre inhabitée, ou tellement peu densément peuplée que les personnes qui y vivent, quelques « peuplades étranges » (Duhaime et al., 2013 : 478) sont trop peu nombreuses pour être prises en compte (Desbiens, 2014). Toutefois, ce territoire se définit d’abord

1 Ce concept sera plus amplement défini à la section 1.4 de ce chapitre.

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selon Dorais comme étant celui des Inuit qui le percevraient comme « une terre d’abondance où il fait bon vivre, plutôt que comme un désert froid et sombre impropre à l’existence humaine » (Dorais,

Figure 1 : Les délimitations et les sous-régions du nord québécois (Tiré de Simard, 2017 : 267). Avec la permission de l'auteur.

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Figure 2 : Évolution des frontières du Québec selon le territoire actuel

2008 : 10). C’est un territoire vécu, nommé et nourricier pour ceux qui le connaissent, mais pouvant s’avérer dangereux lorsque méconnu (Dorais, 2008 ; Arteau et Hébert, 2011).

D’un point de vue géographique, ce « Nord » est toutefois difficile à délimiter, tel que démontré par Simard (2017) sur la Figure 1. Selon le contexte, le Nord peut être défini en fonction de la latitude, des conditions biophysiques ou climatiques, en suivant la limite des arbres par exemple : un chevauchement de ces critères amène toutefois un certain flou quant à la définition du « Nord ». Les frontières, parce qu’elles sont tracées par des humains, sont toujours une forme de représentation sociale (Klein et Lasserre, 2011) ; la définition du Nord n’y fait pas exception. Au Québec, les limites du « Nord » ont évolué dans le temps, le territoire de la province se dessinant au fil de lois fédérales d’extension des frontières du Québec. Ainsi, la région de la Terre de Rupert couvrant le nord de l’Abitibi- Témiscamingue et une partie de la région de la Baie-James est annexée en 1898, puis la péninsule de l’Ungava en 1912 (Figure 2). L’évolution des frontières nordiques est associée, selon certains chercheurs, à une représentation du Nord québécois comme une promesse de richesses, une ultime

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frontière et un bassin d’infinies ressources (Morissonneau, 1979 ; Canobbio, 2009 ; Desbiens, 2014 ; Duhaime et al., 2013). Pour les Québécois, la conquête du Nord et de ses ressources rappelle les exploits du mythique colon défricheur, pionnier bâtisseur de l’identité canadienne franco-catholique puis de l’identité québécoise, selon l’époque (Morissonneau, 1979 ; Canobbio, 2009 ; Desbiens, 2014).

Le « Nouveau-Québec » est ainsi intégré aux limites du territoire québécois en 1912, redéfinissant la limite québécoise nordique, le « front pionnier » jusqu’alors défini par les régions de l’Abitibi- Témiscamingue et des Laurentides (Morissonneau, 1979 ; Hamelin, 1995 ; Desbiens, 2014 ; Canobbio, 2009). Ce n’est toutefois qu’à partir des années 1960, dans un mouvement d’autonomisation du gouvernement québécois par rapport à l’administration fédérale, que cette région (aujourd’hui Eeyou- Itschee et Nunavik) commence réellement à être considérée dans les politiques provinciales (Canobbio, 2009 ; Desbiens, 2014). Cet immense territoire devient une « Terre promise » pour les Québécois méridionaux à la fin des années 1960 ; et c’est dans cet ordre d’idées que le Premier ministre Robert Bourassa annonce en 1971 le « projet du siècle », soit un titanesque plan de développement hydroélectrique des rivières de la Baie James (Martin, 2003 ; Canobbio, 2009 ; Desbiens, 2014). Ce mégaprojet, dont il sera plus amplement question au chapitre 2 de ce mémoire, allait permettre non seulement de développer les ressources du territoire québécois, mais également d’y affirmer la présence et l’identité des Québécois, tout en témoignant de l’immensité et de la richesse de ce territoire (Desbiens, 2014). Le « projet du siècle » de Bourassa se basait sur la représentation d’une terra nullius, une terre vide (Canobbio, 2009 ; Desbiens, 2014). La construction de cet immense projet hydroélectrique excluait totalement les Cris et les Inuit qui habitent sur le territoire. Ceux-ci s’y sont opposés par la voie des tribunaux, obtenant un gain de cause partiel qui allait obliger le gouvernement québécois à négocier une entente (Desbiens, 2014).

C’est ainsi qu’en 1975, les Cris et les Inuit signaient la Convention de la Baie James et du Nord québécois (CBJNQ) avec le gouvernement québécois (Québec, 1998). Cet « accord historique », bien qu’il ne fasse pas l’unanimité, a eu pour effet de bouleverser la vie politique des Inuit du Québec (Martin, 2003 : 39 ; Qumaq, 2010). Dans le mouvement d’une plus grande autonomie de gestion, les Inuit du Nouveau-Québec ont nommé leur territoire « Nunavik » dans les années 1980 (Dorais, 2008) et ont pris en charge une partie de l’administration régionale et municipale en créant un ensemble d’institutions administratives régionales, dont il sera plus amplement question au chapitre 2. Ainsi, bien que l’autonomie de gestion par les Inuit demeure relativement limitée, la CBJNQ a permis d’intégrer –

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du moins minimalement – leurs intérêts dans les affaires publiques (Martin, 2003 ; Canobbio, 2009). La CBJNQ, créant un précédent entre le gouvernement québécois et les Nunavimmiut (Inuit du Nunavik), a par ailleurs rendu possible la signature de nouvelles ententes formelles, dont la plus importante est l’entente Sanarrutik, signée en 2002 (Makivik et al., 2014). Établie dans un contexte collaboratif entre les administrations québécoise et nunavimmiut, l’entente Sanarrutik consiste en un plan de développement économique et communautaire, prévoyant la mise en valeur des industries minière, hydroélectrique et touristique de manière à favoriser le bien-être et l’accès à l’emploi pour les communautés locales (Makivik et al., 2014).

Si un changement de vision s’opère inexorablement dans les affaires régionales, il semble toutefois que les décisions politiques au sud du Québec s’appuient toujours d’une représentation territoriale du Nord comme une terre de ressources à exploiter. De fait, l’annonce en 2011 d’un « Plan Nord » par le gouvernement libéral québécois n’est pas sans rappeler le « projet du siècle » de Bourassa annoncé 40 ans auparavant (Canobbio, 2009 ; Arteau et Hébert, 2011 ; Rivard et al., 2011 ; Halley et Mercier, 2012 ; Simard, 2012 ; Duhaime et al., 2013). S’appliquant aux territoires au nord du 49e parallèle, le Plan Nord visait en premier lieu un accès facilité aux ressources surtout minières, de même que la protection de 50% des territoires naturels (Duhaime et al., 2013). Dans sa première version (2011), le Plan Nord a été grandement critiqué, sur le plan notamment de la place prépondérante de l’industrie privée et du développement économique, au profit des dynamiques sociales et environnementales (Duhaime et al, 2013). La protection de la moitié du territoire naturel a également été reçue avec prudence par les scientifiques et les environnementalistes en raison du caractère résiduel de ces aires protégées qui, sans procédure de nomination, risquent de ne s’appliquer qu’aux parcelles de territoire ne représentant pas d’intérêt d’exploitation (Berteaux, 2013).

Cette rapide chronologie des projets et politique d’aménagement au Québec nordique démontre que ce territoire est de plus en plus ciblé par la planification de l’aménagement du territoire. Les controverses et conflits qui entourent ces projets révèlent pour leur part les compréhensions contradictoires pouvant être issues d’un même territoire : il appert donc, dans ce contexte, que l’étude de la géographie des représentations revêt une importance particulière (Bailly, 1989).

Afin de mieux cerner cette question complexe, ce projet de recherche sera basé sur une étude de cas portant sur le débat de l'inclusion de la rivière Nastapoka et de son bassin versant aux limites du Parc national Tursujuq, situé dans la section sud-ouest du Nunavik, qui a donné lieu à plusieurs

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consultations et débats publics. L’inauguration en 2012 du Parc national Tursujuq incluant la Nastapoka contribue à la soustraire d'un développement hydroélectrique, tout en élargissant le territoire conservé sur une immense superficie de plus de 27 000 km² (Bibaud et Grenier, 2012 ; Martin, 2012 ; Montpetit, 2015a). Ce territoire d’étude s’avère intéressant, puisque les divers projets s’y rattachant, et ce à différentes époques, permettent de documenter l’opposition entre des projets de développement industriel à celui d’une aire protégée. Par ailleurs, la diversité d’acteurs en jeu et les discours divergents qu’ils ont tenus dans le cadre des consultations publiques démontrent de la pluralité des représentations associées à cette parcelle de territoire (Grammond et al., 2012).

D’abord incluse dans les plans du mégaprojet Grande-Baleine dont il sera plus amplement question au chapitre 2, la rivière Nastapoka et son bassin versant sont visés par des projets de conservation dès le début des années 1990 en raison de leur intérêt écologique (Bisson, 1991a ; 1991b). Puis, dans le sillage des débats entourant la création du Parc national Tursujuq, on assiste à l’émergence d’un discours sur la valeur esthétique du lieu : cet argument patrimonial servira de pierre d’assise des débats sur les limites du parc, s’insérant dans un mouvement de patrimonialisation à l’échelle régionale appuyant, selon Canobbio (2009), les populations locales pour asseoir leurs revendications territoriales. Par cette étude de cas, nous cherchons à répondre aux questions suivantes :

Quelles représentations du territoire sous-tendent la mise en protection d’espaces naturels au Nunavik? Est-ce que (et comment, le cas échéant) une représentation du territoire peut influencer les processus de mise en valeur du patrimoine ?

1.2 Objectifs et hypothèse L’objectif principal de ce projet de recherche est de documenter les représentations de l’espace naturel nordique québécois et les processus de mise en valeur patrimoniale s’y rattachant. Les objectifs spécifiques consistent à (1) documenter les relations récentes entre les Inuit Nunavimmiut et le gouvernement québécois quant à l’aménagement du territoire nordique ; (2) contribuer à une meilleure compréhension de la mise en protection des territoires nordiques au Québec dans le contexte de l’entente Sanarrutik et du Plan Nord ; et (3) caractériser le processus ayant mené la rivière Nastapoka à acquérir une valeur patrimoniale.

Nous posons l’hypothèse que les pratiques de mise en protection du territoire naturel nordique sont alimentées par deux représentations territoriales concurrentes. D’une part, une représentation

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utilitariste du territoire est véhiculée par l’État (gouvernement du Québec), alors que les populations locales y attachent plutôt une valeur d’ancestralité associée au mode de vie traditionnel.

1.3 Site d’étude Le territoire à l’étude est situé dans la région du Nunavik, au nord du 55e parallèle québécois. Cette région issue de la CBJNQ fait partie de la région administrative du Nord-du-Québec et s’étend au-delà du réseau routier provincial (Figure 3). Aux 14 villages répartis le long des côtes de la Baie d’Hudson, de la Baie d’Ungava et du Détroit d’Hudson, s’ajoutent la réserve de la Première Nation Crie de Whapmagoostui et des terres de chasse et de trappe exclusives de la Première Nation Naskapi, de même qu’une partie du Nitassinan, le territoire innu revendiqué (non définitif). Les 12 090 personnes résidant au Nunavik en 2011 représentaient 0,15% de la population québécoise, sur un territoire couvrant le tiers de la province (417 148 km²). Une grande majorité des résidents de la région (89,1% en 2011) est d’origine inuit. La population inuit du Nunavik se distingue par ailleurs comme la région de l’Inuit Nunangat (territoire Inuit) où la connaissance de la langue inuit est la plus importante, puisque 99% des Nunavimmiut affirmaient en 2011 pouvoir soutenir une conversation en inuktitut, par rapport à 83% des résidents pour l’ensemble de l’Inuit Nunangat (Duhaime et al., 2015). La question socio- économique du Nunavik sera plus amplement abordée à la section 2.3 de ce mémoire.

Plus spécifiquement, ce projet de recherche porte sur le bassin versant de la rivière Nastapoka et son inclusion au sein des limites du Parc national Tursujuq, ainsi que sur le village d’Umiujaq, en raison de sa proximité – voire de son enclavement – au territoire du parc (Figure 4). Ce village, inauguré en 1986, comptait 444 résidents en 2011 dont 93,6% sont Inuit, composant une population très homogène quant à la composition ethnique (Duhaime et al, 2015). La situation historique et sociale du village d’Umiujaq sera plus amplement discutée à la section 2.5 de ce mémoire.

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Figure 3 : Situation du Parc national Tursujuq dans la province de Québec

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Figure 4 : Bassin versant de la rivière Nastapoka par rapport au Parc national Tursujuq

1.4 Cadre théorique En admettant d’emblée que le Nord est un territoire de représentations, ce mémoire s’insère dans une épistémologie constructiviste de la recherche en sciences humaines, selon laquelle tout élément qui existe doit être compris à travers les yeux de la personne qui l’observe, et ne peut ainsi être considéré que comme une construction sociale (Molina et al., 2007 ; Lévy et Lussault, 2013). Le constructivisme considère que les éléments du réel ne sont pas directement accessibles pour les personnes (les êtres sociaux), puisque celles-ci sont influencées par leur propre vision des choses – leur propre ensemble de représentations –, qu’elles soient individuelles ou collectives. En d’autres termes, tout ce qui existe ne peut qu’être socialement construit, puisqu’un élément du réel n’existe réellement qu’à partir du moment où une personne prend connaissance de son existence, et ce, à travers son filtre socialement

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construit de représentations (Lévy et Lussault, 2013). Le construit est défini par Lévy et Lussault (2013) comme « un artefact, le résultat d’opérations constructives », alors que « la connaissance qu’un individu peut construire d’une « réalité » est avant tout, celle de sa propre expérience de la réalité » (Lévy et Lussault, 2013 : 224).

En définissant la notion de représentation comme l’idée que l’on a d’un élément donné en fonction des référents que l’on possède, nous la comprenons comme une construction sociale. Cette compréhension des représentations de l’espace dans une épistémologie constructiviste est bien reprise par Lévy et Lussault (2013) :

Toutes les représentations de l’espace sont des constructions sociales : constructions, car la représentation procède d’un processus d’énonciation, un acte créatif, qui marque une distance entre la chose représentée et sa représentation, ce qui la distingue de la perception, liée à l’expérience immédiate d’une situation ; sociales, car si la représentation est celle d’un individu, elle est liée à la culture et à la société de celui-ci (Lévy et Lussault, 2013 : 868).

En adoptant cette position, nous visons dans ce projet de recherche à mieux comprendre les représentations associées au territoire à l’étude, en admettant que chacune des représentations en cause est un produit construit. Ce sont donc les représentations du territoire qui sont ici l’objet d’étude, puisque, comme l’indique Chartier, « il n’est pas de pratique ni de structure qui ne soit produite par les représentations, contradictoires et affrontées, par lesquelles les individus et les groupes donnent un sens au monde qui est le leur » (Chartier, 1998 : 72). Afin de comprendre ces représentations, nous procédons en relatant des pratiques et des discours, qui revêtent un double rôle de véhicule de ces représentations (existantes), tout en servant de base aux représentations dans leur processus de construction. Ainsi, tel qu’illustré à la Figure 5, les formes physiques (les éléments du territoire) sont comprises à travers les représentations, qui, elles, influenceront les pratiques – pratiques qui, pour leur part, auront un effet à la fois sur les représentations et sur les formes physiques. Les différentes « sphères » doivent donc être comprises comme indissociables et mutuellement liées.

Ce projet de recherche s’inscrit par ailleurs dans le domaine de la géographie sociale, qui « place l’[H]omme au cœur de son questionnement » (Molina et al., 2007 : 317). Nous cherchons d’abord à comprendre l’interaction entre la société et le milieu en reprenant la vision de Raffestin, dictant que « [l]’objet de la géographie humaine n’est pas pour nous l’espace mais la pratique et la connaissance que les [humains] ont de cette réalité que nous appelons espace » (Raffestin, 1980 : 244 cité dans

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Ibid. : 331). À travers ce mémoire, nous adopterons l’approche de certains travaux de Chartier (2008) et de Canobbio (2009) sur les représentations du territoire nordique, tout en intégrant les principes de « géographie des représentations » défendus par Bourdieu (1980) et Bailly (1989), entre autres. En effet, selon ces auteurs, « [i]l ne peut exister une seule vision d’un lieu » (Bailly, 1989 : 54), et il importe « d’inclure dans le réel la représentation du réel, ou plus exactement la lutte des représentations, au sens d’images mentales, mais aussi de manifestations sociales destinées à manipuler ces images mentales » (Bourdieu, 1980 : 65). La notion de représentation territoriale appliquée au contexte nordique est par ailleurs bien définie par Canobbio (2009) :

La représentation territoriale est un objet géographique qui possède une véritable construction dont la texture historique est souvent complexe et qui, au cœur de l’enjeu géopolitique, sert de fondement à des revendications territoriales contraires. Un même territoire peut alors devenir l’enjeu d’ambitions antagonistes parce qu’il est nourri de représentations différenciées (Canobbio, 2009 : 21).

Ainsi, nous approchons le territoire d’étude comme une « polysémie [d’]espaces vécus » (Bailly, 1989 : 56), en analysant non le territoire réel, mais bien les multiples représentations qui s’y rattachent, et en cherchant à démystifier le processus de construction duquel elles sont issues.

Figure 5 : La lecture de l'espace en géographie sociale (Molina et al., 2007 : 319)

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1.5 Cadre conceptuel

1.5.1 La représentation : concepts afférents et véhicules La notion de représentation sert de base théorique à ce projet de recherche, dans la définition explicitée ci-haut. Afin d’éviter les répétitions, celle-ci ne sera pas définie une seconde fois, mais plutôt brièvement différenciée, en premier lieu, de quelques notions afférentes telles que la perception, le mythe et la culture ; nous définissons en second lieu l’énoncé, le discours et l’argument, ses principaux véhicules, tels que nous les traiterons dans ce mémoire.

1.5.1.1 Perception, mythe, culture

Si la représentation est le produit d’une construction, la perception est une réaction beaucoup plus directe à un phénomène donné ; les perceptions sont la réaction immédiate, sensorielle, d’une personne à un stimuli externe, et l’ensemble de perceptions d’un individu en vient à « constitue[r] sa représentation intérieure (…) du monde de son expérience » (Lévy et Lussault, 2013 : 759). En d’autres termes, les représentations (stables) sont construites sur un ensemble de perceptions (immédiates).

Par « mythe », nous entendons « un système de représentations collectives » (Lévy et Lussault, 2013 : 701), compris comme un « élément structurant des sociétés et des cultures » (Ibid. : 702). Au Québec, par exemple, Morissonneau (1979) a exposé un certain nombre de mythes de la société québécoise occidentale, des représentations ayant influencé la formation d’une identité nationale. De même, selon Duhaime et al., (2013) le mythe du Nord est à considérer comme une image révélatrice de la société qui l’a construit :

Ces images apparues successivement, amalgamées dans l’imaginaire national en un mythe du Nord, sont des représentations, c’est- à-dire une reproduction par des symboles – mots images, objets, impressions – qui permet de cerner la réalité, d’en exposer la genèse, d’en expliquer la raison d’être, d’en juger l’importance… Mais elles ne sont pas la réalité qu’elles représentent : elles sont partielles, déformantes, fallacieuses même, elles n’en disent pas tout. Néanmoins, le mythe reste le produit des sociétés qui le construisent, le nourrissent, l’utilisent et, en cela, il est révélateur des sociétés elles- mêmes. L’image de la vacuité du Nord révèle l’ignorance géographique de la société qui lui donne naissance et elle ment sur la réalité puisque – nous le savons bien maintenant – le Nord est un continent, et un continent habité (Duhaime et al., 2013 : 479-480).

Les mythes, puisqu’ils sont collectifs, sont encore plus stables et durables que les représentations – ces deux concepts sont toutefois intimement liés, l’un étant certainement alimenté par l’autre et vice- versa.

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Les représentations sont ainsi construites par un ensemble de perceptions vécues par les individus, puis, collectivement, forment les mythes, des perceptions plus durables, à l’échelle d’une société. Les représentations individuelles d’une personne sont-elles dues à sa culture ? Toujours d’un point de vue constructiviste, la notion de culture peut être considérée comme une construction sociale, dont la définition laisse place à des débats politiques et à la discrimination à l’intérieur même des communautés (Searles, 2006 ; Wachowich, 2006). La notion de culture peut concerner un groupe ou une société distincte, au sens de « communauté » ou de « peuple », dont les membres seraient liés par des traditions, des croyances ou une historicité semblable, sans être nécessairement attachés par une proximité spatiale : on parlera alors de culture québécoise occidentale, de culture inuit, ou même de peuples autochtones au sens défini par les Nations Unies dans la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones (2007). Selon Boas (1940), la culture est « un processus historique transmis de manière inconsciente de génération en génération, qui oriente les idées et affects des individus », un « phénomène mental » guidé par les idées et les intérêts d’un groupe de personnes, soit une manière de comprendre le monde, cognitivement comme affectivement (cité dans Meyran, 2009 : 197).

La notion de culture sous-entend donc un classement de personnes, en fonction de certains éléments historiques communs. En admettant que la culture soit une notion socialement construite à partir d’un présent donné et basé sur des éléments du passé, nous référons à la notion de culture, dans le cadre de ce mémoire, comme une classification socialement construite des personnes, selon un système de référents communs, un « rapport au Monde » partagé par les membres d’un groupe donné (Lévy et Lussault, 2013 : 238).

1.5.1.2 L’énoncé et le discours

Ces différentes formes de représentations sont véhiculées par les différentes formes de discours. Selon Foucault (1969), les énoncés, « des ensembles de signes », sont à la base de ce qu’il nomme la « performance linguistique », ou l’action d’énoncer dans le but d’être compris ; ceux-ci peuvent prendre plusieurs formes, et, groupés ensemble, forment des « formations discursives » (1969 : 158- 160). Le discours est quant à lui défini comme « un ensemble d’énoncés en tant qu’ils relèvent de la même formation discursive […] ; il est constitué d’un nombre limité d’énoncés pour lesquels on peut définir un ensemble de conditions d’existence » (Ibid. : 161). Ainsi, le discours n’est pas vu par Foucault (1969) comme strictement linguistique, mais bien comme un ensemble de sens – les énoncés (pouvant

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prendre la forme d’une image, d’une phrase, etc.), partagés par un « sujet parlant », regroupés entre eux (la formation discursive), dans un « discours » indissociable de sa « pratique discursive », soit un « ensemble de règles anonymes, historiques, toujours déterminées dans le temps et l’espace qui ont défini à une époque donnée […] les conditions d’exercice de la fonction énonciative » (Ibid. : 162).

Par ailleurs, en référant au cadre épistémologique de ce travail de recherche, nous comprenons ici le discours comme un véhicule des représentations du « sujet parlant », lequel ne peut être étudié qu’en prenant compte son contexte propre. Foucault (1969) précise que le discours « est constitué d’un nombre limité d’énoncés pour lesquels on peut définir un ensemble de conditions d’existence » (Ibid. : 161). Seignour (2011), dans le même ordre d’idées, place le sujet parlant et ses représentations au centre de l’analyse :

Le sujet parlant est, selon nous, un sujet « situé », au sens sartrien, dont les actes langagiers sont influencés par le contexte dans lequel il évolue et qu’il contribue également à créer. Créateur d’une réalité sociale qu’il vise à faire partager, le locuteur est parallèlement « pris » par ses propres représentations. Ainsi, le rapport qu’il entretient avec sa propre production langagière est dialectique. (Seignour, 2011 : 32).

En admettant ainsi que le locuteur est « pris par ses propres représentations », Seignour (2011) considère le discours comme un objet d’influence et de persuasion, mais en éloignant l’idée que le sujet parlant ne soit mû par « une conception instrumentale et béhavioriste ». Les discours sont donc indissociables du contexte social du locuteur qui les prononce, mais également du contexte dans lequel celui-ci les émet, de même – et surtout – qu’au sujet visé par ces discours. Le contexte comprend ainsi non seulement le public, mais également les « énoncés qui le précèdent et qui le suivent » (Ibid. : 33). Il importe donc, pour ce projet de recherche, de différencier l’énoncé discursif et argumentatif : par « discours », nous entendons un ensemble d’énoncés ayant, en effet, un effet de persuasion, mais n’ayant pas été formulés dans l’unique but de convaincre. L’argument a quant à lui pour but de générer « l’adhésion aux prémisses » (Pereleman, 1983 cité dans Ibid. : 31).

1.5.2 Patrimoine La notion de patrimoine réfère d’abord, selon Berthold (2012), à celle d’héritage, « un bien transmis de père en fils » (2012 : 1). Une seconde définition, établie plus récemment, considère le patrimoine comme « tout objet ou ensemble, matériel ou immatériel, reconnu et approprié collectivement pour sa valeur de témoignage et de mémoire historique et méritant d’être protégé, conservé et mis en valeur »

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(Québec, 2000 : 50 cité dans Berthold, 2012 : 1). Le patrimoine peut être culturel, naturel ou immatériel, en référant par exemple à des œuvres d’art, un site naturel, ou encore une langue.

La valeur patrimoniale d’un objet ou d’un ensemble est toutefois indissociable du processus par lequel la valeur de celui-ci est reconnue et revendiquée : en effet, le patrimoine est une signification donnée par des acteurs du présent à un élément du passé. Ce processus de « construction de sens », ou de « patrimonialisation » est donc inhérent à l’étude du patrimoine ; un objet ou un ensemble n’est patrimonial que parce qu’il est vu et accepté comme tel par une société (Berthold, 2012 : 9-11 ; Lévy et Lussault, 2013). La mise en valeur du patrimoine sous-entend par ailleurs un choix subjectif, fortement idéologique et implicitement influencé par les valeurs locales et temporelles (Di Méo, 2008 ; Berdoulay et Soubeyran, 2013 ; Lévy et Lussault, 2013 ; Gagnon, 2019). Ainsi, nous considérons le patrimoine comme indissociable des contextes dans lesquels s’est façonnée sa construction. En ce sens, la valeur patrimoniale n’existe pas a priori et peut donc se définir comme une représentation, puisque le patrimoine n’est pas l’objet lui-même, mais bien l’idée que l’on se fait de cet objet et de la valeur qui lui est attribuée (Berdoulay et Soubeyran, 2013 ; Crépin-Bournival, 2015).

La mise en patrimoine, qu’elle soit culturelle, naturelle ou immatérielle, sous-entend par ailleurs la conservation à l’identique, dans un état de fixité immuable, d’un élément témoignant du passé qu’on souhaite conserver au plus conforme possible à l’idée admise de son état passé, au plus « authentique » (Lévy et Lussault, 2013). Les études plus critiques du patrimoine voient toutefois une certaine contradiction dans le fait de conserver comme « authentique » des objets sélectionnés, soumis à un tri subjectif et relayant ainsi les objets non choisis à l’oubli (Gagnon, 2019). Au terme de ce processus de (re)construction d’un passé « choisi » et matérialisé sous la forme d’un authentique socialement admis, le patrimoine peut donc être considéré comme une instrumentalisation sociale et politique – voire économique – de la mémoire en fonction des intérêts de différents acteurs impliqués (Lévy et Lussault, 2013).

1.5.2.1 Les trois phases de la patrimonialisation

Le processus de construction du patrimoine, nommé patrimonialisation, a été analysé par les chercheurs selon un modèle suivant trois phases distinctives : la caractérisation, la conservation et la mise en valeur (Di Méo, 2008 ; Berthold, 2012 ; Crépin-Bournival, 2015). La première phase, la caractérisation, consiste en la construction de la valeur patrimoniale de l’objet par sa sélection, la

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mobilisation des différents acteurs et groupes d’acteurs et l’acquisition d’une documentation appuyant les discours de patrimoine (Di Méo, 2008 ; Berthold, 2012 ; Crépin-Bournival, 2015).

Suite à cette phase, une fois la valeur patrimoniale de l’objet socialement admise par le plus grand nombre d’acteurs, la seconde phase de patrimonialisation est celle de conservation. Celle-ci se définit par la mise en place de procédés formels visant la mise en protection de l’objet caractérisé et l’encadrement officiel de sa valeur patrimoniale (Berthold, 2012 ; Crépin-Bournival, 2015).

Enfin, la troisième phase de patrimonialisation est celle de mise en valeur. À cette étape, l’objet est officiellement protégé et sa valeur est diffusée à un public plus large, le plus souvent par l’industrie touristique (Lévy et Lussault, 2013 ; Crépin-Bournival, 2015 ; Gagnon, 2019).

Dans le cadre de ce mémoire, nous porterons notre intérêt plus spécifiquement sur les deux premières phases de patrimonialisation, en fonction de la protection relativement récente du site d’étude (2013).

1.5.2.2 Patrimoine naturel

Selon certains auteurs, la notion de patrimoine culturel apparaît dans un contexte de crainte d’une « perte » d’objets du passé, crainte face à laquelle des mesures de conservation se sont imposés en réaction à des guerres, à l’abandon, voire aux « dangers et menaces engendrés par l’industrialisation, l’urbanisation et les menaces qui en sont solidaires » (Héritier et Guichard-Anguis, 2008 ; Berdoulay et Soubeyran, 2013 ; Merlin et Choay, 2015 : 536). Dans le contexte occidental du XXe siècle où cette crainte de « perte » a été largement appliquée à la nature et à l’environnement, le patrimoine a trouvé une certaine résonnance dans les milieux naturels, tel qu’en témoignent Héritier et Guichard-Anguis (2008) :

[I]l nous semble qu’il en va en partie de même face à la « nature » devant l’irréversibilité affichée de la détérioration de l’environnement– les deux termes n’étant pas synonymes. En conséquence, à l’inquiétude de la disparition des civilisations répond de manière plus ou moins confuse, celle de la disparition de l’homme sur la terre (sic). Pourquoi et comment serait-il menacé de disparaître ? Les deux décennies qui suivent la Seconde Guerre mondiale apportent quelques arguments : citons à titre d’exemple, la croissance de la population mondiale dont tout l’Occident s’inquiète à la suite de l’ouvrage de P. Erlich en 1968 intitulé The population bomb annonçant les effets catastrophiques de la croissance démographique sur la planète, auxquels les famines des années 1970 et 1980 ont apporté une fausse illustration (Héritier et Giuchard-Anguis, 2008 : 1).

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L’intégration des territoires naturels au concept de patrimoine coïncide ainsi, selon la plupart des auteurs, à un contexte d’abord d’intensification du développement urbain et industriel, puis d’un changement de valeurs de plus en plus orienté vers les problématiques écologiques et environnementales (Héritier et Guichard-Anguis, 2008 ; Berdoulay et Soubeyran, 2013 ; Lévy et Lussault, 2013 ; Crépin-Bournival, 2015 ; Merlin et Choay, 2015).

Sites ou zones plus vastes, le patrimoine naturel était d’abord, bien sûr, ce qu’il fallait préserver des logiques destructrices et uniformisatrices de la modernisation, voire ce qui pouvait fournir ponctuellement de possibles aires de jeu et de loisirs pour l’homme moderne. […] La nature, conquise et transformée en ressource pour la société industrielle, est repoussée aux marges de l’écoumène. L’action aménagiste se réduit essentiellement à en patrimonialiser des bribes comme des quasi-reliques d’un monde révolu. (Berdoulay et Soubeyran, 2013 : 372).

Le concept de patrimoine revêtant toutefois, tel que mentionné précédemment, un rôle d’héritage, un bien transmis au fil des générations, le concept de patrimoine naturel apparaît contradictoire (Héritier et Guichard-Anguis, 2008). Toutefois, la mise en patrimoine de la nature reflète une représentation de la nature (par les sociétés occidentales) comme un objet culturel, un bien anthropisé dont la matérialisation, par la construction (mentale) de « monuments naturels », reflète les valeurs de la société qui la protège (Héritier et Guichard-Anguis, 2008 ; Sgard, 2008 ; Crépin-Bournival, 2015). D’une certaine façon, les espaces naturels peuvent remplir un rôle de mémoire, témoignant d’un état paysager préalable à l’aménagement par les humains, donc dans un état « sauvage » passé (Crépin- Bournival, 2015). La désignation d’éléments de la nature selon un vocabulaire muséal et architectural témoigne par ailleurs de cette transformation des espaces naturels en héritage matériel ayant une vocation de mémoire : « [l]’utilisation du terme de monument pour désigner certains lieux ou certains sites qui étaient définis selon leur caractère « pittoresque » ou « naturel » montre clairement leur ancrage anthropologique mais aussi le rôle qu’ils jouent désormais dans la compréhension des sociétés » (Héritier et Guichard-Anguis, 2008 : 4).

La mise en valeur du patrimoine naturel implique nécessairement une pratique d’aménagement, passant par la désignation d’un site en fonction de critères subjectifs, pour en faire des « musées de la nature » (Merlin et Choay, 2013 : 537). La mise en valeur, puis la mise en tourisme du patrimoine naturel est ainsi soumise au même processus de patrimonialisation que le patrimoine culturel, explicité ci-haut (Duval, 2008). Le patrimoine naturel, tel que nous le comprenons et l’analyserons dans ce mémoire, se rapporte plus largement à la valeur que les humains attribuent à l’espace naturel, au

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paysage ou à un élément du paysage. À ce titre, le patrimoine naturel est une forme de représentation territoriale socialement construite ; les discours portant sur la valeur patrimoniale du territoire reflètent ainsi des représentations du territoire.

1.5.3 Développement durable Le rapport Brundtland introduisait le développement durable en 1987, en réponse aux préoccupations environnementales qui commençaient alors à inquiéter les décideurs. Le concept vise à « harmoniser le développement économique et social avec la préservation de la biosphère, [a]ssurer les besoins de la population actuelle sans compromettre l’existence des générations futures » (Merlin et Choay, 2015 : 246), en d’autres termes « un développement respectueux des ressources naturelles et des écosystèmes, qui garantisse l’efficacité économique sans perdre de vue les finalités sociales » (Brunel, 2012 : 75). Cette définition s’apparente selon Brunel (2012) à une « simple interprétation de l’intérêt général (…), une formule ″à la mode″, mise à toutes les sauces » (Ibid. : 70). De la même façon, Pestre (2011) considère le concept comme « un ″slogan″, au sens très vague mais constamment repris, un lieu commun fonctionnant comme une norme nouvelle et englobante, un leitmotiv au sens élastique dont chacun se revendique mais qu’il peut interpréter assez librement » (Pestre, 2011 : 34). Ainsi, le développement durable est un concept assez général, alliant le bien-être social et économique des personnes d’aujourd’hui et de demain à la préservation de l’environnement.

Dans le cadre de ce mémoire, nous adoptons volontairement une définition large du concept de développement durable, soit celle ayant été énoncée par Bruntland en 1987 dans son rapport Notre avenir à tous, dictant que le développement durable signifie « répondre aux besoins du présent sans compromettre la possibilité pour les générations à venir de satisfaire les leurs » (Bruntland, 1988 : 14). La même définition est adoptée par le Gouvernement du Québec dans la Loi sur le développement durable (LDD), qui ajoute que « [l]e développement durable s’appuie sur une vision à long terme qui prend en compte le caractère indissociable des dimensions environnementale, sociale et économique des activités de développement » (Gouvernement du Québec, Loi sur le Développement durable, 2006, c. 3, a. 2).

Ce concept comporte deux notions principales : celle de « développement » et celle de « durabilité ». La mise en commun de ces deux notions, comme l’indique Pestre (2011), semble grandement contradictoire :

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La notion de développement durable est donc un oxymore, un oxymore qui a été utile au moment du rapport Brundtland pour dire l’importance de tenir ensemble questions sociales, questions de développement et questions environnementales, qui est utile en lui-même dans de nombreuses situations, qui est utile par les institutions qu’il permet de secréter, mais un oxymore tout de même puisqu’il masque ou feint d’ignorer la complexité des situations, les tensions inévitables propres à tout univers social. Dans cet oxymore […], la tension principale semble être entre développement, qui renvoie au rattrapage du Sud mais aussi à la poursuite du progrès industriel et de consommation du Nord, et durabilité environnementale (sustainability), dont on peut craindre qu’elle ne fasse pas symbiose évidente avec le premier (Pestre, 2011 : 34).

Ainsi, si la notion de développement renvoie à celle de croissance, la notion de durabilité appelle à la réserve, voire à l’arrêt du développement. Cette notion se rapporte à une certaine temporalité du bien commun, à « une vision de long terme de l’intérêt général », personnifiée par « les générations futures » dans la définition de Bruntland (Bruntland, 1988 : 14 ; Brunel, 2012 : 55). La durabilité est la partie idéaliste du concept de développement durable, qui « présuppose […] des valeurs, une certaine appréciation de ce qu’est la vie bonne en société et pour la Terre » (Pestre, 2011 : 32).

Enfin, le concept de développement durable a été grandement critiqué, notamment en raison du caractère polysémique des notions qui le composent, de même que pour l’utilisation de ce concept, largement repris par les institutions et les médias. Selon Pestre (2011), le développement durable « se donne comme un principe du Bien repris par tout un chacun, certes vague et souple, mais que personne ne peut aisément contester sans risque de délégitimation rapide ». Repris par ailleurs par « les entreprises et les politiques », il peut toutefois « exister un grand fossé des promesses aux réalisations, des mots aux choses » (Pestre, 2011 : 34).

Une seconde critique récurrente de ce concept porte sur la bonne intégration des différents principes, alors que le « développement durable » est souvent utilisé principalement – voire seulement – pour son principe environnemental (Manirabona et Tchotourian, 2010 ; Pestre, 2011 ; Brunel, 2012). Toutefois, selon Manirabona et Tchotourian (2010), « seule une appréciation de toutes les dimensions du développement durable se révèle être le moyen d'assurer […] un développement permettant de répondre aux besoins du présent sans compromettre la possibilité, pour les générations futures, de satisfaire les leurs » (2010 : 29).

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1.6 Méthodologie

1.6.1 Source et collecte des données Pour répondre à l’objectif principal de ce projet de recherche, soit de documenter les représentations de l’espace naturel nordique québécois et les processus de mise en valeur patrimoniale s’y rattachant, des données primaires et secondaires ont été récoltées.

Les deux premiers objectifs spécifiques portant sur le contexte régional plus général, la plus grande partie des données recueillies proviennent de sources secondaires, tels que des articles scientifiques, des thèses ou des mémoires, des ouvrages de référence, des autobiographies ou des films documentaires. Certaines sources primaires ont également appuyé l’analyse, notamment des textes de lois, des rapports ou plans gouvernementaux, des ententes et conventions, ainsi que des articles de presse. Tous les documents utilisés étaient disponibles en ligne, en libre-accès ou via les bases de données de la bibliothèque de l’Université Laval.

Le troisième objectif spécifique de ce projet de recherche étant de caractériser le processus ayant mené la rivière Nastapoka à acquérir une valeur patrimoniale, et ce, en procédant par l’analyse de discours, un plus grand nombre de sources primaires a été requis. Nous avons donc effectué en 2017 une revue de presse exhaustive sur les thèmes « Grande-Baleine » et « Nastapoka » via le logiciel Eurêka afin de documenter la couverture médiatique francophone portant sur l’étude de cas, puis sur le site Internet de Nunatsiaq News pour intégrer l’actualité d’un point de vue plus local.

En juillet 2018, un séjour de terrain a été effectué par l’auteure afin de consulter les archives au bureau du Parc national Tursujuq (Umiujaq), ainsi qu’à Kuujjuaq, à la bibliothèque scientifique de la société Makivik et aux bureaux administratifs de Parcs Nunavik à l’Administration régionale Kativik (ARK). Lors de ce même séjour de terrain, des excursions au Parc national Tursujuq – au Lac Guillaume-Delisle et à la chute Nastapoka notamment – ont permis de relever une série d’observations in situ. Les documents récoltés en archives sont des publications et des rapports disponibles au public, mais qui ne sont pas disponibles en ligne ou en bibliothèque. Nous avons cherché notamment les mémoires, les rapports d’audiences publiques, les procès-verbaux de réunions, les plans provisoires d’aménagement, ainsi que les différentes études d’impact en lien avec la rivière Nastapoka, du projet Grande-Baleine aux négociations de conservation. Plusieurs documents comportant des cartes

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géographiques, des documents de correspondance (lettres et courriels), de même que des relevés photographiques, nous ont également été remis par la direction des Parcs Nunavik directement.

Enfin, un certain nombre de personnes ont été consultées à titre d’experts, sous forme d’entrevues informelles et ce, à la fin de la collecte de données. Ces experts ont été ciblés par le rôle qu’ils ont joué (ou qu’ils jouent toujours) dans les négociations pour la protection de la rivière Nastapoka. Ces personnes ne seront pas citées dans ce projet de recherche. À titre d’experts mais également de témoins, nous nous sommes référés à eux afin d’éclaircir certains éléments manquants ou pour mieux contextualiser les discours et les acteurs qui les ont tenus. Le recours à des experts à un stade avancé du projet poursuit par ailleurs l’objectif de contrer les limites des différentes sources argumentaires. En effet, chaque document consulté – qu’il soit une publication gouvernementale ou un rapport de consultation – porte le poids des représentations de son auteur, tel que mentionné plus tôt.

Le recours à un plus grand nombre d’entrevues – avec la population notamment – n’a pas semblé nécessaire à la complétion de ce projet de recherche, en raison de l’accessibilité à des enquêtes déjà effectuées auprès de la population d’Umiujaq (Martin, 2001 ; Joliet, 2012), de même que par l’accès à plusieurs procès verbaux et comptes-rendus.

1.6.2 Mode de traitement des données En cohérence avec le cadre théorique de ce projet de recherche, à travers lequel nous cherchons à analyser, d’un point de vue critique, le rôle des représentations territoriales dans les pratiques d’aménagement du territoire et plus précisément dans sa mise en patrimoine, nous procédons à une analyse de contenu appliquée aux discours, telle que proposée (entre autres) par Molina et al., (2007) et Seignour (2011). Ces auteurs proposent une analyse de la dialectique entre les représentations et les pratiques (Figure 6). La dialectique est définie par Molina et al. (2007) comme l’espace dynamique à travers lequel « le vécu [se] construit », et l’analyse de cette dynamique permettrait « d’éclairer la complexité des mécanismes de construction des rapports à l’espace » (2007 : 318).

En considérant les discours comme un véhicule des représentations (Foucault, 1969), nous admettons que le discours laisse transparaître non seulement les représentations du locuteur, mais contribue également à influencer les représentations de son auditoire : « un discours ne se contente pas de décrire un réel qui lui préexiste mais construit la représentation du réel que le locuteur souhaite faire partager par son allocutaire. Il en résulte que pour la plupart des spécialistes du langage, énoncer un

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discours, c’est vouloir agir sur autrui. Le discours a ainsi un objectif performatif : c’est un acte volontariste d’influence » (Seignour, 2011 : 31). Dans cet ordre d’idées, l’analyse de discours implique nécessairement de situer non seulement le locuteur et l’auditoire auquel il s’adresse, mais également le contexte à travers lequel ce discours est émis. Dans le cadre de notre analyse, nous comprenons le discours comme tout acte permettant d’émettre une idée et de la faire comprendre ; celui-ci peut donc prendre plusieurs formes, notamment des phrases (écrites ou prononcées oralement), mais également des images telles que des photographies (Molina et al., 2007 ; Joliet, 2012).

Ainsi, l’analyse de discours constitue en un premier temps en une lecture critique de l’énoncé ; dans un deuxième temps, celui-ci est mis en contexte en fonction du locuteur (qui ?), de l’audience à laquelle celui-ci s’adresse (à qui ?), du contexte dans lequel il s’insère (où, quand ?), des moyens employés pour être compris (comment ?) et enfin des intérêts qu’il véhicule (pourquoi ?).

Vu les différentes formes et langues que prennent les discours que nous avons recueillis, un logiciel de codage informatique n’a pas été utilisé pour l’analyse. Quoique permettant de traiter un grand nombre d’informations en limitant la subjectivité par l’emploi de méthodes quantitatives, ces logiciels n’ont pas semblé adaptés aux données ni au type d’analyse retenu pour ce projet de recherche.

Figure 6 : La démarche méthodologique selon Molina et al. (2007 : 320)

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Une deuxième phase de l’analyse vise à situer les pratiques, lesquelles seront comprises à travers la mise en œuvre d’actions concrètes telles que l’adoption de lois, la publication de rapports ou encore la production de cartographie. Pour l’analyse des pratiques, nous procéderons à l’analyse cartographique de l’évolution des limites du parc, du premier tracé de 1992 à son inauguration en 2013. Cette analyse est présentée au troisième chapitre de ce mémoire.

1.6.3 Portée et limites des données Ce projet de recherche base son analyse sur une étude de cas très riche en documentation, s’étalant sur une longue période et ayant mené à diverses consultations de la population. Un projet de recherche, principalement en analyse de discours, est toujours tributaire des données disponibles. Dans ce cas-ci, la quantité de données recueillie paraît suffisante pour une analyse portant sur le concept de patrimoine. Le grand nombre de données disponibles, s’il apparaît en premier lieu comme un avantage aux fins de l’analyse, peut toutefois s’avérer comme une limite, dans le sens où certains documents ont été plus amplement analysés que d’autres, et ce traitement inégal des données peut affecter les résultats de la recherche.

Enfin, comme le site d’étude est situé au Nunavik, où la population locale s’exprime principalement en inuktitut, les discours analysés sont soit accessibles sur des documents traduits par un tiers, ou encore ont été prononcés dans une langue seconde, ce qui peut nuancer le propos et l’idée ayant été communiquée. Certains discours, prononcés oralement par exemple ou inaudibles lors de la transcription des procès-verbaux d’audiences publiques, sont tout simplement inaccessibles. À Umiujaq, la création du parc a engendré plusieurs débats dans la population (voir chapitre 3) : or, la plupart de ces débats ont été tenus au micro de la radio communautaire et en inuktitut, ce qui les rend inaccessibles, quoiqu’ils auraient été un appui très utile à l’analyse.

1.6.3.1 Limites de la recherche

L’auteure, une Qallunaat2, en admettant d’emblée cette recherche dans une approche constructiviste, se doit bien d’admettre que l’analyse reflète, du moins en partie, le filtre de ses propres représentations – comme c’est toujours le cas en sciences sociales. D’une autre façon, l’analyse de discours se limite

2 « Le mot Qallunaat est utilisé globalement par les Inuit pour décrire les personnes blanches. Mais il ne réfère pas tellement à la couleur de peau qu’à un état d’esprit, une culture ayant rejoint tous les coins de la planète, incluant le territoire inuit » (Sandiford, 2006 ; traduction de l’auteure).

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évidemment aux discours auxquels nous avons accès : les résultats et l’analyse sont donc largement tributaires des sources disponibles.

Par ailleurs, nous suivons volontairement pour ce projet une méthodologie et une compréhension des concepts (notamment celui de patrimoine), qui ne reflète pas nécessairement les travaux en recherche autochtone. Afin de pallier à cette relative limite théorique, nous avons consulté des sources documentaires telles que des autobiographies, reflétant le mieux possible le point de vue des communautés locales.

Conclusion En somme, avec ce premier chapitre, nous avons établi les bases du projet de recherche par la présentation de la problématique, des questions de recherche, de l’hypothèse et des objectifs. Nous avons également établi les bases théoriques, conceptuelles et méthodologiques de l’analyse. En s’appuyant sur la littérature existante, nous avons cherché à établir la perspective de recherche que nous avons adoptée afin de répondre à la question de recherche, en justifiant le choix de l’étude de cas à travers les différents concepts que nous cherchons à documenter.

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Chapitre 2 Le Nord québécois, le Nunavik et le(s) projet(s) du siècle

Chaque jour, des millions de kilowattheures vont se perdre dans la mer. Quel gaspillage !

ROBERT BOURASSA (1985 : 18)

Introduction Ce chapitre répond au premier objectif spécifique de ce mémoire, soit de documenter les relations récentes entre les Inuit Nunavimmiut et le gouvernement québécois quant à l’aménagement du territoire nordique. Afin de mieux contextualiser l’étude de cas, il est essentiel de présenter d’entrée de jeu un portrait du climat politique, historique et sociétal dans lequel cette situation s’insère. Ce survol vise tout d’abord à poser les jalons principaux ayant mené aux politiques de gestion actuellement en vigueur au Nunavik, tout en centrant l’analyse sur la mise en place d’un discours patrimonial aux échelles régionale (Nunavik), puis locale en se concentrant sur le village d’Umiujaq, le plus touché par le projet de parc national en raison de sa proximité.

Notre analyse repose principalement sur des sources secondaires provenant de la littérature scientifique, de même que sur des textes de lois et des autobiographies.

2.1 Chronologie de l’intervention étatique au Nunavik L’intervention gouvernementale au Nord du Québec s’établit assez tardivement, malgré la présence dès le XVIIe siècle de baleiniers, de missionnaires et de commerçants de fourrure dans les communautés nordiques (Martin, 2003). Le gouvernement canadien s’y établit à partir du début du XXe siècle, et ce graduellement (Morantz, 2013), n’agissant véritablement qu’après la Seconde Guerre mondiale en réaction à des épisodes de famine engendrés par une chute massive du prix des fourrures (Martin, 2003 ; Canobbio ; 2009 ; Qumaq, 2010 ; Morantz, 2013). En raison de leur éloignement, les Inuit n’étaient pas visés par la Loi sur les Indiens, une loi fédérale qui plaçait les autres groupes autochtones sous tutelle, en foi de quoi le gouvernement canadien ne fournissait donc pas de services en Arctique (Morantz, 2013). La présence de missionnaires et de postes de traite avait toutefois contribué, petit à petit, à changer le mode de vie des Inuit qui devenaient de plus en plus dépendants des produits du Sud (Qumaq, 2010 ; Morantz, 2013).

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Autrefois nomades, les Inuit s’établissent en effet progressivement autour des postes de traite et des missions, profitant d’une relative prospérité avec la vente des fourrures et la consommation de produits du Sud, et en viennent à modifier peu à peu leur mode de vie (Morantz, 2013). Toutefois, l’État canadien désapprouve cette situation par crainte de devoir légiférer sur cette population, alors que les diverses communautés autochtones présentes sur le territoire représentaient déjà une charge économique pour le gouvernement (Idem). Les premières politiques fédérales visaient donc un « retour à la terre », poursuivant le double objectif de limiter les coûts liés à une mise en tutelle et d’occuper le territoire canadien pour en légitimer les frontières, par la mise en place de mesures telles que le déplacement de familles vers le nord (Martin, 2003 ; Canobbio, 2009). La vitalité du marché des fourrures, l’adhésion graduelle des Inuit au christianisme et la modification des habitudes de vie, influencées entre autres par le déclin des troupeaux du caribou, accélèrent le processus de sédentarisation des Inuit (Morantz, 2013). En étant toutefois soumis aux aléas de l’économie mondiale, la crise économique de 1929 et la chute du prix des fourrures marquent le début d’une période de famine et d’extrême pauvreté (Qumaq, 2010 ; Morantz, 2013). Cette situation amène le gouvernement fédéral à intervenir dans les années 1950 en changeant de stratégie, misant plutôt sur la mise en tutelle des populations et des mesures visant l’assimilation et la sédentarisation des Inuit (Morantz, 2013).

Ainsi, à partir des années 1950, les politiques du gouvernement fédéral, qualifiées par Morantz (2013 : 168) de « colonialisme bureaucratique », marquent la fin du mode de vie nomade tout en suscitant une série d’événements aujourd’hui compris comme traumatisants pour les populations locales (Qumaq, 2010 ; Morantz, 2013). À titre d’exemple, la construction de bases militaires au cours de la Guerre Froide contribue à créer des emplois salariés, introduisant l’alcool dans les villages nordiques par la même occasion. Enfin, l’aide sociale, des épidémies dévastatrices de tuberculose, puis l’introduction du système scolaire et des écoles résidentielles ont, entre autres, poussé les familles à se sédentariser définitivement (Martin, 2003 ; Canobbio, 2009 ; Qumaq, 2010 ; Morantz, 2013).

2.1.1 La Révolution tranquille et le Nord du Québec Les premières interventions québécoises s’insèrent dans ce contexte de bouleversements sociaux, au début des années 1960. Quoique la région nordique, alors nommée « Terre de Rupert », soit annexée aux frontières provinciales en 1912, le gouvernement québécois ne commence à s’intéresser à ce territoire qu’à partir des années 1960 (Canobbio, 2009 ; Desbiens, 2014). Selon Canobbio (2009), c’est l’arrivée en politique de Jean Lesage en 1955, associée au début de la Révolution tranquille, qui

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marque la présence québécoise chez les Inuit du Québec. En 1964, René Lévesque tient une réunion officielle avec les leaders de chaque communauté, introduisant le Québec et ses intentions d’améliorer les conditions de vie au Nord (Qumaq, 2010 ; Nungak, 2017).

La Révolution tranquille est une période de changement dans la gestion gouvernementale québécoise, appelant à une identité plus forte et à une appropriation du territoire provincial par ses habitants francophones. C’est d’ailleurs à cette époque que les Canadiens français adoptent une identité nationale francophone, que l’on appellera québécoise (Fortin, 2011). Ce mouvement dit néo-national s’appuie en effet sur la construction d’une société, « la formation d’une communauté dite nationale qui s’identifiait à l’espace de la province plutôt qu’à l’ensemble du territoire canadien » (Desbiens, 2014 : 38). Quoique le mouvement identitaire associé à la Révolution tranquille est aujourd’hui compris par les historiens comme ayant été amorcé depuis au moins un siècle au Québec (Linteau, 1999), cette période de changement rapide et profond était définie par un « nouveau nationalisme » très fort, permettant aux francophones du Québec de développer un discours identitaire qui se divisait pour la première fois du clergé et de la tradition :

Le gouvernement Lesage réalise la réconciliation que n'avait pas su faire Godbout entre la quête de modernité et les aspirations nationales. Une telle réconciliation est possible parce que le nouveau nationalisme qui se manifeste alors, à la fois moderniste et conquérant, rompt avec le nationalisme traditionaliste constamment sur la défensive. Ce nouveau nationalisme a une telle puissance de mobilisation qu'il deviendra le vecteur principal des transformations de la société québécoise (Linteau, 1999 : 86).

Cette affirmation culturelle d’une nation québécoise devenait économique par le contrôle de ses ressources naturelles et de son territoire, justifiant un intérêt plus grand envers la région nordique, de même que les efforts mis en place par l’équipe libérale de Jean Lesage pour nationaliser l’hydroélectricité (Linteau, 1999 ; Desbiens, 2014). La nationalisation de l’énergie et la construction de grands barrages sont des actions fortes de la Révolution tranquille, permettant l’affirmation de la nation québécoise dans la modernité, notamment par le développement d’une expertise en ingénierie et par la prise de contrôle nationale des ressources, une promesse de s’intégrer dans la modernité et de devenir « Maîtres chez nous » selon le slogan électoral désormais célèbre de l’équipe Lesage (Canobbio, 2009 ; Desbiens, 2014). L’hydroélectricité représente en effet à cette époque la principale ressource par laquelle les Québécois prévoient accéder à une certaine prospérité économique, et devient emblématique du mouvement identitaire, voire un « bien commun au service de la seule dignité nationale québécoise » (Mercier et Ritchtot, 1997 : 140). L’énergie avait jusqu’alors été contrôlée par

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des compagnies étrangères anglophones, et la compagnie Hydro-Québec, créée en 1944 suite à l’expropriation de la Montreal Light, Heat & Power, devient une société d’État en 1963, acquérant du même coup la douzaine de compagnies privées productrices d’électricité (Ibid.).

Concrètement, pour les Inuit du Nunavik, la Révolution tranquille et l’arrivée de l’administration québécoise au Nunavik a surtout résulté en un « dédoublement des services fédéraux et provinciaux » (Martin, 2001 : 78). En effet, la création de la Direction générale du Nouveau-Québec (DGNQ) en 1963 répond directement à la volonté du gouvernement provincial d’assurer une présence politique et administrative sur ses territoires nordiques, en s’insérant dans une série d’actions entreprises rapidement par Québec pour affirmer sa gestion sur le territoire, notamment en revisitant la cartographie et en traduisant les toponymes des villages et des éléments du territoire en français (Nungak 2017). Si l’objectif géostratégique de la mise en place de services provinciaux au Nunavik est indéniable, les fins de cette entreprise semblent entrer en conflit direct avec les valeurs portées par les discours de la Révolution tranquille, notamment l’autodétermination et la décolonisation, puisque le Québec adopte rapidement une attitude colonialiste envers les territoires du Nord et les peuples autochtones qui y vivent (Berdoulay et Sénécal, 1993 ; Linteau, 1999 ; Desbiens, 2014). Tel qu’en témoigne Nungak (2017), cette époque est décrite de façon assez aigre par les Inuit québécois, qui se moquent des toponymes imprononçables et de la mise en place d’un second palier de services, en surnommant d’ailleurs la DGNQ « Don’t Go Near Quebec » (Nungak, 2017 : 24).

Ainsi, les discours québécois de la Révolution tranquille reposent leur argumentaire néo-nationaliste sur les notions d’autodétermination et d’identité culturelle (Linteau, 1989), notions qui, paradoxalement, sont également portées par les peuples autochtones dans leurs revendications territoriales et culturelles (Canobbio, 2009). Alors que les Québécois ne peuvent s’affirmer comme un peuple autochtone, l’utilisation des mêmes arguments deviendra éventuellement un vecteur de malaise entre le gouvernement provincial et les peuples autochtones, notamment dans le cas de la gestion des ressources en territoire revendiqué (Desbiens, 2014). Selon Canobbio (2009), cette dichotomie a été comprise rapidement par René Lévesque, qui traitera avec une grande prudence la notion d’autodétermination avec les peuples autochtones, l’adhésion de ces populations à la nation québécoise étant primordiale pour la réalisation du projet d’autonomie économique et de contrôle des ressources. La construction identitaire du Québec devait en effet nécessairement inclure les régions

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éloignées, alors que celles-ci n’étaient pas peuplées par des québécois francophones, mais par des populations autochtones sous juridiction fédérale (Canobbio, 2009).

2.2 Le projet La Grande : entrée en scène d’opposants sous-estimés Dès 1964, des études d’évaluation du potentiel hydroélectrique s’amorcent dans la région de la Baie- James (Martin, 2001). Annoncés dans une grande théâtralité par le Premier ministre libéral Robert Bourassa en 1971, les projets hydroélectriques de la Baie James devaient être le « projet du siècle », créer des milliers d’emploi et démontrer le savoir-faire québécois au monde entier (Martin, 2003 ; Desbiens, 2014). Ce projet est toutefois accueilli assez froidement, notamment par le Parti québécois alors à l’opposition officielle, qui croit que le Québec passe à côté de la modernité en ne misant pas sur l’énergie nucléaire qui devait, croyait-on à l’époque, révolutionner la production énergétique mondiale (Canobbio, 2009 ; Desbiens, 2014).

Malgré l’existence de droits territoriaux, la présence d’autochtones sur le territoire visé pour le développement a été grandement négligée par les architectes de ce projet, démontrant les représentations territoriales du gouvernement d’alors qui voyait le Nord comme un territoire à exploiter, une région-ressources destinée à enrichir la population du Sud (Canobbio, 2009 ; Desbiens, 2014). Tel qu’exposé par Desbiens (2014) et Nungak (2017), la population crie vivant sur le territoire visé par le projet n’avait à aucun moment été consultée, et a appris les plans du gouvernement via les médias, le lendemain du discours de Bourassa. Les Cris se sont alors réunis pour faire valoir leurs droits territoriaux et ont demandé une injonction au projet en 1972. Un an plus tard, au terme d’un long procès pendant lequel un grand nombre de témoins cris et inuit sont entendus, exposant leur connaissance du territoire et leur dépendance vis-à-vis celui-ci pour leur alimentation et leur mode de vie (Nungak, 2017), le juge Albert Malouf ordonne l’arrêt immédiat des travaux, donnant gain de cause aux peuples autochtones, jugement qui sera infirmé une semaine plus tard par la Cour d’appel du Québec, « alléguant qu’il est dans l’intérêt public que le projet soit mis en œuvre et que tout dommage ou perte subi par les Cris doit être compensé » (Desbiens, 2014 : 57).

Le projet de la Baie James sera malgré tout mis en œuvre, se classant parmi les plus grands complexes hydroélectriques au monde. La création de huit réservoirs inonde une superficie totale de 12 285 km², déplaçant environ 3000 personnes dont le village complet de Fort George, situé à l’embouchure de la rivière La Grande (Martin, 2003 :63-64). Au moment de l’inauguration de la centrale LG-2 en 1979, le

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caractère spectaculaire des barrages de la Baie-James est mis de l’avant lors d’une diffusion spéciale à Radio-Canada : l’opinion publique est alors fortement favorable à sa mise en œuvre (Desbiens, 2014). Le hasard fait également en sorte que le démarrage de LG-2 permet au Québec d’éviter les conséquences d’un second choc pétrolier mondial ; le méga complexe de la Baie James est à cette époque « une réussite technologique internationalement reconnue », selon Canobbio (2009 : 146).

En plus de la modification drastique du paysage de la Baie-James, la construction de barrages et l’ennoiement de grands territoires ont toutefois eu des répercussions importantes sur l’environnement, qui ne seront comprises que plus tard. En effet, la décomposition de matière organique ligneuse provenant des forêts inondées a provoqué une contamination de l’eau par le mercure, affectant la santé des populations cries locales ayant consommé du poisson contaminé (Canobbio, 2009 ; Desbiens, 2014). L’un des impacts les plus flagrants du projet La Grande demeure la noyade de près de 10 000 caribous dans la rivière Caniapiscau en 1984 (Desbiens, 2014 : 68), contribuant aux représentations de ce projet comme un désastre écologique, notamment portées par les discours de groupes écologistes dans les années 1990 pour protester contre la mise en place du projet Grande- Baleine. De fait, en 1996, un artiste expose à Montréal une œuvre nommée « La Baie-James 15 ans plus tard : Amazonie du Nord » (Canobbio, 2009 : 66-67).

2.2.1 Convention de la Baie-James et du Nord québécois Quoique le jugement d’Albert Malouf n’ait été effectif que pendant une semaine, celui-ci est toutefois considéré comme historique du fait que les droits des peuples autochtones sur le territoire avaient été reconnus par le système de justice occidental, ce qui créait un précédent, modifiant considérablement les rapports politiques au Québec nordique :

Le choc du projet de la Baie-James, c’est l’entrée en scène d’un nouvel acteur qui ne quittera plus le roman géographique nordique québécois : l’autochtone, l’Indien cri de la Baie-James, l’Inuk des rivages arctiques. Cet acteur, en l’espace de quelques mois, va rompre avec l’immobilité du temps nordique, en formalisant des revendications considérables, territoriales, culturelles, économiques, en formant une élite politique assistée d’avocats et en déclarant défendre une autre vision du Nord (Canobbio, 2009 : 16).

Le jugement a par ailleurs été vécu par les représentants cris et inuit comme « un accomplissement époustouflant » (Nungak, 2017 : 89). Malgré la poursuite des travaux à la Baie James, ce jugement crée un précédent et ouvre la voie à toute une série de négociations entre les différents paliers

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gouvernementaux, Hydro-Québec et ses sociétés de développement, ainsi que les regroupements cri et inuit, menant finalement à la signature de la Convention de la Baie James et du Nord québécois (CBJNQ) en 1975.

Considérée comme le « premier traité moderne » au Canada, la CBJNQ est avant tout un plan de développement territorial et d’affectation des terres, prévoyant par ailleurs le transfert de certains pouvoirs législatifs aux groupes autochtones régionaux, de même qu’une série de redevances en contrepartie du développement effectué par le gouvernement provincial (Martin, 2003 ; Desbiens, 2014). Les dispositions prévues reposent sur deux principes directeurs : le premier dicte que « le Québec a besoin d’utiliser ses ressources naturelles », et le second, que « nous devons reconnaître les besoins des autochtones […] dont la culture et le mode de vie diffèrent de la culture et du mode de vie des autres Québécois » (Québec, 1998 : xx). Ainsi, le territoire de la CBJNQ, d’une superficie de 1 079 262 km² (Simard, 2017), est divisé en trois catégories (Figure 7). Les terres de catégorie I, sur 1,3% du territoire, sont réservées à l’usage exclusif des Autochtones : ce sont les zones où les villages sont installés. Entourant ces terres, dans une sorte de zone tampon, 14,4% du territoire forme les terres de catégories II, terres publiques sur lesquelles les populations gardent un droit exclusif pour les activités de prélèvement (chasse, pêche, piégeage). Enfin, la grande majorité du territoire (84,3%) est de catégorie III, soit des terres publiques sur lesquelles les populations n’ont pas de droit particulier (Québec, 1998).

Au Nunavik, la CBJNQ prévoit également une redistribution des pouvoirs législatifs vers les régions, ce qui mène à la création de l’Administration régionale Kativik (ARK) pour la gestion administrative des municipalités et de certains services tels que l’éducation (commission scolaire Kativik), la santé et les services sociaux. La gestion de la compensation financière accordée par Hydro-Québec en contrepartie du développement a quant à elle été mandatée à la Société Makivik, en vue de son réinvestissement dans le développement socio-économique de la région. Selon Martin (2001), ces nouvelles instances administratives ont toutefois pour effet d’amplifier le phénomène de dédoublement des services déjà en place avec l’installation de services provinciaux dans les années 1960.

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Figure 7 : Division des terres du Nunavik selon la CBJNQ (Makivik et al., 2014 : 7)

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Ce phénomène est observable plus intensément à Whapmagoostui-Kuujjuarapik, où, exceptionnellement, la cohabitation de deux communautés (crie et inuit) ajoute aux services fédéral et provincial ceux des administrations crie et inuit : « deux écoles […], deux corps de police […], un conseil de bande cri et une municipalité inuit » (Martin, 2001 : 79). Le grand nombre de services mis en place contribue toutefois à créer des emplois locaux ; de fait, malgré sa désignation comme « région-ressource » par le gouvernement du Québec, la région administrative du Nord-du-Québec (Eeyou-Istchee et Nunavik) occupait en 2017 le deuxième rang quant à la proportion d’emplois dans le secteur tertiaire (services), tout juste après la région de Montréal (Girard, 2018 : 41).

La CBJNQ traite de sujets assez variés, de l’exploitation des ressources par le Québec à la protection du mode de vie traditionnel. Par les moyens et les mesures mis en place, cette entente permet aux Cris et aux Inuits (de même qu’aux Naskapis, indirectement), de vivre leur propre Révolution tranquille, selon Martin (2003) et Desbiens (2014). Elle ouvre par ailleurs la voie à toute une série d’ententes complémentaires, les plus connues étant la Paix des Braves et l’entente Sanarrutik, ententes de développement économique en partenariat « de Nation à Nation » signées en 2002 par Québec avec les Cris et les Inuit respectivement, et visant un développement collaboratif des régions (George, 2002 ; Desbiens, 2014). Quoiqu’elle soit effective sur l’ensemble de la région, la CBJNQ n’a pas été unanimement consensuelle chez les Nunavimmiut, rejetée par plusieurs communautés puisque ne laissant selon eux pas assez d’autonomie aux Inuit. Une critique importante porte également sur les négociations, vues comme inégales puisqu’opposant un groupe de très jeunes leaders autochtones à des politiciens, plus nombreux et plus expérimentés (Martin, 2003 ; Nungak, 2017). Certaines communautés du Nunavik, notamment Puvirnituq, n’ont toujours pas ratifié la CBJNQ (Martin, 2003 ; Simard, 2017).

La négociation de la CBJNQ nécessitant naturellement la désignation d’un groupe de porte-paroles Inuit, une période de discorde profonde a divisé les deux groupes de leaders en place : le premier, basé à Puvirnituq, était à l’origine du mouvement des coopératives du Nouveau-Québec et militait pour la création d’un gouvernement autonome inuit. Le second, dont les leaders étaient originaires de Kuujjuaq, proposait plutôt de négocier avec les gouvernements en s’unissant dans l’« Association des Inuits du Nord du Québec » à la manière des autres peuples autochtones au Canada (Canobbio, 2009 ; Nungak, 2017). L’opposition de ces deux groupes a mené à de houleux débats, non seulement entre

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les leaders, mais également au sein même des familles d’Inuit, marquant toujours aujourd’hui comme une période de « véritable traumatisme collectif » (Hervé, 2014 : 147).

À mon avis, 1975 fut l’année la plus marquante dans l’esprit des Inuit. La Convention de la Baie James et du Nord québécois fut signée le 11 novembre, et ce jour-là, le peuple du Nord québécois fut divisé, les partisans de la Convention d’un côté, ses opposants de l’autre. Ils se sont ainsi séparés en raison de forces extérieures et à cause d’enjeux sur lesquels ils n’avaient aucun pouvoir. Les conflits éclatèrent même au sein des familles, père contre fils, mère contre fille, frères contre frères. Même les enfants singeaient leurs parents et se chamaillaient entre eux. Les moments les plus terribles survenaient lorsque les gens buvaient ensemble (surtout les jeunes gens). Une bagarre verbale éclatait, et les gens en venaient parfois aux coups. C’était une période très tendue. (Qumaq, 2010 : 118-119).

2.2.2 Le projet Grande-Baleine En 1989, le Premier ministre Robert Bourassa relance l’aménagement de la Baie James en annonçant la reprise des travaux pour la mise en place de la Phase II, un projet nommé Grande-Baleine situé au nord des aménagements de La Grande construits dans les années 1970 (Martin, 2003 ; Canobbio, 2009 ; Desbiens, 2014). Quoique prévu dans la CBJNQ, l’annonce de la reprise des travaux est confrontée à une forte opposition des populations locales crie et inuit de Kuujjuarapik et Whapmagoostui (Martin, 2003 ; Canobbio, 2009). Le contexte avait toutefois considérablement changé entre les années 1970 et le début des années 1990, et l’opinion publique était beaucoup plus sensible aux questions environnementales (Maraud et Desbiens, 2017). Tel que nous l’avons vu plus tôt, les impacts environnementaux des réservoirs du complexe La Grande étaient alors connus et étaient donc susceptibles d’alerter la population mondiale désormais sensibilisée (Martin, 2003 ; Maraud et Desbiens, 2017).

Le mouvement protestataire autochtone a principalement été mené par la nation Crie en la personne de Matthew Coon Come, alors à la tête du Grand Conseil cri (Noël, 1990 ; Dubuc, 1994). L’opposition autochtone portait des arguments relativement semblables à ceux défendus devant le juge Malouf en 1972, soit la dépendance au territoire pour les activités de subsistance et pour la survie du mode de vie traditionnel (Noël, 1990). À ces arguments s’ajoutaient le témoignage des effets négatifs observés autour des réservoirs de La Grande, notamment les problèmes de santé liés à la contamination de l’eau et du poisson au mercure (Canobbio, 2009 ; Desbiens, 2014). L’originalité des protestations contre Grande-Baleine réside toutefois dans l’adaptation des actions au contexte de l’époque : en effet, plutôt que de choisir la voie des tribunaux pour s’opposer au projet, les manifestations ont été

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orchestrées sur la scène internationale, en s’alliant avec des groupes militants pour l’environnement et en s’adressant au public plutôt qu’aux politiciens ou dirigeants (Martin, 2003 ; Canobbio, 2009 ; Maraud et Desbiens, 2017). Il importe d’ailleurs de mentionner que la construction du projet Grande- Baleine visait en premier lieu l’exportation de l’énergie vers l’État de New-York, aux États-Unis, en prévision d’une augmentation future des besoins en énergie de la population de la province québécoise (Canobbio, 2009). C’est là l’une des principales critiques du projet Grande-Baleine, dont la construction ne sert pas à répondre à un besoin existant, mais crée un surplus énergétique qui est vu par les opposants au projet comme un développement non nécessaire, misant plus sur la croissance que sur la durabilité (Dubuc, 1992). Cet argument est repris par les Cris, dans un débat qui devient rapidement très médiatisé : « Pourquoi dépenser des milliards de dollars pour détruire l’environnement et détruire mon peuple juste pour exporter de l’électricité aux États-Unis? […] Cela n’a aucun sens. C’est du racisme environnemental » (Coon Come cité dans Noël, 1990 : B2).

Ainsi, la majeure partie du débat entourant Grande-Baleine s’est déroulée sur la scène internationale (Noël, 1992 ; Martin, 2003 ; Canobbio, 2009). L’action la plus forte du mouvement d’opposition a été l’expédition en Odeyak, un bateau dont le nom est un hybride entre les mots cri « canot » (ute) et inuktitut « kayak » (qajaq) (Martin, 2003 : 68). Cette expédition d’une quarantaine de personnes cries et inuit débutait à Whapmagoostui-Kuujjuarapik et se terminait à New York le 22 avril 1990, au Jour de la Terre, s’arrêtant entre-temps dans plusieurs villes (Martin, 2003). Ce voyage poursuivait l’objectif d’attirer l’attention des médias et des élus américains, qu’ils invitaient à boycotter l’énergie québécoise (Idem). Poussés par le fort succès médiatique de cette prestation, les manifestations se poursuivent de manière plus soutenue à partir de 1991 : selon les dires de Canobbio (2009 : 190), « le leader cri Matthew Coon-Come déclare la guerre au projet sur le thème du génocide culturel. Grande-Baleine, dans le contexte de crispation constitutionnelle et de revendications autonomistes cries et inuites, est présenté comme la preuve de la domination coloniale de la province francophone sur ses peuples premiers ».

La position des Inuit est plus nuancée. Alors que les leaders cris ont cessé toute forme de négociation avec Hydro-Québec et l’État en refusant totalement le projet, les leaders inuit continuent de collaborer aux études d’avant-projet, signant même une entente de principe avec Hydro-Québec en 1994 (Martin, 2003). En parallèle, les Inuit se joignent aux protestations sur la scène internationale, et « ont toujours donné l’impression de travailler main dans la main avec les Cris » (Martin, 2003 : 80). Selon Martin

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(2003), ce double front est mené dans l’idée qu’en maintenant le dialogue avec la société d’État, ceux- ci pourraient tirer un meilleur bénéfice des aménagements et de meilleures compensations. D’autant plus que les campagnes de « communication » menées par Hydro-Québec au Nunavik étaient ponctuées – dans le but probablement d’impressionner leurs interlocuteurs – de voyages en jet privé et en hélicoptère, induisant chez les leaders inuit impliqués la création d’une « nouvelle élite », ce qui incitait probablement les représentants inuit à perpétuer le dialogue (Idem).

De l’autre côté du débat, le gouvernement provincial et Hydro-Québec décrivent l’hydroélectricité comme une solution plus responsable au point environnemental que les hydrocarbures, ce qui justifie son exploitation à grande échelle (Dubuc, 1990 ; Corbeil, 1992). La campagne de protestation menée par les Cris sera comprise comme « une campagne exagérée, biaisée et fausse contre le projet hydroélectrique Grande-Baleine » (Sirros cité dans Noël, 1992 : A2). Ces protestations s’insèrent d’autre part dans un climat politique sensible entre le Québec et les groupes autochtones : la Crise d’Oka de 1990, quelques mois après l’expédition Odeyak, ouvre un climat d’hostilité profonde entre Autochtones et Québécois, tout en levant le voile sur la gestion politique inégale en ce qui a trait aux peuples autochtones (Salée, 2013). À la même époque, un débat constitutionnel s’était établi entre les Québécois, les Canadiens et les Premières Nations qui ébranlait fortement la société québécoise, dont l’identité était en redéfinition dans le sillage de la Révolution tranquille (Canobbio, 2009). Le Québec avait demandé un amendement à la Constitution canadienne afin d’être reconnu comme une « société distincte », ce qui devait être accepté par les Premiers ministres de toutes les provinces. Or, l’échec de l’adoption de cet amendement en 1990, aujourd’hui connu sous le nom de « l’échec de l’Accord du lac Meech », ébranlait cette nouvelle identité en divisant les peuples québécois et autochtones, lesquels revendiquaient également le statut de « société distinctes » à cette époque et qui ont été accusés de saboter les négociations québécoises :

Pour l’opinion publique canadienne, l’action politique des leaders des Premières Nations avait été incontestablement la cause formelle de l’échec de l’Accord du lac Meech. […] Tout en ne s’opposant pas à la reconnaissance du caractère distinct de la société québécoise, cet accord consacrait néanmoins, selon eux, la thèse officielle d’une nation constituée des deux peuples fondateurs, anglais et français. Mais pour les leaders des Premières Nations, la constitution se devait en priorité de déterminer les trois grandes familles de droits fondamentaux des premiers habitants qui devaient être rendus inaliénables par la loi fondamentale : les droits historiques, les droits inhérents au territoire et le droit à l’autodétermination sous la forme d’un troisième niveau gouvernemental (Canobbio, 2009 : 147-148).

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Les années 1990 ont également été le théâtre de revendications autochtones à travers le monde, et la scène internationale était sensible aux questions de droit autochtone qui y gagnaient alors une plus grande crédibilité et un poids considérable. Ainsi, les manifestations contre le projet Grande-Baleine ne sont qu’une des occasions utilisées par les groupes autochtones québécois et canadiens pour internationaliser leurs négociations afin d’aller chercher un appui de l’opinion publique, notamment lors de grandes conférences internationales (Idem).

Ainsi, le choix de manifester contre le projet Grande-Baleine aux États-Unis était particulièrement efficace, en ce sens où les discours étaient portés par une opinion publique plus à l’écoute des questions environnementale et de droit autochtone, tout en ébranlant l’image d’un Québec dont l’identité en définition était déjà fragilisée, en s’attaquant aux bases même de ce qui avait favorisé sa mise en place, soit l’hydroélectricité (Desbiens, 2014 ; Gagnon, 2019). C’est du moins l’analyse que propose Martin (2003) :

[E]n exposant à la face du monde entier les velléités colonialistes de l’État québécois moderne, les Autochtones ont offert à la société civile québécoise un miroir d’elle-même. L’image que bien des Québécois ont alors découverte n’était pas celle de la société dont ils rêvaient et qu’ils croyaient construire. Même les leaders des partis souverainistes, pour qui la quête de l’autosuffisance économique allait de pair avec l’autonomie politique, n’étaient pas prêts à transformer leur projet politique émancipateur en un mouvement colonialiste obsolète. Sans compter que la maladresse avec laquelle Québec avait traité les Autochtones produisait une image néfaste susceptible de nuire à leur projet. […] En cela, l’effort que les Inuit et les Cris ont fait […] a contribué à démontrer que le projet québécois n’était pas simplement une erreur mais qu’il appartenait à un paradigme du développement qui était néfaste pour toutes les populations autochtones. Le poursuivre, c’était se ranger du côté de ces États que l’on montre du doigt pour le traitement qu’ils accordent aux Autochtones (Martin, 2003 : 80-81).

À la lumière de cette analyse, il apparaît peu surprenant que le projet ait été laissé de côté en 1994 par le Premier ministre Jacques Parizeau, élu sous la promesse de tenir un référendum sur la souveraineté québécoise (Dubuc, 1994). À l’époque, cette décision avait surpris, surtout par son caractère expéditif, lequel avait été critiqué dans les médias :

Mais, en annonçant cette décision à la volée, en réaction à un rapport environnemental que critiquait Hydro, sans fournir d’éléments justificatifs, le premier ministre Parizeau a donné la fâcheuse impression que sa décision reposait sur des facteurs purement politiques et des considérations référendaires et qu’il tenait surtout à neutraliser l’impact dévastateur pour son option des autochtones du Nord et des écologistes américains. […] Ce projet a une grande valeur symbolique et économique pour les Québécois. Son

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abandon revêt donc une importance certaine, qui mérite mieux que quelques phrases lapidaires lors d’une conférence de presse (Dubuc, 1994).

Le projet Grande-Baleine n’avait toutefois pas été complètement abandonné par Parizeau, mais bien « mis sur la glace », ce qui ouvrait la voie à une reprise du projet (Martin, 2003). Le débat semble toutefois avoir eu un impact sur l’opinion publique québécoise relativement aux grands projets d’aménagement hydroélectrique, de même que sur la protection du paysage et des rivières. L’abandon du projet par le premier ministre Parizeau peut également avoir contribué à inscrire la protection du territoire naturel et des cours d’eau dans le plan politique du Parti Québécois, du moins au début des années 2000, alors que, à titre d’exemple, ce parti s’engageait à protéger les rivières : « faire de nos rivières, ces véritables cathédrales d’eau, des lieux de protection, mais aussi des lieux plus accessibles […]. Protéger 15 belles rivières, […] sur lesquelles un jour certains ont voulu construire des barrages […] » (Landry cité dans Breton, 2003).

2.2.2.1 La rivière Nastapoka dans le projet Grande-Baleine

Le projet Grande-Baleine nous permet également, dans le cadre de ce projet de recherche, de poser un premier jalon quant aux discours relatifs à la rivière Nastapoka. En effet, il était initialement prévu que le cours de la Nastapoka soit détourné afin d’augmenter le débit de la rivière Grande-Baleine : à travers les études d’impacts, les représentants d’Hydro-Québec se sont toutefois intéressés à une population de phoques vivant en eau douce, dont l’habitat connu était en amont de la rivière Nastapoka, dans le Lac des Loups-Marins et le Petit-Lac-des-Loups-Marins (Archéotech, 1990). La firme engagée pour mener ces études, Archéotech inc., a organisé des groupes de travail réunissant des chasseurs cris et inuit à Kuujjuarapik-Whapmagoostui, du 8 au 10 février 1990. Les travaux de recherche ont permis de démontrer que la population de phoques communs d’eau douce était unique à la région, ayant probablement été isolée du milieu marin suite au retrait de la mer de Tyrrell causé par le relèvement isostatique dû à la déglaciation. Populaire chez les chasseurs en raison de sa fourrure plus douce que celle des phoques marins vivant dans la Baie d’Hudson, l’espèce a depuis été déclarée « en voie de disparition » par le Comité sur la situation des espèces en péril au Canada et les chasseurs cris et inuit ont voté d’arrêter de les chasser (COSEPAC) (Archéotech, 1990 ; Bisson, 1991a ; MPO, 2019).

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Figure 8 : Exclusion de la rivière Nastapoka des plans d'aménagement de Grande-Baleine (Hydro-Québec, 1993)

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Les conclusions de cette étude, de même que le fort mouvement protestataire par rapport au projet Grande-Baleine, poussent Hydro-Québec à retirer la rivière Nastapoka des plans d’aménagement (Figure 8) (Bisson, 1991b). Cette décision est justifiée par les décideurs d’Hydro-Québec comme permettant de réduire l’impact environnemental du projet, le rendant ainsi « plus acceptable pour les Inuit de la région qui entretiennent une relation particulière avec la rivière Nastapoka » (Rougerie cité dans Bisson, 1991a : A8) ; « Politiquement, pour nous, le fait d’éviter l’utilisation de la Nastapoka ne pourrait être que bénéfique. […] C’est une magnifique rivière, cherchée par les amateurs de nature vierge. Le ministère québécois du Loisir, de la chasse et de la pêche envisage même d’en faire une réserve écologique » (Guertin cité dans Ibid. : A8).

À cet effet, le projet Grande-Baleine et le retrait de la rivière des plans d’aménagement en raison de la présence de phoques communs d’eau douce peuvent être considérés comme des jalons temporels importants quant à la caractérisation de la rivière Nastapoka, marquant en fait l’émergence d’un discours de valorisation patrimoniale.

2.3 Le Nunavik aujourd’hui : aperçu Le Nunavik et les régions du Nord du Québec vivent aujourd’hui de grands défis économiques et sociaux, faisant l’objet de plusieurs études (Martin, 2003 ; Simard, 2017), qui amenaient le géographe Malaurie à qualifier les territoires autochtones canadiens de « quart-monde boréal » (cité dans Canobbio, 2009).

Selon les données de la Société Makivik, les villages du Nunavik manquent gravement de logements de qualité dans un contexte de forte croissance démographique : en effet, le taux de surpopulation des logements s’élevait à 68% selon des données de 2014, pour un taux de croissance de 2,4% entre 2006 et 2011. Le coût de la vie y est plus élevé que dans le sud du Québec, de 52% pour la nourriture et de 97% pour le logement. La population est composée majoritairement de jeunes de moins de 30 ans (65,9%) ; l’espérance de vie est moins élevée que pour l’ensemble du Québec, soit de 64,5 ans pour les hommes et 68,1 ans pour les femmes, contre respectivement 78,5 ans et 83,1 ans pour la province. Plus de 37,5% des ménages vivent sous le seuil de la pauvreté. Le taux de décrochage scolaire atteignait 90% en 2014 (Makivik et al., 2014).

Ce niveau de vie difficile amène des problèmes de santé et de services sociaux, notons « le tabagisme, l’alcoolisme, l’obésité, la mortalité infantile, les maladies cardiovasculaires, le diabète, la violence

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conjugale, les agressions sexuelles, les maladies transmissibles sexuellement ou le suicide » (Simard, 2017 : 278). Ces problèmes sont associés directement aux conditions socioéconomiques et aux traumatismes historiques, selon le Centre de collaboration nationale de santé autochtone (CCNSA) (cité dans Simard, 2017). Ceux-ci, selon Martin (2003), peuvent également être associés à la « modernité », soit l’insertion dans un système-monde économique peu compatible avec la culture traditionnelle (Martin, 2003 ; Gombay, 2013 ; Simard, 2017).

La région fait également face à un certain nombre de défis environnementaux, dans un contexte de changements climatiques ressentis plus fortement en Arctique et ayant des répercussions directes sur les communautés, notamment par la fonte de pergélisol affectant les infrastructures, le déclin de certaines populations animales dont le caribou, de même que la contamination de l’eau au mercure (Allard et Lemay, 2013 ; Makivik et al., 2014 ; GIEC, 2017).

Ce mémoire ne poursuit pas l’objectif de dresser un portrait des problématiques sociales et économiques régionales, mais ce (très) bref aperçu des conditions de vie locales permet de mieux situer et de mieux contextualiser les projets de développement à l’étude.

2.4 Inuit Nunavimmiut : construction d’une identité régionale Les négociations de la CBJNQ et la ratification de cette entente demeurent aujourd’hui des sujets controversés au Nunavik, autant en raison de la division qu’elles ont créée dans la communauté que pour le résultat, compris aujourd’hui comme des acquis trop faibles obtenus dans un contexte de pouvoirs inégaux (Canobbio, 2009 ; Qumaq, 2010 ; Martin, 2003 ; Nungak, 2017). Un regard plutôt aigre est par ailleurs porté sur ces négociations, même par les Inuit y ayant participé, notamment dans les mémoires de Zebedee Nungak : « La cupidité éhontée et le pouvoir brut, voilà ce qui inspirait la manière de négocier de Québec » (2017 : 100).

L’idée de la capabilité des Inuit du Nunavik de s’autogérer était toutefois portée par les dissidents de la CBJNQ depuis les prémisses du mouvement des coopératives du Nouveau-Québec. À Puvirnituq, berceau des coopératives, l’époque marquée par le monopole de la traite des fourrures de la Compagnie de la Baie d’Hudson (CBH), suite à la fermeture du poste de la compagnie Révillon Frères en 1936, a été particulièrement difficile. Le monopole permettait aux gérants du comptoir de traite de faire fluctuer les prix des fourrures, les échangeant pour presque rien : alors que les familles du

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Nunavik devenaient dépendantes des produits du poste de traite, ce commerce inégal a causé des famines dans la population locale (Qumaq, 2010 ; Martin, 2003).

Cette époque, précédant l’arrivée de l’aide sociale instaurée par le gouvernement fédéral, se termine par l’arrivée à Puvirnituq de Peter Murdoch en 1955, un gérant plus clément au poste de la CBH, de même que du père André Steinmann en 1956. Ces deux hommes ont grandement contribué à l’établissement des coopératives au Nunavik en encourageant la production de sculptures de qualité et leur vente dans le Sud : le commerce des sculptures a permis aux Inuit de Puvirnutuq d’atteindre une certaine autonomie économique, et le modèle coopératif leur a donné l’occasion de prendre en charge cette économie en s’insérant dans le système commercial canadien et mondial (Qumaq, 2010 ; Martin, 2003 ; Hervé, 2014). Les coopératives se sont rapidement multipliées au Nunavik et ont élargi leurs domaines d’activités, ajoutant au commerce des sculptures la vente de produits d’alimentation et de consommation, du pétrole, ainsi que des services de restauration et d’hôtellerie (Qumaq, 2010 ; Martin, 2003). Forts du succès économique de ces coopératives, les initiateurs de ce projet ont bientôt considéré l’expansion de cette autonomie nouvelle à la scène politique, tel qu’exposé par Martin (2003) :

Aux yeux de Simard, son observateur le plus assidu, le mouvement coopératif inuit est une expérience unique qu’il ne faut pas simplement considérer comme une victoire culturelle ; il fut aussi un succès économique et la pépinière du mouvement autonomiste inuit. En effet, dès 1969, les représentants de la Fédération [des coopératives du Nouveau-Québec] réclamèrent, à Québec, la création d’un gouvernement régional pour ce qu’on appelait à l’époque le Nouveau-Québec (Martin, 2003 : 37).

Si, pour les uns, le développement hydroélectrique de la Baie-James et la CBJNQ ont mis un frein à ce mouvement, accordant aux Inuit les pouvoirs administratifs semblables à ceux d’une municipalité, il n’en demeure pas moins que certains articles de la Convention ont fourni des outils économiques et administratifs aux Inuit du Nunavik pour construire et affirmer leur identité régionale tout en y légitimant leur ancestralité. En effet, selon Canobbio (2009), la Société Makivik recourt à plusieurs outils pour le contrôle et la production des données géographiques, archéologiques, historiques et linguistiques. La mise en place de l’Institut culturel Avataq en 1980 permet d’institutionnaliser la mémoire et la culture locales : « Par le biais de ses programmes linguistiques, patrimoniaux et culturels, l’Institut culturel Avataq s’efforce de soutenir et de préserver la culture inuite pour le bénéfice des générations actuelles et à venir » (Avataq, 2019 : s.p.). En 1986, la région prend officiellement le toponyme de « Nunavik » ; des inventaires toponymiques en inuktitut sont relevés, puis publiés sous la forme d’une série de cartes

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toponymiques en 1989 (Canobbio, 2009 : 109-114). Ainsi, le contrôle des données régionales et l’atteinte d’une autonomie quant à leur production permet de légitimer l’identité régionale et les frontières territoriales de cette identité. Selon Bourdieu (1980 : 67), la définition d’une région repose sur des représentations, et, pour un groupe social régional, « exister socialement, c’est aussi être perçu, et perçu comme distinct ». En d’autres termes, les actions mises en place par la Société Makivik dans les années 1980 ont contribué à construire la représentation du Nunavik et des Nunavimmiut comme une région et un groupe social distincts. C’est du moins la lecture qu’en fait Canobbio :

Si le terme de régiogenèse a un sens au nord du 55° parallèle québécois, il s’exprime au travers de ces processus successifs et cumulatifs d’une lecture du territoire du Nunavik, nourris d’histoires communautaires, de pratiques spatiales nomades anciennes et abandonnées, d’appartenances locales et sédentaires, de découverte d’une forme de patrimonialisation par la mise en perspective de paysages culturels et naturels, de tous ces éléments qui, réunis dans un creuset commun, forment, nourrissent et délimitent la conviction régionale, celle-là même que portent les élites inuites en défendant l’intégrité territoriale d’une région en devenir (Canobbio, 2009 : 121-122).

Ainsi, malgré l’importante dissension créée par la Convention de la Baie James, la période suivant la création de la Société Makivik a permis l’établissement efficace d’une identité régionale cohésive et cohérente avec les frontières géographiques qui lui étaient désignées. L’investissement dans la production de savoirs géographiques et de mémoire a su imposer une certaine autorité régionale quant au contrôle du territoire et de ses ressources, ce qui modifiera le ton des négociations futures sur les projets d’exploitation du gouvernement du Québec, tel qu’il en sera question au Chapitre 3.

L’ambition d’autogouvernance demeure toujours vivante à travers cette période, et les Nunavimmiut reprennent les négociations dès 1984 pour un projet de gouvernement régional élu, qui, sans se dissocier complètement du Québec ou du Canada, aurait plus de pouvoirs et une relation plus égalitaire, dans un format impliquant plus directement les Nunavimmiut (Hervé, 2014). La tenue d’un référendum en 2011 et les débats qui l’ont accompagné ne sont pas sans rappeler les conflits de 1975 autour de la CBJNQ. Le résultat du référendum peut toutefois sembler surprenant : le « non » a été majoritairement choisi dans tous les villages du Nunavik, pour représenter 66% des voix au total (Hervé, 2014). Selon l’analyse qu’en fait Hervé, ce résultat n’indique pas un refus des Nunavimmiut pour l’autonomie régionale, mais bien l’affirmation d’une volonté collective pour une autonomie plus collaborative et mieux intégrée, par laquelle une relation de partenariat pourra s’installer avec les autres paliers de gouvernement. Au terme du référendum, le projet autonomiste s’est donc reconstitué sous

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un nouveau groupe, l’Inuit Citizen’s Assembly of Nunavik (ICAN) pour poursuivre et préciser sa mise en œuvre (Hervé, 2014).

2.5 Retour aux sources à Umiujaq Le village d’Umiujaq a été fondé en 1986 suite au déménagement d’une partie de la population de Kuujjuarapik aux abords du Lac Guillaume-Delisle (aussi nommé Tasiujaq ou Richmond Gulf3), selon des modalités incluses dans la CBJNQ et où des terres de catégorie I étaient déjà prévues (Martin, 2001). Lors d’un référendum tenu en 1982, 52% des Inuit de Kuujjuarapik ont voté en faveur du déménagement. Le village d’Umiujaq a ouvert officiellement en 1986, mobilisant le déplacement de 280 personnes depuis Kuujjuarapik (Martin, 2001).

Les raisons évoquées par les personnes ayant décidé s’établir à Umiujaq sont documentées principalement dans la thèse de Martin (2001). La plus importante a d’abord été de se rapprocher de meilleurs territoires de chasse et de pêche, et par la même occasion des activités liées au mode de vie traditionnel, dans un endroit où plusieurs avaient le souvenir d’avoir vécu avec leurs parents (Martin, 2001 ; TNI, 2018). La relocalisation leur permettait également de vivre plus paisiblement et fuir les problèmes « urbains » de Kuujjuarapik, tels que la drogue, l’alcool et la violence, de même que la population nombreuse et multiculturelle (Martin, 2001 ; Kunuk et Diamond, 2013).

Selon Martin (2001), les raisons évoquées pour le déménagement sont d’ordre culturel et historique, et s’insèrent dans un mouvement de « retour aux sources » déjà entamé dans le cas de la création de certains villages tels qu’Akulivik. La sédentarisation du Nunavik, tel que mentionné précédemment, s’est effectuée en suivant l’installation de missions et de postes de traite sur le territoire, et ce, pas nécessairement sur des sites de campement établis. Ce mouvement de « retour aux sources » est ainsi « porté par un discours qui indique une volonté d’inverser le processus de perte du mode de vie traditionnel qui s'est intensifié avec le processus de sédentarisation et l’accroissement démographique des communautés » et s’effectue vers des sites de chasse connus et exploités par les Inuit exprimant le désir de se reloger (Martin, 2001 : 117). Dans le cas d’Umiujaq, la proximité de la ressource faunique

3 Malgré l’existence d’un toponyme inuktitut pour le Lac Guillaume-Delisle, le toponyme francophone sera utilisé dans le texte et la cartographie afin d’en simplifier la compréhension, puisque « Tasiujaq » est un nom très commun en inuktitut, et les toponymes anglais et français étaient les seuls utilisés à l’époque de la création du parc. Il en va de même pour le Lac- à-l’Eau-Claire (Clearwater Lakes), lequel a été renommé en langue crie « Wiyâshâkimî ».

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était également un argument pour justifier le déménagement, le territoire étant plus riche en gibier que celui de Kuujjuarapik4 (Martin, 2001).

Le relogement vers Umiujaq peut toutefois être vu de façon assez controversée, en raison du résultat très serré au référendum et de familles qui, dans certains cas, se sont dissociées puisqu’une partie avait décidé de demeurer à Kuujjuarapik et l’autre, de migrer vers Umiujaq (TNI, 2018). Par ailleurs, certains résidents de Kuujjuarapik ont vu comme une « fuite » le déménagement de certaines personnes face au projet Grande-Baleine qui était alors envisagé, selon les entrevues menées par Martin (2001). Le développement hydroélectrique et les études d’avant-projet auraient pu, selon le même auteur, engendrer des répercussions importantes sur le mode de vie, par la mise en place d’emplois salariés, de même que l’arrivée massive d’employés du sud, d’alcool, de drogues, et une pression plus grande sur la ressource faunique (Idem). Enfin, le relogement peut également être interprété comme une stratégie de reprise de pouvoir sur l’histoire locale :

Le déménagement est donc une stratégie collective de reprise de contrôle de l'historicité. L'histoire inuit doit être écrite, semblent dire ces répondants, et ils veulent désormais en être les seuls auteurs. Cette prise de possession de l'histoire s'exprime, dans le discours des acteurs, par l'affirmation de la nécessité de sauvegarder, si ce n'est de retourner à un mode de vie et à des valeurs traditionnels (Martin, 2001 : 129).

Selon Canobbio (2009), la communauté d’Umiujaq « avait aussi misé sur une démarche de valorisation de son patrimoine environnemental » en s’installant dans un secteur déjà ciblé et inventorié par Parcs Canada comme un lieu éventuel pour installer un parc national (2009 : 188-189). En tant que village « tout neuf », l’accueil touristique peut en effet être facilité à Umiujaq. La communauté d’Umiujaq est par ailleurs toujours portée par un discours de proximité avec le mode de vie traditionnel, discours qui cadre bien avec les objectifs d’un parc national :

Umiujaq, fondé en 1986 par une poignée d’Inuits qui ont quitté leur village d’origine pour laisser derrière eux les bouleversements liés au chantier de la Baie-James, a été bâti sur des valeurs communautaires et traditionnelles fortes. Les problèmes sociaux sont moins nombreux dans ce jeune village que dans d’autres, comme Puvirnituq ou Kuujjuaq, nous disent beaucoup de Qallunaat et d’Inuits qui les ont visités. Et c’est entre autres pour cette raison que le Nunavik axe principalement sa stratégie de développement du tourisme

4 Cet argument m’a été confirmé par un certain nombre de personnes sur le terrain dans le cadre de discussions informelles, alors qu’une partie de la population du village d’Umiujaq était réunie près de la plage pour attendre le retour d’hommes partis chasser le béluga.

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autour d’Umiujaq ainsi que des villages de Kangiqsujuaq et Kangiqsualujjuaq, encore plus au nord, chacun étant aussi situé près d’un parc national (Girouard, 2017 : s.p.). Conclusion En résumé, ce chapitre visait à cerner le contexte dans lequel notre étude de cas s’insère, par un survol historique, politique et social de la région depuis les années 1960 principalement. Par l’étude de sources secondaires, nous pouvons identifier des relations changeantes avec les gouvernement fédéral puis provincial, marquées toutefois par une certaine inégalité dans les échanges, où les Inuit se voyaient parfois accessoires à des objectifs géostratégiques d’occupation territoriale, notamment au cours de la Guerre Froide et de la Révolution tranquille. À partir de la fin des années 1960, un discours d’autonomie économique et politique émerge chez les Inuit suite au succès du mouvement des coopératives : ce mouvement s’oppose, dans le sillage des négociations de la CBJNQ, à un second groupe, militant celui-ci pour des négociations avec le gouvernement provincial devant mener à une plus grande autonomie de gestion. La signature controversée de la CBJNQ en 1975 a contribué à creuser cette division, mais résulte d’autre part en la mise en place d’institutions régionales ayant le pouvoir de gérer les revendications territoriales et la production de savoirs, notamment par la mise en valeur du patrimoine. Dans le contexte plus local d’Umiujaq, le patrimoine culturel est vécu par la poursuite d’activités associées au mode de vie traditionnel, le choix du site pour le village s’insérant dans un mouvement de « retour aux sources ».

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Chapitre 3 Processus de création d’un parc national au Nunavik

Introduction Ce chapitre vise à répondre au second objectif spécifique de ce projet de recherche, soit de contribuer à une meilleure compréhension de la mise en protection des territoires nordiques au Québec dans le contexte de l’Entente Sanarrutik et du Plan Nord. Nous présenterons donc un aperçu général du processus de création du parc, en se concentrant sur les actions de l’État et des instances administratives régionales. Pour une meilleure compréhension des événements, nous y présenterons d’abord le contexte juridico-politique dans lequel la création du Parc national Tursujuq s’insère, suivi d’une analyse cartographique de l’évolution des limites officielles du territoire réservé pour le parc, à partir du premier arrêté ministériel (1992), jusqu’à son inauguration officielle (2013). Nous présenterons également le Plan directeur provisoire, le premier plan officiel pour la création du parc publié par le MDDEP en 2008. Enfin, nous aborderons les réactions de la population locale face à ce projet.

3.1 Processus formel de création du parc national : aperçu Dans cette section, nous présentons un aperçu du contexte légal et de la scène politique à travers lesquels la création de parcs nationaux s’inscrit, au Québec d’abord puis dans le cas plus spécifique du Nunavik. Une lecture de ce contexte plus formel permet une meilleure compréhension des intérêts et des contraintes du Québec quant à la mise en protection d’espaces naturels sur le territoire provincial comme au Nunavik.

3.1.1 Lois provinciales et intérêt du Québec pour la création d’aires protégées Au Québec, les parcs nationaux sont encadrés principalement par deux lois : la Loi sur les Parcs, datant de 1977, et la Loi sur la conservation du patrimoine naturel, adoptée en 2002. À ces lois s’ajoute la Stratégie québécoise sur les aires protégées, par laquelle le gouvernement provincial s’engageait en 1999 à « augmenter, d’ici l’an 2005, la superficie en aires protégées, de manière à atteindre une représentation de l’ordre de 8 % du territoire du Québec » (Québec, 1999 : 10). Enfin, le Plan Nord, publié en 2011, vise la désignation de 50% du territoire nordique (nord du 49e parallèle) « à des fins autres qu’industrielles », et la protection de 20% de celui-ci sous la forme d’aires protégées (Québec, 2015).

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La Loi sur les Parcs de 1977 a été adoptée, selon Crépin-Bournival (2015), afin de préciser la définition et le statut des parcs nationaux au Québec, au terme d’un débat entourant l’aménagement hydroélectrique de la rivière Jacques-Cartier, alors que celle-ci était incluse dans le Parc des Laurentides. Selon cette loi, un parc est défini comme suit :

Figure 9 : Provinces et régions naturelles du Québec (Québec, 1999 : s.p.)

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[U]n parc national dont l’objectif prioritaire est d’assurer la conservation et la protection permanente de territoires représentatifs des régions naturelles du Québec ou de sites naturels à caractère exceptionnel, notamment en raison de leur diversité biologique, tout en les rendant accessibles au public pour des fins d’éducation et de récréation extensive (Gouvernement du Québec, Loi sur les Parcs, 1977, Section I Art. 1).

La « récréation extensive » se définit pour sa part comme « un type de récréation caractérisée par une faible densité d’utilisation du territoire et par l’exigence d’équipements peu élaborés » (Idem), c’est-à- dire que les activités excluent toute forme d’exploitation telles que la chasse, le piégeage, de même que les activités forestières, minières, de production d’énergie, ou encore l’aménagement industriel tel que « passage d’oléoduc, de gazoduc et de ligne de transport d’énergie » (Idem). Dans le cas d’installations déjà existantes au moment de la création du parc, l’entretien de ces équipements industriels est permis.

À l’instar des standards internationaux définis par l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN), la définition adoptée en 1977 par le Québec se base sur deux objectifs, soit la mise en réserves de sites « représentatifs » et l’accessibilité de ces territoires à la population pour des fins récréatives (Dudley, 2008 : 19). Les sites dits représentatifs réfèrent au Cadre écologique de référence du Québec, un document cartographique divisant le Québec en 13 provinces, puis 80 régions naturelles (Figure 9) selon une classification basée sur des « niveaux de perception écologique de l’espace » (MELCC, 2019 : s.p.).

La Loi sur les Parcs établit également la démarche générale à suivre pour la création d’un parc national au Québec, vulgarisé par Grammond et al. :

L’article 4 de la Loi [sur les Parcs] prévoit la procédure de création d’un parc. Le gouvernement doit d’abord publier dans les journaux de la région concernée un avis de son intention de créer un parc. Toute personne s’y opposant dispose d’un délai de 60 jours pour faire valoir son point de vue. Une audience publique doit ensuite être tenue […]. Enfin, le gouvernement peut formellement prendre le décret qui crée le parc et établit ses limites. Il faut cependant souligner le fait que ce processus de consultation prévu dans la Loi ne vise pas spécifiquement les peuples autochtones et ne vise pas à mettre en œuvre l’obligation de consulter les Autochtones établie par la Cour suprême en 2004 dans l’arrêt Nation haïda (Grammond et al., 2012 : 22).

Par ailleurs, au-delà de l’objectif de représentativité, le Cadre d’orientation en vue d’une stratégie québécoise sur les aires protégées ajoute en 1999 la notion de superficie dans la démarche de désignation d’aires protégées et de parcs nationaux. Cette démarche est justifiée par une pression de

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plus en plus importante sur les territoires naturels, de même que par une volonté du Québec de « respecter ses engagements internationaux et atteindre les hauts standards environnementaux reconnus » (Québec, 1999 : 3). À cette époque, une superficie équivalant à environ 2,8% du territoire provincial était désignée comme une aire protégée, alors que la moyenne mondiale était, en 1996, de 8,8% (Ibid. : 7). Le Québec enregistrait donc un net retard à l’échelle internationale. La mise en œuvre d’une stratégie provinciale impliquait une augmentation significative de la superficie d’aires protégées, ce qui était accueilli défavorablement par certains groupes d’intérêt, notamment par l’Association minière du Québec (AMQ) :

L'exploration de façon continue, c'est le seul moyen de découvrir les gisements, et c'est pour ça qu'on a besoin d'accéder au plus grand territoire. Mais, nous, on a aussi besoin de certitude: un, on peut accéder au territoire; deux, en cas de découverte, on peut exploiter ce qu'on a trouvé. Alors, si les importantes étendues de territoire sont soustraites à ces jalonnements ou à l'accès de l'industrie minière pour explorer et, éventuellement, exploiter, nous courons naturellement vers la mort, O.K., si je peux m'exprimer ainsi. […]. Comme l'industrie minière joue un rôle premier au développement socioéconomique des régions, cette décision du ministère de l'Environnement, elle connaîtra d'importantes répercussions aussi sociales et économiques. (Tolgyesi dans Québec, 2002 : s.p.).

Les discours opposés à la mise en place d’aires protégées se basent la plupart du temps sur des arguments de prospérité socio-économique (Crépin-Bournival, 2015). La création d’emplois associée à l’exploitation industrielle du territoire se voit en quelque sorte compromise par la mise en réserve de territoires naturels. En l’occurrence, à l’occasion des travaux parlementaires sur le projet de loi sur la conservation du patrimoine naturel (2002), l’AMQ reçoit l’appui de David Whissell, député d’Argenteuil pour le Parti libéral du Québec, alors à l’opposition officielle : « Oui, le Québec se doit d'augmenter les aires protégées, mais il ne faut pas le faire non plus à des endroits stratégiques où le développement minier peut se faire » (Whissell dans Québec, 2002 : s.p.). Ce député deviendra en effet Ministre du Travail sous le gouvernement Charest, l’année suivante (ANQ, 2019).

Les orientations adoptées par le gouvernement provincial, en plus d’objectifs en superficie du territoire, ont contribué à l’adoption de la Loi sur la conservation du patrimoine naturel en 2002. Cette loi définit d’abord les « aires protégées » d’une manière plus large que celle du parc national élaborée dans la Loi sur les Parcs en 1977 : « un territoire, en milieu terrestre ou aquatique, géographiquement délimité, dont l’encadrement juridique et l’administration visent spécifiquement à assurer la protection et le maintien de la diversité biologique et des ressources naturelles et culturelles associées » (Gouvernement du Québec, Loi sur la conservation du patrimoine naturel, 2002, Section I, Art. 1). Cette

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définition plus large permet au Québec de diversifier les types d’aires protégées pouvant être mises en place sur le territoire québécois. La loi intègre, par exemple, les « paysages humanisés », lesquels ont été formés par les activités humaines au fil du temps ; de l’autre côté du spectre, la Loi prévoit également la mise en place de « réserves écologiques », soit des parcelles de territoire ayant subi un impact négligeable de la présence humaine et mises en place pour être conservées « le plus intégralement possible », c’est-à-dire par un contrôle d’accès strict (Idem). En élargissant la définition d’aires protégées, le gouvernement se dote par la Loi sur la conservation du patrimoine naturel d’une certaine souplesse quant au niveau de protection prescrit, facilitant par le fait même l’atteinte des objectifs établis en termes de superficie.

La publication du Cadre d’orientation en vue d’une stratégie québécoise sur les aires protégées (1999), puis l’adoption de la Loi sur la conservation du patrimoine naturel (2002), de même que les engagements du gouvernement à augmenter à 8% la superficie d’aires protégées sur le territoire du Québec avant 2005 sont des mesures mises en place entre 1999 et 2002, sous différents gouvernements du Parti Québécois (ANQ, 2019). L’arrivée au pouvoir du Parti Libéral en 2003, dirigé par Jean Charest sous l’engagement de « placer le Québec sur la voie du progrès économique et social et pour relever les défis de [son] époque » (Charest, 2003 : s.p.) semble ralentir les actions politiques de mise en place d’aires protégées. En effet, en 2008, 4,91% du territoire provincial est protégé, et l’objectif de 8% préalablement fixé à 2005 est repoussé à mars 2008 (ARK, 2008 ; Québec, 2008). Il serait toutefois simpliste de voir dans ce ralentissement un manque d’intérêt de la part du gouvernement en place, puisque certaines actions ont tout de même été mises en place pour l’atteinte des objectifs, tel qu’en témoigne Line Beauchamp, alors Ministre de l’Environnement et des Parcs :

Écoutez, on n'a pas consacré beaucoup de temps au dossier des aires protégées, et pourtant c'est un dossier majeur […]. Vraiment, je veux juste qu'on réalise ensemble, là, que, dans le dossier des aires protégées, en 100 ans, on va avoir atteint même pas tout à fait 5 %. […] Donc, je voulais juste vous relater ça en disant: On va atteindre les objectifs, on est très confiants, mais c'est un travail gigantesque, vraiment (Beauchamp dans Québec, 2008 : s.p.).

La création d’aires protégées, quoique ralentie, semble retrouver une place plus importante dans les actions gouvernementales avec la publication du Plan Nord en 2011, lequel s’engageait à soustraire 50% du territoire nordique du développement industriel. Cette superficie se détaille plus spécifiquement par la création d’aires protégées sur 20% du territoire, « dont au moins 12% en forêt boréale » et un 30% dit « résiduel » sur lequel un mécanisme d’affectation, non défini, doit être « vou[é] à la protection

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de l’environnement à la sauvegarde de la biodiversité et à la mise en valeur de divers types de développement » (Québec, 2015 : 32). L’affectation du territoire prévue par le Plan Nord, et notamment sur le point des aires protégées, a été largement critiqué pour son manque de précision (Berteaux, 2013 ; Rogel, 2015 ; Simard, 2017).

Ouf! Il est possible de démêler ces chiffres, mais cela ne fait qu’illustrer la vision superficielle du Plan. La mise à l’abri du développement industriel de la moitié du territoire est une idée qui a été soufflée à l’oreille de Jean Charest par les organismes internationaux de conservation, en particulier le Pew Charitable Trust. Appliquée à un vaste territoire presque vierge et peu peuplé, l’idée semblait réalisable et séduisante; elle a été adoptée sans discussion. La cible de 20% du territoire en aires protégées contribue à l’atteinte globale de cet objectif, mais elle découle en fait d’une autre logique. Le Québec veut se conformer à la cible de protection de la Convention internationale sur la biodiversité, soit 17% du territoire terrestre en 2020 (cible dite de Nagoya). En mettant la barre à 20% pour le territoire du Plan Nord qui couvre les trois quarts du Québec, on devrait atteindre – c’est mathématique – la cible de Nagoya ou arriver tout près (Rogel, 2015 : s.p.).

De fait, le Plan Nord est considéré comme priorisant en premier lieu le développement minier, dans un contexte où les prix des métaux étaient élevés, « sans véritablement insuffler une réelle dynamique de développement dans le nord québécois » (Simard, 2017 : 286). La création d’aires protégées peut donc apparaître comme une mesure visant à rendre ces développements industriels plus acceptables, tout en accélérant la création de grandes superficies d’aires protégées pour atteindre les objectifs internationaux en la matière (Grammond et al., 2012 ; Simard, 2017). C’est du moins l’analyse qu’en font Grammond et al. :

Le projet du parc Tursujuq et, de manière générale, la création de parcs au Nunavik découlent d’intérêts partiellement convergents de plusieurs acteurs majeurs de la gouvernance nordique. Le gouvernement du Québec poursuit plusieurs objectifs en créant des parcs. La Loi sur les parcs souligne certains d’entre eux. Il s’agit d’abord d’assurer la conservation des sites naturels exceptionnels. Symbolique à première vue, cet objectif n’est pas dépourvu de dimensions politiques. En effet, le Québec s’est engagé à protéger 12%5 de son territoire à titre d’« aires protégées », un concept qui comprend divers statuts de territoire, dont celui de parc national […]. La création de parcs au Nunavik lui permet d’améliorer son bilan en la matière et de se présenter comme un chef de file de la protection de l’environnement, sans devoir faire face aux difficiles arbitrages qui seraient nécessaires afin de préserver un territoire d’une superficie semblable dans le sud du Québec, là où les utilisations potentielles du territoire sont plus nombreuses et plus intensives (Grammond et al., 2012 : 22).

5 L’objectif de 8% a été augmenté à 12% en avril 2011 (MELCC, 2019).

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Le projet de parc des Lacs-Guillaume-Delisle-et-à-l’Eau-Claire (aujourd’hui le Parc national Tursujuq), vu sa superficie, s’intègre particulièrement bien dans cette perspective. Par ailleurs, Grammond et al. soulignent un intérêt, pour le Québec, de créer des parcs pour justifier symboliquement « [l]a légitimité de l’appartenance du Nunavik au Québec » (Ibid. : 23). Dans le cas du projet de parc, la question territoriale est problématique notamment au lac Guillaume-Delisle : en effet, lors de l’inclusion de la péninsule d’Ungava au Québec, la frontière provinciale a été établie à la rive. C’est donc la ligne de l’eau de la baie d’Hudson, variable selon les marées, qui définit la limite entre le Nunavik et le Nunavut dans ce secteur. Le lac Guillaume-Delisle est ouvert sur la baie d’Hudson par un étroit passage, le Tursujuq (le Goulet), ainsi le statut de l’étendue d’eau et des îles que l’on y trouve était toujours à définir en 2008. Le gouvernement fédéral réclamait cette parcelle de territoire comme faisant partie du Nunavut, puisqu’atteinte par les marées ; le Québec la considérait toutefois comme faisant partie du territoire provincial. L’installation d’un parc national pouvait donc s’avérer une action concrète pour occuper stratégiquement cet espace discuté, d’autant plus que ce secteur était défini comme important pour les populations locales (ARK, 2008). En posant une action d’aménagement sur le territoire autour du lac Guillaume-Delisle, le Québec pouvait donc à la fois « raffermir les liens entre le Nunavik et le Québec méridional » (Grammond et al., 2008 : 23) et officialiser l’appartenance québécoise du lac Guillaume-Delisle et de ses îles.

3.1.2 Réglementation spécifique au Nunavik Aux règlementations et orientations gouvernementales provinciales s’ajoutent des dispositions particulières au Nunavik pour la création d’aires protégées. En effet, la CBJNQ prévoit une série de mesures pour protéger la pratique des activités traditionnelles, lesquelles ont préséance sur la Loi sur les Parcs, ce qui signifie que les bénéficiaires conservent leurs droits de chasse et de piégeage sur le territoire du parc national (ARK, 2008 ; MDDEP, 2008a ; Grammond et al., 2012). En vertu de la Convention, le projet de parc doit également être analysé par la Commission de la qualité de l’environnement Kativik (CCEK), puis approuvé par les corporations foncières et les municipalités avant d’être adopté, en plus des procédures de consultations publiques prévues par la Loi sur les Parcs (Grammond et al, 2012).

La création de parcs nationaux et leurs modalités de gestion au Nunavik ont été officialisées en 2002, à l’occasion de l’Entente Sanarrutik, une entente de partenariat pour le développement régional des industries minière, hydroélectrique et touristique (Makivik et al, 2008). Le document établit que « le

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potentiel touristique du Nunavik est sous-exploité » (Ibid. : 5) et prévoit la création de parcs nationaux cogérés selon des modalités à définir, en s’engageant à créer le Parc des Pingaluit (Idem). L’Entente Sivunirmut (2004) détermine quant à elle le financement accordé par le gouvernement du Québec à l’ARK, ainsi que les responsabilités de chaque partie pour la gestion des parcs. Ce document spécifie les responsabilités et délègue les activités de gestion des parcs nationaux du Nunavik à l’ARK, laquelle est supervisée plus largement par le MDDEP (ARK, 2008 ; ARK, 2011). Dans le sillage de cette entente, l’organisation « Parcs Nunavik » a été créée au sein de l’ARK afin de gérer les opérations des parcs nationaux du Nunavik (ARK, 2008).

Parmi les mesures prévues pour la création d’un parc, et afin d’assurer un lien plus direct avec la population, l’Entente Sivurnimut prévoyait « la mise sur pied d’un comité d’harmonisation composé de représentants de l’ARK, du MDDEP, de la Société Makivik et des communautés inuites et cries concernées » (ARK, 2008 : 29). Dans le cas du projet de parc des Lacs-Guillaume-Delisle-et-à-l’Eau- Claire, ce comité a été formé en 2006 et est toujours actif, agissant à titre consultatif pour assurer un suivi de la gestion du parc (Idem).

3.2 Évolution des limites du territoire réservé pour un parc L’intention de créer un parc national sur le territoire à l’étude date du début des années 1980 (MDDEP, 2008a ; Canobbio, 2009). Après avoir adopté la Loi sur les Parcs en 1977, le gouvernement québécois a déterminé les territoires se démarquant par leurs caractéristiques biophysiques, susceptibles de faire partie du réseau de parcs nationaux. Au Nunavik, un groupe de travail nommé Pitsiataugik est d’abord mis en place en 1982 pour « dresse[r] une liste de plusieurs territoires au nord du Québec qui pourraient mériter un statut de protection » (MDDEP, 2008a : 2). Les lacs Guillaume-Delisle et à l’Eau- Claire y sont identifiés. Puis, en 1989, un mémoire est déposé par le ministère du Loisir, de la Chasse et de la Pêche, pour demander l’inscription de certains territoires au nord du 49e parallèle en tant que réserves de parcs (Idem).

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Figure 10 : Évolution du territoire réservé pour un parc, 1992-2013

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En 1992, un arrêté ministériel officialise le statut de réserve de parc sur un territoire incluant les lacs Guillaume-Delisle et à l’Eau-Claire, mais excluant le bassin versant de la rivière Nastapoka (Figure 10). Cette zone est modifiée en 2002 pour y inclure le secteur est du bassin versant de la Nastapoka, où se trouve la majeure partie de l’habitat du phoque commun d’eau douce, de même que l’embouchure de la Petite Rivière de la Baleine (sud-ouest), caractérisée par un paysage de cuestas (ARK, 2007). Les nouvelles limites excluent par le fait même une partie au sud du territoire réservé, à des fins d’exploration minière. Ce secteur est rajouté en 2004 au territoire réservé vu le faible potentiel minier6 (MDDEP, 2007).

En 2006, le comité d’harmonisation modifie la limite de la zone d’étude pour y ajouter les Lacs des Loups-Marins afin de protéger l’habitat du phoque commun d’eau douce, ainsi que la majeure partie du bassin versant de la rivière Nastapoka :

Samson Shem explains that the Cree people have reported seals, not many but a few, in a big area south of the park project area and north of the area too. If he would have the choice, he would extend the proposed park’s north boundary to include the whole Seal Lake and another big lake. [...] Tracing an extended limit north of the proposed territory under study by Samson Shem. Willie Kumarluk traces another line to include the Nastapoka River, from the [Hudson’s] Bay to the Seal Lake (ARK, 2008 : 135).

Cette nouvelle limite est la plus vaste pouvant être associée au projet de parc (en trame de fond sur la Figure 10). La zone d’étude tracée en 2006 définit également le territoire soumis à des études scientifiques portant sur la géographie, la biologie, l’archéologie et l’histoire, lesquelles seront présentées par l’ARK dans l’État des connaissances en 2007. Au moment d’augmenter les limites de la zone d’étude, les représentants du comité d’harmonisation sont avertis que ce territoire peut être déjà soumis à des projets miniers ou hydroélectriques, et qu’ainsi son inclusion aux limites du parc national est peu probable, quoique possible si celle-ci est définie comme souhaitable au terme des audiences publiques et de négociations avec le MERN, le MDDEP et Hydro-Québec (ARK, 2008). La nouvelle zone deviendra toutefois, tel qu’exposé au chapitre suivant, le point de référence pour le territoire potentiel du parc national pour certains acteurs tels que les populations locales et les groupes militants pour l’environnement. En effet, la limite « officielle » proposée en 2008 par le MDDEP,

6 Selon les personnes consultées à Umiujaq, le secteur présentait un certain potentiel minier, mais son extraction n’aurait été possible que pour une durée d’environ cinq ans, du coup le projet n’était pas économiquement viable et a été abandonné.

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semblable au territoire réservé en 2004 quoiqu’excluant les Lacs-des-Loups-Marins, apparaîtra comme une réduction de la zone d’étude définie en 2006 (ARK, 2008) :

Mais c’est ce que le [P]lan [directeur provisoire] ne contient pas qui sème la controverse. Juste au nord du futur parc, on trouve une autre splendeur naturelle, la rivière Nastapoka. Ce cours d’eau parsemé de chutes et de rapides prend sa source au lac des Loups- Marins, l’un des rares plans d’eau douce au monde où l’on peut apercevoir des phoques. ″La proposition originale, qui émanait du ministère de l’Environnement et des locaux, en 2006, c’était que le parc inclue la Nastapoka, affirme John O’Driscoll, président de la Société pour la nature et les parcs du Canada. Quand les gens d’Hydro-Québec ont eu vent de cela, ils s’y sont opposés″ (Croteau, 2008 : A4).

La limite proposée par le MDDEP en 2008 dans le Plan directeur provisoire est donc controversée surtout lorsqu’elle est comparée avec la zone d’étude définie en 2006, notamment en raison des études menées sur le territoire et la désignation, dans l’État des connaissances, de la rivière Nastapoka comme une « aire d’intérêt » (ARK, 2007). Le MDDEP, malgré les discours de certains acteurs tels que celui présenté ci-haut, n’a toutefois jamais mentionné son intention d’inclure la totalité de la zone d’étude dans le projet de parc :

À l’heure actuelle, le territoire à l’étude couvre une superficie de 26 910 km2 […], ce qui représente 1,6% de la superficie du Québec. En plus de la totalité du bassin versant de la rivière Nastapoka, le territoire inclut le bassin versant de la rivière à l’Eau Claire. Sur ce territoire, une portion de 15 000 km2 possède le statut de Réserve de parc national, le protégeant ainsi temporairement avant l’obtention du statut légal de protection de parc national. Il est à noter que la limite présentée dans ce document ne constitue pas la limite proposée pour la création du parc, car l’analyse des potentiels et des contraintes n’est pas terminée. Par exemple, dans le secteur de la rivière Nastapoka, des titres miniers sont actifs et Hydro-Québec a un projet de centrale hydroélectrique qui pourrait également toucher les lacs des Loups Marins (MDDEP, 2007 : 11-12).

Après les audiences publiques de 2008, au terme desquelles il est recommandé d’inclure la totalité du bassin versant de la rivière Nastapoka aux limites du Parc national, une période de négociations semble s’établir jusqu’en 2013. Au cours de cette période, un moratoire minier a par exemple été imposé sur une partie du bassin versant de la rivière Nastapoka, incluant les Lacs des Loups-Marins (Figure 10). Rappelons que cette période est marquée par une augmentation rapide de l’exploration minière au Québec nordique (Tisseyre, 2012 ; Simard, 2017).

Ensuite, en 2011, le Ministère des Ressources naturelles et de la faune (MNRF) transmet une proposition à l’ARK pour un agrandissement des limites de la réserve de parc national en incluant une

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grande partie du bassin versant de la rivière Nastapoka, mais avec certaines zones exclues à des fins de développement hydroélectrique et minier (Figure 11). L’aménagement hydroélectrique sur la Nastapoka, près de l’embouchure, est d’une superficie largement moindre à celle réservée par Hydro- Québec en 2008. Cette proposition comprend également l’exclusion de la Petite Rivière de la Baleine à son embouchure, également en prévision d’un aménagement hydroélectrique : ces zones seraient exclues du parc pour une période de 20 ans, et si aucun aménagement n’y est installé, elles pourraient être intégrées aux limites du parc (ARK, 2012). De plus, deux parcelles dans le secteur ouest du bassin versant de la Nastapoka sont exclues pour un développement minier, puisque des gisements d’uranium ont été découverts dans le secteur. En tout, les secteurs exclus représentent une superficie d’environ 1200 km2, et une superficie d’environ 8800 km2 serait intégrée aux limites du parc (ARK, 2012). Cette proposition est toutefois refusée par les représentants de l’ARK, qui mentionnent que les discours récoltés pendant les audiences publiques leurs permettent de prévoir un refus des populations locales impliquées. Ceux-ci mentionnent également que le projet de parc ne devrait peut-être pas aller de l’avant tant que les recommandations faites suite aux audiences publiques ne sont pas respectées (Idem).

La proposition du MNRF en 2011 semble être la dernière option de compromis entre les industries hydroélectrique et minière et le projet de parc national. À la même époque, la publication du Plan Nord et son accueil mitigé auprès des groupes autochtones et environnementaux peut avoir motivé l’accélération du processus de création de parc (Nadeau, 2011). La création d’une vaste aire protégée pouvait en quelque sorte démontrer la bonne volonté du gouvernement en place (Dansereau, 2012).

Enfin, une dernière proposition a été transmise par le MDDEP en avril 2012, laquelle incluait la quasi- totalité de la zone d’étude définie en 2006, à l’exception de trois zones (Figure 12). Une première zone, à l’extrémité sud-est du parc, est retirée des limites du parc afin de permettre aux pourvoyeurs de poursuivre leurs activités (MDDEP, 2012). Le bassin versant de la rivière Nastapoka est inclus, à l’exception des titres miniers actifs et de leur accès à l’eau (en vertu de la Loi sur les Mines). De plus, une zone de 56 km2 à l’embouchure de la Petite Rivière de la Baleine est retirée pour un éventuel aménagement hydroélectrique (Idem). Cette dernière proposition a été acceptée par les parties impliquées et délimite désormais le Parc national Tursujuq, inauguré officiellement en 2013 (Figure 10).

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Figure 11 : Proposition d'aménagement par le MNRF, 2011 (ARK, 2012 : s.p.)

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Figure 12 : Proposition finale pour les limites du Parc national Tursujuq (MDDEP, 2012 : 7)

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Figure 13 : Sommaire des modifications et exclusions apportées au territoire réservé pour un parc et liées au développement économique

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L’évolution des limites et l’ouverture de certains secteurs à des fins d’exploration industrielle démontrent, de la part du gouvernement du Québec, une certaine réticence à créer un parc sans d’abord en avoir évalué le potentiel de développement économique (Figure 13). Dans ce cas-ci, l’élargissement des limites de la zone d’étude par le comité d’harmonisation en 2006 marque un jalon important dans la définition du parc. En effet, il semble que ce tracé, presque doublement plus large que celui que proposera le MDDEP en 2008, devienne un point de référence pour les limites « idéales » du parc national, sans lequel les débats entourant la protection des limites de la rivière Nastapoka n’auraient pas été possibles.

3.3 Publication du Plan directeur provisoire Un autre jalon important quant à la définition du territoire du parc national, le Plan directeur provisoire est produit en 2008 par le MDDEP Ce document fait état des décisions du ministère quant au concept d’aménagement proposé pour le parc national, relativement à la superficie, au zonage, aux activités proposées et à la mise en valeur du parc. Constituant le premier plan de planification officiel du projet de parc national, alors nommé « parc des Lacs-Guillaume-Delisle-et-à-l’Eau-Claire », ce document est basé en grande partie sur le recensement d’études présentées par l’ARK sur le territoire du projet de parc dans un document nommé État des connaissances, publié en 2007, tel que confirmé par l’extrait suivant : « L’analyse des données présentées dans l’État des connaissances permet de cibler les secteurs fragiles et ceux à plus fort potentiel pour la mise en valeur. Il est alors possible d’établir le périmètre optimal du parc afin que ce dernier réalise pleinement sa vocation » (MDDEP, 2008a : 5).

Le plan directeur provisoire est construit en trois sections, soit « La situation actuelle », « L’analyse de la situation et le diagnostic », et « Le concept de conservation et de mise en valeur ». Ainsi, la première partie du texte est une présentation relativement objective du contexte légal dans lequel s’inscrit la création du parc, de même que des études réalisées sur le territoire du projet de parc. Le MDDEP, tel qu’exposé précédemment, justifie la démarche de création du parc pour la poursuite de deux objectifs, soit de respecter les accords prévus par l’entente Sanarrutik et la Stratégie québécoise sur les aires protégées, établissant à 8% l’objectif de superficie en aires protégées sur le territoire québécois. En première partie du document, une section est réservée pour décrire l’utilisation actuelle des terres, indiquant certaines contraintes à la mise en place d’un parc, notamment l’activité minière et le potentiel hydroélectrique : « L’activité minière est permise dans le secteur de la rivière Nastapoka. Des activités d’exploration minière étaient d’ailleurs en cours au moment de la rédaction du présent document »

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(Ibid. : 11) ; « le Québec s’est engagé à évaluer le potentiel hydroélectrique au nord du 55e parallèle. À cette fin, six rivières possédant un fort potentiel ont été ciblées, dont la rivière Nastapoka, qui coule dans le territoire à l’étude et qui prend sa source dans les lacs des Loups Marins » (Ibid. : 12).

La présentation des connaissances sur le site projeté du parc expose les données existantes sur les éléments naturels et culturels d’importance, permettant de cibler les « composantes des patrimoines naturel et culturel représentatives des régions naturelles ainsi que des éléments rares ou fragiles qui méritent une attention particulière » (Ibid. : 19). Si les composantes du « patrimoine naturel » sont principalement issues des travaux scientifiques, la description du patrimoine culturel inclut quant à elle des sites historiques – notamment des sites de rencontre avec les baleiniers et d’anciens postes de traite des fourrures – de même que certains sites archéologiques. Il est par ailleurs mentionné dans le texte que « Les consultations effectuées auprès des Inuits et des Cris au cours des travaux de planification n’ont pas permis de découvrir d’aires sacrées à l’intérieur du territoire » (Ibid. : 17).

La seconde partie du document est celle qui présente le plus grand intérêt pour les objectifs de notre étude de cas. Les auteurs y présentent la superficie du projet de parc, qui exclut presque entièrement le bassin versant de la rivière Nastapoka. Cette exclusion est justifiée dans le texte comme étant due à des contraintes relatives à l’utilisation du sol, les principales étant l’existence de titres miniers actifs et le potentiel hydroélectrique de la rivière Nastapoka. À noter que, quoique le Plan directeur provisoire du MDDEP soit largement basé sur les données présentées dans l’État des connaissances (ARK, 2007) (Figure 14), lequel considérait la rivière Nastapoka et son littoral parmi les quatre « aires d’intérêt », cette zone du territoire à l’étude n’est que très peu mentionnée dans la première partie du texte. Aucune mention n’est faite par exemple de la valeur paysagère du site, alors que l’ARK avait ciblé l’« aspect esthétique » comme l’une des caractéristiques particulières de ce secteur (ARK, 2007 : 175). La valeur paysagère est pourtant prise en compte par le MDDEP, qui stipule que « l’aspect esthétique et panoramique de certains sites a également été pris en considération. Le territoire présente toutefois des contraintes dont il faut tenir compte au moment de déterminer la limite du parc de même que de planifier sa mise en valeur » (MDDEP, 2008a : 19). Sur le point esthétique, il est donc prévu que « l’unité de paysage des cuestas hudsoniennes constituera le principal facteur d’appel du parc national des Lacs-Guillaume-Delisle-et-à-l’Eau-Claire » (Ibid. : 20).

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Figure 14 : Aires d'intérêt pour le parc (1-Rivière Nastapoka et littoral ; 2-Lac Guillaume-Delisle ; 3-Lac à l'Eau Claire ; 4-Petit lac des Loups Marins et lac des Loups Marins) (ARK, 2007 : 173)

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Les auteurs justifient par ailleurs la décision relative aux limites du parc par l’étendue projetée de celui- ci : « [La limite] englobe des éléments représentatifs des régions naturelles des Cuestas hudsoniennes et du Plateau hudsonien et couvre une superficie de 15 549 km². Cela fera à terme le plus grand parc du Québec » (Ibid. : 24). Par rapport à la limite initiale de 1992 (Figure 10), celui-ci est agrandi, au profit par exemple de populations fauniques pour lesquelles le MDDEP consent à un « ajout » à la zone protégée, selon l’extrait suivant :

À l’extrême est du projet de parc, le territoire inclut la tête du bassin versant de la rivière Nastapoka avec notamment le Petit Lac des Loups Marins et le Lac d’Iberville. Cet ajout au territoire mis en réserve initialement en 1992 permettra d’assurer en partie la protection de la population des phoques communs d’eau douce présente dans le secteur (Ibid. : 24).

En comparant les limites proposées en 2008 avec celles réservées en 1992, le MDDEP projette l’image d’une « augmentation » de celles-ci, dans un parc décrit comme « vaste », « le plus grand du Québec », bénéfique pour les « espèces à grand domaine vital » (Ibid. : 24). Ce discours diffère des critiques qui lui seront portées, lesquelles, nous le verrons, comparent plutôt la superficie proposée à la totalité du territoire à l’étude tel que défini en 2006 et incluant le bassin versant de la Nastapoka.

Ensuite, les limites proposées permettent d’éviter les conflits d’usage liés aux projets d’utilisation du territoire, évitant par le fait même de négocier avec le Ministère des Ressources naturelles et de la faune (MNRF) pour les territoires consentis à Hydro-Québec et les compagnies minières. Ces négociations avaient d’ailleurs été déclarées comme impossibles par le MNRF à l’ARK en 2006, lorsque les limites du territoire avaient été augmentées :

Jobie Crow asks if Hydro-Québec is delegated by the Québec Government to pursue this hydro project of if Hydro-Québec acts on its own. Michael Barrett answers that the MNRF looks after lands, mining and hydro. It reserves places for hydroelectric development and mining projects. If a certain place is blocked by the MNRF for a certain purpose, other ministries cannot change the situation (ARK, 2008 : 145).

De fait, en excluant non seulement les zones réservées par le MNRF sur le territoire du parc national, mais bien la majorité du bassin versant de la Nastapoka, le territoire effectivement protégé pourrait être mieux protégé des « menaces pour la conservation », notamment les projets miniers prévus près de l’embouchure de la rivière Nastapoka :

Par ailleurs, l’exploitation des ressources minières à la périphérie du parc projeté pourrait avoir des impacts négatifs à l’intérieur de ses limites. En effet, en bordure du projet de

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parc, des titres miniers sont actifs et des activités d’exploration ont lieu. Cependant, comme ils sont situés dans un bassin versant qui n’est pas inclus dans le projet de parc, les risques sont amoindris (MDDEP, 2008a : 27).

Enfin, la lecture du Plan directeur provisoire illustre bien le contexte des engagements politiques du gouvernement provincial de l’époque, qui, tel qu’exposé précédemment, peuvent apparaître contradictoires. D’une part, le Premier ministre s’engage de plus en plus à faciliter l’accès aux ressources nordiques pour les compagnies minières, jetant alors les prémisses de ce qui deviendra officiellement le Plan Nord en 2011 (Lessard, 2008). D’autre part, une pression de plus en plus grande semble s’exercer sur le gouvernement par rapport à son objectif de protéger 8% de la superficie totale du Québec, prévu pour 2008 et pour lequel la création d’un grand parc national nordique contribuerait grandement – notons que le pourcentage d’aires protégées à l’époque était d’environ 5% (Québec, 2008). La protection des milieux nordiques concorde par ailleurs avec une vision de ceux-ci comme à l’état sauvage, peu touchés par l’activité humaine : « Le territoire du projet de parc national des Lacs- Guillaume-Delisle-et-à-l’Eau-Claire est caractérisé par un environnement naturel presque inaltéré. Il convient donc que sa mise en valeur soit faite en respectant cette richesse intrinsèque, peu courante dans le monde moderne » (Ibid. : 39). Cet état de préservation des milieux naturels est attribué à la bonne gestion par les populations locales :

Le territoire visé par cet immense parc situé à l’est de la baie d’Hudson […] se démarque également par sa diversité culturelle. En effet, les Inuits et les Cris ont su y cohabiter afin de se partager les ressources et d’assurer leur subsistance. Respectueux de la fragilité des écosystèmes de la région et des activités traditionnelles pratiquées par les Inuits et les Cris, le présent plan directeur provisoire préconise une approche qui s’appuie sur le principe de précaution en matière de développement. Par ailleurs, en confiant la gestion de ce parc aux Inuits du Nunavik, le gouvernement du Québec s’assure que sa mise en valeur respectera leur vision et leurs valeurs, lesquelles sont profondément ancrées dans leur culture (Ibid. : 49).

La collaboration avec les populations locales est l’un des points sur lesquels la démarche du gouvernement du Québec s’appuie fortement pour que le projet soit vu comme acceptable par les acteurs consultés. Ce point sera d’ailleurs, tel que démontré au prochain chapitre, félicité par plusieurs intervenants aux audiences publiques.

3.4 Accueil du projet dans la communauté D’abord, il importe de rappeler que la société du Nunavik – comme celle, à plus fine échelle, d’Umiujaq – ne peut pas être considérée comme un groupe homogène (Martin, 2001 ; Grammond et al., 2012).

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Ainsi, la signature de l’entente Sanarrutik ou les actions entreprises par les instances administratives régionales pour le développement des parcs ne peuvent pas être comprises comme des actions menées par l’ensemble de la société nunavimmiut, d’autant plus que celle-ci n’a pas été impliquée directement dans ces processus de négociation (Grammond et al., 2012).

Cette section se concentre sur l’accueil du projet de parc par la population du village d’Umiujaq. Celle- ci est la plus touchée, en raison de la proximité du village et du projet de parc et du village, qui se voit complètement enclavé dans le territoire d’étude, lequel est d’ailleurs situé sur une grande partie des terres de catégorie II d’Umiujaq (Figure 15). C’est également à Umiujaq que se trouve aujourd’hui le bureau d’accueil du parc, et par le fait même la majorité des employés actuels. En juillet 2018, lors d’un séjour de terrain, nous avons pu nous entretenir informellement avec la population ainsi qu’avec un certain nombre de personnes siégeant (ou ayant siégé) au comité d’harmonisation mis en place en 2006, consultées à titre d’experts 7.

En fonction des données disponibles et des processus formels en place, on peut affirmer avec plus ou moins de certitude que la première implication officielle de la population d’Umiujaq a été au moment de la création du comité d’harmonisation, en 2006. La possibilité d’un parc national à proximité du village était toutefois connue et discutée depuis plusieurs années à Umiujaq, du moins selon ce témoignage de Martin (2012) :

Par une journée de l’hiver 1996, alors que j’effectuais, dans le cadre de ma thèse de doctorat, un terrain de recherche à Umiujaq, mon interprète décida de m’emmener au bord du lac Guillaume-Delisle. Après un long moment de contemplation, il rompit le silence pour me dire : « Un jour le gouvernement va créer ici un parc. Il y a des Inuits qui sont contre, car ils ont peur qu’on ne puisse plus aller chasser à cause des touristes et des environnementalistes […] Mais moi je n’ai pas peur : emmenez-en, des touristes ! Nous sommes prêts à les accueillir » » (Martin, 2012 : 3).

Déjà en 1996, les questions d’un parc et de la présence de touristes étaient discutées au village, et ne faisaient pas l’unanimité. En 2006, selon les témoignages récoltés dans la communauté, la divergence d’opinions s’était creusée et un fort mouvement d’opposition au parc avait émergé, composé surtout de personnes vues comme influentes telles que des aînés. Les débats de cette époque ont pris place en grande partie à la radio communautaire du village, un mode de communication particulièrement

7 Ces personnes ne seront pas identifiées, en vertu des modalités prévues au Comité d’éthique de la recherche avec des êtres humains de l’Université Laval.

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populaire dans les villages du Nunavik (Martin, 2003) : il ne persiste donc aucune documentation écrite de ces échanges. Selon les témoignages récoltés, toutefois, il semble que des mots très durs aient été échangés, allant même, à un certain moment, à encourager le rejet des représentants au comité d’harmonisation. Un résident d’Umiujaq, occupant alors un poste salarié pour la planification du projet de parc, mentionne avoir dû changer d’emploi en raison de l’ostracisme qu’il vivait au village.

Figure 15 : Situation du Parc national Tursujuq par rapport aux terres de catégorie I et II

Cette situation a été peu discutée lors des réunions du comité d’harmonisation, dont les procès- verbaux des premières réunions ont été annexés à l’Étude d’impact sur l’environnement et le milieu social (ARK, 2008). Certains passages laissent tout de même entrevoir l’hésitation de certains représentants d’Umiujaq face au projet. En effet, à la première réunion (9 février 2006), Jobie Crow, un aîné d’Umiujaq et représentant de la corporation foncière, demande s’il est possible de se retirer du projet de parc, et à quel moment ce sera possible (ARK, 2008 : 132) ; à la seconde rencontre (13 juin 2006), il exprime ses inquiétudes par rapport à la présence de touristes et leur réaction par rapport aux activités de chasse, « if they see hunting activities and blood » (Ibid. : 137). À cette même rencontre, alors que les discussions sur le toponyme du parc sont en cours, M. Crow rappelle que le parc ne

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devrait pas être considéré comme admis avant d’avoir été soumis à un vote de la population : « Jobie Crow mentions that there should be a consultation with the communities to decide about having a park or not before finding any name, he’s questioning why this process has not been done before » (Ibid. : 139).

À la troisième réunion du comité d’harmonisation, l’accueil négatif du projet de parc par les aînés est expliqué par Davidee Sappa, alors maire d’Umiujaq :

Davidee Sappa explains that in 1980’s the Federal Government came in this area to create a park, in which the JBNQA rights for beneficiaries would not have been preserved. He says that people now understand that the creation of a provincial park is different from a federal one. Maybe some Elders are still under the impression that Inuit would not be able to keep their rights, but it is not the case (ARK, 2008 : 146).

L’idée selon laquelle les personnes qui « comprenaient » les implications de la création du parc étaient en faveur a été mentionnée par plusieurs personnes rencontrées dans la communauté en 2018. De même, il semble que la majorité – ou du moins une grande partie – des personnes opposées au projet de parc ait été plus âgée que ceux en accord ; au-delà d’un simple conflit générationnel (Dorais, 2011), cet état de fait peut avoir amplifié le mouvement d’opposition au parc, puisque la société inuit se définit par un grand respect pour ses aînés (Martin, 2013). Il est ainsi possible que peu de personnes plus jeunes aient participé publiquement au débat, laissant la parole aux aînés qu’ils n’ont pas voulu contredire.

Les entrevues menées dans le cadre de l’Étude d’impact sur l’environnement et le milieu social (ARK, 2008) confirment par ailleurs l’approbation de certains jeunes pour le projet, vu comme une opportunité de diversifier les activités, et la frustration de certains par rapport à la position des aînés sur le sujet :

Je n’ai pas d’avenir. Les aînés nous empêchent d’aller de l’avant. Je ne peux pas vivre dans le passé. On ne chasse plus maintenant pour subsister. J’attends simplement qu’il se passe quelque chose. Mais ça n’arrivera pas tout seul. Il faut provoquer les choses. Les jeunes ne seront pas des chasseurs. Les aînés doivent comprendre et cesser de nous critiquer. On doit aller de l’avant avec nos vies. Je n’en peux plus d’être seulement un Inuit (cité dans ARK, 2008 : 116).

La différence de vision générationnelle entre les Inuit est d’ailleurs soulignée par deux participants, cités dans la même étude :

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Les valeurs et les impacts dépendent de qui vous êtes. Les Inuits ne sont pas un groupe de personnes homogènes (sic). Par exemple, écoutez ce qui suit. Il y a une différence simple entre un aîné inuit et les autres Inuits. Un aîné inuit est quelqu’un qui est né dans une famille nomade et a vécu une partie de sa vie à se déplacer sur le territoire. Les Inuits qui sont nés dans les communautés sont différents. Nous n’avons pas les mêmes acquis. Il est important que vous, les chercheurs, compreniez cela (cité dans Ibid. : 117).

D’un autre côté, la différence entre les activités des groupes générationnels et les impacts d’un parc sur celles-ci semble être comprise par les chasseurs aînés : « Les jeunes ne seront sûrement pas autant dérangés. Ils ne chassent plus comme nous. Le parc, c’est pour eux, pas pour nous » (cité dans Ibid. : 105). Les chasseurs sont toutefois ceux qui, selon les données présentées par l’auteure de l’Étude d’impact, se considèrent le plus négativement touchés par ce projet de parc. Les témoignages recueillis abordent la chasse comme une expérience intime, qui serait bouleversée par la présence de touristes. Un chasseur mentionne même que si des touristes sont amenés sur le territoire, il arrêtera de chasser complètement (Idem).

La possibilité d’aménagements industriels n’est pas non plus une option vue comme acceptable pour les résidents d’Umiujaq. L’aménagement hydroélectrique de la rivière Nastapoka, également prévu dans l’Entente Sanarrutik, surprend les membres du comité d’harmonisation lorsque la question est abordée :

Peter Tookalook commented that he had never heard of the potential hydro project […]. He is shocked and disappointed to learn of it. He also stated that Hydro-Québec had not come to Umiujaq to inform the population. He asks what Hydro-Québec is planning for the people of Umiujaq and why the population was never made aware of this potential hydro project and why the KRG and Makivik are not informing the people (ARK, 2008 : 151).

Cette impression semble partagée par les témoignages entendus au village, notamment par les chasseurs de bélugas qui s’opposent au moratoire de chasse imposé à l’estuaire de la Nastapoka (MDDEP, 2008a) et voient l’aménagement de la rivière comme une contradiction : « Pourquoi me dit- on que je ne peux plus chasser à cet endroit parce que les bélugas sont en voie de disparition alors qu’en donnant la rivière à Hydro-Québec, elle sera anéantie. Tout ceci est insensé et je ne veux plus rien entendre » (cité dans ARK, 2008 : 106). Le constat semble être plus nuancé par rapport au développement minier, quoique les témoignages soient plus rares. La création d’emplois générée par un projet minier semble être vue comme une option relativement intéressante pour certains pour le développement économique local :

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Il y a déjà plusieurs emplois dans le secteur minier. Plus que ce que les Inuits peuvent occuper. Le problème réel est que les Inuits n’aiment pas se déplacer. Il y a beaucoup d’emplois pour les Inuits à Raglan, mais on n’y va pas. Tout le monde veut avoir une mine dans sa cour arrière. Ce n’est pas un très bon plan (cité dans ARK, 2008 : 109).

La création d’emplois générée par un parc est comprise comme plus positive, selon l’analyse présentée dans l’Étude d’impact et les témoignages récoltés sur le terrain en 2018. Plusieurs personnes consultées ont toutefois mentionné leur déception quant aux retombées économiques, comprises comme négligeables, plus de cinq ans après la création du parc.

À travers les témoignages d’experts consultés à Umiujaq et les conversations informelles avec les résidents, nous avons pu constater que certains désaccords et inquiétudes persistent par rapport au parc, et notamment par rapport à sa superficie : pour certains, ce territoire est perçu comme appartenant désormais au gouvernement. La plupart des personnes abordées considèrent toutefois la présence du parc comme relativement bénéfique pour le village. Ainsi, malgré un relatif consensus lors des audiences publiques de 2008 (Grammond et al., 2012), il semble que les divergences d’opinions aient persisté. Les résolutions adoptées en 2012 par les municipalités et corporations foncières de Kuujjuarapik et d’Umiujaq pour l’inclusion de la rivière Nastapoka aux limites du parc permettent de confirmer qu’en 2012, les avis étaient toujours partagés sur le projet. En effet, ces résolutions constituaient l’étape finale de création du Parc national Tursujuq tel qu’il se définit aujourd’hui. Les résultats des votes, unanimes dans les deux municipalités et à la Corporation foncière de Kuujjuarapik, sont très serrés à la corporation foncière d’Umiujaq8 (Tableau 1).

Tableau 1 : Résultats des votes pour la création du Parc national Tursujuq, Kuujjuarapik et Umiujaq (avril 2012)

Pour Contre Abstention(s) Absent(s)

Municipalité 4 0 0 3 Kuujjuarapik Corporation foncière 5 0 0 2

Municipalité 6 0 0 1 Umiujaq Corporation foncière 4 3 0 0

8 Selon les documents nous ayant été transmis par l’ARK en juillet 2018.

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En bref, la communauté d’Umiujaq a accueilli le projet de parc national de façon conflictuelle. Le contexte du village, au sein duquel les activités traditionnelles de subsistance demeurent très importantes (Canobbio, 2009 ; Martin, 2013), permet de mieux comprendre les points de vue exprimés. En effet, la crainte de perdre le droit de chasser, soit en raison des règlements du parc national, soit par la présence de touristes sur le territoire, a suscité un fort mouvement d’opposition au village, porté principalement par les groupes de chasseurs et les aînés. Cependant, les résidents plus jeunes voyaient l’arrivée du parc de manière plus positive, notamment pour la diversification des activités et la possibilité d’emplois salariés que celui-ci entraînerait.

Conclusion Ce chapitre visait à mieux caractériser le contexte juridique, politique et social autour du projet de parc national à l’étude. Ainsi, au Québec, la création d’aires protégées est motivée principalement par des lois et objectifs politiques visant la création d’aires protégées afin de respecter les tendances internationales et les ententes de protection de la biodiversité, selon lesquelles la province se situe bien en-deçà de la moyenne des pays occidentaux. De même, l’Entente Sanarrutik et le Plan Nord officialisent la volonté du gouvernement du Québec d’accélérer le développement économique de ses territoires nordiques, tant au niveau industriel que touristique, et la création d’aires protégées et de parcs nationaux s’insère dans cette démarche. À travers ce cadre politique et légal, la création d’un parc national aux abords du Lac Guillaume-Delisle permettrait d’en officialiser les frontières, toujours disputées avec le gouvernement fédéral ; toutefois, la création d’un vaste parc national entre en conflit d’usage avec les autres objectifs de développement économique, notamment à la rivière Nastapoka, où le potentiel hydroélectrique et les gisements d’uranium sont déjà ciblés par les compagnies d’exploitation. Ces conflits se reflètent notamment dans le Plan directeur provisoire, premier plan officiel pour le parc national, lequel est publié en 2008 et propose un parc excluant le bassin versant de la rivière Nastapoka, malgré la limite du territoire à l’étude établie en 2006 par le comité d’harmonisation. À ce contexte politique s’ajoute le contexte social d’Umiujaq, où la vitalité des activités de subsistance traditionnelles fait en sorte que le projet de parc national, situé sur une partie du territoire de chasse, a reçu un accueil mitigé de la part de la population.

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Chapitre 4 Le parc en débats : analyse discursive

Exclure la rivière Nastapoka, ou une partie de celle-ci du parc Tursujuq, ce serait priver le Québec d’un joyau irremplaçable.

PATRICK NADEAU (2011 : 16)

Introduction Afin de répondre au troisième objectif spécifique du projet, soit de caractériser le processus ayant mené la rivière Nastapoka à acquérir une valeur patrimoniale, ce chapitre présente une analyse des principaux discours liés à la rivière Nastapoka, entre 2008 et 2012. Ainsi, dans la première partie du chapitre, nous présentons les interventions de différents acteurs lors des consultations publiques tenues en juin 2008 à Umiujaq et Kuujjuarapik-Whapmagoostui. Ensuite, nous présentons les discours tenus sur la rivière Nastapoka en particulier dans la période de négociations sur les limites du parc (2008-2012), en portant une attention particulière à la cérémonie de rétablissement de la paix ayant eu lieu au pied de la chute Nastapoka en 2011, et présentée dans le film documentaire Inuit Cree Reconciliation (Kunuk et Diamond, 2013).

4.1 Audiences publiques de juin 2008 Le projet de parc proposé dans le Plan directeur provisoire est soumis à un processus de consultations publiques, selon la Loi sur les Parcs (Gouvernement du Québec, Loi sur les Parcs, 1977, Section II, Art. 4). L’analyse présentée dans cette section portera donc essentiellement sur les audiences publiques de juin 2008 tenues par le MDDEP à Umiujaq et à Kuujjuarapik. En plus des procès-verbaux de ces consultations, un total de dix mémoires ont été déposés au MDDEP (Adams, 2009). Le premier a été remis par un citoyen de Mauricie, Harold Geltman ; un second mémoire a été remis par Paul Landry, un propriétaire de pourvoirie sur le secteur du parc. Des représentants des populations locales, la Société Makivik et l’Administration régionale crie (ARC), ont également déposé des documents, de même qu’Hydro-Québec. Le secteur scientifique était représenté par le mémoire remis par Michel Allard au nom du Centre d’études nordiques (CEN), et enfin quatre mémoires ont été déposés par des organismes environnementaux, soit le Regroupement national des conseils régionaux de l’environnement du Québec (RNCREQ), la Société pour la nature et les parcs du Canada, section

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Québec (SNAP), Nature Québec et Initiative boréale canadienne, ces trois derniers organismes ayant travaillé en concertation (IBC, 2008).

Aux fins de l’analyse, nous avons divisé les intervenants en quatre groupes : d’abord, les populations locales, puis les citoyens non bénéficiaires, ensuite les groupes scientifiques et environnementaux, suivis d’Hydro-Québec. Il importe de mentionner d’entrée de jeu que ces groupes ont été classés de façon à alléger le texte et qu’un groupe ne constitue pas nécessairement une vision analogue.

4.1.1 Populations locales crie et inuit Les différentes communautés locales ne peuvent pas être considérées, rappelons-le, comme une communauté de personnes unies par une vision identique. Celles-ci peuvent être divisées en plusieurs groupes, soit d’ordre ethnique (les Inuit, les Cris), d’ordre géographique selon leur provenance (principalement Whapmaghoostui, Kuujjuarapik, Umiujaq et Inukjuak), selon leur fonction (citoyen, administrateur), voire même selon l’âge (les aînés et les plus jeunes). Une même catégorie de personnes ne constitue pas non plus un en soi groupe homogène – quoique certaines tendances puissent être observées. Dans le cadre de cette analyse, une attention particulière sera portée sur certains de ces groupes : d’abord les groupes administratifs cri et inuit, lesquels se sont prononcés par l’entremise de mémoires ; enfin les citoyens du village d’Umiujaq, lesquels sont intervenus oralement lors des audiences publiques de juin 2008.

4.1.1.1 Administration régionale crie (ARC) En premier lieu, l’Administration régionale crie (ARC) a déposé un mémoire au MDDEP, affirmant d’abord son accord et sa volonté de collaboration pour le projet de parc, tout en demandant que la communauté crie soit reconnue comme un membre actif et un partenaire dans la gestion du parc (ARC, 2008). En situant les projets de création de parcs nationaux, non seulement au Nunavik, mais également sur le territoire d’Eeyou-Istchee, les auteurs mentionnent le désir d’une participation accrue, soit, dans leurs termes : « to be seen as part of the process, and certainly not as ‘cultural fossils’ » (Ibid. : 3).

De même, une grande partie des considérations abordées dans le mémoire portent sur le besoin de mieux connaître les divers éléments physiques, historiques et culturels associés au territoire du parc prévu et aux alentours. Entre autres, les processus géologiques et de formation du paysage, de même que les espèces fauniques et l’histoire de l’occupation humaine régionale sont cités comme des

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champs nécessitant davantage de recherche. Les différents sujets sont par ailleurs liés entre eux : la présence d’espèces de gibier – le caribou notamment – et la variation de leurs populations ont eu des impacts sur la survie et l’économie des populations cries et inuit de la région, de même que sur l’emplacement des postes de traite qui ont par la suite influencé l’installation des villages. Ainsi, le contexte biophysique est décrit comme fortement lié au contexte socio-historique :

This is country in which caribou for much of recent Cree and Inuit history was an essential resource – a resource which made a crucial difference between survival and famine or death. To understand this region in an appropriate ecological and cultural context, we also need to understand the changing population dynamics of caribou in this region – which is a preoccupation for both the Cree and the Inuit even as these hearings proceed. […] This is very much part of the ecological and cultural history of this landscape (Ibid. : 3-4).

Dans l’histoire plus récente, les auteurs rappellent les impacts de l’aménagement du territoire par les instances gouvernementales, plus particulièrement la ligne de radar Mid-Canada au cours de la Guerre Froide, puis les aménagements hydroélectriques et la division des terres par la CBJNQ. Ces événements historiques devraient, selon l’ARC, occuper une plus grande place dans les descriptions du parc national et dans sa mise en valeur (ARC, 2008). De même, des éléments du territoire tels que la toponymie en langue crie devraient être mieux intégrés, puisque considérés comme un patrimoine culturel :

In their oral testimony at the hearings, the Cree spoke to the importance of their place- naming traditions in the region of the proposed park. Indeed, the landscape of the park is dotted with Cree place names. The place names reflect a subtle combination of the importance of the physical characteristics of place, the need for security and food, and the importance of commemorating incidents in the lives of individual hunters. The Cree consider that the recording of this history of the naming of places and of personal histories is very much part of the documentation of the cultural heritage of the region in which this proposed park is located (Ibid. : 4).

Cet extrait témoigne de l’importance des noms de lieux sur le territoire du parc, ce qui pourrait être interprété comme une manière d’affirmer l’appartenance crie au territoire, dans le même ordre d’idée que les demandes d’une participation accrue et d’une reconnaissance des savoirs. À cet effet, le patrimoine culturel apparaît comme un argument renforçant la légitimité de cette demande. L’extrait démontre également une vision de la communauté crie comme unifiée, réunie en un groupe homogène sous l’appellation « the Cree ». Le discours sous-entend, de cette façon, que non seulement les auteurs et les membres de l’ARC, mais bien l’ensemble du peuple cri, sont concernés par le discours du mémoire.

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Des considérations plus politiques sont également abordées, notamment quant au partage des terres au-delà du 55e parallèle, lesquelles sont officiellement indiquées comme un territoire inuit, « but the 55th parallel originates with the planning of the infrastructure for hydro-electric development of the region at a time when the Québec government viewed aboriginal comunities as limited enclaves based on a certain number of trading posts » (Ibid. : 6). Cette affirmation demeure dans la même thématique que celles portant sur l’appartenance crie sur le territoire. La notion de division du territoire se reflète aussi par la question des frontières au Lac Guillaume-Delisle, toujours incertaine au moment des audiences de 2008, de même que celle des terres de catégorie II incluses dans les limites du parc, ce qui est vu comme représentant une forme de perte de territoire pour les communautés concernées.

La question de l’aménagement hydroélectrique est également abordée, tant du point de vue historique de l’aménagement du territoire et de l’affectation des terres, mais également dans le contexte des aménagements à venir. À la différence des autres acteurs invoquant cette question, l’ARC ne se prononce pas explicitement sur l’aménagement de la rivière Nastapoka, sauf pour mentionner son appui à la démarche des Inuit pour l’inclure dans les limites du parc :

We understand, for example, that the Nastapoka estuary and the Nastapoka River are seen as particular (sic) important for the Inuit, for a variety of reasons – among which the importance of the river estuary as beluga habitat stands out. We will support Inuit initiatives to examine ways of including the Nastapoka River (or portions of the river) in the park boundaries (Ibid. : 8).

Il semble que les auteurs se détachent de cette partie du débat, quoiqu’il soit mentionné qu’un éventuel développement hydroélectrique en marge du parc national pourrait avoir des impacts sur les écosystèmes. De plus, les auteurs mentionnent l’existence d’un grand nombre d’études menées par Hydro-Québec en prévision de l’aménagement du territoire, et qui semblent être ignorées dans les plans pour le parc national :

[I]t is important to avoid a situation in which certain areas and certain subjects remain out of bounds for the simple reason that one or more of these river systems may eventually be the target of hydro-electric development schemes. We need a more transparent process, and we need to be able to make effective use of the extensive field work which has already been done in this region (Ibid. : 9).

Cet extrait sous-entend une dénonciation d’un processus de création du parc qui ne soit pas suffisamment « transparent », les aménagistes laissant de côté une part de l’information relative aux secteurs réservés par Hydro-Québec, tel que mentionné précédemment dans l’analyse du Plan

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directeur provisoire. Toutefois, l’ARC ne se prononce pas clairement en défaveur des projets d’aménagement hydroélectrique à proximité du parc national, ce qui détonne avec certains témoignages récoltés auprès de la communauté crie dans le cadre de l’Étude d’impact sur l’environnement et le milieu social : « Donnez-moi un parc n’importe quand plutôt qu’une mine ou un projet hydroélectrique » (cité dans ARK, 2008 : 109). Des discours similaires ont également été tenus à Whapmagoostui lors des audiences publiques : « Voilà pourquoi je veux vous remercier de vos tentatives de préserver et conserver ces terres, pour que l'Hydro-Québec ne serait plus, ne serait pas en mesure de détruire. Pour que les Inuits et les Cris puissent continuer à récolter comme avant dans ces secteurs » (Petagumskum dans MDDEP, 2008d : 29).

Toujours en lien avec la définition des limites du parc, l’ARC se prononce en faveur d’un agrandissement de celles-ci pour couvrir les lacs dans lesquels les populations de phoques communs d’eau douce vivent, de même que la mise en place de travaux de recherche sur cette espèce et son habitat, en vue d’une meilleure conservation.

Enfin, la question du maintien des activités traditionnelles sur le territoire du parc national est posée. Ces droits devraient être maintenus en vertu du chapitre 24 de la CBJNQ, toutefois qualifié de « complexe » par l’ARC, qui demande une clarification du texte pour la pratique facilitée des droits des bénéficiaires. Il est mentionné, à cet effet, que cette section devrait être revue avec le gouvernement du Québec, pour l’actualiser dans un contexte où l’économie évolue rapidement :

In the context of the proposed park, we are particularly concerned about what we see as a temptation to see contemporary aboriginal land and wildlife resource use from a rather static, historical and perhaps rather artificial perspective. It is most important to understand that the economies of both the Cree and Inuit communities are rapidly evolving – both from institutional and economic perspectives (ARC, 2008 : 8).

En général, le mémoire remis par l’Administration régionale crie semble porter plus spécifiquement sur la reconnaissance de l’appartenance de la communauté crie sur le territoire du parc, en fonction de laquelle les Cris devraient pouvoir agir en tant que partenaires de gestion. Les auteurs ne se prononcent que très peu sur le projet de parc national en soi, encourageant toutefois plus de recherche scientifique, notamment sur les contextes culturel et historique de la région et de ses habitants. Le discours, prononcé au nom de tous les Cris, peut toutefois être discordant avec l’opinion de certains membres de la communauté, quoique peu de données permettent de comparer les discours ; toutefois, les mouvements d’opposition au projet Grande-Baleine sont cohérents avec une opinion fortement

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opposée à un développement hydroélectrique décrite dans l’Étude d’impact sur l’environnement et le milieu social (ARK, 2007).

4.1.1.2 Société Makivik La Société Makivik est un organisme créé dans le cadre de la CBJNQ et ayant pour but de veiller au développement régional, tout en préservant les droits des Nunavimmiut tels qu’ils sont prévus dans la CBJNQ. Ces deux missions parfois contradictoires sont qualifiées de « mandat complexe » par les auteurs du mémoire remis au MDDEP lors des audiences publiques de 2008 (Makivik, 2008). En effet, la Société Makivik agit à titre de représentante des bénéficiaires inuit vis-à-vis du gouvernement du Québec. À ce titre, Makivik est signataire de l’entente Sanarrutik de 2002 laquelle, rappelons-le, prévoyait le développement d’un réseau de parcs nationaux au Nunavik, de même que l’aménagement hydroélectrique de certaines rivières dont la Nastapoka. Les auteurs du mémoire se prononcent donc en faveur du projet de parc national, mais affirment ne pas être en mesure d’appuyer les démarches entamées par les populations locales pour l’élargissement de ses limites pour inclure la rivière Nastapoka :

It seems that the proposed boundaries have taken into account other interests, one being the reserved status of some rivers listed in the Sanarrutik Agreement as potentials for future hydroelectric projects. Makivik jointly with the Kativik Regional Government (KRG) committed to the Sanarrutik Agreement to support the development of the tourism potential but also to work with Québec towards the development of hydroelectric projects. Makivik thus respects entirely its signature of the Sanarrutik Agreement and could not be in agreement with the inclusion of the Nastapoka River in the park area unless the Government of Québec accepts this proposal and modifies Sanarrutik Agreement consequently (Makivik, 2008 : 7).

Lors de l’audience publique du 17 juin 2008, à Umiujaq, George Berthe, représentant Makivik, affirme toutefois une position plus nuancée : « Même si c'est enchâssé dans l'entente, on a quand même exprimé des préoccupations quant à cette provision de l'entente Sanartik (sic). S'il faut modifier l'entente Sanarrutik, ce serait utile de l'examiner, surtout qu'on a exprimé les préoccupations quant à la rivière Nastapoka » (MDDEP, 2008c : 10). Ces deux déclarations, légèrement différentes, sont prononcées pour des publics différents, le premier discours étant émis à l’intention du MDDEP et le second pour la population d’Umiujaq. Sans être contradictoires toutefois, le second discours peut être compris comme une ouverture de la part de Makivik de considérer les options pour modifier les dispositions de l’entente Sanarrutik, après avoir entendu les différentes interventions en faveur de la protection de la Nastapoka.

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La question du droit des Inuit à pratiquer leurs activités traditionnelles sur le territoire du parc est une thématique importante dans les discours de Makivik. Ce droit étant prévu dans la CBJNQ, sa préservation est directement liée avec la mission de la Société : « Makivik estime toujours que les communautés qui sont situées les plus proches des projets doivent être en faveur de ce projet, il faut également respecter les droits de chasse, et de pêche, et de mode de vie traditionnel, ça, ça devrait être la base pour toute mise en valeur et tout développement » (MDDEP, 2008c : 7). Selon les auteurs du mémoire, ces droits sont peu affectés par le projet de parc national proposé, sauf dans le cas où un bénéficiaire voudrait gérer une entreprise de pourvoirie – les activités de pêche sportive étant autorisées pour les non-bénéficiaires, cette limitation à la pratique du droit est elle-même négligeable :

In conclusion, although it is our view that the proposed park creation constitutes a ‘development project’ under the terms of the JBNQA, we do not foresee at the present time any preclusion to the harvesting rights protected in the JBNQA and consider that the benefits of the proposed park overweight any limitation that may arise from the creation of such a park (Makivik, 2008 : 5).

Ces droits, s’ils sont préservés officiellement par la création du parc, sont toutefois vus comme menacés une fois le parc en activité, par la présence de touristes sur le territoire du parc :

Although the JBNQA states that the creation or the existence of parks is not by itself to be considered as conflicting physical activities with the right to harvest of the beneficiaries, it is important to bear in mind that in practice the influx of large numbers of tourists visitors to the park may, at least seasonally, have a direct effect on activities, including but not limited to, hunting, trapping, fishing and all related harvesting activities traditionally conducted within the park boundaries (Makivik, 2008 : 6).

Ainsi, tel qu’explicité par Mylène Larivière aux audiences publiques du 18 juin 2008 à Kuujjuarapik, la création du parc ne représente pas en elle-même un conflit d’usage avec la pratique des activités traditionnelles, mais la présence de visiteurs non bénéficiaires pourrait, à terme, engendrer des conflits : la Société Makivik s’engage alors à demeurer impliquée activement pour réagir, le cas échéant. Selon la conseillère juridique, la présence de terres de catégorie II sur le territoire visé par le projet de parc pourrait alors être compensée, mais, précise-t-elle, « c'est pas quelque chose dont on peut parler maintenant, c'est quelque chose qui reste et c'est quelque chose qui pourrait arriver à l'avenir » (MDDEP, 2008d : 17).

À l’instar de l’ARC, l’accès au territoire et la participation active des membres des deux nations sont vus comme des éléments à clarifier avant la création du parc. La présence crie sur le territoire visé par

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le parc est admise par Makivik, qui émet le souhait d’officialiser le partage du territoire par une entente officielle. De même, les auteurs mentionnent la problématique légale de la juridiction des îles du Lac Guillaume-Delisle, lesquelles sont disputées entre les gouvernements fédéral et provincial :

However, even more serious than this are the implications of creating a provincial park in an area which Canada takes the position that it owns the islands in Richmond Gulf and has jurisdiction over the marine area of Richmond Gulf. […] Quebec, on the other hand, views this area as part of Quebec territory […]. Consequently, it is our view that to create a provincial park in an area in which ownership and jurisdiction may be uncertain would be questionable at best (Makivik, 2008 : 7).

Le mémoire remis par la Société Makivik est, au final, assez prudent : les auteurs ont su se conformer à la mission de l’organisation, laquelle vise la protection des droits des Nunavimmiut. En somme, l’argumentaire s’appuie sur des ententes existantes pour réitérer les droits des Inuit sur le territoire du parc national, tout en mentionnant les considérations politiques à préciser avant la création officielle de celui-ci. Les représentants de Makivik tiennent un discours légèrement plus nuancé en s’adressant à la population lors des audiences publiques, quoiqu’en conservant une certaine prudence.

4.1.1.3 Interventions orales aux audiences publiques, juin 2008 Nous avons abordé, au chapitre précédent, la question de l’acceptation difficile du projet de parc national par la population d’Umiujaq. Cette situation apparaît à première vue incompatible avec les discours tenus lors des audiences publiques : en effet, la quasi-totalité des participants se sont prononcés en faveur du projet de parc, dans un « climat relativement consensuel » (Grammond et al. : 2012 : 26). Cet apparent consensus porte d’ailleurs certains auteurs à conclure que la population locale « s’est approprié le projet de parc, en ce sens que le projet est généralement vu sous un œil favorable et ne soulève pas la controverse » (Ibid. : 26). Cet appui au projet est également compris par Johnny Adams dans le rapport d’audiences, qui recommande la création du parc national, « puisque la majorité s’est dite en accord avec la proposition » (Adams, 2009 : 5).

Cette section porte plus spécifiquement sur les interventions orales faites à l’occasion des audiences publiques du 16 et du 17 juin 2008 à Umiujaq. Des audiences ont également été tenues à Kuujjuarapik- Whapmagoostui le 18 juin 2008, mais, pour les raisons évoquées précédemment, nous centrons l’analyse sur les discours tenus par la population d’Umiujaq.

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Ainsi, vu le climat décrit plus tôt au village d’Umiujaq au moment de la planification du projet de parc, il est difficile de comprendre pourquoi les personnes opposées à sa création ne se sont pas exprimées lors des audiences. Cet extrait témoigne d’ailleurs de cette situation et du fait que leur participation était attendue par les participants, voire même encouragée :

Et ayant écouté des Inuits qui parlaient à la radio à ce sujet, bien, nous sommes devenus quelque peu préoccupés, et ce serait bien si ces personnes pouvaient être là parmi nous ce soir pour répéter ces questions, parce que ce serait tellement bien que vous puissiez fournir des réponses, et entendre vos réactions […]. Et l’une des questions et les préoccupations qu’on a entendues, pour ne choisir que celle-là plus particulièrement, c’est qu’il y a certaines personnes qui sont d’accord pour créer ce parc tel que proposé, et qu’il y en a d’autres qui ont des préoccupations importantes. […] Et je tiens réellement à ce que toutes les questions soient posées ce soir, et que nous ayons des réponses claires ce soir (Tunic dans MDDEP, 2008b : 10-11).

Nous avons mentionné plus tôt que le groupe de personnes opposées au parc était probablement en grande partie composé d’aînés, pour lesquels le mode de vie traditionnel demeurait très important ; les plus jeunes semblaient pour leur part plus favorables à la création du parc. Cette opposition se reflète dans l’extrait suivant :

Je sais que les aînés ont été interviewés, et nous, la nouvelle génération, est-ce que quelqu’un est venu nous demander ce qu’on pense? Oui, on consulte les aînés, mais nous, nous sommes adultes, mais nous ne sommes pas les aînés. Et ce que nous pensons, ce que nous pensons de notre propre culture, ce que nous pensons [qui] est notre culture, je pense qu’il faudrait en faire un cas plus important (Tookalook dans Ibid. : 17).

À l’instar de ce qui a été présenté au chapitre précédent, la citation présentée ci-haut réitère la frustration de la part de la plus jeune génération, qui affirme que les aînés sont plus souvent consultés dans le cas de projets, et qu’ainsi leur opinion et leur vision du territoire comme de la culture inuit prévaut dans la plupart des cas. À l’inverse, certains aînés, lorsqu’ils prennent la parole, se présentent en tant qu’aînés, et s’appuient sur leurs expériences passées pour légitimer leur message :

Alors ne donnez pas tout ça au gouvernement, ne l’offrez pas sur un plateau d’argent. Parce que si on fait ainsi, il s’ensuivra des temps difficiles pour les Inuits. Donc continuons à protéger cette aire, et si le projet tombe à l’eau, bien laissons tomber. Ne remettons pas tout cela à notre organisme, au gouvernement du Québec ou à quelque autre organisme […]. Nous, les aînés, nous comprenons ce que ça donnerait. Nous savons de quoi vous parlez lorsque vous nous montrez ces cartes et les aires désignées, et que ça ne toucherait pas, ça n’aurait pas d’effet néfaste sur nos activités traditionnelles, sur nos droits de chasse et d’exploitation (Crow dans MDDEP, 2008b : 22-23).

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L’extrait ci-dessus, qui appelle à la prudence, témoigne d’une compréhension du parc comme étant un territoire cédé au gouvernement « sur un plateau d’argent ». Il est intéressant de constater que le locuteur, dans la même intervention, se prononçait en faveur de l’augmentation des limites du parc pour inclure le bassin versant de la rivière Nastapoka : ainsi, quoique l’extrait présenté peut être interprété comme un discours d’opposition à la création du parc, il semble que celui-ci soit plutôt en faveur du parc comme tel, mais méfiant des « écarts d’ordre politique » (Idem). Cette méfiance reflète le contexte relationnel difficile entre les Nunavimmiut et le Québec méridional, tel qu’exposé précédemment.

Enfin, la crainte de certains chasseurs quant aux droits d’exploitation sur le territoire du parc a été abordée à plusieurs reprises, et la pérennité de ces droits en vertu de la CBJNQ a été réitérée par les représentants des différents groupes administratifs en place (ARK, MDDEP, Société Makivik) à plusieurs reprises au cours des audiences. Toutefois, la question de la chasse n’inquiète pas seulement au niveau du droit de pratique, mais également, tel que mentionné par la Société Makivik dans son mémoire, au conflit d’usage que pourrait représenter la présence de touristes :

On nous a fait comprendre que nous, chasseurs, nous allons pouvoir nous servir de nos droits de chasseurs. Mais ce qui m’inquiète, c’est des défenseurs des droits des animaux. Lorsqu’ils verront des images de nous à la chasse, ils vont se soulever contre nous, ils vont tout faire (Niviaxie dans MDDEP, 2008b : 33).

Maintenant nos parents vont sur le territoire, ils vont à la chasse, et nous on assure ici que nos droits de chasse sont protégés, inviolables. Et maintenant, si les touristes arrivent dans, disons, une zone où nous pratiquons, nous avons des zones de chasse, disons que, voilà, j’ai mes parents qui vont précisément quelque part pour sécher leur poisson, parfois ils ne vont pas tout à fait au même endroit que d’habitude. Mais prenons comme exemple, il y a un touriste qui se trouve là, qui s’est installé à l’endroit où habituellement mes parents vont pour sécher leur poisson, qui aura le droit d’y rester, l’Inuit qui a l’habitude d’y aller, mais là il y a un touriste qui est présent, qui s’est installé, donc lequel aura le droit d’utiliser ce site. Où la priorité qui a la préséance sur l’autre pour l’utilisation du site, qui a le plus de droit d’utiliser ce site, par exemple (Crow dans Ibid. : 36).

Ces deux passages témoignent d’une vision du territoire comme appartenant prioritairement aux Inuit, et même plus spécifiquement aux Inuit pratiquant les activités traditionnelles. La cohabitation avec des touristes ne partageant pas les mêmes valeurs est pressentie comme compliquée et potentiellement conflictuelle.

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Ensuite, le point sur lequel les différents auteurs ayant analysé les audiences publiques s’accordent pour dire qu’il y avait le plus grand consensus est celui de l’élargissement des limites du projet de parc pour y inclure le bassin versant de la rivière Nastapoka (Croteau, 2008 ; Adams, 2009 ; Bibaud et Grenier, 2012 ; Grammond et al, 2012). Une relecture des procès-verbaux permet de cerner deux motivations principales à la demande de protection de la Nastapoka par la communauté locale, soit une opposition aux projets de développement industriel (surtout hydroélectrique) et un attachement au site pour ses valeurs esthétiques ou d’usage.

En rappelant une fois de plus le contexte local où le parc est accueilli avec méfiance mais semble une « meilleure » option qu’un projet industriel, l’intérêt de la population d’encourager l’extension des limites du parc pour éviter le développement industriel semble un compromis intéressant, un choix collectif de prioriser l’option la « moins dommageable », dans un contexte où les résidents d’Umiujaq sentent qu’ils ont finalement peu de pouvoir dans les décisions finales sur l’aménagement de ce qu’ils décrivent comme leur territoire :

Je me demande s’il y a quelqu’un qui représente Hydro-Québec ici. […]. Alors ma première question, la carte qu’on voit, quand Peter travaillait encore, on avait élargi le secteur jusqu’[à] […] la rivière, c’est-à-dire la rivière qui coule de là, la Nastapoka, c’est notre rivière, il y en a qui le disent mais il y a pas moyen de le dire, de dire que c’est notre rivière. On n’a pas beaucoup de pouvoir […] Et les sociétés minières aussi, pour moi, c’est une question prioritaire. Il y aura un développement « potentionnel » au niveau hydroélectrique ou minière (sic), et cela ne fait qu’endommager l’environnement (Tookalook dans MDDEP, 2008b : 8-9).

On a parlé de la Nastapoka et moi, je soutiens le point de vue qui a été évoqué. La Nastapoka devrait faire partie du tracé du parc. Même si Hydro-Québec semble être plus puissant, moi je suis plutôt d’accord avec le besoin d’inclure Nastapoka (Tookalook dans Ibid. : 18).

Je suis membre du conseil depuis de nombreuses années, et je comprends qu’en général, dans le cours général des choses, bon, qu’Hydro avait reçu le feu vert en 75 pour planifier une mise en valeur hydroélectrique […] et que l’Hydro-Québec demeure plus important que Parcs Québec, que le ministère même des parcs du Québec. […] Et lorsqu’on nous a posé la question, toutefois, aimerions-nous élargir le parc, ajuster le tracé, est-ce qu’il y avait autre chose, nous avions répondu que nous désirions la Nastapoka, nous désirions l’inclusion de cette rivière. Moi-même je l’ai dit, je m’en souviens. Et puis lorsque nous avons tenu une réunion à Kangiqsujuaq, nous avons reçu la réponse voulant qu’Hydro n’était pas d’accord. […] Bien sûr, vous êtes autant en mesure de comprendre ça que moi je le suis. […] Alors oui, je comprends que lorsque je dis, je désire l’inclusion de la rivière Nastapoka, c’est parce que je ne veux pas que cette rivière soit

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endommagée et que, semble-t-il, Hydro n’était pas d’accord avec ce principe (Kumarluk dans Ibid. : 12).

Ces extraits témoignent bien de la vision d’Hydro-Québec comme étant toute-puissante, au-delà même des ministères. À cela s’oppose l’impuissance ressentie par les résidents qui, malgré leur volonté d’élargir le tracé du parc, n’ont finalement pas vu leurs demandes prises en compte dans le projet de parc national proposé par le MDDEP.

La seconde motivation pour inclure la Nastapoka, telle qu’analysée par Joliet (2011) et Bibaud et Grenier (2012) est celle de la valeur esthétique du paysage et l’attachement au site, dans ce que ces derniers auteurs définissent comme une « relation quotidienne de familiarité » (2012 : 45), soit l’usage du site à travers le temps :

Je me permets d’en nommer un en regard de la Nastapoka, dont on a déjà fait mention ici ce soir, parce que Nastapoka est un lieu de très grande beauté, avec de la faune, de la flore, une flore particulière, et si Hydro désire réellement effectuer des études sur ce territoire, je leur demanderais de venir ici nous voir et de nous écouter, nous, les Inuits, pour savoir ce que nous connaissons, ce que nous connaissons de Nastapoka. Nastapoka, bien, comment dire, c’est de toute beauté. C’est un lieu d’une beauté indicible (Crow dans MDDEP, 2008b : 22).

Et moi aussi, je vis, je le vis et je sens le désir de conserver Nastapoka. C’est une chose de grande valeur. Nous parlons, là, d’un lieu où les gens peuvent aller pour vraiment pour se ressourcer, pour se reposer, et c’est un besoin, nous devons pouvoir ressentir ce besoin (Niviaxie dans Ibid. : 26).

Est-ce qu’on peut pas élargir les limites du parc, pour comprendre la Nastapoka ; parce qu’il y a une vallée très belle là-bas, et ça va être une cause de grande préoccupation s’il y aura (sic) un développement hydroélectrique là-bas (Tookalook dans Ibid. : 9).

Mon inquiétude, c’est pour la rivière Nastapoka, parce que c’est là une terre qui est extraordinaire. Ce serait très utile et très bienfaisant, bien vous savez, il s’agit d’une rivière qui doit être conservée, du fait que ce soit une rivière extraordinaire. […] Donc j’apprécierais réellement si vous vous sentiez capable de prendre cela en considération. La rivière Nastapoka est une très grande terre qui doit être conservée (Inukpuk dans MDDEP, 2008c : 1).

L’usage d’expressions qualificatives telles que « grande beauté », « beauté indicible », « grande valeur », « extraordinaire », et « très grande terre » dans les exemples ci-haut démontre l’importance associée à l’esthétisme du paysage. Ce paysage est par ailleurs lié aux activités traditionnelles et à l’histoire, au bien-être, à la présence de gibier (surtout le béluga) (MDDEP, 2008b : 10), ou encore aux souvenirs d’enfance (MDDEP, 2008c : 2). Ces discours sont compris par Bibaud et Grenier (2012)

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comme une forme d’attribution de « valeur patrimoniale » à la rivière Nastapoka. Selon leur analyse, ces discours sont porteurs d’une « reconfiguration du regard posé sur ce cours d’eau et du territoire qui l’entoure », la rivière Nastapoka devenant, à travers ces discours, non plus un élément naturel physique, mais bien un objet patrimonial (Bibaud et Grenier, 2012 : 45). Ces auteurs voient dans ce discours patrimonial un « espace de négociation de la gouvernance de la transformation des aménagements et des usages du territoire » (Idem), une manière, en d’autres termes, de réaffirmer la participation locale à la gestion du projet de parc national. En considérant le contexte local dans lequel ces discours s’inscrivent, nous pouvons interpréter le discours patrimonial comme un argument supplémentaire pour non seulement protéger la rivière et officialiser la participation locale, mais également bloquer le projet d’aménagement d’Hydro-Québec. Cette volonté s’arrimerait d’ailleurs avec celle mentionnée par certains intervenants cris, tel que mentionné précédemment.

Ainsi, les discours tenus par les différentes populations locales peuvent être compris comme porteurs d’intérêts divergents. Certains points semblent partagés par une majorité des intervenants, notamment la question des droits de chasse en territoire de parc, la gestion des terres de catégorie II et la clarification des frontières au Lac Guillaume-Delisle. L’inclusion de la rivière Nastapoka aux limites du parc, fortement appuyée par les interventions orales, semble être motivée principalement par une opposition à l’aménagement hydroélectrique du secteur ; les instances administratives (ARC et Makivik) abordent toutefois cette problématique avec une relative prudence. Enfin, la question de la reconnaissance de l’utilisation du territoire par les Cris et les Inuits se reflète entre autres dans une volonté de reconnaissance des toponymes, d’autant plus que le toponyme francophone donné au parc est long et difficile à prononcer. Le toponyme « Tasikimi », un mot hybride en langues crie et inuktitut avait été proposé (George, 2008a), mais il semble que les résidents d’Umiujaq se soient entendus sur Tursujuq préalablement aux audiences :

[M]a réflexion serait que le nom du parc devrait être un nom qui a du sens pour nous. Il y a des noms en inuktitut, par exemple Tursujuq, ça c'est le nom que nous, on préfèrerait comme appellation de ce parc. Et je ne le vois nulle part dans vos documents. C'est le premier nom que je vous ai mentionné. […] Dans un deuxième temps, nous avons passé au vote, à Umiujaq, comme la société foncière a un certain pouvoir, alors nous avons appliqué le nom Tursujuq. Et il y a une autre raison aussi, les gens du Kuujjuarapik avaient déjà le nom Allaitquasijia au nom de lac à l'Eau-Claire, alors on laisse aux Cris de choisir le nom pour ce secteur. Mais au niveau de vos cartes, nous voyons les noms anglais et français, et on peut même pas les prononcer. Nous respectons les noms qui ont été placés en anglais ou en français, mais nous, nous avons donné un nom à ce secteur, ça

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s'appelle Tursujuq en inuktitut, et pour moi, je comprends que ça devrait être le parc Tursujuq, en langue inuktikut (Tookalook dans MDDEP, 2008b : 8).

Nous avons choisi ce nom, Tursujuq, comme étant le meilleur nom, et on l'a choisi, ce nom, Tursujuq parce que les maisons des Inuits ont toutes, bien, des entrées, et le golfe, le lac a également une entrée. Vous savez, là le lac aussi a un tursujuq, ça fait sens (Crow dans Ibid. : 21).

La désignation des noms de lieux en toponymes inuktitut et cri, voire un hybride des deux, témoigne d’une volonté d’officialiser la présence historique et l’appartenance de ces deux communautés au territoire partagé par les membres des deux nations. L’idée d’un toponyme hybride rappelle par ailleurs celui de l’Odeyak, le canot symbolique utilisé dans les manifestations contre le projet Grande-Baleine en 19909 et signifiant la collaboration entre les Cris et les Inuits. Le partage des toponymes sur le territoire du parc signifie ainsi un engagement de collaboration et une reconnaissance des lieux partagés. Le parc est effectivement nommé « Tursujuq » à son inauguration, ce qui signifie « le Goulet », en référence à l’étroit passage entre la Baie d’Hudson et le Lac Guillaume-Delisle. Ce dernier a été nommé « Tasiujaq », ce qui signifie « lac » en inuktitut, et le Lac-à-l’Eau-Claire est désormais désigné par le toponyme cri « Wiyâshâkimî » signifiant également « lac à l’eau claire ». La rivière Nastapoka avait pour sa part conservé son toponyme cri au fil du temps, signifiant « là où quelqu’un a trouvé un caribou tué par les rapides » (Montpetit, 2015a : A1 ; Parcs Nunavik, 2019).

4.1.2 Citoyens non bénéficiaires Au total, trois contributions de citoyens non bénéficiaires de la CBJNQ ont été recensées dans le cadre des audiences publiques de 2008. Premièrement, un mémoire a été remis par Harold Geltman, résident de Mauricie, qui ne fait pas l’objet d’une analyse dans le présent mémoire puisque l’argumentaire était quelque peu hors sujet. Deuxièmement, un mémoire remis par Paul Landry, président du Club Aventure du Lac-à-L’Eau-Claire : l’auteur, sans commenter le projet de parc en soi, argue que ses droits en tant que gestionnaire d’une pourvoirie ne seraient pas respectés si un parc national était aménagé, et demande à être compensé (Landry, 2008). Landry adopte une position de réaction face aux différents contextes s’imposant au territoire sur lequel sa compagnie est située, dont la création du parc national, mais également l’augmentation de la clientèle potentielle et la diversification de leurs intérêts, ou encore l’ennoiement d’une partie du territoire par un développement hydroélectrique. Sans commenter ces projets ou prendre position, l’auteur semble chercher à tirer le

9 Voir la section 2.2.2

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plus de bénéfices possibles de ces situations, notamment en proposant un ambitieux projet d’hôtel et de rénovation de l’aéroport local pour pouvoir « recevoir des avions de ligne internationale » (Ibid. : 8). Comme son argumentaire est relativement peu lié à l’étude de cas, une analyse détaillée du discours de cet acteur ne sera pas non plus présentée.

La dernière contribution recensée par un non-bénéficiaire dans le cadre des audiences publiques de 2008 par le MDDEP est celle, orale, de Patrick Raymond, un résident d’Umiujaq. Celui-ci s’inquiète de la pérennité de ses droits de chasse sur le territoire du parc :

On parle des touristes qui vont venir dans le village, puis on parle aussi des bénéficiaires, donc tous les Inuits. Il y a une troisième catégorie de personnes qui vivent ici, qui sont les non bénéficiaires. Dans votre entente, est-ce qu’il y a justement une entente qui va inclure ces personnes-là, comme moi, qui aiment aller faire la chasse avec les Inuits. Est-ce que dans ce parc-là, moi, je vais encore avoir le droit d’aller chasser avec les Inuits ou je perds complètement mes droits (MDDEP, 2008b : 19).

La question des droits de chasse et de pêche est centrale dans les débats entourant la création du parc, et ce plus particulièrement chez les résidents d’Umiujaq pour qui, tel que mentionné précédemment, les activités traditionnelles demeurent très importantes, et dans un contexte où le village se retrouve enclavé par le parc. Dans le cas de M. Raymond, il apparaît tout d’abord qu’il se sent exclu du débat puisque dans une situation minoritaire : « Puis je suis pas tout seul, là, il y a quand même une minorité, qu’on appelle les résidents non bénéficiaires » (Idem). L’orateur note d’ailleurs une certaine incohérence entre les règlements d’un parc national et le contexte local :

Si la chasse est pas permise, ils vont quand même perdre une grande partie de la clientèle, si on permet pas la chasse ici. On parle d’activités culturelles. Je pense qu’une grande partie de la vie des Inuits, c’est la chasse et la pêche. Si on fait un grand parc puis qu’on coupe cette activité-là, il y a une grosse partie de la culture qui se perd, là (Ibid. : 20).

La question de l’incongruité d’un parc national en territoire inuit, en raison des objectifs de ce type d’aire protégée et de la clientèle visée, avait déjà été abordée par les Inuit qui y voyaient une menace pour la poursuite de leurs activités traditionnelles. Ce point était omniprésent dans les débats sur la création du parc parmi la communauté d’Umiujaq, tel que mentionné précédemment. Avec cette intervention, M. Raymond aborde en premier lieu ses droits personnels, puis se place au sein d’un groupe (les non bénéficiaires), avant de critiquer plus largement l’idée de créer un parc national en territoire inuit, dans un discours qui rejoint une partie de la population du village d’Umiujaq. Si les

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membres inuit de la communauté abordent la chasse comme une question d’identité et de sécurité, M. Raymond considère cette activité comme inhérente à la culture.

La question de perte de droits individuels en raison de la création d’un parc national rappelle non seulement les considérations des Inuit d’Umiujaq, mais également celles amenées par Paul Landry, lequel associe toutefois l’activité de la chasse avec un revenu d’entreprise, alors que pour M. Raymond, pratiquer la chasse avec les Inuit lui permet de s’intégrer dans sa communauté d’accueil. Ce dernier propose d’ailleurs que l’ouverture du territoire à un marché touristique en interdisant la chasse nuirait à l’expérience des touristes potentiels, puisqu’ils ne pourraient pas « pratiquer » la culture des Inuit.

4.1.3 Organismes scientifiques et environnementaux Le groupe des organismes scientifiques et environnementaux est celui regroupant le plus grand nombre de mémoires, mais très peu de contributions orales aux audiences publiques. Les scientifiques sont représentés par Michel Allard, du Centre d’études nordiques (CEN). Les groupes militants pour l’environnement ayant contribué au débat sont impliqués sur le territoire à l’étude à différents niveaux : la Société pour la nature et les parcs du Canada (SNAP) milite pour la création de grandes aires protégées ; Nature Québec s’implique dans plusieurs dossiers, dont la création d’aires protégées, la protection de la biodiversité et la refonte du système minier. L’IBC s’implique pour une exploitation responsable de la forêt boréale, alors que le RNCREQ est un regroupement de plusieurs conseils environnementaux.

4.1.3.1 Centre d’études nordiques Le CEN a été fondé en 1961 par le géographe Louis-Edmond Hamelin. La construction de stations de recherche permanentes à partir de 1968 (station de Whapmagoostui-Kuujjuarapik) a facilité la mise en place de projets de recherche dans le Nord (Tremblay, 2011 : F2). Au moment des audiences publiques pour la création du Parc national des Lacs-Guillaume-Delisle-et-à-l’Eau-Claire en 2008, le CEN est un centre de recherche reconnu pour les travaux en sciences naturelles, et dont les infrastructures au Nord contribuent à faciliter la mobilisation de connaissances sur la région (Allard, 2008).

Dans le secteur du Parc national Tursujuq, les chercheurs du CEN ont mené des projets de recherche au village d’Umiujaq depuis 1980, mais s’installent de manière plus permanente entre 2008 et 2011 par la construction d’une station de recherche incluant un dortoir de trois chambres, une cuisine et un

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laboratoire (Allard, 2008 ; CEN, 2019). De plus, à l’intérieur des terres sur le territoire du parc, une station de recherche a été construite au Lac-à-l’Eau-Claire en 2005 (CEN, 2019).

Le mémoire présenté au nom du CEN aux audiences publiques de 2008 est rédigé par Michel Allard, un géomorphologue, alors directeur intérimaire. Le texte pose deux questions principales : « La première concerne la poursuite de la recherche scientifique dans la région après la création du parc. La seconde pose la question des limites proposées pour le parc, lesquelles font défaut d’inclure les magnifiques paysages et les riches écosystèmes du bassin de la rivière Nastapoka » (Allard, 2008 : 3).

En présentant d’entrée de jeu les projets de recherche récents menés par des chercheurs du CEN sur le site du parc, M. Allard base son argumentaire sur la légitimité du centre de recherche et des chercheurs, d’une part pour établir la crédibilité du mémoire, en mentionnant que « la richesse et la haute qualité de l’état actuel des connaissances sur le parc projeté reposent en large partie sur les travaux produits par le CEN » (Allard, 2008 : 2). D’autre part, les projets de recherche menés jusqu’alors, « de portée universelle et qui sont de préoccupation à l’échelle internationale » (Ibid. : 4) justifient la poursuite des travaux de recherche suite à la création du parc. Or, l’auteur remarque qu’« [a]lors que les chercheurs scientifiques ont souvent contribué au savoir qui a favorisé la création d’un parc, ils réalisent souvent qu’une fois le parc instauré et doté d’une règlementation gérée de façon rigide, il devient excessivement ardu, administrativement lourd et, en conséquence, financièrement plus coûteux d’y poursuivre des travaux de recherche » (Ibid. : 4-5). La première partie du mémoire demande donc un protocole allégé par rapport à d’autres parcs nationaux canadiens, visant à faciliter la recherche scientifique plutôt que de remplir une fonction simplement bureaucratique, voire à l’appuyer par un appui financier ou matériel :

À notre avis un tel comité scientifique non seulement devrait voir à l’application intelligente des règles de recherche scientifique, il constituerait un organe d’échange entre les parties prenantes, de réflexion sur les besoins scientifiques et de promotion du savoir. Il contribuerait au plan de recherche avec une vision large, de portée élevée et de calibre international (Allard, 2008 : 5-6).

On peut lire dans cette première partie du mémoire une considération quant à la poursuite des activités de recherche des scientifiques, à une période où le CEN cherchait à se développer par l’ajout d’infrastructures – à Umiujaq notamment – ainsi que par un rayonnement sur la scène internationale (Harvey, 2011 : F5). La question de la notoriété internationale de la recherche scientifique, existante

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ou à venir, est d’ailleurs bien présente dans le mémoire présenté par M. Allard. L’auteur voit dans une collaboration avec l’administration du parc une occasion de renforcer cette notoriété, et c’est d’ailleurs l’une de ses recommandations : « Ce comité scientifique devrait avoir aussi comme mandat de faire la promotion du parc comme haut-lieu de développement des connaissances scientifiques, incluant le savoir traditionnel autochtone, et de faire la promotion de ce savoir à des fins éducationnelles » (Allard, 2008 : 7-8).

La seconde partie du mémoire porte sur les limites proposées pour le parc national, et demande l’inclusion de la totalité de la zone d’étude dans le parc. L’argumentaire critique d’entrée de jeu la validité de la limite proposée :

À notre avis, le plan directeur provisoire ne développe pas une argumentation claire et fondée sur des motifs solides de conservation écologique pour justifier cette exclusion. Le texte ne fait que mentionner que le parc projeté sera le plus vaste du Québec, donnant à entendre qu’il s’agit déjà [d’]une concession majeure et suffisante à la protection des écosystèmes sur notre territoire national (Allard, 2008 : 6).

Selon M. Allard, la « valeur environnementale » de la rivière Nastapoka doit être considérée comme plus grande, à long terme, que sa « valeur commerciale », dans le cas de son aménagement hydroélectrique. Cette « valeur environnementale » est décrite pour son potentiel scientifique et écologique d’abord, soit par sa « haute valeur géomorphologique et écologique », la présence de phoques communs d’eau douce, « mais aussi le saumon de l’Atlantique captif dans ses eaux et les bélugas dans son estuaire au pied de la chute ». Autres éléments importants, « la transition écologique que représente la limite des arbres », « une concentration unique de formes de pergélisol dans les argiles de la mer de Tyrrell et dans les tourbières », paysage de « pergélisol en transition à surveiller dans le cadre des changements climatiques » (Ibid. : 6-7).

Enfin, la valeur esthétique des « magnifiques paysages » est également mentionnée : « [l]e caractère exceptionnel de la rivière Nastapoka, de ses chutes et de ses rapides, dans un paysage à couper le souffle avec, notamment, la splendide chute près du littoral ». Dans le contexte de la création d’un parc national, « la valeur financière liée à la beauté de la rivière pourrait éventuellement dépasser sa valeur en kilowatts ». De même, les éléments d’intérêt scientifique et écologique susmentionnés présentent un attrait certain pour les visiteurs pour l’observation de la faune ou du paysage : « Déjà on rencontre des touristes qui descendent la rivière en canot ou kayak tandis que la visite des chutes est devenue une étape obligée pour les visiteurs à Umiujaq » (Ibid. : 3-7). Cette notion de valeur esthétique est par

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ailleurs appuyée par la présentation de photographies de la chute Nastapoka à l’occasion des audiences publiques, à Umiujaq en juin 2008.

Ainsi, le mémoire présenté par Michel Allard au nom du CEN démontre en premier lieu une considération, par le groupe de recherche, à assurer la poursuite des projets de recherche sur le territoire du parc national, tout en bâtissant son argumentaire autour de la crédibilité des scientifiques qui en sont membres, ayant déjà largement contribué aux connaissances sur le territoire du projet de parc. Dans un contexte d’expansion du CEN et d’une certaine recherche de notoriété sur la scène internationale, la mise en protection du territoire apparaît comme une bonne opportunité pour appuyer la recherche. La protection de la rivière Nastapoka, vu son potentiel scientifique important, est donc à privilégier au profit du développement hydroélectrique et minier. Le caractère esthétique du paysage est d’ailleurs décrit comme ayant un « énorme potentiel d’attraction publique » et qui ne devrait pas être considéré comme une « concession » par les aménagistes. Cette section du parc pourrait par ailleurs contribuer à son rayonnement sur la scène internationale : « La société internationale serait reconnaissante envers le Québec si l’ensemble de l’aire d’étude était mis sous protection » (Allard, 2008 : 7). La conservation du territoire est par ailleurs décrite comme grandement bénéfique à la recherche scientifique, voire à toute la société :

Les résultats de nos travaux [sont] présentés dans des conférences et sont diffusés dans des revues de calibre international. Les thèmes étudiés débordent largement les seuls besoins de l’aménagement et de l’interprétation dans un parc national. Ils illustrent aussi qu’un territoire protégé a un potentiel extraordinaire de servir de base pour des études scientifiques de grande envergure et à haute visibilité et, par conséquent, permettant d’intégrer les chercheurs, les autorités gouvernementales et les communautés autochtones dans des réseaux de collaboration, en plus de répondre aux besoins spécifiques de connaissances pour l’aménagement et la gestion du parc lui-même (Allard, 2008 : 4).

À l’instar de la majorité des groupes environnementaux étudiés, la place prioritaire conférée aux projets d’exploitation du territoire par rapport aux projets de protection est dénoncée dans le mémoire : « Il ne peut que se dégager l’impression que les auteurs ont voulu laisser le champ libre à des développeurs de ressources, principalement dans les domaines des mines et de l’hydro-électricité » (Allard, 2008 : 6). Selon M. Allard, « [m]ême en appuyant l’idée du développement hydro-électrique comme source de revenu au Québec et comme approche privilégiée pour réduire la production de gaz à effet de serre, la valeur de la rivière Nastapoka est un cas où la valeur environnementale dépasse la valeur commerciale ». L’auteur remarque également que l’aménagement hydroélectrique de la Nastapoka

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nécessiterait le passage d’une ligne de transport sur le territoire du parc, malgré la contradiction d’usages que cet aménagement impliquerait (Ibid. : 7).

Notons que l’aménagement hydroélectrique de la rivière Nastapoka n’est pas une question que M. Allard aborde pour la première fois en 2008. Le chercheur s’était en effet déjà exprimé publiquement au moment de la signature de l’entente Sanarrutik en 2002, critiquant le point de l’aménagement hydroélectrique :

Il en va autrement de ce qui constitue la pièce maîtresse de l’accord de Tasiujaq [entente Sanarrutik], à savoir le développement du potentiel hydroélectrique. Quoique aussi sujet à des règlements et des évaluations environnementales, la dimension même des projets en cause, s’ils se réalisent, ne pourra qu’entraîner des impacts majeurs pour lesquels nos sociétés blanche et inuite devront assumer une responsabilité conjointe et pour lesquels elles doivent s’attendre à être appelées éventuellement à rendre des comptes à la communauté internationale. […] Un secteur sensible sur les plans géomorphologique et écologique sera probablement la vallée de la rivière Nastapoka, qui contient des argiles marines à forte teneur en glace. Leur inondation en entraînerait la fonte ainsi que l’érosion thermique des berges du futur réservoir : […] l’impact serait important (Allard, 2002 : D5).

4.1.3.2 Société pour la nature et les parcs du Canada, section Québec (SNAP) Le second mémoire analysé est remis par la SNAP, « un organisme à but non lucratif fondé en 1963 par des citoyens qui avaient à cœur la sauvegarde des espaces naturels » et ayant pour « mission la protection du patrimoine naturel en favorisant la création d’aires protégées ainsi que l’amélioration de la gestion des aires existantes » (SNAP, 2008 : 1). La division québécoise de cet organisme a été fondée en 2001 et a, depuis, été active sur les dossiers de création d’aires protégées au nord comme au sud du Québec, notamment par rapport aux dispositions du Plan Nord (SNAP, 2014). Son principal objectif est la mise en protection des territoires canadiens de manière permanente et sous la forme d’aires protégées, couvrant idéalement de vastes superficies : « Nous visons à protéger de grandes superficies de territoire qui soient à la fois représentatives des régions naturelles et capables de maintenir des écosystèmes viables » (SNAP, 2008 : 1). L’organisme travaille généralement de pair avec d’autres organismes environnementaux, de même qu’avec les groupes autochtones afin de favoriser une gestion collaborative des aires protégées avec ceux-ci (Idem).

Le mémoire soumis par la SNAP aux audiences publiques de juin 2008 appuie généralement la création du parc national des Lacs-Guillaume-Delisle-et-à-l’Eau-Claire, dans un texte s’appuyant fortement sur la notion de superficie des aires protégées : se présentant d’abord comme ayant « déjà

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contribué à la protection de plus de 400 000 km2 du patrimoine naturel du Canada », l’organisme accueille favorablement « le plus vaste [projet de parc national] du Québec » (SNAP, 2008 : 3). En considérant les principaux objectifs de l’organisme, il est cohérent que le projet de parc national proposé soit félicité, vu sa grande superficie et l’implication des populations locales :

Une étape importante est franchie aujourd’hui alors que deux des sites mis en réserve au début des années 90, le lac Guillaume-Delisle et le lac à l’Eau Claire, font l’objet d’une consultation publique dans le but de leur attribuer la désignation de parc national. Non seulement ce territoire pourrait-il devenir le plus grand parc national du Québec, avec 15 549 km2, mais aussi l’une des plus vastes aires protégées au Canada. Ce site est parmi les plus remarquables du Québec nordique avec ses paysages de cuestas, son double impact météoritique, sa diversité floristique et faunique ainsi que son incomparable richesse archéologique. […] Le projet de parc national des Lacs-Guillaume-Delisle-et-à- l’Eau-Claire a été élaboré en étroite collaboration avec deux nations autochtones, les Inuits et les Cris. […] Nous saluons cette étroite collaboration de tous les instants sans laquelle le projet n’aurait pu se concrétiser. […] C’est donc avec enthousiasme que la SNAP accueille ce projet de parc national, le plus vaste au Québec (SNAP, 2008 : 2-3).

Les auteurs nuancent cependant cette notion de superficie, mentionnant que le pourcentage de territoire protégé « n’a rien d’exceptionnel si on le compare à d’autres juridictions canadiennes », en donnant l’exemple du Nunavut et des Territoires-du-Nord-Ouest, où respectivement 14% et 16% du territoire sont protégés. Par ailleurs, « [u]n total de sept parcs nationaux du Canada dépassent en superficie le projet des Lacs-Guillaume-Delisle-et-à-l’Eau-Claire tandis qu’en Ontario, le parc provincial Polar Bear, avec 23 552 km2, le dépasse lui aussi amplement » (SNAP, 2008 : 4). Dans ses discours plus récents, l’organisme s’appuie d’ailleurs sur la superficie du Parc national Tursujuq (à la suite de son agrandissement) comme un succès et pour asseoir sa crédibilité : « Depuis sa création en 2001, la section Québec de la SNAP a contribué à la protection de milliers d'hectares de milieux sauvages, incluant la création du Parc Tursujuq au Nunavik, la plus grande aire protégée de l'est de l'Amérique du Nord » (SNAP, 2014 : 3).

La SNAP émet également une série de questions à travers son mémoire, classées sous six recommandations portant sur la mise en place du parc, l’agrandissement de ses limites pour y inclure la totalité de la zone d’étude, le zonage, les cuestas en terres de catégorie I, la recherche scientifique et, enfin, suggère au Ministère d’amender la Loi sur les Parcs.

D’abord, certaines recommandations portent sur des aspects logistiques de la création ou de la gestion du parc national. La première recommandation suggère d’inaugurer le parc « dans les meilleurs

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délais », puisqu’un délai trop long risquerait selon les auteurs de « miner le sérieux de la démarche gouvernementale et contribuer à la désaffection des communautés impliquées » (SNAP, 2008 : 4). La troisième recommandation porte sur un zonage plus strict dans certaines zones fréquentées par des espèces rares ; enfin, la cinquième appuie la poursuite de la recherche scientifique sur le territoire du parc. Cette recommandation, à travers laquelle l’organisme soutient – volontairement ou non – le mémoire remis par le CEN, laisse entrevoir une compréhension du territoire comme vulnérable, nécessitant une étroite surveillance par des scientifiques.

Depuis les trois dernières décennies, les chercheurs du Centre d’études nordiques, entre autres, y ont accumulé un impressionnant corpus de connaissances. Il serait extrêmement important de mettre à profit ces connaissances pour instituer un solide programme de suivi à long terme de l’évolution du parc. […] Il serait en outre très pertinent dans le contexte des changements climatiques actuels et de leurs impacts en milieux nordiques. […] Il nous apparaît donc primordial que les ressources monétaires et techniques adéquates soient mises à la disposition du milieu scientifique afin de parfaire nos connaissances scientifiques du territoire et mettre en place un solide programme de surveillance continue (monitoring) de l’état du parc (SNAP, 2008 : 9).

La question de la vulnérabilité du territoire et des écosystèmes, d’abord comprise comme naturelle puisqu’induite par les processus liés aux changements climatiques, est vue comme amplifiée par l’augmentation prévue des activités industrielles en territoire nordique. En introduction du mémoire, les auteurs réfèrent à ce contexte d’accélération du développement :

Cette mise en réserve, il y a près de deux décennies, est d’autant plus importante que le Nord du Québec a connu, depuis, une vague sans précédent d’exploration minière et qu’il pourrait être voué à un développement accéléré dans les prochaines années. Dans son discours de clôture, lors du 30e congrès du Parti libéral du Québec, le 9 mars 2008, le premier ministre Jean Charest ne mentionnait-il pas « Mon rêve, mon ambition est d’ouvrir le Nord québécois. La nouvelle économie est une occasion rêvée de développer nos ressources énergétiques, notre secteur minier, le secteur du tourisme, le transport. » (Lessard, 2008). Devant cette perspective, il est impératif que le développement nordique se fasse par une planification intégrée de l’exploitation et de l’utilisation des ressources, en partenariat avec les communautés locales, tout en faisant une large place à la conservation et aux multi-usages du territoire (SNAP, 2008 : 2).

L’usage d’expressions telles que « extrêmement important », « primordial », « vague sans précédent » et « impératif » dans les deux derniers extraits cités montre l’urgence, pour les auteurs, d’instaurer des structures de suivi scientifique et d’aménagement du territoire pour faire face aux menaces que peuvent représenter les changements climatiques et l’industrie minière.

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Dans le même ordre d’idées, la première et la quatrième recommandations de la SNAP portent sur des zones exclues de la zone du parc proposé, mais dont les éléments sont présentés comme menacés. D’abord, à l’instar de plusieurs autres mémoires analysés, les auteurs demandent l’ajout de la totalité de la zone d’étude – dont le bassin versant de la rivière Nastapoka – au territoire du parc national. Il est mentionné que « les secteurs exclus du projet final comprennent plusieurs thèmes uniques et irremplaçables auxquels il aurait été important d’accorder une protection » (SNAP, 2008 : 6). L’argumentaire est principalement basé sur la présence d’espèces uniques ou menacées, dans un discours de perte qui concorde avec la notion de vulnérabilité, ici appliquée aux écosystèmes. Les auteurs réfèrent d’abord à la population de bélugas se rassemblant aux estuaires de la rivière Nastapoka et de la Petite rivière de la baleine :

La protection du bassin versant de la rivière Nastapoka peut apporter une contribution à la protection du béluga de la côte est de la baie d’Hudson. Par exemple, les projets de développement hydroélectrique, par les modifications hydrologiques qu’ils entraînent dans les estuaires, constituent une menace sérieuse aux mammifères marins (SNAP, 2008 : 6).

Dans ce cas-ci, les projets hydroélectriques constituent une nouvelle « menace » au territoire décrit comme vulnérable, par la précarité du béluga. Il en va de même pour un certain nombre d’espèces uniques à l’aire du bassin versant de la Nastapoka, dont une espèce de saumon atlantique vivant en eau douce (ouananiche) et le phoque commun d’eau douce. Le caractère unique de ces espèces les rend encore plus vulnérables aux « menaces » susmentionnées, justifiant des mesures de protection d’autant plus grandes : « L’unicité de cette population ajoute à l’intérêt de la rivière Nastapoka et à la nécessité d’en assurer une protection adéquate » (SNAP, 2008 : 6). Dans le cas du phoque commun d’eau douce, l’unicité de l’espèce et la faible population accentuent sa fragilité : « Cette population très réduite peut être vulnérable aux perturbations anthropiques et aux événements naturels catastrophiques (ARK, 2007) et il importe de protéger adéquatement la totalité de son aire de fréquentation » (Ibid. : 6-7).

Dans le cas du mémoire de la SNAP, l’argumentaire pour l’inclusion de la rivière Nastapoka et de son bassin versant à l’aire du parc national se limite à cette question de la biodiversité menacée, et à ces trois espèces, laissant de côté la question de qualité paysagère défendue par les populations locales et le CEN (SNAP, 2008 : 7).

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À noter qu’en 2011 toutefois, à l’occasion d’un texte d’opinion visant à critiquer le Plan Nord publié dans le Journal de Québec, le directeur général de la SNAP, Patrick Nadeau, mentionne la rivière Nastapoka, la décrivant comme « majestueuse », « [d’]une grande importance culturelle », voire comme un « patrimoine exceptionnel et irremplaçable », un « joyau irremplaçable », laissant croire que les arguments de l’organisme se sont diversifiés au cours des négociations pour intégrer ceux des autres groupes militants :

À l'heure actuelle, le futur parc ne comprendrait pas la majestueuse rivière Nastapoka. Lors d'études préliminaires, l'ensemble de la rivière fut pourtant considéré comme un élément névralgique du futur parc, autant par les scientifiques que par les communautés inuites et cries concernées. En effet, la rivière revêt une grande importance culturelle, puisque c'est sur celle-ci que se réunissaient les familles autochtones de toute la région en période estivale. Par ailleurs, on y retrouve la seule population de saumons de toute la côte est de la baie d'Hudson. Son estuaire abrite une population de bélugas en voie de disparition. Plus en amont, on retrouve l'unique population mondiale de phoques communs d'eau douce. Il s'agit tout simplement d'un patrimoine exceptionnel et irremplaçable. […] [L]orsqu'il est question de protéger, ou non, une rivière unique au monde, la décision devrait être claire. Exclure la rivière Nastapoka ou une partie de celle- ci du parc Tursujuq, ce serait priver le Québec d'un joyau irremplaçable (Nadeau, 2011 : 16).

La quatrième recommandation porte pour sa part sur le caractère esthétique du paysage, mais pour un autre site : celui des cuestas de la péninsule de Low, entre le village d’Umiujaq et le lac Guillaume- Delisle, et faisant partie des terres de catégorie I d’Umiujaq selon les modalités prévues par la CBJNQ, donc ne pouvant pas être incluses aux limites du parc.

La péninsule de Low est formée des cuestas les plus spectaculaires du Québec. Celles- ci surplombent la rive ouest du lac Guillaume-Delisle d’une hauteur de 350 à 400 m et leur face abrupte plonge directement dans les eaux du lac. Elles ajoutent beaucoup à la beauté de cette section du parc national et en sont un élément incontournable. […] Même si elles sont en dehors du projet de parc, une attention particulière devrait toutefois être accordée à leur protection. Il serait dommage, en effet, qu’un projet éolien à leurs sommets ou le passage d’un corridor de transport d’énergie électrique viennent gâcher l’expérience vécue par les touristes qui fréquenteront le lac Guillaume-Delisle (SNAP, 2008 : 8).

Ces mentions du caractère esthétique du paysage dressent encore une fois un portrait de vulnérabilité du territoire face au développement, dans ce cas-ci par la construction d’infrastructures. Quoique le vocabulaire évoque moins l’urgence que lorsque des questions de biodiversité ou de suivi scientifique sont abordées, des expressions telles que « dommage » ou « gâcher l’expérience » peuvent être

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interprétés comme un discours de perte ou de gâchis, à l’image du discours tenu en 2011, où M. Nadeau mentionnait que de ne pas protéger la Nastapoka équivaudrait à « priver le Québec d’un joyau irremplaçable ».

Enfin, il semble que l’organisme ait cherché à bénéficier de la tribune qu’offrait la consultation publique pour faire passer un message plus large au MDDEP, demandant à ajuster les mesures législatives de la Loi sur les Parcs pour une protection plus stricte des réserves de parcs nationaux, afin d’éviter que le développement énergétique ne s’y installe avant une désignation officielle. Cette sixième recommandation de la SNAP, quoiqu’elle ne s’applique pas uniquement au cas du parc des Lacs- Guillaume-Delisle-et-à-l’Eau-Claire, semble s’appuyer sur la même logique que la demande de créer le parc dans les plus courts délais. Ces deux recommandations illustrent bien le sentiment général d’urgence qui peut être compris à la lecture de ce discours, soit une urgence de protéger un territoire et des écosystèmes représentés comme vulnérables et menacés par divers éléments, notamment les changements climatiques, l’hydroélectricité, l’industrie minière et la construction d’infrastructures.

4.1.3.3 Nature Québec Fondé en 1981, l’Union québécoise pour la conservation de la nature (UQCN) devient Nature Québec en 2005. Sa mission est d’« œuvre[r] à la conservation de la nature, au maintien des écosystèmes essentiels à la vie et à l'utilisation durable des ressources » (NQ, 2019 : s.p.). L’organisme s’implique dans divers projets, dont les orientations sont dictées par des commissions : en 2008, les champs d’expertise étaient « Agriculture, Aires protégées, Biodiversité, Eau, Énergie et Foresterie », ce qui est demeuré semblable à peu de choses près aux implications à l’heure actuelle (2019), selon l’information disponible sur leur site Internet (NQ, 2008a : s.p. ; NQ, 2019).

En 2008, Nature Québec s’impliquait notamment dans des dossiers de conservation des milieux naturels, appuyant les objectifs gouvernementaux provinciaux de protéger 8% du territoire et particulièrement en milieu de moyen-nord forestier, dans l’habitat du caribou forestier (NQ, 2008b). En avril 2008, Nature Québec s’alliait par ailleurs avec d’autres organismes dont la SNAP, pour créer la coalition « Pour que le Québec ait meilleure mine ! », dont l’objectif était de demander « une révision en profondeur de la Loi sur les mines dont les principes, basés sur le free mining, datent du temps de la ruée vers l’or » (NQ, 2008c). Tel que mentionné dans le cas des débats entourant l’adoption de la

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Loi sur la conservation du patrimoine naturel10, l’industrie minière et la création d’aires protégées entrent nécessairement en conflit d’usage, ce qui justifie l’implication de ces organismes pour une refonte du système minier :

Cette législation [la Loi sur les Mines] entrave systématiquement la création de nouvelles aires protégées. Elle empêche l’atteinte des objectifs de conservation non seulement sur les territoires ayant des titres miniers, mais aussi dans les zones dites à « potentiel minier », soit d’immenses pans du territoire québécois (NQ, 2008c : 1).

Dans le cas des audiences publiques de juin 2008 pour la création du parc national des Lacs- Guillaume-Delisle-et-à-l’Eau-Claire, les questions d’énergie et de développement minier s’ajoutaient à celles de la création d’une aire protégée et de protection de la biodiversité, et ces divers sujets touchaient les travaux alors menés par l’organisme. Mentionnons également que Nature Québec et la SNAP collaboraient sur certains dossiers, notamment sur celui de la coalition sur l’industrie minière, et que les mémoires de ces organismes, avec celui de l’Initiative boréale canadienne (IBC), ont été déposés en concertation (IBC, 2008), ce qui peut expliquer leur relative similitude. Le mémoire remis par Nature Québec est divisé en sept « enjeux » : l’hydrographie, les limites, le zonage, les mines, l’implication des communautés locales, la composition du comité d’harmonisation et enfin la gestion et mise en valeur du parc.

D’abord, les enjeux d’hydrographie et de limites portent sur des considérations semblables, soit l’agrandissement des limites du parc en fonction des bassins versants, ce qui est présenté comme une évidence par les auteurs : « Lorsque la chance de protéger des territoires de si grandes superficies se présente, il s’avère pertinent, pour ne pas dire fondamental, de respecter quelques principes importants de la biologie de la conservation […] [comme] la protection d’ensembles hydrographiques entiers ou bassins versants » (NQ, 2008a : 2). Un certain nombre de zones prioritaires sont également proposées par les auteurs, soit des « milieux représentatifs et/ou menacés de cette région », incluant la région des lacs des Loups Marins, le territoire autour de la rivière Nastapoka, « la région de tête du bassin versant de la Nastapoka », de même que la partie aval de la rivière (Idem). À l’image du mémoire remis par la SNAP, l’argumentaire en faveur de l’ajout de ces zones à l’aire du parc est basé essentiellement sur des considérations de biodiversité, notamment en ce qui concerne l’habitat du phoque commun d’eau douce. Les auteurs mentionnent par ailleurs l’utilisation des cours d’eau du

10 Voir la section 3.1.1

101

bassin versant de la rivière Nastapoka par les « Cris et les Inuit pour leurs activités traditionnelles de subsistance » et comme « voie de circulation traditionnelle » (Idem) (Figure 16). Le caractère esthétique du paysage est mentionné sans être appuyé d’une description subjective : « un milieu physique caractérisé par de nombreuses et imposantes chutes le long d’une faille (jusqu’à 35 m de hauteur) », ou encore des « plages et deltas et autres formations géomorphologiques intéressantes » (Ibid. : 4) sont les seules mentions à la qualité paysagère du territoire en question. L’absence d’adjectifs descriptifs est un bon indicateur que la beauté du paysage n’est pas l’argument en cause dans ces discours.

L’enjeu « mines » porte également, dans une certaine mesure, sur les limites du parc. Tel que mentionné ci-haut, Nature Québec était à cette époque très impliquée sur les dossiers touchant à la gestion de l’industrie minière au Québec, et pourrait avoir cherché à bénéficier de la tribune qu’offraient les audiences publiques sur la création du parc national pour réitérer le message de la coalition qui venait alors d’être créée :

Une fois de plus, la présence de droits miniers et la suprématie de la Loi sur les mines sur les autres lois a influencé la délimitation du parc, empêchant de donner à ce projet de parc des limites fondées sur des arguments de conservation, plutôt que de développement industriel. […] Malheureusement, le free mining donne priorité quasi- absolue à l’exploration minière sur plus de 85% du territoire québécois. Actuellement, les titres miniers détenus par les entreprises représentent 7,1% du territoire québécois. Le titre minier a souvent préséance sur tout autre titre de propriété, public ou privé. Nature Québec insiste pour dénoncer une fois de plus cet assujettissement relié au pouvoir de la Loi sur les mines et propose une révision de cette dernière afin que cette situation soit corrigée et que de réelles négociations aient lieu entre les territoires associés à la Loi sur les Mines, tout comme ceux assujettis à la Loi sur les parcs (à l’exemple de ce qui se fait ailleurs au Canada) (NQ, 2008a : 5).

Les auteurs demandent ainsi une définition plus stricte des activités permises sur le territoire du parc, pour les communautés locales comme pour les visiteurs, de manière à assurer un meilleur contrôle des « stress » internes ou externes : « mise en valeur, utilisations traditionnelles, […] changement climatique, développement minier et/ou hydroélectrique en périphérie, etc. » (Idem). Cette recommandation peut être analysée, à l’instar du mémoire de la SNAP, comme une représentation du territoire comme étant vulnérable, à contrôler étroitement afin de mieux le protéger. Stratégiquement, Nature Québec voit l’implantation de cette règlementation stricte comme une opportunité d’affaires :

102

Figure 16 : Carte présentée par Nature Québec au MDDEP dans le cadre des audiences publiques, juin 2008 (NQ, 2008a : 6)

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L’idée de créer un comité d’harmonisation composé de représentants du milieu et du MDDEP est excellente. Il est toutefois recommandé que on (sic) retrouve sur ce comité d’harmonisation un représentant d’un organisme de conservation pour y représenter les intérêts de tous les Québécois, et en raison de la nature de son mandat, Nature Québec pourrait être l’organisme en question (NQ, 2008a : 7).

En bref, l’argumentaire de Nature Québec pour l’inclusion de la rivière Nastapoka aux limites du parc national proposé repose principalement sur des notions de biodiversité, à l’image du discours tenu par la SNAP. Le mémoire remis par l’organisme semble également avoir servi d’opportunité pour discuter d’autres dossiers sur lesquels travaillaient l’organisme à l’époque, tout en cherchant à élargir leurs implications.

4.1.3.4 Initiative boréale canadienne L’Initiative boréale canadienne (IBC) était un organisme créé en 2003 par Canards illimités Canada, impliqué principalement dans la protection de la forêt boréale canadienne « à long terme », dont l’objectif était « d’alimenter le dialogue avec les gouvernements et d’autres intéressés sur les moyens à prendre pour protéger la forêt boréale canadienne à long terme » (IBC, 2008 : 2). L’IBC n’est plus en fonction aujourd’hui, mais son implication au Québec s’appliquait surtout au domaine de la foresterie, collaborant notamment avec des entreprises du secteur primaire comme Tembec et Domtar (IBC, 2008). Cet organisme, quoique classé parmi les « groupes environnementaux », diffère de la SNAP et de Nature Québec par sa vision du développement durable, qui repose sur une harmonisation des usages avec l’industrie plutôt que sur une vision axée essentiellement sur la conservation des écosystèmes, tel que le précisait Suzann Méthot, directrice régionale de l’IBC au Québec en 2011 :

[N]ous ne nous considérons pas comme étant une organisation strictement environnementale. Nous croyons en l’équilibre entre la conservation et le développement durable. Nous croyons au droit du Québec et de ses collectivités du Nord de développer les ressources naturelles et nous travaillons à promouvoir et soutenir des façons de faire qui n’affecteront pas les valeurs et la viabilité écologiques des écosystèmes (Méthot, 2011).

Le projet de parc national est situé, tel que mentionné par plusieurs acteurs dont le CEN et la SNAP, en zone de transition écologique entre les milieux boréal et arctique, ajoutant à sa valeur écologique. Les auteurs du mémoire remis par l’IBC s’appuient notamment sur cette position pour d’abord offrir leur soutien au projet de parc national, de même qu’à la superficie proposée, ainsi que la gestion du parc par les communautés locales et à la participation des scientifiques : « L’IBC se réjouit de l’approche adoptée concernant le développement des parcs au Nunavik, notamment en ce qui a trait

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au leadership des Autochtones et à l’utilisation des connaissances scientifiques et traditionnelles dans la préservation des valeurs naturelles et culturelles » (IBC, 2008 : 4).

Ensuite, la recommandation principale du mémoire est l’ajout du bassin versant de la Nastapoka au parc national. Les deux éléments utilisés pour l’argumentaire sont la présence de bélugas à l’estuaire de la rivière, de même que la population de phoques communs d’eau douce.

Le mémoire remis par l’IBC est relativement plus concis que ceux remis par la SNAP et Nature Québec, tout en utilisant les mêmes éléments pour soutenir l’argumentaire, notamment la présence de bélugas et de phoques communs d’eau douce. Ce mémoire semble poursuivre l’objectif principal d’appuyer ces deux organismes dans leurs efforts pour l’ajout du bassin versant de la Nastapoka au parc national : « L’IBC recommande, de concert avec la Société pour la nature et les parcs du Canada (section Québec) et Nature Québec, que l’ensemble du territoire de 26 910 kilomètres carrés à l’étude, qui comprend le bassin versant de la rivière Nastapoka, soit intégré dans les limites du parc » (IBC, 2008 : 6).

4.1.3.5 Regroupement national des conseils régionaux de l’environnement du Québec (RNCREQ) Le mémoire présenté au nom de la RNCREQ est rédigé par le directeur général du Conseil régional de l’environnement de Laval, Guy Garand, sous la forme d’un discours très personnel et émotif, écrit à la première personne, et racontant le récit de son expédition sur la rivière Nastapoka en 2000 pour en encourager la protection :

Aujourd’hui, je m’intéresse au Projet de parc national des Lacs-Guillaume-Delisle-et-à l’Eau-Claire parce que j’ai eu la chance et le plaisir de faire une expédition en canot dans cette magnifique région du Nord-Ouest du Québec. Je profite de cette occasion pour vous raconter cette expédition dans ces quelques pages, et surtout pour vous dire comment cette région est encore sauvage, pure, magnifique et mystérieuse. En espérant de tout mon cœur que l’on protégera, conservera et mettra en valeur cette région pour les générations futures (Garand, 2008a : 2).

L’usage d’expressions telles que « la chance et le plaisir », « magnifique région », « sauvage, pure, magnifique et mystérieuse » et « de tout mon cœur », reflète bien le caractère émotif du discours, dont le texte est appuyé d’une annexe photographique (Figure 17 ; Figure 18). Par la forme du texte, on peut d’entrée de jeu considérer ce discours comme celui d’un individu, s’appuyant sur la crédibilité de l’organisme environnemental dont il fait partie pour bâtir sa crédibilité personnelle : « Depuis plus de

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vingt-cinq ans, je m’implique à la protection, la conservation et la mise en valeur des milieux naturels au Québec. En tant qu’environnementaliste, j’ai toujours aimé la nature, les grands espaces et les expéditions » (Garand, 2008a : 2).

La majorité du texte du mémoire est employée à raconter l’expédition de M. Garand, d’une durée de 28 jours à partir du lac Néret, accessible en voiture depuis le sud du Québec par la route Transtaïga (Eeyou-Istchee), jusqu’au village d’Umiujaq par la rivière Nastapoka, en passant par les lacs des Loups-Marins. La description de l’expédition, très imagée, appuie les recommandations avec un discours en mots et en images bâti principalement autour d’arguments quant à l’esthétique du paysage, la biodiversité et l’utilisation autochtone du territoire.

Premièrement, le paysage occupe une place importante du texte, à travers lequel il est décrit de manière presque légendaire, avec des qualificatifs tels que « plus que merveilleux », « magnifique », « magique » « exceptionnelles », « spectaculaires », « à couper le souffle », « vue imprenable », « majestueuse », « très merveilleuse » pour décrire « ces immenses paysages naturels qui s’étendent à perte de vue » (Garand, 2008a : 4-6). Ces descriptions sont utilisées plus particulièrement pour les paysages du Lac des Loups-Marins et vers l’estuaire de la rivière Nastapoka, notamment dans le secteur de la chute : « Le paysage est à couper le souffle. D’un côté, nous avons une vue imprenable sur la Baie d’Hudson et ses icebergs qui sont les géants de la baie, et de l’autre côté, la majestueuse

Figure 17 : Annexe photographique illustrant le paysage à la rivière Nastapoka (Garand, 2008b)

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chute Nastapoka qui jaillit de son immense plateau » (Garand, 2008a : 6). Les rapides et la chute Nastapoka sont également présentées sur plusieurs photographies (Figure 17).

Un second thème important dans le récit présenté est la présence d’espèces animales, parmi lesquelles les phoques communs d’eau douce occupent une place importante. Ces derniers sont distingués des autres espèces observées par leur rôle de compagnons des voyageurs, tel que l’illustrent les extraits suivants : « nous avons la visite de trois phoques communs d’eau douce. Ils passent la soirée avec nous, montent sur les roches, nous observent et hurlent quelques fois » ; « nous sommes escortés par trois phoques communs d’eau douce » ; « Le 28 juin 2000 est une journée mémorable. Durant le déjeuner, nous avons la visite de phoques communs d’eau douce et je commence à croire que nous sommes une attraction pour eux » (Garand, 2008a : 4-5). Décrits comme une « espèce rare » (Ibid. : 4), les phoques communs d’eau douce sont anthropomorphisés par les auteurs, ce qui pourrait être interprété comme une façon de susciter l’empathie du lecteur, en l’occurrence le MDDEP, afin de les convaincre de protéger leur habitat.

Les autres animaux rencontrés sont mentionnés dans le texte avec moins d’emphase, mais occupent une grande partie des photographies présentées (Figure 18). La pêche y est par ailleurs qualifiée de « particulièrement miraculeuse » (Ibid. : 5).

Enfin, le troisième élément abordé dans le récit est la présence de traces d’occupation humaine, notamment au lac des Loups-Marins (île Doutt) et au long de la rivière Nastapoka. La découverte de ces vestiges, également appuyée d’une photographie, amène l’auteur en conclusion à demander au MDDEP de considérer l’utilisation du territoire par « les Inuits et les amérindiens (sic) […] pour la pêche et la chasse et [parce que] cela fait partie de leurs coutumes » (Garand, 2008a : 7). Dans le même ordre d’idées, M. Garand recommande « que les Inuits et/ou les Amérindiens soient les gardiens et les gestionnaires du Parc National des Lacs-Guillaume-Delisle-et-à-l’Eau-Claire, tout en respectant la capacité de support des écosystèmes » (Garand, 2008a : 7). Cette vision diffère de celle véhiculée par les groupes scientifiques et environnementaux précédemment analysés, qui considéraient pour leur part que le rôle de « gardiens » du territoire devrait plutôt être conféré aux scientifiques, sa gestion relevant tout de même des populations locales (Allard, 2008 ; SNAP, 2008 ; NQ 2008a ; IBC, 2008). Cette distinction démontre le cadre différent dans lequel ces mémoires ont été rédigés, le discours de M. Garand poursuivant un objectif de valorisation du territoire, des espèces et des communautés pour en démontrer la valeur de patrimoine, dont témoigne notamment l’appui de l’annexe photographique

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et de la mise en récit : l’auteur cherche dans un premier temps à stimuler les sentiments du lecteur. Les mémoires remis par des groupes environnementaux sont pour leur part plus généralement portés par une vision du territoire vulnérable aux changements climatiques et au développement industriel. Le mémoire remis par M. Allard (CEN) se situe toutefois à mi-chemin, puisque porté par un langage figuré au moment d’illustrer la valeur esthétique des paysages à l’embouchure de la rivière Nastapoka, et ce malgré un discours en premier lieu appuyé sur des considérations scientifiques.

Pour cette raison, le mémoire remis par M. Garand au nom du RNCREQ, quoiqu’il soit déposé par un groupe militant pour l’environnement, doit être considéré comme différent des discours des autres groupes environnementaux. Ultimement toutefois, ces différents groupes émettent tous une recommandation semblable, soit celle de l’ajout du bassin versant de la rivière Nastapoka aux limites du parc national. Tous les mémoires analysés portent un intérêt particulier à l’habitat du phoque commun d’eau douce en raison de la rareté de l’espèce. M. Garand recommande par ailleurs « que la chasse au phoque commun d’eau douce (Phoca vitulina mellonae) soit interdite en raison du nombre restreint d’individus » (Garand, 2008a), ce qui peut corréler avec les considérations émises par Nature Québec quant à la poursuite des activités traditionnelles sur le site du parc (NQ, 2008a).

En conclusion, l’analyse des mémoires remis les groupes scientifiques ou environnementaux dans le cadre des audiences publiques pour la création du Parc national des Lacs-Guillaume-Delisle-et-à- l’Eau-Claire, en juin 2008, a permis de mieux comprendre les motivations de ces différents groupes à s’impliquer dans le débat. Dans ce cas-ci, le groupe de scientifiques et les trois groupes environnementaux travaillant de concert (SNAP, Nature Québec et Initiative boréale) présentent des considérations relativement consensuelles, notamment sur l’ajout du bassin versant de la rivière Nastapoka aux limites du parc national, de même que sur la nécessité de poursuivre, voire de faciliter, la recherche scientifique. Les discours des derniers (SNAP et NQ) semblent portés par une représentation du territoire comme vulnérable, dans un contexte de changements climatiques et où le développement économique s’accentue – et tous dénoncent la primauté des projets de développement industriel sur ceux de préservation du territoire, des écosystèmes ou du paysage. Ces quatre mémoires portent une attention particulière à la notion de biodiversité, s’appuyant principalement des exemples des phoques communs d’eau douce, des ouananiches et des bélugas pour bâtir leur argumentaire.

Le dernier mémoire analysé, soit celui remis par Guy Garand au nom du Regroupement national des conseils régionaux de l’environnement du Québec (RNCREQ) diffère des autres discours puisqu’il est

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construit sous forme de récit et appuyé d’images, constituant un effort de mise en patrimoine porté plus fortement sur la sentimentalité que sur les aspects scientifiques, quoique la rareté de l’espèce du phoque commun d’eau douce en constitue une thématique centrale. Ce discours rejoint, sur ce point, celui émis par Michel Allard (CEN), notamment quant à la qualité paysagère des chutes Nastapoka.

Figure 18 : Annexe photographique illustrant la faune observée (Garand, 2008b)

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4.1.4 Hydro-Québec Tel que mentionné précédemment, la compagnie Hydro-Québec était impliquée dans le débat entourant la création du Parc national Tursujuq, peut-être malgré elle, en raison de l’ajout en 2006 du bassin versant de la rivière Nastapoka au territoire d’étude du parc. Cette rivière, d’un potentiel hydroélectrique de 1000 mégawatts (HQ, 2008), avait d’abord été incluse dans le projet Grande- Baleine, puis retirée des plans de celui-ci en 1991 suite à des études sur le phoque commun d’eau douce ; un plan de développement, quoique moins ambitieux, était toujours prévu en 2008 sur la rivière, et ce projet avait été accepté par les représentants inuit de la Société Makivik au moment de signer l’entente Sanarrutik en 2002.

Le bassin versant de la rivière Nastapoka, rappelons-le, n’était pas inclus dans les cartes du Plan directeur provisoire du parc national des Lacs-Guillaume-Delisle-et-à-L’Eau-Claire : cette section avait été soustraite du territoire d’étude du Parc en raison de l’existence de titres miniers actifs et des plans d’aménagement hydroélectrique d’Hydro-Québec pour la rivière Nastapoka.

Le mémoire remis par Hydro-Québec est relativement succinct, et se limite à une seule recommandation :

Dans le but de préserver le potentiel hydroélectrique et en conformité avec la Stratégie énergétique du Québec et les ententes existantes (Sanarrutik, Convention de la Baie James et du Nord québécois), Hydro-Québec croit que le gouvernement du Québec doit inscrire dans les documents de création du parc que les limites de ce dernier seront revues advenant la mise en valeur du potentiel hydroélectrique de cette région (HQ, 2008 : 7).

Dans une position dite « préventive », les auteurs du mémoire utilisent un vocabulaire rappelant celui des principes du développement durable, en mentionnant en introduction que leur « intervention […] est faite […] afin de préserver, pour les générations futures, la possibilité de développer le potentiel hydroélectrique du nord québécois » (Ibid. : 4). L’argumentaire est par ailleurs appuyé du contexte législatif, notamment l’entente Sanarrutik dont l’un des objectifs était « d’accélérer le développement du potentiel hydroélectrique du Nunavik », ce qui incluait la Nastapoka et aurait comme effet (entre autres), « de favoriser les retombées économiques pour les Inuits du Nunavik » (Ibid. : 5). Ainsi, un développement hydroélectrique sur la rivière Nastapoka est décrit par les auteurs comme non seulement respectueux des lois et des ententes existantes, mais également comme une option bénéfique au point de vue du développement durable.

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Hydro-Québec est par ailleurs situé dans le discours comme un acteur central dans le projet de parc national, ayant déjà contribué au projet par de « nombreux échanges avec le ministère du Développement durable, de l’Environnement et des Parcs ainsi qu’avec le ministère des Ressources naturelles et de la Faune », au fil desquels la compagnie a déjà fait de multiples concessions, notamment pour « permettre l’agrandissement du parc dans la parc dans la partie sud-est afin d’assurer la protection d’une partie du bassin versant de la Rivière Nastapoka, dont le Petit Lac des Loups Marins, et de sauvegarder une portion de l’habitat d’une population de phoque commun d’eau douce » (Ibid. : 5). Il est admis également que ces négociations sont la raison pour laquelle la superficie du parc proposé est réduite par rapport au territoire d’étude, « afin de ne pas nuire aux divers scénarios possibles d’aménagement hydroélectrique futur » (Idem). Les modifications apportées au projet de parc et l’aménagement hydroélectrique prévu par Hydro-Québec sur la rivière Nastapoka sont illustrés à la Figure 19.

En appuyant le discours sur les négociations déjà réalisées avec les différents ministères concernés de même que sur la législation, les auteurs abordent le développement hydroélectrique comme étant inévitable, voire même limitant pour le projet de parc national, qui sera vraisemblablement amené à être modifié pour permettre le passage de lignes de transport d’énergie :

[L]a Loi sur les parcs interdit le passage de lignes de transport d’énergie électrique dans un parc (article 7b) et […] elle prévoit cependant que le gouvernement peut, sous certaines conditions, modifier les limites d’un parc (article 4) […] [p]ar conséquent, il nous semble opportun de signaler dès à présent que dans le cas où le développement énergétique du nord du Québec se réaliserait (sic) […] Hydro-Québec demanderait alors au gouvernement de modifier les limites du parc (Ibid. : 6).

Le discours d’Hydro-Québec dans ce mémoire est discordant des autres mémoires analysés, notamment ceux remis par le CEN et par les groupes environnementaux, parce qu’il n’aborde pas la question de création du parc à proprement dit, mais bien des situations de conflit d’usage pressenties une fois le parc inauguré. L’inclusion du bassin versant de la Nastapoka n’est pas discuté, hormis la mention des négociations déjà effectuées avec les ministères concernés pour le soustraire au territoire du parc. Hydro-Québec demande toutefois une modification aux limites touchant deux éléments du parc : un territoire de 70 km² traversant le parc pour les lignes de transport d’énergie, de même que l’embouchure de la Petite rivière de la Baleine, dont le débit pourrait être modifié par un aménagement hydroélectrique en amont (Figure 19). Les auteurs considèrent ces demandes comme raisonnables,

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voire négligeables si l’on considère la taille du parc prévu et les investissements que la compagnie devrait faire si ces demandes n’étaient pas accordées, comme en témoigne l’extrait suivant :

En effet, le projet de parc comprend une superficie importante (15 549 km²). Dans le cas où les limites du parc ne seraient pas modifiées, Hydro-Québec serait obligée de contourner ce parc, sur plusieurs centaines de km, afin de faire passer les lignes, les accès et les routes requis pour raccorder les centres de production situés au nord du parc au réseau d’Hydro-Québec situé au sud. Les coûts engendrés feraient alors augmenter significativement le coût des projets de développement du potentiel hydroélectrique. Ils pourraient en compromettre la réalisation et ceci, avant même d’avoir considérer (sic) les impacts additionnels sur l’environnement associés à de plus longs parcours. […] Ces superficies seraient de l’ordre de 70 km² alors que la superficie totale prévue du parc est de 15 549 km² (HQ, 2008 : 6).

En justifiant ses demandes par des arguments liés à l’environnement et par un discours qui reprend certains termes liés au concept de développement durable, Hydro-Québec se situe comme un « bon joueur », prêt à faire des concessions pour, par exemple, protéger une partie de l’habitat du phoque commun d’eau douce. Par ailleurs, l’aménagement prévu de la Nastapoka est considéré comme inévitable, puisque justifié par des négociations ayant déjà eu lieu et appuyé par le cadre législatif et les ententes existantes. Ainsi, du point de vue d’Hydro-Québec, les demandes de modifications aux limites du parc apparaissent comme la meilleure façon de développer le potentiel hydroélectrique de la rivière Nastapoka, et ce, en réduisant le plus possible les impacts environnemental et économique.

4.2 Caractérisation de la rivière Nastapoka à travers les discours Il est important de mentionner qu’une deuxième série d’audiences publiques ont été tenues par le Comité consultatif de l’environnement de Kativik (CCEK) après les consultations tenues par le MDDEP, quoique celles-ci n’aient pas été transcrites. La lecture du rapport permet toutefois de conclure à des résultats semblables (CCEK, 2009 ; Grammond et al., 2012). De 2008 à l’inauguration du parc en 2012, les discours pour la protection de la rivière Nastapoka semblent s’être consolidés autour d’arguments sur la valeur esthétique du paysage et son importance historique et culturelle pour les populations locales. À travers l’analyse de textes médiatiques et de la production d’un documentaire sur les relations entre Cris et Inuit, cette section vise à mieux documenter l’évolution des arguments à cette époque.

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Figure 19 : Projet d'aménagement hydroélectrique de la Nastapoka par rapport au parc national des Lacs-Guillaume-Delisle-et-à-l'Eau-Claire, 2006 (HQ, 2008 : 8)

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4.2.1 L’aménagement de la rivière Nastapoka dans les médias Une recherche sur le portail Eurêka et dans les archives en ligne du périodique Nunatsiaq News nous a permis de dresser une revue de presse comptant 45 articles médiatiques portant sur l’aménagement de la rivière Nastapoka entre 1991 et 2017. Les cinq premiers (1991 à 1996) abordaient principalement la question du retrait de la Nastapoka du projet Grande-Baleine pour des raisons déjà identifiées ; nous avons donc choisi de conserver la quarantaine d’articles disponibles entre 2001 et 2017.

Figure 20 : Nombre d’articles médiatiques selon l'année (2001-2017)

La Figure 20 ci-haut montre la répartition de cette couverture médiatique selon l’année. Certains jalons peuvent déjà être identifiés : en effet, l’an 2002 correspond à la signature de l’Entente Sanarrutik, ce qui explique l’augmentation du nombre d’articles à cette époque. En 2008, la tenue d’audiences publiques et les demandes des populations locales d’inclure la Nastapoka ont été relatées dans certains médias, de même que l’annonce de l’inauguration du Parc national Tursujuq en décembre 2012, qui marque l’année avec le plus grand nombre d’articles publiés. Enfin, depuis la création du parc, l’attention médiatique a diminué en 2013 et 2014, pour demeurer relativement stable depuis 2015.

Nous avons ensuite classé les articles selon les thématiques abordées ou les arguments défendus par les auteurs. Trois catégories ont été retenues : la biodiversité, le paysage et le potentiel hydroélectrique (Figure 21). Un article peut être représenté dans une ou deux de ces catégories. Un article n’est associé à une thématique que si celle-ci est décrite de manière positive par l’auteur : par exemple, l’extrait suivant est associé à la thématique de la biodiversité, mais pas à celle du potentiel hydroélectrique :

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La population de phoques du secteur des lacs des Loups marins, une espèce qui risque de disparaître si le gouvernement ne la classe pas parmi les espèces menacées. Son habitat, la rivière Nastapoka, au Nunavik, devrait être incluse dans le projet de parc national Tursujuq. Mais Hydro-Québec regarde de près les rivières ayant un potentiel hydro-électrique, et cette dernière en fait partie (Marchal, 2010).

Figure 21 : Couverture médiatique selon la thématique, par nombre d’articles selon l’année (2001-2017)

La Figure 21 permet de constater une évolution différenciée des thématiques en fonction des jalons temporels mentionnés ci-haut. D’abord, le potentiel hydroélectrique de la rivière Nastapoka était plus souvent abordé en 2002, puisque la rivière était identifiée dans l’entente Sanarrutik comme concédée à Hydro-Québec. Cette entente inquiète toutefois au point de vue de la biodiversité, tel qu’en témoigne l’extrait suivant :

Quant à la rivière Nastapoka, dont Hydro pourrait tirer 400 MW, elle ne coule pas vers la baie d’Ungava mais dans la baie d’Hudson. Elle prend sa source dans le lac aux Loups Marins, lequel abrite une exceptionnelle population de phoques d’eau douce. Une partie de ce système hydrique devait être détournée vers le défunt projet Grande-Baleine. Visiblement, Québec ne veut plus provoquer les Cris irréductibles de Whapmagoostui et entend se limiter au bassin versant de la Nastapoka, plus au nord, en territoire inuit (Francoeur, 2002 : A1).

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En 2008, au moment des audiences publiques, la thématique du paysage apparaît dans les discours, et augmente progressivement, jusqu’à surpasser les autres thématiques à partir de 2014. L’an 2008 voit également les mentions de potentiel électrique disparaître, au profit de la biodiversité qui devient, pour sa part, la thématique principale de la période 2008-2013. Pendant cette période de négociations, c’est en effet la protection du phoque commun d’eau douce, un argument défendu surtout par les groupes environnementaux lors des audiences publiques, qui retient l’attention :

During public hearings, environmental groups and people in the community argued the park’s boundaries should be expanded: the Nastapoka River has a population of landlocked salmon, the only salmon to be found on eastern Hudson Bay. As well, during the summer, belugas gather in the river’s estuary. Tursujuq should also include the entire chain of inland lakes near the river, called Lacs des Loups Marins or seal lakes, they said, because these are also home to a population of fresh water seals. The seals, currently under consideration as a species of risk, are believed to be the only harbour seals in the world that live year-round in fresh water (Rogers, 2011 : s.p.).

À partir de l’inauguration du parc en 2013, le type de discours tenu dans les médias porte sur la gestion ou l’achalandage du parc (Rogers, 2015 ; Nunatsiaq News, 2016 ; Rogers, 2016a) ou sur des comptes- rendus de visites, lesquels résultent probablement d’une stratégie publicitaire de la part de Parcs Nunavik (Montpetit, 2015a). Le ton, plus descriptif, est donc différent de celui employé dans la période 2008 à 2013, laquelle se définit plutôt par un argumentaire plus ou moins soutenu (Marchal, 2010 ; Nadeau, 2011 ; Dansereau, 2012).

4.2.2 Un site historique : cérémonie et production du documentaire Inuit-Cree Reconciliation Aux discours prononcés lors des audiences publiques ou dans les médias, s’ajoute celui, substantiel, de la cérémonie de paix orchestrée par les communautés locales à la chute Nastapoka en 2011, de même qu’à la production d’un documentaire associé. Dans le cadre de l’analyse, nous considérons ces actions comme des discours portant plus spécifiquement sur la valeur historique et symbolique du territoire à l’étude. Ces données complètent donc celles exposées plus tôt quant à la position des communautés locales dans la mise en protection de la rivière Nastapoka.

L’État des connaissances (ARK, 2007) avait permis, entre autres travaux de recherche, de documenter l’histoire de l’occupation humaine dans la région par des enquêtes archéologiques et la recherche en archives. À cet effet, la chercheure en anthropologie Toby Morantz a dressé un survol historique

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abordant notamment les relations entre les Cris et les Inuit, un passage ayant suscité l’intérêt des populations concernées :

Les rapports d’hostilités (sic) entre les Inuits et les Cris sont mentionnés pour la première fois en 1686, ensuite nommés « chasse aux Esquimaux » par les chefs de postes de traite de la Compagnie de la Baie d’Hudson. Les attaques étaient lancées par les Cris de Fort Albany et, souvent, par ceux de Fort Moose, situé sur la côte ouest de la baie James. Ces attaques, qui avaient lieu périodiquement, ont été consignées dans les journaux d’Eastmain, mais sans trop de détails. Le voyage de ces Cris au lac Guillaume-Delisle, qui débutait à la fin de mai ou au début de juin, couvrait quelque 800 km (500 miles), avec un arrêt à Eastmain pour effectuer des réserves de poudre et de munitions à la Compagnie de la Baie d’Hudson. Selon de brèves allusions dans les journaux à la Compagnie, il semblerait que les Cris de l’ouest étaient en contrôle de ces rencontres parce qu’ils avaient des mousquets, alors que les Inuits n’en avaient pas, n’effectuant pas encore de traite avec la Compagnie. Il était pratique courante pour les Cris de l’ouest de la baie James de tuer quelques personnes et de rapporter leur scalp au fond de la baie, et parfois de capturer des enfants comme prisonniers. Les Inuits n’étaient pas la seule cible des chasseurs de Fort Albany et de Fort Moose ; nous avons appris qu’il était fréquent pour ces « chasseurs d’Esquimaux » d’attaquer les Cris du nord lorsqu’ils ne trouvaient pas de campements inuits (ARK, 2007 : 157).

Ces résultats semblent étonner les populations impliquées, d’autant plus que cette information historique refait surface au moment où les deux groupes ethniques travaillent en collaboration sur le projet de parc national, situé à mi-chemin de leurs territoires traditionnels. À travers le processus de création du parc et les différentes réunions, cette collaboration est maintes fois saluée par les représentants tant inuit que cris :

John Petagumskum [Cri, Whapmagoostui] also expressed his thoughts by saying he liked the fact that this meeting was happening. He wants to work together in order to ensure a smooth process. He feels that when visitors come to the park as tourists that there should be well-suited guides available with experience and who know the area very well. […] He would also like to stand with the Inuit, and wants the elders to be involved because of their knowledge (ARK, 2008 : 156).

Pour l’auteure de l’Étude d’impact sur l’environnement et le milieu social, commandée par l’ARK (2008), la création d’un parc sur un territoire partagé entre deux nations « sera soit un sujet d’harmonie ou de discorde sociales », nécessitant une définition claire, en amont, du rôle des Cris de la communauté de Whapmagoostui dans les différents aspects de la gouvernance du parc (ARK, 2008 : 107). Selon l’auteure, une saine collaboration est déjà en voie d’être effective, notamment par la participation active de membres de la communauté de Whapmagoostui au Groupe de travail du parc et la prise en compte du savoir d’usage cri, ce qui est d’ailleurs confirmé par les entrevues :

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On entend plusieurs histoires à propos des relations entre les Cris et les Inuits. Les chercheurs ont trouvé plusieurs aspects négatifs, notamment des conflits et des meurtres. Pourtant, les membres de ces deux communautés racontent plusieurs histoires passées d’entraide et de collaboration. Les aînés prétendent que les Inuits et les Cris doivent entretenir cette relation et travailler ensemble pour que le parc soit une réussite (cité dans Ibid. : 107).

Cette part de l’histoire « trouvée » par « les chercheurs » semble donc surprendre, et le parc apparaît comme un territoire de collaboration, voire de réconciliation, un espace où il est possible de « travailler ensemble pour que le parc soit une réussite ». Cet esprit de réconciliation est par ailleurs démontré par l’organisation, en 2011, d’une cérémonie de rétablissement de la paix (peacemaking ceremony) pour commémorer le premier récit connu d’une rencontre pacifique entre les deux nations. La tenue de cet événement a attiré l’attention de deux réalisateurs, Zacharias Kunuk et Neil Diamond, pour la production d’un documentaire sur les relations entre les deux peuples. La cérémonie permettait de donner un cadre au documentaire, qui vise dans son ensemble à mieux documenter les épisodes de conflit entre les nations. Le film contribue à donner la version des Cris et des Inuits, alors que la documentation historique portant sur cette période n’existait que dans les archives de la Compagnie de la Baie d’Hudson (Everett-Green, 2013 ; Kunuk et Diamond, 2013). Par le biais d’entrevues avec des aînés de différentes communautés, le documentaire recense donc l’histoire orale pour donner un point de vue différent de ces événements, sous la forme d’un « real indigenous documentary, if that word even applies to a project so grounded in oral culture » (Everett-Green, 2013 : s.p.).

Le film est divisé en deux parties, la première ayant lieu dans les communautés de Whapmagoostui et de Kuujjuarapik où les deux nations sont voisines, mais vivent dans deux municipalités différentes, avec des services étant divisés en deux, soit en fonction des mesures prévues par la CBJNQ – une structure qui est décrite comme ayant un impact sur les relations entre personnes des deux groupes ethniques, puisque leur division s’en voit en quelque sorte institutionnalisée (Kunuk et Diamond, 2013). De plus, le documentaire et les personnes interviewées imputent les relations parfois tendues entre Cris et Inuit aux conflits historiques opposant les deux nations et cultivant un climat d’animosité persistante.

La seconde partie du documentaire se situe à l’embouchure de la rivière Nastapoka, au pied de la chute, où des membres des communautés de Whapmagoostui, Kuujjuarapik, Umiujaq et Inukjuak s’installent afin de célébrer la cérémonie de rétablissement de la paix. Cet événement est inspiré par un récit en particulier, lequel est raconté en ouverture du documentaire :

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The Nastapoka River basin is a stunning part of the northern Quebec landscape. It is an area where both Cree and Inuit have lived for a long time. It was also a battleground, where Cree and Inuit fought one another for over a century. Until one historic day in 1770. There are two small bays near where the mouth of the Nastapoka is. One day several Cree were headed there and the Inuit spotted them coming along the shore. I’m not sure where they saw them. They were afraid because at the time they were still fighting with the Cree. The adult Inuit gave two young boys a sealskin rope and told them to give it to the Cree. They said “Go to them. If you don’t, we won’t live. Try going to them.” The boys were given the rope. The Cree approached the shore. When they got close the boys went down to the shore. They held the rope to the leader. He felt pity in his heart for them. He took the rope and shook their hands. “Don’t touch them”, he told the others. The other Inuit came down and they all gathered there. That is the first time they made peace. The Inuit were the first to initiate peace with the Cree (Kunuk et Diamond, 2013).

Le récit est accompagné d’images de la chute Nastapoka et d’une reconstitution des événements par des acteurs, une mise en scène d’ailleurs incluse dans le programme de la cérémonie. Cette illustration permet d’abord d’ancrer le récit dans l’espace, en ajoutant une dimension paysagère aux discours par l’image : le paysage devient un élément indissociable de l’histoire : « It brings to life a chapter of northern history that's scarcely known elsewhere, in the stunningly beautiful places where it occurred » (Everett Green, 2013 : s.p.). D’une certaine façon, la reconstitution et sa production sous la forme d’un documentaire – un support matériel – inscrit le récit oral dans l’histoire de la région. La chute Nastapoka, partie intégrante du récit, se voit elle aussi, par la même occasion, intégrée au récit historique régional. En effet, alors que le paysage est décrit lors des audiences publiques de 2008 pour ses valeurs esthétiques, biophysiques ou pour sa biodiversité, la mise en valeur du récit de la réconciliation des deux peuples se partageant le territoire décrit celui-ci comme un site non plus seulement naturel, mais bien d’une importance culturelle et historique. La cérémonie de rétablissement de la paix prend également la forme d’une commémoration officielle, par la tenue de discours prononcés par des chefs Cri et Inuit, de même que des activités traditionnelles telles que le calumet de la paix ou l’échange de cadeaux symboliques :

I will use this wood as an example. Our ancestors were given a path that they did not choose themselves. When the Inuit and Cree first started to get to know each other, it was not easy and it was very rough and hard. After this event we want to walk through this path where it is smoother. This is why we are putting this flag up, wanting to work together. We will give this flag to the chief of Whapmagoostui, as we say yes to their forgiveness (Weetaluktuk dans Kunuk et Diamond, 2013).

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La mise en récit et la commémoration du site peuvent être interprétés comme un processus d’« accrétion symbolique » du paysage (Gagnon, 2019). La réunion de 2011 à l’embouchure de la rivière Nastapoka permettrait, de ce point de vue, de conférer au lieu un statut symbolique par la mise en récit et la commémoration. Le site est ainsi redéfini par la mise en place d’une nouvelle forme de relation au territoire symbolisée par la collaboration, la réconciliation et la paix (Gagnon, 2019 : 58).

En ce sens, le discours confère au site un statut de sacralité : cet événement permet en quelque sorte d’inaugurer le lieu en tant que symbole, non seulement comme un site historique, mais également comme porteur d’un système de valeurs. D’autant plus que l’événement – et les valeurs qui y sont partagées – sont décrits comme importants pour le futur : « I would like to thank the people who have organized this event, this is going to be very important for our children. Our children have to see that there needs to be peace with one another » (Weetaluktuk dans Kunuk et Diamond, 2013).

Rappelons le contexte dans lequel s’inscrivent ces événements. Nous avons identifié la période 2008 à 2012 comme marquée par une augmentation des discours portant sur la rivière Nastapoka, et ce principalement sur la valeur paysagère du site à son embouchure. Or, le Plan directeur provisoire publié en 2008 mentionnait clairement qu’aucun site sacré n’avait pu être identifié lors des enquêtes (MDDEP, 2008a : 17). À cet effet, la cérémonie de 2011 et la sacralisation du site à l’embouchure de la Nastapoka permet de répondre directement à cette affirmation. Motivée par un sentiment de perte – dans ce cas-ci, l’exclusion du site aux limites du parc national et les plans de développement hydroélectrique – la mise en patrimoine se définit par une valorisation par les discours d’un élément associé au passé, reconnu dans le présent comme méritant d’être conservé pour l’avenir. Ainsi, la réunion commémorative de 2011 peut être comprise comme un discours, soit une manière de signifier, visant l’inscription du site de la chute Nastapoka comme un lieu patrimonial, justifiant ainsi sa conservation en l’intégrant aux limites du projet de parc national.

Conclusion Ce chapitre visait à présenter une analyse exhaustive des discours prononcés lors des audiences publiques tenues à Umiujaq et Whapmagoostui-Kuujuarapik en juin 2008, au cours desquelles trois groupes d’intervenants se sont prononcés, soit les populations locales, les non-bénéficiaires et enfin les groupes scientifiques et environnementaux. La majorité des interventions ont appuyé la création du parc et l’inclusion du bassin versant de la rivière Nastapoka dans ses limites, quoique pour des

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considérations différentes. Les audiences publiques de 2008 voient par ailleurs l’apparition d’un argument patrimonial pour l’inclusion de la rivière Nastapoka dans ses limites, argument qui se verra consolidé entre 2008 et 2012 par les discours médiatiques, de même que par la tenue d’une cérémonie de rétablissement de la paix en 2011 au pied de la chute Nastapoka, conférant au site un statut symbolique et historique, un événement que nous interprétons comme un important jalon quant à la construction de la représentation de la rivière Nastapoka comme ayant des valeurs patrimoniales.

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Chapitre 5 Discussion : le parc, territoire de représentations

Au terme de la présentation des résultats, ce chapitre rappelle dans un premier temps les principales composantes du projet de recherche. Ensuite, nous présentons une synthèse critique des résultats et de l’interprétation que nous proposons relativement à la question et aux objectifs de recherche dont l’analyse est centrée sur le concept de patrimoine naturel.

5.1 Rappel des grandes articulations du travail L’étude de cas de l’inclusion du bassin versant de la rivière Nastapoka au sein des limites du Parc national Tursujuq s’inscrivait dans une démarche plus large visant à mieux caractériser les représentations du territoire ; en géographie, spécifiquement, celles-ci entrent en jeu au Nunavik contemporain dans le contexte où cette région est de plus en plus ciblée par des projets d’aménagement du territoire, notamment par le Plan Nord du gouvernement québécois publié en 2011 (Canobbio, 2009 ; Arteau et Hébert, 2011 ; Rivard et al., 2011 ; Halley et Mercier, 2012 ; Simard, 2012 ; Berteaux, 2013 ; Duhaime et al., 2013 ; Simard, 2017). En adoptant le point de vue théorique des représentations sociales, nous avons défini les pratiques aménagistes comme des actions reflétant les différentes représentations du territoire. Cette position théorique concorde par ailleurs avec le regard contemporain de chercheurs considérant le « Nord » comme un territoire de représentations multiples (Collignon, 2003 ; Chartier, 2008 ; Dorais, 2008 ; Canobbio, 2009 ; Duhaime et al., 2013 ; Simard, 2017). Ces représentations, que l’on considère comme des constructions sociales, peuvent générer des conflits lorsqu’elles sont discordantes, d’où l’intérêt d’adopter cette perspective pour mieux comprendre les débats d’aménagement du territoire (Bourdieu, 1980 ; Bailly, 1989).

Ainsi, le présent projet de recherche visait dans un premier temps à mieux comprendre les différentes représentations territoriales qui sous-tendent les pratiques aménagistes, et ce plus spécifiquement dans le cas de la création d’aires protégées au Nunavik. Quelles représentations sont mises de l’avant, par quels discours, et à quelles représentations se confrontent-elles potentiellement?

Pour répondre à cette première question, l’analyse de discours s’est imposée comme une méthodologie pertinente. Le discours peut en effet être compris comme le véhicule des représentations portées par le locuteur. Parallèlement, les représentations sont construites et influencées au fil des discours reçus, et leur analyse permet de mieux en cerner la genèse au fil des débats. Nous avons ainsi adopté la définition foucaldienne du discours selon laquelle une forme discursive ne peut être

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comprise qu’en prenant compte de son contexte et des influences matérielles qui s’y rattachent, de même que du processus de construction duquel l’énoncé est issu (Foucault, 1969 ; Seignour, 2011). La compréhension des représentations comme des constructions sociales nous amène à considérer le discours, lorsqu’interprété à travers une mise en contexte, comme remplissant la double fonction de refléter les représentations du locuteur, tout en témoignant du processus de construction à travers lequel ces représentations se sont développées (Chartier, 2008 ; Molina et al., 2007).

Dans cet ordre d’idées, les débats entourant la création du Parc national Tursujuq, et plus spécifiquement la valorisation de la rivière Nastapoka, nous ont semblé particulièrement riches en termes de discours pouvant refléter des représentations territoriales plus larges. En effet, les projets de développement hydroélectrique ou minier s’opposaient à celui d’une mise en protection formelle du territoire défendue par plusieurs groupes aux intérêts apparemment convergents (Bibaud et Grenier, 2012 ; Grammond et al., 2012). C’est justement cette diversité d’acteurs et leurs différentes visions, qui ouvrait la voie à une étude de la géographie des représentations telle que définie entre autres par Bailly (1989), que nous avons proposée avec cette étude de cas.

Les débats portant sur l’inclusion de la rivière Nastapoka au sein des limites du Parc national Tursujuq avaient déjà été analysés sur le plan du paysage par Joliet (2011 ; 2012), de la gouvernance et du droit par Grammond et al. (2012), de même que du point de vue de la patrimonialisation par Bibaud et Grenier (2012), quoique sommairement et de façon un peu superficielle. Le présent mémoire a permis de revisiter ces études du point de vue de la construction des représentations territoriales, en centrant l’analyse sur le concept de patrimoine, lequel est compris comme un concept construit au fil des discours et dont la genèse ne peut être caractérisée qu’à travers un regard plus large sur les contextes dans lesquels les discours se déploient, et ce à plusieurs échelles. Ainsi, nous questionnons en second lieu l’influence des représentations territoriales sur le processus de mise en valeur du patrimoine : le cas échéant, comment cette influence se manifeste-t-elle?

5.1.1 Retour sur l’hypothèse Pour répondre à ces questions, nous avons formulé l’hypothèse que les pratiques de mise en protection du territoire naturel nordique sont alimentées par deux représentations territoriales concurrentes. Ainsi, une représentation utilitariste du territoire est véhiculée par l’État québécois, alors que les populations locales y attachent plutôt une valeur d’ancestralité associée au mode de vie traditionnel.

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Afin de vérifier cette hypothèse, les résultats ont été présentés en trois chapitres, concordant avec les trois objectifs spécifiques du projet. D’abord, un survol historique présenté au chapitre 2 visait à mieux documenter le contexte relationnel entre les Inuit Nunavimmiut et le gouvernement québécois quant à l’aménagement du territoire nordique, notamment dans le cas du projet Grande-Baleine. Au chapitre 3, nous avons cherché à mieux cerner le cadre politique et législatif en cause dans le cas de la création d’aires protégées nordiques. Nous y avons également présenté les différentes étapes de création du parc Tursujuq spécifiquement, de même que l’accueil de ce projet tel que vécu par la communauté d’Umiujaq préalablement aux audiences publiques. Le quatrième chapitre se concentrait sur l’analyse de discours à partir des audiences publiques de 2008, et poursuivait l’objectif de caractériser le processus ayant mené la rivière Nastapoka à acquérir une valeur patrimoniale.

Les résultats présentés permettent de confirmer en partie notre hypothèse. Les pratiques aménagistes du gouvernement québécois démontrent une volonté d’extraire le potentiel des ressources du territoire prévalant sur la mise en protection de l’espace naturel, notamment en s’assurant que le potentiel minier ne serait pas « perdu » par la création d’aires protégées. D’une autre façon, la mise en protection du territoire apparaît comme une stratégie de « compromis » au développement industriel, face à une communauté internationale de plus en plus sensible à la protection de l’environnement et à la bonne gouvernance autochtone. L’apparente incohérence de ces aménagements est rendue possible par la segmentation du territoire, où des projets opposés se réalisent en parallèle.

Ensuite, les populations locales, principalement la communauté d’Umiujaq, attachent en effet des valeurs d’ancestralité au territoire, mais qui ne s’opposent pas nécessairement à la modernisation de la culture. Les Inuit, aux échelles locale et régionale, ne doivent pas être considérés comme un bloc homogène, mais bien comme une société vivant des changements rapides quant au mode de vie, aux valeurs et aux pratiques.

Une troisième représentation s’impose à l’analyse, soit celle du territoire vulnérable aux changements climatiques et aux activités anthropiques, portée principalement par les groupes environnementaux et scientifiques. Cette représentation porte des valeurs de protection des écosystèmes et de la biodiversité à un état le plus « sauvage » possible.

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5.2 Synthèse critique des principaux résultats La lecture des résultats nous permet dans un premier temps d’établir certains jalons temporels marquant le processus de mise en place d’une valeur patrimoniale associée à la rivière Nastapoka. Dans un deuxième temps, nous proposons une interprétation critique des résultats présentés, par l’analyse des principaux discours, en se centrant plus spécifiquement sur les représentations territoriales et les conceptions de la notion de patrimoine naturel pouvant en être issues. Les différents acteurs impliqués ont été divisés en trois groupes : d’abord, l’État québécois, ensuite, les populations locales, et enfin les groupes scientifiques et environnementaux.

5.2.1 Construction d’un argument patrimonial : les principales étapes Concept central de notre analyse, le patrimoine se définit comme la reconnaissance à un objet (culturel, matériel ou immatériel), d’une valeur historique, puis son appropriation par les sociétés comme méritant d’être conservé et mis en valeur pour les générations futures (Berthold, 2012). Ce statut est construit au fil d’un processus nommé la patrimonialisation, lequel a été compris par les chercheurs comme se déclinant en trois phases, soit la caractérisation, la conservation et la mise en valeur (Di Méo, 2008 ; Berthold, 2012 ; Crépin-Bournival, 2015). La caractérisation est d’abord une période au cours de laquelle des connaissances sont acquises sur l’objet d’étude, et où s’organisent peu à peu les discours lui conférant une valeur, un sens ou un statut symbolique. La seconde phase, soit celle de conservation, est la protection formelle de l’objet, dont la valeur patrimoniale est désormais admise par la société. Enfin, la mise en valeur est une phase où, une fois la valeur patrimoniale encadrée et protégée, celle-ci est diffusée à un public plus large, par la voie de l’industrie touristique par exemple.

La rivière Nastapoka, tel que nous l’avons exposé dans les chapitres précédents, a été le théâtre de plusieurs projets d’aménagement au fil du temps. Au début de la période ciblée par notre projet de recherche (1990-2015), il était prévu de dévier son cours pour alimenter la rivière Grande-Baleine, où un imposant projet hydroélectrique devait être construit. Ce projet a toutefois fait face à un mouvement d’opposition très soutenu de la part des populations crie et inuit, en réponse auquel le gouvernement québécois a ordonné la suspension du projet en 1994. Les études d’impacts menées en prévision de Grande-Baleine ont toutefois permis de mieux documenter l’espèce du phoque commun d’eau douce, dont l’habitat aurait été affecté par le projet (Archéotech, 1990). Ces études ont révélé que l’espèce, unique à la région, était potentiellement en danger dans le cas d’un aménagement hydroélectrique : ainsi, dès 1991, Hydro-Québec annonçait une adaptation des plans de Grande-Baleine pour éviter

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l’aménagement de la Nastapoka afin d’en préserver la biodiversité (Bisson, 1991a). Ces événements représentent le premier jalon important pour la caractérisation de la valeur de biodiversité de la rivière.

À la même époque, le gouvernement québécois mettait en place une série de mesures pour créer un réseau d’aires protégées au Nord du Québec, à travers lesquelles un premier arrêté ministériel désignait une zone réservée pour un parc en 1992 sur une partie du territoire de l’actuel Parc national Tursujuq (MDDEP, 2008a). Cette zone réservée ne comportait toutefois pas la rivière Nastapoka. La mise en veilleuse du projet Grande-Baleine semble avoir freiné les ambitions du gouvernement québécois de développer les territoires nordiques. Au début des années 2000, l’État annonçait toutefois la mise en place d’une stratégie d’augmentation substantielle de la superficie des aires protégées en territoire québécois, ce qui ramenait la création de parcs nordiques à l’agenda politique. Sur le territoire du parc Tursujuq, alors nommé Parc-des-Lacs-Guillaume-Delisle-et-à-l’Eau-Claire, une zone fut soustraite du territoire réservé pour un parc en 2002 afin d’en évaluer le potentiel minier ; cette zone fut rajoutée en 2004, et les travaux de planification du parc ont débuté plus officiellement en 2006 avec la mise en place d’un comité d’harmonisation composé de représentants des communautés locales.

L’ajout du bassin versant de la rivière Nastapoka à la zone d’étude par le comité d’harmonisation en 2006 a été la première action officielle en vue de sa protection. L’inclusion de cette portion de territoire, motivée principalement par la présence de phoques communs d’eau douce (ARK, 2008), ouvrait la porte à une caractérisation scientifique du territoire en question (ARK, 2007). D’une certaine façon, le tracé de 2006 définissait une superficie « idéale » pour le parc, en établissant une référence beaucoup plus vaste que le territoire prévu par le MDDEP. Le texte du Plan directeur provisoire, publié en 2008, laisse toutefois croire que le MDDEP n’avait jamais réellement eu l’intention de considérer l’entièreté de la zone d’étude telle qu’elle avait été définie en 2006 : une part du débat résidait ainsi dans la superficie utilisée en référence. En effet, le MDDEP proposait officiellement un parc national en 2008 plus large que la zone réservée en 1992 sous la forme d’un arrêté ministériel ; les différents groupes militant pour l’inclusion de la Nastapoka aux limites du parc comparaient toutefois la proposition de parc national avec la zone d’étude de 2006, près de deux fois plus vaste. La superficie du projet de parc pouvait donc être comprise différemment selon le cadre de référence que le locuteur choisissait d’adopter, soit ambitieux en comparant avec la zone de 1992, ou décevant comparé à celle de 2006.

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Ensuite, la tenue d’audiences publiques en 2008 marque un autre jalon important dans le processus de caractérisation de la rivière Nastapoka. Ces audiences ont été tenues aux villages d’Umiujaq et de Kuujjuarapik afin de discuter du projet de parc proposé par le MDDEP à travers le Plan directeur provisoire. Au cours de ces audiences, des groupes d’intérêt de différents milieux se sont ajoutés à la voix des populations locales pour demander l’inclusion de la totalité du bassin versant de la rivière Nastapoka aux limites du parc national. Les arguments et les intérêts étaient diversifiés, mais cette demande d’agrandissement du projet de parc est apparue aux observateurs comme portée par un bloc homogène (Adams, 2009 ; Bibaud et Grenier, 2012 ; Grammond et al., 2012). La majorité des intervenants aux audiences publiques demandaient ainsi, finalement, la même chose.

Les audiences publiques ont par ailleurs marqué un changement dans les thématiques observées dans les discours médiatiques. En effet, le « potentiel hydroélectrique » n’était plus, à partir de cette date, amené de manière positive dans les discours, mais a été remplacé par la valeur de biodiversité, laquelle avait été prépondérante dans les discours des groupes scientifiques et environnementaux dans les mémoires remis aux audiences, et dont les phoques communs d’eau douce sont la figure principale. À partir de 2008, la thématique du paysage apparaissait, et contribuait à établir ce qui se rapprochait de plus en plus d’un argumentaire patrimonial. Ensuite, de 2008 à 2013, une période de négociations s’est installée. Les discours portant sur la valeur de biodiversité du bassin versant de la rivière Nastapoka sont demeurés les plus nombreux ; cette époque est toutefois marquée par une augmentation des discours de patrimoine tenus entre autres par la communauté scientifique (Bibaud et Grenier, 2012), de même que sur la valeur esthétique du paysage à laquelle a été attribuée une importance de plus en plus grande (Joliet, 2012).

En 2011, la tenue d’une cérémonie de rétablissement de la paix au pied de la chute Nastapoka est un événement hautement symbolique, qui a eu pour effet d’ancrer ce site dans le récit historique de la région. Cet événement représente, selon notre analyse, le jalon temporel le plus important de la phase de caractérisation. En ce sens, la cérémonie peut être interprétée comme une action discursive ayant eu une influence sur les représentations de cette parcelle du territoire, désormais symbolisée comme un site historique portant des valeurs de paix, de réconciliation et de collaboration entre les deux nations crie et inuit. Cette cérémonie était par ailleurs issue de la « découverte » par certains chercheurs d’histoires de conflits entre les deux nations présentes sur le territoire, à travers des études menées dans le cadre de l’État des connaissances, un recensement d’études scientifiques sur le

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territoire du parc national prévu (ARK, 2007). Or, ces études ont été publiées dans un contexte où la création du Parc national Tursujuq permettait une collaboration entre des membres des communautés inuit et crie, toutes deux utilisatrices du territoire visé par le parc. La collaboration était vécue comme positive et saluée : la création d’un parc national en territoire partagé permettait, de cette façon, d’instaurer une meilleure cohabitation entre les deux communautés. L’appropriation de ces récits historiques et la mise en place d’une cérémonie formelle peut donc être comprise comme une volonté d’officialiser en quelque sorte cette collaboration, en l’associant avec un paysage symbolique, renforçant par la même occasion l’argument selon lequel l’embouchure de la Nastapoka devrait être considérée comme un site d’importance pour les populations locales et, donc, protégée par les limites du parc national. La cérémonie peut donc être considérée comme une action forte du processus de patrimonialisation de la rivière Nastapoka et plus spécifiquement du site à son embouchure : cet acte commémoratif associait le paysage à un système de valeurs et un récit historique, lui signifiant par le fait même une valeur symbolique, voire de sacralité.

Enfin, en 2012, l’annonce de la création du Parc national Tursujuq incluant la quasi-totalité du bassin versant de la rivière Nastapoka marque le dernier jalon temporel dans ce processus de patrimonialisation de la rivière Nastapoka, et correspond avec la seconde phase, soit celle de conservation. À partir de cette date, les discours lus dans les médias portaient principalement la thématique de la valeur esthétique du paysage dans une logique plus descriptive qu’argumentaire. L’inauguration officielle du parc national en 2013 établit pour sa part le début de la phase de mise en valeur, de laquelle nous ne pouvons traiter dans cette analyse puisqu’elle s’est mise en place très récemment.

5.2.2 Jeu d’acteurs : intérêts, compromis et représentations Dans cette section, nous analysons les principaux discours présentés en résultats en fonction des groupes d’acteurs. En présentant d’abord l’État, puis la population locale et enfin les groupes scientifiques et environnementaux, nous cherchons à mieux cerner les intérêts portés par chacun de ces acteurs, de même que les représentations du territoire sous-jacentes à leurs discours et leurs pratiques.

En premier lieu, du point de vue de l’État provincial, la création d’aires protégées en territoire nordique s’insère dans les objectifs politiques visant à améliorer l’image du Québec sur la scène internationale. En effet, la réputation du Québec avait été entachée au point de vue environnemental et au point de

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la relation que les Québécois d’origine euro-canadienne entretiennent avec les peuples autochtones à l’issue – entre autres – du débat entourant le projet Grande-Baleine au cours des années 1990. La décennie 1990-2000 est marquée par un important mouvement de sensibilisation à l’échelle mondiale à ces problématiques : le concept de développement durable tel que défini par Brundtland en 1987, est à la base d’un nouveau paradigme établi en réaction à la prise en compte collective des impacts que pouvaient avoir les activités humaines sur la santé de la planète et du climat, de même que sur les sociétés (Noël, 1990 ; Martin, 2003 ; Canobbio, 2009 ; Pestre, 2011 ; Brunel, 2012). La mobilisation d’organisations mondiales telles que le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) s’accompagnait d’activités de sensibilisation fortement médiatisées à l’échelle internationale (Brunel, 2012).

Pour le Québec, le projet Grande-Baleine devait permettre de construire une image « durable », l’hydroélectricité étant considérée comme une énergie propre et renouvelable, principalement lorsque comparée aux énergies fossiles (Benoît, 1990 ; Noël, 1992). Alors que les campagnes protestataires critiquaient les impacts sociaux et environnementaux du projet, le discours des dirigeants d’État et d’Hydro-Québec misait pour sa part sur le bien-être amené par la croissance économique : « [il] ne faudra pas perdre de vue que dans le développement durable, il y a l’environnement, bien sûr, mais il y a aussi le développement économique de nos régions » (Bacon citée dans Boivin, 1993 : A3). De la même façon, les relations entachées entre la population québécoise et les peuples autochtones, par la Crise d’Oka notamment (Salée, 2013), portaient cet argument de bien-être économique encore plus loin, accusant les manifestants cris de mettre des bâtons dans les roues à un projet qui allait permettre la prospérité du Québec : « les Cris doivent réaliser que leur propre développement et leur bien-être dépendent de la capacité de la société blanche à produire des richesses » (Dubuc, 1990 : B2). Ceux- ci ont même carrément été accusés d’hypocrisie : « Mènent-ils une bataille environnementale ou tentent-ils d’augmenter la mise au maximum pour obtenir le plus de fonds possible? » (Idem) ; « Leur faudra-il (sic) élever castors, ratons ou renards ou, plus sinistrement, retrouver leur taux élevé de mortalité infantile d’antan pour réapprendre la vie de leurs ancêtres? » (Le Cours, 1991 : A11).

Le mouvement de protestation contre le projet Grande-Baleine a ainsi été vécu comme une campagne de salissage et de désinformation contre le Québec. Dans un débat mené finalement en grande partie sur la scène internationale, le gouvernement québécois ripostait avec des campagnes de communication auprès du même public, notamment au Sommet de la Terre à Rio de Janeiro en 1992

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(Noël, 1992 ; Corbeil, 1992). Toutefois, à l’abandon du projet en 1994, la réputation du Québec était déjà fortement affectée par ce conflit. Il semble qu’au fil du temps, l’État québécois ait déployé une stratégie de reconstruction d’une image d’un « Québec durable » sur la scène internationale, laquelle était centrée sur des actions visant à préserver l’environnement et exposer de bonnes relations entre l’État et les peuples autochtones, et plus principalement les Cris. C’est donc dans ce contexte que nous lisons certaines des décisions politiques du début des années 2000.

Rappelons que le Québec présentait alors un net retard en termes de superficie de territoire naturel protégé : les objectifs établis en 1999 pour augmenter le nombre d’aires protégées cadraient directement avec les standards environnementaux de l’époque, et la désignation d’aires protégées en territoire nordique permettait d’en augmenter la superficie de manière relativement rapide tout en étant facilitée par le peu d’infrastructures présentes en territoire nordique. Si le développement des ressources du Nord était toujours souhaité par l’État québécois, le projet Grande-Baleine avait clairement démontré qu’un tel développement ne serait pas possible sans la coopération des populations locales. Ainsi, les ententes de partenariat signées en 2002, la Paix des Braves et l’Entente Sanarrutik, témoignaient d’une ouverture plus grande de la part du gouvernement provincial à travailler en collaboration, à permettre une part d’autonomie aux administrations régionales tout en partageant les bénéfices du développement (Baba et al., 2016). La Paix des Braves a été amplement vantée au Sommet de la Terre à Johannesburg en 2002, où « [l]e Grand Chef des Cris, Ted Moses, sera la star de la délégation du Québec » (Côté, 2002 : s.p.). Cette délégation de 2002 contrastait fortement avec celle envoyée une dizaine d’année plus tôt à Rio, au plus fort du débat Grande-Baleine. On peut donc interpréter cette action médiatique comme une manière d’officialiser les relations désormais plus clémentes entre le Québec et les Cris, en exposant les compromis ayant été faits en matière de développement, afin de renouveler l’image du Québec sur la scène internationale. Il est intéressant de constater que pour le Plan Nord, l’État a adopté plus ou moins la même approche, par une alliance en amont avec les Cris (APNQL, 2011 ; Corbeil, 2011) et en prévoyant un mécanisme de création d’aires protégées, ce qui légitimait en apparence le label de développement durable (Rivard et Desbiens, 2011 ; Berteaux, 2013 ; Duhaime et al., 2013 ; Simard, 2017).

Comme nous l’avons vu, le Plan Nord était critiqué pour la trop grande part laissée au développement industriel et à l’entreprise privée, alors que les territoires naturels visés par une mise en protection apparaissaient comme de simples « résidus » du développement (Berteaux, 2013 ; Simard, 2017). La

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présente étude de cas permet effectivement de conclure à une volonté, par le gouvernement du Québec et préalablement à la publication du Plan Nord, de créer des aires protégées en territoire où le potentiel d’exploitation était inexistant ou négligeable. À cet effet, le retrait de parcelles du territoire réservé pour un parc en 2002 pour en évaluer le potentiel minier, puis les compromis proposés pour l’élargissement partiel des limites du Parc national Tursujuq sans contrevenir aux projets miniers ou hydroélectrique entre 2008 et 2012 sont des actions pouvant être lues comme démontrant une représentation des aires protégées comme subordonnées au développement. La plus évidente de ces actions est toutefois celle par laquelle, de 2006 à 2008, les aménagistes ont semblé éviter de réellement considérer l’ajout du bassin versant de la rivière Nastapoka aux limites du parc. D’abord identifié comme impossible puisque déjà réservé par Hydro-Québec (ARK, 2008), cet ajout a finalement été refusé à travers le Plan directeur provisoire pour des questions de conflit d’usage, alors que le territoire en question avait été très peu inclus dans la description du milieu présentée dans le même document (MDDEP, 2008a).

D’une autre façon, la création de parcs peut être comprise comme une pratique aménagiste à travers laquelle le Québec a voulu assurer sa légitimité sur le territoire, notamment sur le territoire à l’étude où les frontières étaient toujours disputées avec le gouvernement fédéral. En effet, la désignation de frontières provinciales « à la rive » créait un flou juridique quant à l’appartenance des eaux du lac Tasiujaq (Guillaume-Delisle) et des îles s’y trouvant, puisque celui-ci communique avec la Baie d’Hudson. L’aménagement pouvait donc servir d’outil géostratégique afin d’officialiser l’occupation québécoise de ce territoire (Grammond et al., 2012).

Du point de vue des populations locales, cette légitimation de la présence québécoise par l’aménagement du territoire s’est confrontée à une représentation du territoire comme appartenant aux Inuit, et plus spécifiquement aux chasseurs pratiquant les activités traditionnelles. À Umiujaq, l’annonce du projet de parc s’est accompagnée d’un mouvement d’opposition, porté en grande partie par des chasseurs et des aînés. Rappelons le contexte où la population d’Umiujaq est très fortement attachée aux activités traditionnelles, le village ayant d’ailleurs été construit sur des valeurs de « retour aux sources » par des personnes désirant se rapprocher des territoires de chasse tout en s’éloignant des problématiques « urbaines » vécues à Kuujjuarapik, où l’emploi salarié, la violence, la drogue et l’alcool étaient vécues comme des menaces au mode de vie et à la culture (Martin, 2001). La décision de s’éloigner du pôle d’emploi que représentait Kuujjuarapik pour s’installer à Umiujaq démontrait

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également d’une volonté de se rapprocher d’une économie de subsistance ancestrale, comprise comme plus près de la culture inuit (Gombay, 2013). Ainsi, le territoire d’Umiujaq est fortement associé aux activités traditionnelles, avec lesquelles la création d’un parc semblait incompatible, que ce soit par l’imposition de règlements ou la présence de touristes qui risqueraient de s’insurger ou de gêner les activités de chasse. Il semble toutefois que ces valeurs de « retour aux sources », si elles ont été fortement partagées par les fondateurs du village aujourd’hui aînés, ne soient pas aveuglément partagées par la génération plus jeune. Ceux-ci, à l’instar d’autres jeunes du Nunavik (Dorais, 2011), se rapprochent de la société occidentale et vivent une modernisation de la culture et de l’économie. La différence de vision entre les plus jeunes et les aînés s’articulait donc sur la notion de culture, sur ce qui définit un « véritable Inuk », souvent imaginé de façon très traditionnelle, tant par les sociétés occidentales que par les Inuit eux-mêmes (Wachovich, 2006 ; Dorais, 2011). Cette dichotomie quant à la définition de la culture (traditionnelle ou moderne) peut résulter en des situations conflictuelles. Par exemple, un Inuk ne cadrant pas avec la représentation socialement construite de ce qu’il devrait être peut se voir ostracisé par la population (Wachowich, 2006).

À cet effet, le projet de parc national a paru fortement controversé à la population d’Umiujaq. Les uns y voyaient une opportunité de moderniser leur mode de vie tout en conservant un lien avec le territoire ; les autres y voyaient la perte du territoire ancestral et l’extinction des activités de subsistance traditionnelles desquelles ils dépendaient. De cette façon, un parc national s’imposait comme un projet résolument moderne, susceptible d’un impact considérable sur le mode de vie, de même que sur le lien émotif entretenu avec le territoire. Pour les chasseurs, ce lien, décrit comme intime, se verrait brisé par la présence de touristes, laquelle était anticipée comme envahissante et imprévisible. D’un autre côté, la perspective d’un développement industriel tel qu’un barrage hydroélectrique ou une mine, quoiqu’intéressants pour la création d’emplois qui pourraient en résulter, auraient des impacts beaucoup plus importants sur le territoire.

Rappelons que la population du Nunavik n’avait pas été directement consultée dans le cadre des projets de développement prévus par l’Entente Sanarrutik, ni au moment des premières étapes menant à la création du parc. À cet effet, il semble que le territoire d’Umiujaq était soumis à l’une ou l’autre de ces options de développement (un parc ou la construction d’infrastructures industrielles). La lecture des discours aux audiences publiques de 2008 (MDDEP, 2008b ; 2008c) et dans l’Étude d’impact sur l’environnement et le milieu social (ARK, 2008) témoigne d’un sentiment d’impuissance de la part de

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la population. Ceux-ci se voyaient en effet confrontés à deux scénarios inévitables, et semblent avoir collectivement choisi d’appuyer le « moins pire » des deux. Ainsi, les résultats des audiences publiques montrent une population en apparence solidement en faveur du projet de parc national, à un point tel qu’ils en demandaient un deux fois plus grand que celui proposé par le MDDEP (Adams, 2009 ; Bibaud et Grenier, 2012 ; Grammond et al., 2012 ; Joliet, 2011), une analyse s’avérant finalement erronée et simpliste.

La demande d’ajout du bassin versant de la rivière Nastapoka à la zone d’étude du projet de parc avait été faite deux ans plus tôt par des représentants cris et inuit du Comité d’harmonisation désireux d’en savoir plus sur la population de phoque commun d’eau douce et son habitat (ARK, 2008). L’espèce avait été documentée par les études d’impacts d’Hydro-Québec en prévision du projet Grande-Baleine au cours des années 1990, à travers lesquelles il avait été conclu que cette population était probablement unique au monde (ARK, 2007). La rivière Nastapoka avait alors été retirée du mégaprojet hydroélectrique (Bisson, 1991b). Toutefois, à travers l’entente Sanarrutik, un projet d’aménagement était prévu sur la rivière Nastapoka par Hydro-Québec et avait déjà été accepté par la Société Makivik. Pour ces raisons, le bassin versant de la Nastapoka a bien été inclus dans les études sur le territoire du projet de parc national, mais laissé de côté par le MDDEP dans les plans officiels du projet. Le MDDEP s’affirmait d’ailleurs dès 2006 dans l’impossibilité de modifier les plans d’un territoire déjà concédé à Hydro-Québec. La demande du comité d’harmonisation ne pouvait donc pas être appuyée officiellement, ni par le MDDEP, ni par les instances administratives régionales d’Eeyou-Itschee (ARC) ou du Nunavik (Société Makivik), liées par les ententes signées en 2002. Ainsi, si un sentiment d’impuissance existait déjà auprès de la population face aux projets qui se dessinaient sur leur territoire, celui-ci a été exacerbé par le peu d’impact qu’avait eu la demande du comité auprès des autorités.

De cette façon, les perceptions autour du projet de parc se sont transformées auprès de la population d’Umiujaq. Peu souhaitable au début, l’installation d’un parc national est devenue un compromis intéressant par rapport à des projets ayant un impact plus important sur l’environnement ; à un certain moment, la mise en protection du territoire a été comprise comme un outil pouvant bloquer les projets hydroélectriques ou miniers. Dans cette perspective, la création du parc national n’était plus perçue comme une dépossession du territoire, mais bien comme une façon de reprendre un certain droit de

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parole sur les projets qui y prendront place – du moins sur le territoire du bassin versant de la rivière Nastapoka.

À partir de 2008, l’argumentaire en faveur de la protection de la rivière Nastapoka est de plus en plus soutenu par des thématiques de paysage et de pratique du mode de vie traditionnel, en plus de celle de biodiversité. La valeur conférée au territoire à travers les discours des audiences publiques a été reprise par les chercheurs en sciences sociales, sensibles à l’émergence de ce processus de mise en valeur (Bibaud et Grenier, 2012 ; Joliet, 2011 ; 2012 ; Grammond et al., 2012 ; Martin, 2012). Les travaux de ces chercheurs s’inséraient dans le débat politique en se prononçant parfois en faveur de la protection de la rivière : « la revendication de l’inclusion de la Nastapoka dans le périmètre du parc est justifiée au vu du nombre de représentations dans les photographies et les dessins qui font écho aux demandes exprimées par les Inuits lors des audiences publiques » (Joliet, 2012 : 59). Le paysage est également caractérisé subjectivement dans certains de ces travaux :

La succession de chutes spectaculaires, la présence de phoques communs d’eau douce, la beauté des paysages, le potentiel de développement hydroélectrique et touristique, la présence de titres miniers et des terres de la catégorie II (terres publiques avec droits de chasse, de pêche et de piégeage exclusifs aux Autochtones) ainsi que la présence de bélugas […] dans l’estuaire et les restrictions sur les quotas associés à leur chasse […] sont autant d’éléments qui font de cette rivière, pour reprendre la formule de O. Goré (2006 : 24), un important « vecteur de territorialité régionale » (Bibaud et Grenier, 2012 : 44).

Aux dimensions esthétique et d’usage s’ajoutent à cette époque celles de la collaboration et du partage, en réaction notamment aux travaux de recherche ayant relevé des épisodes de conflits violents entre les Inuit et les Cris (ARK, 2007). Le territoire du Parc national Tursujuq étant utilisé à la fois par les Cris et par les Inuit pour la chasse, la pêche et la trappe, des représentants des deux communautés siégeaient ensemble au comité d’harmonisation. Une révision des textes historiques et de l’histoire orale a permis de poser un regard nouveau sur l’historique des relations entre les deux nations, pour révéler des histoires d’entraide et de solidarité mieux adaptées à l’image que l’on souhaite attacher au territoire du parc :

Contrairement à certains anthropologues (voir par exemple D. Francis, 1979) qui, à partir d’incidents isolés, ont donné à penser que les relations entre Cris et Inuits étaient conflictuelles, Martin et Cournoyer (2010 : 173) estiment, à partir d’une relecture des textes historiques et en s’appuyant sur des récits plus contemporains, que la proximité géographique favorisait un rapprochement social, que la collaboration et l’entraide entre

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les familles cries et inuites de la région étaient fréquentes et qu’il « n’était pas rare de rencontrer des [I]nuit[s] ou des Cris parlant les deux langues. Il arrivait aussi que des familles inuit[es] et cries partagent le même campement pendant quelques semaines, voire voyagent ensemble d’un lieu de rassemblement à un autre, ce qui donnait lieu à d’importants échanges sociaux et de savoir-faire » (Bibaud et Grenier, 2012 : 43).

Dans le même objectif, la cérémonie de rétablissement de la paix au pied de la chute Nastapoka en 2011, réunissant des personnes cries et inuit pour commémorer le récit du premier événement connu de paix entre les deux nations, porte une importance significative au paysage de l’embouchure de la rivière Nastapoka, a contribué à conférer à ce site un statut symbolique porteur des valeurs de paix et de partage. Alors même que les négociations étaient en cours pour la protection de la rivière Nastapoka aux limites du parc Tursujuq, la tenue de la cérémonie peut être interprétée comme un discours fort visant à influencer les représentations de ce territoire, conférant au site une valeur historique, symbolique, voire sacrée, et méritant d’être conservée.

L’appui des groupes scientifiques et environnementaux à la protection du bassin versant de la rivière Nastapoka s’inscrit dans une toute autre perspective. Tel que démontré précédemment, la société internationale est de plus en plus sensible aux questions environnementales depuis les dernières décennies. Au paradigme du développement durable s’est succédé celui des changements climatiques, à travers lequel le discours s’est fait de plus en plus pressant pour une réduction de la pression anthropique sur le milieu naturel. Les discours de scientifiques, portés principalement par le GIEC, sont de plus en plus alarmants, et le concept de développement durable défini par Brundtland en 1987 est désormais considéré comme trop malléable pour apporter des solutions réelles (Brundtland, 1988 ; Pestre, 2011 ; Brunel, 2012 ; Berdoulay et Soubeyran, 2013). Selon Berdoulay et Souberyan (2013), l’émergence de ce nouveau paradigme redéfinit le sens des aires protégées puisqu’un questionnement s’impose quant à la relation entre la société et le milieu naturel : « c’est bien le choix du modèle sociétal de rapport à la nature qui inquiète, car il peut mettre en question l’avenir même de la société » (Ibid. : 372). Selon ces auteurs, les aires protégées ne sont plus seulement des territoires préservés du développement, mais se redéfinissent plutôt comme une responsabilité, voire une nécessité pour contrer les effets d’une crise pouvant potentiellement mettre « en péril la société » (Idem).

Dans cette optique, rappelons par ailleurs que les études scientifiques récentes concluent que l’Arctique est particulièrement vulnérable aux effets des changements climatiques (Allard et Lemay,

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2013 ; GIEC, 2017). On assiste donc dans ce contexte à l’émergence d’une nouvelle représentation du territoire nordique comme vulnérable, à protéger du développement : cette vision est celle ayant été partagée par les différents groupes environnementaux et scientifiques ayant contribué aux audiences publiques de 2008 (Allard, 2008 ; IBC, 2008 ; NQ, 2008a ; RNCREQ, 2008 ; SNAP, 2008). En général, le discours porté par ces groupes a conféré une importance significative à la protection de la biodiversité, représentée par l’espèce du phoque commun d’eau douce principalement. Dans un discours relativement consensuel, ces groupes d’intérêts donnaient au territoire visé par le parc une importance liée à sa fragilité face aux changements climatiques et aux projets anticipés de développement industriel. Le projet de parc est par ailleurs situé en zone de transition, à la limite des arbres et du pergélisol discontinu (Allard, 2008), ajoutant à cette valeur le potentiel scientifique que représenterait un suivi de l’évolution du climat sur ce milieu, lequel pourrait intéresser la communauté scientifique internationale (Allard, 2008 ; NQ, 2008a ; SNAP, 2008). D’une autre façon, la participation des organismes militant pour l’environnement peut également être comprise comme une manière de profiter de la tribune qu’offraient les audiences publiques pour adresser des messages au MDDEP sur d’autres dossiers (NQ, 2008a), ou encore en simple appui aux recommandations émises par d’autres organismes (IBC, 2008).

Les populations locales et les groupes d’intérêts, quoique militant tous pour l’inclusion du bassin versant de la rivière Nastapoka aux limites du Parc national Tursujuq, étaient donc mus par des intérêts différents. Chez les Inuit et les Cris, l’agrandissement du parc permettrait de bloquer le projet d’aménagement hydroélectrique tout en affirmant, d’une certaine façon, leur appartenance du territoire et leur droit de légiférer sur l’avenir de celui-ci, dans un contexte où les choix semblaient tout de même limités. Pour les groupes scientifiques et environnementaux, l’ajout du bassin versant aux limites du parc permettait de répondre à un sentiment de fragilité des territoires nordiques due aux activités anthropiques et à la crise climatique. En ce sens, la collaboration émergeant des audiences publiques de 2008 entre les Cris, les Inuit, les scientifiques et les organismes militant pour l’environnement différait de celle ayant porté le mouvement d’opposition contre Grande-Baleine dans les années 1990. À cette époque, les Cris étaient directement allés chercher l’appui d’organismes environnementaux américains pour donner une voix supplémentaire au débat (Martin, 2003). Dans le cas du débat pour la protection du bassin versant de la rivière Nastapoka, les différents groupes ont été liés par des discours similaires, portés par des intérêts et des représentations différentes, mais poursuivant toutefois le même objectif final.

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5.2.3 Quelle compréhension du patrimoine naturel en territoire autochtone à l’ère des changements climatiques ? Le patrimoine, que l’on comprend comme une construction sociale, est analysé par certains auteurs comme pouvant être issu d’un sentiment de perte (Héritier et Guichard-Anguis, 2008 ; Berdoulay et Soubeyran, 2013 ; Merlin et Choay, 2015). Par ailleurs, l’association d’une valeur patrimoniale à un territoire naturel doit être comprise comme un choix, une désignation sélective d’éléments à mettre en valeur et auxquels seront greffés des qualités anthropiques : le territoire naturel devient alors un objet culturel, un monument reflétant la société qui le met en valeur (Héritier et Guichard-Anguis, 2008). Le patrimoine s’impose également comme un outil, à travers lequel certains éléments ou territoires seront sélectionnés pour être protégés et valorisés. Ce processus sélectif est mis en place par des sociétés ou des groupes d’intérêts et doit donc être compris comme une instrumentalisation du concept visant à imposer une représentation au détriment d’une autre. La valorisation du passé et de la mémoire impliquée dans la désignation d’objets patrimoniaux implique un tri sélectif, et donc, obligatoirement, l’oubli de certains éléments de la mémoire par la même occasion (Di Méo, 2008 ; Gagnon, 2019).

Dans le cas de la rivière Nastapoka, la mise en place d’un statut patrimonial est un cas d’étude intéressant puisque défendu par deux groupes différents (les populations locales et les groupes scientifiques et environnementaux), portés par des représentations différentes. Le territoire est vu par les communautés locales comme un lieu de subsistance fortement lié au mode de vie ancestral, et appartenant aux Inuit pour la pratique d’activités traditionnelles. Pour les groupes d’intérêts, ce même territoire est perçu comme vulnérable face aux projets de développement et aux changements climatiques. Le bassin versant de la Nastapoka avait été inclus dans le territoire d’étude du parc en 2006 par les représentants des communautés locales siégeant au comité d’harmonisation, mais retiré du tracé officiel du parc national par le MDDEP en 2008, au profit de projets hydroélectrique et miniers. Ainsi, aux audiences publiques de 2008, un sentiment de perte et d’impuissance peut être compris à la lecture des discours prononcés. Pour les communautés locales, la dépossession du territoire amenée par l’aménagement hydroélectrique est bien connue et peu souhaitable (Desbiens, 2014 ; Gagnon, 2019). Pour les groupes d’intérêts, le développement de ce territoire impliquerait la disparition d’une espèce et des impacts environnementaux considérables sur un territoire déjà fragilisé par la crise climatique. L’argument patrimonial s’impose donc de part et d’autre pour influencer les plans d’aménagement proposés.

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À l’échelle régionale du Nunavik, un mouvement de patrimonialisation du territoire et de la culture est déjà bien en place depuis la création de l’Institut culturel Avataq en 1980 et sert, selon Canobbio (2009) de pierre d’assise à la définition d’une identité régionale dans un contexte de revendications territoriales. La construction d’une identité régionale distincte et formant une communauté homogène peut également se lire comme une volonté de bâtir un projet d’autodétermination régionale. Ce projet de communauté permettrait aussi de reléguer au passé les conflits ayant créé une scission au sein des Nunavimmiut en 1975, entre les personnes appuyant la CBJNQ et les opposants au projet, lesquels croyaient en la création d’un gouvernement régional plus autonome (Qumaq, 2010 ; Hervé, 2014 ; Nungak, 2017). Malgré un recul de ce nouveau projet d’autonomie régionale suite à son refus par référendum en 2011, le mouvement d’autodétermination est toujours très actif (Hervé, 2014) et les négociations ont d’ailleurs repris en 2019, réaffirmant les valeurs du mouvement : « La Déclaration des Inuits du Nunavik de 2018, qui a été adoptée à la réunion de tous les organismes du Nunavik de mai 2018, confie à la Société Makivik le mandat d’établir un gouvernement autochtone fondé sur les valeurs, le patrimoine, l’identité, la culture et la langue des Inuits » (Makivik, 2019). Tel qu’on peut le constater, le concept de patrimoine est bien intégré à la politique régionale pour asseoir les revendications. À Umiujaq toutefois, et dans le cas spécifique des débats entourant la création du Parc national Tursujuq, le discours de patrimoine semble contradictoire avec la compréhension du rôle du parc dans la communauté. Tel que démontré précédemment, la création d’un parc national est considérée par la communauté comme un projet très moderne. Or, le concept de patrimoine sous- entend la fixité d’un passé idéalisé, la construction d’une authenticité à préserver, voire à muséifier, pour l’avenir (Lévy et Lussault, 2013). Il semble que le patrimoine revête ainsi une double signification de préservation du passé et des activités ancestrales, tout en permettant une modernisation de l’économie, mais en conservant le lien de subsistance avec le territoire.

Berdoulay et Soubeyran (2013) proposent une relecture du concept de patrimoine naturel, à un moment où les discours des changements climatiques modifient le rapport imaginaire entre les sociétés et les espaces naturels. Selon ces auteurs, le patrimoine naturel était considéré jusqu’à récemment « comme un élément de l’environnement qu’il fallait sauver, mais de façon, somme toute, relativement résiduelle » (Ibid. : 372). Le paradigme des changements climatiques et les discours alarmants redéfinissent le sens donné au patrimoine naturel depuis les années 1990 environ : celui-ci s’imposerait désormais comme essentiel « dans le besoin d’assurer la survie au présent » et se voit marqué par un discours d’urgence (Ibid. : 374). Par cet état de fait, les auteurs définissent deux nouvelles formes de

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visions du patrimoine naturel, deux « orientations » : le « patrimoine résistance » et le « patrimoine résilience ».

Ces deux compréhensions du patrimoine naturel s’appliquent bien aux différents discours analysés dans notre étude de cas. En effet, le « patrimoine résistance » constitue une réaction à la situation de crise environnementale actuelle, une forme de résistance à une « logique de dégradation irréversible » (Idem). Selon cette approche, les aires protégées, considérées comme essentielles à la survie, demeurent tout de même séparées de la société et de l’économie et sont considérées comme devant être conservées à l’identique d’un idéal naturel sauvage. Cette conception sous-entend donc une segmentation entre les humains et la nature. La notion de patrimoine résistance s’applique bien à la vision des groupes scientifiques et environnementaux, lesquels ont mis de l’avant une représentation du territoire et de la biodiversité comme vulnérables aux stress tant naturels (changements climatiques) qu’anthropiques (développement, chasse).

D’un autre côté, le « patrimoine résilience » implique pour sa part un rapprochement plus serré entre la nature et les sociétés, et se différencie du patrimoine résistance par son caractère holistique, qui n’est plus marqué par la rupture mais bien par la cohabitation :

Surtout, on se rend compte – ou du moins on cherche à tenir compte – du fait que les liens entre société et biodiversité sont évolutifs. Le discours sur la patrimonialisation de la nature fait de plus en plus de place à l’idée de coévolution, ou d’évolution conjointe, entre patrimoine naturel et société. […] Loin de l’idée de rupture temporelle, cette approche de la patrimonialisation de la nature cherche à montrer l’intérêt de préserver la continuité de certaines pratiques, de certains genres de vie, tout en reconnaissant l’aspect évolutif et changeant (Berdoulay et Soubeyran, 2013 : 378).

Cette seconde conception du patrimoine naturel, en considérant la nature comme un espace de vie intrinsèquement lié aux pratiques et aux activités humaines, et évoluant même en fonction de celles- ci, se rapproche des discours autochtones (Maraud et Desbiens, 2017), et est intéressante à mettre en relation avec la vision du parc partagée par les habitants d’Umiujaq. La notion de patrimoine résilience offre donc une perspective intéressante dans le cas des aires protégées en milieu autochtone, par l’hybridité suggérée entre la nature et les pratiques, de même que par l’aspect plus global qui en découle, à travers lequel la société doit faire partie de la nature et vice-versa. Cette manière de voir est plus cohérente avec la vision inuit du territoire (Collignon, 2003 ; Dorais, 2008), à l’inverse de la définition des aires protégées comme des « aires définies », donc nécessairement

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fermées. Cette conception cadre également avec la nécessité exprimée par les résidents d’Umiujaq d’avoir accès au territoire et à ses ressources, tant du point de vue identitaire que pour subsister.

La représentation des parcs nationaux – et du territoire en général – comme un espace fermé, telle qu’elle semble être portée par le gouvernement québécois et les groupes environnementaux, est finalement une vision occidentalisée de l’espace. En tant que forme d’aménagement, la création de parcs nationaux sous-entend une segmentation du territoire, par la nécessité de créer des frontières pour y règlementer les usages (Dudley, 2008). Or, la définition de frontières est justement à l’origine des débats étudiés. Dès 1975, la segmentation du territoire est décrite par les opposants à la CBJNQ comme incompatible avec les pratiques et la vision inuit du territoire :

Les dispositions les plus inquiétantes de la Convention ne sont pas encore entrées en vigueur et n’ont pas encore été contestées. [Ainsi,] la Convention stipule qu’on ne peut chasser que dans le périmètre des terres de catégorie II, ce qui signifie que nous sommes censé[s] mourir de faim plutôt que de poursuivre un animal au-delà de ce périmètre (Qumaq, 2010 : 123).

Le zonage et la segmentation du territoire se sont toutefois imposés – et s’imposent toujours – comme la seule façon de légiférer sur les territoires nordiques. À cet effet, la notion de patrimoine résilience se présente comme une conception intéressante pour l’aménagement des espaces naturels du Nunavik, qui présuppose une conception du territoire moins segmentée, mais où l’occupation humaine est comprise comme intégrée à l’espace naturel, plutôt que située en parallèle de celui-ci. Il est important de constater, au terme de cette analyse, que les Inuit ne sont pas opposés à tout projet de développement : l’acceptation d’un projet d’aménagement hydroélectrique à Inukjuak, au nord du Parc national Tursujuq, en témoigne bien. Ce projet, à la différence de celui de l’aménagement de la rivière Nastapoka, avait été amené par les membres de la communauté d’Inukjuak sur un site choisi par les résidents, et est réalisé en partenariat entre la corporation foncière du village et Hydro-Québec, plutôt que prévu et dirigé par les instances administratives et la Société d’État directement (Baril, 2019). Le projet d’aménagement de la rivière Inukjuak est également beaucoup moins ambitieux que celui de la Nastapoka (7,5 mégawatts plutôt que 100), et servira à alimenter le village : les impacts sur l’environnement seront de ce fait beaucoup moins importants.

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Conclusion

En conclusion, l’étude de cas de l’inclusion du bassin versant de la rivière Nastapoka au Parc national Tursujuq, au terme d’un processus de patrimonialisation, nous a permis de mieux caractériser les représentations territoriales du Nord québécois et les divers intérêts pouvant s’y rattacher. L’interprétation des résultats présentés suggère d’abord que, pour l’État québécois, la mise en protection des territoires nordiques semble une pratique aménagiste subordonnée au développement industriel. De cette façon, les territoires mis en protection sous la forme d’aires protégées sont désignés en parallèle à des projets de développement, et sur des sites ne présentant pas ou peu de potentiel d’exploitation.

À cette vision se confrontent celles des populations locales et des groupes d’intérêt scientifique ou environnemental, lesquels demandent la protection de la rivière. Ceux-ci ne sont toutefois pas portés par une même vision du territoire à protéger : les populations locales y voient une façon de reprendre le pouvoir sur des projets de développement qu’ils n’ont pas acceptés, et au sein desquels le parc national s’impose comme la solution ayant le moins d’impacts sur l’environnement et les activités quotidiennes. Pour les groupes d’intérêts, la mise en protection du territoire s’insère dans un paradigme de vulnérabilité du territoire, influencé par les discours de plus en plus alarmants des changements climatiques.

Au cours des prochaines années, il sera intéressant de voir comment la popularisation de l’industrie écotouristique en Arctique modifiera les représentations occidentales du Nord. L’image mentale des occidentaux est en effet toujours très influencée par les représentations des « Esquimaux » sauvages tels qu’ils sont présentés dans la culture populaire, notamment par le film « Nanook l’Esquimau » (Collignon, 2003). Ces représentations des territoires arctiques sont également partagées par l’industrie touristique à travers les images choisies pour des brochures promotionnelles des agences de voyages, par exemple (Antomarchi, 2009). L’Arctique est associé à un monde de l’extrême, à la « blancheur » de la banquise : cet imaginaire du territoire nordique fortement associé à l’hiver contraste non seulement avec la vision que les Inuit entretiennent de leur territoire (Collignon, 2003 ; Dorais, 2008), mais également avec l’effective saison touristique, qui est plutôt en été (Antomarchi, 2009). Cet imaginaire romantique des territoires nordiques peut créer des attentes chez la clientèle touristique, qui s’avèrent finalement contradictoires avec la réalité.

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Les touristes qui arrivent au Nunavik sont d’ailleurs confrontés à la réalité du mode de vie contemporain des Inuit, laquelle est discordante de cette image idéalisée partagée par la publicité touristique et la culture populaire (Girouard, 2017). Si, déjà, la modernisation du mode de vie en Arctique peut confronter l’imaginaire des visiteurs, ceux-ci peuvent aussi paradoxalement être choquées par les activités traditionnelles qui persistent :

Fascinés par la culture inuite, ils le sont moins lorsqu’ils assistent au dépeçage du phoque, par exemple. […] Ainsi, les touristes peuvent ressentir un choc culturel provoqué par les pratiques traditionnelles de chasse et de pêche alors que le discours occidental a tendance à sacraliser, à sanctuariser certaines espèces animales telles que l’emblématique ours polaire ou le phoque, surtout les bébés (Antomarchi, 2009 : 56).

À Umiujaq, les activités traditionnelles de chasse et de pêche sont bien vivantes. Il n’est pas rare d’en voir des traces en visitant le village (Figure 22). La réaction des touristes face à ce mode de vie était l’une des principales craintes de la population face à la création du parc national, un chasseur m’ayant expliqué qu’il ressentait parfois la honte de sa culture lorsque confronté au regard de défenseurs des droits des animaux. Le « mythe du bon Indien » a par ailleurs prescrit les représentations des occidentaux sur les peuples autochtones à travers le monde, leur conférant un statut idéalisé de mode de vie près de la nature et d’une pensée écologique sans failles, vus comme des exemples à suivre pour toutes les sociétés (voir Agence France-Presse, 2019). S’il est vrai que ce mythe a été approprié par certains groupes pour appuyer des manifestations contre les projets de développement sur leur territoire (Maraud et Desbiens, 2017), les Inuit se situent plutôt dans une situation de relation de codépendance au territoire et à ses Figure 22 : Scène typique d'Umiujaq, juillet 2018 (photographie de ressources, et en dénoncent la l'auteure) surprotection (Antomarchi, 2009).

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Il faut dire aussi que les Inuit voient l’arrivée de touristes Qallunaat avec un brin d’humour, peut-être même avec une certaine moquerie. Il suffit de voir l’extrait Recipe for Disaster présenté dans le film- documentaire Qallunaat! Why White People are Funny (Sandiford, 2006) pour comprendre cette vision de l’écotouriste comme une forme d’explorateur suréquipé des temps modernes, finalement un peu risible par son manque d’autonomie sur le territoire. À Umiujaq, un futur guide imagine leur réaction face aux atterrissages difficiles à cause du vent : « Et déjà, on dit que les touristes ont un peu peur du Grand Nord, imaginez ce que ça donnera, ils arrivent terrifiés, avec les vents de travers, sur notre piste d’atterrissage telle qu’elle est » (Niviaxie dans MDDEP, 2008b).

Enfin, cette étude de cas n’avait pas comme objectif de comparer avec des études similaires existantes. Il serait intéressant, dans ce cas, de comparer les résultats de ce projet de recherche avec d’autres projets d’aires protégées, que ce soit au Nunavik ou ailleurs dans le monde, et de voir dans quelle perspective les projets de mise en protection de la nature se sont affirmés. Quels compromis peut-on voir quant aux restrictions des parcs nationaux et à la pratique d’activités traditionnelles autochtones? Un regard d’ensemble sur les usages des aires protégées permettrait un meilleur recul quant aux représentations qui s’y rattachent. Le concept d’aires protégées, notamment sous la forme de parc national, est historiquement récent et reflète une conception occidentale de segmentation entre la nature et la société. Il serait intéressant de constater, d’un point de vue global, de quelle façon ces concepts évoluent à travers les différentes sociétés et les usages que celles-ci ont du territoire.

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